L’Algérie fait tout pour limiter la liberté religieuse des chrétiens, croyant ainsi préserver son identité nationale qu’elle veut islamique. Le 27 novembre 2023, le vice-président de l’Église protestante d’Algérie a été condamné en appel à un an de prison et 100 000 dinars d’amende pour avoir célébré un culte non autorisé, dans un édifice non permis à cet effet. Malgré la multiplication arbitraire des emprisonnements de chrétiens et des fermetures d’églises, la communauté évangélique autochtone se développe.
En Algérie, le développement d’une communauté évangélique autochtone, forte d’environ 100 000 croyants aujourd’hui, inquiète les autorités depuis les années 2000. L’Église protestante d’Algérie (EPA) regroupe 47 églises dont la plupart se trouvent en Kabylie. Les autorités se méfient des chrétiens qu’elles amalgament facilement aux autonomistes de « cette région marquée par un militantisme berbériste historiquement opposé au pouvoir central »,selon la chercheure Fatiha Kaouès.
En réaction aux nombreuses conversions, l’Algérie a pris une succession de mesures liberticides aux finalités essentiellement antichrétiennes. « Le gouvernement considère le christianisme comme un danger pour l’identité islamique algérienne et tente par tous les moyens de réglementer l’Église pour la réduire à néant », explique International Christian Concern, dans son rapport 2023. Portes Ouvertes classe l’Algérie 19e dans son index mondial de persécution des chrétiens 2023.
Bouabdellah Ghlamallah, alors ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, déclarait en février 2010 que « personne ne veut qu’il y ait des minorités religieuses en Algérie, car cela risque d’être un prétexte pour les puissances étrangères de s’ingérer dans les affaires intérieures du pays sous couvert de protection des droits des minorités ». Résultat : l’Algérie figure depuis 2021 sur la liste des pays à surveiller de près de la Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF) « pour avoir commis de graves violations de la liberté de religion ».
L’interdiction d’« ébranler la foi d’un musulman »
Depuis l’ordonnance du 28 février 2006 fixant les conditions et règles d’exercice des cultes autres que musulmans, il est interdit de « convertir un musulman à une autre religion » ou d’« ébranler la foi d’un musulman» (article 11). Ainsi, en janvier 2021, Mohammed Derrab est condamné à 18 mois de prison pour avoir prêché en dehors de son église fermée par les autorités et donné une bible à un auditeur.
De même, le pasteur et libraire Rachid Seighir ainsi que son assistant Nouh Hamimi ont été condamnés en appel le 6 juin 2021 à un an de prison avec sursis et une amende de 200 000 dinars, parce qu’ils avaient distribué des ouvrages chrétiens dans leur librairie. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) avait déjà déploré le premier verdict, le 27 février 2021.
L’article 144 bis 2 du Code pénal algérien punit quant à lui « quiconque offense le prophète et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam ». Hamid Soudad, chrétien converti, est ainsi condamné en janvier 2021 à la peine maximale de cinq ans de prison pour avoir publié sur Facebook une caricature du prophète de l’islam. Il est finalement gracié en juillet 2023.
La sanction touche aussi les musulmans, comme l’islamologue Saïd Djebelkhir, condamné en avril 2021 à trois ans de prison pour avoir dit que certaines pratiques musulmanes seraient antérieures à l’islam et d’origine païenne. Grâce à une mobilisation internationale à laquelle l’ECLJ a participé, Saïd Djabelkhir a été relaxé par la Cour d’appel d’Alger, le 1er février 2023.
Toutes ces condamnations s’inscrivent dans la suite logique de la suppression de la liberté de conscience de la nouvelle Constitution algérienne de 2020. Certes, l’article 51 dispose que « la liberté d’opinion est inviolable » et que « la liberté d’exercice des cultes est garantie, elle s’exerce dans le respect de la loi ». Mais ces libertés ne signifient pas « la garantie de la liberté de conscience qui est le droit de croire ou de ne pas croire et de changer sa religion », selon l’islamologue Razika Adnani.
La multiplication des fermetures d’églises
Le 2 juin 2021, l’église du pasteur Rachid Seighir ainsi que deux autres églises sont fermées, pour « non-conformité aux lois en vigueur ». L’ordonnance de 2006 impose en effet le recensement des édifices destinés à l’exercice du culte (article 5) et le contrôle strict de la création, l’agrément et le fonctionnement des associations à caractère religieux (article 6). Toutefois, les églises ont dû recommencer du début toutes leurs procédures du fait de la nouvelle loi du 12 janvier 2012 relative aux associations.
Cette loi permet aux autorités algériennes de refuser arbitrairement d’inscrire une association si elles décident que l’objet et les buts de ses activités sont contraires aux « constantes et aux valeurs nationales ainsi qu’à l’ordre public, aux bonnes mœurs et aux dispositions des lois et règlements en vigueur » en Algérie (article 2).
Selon Human Rights Watch, cette loi plonge les associations dans un « vide juridique » et limite « leur capacité à recevoir des fonds étrangers ou à tenir des réunions publiques ». Ainsi, « les associations qui tentent de s’inscrire se perdent dans un labyrinthe bureaucratique, incapables de déposer leurs demandes et parfois obligées de travailler en marge de la loi ».
En bout de chaine, « ces restrictions ont, à leur tour, entraîné des poursuites pénales contre les membres de ces associations sous prétexte d’avoir convoqué et pratiqué des rituels religieux dans des lieux de culte non autorisés », regrette le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, après sa visite officielle en Algérie en septembre 2023.
Dernièrement, le 27 novembre 2023, le vice-président de l’Église protestante d’Algérie, le pasteur Youssef Ourahmane, a été condamné en appel à un an de prison et 100 000 dinars d’amende pour avoir célébré un culte non autorisé, dans un édifice non permis à cet effet. En mars 2023, il avait supervisé quelques familles chrétiennes en vacances dans un complexe paroissial qui abritait une chapelle fermée par les autorités.
Par ailleurs, les églises fermées lors du Covid-19 n’ont toujours pas été réouvertes. À ce jour, 43 des 47 églises de l’EPA ne peuvent plus se rassembler. La plupart des chrétiens se réunissent dans des maisons afin de se protéger. La menace pèse aussi sur l’Église catholique, qui a subi en septembre 2022 la fermeture de Caritas, son service humanitaire déployé depuis 60 ans.
Le double standard de l’Algérie contre les chrétiens
Dans son rapport 2023, l’USCIRF dénonce un « double standard des autorités algériennes spécifiquement contre l’EPA ». En effet, à la suite de l’arrestation en novembre 2021 de son président, le pasteur Salaheddine Chalah, la justice algérienne a condamné le pasteur en tant qu’« ecclésiastique », alors qu’elle refuse d’enregistrer l’EPA en tant qu’organisation religieuse.
Lors de l’examen périodique universel de l’Algérie par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies en novembre 2022, des parties prenantes comme l’ECLJ se sont inquiétées de l’ampleur des mesures antichrétiennes. Le Représentant permanent de l’Algérie auprès des Nations Unies à Genève de répondre cyniquement : « l’islam, qui est la religion de plus de 90 % de la population algérienne, n’en reste pas moins une religion encadrée : il faut des autorisations pour tout ce qui a trait à la construction et à l’ouverture d’une mosquée, ainsi qu’à la collecte de l’argent à cette fin ; et il faut aussi être formé pour prêcher dans une mosquée. Or, ce qui vaut pour l’islam, vaut pour toutes les autres religions présentes en Algérie. De ce fait, il n’est pas juste de parler de discrimination religieuse en Algérie ».
« Bien que la liberté de culte et de religion soit inscrite dans la nouvelle Constitution », le Haut-Commissaire aux droits de l’Homme se dit préoccupé par « les discriminations contre les minorités religieuses et la fermeture des lieux de culte non-musulman ». Sa préoccupation doit se transformer en action. Depuis janvier 2023, l’Algérie fait partie des 47 membres du Conseil des droits de l’homme. De plus, à partir de janvier 2024, l’Algérie rejoindra pour deux ans le Conseil de sécurité en tant que membre non permanent. La Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction, Mme Nazila Ghanea, doit en profiter pour réaliser une visite officielle en Algérie, alors que la précédente remonte à septembre 2002.
En novembre, le ministre italien de la Défense, Guido Crosetto, a laissé entendre que l’objectif de porter les dépenses militaires transalpines à 2% du PIB risquait de ne pas être atteint avant 2028. Pour autant, il s’était dit déterminé à obtenir les ressources nécessaires à la modernisation des forces armées de son pays, notamment dans les domaines du cyber, de l’exploration des fonds marins, de l’intelligence artificielle, de l’espace et de l’aéronautique.
Sur ce dernier point, l’Italie devra en effet finaliser la mise en service des chasseurs-bombardiers F-35A et F-35B et soutenir le programme GCAP [Global Combat Air Program] au sein duquel elle est associé avec le Royaume-Uni et le Japon afin de développer un avion de combat de 6e génération. Et cela va s’ajouter à ses ambitions dans le secteur naval.
Seulement, dans le même temps, et selon sa programmation budgétaire pluriannuelle 2023-25 [le « Documento programmatico pluriennale ou DDP], le ministère italien de la Défense envisage un effort significatif au profit de ses forces terrestres. Ainsi, il est question de moderniser 125 chars Ariete, d’acquérir 133 Leopard 2A8, de participer au programme franco-allemand MGCS [Main Group Combat System – Système principal de combat terrestre] et de lancer le projet AICS [Armored Infantry Combat System], qui vise à développer une famille de véhicules blindés selon une approche « multi-domaines » pour l’infanterie mécanisée.
La liste ne s’arrête pas là puisque le DDP prévoit également de renforcer significativement la capacité de « feux dans la profondeur » de l’artillerie italienne, laquelle relève du 5º Reggimento Artiglieria Terrestre « Superga ».
Actuellement, cette unité est doté de 21 lance-roquettes multiples M270 MLRS, qu’il est prévu de porter au standard M270A2, afin d’améliorer leur conduite de tir [avec le CFCS, pour Common Fire Control System] et de leur permettre de tirer des munitions GLMRS ER [d’une portée supérieure à 150 km] ainsi que le nouveau missile américain PrSM [Precision Strike Missile, capable de toucher une cible à 500 km de distance]. Cette modernisation vise également à améliorer leur motorisation [avec un moteur de 600 chevaux] et leur protection.
Cela étant, le 5º Reggimento Artiglieria Terrestre sera bientôt réorganisé afin de pouvoir mettre en œuvre 21 systèmes M142 HIMARS [High Mobility Artillery Rocket System] de conception américaine. Ce projet devrait bientôt se concrétiser puisque la Defense Security Cooperation Agency [DSCA], chargée des exportations d’équipements militaires américains, a donné son feu vert à l’achat de telles pièces d’artillerie par l’Italie.
En effet, dans un avis publié le 15 décembre, la DSCA recommande au Congrès d’accepter la vente « potentielle » de 21 systèmes M142 HIMARS à l’Italie, pour un montant estimé à 400 millions de dollars [environ 370 millions d’euros]. À noter que les munitions ne sont pas prises en compte dans cette évaluation.
« Ce projet de vente soutiendra la politique étrangère et la sécurité nationale des États-Unis en contribuant à améliorer la sécurité d’un allié de l’Otan, qui est un partenaire important pour la stabilité politique et le progrès économique en Europe », justifie la DSCA.
« L’Italie demande ces capacités pour assurer la défense des troupes déployées, la sécurité régionale et l’interopérabilité avec les États-Unis », poursuit l’agence américaine.
Depuis le début de la guerre en Ukraine [et excepté le cas particulier de l’armée ukrainienne], l’Italie sera le quatrième pays à se doter de M142 HIMARS, après la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. Dans le même temps, les Pays-Bas et le Danemark [probablement bientôt suivis par l’Allemagne] ont fait le choix du système israélien Euro-PULS. Quant à la France, elle entend développer sa propre capacité, avec l’objectif de doter l’armée de Terre avec seulement 13 systèmes d’ici 2030 [et d’au moins 26 à l’horizon 2035].
Le programme Foreign Military Sales (FMS) des États-Unis a approuvé une importante vente d’équipements militaires à la Roumanie, comprenant 54 chars de combat M1A2 Abrams, une quantité équivalente de châssis M1A1, ainsi que 16 véhicules blindés du génie. Cette décision marque une étape significative dans le projet de modernisation de l’armée roumaine, mais le coût dépasse largement les prévisions initiales des autorités roumaines.
Sommaire
Depuis quelques années, la Roumanie s’est engagée dans un ambitieux programme de modernisation de ses forces armées pour faire face à l’augmentation des tensions avec la Russie en Ukraine, en Moldavie et en mer Noire.
Bucarest investit massivement dans la modernisation des forces armées roumaines
L’investissement dans la défense du pays est passé de 1,2 % du PIB en 2012 à 2 % actuellement, avec un objectif de 2,5 % d’ici à 2030. Le budget de défense de la Roumanie a atteint 7,5 milliards d’euros en 2023, pour un PIB de 285 milliards d’euros en 2022.
Des contrats importants ont été signés récemment, dont l’achat de 7 batteries antiaériennes MIM-104 Patriot et 54 systèmes d’artillerie HIMARS à longue portée. De plus, Bucarest prévoit de commander 48 avions de combat F-35A, avec une première commande de 32 chasseurs prévue pour 2024.
Au printemps 2023, Bucarest a opté pour l’achat de 54 chars M1A2 Abrams américains, dans le cadre d’un plan plus large visant à acquérir 300 nouveaux chars pour remplacer les anciens modèles TR-85 et T-55AM. Initialement, les autorités roumaines prévoyaient d’acquérir ces blindés d’occasion pour un montant estimé à 1 milliard d’euros, soit environ 1,1 milliard de dollars.
Toutefois, la réponse du FMS a récemment été rendue publique, révélant un coût bien plus élevé que prévu. Le FMS a autorisé la vente de 54 chars M1A2 Abrams SEPv3, de 54 châssis M1A1, ainsi que de 16 véhicules du génie, comprenant 4 M88A2 Hercules, 4 ponts mobiles M1110 Joint Assault Bridges, 4 véhicules de bréchage M1110 et 4 ponts d’assaut M1074 Heavy Assault Scissor Bridges. En plus de ces véhicules, divers équipements complémentaires sont inclus, tels que des mitrailleuses M240C et des obus de différents types.
2,53 Md$ pour 54 chars M1A2 Abrams et 16 véhicules blindés de soutien pour le FMS
Généralement, les offres du FMS incluent une gamme d’équipements et de services plus large que celle demandée par le client, ce qui explique souvent que les contrats finaux soient inférieurs aux estimations initiales.
