Rapport sur l’Unwra : « des problèmes de neutralité persistent »
L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) à Gaza a des « problèmes persistants de neutralité » politique, avance un rapport remis lundi 22 avril au chef des Nations unies. Le texte, très attendu, dit qu’Israël doit encore fournir la « preuve » que ses membres sont liés à des « organisations terroristes ».
L’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) dans la bande de Gaza a des « problèmes persistants de neutralité » politique, mais Israël doit encore fournir la « preuve » que ses membres sont liés à des « organisations terroristes », pointe lundi 22 avril un rapport remis au chef des Nations unies.
L’UNRWA demeure « irremplaçable et indispensable pour le développement humain et économique des Palestiniens », souligne ce groupe indépendant, présidé par l’ancienne ministre française des affaires étrangères Catherine Colonna et chargé par le secrétaire général Antonio Guterres d’une mission d’évaluation de la « neutralité » de l’UNRWA.
« L’UNRWA demeure cruciale pour apporter une aide humanitaire vitale et des services sociaux essentiels, notamment en matière de santé et d’éducation, aux réfugiés palestiniens à Gaza, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Cisjordanie », souligne le groupe dans un rapport très attendu d’une cinquantaine de pages.
Menaces et perturbations d’opérations humanitaires
« L’UNRWA est irremplaçable et indispensable pour le développement humain et économique des Palestiniens. De plus, beaucoup considèrent que l’UNRWA est une planche de salut humanitaire », écrit la mission pilotée par l’ex-cheffe de la diplomatie française. « Mais en dépit de ce cadre solide, des problèmes liés à la neutralité persistent », relève-t-elle.
Il s’agit « de cas d’employés du personnel exprimant publiquement leurs opinions politiques, de livres scolaires au contenu problématique venant du pays hôte et utilisés dans certaines écoles de l’UNRWA, de syndicalistes politisés proférant des menaces contre l’encadrement de l’UNRWA et perturbant des opérations » humanitaires, selon le groupe indépendant.
L’agence qui compte plus de 30 000 employés dans la région (Gaza, Cisjordanie, Liban, Jordanie et Syrie), est accusée par Israël d’employer « plus de 400 terroristes » à Gaza. Et 12 de ses employés sont accusés par les Israéliens d’avoir été directement impliqués dans l’attaque sans précédent du 7 octobre menée par le Hamas sur le sol israélien, qui a fait 1 160 morts, essentiellement civils, selon un bilan de l’AFP établi à partir de données officielles. Des accusations qui ont entraîné la suspension de financements par certains pays donateurs, dont certains ont repris depuis.
Pas de preuves sur la présence de terroristes
« Sur la base d’une liste de mars 2024 contenant des numéros d’identité de Palestiniens, Israël a affirmé publiquement qu’un nombre significatif d’employés de l’UNRWA sont membres d’organisations terroristes. Cependant, Israël doit encore en apporter la preuve », prévient le groupe dans son rapport.
D’autant que l’UNRWA, créée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1949, « est la colonne vertébrale des opérations humanitaires » à Gaza, avait répété la semaine dernière devant le Conseil de sécurité son patron Philippe Lazzarini, dénonçant une campagne « insidieuse » pour mettre fin à ses opérations. « Démanteler l’UNRWA aura des répercussions durables », avait-il prévenu, avec pour conséquence notamment d’« aggraver la crise humanitaire à Gaza et accélérer l’arrivée de la famine ».
La famine menace déjà le nord du territoire palestinien, où plus de 34 000 personnes, la plupart des civils, ont été tuées depuis le début de l’offensive israélienne, selon le ministère de la santé du Hamas.
Owen Berthevas est étudiant en Master 2 de Géopolitique à l’Université de Reims. Sa formation universitaire lui a permis de développer un attrait pour l’étude des relations entre l’espace et le pouvoir, un rapport de corrélation qu’il a su transposer dans son mémoire de recherche. Ce dernier a pour sujet l’étude de la stratégie navale iranienne au pourtour du détroit d’Ormuz.
En une trentaine d’années, la République islamique d’Iran s’est considérablement renforcée sur le plan naval. L’arsenal militaire iranien est en constante modernisation et permet à Téhéran de contester l’ordre voulu par les Etats-Unis et leurs alliés, dont Israël. Avec trois cartes.
DEPUIS LE 7 OCTOBRE 2023, date du retour du conflit israélo-palestinien avec ce qu’on appelle désormais « la guerre Israël-Hamas », le spectre de l’importance iranienne dans ce conflit n’a de cesse d’être exacerbé. En Occident, l’Iran est vu comme un acteur responsable de la déstabilisation actuelle au Proche-Orient. Il est reproché au régime iranien de financer des groupes armés pro-palestiniens, dont le Hamas fait partie.
Plus récemment l’Iran s’inscrit directement en confrontation militaire avec le régime israélien. L’offensive iranienne du 13 avril 2024, à l’encontre d’Israël a été soutenue par le Hezbollah libanais et les rebelles yéménites houthis, tous deux soupçonnés d’être financés par le gouvernement iranien. En parallèle, de récentes attaques en mer Rouge, orchestrées par les Houthis et visant à paralyser le trafic maritime mondial, sont venus mettre les gouvernements occidentaux en alerte. Un nouveau théâtre d’opération s’est donc ouvert, détournant l’attention médiatique du conflit russo-ukrainien. Ces évènements ont provoqué l’intervention militaire coordonnée des armées américaines et britanniques en mer Rouge pour, selon elles, garantir la sécurité du commerce international. Ce contexte d’instabilité régionale est renforcé par la stratégie iranienne de régionalisation des conflits et de soutien tacite aux entités chiites alliées. Pour autant, bien que le régime ne soit pas officiellement impliqué, l’Iran œuvre à la réhabilitation de ses forces armées en vue d’anticiper une potentielle confrontation avec ses rivaux.
Pour comprendre la posture qu’adopte la République islamique d’Iran, à l’aune du conflit entre Israël et le Hamas, il est important de remonter dans les années 1980 et de suivre les évolutions de la pensée stratégique du régime. Le Golfe Persique et le détroit d’Ormuz se sont avérés être des éléments charnières dans la doctrine stratégique iranienne. Nous nous concentrerons ici plus précisément sur les composantes navales du régime iranien, conscient de l’importance des espaces maritimes dans les conflits dans lesquels l’Iran est susceptible d’être engagé. D’autant plus que les agissements Houthis en mer Rouge disposent de similitudes notables avec les manœuvres iraniennes au pourtour du détroit d’Ormuz depuis 1980.
Le détroit d’Ormuz est un véritable goulet d’étranglement large de 55 kilomètres. Au même titre que le détroit de Bab-el-Mandeb, il est un espace de forte concentration de flux de marchandises. Près de 90% du pétrole produit dans le Golfe, soit entre 20 et 30% du total mondial [1], quitte la région sur des tankers par ce haut lieu [2] de la mondialisation. Les articles 38 et 39 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), confèrent aux navires internationaux le droit de traverser, sans entrave, le détroit d’Ormuz. Des couloirs de navigation sont érigés à travers les eaux territoriales iraniennes et omanaises. Toutefois, la République islamique d’Iran n’a pas ratifié la CNUDM. Le régime iranien se réserve le droit d’ignorer ces règles et d’envisager une fermeture complète du détroit d’Ormuz. Mohammad Reza Rahimi, alors vice-président iranien, déclare le 27 décembre 2011 que « si le pétrole iranien est mis sous sanctions, alors pas une goutte de pétrole ne passera par le détroit d’Ormuz ». Cette déclaration s’inscrit en réponse à l’intensification des sanctions internationales allant à l’encontre de la République islamique depuis sa proclamation en 1979.
Le tournant historique et stratégique : la guerre Iran-Irak (1980-1988)
La menace d’une fermeture du détroit d’Ormuz s’inscrit tel un outil dissuasif pour l’Iran. La posture navale iranienne dans le Golfe est, depuis la Révolution islamique, en perpétuelle reconfiguration. Toutefois, la dissuasion reste une caractéristique historiquement charnière dans la doctrine navale du régime. Ali Bagheri Dolatabadi et Mehran Kamrava, respectivement chercheurs iranien et qatari se sont focalisés sur cette évolution stratégique. Leurs travaux permettent de souligner que la République islamique d’Iran a adopté au lendemain du conflit avec l’Irak une posture navale dite « défensive », avant d’adopter au début des années 2000 une stratégie alternative « défensive – offensive » et d’entamer depuis le milieu des années 2010 une stratégie pleinement « offensive » [3].
Dès septembre 1980, la naissante République islamique fait face à l’invasion de son voisin, l’Irak. Saddam Hussein, alors à la tête du régime irakien, souhaite se prémunir de toutes potentielles révoltes populaires similaires à celles survenues en Iran entre 1978 et 1979. En parallèle, il souhaite endosser le rôle d’hégémon dans les eaux du Golfe Persique, assuré par l’Iran depuis le départ de l’armée britannique. Le conflit armé s’étend depuis la terre, dans les eaux du Golfe. L’Irak entreprend des manœuvres militaires en direction d’infrastructures pétrolières iraniennes. En réponse, Hachemi Rafsandjani, alors président iranien, fait part de la volonté iranienne de paralyser le trafic maritime pétrolières dans le Golfe [4], depuis le détroit d’Ormuz. Le Koweït, allié de l’Irak et inquiet pour ses exportations pétroliers, lance un appel à l’aide international en 1987, auquel les États-Unis répondent. Ces derniers lancent l’opération Earnest Will. Elle vise à offrir aux pétroliers koweïtiens une escorte navale. S’ensuit de nombreux évènements, impliquant tour à tour les Gardiens de la Révolution iranienne en charge de la sécurité au large du détroit d’Ormuz et la marine américaine. L’US Navy inflige à la marine iranienne, des pertes matérielles considérables mais au-delà de l’aspect matériel, l’issue de ce conflit marque un tournant dans la configuration stratégique iranienne en mer.
En 1988, l’Iran est militairement, économiquement et socialement affaibli. Le gouvernement, soucieux de protéger les intérêts de la République islamique entame un examen complet et une révision de sa stratégie militaire navale [5]. Cette période de transition est marquée par l’adoption d’une posture avant tout défensive. L’objectif étant d’éviter toute potentielle confrontation avec les États arabes voisins le temps de reconstruire l’arsenal militaire défait après le conflit contre l’Irak. Jusqu’au début des années 2000, l’Iran ne dispose pas de moyens militaires à la hauteur de ses ambitions. Le régime laisse planer le doute quant à l’efficacité et l’effectivité de ses forces militaires, dans le but de décourager tout potentiel adversaire d’entreprendre des manœuvres offensives à l’encontre de la République islamique.
