Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain

Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain

par Nicolas Egon – armees.com – Publié le

Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain
Scandale Starlink : une antenne clandestine découverte sur un navire de guerre américain | Armees.com

Le 1er janvier 2025, une information surprenante a émergé : une antenne Starlink a été découverte sur un navire de guerre américain en opération dans le Pacifique. Ce scandale, qui mêle technologies civiles et enjeux militaires, suscite une controverse majeure.

Un réseau Wi-Fi suspect qui mène à une découverte inédite

L’affaire a débuté avec la détection d’un réseau Wi-Fi au nom atypique, « STINKY », par des techniciens de la Marine. Ce réseau, qui semblait déplacé dans un environnement aussi strictement contrôlé, a rapidement éveillé les soupçons. Une enquête approfondie a révélé la présence d’une antenne Starlink installée de manière non autorisée sur le bâtiment militaire.

Les premières investigations indiquent que des membres d’équipage auraient, de manière indépendante, installé cette antenne pour bénéficier d’un accès Internet haut débit, souvent absent ou restreint à bord des navires militaires. Une telle initiative soulève des questions de sécurité critique.

Starlink : une technologie en plein essor, mais controversée

Lancée par SpaceX, l’entreprise d’Elon Musk, Starlink est un réseau satellitaire destiné à fournir un accès Internet dans des régions reculées ou mal desservies. Si cette technologie a démontré son utilité dans des zones de crise, elle devient une source de préoccupation lorsqu’elle s’invite dans des environnements stratégiques.

Voici quelques caractéristiques techniques et implications de cette technologie :

Caractéristiques Implications
Réseau global de satellites LEO Couverture mondiale, y compris dans des zones isolées.
Haut débit (jusqu’à 200 Mbps) Permet des communications rapides et continues.
Installation simplifiée Risque d’utilisation clandestine dans des contextes sensibles.
Cryptage des données limité Vulnérabilité potentielle face à des cyberattaques.

Une atteinte à la sécurité nationale

L’installation non autorisée de cette antenne met en lumière des failles graves dans les protocoles de sécurité. Les implications sont nombreuses :

  • Risques de cyberespionnage : Les signaux émis par Starlink pourraient potentiellement être interceptés par des puissances étrangères, compromettant des communications sensibles.
  • Violation des règlements militaires : L’usage d’équipements non validés par la hiérarchie constitue une entorse grave aux règles de discipline.
  • Dépendance technologique : Cette affaire souligne la dépendance croissante aux technologies civiles, même dans des contextes militaires.

Un expert en cybersécurité, interrogé sur cette affaire, a déclaré : « L’usage de technologies commerciales non contrôlées dans des environnements militaires expose les forces armées à des vulnérabilités imprévisibles. »

Pourquoi cette affaire est-elle si préoccupante ?

L’introduction clandestine d’une antenne Starlink met également en lumière les défis croissants liés à l’intégration de technologies commerciales dans le domaine militaire. Cela soulève une série de questions :

  • Comment un tel dispositif a-t-il pu être installé sans être immédiatement détecté ?
  • Quels autres équipements non autorisés pourraient être présents à bord ?
  • L’armée américaine doit-elle renforcer ses audits internes pour éviter de tels incidents ?

Répercussions potentielles

Le scandale Starlink dans le Pacifique pourrait avoir des répercussions importantes :

  • Renforcement des protocoles : Des mesures strictes seront probablement mises en place pour surveiller l’usage des technologies civiles sur les navires.
  • Impact sur les relations internationales : Si des informations sensibles ont été compromises, cela pourrait affecter les alliances militaires.
  • Débat public : Cette affaire alimentera certainement le débat sur la sécurité et la régulation des nouvelles technologies.

Kiev a ouvert une enquête sur des désertions au sein de la brigade formée et équipée en partie par la France

Kiev a ouvert une enquête sur des désertions au sein de la brigade formée et équipée en partie par la France


Le 18 décembre, à l’issue d’un entretien avec son homologue français, Emmanuel Macron, à Bruxelles, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky a annoncé qu’une accord venait d’être trouvé pour former une seconde brigade interarmes en France.

« J’ai exprimé ma gratitude à la France pour la préparation d’une brigade pour notre armée et nous sommes convenus de poursuivre cette coopération et de préparer une brigade supplémentaire », a en effet affirmé M. Zelensky. Et de préciser que « l’accent serait clairement mis sur le renforcement des capacités de défense aérienne ».

Le 6 juin dernier, M. Macron avait en effet indiqué que la France allait « former, entraîner, équiper une brigade entière de l’armée ukrainienne, […] ce qui représente à peu près 4 500 soldats ».

Puis, deux mois plus tard, l’armée de Terre mobilisa 1 500 de ses militaires au sein de la « task force Champagne » pour assurer la formation de 2 000 soldats de la 155e Brigade de l’armée ukrainienne, appelée « Anne de Kyiv », dans les camps de manœuvre de « l’Est de la France ».

« Cette formation répond aux besoins exprimés par le partenaire. Pour cela, elle se base sur les retours d’expérience du front russo-ukrainien. Elle s’appuie sur un environnement réaliste, notamment un réseau de tranchées, un environnement de combat en conditions réelles et l’emploi de drones », avait alors expliqué le ministère des Armées.

Devant les députés, en octobre, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, avait défendu une approche s’appuyant sur « une logique de cohérence alliant une formation tactique à l’utilisation des équipements cédés avec leur soutien et leur approvisionnement en munitions ».

« Il est vrai que cela nécessite un engagement fort de l’armée de Terre, ainsi que des soutiens : quand une brigade française vient s’entraîner au camp de Mailly ou de Mourmelon, elle est accompagnée d’une partie de ses soutiens de garnison, qu’ici nous devons fournir. C’est un vrai tour de force du soutien, qui a été parfaitement exécuté », avait précisé le CEMA. « Il y a donc une incidence sur l’activité, mais les partenariats militaires opérationnels, l’instruction et la formation exigent un savoir-faire, qu’il faut maîtriser », avait-il conclu.

