À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.

En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.

Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.

Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?

Sommaire

L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix

De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.

Mirage IV
Le Mirage IV a porté la composante aérienne de la Dissuasion frnaçaise de 1964 à 2005

Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.

Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.

Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.

Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français

Pour autant, les armées en reconstruction, avec un effort de défense autour de 2%, apparaissent bien inadaptées pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent, en particulier depuis la transformation de l’économie et de la société russe, mettant les armées et l’industrie de défense, au cœur de l’action de l’état.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.

Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.

La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.

Rafale Armée de l'Air
Avec seulement 185 avions de combat, l’Armée de l’Air et de l’Espace ne dispose pas du format nécessaire pour soutenir, sur la durée, un conflit de haute intensité.

La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.

Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.

Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.

Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.

Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.

Armées françaises Leclerc
La LPM 2024-2030 ne prévoit ni de remplacer le char Leclerc, ni d’augmenter les 200 exemplaires devant être modernisés, dans l’attente du MGCS qui devrait arriver au delà de 2040.

À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.

Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe

Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.

Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.

Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.

Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 1 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 3,5 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.

Iskander-M Russe
La dissuasion française doit disposer d’un système équivalent au système balistique sol-sol à courte portée Iskander-M pour disposer de l’ensemble du vocabulaire requis pour le dialogue de dissuasion avec Moscou.

Avec 2 navires à la mer, le risque que les deux navires soient, simultanément, compromis, ne représente plus que 0,01 % du temps, soit à peine 1 jour tous les trente ans. Le rapport au temps, ici, pour une crise qui se déroule sur plusieurs mois, voire une ou deux années, plaide effectivement, dans ce contexte, pour une flotte à 6 SNLE, plutôt que 4.

Au-delà de la flotte océanique stratégique, la posture de dissuasion française pourrait voir sa composante aérienne passer de 2 à 3 escadrons, et de doter à nouveau l’Armée de Terre de régiments dotés de missiles balistiques à courte portée et capacités nucléaires, pour répondre à la menace des Iskander-M russe.

Enfin, il conviendrait de permettre aux missiles de croisière navals, le MdCN et son futur remplaçant, de transporter, au besoin, une tête nucléaire, là encore, pour se doter de capacités en miroir de celles en service en Russie, et ainsi disposer d’un vocabulaire de dissuasion aussi fourni que peut l’être celui de Moscou.

Une nouvelle division blindée pour l’Armée de Terre

L’Armée de terre serait, en bien des domaines, celle qui bénéficierait le plus d’un passage à un effort de défens à 3 % PIB. Elle pourrait, ainsi, se doter d’une troisième division organique qui, pour le coup, serait conçue comme une division blindée, avec une brigade blindée de rupture, deux brigades d’infanterie mécanisée, et une brigade de soutien, soit une force de 40 000 hommes, 350 chars de combat, 700 véhicules de combat d’infanterie et blindés de combat et de reconnaissance, 1500 blindés multirôles Griffon et Serval, une centaine de tubes de 155 mm, autant de mortiers et de pièces de DCA mobiles, ainsi que quarante hélicoptères.

Division blindée france
L’Armée de Terre ne dispose que de deux brigades lourdes, disposant d’un régiment de chars.

Conçue spécifiquement pour être employée en Europe orientale face à un adversaire symétrique, cette division pourrait être très majoritairement constituée de régiments de Garde nationaux, ou de conscrits choisis (ce qui sera abordé plus bas), pour répondre à un risque de très haute intensité, mais dont la probabilité demeure faible.

En outre, une brigade mécanisée supplémentaire, elle aussi composée majoritairement de gardes nationaux et de conscrits choisis, serait intégrée à chaque division existante, avec l’objectif de renforcer la masse de ces divisions, et surtout d’assurer les capacités de rotation des forces et des matériels, au niveau organique de la division, avec des forces déjà intégrées.

En procédant ainsi, la Force Opérationnelle Terrestre serait doublée, pour atteindre 150 000 hommes, mais verrait certains de ses moyens tripler, comme les chars de combat et l’artillerie. Certains nouveaux moyens pourraient également rejoindre les brigades de l’Armée de terre, comme, on peut l’espérer, dans le domaine de la défense antiaérienne et des drones.

Permanence du Groupe aéronaval et des flottilles d’action navale de la Marine nationale

La Marine nationale verrait sensiblement ses moyens augmenter, sans atteindre une évolution aussi importante que celle de l’Armée de Terre. Elle recevrait, ainsi, deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, sans qu’il soit vraiment possible, cependant, d’aller au-delà, eu égard à la difficulté de créer des tranches nucléaires dans les équipages, d’autant que 2 SNLE supplémentaires ont été évoqués précédemment.

PANG Marine Nationale
La Marine nationale n’aura qu’un unique porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ce qui pose de serieux problèmes quant à la disponibilité du groupe aéronaval.

Pour renforcer la flotte sous-marine, face à la trentaine de sous-marins nucléaires russes, et autant de sous-marins conventionnels, celle-ci se verrait dotée d’une flottille de sous-marins conventionnels et/ou de drones sous-marins de grande taille. Ces navires devront assurer la protection des arsenaux, de la base sous-marine stratégique de l’ile-longue, et éventuellement de certains territoires ultramarins, et ainsi libérer la flotte de SNA de ces tâches.

La flotte de surface, elle, verrait ses capacités s’étendre, notamment avec l’entrée en service de deux porte-avions légers, des navires de 40 000 tonnes à propulsion conventionnelle, destinés à assurer la permanence opérationnelle du groupe aéronavale aux côtés du porte-avions nucléaire, sans avoir les couts de ce dernier, et ayant l’immense avantage de pouvoir être potentiellement exportés.

La flottille de frégates serait, elle aussi, étendue, avec deux frégates antiaériennes et cinq frégates anti-sous-marines supplémentaires, ainsi que 11 corvettes lourdes ou frégates légères, pour remplacer les frégates de surveillance et les frégates légères furtives. La flotte de patrouilleurs et d’OPV, elle, demeurerait inchangée.

Doublement de la chasse et de la défense antimissile de l’Armée de l’Air et de l’Espace

L’Armée de l’air et de l’Espace pourrait, enfin, retrouver un format suffisant pour s’engager dans un conflit de haute intensité, avec une douzaine d’escadrons de chasse tactique, en plus des trois escadrons de chasse stratégiques déjà abordés, soit 240 chasseurs tactiques pour un total de 300 avions de combat, contre 185 aujourd’hui.

Rafale Neuron
L’acquisition de drones de combat et de remote carrier est indispensable pour permettre à l’Armée de l’Air et à la MArine nationale d’évoluer dans des espaces contestés.

Ces escadrons pourront, en outre, recevoir le futur drone de combat du Rafale F5, probablement 200 à 300 exemplaires, et plusieurs centaines de drones aéroportés légers Remote Carrier, pour disposer d’une importante capacité de suppression des défenses adverses.

La flotte de transport et de soutien, elle aussi, croitrait conséquemment, avec une flotte de transport amenée à 60 appareils contre 45, 25 avions ravitailleurs contre 15, et 6 avions Awacs contre 4. La flotte d’hélicoptères, notamment pour les missions SAR, évoluerait proportionnellement à la flotte de chasse.

La défense antiaérienne et antimissile pourrait être renforcée, notamment pour pouvoir, le cas échéant, mettre en œuvre un bouclier antimissile sur un large périmètre, alors que les défenses antiaériennes à courte et moyenne portée évolueraient proportionnellement aux besoins, c’est-à-dire à l’évolution de la menace, et du nombre de bases et de sites à protéger.

Enfin, dans le domaine spatial, l’AAE pourrait se voir doter de satellites de reconnaissance et de communication supplémentaires, tant pour en étendre la couverture que pour couvrir le risque d’attrition.

40 000 militaires d’active, 40 000 gardes nationaux et 80 000 conscrits sélectionnés supplémentaires, pour 28 Md€ de surinvestissements par an

la mise en œuvre de l’ensemble de ces évolutions, nécessiteraient un profond changement dans le format des armées. Celles-ci devront, en effet, recruter 40 000 militaires d’active supplémentaires pour atteindre les 250 000 hommes et femmes en 2035. Ces militaires formeront essentiellement les cadres des nouvelles unités, et capacités ainsi créées, en particulier au sein de l’Armée de terre, et permettront de renforcer certaines capacités exclusivement aux mains des militaires d’active, comme en matière de dissuasion.

Recrutement armées françaises
Le recrutement et la fidelisation des effectifs est un défi pour toutes les armées occidentales.

L’essentiel de l’évolution du format, quant à lui, s’appuierait sur une nouvelle augmentation de la réserve opérationnelle, qui passerait des 80 000 visés par la LPM 2024-2030, à 120 000 Gardes nationaux en 2035, mais aussi par la mise en place, comme dans les pays scandinaves, d’une conscription obligatoire sélective, n’intégrant que 10 % d’une classe d’âge, soit 80 000 jeunes par an.

La mise en œuvre de ce format nécessiterait au minimum 10 ans, probablement 15, en particulier pour ne pas venir sur-dimensionner inutilement les capacités de l’industrie de défense française, et que son format de sortie, corresponde effectivement aux besoins de renouvellement des équipements des armées, et du marché international potentiellement adressable.

En matière de surcouts, étalés sur 10 ans, les couts d’acquisition des équipements représentent entre 16 et 18 Md€ annuels linéarisées, les couts de maintenance et d’entrainement 5 à 6 Md€ à termes, et les surcouts concernant les ressources humaines, 7 à 9 Md€, pour un total de 28 Md€ (en euro 2024), à 35 Md€ (en euro 2035 probables), soit dans le périmètre budgétaire libéré par le passage à un effort de défense à 3 % PIB.

Des défis difficiles à relever pour atteindre ces objectifs

On le voit, passer à un effort de défense à 3 % PIB, induirait une évolution de format très sensible des armées françaises, avec parfois des capacités multipliées par deux, comme dans le cas de la FOT, de la flotte de chasse, ou du potentiel aéronaval.

Haute intensité Leclerc
Pour accroitre les capacités opérationnelles, il sera indispensable d’accoitre sensiblement les effectifs, donc de relever le défi RH des armées.

Pour autant, la mise en œuvre d’un tel objectif, se heurte à de nombreuses difficultés et obstacles, qui ne peuvent être ignorés, et qui sont loin d’avoir des solutions évidentes.

L’écueil des ressources humaines et le retour à une conscription obligatoire sélective

Le premier, et certainement le plus important, n’est autre que les grandes difficultés que rencontrent les armées, aujourd’hui, pour attirer des candidats satisfaisants, pour armer l’ensemble des postes disponibles, alors que le format est restreint. Dans ce contexte, comment imaginer pouvoir recruter les 40 000 militaires d’actives, et les plus de 100 000 réservistes d’active indispensables à la mise en place du nouveau format ?

L’obstacle est, certes, de taille, mais il n’est pas sans solution. En premier lieu, le passage à 3 % PIB libère davantage de crédits qu’employés par le changement de format. Les crédits supplémentaires, de l’ordre de 3 Md€/an, peuvent être employés pour accroitre l’attractivité de la fonction militaire.

En second lieu, une telle transformation des armées françaises, et les acquisitions de matériels qui seront annoncées, engendreront une attractivité renforcée de la fonction militaire, mais aussi de nombreuses occasions de communiquer sur l’évolution du risque international, et la nécessité de participer à l’effort de défense. Ce type de message, dans ce type de contexte, a souvent fait émerger de nombreuses vocations par le passé.

Recrutement Armée de terre
L’évolution du format des armées permettra de multiplier les supports de communication pour améliorer le recrutement.

Enfin, l’hypothèse retenue, ici, est de s’appuyer sur un retour à la conscription, une mesure probablement indispensable pour répondre aux enjeux. Cependant, il ne s’agirait pas de remettre en œuvre le service militaire tel qu’il était connu, en France, par le passé, mais de s’appuyer sur un service militaire obligatoire, mais sélectif, comme mis en oeuvre, avec succès, dans les pays scandinaves depuis plusieurs années.

Associés à une image sélective extrêmement valorisante pour la future vie professionnelle, les conscrits sélectionnés ne viendraient pas, ainsi, saturer les infrastructures des armées, qui pourront faire évoluer le nombre de conscrits à leurs infrastructures disponibles et besoins existants. En outre, les armées sélectionnant les candidats, les difficultés rencontrés par le Service militaire par le passé, en matière d’encadrement, seraient largement diminuées.

Enfin, le service militaire sélectif, a le potentiel de créer une base très efficace pour améliorer le recrutement des armées, et de la Garde Nationale, permettant d’atteindre bien plus aisément les objectifs préalablement établis dans ces deux domaines.

La transformation de l’outil industriel de défense et le défi de la Supply Chain

Le second défi majeur à relever, pour parvenir à mettre en œuvre une évolution aussi importante, concerne la transformation de l’outil industriel de défense, qui va devoir livrer, sur une période relativement courte, un nombre très élevé d’équipements parfois très complexes, et nécessitant des infrastructures industrielles rares et très onéreuses, ainsi qu’une main d’œuvre qualifiée, tout aussi rare, et tout aussi onéreuse.

Nexter usine
L’industrie de défense française devra évoluer en volume et capacités, mais de manière raisonnée.

Dans le même temps, cette transformation de l’outil industriel, doit aussi se faire de manière raisonnée, afin que l’outil résultant, en sortie de cette phase de croissance rapide, puisse être maintenu en activité, par l’action conjuguée du renouvellement des équipements des armées françaises, ainsi que les commandes à l’exportation.