Le 29 janvier 2002, George W. Bush, dans son discours sur l’état de l’Union inclut l’Iran, au même titre que l’Irak et la Corée du Nord, dans « l’axe du mal » [6]. Accusé de soutenir le terrorisme au lendemain des attentats du World Trade Center, la République islamique est témoin des invasions américaines successives de l’Afghanistan en 2001 et de l’Irak en 2003. L’US Navy renforce, en parallèle, sa présence dans le Golfe Persique en vue de mener une potentielle attaque depuis la mer. L’omniprésence américaine encourage les dirigeants iraniens à revoir leur doctrine auparavant uniquement défensive et dissuasive. L’Iran développe alors ses capacités offensives afin de rendre toute attaque éventuelle contre le régime, prohibitive pour l’adversaire [7]. Pour ce faire, les deux forces armées navales iraniennes voient leurs effectifs renforcés. La coopération entre la Marine de la République islamique (IRIN) et la Marine du Corps des Gardiens de la révolution (IRGCN) est retravaillée et leurs moyens sont accrus. En 2007, le gouvernement iranien redéfinit les zones de responsabilité de ses deux marines, en des districts navals. Les opérations stratégiques menées dans le Golfe Persique sont alors confiées aux Gardiens de la révolution alors que celles en haute mer sont du ressort de la Marine régulière. Le quartier général de l’IRIN est installé à Bandar Abbas, ville portuaire d’une importance capitale dans la reconfiguration stratégique iranienne dans le Golfe. L’Iran a en parallèle œuvré à la militarisation de son littoral, depuis la côte mais aussi depuis les nombreuses îles sous contrôle du régime, dans les eaux du Golfe. L’instauration d’une stratégie dite « défensive – offensive » est toujours fondée sur le principe de dissuasion, mais elle permet au régime iranien d’allier acte et discours. Les forces navales iraniennes sont enclines à mener des actions de déstabilisation capables de surprendre l’ennemi au pourtour du détroit d’Ormuz.
Une nouvelle doctrine stratégique dite « offensive »
Ali Khamenei, Guide suprême de la Révolution iranien depuis 1989, déclare en 2016 qu’afin « de sécuriser, la nation, le pays et l’avenir, en plus de la capacité défensive, la puissance offensive doit être accrue » [8]. Progressivement, l’aspect offensif prend le dessus sur le caractère défensif. Le retrait américain de l’Accord sur le nucléaire iranien en 2018, confirme le régime des mollahs dans l’adoption de cette nouvelle philosophie stratégique.
L’objectif pour Téhéran n’est pas de lutter pour la suprématie dans les eaux du Golfe, mais bien de contrecarrer celle des États-Unis à bas coût.
Les composantes navales occupent un rôle central dans cette reconfiguration. La modernisation des forces maritimes opérée dès 2016, témoigne d’une ambition croissante d’assoir l’emprise iranienne au pourtour du détroit d’Ormuz et dans l’ensemble du Golfe Persique. Cette position est érigée à l’encontre de la politique étrangère des États-Unis et de la présence de la Ve flotte américaine stationnée à Manama depuis 1995. Toutefois, l’objectif pour Téhéran n’est pas de lutter pour la suprématie dans les eaux du Golfe, mais bien de contrecarrer celle des États-Unis à bas coût [9]. Cette doctrine a été plus conçue pour défier ce que les autorités iraniennes perçoivent comme les ambitions hégémoniques de Washington, que pour s’opposer aux rivaux régionaux [10]. La rhétorique stratégique évolue à la fin de la décennie 2010, l’Iran ne se contente plus de simplement répliquer à une potentielle attaque. Le régime affirme être prêt à entamer un conflit armé dès le moindre faux-pas adverse. La doctrine iranienne visant à sanctuariser le territoire, se base une nouvelle fois sur une forme rhétorique dissuasive.
En parallèle, l’Iran a poursuivi son réarmement militaire. L’objectif étant de faire concorder l’aspect rhétorique et la réalité matérielle. Le régime s’est attelé à développer sa capacité en matière de missiles. Ce type d’armement permet d’atteindre des cibles relativement éloignées des côtes iraniennes en un temps record. Le caractère amovible des véhicules transportant les systèmes de lancement est aussi un réel atout en temps de guerre. Le renforcement de l’armée de l’air, vise aussi à renforcer les capacités navales offensives iraniennes et à soutenir une potentielle fermeture du détroit d’Ormuz.
Le développement d’une réponse asymétrique
En réponse à la présence américaine, l’Iran a développé une stratégie asymétrique. Comme au temps de la Guerre froide, cette stratégie réside en la capacité à convaincre l’adversaire potentiel que le prix à payer pour remporter la victoire est disproportionné au regard des dommages qui lui seront infligés [11]. L’asymétrie est une stratégie utilisée par les puissances révisionnistes, qui consiste à agir dans la zone grise pour ne pas être tenu responsable [12]. Pour la République islamique d’Iran, l’asymétrie passe par le développement de moyens militaires non-conventionnels mais aussi par l’adoption de stratégies méticuleusement définies.
Dans un premier temps, le régime iranien a fréquemment recours à la stratégie du déni plausible. Cette dernière réside en la capacité pour l’Iran de mener des attaques sans qu’il soit possible, à court terme, de retracer avec précision l’origine [13]. Pour Benjamin Blandin, cette pratique s’inscrit dans « une guerre de l’ombre ». Le Corps des Gardiens de la Révolution (CGRI) dispose de nombreux bateaux, vifs et furtifs, capables de se dissimuler dans la masse d’embarcations au pourtour du détroit d’Ormuz et d’agir dans la zone grise. Le géographe français Philippe Boulanger définit, dans son ouvrage intitulé « Géographie militaire et géostratégie », les zones grises comme « des zones de non-droit, d’absence ou de faiblesse de l’État sur tout le territoire national ou sur une partie » [14]. Téhéran laisse au CGRI la possibilité d’opérer dans l’ombre, l’objectif étant de contrôler officieusement le pourtour du détroit. Cette stratégie du déni plausible est facilitée par la présence de nombreux bateaux de pêche et de commerce stationnés dans les ports iraniens. Le régime profite de la présence de ces multiples embarcations pour y dissimuler des infrastructures et des bâtiments militaires. Distinguer un « fast boat » militaire au milieu d’une foule d’embarcations via des images satellites, n’est pas chose aisée. Pour les Occidentaux, lors de potentiels incidents, il est difficile de trouver des preuves fiables et de justifier des représailles. La géographie du littoral iranien est alors extrêmement précieuse pour l’Iran. La bonne exploitation du littoral est une caractéristique charnière de cette stratégie navale asymétrique.
Téhéran souhaite rendre l’accès à son espace maritime extrêmement risqué pour ses adversaires.
Dans un second temps, la République islamique a développé une stratégie de déni d’accès. Elle fait référence aux capacités, généralement à longue portée, conçues pour empêcher un ennemi en progression de pénétrer une zone opérationnelle. Cette stratégie est complémentaire avec le déni de zone qui réfère aux capacités généralement de courte portée, conçues non pas pour empêcher l’ennemi d’entrer, mais pour limiter sa liberté d’action dans la zone opérationnelle [15]. Ce type de stratégie est une nouvelle fois issue de la Guerre froide. Présenté sous le prisme du contexte des conflits actuels, le déni d’accès est avant tout la défense d’un territoire face à un envahisseur. En l’occurrence ici, l’Iran a érigé cette stratégie en réponse à la présence américaine dans le Golfe. Téhéran souhaite rendre l’accès à son espace maritime extrêmement risqué pour ses adversaires. Cette stratégie reste avant tout dissuasive [16] mais elle s’inscrit pleinement dans la logique de guerre asymétrique menée par la République islamique.
Afin de mettre en place ces stratégies, l’Iran s’est renforcé sur le plan technologique et militaire. Le régime dispose d’un arsenal de missiles de tous types, enclin à soutenir les manœuvres maritimes et contribuant directement à la dissuasion globale. L’Iran dispose notamment de missiles balistiques ayant une portée plus vaste que celle d’un missile tactique de croisière. Théoriquement, la capacité balistique iranienne est jugée suffisante pour atteindre toutes les bases américaines dans la région [17]. Le gouvernement iranien, conscient du caractère dissuasif de ses missiles, met l’accent sur la médiatisation de ses progrès technologiques en la matière. Les exercices militaires dans le Golfe sont aussi fréquemment relayés par la presse nationale. L’aspect psychologique est central dans la doctrine iranienne.
Bandar Abbas, une ville portuaire d’importance capitale
La ville portuaire de Bandar Abbas est située sur les rives du Golfe Persique, au Nord du détroit d’Ormuz. Le port de Shahid Bahonar abrite la principale base navale iranienne. Cette dernière est pour l’Iran, le garant de la sécurité et du trafic maritime dans le détroit. L’ayatollah Khamenei souligne en juillet 2011, lors d’une visite de la base navale de Bandar Abbas, que « les forces navales de l’armée et du Corps des Gardiens de la Révolution Islamique sont le symbole de l’autorité de la nation iranienne, dans la défense des intérêts de notre pays dans le Golfe Persique et la mer d’Oman » [18]. Le CGRI a déplacé en juillet 2010 l’ensemble de son quartier général de la banlieue de Téhéran à Bandar Abbas afin de faciliter le contrôle opérationnel des forces [19]. Toutefois, la situation géographique de la ville fait que la marine iranienne y a également installé son quartier général. Bandar Abbas étant situé à la jonction entre les eaux du Golfe Persique, sous responsabilité de l’IRGCN, et la haute mer placée sous l’égide de la marine régulière. Les deux forces armées sont amenées à cohabiter et le port de Shahid Bahonar est à l’image de la structure militaire bicéphale du pays. Il est lui-même divisé en deux parties distinctes comme nous le montre l’image satellite ci-dessous. L’IRIN et l’IRGCN disposent d’installations respectivement disposées à l’est et à l’ouest de l’entrée du port. Le nord est quant à lui réservé aux activités civiles, mais la proximité avec les infrastructures militaires est notable. Cette disposition s’inscrit pleinement dans la stratégie de déni plausible mise en place par le gouvernement iranien et développée précédemment.
Les technologies d’ISR (Intelligence, Surveillance and Reconnaissance) [20] permettent, partiellement, aux rivaux de l’Iran de détecter, au sein de ces infrastructures portuaires, les différents bâtiments de guerres opérationnels ou en construction, amenés à manœuvrer dans les eaux du Golfe Persique. La lecture d’articles publiés par la presse locale, est aussi une méthode qui permet de dresser un inventaire plus ou moins précis de l’arsenal militaire iranien. À titre d’exemple, en 2019, les autorités iraniennes ont organisé une cérémonie médiatisée, depuis Bandar Abbas, pour présenter leur nouvelle gamme de sous-marins, le « Fateh » [21]. Téhéran fait de la production nationale de son arsenal une priorité. Le ministère de la Défense iranien dispose notamment d’une « Organisation des Industries de la Marine » entièrement nationalisée et l’une de ses entreprises phare de conception navale, Shahid Darvishi, est implantée à Bandar Abbas. Cette ville portuaire est donc hautement stratégique pour l’Iran mais aussi pour ses potentiels rivaux. La forte concentration d’équipements et d’infrastructures militaires dans la ville reste un facteur de vulnérabilité pour l’Iran.