 

Équipée de pied en cap, avec notamment 18 AMX-10RC, 128 Véhicules de l’avant blindé [VAB], 18 CAESAr [Camions équipés d’un système d’artillerie], 10 camions TRM et des postes de tir MILAN, la brigade « Anne de Kyiv » a rejoint l’Ukraine en novembre. Seulement, dès son arrivée, et pour une raison qui n’a pas été précisée, son commandant, le colonel Dmytro Ryumshin a été remplacé par le colonel Taras Maksimov. Puis, plusieurs de ses unités ont été dispersées alors qu’elle venait de se déployer dans « la zone des combats », plus précisément dans la région de Pokrovsk [Donbass].

D’où la polémique dont cette brigade a fait l’objet. Députée et membre du même parti que celui de M. Zelensky, Mariana Bezuhla a mis les pieds dans le plat dès le 7 décembre. « Qu’est-il arrivé à la 155e brigade ? », a-t-elle ainsi demandé, via la messagerie Telegram.

« Le sort de la 155e Brigade mécanisée reste le même que celui de toutes les autres ’brigades zombies’ ou ’brigades de papier’, comme on les appelle aussi. On y intègre de force des gens, mais aucune coordination des structures de commandement n’est assurée. Plus tard, l’unité est tout simplement démantelée et rattachée à d’autres, la plupart étant envoyées dans des unités d’assaut, à l’exception de celles ’placées’ à des postes d’état-major par des stratagèmes douteux », a enchaîné la députée.

Et d’ajouter : « Même les efforts français pour spécialiser la brigade n’ont pas pu la sauver des mauvaises décisions militaires de nos généraux, qui l’ont finalement démantelée […] Maintenant, de retour en Ukraine, cette brigade est démantelée comme des organes donneurs pour d’autres brigades ».

Cependant, c’est le taux de désertion au sein de cette 155e brigade qui interroge. Dans un long message publié via Facebook, le 31 décembre, le journaliste ukrainien Iouri Boutoussov, a avancé que 1 700 de ses soldats [sur un effectif total de 4 500] étaient portés déserteurs avant son engagement sur le front, dont 50 durant la formation en France. « Cela a soulevé des questions parmi les dirigeants français quant au sérieux de l’attitude des Ukrainiens à l’égard de la mise en œuvre d’un projet aussi coûteux », a-t-il écrit, assurant avoir « obtenu une quantité importante de témoignages et de documents » durant son enquête.

S’il ne remet pas en cause la qualité de la formation délivrée par l’armée française, le journaliste a accusé le « commandement militaire ukrainien d’avoir failli à la formation initiale de la brigade », laquelle s’est déroulée dans un « chaos organisationnel complet ».

En outre, les pertes importantes subies par la 155e brigade dès ses premiers engagements auraient pu être évitées si, selon lui, certains équipements essentiels [dispositifs de brouillage électronique, drones, etc.] n’avait pas fait défaut. C’est une « attitude criminelle envers la vie des soldats », a-t-il dénoncé.

Étant donné l’ampleur de la polémique et de ses conséquences potentielles pour la formation de nouvelles brigades à l’avenir, les autorités ukrainiennes ont ouvert une enquête.

« Le Bureau d’enquête de l’État examine actuellement les faits diffusés dans les médias dans le cadre d’une procédure pénale engagée en vertu de l’article 426-1 [abus d’autorité ou de pouvoirs officiels par un militaire] et de l’article 408 [désertion] du Code pénal de l’Ukraine. L’enquête est en cours. Pour le moment, il est trop tôt pour parler des résultats, a en effet confirmé Tatian Sapian, sa porte-parole, auprès de l’AFP.

Selon Iouri Boutoussov, l’affaire est suivie de près par le président Zelensky, son ministre de la Défense, Roustem Oumierov, et le général Oleksandr Syrsky, le chef d’état-major des forces ukrainiennes.

Par ailleurs, la 155e brigade n’est pas la seule à connaître de sérieux problème. Le 17 décembre, sur la base d’informations publiées par Ukraïnska Pravda, le parquet général ukrainien a annoncé qu’il avait ouvert une enquête pénale pour « abus de pouvoir » présumés de la part de commandants de la 211e brigade du génie, ces derniers étant accusés d’avoir violenté des soldats qui consommaient de l’alcool durant leur service tout en leur extorquant de l’argent.

Photo : TF Champagne – Ministère des Armées

Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

Notes

Image de couverture de la publication
Les commandants russes de la guerre en Ukraine, Pavel Baev

Les remaniements du haut commandement militaire russe au cours de la guerre en Ukraine ont eu lieu de manière inégale, aussi bien dans le temps que dans les structures des forces armées. Les motifs et le calendrier des décisions prises par Vladimir Poutine concernant les cadres de l’armée défient souvent toute logique.

 

Image principale
Vladimir Poutine avec son ministre de la Défense Sergeï Choïgou et son général de l’armée Oleg Salioukov, Moscou, Russie, 9 mai 2019
Vladimir Poutine avec son ministre de la Défense Sergeï Choïgou et son général de l’armée Oleg Salioukov, Moscou, Russie, 9 mai 2019© Free Wind 2014/Shutterstock.com

Par ailleurs, les rares déclarations officielles ne nous en apprennent pas plus que les informations habituellement filtrées venant du gouvernement. Poutine valorise généralement davantage la loyauté à la compétence, ce qui rend ainsi la structure de commandement incapable de faire face aux changements soudains de l’environnement de combat. Le récent remaniement en profondeur et les purges au sein du ministère de la Défense ont entraîné une grave désorganisation bureaucratique de cette structure, dont le rôle est pourtant crucial pour poursuivre l’effort de guerre. L’absence de changements au sein de l’état-major général empêche l’armée de tirer les leçons des expériences passées et sape l’autorité du haut commandement. L’angoisse et la colère des généraux sur la ligne de front, dues à l’incompétence du haut commandement, constituent une source majeure de risque politique. Si le président russe ne peut ignorer ce problème, il est dans le même temps incapable d’y répondre correctement.

