POLARIS : les forces en présence

POLARIS : les forces en présence

Par Vincent Groizeleau – Mer et Marien publié le 13/05/2025

La troisième édition de l’exercice majeur de préparation opérationnelle de la Marine nationale a débuté le lundi 12 mai. D’ici le 15 juin, POLARIS 25 va mobiliser, en Atlantique et en Manche, quelques 3000 militaires français et alliés, une grosse vingtaine de bâtiments de surface, des moyens sous-marins et 40 aéronefs. Avec cette année une forte dimension amphibie.

Entrainer les forces aux combats de haute intensité dans tous les milieux et face à tous les types de menaces, au travers de scénarios complexes inspirés de conflits récents, tout en mobilisant d’importants moyens et des innovations pour un réalisme maximal : c’est l’objectif de POLARIS, une nouvelle génération d’entrainement de grande ampleur imaginée par la flotte française pour préparer ses unités aux engagements armés d’aujourd’hui. Le nom de cet exercice est issu de l’acronyme « Préparation Opérationnelle en Lutte Aéromaritime Résilience, Innovation et Supériorité ». 

Initié en 2021 et organisé tous les deux ans, cet exercice, après deux éditions en Méditerranée, se déroule pour la première fois cette année autour de la façade atlantique. En plus de la France, neuf autres nations alliées participent à ces manœuvres : l’Allemagne, le Brésil, l’Espagne, les États-Unis, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. S’y ajoute l’une des forces navales permanentes de l’OTAN en Europe du Nord, le Standing Nato Maritime Group One (SNMG1). « L’exercice poursuit une logique de combat depuis les bases navales jusqu’à la haute mer, dans les conditions du réel. Le scénario permettra de se préparer aux spécificités du combat moderne, multimilieux et multichamps (c’est-à-dire alliant les aspects terrestre, maritime, aérien, cyber, les fonds marins, le cyberespace, l’espace, la guerre électronique ou encore le champ informationnel). Cette première édition en Atlantique se distinguera par sa durée et sa complexité. Objectifs : stimuler l’inventivité et la combativité des militaires et accroître leur résilience en durcissant leur préparation face aux défis d’aujourd’hui », explique le ministère français des Armées. Alors que deux flottes s’affronteront au large de la Bretagne, une grande liberté d’action sera laissée aux unités et il n’y aura pas de seconde chance. Comme dans la réalité, si un bateau est coulé, le jeu sera terminé pour lui. 

Le scenario portera sur une tentative de prise de contrôle d’un territoire allié par plusieurs pays hostiles. Dans la première phase de Polaris, du 12 au 26 mai, les « rouges » lanceront des actions hybrides offensives, notamment depuis la mer, contre des emprises militaires, avec un enjeu, pour le pays allié, de défendre ses bases navales et leurs approches, en l’occurrence celles de Brest et Cherbourg.   

 

 

La deuxième phase, du 27 mai au 15 juin, sera axée sur le combat aéromaritime, des forces navales rouges de premier rang (bâtiments de surface et sous-marin) se positionnant au large des côtes bretonnes, depuis le golfe de Gascogne et la Manche. Suivant le scénario, la France prend la tête d’une force internationale, avec pour objectif de débarquer des unités terrestres et aéromobiles au sud de la Bretagne afin d’appuyer le pays allié et contrer son invasion. Constitué en Atlantique, le groupe naval bleu sera articulé autour de cinq grands bâtiments de projection (dont deux porte-hélicoptères amphibies et deux transports de chalands de débarquement). Avant de projeter chars et soldats sur les plages bretonnes, probablement sur les côtes morbihannaises (une démonstration d’opération amphibie étant prévue préalablement au sud-ouest de l’Angleterre), la force bleue devra combattre les unités navales rouges pour gagner la maîtrise de l’espace aéromaritime, indispensable pour conduire une opération de débarquement. 

Les moyens engagés par la Marine nationale

Concernant les unités engagées dans POLARIS, pour la première fois, le porte-avions Charles de Gaulle, rentré récemment à Toulon après son déploiement dans la région Indopacifique, ne sera pas de la partie. Ce sera en revanche le cas du groupe aérien embarqué, avec des avions de combat Rafale Marine et un ou plusieurs avions radars Hawkeye, l’aéronautique navale française participant également avec des avions de patrouille maritime Atlantique 2, ainsi que des hélicoptères Caïman Marine et Dauphin embarqués sur différents bâtiments. 

 

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© Mer Et Marine
Rafale Marine. 

 

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© Marine Nationale
Hawkeye. 

 

© Marine Nationale – Jean-Philippe Pons
Atlantique 2. 

 

© Marine Nationale
Caïman Marine survolant deux FREMM. 

 

© Marine Nationale – Charles Wassilieff
Hélicoptère Dauphin à bord d’un PHA. 

 

Les deux principaux bâtiments de la Marine nationale mobilisés pour cet exercice sont les porte-hélicoptères amphibies (PHA) Tonnerre et Dixmude avec leur batellerie, le premier ayant d’ailleurs participé en mars à un premier exercice d’opération amphibie « augmentée » grâce à l’emploi de différents types de drones. Un sous-marin nucléaire d’attaque (SNA), ainsi que trois frégates multi-missions (FREMM), dont une au sein du SNMG1, participent également, de même que la frégate légère furtive (FLF) Aconit, un patrouilleur de haute mer (PHM), le bâtiment d’expérimentation de guerre des mines (BEGM) Thétis, un bâtiment de soutien et d’assistance métropolitain (BSAM) et un bâtiment de soutien et d’assistance affrété (BSAA). S’y ajoutent des moyens de la Force des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO) pour la première phase de l’exercice (actions hybrides) et deux sections de fusiliers-marins qui seront embarquées pour la seconde phase. La chaîne sémaphorique, les bases navales de Brest et Cherbourg ainsi que différents services et quatre états-majors (CECLANT, COMNORD, FRSTRIKEFOR et FORFUSCO) sont enfin impliqués. 

 

© Jean-Claude Bellonne
Le PHA Tonnerre quittant Toulon début mai pour rejoindre l’Atlantique. 

 

© Jean-Claude Bellonne
Le PHA Tonnerre quittant Toulon début mai pour rejoindre l’Atlantique. 

 

© Marine Nationale – Marie Bailly
Le PHA Dixmude. 

 

© Mer Et Marine – Vincent Groizeleau
Débarquement de troupes depuis un PHA via un engin de débarquement amphibie rapide (EDAR) lors d’un précédent exercice. 

 

© Tangui Saunier
La FREMM Nomandie. 

 

© Jean-Claude Bellonne
La FLF Aconit. 

 

© Giorgio Arra
Un PHM, ici le Commandant Blaison. 

 

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© Michel Floch
Le BRGM Thétis. 

 

© Marine Nationale – Marie Delannoy
UN BSAM et un SNA du type Suffren. 

 

© Marine Nationale – Jonathan Bellenand
Commandos marine. 

 

L’armée de Terre et l’armée de l’Air

Toujours côté français, l’armée de Terre engage un groupement tactique embarqué (GTE) avec soldats et véhicules, un sous-groupement d’aérocombat (S-GAM) comprenant des hélicoptères de manœuvre et d’attaque, un groupement de commandos amphibie (GCA), une unité de commandement et de soutien (UCS), ainsi qu’une unité de défense sol-air (DSA), l’état-major de ces forces terrestres étant fourni par la 9ème brigade d’infanterie de marine (BIMa). De son côté, l’armée de l’Air et de l’Espace aligne des avions de combat Rafale et Mirage 2000, des Alphajet, ainsi que des avions radar et de ravitaillement en vol AWACS et MRTT. 

 

© Armee De L’air Et De L’espace
Un AWACS de l’armée de l’Air. 

 

Les Britanniques

Les Britanniques viennent à POLARIS avec le transport de chalands de débarquement auxiliaire RFA Lyme Bay, le bâtiment de projection RFA Argus, une flottille de quatre patrouilleurs du type P2000, un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon, ainsi que cinq hélicoptères (trois Merlin et deux Wildcat). S’y ajoute un commando de Royal Marines. 

 

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© Mer Et Marine- Vincent Groizeleau
Le RFA Lyme Bay, opérationnel depuis 2007, est l’un des trois bâtiments de ce type en service dans la Royal Fleet Auxiliary. Longs de 176 mètres pour un déplacement de plus de 16.000 tonnes en charge, ces TCD auxiliaire ont une importante capacité d’emport de matériel et de véhicules (150), ainsi que des logements pour 350 soldats en plus de leur équipage. Ils ne disposent cependant que d’un petit radier permettant de loger un seul chaland de débarquement. Une plateforme peut néanmoins être déployée sur tribord afin de réaliser des transfert de véhicules avec d’autres engins de débarquement. Ils peuvent accueillir un hélicoptère Chinook mais ne disposent pas de hangar. 

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© Michel Floch
Le RFA Argus. Cet ancien porte-conteneurs lancé en 1981 a été acquis en 1984 par la marine britannique afin d’être converti en porte-aéronefs auxiliaire, suivant le retour d’expérience de la guerre des Malouines. Long de 175 mètres pour un déplacement de plus de 28.000 tpc, il pouvait recevoir des avions à décollage et appontage verticaux Harrier. Le RFA Argus peut embarquer jusqu’à 6 hélicoptères dans son hangar, ou bien des véhicules. 

 

© Royal Navy
Patrouilleur du type P2000. Une quinzaine d’unités de ce type sont en service dans la Royal Navy. Ces petits patrouilleurs de 21 mètres sont conçus pour les missions de surveillance et de formation. 

 

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© Royal Navy
Hélicoptère britanique Merlin. 

 

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© Otan
Hélicoptère britannique Wildcat. 

 

Les Espagnols

Côté espagnol, l’Armada est présente avec le transport de chalands de débarquement Galicia, la frégate Cristobal Colon et un bataillon d’infanterie de marine. 

 

© Armada Espanola
Des fusiliers marins espagnols évoluant devant le TCD Castilla, jumeau du Galicia qui est engagé dans POLARIS. Mis en service en 1998, le Galicia mesure 160 mètres de long et affiche un déplacement de 13.800 tonnes à pleine charge. Il peut embarquer en plus de son équipage plus de 540 soldats, ainsi que 6 hélicoptères et près de 2500 tonnes de matériel, dont plusieurs dizaines de véhicules, y compris une trentaine de chars lourds. Les moyens terrestres sont débarqués au moyen de quatre chalands logées dans le radier. 

