« L’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique » : examen du rapport d’information (Assemblée nationale, 30 avril 2025)

« L’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique » : examen du rapport d’information (Assemblée nationale, 30 avril 2025)

Par ailleurs, l’artillerie est confrontée au défi de l’allongement du champ de bataille aéroterrestre. La guerre en Ukraine nous rappelle la nécessité de tirer toujours plus loin de la ligne de contact, dans le but de désorganiser l’ennemi dans sa profondeur tactique, voire opérative. Les commissaires déjà présents lors de la précédente législature se souviennent très certainement des débats animés qui ont été les nôtres lors de l’examen de la loi de programmation militaire (LPM) quant au successeur du lance-roquettes unitaire (LRU). Je rappelle qu’un amendement d’origine parlementaire a été inscrit dans le rapport annexé de cette LPM, afin de privilégier une solution souveraine pour remplacer le LRU dans les meilleurs délais.

Alors que nous avons tous en tête l’échéance de 2027, date prévisionnelle de l’obsolescence de ce LRU, votre rapport arrive à point nommé pour nourrir le débat en cours. Il fournira certainement un grand nombre de solutions et de recommandations.

M. Matthieu Bloch, rapporteur de la mission d’information. Quel rôle pour l’artillerie à l’aune du nouveau contexte stratégique ? La question est ambitieuse et la guerre qui sévit depuis le 24 février 2022 aux portes de l’Europe nous fournit de nombreux éléments de réponse. Il ne s’agit pas d’un sujet modeste : pour beaucoup, l’artillerie constitue la « reine des batailles ». Sa remontée en puissance est nécessaire, mais complexe, les frontières de l’artillerie étant en profonde mutation sous l’effet des nombreuses innovations du champ de bataille aéroterrestre.

Le 24 février 2022, l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie a remis l’artillerie au centre de l’ordre de bataille militaire européen. Si 75 % des pertes des deux guerres mondiales furent causées par l’artillerie, cette « vieille » arme est également à l’origine de près de 70 % des destructions dans la première phase de la guerre en Ukraine. Cette vieille arme est en réalité résolument moderne et en constante évolution. Arme d’appui visant la conquête de la supériorité des feux, l’artillerie façonne l’ennemi en le harcelant et le désorganisant. Arme réseaux-centrée, l’artillerie est trop souvent réduite aux seuls obus et canons qui n’en constituent que le « bras » émergé.

Cette arme que d’aucuns qualifient de « savante » ne pourrait en effet fonctionner sans les systèmes de détection, d’acquisition et de commandement qui l’inscrivent au cœur d’une boucle de « renseignement-feux » dont le raccourcissement constitue un défi de tous les instants. Au sein de l’artillerie, il est possible de distinguer l’artillerie sol-sol de l’artillerie sol-air, qui est une composante essentielle de la défense sol-air. Au cours de nos travaux, nous avons choisi de nous concentrer principalement sur l’artillerie sol-sol, la remontée en puissance de l’artillerie sol-air ayant déjà fait l’objet d’un précédent rapport très exhaustif dont mon co-rapporteur Jean-Louis Thiériot était le co-rapporteur aux côtés de notre collègue Natalia Pouzyreff.

Les objectifs de l’artillerie sont pluriels : permettre la manœuvre aéroterrestre en facilitant la protection et la liberté d’action des forces de mêlée (infanterie et cavalerie), détruire des cibles à haute valeur ajoutée grâce à des frappes à longue portée, créer une « zone interdite » via des tirs massifs de barrage, neutraliser et supprimer les dispositifs ennemis ou encore réaliser des tirs de contre-batterie consistant à frapper des positions d’artillerie repérées à la suite de tirs ennemis.

On parle souvent de feux indirects pour désigner l’artillerie, dès lors que la trajectoire est située au-delà de l’horizon visuel du servant. Les feux indirects représentent la capacité de frappes dans la profondeur jusqu’à 300 kilomètres au sens de l’Otan. Concernant la notion de profondeur terrestre, il est d’usage d’estimer à environ 60 kilomètres la profondeur d’une brigade ; entre 60 et 150 kilomètres celle d’une division et entre 150 et 300 kilomètres celle d’un corps d’armée. Outre la notion d’agression, le renseignement et l’acquisition d’objectifs représentent également deux missions essentielles de l’artillerie.

Par ailleurs, les effets psychologiques de l’artillerie sur l’adversaire sont redoutables. La notion d’effet reste en effet le cœur de toute réflexion sur l’emploi de l’artillerie. La discrimination entre les différentes capacités de feux (mortiers, canons, roquettes) doit s’effectuer en fonction de leur portée et de leurs effets. Or il importe de ne pas restreindre artificiellement l’artillerie aux seuls canons. En effet, l’artillerie renvoie à une trame complète constituée à la fois de capteurs, d’un système de commandement et de contrôle (C2), de vecteurs et enfin d’effecteurs qui sont eux-mêmes pluriels, à l’instar des obus, des roquettes et des drones.

La coordination en temps réel entre capteurs, PC et effecteurs repose nécessairement sur un système C2 efficace. Dans les armées françaises, le système ATLAS représente la clé de voûte de l’efficacité de l’artillerie. Déployé depuis le début des années 2000 et en évolution continue, il permet le commandement des unités de l’artillerie sol-sol (manœuvre, feux, renseignement, logistique, coordination 3D).

Nous avons choisi de produire un rapport sur l’artillerie sol-sol, dans la mesure où ce segment a particulièrement souffert des dividendes de la paix et de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Si l’artillerie française a conservé une capacité de frappe canon moderne grâce notamment à l’arrivée du canon Caesar dès 2008, le nombre de régiments d’artillerie sol-sol a fortement diminué, tandis qu’une forte réorganisation a été imposée en interne. Dans le détail, un régiment de lance-roquettes multiples (LRM) et deux régiments d’artillerie canon ont été dissous entre 2009 et 2015. En outre, la brigade artillerie (BART) a été dissoute en 2010. Le nombre de batteries de tir par régiment a également été dissous, si bien que nous sommes passés de facto à un seuil haut de 256 pièces d’artillerie canons à une cible théorique à 109 canons en 2030 et de 48 LRM à une cible théorique de 26 successeurs LRU en 2035.

La diminution très nette du nombre de canons d’artillerie a entraîné une forte dégradation de l’équilibre entre armes d’appui et armes de mêlée au sein des brigades interarmes (BIA). Depuis la fin des années 1990, ce ratio serait passé d’un canon d’artillerie pour cinq chars à un canon d’artillerie pour dix chars. En outre, face à des ennemis asymétriques, les armées occidentales ont privilégié les appuis-feux aériens aux appuis-feux terrestres.

Après l’apparent succès de l’intervention de l’Otan au Kosovo en 1999, la perspective d’un conflit remporté essentiellement par l’arme aérienne a semblé se muer en réalité. La frappe dans la profondeur a été utilisée comme prélude à des opérations terrestres de grande ampleur. Les deux invasions américaines de l’Irak et de l’Afghanistan ont été précédées par une phase d’acquisition de la suprématie aérienne grâce à la destruction des défenses anti-aériennes adverses. En novembre 2001, pour la première fois dans l’histoire récente, les troupes de combat occidentales ont été déployées en Afghanistan en l’absence totale d’artillerie de campagne et comptaient entièrement sur l’arme aérienne pour assurer leur appui.

Cependant, l’artillerie a démontré qu’elle restait pertinente lors des opérations menées contre l’État islamique en Syrie et, surtout, en Irak. Entre 2016 et 2019, le détachement français Wagram, doté de quatre Caesar, camions équipés d’un système d’artillerie de 155 millimètres, a assuré environ 2 500 missions de tirs – soit 18 000 obus tirés –, notamment au cours de la bataille de Mossoul.

Face au manque de persistance et d’autonomie en vol du seul appui aérien rapproché, les troupes de mêlée peuvent rapidement se trouver en difficulté. Le retour d’une manœuvre interarmes capable d’offrir la puissance de feu et la persistance de la frappe de saturation est nécessaire dès lors que l’on se situe dans le haut du spectre de la conflictualité. Or, la capacité à maintenir dans la durée un volume de feu suffisant représente sans aucun doute l’avantage universellement reconnu à l’artillerie, l’appui aérien disposant du volume sans la persistance.

M. Jean-Louis Thiériot rapporteur de la mission d’information. Le retour de la haute intensité dans un contexte d’absence de supériorité aérienne réaffirme le rôle central de l’artillerie en haute intensité. Dans une allocution récente, le chef d’état-major de l’armée de Terre écrivait : « Plus que jamais, “l’artillerie conquiert, l’infanterie occupe”. Cela qui conduit au paradoxe suivant : dans l’environnement très technologique de la guerre en Ukraine, c’est possiblement le volume d’obus disponibles qui fera pencher le cours de la guerre ».

Vieille arme, l’artillerie est redevenue centrale sur le théâtre ukrainien qui se caractérise par un usage massif de l’artillerie dans une optique d’usure et dans un double contexte de stabilisation de la ligne de contact et d’absence de supériorité aérienne. Les auditions que nous avons menées concernant le retour d’expérience (RETEX) artillerie en Ukraine mettent en évidence différents constats.

Premièrement, au-delà des drones, les forces armées ukrainiennes (FAU) cherchent à diversifier les types de systèmes d’acquisition (acoustique, radar, optique, passifs et actifs), dans l’objectif de contrer toute tentative d’intrusion ennemie dans leur dispositif.

Deuxièmement, l’omniprésence des drones dans le conflit ukrainien démultiplie les capacités de destruction et d’observation de l’artillerie. Si les drones jouent un rôle déterminant dans l’acquisition de cibles et le renseignement, ils exercent également un rôle croissant dans la frappe dans la profondeur tactique. Au sein de la chaîne artillerie, les drones et munitions téléopérées (MTO) peuvent être envisagés comme des moyens d’appui feux indirects ou d’acquisition et trouvent donc à présent pleinement leur place dans cette arme. Par ailleurs, l’emploi combiné de MTO avec des drones d’acquisition est devenu une réalité dans le conflit russo-ukrainien. Enfin, nous assistons sur le front ukrainien à une dronisation de la frappe dans la profondeur, les salves russes et ukrainiennes s’étant peu à peu enrichies de munitions programmées de type « One-Way Attacks » (OWA) à l’instar du Shahed-136 iranien de plus de 2 000 kilomètres de portée dans le cas russe. Volant à moins de 200 kilomètres/heure et portant une charge explosive limitée, ces drones sont lancés en masse et permettent de saturer la défense anti-aérienne adverse, augmentant ainsi les chances pour des missiles plus sophistiqués d’atteindre leur cible.

Troisièmement, il faut relever une réduction significative de la boucle « acquisition-feux » et une augmentation significative de la cadence de tirs. Le delta entre la détection et la frappe aurait été divisé par trois depuis le début de la guerre en Ukraine, avec une durée moyenne de quelques minutes.

Quatrièmement, la rapidité de la contre-batterie ennemie nécessite une mise en batterie, des tirs d’efficacité et des sorties de batterie les plus rapides possibles, ce qui suppose une efficacité renforcée de l’artillerie. Une pièce d’artillerie en Ukraine étant aujourd’hui touchée en quelques dizaines de minutes par un tir de contre-batterie, leur grande mobilité constitue un gage de survie.

Cinquièmement, afin d’augmenter la survie des artilleurs, l’art du camouflage, de la déception et du leurrage opèrent leur grand retour tandis que la protection des véhicules est renforcée. Les unités se dispersent, s’enterrent et ne transportent qu’un nombre restreint de munitions à l’instant t, liées aux missions immédiates et ne bougent que pour les missions de feux, à travers des positions de sauvegarde et des positions de tir.

Sixièmement, bien que disposant de matériel occidental de qualité, les FAU subissent un feu nourri de la part des troupes russes qui les oblige à disposer d’une masse d’artillerie conséquente.

Septièmement, afin de tenir dans la durée, disposer d’une profondeur stratégique est essentiel pour la reconstitution des stocks de munitions et d’effecteurs, l’augmentation rapide des capacités de production, d’acheminement et transport. En outre, le contexte de brouillage électromagnétique omniprésent en Ukraine nécessite le recours à des obus et roquettes guidés résilients « GNSS denied », qui peuvent fonctionner sans l’utilisation du GPS ou des réseaux satellitaires. Enfin, le Retex artillerie ukrainien met en évidence la centralité des frappes dans la profondeur terrestre pour atteindre l’ennemi.

Tous ces constats plaident en faveur d’une remontée en puissance majeure sur l’ensemble de la chaîne artillerie sol-sol. Si le retour d’expérience ukrainien éclaire les lois de consommation de matériels et de munitions d’artillerie, et aide à leur mise à jour, il ne peut être appliqué directement pour nos forces, car les tactiques et les conditions éventuelles d’engagement seraient différentes. Toutefois, le concept de « laboratoire » de la guerre de demain a retenu toute notre attention. Il y a en Ukraine, quelque chose de semblable à la guerre d’Espagne. J’ajouterai par ailleurs que notre compétiteur stratégique russe n’a jamais cessé de concevoir l’artillerie comme le « Dieu de la Guerre », selon l’expression de Joseph Staline. L’armée russe est restée artillo-centrée et les unités d’artillerie sont réparties du niveau opératif jusqu’à l’échelon tactique, y compris dans les forces aéroportées et l’infanterie navale. L’artillerie continue aujourd’hui d’attirer en Russie les plus hauts potentiels.

Notre rapport comporte de nombreuses propositions visant à renforcer l’épaisseur logistique de la chaîne artillerie, que nous allons vous présenter de manière synthétique. Sur le plan organisationnel, la montée en puissance de la 19e brigade d’artillerie doit être achevée d’ici à 2030. Dans le cadre de sa transformation en une « armée de terre de combat », l’armée de terre a recréé en 2024 la 19e brigade d’artillerie, qui constitue l’une des trois brigades du Commandement des appuis dans la profondeur et du renseignement (CAPR). Elle se compose des 1er, 54e et 61e régiments d’artillerie. Les retours d’expérience ukrainiens et arméniens/azéris sont centraux dans cette création.

Redonnant à l’armée de Terre une capacité de commandement de ses moyens d’artillerie, cette nouvelle création doit permettre d’apporter une cohérence d’ensemble à la manœuvre des feux au profit d’un corps d’armée ou d’une division. Je rappelle que dans les plans Otan, la France doit être capable d’être nation-cadre au niveau corps d’armée. Cette unité a vocation à mettre en œuvre les différents appuis du niveau du corps d’armée et de la division. Cette montée en puissance est en cours, mais pour le moment la brigade ne dispose ni de compagnies de commandement et de transmissions ni de PC de niveau brigade.

Sur le plan capacitaire, l’ensemble de la trame artillerie doit gagner en épaisseur et en profondeur. Cette remontée en puissance doit d’abord concerner les vecteurs (mortiers, canons, roquettes). Le parc canons de l’armée de Terre est composé d’environ 95 pièces. Il se partage entre 63 Caesar et 32 canons AUF1. Si les Caesar sont largement plébiscités depuis le début de la guerre en Ukraine, les canons AUF1 sont quant à eux des matériels éprouvés. Au total, et conformément à la cible prévue en loi de programmation militaire 2024-2030, l’artillerie française devrait posséder 109 Caesar nouvelle génération d’ici 2030.

Surtout, les exigences de la haute intensité imposent à la France de disposer d’un outil de production industriel capable d’accélérer encore ses cadences de production afin de régénérer rapidement la trame canon en cas d’engagement majeur. En avril 2024, le ministre des armées a annoncé un objectif de production à terme de douze canons Caesar par mois. Nous appelons au respect prochain de cette cible. En outre, nos auditions ont par ailleurs permis de mettre en lumière la très faible disponibilité des champs de tir grande distance nécessaires aux tests des canons Caesar avant leur mise en service. La levée de cette contrainte est indispensable.

Enfin, la densification actuelle de la trame canon doit s’accompagner dès aujourd’hui d’une nécessaire réflexion sur le futur système d’artillerie qui remplacera le système Caesar à horizon 2040. D’après les informations qui nous ont été communiquées, une étude technico‑opérationnelle sera initiée à cet égard en 2025.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. J’en viens maintenant au cœur de nos propositions et priorités : redonner au niveau division une capacité de frappe dans la profondeur tactico‑opérative grâce au successeur du LRU. Au cours des années 1990, la France disposait de deux régiments de lance-roquettes multiples. Ces régiments étaient équipés de LRM M270 achetés sur étagère auprès de l’entreprise américaine Lockheed Martin. Afin de se conformer à la convention internationale d’Oslo sur les armes à sous-munitions, treize de ces cinquante-sept LRM M270 furent transformés en LRU. Ils sont entrés en service au sein du 1er régiment d’artillerie en 2014. À la suite de la cession aux forces armées ukrainiennes de quatre LRU, la France ne dispose plus officiellement que de neuf LRU. Sur ce reliquat, trois LRU sont stationnés en Roumanie, dans le cadre de la mission opérationnelle Aigle. Or, les châssis des derniers LRU en service dans les armées françaises seront frappés d’obsolescence en 2027. Un certain nombre de pièces de rechange ainsi que les roquettes utilisées par ces systèmes ne sont plus fabriquées en Europe tandis que la livraison du reliquat de pièces encore disponibles subit fréquemment des retards de plusieurs mois.