Cependant, même si le prix final peut être réduit, il reste significativement supérieur au budget prévu par la Roumanie. Cette différence notable entre le coût estimé et le coût réel soulève des questions sur l’alignement des attentes entre Bucarest et Washington concernant le prix des chars lourds américains.
Le prix unitaire du M1A2 semble excessif, surtout en comparaison du contrat de Varsovie pour 250 chars M1A2 SEPv3 à 5 milliards de dollars. La Roumanie avait probablement basé son estimation sur ce contrat précédent, espérant des conditions similaires.
Trop cher pour Bucarest ? Quelles sont les autres options de la Roumanie ?
Dans cette situation, il est fort probable que Bucarest envisage de reconsidérer ses options en matière d’armement. Une alternative pourrait être de se tourner vers l’Allemagne et le nouveau Leopard 2A8. Récemment, la Norvège a commandé 54 unités de ce modèle pour un montant de 1,8 milliard d’euros.
Une autre option envisageable pour Bucarest serait de se tourner vers la Corée du Sud et son char K2 Black Panther. Bien que ce dernier soit plus léger que le M1A2 Abrams, son coût est nettement inférieur. À titre d’exemple, Varsovie a passé commande de 180 unités du K2 Black Panther pour seulement 3,4 milliards de dollars, ce qui équivaut à environ 3,2 milliards d’euros.
Dans ces conditions, le K2 Black Panther sud-coréen se révélerait presque deux fois moins onéreux que le M1A2 américain. Le prix unitaire du K2 polonais s’élève, en effet, à approximativement 19 millions de dollars, comparé à plus de 35 millions de dollars pour le M1A2 roumain. Cependant, il est important de considérer ces prix unitaires avec prudence, en attendant d’avoir plus de détails sur le périmètre exact de chaque offre.
La question du différentiel de prix des équipements militaires occidentaux face à la Chine ou la Russie
Cette situation soulève une question fondamentale sur la pertinence et l’adéquation des prix pratiqués par l’industrie de défense occidentale, en particulier américaine, par rapport aux équipements militaires proposés par d’autres pays.
Pour mettre les choses en perspective, le char russe T-90M est vendu à l’exportation pour environ 5 millions de dollars l’unité, tandis que les armées russes l’acquièrent pour environ 3 millions de dollars par char neuf. De son côté, le VT4 chinois, version export du Type 96, est commercialisé à moins de 5 millions de dollars l’unité, bien que le prix exact payé par l’Armée Populaire de Libération chinoise reste inconnu.
Il est communément admis que les chars occidentaux tels que le M1A2 Abrams américain, le Leopard 2A8 allemand et le K2 Black Panther sud-coréen offrent de meilleures performances et une plus grande résilience que leurs homologues russes et chinois, comme le T-90M et le Type 99A.
En particulier, l’expérience ukrainienne a montré que les chars occidentaux, tels que le Leopard 2 et le Challenger 2, offrent une meilleure protection à leurs équipages en cas d’impact de missile, de roquette ou d’obus, comparativement aux modèles russes.
Cependant, cette supériorité technique et cette meilleure protection justifient-elles un écart de prix allant jusqu’à cinq fois plus élevé ? Surtout quand on considère que les armées russe et chinoise semblent avoir moins de difficultés à renouveler leurs équipages, malgré une qualité moindre.
Ce différentiel de coût entre les industries de défense occidentale, russe et chinoise, ne se limite pas aux chars et aux véhicules blindés. Par exemple, un avion de chasse Su-57 coûte environ 35 millions de dollars à l’armée de l’air russe, alors qu’un F-35A ou un Rafale coûte entre 85 et 90 millions de dollars, et un Su-30SM russe environ 22 millions de dollars, contre 60 à 70 millions de dollars pour un F-16V ou un Gripen E.
Dans le domaine naval aussi, cet écart de prix est notable. Le sous-marin nucléaire lance-missiles russe Iassen M coûte environ 800 millions de dollars, contre près de 2 milliards de dollars pour le sous-marin britannique Astute et 2,5 milliards de dollars pour les sous-marins américains de classe Virginia.
Conclusion
La question se pose alors : est-ce que cet écart de prix reflète véritablement des différences de performances, d’efficacité et de capacité de survie proportionnelles, ou bien faut-il reconsidérer ces coûts élevés comme disproportionnés ?
Dans l’affirmative, il serait nécessaire de réévaluer la réalité des efforts de défense de ces pays pour obtenir une vision plus réaliste des rapports de force futurs, surtout à un moment où les tensions internationales continuent de s’intensifier.
Article du 13 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023
Il y a maintenant dix jours, j’ai effectué une évaluation des pertes humaines provoquées par la campagne de frappes de l’armée de l’Air israélienne sur la bande de Gaza depuis le 7 octobre, en faisant abstraction des déclarations faites qui s’appuyaient presque toujours sur les chiffres du ministère de la Santé palestinien, le même organisme qui avait menti de manière éhontée dans le drame de l’hôpital al-Ahli le 17 octobre.
Je me suis appuyé pour cela sur les campagnes aériennes passées de l’armée de l’Air israélienne sur Gaza (2008, 2012, 2014, 2021), au Liban (2006) ainsi celles des Coalitions américaines en particulier lors de la lutte contre l’État islamique (2014-2019) en considérant la similitude des moyens engagés, des règles d’engagement et des formes des zones cibles.
À la date du 2 novembre, j’estimais ainsi que les frappes menées le 7 octobre par l’armée de l’Air ainsi que, très secondairement, par l’artillerie israélienne, pouvaient avoir provoqué au minimum la mort de 2 000 civils, ainsi bien sûr qu’un nombre proche de combattants ennemis, 1 500 au minimum là encore en fonction les estimations des campagnes passées, soit un total d’environ 3 500. J’aurais dû insister sur le fait qu’il s’agissait qu’une évaluation minimale dans une fourchette macabre pouvant sans doute aller jusqu’à 5 000. Dans tous les cas, il s’agissait d’un chiffre nettement inférieur à celui fourni par le ministère de la Santé palestinien, qui était alors de 8 300 sans aucune distinction de civils ou de combattants.
Bien entendu, cette évaluation a suscité la critique et parfois les insultes de ceux qui jugeaient cela comme une entreprise de minimisation voire de négation des destructions provoquées par Tsahal ou inversement de jouer le jeu des ennemis d’Israël après le drame horrible du 7 octobre.
Dix jours plus tard, je suis obligé d’admettre que ces estimations de pertes étaient trop basses. En premier lieu, parce que des témoignages dignes de foi ne cessent de me dire qu’après avoir vu sur place les effets des campagnes aériennes précédentes, les dégâts provoqués par l’actuelle avaient incontestablement franchi un seuil. En second lieu parce que les éléments nouveaux indiquent effectivement non seulement un nombre quotidien de strikes très élevé – ce que j’avais pris en compte et qui n’est jamais un bon signe car cela signifie par contraste un nombre de missions annulées par précaution beaucoup moindres – mais que chacun d’eux était particulièrement « chargé ». Dans un Tweet en date du 12 octobre, qui m’avait échappé, l’armée de l’Air israélienne se targuait d’avoir « dropped about 6 000 bombs against Hamas targets ». Cela signifie d’abord logiquement l’emploi de plusieurs bombes par objectif, au moins deux en moyenne puisqu’au même moment Tsahal revendiquait dans un autre tweet avoir frappé 2 687 cibles. On notera au passage qu’à ce nombre de cibles, on se trouve déjà au-delà de la liste de ciblage initial, celle qui permet de bien préparer les tirs et d’avertir la population, pour basculer sur du ciblage dynamique, sur les cibles de tir de roquettes par exemple, forcément moins précautionneux.
C’est surtout globalement énorme. À titre de comparaison, lors de l’opération Harmattan en Libye l’armée de l’Air française a lancé très exactement 1 018 bombes de mars à octobre 2011, au cours de 2 700 sorties de Rafale et Mirage 2000 D ou N, auxquelles il faut ajouter les effets de 950 sorties de Rafale M et de SEM. On aurait sans doute été bien incapables à l’époque de lancer 6 000 bombes ou missiles. En considérant une moyenne très basse de 100 kg d’explosif par bombes larguées, 6 000 donnerait déjà l’équivalent de 1500 missiles de croisière russes Kalibr ou Kh-101, mais on très probablement au-delà en termes de puissance, car Tsahal utilise beaucoup de munitions de plus de 900 kg de masse (GBU-15, 27, 28 et 31) afin notamment d’atteindre des infrastructures cachées et les souterrains du Hamas. Il faut donc – si le chiffre de l’armée de l’Air israélienne ne relève pas de la vantardise mal placée – imaginer entre 1 500 et 3 000 missiles russes du même type de ceux qui sont tombés sur les villes ukrainiennes depuis 21 mois frapper les 360 km2 bande de Gaza en une semaine. C’est évidemment colossal et sans doute même inédit, même si le chiffre de propagande que l’on voit passer parlant de l’équivalent de deux bombes de type Hiroshima est évidemment farfelu. C’est en tout cas, au-delà de ce qui s’est passé en Syrie où le site AirWars estime le nombre de civils – et non de combattants – tués par les frappes russes entre 4 300 et 6 400 et en Irak-Syrie, où il est question de 8200-13200 civils tués par les 34 500 frappes de la Coalition américaine en six ans. Notons que dans ce dernier cas, la moitié de ces pertes civiles certaines ou probables se situent dans les mois de combats de 2017 à Mossoul et Raqqa où les règles d’engagement avaient été « élargies ». On ajoutera que l’intensité des frappes est telle que les Israéliens utilisent aussi certainement (Business Insider 17 Octobre) des munitions M117 non guidées, comme on peut le voir là encore sur des tweets de Tsahal.
En résumé, en poursuivant les principes utilisés le 2 novembre, où je parlais d’un total de 7 000 strikes en trois semaines avec une bombe, le chiffre total de pertes devrait être dix jours plus tard de 5 000 dont environ 2800 civils. Je crois désormais qu’il est effectivement nettement plus élevé, et se rapprocherait sans doute de celui proclamé par le ministère de la Santé, actuellement 11 000 tout confondus. Barbara Leaf, Sous-secrétaire d’État américain pour les Affaires du Proche-Orient, peu susceptible d’hostilité pour Israël, disait il y a quelque jours que le chiffre pourrait peut-être même supérieur (“We think they’re very high, frankly, and it could be that they’re even higher than are being cited,” The Time of Israel, 9 novembre 2023). Notons que selon I24 News, là encore une chaîne peu encline à la critique anti-israélienne, il était même question le 04 novembre selon « une source sécuritaire anonyme » de 20 000 morts. Cette fameuse source parlait de 13 000 combattants ennemis tués (selon une méthode de calcul assez étrange de 50 et 100 morts par tunnel touché) mais aussi de manière décomplexée de 7 000 morts civils, dont la responsabilité incomberait au Hamas puisque ces civils sont utilisés comme bouclier.
Ajoutons pour être juste que bien évidemment le Hamas et ses alliés mènent aussi une campagne aérienne à base de mortiers, qassam et roquettes plus évoluées, avec le 9 novembre plus de 9 500 projectiles selon Tsahal lancés depuis Gaza, très majoritairement, le Liban et même le Yemen. C’est beaucoup, par comparaison le Hezbollah en avait lancé 4 400 en 33 jours de guerre en 2006 et le Hamas/Jihad islamique 4 500 dans les 51 jours de la guerre de 2014. Je ne sais pas bien, dans toutes les horreurs de cette guerre, combien ces 9 500 projectiles ont tué de civils israéliens, trop c’est certain, beaucoup ce n’est pas sûr. En tout cas, pas des milliers si le dôme de fer n’existait pas comme j’ai pu l’entendre. En 2006, les projectiles du Hezbollah avaient tué 44 personnes ; en 2014, après la mise en place du Dôme de fer, ceux de Gaza en avaient tué 6. Israël et c’est tout à son honneur, protège bien sa population, au contraire du Hamas qui, c’est un euphémisme, n’a guère mis en place de protection civile et se satisfait même largement de la production de martyrs et d’images tragiques relayées immédiatement par Al-Jazeera. Toujours est-il que ces tirs de roquettes, qui se rajoutent au choc de l’attaque-massacre abominable du 7 octobre, paralysent la vie israélienne aux alentours de Gaza, mais ils ne peuvent se comparer en rien en intensité à ce qui se passe à Gaza.
Si on se réfère aux principes du droit des conflits armés, le Hamas les trahit absolument tous, en plus de tous les actes terroristes qu’il a commis depuis trente ans. Rappelons au passage que des crimes de guerre, commis par une force armée d’une organisation peuvent aussi être des actes terroristes à partir du moment où leur but premier est de susciter l’effroi. Pas son ampleur, l’attaque du 7 octobre dernier est même clairement un crime contre l’humanité et, alors que la volonté du Hamas est également de détruire Israël peut également avoir une visée génocidaire. Le Hamas doit être détruit, il n’y a aucun doute là-dessus. Tout cela n’est pas nouveau et Israël aurait pu essayer vraiment de le faire plus tôt, mais c’est une autre question.
Pour autant, ce n’est pas parce que l’on combat des salauds qu’on a le droit de le devenir soi-même. Tout le monde aurait compris que les soldats de Tsahal pénètrent dans Gaza quelques jours après le massacre du 7 octobre pour aller traquer cet ennemi infâme, d’homme à homme, et en prenant des risques la chose aurait paru encore plus légitime et courageuse qu’en frappant à distance et manifestement trop fort. Je regrette beaucoup moi-même qu’après les attentats 2015 en France, le gouvernement ait préféré envoyer ses soldats dans les rues avec la stérile opération Sentinelle plutôt qu’à la gorge de l’ennemi dans une opération Châtiment. C’est pour cela que les soldats ont été inventés, et mon cœur est tout entier avec les fantassins de Tsahal dans les rues de Gaza.
Les engager plus tôt n’aurait pas empêché les dommages collatéraux, ils sont inévitables alors que 95 % des êtres vivants qui vivent dans la zone des combats sont des innocents, mais on aurait pu espérer, à condition d’avoir des soldats solides et disciplinés, bref de vrais soldats, en prenant le temps et un maximum de précaution atteindre le cœur de l’ennemi, lui tuer le maximum de combattants et détruire ses infrastructures sans tuer des milliers et des milliers de civils. Cela n’obérerait rien de la difficulté de la gestion politique de Gaza après les combats, ni même des causes profondes qui ont fait qu’il y ait des dizaines de milliers de Palestiniens qui acceptent de prendre les armes contre Israël avec une forte chance de mourir, et ce n’est pas une simple question d’endoctrinement.
