En avril, la France et l’Allemagne ont signé un protocole d’accord visant à relancer leur projet commun de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], alors bloqué par des désaccords entre les principaux industriels concernés depuis près de sept ans.
Ainsi, pour garantir un partage équitable des tâches, il a été décidé de réorganiser ce projet selon huit piliers capacitaires distincts et de créer une société de projet réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall. Quant aux choix technologiques à l’origine des querelles entre les industriels, ils devront n’être faits qu’après une évaluation des solutions proposées. Et cela vaut notamment pour le canon du futur char de combat sur lequel reposera le MGCS.
Pour rappel, KNDS France a soumis le système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], capable de tirer des obus de 120 et de 140 mm ainsi que des « munitions intelligentes pour des tirs au-delà de la vue directe » tandis que Rheinmetall défend son canon de 130 mm, lequel doit équiper la tourelle de son char KF-51 « Panther » qui, dévoilé en 2022, est en passe d’être retenu par l’armée italienne.
Seulement, cette « compétition » inquiète les parlementaires français, quel que soit leur bord politique. C’est ainsi le cas du député François Cormier-Bouligeon, qui s’en est ouvert dans son avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion ». Même chose pour les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret. Dans un récent rapport, ils ont avancé que l’ASCALON risquait d’être « écarté de toute perspective de commercialisation afin de préserver le ‘leadership’ de Rheinmetall et KNDS Deutschland « . Cela « interroge sur l’intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS », ont-ils même insisté.
Cela étant, le MGCS ne doit pas être considéré comme étant seulement le successeur des chars Leclerc et Leopard 2 dans la mesure où il s’agit de développer une « famille de systèmes » [chars, drones, robots, etc.] devant reposer sur un « cloud de combat ».
Par ailleurs, ce Système principal de combat terrestre ne devant pas être opérationnel avant 2040 au plus tôt, la question du maintien en service du Leclerc jusqu’à cette échéance se pose. De même que celle d’une éventuelle « solution intermédiaire », censée faire le « pont » entre le Leclerc et le MGCS. Ce qui a été proposé par Nicolas Chamussy, le PDG de KNDS France, en mai 2023.
Lors d’une audition sur l’économie de guerre, à l’Assemblée nationale, le 4 décembre, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, n’a pas coupé à une question sur l’avenir du MGCS.
« Sur le char lourd c’est une préoccupation. D’abord, je l’ai dit et je continue à la dire : on ne fait pas n’importe quoi et on a étudié évidemment le fait de pouvoir prolonger, jusqu’en 2040, le Leclerc. On se donne les moyens de se donner du temps », a répondu M. Chiva.
« Le MGCS n’est pas le successeur du Leclerc et il ne préfigure en rien la nature du char lourd. Le MGCS, c’est des moyens de combat terrestre, avec des ailiers scorpionisés, dronisés, dans un cloud de combat », a-t-il ensuite rappelé.
Ce qui ouvre éventuellement la voie à la coexistence de deux chars différents au sein de ce « système de systèmes ».
« On peut se dire que les Allemands pourraient avoir un char lourd différent du char lourd français au sein du même projet. Ça ne me choquerait pas. Ça serait financé sur fonds propres », a en effet affirmé M. Chiva, laissant ainsi entendre que l’initiative reviendrait à KNDS France, qui fait justement la promotion du Leclerc Evolution, doté du système ASCALON.
« Dans le cadre du projet [MGCS], ce que l’on essaie d’avoir, c’est cette architecture de système qui nous permet[tra] de préparer le système de combat futur », a enchaîné le DGA, qui a ensuite évoqué un « plan B », sans plus de précision.
« On soutient nos champions français, qui innovent sans arrêt. Je pense notamment au canon ASCALON, qui est une innovation majeure. […] On a un nombre de possibilités aujourd’hui qui nous permettent de palier le fait que l’on a arrêté des chaînes de production. […] Ce n’est pas en deux ans qu’on résout tous les problèmes mais la Loi de programmation militaire, dans sa déclinaison du combat blindé, est faite justement pour nous éviter toute rupture capacitaire », a conclu M. Chiva.
L’Australie devrait commencer à planifier l’acquisition d’au moins 12 sous-marins de la conception française Suffren. Le plan actuel d’AUKUS pour huit sous-marins d’attaque à l’arme nucléaire (SSN) a toujours été imparfait, et maintenant ses risques s’accumulent.
Nous devrions aller de l’avant avec les aspects de l’opération navale du plan SSN AUKUS, tels que le soutien aux sous-marins américains et britanniques lorsqu’ils arrivent en Australie. Mais pour l’effort d’acquisition, nous devrions être prêts à abandonner le plan d’achat de huit SSN sous AUKUS – trois aux États-Unis que Washington a de plus en plus de chances de fournir, et cinq qui sont censés être construits selon un design britannique surdimensionné et probablement pas arriver à temps.
Au lieu de cela, nous commencerions un programme de construction franco-australen pour un plus grand nombre de sous-marins de la classe Suffren, un design qui est déjà en service avec la marine française.
Pour garantir que les livraisons puissent commencer dès 2038, le gouvernement australien qui est élu l’année prochaine devrait s’engager à décider en 2026 s’il convient de passer à la conception française.
Même si le plan d’acquisition d’AUKUS réussit, il fournira une capacité discutable. La conception des sous-marins serait un mélange de deux blocs de sous-marins de classe Virginia, à plus de 14 ans de conception, et de SSN-AUKUS encore à concevoir en utilisant le réacteur PWR3 de la Grande-Bretagne. En outre, SSN-AUKUS serait en partie construit par l’entreprise sous-marine britannique sous-marine qui est sous forte pression pour livrer la prochaine classe de sous-marins de missiles balistiques de la Royal Navy.
Déplaçant plus de 10 000 tonnes, les sous-marins SSN-AUKUS seront trop importants pour les besoins de l’Australie. Leur taille augmentera leur détectabilité, leur coût et leurs équipages. (La grande taille semble être entraînée par les dimensions du réacteur.)
La marine royale australienne est déjà incapable d’équiper ses navires et de croître pour répondre aux besoins futurs. Il aura de grandes difficultés à équiper des Virginias, qui ont besoin de 132 personnes chacun, et les bateaux SSN-AUKUS, aussi, si leurs équipages sont égaux à la quelque 100 choses nécessaires pour l’actuelle classe d’Astute britannique.
Nous n’avons pas encore vu de calendrier pour le processus de conception britannique, pas plus qu’une équipe de conception conjointe ne semble avoir été établie. En l’absence de nouvelles que les jalons ont été atteints ou même fixés, il est très probable que le programme SSN-AUKUS, comme le programme Astute, fonctionnera tard et fournira un bateau de première classe avec de nombreux problèmes. Sachant que la Revue stratégique de la défense de la Grande-Bretagne est aux prises avec de graves déficits de financement, il n’est guère insufflé de confiance.
En outre, huit SSN suffiront à maintenir le déploiement d’un ou deux à tout moment, ce qui n’est pas suffisant pour un moyen de dissuasion efficace. La difficulté de formation des équipages et la mise en place de l’expérience acquise dans trois conceptions de sous-marins renforcerait les défis évidents de la chaîne d’approvisionnement pour parvenir à une force opérationnelle.
Il est moins probable que même cette capacité insuffisante soit moins probable. Les rapports du récent US Navy Submarine League Symposium révèlent que les États-Unis n’ont cessé d’augmenter les taux de construction sous-marin. À présent, un sous-marin supplémentaire aurait dû être commandé pour couvrir le transfert d’un bloc IV de Virginie en Australie dans huit ans, mais aucun contrat n’a été passé. Pire encore, la production de Virginie des deux constructeurs sous-marins américains se ralentit en fait en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement. Le programme de construction de la construction la plus prioritaire des États-Unis, pour les sous-marins de type missiles balistiques de classe Columbia, continue de subir des retards. Fin novembre, la Maison Blanche a demandé un financement d’urgence au Congrès pour les programmes de Virginie et de Columbia.
Cette situation signale de plus en plus probable que, malgré tous ses efforts, la marine américaine ne sera pas en mesure d’épargner des Virginias pour la vente à l’Australie. Le président de l’époque ne sera probablement pas en mesure, comme l’exige la législation, de certifier 270 jours avant le transfert, il ne dégradera pas les capacités sous-marines des États-Unis.
Pendant ce temps, l’establishment de soutien sous-marin britannique a des difficultés à amener les SSN à la mer. Un incendie récent affectant la livraison de la classe Astute finale SSN ne peut que s’ajouter à ces malheurs.
