Offensive ukrainienne en Russie : succès tactique mais erreur stratégique

Offensive ukrainienne en Russie : succès tactique mais erreur stratégique

par Olivier DUJARDIN – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°646 / août 2024

https://cf2r.org/actualite/offensive-ukrainienne-en-russie-succes-tactique-mais-erreur-strategique/


La concentration de forces ukrainiennes dans la région de Sumy n’était pas passée inaperçue, de nombreuses sources en faisaient état. Ce qui a surpris, en revanche, c’est l’emploi inattendu de cette force militaire. On aurait pu penser que ce rassemblement avait pour objectif de réduire le saillant créé par les Russes dans la région de Kharkiv, ou qu’il s’agissait d’une préparation en vue d’une hypothétique attaque russe dans le secteur de Sumy, une possibilité évoquée par les autorités ukrainiennes il y a quelques semaines.

Le choix de l’état-major ukrainien d’envahir le territoire russe, une première depuis 1941, a pris tout le monde de court, à commencer par les Russes, mais aussi les plus proches alliés de l’Ukraine. C’est la première vraie surprise militaire de l’année 2024. En effet, compte tenu du manque chronique de troupes sur le front et des difficultés des Ukrainiens à stabiliser la poussée russe dans le Donbass, il ne semblait pas évident que Kiev choisisse d’ouvrir un nouveau front.

Le succès tactique de cette opération est indéniable. L’Ukraine a rapidement pris le contrôle de plusieurs dizaines de localités, s’enfonçant parfois de plus de trente kilomètres à l’intérieur du territoire russe. Cette attaque éclair a été menée dans un secteur vulnérable et peu protégé de la frontière russe, en coordination avec des frappes massives de drones dans la région de Koursk. Des moyens significatifs de guerre électronique ont été déployés pour neutraliser autant que possible les capacités des drones russes, tandis qu’une importante défense sol-air, incluant deux batteries Patriot, a été mise en place pour couvrir l’avancée des troupes.

L’Ukraine a mobilisé cinq brigades pour cette opération : la 61e brigade mécanisée détachée du front de Kharkiv, la 80e brigade d’assaut aérien prélevée sur le front de Bakhmut, la 22e brigade mécanisée retirée du front de Klishchiivka, la 116e brigade mécanisée venue du front de Vovchansk, et la 103e brigade territoriale initialement stationnée à Sumy. En réserve, la 88e brigade mécanisée, chargée de la protection de la frontière nord, a également été mobilisée. Cela représente un effectif de 15 000 à 20 000 soldats ukrainiens engagés dans l’opération. Environ 10 000 à 12 000 hommes auraient franchi la frontière, bien plus que le millier d’hommes annoncé initialement par le ministère russe de la Défense.

Les forces ukrainiennes n’ont rencontré que peu de résistance, écrasant les quelques centaines de gardes-frontières russes et leur infligeant de lourdes pertes. Cependant, elles en ont également subi, avec la destruction de plusieurs dizaines de véhicules, principalement en raison de l’intervention de l’aviation, des hélicoptères de combat et des munitions rôdeuses russes. En parallèle, les forces ukrainiennes multiplient les incursions en territoire russe, comme dans les régions de Belgorod et de Koursk, avec, entre autres, l’appui de volontaires géorgiens.

Cette offensive s’est déroulée simultanément avec une tentative de débarquement sur la péninsule de Kinbourn, en mer Noire. Cependant, cette opération a été rapidement repoussée. La grosse dizaine d’embarcations engagée dans cette tentative n’a fait l’objet que d’une faible couverture médiatique de la part de Kiev, qui s’est contentée de diffuser une vidéo montrant les embarcations en mer[1].

Quel est l’objectif de cette attaque ?

