Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Par Laurent Chamontin – Diploweb – publié le 27 août 2024  

https://www.diploweb.com/7-Les-opinions-europeenne-et.html


Laurent Chamontin (1964-2020), était diplômé de l’École Polytechnique. Il a vécu et voyagé dans le monde russe. Il est l’auteur de « L’empire sans limites – pouvoir et société dans le monde russe » (préface d’isabelle Facon – Éditions de l’Aube – 2014), et de « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016.

Longtemps avant la relance de la guerre d’agression russe le 24 février 2022, Laurent Chamontin (1964-2020) a vu juste sur la Russie de Poutine et ses ambitions impériales à l’encontre de l’Ukraine. Il fait partie des quelques experts qui ont mis à disposition des faits à considérer et des analyses à intégrer pour ne pas être surpris. En accès gratuit, le Diploweb a publié dès août 2016 son ouvrage « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol ». L. Chamontin alertait non seulement sur les visions impériales de Moscou mais aussi sur les dangers de la désinformation russe, (Cf. Chapitre 6. « La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre »). Créé en 2021, le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) ne cesse depuis de mettre à jour des actions de désinformation russes à l’encontre de la France. Chapitre par chapitre, la publication numérique de l’ouvrage de L. Chamontin a été achevée en février 2017 par le chapitre « Le rôle crucial de l’Europe dans la résolution de la crise ukrainienne ». Après la publication numérique gratuite, le Diploweb en assuré la publication aux formats Kindle et livre papier, par Amazon. Sous ces trois formats, le livre « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol » a reçu un bel accueil. Ce dont témoigne d’ailleurs en creux sur Amazon la hargne de quelques trolls pro-russes aux commentaires pathétiques, hommages involontaires à la pertinence d’une pensée critique argumentée et toujours nuancée. Ce qui les gêne, c’est la mise à disposition d’éléments de connaissance qui réduisent l’efficacité de leurs manipulations mentales.

Laurent Chamontin est décédé le 15 avril 2020 de la combinaison d’un cancer et du Covid-19. Il nous manque humainement et intellectuellement tant sa lucidité aurait été la bienvenue pour éclairer la relance de la guerre russe en Ukraine. Cette dernière exerce des effets de long terme sur la reconfiguration stratégique de l’Europe géographique. C’est pourquoi il est utile de (re)lire un auteur qui avait su en distinguer les signes annonciateurs. La grâce de l’écriture et les possibilités de la publication internet permettent de remettre en avant son analyse contextualisée, puisque chaque page HTML porte en pied la date de publication initiale. Chacun saura trouver dans ces lignes rédigées en 2016 des réflexions pour aujourd’hui.

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

Une opinion prise à froid par les évènements

LE MONDE CHANGE, et il change vite. Le public découvre avec stupeur que la mondialisation heureuse, celle des plages de l’île Maurice, a aussi sa face noire. Cette prise de conscience est spécialement pénible pour les Européens, qui ont la malchance stratégique d’être entourés de deux zones où la modernisation est particulièrement laborieuse – nous aurons l’occasion d’y revenir en conclusion.
Depuis en fait le début des printemps arabes en 2011, les habitants de notre continent sont quotidiennement confrontés à des crises qui les concernent mais se déroulent dans des pays qu’ils connaissent mal, dont il faut apprendre à toute vitesse la géographie, la composition ethnique et la culture.

En ce qui concerne l’espace anciennement soviétique, il faut de plus tenir compte d’une réalité qui a évolué brusquement au début des années quatre-vingt-dix, mettant le public, ou du moins sa part la plus âgée, face à des pays nouveaux, qu’il a du mal à se représenter.
Parmi ceux-ci, la Russie fait bien sûr ici exception, du fait de la continuité qu’elle a maintenue avec l’Empire via l’URSS sur le plan des perceptions, et aussi du fait qu’elle conserve bon nombre des attributs soviétiques de la puissance – une taille encore suffisante pour être le plus vaste pays du Monde, l’arme nucléaire, et un siège au conseil de sécurité de l’ONU, pour ne citer que les principaux.
Comme nous l’avons détaillé au chapitre précédent, face à ce contexte complexe et angoissant, l’opinion est de plus soumise au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, avec une dissymétrie fondamentale, puisqu’une action en sens inverse se heurte à des difficultés considérables du fait du verrouillage autoritaire de la société russe ; et elle doit faire face à ses propres démons, ceux qui par haine d’eux-mêmes font de l’Occident la source de tous les maux.
Cependant, le désarroi du citoyen provient aussi d’une difficulté importante à comprendre le point de vue de l’autre ; pour le dire schématiquement, l’idée que Moscou puisse choisir la voie de l’aventurisme militaire au détriment de la croissance et de la stabilité à ses frontières, qui est pourtant un fait patent, est rarement menée jusqu’à ses ultimes conséquences, dans la mesure où il est difficile de se représenter la forme de rationalité qui la sous-tend.
D’où par exemple la floraison de propositions [1] qui prônent la reconnaissance du fait accompli en Crimée, au nom du « réalisme ». Passons sur le fait que ces propositions font bon marché du fait inouï qu’un membre permanent du conseil de sécurité ait bafoué un accord lié à la non-prolifération (la Russie ayant garanti les frontières de l’Ukraine en échange de la dénucléarisation de cette dernière) ; au-delà de cette désinvolture, elles signalent aussi une incapacité complète à comprendre la nature de la menace.

Encore une fois, l’option d’une fuite en avant mettant Moscou aux prises avec l’OTAN ou une déstabilisation complète de la zone ne peuvent pas être aujourd’hui complètement exclues, compte tenu de ce que nous avons appris des blocages de la société russe et de l’instabilité intrinsèque qui en découle. Le fait de donner une prime au premier pas, sans de très solides contreparties qui ne sont jamais mentionnées, ne fait dans un tel contexte qu’augmenter la sensation d’impunité et donc le danger.
Au fond, le Narcisse postmoderne, l’hédoniste de la guerre à zéro mort imaginait paresseusement que les États post-soviétiques s’aligneraient à plus ou moins long terme sur son mode de vie, d’autant que ses dépenses militaires étaient au plus bas et que l’OTAN s’était judicieusement abstenue d’installer des bases aux frontières de la Russie. Au-delà d’une résistance à la réalité pénible de l’augmentation du risque, certes compréhensible après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale, les conflits qui surviennent à ses portes ont de la peine à se frayer un chemin dans une psychologie qui favorise le relativisme des opinions, la psychologie de ceux qui pratiquent «  la fuite devant l’épreuve de la coexistence conflictuelle  » selon Marcel Gauchet [2].

Quand on est dépolitisé aussi profondément que notre Narcisse, et fermement convaincu que rien ne justifie de mourir pour des idées, qu’on ignore les réalités consternantes de l’État friable post-soviétique, les martyrs de l’Euromaïdan comme l’idolâtrie dont Vladimir Poutine est l’objet en Russie sont des réalités difficilement appréhendables.
Cela n’empêche pas d’ailleurs la résurgence périodique du mythe de l’homme fort, ou providentiel, dont le maître du Kremlin est soudain censé représenter l’archétype ; il faut y voir la réaction d’une opinion, confrontée aux lenteurs d’une société aux processus complexes, et soudain tentée par les vertus du court-circuit.
L’enthousiasme soudain pour un sauveur, plus doué pour mettre en scène sa résolution à la télévision que pour se soucier des conséquences de ses actes, dont le président George W. Bush est un exemple aussi emblématique que déplorable, est un phénomène indéniable.
Il est clair qu’il est difficile de construire un nouvel aéroport (ou de décider d’abandonner ce projet) avec des procédures de concertation exhaustives comme nous en avons en France ; mais il est également assuré que la mise en scène de la pacification de la Tchétchénie par Vladimir Poutine, pour totale qu’elle soit, a fait des victimes par dizaines de milliers. En d’autres termes, le récit du héros pliant la réalité à ses désirs est tout à fait incompatible avec l’exercice des valeurs démocratiques d’écoute et de concertation.
Malgré cet argument de bon sens, il est à craindre que le spectre de G. W. Bush ne vienne encore longtemps polluer le jeu démocratique, y compris dans les sociétés libérales ; c’est en particulier vrai dans le cas français où subsiste dans une partie de l’opinion une nostalgie bonapartiste, que les conditions de la prise de décision dans le Monde moderne rendent de plus en plus surannée.


Un livre également édité par Diploweb.com via Amazon, format papier et format Kindle

7 - Les opinions européenne et française dans la guerre hybride
L. Chamontin. Ukraine et Russie. Pour comprendre.
Laurent Chamontin, « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016. Un classique également disponible sur Amazon format papier et format Kindle

Laurent Chamontin, « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016. Un classique également disponible sur Amazon format papier et format Kindle


Le cas de la France

Cela sort de notre propos, mais il faut quand même le rappeler en préambule : les États-Unis, pour n’être pas exempts de toute critique, par exemple au sujet de l’intervention en Irak, cultivent des valeurs de démocratie et de liberté ; ils garantissent la libre circulation sur les mers, la sécurité de l’Europe et jouent un rôle crucial dans la lutte contre la prolifération nucléaire.
L’antiaméricanisme français, qui prend sans doute sa source dans le recul de la puissance nationale au XXème siècle et dans le deuil laborieux auquel il contraint, a cependant le privilège inégalable d’être dans certains milieux érigé en dogme ; comme nous l’avons évoqué plus haut, la guerre en Ukraine, dans cette optique, est surtout vue comme une occasion de régler des comptes avec l’oncle Sam, ce qui a pour effet déplorable de détourner de la compréhension de ce qui se passe en réalité.

Il faut cependant mentionner, à côté de cet antiaméricanisme pathologique, une certaine tradition de russophilie française, transférée de l’Empire à l’URSS puis à la Fédération de Russie, qui a pour elle le poids de la géopolitique et de l’Histoire, conserve sa force jusqu’à aujourd’hui, et n’a rien de répréhensible en soi.
De fait, l’éloignement entre les deux pays permet aux Français d’attribuer spontanément à leur contrepartie un statut de puissance lointaine, et leur évite donc de se confronter aux inconvénients de leur voisinage, ce qui n’est pas le cas des Baltes ou des Polonais. Dans les faits, de l’alliance franco-russe de 1894 jusqu’en 1945, Moscou a joué pour Paris le rôle d’une puissance de contrepoids face à l’Allemagne ; et, dans les années soixante, la relation entretenue avec le Kremlin a permis au général De Gaulle de cultiver sa différence par rapport aux États-Unis, dans un contexte où ceux-ci tendaient un peu trop à considérer l’Europe comme quantité négligeable.
Dans la mesure où certains « gaullistes » d’aujourd’hui se laissent attirer par les sirènes du culte de Vladimir Poutine, il importe au passage de préciser quelques points à ce sujet, et en premier lieu, que l’homme du 18 juin est l’auteur de la déclaration définitive selon laquelle «  un État digne de ce nom n’a pas d’amis  » ; ensuite, qu’il était un lecteur averti de Custine [3], et qu’à ce titre il n’avait aucune illusion sur l’Union Soviétique, ni sur l’ouverture de la civilisation russe à la démocratie libérale ; et enfin, qu’il était porteur d’une vision et d’un sens de l’honneur dont l’ensemble de notre propos suggère qu’ils pourraient ne pas être le lot de l’homme du Kremlin.