Enfin, cette évolution raisonnée et contrôlée de l’outil industriel, doit concerner aussi bien les grands groupes de la BITD, tels Nexter, Thales, Dassault ou Naval Group, que l’ensemble de la Supply Chain. Or, si ces grands groupes ne rencontreront certainement aucune difficulté pour financer leur croissance, ce n’est pas le cas de cette Supply Chain, que l’on sait être sévèrement handicapée, aujourd’hui, par le manque de soutien du secteur bancaire.

Pour donner à corps à cet objectif, il sera donc indispensable de résoudre le problème d’accès au crédit des ETI et PME de la BITD auprès du réseau bancaire national, probablement par des voix légales et avec la mise en place d’un système de garantie d’état, sous couvert d’une grande cause nationale.

Comment financer l’effort de défense face à la dette et aux déficits ?

Reste, évidemment, l’écueil du financement qu’une telle augmentation du budget des armées, ne manquera pas de faire émerger, face à la situation socio-économique du pays, et en particulier concernant sa dette souveraine, et son déficit public.

Naval Group Lorient FDI
Le recrutement de la main d’oeuvre sépcialisée par l’indsutrie de défense, sera également un enjeu d’une transformation importante des armées françaises.

Pour autant, en tant que lecteur assidu de Meta-Defense, vous savez que plusieurs solutions peuvent être envisagées, pour que le « Quoiqu’il en coute Défense« , que le passage de l’effort de défense à 3 % entrainerait, ne se solde pas, comme pour le Covid, par l’explosion de la dette et des déficits.

Le principe de la « Défense à Valorisation Positive« , permettrait déjà de sensiblement diminuer le poids budgétaire de cette hausse des investissements engendrerait sur les finances publiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des recettes sociales et fiscales, mais également des économies sociales, que l’augmentation des dépenses d’état va engendrer, par la création d’emplois directs, indirects et induits, dans les armées, la BITD, la Supply Chain et la société civile.

Selon les démonstrations déjà effectuées, ce montant atteint et dépasse les 50 % des sommes investies dans l’industrie de défense, et 30 % concernant les dépenses d’effectifs. En tenant compte de la hausse probable des exportations d’équipements de défense français, consécutives de la hausse des commandes françaises et des capacités industrielles disponibles, le retour budgétaire d’état sur l’investissement industriel peut atteindre, et même dépasser, les 75 %, et venir flirter avec les 100 %, si l’on considère les économies sociales conséquences de la création d’emplois dans la BITD.

Le second axe pour réduire les effets de cette hausse des investissements défense français, sur la dette souveraine et les déficits sociaux, repose sur l’intervention de l’Union européenne sur son propre périmètre. Il serait possible, de cette manière, de sortir du déficit de calcul, la différence d’investissement entre les 2 % visés par la LPM, et les 3 % évoqués ici, du fait du rôle que les armées françaises auraient concernant la sécurité européenne, notamment en termes de dissuasion.

Conclusion

Nous voilà au terme de cette longue analyse. Il apparait, comme évoqué, que si la France a bien connu un effort de défense de 3 % de son PIB, voire davantage, par le passé, la justification de la soutenabilité d’un tel effort, par cette seule référence historique, est bien insuffisante, tant les différences sont nombreuses concernant l’ensemble des données économiques et sociales entre les deux époques.

MMP Akeron Armée de terre
À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ? 17

En revanche, les Armées françaises pourraient, effectivement, avoir un format et des capacités opérationnelles, donc dissuasives, bien plus importantes, y compris proportionnellement parlant, en passant de 2 à 3 % d’effort de défense, alors que l’ensemble des défaillances constatées aujourd’hui, les concernant, y trouveraient leurs solutions.

Pour y parvenir, il sera cependant nécessaire de relever de très nombreux défis, particulièrement complexes. Non que la tâche soit impossible, d’ailleurs. Il existe, en effet, des solutions efficaces tant pour répondre aux difficultés de recrutement, que pour financer la mesure sans creuser les déficits, et pour accompagner l’indispensable changement de format de la BITD.

De fait, amener l’effort de défense français à 3 % du PIB est, effectivement, possible, et certainement plus que souhaitable. Mais il faudra bien plus qu’une simple conviction, exprimée avec passion, pour y parvenir. Comme c’est souvent le cas pour les questions de défense.

Article du 15 février en version intégrale jusqu’au 2 aout 2024.

Le Rafale, l’avion français invendable devenu best-seller

Le Rafale, l’avion français invendable devenu best-seller

La vente prochaine de 12 Rafale à la Serbie porterait à huit le nombre de pays, en dehors de la France, à utiliser l’avion multirôle.

Par Clément Machecourt – Le Point – publié le

https://www.lepoint.fr/economie/le-rafale-l-avion-francais-passe-d-invendable-a-best-seller-des-ventes-29-08-2024-2568910_28.php


 

C‘est la vitrine de l’excellence de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. L’avion de chasse Rafale pourrait de nouveau faire l’objet d’un important contrat de 3 milliards d’euros avec la vente de 12 appareils à la Serbie. L’État des Balkans deviendrait le troisième pays européen à se tourner vers l’avion de Dassault, après la Grèce (2020) et la Croatie (2021). Si la France est passée deuxième exportateur d’armes au monde devant la Russie en 2024, c’est en grande partie grâce au décollage des ventes du Rafale. Pourtant, les débuts commerciaux de l’avion ont été laborieux.

Une longue traversée du désert

Développé dans les années 1980, le Rafale est pensé dès sa conception pour être un avion multirôle, à une époque où les armées de l’air multiplient les modèles. Supériorité aérienne, reconnaissance, dissuasion nucléaire, frappes air-sol… l’avion made in France peut tout faire en adaptant l’armement qu’il transporte. Malgré sa petite dimension, 15,30 m de longueur, 10,90 m d’envergure et 5,30 m de hauteur, il peut emporter jusqu’à 9,5 t d’armement et/ou de carburant sous ses ailes, c’est-à-dire presque autant que son propre poids à vide (10 tonnes). À titre de comparaison, l’avion de chasse furtif F-22 américain développé au même moment est plus grand (18,90 x 17,30 x 5,05), plus lourd (près de 20 tonnes à vide) mais ne peut emporter que 5 tonnes supplémentaires.

Après quelques années de retard, le Rafale intègre la marine en 2004 puis l’armée de l’air en 2006, où il doit progressivement remplacer le Mirage. Reste à vendre l’avion de cinquième génération à l’étranger. Commence alors une longue traversée du désert avec quelques déconvenues, comme le Brésil en 2013, qui choisit finalement le Gripen suédois.

Le Rafale fait face d’un côté à l’hégémonie américaine qui fabrique des milliers d’appareils, baissant ainsi les coûts de production, et de l’autre à des modèles moins avancés technologiquement et donc moins chers, comme les Mig et lesSoukhoï russes. Le Rafale, dont le prix oscille autour de 70 millions d’euros, obtient le surnom d’avion invendable, malgré son engagement réussi au combat en Afghanistan, puis contre Daech en Irak. L’appareil connaît très peu de défaillances ou d’accidents mortels, hormis une éjection en 2020 et plus récemment quand deux appareils sont entrés en collision le 14 août dernier.

Le miracle égyptien

Tout change en février 2015 quand l’Égypte achète 24 appareils à la France pour 5,2 milliards d’euros, avant une nouvelle commande de 31 Rafale en 2021 pour 3,75 milliards d’euros. Au mois de mai de la même année, c’est autour du Qatar de signer un contrat pour 24 avions, puis 12 supplémentaires en 2017, soit un total de 36 Rafale pour 7,4 milliards d’euros. L’Inde suit en 2016, avec l’acquisition de 36 avions français pour 8 milliards d’euros.

L’année 2020 marque un autre tournant pour Dassault, qui obtient son premier contrat européen avec la Grèce. Face au regain de tensions avec la Turquie en Méditerranée, Athènes va acheter 18 appareils, dont 12 prélevés dans l’armée de l’air. Deux ans plus tard, 6 appareils neufs sont achetés, portant à 24 le nombre de Rafale dans l’armée hellène. Comme avec la Grèce, la Croatie achète 12 Rafale d’occasion en novembre 2021.

Un mois plus tard, l’avionneur français décroche le jackpot avec un contrat à 16 milliards d’euros avec les Émirats arabes unis, qui souhaitent acquérir 80 Rafale. L’Indonésie est le dernier pays client en date, avec un contrat de 8,1 milliards d’euros signé en février 2022 pour 42 avions. Outre la Serbie, l’Irak serait aussi intéressé par l’appareil tricolore. Au total, 285 Rafale ont été vendus à l’étranger, dont certains sont déjà livrés. L’armée de l’air et de l’espace et la marine nationale alignent eux 234 appareils. Trois Rafale sortent tous les mois de la chaîne d’assemblage de Mérignac de Dassault, mais ce sont en tout 7 000 personnes réparties dans 400 entreprises qui fournissent les quelque 300 000 pièces du Rafale.

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Pour Donald Trump, l’effort de défense des pays européens constitue, depuis de nombreuses années, l’un de ses thèmes de campagne préférés. Flattant l’ego de son électorat, il dénonce le trop faible niveau des investissements défense en Europe, obligeant les États-Unis à protéger ces pays, et aux contribuables américains, de payer pour la sécurité des allemands, belges et roumains.

Le candidat Républicain pour la campagne présidentielle 2024, avait déjà menacé les européens de cesser de les protéger, s’ils ne « payaient pas ce qu’ils devaient aux États-Unis ». Il est revenu sur ce thème, à l’occasion de son intervention devant la national Guard Association.

Pour l’occasion, il a promis d’exiger, rien de moins, des européens, qu’ils dépensent au moins 3 % de leur PIB dans le cadre de l’OTAN. Il est donc utile de revenir sur le fonctionnement de l’Alliance Atlantique, et sur le pouvoir dont disposent effectivement les États-Unis, vis-à-vis des états-membres, pour comprendre la portée de ces menaces, bien plus réelles qu’il n’y parait de prime abord.

Sommaire

Le sous-investissement des européens au sein de l’OTAN : un thème récurrent pour Donald Trump depuis 2016

Le thème du sous-investissement chronique des pays européens membres de l’OTAN, est un sujet récurrent pour Donald Trump. Déjà, lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2016, il avait mené plusieurs charges contre les capitales européennes, accusées de faire reposer leur sécurité sur la protection américaine, sans jamais les payer en retour.

Donald Trump Merkel 2020
Les relations entre Donald Trump et Angela Merkel ont longtemps été difficiles.

Lors de son mandat présidentiel, il s’était à plusieurs reprises montré particulièrement véhément vis-à-vis de ses homologues européens, provoquant notamment une sourde colère de la part de la chancelière allemande, Angela Merkel.

C’est suite à cet épisode que celle-ci s’engagea, aux côtés d’Emmanuel Macron nouvellement élu, dans plusieurs grands programmes de défense franco-allemands, comme SCAF, MGCS ou CIFS, tout en soutenant l’émergence d’une Europe de la Défense, et même d’une armée européenne.

Comme souvent avec Donald Trump, ces agressions ne durèrent qu’un temps. Et une fois les relations germano-américaines apaisées, à partir de 2018, A. Merkel prit certaines distances avec les positions exprimées peu de temps avant cela, ceci menant à l’abandon de plusieurs des programmes lancés peu de temps auparavant, comme MAWS et Tigre 3, parfois au profit d’équipements américains.

Cependant, si, en 2020, seuls 5 pays européens avaient effectivement atteint, ou dépassé, un effort de défense représentant 2 % du PIB, imposé lors du sommet de l’OTAN de Londres de 2014, la situation est très différente aujourd’hui. Ainsi, en 2023, 10 pays européens atteignaient ou dépassaient ce seuil, alors qu’ils seront, selon l’OTAN, 23 en 2024.

À l’exception de certains pays, comme la Belgique, l’Espagne ou l’Italie, qui n’ont pas produit de trajectoire budgétaire pour respecter cet objectif pour 2025, l’effort de défense européen a augmenté, en moyenne, de plus de 40 % depuis 2017, la moyenne européenne s’établissant à 2,15 % du PIB pour 2024.

L’Europe ne sera plus en situation de faiblesse militaire d’ici à 2030

Au-delà de cette progression remarquable depuis 2017, beaucoup de pays se sont engagés dans une trajectoire visant à encore davantage augmenter leur effort de défense d’ici à 2030, pour atteindre alors, en Europe, un effort de défense moyen de 2,4 % de PIB.

OTAN effort de défense par pays 2024
En 2024, 23 pays européens auront atteint l’objectif d’un effort de défense supérieur ou égal à 2% PIB exprimés en $ 2015 (source OTAN).

Ce faisant, l’Europe, ou plutôt les pays européens membres de l’OTAN, disposeront d’un budget annuel défense entre 550 et 600 Md$, soit 65 % du budget des États-Unis, pour un écart de seulement 0,45 % du PIB, si l’effort de défense US restait à 2,9 % PIB comme aujourd’hui.

En outre, il serait quatre fois plus important que le budget de la défense russe, de quoi compenser l’écart d’efficacité d’investissement entre les deux blocs. En d’autres termes, sur la simple trajectoire actuellement suivie, les Européens seront parvenus, d’ici à 2030, à neutraliser la menace militaire conventionnelle Russe, ne dépendant plus des États-Unis que pour la dissuasion, et certaines capacités de renseignement, de commandement et de communication.

Il faudra, évidemment, plusieurs années avant que les hausses d’investissements en Europe, permettent de faire évoluer sensiblement le rapport de force. Toutefois, cette trajectoire est largement suffisante pour permettre, au besoin, aux forces américaines de réduire sensiblement leur empreinte sur le sol européen, dans les années à venir.