 

Pavel K. Baev est chercheur associé au Centre Russie/Eurasie de l’Ifri, chercheur et professeur à l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (PRIO), et chercheur associé à la Brookings Institution. Après avoir obtenu un master en géographie politique à l’Université d’État de Moscou (1979), il a travaillé dans un institut de recherche du ministère de la Défense de l’URSS, a obtenu un doctorat en relations internationales à l’Institut des études américaines et canadiennes de l’Académie des sciences de l’URSS (1988), puis a travaillé pour l’Institut de l’Europe à Moscou. Il a rejoint le PRIO en octobre 1992. Il écrit une chronique hebdomadaire pour l’Eurasia Daily Monitor de la Jamestown Foundation.


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Les commandants russes de la guerre en Ukraine : purges, remaniements et mécontentements

L’armée russe est en train de prendre Kurakhove : quelles conséquences sur le front ukrainien ?

Après plus de deux mois de combats urbains, la ville de Kurakhove, dans l’oblast de Donetsk, est sur le point de tomber. La perte d’un quatrième bastion du Donbass en un an ouvre la voie à une poussée russe en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk et pourrait conduire à une pression accrue autour de Pokrovsk.

Il aura fallu environ deux mois, depuis la fin du mois d’octobre jusqu’à la fin du mois de décembre, pour que l’armée russe prenne le contrôle de la quasi-totalité de la ville de Kourakhove, dans l’oblast de Donetsk. Seuls les bâtiments industriels, à l’ouest, font encore l’objet de combats aujourd’hui.

  • Kourakhove, qui comptait 18 000 habitants avant la guerre, fait partie des quatre villes moyennes de l’Est du pays capturées par l’armée russe en 2024, aux côtés d’Avdiivka, Selydove et Vuhledar.
  • La chute de la ville ne faisait plus de doutes depuis quelques semaines, alors que les troupes russes progressaient au nord, à l’est et au sud de la ville, menaçant d’encerclement les positions ukrainiennes.
  • Les assaillants russes ont tenté d’éviter autant que possible de se lancer dans des combats urbains lors d’affrontements frontaux qui s’accompagnent souvent d’importantes pertes.

La chute à venir de Kurakhove devrait laisser le champ libre à l’armée russe pour avancer en direction du sud-ouest de Pokrovsk et pour pousser en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk, qui concentre d’importantes industries (notamment l’usine de production de missiles et fusées de Pavlohrad et l’usine Pivdenmash de Dnipro, qui produit les missiles de croisière Neptune) 1. Les troupes russes se situent pour le moment à environ 100 kilomètres du centre de l’oblast.

Le risque le plus imminent pour le front ukrainien est Pokrovsk, à 30 kilomètres au nord.

  • Les forces russes tentent depuis plusieurs mois d’encercler la ville par le sud et le nord-est, sans toutefois parvenir à réaliser des percées significatives.
  • Ce manque de réussite pourrait conduire le commandement russe à tenter de réaliser des percées « opportunistes » en direction de l’oblast de Dnipropetrovsk.
  • Pokrovsk constitue, avec Velyka Novossilka, le principal objectif militaire russe en Ukraine suite à la chute de Kurakhove. Le Kremlin poursuit par ailleurs son objectif de capture de la totalité de l’oblast de Donetsk avant d’entamer des négociations de cessez-le-feu avec Kiev.

L’Institute for the Study of War estime que Moscou a capturé 4 168 km2 de territoire au cours de l’année 2024 pour un total de plus de 420 000 pertes — soit environ 102 morts ou blessés par kilomètre carré saisi 2. Le rythme de la progression russe s’est cependant accéléré au second semestre : 56,5 % des gains de l’année ont été recensés au cours de la période septembre-novembre.


Sources
  1. « NYT увидела угрозу « промышленному сердцу » Украины из-за потери Курахово », РБК, 1er janvier 2025.
  2. Angelica Evans, Nicole Wolkov, Kateryna Stepanenko, Nate Trotter, William Runkel et Fredrick W. Kagan, Russian Offensive Campaign Assessment, December 31, 2024, Institute for the Study of War.

Elbridge Colby, le vrai visage de la stratégie Trump ?

Elbridge Colby, le vrai visage de la stratégie Trump ?

par Olivier Chantriaux – Revue Conflits- publié le 2 janvier 2025


Le 22 décembre dernier, Donald Trump a annoncé son intention de nommer Elbridge Colby sous-secrétaire à la Défense chargé des questions politiques. La nouvelle n’a pas retenu outre mesure l’attention des grands médias. Pourtant, la nomination de ce réaliste révèle peut-être la ligne stratégique de Donald Trump lors de son prochain mandat.

Elbridge Colby n’est pas un inconnu. Au cours du premier mandat de Donald Trump, il avait présidé à l’élaboration de la Stratégie de défense nationale de 2018. Constatant l’accroissement du désordre mondial et l’impossibilité d’établir en définitive un ordre international libéral, ce document procédait à un recentrage, reconnaissant que « la compétition stratégique entre États, non le terrorisme [était] désormais la préoccupation première de la sécurité nationale des États-Unis » et désignant la Chine comme principale concurrente. Dans ce contexte, la modernisation de la défense devait assurer aux États-Unis les capacités nécessaires pour assurer sa prépondérance et « maintenir la paix par la force« , « to preserve peace through strength« , formule que Donald Trump se plaît actuellement à répéter, lorsqu’il évoque, par anticipation, la stratégie internationale qu’il compte mettre en œuvre.