La classe SSN française Suffren était la conception de référence pour la classe d’attaque diesel que l’Australie avait l’intention d’acheter avant de passer à des SSN. Il offre la solution à nos problèmes d’AUKUS. Il est en production par Naval Group, avec trois des six sous-marins prévus en cours de commande dans la marine française.
À 5 300 tonnes et avec une endurance de 70 jours, une capacité de 24 torpilles ou missiles, quatre tubes torpilleurs et un équipage de 60, il serait moins cher de construire, de posséder et d’équipage que les bateaux AUKUS. La conception est flexible – optimisée pour la guerre anti-sous-marine, mais avec une bonne capacité de navires anti-surfaces à partir de torpilles à double usage et de missiles de croisière anti-navires. Il peut également transporter des missiles de croisière, des mines et des forces spéciales.
La classe Suffren utilise du combustible d’uranium faiblement enrichi et a besoin de se ravitailler tous les 10 ans, tandis que les modèles américains et britanniques, avec de l’uranium hautement enrichi, sont censés ne jamais être ravitaillés. Mais le réacteur de Suffren est conçu pour simplifier le ravitaillement, qui pourrait être achevé lors d’un réaménagement prévu en Australie. Le carburant usagé peut être retraité, ce qui simplifie le déclassement en fin de vie.
Il est vrai que la conception de Suffren n’a pas la charge d’arme, les tubes de lancement verticaux ou l’endurance de 90 jours de la Virginie et, vraisemblablement, SSN-AUKUS. Cependant, en tant que parent à propulsion nucléaire de la classe Attack, il est beaucoup plus proche de l’exigence initiale australienne de remplacement de la classe Collins que SSN-AUKUS est en train de s’éteindre. La conception offre une capacité adéquate aux besoins de l’Australie dans un ensemble que nous pouvons nous permettre de posséder. Nous pourrions utiliser 12 Suffrens et nous avons encore besoin de moins de membres d’équipage que nous ne le ferions dans le cadre du plan AUKUS.
Si nous nous sommes tournés vers la conception de Suffren, nous devrions néanmoins nous en tenir aux programmes d’entraînement SSN que nous avons mis en place avec l’US Navy et la Royal Navy. Nous devrions également aller de l’avant avec la mise en place d’une installation de réparation intermédiaire qui soutiendrait leurs NDS ainsi que les nôtres et les faire tourner vers l’Australie-Occidentale.
En ce qui concerne le plan d’acquisition d’AUKUS, nous devons commencer dès maintenant les préparatifs pour construire conjointement des Suffrens avec la France. L’Australie ne peut pas attendre que les États-Unis disent enfin que les Virginias ne seront pas disponibles.
Dans la mesure où la conception a besoin d’être modifiée, nous pouvons revenir au travail accompli pour la classe Attack, en particulier l’intégration d’un système de combat américain et des normes australiennes.
Difficile, difficile et politiquement courageux ? Assurément. Mais ce n’est pas presque aussi improbable que les SSN sous AUKUS à l’heure.
Peter Briggs est un spécialiste sous-marin à la retraite et un ancien président du Submarine Institute of Australia.
Image du SSN Suffren français : Ministère français des forces armées.
Retour sur la décision du président américain sortant, Joe Biden, et de son homologue anglais, Keir Starmer, d’autoriser les forces armées ukrainiennes à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadows contre l’Oblast russe de Koursk. Une décision qui a déclenché une riposte « appropriée » de Moscou assimilée à une menace nucléaire et à une déclaration de guerre de la Russie aux pays de l’OTAN devenus de facto belligérants.
Les 20 et 21 novembre derniers, Joe Biden et Kern Stammer ont autorisé l’Ukraine à utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow capables d’atteindre 300 km pour frapper le territoire russe. La motivation officielle de cette décision aurait été de dissuader la Corée du Nord d’envoyer davantage de troupes et de faire dérailler la contre-attaque russe à Koursk, en train de porter ses fruits après un étrange retard. Et même la France, qui a déjà fourni des missiles à longue portée à l’Ukraine, a déclaré qu’autoriser Kiev à frapper des cibles militaires en Russie, voire même à envoyer une force européenne au sol, restait une option sur la table. De son côté, la président russe Vladimir Poutine a estimé qu’étant donné que les forces ukrainiennes ne peuvent pas utiliser les missiles occidentaux seules, elles ont forcément été appuyées par des spécialistes militaires des pays fournisseurs (Etats-Unis, Grande-Bretagne, etc) pour insérer les données de renseignement nécessaires au ciblage.
Ceci a entraîné la décision de Vladimir Poutine de riposter de façon « appropriée » en testant un missile « Oreshnik » RS26 de portée intermédiaire (IRBM) et hypersonique. Conçu pour emporter 6 ogives nucléaires, ce missile, lancé avec de simples explosifs conventionnels, a été testé et utilisé comme un avertissement quant à la capacité de Moscou à viser avec des armes nucléaires ou pas – et sur une distance de 5500 km – n’importe quel point de l’Ukraine et n’importe quelle capitale occidentale. En juin dernier, lors d’une réunion avec des représentants d’agences de presse internationales, alors que ces missiles occidentaux étaient déjà utilisés en Ukraine et en Crimée annexée contre des objectifs russes, Poutine avait déjà émis l’hypothèse que Moscou pourrait réagir en fournissant à son tour des missiles “dans les régions du monde d’où seront lancées des attaques sensibles sur les sites des pays qui fournissent des armes à l’Ukraine“. Ces derniers jours, cette menace s’est accentuée et se dirige désormais directement vers des cibles occidentales, d’où le risque de « III guerre mondiale » agité par les médias et nombre de commentateurs. Maintes voix ont également exprimé leur étonnement concernant la décision de Biden de monter d’un cran le degré de belligérance alors que le peuple américain a voté pour un président élu ayant promis de faire la paix. Qu’en est-il vraiment ?
Premièrement, il faut garder à l’esprit que la guerre psychologique a toujours été partie intégrante de la guerre. De ce point de vue, deux mois avant que le supposé non-interventionniste Donald Trump entre en fonction (20 janvier), chaque camp, celui pro-Ukraine et la Russie, a intérêt à exercer des pressions maximales sur les dirigeants et les populations respectives, afin d’arriver à la table des négociations tant annoncées avec le meilleur rapport de force concret et psychologique. C’est ainsi qu’il faut comprendre les propos menaçants des proches de Poutine qui ont avoué que le but est de faire « tressailler de peur » l’Occident (Kadyrov, Medvedev). Poutine lui-même a déclaré : « nous nous considérons pleinement fondés à employer nos armes contre les infrastructures militaires des pays qui autorisent l’usage des leurs contre nos propres installations (…). Je recommande vivement aux élites dirigeantes des pays qui envisagent de déployer leurs contingents militaires contre la Russie d’y réfléchir à deux fois », dans son discours de 8 minutes. Maniant le chaud et le froid, Vladimir Poutine a également dit dans son discours-avertissement, spécialement aux Anglais et aux Etats-Unis, mais aussi implicitement à la France, que la Russie serait « toujours prête, aujourd’hui encore, à résoudre tous les différends de cette manière » par le dialogue, mais en précisant que Moscou pourra « affronter tous les développements possibles que pourraient occasionner les événements en cours. Et si certains en doutent encore, ils ont bien tort de le faire. La Russie répliquera toujours »… La peur est en fait une arme qui peut s’avérer efficace, car, comme on l’a vu avec la victoire de Donald Trump et de sa nouvelle équipe, notamment Vence, Kennedy et Musk, on sait que la promesse de paix – et donc la peur de la guerre – a motivé nombre d’Américains démocrates et républicains à voter Trump afin d’éviter la « troisième guerre mondiale », expression-épouvantail d’ailleurs utilisée le 20 novembre par Trump Junior sur les réseaux sociaux. Il convient donc de relativiser la gravité certes réelle de la situation.