S’il retourne à la Maison-Blanche, Donald Trump promet d’imposer aux européens un effort de défense à 3 % PIB

Logiquement, donc, Donald Trump devrait avoir toutes les raisons d’être satisfait de cette trajectoire européenne, d’autant que parallèlement, dans le Pacifique, l’Australie, la Corée du Sud et le Japon ont, eux aussi, sensiblement accrus leurs moyens dans ce domaine.

Pourtant, à l’occasion de son intervention devant la National Guard Association, lors de sa conférence annuelle qui se tenait, cette année, à Detroit, l’ancien président, et candidat républicain aux élections présidentielles de novembre 2024, s’en est à nouveau pris vivement aux Européens, et à leur effort de défense.

OTAN Sommet de Bruxelles 2019
Sommet de Bruxelles de l’OTAN en 2019.

Il reste 75 % de cet article à lire, Abonnez-vous pour y accéder !

Le canon Caesar est un cauchemar, selon les artilleurs russes

Le canon Caesar est un cauchemar, selon les artilleurs russes

Quoi qu’on en dise, les armées occidentales n’ont pas connu, depuis la guerre de Corée, de réels engagements de haute intensité dans la durée. À ce titre, la guerre du Golfe de 1991, souvent mise en avant pour justifier des arbitrages faits par les occidentaux en matière d’armées, d’équipements et de doctrines, a été trop courte, et trop spécifique, pour en tirer de réelles conclusions.

Dans ce contexte, la guerre en Ukraine, depuis février 2022, est l’occasion, pour ces mêmes armées occidentales, pour confronter leurs équipements, ainsi que, d’une certaine manière, leurs doctrines, à la réalité. Ce fut l’occasion de revenir sur certaines certitudes, notamment concernant l’efficacité relative supposée des équipements occidentaux sur les matériels, plus rustiques, russes.

Cette guerre a également montré le rôle déterminant de l’artillerie dans ce type de conflit. Dans ce domaine, les nouveaux systèmes européens, dotés d’un tube de 52 calibres et de systèmes de visée plus évolués, ont montré leur grande efficacité, face aux matériels russes, mais aussi, américains ou britanniques, moins performants.

Le canon Caesar porté sur camion, de conception française, brille particulièrement dans ce conflit. Un temps jugé trop léger et insuffisamment protégé, face à l’Archer suédois, ou moins mobile sur terrain difficile, que le Pzh2000 allemand, celui-ci a montré, à plusieurs reprises, toute l’efficacité de son concept.

Toutefois, si les ukrainiens ont parfois envoyé des messages contradictoires au sujet de ce système, une récente interview en ligne, sur Telegram, d’artilleurs russes, montre qu’il est, aujourd’hui, le système le plus redouté, et celui qui leur a fait le plus de mal.

Sommaire

Des messages parfois contradictoires concernant le canon Caesar venant d’Ukraine

Aujourd’hui, les armées ukrainiennes alignent une cinquantaine de Caesar, dont 19 en version 8×8 fournis par le Danemark, et 32 en version 6×6 par la France. Celles-ci doivent recevoir, sur 2024, 78 nouveaux Caesar 6×6, financés conjointement par Paris, Copenhague et Kyiv.

Canon M-777 ukraine
Les forces ukrainiennes ont perdu plus de la moitié des canons M777 livrés par les Etats-Unis, contre moins de 15 % de leur canon Caesar.

Cependant, les messages concernant l’efficacité du Caesar au combat, venant des armées ukrainiennes, ont occasionnellement été contradictoires. Il y a quelques mois, un artilleur ukrainien avait ainsi expliqué à des journalistes français, que le canon tracté M777 américain était plus efficace, car pouvant plus facilement se dissimuler, et de cette façon résister aux attaques de drones, et car trop complexe à employer et à maintenir.

Les faits, cela dit, ne lui donnaient pas raison, notamment par la comparaison des pertes entre les deux systèmes. Et ces déclarations avaient d’ailleurs amené le ministère de la Défense ukrainien, à publier un communiqué pour contredire le colonel Yan Iatsychen, commandant de la 56ᵉ brigade d’infanterie motorisée, et exprimer sa pleine satisfaction du CAESAR.

Il y a quelques jours, Alexandre Zavitnevych, Président de la commission de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement du Parlement ukrainien, la Rada, avait fait l’éloge du Caesar, en particulier aux mains des artilleurs de la 55ᵉ brigade d’artillerie, alors en charge de protéger le théâtre de Zaporojjie.

Il a toutefois précisé qu’ils rencontraient des difficultés concernant le maintien en condition opérationnelle (MCO), une difficulté sur laquelle KNDS-France et les autorités ukrainiennes, travaillent activement. Dans le même temps, il a indiqué que la mobilité du canon français était mise à mal lors des périodes de fortes pluies, au printemps et à l’automne.

Le témoignage d’un artilleur russe sur l’évolution de l’artillerie ukrainienne

À ces sujets, l’interview d’artilleurs russes, menée par des compatriotes milbloggers, apporte une vision complémentaire, et très éclairante, sur la perception concernant l’efficacité de l’artillerie ukrainienne, mais aussi celle du Caesar français.

01ukraine weapon 01 lqgz videoSixteenByNine3000 v2 Artillerie | Actualités Défense | Articles gratuits
Très performant, le Pzh2000 allemand est aussi beaucoup plus onéreux qu’un Caesar, ne permettant pas d’atteindre une masse critique efficace sur la ligne d’engagement.

La première partie de l’interview traite de l’évolution de la doctrine employée par l’artillerie ukrainienne comme russe, au début du conflit, et son évolution au fil du temps. Ainsi, il apparait, comme on pouvait s’y attendre, que l’une comme l’autre appliquaient des doctrines soviétiques au début du conflit, concentrant de puissantes forces d’artillerie menant un feu massif et très soutenu, à chaque utilisation.

On comprend, à ce titre, qu’un officier ukrainien ait eu du mal à faire sienne la doctrine d’emploi du Caesar, conçu pour être très mobile et employé en petite unité, voir de manière individuelle, et puisse privilégier le M777, beaucoup plus conforme, dans l’esprit, à l’utilisation faite de l’artillerie héritée de la doctrine soviétique. « Plusieurs centaines de coups pouvaient être tirés sur une même cible, pour mettre un ou deux coups au but« , précise ainsi l’artilleur russe à ce sujet.

Au fil du temps, les tirs de contrebatterie, d’une part, les frappes de drones et le manque de munitions, de l’autre, ont amené les ukrainiens à évoluer vers des unités beaucoup plus compactes, plus mobiles, et tirant beaucoup moins d’obus par frappe, d’un rapport « un à cent« , selon le témoignage russe, avec toute la subjectivité que cela implique.

Le Caesar est un cauchemar pour les artilleurs russes

La seconde partie de l’interview porte, elle, sur les capacités les plus redoutées par les artilleurs russes. Et le constat est sans appel, il s’agit du Caesar français. Celui-ci n’évolue pas, selon lui, « dans le même siècle que les équipements en service au sein des armées russes« .

Canon Caesar Advivka
Les Caesar ukrainiens seraient principalement employés pour al contre-batterie, avec une grande efficacité, selon les artilleurs russes.

« La portée de ces systèmes atteint 40 km avec des obus conventionnels, surpassant de loin les systèmes soviétiques que nous avons, qui plafonnent à 32 km avec des obus à portée additionnée« . « La configuration sur roues de ces залупы » (je vous laisse le choix de la traduction ;-)) « leur permet de rapidement quitter une position, même une fois déployés ».

« Il ne faut que 60 secondes pour le déployer, et 40 secondes pour s’échapper. Le système de visée est automatique, ce qui lui confère une précision extraordinaire« , ajoute-t-il.

De fait, les armées russes ont fait de la destruction des Caesar, une véritable priorité, n’hésitant pas à employer des drones Lancet, et même des roquettes et missiles balistiques à courte portée (OTRK), pour y parvenir.

Et d’ajouter que le Caesar est aujourd’hui un système rare, employé avec parcimonie par les armées ukrainiennes, pour les tirs de contrebatterie, avec une grande efficacité. « Ces obusiers français ont pris un nombre énorme de vies d’artilleurs russes« , conclut-il.

Le concept du Caesar, associant efficacité et masse, s’impose en haute intensité

Bien évidemment, un témoignage ne fait pas une situation. Il convient donc de se montrer prudent, quant à la surinterprétation des conséquences de cette interview, d’autant que, pour des raisons évidentes, celle-ci est volontairement obscure sur de nombreux aspects.

Canon Caesar Mali
Avec une masse au combat de 17 tonnes, le Caesar est très leger, et peut aisément être déployé sur des théatres d »opérations, y compris par avion.

Toutefois, elle tend à accréditer le concept ayant entouré la conception du Caesar lui-même, dans les années 90. Pour rappel, celui-ci n’avait pas vocation, initialement, à remplacer l’artillerie sous casemate chenillée, comme l’AuF1 GCT, sur châssis AMX-30. Le Caesar visait à remplacer les canons tractés TR-F1, plus économiques, plus mobiles, et plus facilement déployables.

Pour autant, celui-ci n’a pas été conçu, comme avancé parfois par le passé, pour une utilisation sur théâtre de moindre intensité. Il visait, effectivement, à remplacer par la mobilité, la précision et l’allonge, la survivabilité liée au blindage, concernant les canons automoteurs, tout en conservant une efficacité opérationnelle identique, y compris en haute intensité.

Le fait est, aujourd’hui, l’Armée de terre va basculer l’ensemble de son artillerie lourde, sur Caesar Mk2, y compris en remplaçant ses derniers AuF1 par ce système. Et plusieurs armées, y compris en Europe, ont fait un choix similaire. En effet, au-delà de ses qualités techniques et opérationnelles, le Caesar offre un atout clé, sensible particulièrement en Ukraine : il est économique, et relativement « facile » à produire.

Ainsi, pour le prix d’un Archer 2 suédois, il est possible d’acquérir 2,5 à 3 Caesar, alors que pour un RCH155, ou un PZH2000, ce sont 3,5 à 4 Caesar qui prennent la ligne. Certes, le Caesar Mk2 n’aura pas l’automatisation de l’Archer 2, ni la capacité de faire feu en mouvement du RCH155, mais avec le même investissement, il permet d’atteindre une masse critique efficace sur le champ de bataille, que ces autres systèmes peinent à atteindre.

RCH155 KMW
Retenu par la Bundeswehr, le RCH155 de KNDS-Deutschland, n’est pas un concurrent du Caesar. Il est en effet persque 4 fois plus cher.

L’atout est d’autant plus sensible, en Ukraine, que les pertes documentées proportionnelles du Caesar ne sont pas supérieures à celles de l’Archer ou du Pzh2000, alors même qu’il est intensément employé par les forces ukrainiennes, et, de toute évidence, directement visé par les forces russes.

On comprend, dans ces conditions, que le Caesar tende à devenir le système d’artillerie de nouvelle génération central des armées ukrainiennes, étant certainement le seul à pouvoir afficher de telles performances, tout en étant produit à 72 unités par an en 2024, 144 unités en 2025, selon l’industriel.

KNDS-France anticipe de nouvelles commandes à venir du Caesar et l’arrivée des concurrents

On comprend également que KNDS-France, ex-Nexter, soit confiant quant à l’avenir commercial de son système, et la raison pour laquelle le français a annoncé une hausse de la production mensuelle pour atteindre 12 unités par mois, d’ici à 2025. Pour rappel, elle n’était que de trois canons par mois en 2022, encore moins auparavant.

En effet, au-delà des commandes ukrainiennes, françaises, belges, tchèques ou encore estoniennes, la démonstration de la validité du concept du Caesar, plus que de ses capacités elles-mêmes, qui étaient déjà connues, a le potentiel d’engendrer, dans les mois et années à venir, de nouvelles commandes, mettant KNDS-France au centre de l’artillerie occidentale.

KNDS-France Caesar
KNDS-France anticipe de nouvelles commandes exports dans les années à venir pour le Caesar, en passant la productioàn annuelle de 6 à 12 systèmes par mois.

Reste que ce succès va, aussi, aiguiser les appétits des autres industriels. Jusqu’à présent, les grands industriels européens, s’ils avaient compris l’intérêt de la configuration roues-canon, n’avaient pas adhéré au concept Caesar, donnant naissance à l’Archer suédois, au Zuzana 2 slovaque, ou au RCH155 allemand. Beaucoup plus lourds, et considérablement plus onéreux, ces systèmes n’évoluent donc pas dans la même catégorie que le Caesar.

Maintenant que le concept même est validé, la situation est différente, et des offres basées sur les mêmes paradigmes, émergeront bientôt. C’est déjà le cas du PCL-181 chinois, très proche, dans l’esprit et dans l’aspect, du Caesar français, mais aussi de l’Atmos israélien, probablement le plus sérieux concurrent, aujourd’hui, du système de KNDS-France.

Ainsi, comme les succès des Mirage III israéliens, amenèrent les américains à concevoir le F-16, l’avion le plus vendu de sa génération, il va falloir, à l’industriel français, s’emparer du plus de marchés possibles, avant que les offres concurrentielles ne débarquent vraiment. L’augmentation des cadences de production montre que KNDS-France a parfaitement saisie la temporalité des enjeux qui se présentent aujourd’hui.

Article du 22 avril en version intégrale jusqu’au 27 aout 2024

Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises

Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises

 

Depuis une dizaine d’années, l’industrie de défense française est engagée dans une dynamique porteuse particulièrement efficace à l’exportation, l’ayant amenée sur la seconde marche du podium mondial, après les États-Unis, mais devant la Russie.