L’objectif stratégique de cette attaque en territoire russe reste flou. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer cette initiative :

cette opération aurait pour objectif de contraindre les Russes à dégarnir le front du Donbass, soulageant ainsi la pression sur les forces ukrainiennes dans cette région. Cependant, cet effet escompté pourrait ne pas se matérialiser. L’opération se déroulant sur son sol, l’état-major russe peut déployer des forces non engagées sur le front ukrainien, comme les unités de conscrits. De plus, l’armée russe dispose encore de réserves significatives. Au mieux, cette action pourrait perturber la rotation de ses unités au front, mais probablement sans impact majeur. En tout cas, à ce jour, aucune des unités russes déployées en renfort n’a été prélevée sur un autre front ;

l’opération aurait pour but de couper l’approvisionnement en gaz de l’Union Européenne en sabotant les gazoducs de la région. Cependant, cette idée semble peu plausible. Les gazoducs en question traversent l’Ukraine et, si les Ukrainiens avaient voulu interrompre le flux, ils auraient pu le faire directement depuis leur propre territoire. S’ils s’en sont abstenus, cela s’explique par le fait qu’ils continuent à percevoir des frais de transit payés par les Russes, ce qui rend cette hypothèse peu crédible ;

– on peut penser que cette offensive ukrainienne vise à imiter l’opération russe dans la région de Kharkiv, en cherchant à s’emparer de territoires qui serviraient de levier lors de futures négociations. Cette stratégie pourrait avoir du sens, mais elle suppose que les Ukrainiens parviendront à maintenir ces positions sur le long terme, ce qui nécessiterait des ressources humaines et matérielles importantes, dont ils manquent déjà, pour renforcer leurs positions et compenser l’attrition. L’observation de certains équipements de génie déployés par les Ukrainiens dans la zone pourrait indiquer une intention de s’y retrancher durablement, mais cela reste à confirmer ;

– une autre hypothèse pourrait être que cette opération vise à déstabiliser le pouvoir russe en le discréditant, dans l’espoir de provoquer des soulèvements ou des protestations parmi la population russe. Cependant, cet objectif semble peu fondé. Vladimir Poutine a déjà surmonté de nombreuses crises sans que son pouvoir ne soit véritablement menacé et, historiquement, une attaque sur un pays tend plutôt à unir la population autour de ses dirigeants. Il est donc possible que cette offensive ait l’effet inverse de celui escompté, en renforçant le soutien à la guerre au sein de la population russe ;

– une dernière explication pourrait être que cette offensive a été menée dans un but politique, cherchant à détourner l’attention des revers subis par l’armée ukrainienne sur le front du Donbass au cours des derniers mois, tout en essayant de remonter le moral de la population ukrainienne. Bien que très plausible, cette raison semble être l’une des plus discutables pour justifier une telle opération car, lancer une offensive principalement pour des raisons de communication ou de moral pourrait s’avérer être une stratégie risquée et peu judicieuse.

Une potentielle erreur stratégique

En temps de conflit, il est généralement logique que ce soit la partie disposant de la supériorité numérique qui cherche à étendre le front et non celle qui peine déjà à maintenir la ligne existante. Actuellement, l’armée ukrainienne rencontre de sérieuses difficultés dans le Donbass : elle manque de troupes, a du mal à assurer la rotation de ses unités et peine toujours à stabiliser la ligne de front. Dans ce contexte, il est compréhensible que les autorités russes n’aient pas pris au sérieux les renseignements concernant cette offensive, tant elle semble aller à l’encontre des principes militaires de base.

Cependant, il ne faut pas oublier que les Russes eux-mêmes ont dérogé à cette logique en lançant l’invasion de l’Ukraine en 2022 avec seulement 120 000 à 150 000 soldats, ce qui a conduit aux difficultés que l’on connaît aujourd’hui. Pour mener son offensive, l’état-major ukrainien a dû retirer des unités de qualité et du matériel déjà en pénurie sur le front du Donbass. Ce choix délibéré d’affaiblir encore davantage une ligne de front déjà fragile est extrêmement risqué. L’Ukraine se retrouve maintenant à devoir défendre un front allongé d’une centaine de kilomètres supplémentaires, ce qui nécessitera des hommes, du matériel et des munitions, éléments dont elle manque déjà cruellement.