Bandar Abbas joue aussi un rôle stratégique dans l’économie de la région. Les infrastructures aéroportuaires permettent une insertion directe dans le commerce international. De nombreux pétroliers accostent chaque jour dans le port en eaux profondes de Shahid Rajea et dans le port pétrolier de Foulad Jetty. La raffinerie inaugurée en 1996, à proximité de ce dernier, place Bandar Abbas au cœur du dispositif d’exportations maritimes de l’Iran [22]. La carte ci-dessous met en avant la connexion entre l’hinterland (arrière-pays) et Bandar Abbas. De nombreuses voies de communication, dont une voie chemin de fer, permettent la connexion vers le reste du pays mais aussi vers l’Europe et l’Asie. L’Iran est, en parallèle, au cœur du projet chinois des Nouvelles routes de la soie. Cette initiative vise à faciliter les liaisons commerciales entre la Chine et l’Europe. Pour ce faire, Pékin participe activement à la rénovation et la modernisation des ports de Bouchehr et Bandar Abbas ce qui contribue grandement au dynamisme économique du littoral iranien.
Bandar Abbas dispose donc d’un double intérêt stratégique pour le gouvernement iranien. D’un côté, sur le plan militaire, cette ville portuaire s’affirme comme une base arrière stratégique à proximité directe du détroit d’Ormuz. La présence de nombreuses infrastructures et bâtiments militaires permet au régime d’assurer un certain contrôle sur cette zone. De l’autre côté, malgré les sanctions économiques, Bandar Abbas reste une ville insérée dans la mondialisation. Les flux maritimes mondiaux et régionaux lui confèrent un caractère économique et commercial stratégique.
La stratégie iranienne à l’origine d’une reconfiguration de l’ordre géostratégique régional ?
La stratégie navale iranienne repose sur un fort ancrage territorial depuis le littoral. Ce dernier dispose d’une multitude d’avantages géographiques sur lesquels l’Iran s’est appuyé pour renforcer son emprise au pourtour du détroit d’Ormuz. La République islamique s’appuie aussi sur un certain nombre d’îles situées dans le Golfe. Trois d’entre-elles sont une source de tensions historiques avec les Émirats Arabes Unis (EAU). En effet, le statut des îles d’Abou Moussa, de Petite et Grande Tomb est sujet de controverse entre iraniens et émiratis. Le conflit remonte à 1971, date de la création des EAU. L’Iran, alors sous domination du shah envahi quelques jours avant la proclamation d’indépendance des EAU, ces trois îlots, dont la superficie ne dépasse pas les 10 km2. Depuis ce jour, ces trois îles sont revendiquées par les EAU mais restent sous contrôle iranien. La présence de quelques ressources pétrolières justifie en partie cette occupation, mais c’est avant tout leur position géographique, qui confère à ces îlots, leur intérêt stratégique. Dans le cadre de sa nouvelle posture stratégique, l’Iran a largement renforcé sa présence militaire dans ces îles du Golfe Persique [23]. Au même titre que les îles de Qeshm, Hormuz ou encore Larak, ces îlots revendiqués par les EAU, constituent une ligne de défense avancée et militarisée. L’installation de missiles balistiques et tactiques sur ces territoires insulaires permettent à l’Iran d’élargir son champ d’action en matière de dissuasion.
Ces actions de constante militarisation de la région ne sont pas sans répercussions de l’autre côté du Golfe Persique. Les États du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) œuvrent en conséquence à la modernisation de leur arsenal militaire. Les marines des États du Golfe sont très longtemps restées cantonnées à un stade de développement embryonnaire par rapport aux forces aériennes et terrestres [24]. Selon Kévin Thievon, la composante navale fut historiquement délaissée par les pays du CCG puisque la présence de la Ve flotte américaine leur assurait une protection suffisante. Seulement, ces États ont cherché à se détacher progressivement du parapluie américain sous lequel ils se tenaient depuis la guerre Iran-Irak. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis ont accru leur velléité isolationniste en se retirant notamment d’Afghanistan. Cette tendance au retrait a encouragé les États du Golfe à développer leurs capacités à assurer, eux-mêmes, la sécurité dans leurs eaux territoriales. Pour ce faire, depuis 2010, les États membres du CCG ont affecté des budgets croissants au domaine militaire. Par exemple, le Qatar a augmenté de près de 518% son budget militaire entre 2010 et 2021 pour atteindre un total d’environ 11,6 milliards de dollars. Cette tendance à l’augmentation est notable pour tous les pays de la côte ouest du Golfe Persique. Toutefois, la modernisation navale opérée depuis 2010, ne repose pas uniquement sur l’achat à outrance d’équipements dernier cri et sur l’augmentation du budget alloué à la marine. En effet, elle repose aussi sur la transformation de la philosophie navale en mettant l’accent sur l’amélioration du moral et la formation des marins à l’utilisation de technologies de pointe [25].
Le retrait progressif américain et l’émergence, sur le plan naval, de l’Iran tel un acteur enclin à endosser le rôle de leader régional a poussé les États du CCG à moderniser leurs marines respectives. A titre d’exemple, l’Iran est le seul État de la région qui dispose de sous-marins capables d’opérer dans le Golfe. Les partenariats iraniens, avec la Russie et récemment la Chine contribuent à renforcer la posture militaire du régime. L’adhésion de l’Iran à l’Organisation de Coopération de Shangaï en septembre 2021 a facilité le rapprochement sino-iranien. Comme évoqué précédemment, la Chine joue un rôle clé dans la redynamisation économique du littoral en Iran. Sur le plan militaire, les deux pays ont, aux côtés de la Russie, réalisés des manœuvres navales conjointes dans l’Océan Indien en 2022. L’objectif affiché était de « renforcer la sécurité commune » [26].
Conclusion
Les considérations géostratégiques et commerciales sont, en mer Rouge, similaires à celles observables au pourtour du détroit d’Ormuz. Les Houthis font planer la menace de leurs actions sur le trafic maritime mondial à l’instar des multiples mises en gardes iraniennes de fermeture du détroit. Une fois de plus, il est possible de faire le parallèle entre ces deux situations.
Pour ce qui est du gouvernement iranien, la tactique asymétrique adoptée vise à handicaper l’hégémonie apparente de la marine américaine dans le Golfe tout en anticipant l’implantation de navires étrangers et alliés des États-Unis dans la zone. L’éventualité d’un déploiement militaire dans le Golfe étant une option étudiée depuis le 7 octobre 2023. En revanche, la marine iranienne s’est alors affirmée comme la plus encline, sur le plan régional, à mener des opérations d’envergure dans la région. Ces actions sont renforcées et consolidées par des relations économiques, commerciales et militaires de plus en plus fortes avec la Chine. La République islamique d’Iran n’est donc bel et bien pas en mesure d’assurer le leadership dans l’immédiat, mais la stratégie navale appliquée dans le Golfe confère au régime une plus vaste marge de manœuvre sur le plan militaire. En une trentaine d’années, la République islamique d’Iran s’est considérablement renforcée sur le plan naval. L’arsenal militaire iranien est en constante modernisation. Il repose sur de forts partenariats stratégiques et l’objectif étant de répondre aux nouvelles attentes du régime, toujours plus ambitieuses.
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Mots-clés :
[1] PAGLIA, Morgan, (2021), « Détroit d’Ormuz : la guerre des nerfs », Politique Étrangère, Institut français des relations internationales, 2021/2, pp. 139-150.
[2] BRUNET, Roger, (dir) ; FERRAS, Robert ; THÉRY, Hervé, (1993), Les mots de la géographie, dictionnaire critique, 3e édition, Reclus – La Documentation Française, Paris – Montpellier, p. 252.
[3] BAGHERI DOLATABADI, Ali ; KAMRAVA, Mehran, (2022), “Iran’s changing naval strategy in the Persian Gulf : motives and features”, British Journal of Middle Eastern Studies.
[4] « Irak – Iran. Attaques de pétroliers dans le Golfe », Universalis.
[5] BAGHERI DOLATABADI, Ali ; KAMRAVA, Mehran, (2022), op. cit.
[6] Bush George W, State of the Union Adress¸ 29 janvier 2002.
[7] BAGHERI DOLATABADI, Ali ; KAMRAVA, Mehran, (2022), op. cit.
[8] « Le commandant en chef visite l’exposition de l’industrie et de la Défense et rencontre des responsables et des experts du ministère de la Défense », Khameinei.ir, 31 août 2016.
[10] THERME, Clément, (2022), « La stratégie maritime de la République islamique d’Iran : défis et enjeux », Les Grands Dossiers de Diplomatie, n°69, pp. 86-89.
[11] RODIER, Alain, (2010), « La doctrine asymétrique des forces iraniennes », Centre Français de Recherche sur le Renseignement, note d’actualité n°206.
[12] Entretien réalisé avec Mathieu, un chercheur aigri et spécialiste des rivalités navales dans le Golfe Persique.
[13] BLANDIN, Benjamin, (2023), « Les stratégies de déni d’accès mises en place par l’Iran », IRIS Asia Focus, n°196.
[14] BOULANGER, Philippe, (2015), « Le développement des zones grises », in, P. Boulanger, Géographie militaire et géostratégie, Armand Colin, pp. 147-172.
[15] “Joint Operational Access Concept”, U.S. Department of Defense, 17 janvier 2012.
[16] LAGRANGE, François, (2016), « L’A2/AD ou le défi stratégique de l’environnement contesté », Revue Défense Nationale, n°794, pp. 67-72.
[17] RAZOUX, Pierre, (2022), « Que penser de l’arsenal balistique iranien ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie, n°69, p. 83.
[18] « Le Guide suprême a visité la force navale de l’armée iranienne à Bandar Abbas », Leader.ir, 23 juillet 2011.
[19] NADIMI, Farzin, (2020), “Iran’s Evolving Approach to Asymmetric Naval Warfare”, Policy Analysis, The Washington Institute for Near East Policy.
[20] En français : Renseignement, Surveillance et Reconnaissance.
[21] « La marine iranienne met un nouveau type de sous-marin en service », Laurent Lagneau, Zone Militaire, 18 février 2019.
[22] MICHELIS, Léa, (2019), L’Iran et le détroit d’Ormuz. Stratégies et enjeux de puissance depuis les années 1970, L’Harmattan, Paris, p. 65.
[23] BAGHERI DOLATABADI, Ali ; KAMRAVA, Mehran, (2022), op. cit.
[24] THIEVON, Kévin, (2023), “New Ambitions at Sea : Naval Modernisation in the Gulf States”, International Institute for Strategic Studies.
[25] THIEVON, Kévin, (2023), op. cit.
[26] « L’Iran participe à des manœuvres navales conjointes avec la Russie et la Chine dans l’Océan Indien », Radio France internationale, 20 janvier 2022.