Si la France exporte une grande variété d’équipements, allant du missile antichar au sous-marin, en passant par l’obus d’artillerie et l’avion de chasse, trois équipements se démarquent et portent, en grande partie, la progression des exportations françaises de défense aujourd’hui.

Ainsi, le chasseur Rafale, le sous-marin Scorpene et le canon Caesar, font régulièrement les gros titres, en France comme ailleurs, pour leurs succès internationaux. Si, désormais, tous se félicitent de ces succès, qu’on attribue volontiers à l’innovation et la détermination française, peu savent, en revanche, que ces trois équipements ont eu des débuts pour le moins difficiles, lorsque les armées françaises n’en voulaient pas.

Sommaire

Les stars de l’exportation des équipements de défense français

Il est, aujourd’hui, incontestable que le Rafale, le Scorpene et le Caesar, portent, à eux trois, la dynamique d’exportation française en matière d’armement, grâce à des contrats qui se chiffrent en centaines de millions, voire en milliards d’euros, mais également en entrainant, avec eux, d’importants contrats d’équipements et de maintenance, ruisselant dans toute la BITD (Base Industrielle et Technologie Défense).

Rafale Qatar
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 14

Ainsi, après une quinzaine d’années de vaches maigres et d’inquiétudes industrielles et politiques, le Rafale de Dassault Aviation, s’est imposé, avec 300 appareils commandés sur la scène internationale, comme le plus grand succès européen d’exportation d’avions de combat depuis le Mirage F1, dans les années 70 et 80, et comme l’avion de chasse moderne le plus exporté aujourd’hui, après le F-35 américain.

De même, le sous-marin Scorpene, avec 16 navires commandés (bientôt 19 avec la commande indienne) par 5 forces navales, dépasse déjà le précédent record français détenu par la Daphnée dans les années 60, et vient directement menacer le Type 214 allemand, successeur du Type 209 qui détient le record occidental de sous-marins exportés dans les années 80 et 90.

Le canon Caesar, enfin, est devenu le plus grand succès à l’exportation de KNDS France (Ex-Nexter Ex-GIAT), et le système d’artillerie moderne européen le plus exporté ces trente dernières années, ne cédant, à l’échelle de la planète, qu’au K9 Thunder sud-coréen.

Chose encore plus rare, pour un équipement français, le Caesar est en passe de s’imposer comme un équipement standard au sein de l’OTAN, alors que cinq forces armées européennes, en plus de la France, ont déjà signé des commandes en ce sens (Belgique, Estonie, Lituanie, République tchèque et France), et que deux autres ont signé des lettres d’intention en ce sens (Croatie et Slovénie).

Il est toutefois particulièrement intéressant de constater que ces trois équipements qui, aujourd’hui, portent les exportations françaises en matière d’équipements de défense, et qui rapportent plusieurs milliards d’euros de production industrielle export, chaque année, à la balance commerciale nationale, ont connu des débuts particulièrement difficiles.

En effet, les armées françaises, ou certaines d’entre elles, n’en voulaient pas !

La Marine nationale préférait le F/A-18 Hornet au Rafale M en 1993

Lorsqu’il est question des débuts difficiles du Rafale, et de ses différents échecs commerciaux de 1997 à 2015, au Maroc, au Brésil ou encore aux Pays-Bas, il est fréquent de se voir rappeler la phrase désormais ô combien « pas prophétique » du ministre de la Défense Hervé Morin en 2010, lorsqu’il jugeait l’appareil trop compliqué et trop cher pour pouvoir être exporté.

Mirage 2000-9 EAU
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 15

Cette position ministérielle avait, il est vrai, à ce point inquiété Dassault Aviation, que l’industriel préféra sacrifier la ligne d’assemblage du Mirage 2000, après l’échec de l’appareil en Pologne, même si certains marchés potentiels se profilaient déjà en Europe de l’Est et en Asie, à moyen terme, pour le monomoteur français.

En effet, l’avionneur français craignait que le gouvernement français, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, abandonne le Rafale pour une version modernisée du Mirage 2000, comme pouvait l’être le Mirage 2000-9 vendu aux Émirats arabes unis.

Le fait est, en procédant ainsi, Dassault obligea le ministère de la Défense à respecter ses engagements de commandes minimum de Rafale, avec 11 appareils par an, pour maintenir la ligne de production active, jusqu’à la première commande Égyptienne, en 2015, suivie, depuis, par beaucoup d’autres.

Quelques années plus tôt, cependant, c’est bien le ministère de la Défense, et son locataire, François Léotard, qui sauvèrent le programme Rafale, plus spécifiquement, le Rafale Marine. En effet, en 1993, l’ensemble de l’état-major, rue Royale, n’avait qu’une idée en tête : sortir du programme Rafale, pour pouvoir acheter des F/A-18 Hornet américains.

Il est vrai qu’à ce moment-là, l’aéronavale française était face à une évolution très incertaine, en particulier à court terme. Ainsi, les deux porte-avions français, embarquaient toujours des chasseurs de troisième génération, le Super-Étendard d’attaque, le F-8 Crusader de supériorité aérienne, et l’Étendard-4P de reconnaissance.

FA 18 Hornet foch 1 Exportations d'armes | Analyses Défense | Articles gratuits
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 16

Ces appareils, mis en œuvre en Irak trois ans plus tôt, étaient alors largement dépassés face à une défense aérienne ou une chasse moderne, et face au groupe aérien embarqué américain, alignant F-14, F-18, A-6 et A-7.

De fait, lorsque l’US Navy proposa à la Marine nationale, une flotte d’une soixantaine de F/A-18 Hornet en occasion récente, pour le prix de moins de vingt Rafale M, tout l’état-major, ou presque, s’est mobilisé pour tenter de faire pression sur le ministère, et laisser le programme Rafale à la seule Armée de l’Air.

Or, le retrait de la Marine de ce programme aurait non seulement fait porter son développement sur la seule Armée de l’air, mais cela aurait, également, augmenté le prix unitaire de l’appareil, avec, à la clé, une réduction du volume de production. De fait, avec le retrait de la Marine, le programme Rafale pouvait, tout simplement, péricliter.

Le ministère de la Défense décida cependant de rejeter l’offre américaine, et de poursuivre le programme Rafale comme prévu. Notons qu’aujourd’hui, les Rafale M du premier lot, au standard F1, ont été portés au standard F3R multirôle, et volent toujours, alors que l’US Navy a retiré du service l’ensemble de ses Hornet.

Le Caesar, le système d’artillerie révolutionnaire conçu par GIAT dans le dos de l’Armée de terre

Si la Marine nationale a tenté de se retirer du programme Rafale pour se tourner vers un chasseur américain, l’Armée de terre, elle, a tout simplement ignoré, pendant plusieurs années, le canon Caesar, et n’a consenti à en commander que cinq exemplaires, initialement, pour lancer la carrière internationale du système d’artillerie conçu par GIAT.

AuF1 Armée de terre
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 17

Il est vrai que quand le concept du Caesar est apparu dans l’esprit des ingénieurs français, l’Armée de terre percevait encore le reliquat de ses nouveaux canons automoteurs AuF1 GCT, dont elle était particulièrement satisfaite, un temps au moins. En outre, elle venait de lancer l’acquisition du canon tracté TrF1, pour soutenir les éléments projetés.

De fait, le besoin d’un nouveau système, tout innovant fut-il, était loin d’être la priorité de l’état-major de l’Armée de terre. Surtout que le programme Caesar semblait devoir relever des défis impossibles.

En effet, il s’agissait non seulement de franchir le cap des tubes de 52 calibres, ce qui entrainait de nombreuses évolutions, notamment au niveau de la culasse, mais aussi de parvenir à installer ce canon sur un châssis 6×6 susceptible de résister aux contraintes mécaniques du tir.

Le Caesar avait, force est de le reconnaitre, des ambitions particulièrement élevées, devant assurer un tir soutenu de 155 mm, avec une grande précision et une portée de 40 km, tout en pouvant embarquer, en monobloc, à bord d’un avion C130. À vrai dire, pas grand monde, en dehors des ingénieurs de GIAT, ne pensaient alors la chose possible. Pas question, donc, de dépenser des crédits dans ce programme.

caesar ukraine
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 18

Ces derniers avaient, pourtant, déjà résolu le problème, en ajoutant un faux châssis au châssis principal du camion UNIMOG 6×6 sélectionné, car seul à répondre aux exigences françaises alors. Celui-ci permettait d’absorber une grande partie des efforts mécaniques lors du tir, alors qu’avec d’autres innovations, le Caesar passait de concept farfelu, à système d’armes efficace et redoutable.

En dépit de ces avancées, et de la présentation officielle du Caesar lors du salon Eurosatory 1994, l’Armée de terre n’était toujours pas convaincue. Le ministre de la Défense, Alain Richard, consenti toutefois à en acquérir cinq exemplaires, pour lancer la carrière internationale du système.

Ce ne sera qu’une fois les premiers exemplaires livrés et expérimentés, que l’Armée de Terre prit la mesure du potentiel de ce nouveau système, d’abord pour remplacer les TrF1, puis pour devenir la pièce d’artillerie standard de ses régiments, en remplaçant les AuF1.

Même aujourd’hui, la Marine nationale ne veut pas entendre parler du Scorpene, ni d’un quelconque sous-marin à propulsion conventionnelle.

Si le ministère de la Défense est parvenu à sauver le programme Rafale, et à faire adopter le Caesar par l’Armée de Terre, personne, en revanche, n’a réussi à faire changer de point de vue la Marine nationale, sur la question des sous-marins à propulsion conventionnelle.

SNA Rubis lors des essais de plongée en 1982
SNA Rubis lors des essais de plongée en 1982

Depuis qu’elle a reçu son premier sous-marin nucléaire d’attaque, le Rubis, en 1983, celle-ci considère, en effet, qu’il lui serait très inefficace de se doter d’une flotte mixte, alliant SNA et sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, ou SSK. Pour elle, un SNA peut faire tout ce que fait un SSK, en mieux, et un plus rapide, alors que l’inverse n’est pas vrai.

De fait, même si on venait à proposer à la Royale deux SSK plutôt qu’un SNA, soit sensiblement la même enveloppe budgétaire, celle-ci refuserait sans le moindre doute.

Pourtant, le SNA a un immense défaut : il ne s’exporte pas. Or, la flotte de 6 SNA et de 4 SNLE, ne suffit pas pour garantir la pérennité et l’évolution des compétences sous-marines de Naval Group et de sa chaine de sous-traitance et d’équipements, pourtant indispensables à la dissuasion française.

D’ailleurs, la Grande-Bretagne, second, et seul pays opérant une flotte sous-marine nationale à propulsion nucléaire comparable à celle de la France, avec 7 SNA et 4 SNLE, a dû se tourner vers certaines technologies américaines, pour concentrer ses investissements de R&D pour maintenir sa filière industrielle.

Scorpene chili
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 19

Naval Group, alors DCNS, prit un parti différent, en poursuivant la conception, la fabrication et l’exportation de sous-marins à propulsion conventionnelle, un exemple unique sur la planète. En effet, tous les industriels construisant des SSK dans le monde, peuvent s’appuyer sur une commande nationale pour concevoir et fabriquer leurs premiers exemplaires.

C’est le cas de la Chine avec le Type 39A, la Russie avec les 636.3 et 677, l’Allemagne avec le Type 214 et Type 212/CD, de la Suède avec le A26, l’Espagne avec le S80 plus et de la Corée du Sud avec le KSS-III, tous proposant à l’export des sous-marins en service, dérivés de modèles en service ou bientôt en service, dans leur propre marine.

Naval group, pour sa part, est parvenue à faire du Scorpene, un modèle initialement codéveloppé avec l’Espagne, avant de devenir exclusivement français, un véritable succès international. Celui-ci a d’ailleurs dépassé le record de 15 sous-marins français exportés établi par la Daphnée dans les années 60, et vient désormais flirter avec les ventes de Type 214 de l’allemand TKMS, pourtant champion absolu des exportations de sous-marins depuis les années 70 et 80 avec le Type 209.

Il fallut, cependant, beaucoup de détermination, et une certaine dose de chances, pour convaincre Santiago et la Marine chilienne, ses premiers clients, d’acquérir les deux premiers Scorpene, pour lancer la carrière internationale du modèle, alors que la Marine nationale refusait, et refuse toujours, de s’en équiper.

Le puissant lien entre l’attractivité à l’exportation et la mise en œuvre d’un armement par les armées nationales

Pourtant, un équipement militaire majeur, comme un sous-marin ou un avion de combat, bénéficie grandement d’être mis en œuvre par ses armées d’origine, pour son attractivité internationale.

TKMS Type 212CD
Type 212 CD de TKMS

En effet, une commande nationale permet de porter une grande partie de la R&D du modèle, et donc d’en faire un système financièrement compétitif face à la concurrence internationale.

Ainsi, lors de la compétition norvégienne en 2018, Berlin s’assura du succès de TKMS, en annonçant la commande de 2 sous-marins du même modèle pour la Bundesmarine, et en portant 66 % des couts de R&D pour son développement. Ne pouvant s’aligner, Naval Group et le Scorpene, pourtant favoris jusque-là, durent se résigner à abandonner la compétition.

En second lieu, un sous-marin, un avion de combat ou un navire en service dans les armées nationales d’origine, peut prétendre à une meilleure évolutivité, et à une maintenance sécurisée, puisque l’industriel doit, avant tout, assurer ces aspects pour ses propres forces. Ce sont ces paradigmes qui amenèrent la Marine hellénique à exiger des FDI très proches de celles en service au sein de la Marine nationale, pour son programme de frégates.