Cependant les excès de la russophilie française ne se limitent pas au culte de Vladimir Poutine, qui ne concerne au fond que les bonapartistes que nous évoquions plus haut.
Tout au long du XXème siècle, le public français aura ainsi été abreuvé de thèses progressistes sur la révolution russe, censée être une étape majeure sur le chemin de la société sans classes. Cette grille explicative s’appuyait sur une vision abstraite du développement des sociétés humaines, supposé suivre les mêmes étapes dans toutes les aires culturelles.
Sans doute faut-il attribuer à ce contexte particulier le fait que l’Histoire de la Russie des tsars de l’Américain Richard Pipes [4], dont l’approche est complètement différente, ait dû attendre pendant près de quarante ans une traduction dans notre langue, même si bien sûr l’antipathie déclarée de Pipes pour l’expérience soviétique a aussi joué son rôle. Il ne faisait pas bon, dans les années soixante-dix, être qualifié de « réactionnaire ».
Quoi qu’il en soit, l’un des mérites de cet ouvrage fondamental est de mettre en évidence les continuités essentielles qui existent entre la Russie impériale et l’URSS en matière de développement étatique – en d’autres termes, il souligne de manière convaincante le caractère très russe de la révolution de 1917 et de l’expérience soviétique qui s’en est ensuivie, ainsi que la continuité du développement de l’État policier…
Dans une société française dont l’un des travers est de s’accrocher à des vérités supposées sacrées (l’Algérie française, les Ardennes infranchissables…) au prix de démentis cinglants, une thèse de ce type se heurte à la conviction rarement interrogée selon laquelle la Russie est un pays européen.

Il est pourtant utile, pour comprendre la Russie telle qu’elle est, de se pénétrer du fait suivant, difficilement contestable : que la construction de l’État russe, dans sa logique, n’a rien à voir avec l’État de droit, des origines à nos jours – un fait qui suffit à en faire une civilisation sui generis, certes influencée par l’Europe, mais tout à fait inassimilable à celle-ci.
De même, il faut sans doute soupçonner l’existence d’une inavouée nostalgie pour le modèle soviétique de l’emploi à vie dans une partie de la société française, pour expliquer un certain manque de curiosité à l’égard des causes et des conséquences de la chute de l’URSS – lesquelles, comme nous l’avons rappelé, brossent un tableau très éloigné des lendemains qui chantent de la propagande communiste…

Tout ceci explique l’acceptation aisée par l’opinion des discours de certains intellectuels français qui ont pour caractéristiques de mettre en avant une hypothétique «  marche de la Russie vers l’Europe  », à laquelle nous n’aurions pas suffisamment prêté attention, d’ignorer complètement le fait national ukrainien, pourtant difficilement contestable d’après les données que nous avons présentées, et de rester d’une discrétion de violette sur les logiques de prédation qui font l’instabilité fondamentale de l’État russe. On a connu Hélène Carrère d’Encausse, chef de file de ce courant d’interprétation [5], plus inspirée à d’autres époques…

Le public français est ainsi maintenu dans une ignorance regrettable d’intérêts nationaux qui ne s’arrêtent plus depuis longtemps à la frontière du Rhin : quand la Russie, en juillet 2015, déplace de quelques centaines de mètres la ligne de démarcation entre l’Ossétie du sud et la Géorgie, elle met la main sur un tronçon d’oléoduc qui approvisionne l’Occident en pétrole de la mer Caspienne. A-t-on prêté ici à cet incident l’attention qu’il méritait ?…
Ce que nous avons passé ici en revue, c’est un ensemble de facteurs pesants, qu’il ne faut pas ignorer et qui ne pourront évoluer que sur le long terme ; cependant, encore une fois, les opinions n’ont pas trop mal résisté au choc, ce qui est à mettre au crédit de la démocratie en tant que système. C’est un point sur lequel il va falloir maintenant bâtir, tant le rôle de l’Europe sera déterminant dans la suite de la crise, comme nous allons le voir maintenant.


Encadré 8

Que nous apprend sur la France l’affaire des « Mistral » ? par Bernard Grua, porte-parole du collectif « No mistrals for Putin »

En 2008, peu de temps après la guerre menée par le Kremlin contre la Géorgie, certains membres de l’État-Major russe font part de leur souhait d’acquérir des BPC (Bâtiments de Projection et Commandement) Mistral. Concrètement il s’agit d’acheter le nec plus ultra des navires d’invasion, ceux-ci étant construits par la France au chantier STX de Saint Nazaire. L’amiral Vyssotsky, chef d’Etat-Major de la Marine, déclare, que, dotées d’un navire de la trempe du Mistral, les troupes russes auraient gagné la guerre éclair menée contre la Géorgie « en quarante minutes au lieu de vingt-six heures »…
En dépit de l’opposition de nos partenaires de l’OTAN, et plus particulièrement des voisins de la Russie, devant la matérialisation de la menace stratégique qu’elle représente, en dépit de la désapprobation de nombres d’officiers généraux français, malgré la réprobation du syndicat CFDT de STX, le Président Nicolas Sarkozy finit par céder à toutes les exigences russes, y compris le système « Senit-9 » de pilotage tactique.
Le 25 janvier 2011, le gouvernement Fillon signe un contrat de 1,2 milliards d’Euros prévoyant la livraison de deux navires d’invasion Mistral (Vladivostok – automne 2014 et Sébastopol – automne 2015) équipés du « Senit-9 » ainsi que d’une flottille d’engins de débarquement.

Ce contrat militaire, le plus gros signé par une puissance occidentale depuis la fin de la Deuxième mondiale avec l’ex-URSS permet au constructeur, le chantier STX de Saint Nazaire, de garnir son carnet de commandes, désespérément vide à cette époque, fournissant ainsi du travail à environ 2 000 employés et sous-traitants.
Trois ans plus tard, la situation a bien changé : la Russie de Vladimir Poutine ayant annexé la Crimée, le gouvernement français se retrouve dans une situation de plus en plus inconfortable, avec la perspective de la livraison prochaine du premier BPC. Quant au chantier STX, ses perspectives économiques se sont considérablement redressées depuis 2011 ; il bénéfice d’un carnet de commande pléthorique et se trouve dans une situation de plein emploi.
Sur le plan international, au fur et à mesure que l’échéance approche, un seul pays, la Russie, se montre ouvertement favorable à la livraison. La plupart des États occidentaux et le Japon font connaître leur opposition, d’autant plus vivement qu’ils sont proches géographiquement de la Russie. Les autres pays sont neutres. À moins de se rapprocher encore plus clairement du régime de Poutine, la France est donc très isolée.

Il faut également compter avec l’émergence en mai 2014 du collectif « No Mistrals for Putin« , mouvement démocratique et décentralisé, lancé par une poignée de Français, qui lutte seul contre la livraison des Mistral. On peut y voir un exemple particulièrement encourageant d’une mobilisation endogène de la société civile ayant su rassembler par-delà les frontières un groupe de citoyens qui partagent les mêmes valeurs et une même vision consciente de l’Histoire en train de s’écrire, Histoire dans laquelle ils décident d’être acteurs.
Cependant, au sein de ce collectif créé en France, la part des Français reste faible : l’analyse des sympathisants de la communauté Facebook montre que ceux-ci ne constituent que 8 % du total, et qu’en termes de nombre de fans rapporté à la population totale, notre pays ne se trouve qu’à la 7ème place…

Bien plus, à de très rares exceptions près, aucune ONG, aucun homme politique, aucune association ne participent au mouvement contre la livraison des Mistral dans la patrie des droits de l’Homme. Le PS et le Gouvernement, après quelques mois cacophoniques, se voient imposer un mutisme absolu. Le Front National, le reste de l’extrême droite, les communistes, une bonne partie de l’extrême gauche et la plupart des hommes politiques de droite sont ouvertement pour la livraison, quand ils ne relayaient pas directement et consciemment la propagande du Moscou.

Entre juillet 2014 et septembre 2015, la presse du Kremlin, notamment par l’intermédiaire de « Sputnik« , paraissant en de nombreuses langues dont le français, se déchaîne littéralement en cherchant à affoler la population sur les conséquences d’une non-livraison. Ce pilonnage est repris par tous les médias ou blogs favorables au Kremlin avant de finir comme une vérité établie dans la pensée commune, reprise par les médias « mainstream ».
Quant au gouvernement, certes dans une position délicate, il met fort longtemps à sortir d’une position très ambiguë, illustrée par deux faits caractéristiques entre tant d’autres : l’annonce par François Hollande le 22 juillet 2014, 5 jours après la destruction du vol MH17 par un missile russe, de la décision ferme de livrer le Vladivostok en octobre de la même année ; et le 14 novembre 2014, le passage sous pavillon russe du Vladivostok, brutalement désactivé sans qu’on connaisse le fin mot de l’histoire quand « No Mistrals for Putin » a levé le lièvre.

Bien loin des explications par l’assujettissement à l’impérialisme américain, on peut raisonnablement penser que ce sont les représentants des pays européens à l’OTAN et au sein de l’UE qui font véritablement fait pencher la balance en faveur de l’abandon de la livraison, de même que les marchés polonais. La destruction du vol MH17, en juillet 2014 et l’implication du Kremlin dans la boucherie de la bataille d’Ilovaïsk, Donbass, en août 2014 y tiennent, de plus, une part considérable.
La victoire que représente l’abandon de la livraison sans préjudice financier majeur nous montre que, pour les grands défis internationaux, l’Etat français doit sortir de son mutisme et de ses « éléments de langage » afin de communiquer, à la population, les observations tangibles et prouvées dont il a connaissance. Elle nous force à reconnaître qu’il est inacceptable de laisser une puissance hostile occuper le champ médiatique français, déserté par ceux qui ont la charge de notre pays.


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Table des matières

Introduction. Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol

1 – Aux racines du conflit : la décomposition de l’URSS

2 – Géopolitique de l’ »Etranger proche »

3 – L’Ukraine : émergence d’un nouvel État-nation

4 – « Euromaïdan » : une lame de fond

5 – Russie : les risques d’une puissance instable

6 – La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

7 – Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Conclusion. Le rôle crucial de l’Europe dans la résolution de la crise ukrainienne

«Campagnes de désinformation, cyberattaques, ingérences… le combat hybride a déjà commencé, à nous d’y faire face»

«Campagnes de désinformation, cyberattaques, ingérences… le combat hybride a déjà commencé, à nous d’y faire face»

https://www.lefigaro.fr/vox/monde/le-combat-hybride-a-deja-commence-a-nous-d-y-faire-face-20240725


Vladimir Poutine à Moscou, en Russie, le 12 juin 2024.

Vladimir Poutine à Moscou, en Russie, le 12 juin 2024. SERGEI GUNEYEV / AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE – La France doit faire face à une guerre hybride menée par la Russie, qui pourrait engendrer, si notre pays n’en prend pas la peine mesure, une «fragmentation de la nation», estime le commandant Olivier Martin.