Au lieu de cela, le gouvernement israélien, qui avant sa recomposition, porte une énorme responsabilité sur la baisse de la garde devant le Hamas, a choisi de commencer par un blocus et une campagne de frappes qui par son gigantisme a nécessairement piétiné au moins quatre des cinq principes du droit des conflits armés – humanité, nécessité, proportion, précaution – et finit donc aussi par flirter avec celui de la distinction (ou intention). On peut argumenter comme on veut, absolue nécessité, mensonges du Hamas, l’ennemi est un salaud qui se cache derrière la population ou dans les lieux sensibles, on laisse la population fuir les combats, etc. mais instaurer un blocus total et frapper avec une telle puissance une zone densément peuplée pour un bilan militaire finalement assez maigre – et qu’on ne présente pas la nième liste de cadres du Hamas tués comme un bilan sérieux – est une catastrophe. C’est une catastrophe pour la population gazaouie, mais aussi pour Israël, à court terme par l’indignation que cela continue de provoquer, mais aussi à long terme parce qu’on vient là de recruter dans les familles meurtries des milliers de futurs combattants ennemis. Aucune tragédie n’en efface une autre.
Le Département américain de la Défense (DoD) a diffusé lundi des chiffres sur ses effectifs en 2022. Les forces d’active (63%) et la réserve (selected reserve) comptaient 2 077 630 membres, soit 58 282 de moins qu’en 2021. En hausse en revanche , le nombre de femmes: le pourcentage est passé de 17,3£ à 17,5%
Le (très riche) rapport complet est à consulter ici.
Voici un résumé de cette communauté forte de près de 4,5 millions d’américains (familles comprises):
D’autres précisions (dont la répartition par armées et l’ethnicité):
Autres chiffres, ceux des effectifs du personnel du ministère (militaires et civils) qui atteint 3,4 millions de personnes: – DOD militaires d’active (1 304 720); – Garde-Côtes d’active (39 485); – DOD et DHS Coast Guard réservistes (994 860); – Membres de la « retired reserve » (183,728) et de la « Standby Reserve » (5,253); – DOD personnels civils (867 308).
Fin 2004, le général commandant le Centre de doctrine de l’armée de Terre française rendait visite à son homologue israélien à Tel-Aviv. Je faisais partie de la délégation en tant qu’officier en charge de l’analyse des conflits dans la région. Les Israéliens nous firent un exposé de la situation qui commençait par « le problème palestinien est résolu » et de poursuivre en expliquant que grâce à l’édification en cours du « Mur intelligent » le nombre d’attentats terroristes avait drastiquement diminué sur le sol israélien, ce qui était considéré comme un résultat suffisant.
Il fallait désormais selon eux éviter de s’enfermer dans des bourbiers inutiles comme au Liban. Quatre ans plus tôt Tsahal s’était donc retiré du Sud-Liban et il en serait bientôt de même de la bande de Gaza, où 80 % du territoire était déjà sous la responsabilité de l’Autorité palestinienne et où on compliquait la vie pour défendre seulement 8 000 colons (sur 20 % du territoire donc). Beaucoup considéraient alors que Gaza n’avait aucun intérêt et qu’en fait, il aurait même été préférable de rendre ce fardeau à l’Égypte en même temps que le Sinaï une fois la paix conclue. Au moins, les Frères musulmans y auraient été vraiment combattus. Seule importait la Judée-Samarie (Cisjordanie) comme bourbier politico-sécuritaro-religieux acceptable. Pour le reste, leur priorité, presque leur obsession, était clairement la menace balistique et nucléaire iranienne.
Les officiers israéliens pensaient alors avoir conçu un modèle de défense unique capable de faire face simultanément aux organisations armées et aux États hostiles. Sans même parler de la dissuasion nucléaire, un grand bouclier au sol avec la grande barrière intelligente et dans le ciel avec les différentes couches contre les différents aéronefs et missiles permettait de contrer les attaques les plus probables, raids des organisations armées et attaques balistiques. Mais dans la tradition israélienne des « représailles disproportionnées » bâtie dans les guerres contre les États voisins et qui consiste faire le plus mal possible à l’agresseur pour le dissuader de recommencer et dans l’immédiat lui détruire les moyens de le faire, il importait aussi de conserver aussi une épée puissante. On conservait toujours des forces terrestres puissantes, d’active ou de réserve, mais cette épée était surtout une épée volante. Grâce à une force aérienne puissante et inversement la faiblesse de la défense antiaérienne de tous les ennemis potentiels, il devenait possible de frapper et sans grand risque de pertes humaines israéliennes.
Résumons : quadrillage et maintien en Cisjordanie, barrière partout contre les intrusions, défense du ciel devenue de plus en plus hermétique et frappes aériennes et en dernier recours raids terrestres sur les ennemis périphériques. On tendait vers l’idéal du « zéro mort » pour soi mais en transférant le risque sur les autres, sur l’ennemi ce qui est normal, mais aussi sur les civils palestiniens. C’est ainsi qu’Israël a tenté d’assurer sa sécurité pour l’éternité autrement qu’en faisant définitivement la paix. Cela a fonctionné un temps.
La première faille du système a été de laisser dans les zones abandonnées un terrain vide ou presque à des organisations armées qui y ont pu y prospérer et se développer en proto-État disposant de l’aide quasi ouverte de sponsors étrangers et de ressources endogènes pour faire des armées de plus en plus puissantes. Après s’être implantés à Gaza sans grande opposition, les Frères musulmans ont pu passer à l’action armée à la fin des années 1980, diffusant par ailleurs, avec le Jihad islamique, dans le monde sunnite l’« innovation » chiite de l’attentat-suicide. Puis alors que Gaza passait en grande partie sous le contrôle de l’Autorité palestinienne après les accords d’Oslo puis complètement en 2005, le Hamas a été assez fort contester au Fatah la prééminence de ce contrôle. Lorsque cette contestation a tourné à la guerre civile palestinienne en 2007, il aurait possible d’intervenir militairement pour empêcher la victoire du Hamas. Le désastreux gouvernement d’Ehoud Olmert a jugé préférable de laisser gagner le Hamas et de poursuivre ainsi l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne. A charge pour le Hamas de prendre le fardeau de Gaza tout en gelant par son existence même toute perspective de paix véritable. Gaza devenait une « entité hostile », objet nouveau du droit international qui ne reconnaît toujours juridiquement le territoire de Gaza que comme un territoire occupé par Israël et géré par l’Autorité palestinienne. Par un jeu de carotte – la levée partielle du blocus – et de coups d’épée – les campagnes de frappes et les incursions – on pensait gérer la menace et la conserver à distance grâce au bouclier du mur et du dôme de fer à partir de 2012.
Oui, mais il ne fallait pas être grand expert pour constater que, guerre après guerre, « tonte » après « tonte » selon l’horrible formule – 2006, 2008, 2009, 2012, 2014, 2018, 2021, 2022 – que le gazon devenait toujours plus dur. On pouvait aligner les listes de commandants du Hamas éliminés, multiplier les frappes sur les dépôts de roquettes et les sites de tir, tuer quelques centaines de combattants, la quantité et surtout la puissance et la portée des roquettes du Hamas ne cessait d’augmenter à chaque fois tandis que les incursions terrestres dans le territoire de Gaza se faisaient plus difficiles. Lors de l’opération Hiver chaud en février 2008, les fantassins israéliens constatent que les combattants ennemis ne s’enfuient plus à leur avance. Avec Plomb durci moins d’un an plus tard, les combats ressemblent déjà à de vrais combats d’infanterie et en 2014, avec Bordure protectrice ce sont de vrais combats face à une infanterie largement professionnelle. Tsahal perd trois soldats tués par jour dans ces combats, ce qui paraissait alors énorme. Elle en perd actuellement le double. Bref, malgré les cessez-le-feu et l’arrêt des frappes de roquettes, présentés à chaque fois comme des victoires, et toutes les « têtes coupées », le Hamas a continué inexorablement à monter en puissance au croisement de deux soutiens parfois fluctuants : celui de l’axe iranien-chiite et celui de l’axe Frères musulmans (Égypte du gouvernement Morsi, Turquie d’Erdogan et Qatar) et ce jusqu’à trouver la faille dans le système. Cela devait logiquement arriver un jour et les actions récentes du gouvernement israélien ont accéléré cette arrivée. Celle-ci a été horrible.
Avant même d’évoquer le changement éventuel de leurs objectifs politiques très contestables, les autorités israéliennes doivent donc dans l’immédiat changer leur modèle stratégique et se préparer à une nouvelle longue période de guerre.
L’objectif immédiat n’est plus de punir le Hamas afin de le dissuader cumulativement, ce qui visiblement n’a pas fonctionné, mais de l’éradiquer. Soyons-clairs, c’est impossible à court terme. Quand on prend toutes les organisations armées un peu importantes et avec un minimum de soutien populaire de la côte méditerranéenne jusqu’à l’Afghanistan en passant par l’Irak ou la Syrie, combien ont-elles été détruites depuis le début du XXIe siècle ? De fait, aucune ! Il est possible en revanche de parfois réussir à les étouffer. Mais dans ce cas, il ne faut se contenter de faire de l’élimination à distance, ce qui reste finalement superficiel et a paradoxalement à plutôt tendance à stimuler l’organisation cible qu’à réduire sa force. Face à une organisation armée, pour éliminer efficace, il faut éliminer beaucoup et autant que possible proprement sinon on recrute également. La seule solution militaire réaliste est de l’étouffer jusqu’à ce qu’elle retourne à une clandestinité difficile d’où il lui sera compliqué d’organiser à nouveau des attaques, terroristes ou non, importantes et complexes.
Or, pour l’étouffer, il faut occuper son terrain. L’opération Paix en Galilée en 1982 a bien réussi à écraser l’armée de l’OLP au Sud-Liban et même à chasser l’organisation du pays. De fait, malgré les dégâts occasionnés, l’opération Remparts en 2002 a bien réussi à casser les organisations palestiniennes des villes de Cisjordanie. A plus grande échelle, le Surge américano-irakien a également réussi à étouffer l’État islamique en Irak en 2007-2008 en occupant le terrain avec de la masse. Cela a été plus difficile, en grande partie d’ailleurs parce que les forces irakiennes ou syriennes étaient seules pour conquérir et occuper le terrain, mais le nouvel État islamique ne représente plus le même danger depuis qu’il ne constitue plus un califat. Élément important dans les circonstances actuelles, on a récupéré bien plus d’otages dans la conquête du terrain qu’en le bombardant.
Si la méthode est efficace pourquoi n’est-elle pas utilisée plus souvent ? D’abord, parce qu’elle exige de faire prendre des risques à ses soldats et donc d’en perdre. Dans une ambiance de « zéro mort », il est donc beaucoup plus simple de bombarder à distance et donc de reporter le risque sur les autres, les ennemis, ce qui est normal et souhaitable, mais aussi les civils autour de ces ennemis. Le « zéro mort » c’est pour ses soldats, pas pour les civils que l’on bombarde. Ensuite, parce qu’il faut y consacrer des ressources afin d’avoir toujours des unités de combat en nombre et qualité tactique supérieurs à l’adversaire. Or, on l’a vu, la qualité tactique des unités de certaines organisations a beaucoup augmenté alors que les siennes propres ont tendance à stagner. Il faudrait donc investir massivement dans des choses pas sexy comme les sections d’infanterie afin qu’elles soient capables, avec leurs équipements modernes et leurs compétences, de vaincre n’importe qui en combat rapproché en particulier dans un milieu urbain, en limitant aussi leurs propres pertes et les dommages collatéraux. Là encore, pour plusieurs raisons qu’on ne développera pas, on préfère dans la grande majorité des armées modernes investir dans autre chose. Tsahal n’échappe à la règle qui consiste à s’apercevoir que l’on a négligé ses combattants rapprochés juste au moment où on doit les engager. Enfin, même si on parvient à étouffer l’ennemi, encore faut-il maintenir l’étouffement sur la durée tout en évitant de s’enliser. Le souvenir du bourbier libanais, où plus de 900 soldats israéliens ont été tués et des milliers d’autres blessés en dix-huit ans, a beaucoup joué dans les refus successifs du gouvernement Netanyahu de pousser jusqu’à la reconquête complète de Gaza. Désormais, il n’y a pas d’autre solution.
Comme personne n’a jamais, sinon anticipé mais du moins pris en compte, que la stratégie parfaite mise en œuvre depuis presque vingt ans puisse être prise en défaut un jour, tout se fait désormais dans l’urgence et l’improvisation. Quand on ne sait pas quoi faire, on fait ce qu’on sait faire. La première réaction israélienne a donc été d’instaurer un blocus total et de lancer la plus terrible campagne aérienne de leur histoire. Cela avait peu de chance de faire vraiment mal à un adversaire qui s’était préparé à cette situation depuis des mois voire des années, mais il fallait faire quelque chose et montrer que l’on faisait quelque chose même si c’était surtout la population palestinienne qui en pâtirait le plus. Cela a peut-être satisfait un pur désir de vengeance, mais il était difficile de faire plus contre-productif en recrutant de nombreux volontaires à combattre Israël, en attisant encore le ressentiment d’un côté et le désespoir des soutiens d’Israël.
On commence seulement depuis une semaine l’opération de conquête, plus légitime que la première phase, car les soldats israéliens y prennent des risques, plus efficace contre l’ennemi et pour l’instant plus éthique. Pour autant le mal est déjà fait, qui obérera non pas cette conquête, que se fera dans les semaines qui viennent, mais la phase suivante de « stabilisation » dont pas le moindre mot n’a pour l’instant été évoqué, sans doute parce que personne n’en d’idée claire en la matière. La longue guerre a commencé par un choc et se poursuit en tâtonnant.
Commencé avec la débâcle de Kaboul, le mandat de Joe Biden pourrait se terminer par un conflit généralisé au Moyen-Orient. Entre-temps, il y eut l’Ukraine où plus personne n’oserait parier sur une victoire de Kiev et de ses alliés de l’OTAN. Un mois après le début du brasier à Gaza l’administration démocrate se retrouve dans la pire des configurations possibles. Elle est coincée entre son soutien inconditionnel à Israël et la colère des opinions publiques arabes qui la renvoie à la détestation de l’Amérique sous l’ère Georges W. Bush. « Nous n’avons pas à choisir entre défendre Israël et aider les civils palestiniens. Nous pouvons et devons faire les deux. » a déclaré Anthony Blinken. Cependant, plus l’asphyxie et les bombardements sur l’enclave palestinienne se prolongent, plus ce numéro d’équilibriste devient dangereux.
L’arbre qui cache la forêt.
L’attaque du 7 octobre a surpris tout le monde. Une semaine plus tôt, le conseiller à la sécurité nationale, Jack Sullivan prononçait cette phrase déjà entrée dans l’histoire : « le Moyen-Orient n’avait jamais été aussi calme depuis deux décennies ». Cela s’appelle avoir de bons capteurs et une intelligence des situations dans une région où pourtant les Etats-Unis sont omniprésents. En plus de leurs nombreuses emprises militaires et de leurs imposantes ambassades, le Pentagone dispose également comme le révèle Intercept, d’une base secrète au cœur du désert israélien du Néguev, à seulement 32 kilomètres de Gaza. Mais les militaires surveillaient l’Iran au lieu de regarder ce qu’ils avaient sous leurs yeux.