Faute d’anticipation de la rupture temporaire de capacité sur ce segment, les armées françaises ne disposent plus aujourd’hui de moyens terrestres de frappes indirectes dans la longue portée au-delà du niveau brigade. En conséquence, les appuis indirects de niveau division et de niveau corps d’armée doivent être renforcés de toute urgence. Disposer de ces capacités permettrait également de soutenir l’ambition française de commander un corps d’armée dont la zone de profondeur s’étend jusqu’à 300 kilomètres au-delà de la ligne de front.

Deux options s’offrent donc aux décideurs politiques afin de redonner au niveau division une capacité de frappes dans la profondeur tactico-opérative durable : l’achat sur étagère d’un successeur étranger au LRU ou le développement d’une solution souveraine devant être rapide et fiable. L’adoption d’un amendement d’origine parlementaire au projet de LPM 2024-2030 a confirmé la préférence de la représentation nationale pour l’option souveraine, le rapport annexé rappelant que « S’agissant des capacités de frappe à longue portée, la recherche d’une solution souveraine sera privilégiée pour remplacer le lance-roquettes unitaire dans les meilleurs délais. » Les mérites du choix d’une solution souveraine sont en effet nombreux et incontestables : liberté d’emploi pour les forces, liberté de décision en ce qui concerne l’exportation du matériel et maîtrise de l’évolution du système grâce à l’autorité de conception.

Le rapport annexé à la LPM 2024-2030 prévoit ainsi un parc d’au moins treize systèmes à la fin de l’année 2030 et de vingt-six systèmes à l’horizon 2035, sans être davantage disert sur la nature et les caractéristiques de la solution retenue. La cible de vingt‑six systèmes en 2035 permettrait d’appuyer une division seulement, alors que l’ambition française de commander un corps d’armée nécessiterait par ailleurs de disposer de deux régiments de LRU.

Le remplacement des LRU se déroule dans le cadre du programme à effet majeur « Frappe longue portée terrestre » (PEM FLP-T) aujourd’hui divisé en deux incréments. Le premier se concentre sur la frappe tactique, c’est-à-dire inférieure à 150 kilomètres. La phase de préparation du programme FLP-T a été lancée en juillet 2023. Elle a pour objectif d’étudier différentes options pour un choix de solution initialement prévu en 2025. Dans ce cadre, des études préliminaires ont été notifiées en novembre 2024 aux deux groupements momentanés d’entreprises concurrents Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup dans le cadre d’un « partenariat d’innovation ». Ce dernier porte sur le développement d’une solution souveraine complète (lanceur, solution d’entraînement, paniers, munitions et partie guidage/navigation). Selon les industriels en compétition, la mise en service opérationnelle souhaitée par la direction générale de l’armement (DGA) est fixée à 2030 tandis que les forces armées espèrent une entrée en service à compter de 2029. En audition, la DGA a confirmé à vos rapporteurs que le système développé devrait offrir une portée de tir allant jusqu’à 150 kilomètres, ce qui correspond à la zone de profondeur d’une division.

Par ailleurs – et c’est sans doute la première fois que vous entendrez cette information qui n’est pas encore publique, mais que nous sommes ce matin autorisés à vous communiquer –, nous avons découvert, lors de nos auditions, l’existence d’un troisième projet de solution souveraine, développé par l’entreprise française Turgis & Gaillard hors du cadre du partenariat d’innovation. La solution développée, dénommée « Foudre », inclut le châssis, le panier de roquettes et la conduite de tir. Turgis & Gaillard la présente comme complémentaire et non concurrente du partenariat d’innovation puisque le système développé serait en mesure de tirer les munitions souveraines développées par les deux consortiums nationaux, mais également des munitions étrangères y compris les Guided Pinaka indiennes de 75 kilomètres de portée. L’entreprise espère pouvoir prochainement être autorisée à réaliser un premier tir de démonstration avec des munitions déjà existantes. En cas de succès, la solution souveraine développée par Turgis & Gaillard pourrait vraisemblablement être disponible rapidement et permettrait, selon l’entreprise, d’éviter la rupture temporaire de capacités des LRU en 2027.

Nous appelons à étudier avec le plus grand sérieux les mérites respectifs de ces trois solutions nationales. Le développement d’une solution souveraine constituerait un optimum. Toutefois, nous appelons aussi à considérer d’autres options allant jusqu’à l’achat d’une solution de repli étrangère, dans le cas où le choix d’une solution souveraine ferait courir aux armées françaises le risque d’une trop longue rupture temporaire de capacités ou s’avérerait trop coûteuse. L’achat sur étagère d’un système préexistant pourrait en théorie concerner le M142 Himars américain, le K239 sud-coréen, l’Europuls germano-israélien ou encore le Pinaka indien, solution ayant bénéficié récemment d’un certain écho médiatique. Aujourd’hui, la majorité des alliés européens de la France ont déjà passé commande de solutions étrangères de frappes indirectes dans la profondeur tactico-opérative, ce qui pose notamment la question du time-to-market d’une solution souveraine, dont les perspectives d’export seraient réduites.

Nous estimons que faire le choix de la solution américaine reviendrait probablement à assumer les inconvénients précités d’un achat de matériel étranger sans bénéficier pour autant du principal atout d’un achat sur étagère, c’est-à-dire la disponibilité rapide. En effet, le carnet de commandes de Lockheed Martin concernant les systèmes Himars serait plein jusqu’en 2029-2030. En outre, à l’heure de renforcer l’autonomie stratégique de la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE) face à l’inconstance de plus en plus manifeste du partenaire américain, le choix du Himars qui n’est pas ITAR-free serait géopolitiquement risqué et politiquement incompréhensible.

Nous rappelons par ailleurs qu’il faut distinguer au sein du futur LRU les technologies critiques qui devront être souveraines (la conduite de tir et la munition) et les technologies non critiques qui pourront être étrangères (le châssis et le panier de roquettes). Si pour les raisons précédemment évoquées, un achat sur étagère était favorisé, il importerait alors de conserver une pleine souveraineté d’usage sur l’utilisation de cet armement. Une production de la solution étrangère sous licence sur le sol français devrait à tout prix être privilégiée, à l’instar du choix effectué par la Pologne à la suite de l’achat de lance-roquettes sud-coréens. Les roquettes utilisées seraient souveraines et issues du partenariat d’innovation mentionné plus tôt. La conduite de tir utilisée impliquerait nécessairement ATLAS et résulterait également des trois solutions souveraines précédemment mentionnées.

Dans le dilemme existant entre achat sur étagère et développement d’une solution souveraine, le facteur budgétaire demeure un élément discriminant, alors que la France est engagée dans un indispensable, mais coûteux effort de réarmement qui imposera aux finances publiques du pays des renoncements difficiles. Nous regrettons de n’avoir pas réussi à obtenir une estimation précise du coût des systèmes développés par les deux consortiums ainsi que celui des principales solutions étrangères au cours de leurs travaux. Nous appelons donc à n’exclure aucune option en gardant à l’esprit les besoins opérationnels urgents de nos forces et la maîtrise de nos finances publiques.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Nous appelons également à densifier la capacité MTO au sein des armées françaises, différentes initiatives étant en cours en ce sens. Nous rappelons que les RETEX Ukraine ou Moyen-Orient rappellent chaque jour le caractère « consommable » des MTO ou encore des drones OWA. Il convient donc de rechercher un ratio coût/technologie admissible au vu de la masse nécessaire de MTO. En outre, ces MTO se caractérisent par l’obsolescence rapide des technologies utilisées. Autant que le stock, la capacité industrielle à concevoir de nouveaux systèmes et à alimenter le flux sera essentielle pour répondre aux besoins opérationnels des forces.

La plupart des drones aujourd’hui utilisés sur le champ de bataille ukrainien n’existaient pas encore en 2022. À tout le moins, les applications logicielles ont été modifiées. Nous n’appelons donc pas à stocker un nombre considérable de drones qui, dans six mois, dans un an, dans deux ans, seront obsolescents. En revanche, il faut que les usines puissent produire, quitte à utiliser des usines civiles dont on aurait anticipé la conversion, pour pouvoir produire en masse.

Nous en venons à présent à un autre point essentiel de ce rapport : la remontée en puissance des stocks de munitions d’artillerie. Après l’atteinte d’un point bas en raison des cessions aux forces armées ukrainiennes, nos stocks sont remontés très significativement en puissance. Cette remontée doit être prioritaire, car la carence en munitions ne permet plus d’exploiter au mieux ni d’approfondir la maîtrise des savoir-faire des artilleurs. Aujourd’hui, le nombre de munitions distribuées annuellement aux unités, en incluant les munitions des actions de formation de l’école d’artillerie, est significativement inférieur au besoin minimal. En ce qui concerne les LRU, l’armée de Terre ne disposant plus de roquettes d’entraînement à portée réduite, les artilleurs du 1er régiment d’artillerie effectuent une campagne de tir par an en France sur l’île du Levant avec des munitions de guerre, plus coûteuses que les munitions d’entraînement.

De plus, à la différence des MTO dotés de stocks importants, ou à la différence des munitions complexes marquées par une date de péremption assez limitée, les munitions d’artillerie classique peuvent être conservées très longtemps.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Assurer la production et la disponibilité des munitions d’artillerie représente un enjeu de premier ordre, qui nécessite une capacité de production de masse, que les besoins souverains seuls ne peuvent entretenir. En haute intensité, la consommation connaît des pics et nécessite donc des stocks accrus d’obus, tout en étant en mesure de compter sur une industrie capable de les recompléter en quelques mois. Aujourd’hui, la durée moyenne de recomplètement des stocks d’obus en Europe reste proche de deux ans.

Il est primordial que les industriels français augmentent de manière rapide et significative leurs capacités de production des obus, des charges propulsives modulaires ainsi que des fusées au-delà des augmentations de cadences déjà consenties. L’objectif de KNDS est de passer à 60 000 obus par an en 2025, puis à 100 000 obus par an d’ici 2027. Nous rappelons qu’une production de 60 000 obus annuels représente actuellement la quantité d’obus consommés par les FAU en quelques jours sur le front. Nous rappelons également que l’industriel allemand Rheinmetall s’est engagé à produire sur l’ensemble de ses sites européens jusqu’à 700 000 obus d’artillerie par an en 2025, contre environ 500 000 en 2024 et 70 000 avant le déclenchement du conflit ukrainien. Les besoins de consommation annuelle de l’armée française en temps de paix ne couvriront qu’une petite part d’une capacité de production annuelle de KNDS à 100 000 obus par an. Nous appelons donc KNDS à prendre son risque et renforcer sa stratégie export ainsi que la compétitivité-prix de ses obus, afin d’élargir la taille de son marché.

Les forces armées ukrainiennes expriment des besoins très significatifs à son égard et souhaiteront probablement constituer des stocks stratégiques très importants, dans l’hypothèse de survenue d’un cessez-le-feu à moyenne échéance. En juin 2024, une première lettre d’intention a été signée entre KNDS et KZVV, l’entreprise ukrainienne fabriquant les canons Bohdana ainsi que des munitions d’artillerie de 155, concernant la co-production en Ukraine d’obus de 155 millimètres. D’après les informations relevées en Ukraine, et malgré la volonté exprimée au niveau politique par chacune des parties, la mise en œuvre à date de ce mémorandum n’a pas débuté. Les discussions entre industriels achoppent en effet sur le prix des licences exigé par KNDS pour l’établissement d’une joint-venture en Ukraine. Nous le déplorons.

Par ailleurs, concernant la nature des munitions d’artillerie françaises stockées pour les besoins opérationnels des armées françaises, nous appelons à la recherche d’une répartition optimale dans la nature des munitions d’artillerie détenues par les armées françaises. Une part significativement prépondérante d’obus classiques de saturation devrait ainsi être complétée par une part non négligeable de munitions à atténuation de dispersion, ainsi qu’une petite part de munitions de précision métrique et de munitions anti-char, le reliquat pouvant se répartir entre effets d’éclairement, d’aveuglement et de semonce. Ces éléments corroborent par ailleurs les besoins aujourd’hui exprimés sur le terrain par les FAU. Indispensable au bon fonctionnement de la chaîne artillerie dans son ensemble, le segment des systèmes de détection et d’acquisition doit également gagner en épaisseur.

Par ailleurs, nous alertons dans le rapport sur la nécessaire épaisseur logistique de la chaîne d’artillerie. Une artillerie « bonne de guerre » devra compter sur une flotte accrue de camions logistiques afin de réapprovisionner rapidement les unités en pièces d’artillerie soumises à une usure accélérée en haute intensité. Il convient donc de réacquérir rapidement les métriques correspondantes.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Enfin, une artillerie « bonne de guerre » pourrait éventuellement s’enrichir d’armes à sous-munitions à l’issue d’une étude approfondie sur la dangerosité de ces nouvelles générations d’armes. Ces armes qui étaient notamment tirées par les lance-roquettes multiples MLRS acquis par la France ont été interdites à la suite de la signature de la convention d’Oslo interdisant les armes à sous-munitions. S’ouvrant en l’air, elles dispersaient de multiples sous-munitions ou bombes sur une large zone sans distinguer entre les cibles. Aujourd’hui, elles sont très largement utilisées en Ukraine, puisque ni l’Ukraine ni la Russie n’étaient signataires de ladite convention, au même titre que certains pays fournisseurs, notamment les États-Unis.

Ces armes sont utilisées dans un objectif d’interdiction et de saturation de zone par les FAU : d’après les éléments qui me sont parvenus en Ukraine, il suffirait de tirer huit à dix armes à sous-munitions pour sécuriser un secteur d’un demi-hectare. Ces armes sont ainsi très efficaces pour neutraliser l’infanterie adverse et détruire les véhicules ennemis, y compris les véhicules avec blindage léger. Les interlocuteurs ukrainiens nous ont confié que « la ligne de front aurait peut-être eu une autre configuration si nous avions eu plus tôt des armes à sous-munitions. » Interrogés au sujet de la part des sous-munitions tirées qui n’explosaient pas immédiatement après le tir, les interlocuteurs ukrainiens ont répondu qu’environ 2 % des sous-munitions étaient concernées, un chiffre concordant avec le taux d’échec moyen évoqué par le Pentagone au moment de la cession des armes à sous-munitions à l’Ukraine.

Directement confrontés à la menace russe, la Pologne et les trois Pays baltes ont récemment choisi de se retirer de la Convention d’Oslo afin de pouvoir disposer d’un arsenal conventionnel le plus large possible en cas d’incursion russe sur leur territoire.

À l’aune de ces éléments, nous estimons qu’il ne faut pas s’interdire d’ouvrir une réflexion sur la réutilisation possible par les armées françaises d’armes à sous-munitions. Nous demandons donc la réalisation d’une étude technique documentant l’efficacité militaire et la dangerosité pour les populations civiles des nouvelles générations d’armes à sous‑munitions, avec notamment une étude approfondie du taux de sous-munitions qui n’explosent pas et qui constituent la principale dangerosité. À l’issue de cette étude et selon ses résultats, une réflexion éthique pourra être ouverte sur l’opportunité d’un éventuel retrait de la France de la convention d’Oslo. Pour éviter toute ambiguïté, je précise que j’évoque ici la convention d’Oslo et non la convention d’Ottawa, laquelle concerne les mines antipersonnel.

Enfin, le nouveau contexte stratégique plaide en faveur de l’acquisition de capacités de frappes terrestres conventionnelles dans la grande profondeur, dont la France ne dispose pas aujourd’hui. Nous recommandons que les armées se dotent de cette capacité dans les meilleurs délais. Elle serait distincte de la capacité de frappe tactique dans la longue portée terrestre, premier incrément du FLP-T. La capacité de frappe conventionnelle sol-sol dans la grande profondeur opérative compléterait utilement les capacités air-sol et mer-sol existantes.

Une diversification des vecteurs de frappe, aujourd’hui aériens et navals, et limités à des missiles de croisière, augmenterait les options à disposition du décideur politique. Elle lui donnerait un vecteur offensif supplémentaire dans la gestion d’une éventuelle escalade. Par ailleurs, un éventuel engagement de l’ensemble des moyens interarmées de frappe dans la grande profondeur permettrait de combiner les trajectoires et de saturer ponctuellement dans l’espace et dans le temps les défenses de l’adversaire, en lui imposant des dilemmes. Dans un contexte où les futurs conflits reposeront sur l’usure et des capacités d’interdiction de zone efficaces, les armées disposeraient alors d’outils leur permettant tout à la fois de saturer les défenses ennemies et de fracturer les points névralgiques.

Enfin, les vecteurs de frappe dans la grande profondeur aujourd’hui déployés par la Marine nationale et l’armée de l’Air et de l’espace sont en partie contraints par les moyens de défense et de déni d’accès. Un système terrestre pourrait offrir une souplesse d’emploi plus grande afin de ne pas limiter l’usage de cette capacité aux procédures de ciblages opératives, voire stratégiques, mais de l’ouvrir de manière réactive à des ciblages d’opportunité. Nos alliés (États-Unis, Royaume-Uni, Corée du Sud) comme nos compétiteurs stratégiques se dotent ou se sont déjà dotés de ce type de capacités.

L’absence d’une telle capacité dans l’arsenal militaire français fait naître un risque de contournement par le bas de la dissuasion nucléaire. Entre le bas du seuil de la dissuasion qui concerne nos intérêts vitaux et la capacité maximum d’épaulement par les forces conventionnelles, il existe en effet un « vide dissuasif » que ce type de capacités sol-sol à longue portée permettrait de combler.