Olivier Martin est commandant des Transmissions/Guerre électronique. Il prépare actuellement un doctorat sur les guerres hybrides.


«La France ne le sait pas, mais nous sommes en guerre». Si ce mot prêté à François Mitterrand n’évoquait que l’économie, il prend un tour plus littéral et concret aujourd’hui face à la Russie. Pourtant, nous n’en avons que très partiellement conscience.

Comment l’expliquer ? Cette guerre est hybride et contourne l’usage de la force. Elle relève d’une stratégie intégrale indirecte. Elle agit sous le seuil de riposte conventionnelle en combinant influence, lutte informationnelle et actions discrètes voire secrètes. Elle tire profit d’un champ de bataille multimilieux et multichamps, ouvert à l’art combinatoire. Elle cible principalement la «base arrière» : ensemble de l’appui aux forces de combat au sein d’une société. Mode d’action récurrent, sa modernité réside dans sa capacité et ses moyens de fragmenter de la cohésion nationale.

À l’aune des campagnes de désinformation et de manipulation en France, la guerre a déjà commencé. Il nous faut apprendre à voir ce nouvel art de la guerre et y faire face.

Officiellement, nous ne sommes pas en guerre. L’entrée en guerre (article 35 de la Constitution) n’a pas été invoquée. Ni notre société, ni notre économie ne sont sur le pied de guerre. Malgré les combats en Ukraine, nous agissons comme si le rêve d’une paix perpétuelle ne s’était pas éloigné. Nos sociétés ont cru aux dividendes de la paix, conduisant à une démobilisation des esprits et à une intolérance à la guerre, signe d’un pacifisme exacerbé.

Pourtant, nous sommes en «état de guerre», au sens kantien du terme : dans cet entre-deux d’un «ni guerre ni paix» pouvant mener aux extrêmes. La guerre hybride est ambiguë. Elle évite une confrontation directe par des opérations sous le seuil de riposte armée. Le ciblage de la «base arrière» française est à l’œuvre via les réseaux sociaux, des cyberattaques, des manœuvres économiques, énergétiques…En témoignent les ingérences étrangères sur les élections ou sur les hommes politiques, les rapports de Viginum et des services de renseignement. L’implication de «Doppelgänger» dans l’amplification et la diffusion des images des tags représentant des étoiles de David à Paris l’illustre parfaitement.

La guerre hybride vise le délitement des liens entre la population, le gouvernement et les armées.

Olivier Martin

La situation sécuritaire tend à un paradoxe presque métaphysique, à l’image du chat de Schrödinger : à la fois mort et vivant. Cet «état de guerre» explique notre aveuglement. Il repose sur un biais : notre incapacité à saisir un changement sans modification brutale. Leibniz l’illustrait par l’exemple de la corde qui se rompt : nous ne prenons conscience de la fragilisation de la corde qu’au moment où elle cède. Or, cette dégradation suit un lent processus. À l’image du passage de la paix à la guerre, nous cherchons l’événement déclencheur. Mais dans ce nouveau paradigme de la «guerre avant la guerre», il ne viendra peut-être pas.

L’hyper-connectivité dans un monde globalisé a engendré de nouveaux champs de confrontation, notamment informationnel et cyber, permettant une manipulation de masse. Ce ciblage vise l’opinion publique et in fine ses décideurs. Sixième fonction stratégique en France, l’influence est une «arme» par procuration pour nos compétiteurs. La force armée n’est plus l’ultime recours. Le militaire n’en détient plus le monopole. L’arrière est au front, alors «qu’on ne sent ni l’odeur de la poudre ni celle du sang» (La guerre hors limites de Qiao Liang et Wang Xiangsui).

La guerre hybride contourne l’usage de la force en raison d’un double blocage. L’équilibre de la terreur nucléaire implique une première impasse. Arme de non-emploi, elle n’efface pas la possibilité de la force mais la rend inacceptable tant le déséquilibre entre les gains et les pertes est abyssal. Le second est le rapport coût-efficacité des forces conventionnelles. L’attaque du fort au fort rend insupportable les coûts humains et matériels jusqu’au renouvellement de la question du seuil nucléaire. Or, le ciblage hybride évite cette dialectique de l’hostilité en restant sous le seuil de la riposte armée. Ainsi, la maskirovka use de moyens non militaires voire évite la lutte interétatique. Elle illustre la non-linéarité, chère au général Gerasimov, des conflits actuels : l’action armée ne vient, au besoin, que couronner cette stratégie. Les «petits hommes verts» en Crimée en 2014 en sont un cas d’école.

Ce ciblage ne vise pas la destruction des forces mais la fragmentation de la nation pour réduire en amont la capacité et la volonté de résistance. Elle ne veut pas convaincre par les armes (rationnel), mais persuader (émotionnel). L’objectif est le même : priver l’adversaire de sa liberté d’action. Pour reprendre la trinité clausewitzienne, la guerre hybride vise le délitement des liens entre la population, le gouvernement et les armées. L’isolement d’une de ces parties doit rendre impossible toute coordination. La soumission doit être acceptable dans cette nouvelle version de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave. Ceci n’est pas sans rappeler la stratégie russe en Ukraine.

Cette stratégie indirecte, volontairement ambiguë, entretient un sentiment illusoire de sécurité pour mieux frapper et étouffer les forces morales de la nation.

Olivier Martin

Les pays baltes et leur «défense globale» nous montrent la voie. Cette stratégie cumulative utilise tous les moyens pour renforcer leur défense. Son pilier central réside dans sa population. Il faut s’en inspirer pour durcir nos structures technologiques, économiques et militaires. Un renforcement de la cohésion nationale, c’est-à-dire de cette «sainte trinité», met en échec le ciblage ennemi. Cette résilience s’appelait naguère forces morales. Cela suppose un vaste chantier de réduction de l’archipélisation sociale, de l’insécurité économique, du séparatisme : autant de fragilités connues, autant de voies d’accès pour la guerre hybride adverse.

Cible de choix dans le domaine militaire, il s’agit de consolider le «système combattant» : le militaire et son environnement de combat, entendu comme le tout qu’il forme avec ce qu’il défend (famille, valeurs, etc.). Cette préservation de la capacité à s’engager repose sur l’assurance d’une prise en charge collective de cette base arrière avant le seuil d’affrontement et par l’étanchéité informationnelle du front et de l’arrière une fois franchi.

Face à cette hybridité tentaculaire, et sans verser dans la paranoïa ou le fantasme d’une «cinquième colonne» qui ferait le jeu de nos adversaires, une approche systémique n’a de sens qu’interministérielle. Une réponse efficace suppose une interconnexion des services et le partage de l’information. Le conseil de défense et de sécurité nationale paraît être l’instance stratégique de bon niveau pour coordonner la réponse française. À l’instar de la stratégie intégrale prônée par le général Poirier, il s’agit d’opérer dans une triple dimension : culturelle, économique et militaire. Face à la guerre hybride, une nation ne connaît que des postes de combat. Cela signifie se protéger, attaquer pour punir l’adversaire, voire le dissuader.

Le combat hybride a déjà commencé. Bien que parfois indistinct, le ciblage de notre société est déjà à l’œuvre. Cette stratégie indirecte, volontairement ambiguë, entretient un sentiment illusoire de sécurité pour mieux frapper et étouffer les forces morales de la nation. Sans renier nos valeurs démocratiques ou renoncer à nos libertés, le défi est d’y faire face collectivement et de démontrer que le courage civique n’a pas déserté le monde occidental.

Ingérences chinoises : les auxiliaires français de Pékin

Ingérences chinoises : les auxiliaires français de Pékin

par François Yves DAMON – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°644 / août 2024

https://cf2r.org/actualite/ingerences-chinoises-les-auxiliaires-francais-de-pekin/


Les ingérences chinoises relèvent de la stratégie globale de Pékin : la sape des alliances auxquelles adhèrent les États occidentaux et son corollaire, la promotion du multilatéralisme version chinoise comme alternative « pacifique » à l’imperium américain.

L’Institut de recherche de l’École militaire (IRSEM) a publié en 2021 un exhaustif et volumineux rapport – 650 pages – sur les ingérences chinoises[1]. Le lecteur pressé pourra se reporter à la synthèse de la troisième partie où sont rappelées les deux techniques binaires des opérations d’influence de Pékin : la première, « Séduire et subjuguer » ; la seconde, « Infiltrer et contraindre ». Toutes deux sont destinées, après la sape de l’OTAN et celle des États-Unis, à discréditer les démocraties parlementaires, qualifiées de moins efficaces – en raison de leur instabilité politique – que les systèmes autoritaires. Elles ont également pour but d’empêcher tout narratif négatif du pouvoir chinois.

Le rapport de l’IRSEM décrit également les organismes chargés de la stratégie d’influence de Pékin : ceux-ci relèvent soit du Parti communiste (départements de la propagande, des liaisons internationales, du Front Uni et Bureau 616 – chargé de la lutte contre le mouvement Falungong), soit de l’État, au premier chef du ministère de la Sécurité d’État (Guoanbu), dont les agents et les commissariats clandestinement implantés à l’étranger surveillent la diaspora pendant que son centre de recherche, le China Institute of Contemporary International Relations (CICIR), sert d’interlocuteur respectable aux Think Tanks, publics ou privés, étrangers.

Pour mener à bien leur action, ces organismes doivent trouver des relais : l’IRSEM distingue partenaires ponctuels, alliés de circonstances et véritables complices[2]. La Révolution culturelle (1966-1976[3]) avait déjà révélé l’abondance de relais disponibles en Occident chez les intellectuels et les artistes subjugués par Mao. Quarante ans plus tard, nombre d’universités ont ainsi offert un terrain favorable à l’implantation du plus officiel et visible des instruments de la stratégie d’influence de Pékin : les instituts Confucius.

Le 3 novembre 2011 un article de Rozenn Morgat intitulé : « À Arras, la discrète emprise chinoise sur la vie universitaire[4] » paru dans Le Figaro expliquait que « L’Institut Confucius, bras armé du soft power de la Chine, pénètre efficacement l’université d’Artois, entraînant le département d’études chinoises sur la pente d’un alignement inquiétant avec Pékin.»

Comment en est-on arrivé là ? Le gouvernement français a ouvert en 2005 ses portes aux instituts Confucius, un an après l’accord de transfert d’un laboratoire de recherche biomédicale P4 à Wuhan. Le premier institut fut implanté à l’université de Poitiers. Condition nécessaire à cette installation : la sino-compatibilité de l’université d’accueil – en d’autres termes, aucune critique à l’égard du gouvernement chinois…

En 2005 toujours, un poste de professeur de langue et civilisation chinoises fut attribué à l’université de Lille et un candidat local, élu par la commission ad hoc ; mais, sous l’impulsion de son président, le conseil d’administration annula cette élection. Le ministère retira ensuite le poste de professeur à Lille et l’attribua à l’université d’Arras, où, en 2006, était élue une ressortissante chinoise aux ordres de Pékin : un institut Confucius y ouvrit en 2008.