Deux autres événements majeurs n’auraient pas dû passer inaperçus.
Après 15 ans de luttes intestines et de très longues négociations, en octobre 2022, à Alger, 14 factions palestiniennes se sont officiellement réconciliées. Islamiques ou laïques comme le Hamas, le Djihad Islamique ou le Front Populaire de libération de la Palestine (FPLP), ces organisations se sont réunies sur la base de la cause palestinienne au-delà de leurs différences religieuses et idéologiques. Ce sont les branches armées des factions citées qui opèrent sur le front de Gaza.
L’autre fait marquant fut la coupe du monde à Doha où cette cause s’est affichée massivement dans les tribunes à tel point que certains journaux titraient : « La Palestine a remporté la coupe du monde ». (voir article de l’IVERIS). Comment dès lors continuer à penser que cette lutte était devenue surannée et invisible ? Comment imaginer que les milliers de prisonniers dans les geôles israéliennes, l’embargo sur Gaza, la colonisation en Cisjordanie pouvaient durer indéfiniment ?
L’aveuglement américain a été tel qu’il a malgré tout fait des accords d’Abraham sa priorité au Moyen-Orient. Ces accords, initiés sous le mandat de Donald Trump, signés par les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn, le Soudan et le Maroc, rejetés par l’Autorité Palestinienne comme par le Hamas, sont pourtant basés sur le postulat que la cause palestinienne était définitivement enterrée.
Mieux, de manière incompréhensible, alors que cette normalisation avec Israël est en partie responsable de l’explosion en cours, les diplomates américains continuent à s’entêter et à multiplier les pressions sur Mohamed Ben Salmane pour qu’il la signe.
La stratégie du poulet sans tête
Depuis le 7 octobre, la Maison Blanche mène une politique encore plus erratique qui montre à quel point elle est démunie. Une semaine après le début du conflit, le Secrétaire d’Etat s’est rendu en Egypte et en Jordanie avec, comme l’a raconté sur France Inter l’ancien envoyé spécial de l’ONU en Libye, Ghassam Salamé, : « l’idée folle de mettre les Palestiniens au Sinaï ». En réalité, le plan consistait à transférer les Gazaouis en Egypte et les Cisjordaniens en Jordanie. Organiser une deuxième Nakba, comme en 1948, avec des tentes en dur ? Selon une source libanaise proche du dossier, devant les ponts d’or qui lui étaient promis, le maréchal Sissi aurait un temps hésité, mais l’armée a opposé un non catégorique. Le roi Abdallah ne s’est pas montré plus enthousiaste.
Toute la stratégie américaine est à l’avenant. D’un côté, les dirigeants américains répètent inlassablement le mantra : « Israël a le droit de se défendre » ; la Maison Blanche envoie deux porte-avions en Méditerranée ; le Pentagone fournit les armes en ne traçant pas de lignes rouge quant à leur utilisation ; le Congrès vote une aide de 14 milliards de dollars à Tel Aviv. De l’autre, elle demande à Benjamin Netanyahu de protéger les civils. Après avoir, dix jours plus tôt, mis son véto à une résolution du Conseil de Sécurité demandant une pause humanitaire, Anthony Blinken a demandé à Tel Aviv… une pause humanitaire ! Il espérait ainsi obtenir la libération des otages détenteurs d’un passeport américain. Tsahal a répondu à cette proposition en intensifiant les bombardements. Les appels de Joe Biden à cesser la colonisation et la répression en Cisjordanie, ont reçu une réponse similaire. Résultat, le Secrétaire d’État repartira encore bredouille de son deuxième voyage dans la région.
La colère du monde
Le conflit Israël/Palestine dure depuis 75 ans, ce qui signifie qu’environ 98% des habitants de la planète sont nés avec cette crise en héritage, le monde arabe la porte dans ses gènes. Au 5 novembre, le bilan des bombardements israéliens faisait état, selon le Hamas, de 9.488 personnes dont 3900 enfants auxquels il faut ajouter plus de 25 000 blessés. Pour les opinions publiques de la région, ce soutien inconditionnel à Israël fait de Washington le complice de ce décompte macabre. Retour à la période de la guerre en Irak, de Guantanamo, de l’Afghanistan, avant Obama et son fameux discours du Caire…
Dans tout le monde arabo-musulman, de l’Egypte à l’Indonésie les manifestations de soutien aux Palestiniens sont impressionnantes. Les éditorialistes se sont beaucoup émus de celles qui ont eu lieu en Turquie accompagnées des propos durs à l’endroit d’Israël tenus par Recep Tayyip Erdogan. Mais le président turc parle beaucoup, agit peu, tient ses troupes et n’est pas prêt de quitter l’OTAN. En revanche, il faut prêter attention aux cortèges encore plus massifs qui se sont déroulés au Pakistan, pays de 250 millions de musulmans.
En Afrique, le Maghreb est vent debout, y compris au Maroc qui a signé les accords d’Abraham. Dans les pays d’Afrique subsaharienne, malgré les nombreux évangélistes, qui pour des raisons bibliques vénèrent Israël, l’empathie se porte majoritairement vers les Palestiniens. Une Ivoirienne membre de cette communauté explique « Nos églises nous demandent de soutenir les Israéliens, mais nous sommes nombreux à considérer que c’est une affaire politique. De toute façon, entre notre religion et les peuples colonisés notre solidarité va à ces derniers ».
En Amérique du Sud, la contestation prend une autre forme, avec la rupture des relations diplomatiques comme en Bolivie, ou le rappel des ambassadeurs en poste à Tel Aviv par la Colombie, le Honduras ou encore l’Argentine.
Les États-Unis font face également à leurs divisions internes, notamment au sein de la jeunesse démocrate, woke et décolonialiste. Ils doivent aussi affronter une bronca sourde au sein de leur propre administration, de l’ONU et des ONG (1-2-3). Il faut reconnaître qu’un tel bilan : décès de 88 employés des Nations Unies, de 36 journalistes sur une période aussi courte est sans précédent. Le siège moyenâgeux de Gaza, les bombardements sur les populations et les infrastructures civiles remettent également en cause le droit international que ces organisations sont censés défendre. Ce deux poids, deux mesures des Etats-Unis, par rapport à leur position sur d’autres théâtres, qui affaiblit tant l’Occident fragilise aussi, de manière inédite, l’édifice des organisations multilatérales.
Zéro pointé
A la veille d’entrer en campagne électorale, le bilan de la politique étrangère de Joe Biden est un désastre. Les faits sont implacables. Les États-Unis se sont mis, et avec eux leur alliés occidentaux, une grande partie du monde arabo-musulman à dos et le reste des pays dits du Sud ne sont guère plus bienveillants. Alors que, précisément leur stratégie consistait à reconquérir ce « Sud global » pour peser dans leur confrontation avec la Chine. Raté.
La défaite ukrainienne est sur le point d’être actée. Il faudra en assumer la responsabilité d’autant que cette guerre aura renforcé le Kremlin sur le plan militaire et démuni les alliés de l’OTAN de leur armement. Dans le même mouvement, les sanctions à l’encontre de la Russie ont considérablement affaibli les économies des pays de l’Union européenne, pendant que l’axe Moscou/Pékin/Téhéran se renforçait.
Lors de son discours du 4 novembre, le patron du Hezbollah, Hassan Nasrallah a clairement expliqué que l’élargissement à une guerre régionale, tant redoutée par la Maison Blanche, était corrélé à la poursuite des hostilités en Palestine. Dans ce cas, avec quels alliés les Américains feront-ils face à tous les fronts ? Ils sont en première ligne et seuls, l’Europe est divisée, atone et plus aucune voix ne porte dans son camp. Les dirigeants arabes, proches de Washington, ne pourront intégrer une coalition en l’état de la colère de leurs peuples.
Les bases américaines en Syrie en Irak sont déjà régulièrement attaquées. Du côté de la mer Rouge, les Houtis du Yémen ont déclaré la guerre à Israël en tirant des missiles sur Eilat et le Soudan voisin est aussi la proie des flammes. Ce conflit est un autre échec américain patent. Alors que la médiation internationale sous leur égide était censée ramener la démocratie, elle a créé les conditions de l’explosion. Les conséquences sont là aussi catastrophiques : six millions de déplacés, un million de réfugiés, des milliers de morts dont le décompte est impossible tant la situation est chaotique.
Au Moyen-Orient, plus les heures passent et plus la situation se dégrade. Si les États-Unis n’obtiennent pas un cessez-le-feu à Gaza rapidement et ne trouvent pas une issue politique, inévitablement l’embrasement aura lieu. Ils seront embourbés dans une région dont ils pensaient s’être débarrassée pour focaliser leur énergie et leurs moyens sur la Chine. Encore raté…
Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.
Comme nous le savons, Israël se positionne comme un acteur clé dans le secteur énergétique de la Méditerranée orientale, grâce à la découverte et à l’exploitation d’importants gisements de gaz naturel tels que Leviathan et Tamar. Ces gisements ont transformé le pays, auparavant importateur de gaz, en un exportateur émergent, avec des implications économiques et politiques significatives.
Jusqu’en 2008, Israël dépendait fortement des importations de gaz de l’Égypte, mais la situation a changé avec la découverte des gisements mentionnés. En particulier, Leviathan, avec des réserves estimées à environ 450 milliards de mètres cubes de gaz, a commencé sa production à la fin de 2019. Tamar, plus petit mais néanmoins significatif, est entré en production depuis quelques années déjà. Ces gisements promettent non seulement de satisfaire les besoins intérieurs d’Israël, mais également son potentiel d’exportation, changeant la dynamique énergétique de la région.
Cependant, la transition énergétique de l’État hébreu a été confronté à un défi e, en raison d’un différend maritime sur les droits d’exploitation des ressources naturelles avec son voisin, le Liban. Celui-ci a délimité sa propre zone économique exclusive, la subdivisant en blocs et en attribuant des licences pour l’exploration d’hydrocarbures. Le bloc numéro 9 fait l’objet d’un conflit avec Israël. Tel Aviv a revendiqué une portion de ce bloc en se basant sur un accord maritime avec Chypre, tandis que Beyrouth a établi ses propres délimitations, donnant lieu à une question ouverte concernant les droits d’exploration et d’exploitation.
Les tensions entre les deux pays ont été constantes, le Liban accusant Israël de prendre des actions unilatérales et d’expansionnisme. Toutefois, sous l’administration Biden, un accord a été conclu en 2021 qui pourrait atténuer ces tensions. L’accord prévoit une médiation qui offre à Israël une sécurité économique grâce à la possibilité d’exploiter le gisement de Leviathan, tandis qu’il est permis au Liban d’explorer et de développer le controversé bloc 9, en échange d’une compensation pour le gaz extrait à l’intérieur de sa propre zone maritime.
Malgré cette avancée, la question de la « ligne bleue », la frontière terrestre temporairement tracée par les Nations Unies, reste un point en suspens. Cela montre que les différends territoriaux et les ressources naturelles continuent d’être des facteurs critiques dans les relations internationales en Méditerranée orientale. La situation reste tendue, car le potentiel économique des gisements gaziers pourrait à la fois servir de catalyseur pour la coopération régionale, mais aussi accentuer les tensions existantes entre les pays voisins.
En effet, le conflit persistant entre Israël et la Palestine a le potentiel de modifier considérablement l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne la dynamique énergétique impliquant Israël et le Liban. La dispute sur les hydrocarbures dans l’est de la Méditerranée, notamment en ce qui concerne le gisement de Leviathan et les différends sur les droits d’exploration du bloc 9, pourrait être influencée de diverses manières par la prolongation des hostilités israélo-palestiniennes.
D’abord, l’instabilité croissante pourrait compromettre la sécurité des infrastructures énergétiques en Israël, posant un risque pour la production et l’exportation de gaz naturel. Cela pourrait entraîner une réduction de la confiance des investisseurs et un impact économique conséquent pour Tel Aviv, ce qui pourrait affaiblir sa position de négociation avec le Liban.
D’autre part, l’intensification du conflit israélo-palestinien pourrait mener à un renforcement des alliances régionales. Le Liban, confronté à ses propres défis internes, pourrait être incité à rechercher une résolution rapide du différend énergétique avec Israël, surtout si cela impliquait des bénéfices économiques immédiats pour alléger ses tensions financières.
Cependant, une escalade pourrait aussi avoir l’effet contraire, intensifiant le nationalisme et la rhétorique anti-israélienne, ce qui compliquerait davantage les pourparlers. Les factions opposées à Israël au sein du Liban pourraient utiliser la guerre actuelle comme prétexte pour interrompre les négociations ou pour exercer une pression afin d’adopter des positions plus fermes.
Il est également plausible que la guerre israélo-palestinienne détourne l’attention internationale de la dispute énergétique entre Israël et le Liban, retardant une résolution tandis que les puissances mondiales se concentrent sur le conflit plus immédiat et ses ramifications.
Enfin, une plus grande instabilité pourrait conduire à une intervention internationale plus décidée, avec des acteurs tels que les États-Unis qui pourraient jouer un rôle plus actif pour stabiliser la région à travers des accords énergétiques favorisant la coopération économique, pouvant être perçus comme antidote aux tensions croissantes.
En conclusion, la guerre israélo-palestinienne n’est pas un conflit isolé mais une pièce d’un puzzle beaucoup plus vaste comprenant la sécurité énergétique, la diplomatie et la stabilité régionale au Moyen-Orient. Ses répercussions se font sentir au-delà des frontières nationales et la dispute concernant les gisements gaziers entre Israël et le Liban n’est que l’une des nombreuses questions qui pourraient être façonnées par l’issue de ce conflit.
L’auteur s’exprime à titre personnel. Colonel de la gendarmerie nationale, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire de géopolitique de Rennes School of Business. Auteur de Florian Manet, « Le crime en bleu. Essai de thalassopolitique« , préfaces du général d’armée Richard Lizurey et de l’amiral Christophe Prazuck, ed. Nuvis.