Nous voici dans la troisième grande confrontation entre Israël et la République islamique d’Iran. Il y a eu d’abord l’épisode libanais où l’Iran a utilisé des organisations armées chiites locales – le Hezbollah en premier lieu – pour affronter les occupants israéliens de 1982 à 2000 et même un temps les puissances occidentales qui avaient osé défier Téhéran. Ce front a connu une résurgence dans la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, pour se calmer ensuite. Les affrontements se sont déplacés secrètement sur le sol iranien afin d’y freiner le programme nucléaire par des sabotages informatiques ou des assassinats d’ingénieurs puis plus ouvertement en Syrie par des raids aériens après l’intervention iranienne de 2013 en soutien du régime d’Assad. L’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas soutenu par l’Iran et ses alliés a ouvert une nouvelle phase dans cet affrontement sous le seuil de la guerre ouverte et générale. Il a d’abord pris la forme classique d’échanges de coups de la part et d’autres de la frontière israélienne avec le Liban et la Syrie, y compris jusqu’à Beyrouth et Damas, et puis des choses nouvelles sont arrivées.
Plus on en montre et moins on tue
L’art opérationnel sur la limite de la guerre consiste à obtenir des effets militaires sans provoquer une guerre ouverte. Pour cela on combine de manière inverse la violence et la démonstration. On assassine et parfois même on combat secrètement, on accroche brièvement et ponctuellement – comme en février 2018 à Koucham en Syrie entre Russes et Américains ou comme lorsque les Israéliens frappent le consulat iranien à Damas le 1er avril – mais on fait des tonnes de démonstration lorsqu’on ne veut pas vraiment tuer. Dans ce dernier cas, on peut parader au loin, se déployer face à l’adversaire (plus risqué) et même l’attaquer mais sans intention de lui faire mal. On parlera alors de « pseudo-opération ». Le raid français du 17 novembre 1983 sur la caserne Cheikh Abdallah dans la plaine de la Bekaa en est un bon exemple. Il s’agissait de répondre à l’attaque terrible du 23 octobre précédent mais sans provoquer d’engrenage, autrement dit « faire semblant ». Ce jour-là Huit Super-Etendard de la Marine ont décollé du porte-avions Clemenceau pour larguer 34 bombes sur une zone où tout le monde avait été alerté auparavant, à l’exception d’un malheureux berger et ses moutons. L’opération lancée le 8 janvier 2020 en réponse à l’assassinat à Bagdad par les Américains du général Qassem Soleimani cinq jours plus tôt a procédé de la même logique. Les Iraniens avaient alors lancé quinze missiles balistiques sur deux bases américaines en Irak, mais seulement après avoir averti les États-Unis via l’Irak. Dans les faits ces attaques n’ont provoqué aucun mort et seulement peu de dégâts, mais l’Iran a pu annoncer un bilan faux mais triomphant tandis que de son côté Donald Trump a pu minimiser l’affaire. La confrontation en est restée sur ce point d’équilibre.
On savait – et les Israéliens les premiers – que de la même façon que l’Iran répliquerait forcément à l’attaque du 1er avril à Damas, où son consulat, et donc son territoire, avait été frappé par un raid aérien provoquant la mort de personnalités importantes de la force al-Qods. Ces personnalités, en particulier les généraux Zahedi et Rahimi qui coordonnaient l’action des organisations arabes alliées de l’Iran dans la région, constituaient sans doute des cibles trop tentantes pour les Israéliens qui ont donc tenté une « pointe » de violence au-delà du seuil de la guerre sans la revendiquer. Aucun État ne peut laisser attaquer son ambassade sans réagir. La réponse iranienne était inévitable, seule sa forme posait question.
Cette réplique ponctuelle pouvait jouer sur tout le spectre de l’action violente sous le seuil de la guerre ouverte, depuis l’attentat terroriste non revendiqué, comme celui de 1992 contre l’ambassade d’Israël en Argentine (29 morts et 242 blessés) jusqu’au lancement affiché de salves de roquettes, drones ou missiles. Ces attaques aériennes de quelques dizaines à quelques centaines de projectiles peuvent viser des objectifs périphériques, comme celles des 15 et 16 janvier à Idlib en Syrie, au Baloutchistan pakistanais et à Erbil contre une base supposée du Mossad après l’attentat du 3 janvier par l’État islamique, ou directement le territoire israélien. L’Iran pouvait utiliser ses alliés pour cela ou le faire directement et ouvertement. Les Iraniens ont choisi cette option maximale, rompant ainsi les habitudes de dizaines d’années de confrontation. Quand on rompt des habitudes, on surprend et les surprises doivent toujours être étudiées avec soin car elles indiquent peut-être des phénomènes nouveaux.
La salve a été massive avec plus de 300 engins sans pilotes à bord, peut-être un record historique, emportant environ 70 tonnes d’explosif au total. La majorité de ces projectiles – 185 – était composée de drones Shahed volants bas et lent. Ils sont mis plusieurs heures à atteindre Israël, ce qui a contribué à la mise en alerte de tous les systèmes de défense aérienne (SDA) de la région, sans espoir de faire beaucoup de dégâts mais espérant au moins de saturer en partie la défense. Dans cette orchestration, les drones ont été rejoints sur l’objectif par 36 missiles de croisière plus rapides et lancés plus tard, et enfin par sans doute la vraie force de frappe de 110 missiles balistiques venant directement d’Iran mais aussi marginalement depuis l’Irak, le Yémen et le Liban, accompagnés par plusieurs dizaines de roquettes à courte portée sur la frontière israélienne. Les objectifs visés étaient, semble-t-il, uniquement militaires, en particulier les bases aériennes d’où avaient décollé les avions qui ont bombardé le consulat d’Iran à Damas.
D’un point de vue tactique, l’attaque a servi de test, à la fois de la capacité d’attaque iranienne – organisation, fiabilité et précision des équipements utilisés, estimation des résultats – et du SDA israélien et éventuellement des alliés. De ce point de vue, les résultats de ce bref affrontement entre un des plus puissants arsenaux de frappe sol-sol et un des SDA les plus denses et performants au monde sont ambivalents. Les autorités israéliennes affirment, avec l’aide d’alliés de circonstances, avoir abattu « 99 % » de ces projectiles et qu’il n’y eu que des dégâts insignifiants. Il semble cependant que plusieurs missiles balistiques, entre 7 et 15 selon les versions, aient quand même réussi à percer le SDA et infliger quelques dégâts sur les bases aériennes de Nevatim et de Ramon dans le Néguev ainsi qu’un site sur de surveillance sur les hauteurs du Golan, tandis qu’une enfant a été blessée dans la bataille.
L’Iran dispose peut-être encore de la capacité de lancer vingt salves de même volume, ou moins nombreuses mais plus puissantes afin de mieux saturer le SDA israélien. Sur la durée, on ne sait pas bien si les Israéliens disposent d’une réserve de coûteux missiles d’interception suffisante pour faire face à toutes ces salves. Si rien ne change par ailleurs, l’Iran pourrait donc frapper le sol israélien d’un ordre de grandeur de 200 missiles. C’est à la fois peu en soi, à peine 100 à 150 tonnes d’explosif soit très largement moins que ce que l’armée de l’Air israélienne a lancé sur Gaza, mais alors que les 36 missiles Scud lancés par l’Irak sur Israël en 1991 avaient traumatisé la société, on peut imaginer ce que provoquerait ces 200 missiles modernes sur Tel-Aviv ou Haïfa. Il est probable cependant qu’Israël et sans doute ses alliés ne laisseraient pas à l’Iran la possibilité de lancer impunément toutes ces salves.
À plus long terme, l’Iran dispose donc d’une capacité statistique de percer le SDA en jouant de la masse, mais pas de la capacité à coup sûr nécessaire pour une éventuelle capacité nucléaire de seconde frappe. Il lui faut pour cela disposer d’abord de points de départ suffisamment diversifiés et durcis pour résister à une attaque, y compris nucléaire, puis de vecteurs presque invulnérables – ce qui passe probablement par l’acquisition de technologie hypervéloce – et bien sûr un nombre minimal de têtes nucléaires. Trois seraient actuellement en préparation. Avec peut-être une aide de la Russie, proche de celle qu’elle offre à la Corée du Nord, l’Iran peut espérer une capacité nucléaire fragile dans les deux ans qui viennent et une capacité de seconde frappe à l’horizon 2030.
L’art opérationnel sur la limite
En avertissant tout le monde avant du déclenchement de cette opération, que l’on savait n’obtenir que de faibles effets matériels, puis en expliquant ensuite que pour eux l’affaire était « soldée », les Iraniens ont choisi de rester dans le cadre d’une pseudo-opération, peut-être la plus importante de l’histoire, destinée à sauver la face tout en offrant aux Israéliens le bénéfice d’une victoire défensive et le moins possible de raisons de répliquer à leur tour. Elle a permis aux Israéliens de sortir au momentanément de leur isolement diplomatique, en obligeant les Occidentaux mais aussi certains États arabes comme la Jordanie et l’Arabie saoudite à se placer militairement à leur côté – une première depuis 1956 – et donc aussi en porte-à-faux vis-à-vis d’une grande partie de leur opinion publique.
Le plus intéressant est peut-être que l’Iran n’a pas été dissuadé de se lancer dans une opération qui représente une rupture symbolique forte. L’invincibilité militaire israélienne a été la pierre angulaire de la politique de la région pendant des générations. Cette invincibilité a été mise à mal une première fois le 7 octobre 2023 par la percée de la barrière défensive, mais aussi partiellement à partir de janvier 2024 par l’essoufflement de l’opération offensive Épées de fer à Gaza. On constate maintenant que l’Iran n’a pas hésité à son tour à attaquer le territoire israélien depuis le sien, ce qu’il s’était refusé de faire. Israël peut donc prendre des coups et sa fureur ne fait plus aussi peur. On est vraiment dissuadé de faire quelque chose que si on est persuadé que la riposte ennemie sera plus désavantageuse pour soi que sa propre attaque ne l’est pour lui. L’Iran n’a donc pas craint, du moins pas craint suffisamment, la riposte israélienne pour l’empêcher d’agir.
Peut-être pense-t-il que le résultat gagnant-gagnant de son opération empêche Israël rationnellement de riposter et de gâcher ses gains. Notons au passage, ce paradoxe qui veut que toujours dans cet art de la guerre sous le seuil ou à la limite que l’existence d’un bouclier a tendance à inciter l’adversaire à attaquer car il sait que cette attaque ne suscitera pas l’indignation accompagnant le spectacle des destructions et des dizaines voire des centaines de corps d’innocents meurtris. Les pseudo-opérations sont des opérations propres. Peut-être l’Iran estime-t-il à son tour ne pas craindre matériellement une attaque sur son propre sol car les capacités de frappe à distance des Israéliens ne sont pas jugées très importantes et en tout cas que les cibles potentielles sont bien protégées par leur propre SDA, peut-être renforcé par la Russie, et surtout leur durcissement et enfouissement. Peut-être enfin qu’en conservant une grande partie de sa force de frappe balistique, l’Iran peut estimer pouvoir encore faire très mal en « riposte à la riposte » israélienne » par une riposte encore plus massive et sans avertissement cette fois. L’attaque « propre » du 13 avril pourrait ainsi apparaître comme un ultime avertissement prouvant sa détermination à aller vers quelque chose de beaucoup plus grave.
En résumé, le pouvoir iranien, qui doit faire face à une contestation intérieure forte, a estimé que les gains espérés d’un franchissement ponctuel seuil de la guerre – sauver la face, jouer de la menace extérieure pour retrouver une légitimité interne, se placer en vrai ennemi d’Israël et défenseur de la cause palestinienne – surpassaient les risques, y compris sur le précieux programme nucléaire.