Enfin, disposer d’un équipement, au sein des armées nationales, permet d’en faire la promotion lors des exercices internationaux, mais aussi lors des conflits. Ainsi, le Rafale et le Caesar sont devenus d’autant plus attractifs qu’ils avaient montré leur efficacité opérationnelle au Levant et en Afrique, obtenant au passage le fameux qualificatif « Combat Proven ».

Peut-on refonder le lien entre les armées et l’industrie de défense au bénéfice des deux ?

Bien évidemment, la commande nationale n’entraine pas le succès international. Toutefois, elle ouvre des opportunités commerciales accrues et renforcées, dans les compétitions et discussions avec les armées partenaires, souvent inaccessibles aux équipements destinés exclusivement à l’exportation.

Russie checkmate
Le Checkmate russe n’a toujours pas concaincu a l’export, alors que les forces aériennes russes restent à distance de ce programme.

Cela vaut, d’ailleurs, aussi bien pour les équipements français que pour les autres. Ainsi, le Mig-35 et le JF-31 chinois n’ont toujours pas convaincu sur la scène internationale, alors que le Su-35s, et le J-10C, rencontrent davantage de succès, nonobstant les conditions spécifiques des exportations d’équipements de défens de la Russie et de la Chine.

On peut, dès lors, s’interroger du succès qu’aurait pu rencontrer le Scorpene, ou la corvette Gowind 2500, si la Marine nationale s’était équipée de quelques exemplaires ?

Néanmoins, aujourd’hui, les Armées françaises n’ont aucun intérêt, en dehors de répondre à d’éventuelles exigences du ministère des Armées, pour s’équiper de ces équipements, et, plus largement, pour soutenir l’émergence de nouveaux équipements, n’entrant pas strictement dans son calendrier d’acquisition.

Pourtant, ces exportations représentent un enjeu majeur pour préserver l’autonomie stratégique française, avec une BITD capable de produire la presque totalité des équipements de défense nécessaires, la commande française, seule, ne suffisant pas à cela.

Il conviendrait donc d’imaginer des mécanismes permettant aux armées de retirer des bénéfices directs du succès des exportations françaises, l’amenant à réviser leur stratégie d’équipements pour soutenir l’émergence de ces nouveaux équipements, y compris en participant à leur développement.

Gowind 2500
Quel aurait été la carrière internationale de la corvette Gowind 2500 si la France en avait acquis 4 exemplaires, pour sécuriser les abords des arsenaux français ?

Certains pays, comme la Corée du Sud et la Turquie, ont institutionnalisé ce lien, leurs armées commandant, quasiment systématiquement, mais souvent en petites quantités, les équipements produits par leur BITD respective, tant à des fins d’expérimentation opérationnelle, que pour soutenir leurs exportations. Ceci créé, d’ailleurs, un tempo technologique beaucoup plus soutenu pour l’industrie de défense dans ces deux pays.

Une solution, en France, serait de créer un fond ministériel destiné à cette fonction, régénéré par les succès enregistrés à l’exportation de la BITD, par une évaluation et captation des recettes budgétaires ainsi générées. Ce mécanisme budgétaire serait assez proche, dans sa mise œuvre, des recettes variables employées dans les années 2010 pour compléter le financement du ministère de la Défense, par la vente d’infrastructures ou de licences télécom.

Conclusion

On le voit, le succès que rencontre aujourd’hui le Rafale, le Scorpene ou le canon Caesar, doivent bien davantage à la détermination de leurs industriels d’origine, et parfois d’un coup de pouce politique de la part du ministère de la Défense, que du soutien des Armées elles-mêmes.

Il ne s’agit, évidemment, de jeter l’opprobre sur les Armées françaises et leurs état-majors, qui doivent, depuis plusieurs décennies, déployer des trésors d’inventivité pour parvenir à optimiser les programmes industriels indispensables à leur modernisation, avec des budgets sans marge de manœuvre.

Ateliers Rafale Mérignac
Rafale, Caesar, Scorpene : quand les armées ne voulaient pas des 3 stars des exportations françaises 20

Pour résoudre ce problème, et se préparer à absorber le choc que vont représenter l’arrivée des nouvelles BITD chinoises, coréennes ou turques, ainsi que la montée en puissance des offres industrielles allemandes, italiennes ou encore, espagnoles et polonaises, il conviendrait de mettre en œuvre un dispositif dégageant, justement, ces marges de manœuvre, et qui bénéficieraient simultanément aux armées et aux industriels, sans surcouts pour l’état.

Des solutions, en ce sens, peuvent être imaginées, même dans un cadre aussi contraint que celui de la France aujourd’hui. Encore faut-il que le problème soit étudié au bon niveau, par les politiques comme par les industriels eux-mêmes, et bien entendu, par les Armées.

Article du 15 juillet en version intégrale jusqu’au 24 aout 2024

Le porte-avions demeure le plus puissant outil d’une marine de guerre moderne, selon le CEMA.

Le porte-avions demeure le plus puissant outil d’une marine de guerre moderne, selon le CEMA.

À l’occasion de la Conférence navale de Paris, qui s’est tenue il y a quelques jours, le Chef d’état-major des Armées français, le général Thierry Burkhard, a défendu la pertinence et l’efficacité du porte-avions dans la guerre navale moderne.

Soutenant la décision de remplacer le Charles de Gaulle par le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, en 2038, le CEMA a ainsi fait une liste non exhaustive des différentes capacités exclusives à ce navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, allant de la rupture d’un déni d’accès à la communication géopolitique, en passant par la transformation de la géométrie d’un espace de crise ou de conflit.

Le fait est, si le porte-avions fait toujours l’objet de nombreuses critiques, il est aussi doté de capacités opérationnelles, technologiques et politiques, qui en font un outil sans équivalent à disposition des états-majors et des autorités politiques, qui peuvent aisément justifier son existence, mais qui, dans le même temps, interrogent sur la nécessité d’un second navire pour assurer la permanence de ces mêmes capacités jugées uniques et indispensables

Sommaire

Trop vulnérable, trop cher… La pertinence du porte-avions remise (à nouveau) en question

Ces dernières années, la pertinence du porte-avions a été fréquemment remise en cause, en France comme aux États-Unis, y compris au sein des armées. Pour ses détracteurs, le porte-avions est désormais un outil obsolète, trop vulnérable pour représenter un atout opérationnel. Cette perception a été accrue avec l’apparition des missiles balistiques antinavires, ou AShBM, comme le DF-21D et le DF-16 chinois, et surtout le missile hypersonique antinavires 3M22 Tzirkon russe.

missile AShBM DF-25 chine
Le missile balistique antinavire AShBM DF-26 chinois a une portée de plus de 4000 km. Son profil de vol le met toutefois à porté des Sm-3 et Sm-6 qui protégent les porte-avions de l’US Navy.

Présentés comme imparables par certains, ces nouveaux missiles seraient, en effet, capables d’atteindre une cible majeure, comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit possible de s’en protéger.

En outre, les investissements nécessaires pour concevoir, construire et mettre en œuvre un porte-avions moderne, son groupe aérien embarqué, et son escorte de frégates, destroyers, navires logistiques et sous-marins, pourraient, toujours selon ses détracteurs, être bien mieux employé dans d’autres domaines, également sous tension.

Les questions concernant l’arbitrage budgétaire ont une évidente légitimité, le porte-avions est avant tout un outil portant une importante dimension politique, et c’est au niveau politique qu’il doit être arbitré, pour décider s’il est préférable d’avoir un GAN opérationnel, ou cinq ou six escadrons de chasse, et les escadrons de soutien qui les accompagnent. La France et la Grande-Bretagne acceptent ce sacrifice. D’autres non.

En revanche, la question de la prétendue vulnérabilité du porte-avions face aux nouvelles menaces, n’est pas un enjeu. Certes, de nouveaux missiles antinavires sont apparus. Toutefois, leurs performances ne constituent, dans les faits, qu’une évolution des performances qu’avaient certains missiles plus anciens, notamment les missiles antinavires supersoniques soviétiques, qui évoluaient au-delà de Mach 1 en transit, et Mach 3 ou 4 en attaque finale.

Tu-22M3 Backfire C
Les bombardiers à long rayon d’action Tu-22M backfire sovéitique représentaient une menace considerable pour les porte-avions de l’US navy pendant la Guerre Froide. Paradoxalement, c’est au sein du Carrier Strike Group (qui s’appelait task Force alors), que la solution a été trouvée, avec le système AEGIS armant les destroyers, d’une part, et le missile AIM-54 Phoenix du F-14 Tomcat de l’autre.

Comme ce fut le cas dans les années 70, avec la conception du système AEGIS et du couple F-14 Tomcat/ AIM-54 Phoenix, pour contrer la menace que représentaient ces nouveaux missiles soviétiques, de nouveaux missiles et systèmes défensifs sont en développement pour contrer ces missiles balistiques, hypersoniques ou non, antinavires.

À ce titre, les destroyers américains ont déjà pu employer, avec succès, le nouveau missile SM-6 pour intercepter les AShBM Houthis en mer Rouge, ce qui tend à indiquer qu’ils seront aussi capables d’intercepter les DF-21D et DF-16, les fameux Tueurs de Porte-Avions chinois, qui avait tant fait couler d’encre il y a quelques années. Il est probable qu’un missile comme l’Aster 30 soit, lui aussi, d’une telle interception. Et il en va de même de la menace hypersonique.

En d’autres termes, si, comme l’a reconnu le général Burkhard , il n’est plus possible, aujourd’hui, de revendiquer la supériorité technologique sur un espace de conflictualité, naval ou autre, le porte-avions n’est pas plus exposé ou vulnérable qu’il ne l’était auparavant, tout en conservant des capacités exceptionnelles.

La Groupe d’action naval, un outil d’une polyvalence inégalée

Ces atouts uniques sont au nombre de quatre. Le premier d’entre eux, repose sur la polyvalence sans équivalent, d’un porte-avions et de son Groupe d’Action Navale à la mer. Cette polyvalence a été démontrée, ces dernières semaines, par le déploiement de l’USS Eisenhower en Méditerranée et au Proche-Orient.

USS Eisenhower Golfe d'Aden
Le porte-avions américain USS Eisenhower dans le Golde d’Aden.

Initialement, la mission de Carrier Strike Group de l’Eisenhower, était d’effectuer une démonstration de forces au large des côtes israéliennes, suite à l’attaque du 7 octobre, pour contenir le conflit et empêcher son extension. Après quoi, il fut envoyé dans le golfe d’Aden, d’abord pour protéger les navires commerciaux des frappes Houthis, puis pour mener des frappes contre ces mêmes infrastructures Houthis desquelles les missiles étaient lancés.

De fait, au cours d’un même déploiement, le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, ont effectué plusieurs missions de nature très différentes, aussi bien offensives que défensives, et même purement géopolitiques.

En effet, le groupe aérien du porte-avions, ses moyens propres et ceux de son escorte, confèrent au groupe d’action naval une polyvalence supérieure à celle de n’importe quelle unité navale, et même aérienne, susceptible non seulement de remplir un très vaste panel de missions, mais de les remplir simultanément ou successivement lors d’un même déploiement.

La capacité à durer d’un porte-avions au combat

Non seulement le porte-avions est-il d’une polyvalence inégalable, mais il dispose, en outre, d’un atout remarquable, sa capacité à durer au combat. En effet, contrairement à la plupart des navires militaires, le porte-avions a la possibilité de régénérer, voire de remplacer dynamiquement ses moyens offensifs et défensifs, au cours d’un même déploiement.

USS America CVA-66
L’USS America a maintenu une posture opérationelle pendant 292 jours face au nord vietnam entre 1972 et 1973, et participa activement à l’opération Linebaker II.

Ainsi, si l’Armée de l’Air et de l’Espace était parvenue à effectuer, avec l’ide de frégates de la Marine nationale, l’opération Hamilton contre les infrastructures chimiques syriennes, en avril 2018, celle-ci aurait été incapable de mener des frappes de même type dans la durée.

En effet, chaque mission ayant une durée de plus d’une dizaine d’heures, et mobilisant un grand nombre d’avions de soutien pour accompagner les Rafale et Mirage 2000-5 de la métropole jusqu’à la Méditerranée Orientale, l’Armée de l’Air serait rapidement arrivée à court de son potentiel au bout de quelques missions seulement.

À l’inverse, le porte-avions peut maintenir une posture opérationnelle, beaucoup plus proche des cibles visées, et donc mener des frappes quotidiennes, tout en économisant le potentiel de vol de ses aéronefs, pendant plusieurs mois. Ainsi, l’USS America, CVA-66, a été déployé en mission opérationnelle au large des côtes vietnamienne, durant 292 jours, de juin 1972 à mars 1973.

Faute de disposer d’un allié acceptant l’utilisation de ses bases, comme c’était le cas pour les frappes contre la Syrie, la base aérienne française de Jordanie ne pouvant être employée pour cette mission, le porte-avions est le seul à pouvoir maintenir une pression constante et soutenue, sur le dispositif adverse.

L’adaptabilité intrinsèque du porte-avions pour répondre aux évolutions

Système de systèmes par excellence, le porte-avions et son groupe naval, se caractérise également par une très importante évolutivité, lui conférant de nouvelles capacités qui ne s’imaginaient peut-être pas, lors de son entrée en service.

USS Nimitz Carrier Strike Group
L’USS Nimitz a rejoint l’US Navy en 1975, et quittera celui-ci en 2025, après 50 ans de service à la mer. En 2023, il avait enregisté plus de 350 000 appontages.