Matérialisée par le conflit russo-ukrainien et ré-affirmée au Proche-Orient depuis l’attaque par le Hamas d’Israël, la nouvelle donne stratégique a des incidences directes et immédiates sur les politiques de défense des États, contraints d’adapter la protection de leurs intérêts majeurs. La maritimisation des modes de vie conjuguées à la digitalisation des économies et aux objectifs de transition énergétique ont dessiné, notamment, une géopolitique énergétique et numérique qui est questionnée aujourd’hui. En effet, ces dynamiques reposent sur des réalisations industrielles à l’image des câbles sous-marins (énergie, télécommunication), des plates-formes d’extraction de matières premières (hydrocarbures, terres rares…) mais aussi les projets d’envergure des îles énergétiques artificielles. Ces infrastructures critiques sous-marines et maritimes sont devenues des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience des États. Transparentes pour l’usager, elles constituent, néanmoins, selon les points de vue, soit des vulnérabilités soit des cibles d’intérêt dans la perspective d’une guerre totale ou guerre d’attrition. Florian Manet se fait pédagogue pour expliquer les ressorts de ces nouveaux risques majeurs et met les États devant leurs responsabilités.
4 illustrations : deux photos et deux cartes.
LES ESPACES OCEANIQUES font, actuellement, l’objet d’une cristallisation des intérêts des nations. L’une des illustrations les plus criantes demeure le conflit russo-ukrainien et, notamment, les opérations militaires engendrées à la suite de l’invasion du Donbass le 24 février 2022. Le théâtre des opérations s’est, progressivement, dilué vers les espaces maritimes stratégiques encadrant le théâtre européen aéro-terrestre. L’attaque portée au Moskowa, vaisseau amiral de la flotte russe de la mer Noire, le 14 avril 2022, n’était que le premier épisode d’opérations aéronavales. Le contrôle de la navigation dans cette mer presque fermée, ce cul de sac maritime à la frontière de l’Europe et du Moyen-Orient, constitue l’un des enjeux majeurs au plan militaire comme économique. La pose de mines maritimes, les attaques répétées à base de navires autonomes comme le tir de missiles mer-mer, terre-mer et air-mer visant des installations portuaires comme les flottes de combat ont contraint à une réorganisation des chaines d’approvisionnement internationales. Ce volet d’opérations navales s’avère finalement tout à fait conventionnel dans la perspective d’un conflit armé inter-étatique de haute intensité.
Cependant, une révolution aux conséquences durables s’est jouée, simultanément, sur une mer adjacente au théâtre des opérations aéro-terrestres, la mer Baltique. Les actes de sabotage portés à quatre reprises sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont banni durablement la croyance universelle en l’inviolabilité des infrastructures flottantes ou posées au fond des océans dans un contexte de dépendance accrue aux espaces maritimes. Quand bien même fussent-elles situées hors des eaux territoriales.
De fait, alors que les acteurs étatiques se polarisent nettement et que les opérations militaires multi-champs et multi-milieux éprouvent la résilience des parties prenantes, les infrastructures critiques maritimes constituent, plus que jamais, des centres de gravité des conflits inter-étatiques. Des modes d’action qualifiés d’hybrides mettent, désormais, en risque la capacité d’opérateurs de services essentiels à assumer la fourniture de communication, d’énergie et de transport par voie maritime.
Ainsi, après avoir décrit les enjeux de l’« infrastructuration » des espaces océaniques (I), les menaces et des scénarii envisageables d’expression des conflits hybrides dans les espaces maritimes seront présentés (II). Enfin, cette nouvelle donne stratégique invite les États à développer une thalassopolitique conforme à leurs responsabilités et à la défense de leurs propres intérêts (III).
I. L’infrastructuration des espaces océaniques
Les espaces océaniques connaissent un mouvement universel d’exploitation de leurs potentialités ce qui se traduit par l’implantation d’installations artificielles offshore très variées. Cette dynamique est qualifiée par le néologisme d’« infrastructuration » (A). Néanmoins, le droit international a précédé, accompagné et s’est adapté à ces évolutions, s’efforçant de réguler les activités humaines en mer en combinant les principes de souveraineté des États et de protection de l’environnement naturel maritime (B).
A. Une variété et une complexité croissante d’installations posées ou flottantes
Le progrès technologique a accompagné la dynamique de mondialisation économique fondée sur un rapport de dépendance accru aux espaces maritimes. Pour décrire cette réalité irréfragable, on évoque alors le concept de « maritimisation » des économies et des modes de vie. Initiés au XIX ème siècle, ce mouvement de travaux maritimes a affecté initialement les télécommunications avec la pose du premier câble en Manche le 28 août 1850 [1]. Puis, à compter des années 1920, les pionniers de l’exploration pétrolière offshore ont exploité des nappes pétrolifères du golfe du Mexique, rendant possible in fine une production industrielle en 1947. Dès lors, ces infrastructures se développent et se multiplient, de plus en plus loin des côtes et de plus en plus profondément. L’offshore profond se développe entre 1 500 et 3 000 mètres de profondeur.
L’exploitation minière et pétrolière sous-marine
Recouvrant près de 64 % de la surface du globe, ces espaces singuliers regorgent, en effet, de matières premières. Le potentiel minier des fonds et grands fonds marins est très prometteur, notamment dans le contexte de production d’énergies alternatives sans émission de gaz à effet de serre. Les gisement de terres rares ou de modules polymétalliques [2] constituent des défis, certes, technologiques mais aussi économiques.
Par ailleurs, les fonds marins servent de support à des réseaux de tuyaux ou pipe-line [3] alimentant en gaz ou en hydrocarbures les économies énergivores depuis des plates-formes de forage offshore. L’Organisation Maritime Internationale [4] considère que le fret pétrolier, brut ou raffiné, représente un tiers du commerce maritime international. Le stockage comme la distribution des hydrocarbures nécessitent des installations dédiées de plus en plus souvent localisées offshore. Pour des gains de productivité, les navires citerne délivrent les hydrocarbures non plus à quai dans un port mais au large à partir de bouées d’amarrage offshore situées sur le plateau continental. Les bouées d’amarrage par point unique sont utilisées pour immobiliser les pétroliers navettes pendant les opérations de chargement et de déchargement. Attachée à une structure sous-marine à l’aide de tuyaux flexibles, la bouée est maintenue en place par des ancres.
Enfin, se développent, pour des raisons d’autonomie stratégique et de sécurité énergétique, des solutions de stockage de gaz liquéfié. L’exemple lituanien est très illustratif. Il s’agissait, pour cet état balte, d’opter pour une alternative au gazoduc russe et de diversifier ses approvisionnements. Amarré à l’embouchure du port lituanien de Klaipéda, un navire-citerne, INDEPENDANCE, joue le rôle de terminal flottant de gaz naturel liquéfié (GNL).
La mer, remède circonstanciel à la transition énergétique ?
De même, les enjeux environnementaux favorisant des productions d’énergies décarbonnées invitent à la conception et à la réalisation de parcs éoliens, soit posés, soit flottants ou encore à celle de plateformes produisant de l’énergie hydrolienne ou marémotrice promouvant ainsi des Énergies Marines Renouvelables (EMR).
Témoignant, désormais, d’une réelle maturité, ce mouvement connaît actuellement des développements sans précédent comme le démontrent des projets scandinaves en mer du Nord. Il s’agit de la construction d’îles énergétiques [5] (« energy island ») situées au large des côtes qui fourniront de l’hydrogène et de l’électricité aux pays riverains dans une logique d’intégration européenne. Ainsi, un complexe d’envergure, Princess Elizabeth, est en cours de construction à 45 kilomètres des côtes belges, entre La Panne et Ostende. Dotée d’un port, d’un héliport et d’équipements haute tension (transformateur, sous-station), elle s’étendra sur 6 hectares et sera reliée à des parcs éoliens offshore et disposera d’une capacité totale de production de 3,5 gigawatts (GW). Elle alimentera en électricité la Belgique, le Danemark et le Royaume-Uni. Ce premier projet ouvre la voie à des réalisations encore plus importante comme le suggère l’appel d’offre lancé au Danemark pour une île de 20 à 40 hectares. Elle sera implantée à une centaine de kilomètres des côtes occidentales du Jutland, en mer du Nord. Réparties en 10 fermes, les installations composées de 670 turbines offshore seront ancrées à 30 mètres de profondeur. Lors de sa mise en service en 2030, elles produiront nominalement une puissance de 10 GW soit l’alimentation électrique de 10 millions de foyers ou encore la production de 6 réacteurs EPR. Cette île artificielle accueillera, aussi, une capacité de production d’hydrogène et de stockage d’énergie qui sera, ensuite, convoyée par un réseau de câbles d’alimentation à destination du continent. L’hydrogène apporte plus de souplesse dans le stockage et le transport de l’électricité. Ce défi technologique réside aussi dans sa capacité d’intégration dans un environnement naturel particulièrement exigeant.
Les perspectives de transport par voie maritime d’énergie électrique produite offshore mais aussi onshore s’avèrent très dynamique à l’échelle internationale. L’Australie s’impose par une politique très volontariste de production d’énergie électrique au sein du Pacifique sud. Ainsi, le Japon est dépendant de l’énergie produite par l’Australie à hauteur de 15 % de ses importations totales. Une des sources principales provient des champs d’exploitation gazier offshore de IMPEX ICHTHYS [6] implantés sur la côte nord-ouest de l’Australie. De même, le projet sous-marin « Sun Cable » ambitionne de transporter l’électricité produite par des fermes solaires à proximité de Darwin à destination de Jakarta (Indonésie) et de la cité-État de Singapour. Cette géopolitique énergétique constitue l’un des volets conditionnant les relations internationales dans la zone Indo-Pacifique.
Vingt milles câbles sous les mers
Enfin, les espaces océaniques constituent des traits d’union entre les hommes, les peuples et les continents. Ainsi, dès le XIX ème siècle, des câbles de communication ont été déployés en Atlantique nord, reliant la France aux États-Unis d’Amérique. Dès lors, stimulés par la brutale numérisation des économies, les réseaux de câbles sous-marin se sont développés à tel point qu’il est estimé que 97 % des data échangées dans le monde empruntent les fonds marins selon de multiples combinaisons géographiques. Le montant global des transactions financières empruntant les câbles est estimé, en valeur, à 10 trillions de dollar US par jour. Ainsi, sous forme d’impulsions lumineuses circulant à très grande vitesse, ils véhiculent dans les fibres optiques, c’est-à-dire un long fil de verre de l’épaisseur d’un cheveu, des informations de toutes natures. Ordres de bourse, messageries personnelles comme professionnelles, renseignement militaire, etc.
Les câbles maillent les fonds marins. D’un continent à l’autre. D’un rivage à l’autre. Concentrés en leur point d’atterrissement (ou d’attérage), ils s’immergent en faisceau qui, au fur et à mesure, gagnent leurs destinations finales. En 2023, 485 systèmes opérationnels étaient dénombrés pour un réseau fort de 1,2 million de kilomètres. La France, métropolitaine ainsi que les outre-mers en dénombrent une cinquantaine. D’une longueur de 6800 kilomètres, le câble dénommé « Amitié » a été mis en service le 18 octobre 2023 : il relie Boston aux États-Unis d’Amérique à Porge (département de la Gironde) en France ainsi qu’à Bude (Cornouaille) au Royaume-Uni. De même, dans le cadre d’un programme de résilience numérique opéré en Pacifique sud, deux câbles sous-marins transpacifiques « Honomoana » et « Tabua » seront prochainement exploités par Google. Ils visent à améliorer la connectivité et la fiabilité sur les routes transpacifiques entre les États-Unis, l’Australie, la Polynésie française et les Fidji. C’est un premier pas dans la construction de réseaux numériques alimentant et désenclavant les nombreuses îles et archipels du Sud-pacifique. C’est aussi une démarche, certes, technologique et économique Mais, cette démarche est aussi porteuse de conséquences géopolitiques dans une région à forts enjeux.
Or, chacun peut imaginer les difficultés et les obstacles qui compliquent l’entretien d’un tel réseau peu accessible et transparent aux yeux de nombre d’utilisateurs. Ces opérations de maintenance exigent des moyens considérables et un savoir-faire à haute valeur ajoutée maitrisé par peu d’acteurs.
L’une des spécificités majeure repose dans le statut juridique de ces infrastructures qui relève d’acteurs privés et, notamment, des champions de l’Internet. Résumés dans deux acronymes GAFAM (ou plus exactement GAMAM) et BATX [7], ils reflètent, à leur manière, une nouvelle réalité géopolitique d’un monde pivotant sur deux orbites culturelles concurrentielles. Ces partenaires économiques agissent de fait comme des acteurs géopolitiques de dimension internationale dotés d’un pouvoir qui, à bien des égards, égale voire surpasse celui des États tant leur raison sociale – permettre la communication – est déterminante.
B. Une exploitation des espaces maritimes régie par des conventions internationales
Cette exploitation des espaces océaniques s’inscrit effectivement dans le cadre juridique de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) signé à Montégo Bay, en Jamaïque, en 10 décembre 1982. Suite à la ratification préalable par un nombre suffisant d’États, ce texte fondateur est entré en vigueur en 16 novembre 1994. Son apport est fondamental à de multiples titres.
Tout d’abord, cette « constitution de la mer » structure l’espace maritime selon une double perspective, sécuritaire et économique. Ainsi, l’espace de 12 milles nautiques courant depuis la laisse de basse mer vers le large est qualifiée de « mer territoriale ». C’est le prolongement maritime de l’État-côtier. En conséquence, ce dernier exerce, pleinement, des pouvoirs de police à la fois sur le milieu comme sur les vecteurs qui y évoluent librement. Cette garantie constitutionnelle contribue à l’expression pleine et entière de la souveraineté de l’État-côtier exercée sur ses approches maritimes. Ainsi, la pose d’installations (câble ou tuyaux) comme les opérations de recherche scientifique marine sont soumis à un régime d’autorisation préalable.
Par ailleurs, au-delà de cette ligne symbolique des 12 milles nautiques (soit 22 km), s’étend la Zone Économique Exclusive (ZEE) jusqu’aux 200 milles (soit 370 km). La CNUDM [8] attribue de fait à l’État-côtier le monopole de « l’exploration et de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques, et non biologiques des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques , telles la production d’énergie électrique à partir de l’eau, des vents et des courants [9] ». Il est, ainsi, libre de réguler les activités économiques telles la pêche maritime et la gestion des ressources halieutiques ou encore la construction d’îles artificielles, d’ouvrages et d’installations. Enfin les 64 % des espaces océaniques restants constituent la haute mer, patrimoine commun de l’humanité. Selon la formulation latine « res nullius, res communis« , la mer relève du patrimoine commun de l’humanité. Les autres puissances étatiques ont la possibilité de poser et d’entretenir des réseaux sous-marins immergés dans la ZEE relevant de la souveraineté de l’État côtier [10].