Cette emprise chinoise n’aurait pu s’étendre sans le relais actif d’éléments de l’administration française. À la manœuvre, un sinologue directeur adjoint de la direction de la recherche du ministère de l’Enseignement supérieur, qui a convaincu son allié de circonstances, le président de l’université de Lille, de rejeter l’élection du candidat local dont le narratif, jugé négatif à l’encontre de Pékin, était incompatible avec l’installation d’un institut Confucius ; puis il a obtenu le transfert du poste à Arras. Sa rétribution ? L’habile manouvrier a été, en 2007, nommé professeur honoraire de l’université de Pékin et, en 2008, membre de l’Académie chinoise des sciences sociales.

Les pilotes de ces actions d’ingérence peuvent désormais compter sur les citoyens et entreprises chinois contraints par l’article 7[5] de la Loi sur le renseignement national –adoptée en 2017 et modifiée en 2018 – de coopérer avec les agences de renseignement et de sécurité de l’État. Tous les ressortissants chinois – diaspora incluse – sont donc des agents potentiels de cette stratégie d’influence et les relais occidentaux, qu’ils soient ponctuels ou de circonstance, ou a fortiori complices, leurs auxiliaires.


[1] https://www.irsem.fr/rapport.html

Télécharger :

Les Opérations d’influence chinoises 2e éd. octobre – IRSEM 2021

[2] L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’est activement engagé dans la promotion des intérêts chinois en France (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2022-0022_EN.html).

[3] Stratégie de Mao pour garder le pouvoir malgré l’échec du « Grand Bond en avant » (1958-1960).

[4] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-institut-confucius-en-operation-seduction-a-l-universite-d-artois-20211103

[5] Sénat, Notes Commission d’enquête TikTok (Protection des données aux US Extraterritorialité du droit chinois) Étude de législation comparée n° 322, juillet 2023, p. 22 (https://www.senat.fr/lc/lc322/lc322_mono.html)

Cinéma et propagande : la guerre froide

Cinéma et propagande : la guerre froide

Mandatory Credit: Photo by James Veysey/REX (10218306y)

par Alain Bogé – Revue Conflits – publié le 2 août 2024

https://www.revueconflits.com/cinema-et-propagande-la-guerre-froide/


Entre l’URSS et les États-Unis, la guerre culturelle s’est aussi conduite via le cinéma. Figures des méchants et des héros, thèmes abordés, le cinéma de la Guerre froide révèle les tendances de cette époque.

La Conférence de Yalta se tient du 4 au 11 février 1945, dans les environs de Yalta en Crimée, au palais de Livadia, et réunit les vainqueurs de la 2e guerre mondiale à savoir l’Union soviétique (Joseph Staline), le Royaume-Uni (Winston Churchill) et les États-Unis d’Amérique (Franklin D.Roosevelt). Le général de Gaulle n’a pas été convié. L’objet de cette réunion est, en fait, de se partager l’Europe entre les 3 puissances. Le 5 mars 1946, Winston Churchill prononce un discours à Fulton (Missouri) en présence du Président américain Harry Truman en appelant la nécessité d’une alliance entre Britanniques et Américains pour prévenir la poursuite de l’expansionnisme soviétique en Europe et parle à ce sujet de rideau de fer ou Iron curtain. On va alors parler alors de guerre froide ou cold war qui va s’installer progressivement de 1947 jusqu’à la chute des régimes communistes en 1989, suite à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Cette guerre froide, qui n’aura pas vraiment d’épisodes guerriers stricto sensu, va aussi devenir une guerre d’influence et une « guerre d’images » dans laquelle le cinéma va prendre toute sa place et au cours de laquelle les réalisateurs vont créer des films à forte propagande, c’est-à-dire que lesdits films vont être des vecteurs de démonstration de culture et d’idéologie : pour les Américains, l’« american way of life » et pour les Russes, le « réalisme socialiste ». Les 2 protagonistes vont également magnifier leurs valeurs militaires, leur culte des héros et leur fidélité à la nation en danger.

Les États-Unis

Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains intensifient leur propagande à travers le cinéma. L’efficacité incontestable de ce type de propagande va encourager les autorités américaines à poursuivre dans cette voie. La propagande se retrouve dans beaucoup de genres cinématographiques comme l’espionnage, la science-fiction, le fantastique et, bien sûr, les films de guerre. La lutte anticommuniste s’amplifie, surtout sous le maccarthysme (encadré 1), et la propagande se met au service de cette lutte par le cinéma. Le cinéma hollywoodien s’engage dans la Guerre froide. Les historiens du cinéma dénombrent une trentaine de films qu’on peut qualifier d’anticommunistes pour toute la période, alors que la moyenne annuelle est proche de 360 longs-métrages. Les sociétés de production sont toutes mises à contribution. La Metro Goldwyn Mayer produit Guet-apens de Victor Saville ( 1949 ), la Warner, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas ( 1951 ), la Paramount, My son John de Leo Mac Carey ( 1952 ).Outre les réalisateurs cités, ainsi que quelques cinéastes chevronnés qui s’engagent dans la lutte anticommuniste : William Wellman, Sam Fuller, Henry Hattaway. Nous sommes dans un monde bipolaire et le cinéma américain a un grand impact sur l’ensemble de la population, quels que soient les classes sociales et les âges. Il y a forcément un genre de film qui correspond aux goûts de chacun. Prenons 2 exemples : les films d’espionnage et les films de science-fiction.

Les films d’espionnage traitent des sujets concrets qui se sont déroulés pendant la période où ils ont été tournés et utilisent des institutions nouvelles comme la Central Intelligence Agency mise en place en 1947, reconnue pour ses actions d’espionnage des communistes pendant la guerre froide.

La propagande de ces films est importante, car l’adversaire, en l’occurrence l’URSS, est toujours décrite de manière négative avec, à l’origine, un plan machiavélique qui vise les États-Unis, mais aussi le reste du monde. Les scénarios sont toujours très manichéens avec la supériorité américaine vs la défaillance russe. Un parfait exemple de ce genre est le film américain réalisé par Alfred Hitchcock en 1966 Torn curtain (Le rideau déchiré) dont l’action se passe en République Démocratique Allemande (RDA) et dont le titre est une allusion au rideau de fer (Iron curtain) érigé en 1961 par les Soviétiques et, entre autres, à Berlin.

Dans ces mêmes années 1950, les films de science-fiction connaissent un essor remarquable. C’est le règne de la métaphore. De nombreux films évoquent la lutte entre la Terre (c’est-à-dire les  États-Unis et le camp occidental ) et des mondes menaçants , comme la planète rouge Mars (tout un symbole !). Il va s’agir d’expéditions dans ces endroits inconnus comme Red Planet Mars de Harry Horner (1952), ou bien de la défense contre des envahisseurs venus d’ailleurs comme Invaders from Mars de William Menzies (1953), The war of the worlds de Byron Haskin (1953), facilitant le transfert d’image desdits envahisseurs aux ennemis soviétiques.

Quand l’URSS lance avant les États-Unis ses premiers satellites à partir de 1957, l’image des soucoupes volantes semble à beaucoup d’Américains l’anticipation d’une réalité à venir.

Tout au long de la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS ont fait vivre le monde dans l’inquiétude d’une destruction nucléaire totale et irréversible. Ils l’ont fait à travers des déclarations et des pourparlers médiatisés par la presse, la radio et la télévision, mais aussi par une importante production cinématographique. Cette instabilité rendait la tension encore plus perceptible et exacerbait les peurs dès le moindre incident. On peut citer 2 exemples : la destruction d’un U2 américain en 1960, qui voit cet avion-espion américain, abattu par les Russes pour violation du Point limite (Fail Safe) en survolant le territoire soviétique, ou la Crise des missiles de Cuba en 1962, qui fut un moment de tension extrême y compris chez les acteurs eux-mêmes et dont les films Dr. Strangelove et Fail Safe sont directement et simultanément inspirés. (25). Et il faut, bien sûr, mentionner les films de James Bond surtout ceux de 1964 à 1980 où la «paranoïa atomique» va dominer ces premiers films de Dr. No à Opération Tonnerre en passant par Goldfinger (voir encadré 2).

L’URSS

Le cinéma de propagande soviétique s’est déjà développé dès le début du XXe siècle sous le pouvoir tsariste. En 1919, le cinéma se nationalise et le cinéma devient « le premier vecteur de communication, d’éducation et de propagande». Joseph Staline est le Pendant cette période, le cinéma soviétique se fonde essentiellement sur le culte du Secrétaire général du Parti communiste Joseph Staline jusqu’à sa mort en 1953. (34).

L’été 1946 marque, en Union soviétique, le déclenchement d’une vigoureuse campagne dont l’objectif est de renforcer le contrôle du parti communiste sur l’ensemble de la production intellectuelle. Cette campagne atteint le théâtre le 26 août, puis le cinéma le 4 septembre. La direction idéologique de cette opération fut assurée par Andreï Jdanov, d’où le nom de « Jdanovschina » qui lui a été donné et qui se poursuivra jusqu’en 1953.

Alors que les films américains sont dans l’action et la célébration de l’ « american way of life », même en temps de guerre froide, les films soviétiques se rapprochent plus des films d’auteur avec ce réalisme soviétique qui est la marque de fabrique du cinéma stalinien et également la doctrine officielle de l’art, d’une manière générale, en présentant la réaliste selon une perspective historique. Les hommes et les femmes sont sur un pied d’égalité, les valeurs du travail et de la communauté sont mises en scène, communisme et bonheur vont ensemble. Un film comme La moisson (1953) Vlesodov Poudovovkine, est un exemple de ces valeurs et est complètement dédié à la gloire du système communiste.

La fin des années 1950 voit un dégel politique et culturel dans les relations des deux super puissances, et bien que la censure dans le cinéma soviétique soit moins visible qu’à l’époque de Staline, elle sera plus subtile sous Khrouchtchev. Le cinéma soviétique continue de mettre en avant et de diffuser largement l’idéologie socialiste en exagérant les principes et les valeurs, mais il n’y a pas vraiment de méchants Américains, mais plutôt la présence de bons Soviétiques.

L’arrivée de Khrouchtchev va favoriser un changement de ton dans le cinéma soviétique où les réalisateurs vont revenir sur le courage et l’abnégation des soldats soviétiques lors de la Grande Guerre patriotique contre les nazis, représentative de l’ennemi dans le roman national russe, comme on le voit encore aujourd’hui. Les autorités vont favoriser les fresques monumentales, en partie pour rivaliser avec Hollywood.

On peut citer comme exemples Les soldats (1956) d’Alexandre Ivanov, Raphsodie ukrainienne (1961) de Serguei Paradjanov ou La bataille de Stalingrad (1949) de Vladimir Petrov. La plupart de ces films font la part belle au culte de la personnalité alors à son apogée (Le chevalier à l’étoile d’or (1950) de Youli Raizman en est un exemple) mais restent relativement discrets sur le combat idéologique, ceci pouvant s’expliquer par la stratégie des dirigeants soviétiques basée sur coexistence pacifique, qui veut présenter le camp occidental comme l’agresseur. C’est l’époque ou le Conseil Mondial pour la Paix (World Peace Coucil) et ses membres ont adopté la ligne établie par le Kominform selon laquelle le monde est divisé entre l’Union soviétique éprise de paix et les États-Unis bellicistes.