Ainsi, le groupe aérien de l’USS Nimitz, entré en service en 1975, se composait initialement de F-4 Phantom 2, A-6 Intruder et A-7 Corsair II, à la sortie de la guerre du Vietnam. Il se compose, dorénavant, de F/A-18 E/F Super Hornet et C Hornet, de EA-18G Growler et de E-2C Hawkeye, lui conférant des possibilités sans commune mesure avec son groupe aérien initial. Ses sisterships emportent, quant à eux, le nouveau F-35C, et certains pourraient même accueillir le futur NGAD.

Son escorte, quant à elle, est passée des croiseurs Longbeach ou California, destroyers Spruance, frégates Knox et sous-marins Los Angeles, aux destroyers Arleigh Burke et croiseurs Ticonderoga armés du système antiaérien et antibalistique AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk, et sous-marins Virginia. En outre, par son volume et sa capacité énergétique, le porte-avions lui-même est une plate-forme nativement conçue pour être évolutive.

Ainsi, le Charles de Gaulle français s’est vu doté, au fil des années, de nombreuses capacités nouvelles, alors qu’à l’occasion de sa prochaine phase de modernisation, il recevra le nouveau radar AESA à face plane Sea Fire 500 de Thales, lui permettant de contrôler un espace aérien sur 350 km de rayon, étendues par les capacités de détection des nouvelles frégates FDI, elles aussi, équipées du même radar, et du nouvel avion radar E-2D Hawkeye.

Cette capacité à évoluer, et à intégrer de nouveaux moyens pour répondre à l’évolution de la menace sur les différents espaces de conflictualité, est, à ce titre, présentée comme l’un des enjeux clés du développement du nouveau porte-avions nucléaire PANG de la Marine nationale, par le CEMA lui-même.

La visibilité du porte-avions, un atout majeur dans la guerre de communication et la communication de guerre

Enfin, le porte-avions peut se parer d’une dernière vertu, que très peu de moyens militaires peuvent égaler, tout au moins dans le domaine conventionnel. En effet, au-delà de son potentiel offensif et défensif global, et de sa capacité à faire peser une menace constante sur l’adversaire, le porte-avions a un atout majeur dans la guerre moderne : il dispose d’une visibilité aussi importante que modulable.

CV-18 Fujian
Le Fujian, le nouveau porte-avions chinois de pr§s de 80 000 tonnes, montre incontestablement que la confiance dans le potentiel opérationnel du porte-avions, n’est pas un iais occidental.

Ainsi, l’envoi d’un porte-avions et de son escorte, à proximité d’un espace de crise, constitue aujourd’hui un message politique et diplomatique d’une immense portée, qui ne peut, objectivement, être dépassée que par le déploiement de missiles à capacités nucléaires, ou d’une force armée conventionnelle considérable.

Il s’agit, pour les pays qui disposent de cet outil, souvent du dernier avertissement précédant une frappe massive, qui d’ailleurs a fréquemment eu les effets escomptés, y compris contre des pays vindicatifs, comme l’Iran, la Syrie, la Libye, ou la Corée du Nord. Dans la même temps, par sa grande mobilité, le porte-avions sait aussi se faire discret, lorsque cela est nécessaire.

Conclusion

Bien que remis en cause par certains, le porte-avions demeure, aujourd’hui, un outil sans équivalent en matière de guerre navale, et ce, dans de nombreux domaines. Par sa polyvalence, sa capacité à durer, son évolutivité et sa visibilité, il confère aux pays qui en disposent, et à leur marine, un potentiel opérationnel et politique unique pour agir sur une crise, ou un conflit ayant une dimension navale.

PANG
Si l’avenir du Porte-avions de Nouvelle Génération, ou PANG, est dorénavant assuré, celui d’un éventuel sister-ship, ou d’un second navire d’une classe différente, semble des plus éloigné.

Reste qu’il s’agit d’un outil onéreux, que l’on peut aisément comparer, à l’autre bout du spectre naval, avec les sous-marins à propulsion nucléaire, aussi discrets, invisibles et spécialisés que le porte-avions est ostentatoire, visible et polyvalent. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont les pays qui disposent, également, de ce type de sous-marins qui, par ailleurs, alignent les porte-avions les plus importants.

Reste qu’en France, si la question du remplacement du Charles de Gaulle par le PANG, ne semble plus se poser, celle de la construction d’un second navire, de même type, ou de dimensions plus réduites, et doté d’une propulsion conventionnelle, pour en optimiser les couts et le potentiel export, ne semblent pas, non plus, sérieusement considérée, alors qu’un unique navire ne permet d’en avoir la jouissance opérationnelle que 40 à 50% du temps, dans le meilleur des cas.

Pourtant, si le porte-avions est paré effectivement de toutes les vertus énumérées par le général Burkhard, il y a quelques jours, la question d’en disposer en permanence, et donc de la construction d’un second navire, semble avoir une réponse positive évidente.

Porte-avions américains, français et britannique
Les porte-avions américains USS JOHN C. STENNIS et USS Kennedy, le Charles de Gaulle français, et le porte-hélicoptères britanniques HMS Ocean lors d’une parade navale.

En outre, en dépit des surcouts engendrés par une telle décision, des solutions existent précisément pour en réduire les effets de captation sur les autres budgets des armées, comme la coopération internationale européenne, avec des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, dont les frégates escortent fréquemment le Charles de Gaulle ces dernières années.

Il faudra donc, dans un avenir proche, mettre en cohérence les positions et les besoins opérationnels, avec les ambitions politiques, et surtout avec les moyens conférés aux armées, en particulier dans ce domaine.

Article du 2 février en version intégrale jusqu’au 21 aout 2024

Le contrat des 26 Rafale M et B pour la Marine indienne certainement signé avant la fin de l’année.

Le contrat des 26 Rafale M et B pour la Marine indienne certainement signé avant la fin de l’année.

L’annonce faite par Narendra Modi concernant l’acquisition de 26 Rafale M et B pour l’Indian Navy, avait été l’un des moments forts de la visite du premier ministre indien en France, à l’occasion des célébrations du 14 juillet 2023.

Depuis, toutefois, les autorités indiennes et françaises ont été très discrètes quant aux progrès réalisés dans les négociations, qui portent également sur l’achat de trois sous-marins Scorpene de la classe Kalvari supplémentaires.

Il semble, désormais, que cette dynamique soit proche de sa conclusion. En effet, selon la presse indienne, citant des déclarations d’officiels de la Marine indienne, les négociations ce sujet auraient progressé ces dernières semaines, et le contrat pourrait être signé, d’ici à la fin de l’année 2024.

Sommaire

Les négociations pour l’acquisition des Rafale M et B par la Marine indienne retardées de plusieurs mois par les élections législatives indiennes

Les négociations entre Paris et New Delhi, au sujet des deux contrats majeurs annoncés lors de la visite de Modi en France autour du 14 juillet 2023, ont été, selon les sources, ralenties, voire suspendues, par la campagne électorale pour les élections législatives indiennes, qui se sont tenus les 19 avril et 1ᵉʳ juin 2024.

narendra Modi Emmanuel macron Paris 2023
La commande de 26 Rafale, dont 22 Rafale M et 4 biplaces, pour la Marine indienne, a été annoncée à l’occasion de la visite officielle de Narendra Modi en France en 2023.

Si la coalition de l’Alliance Démocratique Nationale (NDA) a conservé, à l’issue des élections, une majorité à la chambre basse indienne, avec 293 des 543 sièges de députés, sa principale force politique, le Bharatiya Janata Party de Narendra Modi, sa principale composante, n’a obtenu que 240 sièges, contre 300 lors de la précédente magistrature, perdant de fait la majorité absolue parlementaire.

Quoi qu’il en soit, Narendra Modi a conservé, pour cinq ans, son poste de premier ministre à la tête du pays, permettant aux négociations de reprendre avec Paris, que ce soit au sujet des Rafale, et des trois sous-marins Kalvari, pour la Marine indienne.

À ce sujet, selon la presse indienne, des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières semaines, permettant de fixer, notamment, la configuration des 22 Rafale M et des 4 Rafale B indiens, comme l’ensemble des services, munitions et pièces détachées, qui accompagneront les chasseurs indiens au sein de l’Indian Navy.

Un contrat de 4 Md€ et un appareil proche du standard des Rafale B/C des forces aériennes indiennes

Selon les sources citées, le contrat définitif, d’un montant proche de 4 Md€, pourrait être finalisé dans les mois à venir, pour une signature avant la fin de l’année 2024.

Rafale M
Le contrat des 26 Rafale M et B pour la Marine indienne certainement signé avant la fin de l’année. 9

Il faut, bien évidemment, prendre ces affirmations avec une certaine réserve. En effet, la presse indienne a souvent relayé des affirmations excessivement optimistes, ne s’étant pas vérifiées dans les faits. En outre, la situation politique tendue en France, peut, à son tour, ralentir les négociations avec New Delhi.

Pour autant, l’Inde étant un partenaire stratégique pour Paris, ne faisant pas l’objet de dissensions politiques au sein des forces en présence lors des élections législatives à venir, on peut supposer que si délais, il y a, ceux-ci seront limités, personne n’ayant intérêt à faire dérailler une telle commande de la part de New Delhi.

Parmi les informations diffusées par la presse indienne, figure notamment les évolutions des Rafale M indiens, vis-à-vis des appareils en service au sein de la Marine nationale. En effet, les chasseurs embarqués indiens emporteront des équipements supplémentaires, pour l’essentiel identiques à ceux qui équipent les Rafale B/C de l’Indian Air Force.

Il s’agit, notamment, du viseur à casque, certainement le Targo II de l’israélien Elbit System, des systèmes de brouillages et de guerre électronique spécifique, ou encore une évolution des logiciels pour permettre la mise en œuvre à bord des porte-avions indiens.

Rafale M lors des essais sur Ski Jump à Goa
Ce cliché montre un Rafale M lors des essais sur Ski Jump à Goa, en configuration lourde, avec 2 Mica IR, 2 Mica EM, 2 meteor, un AM39 exocet et deux bidons subsonique de 2000 litres.

En termes d’armement, il est aussi probable que la panoplie qui évoluera sous les ailes des Rafale Marine indiens, sera proche de celle de l’IAF, avec des missiles air-air METEOR et MICA (NG ?), des bombes A2SM Hammer, des missiles de croisière SCALP et, version navale oblige, des missiles antinavires AM39 Exocet, observé sous l’aile du Rafale M envoyé en Inde pour les essais d’utilisation du Ski Jump.

Le Rafale M indien opèrera à partir de tous les porte-avions de la Marine indienne

Si l’article de theprint-in, n’est pas très détaillé au sujet de cette configuration, n’abordant pas, par exemple, le standard de livraison de Rafale M indien (certainement F4.x, permettant une évolution vers F5), il donne toutefois une information intéressante, et même surprenante.

En effet, jusqu’ici, les Rafale de la Marine Indienne, étaient censés être mis en œuvre à bord de l’INS Vikrant, le porte-avions de conception et fabrication indienne, livré à l’Indian Navy en septembre 2022.

Or, dans l’article, il est précisé que les modifications logicielles demandées, permettront aux chasseurs embarqués de Dassault Aviation, d’embarquer à bord de tous les porte-avions indiens.

Cette déclaration suppose donc que les appareils pourront aussi être déployés à bord de l’INS Vikramaditya, un porte-aéronefs de conception soviétique appartenant à la classe Kiev, et profondément modifié pour mettre en œuvre des chasseurs embarqués à l’aide d’un tremplin Ski Jump et de brins d’arrêt.

Marine indienne INS Vikrant
Jusqu’ici, les Rafale M indiens devaient armer uniquement l’INS Vikrant, kle nouveau porte-avions indiens. Il semble qu’ils pourraient aussi embarquer à bord de l’INS Vikramaditya, dérivé du la classe Kiev soviétique.

Ceci laisse supposer que les Rafale M indiens pourraient, à termes, remplacer les MIG 29K qui forment le groupe aérien embarqué de ce porte-aéronefs de 45000 tonnes et de 284 mètres, construit dans les années 80, mais entré en service au sein de l’Indian navy en 2014, après dix années de transformation.

Une maintenance et une formation probablement mutualisée en partie avec les forces aériennes indiennes

Autre sujet d’intérêt détaillé dans l’article, la visite d’une délégation de la Marine indienne sur la base aérienne de Ambala, proche de la frontière Pakistanaise, qui abrite l’un des deux escadrons de Rafale de l’IAF.

L’objectif de cette visite était d’étudier les synergies possibles entre la Marine indienne et les forces aériennes indiennes, concernant la maintenance et la formation des équipages et personnels de maintenance des deux forces.

La proximité de configuration des versions terrestres et marines du Rafale indien, constituera, sans le moindre doute, un précieux atout dans ce domaine, y compris pour la gestion des stocks de pièces détachées et de munitions, ainsi que la régénération des appareils et des moteurs, avec, à la clé, d’importantes économies concernant les couts de possession des chasseurs.

Des négociations de bon augure pour le programme MMRCA 2

Ces similitudes entre les versions terrestres et navales, permettant des économies significatives en matière de couts de configuration des appareils désirés par les armées indiennes, ainsi que les synergies en matières de maintenance et de formation des appareils, y compris par l’industrie aéronautique indienne, déjà impliquée dans le processus, constituent de très sérieux points forts concernant les chances du Rafale de s’imposer dans la compétition MMRCA 2, pour le remplacement des Jaguar indiens.

Rafale indian air force
Les Rafale B et C de l’Indian Air Force ont subi de nombreuses modifications pour répondre aux besoins indiens. Modifications qui seront en grande partie reprise pour le Rafale M indiens, et qui ne seront pas à financer, si le chasseur français était choisi pour le programme MMRCA 2.