 

Elbridge Coby, Deputy Assistant Secretary of Defense, (U.S. Army photo by Monica King/Released)

 

Un réaliste à la Défense

Formé à Harvard et à l’École de droit de Yale, Elbride Colby est avant tout un intellectuel et un penseur réaliste des relations internationales. Après avoir travaillé comme analyste au Center for Naval Analyses (CNA) et au Center for a New American Security (CNAS), Colby avait été pressenti pour jouer un rôle éminent dans la campagne de Jeb Bush, candidat à la primaire présidentielle de 2016, avant d’être finalement éconduit par l’entourage néoconservateur de ce dernier.

Aujourd’hui, si sa désignation comme sous-secrétaire à la Défense peut sembler éclipsée par la nomination à des postes de premier plan de personnalités politiques notoires, comme Michael Waltz ou Marco Rubio, l’influence intellectuelle qu’il exercera pourrait se révéler plus déterminante au fond pour définir le positionnement stratégique des États-Unis, conduisant certains observateurs à considérer, par anticipation, que Colby pourrait être le « cerveau » de la doctrine Trump.

Le cerveau de la doctrine Trump

Cofondateur de L’Initiative de Marathon, association visant à sensibiliser ses compatriotes à la nécessité de repenser la politique internationale des États-Unis dans le contexte d’un retour à la compétition des grandes puissances, Elbridge Colby a pu exposer ses vues les plus constantes dans The Strategy of Denial, publié en 2021. Opposé à la guerre en Irak comme à la multiplication des engagements extérieurs des États-Unis, qui ne peuvent conduire, selon lui, qu’à une déperdition d’énergie et à un surinvestissement vain, il croit primordial de concentrer les efforts américains sur un théâtre central, l’Asie, qui rassemble la moitié de la population mondiale et génère l’essentiel de la croissance globale, en vue d’un objectif principal, empêcher la Chine de bâtir une sphère de prospérité sous son contrôle et de faire ainsi prévaloir son hégémonie.

Faisant sienne, en quelque sorte, la stratégie d’offshore balancing conçue par le réaliste offensif John Mearsheimer, il estime que, pour faire pièce aux ambitions chinoises, qui ne se jouent décisivement ni en Ukraine ni au Proche-Orient, les États-Unis doivent être en mesure de coordonner leur action avec les puissances géographiquement proches de la Chine et peu enclines à accepter son ascension, en l’occurrence l’Inde, le Japon, l’Australie et même le Vietnam.

Tandis que, dans l’espace Indo-Pacifique, l’Amérique se chargerait de dissuader la Chine d’imposer son hégémonie économique, les États européens se trouveraient mécaniquement conduits à prendre davantage de responsabilités au sein de l’Alliance atlantique.

La Chine est le véritable adversaire des États-Unis

Elbridge Colby se démarque enfin d’autres stratèges américains en ce qu’il ne conçoit pas comme inévitable la perspective d’une guerre avec la Chine. Sa lecture de la compétition des grandes puissances n’est pas simplement militaire, comme tendrait à l’affirmer un John Mearsheimer, mais accorde une place primordiale aux enjeux géoéconomiques, dans le sillage du théoricien du changement hégémonique qu’était Robert Gilpin.

Soucieux de préserver la paix et la capacité des États-Unis à négocier avec son compétiteur sans provoquer de guerre majeure, Elbridge Colby affirme que « le moralisme » est, en fait, inférieur à « la moralité d’une politique étrangère réaliste« .

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

La vente du réseau TIM : un chaos stratégique pour l’Italie

par Giuseppe GAGLIANO – CF2R – Note d’actualité N°667 / décembre 2024

https://cf2r.org/actualite/la-vente-du-reseau-tim-un-chaos-strategique-pour-litalie/


Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

Le 1er juillet 2024, TIM a finalisé la vente de son infrastructure réseau au géant américain KKR, qui l’a intégrée dans la société FiberCop. Un mois plus tard, TIM, privée de son réseau, a demandé à FiberCop de lui louer environ 600 000 lignes en fibre optique dans les « zones noires », c’est-à-dire dans les zones à forte densité de clientèle. FiberCop, n’ayant pas ces lignes, s’est tournée vers Open Fiber, le concurrent créé en 2015 par le gouvernement Renzi pour concurrencer TIM sur le marché de la fibre optique. Open Fiber, dans un paradoxe typiquement italien, a proposé ces lignes directement à TIM à un prix réduit. Cependant, TIM est contractuellement obligée de passer par FiberCop pour ce type de service. FiberCop, ayant 90 jours pour répondre à la demande, a déclaré avoir trouvé une solution : louer les lignes d’un autre opérateur, qui les a lui-même obtenues en location auprès d’Open Fiber. Chaque étape ajoute une surcharge de coûts, qui pourrait finalement être supportée par les utilisateurs. Fait notable, l’État italien est actionnaire minoritaire de TIM et de FiberCop et contrôle Open Fiber via la Caisse des Dépôts et Consignations (CDP).

Le gouvernement, dirigé par la Première ministre Giorgia Meloni et le ministre de l’Économie Giancarlo Giorgetti, a approuvé la vente à KKR dans l’espoir de redresser les dettes de TIM et de renforcer les relations avec les États-Unis. L’opération, orchestrée au Palazzo Chigi par le chef de cabinet Gaetano Caputi et Vittorio Grilli de JPMorgan Italie, montre déjà des faiblesses. Actuellement, les relations entre KKR et le gouvernement sont tendues, principalement en raison des attentes élevées de rentabilité du fonds américain, qui a investi environ 4 milliards d’euros pour acquérir 37% de la nouvelle société réseau (le Trésor italien détient 16%). KKR vise une revente rapide de l’actif.