D’autre part, dans la production soviétique, les allusions à la Guerre froide et à l’espionnage sont peu fréquentes pour autant que l’on puisse connaître les films de cette période. Déjà, leur nombre total est faible (19 en 1946, 61 en 1956). Néanmoins, il existe l’équivalent de James Bond dans le cinéma soviétique : il s’agit de Max Otto von Sterlitz, qui est le principal personnage d’une série de livres écrits dans les années 1960 par Julian Semenov et qui sera repris dans une série télévisée Dix-sept moments de printemps 1973) de Zinovi Genzer avec, dans le rôle de Stierlitz, le célèbre acteur Viatcheslav Tikhonov.

Et maintenant ?

Dans la Revue internationale et stratégique citée en rubrique, Charlotte Lepri peut avancer que « le recours à la propagande pendant la Guerre froide n’est plus à prouver. Qui dit Guerre froide pense course aux armements, rideau de fer, dissuasion nucléaire. Mais la lutte que se menèrent les deux blocs fut surtout idéologique et psychologique : la Guerre froide était aussi et peut-être avant tout une guerre d’images, d’idées, de propagande, de désinformation et de pression diplomatique ». Aujourd’hui encore, la culture, en particulier le cinéma, est un vecteur d’influence et de propagande et reste un outil privilégié du soft power d’un pays. Les films de propagande ont continué à être proposés après la guerre froide et, plus particulièrement aux États-Unis. On peut citer comme exemple The hunt for Red October  (1990) de John Mc Tiernan et Bridge of spies (2015) de Steven Spielberg.

Mais, aujourd’hui, nous sommes passés d’un monde bipolaire au moment de la guerre froide à un monde multipolaire. Aux industries cinématographiques américaines, russes et de leurs alliés viennent s’ajouter aujourd’hui principalement les films chinois et indiens. En Chine, l’autorité cinématographique chinoise a ordonné à toutes les salles de projeter, au moins deux fois par semaine, des créations vantant «la patrie, son peuple, ses héros» ainsi que le Parti communiste à l’occasion du centenaire du PCC.

L’Inde, qui n’a pas participé directement à la guerre froide, se sert de l’énergie et de féérie visuelle de ses films (Bollywoodisation) pour se forger une image et une identité, relayée par les politiques, surtout avec le principe de nationalisme hindou développé par le gouvernement. La puissance émotionnelle du cinéma peut ainsi faire passer de la notion de soft power au principe de nation building.

Encadré 1 : Le Maccarthysme (1946-1954).

Au lendemain de la 2e guerre mondiale et après les accords de Yalta et Potsdam, l’URSS gagne du terrain en Europe « vassalisant » les pays qui vont faire partie du « bloc soviétique » et menacent le modèle démocratique occidental. De facto, une paranoïa anticommuniste se développe aux États-Unis et, en 1947, s’ouvre à Hollywood une période de chasse aux sorcières initiée par le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy (1908-1957). Toute critique contre l’American way of life est vite assimilée à une attitude communiste. C’est la période des affaires d’espionnage soviétique : Klaus Fuchs (1950) et les époux Rosenberg (1953) et des films films relatent des affaires d’espionnage « atomique » sur le territoire américain, dans lesquelles les agents du FBI ont le beau rôle : Le rideau de fer de William Wellmann (1948), I was a communist for the FBI de Gordon Douglas (1951). À Hollywood, est établie une liste noire d’environ 300 artistes à qui les studios hollywoodiens refusent tout emploi, parce qu’ils sont soupçonnés de sympathie avec le parti communiste américain. : Charlie Chaplin, Jules Dassin, Sterling Hayden, Joseph Losey et certains choisiront l’exil. Le processus est bien expliqué dans le film The way we were (1973) de Sydney Pollack. Le cinéma est une entreprise privée aux États-Unis, mais le gouvernement exerce toujours une influence, voire un droit de véto, sur les productions cinématographiques. McCarthy se verra désavoué par le Président Eisenhower à la suite d’un vote de censure.

Encadré 2

Lorsque Klaus Dodds étudie les cinq premiers films des aventures de James Bond sortis entre 1962 et 1967, il souligne  que ce choix de lieux où se pesse l’action propose une représentation des espaces de la Guerre froide, avec le Bloc de l’Est comme principale origine des complots menaçant l’ordre mondial, selon la logique d’un affrontement manichéen entre le Bien et le Mal soulignant combien le succès des James Bond repose sur le choix de lieux exotiques, ainsi que les « James Bond girls » et les scènes mouvementées d’action, l’objectif étant de toucher un large public.  L’adversaire, dans ces premiers films, est un service russe, le SMERSH, qui est un acronyme de l’expression «smiert spionam» («mort aux espions»). Le héros est anglais, même so british, mais son « complice », au moins au début, est Félix Leiter de la CIA. Dans ses films, James Bond est le représentant des « bloc de l’Ouest » et des valeurs occidentales, le tout sous forme de divertissement qui fait d’autant mieux passer les messages de l’«occidental way of life ».


Pour aller plus loin :

Lepri, C. (2010). De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre froide. Revue internationale et stratégique, 78, 111-118. https://doi.org/10.3917/ris.078.0111

Nardone R. (2021). Hollywood, Atome et Guerre froide. Entre détente et terreur.

Funnell L.  Dodds.K (2017) Geographies, Genders and Geopolitics of James Bond. Ed.Palgrave Macmillan.

Site Cinema et Guerre froide https://cinema-guerre-froide.weebly.com

Filmographie (non limitative).

USA

The third man (1949), de Carol Reed.

On the Beach (1959) de Stanley Kramer.

The Day after (1983) de Nicholas Meyer.

From Russia with Love (1963) de Terence Young.

Dr. Strangelove (1964) de Stanley Kubrick.

Fail Safe (1964) de Sidney Lumet.

The spy who came in from the cold (1965), de Martin Ritt.

Torn curtain (1966) d’Alfred Hitchcock.

You Only Live Twice (1967) de Lewis Gilbert.

Telefon (1977) de Don Siegel.

The Spy Who Loved Me (1977) de Lewis Gilbert.

Firefox (1982) de Clint Eastwood.

Rocky IV (1985) de Sylvester Stallone.

URSS

La Chute de Berlin (1949) de Mikhail Tchiaoureli.

Quand Passent les Cigogne (1957) de Mikhail Kalatozov.

La Balade du Soldat (1959) de Grigori Tchoukhraï.

Le Bastion d’Ilitch (1961) de Marlen Khoutsiev.

Le Nôtre parmi les autres (1974) de Nikita Mikhalkov.


Alain Bogé

Enseignant en Géopolitique et Relations Internationales. HEIP Hautes Etudes Internationales et Politiques – Lyon. Czech University of Life Sciences-Dpt Economy – Prag (Czech Republic). Burgundy School of Business-BSB – Dijon-Lyon. European Business School-EBS – Paris

Face aux ingérences russes, un rapport demande à la France de « ne plus être naïve »

Face aux ingérences russes, un rapport demande à la France de « ne plus être naïve »

Stimulées par l’intelligence artificielle et les réseaux, les ingérences étrangères se multiplient. Et la France n’est pas assez armée pour y faire face, selon une commission d’enquête du Sénat.

La Russie et l’Azerbaïdjan sont visés dans le rapport comme étant des pays utilisant ce genre de pratiques.
La Russie et l’Azerbaïdjan sont visés dans le rapport comme étant des pays utilisant ce genre de pratiques. | REUTERS

« Les punaises de lit » à la rentrée 2023 ; « l’affaire des étoiles bleues de David taguées à Paris » fin octobre ; « des mains rouges sur le mémorial de la Shoah » début mai ; « cinq cercueils de taille réelle déposés aux abords de la tour Eiffel » en juin… Autant d’actes dont « il paraît vraisemblable qu’ils ont été menés par les services de renseignement russes », souligne la commission d’enquête du Sénat sur les ingérences étrangères en France, dans son rapport rendu jeudi.

Une « néoguerre froide hybride »

Selon Rachid Temal, sénateur socialiste du Val-d’Oise et rapporteur de la commission, ces opérations sont la manifestation d’une « néoguerre froide hybride » qui fait rage actuellement, stimulée par le développement de l’Intelligence artificielle et des réseaux sociaux. « Il ne faut pas être naïf », lance-t-il, avant d’appeler à s’en prémunir.

Problème, si la France « a mis des choses en place », avec notamment la création en 2021 de Viginum, une agence de l’État chargée de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques, les mesures prises ne sont pas encore suffisantes, à ses yeux. « On manque d’une stratégie globale », regrette Rachid Temal.

Lire aussi : Le texte pour lutter contre les ingérences étrangères adopté à l’Assemblée

« Éviter les trous dans la raquette »

Avec ce rapport, les sénateurs cherchent à remédier au problème en donnant des solutions « clés en main » au futur gouvernement. « On propose quarante-sept mesures différentes dans divers domaines », détaille le sénateur. Sont passés en revue les médias, la culture, l’armée, la coopération internationale ou encore l’école, avec un objectif principal : développer l’esprit critique. « Pour prendre l’exemple de l’école, l’idée est de faire comme dans d’autres pays, où l’on apprend aux élèves à recouper les informations, vérifier les sources des statistiques… ».

Malgré les multiples amendes et mises en gardes, C8 et CNews doivent-elles, selon vous, continuer à émettre sur la TNT ?

Autre point capital : « une prise de conscience collective ». Selon le sénateur, il faut « comprendre que chaque citoyen peut être à la fois une cible et un élément propagateur. » Il recommande donc d’être particulièrement vigilant à tout moment. Mais difficile de mettre un terme à toutes les ingérences, reconnaît-il. « Il n’y a pas de risque zéro . Le but, c’est qu’il y ait le moins de trous possible dans la raquette. »

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 7 juillet 2024  

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des États-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

 

 

Dossier géopolitique : La désinformation
Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la « révolution revisitée »

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Liens externes vers les publications de Viginum

Viginum, service d’observation chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

. 17 mai 2024. Nouvelle-Calédonie : manœuvres informationnelles impliquant des acteurs azerbaïdjanais

. 14 février 2024, Portal Kombat : suite des investigations sur le réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM caractérise l’implication d’une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l’administration des sites du réseau « Portal Kombat ».

. 12 février 2024, Portal Kombat : un réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM dévoile l’activité d’un réseau baptisé « Portal Kombat », constitué de « portails d’information » numériques diffusant des contenus pro-russes, couvrant positivement l’invasion russe en Ukraine et dénigrant les autorités de Kiev, afin d’influencer les opinions publiques notamment françaises.

. 13 juin 2023, RRN : une campagne numérique de manipulation de l’information complexe et persistante

Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) a identifié une campagne numérique de manipulation de l’information ayant visé plusieurs États européens depuis septembre 2022, dont la France.


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
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Publication initiale de ce dossier février 2024.