 

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© Jean-Claude Bellonne
Le Cristobal Colon, opérationnel depuis 2012, est la plus récente des cinq frégates espagnoles du type F100. Des bâtiments de 147 mètres et 6000 tpc disposant de lanceurs verticaux VLS Mk41 pour missiles surface-air SM-2 et ESSM (48 cellules), une tourelle de 127 mm, deux canons de 25 mm, quatre tubes pour torpilles Mk32. Ils peuvent en outre embarquer un hélicoptère. 

 

Les Italiens

L’Italie participe avec le Pattugliatore Polivalente d’Altura (PPA) Giovanni Delle Bande Nere et une unité d’infanterie de marine. 

 

© Giorgio Arra
Le PPA italien Giovanni Delle Bande Nere. Ce bâtiment de 143 mètres et 6200 tpc, du gabarit d’une frégate de premier rang, est la quatrième de sept unités de ce type commandées par la marine italienne. Mis en service fin 2024, il peut embarquer deux hélicoptères. Son armement comprend 16 missiles surface-air Aster 15 et Aster 30 (y compris la version Block 1), deux lanceurs triples pour torpilles MU90, une tourelle de 127 mm, un canon de 76 mm, deux affûts téléopérés de 25 mm et des mitrailleuses manuelles. Le Giovanni delle Bande Nere pourra également mettre en oeuvre 8 missiles antinavires Teseo Mk2/E. 

 

Les Néerlandais

Les Pays-Bas participent avec la frégate Van Amstel. 

 

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© Mer Et Marine – Vincent Groizeleau
La frégate néerlandaise Van Speijk, sistership du Van Amstel allant participer à POLARIS. Ces deux dernières frégates du type M encore en service dans la Koninklijke Marine mesurent 122 mètres de long et affichent un déplacement de 3300 tpc. Leur armement comprend notamment un système surface-air Sea Sparrow (16 missiles en cellules de lancement vertical), une tourelle de 76 mm, un système multitubes Goalkeeper, de l’artillerie légère et quatre tubes pour torpilles Mk32. Elles peuvent embarquer un hélicoptère. 

 

Les Américains

Les États-Unis sont présents avec une compagnie d’appui feu aérien de l’US Marine Corps, ainsi qu’un avion de patrouille maritime P-8A Poseidon. 

 

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© Boeing
P-8A Poseidon de l’US Navy. 

 

Les Brésiliens

Le Brésil vient avec une section de fusiliers-marins. 

Le groupe naval de l’OTAN

Enfin, côté OTAN, le SNMG1 comprend, en plus d’une FREMM française, la frégate néerlandaise De Ruyter, la frégate portugaise Bartolomeu Dias et le ravitailleur allemand Rhön. 

 

© Fabien Montreuil
La frégate de Ruyter. Troisième des quatre unités néerlandaises du type De Zeven Provincien, cette unité de 144 mètres et 6000 tpc, en service depuis 2004, est plus particulièrement dédiée à la lutte antiaérienne. Elle dispose de lanceurs verticaux VLS Mk41 permettant de loger 32 missiles surface-air SM-2 et 32 ESSM. Alors que les 8 anciens missiles antinavire Harpoon vont être remplacés par des NSM, la frégate dispose d’une tourelle de 127 mm, un système multitubes Goalkeeper et quatre tubes pour torpilles Mk32. Elle peut également embarquer un hélicoptère. 

 

© Jean-Claude Bellonne
La frégate portugaise Bartolomeu Dias, mise en service en 1994, est l’une des deux anciennes frégates du type M acquises en 2006 par le Portugal. Long de 122 mètres pour un déplacement de 3300 tpc, ce bâtiment peut mettre en oeuvre 8 missiles antinavire Harpoon, un système surface-air Sea Sparrow (16 missiles en cellules de lancement vertical), une tourelle de 76 mm, un système multitubes Goalkeeper, de l’artillerie légère, quatre tubes pour torpilles Mk32 et un hélicoptère.   

 

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© Mer Et Marine – Jean-Louis Venne
Le ravitailleur allemand Rhön. En service depuis 1974, ce bâtiment de 130 mètres et 14.200 tpc peut regarnir les soutes à combustible de deux unités de combat simultanément. 

Passer à la vitesse supérieure : pour une Agence européenne de mobilité stratégique

Passer à la vitesse supérieure : pour une Agence européenne de mobilité stratégique

par Maxime Cordet* – IRIS- publié le 6 mai 2025

https://www.iris-france.org/passer-a-la-vitesse-superieure-pour-une-agence-europeenne-de-mobilite-strategique/


*directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé sur les questions de défense européenne. Il est responsable du Programme Industrie de défense et de haute technologie. Il est également conseiller scientifique d’ARES Group.

Ses travaux de recherche portent sur la défense européenne, l’Europe de la Défense, la coopération en matière de défense et d’armement, la stratégie de défense et le changement dans les appareils de défense.

Avant de rejoindre l’IRIS, Maxime Cordet a travaillé à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) du ministère des Armées, en tant que chargé de mission du Département Union européenne. Il a coordonné et participé à la politique française dans la Coopération structurée permanente, le Fonds européen de Défense, la mobilité militaire et la mise en œuvre de l’assistance mutuelle au sein de l’Union européenne.

Maxime Cordet est diplômé de l’École d’affaires publiques de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po).


Le terme de mobilité militaire a émergé depuis déjà longtemps, tant au sein de l’Union européenne (UE) que de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN)[1], comme le domaine d’action devant permettre le mouvement à la fois rapide et en masse des forces armées. Les politiques menées dans le domaine se concentrent sur le continent européen, mais nous pouvons également considérer, comme c’est le cas à l’UE, qu’il s’agit de permettre les mouvements dans le cadre d’une opération de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) et ainsi, partout où les intérêts de sécurité de l’Union sont en jeu.

Beaucoup d’initiatives ont déjà été lancées dans ces cadres, mais des difficultés majeures sont encore relevées par les militaires se déplaçant en Europe. En matière de développement capacitaire, elles sont structurelles et affectent gravement la crédibilité des Européens à se défendre ou à s’engager militairement pour défendre leurs intérêts. Le livre blanc européen tout juste publié souligne bien cet enjeu et place la mobilité militaire comme priorité capacitaire pour que les Européens soient prêts à se défendre à l’horizon 2030. Pour le mettre en œuvre, une nouvelle communication conjointe de la Commission européenne et du Service européen de l’Action extérieure (SEAE) devrait être publiée en juin afin de proposer des mesures.

La création d’une Agence européenne de mobilité stratégique, elle-même propriétaire de moyens de transport et d’équipements logistiques, doit faire partie des propositions pour que l’UE facilite de manière concrète les déplacements des forces en Europe.

À l’UE, les politiques se mettent en place tant dans le champ communautaire qu’intergouvernemental :

  • La Commission européenne dispose depuis 2021 d’une enveloppe budgétaire dédiée au financement des infrastructures de transport à usage dual (tant civil que militaire) de 1,5 milliard d’euros. Ce fonds fait partie du Mécanisme d’interconnexion en Europe (MIE), une politique pilotée par la DG MOVE, en lien avec l’État-major de l’UE (EMUE) pour assurer que les projets répondent bien à des besoins militaires (par exemple, la rénovation du terminal ferroviaire connecté au port de La Rochelle, ou encore des portions du Rail Baltica dans les États baltes). Les trois appels à projets qui ont été lancés à ce jour ont utilisé la totalité de l’enveloppe. Certaines limites de ce fonds sont connues, notamment le fait qu’il ne finance que des infrastructures à usage dual et non purement militaire, ce qui serait nécessaire. Mais une majorité d’États demandent une augmentation de l’enveloppe dédiée pour le prochain Cadre financier pluriannuel (CFP).
  • Dans le champ intergouvernemental, deux projets de la Coopération structurée permanente (CSP) traitent du sujet. Le premier, intitulé simplement Military Mobility, est piloté par les Pays-Bas et constitue un forum de coordination de toutes les politiques européennes en la matière, avec la présence de la Commission, l’Agence européenne de défense (AED), le SEAE et même l’OTAN et plusieurs États alliés (États-Unis, Canada, Norvège, Royaume-Uni). Le second est Network of Logistic Hubs in Support of Operations (NetLogHubs), et a pour objectif la consolidation d’un réseau de centres logistiques militaires en Europe, grâce à la déclaration des services logistiques (carburant, pièces détachées, logements, ravitaillement divers, etc.) des bases européennes sur une même plateforme, pour que les armées connaissent les moyens et les stocks présents et ainsi leur faciliter les déplacements à travers le continent.
  • Des projets capacitaires sont également en cours dans la CSP et participeront directement à la mobilité militaire dans les décennies à venir. Le Future Mid-size Tactical Cargo (FMTC) coordonné par la France a pour objectif de définir la future capacité européenne de transport tactique en replacement des CASA et des C-130. Le second, Strategic Air Transport for OutsizedCargo (SATOC), coordonné par l’Allemagne, vise l’étude d’une solution européenne pour le transport stratégique hors-gabarit pour remplacer à terme les appareils vieillissants de l’entreprise ukrainienne Antonov utilisés par plusieurs Alliés. Les deux projets bénéficient du Fonds européen de défense (FEDef) pour leur étude amont.
  • De plus, l’AED appuie les États membres en matière capacitaire, mais également en matière d’harmonisation des procédures de passage de frontières, point-clé de la mobilité militaire. Par exemple, les États européens rencontrent encore des difficultés à délivrer rapidement les autorisations de transit terrestre d’une autre armée sur leur sol ou même de survol. D’autres blocages concernent les réglementations différentes concernant le transport de matières dangereuses. Des arrangements techniques ont été signés en ce sens par la plupart des États membres afin d’harmoniser toutes ces procédures, mais la mise en œuvre de ces arrangements n’est pas encore effective dans la plupart des États.
  • De manière globale, la Commission et les États coopèrent bien en la matière. Couvrant tant le champ intergouvernemental que communautaire, un plan d’action pour la mobilité militaire a couvert la période 2018-2022 et un second a été rédigé pour 2022-2026. Ces deux plans ont été accompagnés de pledges politiques, l’un en 2018 et l’autre en 2024. Ils énoncent tous la nécessité de progresser en la matière, et plus précisément dans les domaines suivants : les infrastructures de transport (dont de l’énergie, et y compris leur cybersécurité) et de stockage, les matériels et moyens de mobilité, les procédures de franchissement des frontières intérieures (dans les trois milieux) et la coordination et la mutualisation des moyens (notamment avec l’OTAN).