Lors de la cession, TIM et FiberCop ont signé un Master Service Agreement – un contrat de 15 ans reconductible une fois – qui régit les services offerts par TIM, désormais sans réseau. Selon les prévisions, TIM paiera 2 milliards d’euros par an pour l’accès au réseau jusqu’en 2029 ; en 2030, le chiffre passera à 2,1 milliards pour atteindre 2,5 milliards d’euros en 2039. Ce schéma garantit à FiberCop, et donc à KKR, des profits annuels croissants, allant de 2 milliards en 2027 à 2,7 milliards en 2039. TIM est obligée d’acheter les services de FiberCop s’ils sont disponibles et doit résilier les contrats avec d’autres opérateurs si FiberCop propose des services similaires.

L’Autorité italienne de la concurrence a lancé une enquête sur le Master Service Agreement pour une possible violation de la concurrence. Certaines clauses du contrat, telles que sa durée de 30 ans et l’exclusivité et les mécanismes de remise, pourraient nuire aux concurrents. Des correctifs éventuels pourraient réduire la rentabilité de FiberCop.

Open Fiber, pour sa part, a récemment bénéficié d’une augmentation de capital de ses actionnaires, dont le fonds australien Macquarie (qui en détient 40%). La fusion avec FiberCop pour créer un « réseau unique » semble être une solution logique pour éviter les conflits dans le secteur et protéger les investissements de la CDP, qui a déjà dépensé 1,5 milliard d’euros. Cependant, KKR n’est pas favorable à cette fusion, car elle entraînerait des dépenses supplémentaires, telles qu’un Earn-Out de 2,5 milliards d’euros à verser à TIM en cas de fusion avant 2027. De plus, la détermination des parts sociales après la fusion dépendrait de la valorisation des deux sociétés, et KKR pourrait avoir intérêt à dévaloriser Open Fiber, ce qui aurait des répercussions négatives pour la CDP et aggraverait les tensions avec le gouvernement italien.

Dans ce contexte, FiberCop a choisi de payer l’intermédiation d’un autre opérateur pour garantir les services demandés par TIM, risquant d’opérer à perte ou de transférer les coûts supplémentaires à TIM elle-même. Open Fiber, de son côté, a proposé des conditions avantageuses pour attirer TIM, illustrant la concurrence intense dans le secteur. Au final, il est probable que les coûts supplémentaires résultant de cette chaîne d’intermédiation complexe soient supportés par les utilisateurs finaux.

Le cas de TIM et la vente du réseau à KKR ne sont pas une exception isolée, mais plutôt un élément d’un cadre plus large où les fonds souverains et les fonds de Private Equity jouent un rôle de plus en plus central dans la transformation de l’économie mondiale. Ces outils financiers se sont transformés, passant de simples véhicules d’investissement à des instruments de contrôle stratégique, capables d’influencer des secteurs économiques entiers et les choix de politique industrielle de nombreux pays.

Les fonds souverains, en particulier, se sont imposés comme des acteurs clés, gérant d’immenses ressources issues des excédents commerciaux des nations exportatrices d’énergie ou de produits industriels. Les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Norvège et la Chine sont parmi les États qui ont utilisé leurs fonds souverains pour acquérir des participations dans des entreprises stratégiques de secteurs tels que l’énergie, les infrastructures, la technologie et les télécommunications. Ces investissements ne sont pas seulement une question de profit, mais reflètent souvent des objectifs géopolitiques et de Soft Power.

De manière similaire, les fonds de Private Equity tels que KKR, Blackstone et Carlyle, bien que formellement privés, agissent souvent en synergie avec les intérêts des gouvernements de leur pays d’origine. Leur force réside dans leur capacité à mobiliser rapidement des capitaux et à acquérir des actifs stratégiques dans des domaines clés, allant des transports à l’énergie, jusqu’aux télécommunications, comme le montre le cas de TIM. Cependant, ces fonds privilégient généralement une rentabilité à court terme, souvent au détriment des investissements à long terme nécessaires pour la croissance et la stabilité des actifs acquis.

Ce qui émerge, c’est un mécanisme global de contrôle économique. La propriété d’infrastructures critiques comme les réseaux de télécommunications, les ports, les centrales énergétiques et les réseaux de distribution, concentrée entre des mains étrangères, prive les gouvernements nationaux des outils fondamentaux pour planifier et protéger leur développement. Dans de nombreux cas, l’accès aux capitaux étrangers devient une nécessité pour des entreprises lourdement endettées, mais le prix à payer est élevé : la perte de souveraineté économique et décisionnelle.

L’Italie, comme de nombreuses autres nations européennes, doit réfléchir à l’avenir de ce modèle. Continuer à céder des actifs stratégiques au nom d’une logique à court terme risque de compromettre non seulement l’économie, mais aussi la capacité à relever les défis mondiaux avec des outils adaptés et une autonomie décisionnelle.