Rappelons que cette compétition, lancée en 2018, concerne l’acquisition de 110 chasseurs bombardiers polyvalents moyens à destination de l’IAF, destinés à remplacer les Mirage 2000 et Jaguar, à partir de 2030. Elle fait suite à la compétition MMRCA, lancée en 2001, remportée en 2012 par le Rafale, mais annulé en 2015, après que Dassault Aviation et HAL, l’avionneur d’état indien, au sujet des procédures de fabrication et de garanties.

Le contrat a été remplacé par l’achat de 36 Rafale B et C, fabriqués en France, destinés à remplacer partiellement le retrait des MIG-27 et MIG-21 indiens, ainsi qu’à porter la composante aérienne de la dissuasion indienne.

Ce contrat de 8 Md€, prévoyait, notamment, l’évolution du Rafale en y intégrant certaines technologies exigées par l’IAF, comme le viseur à casque Tagos II israélien, ou le leurre tracté X-Guard. En outre, une base de maintenance, permettant d’assurer le soutien d’une flotte de 150 chasseurs, a également été construite.

Ces investissements ont certainement joué un rôle dans le choix indien de se tourner vers le Rafale M plutôt que vers le F/A-18 E/F Super Hornet proposé par Boeing, avec des couts sensiblement inférieurs concernant l’achat et la maintenance des appareils.

RAfale maintenance
Le contrat des 26 Rafale M et B pour la Marine indienne certainement signé avant la fin de l’année. 10

De la même manière, les infrastructures déployées autour de la première commande Rafale pour l’Indian Air Force, et l’effet de masse généré par la décision de l’Indian Navy de se tourner vers le Rafale M, auront une influence sensible considérant les couts d’acquisitions et de maintenance des 110 chasseurs du programme MMRCA 2.

En effet, en tenant compte de l’inflation, les économies potentielles attendues, concernant les investissements déjà réalisés, sur le programme MMRCA, représentent aujourd’hui 4 à 5 Md€. Rapporté à 110 cellules, ce montant représente un écart de prix de 36 à 45 m€ par appareil, mettant le Rafale B/C à un prix d’acquisition presque moitié moins élevé que le Typhoon et le F-15EX, 40 % de moins que le KF-21 Boramae, 30 % plus économique que le JAS 39 Gripen E/F et que le Su-35s, ce dernier ayant, toutefois, peu de chances d’être choisi, pour ne pas provoquer l’ire de Washington et le déclenchement de sanctions au travers de la législation CAATSA.

Sachant qu’autour de ce contrat, s’articulent également des négociations avec le français Safran, pour le développement d’un turboréacteur de nouvelle génération pour propulser les nouveaux chasseurs indiens, le Rafale fait, aujourd’hui, office de favori dans cette compétition, dont le statut et le calendrier demeurent cependant incertains.

Article du 27 juin en version intégrale jusqu’au 17 aout 2024

De nouvelles capacités de franchissement dans le viseur de la Défense belge

De nouvelles capacités de franchissement dans le viseur de la Défense belge

– Forces opérations Blog – publié le

Renouveler les capacités de franchissement de brèches humides ou sèches de la Composante Terre belge, voila l’objet d’un programme lancé fin juillet et pour lequel l’industrie française aura une carte à jouer. 

Approuvé mi-juillet par le gouvernement belge, le programme est depuis peu entré en phase d’appel à candidature (RFP). L’enjeu ? D’une part, l’acquisition de huit systèmes de pose de ponts tactiques (Mobile Assault Bridge – MAB) et de 17 ponts. Et d’autre part, le soutien des systèmes acquis pour une durée de 10 ans. De quoi renouveler une capacité relevant des bataillons de génie et dont l’importance pour la mobilité militaire revient sur le devant de la scène.

Ce MAB sera « un véhicule à roues équipé d’une cabine blindée permettant la pose et la reprise de ponts tactiques de manière autonome ». Exit donc la chenille privilégiée jusqu’alors avec les chars lanceurs de pont Iguane (Leguan) sur châssis Leopard 1, place à un outil visiblement monté sur un châssis 10×10 afin de conserver « une grande mobilité tactique et une capacité tout-terrain ». 

Ce poseur de ponts présentera une protection de niveau 3a/b contre les mines, de niveau 3 contre les menaces balistiques et une protection minimale contre les engins explosifs improvisés. Un bouclier complété par l’ajout d’un tourelleau téléopéré sorti des stocks belges, de lance-pots fumigènes ainsi que d’un système de protection NRBC. 

Quant aux travures, celles-ci auront une longueur minimale de 22 m. De classe MLC 80, ces ponts permettront le franchissement de l’ensemble des véhicules à roues et chenillés aujourd’hui en service. Ils disposeront par ailleurs d’un système « Health & Usage Monitoring System » (HUMS), ces capteurs permettant de déterminer la charge réelle et de prédire l’ « état de santé » donc la durée de vie du système. 

Cet avant-goût de cahier des charges s’accompagnent de plusieurs exigences opérationnelles, à commencer par les dimensions. « La longueur du pont est un facteur tactique déterminant. Un pont plus long offre une plus grande flexibilité au commandant tactique dans le choix du site de franchissement », estime une Défense belge selon qui « un pont de 26 m permet également de dépasser la capacité de franchissement d’assaut russe ». 

Second critère majeur, l’interopérabilité est souhaitée avec un maximum de pays membres de l’OTAN. Et si le projet semble s’inscrire en dehors du partenariat stratégique franco-belge « Capacité Motorisée » (CaMo), l’argument d’un nouveau rapprochement capacitaire avec l’armée de Terre pèsera dans la balance. La modularité du système, enfin, est recherchée dans une moindre mesure. Il est en effet « souhaitable que que le pont long puisse être transformé en deux ponts courts » pour mieux s’adapter à la brèche rencontrée et ainsi « économiser des moyens de franchissement lors de la manoeuvre tactique ».

L’investissement est évalué à plus de 85 M€, un effort représentant plus du tiers des 235 M€ inscrits dans le plan STAR pour renouveler les capacités du génie. Un document adopté en 2022 pour définir la transformation de la Défense à l’horizon 2030 et dont la mise à jour pourrait être conduite par le prochain gouvernement belge. 

Ce type d’engin n’est maîtrisé que par une poignée d’industriels. Hormis KNDS Deutschland et son Iguane agnostique du porteur, le besoin belge n’est pas sans rappeler le système de pose rapide de travures (SPRAT) adopté côté français. Utilisé depuis 2011 par l’armée de Terre et modernisé il y a peu, le SPRAT de CNIM Systèmes Industriels permet de déployer deux ponts courts de 14 m ou un pont long de 26 m composé de deux travures en une dizaine de minutes. Des atouts à combiner avec l’éventualité d’une interopérabilité franco-belge renforcée. 

Crédits image : 13e régiment du génie

L’Arabie saoudite évoque une coopération prometteuse avec Dassault Aviation. Contrat pour 54 Rafale en vue ?

L’Arabie saoudite évoque une coopération prometteuse avec Dassault Aviation. Contrat pour 54 Rafale en vue ?

https://www.opex360.com/2024/08/03/larabie-saoudite-evoque-une-cooperation-prometteuse-avec-dassaut-aviation-contrat-pour-54-rafale-en-vue/


 

Achat de 48 avions de combat Eurofighter Typhoon bloqué à cause d’un veto de l’Allemagne, refus du Japon de lui faire une place dans le « Global Combat Air Programme », qui vise à développer un chasseur de 6e génération dans le cadre d’une coopération avec le Royaume-Uni et l’Italie, relations compliquées avec les États-Unis… L’an passé, ces éléments nourrirent une rumeur selon laquelle l’Arabie saoudite allait se tourner vers la France pour moderniser son aviation de chasse en passant une commande de Rafale auprès de Dassault Aviation.

Mais cette rumeur n’en était pas vraiment une… En effet, en octobre, il fut rapporté par La Tribune et Europe 1 que Riyad avait adressé une demande de « proposition chiffrée » à Dassault Aviation en vue de se procurer 54 Rafale. Un mois plus tôt, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, avait rencontré Kalid ben Salman, son homologue saoudien, avec lequel il eut des discussions sur des « opportunités de coopération et de coordination conjointe dans les domaines militaires » ainsi que sur les « moyens de les renforcer et de les développer ».

Cependant, cet intérêt pour le Rafale aurait pu être une manœuvre pour faire avancer le dossier des Typhoon. D’ailleurs, en janvier, l’Allemagne fit savoir qu’elle allait lever son veto sur les armes destinées à l’Arabie Saoudite. « Nous ne nous voyons pas, en tant que gouvernement fédéral allemand, nous opposer aux considérations britanniques sur [la vente] d’autres Eurofighter », avait en effet déclaré Annalena Baerbock, la ministre allemande des Affaires étrangères, en saluant le « rôle constructif » de Riyad dans la crise au Moyen-Orient, après les attaques terroristes lancées par le Hamas contre Israël.

Pour autant, les contacts entre les autorités saoudiennes et françaises se sont poursuivis, et même intensifiés, au cours de ces derniers mois. Signe, sans doute, que le royaume saoudien est bien décidé à obtenir des Rafale…

Ainsi, en mai, le ministre adjoint saoudien de la Défense, Talal Bin Abdullah Al-Otaibi, s’est rendu à Paris pour rencontrer le général Fabien Mandon, le chef de l’état-major particulier du président de la République, ainsi que Patrick Pailloux, le directeur du cabinet civil et militaire du ministre des Armées… Mais aussi le PDG de Dassault Aviation, Éric Trappier, avec lequel il a évoqué les « capacités de production » [sans plus de détails…].

 

Trois mois plus tard, M Al-Otaibi a de nouveau rencontré M. Trappier, cette fois à Bordeaux-Mérignac, où sont assemblés les Rafale.

Selon un message diffusé par le ministère saoudien de la Défense via X [anciennement Twitter], le 30 juillet, les discussions ont porté sur des « opportunités de coopération prometteuses dans le domaine de l’industrie militaire ». Et d’évoquer également des transferts de technologie ainsi que des considérations sur la recherche et le développement [R&D] en matière de défense, conformément au projet « Vision 2030 », lequel vise notamment à développer les capacités industrielles du royaume.

Photo : Dassault Aviation

La France va-t-elle ignorer le Leclerc Evolution et son formidable potentiel industriel et opérationnel ?

La France va-t-elle ignorer le Leclerc Evolution et son formidable potentiel industriel et opérationnel ?

Incontestablement, le Leclerc Evolution, présenté par KNDS, aura été l’un des blindés phares du salon Eurosatory 2024, qui ferme ses portes ce vendredi. Ce char réalise, en effet, la synthèse entre le Leclerc EAU (Émirats arabes unis) et la tourelle EMBT, présentée en 2022 lors de la précédente édition de ce salon.

Ainsi, le Leclerc Evolution peut prétendre s’inviter, sans pâlir, dans la nouvelle génération intermédiaire de chars de combat en cours de conception, aux côtés du Leopard 2AX/3, développé par KNDS Allemagne, du KF51 Panther de Rheinmetall, du M1E3 Abrams américain, et du T-14 russe, ce d’autant qu’il est présenté, par ses concepteurs, comme « prêt à produire », sur un marché international en forte demande.

Toutefois, comme la commande des 18 Leopard 2A8 par la Bundeswehr, avait lancé la carrière internationale de ce blindé, commandé, ou bientôt commandé, par quatre autres pays européens en seulement un an, le super-char de KNDS France doit, avant tout, obtenir une commande de l’Armée de terre française, pour se positionner de manière crédible sur la scène internationale.

Malheureusement pour le Leclerc Evolution, et la stratégie de KNDS, l’Armée de terre, comme le ministère des Armées n’ont, pour l’heure, nullement l’intention, ni les moyens, d’acquérir le nouveau char français.

Sommaire

Le char n’est pas la priorité de l’Armée de terre aujourd’hui

Et pour cause. De l’aveu même de l’Armée de terre française, les chars ne sont pas, pour elle, la priorité aujourd’hui. En effet, celle-ci doit, dans le cadre de la LPM 2024-2030, mener à bien de nombreux programmes, qui seront difficiles à financer dans leur intégralité, avec, notamment, le déploiement des Griffon, Serval et Jaguar du programme SCORPION, la conception et la commande des VBAE pour remplacer les VBL, l’acquisition des 109 Caesar MkII qui doivent former la colonne vertébrale de l’artillerie française, ou encore la modernisation des hélicoptères d’attaque Tigre et l’entrée en service du H-160M Guépard, pour l’ALAT.

KNDS VBMR griffon
La modernisation du segment médian de l’Armée de terre, avec le programme SCORPION, demeure la priorité de l’Armée de terre pour la LPM 2024-2030

Cette modernisation à marche forcée, conséquence de 25 ans de sous-investissements dans le remplacement des équipements, et d’une utilisation intensive des moyens en Afghanistan, au Levant et dans la bande sahélienne, ne laisse presque aucune marge de manœuvre à l’état-major de l’Armée de Terre, pour, éventuellement, se saisir d’opportunités apparues lors de cette LPM.

Au-delà de ces contraintes parfaitement claires sur les six années à venir, l’Armée de terre souffre, également, d’un état-major dans lequel les forces légères, Légion, troupes de marine et parachutistes, sont sur-représentées par rapport aux unités de ligne, en particulier les chars de combat.