Dilemmes de la fureur
Le problème pour l’Iran est que le pouvoir israélien, quoique divisé, est sensiblement dans les mêmes dispositions. Si l’Iran voit son attaque comme une riposte légitime et suffisante, Israël la perçoit comme une agression directe et inédite de son territoire qui impliquerait normalement une réponse. En temps normal, cette réponse israélienne aurait été immédiate et de même nature en jouant également de la force de frappe aérienne.
Depuis l’opération Opera en 1981 contre l’usine Osirak jusqu’au raid au Soudan en 2009 contre un convoi d’armement iranien en passant par le raid de 1985 sur le QG de l’OLP à Tunis (2 300 km) ou sur le réacteur graphite-gaz dans la province syrienne de Deir ez-Zor en 2007, l’armée de l’Air israélienne a montré depuis longtemps sa capacité à mener des raids à grande distance. Avec sa combinaison F-35A furtifs pour ouvrir le passage et escorter et de F15I avec 10 tonnes d’emport de charge dont des missiles Delilah à 250 km de portée, les Israéliens peuvent lancer des attaques à plusieurs dizaines de tonnes d’explosif (17 tonnes lors de l’opération Orchard en Syrie) avec cependant deux limitations fortes : une capacité de ravitaillement en vol réduite à 4 avions KC-46 Pegasus et le manque (apparent) de projectiles à très forte pénétration, ce qui réduit forcément l’impact sur des installations durcies iraniennes. Israël peut aussi utiliser conventionnellement sa force de missiles Jéricho II ou III, normalement destinée à sa force de frappe nucléaire. Techniquement Israël peut donc lancer à son tour des attaques contre l’Iran, et, quoique limitées par la distance, plus puissantes au bilan que celles de l’Iran.
Toute l’histoire israélienne annonce un ou plusieurs raids aériens contre l’Iran, la retenue de 1991 face à l’Irak de Saddam Hussein constituant l’exception. Le frein principal est sans doute constitué par l’existence d’une autre guerre en cours depuis six mois contre le Hamas et qui est loin d’être terminée. La sagesse consisterait à ne pas multiplier les ennemis, comme en 2006 lorsque les opérations militaires commencées contre le Hamas à Gaza avaient dérivé en guerre contre le Hezbollah et le Liban (pour que son gouvernement agisse contre le Hezbollah) avec même la tentation à l’époque de s’attaquer aussi en même temps à la Syrie. Le résultat de cette hubris n’avait pas, pour le moins, été probant. Mais d’un autre côté, en se lançant dans le raid contre le consulat iranien à Damas, le gouvernement israélien actuel savait pertinemment qu’il se trouverait devant ce dilemme. Il peut considérer qu’une guerre parallèle contre l’Iran à coup de raids réciproques serait gérable, et d’autant plus que l’efficacité du bouclier défensif la rendrait relativement sûre. On retrouverait ainsi le schéma de guerre à distance qui a prévalu à plus petite échelle mais fréquemment entre le Hamas ou le Jihad islamique à Gaza et Israël de 2006 à 2021. Cela permettrait même à Netanyahu d’avoir in extremis une place d’honneur dans l’histoire en détruisant ou au moins en entravant un programme nucléaire iranien qui fait peur à beaucoup de monde. La sacro-sainte capacité de dissuasion israélienne s’en trouverait également renforcée.
Pour autant, les mêmes qui seraient effectivement satisfaits de l’arrêt du programme nucléaire iranien s’inquiètent aussi beaucoup des moyens qui seraient utilisés par les Israéliens pour l’obtenir. Les effets d’une guerre irano-israélienne ne seraient pas limités aux deux protagonistes mais affecteraient toute la région mais aussi le monde ne serait-ce que par la grave perturbation du trafic commercial, en particulier pétrolier, comme dans les années 1980. Ils poussent tous à la retenue israélienne, ou au moins à une forme d’attaque plus discrète. Reste à savoir dans quelle mesure, ils seront écoutés.
Un autre problème majeur est l’existence de cet ennemi proche pour Israël constitué par le Hezbollah et dont la capacité de frappe est également considérable. De fait, depuis le début de la nouvelle guerre contre le Hamas la tentation est forte du côté israélien de profiter de l’occasion pour mettre également fin à la menace du Hezbollah en détruisant sa force de frappe et en le repoussant au nord du fleuve Litani. D’un autre côté, le Hezbollah lui-même fait le minimum pour montrer sa solidarité avec le combat du Hamas et répondre aux attaques israéliennes mais, malgré les centaines de morts qu’il a subis, sans franchir le seuil de la guerre ouverte. Le Hezbollah n’a participé que de manière marginale à l’attaque du 13 avril. Une guerre d’Israël contre l’Iran pourrait l’obliger à surmonter ces réticences et utiliser sa propre force de frappe contre le territoire israélien avec peut-être même la possibilité de lancer des raids terrestres.
D’un autre côté, les Israéliens peuvent aussi déclencher une grande campagne aérienne contre le Hezbollah comme en 2006, mais cela provoquerait en retour une pluie de missiles, drones et surtout roquettes sur Israël. Israël peut faire l’impasse, considérant qu’il a, comme face à l’Iran, les moyens permettant de s’en protéger, mais le problème de cette campagne réciproque de frappes est surtout qu’elle ne produirait pas de résultat stratégique. Le Hezbollah aussi peut résister matériellement à une campagne de frappes et même politiquement au Liban où on considérerait que cette nouvelle guerre serait de la responsabilité d’Israël. Ce ne sont pas en tout cas les missiles et bombes guidées israéliens qui repousseront le Hezbollah jusqu’au Litani, pour cela il faudrait lancer une opération terrestre qui serait problématique alors que celle contre le Hamas, un adversaire plus faible, n’est pas terminée et que cela fait six mois que les réservistes ont été mobilisés, sans doute un record dans l’histoire israélienne.
Bref, on se trouve au bord d’une nouvelle guerre ouverte. En regardant le passé tout y pousse, en regardant l’avenir possible tout la freine.
Les États arabes se rendent à l’évidence : seuls les États-Unis et leurs alliés occidentaux peuvent dissuader les Iraniens d’étendre leur influence au Moyen-Orient
Tribune
Par Jean-Paul Ghoneim – IRIS – publié le 17 avril 2024
Après des années de flottement, de tentatives d’établir de nouvelles alliances, de recherche d’une plus grande autonomie vis-à-vis de l’Occident, les pays du Golfe semblent se rendre à l’évidence : les tentatives de rapprochement avec l’Iran n’ont pas permis de contenir la menace de Téhéran que ce soit au Yémen, en Syrie ou en Irak. Au moment des choix cruciaux, les pays de la région se sont rangés du côté des États-Unis et de leurs alliés pour faire échec à l’attaque aérienne de l’Iran contre Israël.
Le pragmatisme qui guide la prise de décision des principaux dirigeants du Golfe a été le moteur de cette décision. Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre contre Israël, les États de la région, à l’exception d’Oman très en pointe dans la dénonciation d’Israël, ont été très peu vocaux dans la condamnation de la riposte massive d’Israël. Ils se sont contentés pour la plupart à lancer des appels au cessez-le-feu, certains comme le Qatar se sont engagés dans la médiation entre Hamas et Israël pour l’instauration d’une cessation des combats et un échange des otages contre des prisonniers palestiniens, tous ont envoyé des aides humanitaires pour soulager la population de Gaza mais peu de voix se sont élevées pour condamner Israël.
Les attaques en mer Rouge, une menace prise au sérieux
L’entrée en action des Houthis en mer Rouge contre les navires supposés appartenir à des pays soutenant Israël a suscité de graves inquiétudes chez les Saoudiens qui ont concentré tous leurs projets futuristes sur cette façade maritime. Il en va de même pour les Égyptiens qui subissent des pertes considérables. L’une des principales sources de revenus du pays réside dans les droits de passage par le canal de Suez (8 milliards de dollards). La Chine non plus n’a pas réagi à ces actions qui entravent leurs échanges commerciaux. Ce silence est dû pour l’essentiel, côté saoudien, à la volonté de ne pas rompre le fragile équilibre de la trêve au Yémen et pour l’Égypte au désastreux souvenir de son engagement au Yémen dans les années 60.
Seules les marines occidentales et l’Inde ont permis tant bien que mal d’assurer la continuité de la navigation en mer Rouge. C’est une évidence et un signal fort envoyé aux alliés de la région, tentés un moment d’aller voir ailleurs.
Les limites de la diplomatie
La diplomatie a démontré ses limites. L’accord signé à Pékin en avril 2023 entre les Saoudiens et les Iraniens a permis certes de normaliser les relations entre les deux pays mais la méfiance est restée de mise. Aucun des problèmes liés à l’ingérence de Téhéran dans la région n’a été réglé. L’influence iranienne est patente auprès des Houthis du Yémen, comme elle l’est en Syrie, en Irak ou au Liban que ce soit directement ou au travers des différentes milices qu’il y a créées et qui sont sous le commandement de la force Al-Qods des Gardiens de la révolution iraniens.
Un des exemples les plus notables est la Syrie. La Jordanie qui a beaucoup œuvré avec l’Arabie de Mohammed Bin Salman pour la réintégration de Damas dans le giron arabe dans l’espoir de limiter les trafics de drogues (Captagon) et d’armes s’est rendue à l’évidence. Le régime de Bachar Al-Assad n’a tenu aucune de ses promesses et les milices proches du cercle familial du dirigeant syrien et de ses alliés iraniens ont même accentué leur trafic ce qui a nécessité l’intervention de l’armée jordanienne en territoire syrien.
La présence de Téhéran est partout dans l’arc de cercle qui va du Liban à l’Irak et au Yémen au sud. Dans ces conditions les craintes saoudiennes sont justifiées et ses espoirs de neutraliser l’influence iranienne déçus. De plus, les importantes capacités en termes de missiles et de drones développées par l’Iran ces dernières années et dont l’Arabie saoudite a subi les effets lors des attaques revendiquées par les Houthis en 2019 contre les installations pétrolières d’ARAMCO sont une source d’inquiétude. Les pays de la région souhaitent installer un système de protection antiaérien que seuls les Américains ou les Israéliens seraient capables de fournir.
Les Américains reprennent la main
De leur côté les Américains n’ont pas ménagé leurs efforts pour regagner l’influence perdue ces dernières années. Les visites à Riyad d’Anthony Blinken, Lloyd Austin, du Général Erik Kurilla, commandant du Central command, et d’autres hauts responsables américains se sont multipliées depuis le 7 octobre. Riyad est (re)devenu un interlocuteur majeur de Washington et a retrouvé sa place d’allié privilégié. Ce qui flatte l’ego de Mohammed Ben Salmane qui a avait été meurtri par le fait d’être traité en paria après l’assassinat de Jamal Khashoggi. La pusillanimité des Chinois réticents à s’engager en mer Rouge où pourtant leurs intérêts sont en jeu a fait le reste.