Avec probablement moins de 20 000 hommes engagés dans cette opération, l’armée ukrainienne ne pouvait espérer aller très loin sans diluer ses forces sauf à recevoir de très importants renforts que l’on ne voit pas venir. Plus le terrain à couvrir est vaste, plus il est nécessaire d’avoir des troupes pour le défendre efficacement. Il semble donc que l’étendue maximale de leur avancée ait été atteinte aux environs du 12-13 août 2024, bien loin de la ville de Koursk ou de sa centrale nucléaire.

Dès lors, l’armée ukrainienne devra faire face à des renforts russes et à un bombardement intensif par des moyens aéroportés (avions et drones) ainsi que par l’artillerie. Sans retranchement ni positions fortifiées, comme le montrent les vidéos de soldats ukrainiens creusant des tranchées en urgence[2], sa situation pourrait devenir très difficile comme le montrent les nombreuses vidéos de ses colonnes prises dans des embuscades[3]. Cela pourrait finir par coûter plus cher aux Ukrainiens qu’aux Russes, en termes de pertes humaines et de matériel.

De son côté, la Russie doit répondre à l’avancée ukrainienne mais, militairement parlant, elle n’a pas nécessairement intérêt à éliminer ce saillant trop rapidement. En effet, ce saillant peut servir à diluer les moyens militaires ukrainiens, dans la continuité de la stratégie russe amorcée avec son offensive limitée dans la région de Kharkiv qui a pour but d’accélérer l’usure des forces ukrainiennes. Néanmoins, les considérations politiques pourraient influencer la réponse russe, la poussant à adopter d’autres mesures.

Il est peu probable que cette situation mène à une escalade nucléaire, étant donné que le territoire conquis par les Ukrainiens est relativement modeste avec un rectangle d’une quarantaine de kilomètres de large sur une profondeur d’une quinzaine de kilomètres en moyenne. En comparaison de la vaste étendue de la Russie et de la faible valeur stratégique du terrain conquis, rien ne justifie une montée aux extrêmes. La dynamique aurait été différente si les Ukrainiens avaient réussi à capturer des villes importantes telles que Koursk, Briansk, Belgorod ou Voronej.

À ce stade, l’offensive ukrainienne semble peu affecter les opérations russes dans le Donbass où les avancées se poursuivent et semblent même s’accélérer, mettant désormais en danger la ville de Pokrovsk, un nœud logistique crucial pour les Ukrainiens.

Une opération qui n’est pas sans rappeler celle sur la rive orientale du Dniepr

En octobre 2023, malgré l’échec de leur contre-offensive, les Ukrainiens ont surpris en lançant une opération amphibie sur la rive orientale du Dniepr depuis Kherson, visant à établir des têtes de pont à Krinky, Dachi et sur les îles voisines. Pour cette opération, ils ont mobilisé d’abord 3, puis 4 brigades d’infanterie de marine. Ils ont exploité la destruction du barrage de Kakhovka, le risque de submersion qui aurait pu balayer leurs troupes ayant été éliminé.

Après avoir avancé de quelques kilomètres, l’offensive ukrainienne s’est rapidement heurtée à des renforts russes. Les objectifs affichés pour cette opération étaient semblables à ceux de l’offensive que l’on observe aujourd’hui dans la région de Koursk : détourner les effectifs russes de leur objectif et déstabiliser le pouvoir russe. Cependant, cette action n’a ni détourné les forces russes de leurs priorités principales, ni remis en cause la position de Poutine. Elle a simplement détourné l’attention des échecs de la contre-offensive et a temporairement renforcé le moral ukrainien au moment où la Russie capturait Avdiivka.

Dix mois plus tard, cette opération n’a laissé que des vestiges. Les têtes de pont ont été évacuées en urgence lorsqu’il a fallu réagir face à l’avancée russe vers Kharkiv. En termes stratégiques, les Ukrainiens n’ont rien gagné, sauf une usure inutile de leurs brigades d’infanterie de marine. Bien qu’ils aient réussi à causer de l’attrition du côté russe, cela a été principalement réalisé à l’aide de drones et d’artillerie depuis la rive occidentale du Dniepr, rendant la présence des têtes de pont superflue pour atteindre ces objectifs.