L’initiative « European Long Strike Approach » (ELSA) lancée par la France répond pleinement à cette faille capacitaire européenne. Une lettre d’intention relative à ELSA a été signée le 11 juillet 2024 par la France, l’Allemagne, la Pologne et l’Italie lors du sommet de Washington. L’initiative offre un cadre de coopération intergouvernementale innovant visant à aider la BITDE à concevoir, développer et produire ses propres capacités de frappe dans la profondeur, dans l’ensemble des milieux. L’intérêt de ce projet réside dans la coalition de volontaires et d’États souverains, sans s’égarer dans certains méandres que l’on peut rencontrer dans des coopérations d’une nature plus bureaucratique.

Les technologies balistiques et de croisière présentent toutes deux des avantages comparatifs certains, qui nous conduisent à souhaiter idéalement un développement des deux technologies pour la future frappe sol-sol de précision dans la profondeur. Les objectifs de tir sont donc différents selon la technologie utilisée : le tir balistique vise prioritairement un tir de masse sur une cible fixe tandis que le tir d’un missile de croisière obéit davantage à une recherche de précision voire de tir « chirurgical » sur des cibles fixes ou mobiles.

Les auditions ainsi que le déplacement effectué en Ukraine suggèrent toutefois que le taux d’interception par les défenses anti-aériennes des missiles balistiques terrestres reste significativement inférieur à celui des missiles de croisière. En conséquence, si une seule technologie devait être retenue en raison du contexte budgétaire contraint, nous estimons que l’opportunité de développer la technologie balistique terrestre est supérieure à celle de développer la technologie de croisière terrestre. J’ajoute que grâce à la dissuasion nucléaire et grâce à ce qui a été développé en matière de frappes balistiques, des opérateurs – notamment ArianeGroup – peuvent aujourd’hui rapidement maîtriser ces capacités. Ce choix devrait par ailleurs être contrebalancé par une augmentation du nombre de missiles de croisière détenus par l’armée de l’Air et de l’espace et la Marine, dans un objectif de complémentarité des effets militaires recherchés.

Voici résumées l’ensemble de nos principales propositions et constats. Tout tient en quelques mots : renforcer l’effort déjà engagé, ne pas s’interdire de réfléchir à une augmentation du format de notre artillerie ni de disposer de nouvelles capacités. Je pense ici aux missiles balistiques sol-sol dans la profondeur.

Avant de vous céder la parole, nous aimerions adresser un certain nombre de remerciements. Je pense d’abord à Fabien Lainé, suppléant de Geneviève Darrieussecq. Je tiens également à rendre un hommage très particulier à notre administratrice de l’Assemblée nationale, Claire Durand, pour sa capacité de travail, son talent et son intelligence. Je souligne également qu’elle a fait le choix courageux de m’accompagner en Ukraine, dans une zone de guerre.

Je veux également remercier l’ensemble des personnes que nous avons auditionnées à l’Assemblée nationale, mais aussi les unités qui nous ont accueillis : la 19e brigade d’artillerie, le 68e régiment d’artillerie, le CAPR à Suippes pour l’exercice Diodore et bien sûr le 1er régiment d’artillerie de Bourogne en Territoire de Belfort, unique régiment d’artillerie à accueillir des LRU et des radars Cobra.

Je souhaite également remercier les personnels de l’ambassade de France en Pologne pour l’accueil de notre délégation et l’organisation d’échanges de grande qualité avec les militaires et industriels polonais. Enfin, j’adresse un mot plus particulier pour les personnels de l’ambassade de France en Ukraine, où nous avons eu la chance de nous rendre il y a quelques semaines. À travers eux, je tiens à rendre hommage à nos attachés de défense, nos attachés d’armement, nos officiers adjoints ou sous-officiers détachés, qui sont exceptionnels dans ces deux pays.

En conclusion, je crois que cette mission prouve l’utilité des missions flash capacitaires. Notre bureau a décidé de lancer une mission relative à l’arme du génie ainsi qu’une mission relative à la guerre électronique. Je me réjouis que de futurs rapporteurs nous relaient sur d’autres sujets capacitaires. En ce jour anniversaire de Camerone et de travail sur l’artillerie, nous pouvons tous dire à la fois « Vive la légion ! » et « Par la Sainte-Barbe, vive la bombarde ! »

M. le président Jean-Michel Jacques. Je cède à présent la parole aux orateurs de groupe.

Mme Caroline Colombier (RN). Je tiens tout d’abord à saluer la grande qualité de votre rapport. Le Rassemblement National avait demandé qu’une mission soit conduite sur le sujet de la frappe dans la profondeur, au regard de son importance pour notre défense. En effet, les RETEX des différentes phases de l’exercice Orion ont montré que le segment artillerie était en souffrance.

La guerre en Ukraine a démontré combien l’arme savante reste au cœur de la guerre du XXIe siècle pour contourner les situations figées. Aussi, il est temps d’agir et parmi les nombreuses préconisations de votre rapport humain, figure celle de la profondeur terrestre. Dans ce domaine, des projets souverains pour développer des capacités de frappe allant jusqu’à 500 kilomètres sont prévus par la LPM pour remplacer les LRU, mais ils sont encore en phase de développement et leur concrétisation prendra du temps. En attendant, notre armée de terre reste dépourvue de capacités de frappes dans la profondeur, ce qui pourrait compromettre notre capacité à mener des opérations de haute intensité.

Quelles sont vos recommandations pour combler ce déficit capacitaire en attendant la mise en service de nouveaux systèmes ? Par ailleurs, comment s’assurer que les projets en cours respecteront les délais et les budgets prévus afin d’éviter tout retard préjudiciable à notre capacité opérationnelle ?

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. À l’occasion du vote de la LPM, nous avons été plusieurs à insister en faveur d’une solution « préférentiellement souveraine ». En effet, avant même de faire fonctionner notre industrie, notre première mission consiste d’abord à protéger nos soldats et ceux qui sont engagés. Lors de la RGPP, une erreur historique a été commise, laquelle a consisté à considérer que la frappe dans la profondeur n’était pas capitale. Nous en souffrons aujourd’hui.

À l’heure actuelle, nous sommes contraints de nous fier à la bonne parole des différents consortiums engagés dans le partenariat d’innovation, s’agissant des délais. C’est la raison pour laquelle nous avons examiné toutes les solutions alternatives, y compris l’achat sur étagère. Nous opérons ainsi une distinction entre la souveraineté en matière d’acquisition, la souveraineté d’usage et la souveraineté en matière de « réutilisables ». Dans un LRU, le châssis et les paniers ne constituent pas des technologies critiques. En revanche, les roquettes doivent être produites sur le territoire national et nous devons pouvoir les utiliser totalement librement s’il nous faut nous réapprovisionner. Dans ces conditions, le sujet reste ouvert. J’ajoute que nous avons éprouvé de grandes difficultés à obtenir des informations précises sur le coût de ces matériels. La conduite de tir est également critique et en l’espèce, elle sera nécessairement connectée à ATLAS ; elle sera donc française. Je préfère disposer à terme de 36 LRU et de deux régiments avec 800 ou 900 roquettes qu’accuser trois ans de retard et 200 roquettes qui coûteront bien plus cher. Par ailleurs, je soulève un point d’attention : une solution dite « intérimaire » peut facilement devenir définitive, au détriment à la fois de la qualité et de la souveraineté.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. À l’aune de ce RETEX du conflit ukrainien, nous voyons bien à quel point l’artillerie est aujourd’hui absolument essentielle en l’absence de supériorité aérienne. Sur le théâtre ukrainien, 70 % des destructions sont ainsi dues à des faits d’artillerie.

Nous partageons totalement vos craintes sur le risque de rupture capacitaire à l’horizon 2027, concernant les vecteurs de frappe dans la profondeur de nos armées. Je tiens cependant à rendre hommage à l’ingéniosité de nos régiments et de nos armées, dont l’inventivité permet de combler des trous capacitaires. Je pense notamment au 1er régiment d’artillerie, qui trouve des solutions lui permettant de s’entraîner autrement, dans d’autres conditions, avec le plus de fiabilité possible.

Ensuite, il nous faut bien faire confiance aux engagements des consortiums de la BITD. La solution Turgis & Gaillard, découverte lors de nos auditions, constituerait une bonne surprise si elle parvenait effectivement à produire un démonstrateur dès cette année, ce qui n’empêcherait pas de travailler avec les deux autres consortiums qui fourniraient les projectiles.

Mme Natalia Pouzyreff (EPR). Au nom du groupe EPR, je salue votre travail approfondi, qui s’inscrit pleinement dans les ambitions de la France de devenir une nation-cadre au niveau de corps d’armée.

À travers ce rapport, vous mettez en lumière les défis auxquels fait face aujourd’hui notre artillerie, une arme que l’on croyait en retrait, mais que la guerre en Ukraine a replacée au cœur du champ de bataille. À cet égard, nous pouvons être fiers de la précision et la survivabilité de nos canons Caesar, qui ont été salués par les forces ukrainiennes.

La guerre en Ukraine a démontré la complémentarité de l’artillerie et des drones sur le champ de bataille. Mais aujourd’hui, nous observons un basculement, où côté russe, 70 % des destructions proviendraient de l’emploi croissant des drones par les forces ukrainiennes. Ma première question concerne donc la dronisation du champ de bataille, y compris les MTO. Selon vous, notre outil industriel est-il à même de concevoir rapidement de nouveaux systèmes et d’alimenter le flux, compte tenu de l’évolution rapide des technologies utilisées ?

Ensuite, s’agissant du LRU, quelle coopération entre industriels français et étrangers pourrait-on imaginer tout en préservant la souveraineté sur la roquette ? Je pense en particulier à la Pologne.

En outre, votre rapport met en exergue le problème du manque d’interchangeabilité des munitions et des canons de fabrication différents. Nous pouvons ainsi regretter qu’un obus de 155 millimètres ne soit pas calibré de la même manière selon le pays. Aussi, je souscris à votre recommandation de réaliser l’objectif de standardisation effective des charges modulaires.

Enfin, je regrette comme vous que l’accord de joint-venture entre KNDS et ses partenaires ukrainiens n’ait pas abouti, car les Ukrainiens disposent de la capacité industrielle et témoignent de grands besoins.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le canon Caesar est effectivement plébiscité sur le théâtre ukrainien. Ensuite, le Retex ukrainien démontre également l’importance des drones aujourd’hui sur le champ de bataille, et notamment des très petits drones de moins de 1 000 euros, qui peuvent être envoyés en essaims. Nous pouvons faire confiance à nos entreprises françaises et à leur capacité d’innovation pour fabriquer ces petits drones. Je souhaite également que la simplification que nous souhaitons apporter à notre système administratif permette à terme d’acheter ces petits matériels sans passer par le process DGA.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. S’agissant de la dronisation du champ de bataille, la situation actuelle est celle d’un blocage tactique en Ukraine, avec une guerre de position autour de lignes de front. Dans ce cadre, le drone sans mobilité peut jouer un rôle encore plus important que dans une guerre de mouvement.

En termes d’effecteurs, les drones jouent un rôle capital dans la transparence du champ de bataille. Le petit drone permet essentiellement la frappe sur du fantassin isolé, un petit groupe de combat ou du blindé léger. Il ne permet pas en revanche une interdiction de zone ou de traiter des cibles forcément plus importantes. Il faut donc coupler l’usage de l’artillerie et celui des drones.

Concernant notre capacité industrielle à produire, nous nous plaçons au début d’un cheminement, qu’il s’agisse des programmes Colibri et Larinae de l’Agence de l’innovation de défense (AID) ou des produits de l’entreprise Delair. L’enjeu concerne aujourd’hui le passage à l’échelle et la planification de la montée en puissance, à travers le basculement d’une partie de l’industrie civile vers la production de masse.

Enfin, le projet de joint-venture témoigne d’une probable reconfiguration du marché européen de l’armement, en particulier du marché de l’armement terrestre. L’Ukraine y jouera un rôle important et il faut souligner que Rheinmetall a choisi d’aller massivement en Ukraine, y compris en y envoyant du personnel.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP). Nous ne pouvons évidemment pas donner notre approbation à ce rapport, compte tenu de ses préconisations concernant la convention d’Oslo. Ce serait une faute que d’accréditer l’idée d’une logique d’escalade, simplement parce que certains travaillent à saper l’édifice du droit international.

Je voudrais vous interroger sur la production d’obus. En France, la production des corps d’obus ne s’effectue que sur un seul site à Tarbes, qui a été repris par l’entreprise Europlasma, laquelle n’a pas procédé depuis trois ans aux investissements qu’elle avait promis. La même entreprise a repris Valdunes en prétendant orienter la production vers l’armement et prétend aujourd’hui le faire aux Fonderies de Bretagne. Compte tenu de l’absence d’investissements depuis trois ans, quelles sont les garanties concernant l’augmentation de production ? Avez-vous pu vous entretenir avec Europlasma sur ces sujets ?

Comment pouvons-nous imaginer dans les prochaines années que nous serons compétitifs et capables de produire en quantité suffisante, soit pour le marché intérieur, soit pour le marché global, quand dans le même temps les Allemands produisent déjà 300 000 pièces par an et en prévoient 700 000 annuellement, à l’horizon 2027 ? Il me semble exister là un décalage, sans parler du modèle économique d’Europlasma et d’Alpha Blue Ocean, extrêmement suspect.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Il ne s’agit pas pour nous de préconiser le retrait de la convention d’Oslo, mais d’ouvrir la voie à une étude relative à dangerosité des nouvelles générations d’armes à sous-munitions, pour vérifier si technologiquement, elles entraînent les mêmes conséquences sur les populations civiles que par le passé.

Nous n’avons pas auditionné Europlasma. KNDS assure pouvoir augmenter sa production d’obus jusqu’à 100 000 obus par an. La situation est telle aujourd’hui que nous pouvons faire confiance à nos industriels dans leur capacité à produire davantage. Dans ma circonscription, une entreprise fabriquant des corps d’obus pour Thales est en mesure de passer d’une production de 30 000 pièces à 100 000 pièces par an, s’il le faut. En conséquence, la commande publique sera importante et nos industriels attendent des signaux politiques pour pouvoir augmenter la cadence.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Je vous invite à lire notre rapport dans le détail : nous n’avons pas demandé à sortir de la convention d’Oslo, mais simplement qu’il soit évalué si les conditions techniques qui avaient justifié notre position sont toujours d’actualité. Compte tenu de l’efficacité militaire des armes à sous-munitions dans les conflits à haute intensité, cette question mérite d’être examinée.

J’établis une véritable distinction de bonne foi entre les effets éventuels sur les civils et les effets sur les militaires, sur le champ de bataille. Sur le champ de bataille, qu’un militaire soit tué par un obus de 155 millimètres, par une grenade ou par une arme à sous-munitions, la tragédie est hélas la même. Mais quel est l’effet postérieur sur les civils ? Telle est la vraie question. Aujourd’hui, il semblerait que les taux de non-explosion soient extrêmement faibles. On peut se poser la question car ces armes contribuent de manière essentielle au façonnage du champ de bataille surtout dans le cadre d’un conflit de haute intensité où la masse serait vitale. Par ailleurs, en l’absence de masse ou de poitrines suffisantes, le renforcement des feux peut compenser en partie ces lacunes.

Ensuite, l’augmentation des cadences de production d’artillerie est évidente : nous sommes passés d’une production annuelle de 30 000 obus à une production de 100 000 obus, et à une production de 500 000 charges propulsives. Naturellement, il faut faire plus, il faut faire mieux ; mais cette question pose en premier lieu la question de notre stratégie industrielle. Rheinmetall a une ambition fondamentalement industrielle, dont je ne sais pas si elle est géopolitique. Il faut réfléchir à cette ambition et aux enjeux en matière de masse et de technologies. Parfois, il est plus intéressant de produire un obus moyen à 3 000 euros par unité qu’un obus de haute technologie à 8 000 ou 9 000 euros, alors que le premier réalise 80 % des effets du second. Il ne faut pas s’interdire de disposer de toute la gamme, y compris dans le mix de production. Mais il s’agit là d’un débat de stratégie industrielle, sur les gammes de munitions que nous produisons.

Mme Isabelle Santiago (SOC). Je vous remercie pour la qualité et la clarté de votre rapport, qui confirme un constat que j’avais déjà largement porté lors de la présentation de mon rapport sur le budget de l’armée de Terre.

Le modèle d’artillerie est aujourd’hui insuffisant face aux défis de la haute intensité et votre rapport met en lumière la perte prochaine des LRU sans solution de remplacement immédiate, le besoin vital de frapper dans la profondeur, l’intégration trop lente des drones et des MTO. Pour autant, nous restons vigilants quant à la proposition d’une étude concernant les armes à sous-munitions dans le cadre de la convention.

Ma question porte sur la reconstitution rapide d’une capacité européenne des feux terrestres. Percevez-vous des avancées dans ce domaine et celui des MTO, dans le cadre de l’Europe de la défense ?