Les conditions d’une future politique sahélienne

Les conditions d’une future politique sahélienne

Soldats français de l’opération Barkhane en patrouille avec des soldats maliens imbamogoye(Mali) avril 2016 Pascal Guyot/AFP
Editorial de Bernard Lugan publié en janvier 2025

Au Sahel où le retrait français a laissé le champ libre aux GAT (Groupes armés terroristes), la situation est désormais hors contrôle. Face aux massacres de civils les armées locales sont totalement dépassées quand elles ne sont pas complices. Quant aux mercenaires russes, ce n’est pas en multipliant les crimes de guerre qu’ils pourront faire croire aux populations qu’ils sont animés de la « parcelle d’amour » qui était si chère à Lyautey et aux grands coloniaux français…
Il faut bien voir que la catastrophe actuelle résulte de deux principales erreurs de diagnostic faites par les décideurs parisiens : 
1) Avoir cautionné la cuistrerie de ceux de leurs « experts » officiels qui qualifiaient systématiquement de jihadiste tout bandit armé ou même tout porteur d’arme
Alors que nous étions face à un « cocktail » de revendications ethniques, sociales et politiques opportunément habillées du voile religieux, et que le trafic était devenu le poumon économique de populations subissant les effets d’une désertification accélérée par la démographie. D’où la jonction entre trafic et islamisme, le premier se faisant dans la bulle sécurisée par le second.
2) Avoir ignoré les constantes ethno-historico-politiques régionales. 
Un tel refus obstiné de prendre en compte les réalités ethniques s’explique à la fois par l’idéologie et par l’ignorance. Avec pour conséquence que des solutions aussi hors sol que simplistes ont été plaquées sur la complexe, mouvante et subtile alchimie humaine sahélienne. 
En effet, dans ces immensités où le jihadisme surinfecte de vieilles plaies ethno-historiques, présenter comme solution un processus électoral est une farce tragique car il n’aboutit qu’à un sondage ethnique grandeur nature. Quant au discours convenu prônant la nécessité de combler le « déficit de développement » ou encore la « bonne gouvernance », il relève du charlatanisme politique… 
En 2025, si, après avoir été honteusement « éjectée » du Sahel à la suite de l’accumulation des erreurs commises par Emmanuel Macron, la France décidait d’y revenir, ses dirigeants devraient alors bien réfléchir. Ils ne devraient en effet plus voir la question régionale à travers le prisme des idéologies européo-centrées, des automatismes contemporains et des « singularités » LGBT. 
Tout au contraire, il s’agirait pour eux de replacer les évènement dans leur contexte historique régional à travers cette longue durée qui, seule, permet de comprendre qu’ils sont liés à un passé toujours prégnant et qui conditionne largement les choix des uns et des autres. 
Pour le comprendre, on se reportera à mon livre Histoire du Sahel des origines à nos jours.

Les forces françaises s’apprêtent à rétrocéder la base de Port-Bouët à l’armée ivoirienne et à quitter le Sénégal

Les forces françaises s’apprêtent à rétrocéder la base de Port-Bouët à l’armée ivoirienne et à quitter le Sénégal


En février 2023, alors que les forces françaises venaient de mettre un terme à leur présence en Centrafrique et d’achever leur retrait du Mali avant d’en faire autant au Burkina Faso, le président Macron annonça que la France allait mettre en œuvre une nouvelle stratégie pour l’Afrique, laquelle devait se traduire par une « diminution visible » de son dispositif militaire ainsi que par la mise en place de partenariats impliquant une « montée en puissance » des forces africaines.

Depuis, à la suite d’un putsch, le Niger a dénoncé les accords militaires qu’il avait scellés avec la France… Et le Tchad en a récemment fait autant. En outre, le Sénégal n’est pas loin de suivre le mouvement. Et cela malgré les récentes annonces sur les réductions, drastiques, des effectifs des forces français prépositionnées en Afrique, ceux-ci devant passer de 2 300 à seulement 600 militaires [300 au Tchad, 100 au Gabon, 100 en Côte d’Ivoire et 100 au Sénégal].

Lors d’une audition parlementaire, en janvier 2024, le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, avait justifié cette évolution.

« Nous avons des bases au Sénégal, au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Gabon. Elles sont installées dans les capitales, et même parfois enclavées dans des aires urbaines en expansion. Leur empreinte et leur visibilité sont devenues difficiles à gérer. Nous devrons sans doute modifier notre schéma d’implantation pour réduire nos vulnérabilités » selon la formule « moins posé, moins exposé », avait-il dit.

Cependant, les enjeux sécuritaires, comme le terrorisme, les trafics et la compétition stratégique avec la Russie, la Chine, la Turquie ou encore l’Iran, n’ayant pas disparu, le CEMA avait défendu la nécessité de garder des « relations avec les autorités militaires locales » et de « garantir des accès stratégiques par voie maritime et aérienne ».

Lors de sa visite aux armées à Djibouti, le 20 décembre, le président Macron a soutenu qu’une telle évolution était nécessaire.

« Notre rôle change en Afrique […] parce que le monde change en Afrique, parce que les opinions publiques changent, parce que les gouvernements changent » et [aussi] « parce que nous avons décidé de manière souveraine en février 2023, après plusieurs années de changement progressif, de rebâtir un partenariat qui repose sur des partenaires respectés », « vis-à-vis desquels nous devons aider à la formation, à l’équipement, en renseignement, pour des opérations spécifiques », a en effet affirmé M. Macron.

Et d’ajouter qu’il fallait « changer la logique qui était la nôtre dans trop de pays » avec « des bases installées, pléthoriques, permanentes, qui nourrissaient des ambiguïtés ».

D’où l’annonce faite par le président ivoirien, Alassane Ouattara, le 31 décembre. « Nous pouvons être fiers de notre armée dont la modernisation est désormais effective. C’est dans ce cadre que nous avons décidé du retrait concerté et organisé des forces françaises en Côte d’Ivoire », a-t-il déclaré. « Ainsi, le camp du 43e BIMA, le bataillon d’infanterie de marine de Port-Bouët, sera rétrocédé aux forces armées de Côte d’Ivoire dès ce mois de janvier 2025 », a-t-il continué.

Une fois qu’il aura été rétrocédé, le camp de Port-Bouët sera baptisé du nom du général Thomas d’Aquin Ouattara, qui fut le premier chef d’état-major des armées ivoiriennes.