L’Union européenne face à la cybermenace

L’Union européenne face à la cybermenace

Mandatory Credit: Photo by Lucian Alecu/Shutterstock (13906331z)
Inauguration of the European Cybersecurity Competence Centre (ECCC) new headquarters in CAMPUS Center building of the Polytechnic University of Bucharest. European Cybersecurity Competence Centre Inauguration, Bucharest, Romania – 09 May 2023/

par Alexis Deprau – Revue Conflits – publié le 19 juin 2024

https://www.revueconflits.com/lunion-europeenne-face-a-la-cybermenace-une-strategie-de-regulation-a-lepreuve-des-souverainetes-nationales/


Attaqués à plusieurs reprises par des cyber attaques, les pays de l’Union européenne ont adapté leur stratégie afin de pouvoir répondre à ces nouvelles menaces.

Avril 2007, une série de cyberattaques visa les sites web d’organisations estoniennes, tels que le Parlement estonien, les banques, les ministères, les journaux et diffuseurs. Cette grave cybermenace influença à n’en pas douter l’Union européenne, pour l’édiction de la directive du 8 décembre 2008 relative au recensement et à la désignation des infrastructures critiques européennes (1). Se limitant néanmoins aux secteurs de l’énergie et des transports, elle n’apporta aucune action concrète. Elle se contenta tout au mieux d’appeler les Etats-membres à identifier les infrastructures critiques concernées et prévoir des mesures de sécurité, sans entrer véritablement dans le détail des mesures nécessaires.

Et ce qui devait arriver arriva, une attaque informatique visa le marché européen du carbone en janvier 2011 : la Commission européenne suspendit les transactions sur cette plateforme permettant d’acheter et de revendre des quotas d’émission de carbone, pour ne redevenir complètement opérationnelle que trois mois plus tard.

Les différentes cybermenaces

Parler de cybermenace est un fait, mais quels sont les types d’attaques répertoriés ? Elles peuvent être variées et répertoriées selon trois modes principaux (2) :

  • la « guerre pour l’information » ou cyberespionnage, visant à pénétrer les réseaux en vue de récupérer les informations qui y circulent ou y sont stockées ;
  • la « guerre contre l’information » ou sabotage, qui s’attaque à l’intégrité de systèmes informatiques pour en perturber ou en interrompre le fonctionnement (avec les attaques par déni de service) ;
  • la propagande de désinformation ou d’action politique (Covid 19, conflit russo-ukrainien, conflit entre Israël et le Hamas).

La déstabilisation par déni de service (ou Denial of Service attack, DOS) consiste plus précisément en l’envoi massif de données pour perturber l’accès aux pages Web, comme en Estonie ou au sein de l’Union européenne en 2011. Le Japon fut de même l’objet de près de 450 millions de cyberattaques visant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Tokyo (un nombre d’attaques 2,5 fois plus élevé que lors des Jeux Olympiques de Londres en 2012).

Il ne faut pas oublier non plus la cybercriminalité qui, de l’aveu du général Marc Boget (3), aurait représenté 6 000 à 7 000 milliards de dollars en 2020 à travers le monde, avec une attaque par rançon-logiciel toutes les 11 secondes. Ce coût de la cybercriminalité est dix fois plus élevé qu’en 2018, le Center for Strategic and International Studies (CSIS) et la société McAfee l’ayant évalué cette année-là à 600 milliards de dollars (4).

Malgré l’adoption de nombreux documents ou plans d’action, l’Union européenne ne semblait pas encore avoir pris la mesure de l’importance des enjeux liés à la sécurité des systèmes d’information en 2012. Trois lacunes avaient alors été constatées : un véritable manque de stratégie globale du cyberespace à l’échelle européenne ; une dispersion des acteurs avec une concurrence entre les différentes directions générales pour le pilotage des enjeux de cybersécurité au sein de l’Union ; enfin, un manque d’efficacité.

Il apparaissait dès lors évident en 2012 que, « malgré l’adoption d’un grand nombre de textes, l’action concrète de l’Union européenne dans ce domaine est restée jusqu’à présent relativement limitée », soulignant à cette époque-là une implication encore insuffisante de l’Union européenne en la matière (5).

La question de la législation

Mais était-ce réellement la stratégie de l’Union européenne de légiférer en la matière ? Pour rappel, l’Europe s’est d’abord construite sur une ambition économique. Instaurée comme Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) devenue Communauté européenne (CE) puis Union européenne (UE), rien ne laissait présager un tel axe de régulation, qui fut certes pris en compte lentement mais progressivement. Ce lien entre le numérique et la Communauté concerna principalement le soutien au Marché unique et la défense du citoyen-consommateur, par exemple avec le règlement « eIDAS » du 23 juillet 2014 (6).

Puis cette protection de l’économie dans le domaine numérique fut étoffée d’instruments juridiques nécessaires à une régulation du cyber dans l’espace économique européen (7), même si le consensus entre Etats membres a été (et reste encore) défaillant. En d’autres termes, cette absence de consensus se traduit malheureusement par une « incapacité durable de l’Union à lutter contre les pratiques prédatrices de certains Etats membres qui profitent de la compétence nationale qui est la leur pour développer des ‘fiscalités accommodantes’ (avantages fiscaux accordés par certains Etats aux GAFAM) » (8).

En tout état de cause, l’ébauche de régulation du cyber par l’Union peut être considérée comme tardive, même si quelques instruments existaient auparavant. Mais au-delà de la pure régulation juridique qui ne doit pas être l’œuvre d’un travail purement descriptif, il n’est pas inintéressant de se demander si cette régulation ainsi évoquée tient lieu de stratégie de la part de l’Union européenne, d’une stratégie voulue et consensuelle, ou si elle n’est pas freinée en raison des potentielles réticences des Etats membres, quitte à ce que le souhait d’une harmonisation dans la régulation de la cybermenace ne laisse pas la place à une « balkanisation » des structures dédiées à la lutte contre les cybermenaces, au détriment d’une coopération efficace.

La cybersécurité : une stratégie de régulation qui a tâtonné

Il fallut attendre 2013 pour que la cybersécurité soit appréhendée comme une priorité stratégique au sein de l’Union européenne. Cette stratégie dénommée « Un cyberespace ouvert, sûr et sécurisé » reposait sur cinq priorités : 1° Parvenir à la cyber-résilience ; 2° Faire reculer la cybercriminalité ; 3° Développer une politique et des moyens de cyberdéfense en liaison avec la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ; 4° Développer les ressources industrielles et technologiques en matière de cybersécurité ; 5° Instaurer une politique internationale de l’Union européenne cohérente en matière de cyberespace et promouvoir les valeurs essentielles de l’Union.

Le point nodal de la stratégie de 2013 consistait à bâtir un lien fort entre le renforcement de la cybersécurité et le développement de ressources industrielles et technologiques propres à ce secteur.

La même année, la directive du 12 août 2013 relative aux attaques contre les systèmes d’information (9) eut quant à elle pour objectif de rapprocher le droit pénal des États membres dans le domaine des cyberattaques en fixant des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et les sanctions applicables, et de renforcer la coopération entre les autorités compétentes. A savoir la police et les services spécialisés chargés de l’application de la loi dans les États membres, ainsi que les agences et organes spécialisés compétents de l’Union (Eurojust, Europol et son Centre européen de lutte contre la cybercriminalité), sans oublier l’Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information (ENISA).

Surtout, la directive du 6 juillet 2016 sur la sécurité des réseaux et des systèmes d’information (10) (dite SRI) – ou directive Network and Information System (NIS) – fut la première législation européenne sur la cybersécurité, ayant pour finalité de garantir un niveau de sécurité des réseaux et des systèmes d’information uniformément élevé dans l’ensemble de l’Union, au travers de quatre axes :

  1. le renforcement des capacités nationales, avec l’obligation pour chaque État membre de se doter d’une stratégie nationale de cybersécurité, et la mise en place des « Computer Security Incident Response Team » (CSIRT) pour chaque secteur essentiel de l’économie et de la vie en société (11) ;
  2. l’établissement d’un cadre de coopération volontaire entre les États membres et l’Union, avec la création d’un groupe de coopération (dimension politique de la cybersécurité) et d’un réseau européen des CSIRT (dimension technique) ;
  3. le renforcement pour chaque État membre de la sécurité informatique de ses opérateurs de services essentiels (OSE) ;
  4. l’instauration de règles européennes communes concernant la cybersécurité de trois types de fournisseurs de services numériques (FSE) : acteurs de l’informatique en nuage, moteurs de recherche et places de marché en ligne.

Dans la pratique, le groupe de coopération de la directive SRI, créé pour permettre d’harmoniser la mise en œuvre de la directive, s’avère être un carrefour de coopération très précieux en réunissant les autorités nationales référentes, l’ENISA et la Commission européenne. Ce groupe de coopération a su devenir un forum efficace pour fournir des orientations au réseau des CSIRT européens (réunissant les CSIRT nationaux), et le CERT-EU (organe équivalent de l’Union européenne).

Un bilan mitigé

Pour autant, un premier bilan mitigé de l’application par les États membres de la directive SRI fut rendu dans un rapport de la Commission du 28 octobre 2018 (pour la période de septembre 2018 à novembre 2019). Même si sa mise en œuvre de cette directive fut synonyme de progrès significatifs « elle ne constitue qu’une première étape dans la construction d’une véritable ossature de cybersécurité européenne [et] agit en outre comme le révélateur de faiblesses intrinsèques à certains États membres » (12).

Conformément à sa clause de révision, la directive SRI fut améliorée et substituée par la directive SRI 2 du 14 décembre 2022 (13), promouvant notamment des objectifs de coopération renforcée entre les États membres. Des obligations spécifiques ont par exemple été instituées pour les centres de réponse aux incidents de sécurité informatiques (CSIRT – CERT en France), comme la participation à des réseaux de coopération nationale, ou encore l’obligation d’être un point de contact pour que les entités communiquent sur leurs vulnérabilités.

De plus, un nouveau réseau a été mis en place, en sus du réseau national des CSIRT, du réseau européen et du groupe de coopération. Dénommé réseau européen pour la préparation et la gestion des crises cyber (EU-CyCLONE), il a pour tâche : de renforcer le niveau de préparation à la gestion des incidents de cybersécurité majeurs et des crises ; de développer une connaissance situationnelle partagée de ces incidents ; d’évaluer leurs conséquences et de proposer des mesures correctrices ; de coordonner la gestion des incidents et la prise de décision au niveau politique ; enfin, d’examiner le plan de réaction des États membres lorsque ceux-ci en font la demande.

L’ENISA, ou la coopération structurelle renforcée de la cybersécurité

Créée en 2004 (14) et installée à Héraklion (Crète) puis à Bruxelles (15), la European Union Agency for Network and Information Security (ENISA) est une agence de l’Union européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information qui assiste les pouvoirs publics dans l’identification des enjeux de cybersécurité et propose des solutions techniques pour lutter contre les cybermenaces.

Elle s’est ainsi vue confier des missions diverses, appréhendées en trois domaines : 1° en tant qu’agence d’expertise technique, le conseil et l’assistance de la Commission européenne et des États membres en matière de sécurité des systèmes d’information ; 2° le soutien des Etats membres et des institutions européennes dans le développement de capacités de réponse aux cybermenaces ; 3° la promotion de la coopération entre les Etats membres, notamment par des exercices communs.