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Ayant déjà répondu concernant les drones, je me concentrerai sur la frappe balistique dans la profondeur. L’intérêt du projet ELSA réside dans la coalition de volontaires et d’États souverains. Treize segments ont ainsi été définis, sur la logique du best athlete et, dans la balistique, la France jouera ainsi un rôle majeur. Aujourd’hui, les planètes s’alignent, dans une volonté d’efficacité partagée. Je pense que cette démarche peut fonctionner, à la fois dans l’intérêt français et dans l’intérêt européen.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Je rappelle que notre pays a la chance de posséder une BITD exceptionnelle, qui nous permet d’émarger parmi les principales forces exportatrices d’armes dans le monde. Ce tissu industriel nous permettra de monter en puissance, à condition que la commande publique permettre d’impulser le mouvement, pour monter en volume assez rapidement.

Mme Catherine Hervieu (EcoS). Nous comprenons bien les enjeux majeurs en matière de reconstitution progressive des stocks, notamment pour les obus et les munitions. Si l’objectif consiste à se préparer à l’éventualité d’un conflit armé, une montée en puissance est nécessaire pour le déploiement d’une brigade « bonne de guerre » et le développement de capacités résilientes de nos armées dans la durée. De plus, nous souhaitons évidemment continuer notre soutien à l’Ukraine. La question de la létalité se pose évidemment, notamment pour les frappes en profondeur.

Comment pouvons-nous répondre aux besoins de nos armées et développer une réponse industrielle adaptée dans la durée, compte tenu des nouvelles reconfigurations d’organisation européennes et françaises ? D’autre part, étant donné l’usage accru de l’artillerie dans les zones urbaines et à proximité de populations civiles, les forces armées doivent trouver un équilibre entre puissance de feu et minimisation des pertes civiles. Cela inclut l’utilisation de munitions plus ciblées et la coordination avec des drones ou d’autres technologies pour assurer des frappes plus sûres.

En outre, les armes à sous-munitions constituent un autre sujet sensible. Les civils ont constitué la majorité des victimes des armes à sous-munitions en 2023. Les attaques ont également touché des infrastructures civiles telles que les écoles et les hôpitaux. La dangerosité de ces nouvelles générations d’armes est connue, mais que souhaiteriez-vous apporter avec la nouvelle étude que vous avez évoquée ? Ce sujet mérite un vrai débat parlementaire, que nous avons entamé aujourd’hui.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Je précise que la plupart des victimes civiles en Ukraine ne l’ont pas été du feu d’armes à sous-munitions, mais de missiles de croisière ou de drones qui n’emportaient qu’une seule munition de type explosif. Par ailleurs, l’arme à sous-munitions n’a pas vocation à être un outil de combat en zone urbaine, mais un outil d’interdiction de zone en mobilité.

Ensuite, nous partageons tous votre remarque : plus l’on se rapproche de zones civiles, plus la précision du ciblage est essentielle, afin d’éviter les victimes civiles. À ce titre, nous pouvons être très fiers des obus à précision métrique Caesar qui réduisent normalement le risque de dommages collatéraux, au même titre que les nouvelles armes. Repensons à la deuxième guerre mondiale où, pour détruire un aiguillage ou une usine, des quartiers entiers pouvaient parfois être rasés. Certaines de nos villes en France s’en souviennent.

Il est important de questionner les aspects techniques, puis éventuellement de poursuivre la réflexion, laquelle impliquera alors d’évoquer les incontournables questions éthiques. Encore une fois, il s’agit surtout de ne pas s’interdire une réflexion.

Mme Geneviève Darrieussecq (Dem). Je vous remercie pour votre rapport, particulièrement instructif. Je souhaite également évoquer la stratégie politique. Vous avez rappelé que les inflexions de la RGPP au cours des années 2007-2012 ont détruit des capacités d’artillerie et nous placent aujourd’hui dans la difficulté.

La LPM votée en 2023 est-elle suffisante ou doit-elle être revue, pour tenir compte des besoins en matière d’artillerie évoqués dans votre rapport ? Si une telle révision doit être effectuée, peut-elle intervenir dans le cadre d’une stabilité budgétaire ou implique-t-elle une augmentation ?

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Vous avez raison de mentionner les problèmes induits par la RGPP. Heureusement, nous avions malgré tout conservé dans nos armées des capacités, même à l’état échantillonnaire, notamment en matière d’artillerie, qui dispose dans notre pays d’une longue tradition prestigieuse. Grâce à ce savoir-faire et notre BITD, la France conserve sa capacité à reconstruire cette artillerie.

Ensuite, nous ne pouvons que souhaiter une révision de la LPM à l’aune des nouveaux enjeux stratégiques. L’artillerie doit occuper une part plus importante dans nos futures LPM ; il sera nécessaire de fournir l’effort budgétaire nécessaire pour permettre à nos armées de gagner en volume.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Les dépenses de défense sont semblables à celles d’assurance : elles nous paraissent toujours coûter trop cher tant que des sinistres ne sont pas à déplorer. Aujourd’hui, les ambitions de la LPM sont tout à fait respectables et je me rappelle avoir précisé à l’époque de son vote qu’il s’agissait là du minimum minimorum. Aujourd’hui, la situation a changé : nous sommes confrontés non seulement au néo-impérialisme russe, mais aussi à des incertitudes quant à notre allié américain, qui pratique une forme de techno-césarisme et poursuit sa bascule vers l’Asie, inscrite dans le long terme.

Il convient donc de faire plus, en nous accordant sur une priorité absolue : renforcer la cohérence, car il ne sert à rien de disposer de canons sans les camions permettant de les approvisionner ou de disposer de chars sans les engins de dépannage ou les moyens de franchissement. Ensuite, il sera évidemment nécessaire de s’interroger sur le format, qui devra obligatoirement augmenter.

Récemment, le ministre Lecornu a ainsi indiqué que notre armée pourrait atteindre un « poids de forme » convenable autour de 90 milliards d’euros par an – contre 50 milliards d’euros aujourd’hui –, soit le montant que j’avais estimé en 2022 lors de ma mission sur la haute intensité, avant le conflit ukrainien.

Cela implique de faire preuve de courage politique, mais aussi de remettre en cause certains modes de fonctionnement du pays. Je crois que le temps est venu du « quoi qu’il en coûte » de la défense. En 1935, Paul Reynaud disait « Entre le chaos et nous, il n’y a que la force de nos volontés. » À l’époque, l’Assemblée nationale n’a pas choisi la volonté et nous avons subi le chaos. En conséquence, soyons capables de prendre toutes les décisions qui s’imposent. Il nous manque au moins un régiment d’artillerie dans la profondeur, au moins un ou deux régiments d’artillerie sol-sol ainsi qu’un régiment d’artillerie sol-air. Il faudra le faire, et le plus vite sera mieux.

M. le président Jean-Michel Jacques. Il convient également de mentionner le cyber et l’espace, que nous aurons l’occasion d’évoquer lors de prochains débats. Quoi qu’il en soit, nous sentons bien que les différents groupes politiques présents à la commission de la défense sont favorables à une augmentation du budget de la défense.

Nous passons maintenant à une séquence de trois questions complémentaires.

Mme Stéphanie Galzy (RN). Depuis le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen, l’artillerie a retrouvé une place centrale dans les doctrines militaires. Les drones et les munitions téléopérés bouleversent en profondeur les modes d’action. Ces technologies permettent aujourd’hui de frapper plus vite, plus précisément, plus loin, en appui direct ou dans la profondeur. Dans le même temps, notre artillerie reste marquée par des années de sous-investissement. Les enseignements du conflit ukrainien sont sans appel : sans drones, il n’existe plus de coordination efficace entre le renseignement et les feux, et donc plus de supériorité sur le terrain. Vous soulignez dans votre rapport les avancées en cours, mais aussi les retards à combler.

Les retours d’expérience rappellent l’importance des drones consommables pour rendre l’artillerie efficace face à un ennemi paritaire. Comptez-vous encourager une intégration rapide et massive de ces drones dans l’achat de l’artillerie, tout en tenant compte des enjeux de coup de masse et d’obsolescence rapide ?

M. Pascal Jenft (RN). En premier lieu, permettez-moi de vous féliciter pour la qualité de vos travaux. Le secteur de la défense est devenu l’une des priorités de l’État. La maîtrise pleine et entière de nos capacités industrielles, dont l’artillerie, est un enjeu pour notre souveraineté nationale. Certaines entreprises comme Eurenco ont annoncé une relocalisation de leur chaîne de production, mais cela n’est pas encore le cas pour toutes.

Dans votre rapport, vous exprimez vos inquiétudes sur les capacités des industriels européens à relocaliser les chaînes de production, notamment chimiques. Vous êtes même favorables à une relocalisation maximale en approvisionnements. En effet, les délocalisations posent la question d’une éventuelle perte de savoir-faire national et d’une exposition aux risques d’espionnage industriel. Cela est d’autant plus vrai pour les sites de production situés en dehors de l’Union européenne. Une aide de l’État doit-elle être envisagée pour encourager et accélérer les processus de relocalisation de l’ensemble des chaînes de production et d’approvisionnement des industriels de défense ? De plus, ces relocalisations contribueraient à la réindustrialisation de la France.

M. Romain Tonussi (RN). Votre rapport évoque la nécessité de se doter d’une capacité de frappe dans la grande profondeur. Vous soulignez que cette capacité viendrait opportunément compléter des failles dans la frappe mer-sol et air-sol, notamment le trou capacitaire engendré par la cession de dizaines de missiles Scalp à l’Ukraine. Vous corroborez ainsi les propos régulièrement tenus par notre groupe et sa présidente quant aux conséquences de ces cessions. Votre rapport confirme, hélas, nos craintes.

Concernant la capacité de frappe dans la grande profondeur, vous soulignez qu’un système terrestre offrirait souplesse et, selon la masse disponible, permettrait de produire des frappes sur des intérêts vitaux ou sur un champ de bataille. Alors que d’autres pays se dotent de cette capacité, la France est en retard, alors que sa dissuasion nucléaire pourrait être remise en cause par le bas avec cette capacité, ce sujet ne doit-il pas, selon vous, être central dans une hypothétique nouvelle LPM ? Où va votre préférence entre masse et moyens réduits concernant cette capacité ?

M. Matthieu Bloch, rapporteur. À titre personnel, je pense effectivement que l’État doit venir aider les entreprises pour relocaliser et reconstituer nos chaînes de production d’armement. Ceci est absolument essentiel si nous voulons remonter en cadence.

S’agissant des achats, notamment de drones, les procédures administratives demeurent encore trop complexes dans notre pays et nous devons permettre à nos armées de passer le plus rapidement et le plus facilement possible des commandes sur étagère pour des petits drones. Simultanément, il convient de prendre en compte l’évolution technologique permanente dans ce domaine et ne pas acheter de stocks trop importants de drones qui seront obsolètes dans deux ans.

De fait, la course à la technologie est permanente. À titre d’exemple, des radars moins coûteux sont aujourd’hui capables de détecter des objets volant à très basse altitude, y compris des drones, ce qui perturbe les opérations aériennes qui permettaient hier de frapper dans la profondeur. Cette course nécessite donc de simplifier nos procédures administratives, de faire confiance à nos PME/TPE et nos chercheurs, qui sont considérablement innovants en la matière, de même qu’à nos forces armées.

M. Jean-Louis Thiériot, rapporteur. Nous sommes naturellement convaincus que la défense est globale et qu’elle intègre évidemment l’économie et l’industrie. Tout ce que nous pourrons entreprendre pour réindustrialiser sera utile à la défense nationale, ne serait-ce que parce qu’une usine peut être très souvent duale. Le multiplicateur keynésien de la dépense de défense est très élevé et nous avons la chance de disposer de deux organismes clefs pour la réflexion dans ce domaine : le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et la DGA. Au-delà de la réflexion et de la planification, le développement industriel passe par des commandes, de l’investissement et le financement de la BITD.

Pour le reste, je précise que nous ne proposons pas des capacités de frappe dans la profondeur à longue distance pour compenser les cessions de Scalp à l’Ukraine. Le Scalp est un missile de croisière qui parcourt quelques centaines de kilomètres, mais nous parlons dans notre rapport de frappes de niveau opératif, sur une distance de 1 500 à 2 000 kilomètres.

Cependant, la grammaire stratégique comporte à la fois les intérêts vitaux, notre doctrine de la dissuasion (arme de non-emploi ou ultime avertissement) et le conventionnel. Dans le domaine conventionnel, nous devons être en mesure de montrer notre détermination, à travers la frappe au niveau du théâtre. Nous nous situons dans l’épaulement de l’un à l’autre.

M. le président Jean-Michel Jacques. Je vous remercie.

Feux dans la profondeur : L’armée australienne a reçu ses premiers systèmes d’artillerie M142 HIMARS

Feux dans la profondeur : L’armée australienne a reçu ses premiers systèmes d’artillerie M142 HIMARS

https://www.opex360.com/2025/03/24/feux-dans-la-profondeur-larmee-australienne-a-recu-ses-premiers-systemes-dartillerie-m142-himars/


En mai 2022, la Defense Security Cooperation Agency [DSCA], chargée d’instruire les exportations d’équipements militaires américains, autorisa l’Australie à se procurer 20 systèmes d’artillerie à longue portée M142 HIMARS [High Mobility Artillery Rocket System] ainsi que des missiles balistiques tactiques MGM-140 ATACMS [Army TACtical Missile System], pour un montant alors estimé à 385 millions de dollars.

Les négociations contractuelles se concrétisèrent un peu plus de six mois après. « L’efficacité [du M142 HIMARS] dans le conflit ukrainien a assurément influencé la décision du gouvernement », commenta Pat Conroy, le ministre australien de l’Industrie de défense, après la notification de la commande à Lockheed-Martin.

Seulement, en avril 2023, Canberra annonça une évolution majeure de sa doctrine militaire, celle-ci devant mettre l’accent sur le renforcement des capacités défensives dans le nord de l’Australie [tant sur terre que sur mer] et, partant, sur l’acquisition de moyens de frappe à longue portée. D’où son intention de commander 22 M142 HIMARS supplémentaires. Ce que la DSCA a approuvé en août de la même année.

Cependant, alors que l’Australie participait financièrement à son développement, à hauteur de 70 millions de dollars australiens, il n’était pas encore question de livrer, avec les M142 HIMARS, des missiles PrSM [Precision Strike Missile] à l’armée australienne. Du moins, les deux avis publiés par la DSCA ne l’avaient pas mentionné… .

« La coopération de l’Australie pour le PrSM complète la présence américaine […] dans l’Indopacifique et ouvre la voie aux tirs de précision à longue portée de l’armée américaine dans la région », avait affirmé le ministère australien de la Défense, en août 2021.

Cela étant, le PrSM est toujours en phase de test, comme en témoigne le tir d’essai effectué par l’US Army, depuis la base de Vandenberg [Californie], le 19 mars dernier. Et il fera bel et bien partie de l’arsenal de l’armée australienne.

C’est en effet ce qu’a confirmé Canberra, à l’occasion de la réception des deux premiers M142 HIMARS, ce 24 mars.

« Dans le cadre de l’examen stratégique de défense [DSR], le gouvernement Albanese a annoncé un investissement de 1,6 milliard de dollars AUD pour augmenter et accélérer l’acquisition de M142 HIMARS. Deux ans plus tard, les deux premiers exemplaires ont été livrés à l’Australie par les États-Unis », a d’abord annoncé le ministère australien de la Défense.

Et d’ajouter : « L’acquisition du M142 HIMARS marque un changement radical pour les forces de défense australiennes [ADF] puisqu’elle offre une capacité de frappe de premier plan, ce qui contribuera à la sécurité de notre région et assurera celle de notre nation ».

Le communiqué ne cite pas l’achat de missiles ATACMS… En revanche, il insiste sur le PrSM, qui donnera aux M142 HIMARS australiens une « puissance de feu précise » pour atteindre des cibles situées « à des distances de plus de 500 km ».

Le M142 HIMARS « est une capacité de premier plan au niveau mondial, offrant une puissance de feu précise à longue portée, ce qui permet de multiplier par plus de dix la portée de frappe de l’armée [australienne] », s’est félicité M. Conroy. « Il s’agit d’équiper dès maintenant les ADF de capacités de pointe qui leur permettent d’opérer efficacement sur terre, sur mer et dans les airs pour dissuader les agressions et protéger les Australiens », a-t-il ajouté.

À noter que les roquettes de type GMLRS [Guided Multiple Launch Rocket System], également utilisées par le M142 HIMARS, seront produites en Australie, ce qui permettra de « renforcer les solides chaînes d’approvisionnement nationales que nous contrôlons et de créer des emplois locaux », a conclu M. Conroy.

Photo : US Space Force par Anthony Mendez

Le Griffon MEPAC délivre ses premiers feux dans l’armée de Terre

Le Griffon MEPAC délivre ses premiers feux dans l’armée de Terre

– Forces opérations Blog – publié le

Dans le mille pour la version « mortier embarqué pour l’appui au contact » (MEPAC) du Griffon, point d’orgue d’une démonstration organisée la semaine dernière sur le camp de Canjuers (Var). Une séquence réussie devant 11 armées étrangères et un prélude aux premières perceptions par les régiments d’artilleri

« Feu ! ». L’ordre aura retenti une dizaine de fois en l’espace d’une minute, le temps pour l’équipage du Griffon MEPAC de tirer autant d’obus de 120 mm avant de plier bagage. Dernier arrivé dans la famille de véhicules blindés SCORPION, ce Griffon conçu autour du mortier semi-automatique 2R2M de Thales était livré il y a peu à la Section technique de l’armée de Terre (STAT) pour lui permettre de mener une évaluation technico-opérationnelle (EVTO).