D’un autre côté, il serait imprudent de réduire les avertissements de Poutine à un simple bluff, car l’histoire regorge d’exemples selon lesquels les menaces et surenchères créent des engrenages guerriers infernaux. Toutefois, les dirigeants des deux camps, et même le soi-disant fou Kim Jong Un Guide suprême de Corée du Nord, ne sont pas des jihadistes candidats au suicide. Ils aiment la vie, la chair, le luxe, ont des familles, des intérêts et donc un désir de survie, comme l’expliquait inlassablement mon ami et maître le géostratège Pierre Marie Gallois, inventeur de la dissuasion nucléaire française dite « du faible au fort ». Ils n’ont donc pas l’intention de déclencher le feu nucléaire final, du moins jamais contre une autre alliance ou puissance nucléaire plus forte ou aussi forte qu’eux. Il est certes aussi vrai que la nouvelle doctrine nucléaire qui a été approuvée par Vladimir Poutine le 26 septembre dernier prévoit une éventuelle «réponse nucléaire contre tout pays qui attaquerait la Russie même s’il ne possède pas d’armes atomiques mais qui serait soutenu par des puissances nucléaires », ce qui est exactement le cas de l’Ukraine, aidée par des pays de l’Otan – dont trois sont des puissances nucléaires et d’autres abritent des ogives nucléaires. Toutefois, malgré la gravité apparente de la situation, il faut raison garder et rappeler qu’aucun déplacement d’ogive nucléaire stratégique n’a été détecté pour le moment et que l’essai du missile hypersonique RS26 russe du 22 novembre a été effectué – comme un essai précédent en Sibérie d’ailleurs – après en avoir informé les Occidentaux afin qu’ils sachent qu’il ne s’agissait pas d’une attaque nucléaire tournée contre une capitale européenne ou ouest-américaine. De la même manière, en autorisant depuis des mois les Ukrainiens à frapper les forces russes avec des missiles de 250 à 300 km, les Occidentaux ont toujours annoncé par avance leur décision de façon directe ou progressive, comme cela s’est passé avec les Storm Shadow et ATACMS américains, dans le cadre d’une « communication » stratégique et médiatique qui a à chaque fois laissé le temps aux troupes russes de se préparer et de déplacer hommes, munitions ou autres engins de guerre.
Le message de guerre psychologique de Vladimir Poutine, qui sait déjà que l’administration Trump pourrait lui laisser les terres ukrainiennes actuellement conquises – Crimée incluse – est de faire comprendre que c’est une erreur de penser qu’il bluffe et que l’on peut « désanctuariser » impunément le sol d’un pays nucléaire, comme cela s’est produit depuis le 6 août dernier avec l’incursion ukrainienne vers Koursk, et comme on le voit avec l’autorisation de frapper le sol russe sur un rayon de 300 km. De ce point de vue, la révision de la doctrine nucléaire puis l’essai du 22 novembre dernier sont destinés à réintroduire une effectivité de la dissuasion qui aurait été apparemment érodée. D’une certaine manière, on peut dire que Russes et Américains procèdent depuis des jours, plus encore qu’avant, à un « dialogue stratégique in vivo et in concreto ». La Russie a donc logiquement averti les États-Unis (via le Centre national russe pour la réduction des risques nucléaires), plus d’une demi-heure avant le lancement du missile hypersonique, dans le cadre d’un système d’échange automatique visant à « maintenir une communication constante » avec un système du camp adverse, selon les propres termes du porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.
Face aux capitales pro-ukrainiennes qui estiment que la sanctuarisation nucléaire du territoire russe peut être violée sans conséquences graves, alors que pendant toute la guerre froide l’OTAN n’a jamais tenté de pénétrer « l’étranger proche russe » ou foulé le sol des pays membres du Pacte de Varsovie, d’autres Etats – même pro-ukrainiens, comme l’Italie – prennent au sérieux les avertissements poutiniens : le ministre des Affaires étrangères transalpin, Antonio Tajani, a ainsi déclaré qu’il refusait que l’Ukraine utilise des armes italiennes sur le sol russe. De même, l’Allemagne, plus grand contributeur de l’UE à l’effort de guerre ukrainien, a confirmé par la bouche de son chancelier, Olaf Scholz, que les missiles de croisière Taurus ne seraient jamais fournis à Kiev. Mieux, Scholz a téléphoné à Poutine immédiatement après la chute de son gouvernement, en parlant de nécessité de dialogue, ceci au grand dam des pays les plus antirusses, la Pologne et les pays Baltes. Quant au trio Autriche-Slovaquie-Hongrie, ce dernier pays présidant l’UE jusqu’au 31 décembre et ayant présenté à Donald Trump un plan de paix en juin dernier, il ne veut absolument pas participer à l’escalade et souhaite continuer à bénéficier du gaz russe par oléoduc. Ce trio est d’accord sur ce point avec Angela Merkel qui a avoué dans ces mémoires, parues ces jours-ci, puis dans des interviews récentes, que l’économie allemande a besoin du gaz russe bon marché par gazoducs pour que son économie et son industrie demeurent compétitive. Le chancelier Scholz a ouvertement reconnu lui-même que la reprise des relations avec Moscou permettrait de sauver l’Allemagne d’une crise économique énergétique provoquée par les sanctions sur les hydrocarbures russes. Une vision partagée plus clairement encore non seulement par la droite allemande ultra de l’AFD mais aussi par la gauche souverainiste de Sarah Wangenknecht, les deux étant en pleine ascension électorale, surtout en Allemagne de l’Est, certes, mais de plus en plus dans d’autres Landers également.
Deuxièmement, il convient de relativiser la potentielle escalade inhérente aux autorisations occidentales de frapper le territoire russe et à la riposte russe par le test du missile hypersonique. L’autorisation faite aux Ukrainiens d’utiliser des missiles ATACMS et Storm Shadow contre le territoire russe ne changera pas plus la donne et les rapports de force que cela n’a été le cas lorsque ces armes ont été utilisées depuis des mois contre la Crimée et des forces russes dans le Donbass. Non seulement ces missiles ont souvent été abattus par la défense aérienne russe, mais ils ont été livrés en nombre très limités aux forces ukrainiennes. Par ailleurs, l’arrivée sur le front russe de militaires nord-coréens, qui a servi de prétexte à Washington pour justifier l’autorisation des ATACMS contre la Russie, a été exagérée par le camp pro-ukrainien, car si la présence de 10 000 soldats nord-coréens sans expérience du combat et armés de 70 canons et lance-roquettes est avérée, cela demeure infime par rapport aux 700 000 soldats russes au total équipés de 2 000 pièces d’artillerie sur la ligne de front. Et les reporters sur place le long du front ont plus vu de mercenaires colombiens que de Nord-Coréens. En réalité, pour ne pas avoir à trop dégarnir ses troupes en pleine progression dans l’Oblast de Doniesk, les forces russes tentent de récupérer les terres du sud occupées par les Ukrainiens dans l’oblast de Koursk avec le minimum de troupes du Donbass et le maximum de forces intérieures et de mercenaires. Enfin, le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, et le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, ont souligné à quel point l’utilisation de l’ATACMS par les Ukrainiens était inutile puisque les aéroports russes et autres bases d’importance stratégique sont situés bien hors de leur portée.
Revenons maintenant sur le discours du maître du Kremlin, qui a insisté sur un point d’histoire que l’Occident, Washington et l’Otan ont du mal à admettre, à savoir que « ce n’est pas la Russie, mais les États-Unis qui ont détruit l’architecture internationale de sécurité et, en poursuivant leurs combats, s’accrochent désespérément à leur hégémonie, entraînant la planète entière dans un conflit global ». La référence aux casus belli de la proposition faite à l’Ukraine en 2008 d’adhérer à l’OTAN, des soutiens occidentaux aux révolutions ukrainiennes antirusses de 2004 et 2014 – sans oublier la question des missiles antimissiles américains installés en Pologne et en Roumanie, rentre certes dans le registre d’une propagande de guerre psychologique visant à renverser les rôles et accuser l’Occident du bellicisme dont Moscou est justiciable. Toutefois, le propos peut malgré tout convaincre d’autant plus efficacement certains occidentaux épris de paix qu’il contient une part de vérité susceptible d’enfoncer un coin dans l’unité occidentale et de susciter une certaine empathie dans les pays du Sud global. Enfin, concernant la volonté russe de produire à nouveau et en masse des missiles à portée intermédiaire (5500 km) pouvant frapper toutes les capitales occidentales, sauf l’Australie et la Nouvelle Zélande, Poutine a rappelé que leur développement s’est effectué « en réponse aux programmes lancés par les États-Unis, consistant à produire et déployer en Europe et dans la région Asie-Pacifique leurs propres missiles de courte portée et de portée intermédiaire. Nous estimons que les États-Unis ont commis une erreur en 2019 lorsqu’ils ont déchiré, sur un prétexte fallacieux, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Aujourd’hui, les États-Unis ne se contentent pas de produire de tels équipements : ils ont entrepris, dans le cadre de leurs exercices militaires, le transfert de ces systèmes avancés vers différentes régions du monde, notamment en Europe, sans compter qu’ils s’entraînent à leur utilisation lors de leurs manœuvres ». L’allusion au projet de George Bush jrentre 2004 et 2008 de prépositionner dans toute l’Europe de l’Est des missiles et anti-missiles américains pouvant annuler la capacité d’interception ou de riposte russe (option certes réduite ensuite par Barak Obama à la Roumanie avant que la Pologne fasse de même en 2024), est ici évidente et participe aussi d’une tentative de renverser l’accusation de bellicisme originel. Du point de vue de Bruxelles et Washington, il s’agit là d’un pur narratif poutinien qui, même si l’extension de l’OTAN vers l’est et l’ingérence pro-démocratique en Ukraine sont indéniables, ne justifie aucunement la guerre d’agression russe en Ukraine et l’annexion de territoires d’un pays voisin dont Moscou avait reconnu à maintes occasion l’indépendance et les frontières depuis 1991.