Elle publia par exemple des rapports pour le moins pertinents, comprenant des recommandations concrètes, que ce soit sur les systèmes de contrôle industriels et les SCADA (16) ou la cybersécurité maritime, sans oublier, l’exercice européen de crise « Cyber Europe 2010 » dans le cadre du groupe de travail sur les exercices piloté par l’ENISA.

Le rôle de l’ENISA

L’ENISA a vu son mandat renforcé, étant un point de référence pour l’ensemble de l’Union, notamment en aidant activement les États membres et les institutions, organes et organismes de l’Union. La directive SRI du 6 juillet 2016 lui confia d’ailleurs des missions importantes à cet effet : assurer le secrétariat du réseau des CSIRT pour obtenir une coopération rapide et effective au niveau opérationnel entre États membres (en cas d’incidents de cybersécurité spécifiques), et pour échanger des informations sur les risques ; assister le groupe de coopération de la directive SRI, les États membres et la Commission en fournissant expertise et conseils.

Le règlement du 7 juin 2019 relatif à l’ENISA (ou Cybersecurity Act) (17) eut quant à lui pour finalité de regrouper deux objets distincts. En premier lieu, les objectifs, les tâches et le statut de l’ENISA furent redéfinis en prévoyant des dispositions précises sur ses missions, son fonctionnement, sa composition, et son personnel. En second lieu, ce règlement donna un cadre à la mise en place des schémas européens de certification de cybersécurité, pour garantir la cybersécurité des produits de technologies d’information et de communication (TIC), services TIC et processus TIC au sein de l’Union.

Elément essentiel, le règlement a prévu une coopération opérationnelle efficiente au sein de l’Union (article 7). En ce sens, l’ENISA apporte son soutien à la coopération opérationnelle entre les États membres, les institutions européennes et les parties prenantes ; soutient aussi activement le partage d’informations et la coopération entre les membres de ce réseau.

Dans la continuité de cette stratégie de sécurité des réseaux et de l’information, a été instaurée une équipe d’intervention d’urgence a été instaurée afin de protéger les institutions européennes contre les cyberattaques. Comme les autres CSIRT publics et privés, le CERT-UE a vocation à répondre de manière efficace à des incidents de sécurité informatique et aux cybermenaces (24 heures sur 24 et 7 jours sur 7).

Au-delà des missions traditionnelles incombant à tout CSIRT, le CERT-UE est un centre d’intervention d’urgence qui « vise à construire et compléter les capacités existantes des institutions, organes et agences de l’Union et à encourager l’émergence d’une culture de la confiance au sein de cet environnement protégé » (18).

Certes, il faudra convenir que cette coopération sur le plan opérationnel ne constitue pas véritablement un ensemble de missions opérationnelles, mais plutôt une synergie avec les institutions européennes.

De nouvelles dispositions

Cette disposition prévoit également une coopération structurée avec le Centre européen de lutte contre la cybercriminalité (EC3) créé en 2013. Composante d’Europol, il a pour ambition d’apporter une réponse institutionnelle à la forte progression de la cybermenace en renforçant la répression de la cybercriminalité dans l’Union. La coopération est ici observée en rassemblant auprès des pays l’information et l’expertise, en soutenant les enquêtes pénales menées par les États membres, en promouvant des solutions, et enfin en sensibilisant aux enjeux de cybersécurité à l’échelle de l’Union. 

Face aux risques de morcellement national et à la sensibilité des questions de souveraineté que soulève l’enjeu de cybersécurité, le Cybersecurity Act du 7 juin 2019 apporte enfin une pièce majeure à l’édification d’une architecture solide. Consacrant une véritable autonomie stratégique de l’Union pour la cybersécurité, il fait de l’ENISA la pierre angulaire de la cybersécurité européenne. Avec ce règlement, elle est en effet devenue l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité.

Pour autant et ce qu’il ne faut pas perdre de vue, cette Agence « ne doit, ni ne peut, se substituer aux agences nationales qui sont les premières à devoir assurer les missions de détection, de diagnostic et de réponse aux crises en matière de cybersécurité. […] Elle peut en revanche devenir le point de référence auprès des institutions de l’Union et des États membres, et favoriser l’émergence d’une véritable plateforme de la cybersécurité européenne, susceptible de contribuer à la robustesse des systèmes de défense nationaux en favorisant les collaborations multilatérales » (19).

C’est peut-être aussi la raison pour laquelle des Etats membres ont refusé d’attribuer des pouvoirs d’enquête à l’ENISA, et a fortiori de lui donner un rôle plus opérationnel, craignant que l’ENISA ne se substitue aux capacités opérationnelles des États membres, alors même que ces derniers disposent de capacités techniques et opérationnelles suffisantes.

En France, le Sénat s’est ainsi opposé dans sa résolution du 6 décembre 2017 à ce que l’ENISA dispose de pouvoirs d’enquête, rappelant que cette attribution ne respectait pas le principe de subsidiarité. Il estima que « la coopération européenne dans la cybersécurité devait continuer à se faire sur la base de la participation des États membres et de la transmission volontaire d’informations sensibles, voire relevant de la sécurité nationale » (20).

L’Union européenne en quête d’une coopération effective dans la cyberdéfense

Il aurait pu sembler que l’Union européenne était bien armée pour se défendre contre n’importe quel type d’attaque. L’article 42 § 7 du traité sur l’Union européenne ne prévoit-il pas une clause d’assistance mutuelle, au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire. Les autres États membres lui devraient alors aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, (conformément à l’article 51 de la charte des Nations unies).

Néanmoins, cette clause d’assistance mutuelle n’a pour le moment été activée qu’une seule fois, quand la France formula une demande d’aide et d’assistance auprès des Etats membres à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Légitimement appliquée pour la lutte contre le terrorisme, rien ne semble penser que ce mécanisme puisse en revanche être appliqué pour les cybermenaces, à l’instar d’ailleurs des autres mécanismes internationaux d’assistance mutuelle (articles 51 de la Charte des Nations unies ; article 5 du Traité de l’Atlantique Nord) qui n’ont pas non plus été activés à ce propos. Quoi qu’il en soit, et même si ces propos datent de 2012, « il n’existe aucun consensus entre les vingt-sept Etats membres de l’Union européenne sur la mise en œuvre de la « clause de défense mutuelle » contenue dans le traité de Lisbonne, en cas d’attaque informatique majeure contre un Etat membre » (21). Propos qui ne semblent malheureusement pas encore avoir été l’objet d’une réflexion approfondie.

C’est d’ailleurs dans le cadre de la coopération structurée permanente (CSP) lancée le 11 décembre 2017 entre 25 États membres (22), que deux projets liés à la cyberdéfense virent le jour :

  • celui d’équipes d’intervention rapide en cas d’incident informatiques et assistance mutuelle dans le domaine de la cybersécurité (Cyber Rapid Response Teams and Mutual Assistance in Cyber Security), pour intégrer l’expertise des États membres dans le domaine de la cyberdéfense. Des équipes d’intervention rapide (Cyber Rapid Response Teams – CRRTs) constituées permettent aux États membres de s’entraider et de répondre collectivement aux incidents cyber ; de porter assistance tant aux États membres, qu’aux institutions européennes ou à des pays partenaires.
  • ainsi que la création d’une plateforme de partage d’informations en matière de réaction aux menaces et incidents informatiques (Cyber Threats and Incident Response Information Sharing Platform), dans l’idée de renforcer les capacités de cyberdéfense des États participants en favorisant le partage du renseignement sur les cybermenaces.

Bien que ces deux projets soient ambitieux, des interrogations sont toujours présentes eu égard à leur portée réelle, dans la mesure où « le déploiement des CRRTs notamment se heurtera probablement, de manière concrète, à la réticence de certains États à voir des équipes pour partie composées de non-nationaux intervenir sur leurs réseaux » (23).

Liée encore une fois à la potentielle réticence des Etats, une dernière difficulté tient au fait que les décisions et recommandations du Conseil prises dans le cadre de la coopération structurée permanente le sont à l’unanimité des 25 États membres participants, ce qui pourrait singulièrement compliquer la mise en œuvre de celle-ci… N’oublions pas malheureusement la difficulté qu’ont les Etats membres à poursuivre des ambitions communes et faire consensus, comme le prouvent de nombreux exemples (Brexit, Europe de la défense, ou position de certains États dans le cadre du conflit russo-ukrainien).

Conclusion

Il était déjà fait état de la lenteur de la mise en place du dispositif de lutte contre les cybermenaces dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Se posait alors la question de savoir comment conjuguer une telle action d’urgence avec une stratégie politique de plus long terme visant à asseoir l’autorité d’un État, seul garant légitime et durable de la protection des populations. Si les rédacteurs du Livre blanc dressèrent un constat sans appel, il semblait difficile que ce constat soit toujours valable dix années plus tard. Effectivement, « la réponse à ces questions émerge trop lentement dans les crises où ces principes sont testés. Le consensus international qui pourrait accompagner et canaliser les évolutions nécessaires reste insuffisant, alors que des situations inédites transforment rapidement le paysage stratégique » (24).

Un consensus difficile en somme, d’autant plus quand l’on connait les potentielles capacités techniques de certains Etats membres, à l’image de la France qui dispose de divers services ayant  pour partie ou totalement la cyberdéfense comme domaine de compétence : Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) ; Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) ; Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) ; Direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD) ; Direction du renseignement militaire (DRM) ; Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ; Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ; Tracfin ; Office anticybercriminalité (OFAC) ; ou encore Commandement de la Gendarmerie dans le cyberespace (COMCyberGEND).

En tout état de cause, la coopération renforcée entre Etat est plus que bienvenue. Une action efficace dans la lutte contre les cybermenaces étant intrinsèquement liée à la décision politique de chaque Etat membre pour y faire face.

Finalement, et sans être grand clerc en la matière, « la solution au problème de l’expansion digitale ne se trouve pas dans un surcroît de digitalisation mais dans la recherche d’un arbitrage en surplomb, c’est-à-dire dans la réintroduction de la politique, d’une force organisée et d’institutions » (25).


1. Dir. 2008/114/CE du Conseil du 8 déc. 2008 concernant le recensement et la désignation des infrastructures critiques européennes ainsi que l’évaluation de la nécessité d’améliorer leur protection.2. Cette distinction a été faite par Roger ROMANI, in Rapport d’information sur la cyberdéfense, Sénat, n°449, 8 juill. 2008, p. 12

3. Directeur de la stratégie numérique et technologique de la Gendarmerie Nationale.

4. Éric BOTHOREL, Rapport d’information sur l’avenir de la cybersécurité européenne, Assemblée nationale, n°2415, 14 nov. 2019, p. 13.

5. Jean-Marie BOCKEL, Rapport d’information sur la cyberdéfense, Sénat, n°681, 18 juillet 2012, p. 62.

6. Règ. (UE) (UE) n°910/2014 du Parlement et du Conseil du 23 juill. 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur.