L’opération en cours dans le région de Koursk risque bien de se finir de la même manière, si ce n’est que le risque pris par Kiev est beaucoup plus important de par le volume des forces engagées.

Le pont de Crimée, une autre erreur stratégique potentielle ?

Depuis le début de l’invasion russe, le pont de Crimée est devenu une cible prioritaire pour les Ukrainiens. Cet ouvrage est un symbole puissant de l’annexion de la Crimée et représente une voie logistique cruciale, bien que non unique. En effet, des alternatives telles que le pont terrestre au nord de la mer d’Azov et les liaisons maritimes pourraient pallier une éventuelle destruction de celui-ci.

Consciente de son importance stratégique et symbolique, la Russie a déployé des moyens considérables pour protéger le pont. Ces mesures comprennent des systèmes de défense sol/air et des moyens physiques renforcés pour sécuriser l’infrastructure.

Attaquer cet ouvrage présente donc des défis significatifs. Une opération réussie nécessiterait une grande quantité de munitions adaptées pour percer les défenses en utilisant des stratégies de saturation, une diversité des axes d’attaque et une utilisation de différents types de munitions (missiles balistiques, de croisière, drones…). L’objectif serait de causer des dommages suffisamment importants pour interrompre l’usage du pont jusqu’à ce que des réparations soient effectuées. Bien que complexe, une telle opération reste envisageable si elle est exécutée avec une planification méticuleuse et une coordination efficace.

Bien que régulièrement annoncée, une nouvelle attaque du pont de Crimée n’a pas eu lieu jusqu’à présent. L’armée ukrainienne semble attendre le « bon moment », mais il est difficile de déterminer ce que pourrait être ce moment optimal, surtout sachant que tous les axes logistiques russes disponibles sont déjà ciblés.

Une autre hypothèse est que les Ukrainiens reconnaissent les risques stratégiques liés à une telle attaque. En effet, la riposte russe serait prévisible : en réponse à la destruction du pont de Crimée, les Russes pourraient envisager de détruire la quinzaine de ponts qui enjambent le Dniepr, lesquels sont vitaux pour les communications et les approvisionnements ukrainiens. Cela couperait efficacement les troupes ukrainiennes situées sur la rive orientale du fleuve de leurs lignes de ravitaillement, compliquant et ralentissant considérablement leurs opérations.

De plus, on peut s’interroger sur le fait que la Russie n’ait pas encore attaqué les ponts traversant le Dniepr pour affaiblir l’armée ukrainienne. Une réponse possible pourrait être l’existence d’un accord tacite entre les deux parties, où chacune garde en « otage » les ponts stratégiques de l’autre. Cela expliquerait le peu d’empressement des Ukrainiens à détruire le pont de Crimée comme la préservation des ponts sur le Dniepr jusqu’à présent.

Ce n’est pas la première fois que l’armée ukrainienne crée la surprise en lançant des opérations dans des endroits inattendus. Malheureusement, il semble que ces actions soient, une fois de plus, motivées par des objectifs principalement politiques et médiatiques, plutôt que par une stratégie militaire bien réfléchie. Le gouvernement à Kiev semble privilégier les coups d’éclat, des « coups de com », qui ont peu ou pas d’impact réel sur le cours de la guerre. En se concentrant sur des actions spectaculaires mais peu efficaces, le pouvoir politique risque de compromettre l’efficacité de ses forces armées, en les épuisant dans des opérations qui, bien que remarquables, sans véritable stratégie sous-jacente.