Les armées européennes font partie des forces les plus déployées dans le monde et ont acquis une expérience significative en matière de mobilité et de logistique, tant dans la phase de déploiement rapide que de soutien sur la durée. Elles font ainsi le constat de freins persistants pour leur mobilité, notamment sur le territoire européen.

Dans les premières phases d’un déploiement rapide, les moyens de transport aérien stratégique sont indispensables, mais sont lacunaires. Le contrat de la « Solution internationale pour le transport aérien stratégique » (SALIS) permet à certains pays de bénéficier de 5 appareils An-124 Antonov, basés à Leipzig, et vieillissants – d’autant plus qu’Antonov est une entreprise ukrainienne, sous forte pression. Ce type d’appareil est également particulièrement utile pour transporter de grandes quantités de matériel, ou encore des véhicules et même des hélicoptères, beaucoup plus rapidement que par voie terrestre ou maritime. Cependant, ces appareils ne sont pas utiles aux forces européennes en permanence, ce qui rend peu soutenables le développement, la production et l’acquisition d’une telle capacité seulement pour des besoins militaires et en faible quantité au niveau national.

Dans les phases suivantes, lorsqu’il faut apporter du soutien et l’approvisionnement des forces déployées sur le théâtre, un manque capacitaire en matière de transport de matériel est aussi à déplorer. Cela concerne principalement les trains et les navires de gros tonnage (rouliers). Les armées recourent aujourd’hui largement à l’externalisation, mais reposer sur des opérateurs privés peut s’avérer plus difficile en cas de conflit. En effet, les moyens civils seraient aussi la cible d’attaques, d’autant plus quand ils transportent des forces ou du matériel de guerre, et les entreprises pourraient légitimement limiter leurs activités à cette fin au vu des risques (freinant également l’implication des assurances et des banques ou du moins augmentant leurs prix). La concurrence des livraisons avec le secteur civil se ferait également sentir en temps de guerre, hors moyens légaux étatiques pour les contraindre (priorisation de la commande ou réquisition) – ce qui ne renforce pas l’attractivité des commandes militaires pour ces entreprises.

Mais assurer une meilleure mobilité militaire est également une question de crédibilité opérationnelle et donc, participerait à l’idée d’une dissuasion conventionnelle : les capacités européennes actuelles (sans parler des infrastructures de transport et de stockage, y compris énergétique) ne constituent pas un élément de crédibilité d’un engagement militaire sur le sol européen. Par ailleurs, l’un des principaux retours d’expérience du conflit en Ukraine rappelle aux Européens le caractère vital des capacités de logistique et d’approvisionnement[2]. Cela pourrait être la principale source de faiblesse des Européens en cas d’engagement majeur.

Le Livre blanc commun de la Commission européenne et du SEAE, publié le 19 mars 2025, place la mobilité militaire comme l’une des quatre missions pour lesquelles l’UE apporte sa valeur ajoutée en cas d’affrontement majeur en 2030. Le sujet est compris dans deux des sept priorités de financement capacitaire identifiées dans le document : dans sa dimension infrastructurelle d’abord, et dans la priorité « Facilitateurs stratégiques et protection des infrastructures critiques, » avec le transport stratégique, le ravitaillement aérien et les infrastructures pour l’énergie opérationnelle. Quelques éléments supplémentaires peuvent être énoncés ici :

  • Le livre blanc mentionne que la mobilité militaire participe à notre préparation, mais aussi à notre dissuasion.
  • C’est un axe d’effort qui sera également bénéfique au secteur civil (usage dual des infrastructures).
  • Quatre corridors prioritaires sont identifiés par la Commission, dans les trois milieux, ainsi que 500 hot-spotsà améliorer. En matière de transport de l’énergie, le livre blanc en appelle aux États membres et à l’OTAN pour compléter la cartographie des besoins.
  • De plus, les corridors seraient étendus à l’Ukraine, tant pour faciliter l’assistance militaire qu’en tant que garantie de sécurité durable.
  • La Commission devrait lister toutes les législations européennes ayant un impact sur la mobilité militaire (par exemple, sur le sujet de la prise de participation d’acteurs potentiellement malveillants dans des infrastructures critiques) et proposer des modifications.
  • La disponibilité de moyens spécialisés et à usage dual est aussi mentionnée.
  • Les projets infrastructurels bénéficieraient aussi d’une meilleure prévisibilité des financements européens.
  • Enfin, la mobilité militaire est ciblée dans l’instrument de prêt SAFE[3].

La Commission et le SEAE devraient enfin proposer une communication conjointe d’ici la fin de l’année sur la mobilité militaire pour proposer la mise en œuvre de nouvelles actions.

L’agence disposerait de moyens et matériels propres pour fournir des services ou bien les louer aux armées. Ces moyens et matériels seraient des véhicules terrestres plus ou moins lourds, des trains, des wagons et des containers pour le transport terrestre, des avions de transport de différentes tailles (notamment hors-gabarit) pour la voie aérienne, et des rouliers notamment pour la voie maritime.

Les moyens et services seraient à usage dual : le secteur commercial civil pourrait également demander de louer les moyens et bénéficier des services. Cet usage dual permettrait d’assurer la soutenabilité économique de l’agence. Les activités militaires seraient néanmoins prioritaires, en particulier en cas de crise. Par ailleurs, la gestion de crise civile pourrait également être un motif de priorisation et la protection civile un domaine dans lequel les moyens de l’agence pourraient être utilisés.

Son statut juridique serait un défi à relever :

  • Dans le cas d’une agence de l’UE (comme Frontex par exemple), celle-ci peut déjà disposer (acquérir et louer) de moyens propres. La difficulté juridique résiderait donc plutôt dans l’activité commerciale en parallèle des services rendus aux armées.
  • Une organisation internationale publique indépendante juridiquement de l’UE, bien que fortement liée, serait donc peut-être préférable. Cela faciliterait également l’utilisation de l’agence par des États non-membres qui s’associeraient au projet. Néanmoins, le format juridique pour permettre une telle activité serait innovant.
  • Une solution pourrait être le partenariat public-privé : les États et la Commission créeraient avec des entreprises privées une entité permettant la fourniture des services aux armées d’une part et l’activité commerciale d’autre part (modèle proche d’HeliDax en France par exemple, mais largement innovant à l’échelle européenne).
  • D’autres formes juridiques innovantes sont probablement à envisager, sans changer les traités de l’UE.

Sa gouvernance serait hybride, avec un comité exécutif composé de représentants des États membres participants, de la Commission, de l’EMUE et de l’AED, ainsi que des entreprises participantes.

Son budget serait composé de contributions nationales minimales au prorata du PIB afin d’atteindre le minimum viable pour le fonctionnement de l’agence (hors pays qui refuseraient de participer), et une contribution nationale supplémentaire serait laissée libre aux États pour bénéficier de davantage de services (davantage d’heures de vol, le service de carburant, mais aussi une priorité sur la location par exemple).

Le périmètre des actions réalisées par les armées avec les moyens de l’agence serait le territoire européen, mais aussi les mouvements nécessaires dans les opérations et missions de la PSDC depuis ou vers l’Europe.

L’agence disposerait également de son propre personnel capable d’opérer les moyens. Néanmoins, les armées pourraient aussi les utiliser avec leurs militaires.

Dans le cadre de missions militaires, et en fonction du type de mission, les armées devraient assurer la protection des moyens et matériels, en les remettant à l’agence dans l’état d’origine, et compensant financièrement l’agence sinon.

L’entretien et le maintien en condition opérationnelle seraient à la charge de l’agence. La fourniture de carburant pourrait également faire partie des services, y compris le ravitaillement en vol.

Les mouvements militaires avec des moyens de l’agence disposeraient d’une liberté de transit et de survol sur le territoire des États membres reconnaissant et participant au fonctionnement de l’agence.

L’agence nécessiterait un investissement de départ conséquent de la part des États membres, avec plusieurs années de montée en puissance. Il faudrait que les moyens aériens soient localisés sur des aéroports, les moyens terrestres le long d’axes logistiques majeurs, et les rouliers dans les principaux ports européens.

Par ailleurs, le matériel acquis par l’entité ne peut être considéré comme du matériel de guerre et soumis aux contrôles export nationaux. La question se pose surtout pour les aéronefs, en prenant l’exemple susmentionné : SATOC (ou A800M) doit absolument être un appareil utilisé dans le secteur commercial, et doit faire partie des moyens acquis par l’agence.

Il est grand temps que la mobilité militaire et la logistique soient érigées en priorité de la défense européenne. Le livre blanc est à la hauteur de cet enjeu. Mais il faut réussir à le mettre en œuvre.

La création d’une Agence européenne de mobilité stratégique pourrait répondre au besoin des armées en leur permettant une plus grande agilité et rapidité de mouvements, et en bénéficiant d’investissements communs dans des moyens mutualisés. De surcroit, elle faciliterait l’opérationnalisation de la Capacité de Déploiement rapide, ainsi que l’efficacité de toutes les missions et opérations de la PSDC. Elle montrerait surtout la force et la plus-value de l’échelon européen dans la défense sans remettre en cause les prérogatives nationales en la matière. Enfin, elle renforcerait la défense de l’Europe dans la nouvelle ère de contestation des intérêts européens dans laquelle nous venons d’entrer.

Le statut juridique d’une telle entité représente un défi. Néanmoins, si elle voit le jour, elle démontrera toute la pertinence et la nécessité d’une plus grande interpénétration entre monde militaire et monde civil d’une part, et entre le secteur public et privé d’autre part, afin de décupler notre puissance collective en Europe.


[1] Les États membres et alliés s’accordent très largement sur la coopération entre l’UE et l’OTAN dans le domaine, avec des États non-membres qui participent des projets UE (CSP) par exemple.