Lancée il y a deux semaines, cette EVTO est désormais achevée en ce qui concerne le système principal. Pour les experts de la STAT, il s’agissait de se rapprocher d’un environnement opérationnel pour vérifier point par point si le MEPAC répond aux exigences exprimées en 2018 par l’état-major de l’armée de Terre, nombreuses séquences de tirs à la clef. 

D’autres évaluations auront lieu de manière décentralisée. La décontamination, par exemple, sera conduite en mai-juin avec l’appui des spécialistes NRBC du 2e régiment de dragons de Fontevraud. Des essais par temps froid et temps chaud seront potentiellement réalisés à la faveur d’exercices interalliés ou de projections parmi les forces françaises stationnées en dehors de l’Hexagone. Mais la poursuite de l’évaluation ne devrait pas empêcher l’EMAT de prononcer l’autorisation d’emploi d’ici peu.

Engagé en 2018, le développement du Griffon MEPAC se poursuivait en 2022 avec des essais industriels puis étatiques. Actée en décembre 2024, sa qualification aboutit aujourd’hui à « une arme extrêmement intéressante, nouvelle pour l’armée de Terre », expliquait le lieutenant-colonel Jean-Marie, officier de marque au sein de la STAT. « Ce sont les capacités dont nous avons besoin », complétait le général de division Alain Lardet, sous-chef d’état-major « plans et programmes » de l’EMAT, devant une famille de véhicules SCORPION au garde-à-vous.

Cette variante spécifique allie en effet la précision du CAESAR et la mobilité du Griffon pour au final offrir « une extrême rapidité de mise en œuvre et de rupture de contact », comme démontré sur le site varois de Ranguis. Contrairement à son équivalent tracté, le MEPAC dispose d’une centrale inertielle équivalente à celle du CAESAR. Un outil qui permet de réduire le temps de mise en batterie tout en apportant une précision de l’ordre du millième de radian. Moins d’une minute suffit en effet au MEPAC pour s’arrêter et tirer son premier obus, un délai presque dix fois inférieur à celui du mortier tracté Mo 120. 

Avec 12 coups tirés en 90 secondes, le MEPAC permet également de gagner en cadence de tir. Identique à celui du Mo 120 RT F1, son portfolio de munitions l’amènera lui aussi à cibler prioritairement l’infanterie débarquée et les blindés légers mais en bénéficiant cette fois d’une réelle protection. Le tout pratiquement à 360°, l’armée de Terre s’interdisant d’orienter le tube vers l’avant du véhicule pour éviter que le souffle n’endommage le tourelleau téléopéré qui y est installé. 

« C’est un atout extraordinaire pour un chef interarmes que de pouvoir délivrer des feux aussi précis aussi rapidement. Dans le combat moderne, il faut augmenter la létalité et la survivabilité », observait le GDI Lardet, selon qui « un MEPAC, cela vaut bien deux ou trois mortiers tractés »

Le Giffon MEPAC « reste un mortier avant tout », note pour sa part l’officier supérieur de la STAT. Un fonctionnement dégradé restera possible. Sans centrale inertielle, par exemple, compensée par le goniomètre utilisé par les artilleurs du mortier tracté. Et si l’asservissement hydraulique du mortier devient défaillant, il restera toujours un circuit de secours pour pointer la pièce à l’aide d’une pompe manuelle. 

À l’instar des autres versions du Griffon, les 54 MEPAC attendus à l’horizon 2028 seront réceptionnés par le 1er régiment de chasseurs d’Afrique, unité chargée de conduire la les vérifications de bon fonctionnement puis de livrer les véhicules aux régiments concernés. Les deux prochains exemplaires seront livrés en avril et mai au profit de l’École de l’artillerie de Draguignan et de l’École du matériel de Bourges pour commencer au plus tôt l’appropriation par les chefs de pièce et la formation des maintenanciers. 

Huit autres sont attendus pour commencer à doter les régiments d’artillerie, bigors en tête. « La production est lancée, et c’est le 3e régiment d’artillerie de marine qui va recevoir les premiers mortiers embarqués », annonçait le GDI Lardet. Complémentaire plutôt qu’antinomique de la technologie, « la masse est importante ». « Nous réfléchissons – l’armée de Terre – à augmenter cette dotation », annonçait-il. Idem pour des Griffon « équipés de moyens d’observation pour l’artillerie » que le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, citait fin 2024 comme exemple d’autre cible à rehausser.

L’armée de Terre a réceptionné son premier Griffon MEPAC

L’armée de Terre a réceptionné son premier Griffon MEPAC

par – Forces opérations Blog – publié le

Comme prévu, la Direction générale de l’armement a livré le premier Griffon « mortier embarqué pour l’appui au contact » (MEPAC) à l’armée de Terre en fin d’année dernière. Une cinquantaine d’exemplaires suivront pour armer une batterie complète dans chaque régiment d’artillerie.

Dix ans après la notification d’un premier marché majeur, la famille de véhicules SCORPION est désormais au complet. Après le Griffon, le Jaguar et le Serval, le Griffon MEPAC a rejoint les rangs de l’armée de Terre le 19 décembre dernier. Livré au 8e régiment du matériel, il servira dans un premier temps à la réalisation d’une évaluation technico-opérationnelle (EVTO) par la Section technique de l’armée de Terre. 

« Une livraison de 10 autres véhicules est prévue en 2025 », annonce aujourd’hui le ministère des Armées conformément au calendrier annoncé plus tôt. Les 43 autres seront livrés à l’armée de Terre d’ici à fin 2028. 

Derrière l’exemplaire pris en main par la STAT, d’autres sont attendus au printemps pour commencer à équiper les six régiments d’artillerie « sol-sol canon » de l’armée de Terre. Chaque unité disposera à terme d’une batterie à huit pièces venant remplacer des mortiers de 120 mm tractés reversés dans l’infanterie.

Aérotransportable par A400M et armé par quatre militaires, le Griffon MEPAC viendra renforcer la mobilité tactique des batteries opérant en appui d’un groupement ou d’un sous-groupement tactique interarmes. Il bénéficie en effet de la chaîne de mobilité, de la vétronique et des moyens de protection communs à l’ensemble des variantes et sous-variantes du Griffon. 

La principale différence relève du mortier 2R2M et des 32 munitions embarquées en tranche arrière. Son système de chargement semi-automatique permet à une équipe de pièce aguerrie de tirer jusqu’à 12 obus en 90 secondes, dont six sont prêts au tir. Derrière le mortier, le Griffon MEPAC repose également sur une centrale de navigation inertielle, un calculateur de pièce (CALP) et un boitier de commande de l’arme. 

Le tout permet de traiter un objectif au-delà de 8 km avec la gamme d’obus prérayés actuellement en service, soit via le logiciel de conduite des feux ATLAS, soit de manière autonome. Quant à l’adoption d’une munition guidée, le sujet serait repassé au second plan pour concentrer l’effort sur le calibre 155 mm du canon CAESAR. 

La tranche de production du Griffon MEPAC avait été notifiée début 2022 auprès du groupement momentané d’entreprises formé par KNDS France, Arquus et Thales. Un an plus tard, le système engrangeait un premier succès à l’export avec la commande par la Belgique de 24 pièces dans le cadre du partenariat binational CaMo. Leur livraison au profit de la Composante Terre est programmée pour 2028-2029. 

Crédits image : DGA Techniques Terrestres

Artillerie : L’armée de Terre a terminé l’évaluation du couple formé par le CAESAr et le drone DT46 de Delair

Artillerie : L’armée de Terre a terminé l’évaluation du couple formé par le CAESAr et le drone DT46 de Delair


Le 6 novembre, à Canjuers [Var], le 3e Régiment d’Artillerie de Marine [RAMa] va effectuer un exercice au cours duquel ses CAESAr [Camion équipés d’un système d’artillerie] seront associés au Système de minidrone de renseignement [SMDR], lequel repose sur trois drones Spy’Ranger [fournis par Thales].

Selon les explications fournies par le ministère des Armées, le SMDR permet « aux observateurs d’artillerie de se soustraire à la vue de l’adversaire, d’accroître la transparence du champ de bataille et d’optimiser la portée et la précision » du CAESAr.

Mais ce n’est pas la première fois que ce mode opératoire est expérimenté. L’an passé, lors d’une campagne de tirs ayant duré cinq semaines, le 40e Régiment d’Artillerie [RA] avait « pris en compte l’accélération de la boucle renseignement – feux » en ayant justement recours au SMDR.

Seulement, les Spy’Ranger sont désormais de conception ancienne, le marché « SMDR » ayant été notifié à Thales par la Direction générale de l’armement [DGA] en 2016. Ce qui est une éternité dans ce domaine… D’autant plus que des drones plus performants et mieux adaptés aux contraintes des artilleurs sont désormais sur le marché. C’est notamment le cas du DT-46 du constructeur français Delair.

Ayant la particularité de fonctionner selon deux configurations [VTOL, c’est-à-dire à décollage et atterrissage verticaux, ou voilure fixe], il affiche une endurance comprise entre 3h30 et 7h30, tout en portant une charge utile de 5 kg [boule optronique, LIDAR, etc.]. Sa portée est de 100 km… alors que celle du Spy’Ranger n’est que de 30 km.

D’où le vif intérêt que lui porte la Section technique de l’armée de Terre [STAT], qui vient de finaliser son évaluation technico-opérationnelle [EVTO], avec le concours du 35e Régiment d’Artillerie Parachutiste [RAP]. Et, visiblement, le DT-46 a donné satisfaction.

« Ce drone sera prochainement déployé dans l’armée de Terre. Il effectuera des missions de renseignement et d’acquisition d’objectifs au profit de l’artillerie », a fait savoir la STAT, via le réseau social LinkedIn. Et de préciser que les tirs effectués par son équipe de marque « drones spécialisés », renforcée par des « télépilotes » du 3e RAMa, du 11e RAMa et du 68e RAA et avec le concours du 35e RAP ont été les « premiers » à avoir été « réalisés avec une numérisation ATLAS complète entre un drone et des CAESAr ».

Pour rappel, le système ATLAS [Automatisation des Tirs et Liaisons de l’Artillerie Sol/sol] permet de transmettre automatiquement des « informations entre les principales équipes du régiment dans la fonction feux mais aussi dans les fonctions commandement, renseignement, logistique et NBC ».

L’Armée Française Révolutionne ses Canons Caesar avec des Drones

L’Armée Française Révolutionne ses Canons Caesar avec des Drones

Dans le fracas des conflits modernes, une révolution technologique s’opère dans l’ombre. L’armée française, toujours à la pointe de l’innovation, vient de franchir un cap décisif dans l’art de la guerre en mariant ses redoutables canons Caesar à la précision chirurgicale des drones. Une synergie homme-machine qui repousse les limites du champ de bataille.

L’Armée Française Révolutionne ses Canons Caesar avec des Drones


L’armée française innove en utilisant des drones pour piloter ses canons Caesar. Une révolution technologique qui change la donne sur le champ de bataille. Découvrez comment cette synergie homme-machine repousse les limites de l’art de la guerre…

Le Drone, Œil Céleste de l’Artilleur

Fini le temps où les éclaireurs devaient s’aventurer en territoire hostile pour repérer les cibles et guider les tirs d’artillerie. Désormais, c’est un drone qui joue ce rôle crucial, survolant la zone de combat à la recherche de l’ennemi. Véritable prolongement des sens de l’artilleur, il transmet en temps réel des images haute définition permettant d’ajuster chaque tir au millimètre près.

Grâce à cette technologie de pointe, les canons Caesar français peuvent désormais frapper avec une précision redoutable, tout en maintenant leurs servants à l’abri. Un atout considérable qui change la donne sur le théâtre des opérations.

Une Coordination Minutieuse

Mais pour que cette collaboration homme-machine soit optimale, encore faut-il une coordination sans faille. C’est tout l’enjeu des entraînements menés par l’armée française, où artilleurs et pilotes de drones apprennent à travailler main dans la main.

Chaque tir est le fruit d’un ballet millimétré entre le canon et son drone. Une chorégraphie guerrière où chacun doit jouer sa partition à la perfection.

Un pilote de l’armée de Terre.

Lors de ces exercices grandeur nature, les équipes s’entraînent à coordonner leurs actions en temps réel, affinant leurs procédures pour gagner en rapidité et en efficacité. Le moindre grain de sable dans cette mécanique bien huilée pourrait avoir des conséquences dramatiques sur le champ de bataille.

L’Ukraine, Laboratoire Grandeur Nature

C’est d’ailleurs en Ukraine que cette révolution des drones a pris tout son sens. Face à un ennemi retranché et déterminé, l’utilisation massive de ces aéronefs sans pilote s’est imposée comme une nécessité. Éclaireurs, correcteurs de tir, mais aussi armes de frappe à part entière, les drones ont profondément modifié la physionomie de ce conflit.

Consciente de cette mutation, l’armée française a accéléré l’intégration des drones dans ses unités d’artillerie. Les canons Caesar en sont la parfaite illustration, combinant puissance de feu et intelligence artificielle dans un package redoutablement efficace.

Une Révolution Qui Ne Fait Que Commencer

Mais cette symbiose entre artillerie et drones n’est qu’un premier pas. À l’avenir, ces engins pourraient gagner en autonomie, voire se passer totalement d’opérateur humain. Une perspective qui soulève autant d’espoirs que d’inquiétudes, tant la frontière entre progrès technologique et déshumanisation de la guerre est ténue.

Une chose est sûre : avec ses canons Caesar pilotés par drone, l’armée française est à la pointe de cette révolution qui s’annonce. Une avancée technologique majeure qui pourrait bien redéfinir l’art de la guerre au XXIe siècle.

Un commandement, quatre missions et un premier cap pour les acteurs de la profondeur

Un commandement, quatre missions et un premier cap pour les acteurs de la profondeur

par – Forces opérations Blog – publié le

Une page s’est tournée pour le commandement du renseignement, une autre s’ouvre pour le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR). Officiellement créé début septembre à Strasbourg, le CAPR et ses trois brigades abordent une nouvelle séquence ponctuée d’enjeux et qui culminera avec l’organisation d’un premier exercice majeur, Diodore 2025. 

Réinvestir la profondeur

« Le CAPR est officiellement créé aujourd’hui ». C’est avec ces quelques mots que le commandant de la force et des opérations terrestre, le général de corps d’armée Bertrand Toujouse, actait le 4 septembre à Strasbourg la naissance d’un nouveau commandement alpha au sein de l’armée de Terre. Si le rendez-vous était essentiellement symbolique, il marquait néanmoins un jalon majeur dans un processus engagé il y a environ 18 mois. « Nous franchissons à nouveau une étape », se félicitait le commandant du CAPR, le général de division d’infanterie Guillaume Danès. 

Le CAPR, ce sont désormais 15 régiments, unités et centres rattachés à l’état-major ou réunis ou sein de la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC), de la brigade de renseignement et cyber-électronique (BRCE) et de la 19e brigade d’artillerie (19e B.ART). Mis sur pied avant l’été, le bataillon de renseignement de réserve spécialisé (B2RS) relève directement de l’état-major installé au quartier Stirn. Idem pour le centre de renseignement Terre (CRT), organisme chargé de la veille et de l’exploitation du renseignement d’intérêt Terre en coordination avec la Direction du renseignement militaire (DRM). Pour tous, l’objectif fixé dès l’origine ne change pas : « proposer des idées pour améliorer la capacité de l’armée de Terre à façonner un adversaire puissant dans la profondeur avant qu’il n’arrive au contact des divisions et brigades interarmes », résume le GDI Danès. 

Crédits image : CAPR

Ce commandement alpha, l’un des quatre récemment créés par l’armée de Terre, a désormais un état-major, un insigne et un fanion tricolore. Trois couleurs pour autant de rappels des brigades qui le composent : le rouge de la 19 B.ART, le bleu clair de la BRCE, le bleu roi de la 4e BAC. Fort de cet amalgame de capacités et de savoir-faire spécialisés, le CAPR devient cet « outil indispensable » destiné à fournir les appui organiques au profit du corps d’armée et de ses divisons et brigades interarmes dans les champs du renseignement, du cyber, de la guerre électronique, des feux dans la profondeur, de la défense sol-air et de l’aérocombat.

Sa zone d’action ? Une frange partant de 50 km après la ligne de contact et s’étendant jusqu’à 500 km sur les arrières de l’ennemi, voire au-delà. Un ennemi capable d’engager plusieurs divisions, soit quelques dizaines de milliers de combattants, et la totalité du spectre capacitaire dont dispose la France et ses alliés. Un ennemi face auquel la France ne s’est plus engagée depuis un quart de siècle, rappelle le GDI Danès en écho à cette préparation « à des temps difficiles » évoquée plus tôt par le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard. « L’enjeu de la profondeur est majeur. Il l’est aujourd’hui, comme le démontre tous les jours le conflit ukrainien. (…) Il est en réalité aussi vieux que l’Histoire, tant la profondeur a été le sanctuaire des ressources adverses pour tout pays engagé dans un conflit », rappelait à son tour le GCA Toujouse. 

Pour progresser rapidement et de concert, le CAPR mise sur une « Task Force Profondeur » (TF Deep) rassemblant tous les acteurs concernés dans un état-major commun, à contre-courant de l’ensemble de cellules co-localisées mais séparées qui prévalait jusqu’alors. Expérimentale, la structure adopte une configuration unique au sein de l’OTAN. « L’intuition est bonne, je suis sûr que cette Task Force démontrera son efficacité mais il faut encore en apporter la preuve. C’est un nouveau modèle dans l’armée de Terre. L’appropriation par le corps et les divisions prendra du temps et devra démontrer son intérêt par des exercices comme Diodore », concède le général Danès.