Enfin, l’État-côtier peut encore valoriser davantage les potentialités offertes par l’espace sous-marin en sollicitant l’extension de son propre plateau continental, auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental, organe spécialisé des Nations unies. Déterminée par des conditions géophysiques, cette extension au sol et au sous-sol marin s’inscrit dans le prolongement naturel des terres émergées du rebord jusqu’à une distance de 350 milles nautiques. A la différence de la ZEE, l’État-côtier ne peut revendiquer des droits sur la colonne d’eau surjacente des fonds marins. Il s’agit, en effet, d’eaux à statut international. A titre d’illustration, le 10 juin 2020, la France [11] a obtenu une telle dérogation, notamment, dans l’océan Indien. Cette décision lui a permis d’étendre le domaine sous-marin français de 151 323 kilomètre carré au large de l’ile de la Réunion (58 121 Km2) et de Saint Paul et Amsterdam (93 202 Km2).
De fait, le bouillonnement actuel de projets d’implantation de parcs éoliens ou encore de pose de câbles s’inscrivent en parfaite cohérence avec les dispositions des normes internationales en vigueur. Ces projets d’envergure déployés en mer posent des défis non seulement technologiques mais aussi sécuritaires dont la perception a été renouvelée avec gravité depuis les événements du Nord Stream 1 et 2 en 2022. Les conventions internationales ont envisagé des événements affectant la sécurité des installations offshore à l’image de la convention MARPOL [12] et de ses différentes annexes.
La convention internationale mise en œuvre par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) dite de Rome est dédiée à la suppression des actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime [13] et des plates-formes situées sur le plateau continental. Elle envisage la commission d’actes de malveillance de nature terroriste ou en lien avec la prolifération de matières nucléaires mettant en péril la sécurité de la navigation maritime.
II. Les infrastructures critiques maritimes, nouveau champs de bataille ?
L’Union européenne définit les infrastructures critiques maritimes comme « des actifs ou un système qui est essentiel pour la maintenance des fonctions vitales de la société ». Elles incluent non seulement les réseaux d’énergie et de communication sous-marins mais encore les installations portuaires, les rails de navigation, les plates-formes offshore et les réseaux afférents. Elles jouent un rôle central dans les chaines d’approvisionnement globalisées et dans la souveraineté des États à l’image de la liberté de manœuvre des forces armées par exemple [14].
Ces infrastructures posées sur les fonds marins ou flottantes sont l’objet de menaces protéiformes qui retrouvent une acuité singulière au regard d’une polarisation croissante des relations internationales. Elles cristallisent, désormais, l’attention des États qui ont une parfaite conscience de l’importance de ces installations qualifiées, à juste titre, de critiques. Ces risques sont d’ordre accidentels (A) mais aussi volontaires et intentionnelles (B). Ainsi, il convient de distinguer le concept de « sécurité » avec celui de « sûreté ». La sécurité ou safety désigne « la prise en charge des risques d’origine naturelle ou provoqués par la navigation maritime [15] ». Par différence, la sûreté maritime ou security est « la combinaison des mesures préventives visant à protéger le transport maritime et les installations portuaires contre les menaces d’actions illicites conventionnelles [16] ».
A. Les atteintes accidentelles aux infrastructures critiques maritimes
Les infrastructures maritimes sont exposées aux aléas d’un environnement naturel et industriel particulièrement exigeant.
Ainsi, la météorologie spécifique en mer peut se traduire par des tempêtes, raz de marée et courants susceptibles d’endommager les installations. Ainsi, des conflits d’usage entre les vecteurs maritimes et les infrastructures localisées en mer peuvent être provoqués par des éléments naturels conjugués à des problèmes d’ordre mécanique. Un cargo, le PETRA L [17], a heurté une turbine de la ferme éolienne offshore Gode Wind 1 situé en mer du Nord à environ 45 kilomètres des côtes allemandes et à 33 km au large des îles de Juist et de Norderney. Mettant hors service une turbine, cette perte de contrôle serait consécutive à une avarie dans une situation de forts vents.
Par ailleurs, le risque industriel encouru par l’exploitation offshore est une réalité omniprésente, notamment, au regard de la complexité d’infrastructures toujours plus sophistiquées. Ces plates-formes opérées en haute mer concentrent une multitude d’aléas liés à l’activité elle-même d’extraction à forte profondeur et au stockage d’un produit hautement inflammable ainsi qu’au milieu maritime particulièrement exigeant. Le contexte actuel est marqué par une recherche accrue de gisements. Aussi, les frontières du possible sont sans cesse repoussées : des forages toujours plus profonds exposent à des températures et des pressions de plus en plus fortes. Garantir un niveau élevé de sécurité est un enjeu fondamental pour l’industrie pétrolière. Le risque financier encouru est, aussi, susceptible de contribuer à la faillite de l’entrepreneur tant les coûts liés à la gestion d’une crise et les pénalités peuvent être importants.
Exemples non exhaustifs d’accidents majeurs depuis 30 ans
• Ixtoc 1 (golfe du Mexique), 3 juin 1979. La plateforme Ixtoc 1, exploitée par le pétrolier Perforaciones Marinas del Golfo, est soufflée par une éruption de pétrole. Neuf mois sont nécessaires pour stopper la marée noire de plus 500 000 tonnes de pétrole. Coût : 1,5 milliard de dollars US.
• Piper Alpha (mer du Nord), 6 juillet 1988. La plateforme Piper Alfa, opérée par Occidental Petroleum en mer du Nord britannique, explose. Faisant 167 morts, l’accident est celui qui a le plus profondément marqué l’industrie pétrolière en mer. Coût : 3,5 milliards de dollars US.
• Deepwater Horizon (golfe du Mexique), 20 avril 2010. La plateforme de forage Deepwater Horizon de Transocean, opérée par BP, explose, causant 11 morts. BP met trois mois à stopper la fuite à – 1 500 mètres sous l’eau. 4,9 millions de barils de brut se sont échappés. Coût : 40 milliards de dollars.
• Elgin (mer du Nord), 25 mars 2012. Une fuite de gaz de 200 000 m 3 par jour survient sur une plateforme exploitée par Total au large de l’Écosse. Malgré les efforts, les opérations engagées par le pétrolier français pourraient prendre jusqu’à six mois. Coût : 2,5 millions de dollars par jour.
En matière de réseaux de communication, les câbles posés sont vulnérables aux mouvements géologiques du sous-sol marin [18]. Ainsi, parmi les risques les plus fréquents, se trouvent les opérations de pêche et d’ancrage [19] de navire. Si elles sont fort heureusement rares, ces pannes engendrent des effets domino observés parfois très loin de leur centre de gravité au regard du degré d’interconnexion et d’inter-dépendance des économies aux réseaux. Plus récemment, le 8 octobre 2023, le gazoduc Balticconnector [20] et deux câbles de télécommunications ont été victimes de dommages liés à des opérations d’ancrage selon les premiers éléments communiqués par les autorités finlandaises. L’origine accidentelle comme intentionnelle n’est pas encore déterminée [21].
Dans notre perspective, ces atteintes à la sécurité sont à prendre en considération non pas pour elles-mêmes. Mais véritablement comme les conséquences possibles d’un acte de malveillance perpétré sur des infrastructures critiques. Notons que l’environnement maritime démultiplie l’impact d’une crise qui est sans commune mesure avec celle des autres milieux. La maritimisation contemporaine témoigne du gigantisme de la construction navale qui met en circulation des navires citerne longs de 400 mètres transportant plus de 300 000 tonnes de brut. La perte d’un navire génère des conséquences démultipliées dans l’espace maritime et côtier mais aussi dans le temps, car, tant que l’épave n’a pas rendu l’intégralité du fret transporté, du produit s’échappe inexorablement. D’autant plus que l’intervention humaine semble bien dérisoire au milieu des océans, quand les éléments se déchaînent.
Nord Stream 2 ou la révolution de l’évaluation de la malveillance maritime
La maritimisation s’est trouvée renforcée par la dépendance croissante des économies aux richesses des océans mais aussi par le rôle majeur joué par les vecteurs maritimes dans les approvisionnements stratégiques en matières premières. Stimulés par le croissance de l’industrie, les acteurs publics et privés ont massivement investi les océans pour implanter des infrastructures. Conjointement, la notion de risque a été atténuée par cet enthousiasme collectif.
Ces actes malveillants [22] nécessitent la conception d’une manœuvre particulièrement audacieuse visant à interrompre ou à détourner le flux de données transitant par ces tuyaux. Ils supposent des modes opératoires hybrides produisant des effets asymétriques sur le camp adverse : quelques milliers d’euros d’investissement pour l’acquisition, par exemple, d’un drone maritime peuvent causer des dommages de plusieurs millions d’euros. Observé en 1898, lors de la guerre américano-espagnole, les Américains coupèrent les fils télégraphiques entre l’Espagne et ses possessions transatlantiques. Autre scénario possible qui expose moins les auteurs : « écouter » le flux de données qui empruntent ce canal en installant des mouchards aux points clés du réseau. Reste, cependant, à déchiffrer et à exploiter cette masse considérable de données frauduleusement collectées. Enfin, nous assistons à une privatisation progressive de ces infrastructures vitales qui irriguent l’ensemble de nos vies. Jadis réseau étatique, les opérateurs comme les GAFAM en prennent progressivement le contrôle. Ce qui ne laisse pas d’interroger sur les enjeux de souveraineté attachés aux données et aux garanties apportées à la liberté d’expression.
Toutefois, les actes de sabotage portés aux pipeline Nord Stream 1 et 2 ont matérialisé une menace pensée comme théorique. Ce trait d’union maritime gazier reliant la Russie à l’Allemagne est victime d’un acte de malveillance constaté les 26 et 27 septembre 2022. A cette occasion, la communauté internationale s’étonne d’un bouillonnement inhabituel à la surface de la mer Baltique et, ce, en deux endroits différents. Gisant dans les fonds de la Baltique, en Zone Économique Exclusive du Danemark et de la Finlande, le pipeline rallie Vyborg en Russie à Lubmin en Allemagne, soit une distance de 1224 kilomètres. Ce défi technologique permettait d’alimenter l’économie allemande en matières premières bon marché. Les différentes enquêtes sont encore actives afin d’élucider ces actes de malveillance et d’en établir les responsabilités. Néanmoins, il convient de souligner la grande complexité de la conception et de l’exécution d’une telle opération à haut risque. L’expédition sous-marine a été conduite par des plongeurs missionnés pour positionner à différentes reprises des charges explosives sur des installations posées au fond de la mer Baltique.
Cet acte de sabotage a généré un séisme au sein des sociétés hyperconnectées et tributaires de la mer pour l’équilibre de leurs chaines d’approvisionnement. Ces menaces hybrides sont issues d’une zone grise évoluant entre la criminalité organisée et les organisations para-étatiques voire étatiques. Elles s’inscrivent dans un cadre juridique indéterminé entre le régime normal de la paix et le droit des conflits armés. Cyberattaque, subversion politique, coercition économique, opération de déstabilisation, … . tels en sont les modes d’action privilégiés. L’immensité océanique, la multiplicité et la complexité des réseaux posées ou encore des infrastructures offshore constituent autant d’effets multiplicateurs impactant la résilience de sociétés interdépendantes. D’autant plus que ces infrastructures critiques sont véritablement transparentes aux yeux des citoyens peu au fait de ces réalités. Ce rapport distant aux choses de la mer rend souvent inaudible ces enjeux lointains et technologiques. Or, le contexte géostratégique actuel est caractérisé par un recours décomplexé à la force armée comme outil de règlement des conflits, la conception d’une guerre totale incluant les infrastructures critiques et les chaines d’approvisionnement ainsi que par la polarisation des acteurs étatiques. Cette guerre des fonds marins (« seabed warefare ») est devenue une réalité comme le souligne sans ambages les conclusions du Sommet de l’OTAN des 11-12 juillet 2023. : « La menace qui pèse sur les infrastructures sous-marines critiques est réelle, et elle s’accroît. Nous sommes déterminés à déceler et à atténuer les vulnérabilités et dépendances stratégiques de nos infrastructures critiques, ainsi qu’à assurer la préparation, la dissuasion et la défense face à l’instrumentalisation de l’énergie et au recours à tout autre procédé hybride par des acteurs étatiques ou non étatiques à des fins coercitives. Toute attaque délibérée contre les infrastructures critiques de pays de l’Alliance se verra opposer une réponse unie et déterminée, et cela vaut aussi pour les infrastructures sous-marines critiques. La protection des infrastructures sous-marines critiques se trouvant sur le territoire des Alliés demeure une prérogative nationale et un engagement collectif [23]. ».
L’émergence de technologies de rupture duales menace la résilience de nos sociétés interconnectées
Le conflit russo-ukrainien a démocratisé l’emploi des drones non seulement lors des opérations terrestres mais aussi maritimes. Facilement disponible et bon marché, le drone impose une stratégie du faible au fort démultiplié par l’immensité du domaine sous-marin. Il exerce, ainsi, une menace diffuse sur les infrastructures critiques sous-marines et les lignes de communication.
Les drones sous-marins sont des véhicules capables de fonctionner sans être humain à bord voire sans contrôle à distance ou opéré par un humain.
Plusieurs scénarii [24] de perturbation voire d’interruption d’activités humaines en mer peuvent être identifiés par l’emploi de ce moyen :
. Attaque physique coordonnée de drone (s) sur les infrastructures critiques et lignes de communication.
L’engin sous-marin effectuerait des poses de mines réelles ou fictives en surface, en sous-marin ou dans les ports. Il pourrait, en outre, véhiculer des charges explosives (notamment des charges nucléaires) ou disséminer des agents chimiques et / ou biologiques. Au vu du faible coût d’acquisition ou de conception, ce cas d’usage pourrait être mis en œuvre par des acteurs para-étatiques ou issus de la criminalité organisée en qualité de sous-traitant au bénéfice d’autres organisations hybrides. Ce scénario est évalué comme probable.
. Cyber-attaque ciblant les infrastructures critiques sous-marines, maritimes et portuaires.
Ce mode opératoire complexe chercherait à porter une atteinte à la disponibilité et à l’intégrité de la donnée, notamment, en lien avec les systèmes de sécurité maritime (positionnement géographique des navires, cartographie maritime, communication, etc..). Par ses capacités cybernétiques, il pourrait prendre part à des manœuvres élaborées visant à leurrer ou à dupliquer des communications maritimes et portuaires entre des vecteurs entre eux mais aussi entre des vecteurs et des infrastructures (dispositif de Command and Control, sous-stations électriques). Pour accroitre encore les effets sur un théâtre d’opération maritime ou sous-marin, une attaque massive et coordonnée pourrait être envisagée par le recours à un ou des essaim(s) de drones. Furtif par construction, il présente l’avantage d’être difficilement « attribuable » à son commanditaire. Nécessitant encore des développements technologiques important, ce scénario est perçu comme peu probable en 2023.