Pour rappel, à la suite du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale [LBDSN] de 2008, il avait été décidé de ne conserver que deux bases permanentes en Afrique, à savoir une au Gabon et une autre à Djibouti. Aussi, le 43e BIMa avait été dissous en 2009. Puis, après l’intervention au Mali, en 2013, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, revint sur cette décision et annonça la création des « Forces françaises en Côte d’Ivoire » [FFCI]. Ce qui était logique, Port-Bouët offrant l’avantage de donner l’accès à un aéroport et à un port en eaux profondes. Et cela dans le cadre d’un accord de défense révisé en 2012 et ratifié deux ans plus tard.

Quoi qu’il en soit, l’annonce de M. Ouattara ne met pas un terme à la coopération militaire entre les forces françaises et ivoiriennes. En novembre, l’armée de l’Air & de l’Espace a ainsi déployé une dizaine d’aéronefs en Côte d’Ivoire [A400M, Casa CN-235, C-130J, ALSR « Vador », hélicoptère Fennec, A330 MRTT et un 3 Mirage 2000D] pour prendre part à un exercice aéroterrestre organisé au profit des troupes aéroportées ivoiriennes.

Par ailleurs, les Éléments français au Sénégal, dont l’effectif devait être réduit à 100 militaires, devraient prochainement disparaître.

Dans un discours prononcé à l’occasion du Nouvel An, le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a en effet dit avoir « instruit le ministre des Forces armées de proposer une nouvelle doctrine de coopération en matière de défense et de sécurité, impliquant, entre autres conséquences, la fin de toutes les présences militaires de pays étrangers au Sénégal, dès 2025 ». Et de promettre que « tous les amis du Sénégal seront traités comme des partenaires stratégiques, dans le cadre d’une coopération ouverte, diversifiée et décomplexée »

Photo : Ministère des Armées

Le corridor de Zan­gezur, crucial à l’échelle de toute l’Eurasie, ignoré en Europe

 

par Xavier Raufer – AASDN – publié le 27 décembre 2024

https://aassdn.org/amicale/le-corridor-de-zangezur-crucial-a-l-echelle-de-toute-l-eurasie-ignore-en-europe/


Le corridor de Zan­gezur est un espace crucial à l’échelle de toute l’Eurasie. C’est par lui que doivent transiter les routes de l’énergie reliant le Moyen-Orient à l’Europe. Il attise de nombreuses convoitises mais demeure sous-estimé en Europe.

 

« Il jouait du piano debout, c’est peut-être un détail pour vous, mais pour moi ça veut dire beaucoup » chantait France Gall.

De même le corridor de Zangezur entre Ar­ménie et Azerbaïdjan, dont nul ou presque, dans l’Union européenne et ses princi­paux pays-membres, ne sait grand-chose.

Pourtant, ce corridor veut dire autant pour l’avenir de la cruciale charnière interconti­nentale Asie-Europe débouchant sur la mer Noire, que la guerre Russie-Ukraine, sur la­quelle toute l’Europe, tout le monde atlan­tique, s’obnubilent à présent.

S’il est achevé, ce corridor de Zangezur reliera Kars en Turquie orientale à Bakou en Azerbaïdjan, passant par une bande de territoire arménien, le long de la frontière de l’Iran, à travers la province azérie-exclave du Nakhitchevan, que ce corridor arménien sépare justement du pays lui-même.

Corridor de Dantzig dans l’entre-deux-guerres mondiale… Corridor de Zangezur à présent… Toujours, des terres stratégiques. Un résultat inévitable : une situation de conflit émerge et s’aggrave. Dans le cas présent, d’autant plus que les enjeux sont majeurs :

Pour R. T. Erdogan, ouvrir ce corridor est un impératif du panturquisme ; aller droit par l’autoroute et le train, sans obstacle (chrétien, en plus), d’Ankara à Bakou, c’est l’accès direct aux « Stans » d’Asie centrale, tous turcophones (sauf le Tadjikistan) ; l’émergence d’un « Turkestan » demain rassemblé, des limites de l’Europe à celles de la Chine

Pour l’Azerbaïdjan, perspective immense, ce corridor réalisé l’installe au carrefour des deux cruciales connexions économiques eurasiatiques : Nord-Sud et Est-Ouest. À terme, la voie ferrée directe + autoroute Kars-Bakou en ouvre une autre, plus stratégique encore, unissant la Russie à l’Inde ; bien plus courte, donc moins cher, que toute autre à travers l’Asie cen­trale. La circulation directe des conteneurs Russie-Azerbaïdjan ; de là jusqu’à Mum­bai (Bom­bay) via l’océan Indien est le rêve des pays en cause.

La Chine aussi surveille la situation : que Zangezur s’ouvre, raccourcirait et accélèrerait ses « Routes de la Soie ».

Obstacle majeur cependant, l’Iran, que le corridor de Zangezur couperait de l’Arménie. Quelle importance, diront les âmes simples. L’Azerbaïdjan, antique terre zoroastrienne (Azer = feu en Perse) – Azerbaïdjan, pays du feu et ses temples où brûle l’éternelle flamme du naphte de son sous-sol ? Pays musulman, à 60% chi’ite ? Un allié évident pour l’Iran ? Non justement : l’Azerbaïdjan est pleinement dans l’orbite turque ; et de toujours, le chi’isme perse vit dans la révérence du christianisme arménien. Pour les chi’ites perses, sans exagé­rer, les Armé­niens chrétiens sont un peuple-Christ aussi révéré que les Juifs pour les protes­tants américains.

Or là, déchirement pour Téhéran : le dernier tronçon du corridor Mourmansk – Moscou – Bakou – Mumbai, doit traverser tout l’Iran, de la Caspienne à l’océan Indien, jusqu’à son port de Chabahar. La voie ferrée Iran-Azerbaïdjan (Qazvin-Rasht-Astara) est la clé du corridor international de transport Nord-Sud (INSTC), raccordant Téhéran à l’immense grille commerciale de l’UEE (Union Économique eurasienne), suscitant maints bienfaits économiques, dont des exportations massives vers l’Asie centrale et la Russie.