Naissance ou renaissance de deux brigades

La matérialisation du CAPR s’est accompagnée de celle de deux de ses trois brigades. Née en 2016, la 4e BAC conserve l’ordre de bataille prévalant depuis le 1er janvier et le rattachement du 9e régiment de soutien aéromobile auprès des 1er, 3ème et 5ème régiments d’hélicoptères de combat. Respectivement créée et recréée, la BRCE et la 19e B.ART agglomèrent quant à elles des unités en provenance de l’ex-COM RENS ou des éléments organiques auparavant subordonnés au deux divisions de l’armée de Terre. 

Lointaine descendante de la brigade de renseignement et de guerre électronique, la BRCE rassemble le 2e régiment de hussards, les 44e et 54e régiments de transmissions, la 785e compagnie de guerre électronique et le centre de formation initiale des militaires du rang du domaine du renseignement (CFIM-151e RI). La BRCE hérite de deux missions historiques et d’autant de nouvelles. Traditionnellement, elle aura pour but de commander des unités de renseignement spécialisées dans la détection des menaces que l’ennemi portera sur le dispositif ami et de produire des attaques dans le domaine de la guerre électronique. S’y ajoutent l’identification, la localisation et la destruction de cibles prioritaires dans la profondeur, le tout en coordination avec la 4e BAC et la 19e B.ART, les deux brigades disposant des principaux moyens de frappe dans la profondeur. La lutte informatique offensive (LIO), enfin, entre maintenant dans son périmètre.

Entre le COM RENS et la BRCE, le format diminuera sensiblement. Les 3500 militaires d’avant laisseront place à une brigade plus ramassée d’environ 2500 combattants, la brigade de renseignement « perdant » un 61e régiment d’artillerie et une école des drones rattachés à la 19e B.ART, ainsi qu’un 28e groupe géographique rejoignant la brigade du génie. « Il y a une réflexion en cours sur l’articulation de la chaîne géographique des armées », explique le premier commandant de la BRCE, le général de brigade Vincent Tassel. Pilotée jusqu’à présent par l’état-major des armées, cette chaîne devrait être transférée pour partie à l’armée de Terre, pour partie à la Marine nationale. L’établissement géographique interarmées (EGI) pourrait dès lors devenir un organisme à vocation interarmées à dominante Terre (OVIA-T). 

Crédits image : CAPR

Si le renseignement et la guerre électronique demeurent centraux, « le cyber prend une importance particulière aujourd’hui », note le général Tassel. Certains régiments voient leur domaine de mission évoluer en conséquence. Le 54e RT se voit ainsi confier la mission de la LIO, avec de nouveaux moyens en personnel et en matériels à la clef. Quand cette discrète unité s’avère plutôt tactique et a vocation à accompagner une unité au contact, le 44e RT est quant à lui destiné à armer un bataillon ROEM situé en zone arrière et capable d’agir dans la très grande profondeur. La 785e CGE de Rennes conserve ses deux missions principales, que sont d’inventer et de tester des outils cyber et de guerre électronique. Elle contribue dès lors à la montée en puissance de la LIO. 

« La 19e brigade d’artillerie, créée en 1993, est rétablie après 26 années de mise en sommeil », annonçait le GCA Toujouse dans son ordre du jour n°19. Brigade « à haute valeur ajoutée », elle est la seule à disposer de feux longue portée et de moyens d’acquisition dédiés à la contre-batterie au travers du 1er régiment d’artillerie, du seul régiment drones et de renseignement d’origine image – le 61e RA – et du seul régiment de défense sol-air de l’armée de Terre, le 54e régiment d’artillerie. Elle intègre par ailleurs l’école des drones, centre unique de formation et d’expertise dans le segment. À l’heure où le CAPR prenait corps, l’état-major de la 19e B.ART reposait sur une trentaine de militaires. Un format ramassé que la brigade tendra à conserver en écho à l’un de retours d’expérience du conflit russo-ukrainien, celui d’une conversion vers un système de postes de commandement « plus léger, plus réactif, plus furtif et doté de systèmes plus hybrides et redondants », observe son commandant, le général de brigade Marc Galan. 

Le général Galan s’est fixé deux objectifs prioritaires. D’une part, la création d’un vrai « esprit brigade » renforcé par l’incorporation effective des unités à compter du 1er novembre. Et, d’autre part, la duplication et l’adaptation des enjeux de synergie et d’innovation poursuivis au niveau supérieur. La 19e B.ART jouera à ce titre un rôle central dans l’accélération de la boucle renseignement-feux dans sa mission d’appui permanent de la manoeuvre aéroterrestre au profit des grandes unités. Elle aura, sans doute plus que d’autres, vocation à s’inscrire dans un environnement interarmées et interalliés. Elle a ainsi reçu pour mission d’armer l’ossature d’une brigade multinationale d’artillerie, autrement dit d’être en capacité d’intégrer des unités alliées similaires. « Il y a un enjeu fort d’interopérabilité lié à la volonté de la France de servir de nation-cadre », relève le général Galan. 

Des enjeux capacitaires et de recrutement

La création du CAPR et de ses brigades s’accompagne de nombreuses réflexions capacitaires. À l’exception de l’aérocombat, les différents domaines d’action représentent en effet autant de potentiels à renforcer, d’écueils à combler, voire de capacités à créer de toute pièce. Si les armées ont toujours agi dans le champ électronique, le domaine s’est avéré moins prégnant en Afghanistan, en Irak et au Sahel. « Le retour de la guerre en Europe entre ennemis à parité démontre que la guerre électronique est partout », reconnaît le général Tassel. 

Bien qu’engagée après l’éclatement du conflit en Ukraine, l’écriture de la loi de programmation militaire 2024-2030 s’est peu penchée sur la question du spectre électromagnétique. Des discussions sont en cours au sein de l’état-major des armées pour corriger le tir, davantage intégrer le sujet et recréer une trame plus importante à l’échelon interarmées. Un programme d’équipement majeur (PEM) est en cours de déploiement. Il doit doter les armées d’une capacité d’appui électronique via un « système tactique de ROEM interarmées » (SYMETRIE). Preuve du virage engagé, ses cibles ont été augmentées l’an dernier de 49 à 73 cellules de ROEM tactique et de 25 à 36 porteurs pour répondre aux besoin de l’armée de Terre et de la Marine nationale. Porté par le CAPR, le volet terrestre du ROEM s’étend à de nouveaux besoins. Aux systèmes d’interception des signaux radar ou de brouillage des moyens de navigation adverse, par exemple, deux outils que l’armée de Terre entend bien capter.

De nouvelles pistes sont explorées dans tous les domaines, des communications aux drones en passant par les capacités d’aide à la décision. De même, la BRCE s’intéresse de près au monde civil, notamment pour répondre à l’une des grandes difficultés de la profondeur : le renvoi rapide et fiable du renseignement vers l’arrière sans être détecté. « Pour cela, nous parlons de plus en plus d’hybridation des réseaux, cette capacité à basculer de manière fluide des moyens militaires aux moyens civils qui permet parfois de se fondre dans la masse », observe le général Tassel. « J’ai profité d’Eurosatory pour faire la tournée des solutions techniques existantes et leur faire part de notre souhait de les tester l’an prochain », nous glisse pour sa part le patron du CAPR. En ce sens, ce commandement poursuivra son travail d’incubateur du combat dans la profondeur en vérifiant in situ la maturité et la pertinence des solutions « permettant de mieux travailler ensemble ».

L’enjeu relève également des ressources humaines. Si le 2e régiment de hussards recrute sans écueil, « en revanche nous avons plus de difficultés pour la guerre électronique parce qu’il s’agit de métiers très spécialisés », pointe le commandant de la BRCE. Pour ce dernier, il s’agira avant tout de mieux faire connaître des métiers pour lesquels la discrétion est naturellement de mise. En attendant de susciter davantage les vocations, la BRCE tire le meilleur de la montée en puissance de la réserve. Cette brigade a la particularité de disposer d’un état-major tactique de réserve (EMT-R), structure qui a armé l’échelon de commandement du bataillon de cérémonie durant les Jeux olympiques et paralympiques de cet été. « Et puis nous avons un complément de réserve, c’est à dire un certain nombre de réservistes aux compétences bien spécifiques ». Ces profils supplémentaires ne seront pas de trop, la BRCE étant appelée à jouer un rôle central dans la sensibilisation du reste de l’armée de Terre à la résurgence de la guerre électronique. « Tout d’abord, il faut savoir que cette menace existe. Cela peut paraître anodin, mais la guerre en Ukraine nous a incité à remettre de la guerre électronique dans tous nos exercices ». Destiné à se déployer parmi les unités de contact, cet autre espace de conflictualité exige de construire les bons réflexes pour diminuer le rayonnement des postes de commandement ou limiter les communications au strict nécessaire. Ce en quoi l’expertise de la BRCE devient incontournable. 

Des traqueurs d’ondes du 54e RT, régiment axé vers l’échelon tactique de la guerre électronique
(Crédits image : 54e RT)

Qu’il s’agisse des frappes dans la profondeur ou de la défense sol-air, la 19e B.ART est sans doute la brigade pour qui la marche capacitaire à franchir est la plus élevée. Pour son commandant, « il faut faire mieux dans tous les domaines. Je vais essayer de faire peser la brigade dans tout le domaine capacitaire, sur tout le spectre DORESE ». La LPM 2024-2030 amène un début de réponse. Ce sont notamment les 13 systèmes appelés à remplacer le lance-roquettes unitaire et les 24 Serval Mistral destinés à recréer une défense sol-air d’accompagnement, deux parcs potentiellement doublés à l’horizon 2035. Ce sont aussi les perspectives de développement de nouvelles munitions longue portée mais pas seulement. Sur les feux, « il faut de la précision, de la vitesse et de la masse, tant en pièces qu’en munitions. La mission de l’artillerie reste bien, dans un premier temps, de sidérer et de neutraliser l’adversaire », pointe un commandant de brigade pour qui il sera impératif de « disposer du panel complet de munitions ». 

Selon les cas, la LPM prévoit de renouveler l’existant ou de récupérer un embryon de capacité mais sans pour autant répondre entièrement à la question de la profondeur. Le général Galan se veut pragmatique. « À nous aussi de démontrer notre efficacité et nos compétences », insiste-t-il, tout en rappelant que « la guerre en Ukraine n’est qu’un exemple de conflit, nous aurions tort de ne nous focaliser que sur celui-ci ». Il s’agira d’être force de proposition, d’expérimenter. « Beaucoup de choses vont être explorées, comme les munitions téléopérées, les détachement d’acquisition dans la profondeur ». La brigade ne doit par ailleurs pas être limitée à ses matériels majeurs, elle dispose d’un panel de capacités varié. Le radar COBRA, par exemple, « est un matériel très performant dans la lutte contre les tirs indirects ». Idem pour le système de lutte anti-drones MILAD déployé pendant les JOP 2024. 

Quatre missions et un cap

Derrière les traditions, le CAPR s’est vu confier une quadruple mission et un premier cap. Effort prioritaire, l’accélération de la boucle renseignement-feux doit contribuer à prendre l’ennemi de vitesse. « Grand Duc aura montré que le sujet n’est pas tant la liaison entre le renseignement et l’artillerie mais plutôt la précision du renseignement pour garantir la confiance de l’artilleur. Et c’est justement en travaillant ensemble que la confiance s’installera », explique le GDI Danès. Surtout, il faut travailler la prise de décision en état-major car, quand deux minutes suffisent pour remonter l’information au poste de commandement, il faut encore « une vingtaine de minutes minimum pour autoriser le feu ».

Seconde priorité, la coordination des acteurs de la troisième dimension impliquera de « se faire confiance et de voler ensemble ». Six mois après l’exercice Grand Duc, l’optimisme reste la norme à la tête du CAPR. « Nous avions fait des progrès très rapides dans le raccourcissement de la chaîne décisionnelle et dans la coordination entre acteurs de la 3D, notamment dans un cadre tactique entre drones belges et hélicoptères français », se félicite son commandant. Depuis, la réflexion a encore évolué pour se concentrer sur la diminution de la ségrégation entre intervenants. « Après 25 années d’opérations extérieures, nous ne faisons pas voler ensemble, au même endroit et au même moment, un drone, une roquette et un hélicoptère », pointe le GDI Danès. Ce qui peut paraître logique pour des raisons de sécurité est en réalité un risque nécessaire « pour être efficace et bousculer notre adversaire ». « Il faut être capable de guider un tir d’artillerie ou un hélicoptère avec un drone », martèle celui pour qui il reste « du chemin à faire » dans la sur-interprétation des règlements et dans l’excès de mesures de protection ». 

La troisième priorité « s’impose un peu d’elle-même ». C’est l’intégration interarmes, interarmées et interalliés. « Ce combat dans la profondeur, ce n’est pas que le sujet des trois brigades subordonnées au CAPR. C’est aussi la combinaison d’actions spéciales, de manoeuvres aéromobiles et aéroportées, de tirs de l’armée de l’Air et de la Marine. Et c’est même aussi des actions d’opportunité des unités de renseignement ». Et le spectre peut être élargi à l’influence, à la lutte informatique, bref à tous les espaces de conflictualité. « Le CAPR n’a pas tous les outils en main », souligne son commandant. En l’attente d’un successeur pour le LRU, la France repose en effet sur les alliés pour tirer dans la profondeur depuis le sol et atteindre la ligne des 500 km. Il va donc falloir agir avec les autres. Ce sera l’un des autres objectifs pour les mois à venir : trouver les contacts, ouvrir les bonnes portes, embarquer ou se faire embarquer par les bons acteurs. En interne, ce travail est fait. « L’effort pour moi, c’est d’aller en direction de l’armée de l’Air et de l’Espace, de la Marine nationale, du COM CYBER et des alliés, essentiellement américains », assure le GDI Danès. Jusqu’à imaginer la mise à disposition du CAPR au profit d’un corps d’armée étranger, l’un des scénarios envisagés mais restant à valider. Ainsi, la TF Deep « pourrait être projetée par la France au profit d’un autre corps montant en puissance en début d’opération avant de se constituer, un corps dans lequel une division française pourrait s’insérer par la suite ».

La collaboration interarmées et interalliés, piste privilégiée pour frapper dans la profondeur en attendant que le LRU ait un successeur (Crédits image : armée de Terre)

Dernière priorité, la transparence du champ de bataille est finalement loin d’être acquise comme l’a démontré l’Ukraine en déclenchant une offensive en territoire russe cet été. Pour le CAPR, cette capacité à voir avant d’être vu exigera en partie de « faire bénéficier les unités tactiques des moyens stratégiques ». C’est à dire de disposer de certains capteurs de la DRM suffisamment efficaces que pour fournir le renseignement requis par l’échelon tactique. Tant l’imagerie satellitaire que les écoutes conduites aux échelons supérieurs ont gagné en précision et en rapidité de traitement, les rendant intéressantes pour les rythmes adoptés par les brigades et divisions. 

« Devant nous, il y a essentiellement ce jalon important fixé en mars 2025 avec la conduite de l’exercice Diodore », annonce le GDI Danès. Rendez-vous de grande ampleur, Diodore amènera un environnement ‘haut’ beaucoup plus complet que lors de Grand Duc, qui se concentre traditionnellement sur l’auto-entraînement des unités de l’ancien COM RENS. « Cette fois, le scénario nous échappe car il est construit par quelqu’un d’extérieur, à savoir le CRR-Fr et le COME2CIA. Nous découvrirons notre adversaire et allons travailler dans un cadre plus stimulant », note-t-il. Le CRR-Fr amènera l’environnement suffisant pour faire travailler la TF Deep, cette unité de circonstance constituée d’éléments en provenance des trois piliers du CAPR. Diodore devrait mobiliser le volume d’une brigade, soit de 4000 à 5000 combattants en partie simulés. L’essentiel se jouera dans l’est de la France parmi les grands camps de Champagne. La manoeuvre sera conduite en deux temps. D’un côté, pour réaliser la mission principale imposée par le CRR-Fr. De l’autre, pour effectuer une dizaine de vignettes permettant de travailler des savoir-faire, des organisations, des procédures spécifiques. 

Des synergies à construire aux sauts capacitaires, les défis ne manquent pas pour les prochains mois, les prochaines années. Élevée, l’ambition ne se conçoit pas sans un socle de réalisme. Au sommet du CAPR, le pragmatisme prime : l’essentiel des travaux repose actuellement sur un ensemble d’hypothèses et d’intuitions. À défaut – heureusement – d’engagement majeur, seuls les exercices et expérimentations à venir permettront de confirmer les pistes prometteuses, détecter les corrections nécessaires et, surtout, signaler les impasses. Le CAPR avait dans ce sens mis le pied à l’étrier grâce à Grand Duc. Diodore devrait lui permettre de forcer l’allure. 


Crédits image : 2e régiment de hussards

L’armée de Terre a officiellement réactivé la 19e Brigade d’Artillerie

L’armée de Terre a officiellement réactivé la 19e Brigade d’Artillerie


Conformément aux orientations de son dernier plan stratégique, l’armée de Terre met progressivement en place quatre nouveaux commandements dits « Alpha » qui, subordonnés au Commandement des forces terrestres [CFOT], sont censés incarner les « artères vitales qui irriguent la stratégie militaire » tout en assurant une « cohésion sans faille au sein des forces armées ».