[2] Lire par exemple : Ti, Ronald, and Christopher Kinsey. 2023. “Lessons from the Russo-Ukrainian Conflict: The Primacy of Logistics over Strategy.Defence Studies 23 (3): 381–98. doi:10.1080/14702436.2023.2238613.

[3] « Security Action for Europe (SAFE) through the reinforcement of European defence industry Instrument » qui fait l’objet d’une proposition de règlement. 

Les armées françaises face au mur toujours plus élevé du report de charges

Les armées françaises face au mur toujours plus élevé du report de charges

– Forces opérations Blog – publié le

Après l’avoir frôlé un an plus tôt, les armées françaises ont crevé le plafond du report de charges en 2024. Cette « dette » désormais supérieure à 8 Md€ pèse toujours plus sur la soutenabilité des dépenses de la mission Défense, alerte la Cour des comptes dans un rapport sur l’exécution du dernier exercice budgétaire.

Attention, avalanche de chiffres et de termes comptables. Récurrent, l’avertissement de la Cour des comptes prend encore un peu plus d’épaisseur. C’est que le report de charges, cet ensemble de paiements décalés à l’année suivante faute de crédits suffisants, a bondi en 2024. Estimé à 6,8 Md€ en octobre dernier, il aura finalement atteint 8,01 Md€, annonce la Cour des comptes. Soit une hausse de 1,9 Md€ pour un volume correspondant à 23,8% des crédits de la mission hors masse salariale, « un niveau très au-delà » du plafond de 20% déjà rehaussé en 2023 par la Première ministre d’alors, Élisabeth Borne. À lui seul, la somme représente les deux-tiers du report de charges de l’ensemble du budget étatique, précise la Cour des comptes. 

En cause essentiellement, un effort capacitaire devenu nécessaire au vu du contexte sécuritaire dégradé et du réarmement tous azimuts qui en découle. L’heure est donc aux investissements souvent urgents, parfois massifs, parfois imprévus, et qui se traduisent par une augmentation de 2 Md€ du report de charges pour les seuls équipements. La part du programme 146 flirte maintenant avec les 5 Md€, ou 30% des crédits ouverts en loi de finances initiale 2024. Un report renforcé par les aléas de la fin de gestion, soldée par l’annulation de 532 M€ relevant du programme 146. « Le fait que le ministère compense, pour la deuxième année, la diminution en gestion de ses ressources d’investissement par l’augmentation de son report de charges plutôt que par un arbitrage capacitaire illustre sa volonté de tenir coûte que coûte tous les objectifs capacitaires de la LPM, nonobstant les contraintes financières pesant sur la mission », résume la Cour des comptes.

Bien qu’indispensable, la dynamique n’est en effet pas sans conséquences. Derrière la rigidité qu’il induit en érodant les crédits de l’année qui suit, un report croissant augmente mécaniquement le montant des intérêts moratoires dûs par le ministère des Armées tout en mettant potentiellement sous tension la trésorerie de ses fournisseurs. Ces intérêts atteindraient entre 40 et 50 M€ selon l’estimation ministérielle, contre 14,1 M€ payés l’an dernier au titre de l’exercice 2023. Quant à la trésorerie de la filière industrielle, l’équation s’annonce toujours plus difficile à résoudre à l’heure où il lui est demandé de prendre davantage de risques tant dans l’innovation que dans la constitution de stocks et l’accélération de la production. 

Bref, cette nouvelle dégradation « fait peser un risque significatif pour la soutenabilité des dépenses de la mission Défense », résume une autorité de contrôle selon qui « le ministère, et le gouvernement, se doit désormais d’y mettre impérativement de l’ordre, soit en parvenant à couvrir par des ressources additionnelles ses besoins financiers non programmés, soit en faisant des choix capacitaires pour se ramener plus étroitement à la trajectoire financière planifiée par la LPM ». Faute de quoi, le maintien du pourcentage actuel de report de charges de la mission conduirait à « une augmentation significative du volume de celui-ci, et de son poids dans le budget de l’État ». Inutile de rappeler que ce dernier s’accommoderait mal d’un tel scénario au vu de la cure d’austérité auquel il doit faire face. 

Le ministère des Armées, lui, assume son choix. Ce mécanisme, il en revendique l’usage en tant qu’ « outil contracyclique […] pour réaliser la programmation des armées sans à-coups pour la trajectoire des finances publiques ». La suite n’est que conjecture, le ministère ayant choisi de ne pas fixer de courbe prévisionnelle du report de charges dans la loi de programmation militaire engagée l’an dernier. L’objectif fixé en 2023 d’un maintien à 20% puis d’une baisse de 5% en 2029 et 2030 pour revenir au niveau idéal mais incompressible de 10 % est déjà un lointain souvenir. L’ambition a en effet été revue à la baisse, le ministère des Armées envisageant à présent d’atteindre « un niveau à 17 % et 13 % en 2029 et 2030 ». 

Principal facteur d’augmentation du report, l’effort sur les équipements restera soutenu en 2025 avec 31,3 Md€ inscrits en loi de finances initiale. Mais le panorama s’avère plus nuancé une fois reporté à l’échelle de la LPM. L’ajustement (A2PM) réalisé l’an dernier a en effet ramené l’enveloppe globale de l’agrégat « équipements » à 262,3 Md€ en besoins reconnus d’ici à 2030 au lieu des 268 Md€ prévus à l’origine. Une diminution acquise notamment par le recalage du calendrier de livraison de certains programmes au-delà de 2030, mais sans toucher à la cible à horizon 2035. 

Paradoxalement, la majorité des grands domaines prioritaires ressortent gagnants du dernier A2PM. Ainsi, certains arbitrages se soldent par plus de 500 M€ de crédits supplémentaires ajoutés au profit de la défense sol-air d’un côté, des drones et robots de l’autre. L’enveloppe dédiée gonfle de près de 1 Md€, quand quelque 622 M€ ont été fléchés vers un patch « intelligence artificielle » créé l’an dernier. L’innovation est quant à elle rabotée de 231 M€. Entre les retraits, les ajouts, l’impact éventuel de la cure d’austérité étatique et la dégradation de l’environnement sécuritaire, difficile de dire quel sera l’état de santé financier des armées en fin de programmation. Une chose semble cependant certaine pour la Cour des comptes : « résorber ce niveau de report de charges nécessitera un effort très significatif dans les années à venir ».

Conflit Inde-Pakistan : les deux pays s’accusent de violer le cessez-le-feu

Conflit Inde-Pakistan : les deux pays s’accusent de violer le cessez-le-feu

Des membres de la police indienne inspectent les débris d’un projectile non identifié dans la banlieue de Jalandhar, le samedi 10 mai, dans le cadre du conflit entre l’Inde et le Pakistan.
Des membres de la police indienne inspectent les débris d’un projectile non identifié dans la banlieue de Jalandhar, le samedi 10 mai, dans le cadre du conflit entre l’Inde et le Pakistan. SHAMMI MEHRA / AFP

Après quatre jours d’attaques meurtrières, l’Inde et le Pakistan ont convenu samedi 10 mai d’un cessez-le-feu mais quelques heures plus tard, les deux pays se sont mutuellement accusés d’avoir violé cette trêve. De fortes détonations auraient été entendues samedi soir à Srinagar, ville du Cachemire indien.

L’Inde et le Pakistan ont accepté samedi de cesser leurs hostilités après quatre jours d’attaques meurtrières de drones, de tirs d’artillerie et de frappes de missiles, mais quelques heures plus tard les deux rivaux se sont accusés de violer cette trêve.

Donald Trump a promis dimanche une prochaine croissance du commerce entre les États-Unis et les deux pays. Samedi soir, le président américain s’était réjoui que, « sous la médiation américaine », les deux puissances nucléaires rivales d’Asie du Sud aient « accepté un CESSEZ-LE-FEU TOTAL ET IMMÉDIAT ».

Quelques heures après l’annonce du cessez-le-feu, la diplomatie indienne a « demandé au Pakistan de prendre les mesures appropriées pour répondre à (des) violations (de la trêve) et traiter la situation avec sérieux et responsabilité ». Des journalistes de l’AFP ont, par ailleurs, entendu samedi soir de fortes détonations à Srinagar, ville du Cachemire indien où la défense antiaérienne est entrée en action.

Au Cachemire pakistanais, deux responsables ont rapporté à l’AFP des « échanges de tirs intermittents entre les forces pakistanaises et indiennes en trois endroits le long de la ligne de contrôle », la frontière de facto dans la région disputée. Islamabad « maintient son engagement à appliquer fidèlement » le cessez-le-feu et ses forces armées « gèrent la situation avec responsabilité et retenue », a répondu la diplomatie pakistanaise, accusant en retour New Delhi de violer la trêve.

« Augmenter le commerce »

Depuis mercredi, les deux voisins, nés d’une douloureuse partition en 1947 au départ du colonisateur britannique et dotés de l’arme nucléaire, inquiètent la communauté internationale. « Après une longue nuit de discussions sous la médiation américaine, je suis heureux d’annoncer que l’Inde et le Pakistan ont accepté un CESSEZ-LE-FEU TOTAL ET IMMEDIAT », s’était vanté samedi, à la surprise générale, Donald Trump sur Truth Social.

Dimanche à l’aube, le président américain a encore loué « la force, la puissance inébranlables des dirigeants indiens et pakistanais » et leur « sagesse » et il s’est engagé à « augmenter de manière importante les échanges commerciaux avec ces grandes Nations ». Si Islamabad a confirmé « un cessez-le-feu avec effet immédiat », une source gouvernementale à New Delhi a affirmé qu’il avait été directement négocié entre les deux adversaires et que rien d’autre ne serait discuté.

Selon le chef de la diplomatie américaine Marco Rubio au contraire, les deux pays, qui se sont livrés plusieurs guerres ont « accepté de commencer des pourparlers sur un large éventail de questions dans un lieu neutre ». Pour Michael Kugelman, spécialiste américain de la région, il s’agit d’un « cessez-le-feu conclu à la hâte, à un moment où les tensions étaient à leur comble ». Et, selon lui, l’Inde n’en a pas forcément la même « interprétation » que celle des Etats-Unis et du Pakistan, deux pays historiquement très proches.