Là cependant sont les soucis et espoirs de demain. Aujourd’hui, la guerre menace. Depuis novembre, l’état-major de Bakou et ses drones « Bayraktar-TB2 » turcs reprennent la surveillance des positions arméniennes, au-dessus du Karabagh, au long des fron­tières arménienne et iranienne ; survolant bien sûr le corridor de Zangezur et le Nakhitche­van.

Des intérêts économiques immenses. Un étroit corridor au fin fond d’une Arménie fragili­sée. Un Azerbaïdjan qui renforce sans cesse un arsenal turc, que son pétrole lui permet d’acheter. Des chefs d’État comme V. Poutine et R.T. Erdogan, adeptes de la géopoli­tique au long cours. L’OTAN et l’UE happées par l’Ukraine et désormais, par la Syrie. Une conju­gai­son bien tentante, quand même.


Xavier RAUFER
Revue CONFLITS
16/12/2024

Légende et source de la carte : L’Arménie et l’Azerbaïdjan (c) Wikipédia

Sabotage ou accident ? la Finlande enquête sur la panne d’un câble sous-marin

Sabotage ou accident ? la Finlande enquête sur la panne d’un câble sous-marin

par Nicolas Egon – armees.com – Publié le

Sabotage ou accident ? la Finlande enquête sur la panne d’un câble sous-marin
Sabotage ou accident ? la Finlande enquête sur la panne d’un câble sous-marin | Armees.com

Le 25 décembre 2024, une panne inattendue sur le câble sous-marin EstLink 2, reliant la Finlande et l’Estonie, a plongé les autorités des deux pays dans un état d’alerte maximale. Ce câble, essentiel pour l’échange d’électricité entre les deux nations, est au cœur d’une enquête approfondie visant à déterminer les causes de cette déconnexion. Selon Fingrid, l’opérateur finlandais du réseau électrique, l’incident s’est produit à 12h26 heure locale, affectant un transfert de 658 mégawatts d’électricité vers l’Estonie. Malgré la coupure, la Finlande a confirmé que son approvisionnement énergétique restait intact, un fait réconfortant en plein cœur des fêtes de fin d’année.

Enquête en cours : sabotage envisagé

Dès l’annonce de la panne, les soupçons d’un possible sabotage ont émergé. Arto Pahkin, responsable des opérations chez Fingrid, a déclaré qu’une intervention intentionnelle n’était pas exclue, ajoutant que deux navires se trouvaient dans la zone au moment critique. Parmi eux, le pétrolier Eagle S, battant pavillon des Îles Cook, est particulièrement surveillé. D’après des données de suivi maritime, ce navire aurait ralenti près de la zone de l’incident, soulevant des questions sur son rôle éventuel.

La Finlande et l’Estonie, déjà sur le qui-vive après des précédents en mer Baltique, intensifient leurs efforts pour sécuriser leurs infrastructures sous-marines. Les cas récents de coupures de câbles et de gazoducs dans cette région, notamment le sabotage du gazoduc Nord Stream en 2022, alimentent une tension géopolitique croissante.

Rôle stratégique du câble EstLink 2

Le câble EstLink 2, long de plus de 170 km, joue un rôle essentiel dans l’intégration des marchés électriques nordiques et baltes. Avec une capacité initiale de 1 016 mégawatts, il garantit un flux d’énergie entre la Finlande et l’Estonie, stabilisant les prix et sécurisant l’approvisionnement en cas de surcharge ou de panne locale.

L’endommagement de ce câble, même temporaire, révèle les vulnérabilités d’une infrastructure critique dans une région stratégiquement sensible. La Finlande et l’Estonie dépendent de ces connexions pour maintenir une résilience énergétique face aux risques croissants d’interruptions.

Implications politiques et géopolitiques

L’incident intervient dans un contexte de tensions exacerbées en mer Baltique, où chaque dysfonctionnement alimente des spéculations sur l’implication d’acteurs extérieurs. La possibilité d’un sabotage, évoquée par plusieurs responsables, souligne les enjeux géopolitiques liés à la sécurité des infrastructures sous-marines. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, la région a vu une série d’incidents, des dommages aux gazoducs aux ruptures de câbles de communication.

Chaque attaque ou panne renforce la nécessité pour les pays de l’Union européenne de surveiller et protéger leurs actifs critiques. Un porte-parole estonien a évoqué la nécessité d’une coopération internationale renforcée pour éviter de nouvelles perturbations. En novembre dernier, deux câbles entre la Finlande et l’Allemagne avaient déjà été sectionnés, déclenchant des enquêtes similaires.

Mesures urgentes : sécurisation et prévention

Face à ces menaces croissantes, les pays riverains de la Baltique ont intensifié leur surveillance des infrastructures stratégiques. Des drones sous-marins aux capteurs d’ancrage, de nouvelles technologies sont déployées pour prévenir et détecter rapidement tout acte hostile.

Les récentes pannes rappellent également l’urgence d’une collaboration entre secteurs publics et privés. Un rapport de l’Union européenne souligne que la coordination entre les marines nationales et les opérateurs industriels est devenue incontournable pour renforcer la sécurité maritime.

Tableau des incidents récents en mer Baltique :

Date Infrastructure Cause suspectée Conséquences
Décembre 2024 Câble EstLink 2 Possiblement sabotage Panne partielle d’électricité
Novembre 2024 Gazoduc Finlande-Estonie Ancre de cargo Flux interrompu
Septembre 2022 Gazoduc Nord Stream Explosion Arrêt prolongé