Dans ce contexte de fortes tensions, il n’est pas étonnant que les pays de la région aient choisi leur camp. Il est vrai que Washington dispose de trente mille militaires dans la région. L’aide non négligeable en termes d’engagement direct pour la Jordanie, d’autorisations de survols pour les aviations occidentales dans les autres pays, les renseignements fournis par les pays de la région traversés par les drones et missiles iraniens lors de leur attaque du 13 avril ont été d’une aide précieuse même si ces États se sont abstenus de tout commentaire sur l’aide fournie aux alliés occidentaux y compris Israël.
En participant activement à l’opération, la Jordanie a pris un risque important en allant à contre-courant de la majorité de sa population qui manifeste massivement devant l’ambassade d’Israël à Amman. Le Royaume hachémite avance l’argument de la défense de son espace aérien mais l’a autorisé aux chasseurs israéliens qui ont abattu un grand nombre de missiles et de drones au-dessus de la Jordanie.
Pour les pays de la région, la menace iranienne pèse très lourd dans la balance et les capacités ou la volonté d’action de la Russie et de la Chine sont encore loin de répondre aux attentes et aux impératifs de sécurité que ces pays attendent de leurs alliés.
Après l’attaque sur le consulat d’Iran à Damas et la mort de plusieurs Gardiens de la révolution, la tension est montée au Moyen Orient et nous sommes sans doute à l’aube d’une grave escalade. En effet les Iraniens ont répliqué en envoyant une pluie de drones et de missiles sur Israël. Pratiquement tous ont été interceptés par le dôme de fer israélien…
Il est intéressant dans ce contexte de rappeler que le ministre des Affaires étrangères iranien, au cours d’une tournée diplomatique, est allé à Oman rencontrer Mohamed Abdel- Salam, le porte-parole du mouvement yéménite Ansarullah, afin de lui confirmer, lors d’une réunion sur la situation dans la zone, que c’était avec du matériel et des missiles américains que ces attaques menées à Damas avaient été perpétrées… Ce qui explique l’inquiétude de la Maison blanche quant à la riposte iranienne sur Israël.
C’est dans ces circonstances que les rebelles houthis du Yémen vont sans doute faire parler d’eux…
Leur grand retour sur la scène internationale fait penser à une histoire à la Walt Disney… Ces « rebelles » Houthis, ces « va-nu-pieds », de religion zaïdiste, proche du chiisme iranien, se battent depuis 10 ans face à l’Arabie Saoudite, les Émirats Arabes Unis, les Etats-Unis et les européens pour conserver leur territoire, leur accès à la mer du Golfe d’Aden…
Rappelons que dans la nuit du 25 mars 2015, Mohamed ben Salmane, le prince héritier d’Arabie Saoudite, lance l’opération « tempête du désert », dans l’un des pays les plus pauvres du monde. Il s’agit de remettre au pouvoir Abdrabbo Mansour Hadi, qui avait été renversé par ces mêmes « va-nu-pieds » et s’était réfugié à Ryad, ce qui lui avait valu le surnom de « cafetier de Ryad » par ses opposants.
Cette guerre fut une véritable catastrophe humanitaire, passée sous silence par la communauté internationale : plus de 377.000 morts, dont plus de 11 000 enfants mutilés selon l’UNICEF.
Mohamed ben Salmane avait promis que la guerre serait finie rapidement… C’était sans compter sur la résilience des rebelles Houthis…
Le total mépris de la communauté internationale a ainsi contribué à renforcer ces combattants des montagnes qui contrôlent 50% du pays et qui ont réussi à attaquer les sites pétroliers d’ARAMCO dans l’est de l’Arabie, rappelant ainsi leur endurance et contraignant Mohamed ben Salmane à la négociation…
Personne n’avait rien vu venir…
Et pourtant ces mêmes Houthis ont été invités au Parlement européen en 2019, malgré, il est vrai, la résistance de certains groupes parlementaires, qui se refusaient à inviter ces va- nu-pieds des montagnes…
Et quelle ne fut pas la surprise des quelques courageux parlementaires qui avaient accepté de participer à cette réunion de voir arriver une délégation d’élégants Yéménites conduite par le porte- parole d’Ansarullah, Mohamed Abdel Salam.
Tous ont pris la parole expliquant la situation militaire, économique, humanitaire de la région et leur volonté de voir la mise en place des accords de Stockholm qui avaient été signés en 2018 sous l’égide du représentant des Nations-Unies, Martin Griffith… Ils venaient demander de l’aide à l’Europe…
De plus Hisham Sharaf, le ministre des Affaires étrangères avait accepté de faire une conférence en visio avec les membres de Geopragma afin d’expliquer la situation et le rôle que l’Europe pouvait jouer… Occasion manquée !
Tout ceci est resté lettre morte, mais l’aventure de nos va-nu-pieds ne s’arrête pas là.En effet, reboostés par l’horreur de la destruction de Gaza, se sentant solidaires des palestiniens, les voilà qui, à la stupéfaction générale, narguent la communauté internationale en perturbant le trafic maritime en Mer Rouge.
Il s’agit d’empêcher les navires se dirigeant vers Israël de franchir le détroit de Bab-el-Mandeb et de continuer leur route en Mer Rouge… les forçant à contourner par le Cap de Bonne Espérance.
Les forces houthis testent ainsi les capacités de la marine américaine et changent les stratégies de sécurisation des routes maritimes commerciales… En effet l’utilisation de drones et de missiles pour attaquer les navires n’est pas habituelle…
Cette situation a de plus fait bénéficier les routes alternatives comme les voix ferrées russes entre la Chine et l’Europe.
Les Houthis avaient pris le soin de prévenir la Chine, la Russie et l’Iran que leurs bateaux ne seraient pas attaqués, et qu’il s’agissait d’une opération en solidarité avec le peuple de Gaza.
Depuis, une guerre navale sévit, les américains et plus récemment les européens se livrant au jeu de « touché, coulé » !
Le monde commence à être impressionné par ces Houthis et le commandant de « l’Alsace », fleuron de la marine française, le général Jérôme Henry qui a circulé pendant deux mois entre la Mer Rouge et le Golfe d’Aden parle de ces Houthis comme des combattants « désinhibés » , il explique que ces attaques sont en augmentation, que les Houthis utilisent des drones qu’ils fabriquent eux-mêmes, à raz de l’eau. Il assure qu’ils bouleversent le commerce international mondial et que ce n’est pas un feu de paille.
Et rappelons que récemment le « Ruby Mer » a coulé, cassant des câbles sous- marins ce qui a fortement perturbé 25% du trafic internet mondial en Asie et en Afrique.
C’est une société chinoise, basée à Singapour qui a réparé les câbles.
Une véritable guerre asymétrique.
Et ces Houthis viennent de participer à l’offensive contre Israël menée par l’Iran en envoyant une nuée de drones dans le sud du pays.
Ils n’ont sans doute pas dit leur dernier mot et il ne serait pas impossible qu’ils fassent encore parler d’eux.
OPINION. Dans la région indo-pacifique, la présence française, ancienne et multiforme, reste souvent méconnue et sous-estimée. Par Benjamin Blandin, Institut catholique de Paris (ICP)
La stratégie indo-pacifique française est souvent incomprise et parfois méconnue. Dans cette immense région à l’importance cruciale, la France est fréquemment perçue comme une ancienne puissance coloniale amenée à jouer, au mieux, un rôle secondaire.
Il est vrai que la France a connu une longue présence coloniale dans la région, pendant environ trois siècles, de 1674 à 1954, notamment à Madagascar, à Djibouti, à Mayotte, en Inde, en Indochine et dans le Pacifique Sud. En outre, elle a également eu recours de manière immodérée à la politique de la canonnière face au Siam, au Vietnam, à la Chine et à la Corée. Aujourd’hui, du fait de cette histoire, elle se trouve en conflit avec l’île Maurice pour l’île de Tromelin, avec les Comores pour Mayotte et les îles Glorieuses, et avec Madagascar pour les îles Éparses. Dans l’océan Pacifique, la France est également confrontée à un mouvement indépendantiste en Nouvelle-Calédonie et sa possession de Clipperton a été ouvertement remise en question par le Mexique.
Outre les questions historiques, plusieurs événements survenus plus récemment ont également contribué à cette perception : les essais nucléaires effectués par la France jusqu’en 1995, les scandales liés aux contrats de défense signés avec Taïwan, ainsi qu’avec l’Arabie saoudite et le Pakistan dans les années 1990 et au début des années 2000, et plus près de nous l’annulation par Canberra du contrat de sous-marins au profit de l’accord AUKUS et l’abandon par l’Australie de contrats de défense avec la France (hélicoptères d’attaque Tigre, hélicoptères de transport NH90).
Par ailleurs, l’appareil de sécurité régionale français a été considérablement réduit, passant de 8 500 à 7 000 hommes au cours des dix dernières années. Sans parler des coupes budgétaires post-crise des subprimes (les redoutables LOLF et RGPP) dans la diplomatie française qui ont entraîné une réduction d’effectifs dans un certain nombre d’ambassades. Tous ces facteurs ont clairement eu un impact sur l’image de la France dans la région et ont contribué à une opinion contrastée auprès du public, comme des experts et des autorités politiques et militaires.
En outre, la stratégie indo-pacifique de la France, publiée en 2019, reste floue pour nombre de nos voisins, partenaires et alliés. La France gagnerait certainement à améliorer sa communication autour de ses initiatives et de ses résultats concrets, pour les faire mieux connaître et apprécier. Une meilleure coopération serait également nécessaire entre ses (trop) nombreuses agences, régulièrement en concurrence les unes avec les autres.
Un pays singulier parmi les nations européennes en Indo-Pacifique
La France n’est certes pas le pays le plus puissant opérant dans la zone indo-pacifique, mais elle n’est ni une petite puissance ni une puissance lointaine dans la région, où sa présence a été continuellement maintenue depuis la première moitié du XVIe siècle.
Il est également important de noter que même si la France a été une puissance coloniale, elle a établi son influence par divers moyens, notamment l’échange d’envoyés diplomatiques et l’établissement d’alliances avec les dirigeants locaux, l’implication directe dans divers conflits, la présence des érudits jésuites à la cour de l’empereur Qianlong en Chine, la construction de forteresses de style Vauban au Siam et au Vietnam ou encore la création d’un arsenal naval moderne à Yokosuka, au Japon. Un grand nombre de Français de tous métiers ont également apporté leurs connaissances et leurs compétences aux dirigeants locaux.
Aujourd’hui encore, la présence de la France dans la zone constitue une singularité majeure puisqu’elle est le seul pays de l’UE à être membre du Conseil de Sécurité de l’ONU et à être une puissance résidente à la fois dans l’océan Pacifique et dans l’océan Indien, sur un ensemble de territoires qui représente 25 810 kilomètres carrés pour une population de près de 2 millions de Français, et 93 % de la zone économique exclusive (ZEE) française, la deuxième au monde, juste après celle des États-Unis. Ses principales entreprises y sont très présentes, notamment dans le secteur de la défense, où la France se classe au troisième rang des fournisseurs, avec des coopérations fructueuses en cours avec l’Inde, Singapour, la Malaisie et l’Indonésie (peut-être prochainement aux Philippines) et des succès plus anciens en Australie et à Taïwan.