Londres a salué un cessez-le-feu « extrêmement bienvenu », Paris s’est félicitée du « choix de la responsabilité », quand Berlin a noté « une première étape importante ». Le chef de l’ONU Antonio Guterres et l’Iran ont exprimé l’espoir d’une « paix durable ». La Chine, rivale de l’Inde et allié du Pakistan, s’est dite « disposée à continuer à jouer un rôle constructif » pour « éviter toute escalade ».

« Nous souffrons le plus »

Le cessez-le-feu a apporté du soulagement au Cachemire, des deux côtés de la ligne de contrôle. Côté pakistanais, pour Imran Mir, homme d’affaires de 30 ans, cela est « vraiment bienvenu » car « à chaque conflit, c’est nous qui souffrons le plus ». Côté indien, le chef du gouvernement local Omar Abdullah s’est réjoui de « pouvoir mieux organiser l’approvisionnement et le traitement des blessés ».

Sukesh Khajuria, un Cachemiri indien, réclame toutefois de « la vigilance » car « c’est dur de faire confiance au Pakistan ». La poussée de fièvre remonte au 22 avril après un attentat qui a choqué l’Inde : des hommes armés ont abattu 26 civils sur un site touristique au Cachemire indien. New Delhi a accusé Islamabad de soutenir le groupe jihadiste qu’elle soupçonne de l’attaque, ce que son voisin a démenti fermement.

Après des sanctions et menaces, les deux pays ont lancé mercredi leur pire confrontation depuis des décennies. L’Inde a d’abord mené des frappes sur plusieurs villes pakistanaises, assurant y détruire des « camps terroristes », ce qui a déclenché attaques et ripostes. Samedi matin encore, le Pakistan avait répliqué après des tirs de missiles indiens sur des bases militaires, dont l’une aux portes d’Islamabad. Le premier ministre pakistanais Shehbaz Sharif a affirmé qu’« avec l’opération Edifice compact », son pays avait « donné à l’Inde une réponse adéquate et vengé les morts innocents ».

L’Inde a reconnu avoir subi des frappes, notamment de drones, contre plusieurs cibles militaires dans le nord-ouest. Selon le bilan officiel des deux camps, une soixantaine de civils ont été tués. Cet état de guerre a provoqué d’importants mouvements de population de part et d’autre de la « ligne de contrôle ». Le Pakistan a rouvert son espace aérien mais, côté indien, 32 aéroports dans le nord-ouest restent fermés.

Le corps d’armée, nouvel étalon de puissance pour les forces terrestres

Le corps d’armée, nouvel étalon de puissance pour les forces terrestres

par Guillaume Garnier – IFRI – Date de publication : |
Briefing Corps d'armée, Guillaume Garnier, 2025

Face au retour de la guerre de haute intensité, notamment en Ukraine, le corps d’armée redevient un échelon essentiel. Seul capable de coordonner plusieurs divisions, il permet une manœuvre interarmes et multi-milieux cohérente à grande échelle. La France entend se positionner comme nation-cadre d’un tel outil de puissance.

Exercice militaire de l'armée française à Toulouse en février 2020
Exercice militaire de l’armée française à Toulouse en février 2020 Fred Marie/Shutterstock.com
  • L’armée de Terre vise la constitution d’un corps d’armée pleinement opérationnel à échéance 2030. Ce projet structurant implique une montée en puissance capacitaire, une régénération des forces et des arbitrages cruciaux dans les priorités d’acquisition.
  • Être nation-cadre d’un corps d’armée, c’est peser dans les plans de guerre,
    influer sur les opérations et asseoir son leadership en coalition. Même en temps de paix, ce rôle envoie un signal stratégique fort et renforce l’interopérabilité avec les alliés.
  • Aucun pays européen ne peut aujourd’hui armer seul un corps d’armée complet. La France doit donc structurer des partenariats solides pour relever ce défi. Un rehaussement du contrat opérationnel national et le recours à la réserve deviennent des options à envisager.

 

C’est à Napoléon que l’on doit en 1803 l’invention du corps d’armée, échelon de commandement clé dans l’organisation de la Grande armée. Il répond alors au besoin de diviser l’armée en sous-éléments à la fois mobiles et autonomes, c’est-à-dire capables d’engager un combat seul jusqu’à la concentration des autres colonnes en marche. Au contraire de la division qui lui est inférieure, le corps d’armée regroupe donc l’ensemble des armes de l’époque : infanterie, cavalerie, artillerie, génie et train. Par la suite, le corps d’armée conserve une place centrale dans les systèmes militaires des grands conflits européens puis mondiaux de 1870 à la Seconde Guerre mondiale, le plus souvent englobé dans des armées encore plus imposantes. Pendant la guerre froide, il est encore au coeur du dispositif otanien en tant que pion de référence de la « défense de l’avant » face au Pacte de Varsovie, rassemblant autour de 60 000 hommes. Dans le cas français, l’armée de Terre comptait jusqu’aux années 1990 trois corps d’armée (CA), intégrés au sein de la 1re Armée française, ainsi qu’un quatrième sous la forme de la Force d’action rapide (FAR).

Au tournant du XXIe siècle, les réductions successives des effectifs militaires ont conduit à voir cette grande unité quitter l’horizon des armées européennes, davantage habituées à compter leurs déploiements en centaines d’hommes (bataillon), au mieux en milliers (brigade) pour les opérations extérieures les plus dimensionnantes. La guerre de haute intensité sur le sol européen et le renforcement de la menace russe, conjugués à la perspective de désengagement américain, remettent en lumière ce niveau de commandement, seul à même de coordonner l’engagement d’un grand volume de forces (en dizaines, voire centaines de milliers de soldats pour les scénarios les plus dimensionnants en matière de défense collective) et d’intégrer l’ensemble des effets dans tous les champs et milieux.

Ce passage à l’échelle soulève cependant nombre de difficultés, d’ordre militaire mais également politique, puisqu’il comporte une dimension multinationale. Ce Briefing se propose d’examiner les défis à surmonter dès lors que la France entend être « nation-cadre » d’un CA « de combat », c’est-à-dire à pleine capacité opérationnelle (« warfighting corps ») et les leviers qu’elle peut utiliser dans un contexte où, à ce jour, aucun pays européen ne peut armer seul une unité de cette envergure.


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Sobriété énergétique et forces armées : les low-tech sont-ils une solution ?

Sobriété énergétique et forces armées : les low-tech sont-ils une solution ?

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Introduction

La conception des équipements se fonde sur les besoins des forces armées pour la meilleure exécution de leurs missions

. Ces équipements répondent à un besoin militaire opérationnel exprimé pour obtenir un effet tactique, opératif ou stratégique

. Il s’agit de disposer d’un avantage en évitant une éventuelle surprise technologique sans introduire de vulnérabilités qui pourraient être exploitées par l’adversaire. Cet argument est à analyser en prêtant une attention particulière à la variable énergétique, compte tenu du recours de plus en plus massif à des technologies énergivores. 

Les forces terrestres connaissent une véritable révolution énergétique. Au XXè siècle, l’énergie de base était constituée par les carburants fossiles alimentant les moteurs de plateformes qui garantissaient leur mobilité et créaient l’énergie électrique et hydraulique nécessaire au fonctionnement des systèmes et équipements embarqués dans une logique d’équilibre énergétique. Aujourd’hui, les plateformes, dont la motorisation est peu différente, intègrent des équipements énergivores en raison d’une numérisation et d’une robotisation croissantes depuis le début du siècle. Dès le moyen terme, ces équipements énergivores seront imposés par l’utilisation qui se profile d’armements à rayonnement électromagnétique ou laser pour le combat ou encore le brouillage. Ces besoins qui ne cessent de croître tout en s’avérant « gourmands » en électricité produite localement tendent à augmenter le niveau de criticité du système énergétique sur lequel elles reposent et conduisent à la rupture de l’équilibre énergétique des plateformes de combat. Si la technologie demeure un atout tactique ultime, l’approvisionnement et la sécurité énergétiques s’imposent également comme le fondement de cet atout. 

Or, dans l’éventualité d’un déséquilibre où la disponibilité énergétique et logistique deviendrait insuffisante face aux besoins énergétiques (alors trop importants), c’est l’ensemble des chaînes d’approvisionnement qui est fragilisé, auquel cas, la situation pourrait finalement s’apparenter à des configurations expérimentées durant les opérations en Afghanistan lorsque le dispositif logistique alourdi est ciblé par l’adversaire avec des conséquences humaines (pertes, moral, etc.) et tactiques (missions limitées, par exemple.)

Cela conduit dans un premier temps à une réelle sensibilisation aux questions d’approvisionnement énergétique ainsi qu’à une anticipation de scénarios de rupture originaux pour y faire face. 

Dans le cas des plateformes de combat mobiles, un accroissement de la complexité des systèmes embarqués induit généralement un plus haut degré de sensibilité à leur environnement et donc de fragilité. Cette fragilité peut nécessiter l’augmentation du niveau de protection des appareils concernés (exemple : gestion des batteries inflammables) ainsi que certaines caractéristiques ou impératifs techniques liées ou propres à certaines formes d’énergie (propriétés de combustible spécifiques, un niveau minimum d’intensité énergétique, un flux – élec­trique – continu ou alternatif, etc.). Sur ce dernier point, la question de la disponibilité de l’énergie pour le bon fonctionnement des équipements s’impose à nouveau comme un enjeu central, surtout pour les activités sur le territoire national comme en OPEX, et constitue vraisemblablement un élément structurant dès la phase de conception des équipements. 

Suivant cette logique, cette note propose de mettre en évidence l’impact de la disponibilité de l’énergie relativement aux capacités militaires. Autrement dit, il s’agit d’une réflexion sur l’efficacité des missions en environnement énergétique contraint ou contesté

et ainsi de mettre en évidence des leviers ou des marges de vulnérabilité et d’évolution dans ce contexte. C’est dans ce cadre que la question des low-tech sera abordée afin d’évaluer si, de prime abord, elles peuvent constituer un élément de réponse satisfaisant à ces enjeux. L’intérêt pour les technologies low-tech est à comprendre ici comme la recherche d’équipements peu énergivores et robustes sans occasionner de perte d’efficacité, ce qui les distingue d’une conception « anti-technologique », les low-tech pouvant au contraire impliquer de hauts niveaux d’innovation.