En guise de conclusion : la paix annoncée par Donald Trump est-elle compromise pour autant ?
Pas forcément ! Premièrement parce que l’intensification des menaces et utilisations d’armes toujours plus efficaces et dissuasives des deux côtés du front ne signifie pas forcément une entrée dans la III -ème guerre mondiale, même si le risque n’est pas nul, mais rentre dans le contexte des dernières avancées et démonstrations de capacités de nuisance de part et d’autre avant l’ouverture prochaine de négociations annoncées par l’Administration Trump. Ensuite, il faut rappeler que, paradoxalement, cette montée en puissance – apparemment très inquiétante et « co-belligène – arrive dans un contexte global de possibles négociations imminentes. Il faut « tout faire pour mettre fin à la guerre en 2025 par la diplomatie en partant d’’une Ukraine forte’, a ainsi déclaré le président Volodymyr Zelensky, alors qu’il avait fait criminaliser dans la loi ukrainienne pareille idée et qu’il excluait toute négociation territoriale dans son fameux « plan de victoire ». Il a même été jusqu’à saluer parmi les premiers la victoire de Donald Trump et sa vision de la « paix par la force » et voit dans la nouvelle administration la perspective de sortir de la guerre par le haut, afin que cela n’apparaisse pas comme une trahison de sa part comme une décision du protecteur américain. Ceci en échange, bien sûr, de garanties pour l’avenir de la part des Etats-Unis, de l’OTAN et de l’UE. De son côté, Vladimir Poutine – lors de l’entretien téléphonique avec le chancelier allemand, Olaf Scholz, le 15 novembre dernier, a réitéré qu’un éventuel accord pour la fin du conflit doit “se baser sur les nouvelles réalités territoriales”, ou plutôt sur ce que Moscou a réalisé jusqu’à présent. Ceci paraissait totalement inacceptable et inaudible il y a encore un ou deux mois, et a fortiori durant l’été, lorsque l’Ukraine réussissait une incroyable percée en terre russe vers Koursk, mais elle est hélas devenue totalement réaliste pour les nationalistes ukrainiens maintenant qu’elle est au cœur du plan de paix du président américain élu et que les rapports de force sont nettement en faveur de l’armée russe, avec une progression accélérée dans l’oblast de Doniesk, partout sur la ligne de front, puis même dans l’Oblast de Koursk, où les troupes ukrainiennes reculent et subissent de lourdes pertes d’ailleurs peu médiatisées. Après l’appel téléphonique avec Scholz, le Kremlin a rappelé que Poutine – dans un discours au ministère des Affaires étrangères – a posé le retrait des forces ukrainiennes des quatre régions partiellement occupées (Donetsk, Lougansk, Zaporhizhia et Kherson) comme condition d’un cessez-le-feu. Or cette option é été clairement acceptée par Donald Trump, son vice-président J.D. Vence et la quasi-totalité de son équipe, néo-cons y compris, dont Marco Rubio. En fait, le plan de paix de Trump, qui s’est appuyé en partie sur celui présenté par Victor Orban en juillet dernier, prévoit des régions autonomes de chaque côté d’une zone démilitarisée, le renvoi dans au moins vingt ans de l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN ; une neutralisation totale du pays, des garanties de ne jamais redevenir une puissance nucléaire et une base de l’empire rival US, et un abandon des territoires russophones en cours de conquête par la Russie et annexés à cet effet. Il est clair que pour voir le jour, ce plan théoriquement inacceptable par Kiev, passe par une remise en question totale du “plan de victoire” de Zelensky qui a parlé au contraire d’”une invitation” de l’Alliance comme base fondamentale de la paix » …. Le président ukrainien devrait donc non seulement se dédire, donc s’auto délégitimer, mais il devrait agir en contravention non seulement du droit ukrainien mais surtout de la Constitution ukrainienne, laquelle interdit tout abandon de souveraineté, inscrit dans le marbre l’adhésion du pays à l’OTAN au plus vite, et assimile à une forfaiture le simple fait de vouloir changer la constitution sous l’influence directe ou indirecte de forces étrangères.
Pour ce qui est du « dindon de la farce » qu’est l’Union européenne, première victime des sanctions, en pleine récession, obligée de payer son gaz 3 à 5 fois plus cher que les États-Unis, et sur qui va peser le fardeau financier de la reconstruction de l’Ukraine, le plan Trump prévoit qu’elle devra prendre la place des États-Unis sur le front de l’aide militaire, ce qui impliquera de multiplier par deux les contributions annuelles – à ce jour autour de 20 milliards, soutenues en grande partie par l’Allemagne – et à un moment où, par ailleurs, l’économie n’est pas au mieux… Face au réalisme cynique du plan Trump, que d’aucuns comparent déjà aux accords de Munich signés avec Hitler par l’Anglais Neville Chamberlain en 1938, notamment, pour éviter en vain une guerre et en se déshonorant, l’effondrement de Kiev n’est pas une option pour de nombreux États membres de l’OTAN et de l’UE. Cela représenterait en effet, selon Bruxelles et les grandes capitales européennes, surtout les Pays-Baltes, la Roumanie et la Pologne, une menace existentielle pour leur sécurité, avec à la clef un double risque d’encourager la Russie à recommencer sa politique expansionniste dans l’avenir une fois son armée reposée et renforcée, puis d’autres pays aux appétits impérialistes à faire de même. En outre, les services de renseignement occidentaux estiment que si le pays se retrouvait aux mains des Russes, 10 millions d’Ukrainiens pourraient fuir vers l’Europe, avec un exode aux proportions bibliques. Un vrai dilemme « paix maintenant » versus « si vis pacem para bellum ». Un vrai casse-tête pour l’avenir de l’UE et la crédibilité de l’Alliance atlantique, mais que les partisans de l’America First sont déterminés à résoudre avec le triomphe de la Realpolitik et des accords bilatéraux sur les logiques multilatérales et les alliances globales désormais fragiles et inquiètes du risque d’arrêt brutal de leurs logiques d’expansion permanente et existentielles, bien que belligènes…
Le Rafale porté au standard F5 sera-t-il l’alternative au Système de combat aérien du futur [SCAF], développé dans le cadre d’une coopération associant la France à l’Allemagne et à l’Espagne ? Cette queston avait été posée au moment où les industriels impliqués – notamment Dassault Aviation et les filiales allemande et espagnole d’Airbus Defence & Space – se disputaient au sujet du partage des tâches et de la propriété industrielle. Finalement, un accord fut trouvé, ce qui permit de lancer la phase 1B du projet, celle-ci devant ouvrir la voie à un démonstrateur.
Pour rappel, le SCAF repose en partie sur un avion de combat de nouvelle génération [NGF – New Generation Fighter], connecté à des drones au sein d’un système d’armes du futur, appelé NGWS Next Generation Weapon System], via un « cloud de combat ».
Lors de ses dernières auditions parlementaires, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a indiqué que, en décembre, un sommet avec l’Allemagne et l’Espagne allait permettre de faire le point sur les progrès de ce projet, de présenter un démonstrateur et de « documenter la deuxième phase ».
« Nous devrons traiter des questions politiques, telles que l’export, mais aussi des questions opérationnelles : à quoi ressemble l’avion ? Quel est son poids, sa capacité à correspondre aux besoins de la dissuasion nucléaire française, à apponter sur un porte-avions ? », a résumé M. Lecornu devant les sénateurs.
Seulement, toutes les divergences n’ont pas été aplanies. C’est en effet ce qu’a laissé entendre le colonel Jörg Rauber, responsable du SCAF au sein du ministère allemand de la Défense, lors de l’Air Force Tech Summit 2024, un évènement organisé à Berlin, le 28 novembre.
Évoquant le NGWS, et selon des propos rapportés par le site spécialisé Hartpunkt, le colonel Rauber a ainsi affirmé que les trois pays impliqués « ne se sont pas encore mis d’accord sur une architecture commune parce qu’ils ont des besoins différents ».