7. Pour exemple : Règ. d’exécution (UE) 2018/151 de la Commission du 30 janv. 2018 portant modalités d’application de la directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil précisant les éléments à prendre en considération par les fournisseurs de service numérique pour gérer les risques qui menacent la sécurité des réseaux et des systèmes d’information ainsi que les paramètres permettant de déterminer si un incident a un impact significatif.

8. Didier DANET, Conflits, hors-série, juin-juill. 2022, p. 47.

9. Dir. 2013/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 août 2013 relative aux attaques contre les systèmes d’information et remplaçant la décision-cadre 2005/222/JAI du Conseil

10. Dir. (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du 6 juill. 2016 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes d’information dans l’Union.

11. Équipe d’intervention en cas d’incident informatique. Le terme est privilégié en Europe car le terme de « Computer Emergency Response Team » (CERT) provient des États-Unis.

12. Éric BOTHOREL, op. cit., 14 nov. 2019, p. 34.

13. Dir. (UE) 2022/2555 du Parlement européen et du Conseil du 14 déc. 2022 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l’ensemble de l’Union, modifiant le règlement (UE) n°910/2014 et la dir. (UE) 2018/1972, et abrogeant la dir. (UE) 2016/1148 (directive SRI 2)

14. Règ. (CE) n°460/2004 du 10 mars 2004

15. Si l’ENISA s’était vu confier un nouveau mandat en 2013 (Règ. (UE) n°526/2013 du 21 mai 2013) pour une période de sept ans, jusqu’en 2020, la Commission a ensuite adopté la décision relative à l’établissement du bureau de l’Agence de l’Union européenne pour la cybersécurité (ENISA) à Bruxelles.

16. Supervisory Control and Data Acquisition ou Système de contrôle et d’acquisition de données.

17. Règ. (UE) 2019/881 du Parlement et du Conseil du 17 avril 2019 relatif à l’ENISA et à la certification de cybersécurité des technologies de l’information et des communications et abrogeant le règlement (UE) n°526/2013.

18. Éric BOTHOREL, op. cit., 14 nov. 2019, p. 24.

19. Ibid., p. 39.

20. Résolution européenne portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de règlement relatif à l’ENISA, Sénat, n°25.

21. Jean-Marie BOCKEL, op. cit., 18 juill. 2012, p. 64.

22. TUE, art. 46.

23. Bastien LACHAUD et Alexandra VALETTA-ARDISSON, Rapport d’information sur la cyberdéfense, Assemblée nationale, n°1141, 4 juill. 2018, p. 27.

24. Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, La documentation française, Paris, 2013, p. 32.

25. Antoine GARAPON et Jean LASSÈGUE, Justice digitale, Presses universitaires de France, Paris, 2018, p. 334.

«Nous suggérons à vos comédiens de travailler leur accent» : la diplomatie française raille une vidéo de propagande russe en Ukraine

«Nous suggérons à vos comédiens de travailler leur accent» : la diplomatie française raille une vidéo de propagande russe en Ukraine


Le soldat présenté comme français ne porte pas l’uniforme de l’armée française.

Le soldat présenté comme français ne porte pas l’uniforme de l’armée française. sdecoret / stock.adobe.com

Une vidéo diffusée par des comptes prorusses sur les réseaux sociaux met en scène la prétendue capture d’un mercenaire français. Les images, pourtant peu convaincantes, ont été relayées par une ambassade russe.

«Ne tirez pas ! Ne tirez pas !» D’emblée, le fort accent du soldat qui tente de se faire passer pour un mercenaire français prête à sourire. Ce mardi 4 juin, l’ambassade de Russie en Afrique du Sud a relayé sur X une vidéo présentée comme la capture d’un mercenaire français par des soldats russes en Ukraine. La séquence, qui a tout de la grossière mise en scène, a été moquée ce jeudi par l’ambassade de France à Pretoria, qui a suggéré aux comédiens de prendre des cours de Français.

Sur ces images partagées par le ministère des Affaires étrangères russe, un homme portant l’uniforme russe somme son adversaire, caché dans une tranchée à quelques mètres, de se rendre avant de tirer plusieurs coups de semonce. «Ne tirez pas, je suis Français !», répond l’intéressé avec un très fort accent des pays de l’Est. Le militaire russe putatif s’approche alors de la tranchée dont l’homme s’extrait avant de s’allonger au sol, dans une pose qui laisse bien visible le drapeau tricolore qu’il porte collé à son uniforme, qui n’est pourtant pas celui de l’armée française. «Ne tirez pas ! Ne tirez pas !», répète-t-il.

«L’armée russe a capturé un mercenaire français dans les environs de Liptsy, dans la région de Kharkov, indique l’ambassade russe, qui veut croire que la séquence dément la position d’Emmanuel Macron «qui souhaite envoyer des instructeurs militaires français en Ukraine [mais qui] affirme sans cesse qu’il n’y en a pas».

Une allégation assez peu convaincante… que l’ambassade de France en Afrique du Sud ne s’est pas privée de brocarder dans un commentaire publié sur X : «Chers collègues, vous diffusez depuis un certain temps de fausses nouvelles et nous sommes désormais habitués à cette pratique peu diplomatique. Cependant, celle-ci est particulièrement ridicule. Nous proposons à vos comédiens de travailler leur accent avec quelques cours de français à l’Alliance française.»

Une série d’actions de déstabilisation

Ces images sont le dernier acte d’une série d’actions de déstabilisation hostiles à la France, derrière lesquelles plane l’ombre du Kremlin. Samedi dernier, cinq cercueils recouverts de drapeaux français étaient découverts au pied de la tour Eiffel avec la mention : «soldats français de l’Ukraine». Lundi après-midi, un russo-ukrainien de 26 ans soupçonné de vouloir commettre un attentat était arrêté à l’aéroport d’Orly.

Ces actions de propagande surviennent alors qu’Emmanuel Macron a annoncé réfléchir à l’envoi d’instructeurs militaires français en Ukraine pour accélérer la formation des soldats ukrainiens, après plus de deux années de guerre. Ces instructeurs auraient notamment pour mission de transmettre leurs compétences dans le domaine du déminage et de la maintenance des équipements militaires.

L’annonce a provoqué une énième passe d’armes diplomatique entre Paris et Moscou. «Ils constitueront naturellement une cible légitime», a déclaré mardi soir le porte-parole de l’Ambassade de Russie en France Alexander Makogonov, provoquant l’ire du Quai d’Orsay. Le lendemain, le président russe Vladimir Poutine a assuré que des instructeurs militaires occidentaux se trouvaient déjà en Ukraine, où ils «subissent des pertes» qu’ils gardent secrètes.

Les services de renseignement français alertent régulièrement sur l’augmentation des tentatives de déstabilisation russes sur le sol français depuis le début de la guerre en Ukraine et à l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024. Ces derniers mois, la responsabilité du Kremlin était très sérieusement envisagée dans l’affaire des étoiles de David qui avaient été taguées sur des murs d’Île-de-France et dans celle des mains rouges retrouvées peintes sur le mémorial de la Shoah. En relayant la vidéo du faux soldat français capturé par les Russes, l’ambassade de Russie affirme qu’elle partagera bientôt une vidéo de l’interrogatoire du prisonnier. Si l’acteur n’a pas effacé son accent, la séquence s’annonce prometteuse.

La Désinformation dans la Guerre en Ukraine

La Désinformation dans la Guerre en Ukraine

par le Lieutenant-colonel OLRAT (H) Michel KLEN1 © ANOLiR – mars 2024

http://www.anolir.org/pages/publications-et-articles/articles-et-recensions/2024-03-lcl-michel-klen-la-desinformation-dans-la-guerre-en-ukraine.html

www.anolir.org – anolir@free.fr


La désinformation occupe toujours une place essentielle dans les guerres. Dans la crise en Ukraine, ce grand jeu de la propagande et de la duperie a pris un caractère singulier qui va bien au-delà du champ opérationnel sur le terrain. Pour convaincre de la justesse de son intervention militaire, le Kremlin a introduit une dimension beaucoup plus large qui met en relief une réécriture de l’Histoire et un argumentaire mobilisateur assimilant le conflit en cours à un affrontement des civilisations.

Le révisionnisme historique

Pour justifier l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine revisite l’Histoire de la Russie. Dans un article publié à l’été 2021 (« de l’unité historique des Russes et des Ukrainiens »), il affirme que « les Russes et les Ukrainiens constituent un seul peuple qui appartient au même espace historique et spirituel », niant de ce fait l’existence de la nation ukrainienne. Cette assertion inexacte a été démentie par un sondage effectué peu après par l’ONG Rating Group Ukraine sur l’ensemble de la population ukrainienne : seulement 41% des personnes interrogées approuvaient cette prise de position.

Les opinions étaient cependant tranchées entre la partie orientale du pays (60% en accord) et la partie occidentale (70% en désaccord, tout comme les partis politiques opposés au Kremlin qui réfutent à 80% cette position)2. Pour accréditer ces chiffres, il faut bien avoir à l’esprit que l’ONG qui a réalisé l’enquête est spécialisée dans tous types de recherches sociologiques conformément aux normes internationales approuvées par l’association européenne pour les études d’opinion. Après la chute du mur de Berlin, les faits ont donné tort à Vladimir Poutine. Le désir de souveraineté de l’Ukraine s’est d’abord pleinement manifesté par l’acte de proclamation d’indépendance du pays par le Soviet suprême d’Ukraine le 24 août 1991.

L’événement sera confirmé par un référendum le 1er décembre suivant : le « oui, je confirme la déclaration d’indépendance de l’Ukraine du 24 août » obtenait 90,32% des suffrages exprimés (95,52% à Kiev), et le « non » 7,58%. Les résultats étaient toutefois moins probants en Crimée où le « oui » obtenait 54,19% des voix3. Au vu de ces résultats, force est de constater que la volonté d’indépendance de l’Ukraine est indiscutable. L’autre raison invoquée pour motiver « l’opération militaire spéciale » en Ukraine lancée par Moscou a trait à la supposée promesse de l’Otan de ne pas intégrer des voisins de la Russie.

Dans cette affaire, le chef du Kremlin n’a de cesse de mentionner la rencontre informelle entre James Baker et Mikhaïl Gorbatchev le 9 février 1990 au cours de laquelle le secrétaire d’État américain avait assuré au dirigeant soviétique que l’organisation atlantique n’accepterait pas d’anciens satellites de l’URSS (Plus un pouce vers l’Est). Or il s’avère que ces garanties orales n’ont jamais été confirmées par un accord écrit et ratifié par des nations occidentales. Vladimir Poutine a continué de prétendre que son pays était menacé et qu’il devait prendre toutes les dispositions pour se défendre d’une agression sur son territoire !


1 Article reproduit avec l’aimable autorisation de la Revue Défense Nationale.

2 Bruno Tertrais, Le viol de l’Ukraine dans Le Grand Continent, 22-2-2022.

3 Hugues Pernet, Journal du premier ambassadeur de France à Kiev, Flammarion, 2023.

Lire et télécharger la suite : LCL Michel KLEN – désinformation Ukraine

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 4 février 2024 

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des Etats-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la « révolution revisitée »

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
. par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot « désinformation » ;
. par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.

Publication initiale de ce dossier février 2024.