La France et la Pologne se lient par une clause de défense mutuelle

La France et la Pologne se lient par une clause de défense mutuelle

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk ont paraphé vendredi 9 mai à Nancy un traité d’amitié et de coopération renforcée, signe de l’importance stratégique prise par la Pologne sur le flanc oriental de l’Union européenne. [EPA-EFE/CHRISTOPHE PETIT TESSON]

Paris et Varsovie vont accélérer leur coopération militaire, et les deux capitales sont désormais liées par une « clause de solidarité », qui pourrait s’étendre jusqu’à la dissuasion nucléaire si les intérêts vitaux des deux pays étaient menacés.

Le président Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk ont paraphé vendredi 9 mai à Nancy un traité d’amitié et de coopération renforcée, signe de l’importance stratégique prise par la Pologne sur le flanc oriental de l’Union européenne. Ce traité bilatéral est le premier conclu par Paris avec un pays non frontalier, après ceux parafés avec l’Allemagne (1963), l’Italie (2021) et l’Espagne (2023).

« Nous avons décidé d’envoyer un signal très clair en intégrant [dans ce traité] une clause de défense et d’assistance mutuelle, dans le prolongement de nos engagements communs dans le cadre de l’OTAN et de l’Union européenne », a expliqué le président français.

Cette clause de défense « implique l’ensemble des composantes » des capacités militaires des deux pays, a encore souligné Emmanuel Macron, qui a rappelé que les intérêts vitaux des « principaux partenaires » de la France étaient intégrés dans ses propres intérêts vitaux.

Début mars, Emmanuel Macron s’était déjà dit prêt à « ouvrir la discussion » sur l’élargissement de la dissuasion nucléaire française à certains pays européens. Paris envisagerait d’ailleurs d’augmenter son arsenal nucléaire.

Le traité de Nancy doit permettre une meilleure collaboration des armées françaises et polonaises, avec des réunions régulières des États-majors des deux pays, des exercices conjoints, et surtout « la mise en oeuvre et le développement de projets conjoints » dans le domaine de l’armement.

La France cajole la Pologne, désormais poids lourd européen

Le « traité d’amitié et de coopération », qui sera signé vendredi 9 mai par Emmanuel Macron et le Premier ministre polonais Donald Tusk, illustre la volonté de Paris de choyer la Pologne qui a pris un poids considérable en Europe depuis le début de la guerre en Ukraine.

La première armée de terre d’Europe

Alors que Varsovie consacre déjà plus de 4% de son PIB à la défense, la Pologne ambitionne de devenir la première puissance militaire terrestre du continent européen d’ici 2035, avec une armée qui devrait dépasser les 300 000 hommes.

Elle aura donc « d’importants besoins en matière de formation » et pourrait s’appuyer sur l’expérience de l’armée française, note Léo Péria-Peigné, spécialiste des industries de défense pour l’Institut français des relations internationales (IFRI), et co-auteur d’une étude sur le réarmement polonais.

Pour Paris, il s’agit de poursuivre son « pivot vers l’Europe », après le désengagement de l’armée française du continent africain et le déploiement de plusieurs centaines de ses militaires en Roumanie et en Estonie. L’objectif affiché des autorités françaises est de prendre une place centrale dans la future architecture de sécurité du continent européen.

Construire un partenariat solide avec Varsovie pourrait aussi permettre d’ouvrir de nouveaux débouchés à la base industrielle et technologique de défense (BITD) française, alors que la Pologne se fournit pour l’heure principalement auprès des États-Unis et de la Corée du Sud.

L’année dernière, l’armée polonaise a commandé à Washington 96 hélicoptères de combat Apache et 48 lanceurs de missiles antiaériens Patriot. Ces dernières années, la Pologne s’est aussi équipé d’obusiers, de chars et d’avions sud-coréens.

« Nous allons progressivement introduire la préférence européenne dans l’industrie de la défense », a cependant promis vendredi le président polonais Donald Tusk.

Le « Triangle de Weimar » au cœur de l’Europe

La signature du traité de Nancy consacre le réchauffement spectaculaire des relations entre Paris et Varsovie, qui avait débuté avec la défaite aux législatives polonaises de 2023 des nationalistes du PIS. Les liens entre la France et la Pologne avaient beaucoup souffert en 2016 de l’abandon d’un contrat qui prévoyait la fourniture à l’armée polonaise de 50 hélicoptères H225M Caracal, fabriqués par Airbus.

Cette signature intervient aussi alors que le tout nouveau chancelier allemand Friedrich Merz – qui s’est rendu à Paris et Varsovie quelques heures après son élection – semble vouloir appuyer sa politique européenne sur ses deux partenaires du « Triangle de Weimar ».

La Russie, une « armée apprenante » plus puissante qu’au début de la guerre

La Russie, une « armée apprenante » plus puissante qu’au début de la guerre

 

Russian army vehicles roll during the Victory Day military parade in Moscow, Russia, Friday, May 9, 2025, during celebrations of the 80th anniversary of the Soviet Union’s victory over Nazi Germany during the World War II. (Vladimir Astapkovich/Photo host agency RIA Novosti via AP)/XSG121/25129297788103/POOL PHOTO/2505091020

par Alexis Feertchak – Revue Conflits – publié le 9 ami 2025

https://www.revueconflits.com/la-russie-une-armee-apprenante-plus-puissante-quau-debut-de-la-guerre/


La perception de l’armée russe oscille entre puissance menaçante d’un côté et faiblesse dérisoire de l’autre. Mais au cours de cette guerre, elle a beaucoup appris.

Article paru dans le numéro 57, Ukraine, le monde d’après

À quelques mois d’intervalle, la Russie aura introduit sur le champ de bataille un missile balistique expérimental de portée intermédiaire, l’Orechnik, qui a frappé la ville de Dnipro à près de Mach 10, et… des ânes pour sa logistique. Voici résumé à grands traits, volontairement forcés, l’état de la « deuxième armée du monde » telle qu’elle est souvent décrite, dessinant dans les esprits la forme d’une montagne russe ne cessant jamais d’alterner entre deux états opposés, celui d’une puissance menaçante d’un côté, celui d’une faiblesse dérisoire de l’autre. Un pays qui dépiaute des machines à laver pour trouver les composants électroniques qui lui manquent ; des soldats qui se déplacent en trottinette sur les routes du Donbass ; des chars dont les tourelles sont « satellisées » sous le coup des drones ukrainiens…

Et pourtant, une évidence s’est lentement cristallisée ces derniers mois avant d’être imposée avec virulence par Donald Trump aux Européens : héroïque, intelligente et adaptable, l’armée ukrainienne, également usée et sous pression, ne pourra pas, en l’état, reconquérir les territoires occupés par la Russie. Pire : les forces russes, mètre après mètre, continuent de grignoter l’est de l’Ukraine. Comment a-t-on ainsi pu passer ces différentes étapes médiatiques : « Kiev tombera en trois jours » (début 2022) ; « Le régime russe s’effondrera » (début 2023) ; « La Russie ne peut pas perdre » (début 2024) ; « La Russie risque de gagner » (début 2025) ?

L’armée russe s’est adaptée

À chaque étape de la guerre d’Ukraine, pris dans un faisceau déformant de biais cognitifs, la majorité des analyses occidentales ont commis de graves impairs en décrivant l’armée russe et ses adaptations. Au départ, elle a été nettement surestimée : l’opération militaire spéciale aurait rejoué la lutte de David contre Goliath. Sa rapide avancée, tous azimuts, vers Kiev, Tchernihiv, Soumy, Kharkiv, Marioupol, Kherson et Mykolaiv, a renforcé cette première impression. Et pourtant, seuls quelque 200 000 soldats russes ont attaqué le 24 février 2022 : c’est en infériorité numérique que la Russie a envahi l’Ukraine, avec des unités rétrécies puisque les conscrits n’ont pas été engagés. Ainsi, « certains bataillons avaient la taille de compagnies. À l’arrière des BTR [véhicules blindés de transport de troupes, NDLR], il n’y avait parfois que deux ou trois fantassins », illustre un officier supérieur français, fin connaisseur du conflit.

Au départ, la Russie a transposé en Ukraine une innovation organisationnelle qui avait fait ses preuves en Syrie dans un cadre expéditionnaire : les BTG (batalonnaja takticheskaja gruppa). L’idée était de créer un groupe tactique de bataillon interarmes composé d’une unité d’infanterie disposant de ses propres appuis en matière de blindés, d’artillerie et de défense aérienne. Les BTG se sont avérés un cauchemar logistique dans une guerre de haute intensité dont les lignes étaient étirées à l’extrême. L’une des premières adaptations de l’armée russe, après les errances de l’année 2022, a été d’en revenir à des unités tactiques spécialisées, avec une structuration classique sous la forme de brigades, de divisions, de corps d’armée et d’armées. Seule une telle organisation peut permettre de gérer la complexité inhérente à un conflit majeur drainant autant de ressources.

Les Ukrainiens, eux, ont privilégié les brigades, indépendantes les unes des autres : ce qui a pu apporter une flexibilité accrue à l’échelon tactique a rapidement atteint ses limites à l’échelon opératif, qui nécessite des états-majors spécifiques pour coordonner au mieux les moyens. Ce n’est qu’au début de l’année 2025 que l’Ukraine s’est résolue à créer de véritables corps d’armée. Dans le même temps, la Russie grimpe d’une marche puisqu’elle a annoncé que plusieurs de ses brigades allait devenir des divisions. Et à l’échelon supérieur, le nombre d’armées est passé de 12 au début du conflit à 16 voire 17. « La Russie dispose de meilleurs états-majors. Or, ce sont les échelons opératifs et stratégiques qui s’avèrent les plus décisifs dans une guerre, davantage que le niveau tactique, qui fait l’objet de trop d’attention médiatique », assure un haut gradé français.

Les structures et les hommes

Certes, il faut concevoir les bonnes structures, mais encore faut-il des hommes. Ce fut la principale gageure pour les Russes dont le dispositif en Ukraine, corseté par la qualification juridique d’« opération militaire spéciale », était trop maigre. En face, au début de la guerre, les forces ukrainiennes ont rapidement gagné en volume, grossies par le flux de volontaires confrontés à une menace existentielle. À l’automne 2022, la situation est devenue critique pour les Russes : tout leur dispositif étiré sur plus de 1 000 km de front s’est révélé comprimé à chacune de ses extrémités, dans la région de Kherson au sud et dans celle de Kharkiv au nord. Les deux contre-offensives ukrainiennes ont représenté une victoire spectaculaire pour Kiev, et un camouflet pour Moscou. Les Russes ont dû amorcer plusieurs manœuvres de repli, plutôt réussies, pour raccourcir le front et sanctuariser le Donbass ainsi que le corridor terrestre vers la Crimée passant par les oblasts de Zaporijjia et de Kherson.