Rappelant que le « NGWS est actuellement un programme technologique et non un programme d’armement », le colonel Rauber a également indiqué que la portée que devra avoir le NGF est « actuellement au centre des préoccupations » de la partie allemande. Ce qui suppose de développer un avion de combat plus imposant, sauf à recourir à des réservoirs externes qui ne pourraient que dégrader sa furtivité.
Cela étant, dans l’avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces » qu’ils viennent de publier, les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret ont estimé que le SCAF est « fragilisé » par le non-respect du principe du « meilleur athlète » ainsi par les restrictions que l’Allemagne pourrait imposer à l’exportation.
Ainsi, le principe consistant à donner la primeur aux industriels les plus compétents dans leur domaine [le « meilleur athlète »] n’a « pas systèmatiquement été privilégié pour attribuer les différents lots », ont déploré les rapporteurs.
En outre, ils ont également rappelé « l’importance de la composante aérienne dans la stratégie de dissuasion aérienne ne peut tolérer de compromis sur les performances technologiques compte tenu du caractère de plus en plus disputé des espaces aériens ». Ce qui renvoit aux propos du colonel Rauber au sujet des divergences de vues sur l’architecture du NGWS.
Quant au sujet de l’exportation, l’accord franco-allemand signé en octobre 2019 n’a pratiquement rien réglé… alors que cette question est l’une des lignes rouges posées par la France pour continuer le programme.
En effet, l’article 3 de cet accord stipule que l’Allemagne ne peut pas s’opposer à l’exportation des systèmes d’armes développés dans le cadre d’une coopération avec la France dès lors que ceux-ci contiennent moins de 20 % de composants allemands [hors maintenance et pièces détachées]. Sauf si, de façon exceptionnelle, Berlin estime qu’une vente pourrait porter atteinte à sa sécurité nationale et / ou à ses intérêts directs.
Or, soulignent Mme Conway-Mouret et M. Saury, les « industriels allemands étant associés pour un tiers au projet, il y a tout lieu de s’inquiéter sur la future capacité de la France à exporter librement ce système d’armes ».
En outre, ils ont fait part de leur préoccupation « de voir émerger un débat en Allemagne sur la création d’une instance multilatérale qui aurait le pouvoir de s’opposer à un contrat d’exportation négocié par les autorités françaises ». Et d’insister : « Une telle contrainte aurait inévitablement pour conséquence de réduire considérablement les perspectives d’exportation et donc de fragiliser l’équation économique et financière du programme ».
Aussi, les deux sénateurs ont demandé la tenue d’un débat sur l’avenir du SCAF [caractéristiques du système, modalités de production et d’exportation] au Parlement, après les prochaines élections fédérales allemandes.
Devant les députés, M. Lecornu avait assuré qu’il était « preneur d’un débat sous un format spécifique pour évoquer les piliers, entrer dans le détail du programme et, à huis clos, présenter le cahier des charges de l’armée de l’Air ». Cela « permettrait de comprendre les attentes et les pressions qui s’exercent sur la ‘trame chasse’ sur le très long terme », avait-il ajouté, après avoir précisé qu’il aborderait des « questions passionnantes relatives à l’export, à la dissuasion et à l’avenir de Dassault Aviation.
Enfin, Mme Conway-Mouret et M. Saury ont également appelé à « refuser tout mécanisme de contrôle multilatéral des exportations d’armements ayant fait l’objet d’un programme commun européen » car la « France doit demeurer souveraine en matière d’exportation d’armements ».
Environ 600 militaires et véhicules belges, français, luxembourgeois et néerlandais sont à pied d’oeuvre depuis ce lundi dans le sud-est de la Belgique. Le double objectif de cet exercice baptisé « Yellow Guardian » ? Réaliser une mission de reconnaissance au contact tout en renforçant l’interopérabilité et le partage de connaissances entre unités de renseignement alliées.
Après un temps de préparation, l’essentiel de ce contingent conduit par les chasseurs à cheval belges a entamé sa progression au travers du massif ardennais. En trois jours, 350 à 400 spécialistes du renseignement auront parcouru une centaine de kilomètres pour parvenir au plus près de la première ligne ennemie. Leur mission principale ? Récolter de l’information sur la force adverse présente dans la zone et sur la praticabilité d’un terrain ardennais capricieux. Un travail essentiel d’observation pour permettre aux analystes du bataillon de générer un renseignement exploitable au profit, dans ce scénario, de la brigade.
Exercice multinational, Yellow Guardian repose pour moitié sur des détachements en provenance de pays alliés. Ce sont tout d’abord des éléments français du 1er régiment de spahis, du 61e régiment d’artillerie, du 2e régiment de hussards et du 54e régiment de transmissions. Voisin et partenaire régulier, le Grand-Duché de Luxembourg a envoyé un escadron au complet. Un peloton du 42e escadron de reconnaissance de la 13 brigade légère est venu des Pays-Bas pour compléter le dispositif. Face à eux, un adversaire « intelligent, flexible et très mobile » simulé par un escadron belge.
« C’est une première depuis longtemps », souligne le chef de corps du bataillon de Chasseurs à Cheval, le lieutenant-colonel BEM Jean-François Verheust. Traditionnellement proche du 1er RS, il l’a aussi été avec l’ex-commandement du renseignement (COM RENS). L’avènement de son successeur, le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), permet d’étendre un lien centré sur l’analyse vers des capteurs inexistants dans l’arsenal belge. C’est le cas de systèmes de guerre électronique propres au 54e RT, par exemple, qui permettront de caractériser l’empreinte électromagnétique de la force amie, de relever les éventuels écueils et erreurs et de contribuer à disparaitre des radars.
Organiser un exercice comme Yellow Guardian allait de soi, « parce que cela fait plusieurs années que nous n’avons plus eu l’occasion de nous entraîner ensemble dans un contexte qui a quelque peu changé ces dernières années», rappelle le LCL Verheust. De fait, les missions de maintien de la paix en théâtre sahélien ont laissé place aux opérations de réassurance sur flanc oriental de l’Europe, avec tout ce que la résurgence d’un adversaire à parité comporte comme menaces nouvelles ou à redécouvrir.
Il devenait impératif pour ceux qui sont « vos yeux et vos oreilles sur le champ de bataille » de travailler les métiers spécifiques dans un environnement plus transparent donc moins permissif. Sans doute moins prégnante auparavant, la discrétion redevient la norme. « Avant, on disait souvent que, quand une force de reconnaissance tire, c’est qu’elle a raté son objectif principal », rappelle le LCL Verheust. Pour des troupes légères dotées d’armement tout aussi légers, se dissimuler est donc la meilleure option pour éviter tout contact direct avec un ennemi souvent plus « musclé » et le désengagement dare-dare qu’il nécessiterait.
« Nous allons tester différents procédés tactiques. Les Français ne travaillent pas comme les Luxembourgeois et ne travaillent pas comme nous. Cela permettra de voir comme nous pouvons intégrer tout cela étant donné que, de plus en plus, nous travaillons dans un contexte multinational », observe le LCL Verheust. Les challenges ne manquent pas, des liaisons entre systèmes d’information nationaux aux différences entre capteurs et processus d’analyse de l’information. « Les senseurs que les Français amènent sont différents des nôtres, cela ajoute un peu de complexité ». Et le spectre s’étend à des sujets qui regagnent en substance, dont celui d’un volet logistique assuré par la Belgique. Le temps des retours d’expérience viendra, mais le commandant des chasseurs se veut confiant : « Nous verrons vers quoi cela évolue, mais je crois qu’il y a de belles choses à faire ensemble ».
Yellow Guardian intervient sur fond de transformation pour les chasseurs à cheval. S’il n’est pas le premier concerné par le partenariat franco-belge « Capacité Motorisée » (CaMo), sa structure, son matériel et ses savoir-faire seront partiellement adaptés pour renforcer l’interopérabilité avec l’armée de Terre. Le rapprochement concerne l’ensemble du bataillon mais à des degrés variables afin de permettre au bataillon de continuer à oeuvrer tant en appui de la brigade motorisée que du régiment des opérations spéciales (SORegt).
L’effort principal relève de la transformation de l’escadron Alpha en escadron de renseignement au contact (ERC). Une bascule dans laquelle les liens construits avec le 1er RS s’avèrent précieux « car ils ont des capacités que nous devons développer ici en Belgique ». Pour l’instant, il s’agit de faire comme les Spahis mais à partir d’équipements différents, à l’image des blindés légers Falcon perçus en remplacement des véhicules 6×6 Pandur. La perspective d’un contact plus « musclé » demande par ailleurs de revoir l’armement des pelotons, notamment par l’ajout d’une arme antichar débarquée.