Dit autrement, il s’agit de commandements spécialisés appelés à fournir des appuis au combat dans des domaines clés, tels que les frappes dans la profondeur, les actions « hybrides », le renseignement et la logistique.

Ces derniers mois, le « Commandement des Actions Spéciales Terre » [CAST], le « Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre » [CALT] et le « Commandement de l’Appui Terrestre Numérique et Cyber » [CATNC] ont officiellement été créés. Bien qu’il ait déjà pris part à l’exercice « Grand Duc », en mars dernier, il restait à en faire autant pour le « Commandement des Actions dans la Profondeur et du Renseignement » [CAPR]. D’où la prise d’armes organisée à Strasbourg, le 4 septembre.

À cette occasion, deux autres unités devant lui être subordonnées ont également été créées [ou recréée, pour l’une d’elles]. En effet, comme cela avait été annoncé depuis plusieurs mois, l’armée de Terre a réactivé la 19e Brigade d’Artillerie [B.ART], vingt-cinq après sa dissolution, dans le cadre de la professionnalisation des armées.

À l’époque, unité organique de la Force d’Action Rapide, la 19e B.ART réunissait les 1er, 54e et 403e régiments d’artillerie [RA]. Après sa dissolution, ces derniers furent rattachés à la Brigade d’artillerie d’Haguenau-Oberhoffen.

Relevant désormais du CAPR, par ailleurs commandé par le général Guillaume Danes, la 19e B.ART se compose des 1er et 54e RA. Mais pas seulement puisque le 61e régiment d’artillerie, jusqu’alors subordonné à la brigade de renseignement [BRENS] l’a rejoint, avec son École des drones, créée en 2023.

À noter que les capacités du 1er RA ont été amoindries avec la cession de quatre de ses treize Lance-roquettes unitaires [LRU] à l’Ukraine. Leur remplacement est prévu dans le cadre du programme « Frappe Longue Portée Terrestre » [FLPT].

Quant à la seconde unité, il ne s’agit pas non plus d’une création mais plutôt d’une transformation, la BRENS étant devenue la « Brigade de renseignement et cyber-électronique » [BRCE]. Celle-ci regroupe le 2e régiment de Hussards, les 44e et 54e régiments de transmissions, la 785e Compagnie de guerre électronique et le Centre de formation initiale des militaires / 151e RI. Au passage, le 28e groupe géographique, bien que relevant de l’artillerie, a été transféré à la Brigade génie [BGEN] du CALT.

Outre la 19e B.ART et la BRENS ce nouveau commandement dédié à l’action dans la profondeur compte également la 4e Brigade d’aérocombat [BAC], formée par les 1er, 3e et 5e régiments d’hélicoptères de combat [RHC] ainsi que par le 9e régiment de soutien aéromobile. Enfin, le Centre du renseignement Terre [CRT], avec 180 spécialistes de l’exploitation du renseignement, complète son ordre de bataille.

« L’armée de Terre de combat s’adapte à la géométrie du champ de bataille. Dernier-né des grands commandements mis sur pied dans le cadre de sa transformation, le CAPR aura la responsabilité de la portion de terrain s’étendant devant la ligne des contacts, où les unités de renseignement, d’aérocombat et d’artillerie qui relèvent de son autorité agiront en étroite coordination pour renseigner et délivrer des feux dans la profondeur », a expliqué le général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT]. Et d’ajouter : Il « possède des atours pour contribuer à comprendre l’adversaire dès la phase de contestation et pour fournir les capacités-clefs d’une nation-cadre ».

Selon les explications données par le CEMAT, la création de ce nouveau commandement est liée aux retours d’expérience [RETEX] des combats en Ukraine et au Haut-Karabakh, au cours desquels il est apparu que l’accélération de la « boucle acquisition-feux » était centrale, grâce à la combinaison de « capteurs et d’effecteurs ».

« Imposer sa supériorité au combat passe désormais par la détection, la reconnaissance et l’identification d’objectifs au plus loin, qui précèdent leur destruction », a-t-il résumé.

Photo : LRU – armée de Terre

Le canon Caesar est un cauchemar, selon les artilleurs russes

Le canon Caesar est un cauchemar, selon les artilleurs russes

Quoi qu’on en dise, les armées occidentales n’ont pas connu, depuis la guerre de Corée, de réels engagements de haute intensité dans la durée. À ce titre, la guerre du Golfe de 1991, souvent mise en avant pour justifier des arbitrages faits par les occidentaux en matière d’armées, d’équipements et de doctrines, a été trop courte, et trop spécifique, pour en tirer de réelles conclusions.

Dans ce contexte, la guerre en Ukraine, depuis février 2022, est l’occasion, pour ces mêmes armées occidentales, pour confronter leurs équipements, ainsi que, d’une certaine manière, leurs doctrines, à la réalité. Ce fut l’occasion de revenir sur certaines certitudes, notamment concernant l’efficacité relative supposée des équipements occidentaux sur les matériels, plus rustiques, russes.

Cette guerre a également montré le rôle déterminant de l’artillerie dans ce type de conflit. Dans ce domaine, les nouveaux systèmes européens, dotés d’un tube de 52 calibres et de systèmes de visée plus évolués, ont montré leur grande efficacité, face aux matériels russes, mais aussi, américains ou britanniques, moins performants.

Le canon Caesar porté sur camion, de conception française, brille particulièrement dans ce conflit. Un temps jugé trop léger et insuffisamment protégé, face à l’Archer suédois, ou moins mobile sur terrain difficile, que le Pzh2000 allemand, celui-ci a montré, à plusieurs reprises, toute l’efficacité de son concept.

Toutefois, si les ukrainiens ont parfois envoyé des messages contradictoires au sujet de ce système, une récente interview en ligne, sur Telegram, d’artilleurs russes, montre qu’il est, aujourd’hui, le système le plus redouté, et celui qui leur a fait le plus de mal.

Sommaire

Des messages parfois contradictoires concernant le canon Caesar venant d’Ukraine

Aujourd’hui, les armées ukrainiennes alignent une cinquantaine de Caesar, dont 19 en version 8×8 fournis par le Danemark, et 32 en version 6×6 par la France. Celles-ci doivent recevoir, sur 2024, 78 nouveaux Caesar 6×6, financés conjointement par Paris, Copenhague et Kyiv.

Canon M-777 ukraine
Les forces ukrainiennes ont perdu plus de la moitié des canons M777 livrés par les Etats-Unis, contre moins de 15 % de leur canon Caesar.

Cependant, les messages concernant l’efficacité du Caesar au combat, venant des armées ukrainiennes, ont occasionnellement été contradictoires. Il y a quelques mois, un artilleur ukrainien avait ainsi expliqué à des journalistes français, que le canon tracté M777 américain était plus efficace, car pouvant plus facilement se dissimuler, et de cette façon résister aux attaques de drones, et car trop complexe à employer et à maintenir.

Les faits, cela dit, ne lui donnaient pas raison, notamment par la comparaison des pertes entre les deux systèmes. Et ces déclarations avaient d’ailleurs amené le ministère de la Défense ukrainien, à publier un communiqué pour contredire le colonel Yan Iatsychen, commandant de la 56ᵉ brigade d’infanterie motorisée, et exprimer sa pleine satisfaction du CAESAR.

Il y a quelques jours, Alexandre Zavitnevych, Président de la commission de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement du Parlement ukrainien, la Rada, avait fait l’éloge du Caesar, en particulier aux mains des artilleurs de la 55ᵉ brigade d’artillerie, alors en charge de protéger le théâtre de Zaporojjie.

Il a toutefois précisé qu’ils rencontraient des difficultés concernant le maintien en condition opérationnelle (MCO), une difficulté sur laquelle KNDS-France et les autorités ukrainiennes, travaillent activement. Dans le même temps, il a indiqué que la mobilité du canon français était mise à mal lors des périodes de fortes pluies, au printemps et à l’automne.

Le témoignage d’un artilleur russe sur l’évolution de l’artillerie ukrainienne

À ces sujets, l’interview d’artilleurs russes, menée par des compatriotes milbloggers, apporte une vision complémentaire, et très éclairante, sur la perception concernant l’efficacité de l’artillerie ukrainienne, mais aussi celle du Caesar français.

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Très performant, le Pzh2000 allemand est aussi beaucoup plus onéreux qu’un Caesar, ne permettant pas d’atteindre une masse critique efficace sur la ligne d’engagement.

La première partie de l’interview traite de l’évolution de la doctrine employée par l’artillerie ukrainienne comme russe, au début du conflit, et son évolution au fil du temps. Ainsi, il apparait, comme on pouvait s’y attendre, que l’une comme l’autre appliquaient des doctrines soviétiques au début du conflit, concentrant de puissantes forces d’artillerie menant un feu massif et très soutenu, à chaque utilisation.

On comprend, à ce titre, qu’un officier ukrainien ait eu du mal à faire sienne la doctrine d’emploi du Caesar, conçu pour être très mobile et employé en petite unité, voir de manière individuelle, et puisse privilégier le M777, beaucoup plus conforme, dans l’esprit, à l’utilisation faite de l’artillerie héritée de la doctrine soviétique. « Plusieurs centaines de coups pouvaient être tirés sur une même cible, pour mettre un ou deux coups au but« , précise ainsi l’artilleur russe à ce sujet.

Au fil du temps, les tirs de contrebatterie, d’une part, les frappes de drones et le manque de munitions, de l’autre, ont amené les ukrainiens à évoluer vers des unités beaucoup plus compactes, plus mobiles, et tirant beaucoup moins d’obus par frappe, d’un rapport « un à cent« , selon le témoignage russe, avec toute la subjectivité que cela implique.

Le Caesar est un cauchemar pour les artilleurs russes

La seconde partie de l’interview porte, elle, sur les capacités les plus redoutées par les artilleurs russes. Et le constat est sans appel, il s’agit du Caesar français. Celui-ci n’évolue pas, selon lui, « dans le même siècle que les équipements en service au sein des armées russes« .

Canon Caesar Advivka
Les Caesar ukrainiens seraient principalement employés pour al contre-batterie, avec une grande efficacité, selon les artilleurs russes.

« La portée de ces systèmes atteint 40 km avec des obus conventionnels, surpassant de loin les systèmes soviétiques que nous avons, qui plafonnent à 32 km avec des obus à portée additionnée« . « La configuration sur roues de ces залупы » (je vous laisse le choix de la traduction ;-)) « leur permet de rapidement quitter une position, même une fois déployés ».

« Il ne faut que 60 secondes pour le déployer, et 40 secondes pour s’échapper. Le système de visée est automatique, ce qui lui confère une précision extraordinaire« , ajoute-t-il.

De fait, les armées russes ont fait de la destruction des Caesar, une véritable priorité, n’hésitant pas à employer des drones Lancet, et même des roquettes et missiles balistiques à courte portée (OTRK), pour y parvenir.

Et d’ajouter que le Caesar est aujourd’hui un système rare, employé avec parcimonie par les armées ukrainiennes, pour les tirs de contrebatterie, avec une grande efficacité. « Ces obusiers français ont pris un nombre énorme de vies d’artilleurs russes« , conclut-il.

Le concept du Caesar, associant efficacité et masse, s’impose en haute intensité

Bien évidemment, un témoignage ne fait pas une situation. Il convient donc de se montrer prudent, quant à la surinterprétation des conséquences de cette interview, d’autant que, pour des raisons évidentes, celle-ci est volontairement obscure sur de nombreux aspects.

Canon Caesar Mali
Avec une masse au combat de 17 tonnes, le Caesar est très leger, et peut aisément être déployé sur des théatres d »opérations, y compris par avion.

Toutefois, elle tend à accréditer le concept ayant entouré la conception du Caesar lui-même, dans les années 90. Pour rappel, celui-ci n’avait pas vocation, initialement, à remplacer l’artillerie sous casemate chenillée, comme l’AuF1 GCT, sur châssis AMX-30. Le Caesar visait à remplacer les canons tractés TR-F1, plus économiques, plus mobiles, et plus facilement déployables.

Pour autant, celui-ci n’a pas été conçu, comme avancé parfois par le passé, pour une utilisation sur théâtre de moindre intensité. Il visait, effectivement, à remplacer par la mobilité, la précision et l’allonge, la survivabilité liée au blindage, concernant les canons automoteurs, tout en conservant une efficacité opérationnelle identique, y compris en haute intensité.

Le fait est, aujourd’hui, l’Armée de terre va basculer l’ensemble de son artillerie lourde, sur Caesar Mk2, y compris en remplaçant ses derniers AuF1 par ce système. Et plusieurs armées, y compris en Europe, ont fait un choix similaire. En effet, au-delà de ses qualités techniques et opérationnelles, le Caesar offre un atout clé, sensible particulièrement en Ukraine : il est économique, et relativement « facile » à produire.

Ainsi, pour le prix d’un Archer 2 suédois, il est possible d’acquérir 2,5 à 3 Caesar, alors que pour un RCH155, ou un PZH2000, ce sont 3,5 à 4 Caesar qui prennent la ligne. Certes, le Caesar Mk2 n’aura pas l’automatisation de l’Archer 2, ni la capacité de faire feu en mouvement du RCH155, mais avec le même investissement, il permet d’atteindre une masse critique efficace sur le champ de bataille, que ces autres systèmes peinent à atteindre.

RCH155 KMW
Retenu par la Bundeswehr, le RCH155 de KNDS-Deutschland, n’est pas un concurrent du Caesar. Il est en effet persque 4 fois plus cher.

L’atout est d’autant plus sensible, en Ukraine, que les pertes documentées proportionnelles du Caesar ne sont pas supérieures à celles de l’Archer ou du Pzh2000, alors même qu’il est intensément employé par les forces ukrainiennes, et, de toute évidence, directement visé par les forces russes.

On comprend, dans ces conditions, que le Caesar tende à devenir le système d’artillerie de nouvelle génération central des armées ukrainiennes, étant certainement le seul à pouvoir afficher de telles performances, tout en étant produit à 72 unités par an en 2024, 144 unités en 2025, selon l’industriel.

KNDS-France anticipe de nouvelles commandes à venir du Caesar et l’arrivée des concurrents

On comprend également que KNDS-France, ex-Nexter, soit confiant quant à l’avenir commercial de son système, et la raison pour laquelle le français a annoncé une hausse de la production mensuelle pour atteindre 12 unités par mois, d’ici à 2025. Pour rappel, elle n’était que de trois canons par mois en 2022, encore moins auparavant.

En effet, au-delà des commandes ukrainiennes, françaises, belges, tchèques ou encore estoniennes, la démonstration de la validité du concept du Caesar, plus que de ses capacités elles-mêmes, qui étaient déjà connues, a le potentiel d’engendrer, dans les mois et années à venir, de nouvelles commandes, mettant KNDS-France au centre de l’artillerie occidentale.

KNDS-France Caesar
KNDS-France anticipe de nouvelles commandes exports dans les années à venir pour le Caesar, en passant la productioàn annuelle de 6 à 12 systèmes par mois.

Reste que ce succès va, aussi, aiguiser les appétits des autres industriels. Jusqu’à présent, les grands industriels européens, s’ils avaient compris l’intérêt de la configuration roues-canon, n’avaient pas adhéré au concept Caesar, donnant naissance à l’Archer suédois, au Zuzana 2 slovaque, ou au RCH155 allemand. Beaucoup plus lourds, et considérablement plus onéreux, ces systèmes n’évoluent donc pas dans la même catégorie que le Caesar.

Maintenant que le concept même est validé, la situation est différente, et des offres basées sur les mêmes paradigmes, émergeront bientôt. C’est déjà le cas du PCL-181 chinois, très proche, dans l’esprit et dans l’aspect, du Caesar français, mais aussi de l’Atmos israélien, probablement le plus sérieux concurrent, aujourd’hui, du système de KNDS-France.

Ainsi, comme les succès des Mirage III israéliens, amenèrent les américains à concevoir le F-16, l’avion le plus vendu de sa génération, il va falloir, à l’industriel français, s’emparer du plus de marchés possibles, avant que les offres concurrentielles ne débarquent vraiment. L’augmentation des cadences de production montre que KNDS-France a parfaitement saisie la temporalité des enjeux qui se présentent aujourd’hui.

Article du 22 avril en version intégrale jusqu’au 27 aout 2024

Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises

Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises

 

Depuis une dizaine d’années, l’industrie de défense française est engagée dans une dynamique porteuse particulièrement efficace à l’exportation, l’ayant amenée sur la seconde marche du podium mondial, après les États-Unis, mais devant la Russie.

Si la France exporte une grande variété d’équipements, allant du missile antichar au sous-marin, en passant par l’obus d’artillerie et l’avion de chasse, trois équipements se démarquent et portent, en grande partie, la progression des exportations françaises de défense aujourd’hui.

Ainsi, le chasseur Rafale, le sous-marin Scorpene et le canon Caesar, font régulièrement les gros titres, en France comme ailleurs, pour leurs succès internationaux. Si, désormais, tous se félicitent de ces succès, qu’on attribue volontiers à l’innovation et la détermination française, peu savent, en revanche, que ces trois équipements ont eu des débuts pour le moins difficiles, lorsque les armées françaises n’en voulaient pas.