Mais à quel prix politique ! Les Russes ont été chassés de Kherson (seule capitale régionale conquise en 2022) et surtout de leur tête de pont, devenue intenable, sur la rive droite du Dniepr, dont la conquête éclair en février 2022 avait été un succès majeur, faisant planer la menace d’un contrôle des bords de la mer Noire jusqu’à Odessa et la Transnistrie. Se dessinait alors la forme impériale historique de la « Novorossia », fantasme des nationalistes grands-russes. De l’autre côté, ils ont abandonné près de 10 000 km2 dans le sud de l’oblast de Kharkiv, qui représentait un balcon, dessiné par les contours de la rivière Donets, au-dessus du Donbass, menacé d’être pris en tenaille. Chassés de cette avancée au nord, les Russes étaient désormais contraints d’attaquer frontalement cette région lourdement fortifiée depuis 2014 pour conquérir l’intégralité des régions de Donetsk et de Lougansk, cœur de leurs revendications territoriales. C’est d’ailleurs ce qu’ils font depuis 2023, avec un certain succès, mais à un rythme assez lent (3 500 km2 conquis en 2024, par exemple).

Vladimir Poutine a néanmoins compris que ces revers nécessitaient une réponse politique et non seulement militaire : il a alors fait le choix, toujours à l’automne 2022, de lancer une mobilisation partielle de 300 000 hommes tout en décidant d’annexer les quatre oblasts. Le général Sourovikine, qui commandait alors les opérations russes en Ukraine, s’est chargé de cette période transitoire difficile : il fallait en quelques mois équiper et former les mobilisés tout en créant de solides lignes de défense. Et pendant que l’armée russe se régénérait, la longue et terrible bataille de Bakhmout, menée en grande partie par les mercenaires de Wagner, y fixait parmi les meilleures troupes ukrainiennes jusqu’en mai 2023. La stratégie patiente des Russes a payé : la contre-offensive ukrainienne de l’été 2023, visant à isoler la Crimée du Donbass en filant vers le sud dans la région de Zaporijjia jusqu’à la mer d’Azov, a fait long feu et s’est soldée par un fiasco.

Depuis l’automne 2023, la Russie a repris l’initiative sur quasiment toute la ligne de front. « On a assisté à un point de bascule puisque les Russes ne sont désormais plus en infériorité numérique », observe une source militaire française. On peut estimer que le contingent russe en Ukraine s’élève aujourd’hui à 600 000, voire 700 000 hommes (sur une armée de 1,5 million) contre environ 400 000 à 500 000 Ukrainiens. « Les Russes alignent 32 divisions et 65 brigades de mêlée, contre 17 et 33 au début de la guerre », résume un officier supérieur. Et pour arriver à ces chiffres, la Russie ne repose plus sur une mobilisation contrainte de sa population, mais s’appuie sur des cohortes de volontaires (30 000 par mois, voire plus), attirés par des salaires élevés, notamment dans les régions périphériques du pays. En face, les Ukrainiens, eux, mobilisent et se retrouvent face à une gageure : les premiers volontaires au début de la guerre étaient logiquement les plus motivés ; ceux de 2025 n’ont plus la même fougue. Les mobilisations forcées dans les villes ukrainiennes font le tour des réseaux sociaux et les médias ukrainiens s’alarment du niveau inquiétant des désertions : jusqu’à 150 000 voire 200 000 soldats manqueraient à l’appel. Le chiffre mensuel reconnu par le ministère de la Justice s’élève à 5 000, soit l’équivalent d’une brigade chaque mois qui s’évapore.

Des besoins d’hommes et d’armes

L’Ukraine est rattrapée par une loi de la guerre, qui est puissante, comme le rappelle régulièrement le géopolitologue réaliste John Mearsheimer, même s’il n’existe pas de déterminisme : le pays compte en théorie 40 millions d’habitants, mais en réalité, moins de 30 en raison de l’émigration (en partie vers la Russie) et de l’occupation russe de 18 % de son territoire. En face, la Russie compte un réservoir de 144 millions d’habitants, sans doute quelques millions de plus en tenant compte des Ukrainiens désormais du côté russe. Le rapport est donc proche de 1 à 5.

Qu’en est-il des équipements ? Les pertes russes ont été très élevées, surtout au début de la guerre. Si l’on prend l’exemple des chars, elles atteignent au moins le chiffre colossal de 3 500, soit l’équivalent de leur nombre en service au début de la guerre. Mais la Russie en compterait encore 2 500 opérationnels. L’explication repose sur les 12 000 chars de réserve, certes maintenus dans des conditions très hétérogènes. Cette profondeur de stock ex-soviétique permet à la Russie de pouvoir tenir plusieurs années d’autant que les pertes diminuent ces derniers mois et que le pays produit 1 500 chars par an (1 250 « rétrofités » et 250 neufs), soit un chiffre supérieur aux pertes. L’on pourrait raisonner globalement ainsi pour la plupart des équipements militaires. Un goulot d’étranglement semblait concerner les tubes d’artillerie, mais l’allié nord-coréen permet aujourd’hui à la Russie d’éviter toute situation critique : Pyongyang a fourni 240 canons Koksan de 170 mm et des dizaines de lance-roquettes multiples M1991 qui ont servi à créer une nouvelle division d’artillerie russe, la 34e. Rappelons par ailleurs que la Corée du Nord a livré près de 8 millions d’obus à la Russie, qui en produit 4 millions annuellement, ce qui permet sans difficulté de tirer 15 000 coups par jour.

Quid de la « dronisation », phénomène le plus marquant de la guerre ? Au début, la Russie peinait face aux Ukrainiens. Mais là encore, elle s’est adaptée, d’abord avec son allié iranien qui lui a fourni des centaines de Shahed, drones kamikazes low cost à longue portée que Moscou a améliorés et produit aujourd’hui sous le nom de Geran-2 en si grand nombre que son armée peut en tirer plus de 100 par jour dans la profondeur du territoire ukrainien. Leur doctrine d’emploi évolue aussi : « Les Russes ont introduit des leurres pour faire de la ‘déception’. Puis, très récemment, ils ont commencé à lancer des essaims de drones vers les villes ukrainiennes », commente un officier français. Quant au type de drone le plus répandu de la guerre en Ukraine, les petits FPV équipés de grenades à charge creuse qui pullulent par dizaines de milliers sur le front, la Russie a là aussi rattrapé son retard sur les Ukrainiens, les dépassent même aujourd’hui partiellement avec l’introduction de drones à fibre optique qui ne peuvent être brouillés par des moyens de guerre électronique. Il est impossible de dresser ici la liste de tous les équipements emblématiques de ce conflit, mais citons malgré tout les bombes planantes KAB allant de 500 kg à 3 tonnes : il s’agit de simples bombes à gravité (que la Russie possède par milliers) néanmoins équipées d’un kit leur permettant de franchir une distance de plus de 50 km. Les bombardiers tactiques Su-34 peuvent ainsi tirer à distance de sécurité ces armes dévastatrices et difficilement interceptables qui font des ravages sur les positions fortifiées ukrainiennes.

L’on retrouve dans l’adaptation de l’armée russe cette préférence pour des solutions rustiques, économiques et disponibles en masse. « Ce qui est crucial dans une guerre de haute intensité, ce n’est pas d’opposer le high-tech au low-tech, mais de penser en termes de smart-tech », résume un chasseur alpin français qui prend à dessein l’exemple des ânes réintroduits en 2021 par l’armée française en montagne : si leur présence sur le front a fait ricaner de nombreux observateurs, c’est à tort, car le mulet s’avère une excellente solution pour la logistique du dernier kilomètre dans des terrains peu praticables.

Tous ces éléments d’adaptation convergent vers la nature de la guerre d’Ukraine, qui est devenue au fil des mois une guerre d’attrition : l’enjeu premier pour un belligérant n’est pas d’abord la conquête du terrain ennemi, mais la destruction des capacités adverses, qui doit être plus rapide que celle de ses propres forces. À cette aune, malgré des réussites tactiques indubitables, l’Ukraine est en train de perdre pied sur le plan opératif et même stratégique face à une armée russe pour qui le temps, pour l’instant, joue en sa faveur. Si le conflit en Ukraine n’est plus une guerre de mouvement, c’est aussi en raison d’un blocage tactique sur le terrain dû à la transparence du champ de bataille et à la létalité des armes : concentrer des forces est devenue si difficile que toute grande manœuvre est quasiment exclue.

Là encore, les Russes se sont adaptés en privilégiant l’usage de petits groupes d’infanterie de la taille d’une section pour disperser les moyens et ne pas attirer les feux. Sur le modèle de Wagner, chaque pion tactique possède désormais son propre groupe d’assaut qui privilégie des modes de transport légers et rapides, à l’image de motos ou de 4 x 4 qui tentent de rouler plus vite que les drones FPV. Par rapport au début de la guerre, l’on assiste ainsi à une démécanisation partielle du champ de bataille, observable dans chacune des deux armées, même si les blindés tentent de s’adapter au nouvel environnement à coups de brouilleurs et de blindage passifs et actifs supplémentaires, créés souvent de façon artisanale. « C’est la vertu d’une logique ‘bottom-up’ [du bas vers le haut] : les premières cages électroniques sur la tourelle des chars relevaient du bricolage, aujourd’hui c’est standardisé en usine », commente un officier. Reste que, face aux drones FPV, un bon vieux fusil de chasse est souvent le meilleur remède… même si l’on observe des adaptations plus structurelles comme des routes entièrement protégées par des filets, aperçus d’abord du côté russe vers Toretsk ou Pokrovsk. Trop tardivement, les Ukrainiens ont adapté cette méthode entre Soumy et Koursk. L’effet offensif sur le terrain est forcément réduit par cette nouvelle donne qui implique des avancées processionnelles très lentes, de quelques centaines de mètres par jour. Mais une guerre d’attrition ne s’achève pas par une grande bataille décisive : l’usure finit par produire des effondrements locaux qui peuvent finalement aboutir à un effondrement systémique, qui n’a pas encore été observé en Ukraine. Le risque existe-t-il ? Un haut gradé français observe que, sur le plan tactique également, les Russes ont progressé depuis le début de la guerre : « On observe de nombreuses rotations des troupes sur le terrain. Ça leur offre la possibilité de récupérer, mais ça permet aussi à toutes les unités de lancer des initiatives tactiques, pas seulement aux quelques formations d’élite comme dans l’armée ukrainienne. Il y a une standardisation qui permet à toute l’armée de s’aguerrir ». 