Demain, les chasseurs à cheval entreront eux aussi dans la bulle SCORPION par l’entremise du système d’information associé (SICS), mais pas uniquement. Véhicule de transition, le Falcon doit à terme s’effacer au profit d’un véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) développé en franco-belge. Les autres escadrons conserveront le Dingo et le Pandur rénové. Si rien n’est aujourd’hui prévu pour remplacer ce dernier, un virage vers le Serval ne serait pas exclu pour renouveler une partie du parc. De fait, plusieurs versions potentiellement utiles à cette unité spécialisée se profilent à l’horizon, à l’instar du Serval SA2R (surveillance, appui, renseignement et reconnaissance). Voire, si le budget le permet, sa variante de guerre électronique.
Crédits image : Jérémy Smolders – Bataillon de Chasseurs à Cheval
Guerre en Ukraine. Zelensky compte sur Trump, Kiev remercie la France… le point sur la nuit
Volodymyr Zelensky estime que « la guerre se terminera plus tôt » avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison blanche, mais sans préciser de date pour d’éventuelles négociations. L’armée ukrainienne a remercié Paris pour la formation et l’équipement d’une brigade de l’armée de Terre, assurés par les militaires français. Retour sur les événements qui ont marqué la nuit du vendredi 15 au samedi 16 novembre 2024.
« Il est certain que la guerre se terminera plus tôt avec les politiques de l’équipe qui va maintenant diriger la Maison Blanche. C’est leur approche, leur promesse à leur société », a déclaré M. Zelensky lors d’un entretien avec le média ukrainien Suspilne.
« La guerre se terminera, mais nous n’en connaissons pas la date exacte », a-t-il cependant nuancé.
M. Zelensky a assuré avoir eu une « interaction constructive » avec Donald Trump lors de leur conversation téléphonique après sa victoire à la présidentielle américaine.
Donald Trump « a entendu les bases sur lesquelles nous nous appuyons. Je n’ai rien entendu qui aille à l’encontre de notre position », a-t-il ajouté.
Guerre en Ukraine : faites-vous confiance à Donald Trump pour proposer une issue « juste » ?
Très critique des dizaines de milliards de dollars débloqués pour l’Ukraine depuis le début de l’invasion russe en février 2022, M. Trump a promis de régler ce conflit « en 24 heures », sans jamais expliquer comment.
Vendredi, il a encore promis de « travailler très dur sur la Russie et l’Ukraine » car « cela doit s’arrêter ».
L’Ukraine craint un affaiblissement du soutien américain, au moment où ses troupes sont en difficulté sur le front, ou qu’un accord impliquant des concessions territoriales à la Russie ne lui soit imposé.
L’Ukraine remercie la France
Sur les réseaux sociaux le ministère ukrainien de la Défense a remercié « sincèrement le peuple français et le ministre de la Défense Sébastien Lecornu pour leur leadership et leur soutien qui renforcent considérablement les capacités de nos forces de défense ».
Ce message intervient pour marquer la fin de la formation de militaires ukrainiens, entraînés par l’armée française.
« La première brigade de l’armée de Terre ukrainienne, formée et équipée en France » a terminé sa formation ce vendredi 15 novembre 2024.
Bilan des pertes russes
L’État-Major ukrainien a publié son bilan quotidien des pertes subies par les troupes russes depuis l’invasion du pays le 24 février 2022.
Selon Kiev, 717 590 soldats de Moscou auraient été mis hors d’état de combattre, en étant tués, blessés ou faits prisonniers, soit une hausse de 1 520 soldats en l’espace de vingt-quatre heures.
Les forces du Kremlin auraient également perdu 29 167 citernes et véhicules de ravitaillement (+77). Le décompte fait aussi état de la destruction de 20 492 pièces d’artillerie (+20), 18 968 véhicules blindés (+21) ou encore 18 886 drones (+34), 9 330 chars d’assaut (+11) et 2 641 missiles de croisière (+1).
La publication régulière de ces chiffres, qui n’ont pu être vérifiés, fait partie de la stratégie de communication ukrainienne destinée à saper le moral des troupes de Moscou.
Aide financière norvégienne
Lors de sa visite à Oslo, le ministre de la défense ukrainien, Roustem Oumerov, a conclu un accord avec le Premier ministre Jonas Gahr Støre et le ministre de la Défense Bjørn Arild Gram. LComme l’a fait le Danemark, la Norvège financera directement la production d’armes et d’équipements ukrainiens.
« Cela permettra une fabrication et une livraison plus rapides des armes essentielles pour nos forces de défense », a affirmé Kiev.
Cinq programmes d’acquisition conjointe d’équipements ou de munitions recevront un coup de pouce financier de l’Union européenne, dont l’un conduit par la France au profit de huit autres pays et portant sur le missile sol-air MISTRAL 3.
Chacun des cinq projets retenus parmi 12 candidats recevra une enveloppe de 60 M€ via le mécanisme européen EDIRPA (European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act). Cet appui servira non pas à financer les matériels et munitions acquis mais à compenser les coûts administratifs supplémentaires résultants des différents rapprochements. Parmi les lauréats, l’un relève du missile MISTRAL 3. Neuf pays se sont accordés pour en acquérir ensemble, dont cinq sont à l’origine d’un accord signé avant l’été : la France, la Belgique, Chypre, l’Estonie et la Hongrie. Des utilisateurs ou futurs utilisateurs rejoints en cours de route par l’Espagne, la Slovénie, la Roumanie et la Danemark.
Si Madrid est un opérateur de longue date du système produit par MBDA, Bucarest puis Ljubljana avaient successivement annoncé leur volonté de rejoindre le club au cours de l’année écoulée. Le Danemark est quant à lui resté discret sur le sujet, sa présence parmi les bénéficiaires venant officialiser un scénario évoqué en août et devant lui permettre d’armer une version de défense sol-air de son blindé Piranha V. Le besoin combiné pourrait dépasser les 1500 missiles, indiquait en juin le ministère des Armées en juin dernier.
Les quatre autres projets, desquels la France est absente, relèvent de l’acquisition de munitions d’artillerie de 155 mm, de véhicules blindés CAVS et de systèmes de défense sol-air IRIS-T SLM. La plupart répond par ailleurs à l’un des critères du mécanisme, celui d’un achat soutenant également l’Ukraine en « renforçant les moyens de défense du pays dans le contexte de l’agression russe en cours », indique la Direction générale de l’industrie de la défense et de l’espace (DEFIS) dans un communiqué.
L’enveloppe peut paraître modeste au vu du contexte mais, faut-il le rappeler, rien de tel n’existait en Europe 12 mois plus tôt. Avec ces 310 M€, ce dispositif temporaire n’a pas tant pour objectif de se substituer aux budgets nationaux que d’inciter les pays à s’aligner pour augmenter les volumes, générer des économies d’échelle, donner de la visibilité aux industriels et construire leur interopérabilité. Le tout en achetant davantage européen et en créant un précédent sur lequel s’appuyer à l’avenir.
« Les cinq projets sélectionnés représentent une valeur d’approvisionnement combinée supérieure à 11 Md€, ce qui illustre l’effet de levier élevé du financement de l’UE. L’investissement de 300 M€ de l’EDIRPA a suscité un engagement plus de 36 fois plus important, démontrant l’efficacité du programme pour stimuler des investissements substantiels dans le domaine de la défense dans l’ensemble de l’UE », constate la direction européenne.
L’achat de canons CAESAR n’a pas été retenu mais certains « propositions prometteuses » ont été intégrées dans une « liste de réserve », les rendant identifiables pour un financement futur. « Les États investis dans ces propositions pourraient par exemple chercher à les soutenir financièrement en transférant les fonds européens inutilisés qui leur sont alloués dans le cadre de la gestion commune ». EDIRPA désormais en cours de finalisation, la suite s’écrira au travers de l’European Defence Industry Programme (EDIP).
En 2017, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, passa outre les réticences de la Direction générale de l’armement [DGA] en donnant le coup d’envoi d’un projet visant à recréer une capacité française de production de munitions de petit calibre, cette filière ayant disparu avec la fermeture de l’établissement de Giat Industries au Mans, à la fin des années 1990.
Cette décision avait été en partie inspirée par un rapport parlementaire qui, publié deux ans plus tôt, avait demandé si la France pouvait être certaine d’être approvisionnée en munitions de petit calibre en cas de crise majeure. Estimant qu’il n’y avait aucune garantie à ce sujet, ses auteurs recommandèrent de relocaliser une telle filière industrielle en expliquant que cela nécessiterait un investissement de 100 millions d’euros, la rentabilité devant être assurée « à partir d’une production annuelle de 60 millions de cartouches sous réserve qu’un niveau de commandes constant soit assuré durant les cinq premières années ».