Cette tendance à se focaliser sur le « génie tactique ukrainien » occulte la finalité stratégique qui devrait guider les choix militaires. Les guerres ne se gagnent pas à coup de scoops médiatiques ni de symboles. La stratégie ukrainienne dans ce conflit devient de plus en plus obscure, les actions entreprises semblant parfois contre-productives à long terme. Obtenir le « prix du public » est peut-être gratifiant mais cela n’offre aucun avantage opérationnel. On peut se demander si cette approche est le résultat de la dépendance du pays vis-à-vis de ses sponsors étrangers ou si le gouvernement ukrainien a fini par croire en sa propre propagande


[1] https://www.youtube.com/watch?v=GwGYom8K2yM

[2] https://www.youtube.com/watch?v=hQzWQ1_Ar64

[3] https://www.youtube.com/watch?v=7GeOgVFei5I

L’influence étatsunienne en Amérique du Sud

L’influence étatsunienne en Amérique du Sud

par Athénaïs Jalabert-Doury  (*) – Esprit Surcouf – publié le 9 août 2024
Stagiaire chez ESPRITSURCOUF

https://espritsurcouf.fr/geopolitique_l-influence-etatsunienne-en-amerique-du-sud_par_athenais-jalabert-doury_090824/


L’Amérique du Sud a longtemps été considérée comme la « chasse gardée » des États-Unis, tant sur le plan politique qu’économique et culturel. Qu’en est-il désormais ?

Cette influence, consolidée au cours du XIXe siècle avec la doctrine Monroe et accentuée par la politique du « Big Stick » au début du XXe siècle, a continué de se manifester de diverses manières pendant la Guerre froide et même après. Cependant, ces dernières décennies, plusieurs signes indiquent un possible recul de cette domination américaine en Amérique du Sud. La montée en puissance de nouvelles puissances économiques, l’émergence de gouvernements locaux cherchant à s’affranchir de l’influence étasunienne et la diversification des influences culturelles sont autant de facteurs qui suscitent une réflexion sur cette dynamique.

Historique de la présence étatsunienne en Amérique du Sud

Depuis le XIXe siècle, les États-Unis ont toujours été très attentifs à l’Amérique Latine, et cela débute en 1823 avec l’instauration de la « Doctrine Monroe ». Grâce à cette dernière, les États-Unis se déclarent responsables de la protection de l’ensemble du continent américain, ce qui renforce leur force militaire. Au XXe siècle, cette volonté de préserver le continent persiste, mais la menace n’est plus d’Europe, mais émerge de l’Union Soviétique. D’où la réinterprétation de la doctrine Monroe en 1947 pour laisser place à la doctrine Truman. 
Cependant, dès les années 1950 la protection des Etats-Unis, est remise en question, voire contestée dans certains pays d’Amérique Latine.

En fait, les pays d’Amérique latine ne demandent aucune protection et certains y voient une tentative tout à fait voilée des États-Unis d’étendre leur contrôle sur l’ensemble du Nouveau Monde. A vrai dire, les États-Unis sont intervenus dans la politique des pays d’Amérique latine. En réaction, cela a conduit certains pays, comme Cuba, à se tourner vers l’URSS : en 1961, les États-Unis ont planifié l’invasion de la Baie des Cochons pour renverser le régime de Fidel Castro. Un an plus tard, en 1962, la crise des fusées de Cuba éclate.

Légende : La Baie des Cochons 1961 – Cuba / Source :  Creative Common


Avec la fin de la guerre froide et la consolidation de la démocratie en Amérique latine, les relations avec les États-Unis se sont stabilisées et se trouvent aujourd’hui à un carrefour important. Toutefois, l’influence des États-Unis est contestée à différents niveaux. Les pays d’Amérique latine se développent et de nouvelles puissances telles que le Brésil, l’Argentine et le Mexique émergent. Par conséquent, certains pays remettent en question la prétention des États-Unis au leadership régional.

En outre, un anti-américanisme féroce s’est développé, mené en particulier par Hugo Chávez lorsqu’il était au pouvoir. Chef militaire du Venezuela de 1998 à sa mort en 2013, Chavez a fait une série de déclarations enflammées contre Washington et s’est finalement allié au régime de Castro à Cuba. Cela a conduit à la création de l’ALBA (Ariansa Bolivariana Palos Pueblos de Nuestra America) en 2004 dont l’objectif était d’unir les pays signataires d’Amérique latine dans une alliance anti-américaine. Cependant, seuls 10 pays, dont le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, ont choisi de rejoindre l’ALBA. La plupart de autres pays souhaitent assouplir leurs relations avec les Etats-Unis et établir un partenariat avec Washington, notamment sur le plan commercial. C’est pourquoi le Mexique a décidé en 1994 de s’allier aux États-Unis par le biais de l’ALENA et de l’accord Canada-États-Unis-Mexique.