En termes d’influence et de diplomatie, Paris bénéficie d’une position unique avec un ensemble à la fois très dense et diversifié d’outils de soft power et de coopération. Cela comprend d’abord, son réseau d’ambassades et de consulats, l’un des plus importants au monde ; deuxièmement, les écoles et centres culturels français (réseau Alliance française) implantés dans toutes les grandes villes ; troisièmement, ses chambres de commerce et d’industrie reliant les entreprises françaises et locales ; quatrièmement, les institutions françaises de coopération internationale telles que l’Agence française de développement (AFD) et Expertise France ; cinquièmement, un réseau de 18 attachés militaires en plus des officiers de liaison dans les centres régionaux de fusion d’informations à Madagascar, New Delhi et Singapour, coordonnant la coopération en matière de défense et maritime et menant la diplomatie militaire. Cet outil diplomatique unique, envié par de nombreux pays européens, permet à la France d’être un membre actif des plus importants forums et mécanismes de coopération régionale.
Des moyens limités mais une approche innovante
Pour autant, les observateurs jugent souvent que la France « manque de muscles » en Indo-Pacifique.
Une telle affirmation n’est pas dénuée de fondement. Il est vrai que le nombre de troupes dans la zone a été réduit de 20 % au cours des 10 dernières années et que la présence navale a fortement diminué depuis les années 1990, mais en tout état de cause la France n’a ni l’ambition ni les moyens d’être une puissance militaire majeure dans l’Indo-Pacifique. Ses partenaires et alliés dans la région n’attendent ni ne demandent qu’elle prenne parti dans la rivalité États-Unis/Chine ou s’interpose entre eux. Forte de son héritage historique d’autonomie stratégique et d’indépendance politique, la France souhaite ouvrir une troisième voie, ni pro-États-Unis ni anti-Chine, qui résonne avec la posture stratégique de non-alignement des « Perspectives sur l’Indo-Pacifique » de l’Asean. À ce titre, Paris privilégie une posture de facilitateur, de bon voisinage et de partenaire de confiance qui promeut l’état de droit et démontre son engagement en faveur de la sécurité régionale et de la liberté des mers.
L’architecture de défense française dans la zone comprend deux commandements sous-régionaux – ALINDIEN pour l’océan Indien et ALPACI pour l’océan Pacifique, en complément des forces de souveraineté positionnées à La Réunion, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie – et suit un axe en forme de « S ». Cet axe relie le cœur métropolitain à ses territoires d’outre-mer à travers un réseau d’alliés et de partenaires stratégiques dont les Émirats arabes unis, l’Inde, Singapour, l’Indonésie et l’Australie (mais aussi le Vietnam, la Corée du Sud et le Japon). Avec certains d’entre eux, la France a établi un dialogue stratégique de défense innovant, comme les dialogues stratégiques trilatéraux « France-EAU-Inde » et « France-Inde-Australie ».
Cet axe comprend également cinq bases militaires situées à Abu Dhabi, Djibouti, La Réunion, Nouméa et Papeete. Dans ces bases, 7 000 militaires et divers équipements sont positionnés en permanence pour protéger les intérêts de la France. Il convient également de noter que depuis la publication de sa stratégie Indo-Pacifique, la France a considérablement renforcé sa présence dans la région. Cela comprend des déploiements réguliers de moyens navals majeurs tels que son groupement tactique aéronaval, ses sous-marins nucléaires d’attaque et ses porte-hélicoptères. Paris a aussi mené des « raids aériens », déployant chaque année des avions de combat Rafale, des A330 MRTT et des A400M depuis la France, Djibouti et le porte-avions Charles de Gaulle jusqu’en Inde, en Asie du Sud-Est, en Australie et en Nouvelle-Calédonie – et cela, en des temps records, permettant de démontrer les capacités de nos derniers équipements et de s’entraîner avec nos alliés.
À la lumière d’une architecture de sécurité américaine qui ne cesse de se renforcer et d’une présence européenne globalement absente, il a fallu du temps pour que le positionnement singulier français gagne en visibilité et soit pleinement compris. Certains pays de la région se sont même demandé si la France ne faisait pas, par nature, partie d’un « Occident global » et donc un partenaire de facto du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), mais la perte de l’accord sur les sous-marins avec l’Australie au profit de l’AUKUS a grandement contribué à repositionner la France « sur le radar » de nombreux pays, notamment de l’Asean. Les entreprises françaises occupent désormais la position de troisième exportateur d’armes dans la région.
Une puissance stabilisatrice ?
Sur le plan diplomatique, la France a su établir des relations apaisées avec ses anciennes colonies. Elle a trouvé un accord avec le Mexique sur Clipperton en 2007 et a signé un accord-cadre sur l’île Tromelin avec Maurice en 2010. Elle a également renforcé sa présence au sein de l’Asean et se montre davantage présente au Shangri-La Dialogue. D’autres options ont été envisagées pour renforcer son statut, comme l’extension de ses bases, le positionnement d’une flotte permanente et d’un escadron de Rafale, ou encore une européanisation de son architecture de sécurité (même si elle représente 90 % de la présence de l’UE), mais toutes sont économiquement ou politiquement sensibles et Paris semble pour le moment privilégier une modernisation de ses atouts existants.
De manière plus pratique, la France met à profit sa vaste expertise maritime pour approfondir ses liens avec toutes les parties intéressées, à travers le concept d’« action de l’État en mer », la conception et la construction de systèmes navals complexes, la création et la préservation de zones marines protégées, la conduite d’opérations de recherche et de sauvetage en mer, la lutte contre la pollution marine, la lutte contre la criminalité maritime et les activités illégales et l’application du droit maritime.
La France est aussi l’un des pays les plus impliqués en matière de lutte contre le changement climatique. Elle a notamment apporté une contribution significative au récent traité international améliorant la protection de la haute mer. La taille de la ZEE française, les connaissances apportées par ses territoires d’outre-mer à travers le monde et la diversité de son domaine maritime placent la France à l’avant-garde des pays qui peuvent agir comme une nation-cadre dans des domaines variés et de plus en plus cruciaux pour la région : protection des biens communs mondiaux ; résilience face au changement climatique ; protection de l’environnement et de la biodiversité ; préservation du patrimoine culturel ; aide humanitaire et réponse aux catastrophes ; économie bleue ; sécurité maritime, la gouvernance des océans et la protection des ressources marines ; et renforcement de la connectivité.
On le voit, la France ne manque ni d’atouts ni d’initiatives et a véritablement transformé sa politique et sa stratégie dans la région ces dernières années. De nombreux projets ont été lancés et des résultats encourageants ont été observés. Reste désormais à mieux valoriser les fruits de cette démarche unique.
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Par Benjamin Blandin, Doctorant en relations internationales, Institut catholique de Paris (ICP)
En lançant une attaque inédite contre Israël, l’Iran a créé une incertitude majeure au Moyen-Orient. Téhéran a rompu le cadre des relations internationales, tout en cherchant à minorer cette attaque puisque les services américains en furent prévenus. Entretien avec Gil Mihaely.
Propos recueillis par la rédaction.
Dans la nuit du 13 au 14 avril, 185 drones kamikazes, 110 missiles balistiques et 38 missiles de croisière ont été tirés par l’Iran sur Israël. Ce qui est inédit. Même si le dôme de fer a une fois de plus montré son efficacité et que les Occidentaux ont aidé à déjouer l’attaque, il semblerait que l’Iran ne voulait pas faire de dégâts sur le sol israélien. Est-ce vrai ?
Non. L’objectif iranien était double : tout d’abord riposter à l’attaque israélienne du 1er avril à Damas (assassinat ciblé de sept hauts responsables des gardiens de la révolution islamique dans une annexe du consulat iranien à Damas) de manière à rétablir un équilibre de dissuasion entre Tel-Aviv et Téhéran. Ensuite, la République islamique souhaitait que sa riposte reste sous un certain seuil dont le franchissement entraînerait quasi obligatoirement des représailles israélo-américaines d’envergure. Cela ne veut pas dire que l’Iran ne voulait ou ne planifiait pas une opération avec des conséquences plus graves pour Israël. Pour preuve, les Iraniens ont choisi de lancer de très nombreux (entre 110 et 130) missiles balistiques très difficiles et coûteux à intercepter (plus que les drones Shahed, même pour le modèle 238 le plus récent). Les Iraniens souhaitaient très probablement détruire complètement la base aérienne de Nevatim dans le sud d’Israël (dont le périmètre a été touché par 7 missiles qui ont causé des dégâts mineurs). Protéger la base aérienne a exigé un effort considérable et un très haut niveau technologique et opérationnel.
À cela on peut ajouter le fait que, selon les Américains, jusqu’à 50% des missiles lancés ont soit échoué, soit sont tombés trop court (en territoire iranien et irakien), ce qui veut dire que le planificateur attendait un effet encore plus important sur les cibles. On estime que les Iraniens ont lancé 130 missiles alors qu’on a constaté 70 interceptions et une poignée de missiles ayant atteints le sud d’Israël, notamment la base de Nevatim.
Ma conclusion est donc que les Iraniens souhaitaient pouvoir montrer des images des destructions matérielles conséquentes et ne s’attendaient pas à une victoire aussi complète de la coalition dirigée par les États-Unis.
Cette attaque n’était qu’une opération de communication ? Pourquoi l’Iran cherche-t-il à éviter l’escalade ?
Le terme de communication est juste, mais ne résume pas l’idée stratégique iranienne. Beaucoup est en jeu pour l’Iran. Il s’agit d’un régime dont les intérêts divergent de ceux de la nation et de la majorité de la population. Ainsi, les décideurs à Téhéran ont un problème : si le peuple et l’État-nation de l’Iran sont quasiment invincibles dans une guerre qu’on peut envisager, le régime quant à lui est fragile et ne tient que par la répression et la loyauté de quelques millions de personnes plus ou moins privilégiées (Pasdaran, Bassidji, clergé, une partie des fonctionnaires, profiteurs de corruption et de sanctions). Le reste de la population souffre des effets des sanctions ainsi que la gestion calamiteuse de l’économie et des services publics. À titre d’exemple, le taux de change de la devise iranienne, le rial, est passé de 500k pour un dollar américain le 6 octobre à 700k hier. Pour presque 70 millions d’Iraniens faisant déjà face à un chômage très élevé et un pouvoir d’achat très faible et qui n’appartiennent pas aux privilégiés du régime, c’est une catastrophe. Or, selon certaines estimations (comme celles de l’Emirati arab strategy forum) l’effet conjugué des sanctions et du projet nucléaire imputerait à l’Iran 5-10% de son PIB annuel.
Quand le régime fait face aux dangers extérieurs, il doit également se protéger contre sa population qui pose la principale menace. Dans ces conditions, avec des forces armées très faibles (à l’exception de missiles) et mal équipées, la stratégie iranienne est d’éviter le contact.