. Menace physique portée à la sécurité des routes maritimes [25] et des ports
Ce mode opératoire conçoit l’emploi des drones télé-opérés comme des sous-marins ou des navires de surface. Dans cette perspective, ces engins pourraient être dotés d’armes de bord conventionnelles, poser des mines sous-marines pré-programmées voire emporteraient des matières fissiles dans un cas très extrême. Quelle que soit la nature des équipements embarqués, un tel cas d’usage avéré exerce par lui-même une très forte menace psychologique à l’égard des gens de mer, qu’ils relèvent de la navigation marchande ou des flottes militaires. Ce scénario est perçu comme probable.
. Ces technologies évolutives connaissent actuellement des développements par le recours aux apports de l’Intelligence Artificielle ou encore du Machine Learning. Ils posent, néanmoins, de nombreuses questions majeures, notamment en terme d’éthique de la décision ultime. Est-ce que la décision d’emploi de telles armes peut être confiée à des algorithmes ? Cette « démocratisation » d’emploi des drones sous-marins à usage dual interroge aussi sur les perspectives de prolifération vers des acteurs hybrides, voire relevant de la criminalité organisée. Une telle extension d’usage des drones nécessitera, à l’avenir, des mesures de coordination internationale, susceptibles d’impacter les principes du droit maritime international.
Face à ces questions en suspens, ces engins télé-opérés doivent gagner en maturité. En l’état actuel de l’art, les drones connaissent des limitations en termes d’autonomie de navigation et de liaisons entre le pilote et son véhicule sous-marin, notamment, Internet dont la portée se trouve ralentie en milieu marin.
La mer, pare-feu numérique des infrastructures énergétiques et informationnelles [26] ?
Les infrastructures maritimes constituent, bien souvent, des sites industriels complexes dont le principe de fonctionnement et, partant, l’efficacité reposent sur des connexions internes mais aussi externes établies avec des centres distants de Command and Control (C2). Ces interconnexions sont donc consubstantielles à la conception de ces systèmes. En plein développement, elles s’inscrivent graduellement dans le sillage de l’industrie du futur, l’industrie 4.0 [27], qui accélère l’ouverture numérique des ensembles industriels.
Cette menace s’est déjà exprimée récemment au travers un chantage par déni de service avec un opérateur énergétique. Ainsi, en octobre 2015, immergée dans le raz de Sein, l’hydrolienne opérée par l’entreprise finistérienne Sabella est victime d’un rançongiciel [28] infectant l’ordinateur de contrôle de la production. Encore en phase de test, cet incident se traduit, néanmoins, par un arrêt de la production durant 15 jours, privant ainsi l’île voisine d’Ouessant d’électricité. Cet exemple symbolique permet d’envisager l’impact socio-économique sur l’activité humaine en le transposant au cas des îles énergétiques. Ce bilan étant accru par l’insularité.
De plus, les vecteurs maritimes affichent aussi des vulnérabilités susceptibles d’être exploitées par des acteurs hybrides malveillants. La société israélienne a illustré l’acuité de cette menace cybernétique en organisant une cyberattaque visant un navire porte-conteneurs. En décembre 2017 [29], l’équipe d’ingénieurs de Naval Dome est parvenue à prendre le contrôle du ZIM GENOVA à la fois lors d’une escale que lors d’une navigation transatlantique, en compromettant le système de navigation, les radars comme la gestion de la salle des machines. Les effets de cette intrusion numérique opérée à distance démontrent les champs nouveaux d’une action hybride impactant le commerce international et la viabilité des routes maritimes. Au total, l’analyse des risques de la navigation peut se résumer de manière synthétique comme suit :
. usurpation et brouillage des systèmes de positionnement ou de communication ciblant le vecteur ou son environnement,
. dérèglements ou perte de disponibilité des systèmes cartographiques,
. diffusion de fausses informations de sécurité vers le navire,
. intrusion des systèmes industriels à bord,
. chiffrement des systèmes d’information en tout ou partie.
Ce panorama du risque permet d’identifier les modes opératoires hybrides susceptibles d’impacter les activités humaines en mer et, partant, la résilience des sociétés et des États.
III. Le défi de la protection des infrastructures critiques maritimes dans le contexte de guerre haute intensité ou retour en force de la thalassopolitique ?
Le contexte géo-stratégique semble s’orienter durablement sur une polarisation des relations internationales, laissant peu d’espace à une troisième voie. De manière très concrète, cela se traduit par un recours à la force armée comme outil de résolution des conflit et une militarisation multi-champs, multi-domaines. A ce titre, et dans le contexte de maritimisation des économies, les infrastructures critiques maritimes apparaissent comme des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience d’un État ou d’une alliance. Elles font l’objet d’un regain d’intérêt des États comme en témoigne un foisonnement doctrinal inédit (A). De plus, cette situation nouvelle recentre l’État sur sa mission de protection de ses propres intérêts dans une thalassopolitique renouvelée, miroir de ses ambitions et de ses moyens (B).
A. Un foisonnement inédit de doctrines en lien avec les fonds marins et de développements technologiques
La période actuelle est fertile en multiples réflexions et propose de nombreuses mesures destinées à diminuer le risque d’atteintes aux infrastructures critiques maritimes. Des études et recherches scientifiques préparent des efforts doctrinaires et invitent au développement de technologies de rupture afin de sécuriser ces infrastructures, certes, difficiles d’accès mais, ô combien, vitales.
La France a rendu public la stratégie ministérielle de maitrise des grands fonds marins [30] en février 2022, combinant une dimension militaire et économique. Cette stratégie se fonde sur un double constat :
. les activités étatiques et économiques se développent dans les fonds marins,
. la protection de nos intérêts stratégiques et la liberté d’action de nos forces pourraient être contestées.
Désireuse de consolider l’autonomie stratégique tout en saisissant les opportunités liées à cet espace de compétition, la France développe une feuille de route dont les éléments principaux sont énoncés ci-après :
. intégrer la maitrise des fonds dans la stratégie de défense au travers des Opérations de Maitrise des Fonds Marins (OMFM) [31],
. définir une gouvernance interministérielle basée sur un groupe de travail multidisciplinaire,
. préparer les capacités de maitrise des fonds marins en cohérence avec les programmes d’armement existants ou prévus [32],
. intégrer cette stratégie au sein d’une dynamique interministérielle portée par la Stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins de 2020 et l’objectif 10 du plan d’investissement « France 2030 ».
Le Royaume-Uni renforce sa flotte hydrographique par la mise en service de deux frégates multi-rôles en janvier 2023 et par des projets d’acquisition de drones sous-marins. Les missions opérationnelles sont axées, principalement, sur la surveillance des infrastructures critiques sous-marines, scellant simultanément un partenariat stratégique avec la Norvège.
Par ailleurs, les États-Unis d’Amérique investissent massivement le champs de la recherche scientifique et du développement de technologies de rupture ou émergentes telles le positionnement géographique ainsi qu’un réseau de senseurs et de capteurs dédiés aux grandes profondeurs associés à une flotte de navires autonomes pilotée à base d’intelligence artificielle.
Les organisations internationales se sont aussi saisies des enjeux des infrastructures critiques.
Avant le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, l’Union européenne s’est emparée de ce sujet au travers d’un rapport publié par le Parlement européen en juin 2022. Il est intitulé « Conséquences pour l’UE des atteintes à la sécurité des câbles de communication et infrastructures sous-marines [33] ». Ce document suggère une meilleure coordination dans la protection et la surveillance des réseaux immergés et le développement de solutions technologiques. En mars 2023, la Stratégie européenne de sûreté maritime [34] est réévaluée à la lumière des dernières attaques en mer Baltique. Des partenariats stratégiques [35] sont alors noués avec l’OTAN en matière de protection d’infrastructures critiques, sans se limiter exclusivement au domaine maritime.
De plus, l’OTAN a renforcé ses missions de surveillance des espaces maritimes de la mer du Nord et de la mer Baltique sans négliger la mer Méditerranée. La coordination générale est confiée au commandement maritime de l’OTAN ou MARCOM [36] basé à Northwood au Royaume-Uni. Un centre dédié à la sécurité des infrastructures critiques sous-marines a été, en outre, intégré à MARCOM à la suite du sommet l’OTAN organisé à Vilnius les 11 et 12 juillet 2023. Des nations alliées prêtent leur concours à l’image du Corps d’auto-défense japonais et de l’Australie qui ont pris part à l’opération de l’OTAN Sea Guardian en octobre 2022. De même, l’OTAN encourage le partenariat public-privé en créant « un réseau rassemblant l’OTAN, les Alliés, le secteur privé et d’autres acteurs concernés qui permettra d’améliorer le partage de l’information et l’échange de bonnes pratiques » [37].
B. Les États recentrés sur la mission organique de protection des intérêts vitaux ?
Les infrastructures critiques maritimes délivrant des services essentiels relatifs aux communications, à l’énergie, à la fourniture de matières premières… relèvent d’acteurs privés qui assument in fine une mission de service public et concourent activement à la résilience de l’État et des populations. C’est précisément un point commun majeur qui les relient toutes entre elles. Cette situation singulière oblige l’État à assurer la protection de ces activités essentielles. Car ces dernières garantissent directement la défense de ses propres intérêts.
Cette tendance lourde semble irréversible tant la numérisation croissante de l’économie associée aux exigences de la transition climatique se traduisent par une exploitation accrue des potentialités offertes par les espaces maritimes. Néanmoins, au vue du contexte géo-stratégique actuel qui désigne ces infrastructures critiques comme des objectifs militaires, les projets de création de nouvelles connexions numériques sous-marines ou d’installations offshore produisant des énergies marines renouvelables sont susceptibles d’être réévalués. S’inscrivant sur des cycles de conception et de production supérieure à 25 ans, ces projets de grande envergure supposent des investissements conséquents, des autorisations préalables d’acteurs étatiques variés et des défis technologiques. Ainsi, l’exemple du projet Xlinks opéré par des acteurs privés britanniques est illustratif des enjeux. Il s’agit de fournir de l’électricité sûre, fiable et durable à 8 % des foyers britanniques. Conforme aux engagements du gouvernement en matière de développement durable, cette électricité verte sera produite au Maroc [38] à la fois mixant des énergies éoliennes comme solaires. Avant d’être distribuée, elle sera transportée par câbles sous-marins sur plus de 3800 kilomètres à travers l’océan Atlantique.
L’enjeu de protection et de surveillance de ce réseau de transport d’énergie posé connaît une acuité renouvelée depuis la relance le 24 février 2022 du conflit russo-ukrainien. Quels en seront les impacts ? Comment anticiper les évolutions géo-stratégiques dans un projet intercontinental à proximité de chokepoints internationaux ? Les investissements particulièrement conséquents sont très régulièrement assumés par des consortiums internationaux à l’image du câble « Amitié ». Celui-ci est constitué de Facebook, Microsoft, Aqua Comms et Vodaphone avec lequel Orange a signé un partenariat.
Pour ce faire, les organisations internationales comme les États émettent des normes, des obligations afin de sécuriser ces activités essentielles. Le maritime donne, à ce titre, une illustration concrète des efforts déployés. Véritable clé de voute, le code ISPS (International Ship and Port Facility Security) est l’instrument réglementaire en matière de sûreté maritime. Il dispose que « l’évaluation de la sûreté du navire devrait porter sur (…) les systèmes de radio et télécommunications, y compris les systèmes et réseaux informatiques ». Il impose, néanmoins, un plan de sûreté du navire comportant une cartographie logicielle et matérielle du navire, la définition des éléments sensibles et la gestion des vulnérabilités du système. En 2017, l’Organisation Maritime Internationale émet des directives [39] sur la gestion des cyber-risques maritimes dans le sens d’une meilleure protection du transport maritime. Elle impose sous échéance la mise en conformité des systèmes de gestion de la sécurité [40] aux cyber-menaces. Enfin, la directive européenne NIS [41] prévoit la mise en œuvre de mesures destinées à assurer un niveau élevé et commun de sécurité des réseaux et systèmes d’information au sein de l’UE. Transposée en 2018 en droit français, elle identifie comme Opérateur de Services Essentiels les compagnies de transports maritimes et les gestionnaires de ports soumis à des mesures techniques et organisationnelles contre les cyber-risques.
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En conclusion, matérialisée par le conflit russo-ukrainien et ré-affirmée au Proche-Orient depuis l’attaque par le Hamas d’Israël, la nouvelle donne stratégique a des incidences directes et immédiates sur les politiques de défense des États, contraints d’adapter la protection de leurs intérêts majeurs. La maritimisation des modes de vie conjuguées à la digitalisation des économies et aux objectifs de transition énergétique ont dessiné, notamment, une géopolitique énergétique et numérique qui est questionnée aujourd’hui. En effet, ces dynamiques reposent sur des réalisations industrielles à l’image des câbles sous-marins (énergie, télécommunication), des plates-formes d’extraction de matières premières (hydrocarbures, terres rares…) mais aussi les projets d’envergure des îles énergétiques artificielles. Ces infrastructures critiques sous-marines et maritimes sont devenues des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience des États. Transparentes pour l’usager, elles constituent, néanmoins, selon les points de vue, soit des vulnérabilités soit des cibles d’intérêt dans la perspective d’une guerre totale ou guerre d’attrition.
Le sabotage de Nord Stream 1 et 2 a remis en cause l’ordre international existant. Parmi d’autres enseignements, il a placé au centre des débats notre organisation socio-économique et, singulièrement, notre rapport à la mer. En ce sens, cet acte de sabotage renforce l’État dans sa fonction première de protection de ses intérêts vitaux et de disponibilité des fonctions et services essentiels. Qui sont en très grande partie tributaires des espaces océaniques. La thalassopolitique offre ainsi aux observateurs comme aux décideurs une opportunité d’adopter un point de vue fertile pour mieux appréhender la complexité du monde et des relations internationales.
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[1] John Watkins BRETT, à bord du remorqueur GOLIATH, pose le premier câble entre le cap Gris nez, en France, et la cap Southerland au Royaume-Uni. L’émission dura 11 minutes avant que le câble ne se rompt en divers endroits.
[2] La réalisation des batteries de stockage d’énergie réclame du magnésium, du cobalt ou encore du nickel. Ces matières sont présentes dans des enrochements. Ainsi, la zone de Clarion-Clipperton – allant du Mexique à Hawaï- regorgerait de 6 fois plus de cobalt et de trois fois plus de nickel que l’ensemble des réserves connues au monde.
[3] Le gazoduc Franpipe fonctionne depuis 1988. Long de 840 kilomètres, il relie la plate-forme de Draupner dans les eaux territoriales de la Suède au terminal gazier de Dunkerque.