Décrit, à l’époque, comme devant être un « acte de souveraineté nationale », le projet de M. Le Drian reposait sur un montage associant NobelSport, spécialiste français des cartouches pour la chasse et le tir sportif, à Thales [via sa filiale TDA Armement] et à Manurhin, fabricant de machines de cartoucherie.
Seulement, après les élections du printemps 2017, et même si un protocole avait été signé par les acteurs concernés, ce projet fut abandonné, avec les mêmes argument qui avaient été avancés pour s’opposer à sa mise en œuvre [viabilité économique non garantie, possibilité de s’approvisionner à l’étranger, complications juridiques au niveau européen, etc.].
Sauf que la crise du covid-19 et la guerre en Ukraine ont changé la donne, comme en témoignèrent les difficultés du ministère de l’Intérieur pour s’approvisionner en cartouches de 9 mm. Aussi, en décembre 2023, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, fit savoir qu’il avait commandé une étude à la DGA afin de « documenter les coûts de la recréation d’une filière » munitions de petit calibre.
Finalement, moins de six mois après, la France signa une lettre d’intention avec la Belgique en vue d’établir une coopération industrielle sur les munitions de petit calibre.
« Cette filière ayant disparu en France, l’objectif est de la recréer en s’appuyant sur les compétences belges. Ce nouveau volet doit comprendre la création d’une ligne d’assemblage de munitions en France et l’achat de munitions directement auprès de l’industrie belge. Les industriels travaillent à ce stade sur les questions de financement de l’investissement, le projet devant démarrer dans les prochains mois », expliqua le ministère des Armées.
Devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense, le mois dernier, M. Lecornu revint brièvement sur ce dossier. « En ce qui concerne les munitions de petit calibre, les choses avancent bien. Le modèle économique devra englober le ministère de l’intérieur et peut-être même le tir de loisir : il faut des débouchés, pour éviter la situation ayant conduit à la disparition de la filière dans années 2000 », détailla-t-il.
Cette coopération entre la France et la Belgique va sans doute se concrétiser prochainement, en reprenant l’intuition qu’avait eue M. Le Drian il y a près de huit ans. En effet, ce 15 novembre, le groupe FN Browning [dont FN Herstal est une filiale] a confirmé qu’il venait d’entrer en « négociations exclusives » avec l’armurier français Sofisport, l’un des principaux producteurs de munitions de chasse et de tir sportif [via ses filiales Nobel Sport, Cheddite, Maxam, Sofiam, etc.] en vue de son rachat.
« Browning Group, dont les filiales comprennent entre autres FN Herstal et Browning, annonce son entrée en négociations exclusives pour l’acquisition du groupe français Sofisport, leader mondial de la fabrication de cartouches de chasse et de tir sportif et de leurs composants », a en effet annoncé l’industriel belge.
Et d’ajouter : « Le projet de rapprochement repose sur une forte complémentarité industrielle, géographique et culturelle entre Sofisport entreprise française à l’actionnariat familial, et FN Browning Group, détenu par la Région wallonne, une composante de l’Etat fédéral belge ».
L’objectif de cette opération est de constituer un « systémier européen d’envergure mondiale, pleinement intégré dans le domaine des armes légères et des munitions », la complémentarité des deux groupes devant leur permettre de renforcer « leur positionnement concurrentiel, leur performance et leurs capacités de développement, avec des effets favorables au maintien de l’activité et de l’emploi ».
Selon le journal économique belge L’Écho, ce rapprochement entre FN Browning et Sofisport serait susceptible de favoriser la « création d’une nouvelle ligne de production » en France, l’industriel wallon ayant prévu d’installer des capacités supplémentaires « de fabrication de munitions de petits calibres à Herstal et à Zutendaal, en collaboration avec la Défense belge ».
Quoi qu’il en soit, la coopération franco-belge dans le domaine de l’armement terrestre ne cesse de prendre de l’ampleur. Celle-ci a été amorcée par le partenariat stratégique CaMo [Capacité Motorisée] qui vise à rendre les forces terrestres des deux pays parfaitement interopérables grâce au programme français SCORPION. Puis, elle s’est poursuivie avec la reprise d’Arquus par le groupe John Cokerill, en juillet dernier.
« Nous aidons la Belgique sur CaMo et celle-ci nous aide à reconstruire une filière pour les petits calibres. Des rapprochements industriels intéressants ont lieu, notamment entre Arquus et Cockerill. Il s’agit d’un partenariat précieux », avait résumé M. Lecornu lors de sa dernière audition au Sénat.
L’Europe coalisée contre la France : l’Allemagne, l’âme des coalitions de revers (2/2)
Après avoir exploré les pièges de la résurrection de la Communauté européenne de défense de 1952, le groupe Vauban décrypte la stratégie de marginalisation de la France par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne avec l’alliance entre Berlin et Rome dans le domaine terrestre et l’accord de Trinity House avec Londres.
L’âme de la deuxième coalition est, sans surprise, à Berlin même. Poursuivant sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans le spatial ; Rheinmetall plus que KMW, dans les blindés ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui font encore défaut (propulsion spatiale, satellites d’observation et aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 90 qu’elle obtiendrait beaucoup plus d’une France récalcitrante en faisant des alliances de revers que par la négociation directe.
En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin a proposé à Londres des fusions de grande ampleur : Siemens avec BNFL, bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de forger des alliances de revers que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir toute la naïveté et la portée de ses actes, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui n’en demandait au mieux que le tiers (qu’elle pesait au demeurant très justement…).
L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers
Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des blindés) et au Royaume-Uni (sur l’ensemble des segments), Berlin tend à Paris de nouveau le même piège : « cédez sur le MGCS et le SCAF ou nous actionnons l’alliance de revers ». L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare, n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises dans la défense et son indispensable corolaire, l’armement. Nulle surprise dans ce constat : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui ménage une place à part dans le concert des grandes nations, influente par son siège au Conseil de sécurité aux Nations-Unies et ses exportations d’armement, la France est le pays à ramener dans le rang des médiocres aigris et jaloux et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.
Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour la dominer aussi, on s’acharne à vouloir la faire entrer dans un machin supranational aux ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).
La menace Rheinmetall
Marginalisée depuis la création de KANT puis de KNDS, méprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP,l’industrie terrestre nationale ne vit que par des îlots (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA ne réagisse en 2009 lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), les véhicules blindés chenillés (choix très contestable du tout-roues), l’artillerie à longue portée et saturante ; écrasée par la férule de Frank Haun, désormais noyé dans KNDS France sans trop oser se défendre lui-même, Nexter est menacé de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans l’ensemble des segments.
Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas accordé assez d’attention à la montée en puissance de Rheinmetall, vrai champion du terrestre allemand, qui, par commandes et acquisitions, se retrouve enraciné en plein milieu du jeu allemand (comme future actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il a conquise pas à pas : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et désormais en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin sur le F-35, avec Textron sur la compétition Lynx et en achetant le constructeur Loc Performance Products). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.
Un partage de l’Europe sans la France
Le même coup de faux se prépare avec l’accord germano-britannique de Trinity House qui, même s’il ne réalisera pas toute ses prétentions faute de compétences et de moyens, érige un axe concurrent durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : le nucléaire, les systèmes de missile à longue portée, les drones d’accompagnement des avions de combat de future génération, la robotique terrestre, la patrouille maritime.
Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une moisson gigantesque de chars de combat Leopard, de véhicules blindés Boxer, de l’artillerie RCH-155, de véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et de chars Panther et de systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ESSI).
La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend bâtir
Au bilan, la France est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend pourtant bâtir ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux dérives illégales de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme à éclipses : comment pourrait-il mener une autre politique que celle « du chien crevé au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se couler avec facilité et confort dans le mainstream institutionnel otanien au nom de l’Ukraine ? Comme lors de la IVème République, ses partis politiques sont occupés à la tambouille politicienne et ne pensent plus le monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.