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Les stars de l’exportation des équipements de défense français

Il est, aujourd’hui, incontestable que le Rafale, le Scorpene et le Caesar, portent, à eux trois, la dynamique d’exportation française en matière d’armement, grâce à des contrats qui se chiffrent en centaines de millions, voire en milliards d’euros, mais également en entrainant, avec eux, d’importants contrats d’équipements et de maintenance, ruisselant dans toute la BITD (Base Industrielle et Technologie Défense).

Rafale Qatar
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 14

Ainsi, après une quinzaine d’années de vaches maigres et d’inquiétudes industrielles et politiques, le Rafale de Dassault Aviation, s’est imposé, avec 300 appareils commandés sur la scène internationale, comme le plus grand succès européen d’exportation d’avions de combat depuis le Mirage F1, dans les années 70 et 80, et comme l’avion de chasse moderne le plus exporté aujourd’hui, après le F-35 américain.

De même, le sous-marin Scorpene, avec 16 navires commandés (bientôt 19 avec la commande indienne) par 5 forces navales, dépasse déjà le précédent record français détenu par la Daphnée dans les années 60, et vient directement menacer le Type 214 allemand, successeur du Type 209 qui détient le record occidental de sous-marins exportés dans les années 80 et 90.

Le canon Caesar, enfin, est devenu le plus grand succès à l’exportation de KNDS France (Ex-Nexter Ex-GIAT), et le système d’artillerie moderne européen le plus exporté ces trente dernières années, ne cédant, à l’échelle de la planète, qu’au K9 Thunder sud-coréen.

Chose encore plus rare, pour un équipement français, le Caesar est en passe de s’imposer comme un équipement standard au sein de l’OTAN, alors que cinq forces armées européennes, en plus de la France, ont déjà signé des commandes en ce sens (Belgique, Estonie, Lituanie, République tchèque et France), et que deux autres ont signé des lettres d’intention en ce sens (Croatie et Slovénie).

Il est toutefois particulièrement intéressant de constater que ces trois équipements qui, aujourd’hui, portent les exportations françaises en matière d’équipements de défense, et qui rapportent plusieurs milliards d’euros de production industrielle export, chaque année, à la balance commerciale nationale, ont connu des débuts particulièrement difficiles.

En effet, les armées françaises, ou certaines d’entre elles, n’en voulaient pas !

La Marine nationale préférait le F/A-18 Hornet au Rafale M en 1993

Lorsqu’il est question des débuts difficiles du Rafale, et de ses différents échecs commerciaux de 1997 à 2015, au Maroc, au Brésil ou encore aux Pays-Bas, il est fréquent de se voir rappeler la phrase désormais ô combien « pas prophétique » du ministre de la Défense Hervé Morin en 2010, lorsqu’il jugeait l’appareil trop compliqué et trop cher pour pouvoir être exporté.

Mirage 2000-9 EAU
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 15

Cette position ministérielle avait, il est vrai, à ce point inquiété Dassault Aviation, que l’industriel préféra sacrifier la ligne d’assemblage du Mirage 2000, après l’échec de l’appareil en Pologne, même si certains marchés potentiels se profilaient déjà en Europe de l’Est et en Asie, à moyen terme, pour le monomoteur français.

En effet, l’avionneur français craignait que le gouvernement français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, abandonne le Rafale pour une version modernisée du Mirage 2000, comme pouvait l’être le Mirage 2000-9 vendu aux Émirats arabes unis.

Le fait est, en procédant ainsi, Dassault obligea le ministère de la Défense à respecter ses engagements de commandes minimum de Rafale, avec 11 appareils par an, pour maintenir la ligne de production active, jusqu’à la première commande Égyptienne, en 2015, suivie, depuis, par beaucoup d’autres.

Quelques années plus tôt, cependant, c’est bien le ministère de la Défense, et son locataire, François Léotard, qui sauvèrent le programme Rafale, plus spécifiquement, le Rafale Marine. En effet, en 1993, l’ensemble de l’état-major, rue Royale, n’avait qu’une idée en tête : sortir du programme Rafale, pour pouvoir acheter des F/A-18 Hornet américains.

Il est vrai qu’à ce moment-là, l’aéronavale française était face à une évolution très incertaine, en particulier à court terme. Ainsi, les deux porte-avions français, embarquaient toujours des chasseurs de troisième génération, le Super-Étendard d’attaque, le F-8 Crusader de supériorité aérienne, et l’Étendard-4P de reconnaissance.

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Ces appareils, mis en œuvre en Irak trois ans plus tôt, étaient alors largement dépassés face à une défense aérienne ou une chasse moderne, et face au groupe aérien embarqué américain, alignant F-14, F-18, A-6 et A-7.

De fait, lorsque l’US Navy proposa à la Marine nationale, une flotte d’une soixantaine de F/A-18 Hornet en occasion récente, pour le prix de moins de vingt Rafale M, tout l’état-major, ou presque, s’est mobilisé pour tenter de faire pression sur le ministère, et laisser le programme Rafale à la seule Armée de l’Air.

Or, le retrait de la Marine de ce programme aurait non seulement fait porter son développement sur la seule Armée de l’air, mais cela aurait, également, augmenté le prix unitaire de l’appareil, avec, à la clé, une réduction du volume de production. De fait, avec le retrait de la Marine, le programme Rafale pouvait, tout simplement, péricliter.

Le ministère de la Défense décida cependant de rejeter l’offre américaine, et de poursuivre le programme Rafale comme prévu. Notons qu’aujourd’hui, les Rafale M du premier lot, au standard F1, ont été portés au standard F3R multirôle, et volent toujours, alors que l’US Navy a retiré du service l’ensemble de ses Hornet.

Le Caesar, le système d’artillerie révolutionnaire conçu par GIAT dans le dos de l’Armée de terre

Si la Marine nationale a tenté de se retirer du programme Rafale pour se tourner vers un chasseur américain, l’Armée de terre, elle, a tout simplement ignoré, pendant plusieurs années, le canon Caesar, et n’a consenti à en commander que cinq exemplaires, initialement, pour lancer la carrière internationale du système d’artillerie conçu par GIAT.

AuF1 Armée de terre
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 17

Il est vrai que quand le concept du Caesar est apparu dans l’esprit des ingénieurs français, l’Armée de terre percevait encore le reliquat de ses nouveaux canons automoteurs AuF1 GCT, dont elle était particulièrement satisfaite, un temps au moins. En outre, elle venait de lancer l’acquisition du canon tracté TrF1, pour soutenir les éléments projetés.

De fait, le besoin d’un nouveau système, tout innovant fut-il, était loin d’être la priorité de l’état-major de l’Armée de terre. Surtout que le programme Caesar semblait devoir relever des défis impossibles.

En effet, il s’agissait non seulement de franchir le cap des tubes de 52 calibres, ce qui entrainait de nombreuses évolutions, notamment au niveau de la culasse, mais aussi de parvenir à installer ce canon sur un châssis 6×6 susceptible de résister aux contraintes mécaniques du tir.

Le Caesar avait, force est de le reconnaitre, des ambitions particulièrement élevées, devant assurer un tir soutenu de 155 mm, avec une grande précision et une portée de 40 km, tout en pouvant embarquer, en monobloc, à bord d’un avion C130. À vrai dire, pas grand monde, en dehors des ingénieurs de GIAT, ne pensaient alors la chose possible. Pas question, donc, de dépenser des crédits dans ce programme.

caesar ukraine
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Ces derniers avaient, pourtant, déjà résolu le problème, en ajoutant un faux châssis au châssis principal du camion UNIMOG 6×6 sélectionné, car seul à répondre aux exigences françaises alors. Celui-ci permettait d’absorber une grande partie des efforts mécaniques lors du tir, alors qu’avec d’autres innovations, le Caesar passait de concept farfelu, à système d’armes efficace et redoutable.

En dépit de ces avancées, et de la présentation officielle du Caesar lors du salon Eurosatory 1994, l’Armée de terre n’était toujours pas convaincue. Le ministre de la Défense, Alain Richard, consenti toutefois à en acquérir cinq exemplaires, pour lancer la carrière internationale du système.

Ce ne sera qu’une fois les premiers exemplaires livrés et expérimentés, que l’Armée de Terre prit la mesure du potentiel de ce nouveau système, d’abord pour remplacer les TrF1, puis pour devenir la pièce d’artillerie standard de ses régiments, en remplaçant les AuF1.

Même aujourd’hui, la Marine nationale ne veut pas entendre parler du Scorpene, ni d’un quelconque sous-marin à propulsion conventionnelle.

Si le ministère de la Défense est parvenu à sauver le programme Rafale, et à faire adopter le Caesar par l’Armée de Terre, personne, en revanche, n’a réussi à faire changer de point de vue la Marine nationale, sur la question des sous-marins à propulsion conventionnelle.

SNA Rubis lors des essais de plongée en 1982
SNA Rubis lors des essais de plongée en 1982

Depuis qu’elle a reçu son premier sous-marin nucléaire d’attaque, le Rubis, en 1983, celle-ci considère, en effet, qu’il lui serait très inefficace de se doter d’une flotte mixte, alliant SNA et sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, ou SSK. Pour elle, un SNA peut faire tout ce que fait un SSK, en mieux, et un plus rapide, alors que l’inverse n’est pas vrai.

De fait, même si on venait à proposer à la Royale deux SSK plutôt qu’un SNA, soit sensiblement la même enveloppe budgétaire, celle-ci refuserait sans le moindre doute.

Pourtant, le SNA a un immense défaut : il ne s’exporte pas. Or, la flotte de 6 SNA et de 4 SNLE, ne suffit pas pour garantir la pérennité et l’évolution des compétences sous-marines de Naval Group et de sa chaine de sous-traitance et d’équipements, pourtant indispensables à la dissuasion française.

D’ailleurs, la Grande-Bretagne, second, et seul pays opérant une flotte sous-marine nationale à propulsion nucléaire comparable à celle de la France, avec 7 SNA et 4 SNLE, a dû se tourner vers certaines technologies américaines, pour concentrer ses investissements de R&D pour maintenir sa filière industrielle.

Scorpene chili
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Naval Group, alors DCNS, prit un parti différent, en poursuivant la conception, la fabrication et l’exportation de sous-marins à propulsion conventionnelle, un exemple unique sur la planète. En effet, tous les industriels construisant des SSK dans le monde, peuvent s’appuyer sur une commande nationale pour concevoir et fabriquer leurs premiers exemplaires.

C’est le cas de la Chine avec le Type 39A, la Russie avec les 636.3 et 677, l’Allemagne avec le Type 214 et Type 212/CD, de la Suède avec le A26, l’Espagne avec le S80 plus et de la Corée du Sud avec le KSS-III, tous proposant à l’export des sous-marins en service, dérivés de modèles en service ou bientôt en service, dans leur propre marine.

Naval group, pour sa part, est parvenue à faire du Scorpene, un modèle initialement codéveloppé avec l’Espagne, avant de devenir exclusivement français, un véritable succès international. Celui-ci a d’ailleurs dépassé le record de 15 sous-marins français exportés établi par la Daphnée dans les années 60, et vient désormais flirter avec les ventes de Type 214 de l’allemand TKMS, pourtant champion absolu des exportations de sous-marins depuis les années 70 et 80 avec le Type 209.

Il fallut, cependant, beaucoup de détermination, et une certaine dose de chances, pour convaincre Santiago et la Marine chilienne, ses premiers clients, d’acquérir les deux premiers Scorpene, pour lancer la carrière internationale du modèle, alors que la Marine nationale refusait, et refuse toujours, de s’en équiper.

Le puissant lien entre l’attractivité à l’exportation et la mise en œuvre d’un armement par les armées nationales

Pourtant, un équipement militaire majeur, comme un sous-marin ou un avion de combat, bénéficie grandement d’être mis en œuvre par ses armées d’origine, pour son attractivité internationale.

TKMS Type 212CD
Type 212 CD de TKMS

En effet, une commande nationale permet de porter une grande partie de la R&D du modèle, et donc d’en faire un système financièrement compétitif face à la concurrence internationale.

Ainsi, lors de la compétition norvégienne en 2018, Berlin s’assura du succès de TKMS, en annonçant la commande de 2 sous-marins du même modèle pour la Bundesmarine, et en portant 66 % des couts de R&D pour son développement. Ne pouvant s’aligner, Naval Group et le Scorpene, pourtant favoris jusque-là, durent se résigner à abandonner la compétition.

En second lieu, un sous-marin, un avion de combat ou un navire en service dans les armées nationales d’origine, peut prétendre à une meilleure évolutivité, et à une maintenance sécurisée, puisque l’industriel doit, avant tout, assurer ces aspects pour ses propres forces. Ce sont ces paradigmes qui amenèrent la Marine hellénique à exiger des FDI très proches de celles en service au sein de la Marine nationale, pour son programme de frégates.

Enfin, disposer d’un équipement, au sein des armées nationales, permet d’en faire la promotion lors des exercices internationaux, mais aussi lors des conflits. Ainsi, le Rafale et le Caesar sont devenus d’autant plus attractifs qu’ils avaient montré leur efficacité opérationnelle au Levant et en Afrique, obtenant au passage le fameux qualificatif « Combat Proven ».

Peut-on refonder le lien entre les armées et l’industrie de défense au bénéfice des deux ?

Bien évidemment, la commande nationale n’entraine pas le succès international. Toutefois, elle ouvre des opportunités commerciales accrues et renforcées, dans les compétitions et discussions avec les armées partenaires, souvent inaccessibles aux équipements destinés exclusivement à l’exportation.

Russie checkmate
Le Checkmate russe n’a toujours pas concaincu a l’export, alors que les forces aériennes russes restent à distance de ce programme.

Cela vaut, d’ailleurs, aussi bien pour les équipements français que pour les autres. Ainsi, le Mig-35 et le JF-31 chinois n’ont toujours pas convaincu sur la scène internationale, alors que le Su-35s, et le J-10C, rencontrent davantage de succès, nonobstant les conditions spécifiques des exportations d’équipements de défens de la Russie et de la Chine.

On peut, dès lors, s’interroger du succès qu’aurait pu rencontrer le Scorpene, ou la corvette Gowind 2500, si la Marine nationale s’était équipée de quelques exemplaires ?

Néanmoins, aujourd’hui, les Armées françaises n’ont aucun intérêt, en dehors de répondre à d’éventuelles exigences du ministère des Armées, pour s’équiper de ces équipements, et, plus largement, pour soutenir l’émergence de nouveaux équipements, n’entrant pas strictement dans son calendrier d’acquisition.

Pourtant, ces exportations représentent un enjeu majeur pour préserver l’autonomie stratégique française, avec une BITD capable de produire la presque totalité des équipements de défense nécessaires, la commande française, seule, ne suffisant pas à cela.

Il conviendrait donc d’imaginer des mécanismes permettant aux armées de retirer des bénéfices directs du succès des exportations françaises, l’amenant à réviser leur stratégie d’équipements pour soutenir l’émergence de ces nouveaux équipements, y compris en participant à leur développement.

Gowind 2500
Quel aurait été la carrière internationale de la corvette Gowind 2500 si la France en avait acquis 4 exemplaires, pour sécuriser les abords des arsenaux français ?

Certains pays, comme la Corée du Sud et la Turquie, ont institutionnalisé ce lien, leurs armées commandant, quasiment systématiquement, mais souvent en petites quantités, les équipements produits par leur BITD respective, tant à des fins d’expérimentation opérationnelle, que pour soutenir leurs exportations. Ceci créé, d’ailleurs, un tempo technologique beaucoup plus soutenu pour l’industrie de défense dans ces deux pays.

Une solution, en France, serait de créer un fond ministériel destiné à cette fonction, régénéré par les succès enregistrés à l’exportation de la BITD, par une évaluation et captation des recettes budgétaires ainsi générées. Ce mécanisme budgétaire serait assez proche, dans sa mise œuvre, des recettes variables employées dans les années 2010 pour compléter le financement du ministère de la Défense, par la vente d’infrastructures ou de licences télécom.

Conclusion

On le voit, le succès que rencontre aujourd’hui le Rafale, le Scorpene ou le canon Caesar, doivent bien davantage à la détermination de leurs industriels d’origine, et parfois d’un coup de pouce politique de la part du ministère de la Défense, que du soutien des Armées elles-mêmes.

Il ne s’agit, évidemment, de jeter l’opprobre sur les Armées françaises et leurs état-majors, qui doivent, depuis plusieurs décennies, déployer des trésors d’inventivité pour parvenir à optimiser les programmes industriels indispensables à leur modernisation, avec des budgets sans marge de manœuvre.

Ateliers Rafale Mérignac
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 20

Pour résoudre ce problème, et se préparer à absorber le choc que vont représenter l’arrivée des nouvelles BITD chinoises, coréennes ou turques, ainsi que la montée en puissance des offres industrielles allemandes, italiennes ou encore, espagnoles et polonaises, il conviendrait de mettre en œuvre un dispositif dégageant, justement, ces marges de manœuvre, et qui bénéficieraient simultanément aux armées et aux industriels, sans surcouts pour l’état.

Des solutions, en ce sens, peuvent être imaginées, même dans un cadre aussi contraint que celui de la France aujourd’hui. Encore faut-il que le problème soit étudié au bon niveau, par les politiques comme par les industriels eux-mêmes, et bien entendu, par les Armées.

Article du 15 juillet en version intégrale jusqu’au 24 aout 2024