[4] Thalassocratie criminelle et sécurisation des approvisionnements stratégiques, Florian MANET, in Sécurisation des infrastructures vitales, Mare et Martin, novembre 2020
[5] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/en-mer-du-nord-des-iles-energetiques-pour-sauver-la-planete-1948932, consulté le 29/10/23
[6] Le FPSO (Floating Production Storage and Offloding) ICHTYS VENTURER est amarré à 250 mètres de profondeur et à plus de 220 kilomètres des côtes, dans la Zone Économique Exclusive australienne. https://www.offshore-mag.com/field-development/article/16799853/ichthys-lng-fpso-in-place-offshore-australia
[7] Cet acronyme désigne les quatre grandes entreprises du web chinois, à savoir Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.
[8] Article 55 et suivants de la CNUDM
[9] Article 56 de la CNUDM
[10] Articles 58 et 112, CNUDM
[11] Voir décision de la Commission des limites du plateau continental, consulté le 23/10/24, 2020_03_04_COM_SUMREC_FRA2.pdf
[12] Cette convention est dédiée à la prévention et à la répression des rejets volontaires en mer par des navires ou des plates-formes offshore, que la cause soit accidentelle ou liée à l’exploitation. Elle a été adoptée en 1973 et enrichie de protocoles additionnels (en 1978 et 1997) , https://www.imo.org/fr/about/Conventions/Pages/International-Convention-for-the-Prevention-of-Pollution-from-Ships-(MARPOL).aspx
[13] Ou Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Navigation (dite SUA). Elle a été signée le 10 mars 1988 et ratifiée le 1 er mars 1992. Elle fait suite à un acte de terrorisme commis à bord du navire à passagers ACHILLE LAURO 1985 au large d’Alexandrie. Ce navire a été détourné et un passager de nationalité américaine a été tué sur fonds du conflit israélo-palestinien. Elle a été enrichie par le protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates formes fixes situées sur le plateau continental.
[14] Protecting critical maritime infrastructure – the role of technology, 032 STC 23 E rev.2 fin – 7 octobre 2023
[15] POLÉRE, Pascal « Sûreté maritime : bilan et perspectives du code ISPS », DMF, 2006, p.66
[16] Règlement européen n° 725/2004 reprenant le Code ISPS
[18] Le 26 décembre 2006, un tremblement de terre de magnitude 7 sur l’échelle de Richter secoue Taïwan. L’épicentre est localisé dans le détroit de Luçon par lequel transitent l’ensemble du réseau de câbles qui relie l’île et une partie de l’Asie du Sud-Est avec le reste du monde. L’ensemble des communications ont été très perturbés, 50 jours ayant été nécessaires pour rendre opérant cette infrastructure.
[19] En juillet 2017, la Somalie a été isolée du reste du monde après qu’un porte-conteneurs coupe l’Eastern Africa Submarine System (EASSy), unique câble du pays. Les pertes quotidiennes ont été évaluées à 9 millions d’euros par jour soit la moitié du PIB journalier de la Somalie.
[20] Ouvert le 11 décembre 2019, le gazoduc BALTICCONNECTOR approvisionne en gaz la Finlande depuis l’Estonie. Il permet à la Finlande d’accéder au stockage de gaz naturel d’Incukalns en Lettonie. Le gazoduc comprend trois tronçons : 22 km sur le sol finlandais, 80 km en mer et 50 km sur le sol estonien. Dans le même temps, un câble de communication a été endommagé entre la Suède et l’Estonie.
[21] Voir https://www.reuters.com/world/europe/finland-retrieves-anchor-seabed-near-broken-gas-pipeline-2023-10-24/, consulté le 23/10/23
[22] Voir Security Threats to undersea communications cables and infrastructure- conséquences for the EU, DG for External Policies, juin 2022,
[23] Communiqué du sommet de l’OTAN de VILNIUS, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_217320.htm, consulté le 26/10/23.
[24] Voir Australia’s Trade and the Threat of Autonomous Uncrewed Underwater Vehicles, RMIT University, disponible https://www.rmit.edu.au/research/centres-collaborations/cyber-security-research-innovation/autonomous-uncrewed-underwater-vehicles, consulté le 26/10/2023
[25] Pourraient être visé en priorité les chokepoint. L’agence américaine pour l’énergie (EIA) définit ainsi le chokepoint : « narrow channels along widely used global sea routes ». Voir MANET, Florian, 17/09/21,https://www.diploweb.com/Pourquoi-le-detroit-d-Ormuz-est-il-un-symbole-des-enjeux-contemporains-de-la-maritimisation-de-nos.html
[26] La marétique, un enjeu essentiel pour l’humanité ? Florian MANET, in Cybercercle Collection, décembre 2020
[27] Industrie 4.0, cheval de Troie de la cybersécurité intégrée au sein de l’aéronautique ? Une opportunité historique à saisir, Florian MANET, in Cybercercle Collection, juillet 2022
[28] Technique d’attaque courante de la cybercriminalité, le rançongiciel ou ransomware consiste en l’envoi à la victime d’un logiciel malveillant qui chiffre l’ensemble de ses données et lui demande une rançon en échange du mot de passe de déchiffrement. https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/principales-menaces/cybercriminalite/rancongiciel/
[29] Consultation du site de Naval Dome, http:// navaldome.com/
[30] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi2vaH_mZOCAxUrT6QEHfhjAnYQFnoECBkQAQ&url=https%253A%252F%252Fwww.defense.gouv.fr%252Fsites%252Fdefault%252Ffiles%252Fministere-armees%252F20220210_LANCEMENT%2525, consulté le 26/10/23
[31] Ces OMFM se définissent comme « l’ensemble des opérations conduites vers, depuis et sur les fonds marins et associant des systèmes pouvant opérer de manière autonome ou en réseau. Le spectre des OMFM s’étend des opérations hydro-océanograhiques à des opérations d’intervention et d’action sous la mer, en passant par des missions de surveillance.
[32] Comme les Capacités hydrographique et océaniques du Futur (CHOF), Système de Lutte Anti-mines du Futur (SLAMF) ou encore les premiers drones (AUV) et robots (ROV) pouvant opérer jusqu’à 6 000 mètres.
[33] BUEGER, Christian, LIEBTRAU, Tobias et FRANKEN, Jonas, http://europarl.europa.eu/Regdata/etudes/IDAN/2022/702557/EXPO_IDA(2022)702557_EN.pdf
[37] Communiqué du sommet de l’OTAN de VILNIUS, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_217320.htm, consulté le 26/10/23
[38] Les installations seront localisées dans la région de Guelmin Oued Noun au Maroc. La connexion au réseau britannique est envisagée dans le Devon à Alverdiscott. La production théorique est évaluée à 10,5 gigawatts dont 7 GW proviendraient de l’énergie solaire et 3,5 GW de l’énergie éolienne. Le Maroc apporte une prévisibilité et une constance dans la production d’énergie, contrairement à l’éolien britannique, instable et irrégulier. La première phase du projet sera opérationnelle en 2029, la deuxième phase étant prévue en 2031.
A la fin (inéluctable) des opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza et avant même la résolution (beaucoup moins certaine) de la crise politique régionale, il faudra faire les comptes humains: dresser la liste des morts dans le camp israélien (au moins 1500 tués civils et forces de sécurité) et estimer les pertes dans les rangs des civils combattants et non-combattants du camp palestinien. Selon des chiffres du ministère de la Santé du Hamas palestinien, après 30 jours de guerre, plus de 10 000 Palestiniens ont trouvé la mort; d’autres sources minorent ce chiffre d’un tiers, voire des deux tiers (photos AFP).
Il faudra aussi faire les comptes environnementaux. Dans l’hypothèse où les plus de deux millions d’habitants de la bande de Gaza y restent bloqués, sans espoir de trouver refuge dans un pays voisins (l’Egypte et la Jordanie refusent toujours cette possibilité), ils devront tenter de survivre dans un environnement dévasté, en proie à une crise environnementale majeure.
Et même si des aides humanitaires massives permettent de réduire les souffrances de la population civile, il faudra du temps, alors que l’hiver approche, pour mettre en place des structures efficaces à même de soigner, nourrir et loger les habitants, pour réduire les pollutions de l’air et des sols, ainsi que les contaminations des terrains aquifères, pour évacuer des monceaux de débris et d’innombrables cadavres d’animaux etc.
Le défi est à relever; sinon le nombre des victimes continuera de croître dans Gaza. Les morts interviendront à cause à cause de la contamination par les obus, roquettes, grenades, bombes non explosés, à cause de la pollution des sols, de l’atmosphère et des eaux (de surface, de profondeur ou côtières), à cause de probables des carences sanitaires et épidémies.
Crise environnementale.
J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur les émissions militaires de gaz à effet de serre (dans le cadre de la guerre en Ukraine par exemple). Tant que les opérations militaires, israéliennes spécifiquement, ne sont pas finies, il sera difficile de quantifier les émissions de GES. Je renvoie vers le site The Military Emissions Gap, site qui précise que l’IDF (armée israélienne) ne communique pas sur ce sujet, même en temps de paix. Rien pour l’instant donc sur la « carbon boot print » de cette guerre entre Israël et le Hamas.
A défaut de données stabilisées pour mesurer les effets de la crise environnementale en cours, on peut toutefois se pencher sur les effets des guerre passées et sur la nature des destructions enregistrées dans l’enclave palestinienne.
Après les opérations de 2008-2009
L’Onu (le United Nations Environment Programme) a publié en septembre 2009 un rapport sur l’impact des combats de décembre 2008 et janvier 2009 dans la bande de Gaza. Il est intitulé Environmental Assessment of the Gaza Strip. Il détaille toutes les atteinte à l’environnement du fait des bombardements et des combats au sol. En voici quelques-unes.
Selon les chiffres de ce rapport, 2 692 bâtiments et 186 serres ont été détruits ou irrémédiablement endommagés. Ces destructions ont généré 600 000 tonnes de débris et de gravats où la présence d’amiante (entre autres polluants) était massive. La pollution de l’air a été intense du fait des particules de combustion en particulier et elle a été exacerbée par la toxicité des débris (béton, pierres, briques, bois, terre et autres matériaux).
Aux bâtiments et serres s’ajoutaient 167 kilomètres de routes qui ont été détruits, selon un autre rapport. Intitulé « Public services and roads in the Gaza Strip after the last 22 days of war in Gaza« , il pointe la difficulté d’évacuer tous les débris, le coût d’enlèvement (10$ la tonne) et la superficie nécessaire pour entreposer ces débris avant le tri et le concassage (125 000 m2 sur 5 m de haut).
Autre problème majeur: les eaux usées qui se déversent souvent directement dans la mer (entre autres via le Wadi Gaza, rivière et dépotoir géant) et les décharges publiques à ciel ouvert. Des déversements massif de bassins de rétention ont eu lieu en 2008-2009. Ainsi à la grande station d’épuration d’Az Zaitoun, une rupture de digue liée à un bombardement a provoqué le déversement de 100 000 m3 d’eaux usées qui ont pollué 55 000 m2 de terres agricoles.
Les terres agricoles ont, elles aussi, particulièrement souffert. Selon une étude conjointe de l’UNDP et de la PAPP, 17% des surfaces agricoles ont été détruites, ainsi que 17,5% des vergers et 9,2% des pâturages, labourés par les chenilles des blindés et pollués par les résidus de carburants et de munitions.
Pour en finir avec les effets sur l’agriculture, l’Onu avait recensé la mort d’au moins 35 750 vaches, moutons et chèvres, et celle d’un million de volailles. La masse de ces carcasses, qui ont pourri en plein air et pollué les sols, était estimée entre 1000 et 1500 tonnes.
L’assaut terrestre de 2014
En 2014, les 51 jours de combats terrestres et les bombardements avaient généré 2,5 millions de tonnes de débris et de gravats, selon une étude palestinienne. Elle était titrée: « 2014 War on Gaza Strip: Participatory Environmental Impact Assessment »
Cette étude d’octobre 2015 avançait le chiffre de 15 264 structures frappées par les tirs dont 10 326 bâtiments détruits/endommagés.
Les combats avaient provoqué l’interruption totale de la collecte des déchets. 80 000 tonnes de déchets se sont donc accumulées dans les rues, les villages, les camps de réfugiés selon l’Environmental Quality Authority-Gaza.
Autre chiffre: 250 000 arbres ont alors été détruits (oliviers, citronniers, arbres fruitiers…).
Elle aborde surtout les effets des bombardements sur les réseaux d’assainissement et de distribution d’eau de Gaza. 109 des 290 infrastructures liées à l’eau s’occupaient du traitement des eaux usées, selon des chiffres de l’organisme onusien Water Sanitation & Hygiene (WASH).
WASH estimait alors qu’un million d’habitants de l’enclave avaient été directement impactés par les destructions sur ces réseaux, avec des coupures d’eau, du rationnement et, surtout, des déversements d’eaux usées dans les rues, dans les champs, dans les réservoirs d’eau et dans la Méditerranée, comme l’ont confirmé les images satellites (photo ci-dessus Gaza City Municipal Council). Au plan sanitaire, ces déversements ont fait courir de sérieux risques à la population (infections qui ne peuvent pas être traitées par des antibiotiques, risques d’épidémies etc.).
Des retards dans les travaux de rénovation des infrastructures n’ont pas permis de réduire rapidement les effets des déversements. De fortes pluies en janvier et novembre 2022 à Gaza ont même soit augmenté la taille des zones où croupissaient des eaux polluées depuis mai 2021, soit entraîné dans la mer toutes les eaux croupies et les déchets.
2023 et après?
La virulence des frappes israéliennes et des combats au sol font craindre qu’en 2023, les effets sur l’environnement soient décuplés.
Quelques données circulent déjà. Dont cette carte du United Nations Satellite Centre (UNOSAT) qui estime qu’entre 38 200 et 44 500 constructions de la bande de Gaza ont été affectés (endommagés/détruits) par les combats entre le 7 et le 29 octobre 2023 (pour rappel, 2 692 bâtiments touchés en 2008-2009).
L’UNSAT estime que 22% des terres arables sont désormais endommagés par les combats. Les vues satellitaires de l’UNSAT témoignent aussi de la diminution de la densité de la végétation suite aux abattages, aux dégâts causés par les véhicules militaires, par les bombardements et par les combats au sol. La biodiversité est donc menacée. Elle l’est aussi en mer avec les rejets sauvages et ceux provoqués par les ruptures de canalisation.
Les combats actuels ont les mêmes effets que ceux des années précédentes sur les réseaux d’eau et la qualité de l’eau qui est peu ou pas traitée (en 2018, 92,6% de l’eau puisée dans le sol était impropre à la consommation humaine), sur les stations d’épuration, sur les infrastructures routières et ils dégagent les mêmes types de pollution aux particules toxiques.
Deux différences toutefois sont à noter: d’abord ces combats durent depuis près d’un mois (pour la partie aérienne et les tirs d’artillerie) et depuis le 27 octobre pour partie terrestre; ensuite, leur intensité est sans commune mesure à celle connue précédemment (même en 2014). La crise environnementale sera donc sévère et durable.