Alors que la France s’épuise en débats stériles politiciens dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :
La cohérence de son système de défense reposant sur la souveraineté nationale et la défense des intérêts nationaux, au profit d’un fédéralisme européen sous tutelle américaine décrété urgent par la guerre en Ukraine et la menace russe ;
Sa dissuasion nucléaire, au profit d’un projet de missile conventionnel à très longue portée et d’une défense anti-missile germano-américano-israélienne à vocation européenne, deux projets promus, comme par hasard, par l’Allemagne ;
Son modèle d’industries nationales, monopolistiques, seules capables de concevoir, développer, produire et maintenir des systèmes d’armes souverains, au profit de fusions industrielles européennes qui placeront les armées et l’industrie françaises en position de dépendance complète des deux Bruxelles (OTAN et Union européenne) ;
La conduite de ses programmes d’armement, réalisée par ses ingénieurs de l’armement dont c’est le métier et la vocation, au profit de bureaucrates européens ne connaissant rien aux domaines de l’armement mais ayant le pouvoir juridique et financier ;
Sa liberté souveraine d’exporter de l’armement à qui elle l’entend et sans frein autre que ses intérêts et sa morale à elle, au profit de règlements européens, spécialement édictés pour la restreindre, autre projet porté par l’Allemagne.
Le pire est que ces développements ont été portés par la classe politique elle-même qui les a encouragés à coup de proposition de « dialogue sur la dissuasion », « d’autonomie stratégique européenne » ou de programmes en coopération mal négociés, en mettant de côté les aspects gênants comme les divergences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.
Le pire est également que ces développements se profilent au moment même où la France, faute de limiter son gouvernement aux seuls domaines régaliens et de créer la richesse au lieu de la taxer et de la décourager, n’a plus les moyens de sa défense : comment celle-ci pourrait-elle en effet continuer de résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures délaissées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses finances propres (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?
Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses fondements financiers, déjà minés dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’ils sont : insuffisants à porter le réarmement national de manière durable et soutenu. Faudra-t-il comme Louis XIV vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre des biens nationaux comme la Révolution le fit dans son incurie ? Ou lui faudra-t-il écraser d’impôts les Français comme le Premier Empire s’y est résigné pour éviter l’emprunt ?
Une révision drastique de ses alliances
La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe coalisée contre son système de défense, la France n’aura pas d’autre choix qu’un sursaut passant par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et d’une révision complète de son cadre d’alliances, afin que celles-ci la fortifient au lieu de l’atrophier.
La guerre froide n’a pas empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire de quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique du grand large, et pourtant le général de Gaulle qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il a voulue, sont connus : un rayonnement considérable de sa diplomatie et de ses exportations d’armement.
La France prend les rênes d’une nouvelle ère dans l’armement naval avec un canon électromagnétique révolutionnaire capable d’envoyer des projectiles à Mach 8,7
La France se positionne sur l’artillerie du futur.
Il y a peu de technologies réellement disruptives dans le domaine militaire depuis quelques années, à l’exception notable des drones de combat. Le canon électromagnétique peut faire partie de ces révolutions militaires et bouleverser la défense navale. Capable de lancer des projectiles à des vitesses hypersoniques, cette technologie attire désormais l’intérêt des grandes puissances, avec la France en tête d’une innovation qui pourrait redéfinir la stratégie militaire sur mer. Découvrez les coulisses de cette prouesse technologique !
Le canon électromagnétique promet de bouleverser la défense navale
Le concept de canon électromagnétique n’est pas récent, mais il a longtemps été considéré comme une expérience anecdotique sans lendemain. L’Office of Naval Research (ONR) de l’US Navy a entamé des recherches en 2005, s’associant avec des poids lourds de l’industrie de défense tels que BAE Systems et General Atomics pour développer un railgun électromagnétique (EMRG) censé bouleverser l’artillerie navale. L’EMRG promettait de multiples avantages : élimination des charges propulsives explosives, capacité à atteindre des vitesses extrêmes et une portée accrue par rapport à l’artillerie conventionnelle. Cependant, après des années de tests prometteurs, le projet américain a été contraint de ralentir, principalement en raison de contraintes budgétaires. Les priorités militaires américaines ont alors évolué vers la recherche et le développement de missiles hypersoniques, laissant une ouverture pour d’autres acteurs internationaux, dont la France.
Une course technologique vers l’inconnu
La technologie des canons électromagnétiques attire de plus en plus de nations, conscientes de l’avantage stratégique que pourrait offrir cette innovation. En Asie, la Chine a manifesté son intérêt pour cette technologie en affirmant avoir effectué un test sur le Haiyang Shan, un navire d’assaut amphibie, bien que des preuves concluantes de ces essais restent absentes. De son côté, le Japon est parvenu à des résultats concrets. En octobre 2023, l’agence ATLA (Agence pour la technologie, les acquisitions et la logistique) du ministère japonais de la Défense a mené un test réussi d’un railgun capable de propulser des projectiles de 40 mm à la vitesse impressionnante de 2230 m/s, soit Mach 6,5. Ce succès place le Japon parmi les rares pays ayant une avancée réelle dans ce domaine et en fait un acteur clé de la course technologique vers des armements hypersoniques.
La France, l’Allemagne et le Japon unissent leurs forces
Fort de ses premiers succès, le Japon a décidé de sceller un partenariat technologique avec la France et l’Allemagne, afin d’accélérer le développement des armes électromagnétiques. Cet accord, baptisé TOR, vise à poser les bases d’une coopération technologique durable entre l’Agence japonaise ATLA et l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis (ISL). L’ISL, centre de recherche renommé en Europe, a déjà développé des prototypes impressionnants tels que le « PEGAGUS » et le canon « RAFIRA ». Ce dernier est capable de tirer des projectiles de 25 mm avec des accélérations dépassant les 100 000 G. Grâce à cette collaboration, les trois nations espèrent consolider leurs compétences respectives pour atteindre des niveaux d’efficacité et de précision inédits.
Les projets européens : PILUM et THEMA, L’Europe Prend les devants
En Europe, le projet PILUM (Projectiles for Increased Long-range effects Using ElectroMagnetic railgun), coordonné par l’ISL, a déjà démontré la possibilité de lancer des projectiles à haute vitesse sur des distances de plusieurs centaines de kilomètres avec une précision remarquable. Financé par le Fonds européen de défense, ce projet a largement dépassé les attentes, et a ouvert la voie au programme THEMA (Technology for Electro-Magnetic Artillery), lancé en juin 2023 avec un budget de 15 millions d’euros. THEMA marque une avancée importante dans la transition de la théorie à la pratique, explorant des technologies concrètes pour déployer cette artillerie révolutionnaire dans un contexte militaire opérationnel. Le programme européen vise également à consolider l’autonomie stratégique de l’Europe en matière de défense, réduisant sa dépendance envers les États-Unis et renforçant sa capacité à innover indépendamment.
La Marine Nationale en route vers l’artillerie hypersonique
La Direction Générale de l’Armement (DGA) française a discrètement lancé son propre projet de canon électromagnétique destiné à la Marine nationale, en partenariat avec l’ISL. Ce projet audacieux, encore en développement, a pour ambition de positionner la France comme pionnière dans l’utilisation des armes électromagnétiques pour la défense maritime. Lors du prochain salon Euronaval, l’Agence de l’Innovation de Défense (AID) dévoilera officiellement le « projet de canon électromagnétique RAILGUN », un système conçu pour renforcer la puissance de feu de la Marine française face aux menaces de saturation et aux armes hypersoniques. Le canon RAILGUN promet des avantages stratégiques, avec une portée estimée à plus de 200 km et une capacité à lancer des projectiles à des vitesses hypersoniques, rendant l’interception d’objets en mouvement extrêmement difficile.
Les défis techniques et technologiques d’un canon hypersonique
Le principe de fonctionnement du canon électromagnétique repose sur l’utilisation d’un champ magnétique puissant, généré par un courant électrique intense circulant entre deux rails conducteurs. Cette interaction propulse le projectile avec une force prodigieuse, atteignant des vitesses pouvant excéder Mach 8,7, soit près de 10 800 km/h. Cependant, cette technologie impose des défis considérables en termes de conception. Les matériaux utilisés doivent résister à des contraintes mécaniques extrêmes et supporter la chaleur intense générée lors du tir. De plus, le système requiert une source d’énergie massive et instantanément libérable, capable de maintenir la puissance nécessaire pour chaque tir. Enfin, le guidage de projectiles à une vitesse hypersonique constitue un enjeu de taille pour assurer la précision de l’impact.
Cet article explore les avancées internationales et les alliances stratégiques dans le domaine des armes électromagnétiques, avec un focus particulier sur le rôle de la France et de l’Europe dans cette course technologique. Entre innovations et partenariats stratégiques, ce récit met en lumière l’émergence de l’artillerie hypersonique et son potentiel révolutionnaire pour la défense navale.
Image mise en avant : Réalisée à l’aide de Canva uniquement à des fins de représentation de l’article.