Ainsi, ces 10 dernières années, l’Armée de terre a été commandée par un parachutiste (Gal Bosser), un légionnaire (Gal Burkhard) et un TdM (Gal Schill), alors que le poste de Major Général a été assumé par deux parachutistes (Gal de La Chesnais et Gomart), un génie (Gal Quevilly), et deux cavaliers (Gal Barrera et Béchon), mais ayant fait leurs armes, pour l’essentiel, dans la cavalerie légère.

Par ce tropisme pour les forces légères et de manœuvre, les impératifs de modernisation touchant l’ensemble des équipements, dont l’omniprésente gamme de blindés médians, l’historique opérationnel récent et les contraintes budgétaires, il n’est guère surprenant que les capacités de ligne françaises, chars de combat, artillerie lourde et infanterie mécanisée, n’ont guère été au centre des préoccupations de l’état-major de l’Armée de terre.

Ainsi, alors que ces moyens sont au cœur du conflit en Ukraine contre la Russie, ils sont les parents pauvres des efforts consentis par l’Armée de terre dans la LPM 2024-2030, avec une modernisation limitée de 160 Leclerc seulement, la commande de 109 Caesar MkII appelés à former la totalité de l’artillerie de 155 mm de l’AT et l’absence de modernisation des VBCI.

La stratégie de KNDS loin des attentes françaises qui lui ont donné naissance

À ces considérations purement militaires et budgétaires, s’ajoutent une probable déception politique, concernant la stratégie, pourtant pertinente, établie par KNDS, autour des Leopard 2A-RC 3.0 et Leclerc Evolution, en préparation du MGCS.

Leopard 2A-RC 3.0 par KNDS Deutschland
Le char Leclerc 2A-RC 3.0 présenté par KNDs Deutschland au salon Eurosatory 2024. Laisser le marché mondial à ce seul char de KNDS provoquerait un grave déséquilibre entre les parties françaises et allemandes dans l’entreprise, et pourrait compromettre les équilibres indsutriels autour du programme MGCS.

En effet, initialement, la fusion entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, voulue par Jean-Luc Le Drian et Ursula van der Leyen, avait pour objectif de rapprocher les programmes de R&D et de production dans le domaine des armements terrestres, en particulier pour les armées des deux pays. Le programme MGCS devait servir de pivot entre les deux entreprises, et les deux armées, pour donner naissance à cette dynamique.

Rapidement, cependant, il devint évident que les attentes des deux armées, comme les marchés des deux entreprises nationales, n’avaient qu’une surface de recoupement très faible.

Ces divergences tinrent le rôle de frein concernant le programme MGCS, presque à l’arrêt pendant cinq ans, sur fonds de divergences des attentes des armées des deux pays, et de tensions portant sur le partage industriel, plus précisément entre Nexter et Rheinmetall, après que ce dernier fut imposé au programme par le Bundestag, en 2019.

La réponse de KNDS, à ce constat, aura été pertinente, bien qu’inattendue. En effet, plutôt que de rester chacun chez soi, des deux cotés du Rhin, KMW et Nexter entreprirent de developper une offre globale, complémentaire et structurée, pour couvrir le plus de besoins possibles avec la plus grande valeur ajoutée.

À ce sujet, la présentation du Leclerc Evolution a représenté, en quelque sorte, le coming-out de Nexter, concernant cette stratégie industrielle et commerciale, presque à l’opposée des objectifs politiques initiaux, en revendiquant des développements différenciés, et non commun, au profit d’une offre élargie, et non standardisée.

Une LPM sous contrainte et le flou politique interdisent tout opportunisme industriel

Si les biais de l’état-major de l’Armée de terre, et la possible irritation politique liée à la stratégie révélée de KNDS, jouent certainement un rôle important, dans le refus avancé de se tourner vers le Leclerc Evolution, c’est, sans le moindre doute, les contraintes budgétaires, liées à l’exécution de la LPM 2024-2030, qui constituent le frein le plus important, et le plus efficace, à son encontre.

Canon caesar Mk2
L’Armée de terre va remplacer ses canons Caesar Mk1 et ses derniers AuF1, par 109 Ceasar Mk2 lors de la LPM 2024-2030.

En effet, bien qu’avec 413 Md€ planifiés pour les armées sur cette période, l’effort de renouvellement et de modernisation est évident et palpable, la LPM est, cependant, à ce point optimisée, que libérer des crédits pour développer et acquérir, ne serait-ce qu’une centaine de nouveaux chars, apparait hors de portée de l’Armée de Terre, comme du ministère des Armées.

Et s’il existe des clauses de revoyures, en particulier en 2026, pour adapter la LPM aux évolutions des besoins des armées, il convient de garder à l’esprit que l’enveloppe globale, elle, est peu susceptible d’évoluer, tout au moins de manières significatives. Pour y parvenir, il serait nécessaire que l’exécutif opère un changement d’objectifs pour la suite de la LPM, et augmente les investissements prévus, dans le cadre de cette LPM.

Or, le flou politique qui s’est abattu sur la France ces dernières semaines, et qui pourrait bien perdurer au-delà des élections législatives anticipées, rend difficile, pour ne pas dire improbable, qu’un changement de trajectoire puisse être opéré, à ce sujet, dans les mois à venir.

L’Armée de terre et KNDS ne doivent pas rater l’opportunité du Leclerc Evolution

Pourtant, le nouveau Leclerc représente une opportunité unique, afin de permettre à KNDS France, de devenir, à nouveau, un acteur majeur, à l’échelle mondiale, dans le domaine des blindés chenillés lourds, et des chars de combat en particulier, et pour l’Armée de terre, de recoller aux capacités d’engagement de ligne en matière de haute intensité.

En effet, comme évoqué précédemment, le char dispose d’atouts significatifs, pour séduire sur la scène internationale, ce d’autant qu’il serait présenté là où le Leopard 3 n’ira pas, et vice-versa. En d’autres termes, le char bénéficierait d’un positionnement concurrentiel particulièrement attractif, face au K-2 Black Panther sud-coréen, au T-90MS russe, au VT-4 chinois, et même face au M1E3 américain.

T-90MS Bishma
Le T-90MS demeure très attractif sur la scène internationale, avec un prix d’acqusition inférieur à 5 m$.

Plus performant que les modèles russes, chinois et sud-coréens, il sera, en revanche, sensiblement moins cher que le nouvel Abrams américain, tout en arrivant, sur le marché, avec plusieurs années d’avance, pour peu que la France réagisse suffisamment vite.

Qui plus est, cela permettrait à KNDS de recoller au tempo de la demande, après avoir subi les affres de la contre-programmation avec le Leclerc, arrivé sur un marché atone avec la fin du bloc soviétique, et qui, par ailleurs, s’interrogeait sur l’intérêt du char, après la guerre du Golfe et surtout la première guerre de Tchétchénie.

Cela mettrait, par ailleurs, KNDS France sur un pied d’égalité avec KNDS Deutschland dans le cadre du programme MGCS, en jouant un rôle similaire sur le marché mondial du char de combat, et en maturant effectivement certaines technologies clés, comme l’équipage à quatre membres et le canon Ascalon.

Quant à l’Armée de terre, elle disposerait d’un char de combat, même en petite quantité, particulièrement adapté au combat moderne de haute intensité, susceptible d’évoluer dans les environnements difficiles, comme le long d’une ligne d’engagement figée ou en zone urbaine.

Par ailleurs, l’arrivée de 100 ou 120 Leclerc Evolution, un nombre suffisant pour lancer la production, donc la carrière internationale du blindé, permettrait de décaler autant de Leclerc MLU, par exemple, pour armer des régiments de réservistes, et ainsi, disposer d’une réelle capacité de rotation.

Usine Nexter KNDS France Bourges
Usine Nexter de Bourges.

Le Leclerc Evolution permettrait, enfin, à l’Armée de terre comme à la BITD française, d’obtenir de nombreux retours d’expérience, pouvant influencer de manière pertinente le programme MGCS, tant pour le dérisquer que pour le doter de nouvelles capacités optimisées.

Dans le cas contraire, l’armée de terre devra aller jusqu’en 2045 avec ses Leclerc actuels, qui n’auront plus de potentiel opérationnel significatif d’ici à quelques années, et l’arrivée des premiers chars de génération intermédiaire. Elle sera, ainsi, tout autant privée de moyens opérationnels que de la possibilité de faire évoluer son expertise et sa doctrine, dans un monde dans lequel les tempos technologiques et tactiques évoluent très rapidement.

Quant à KNDS France, l’industriel aura perdu, en grande partie, son expertise et sa crédibilité dans le domaine des blindés lourds, pour n’avoir plus vendu de chars, ou de blindés chenillés, depuis les Leclerc émiratis. Dans le même temps, KNDS Deutschland fera, sans le moindre doute, de son Leopard 3 un succès, avec le risque de déclasser la BITD terrestre française, y compris face à Rheinmetall, si le KF51 trouvait preneur.

Changer les paradigmes du programme Leclerc Evolution pour pouvoir lui donner naissance

Que faire, lorsque s’impose la nécessité de développer et de mettre en œuvre le Leclerc Evolution en France, alors que les contraintes budgétaires et politiques l’interdisent ? En effet, il apparait de ce qui précède, que le char de KNDS France, se trouve dans une impasse, en dépit d’un potentiel industriel et opérationnel indéniable.

La solution la plus évidente serait une décision politique en faveur d’une hausse des crédits de défense à relativement courts termes, pour financer la conception du char et sa commande pour les armées françaises. Cependant, celle-ci est peu probable, puisqu’aucun des programmes des trois formations politiques, en tête des sondages pour les législatives anticipées, envisage une telle hypothèse.

Leclerc Emirats arabes unis
Les Emirats arabes unis ont employé leurs Leclerc EAU au Yemen, contre les rebelles Houthis. Les retours d’experiences des armées émirati ont été positifs concernant le char français .

Une coproduction, sous la forme d’un marché conjoint signé entre plusieurs pays européens, pourrait, en revanche, en faciliter l’émergence. Ainsi, à l’image de l’accord signé entre Paris, Zagreb et Tallinn, au sujet des Caesar ; entre la France, la Belgique, Chypre, l’Estonie et la Hongrie, pour les missiles Mistral 3 ; ou avec la Grèce, pour les frégates FDI, Paris peut tenter de trouver des partenaires susceptibles d’étendre l’assiette du programme, et de porter une part des couts de développements.

En Europe, la Grèce, qui doit remplacer un grand nombre de ses blindés, y compris ses chars, et qui dispose d’une industrie de défense terrestre, et la Belgique, partenaire de la France dans le cadre du programme CaMo, pourraient rejoindre un tel programme.

Hors d’Europe, les Émirats arabes unis, unique client export du Leclerc, l’Égypte, à qui le Leclerc Evolved a déjà été présenté sous la forme de l’EMBT 2022, ou l’Inde, qui doit remplacer un millier de ses T-72, peuvent également être sensibles à une telle ouverture.

Rappelons que si le retour budgétaire, sur les dépenses d’état, dans le domaine de l’industrie de l’armement, s’établit autour de 50 % pour un char comme le Leclerc Evolution, qui repose sur certains composants importés (Moteur MTU, APS Trophy), celui-ci atteint 85 à 90 % lorsque les montants exportés sont équivalents à ceux investis.

En d’autres termes, si Paris commandait 200 Leclerc Evolution, et parvenait, par l’intermédiaire des nouveaux modèles de coopération industriel de défense, à exporter 200 exemplaires, le cout final, sur le budget de l’État, ne dépasserait pas les 15 % des montants investis par la France, dans ce programme, soit moins de 500 m€, pour entièrement renouveler la composante chars lourds de l’Armée de terre, tout en libérant les moyens matériels pour trois régiments de chars de réserve.

Conclusion

On le voit, il ne fait guère de doutes que le char Leclerc Evolution, présenté par KNDS lors du salon Eurosatory 2024, représente une réelle opportunité, tant pour l’industriel et l’ensemble de la BITD terre française, que pour l’Armée de terre, fut-elle quelque peu rétive à franchir le pas.

KNDS Leclerc Evolved Eurosatory 2024
Leclerc Evolved de KNDS présenté au salon Eurosatory (Photo F. Dosreis)

Toutefois, pour se saisir de ces opportunités, il serait, très certainement, indispensable de faire évoluer plusieurs des paradigmes clés concernant l’acquisition des équipements de défense, et surtout, l’anticipation de la soutenabilité budgétaire de la démarche.

En effet, pour peu qu’il soit possible de sécuriser un volume de commandes à l’export, équivalent au montant des investissements français dans ce programme, il s’avère que le mur qui semble se dresser entre l’Armée de terre, le Leclerc Evolution et sa carrière internationale, pourrait être en grande partie contourné, au point d’être soutenable, y compris pour les caisses de l’État sous tension.

Reste que pour faire de ce programme un véritable succès, un dernier paramètre, celui du temps, doit être pris en considération. En effet, lancer la production du nouveau Leclerc, pour l’Armée de terre, comme pour le marché export, n’a d’intérêt que si elle intervient dans les quelques années à venir, concomitamment au Leopard 2AX/3 allemand, et avant le M1E3 américain.

Faute de quoi, le marché se sera rapidement restructuré autour des nouveaux chars allemands et américains, ainsi que des modèles sud-coréens, turcs, russes ou chinois, ne laissant, comme ce fut le cas pour le Leclerc, qu’un marché saturé en perspective.

La question est donc de savoir si le ministère des Armées, comme le ministère du Budget et de l’économie, sauront faire preuve de la souplesse comme de la vélocité suffisante, pour effectivement permettre à l’industrie de défense française, KNDS France en particulier, de réinvestir le marché des chars de combat et des blindés lourds chenillés, dans un marché plus porteur que jamais ?

Article du 21 juin en version intégrale jusqu’au 3 aout 2024.