Ensuite, l’Iran des Mollahs parasite les États faillis de la région (Liban, Syrie, Irak, Yémen et parfois le Soudan), les transformant en armes à distance (difficilement contrôlables au demeurant, car les forces locales ont leurs propres « agendas »). Pour pallier les tensions inhérentes entre sunnites et chiites, la République islamique a adopté une politique anti israélienne aux relents antisémites, négationnistes et de manière perverse pro palestinienne (ils empêchent toute initiative de paix et soutiennent les plus radicaux et intransigeants, comme le Hamas). Une idéologie leur permettant de créer des alliances au sein du « Sud global » et des sociétés musulmanes.
Quand le régime fait face aux dangers extérieurs, il doit également se protéger contre sa population qui pose la principale menace. Dans ces conditions, avec des forces armées très faibles (à l’exception de missiles) et mal équipées, la stratégie iranienne est d’éviter le contact.
Enfin, pour sanctuariser le régime, l’Iran mène depuis trente ans un projet nucléaire avec une forte dimension militaire. Ce projet est suffisamment avancé pour que le régime puisse déjà voir la terre promise de l’immunité géopolitique… dans ce contexte, à l’approche de la dernière ligne droite nucléaire, le régime ne souhaite pas la guerre sur son territoire.
Les Occidentaux peuvent-ils empêcher l’escalade qu’ils redoutent ? Comment ?
Connaissant les faiblesses et les craintes des Mollahs et ayant des canaux de communication ouverts avec Téhéran, les Américains (et les Français) ont des moyens déjà éprouvés permettant de maîtriser (plus ou moins) les crises. C’est évidemment loin de la perfection surtout que les intérêts des deux côtés sont globalement divergents, mais ils s’avèrent presque aussi efficaces que pendant la guerre froide.
Comment pourrait réagir Israël ? Fera-t-il le choix de la guerre frontale ?
Israël réagit déjà et continuera à réagir de manière clandestine. Quant aux actions bruyantes et « signées », le problème est que la grande offensive appuyée par les États-Unis n’est pas à l’ordre du jour. Israël peut choisir une cible sur le territoire national qui fait mal (dégâts importants, pénétration, humiliation) dans le domaine de l’infrastructure, l’énergie, les gardiens de la révolution ou l’État. Israël pourrait alternativement augmenter la pression sur le Hezbollah au Liban et les Iraniens en Syrie pour démontrer que Téhéran ne veut ou ne peut pas protéger ceux à qui il demande de se sacrifier pour lui. La question est donc de savoir ce qui est possible sans la participation des forces américaines.
Mise au point du Général Jean Claude Lafourcade suite à la déclaration du Président Macron du 4 avril 2024
« La France aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains mais n’en a pas eu la volonté » (Pdt Macron)
En tant qu’ancien commandant de l’opération Turquoise je peux témoigner que la France a eu la volonté de rétablir la paix et d’arrêter le génocide au Rwanda.
Dès le début de l’agression du Rwanda par le FPR tutsi, le Président Mitterrand a eu la volonté constante de rétablir la paix et de mettre fin au conflit en imposant des négociations au Président Hutu Habyarimana. Les accords d’Arusha en 1993 ont permis d’arrêter les combats et d’instituer un partage du pouvoir avec l’installation d’un bataillon du FPR à Kigali. Une force de l’Onu de 2.500 hommes, la Minuar, a été mise en place pour contrôler ces accords. Tous les soldats français ont alors quitté le Rwanda.
L’attentat sur l’avion du Président rwandais le 6 avril 1994 a été l’événement déclencheur des massacres et du génocide. L’ONU, sous la pression des occidentaux et du FPR, a alors inexplicablement retiré l’essentiel des troupes de la Minuar alors qu’elle aurait pu arrêter les massacres. Comment ne pas penser que les américains et les britanniques voulaient laisser le champ libre à Kagame dans sa conquête du pouvoir. En effet ces occidentaux, lorsque les massacres ont pris de l’ampleur, ont refusé d’intervenir. C’est la France la première qui, dès le mois de mai, reconnait un génocide et décide d’une intervention avec la Force Turquoise sous mandat de l’ONU malgré l’opposition du FPR et de la Minuar. Aucun de ses « alliés occidentaux » ne s’est joint à elle.
L’opération Turquoise a été la manifestation de la volonté de la France d’arrêter le génocide et le nier n’est pas acceptable pour les soldats qui ont rempli cette mission difficile avec courage et honneur. Mais les blocages des américains à l’Onu n’ont permis l’intervention Turquoise qu’au mois de juin, laquelle, bien que tardive, a arrêté le génocide et sauvé plus de 15.000 vies rwandaises.
Pourquoi refuse-t-on de s’interroger sur l’absence de volonté des occidentaux d’arrêter le génocide alors que la France était la plus mal placée pour le faire compte tenue de ses accords de coopération précédents avec le Rwanda ?
Général (2S) Jean-Claude LAFOURCADE Lille le 5 avril, 2024
Le Hezbollah libanais, les Houthis yéménites, des factions armées chiites irakiennes ou même, plus singulièrement, le Hamas et le Jihad islamique palestiniens sont souvent présentés comme des proxys iraniens au Moyen-Orient.
L’idée sous-jacente est que la clé pour influer sur les actions de ces groupes serait d’exercer une pression maximale sur Téhéran.
Seulement, si le soutien matériel iranien à ces organisations non étatiques est avéré, cela n’implique, par nature, ni un alignement idéologique total ni un lien de subordination évident. Parler en termes généraux masque une réalité vraisemblablement diverse en matière de contrôle effectif de l’Iran sur la direction des opérations des entités considérées.
Cette note d’analyse met ainsi en lumière les limites d’une compréhension de la relation entre Téhéran et les mouvements armés qui lui sont affiliés via le seul prisme de la notion de proxys.
Les condamnations de la politique française ont pris de l’ampleur ces dernières années en Afrique francophone[1]. Les griefs évoqués sont multiples (interventions militaires, persistance du franc CFA, politique d’aide au développement, politique des visas restrictive, etc.) et la contestation raisonnée, qui portait sur les éléments objectifs de la politique française en Afrique qualifiée par certains de « néocoloniale », s’est transformée en diatribe anti-française sur les réseaux sociaux et dans les propos simplistes des néo-panafricanistes[2].
Dans ce contexte, les relations entre la France et trois pays sahéliens ont été remises en cause en l’espace de deux ans (2021-2023). Au Mali, Burkina Faso et Niger – trois pays qui faisaient partie de la coalition anti-djihadiste du G5-Sahel et accueillaient des forces françaises et européennes dans le cadre de la lutte anti-djihadiste –, des militaires ont pris le pouvoir et rompu le partenariat sécuritaire avec Paris (dénonciation des accords de défense les liant à Paris et demande de départ des troupes françaises stationnées sur le territoire). Ils ont non seulement mis fin à l’engagement militaire de la France au Sahel mais aussi à la présence militaire de l’Union européenne (UE)[3] et à celle des Nations unies à travers sa Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA)[4]. Il n’y a plus d’ambassadeur de France ni de troupes françaises dans ces trois pays et Paris a fermé son ambassade à Niamey le 2 janvier 2024. L’aide publique au développement (APD) française a été suspendue ainsi que les délivrances de visas. En rupture avec la France, les Européens puis les organisations régionales (CEDEAO et UEMOA) qui ont mis en place des sanctions, les trois pays sont en quête de nouvelles alliances et ont envoyé des messages en ce sens à plusieurs pays (Pays du Golfe, Turquie, Iran, Chine, Corée du Nord, etc.) avec plus ou moins de succès pour l’instant. Les juntes malienne et burkinabée se sont également tournées vers la Russie en tant que nouveau partenaire de sécurité, la junte nigérienne l’a fait au début de l’année 2024[5]. Cette rupture brutale et ce revirement d’alliance sont d’autant plus surprenants qu’ils sont le fait d’officiers qui coopéraient avec l’armée française dans le cadre de la lutte contre le djihadisme et avaient, pour certains, été en formation en France.
Malgré les déclarations de la diplomatie française tendant à minimiser ce revers, ce retournement brutal constitue bel et bien une crise. Mais de quelle crise s’agit-il exactement ? S’agit-il d’une crise franco-sahélienne, d’une crise franco-africaine ou d’une crise de la politique africaine de la France ?
La perception d’une crise franco-sahélienne peut se justifier par le fait que, sur 49 pays d’Afrique subsaharienne, seuls trois d’entre eux ont décidé de rompre avec Paris. Au-delà du populisme et du néo-souverainisme affichés par les juntes, censés leur apporter une base sociale, les raisons de ces ruptures avec Paris sont plus complexes. Après une opération Serval au Mali unanimement saluée et la mise en place de l’opération Barkhane en bonne intelligence avec les pays qui formaient, dans le même temps, le G5-Sahel, les divergences politiques et sécuritaires entre Paris et certaines capitales sahéliennes se sont progressivement développées[6]. Si, bien sûr, chaque relation bilatérale avait sa spécificité, notamment du fait que l’essentiel de l’action de l’armée française concernait le territoire malien, deux divergences se sont accentuées : une divergence sur les causes du conflit ; une autre sur la conduite de la guerre. Dans un premier temps, nous reviendrons sur la nature du conflit sahélien et sur ces divergences pour aborder ensuite les conséquences plus larges, pour Paris, de cet échec sahélien et des réflexions préalables à l’établissement d’une nouvelle politique.
[1]. A. Antil, T. Vircoulon et F. Giovalucchi, « Thématiques, acteurs et fonctions du discours anti-français en Afrique francophone », Études de l’Ifri, Ifri, juin 2023.
[2]. A. Mbembe, « Quand le panafricanisme devient sectarisme », Jeune Afrique, 23 janvier 2023.
[3]. Fin de la Mission d’entraînement de l’Union européenne (EUTM) au Mali (formation de l’armée), fin de la task force Takuba (forces spéciales européennes placées sous le commandement de la force française Barkhane et des Forces armées maliennes), fin de la Mission EUCAP Sahel Niger (formation des forces de sécurité intérieures).
[4]. Les dernières bases de la MINUSMA ont été remises aux autorités maliennes en décembre 2023.
[5]. Au moment où nous écrivons ces lignes, plusieurs rencontres ont déjà eu lieu entre autorités russes et nigériennes (tant à Niamey qu’à Moscou) pour dessiner les contours d’un nouveau partenariat. En ce qui concerne le déploiement de forces russes, il semble que la junte soit divisée sur ce point, voir : « La perspective d’un déploiement de militaires russes au Niger divise la junte », Jeune Afrique, 1er février 2024.
[6]. Sur ce sujet, on lira entre autres avec profit : Emmanuel R. Goffi, « Opération Barkhane : entre victoires tactiques et échec stratégique », Université du Québec à Montréal, juin 2017 ; Rapport d’information sur l’opération Barkhane, Commission de la Défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 14 avril 2021 ; F. Galois, « Fin de l’opération Barkhane : réflexions sur sept ans et demi d’engagement militaire », Institut Rousseau, 16 mars 2022 ; J. Guiffard, « Barkhane : échec, réussite ou bilan nuancé », Institut Montaigne, 23 mars 2023.
Après l’échec sahélien, repenser le logiciel de la politique française en Afrique