En définitive, omettre que l’armée russe s’est adaptée durant ces trois ans de guerre serait offrir un cruel cadeau aux Ukrainiens. Dans Le Figaro récemment, le professeur Olivier Zajec faisait remarquer que « la vérité du terrain, cette “guerre réelle” que Clausewitz oppose à la guerre “sur le papier”, oblige à s’adapter en conduite, ce qui peut être douloureux […] Les Russes, qui ont connu des déboires en 2022, l’ont fait. Il leur a fallu beaucoup d’humiliations pour acquérir un peu d’humilité […] Les Ukrainiens, eux, ont choisi de passer le point culminant, ou y ont été incités ». Une source militaire française abonde : « L’armée russe est une armée apprenante qui a fait un bond qualitatif et quantitatif face aux difficultés, voire à ses échecs. Elle est battle-tested et battle-hardened : les mauvais cadres ont été éliminés, les mauvaises procédures corrigées, les équipements adaptés. La sélection naturelle fait son effet. » Et l’officier supérieur rappelle en prime que « la Russie se bat avec une main dans le dos » puisqu’elle n’a pas sonné la mobilisation générale et qu’elle n’est pas réellement en économie de guerre [les moyens de production civils ne sont pas utilisés, ou marginalement, pour la production militaire, NDLR]. Jusqu’à présent, la Russie n’a pas non plus ciblé le soutien occidental (satellites, AWACS, bases logistiques arrières, etc.) qui représente pour l’Ukraine une profondeur stratégique jusqu’à présent épargnée pour éviter une escalade fatale avec l’Otan. En attendant, « un monstre militaire est en train de se créer », conclut le haut gradé.

Évolution des budgets de défense dans le monde

Évolution des budgets de défense dans le monde

par Éric DENÉCÉ – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°684 / avril 2025

https://cf2r.org/actualite/evolution-des-budgets-de-defense-dans-le-monde/


Le dernier rapport du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI[1]), publié le 28 avril 2025, révèle une hausse spectaculaire des dépenses militaires en 2024, la plus forte depuis la fin de la Guerre froide. L’examen des chiffres[2] concernant les 10 principaux pays dépensant le plus en matière de défense amène plusieurs observations :

 

  1. Le budget américain est supérieur à lui seul (997) aux 9 pays qui le suivent (984,4) !

    Il plus de 3 fois supérieur au budget de la Chine et plus de 6,5 fois à celui de la Russie.

    Il représente 66% des dépenses totales de l’OTAN et 37% des dépenses militaires mondiales.

  1. Les cinq premiers pays concentrent 60% du total mondial, avec des dépenses combinées s’élevant à 1 635 milliards de dollars 

  1. Les plus fortes progressions sont celles de la Russie (+38%) et de l’Allemagne (+28%).

    A noter que la Pologne, qui ne figure pas dans le Top 10 a également accru ses dépenses de 31%.

  1. Les dépenses militaires de la Russie ont atteint environ 149 milliards de dollars en 2024, soit une augmentation de 38% par rapport à 2023 et de 100% par rapport à 2015.

    Ce montant représente 1% de l’ensemble des dépenses publiques russes.

  1. L’Ukraine dépense autant que la France et 2,2 fois moins que la Russie. Son budget militaire représente 34% de son PIB.

  1. Les budgets de défense allemand et britannique sont supérieurs à celui de la France :

    – Allemagne : +35% (sans composante nucléaire)

    – Royaume-Uni : +26%

  1. L’Arabie saoudite (sans composante nucléaire) dépense également plus que la France (+24%) et presqu’autant que le Royaume-Uni.

  1. Le budget cumulés des trois pays européens (235 millions de dollars) serait le 3ebudget au monde…

    Ce total est de 58% supérieur à celui de la Russie !

  1. Pris 2 à 2, les budgets de défense cumulés de ces trois pays européens sont également supérieurs ou égaux à celui de Russie :

    – Allemagne + Royaume-Uni      170,3 milliards de dollars

    – France + Allemagne                  153,2 milliards de dollars

    – France + Royaume-Uni            146,5 milliards de dollars.

  1. Tous les membres de l’OTAN ont augmenté leurs dépenses militaires en 2024 (montant total de 1 506 milliards de dollars) soit 55% des dépenses militaires mondiales

    et 10 fois le budget de la Russie. 

  1. Les membres européens de l’OTAN ont dépensé 454 milliards de dollars, soit 30% du total des dépenses de l’Alliance et 3 fois la Russie.

  1. Les budgets de défense des États de l’Union européenne atteignent 370 milliards de dollars, en hausse de 18%, ce qui représente 2,5 fois le budget russe.

  1. Selon le SIPRI, l’Europe reste largement tributaire des États-Unis pour ses armements : les matériels américains représentent 64 % de ses importations.


[1] https://www.sipri.org/sites/default/files/2025-04/2504_fs_milex_2024.pdf

[2] Hors parité de pouvoir d’achat

L’armée israélienne, combien de divisions ?

L’armée israélienne, combien de divisions ?

Le général de brigade Rami Aboudraham, responsable de la planification des forces de l’armée de Terre, a déclaré que plus de 75 % des réservistes répondaient encore aujourd’hui à l’appel

 


Les troupes de Tsahal dans la bande de Gaza, sur une photo diffusée par l'armée le 23 mars 2025. (Crédit : Armée israélienne)

Les troupes de Tsahal dans la bande de Gaza, sur une photo diffusée par l’armée le 23 mars 2025. (Crédit : Armée israélienne)

 

L’armée israélienne, une des mieux dotées au monde, a annoncé le rappel de dizaines de milliers de réservistes pour l’expansion de son offensive à Gaza en vue de la « conquête » de ce territoire palestinien.

De combien de forces dispose l’armée israélienne ?

Les Israéliens ayant fait leur service militaire, soit une grande partie de la population adulte, sont réservistes au minimum jusqu’à 41 ans en fonction de leur grade et de leur arme, mais ne sont pas obligés de répondre à l’appel.

L’armée israélienne dispose de 169 500 soldats, appelés et professionnels, et peut compter sur une réserve de 465 000 hommes, selon le « Military Balance », rapport annuel de l’Institut international d’études stratégiques (IISS) de Londres.

En janvier 2024, selon les dernières statistiques publiées par l’armée israélienne, 295 000 réservistes et 45 000 volontaires (hors réserve) avaient rejoint ses rangs pour participer à la guerre déclenchée le 7 octobre 2023 par l’attaque sans précédent du Hamas sur le sud d’Israël.

Les soldats israéliens en opération dans la bande de Gaza, une photo publiée le 18 avril 2025. (Crédit : Tsahal)

Interrogé lundi par une commission parlementaire, le général de brigade Rami Aboudraham, responsable de la planification des forces de l’armée de Terre, a déclaré que plus de 75 % des réservistes répondaient encore aujourd’hui à l’appel.

Après un an et demi de guerre, « c’est plus qu’un miracle », a-t-il dit.

Selon la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES), l’armée israélienne possède 12 divisions terrestres et cinq brigades indépendantes (parachutistes, commandos…).

Une division de l’armée israélienne compte entre 13 000 et 20 000 hommes et une brigade entre 3 000 et 7 000 hommes, selon des experts.

Selon l’IISS, l’armée de l’Air est dotée de 316 avions de combat (dont 175 pouvant agir dans un rayon de plus de 1 000 km). Par comparaison, la France en a 196.

Des avions de chasse de l’armée de l’air israélienne se préparent au décollage pour des frappes aériennes contre les Houthis au Yémen, le 5 mai 2025. (Crédit : armée israélienne)

De même source, le pays dispose de cinq sous-marins, sept corvettes et 42 patrouilleurs, dont huit lance-missiles, pour ses forces navales.

Pays de 10 millions d’habitants, Israël n’a jamais confirmé ni démenti avoir l’arme atomique mais détient 90 ogives nucléaires, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).

« Pas de manque de soldats »

Depuis le 7 octobre, Israël combat ou a combattu sur de nombreux fronts : Gaza, la Cisjordanie, territoire palestinien qu’il occupe depuis 1967, le Liban, la Syrie, le Yémen, contre les attaques de missiles et de drones des terroristes houthis, et même l’Iran, qui a attaqué directement Israël à deux reprises en 2024.

Au Liban, un accord de cessez-le-feu a mis fin le 27 novembre dernier à plus d’un an d’hostilités entre Israël et le Hezbollah, soutenu par l’Iran, mais Israël s’est maintenu dans plusieurs positions méridionales et continue de mener des frappes meurtrières dans ce pays.

Dans la foulée de la chute du pouvoir de Bashar al-Assad en Syrie en décembre, Israël a mené des centaines de frappes sur des objectifs militaires de l’ancien régime et annoncé le déploiement de troupes dans la zone tampon démilitarisée du Golan, à la lisière de la partie de ce plateau syrien qu’il occupe depuis 1967.

Affirmant agir en solidarité avec les Palestiniens, les terroristes houthis du Yémen ont, de leur côté, revendiqué des dizaines d’attaques de missiles et de drones contre Israël, qui a mené des frappes de riposte à plusieurs reprises.

« Il n’y a pas de problèmes de manque de soldats », explique à l’AFP le général de brigade en retraite, Yossi Kuperwasser, expert à l’Institut de Jérusalem pour la stratégie et la sécurité (JISS).

Selon lui, les opérations au Liban, en Syrie et au Yémen ne nécessitent pas de rappel de forces terrestres à l’heure actuelle.

« Sur la plupart des fronts, l’armée n’a pas besoin de mobiliser beaucoup d’hommes et il y a suffisamment de soldats appelés et de réservistes pour l’opération à venir à Gaza », dit Kuperwasser.