Donald Trump et l’offensive sud-américaine

L’Amérique latine a fait face aux vents de Washington à plusieurs reprises dans son histoire contemporaine : l’agressivité ou simplement l’indifférence et le mépris de la diplomatie nord-américaine, symbolisés par la politique de négligence modérée de Kissinger/Nixon entre 1969 et 1974, ont soudé les peuples latino-américains. Le « latino-américanisme » a, un temps, reflété la volonté d’émancipation politique symbolisée par l’accord de Viña del Mar de 1969.

Donald Trump passant en revue les prototypes de son mur dans la lignée de la barrière précédemment érigée entre les États-Unis et le Mexique, avec notamment Kirstjen Nielsen et Kevin McAleenan (San Diego, 13 mars 2018) / Source : Maison Blanche

Dès le lendemain de sa prise de fonction le 20 janvier 2017, Donald Trump passe à l’offensive en lançant directement la construction du mur sur la frontière mexicaine. Il promet que le Mexique en assumera le coût estimé à quinze milliards de dollars. La réaction du président mexicain Peña Nieto est prompte : il annule sa visite à Washington initialement programmée pour le 31 janvier. Soucieux de tenir ses promesses de campagne, Trump fait de la relation avec le Mexique une priorité de son agenda politique.

Le Mexique présente en effet deux caractéristiques qui convergent dans l’esprit des électeurs de Trump : ce pays a largement bénéficié́ des délocalisations industrielles causées par l’ALENA et continue à exercer sur les Etats-Unis une pression migratoire insupportable. Cette double mobilité́, des entreprises vers le sud et des migrants vers le nord, est censée accentuer les pressions à la baisse sur les salaires aux Etats-Unis. La renégociation de l’ALENA et la construction d’un mur doivent permettre aux Etats-Unis de retrouver leur dynamisme économique perdu depuis des décennies, et de compenser les pertes de pouvoir d’achat de la classe ouvrière. De même concernant Cuba, les engagements pris par Trump durant sa campagne n’ont pas non plus été suivis d’effets tangibles en 2017. Le 16 juin, dans un discours prononcé à Miami devant les opposants historiques au régime castriste, Trump a remis en cause l’ensemble de la politique de son prédécesseur. Dans la foulée, il a limité les possibilités de voyager dans l’ile et interdit aux entreprises américaines de faire des affaires avec des partenaires liés à l’armée (très présente dans le secteur du tourisme). Même si ces décisions risquent de freiner sérieusement le boom du tourisme en provenance des Etats-Unis qu’avait enregistré Cuba en 2016, Trump ne revient pas sur le rétablissement des relations diplomatiques ni sur la politique migratoire, et ne retourne pas non plus à l’époque des sanctions économiques sévères. La coopération dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic est quant à elle préservée. Face à cette situation, le président Trump a tergiversé et multiplié les maladresses et ces prises de position ont été critiquées dans toute l’Amérique latine. Ses errements ont contrasté avec la détermination de l’Organisation des États Américains (OEA), mais des limites à son action sont vite apparues. Rien que durant la crise politique et les soulèvements au Venezuela, les Etats-Unis sont restés discrets sur la situation mais ont souvent accusé par le gouvernement vénézuélien de s’ingérer dans ses affaires intérieures. Washington est resté silencieux à l’exception de la déclaration en 2017 qui suggérait de nombreuses options pour le Venezuela, y compris « des options militaires si nécessaire ».

Les États membres et associés du Mercosur.


Alors que la volonté des États sud-américains était de développer le libre-échange, Trump s’est tourné vers le

protectionnisme. Quand l’ancien président argentin Mauricio Macri s’était rendu en visite officielle au Brésil, le Mercosur a alors été rétabli. Même le Mexique a été invité à se rapprocher du Mercosur en vue d’annuler l’ALENA. De plus, le secrétaire général de l’Association latino-américaine d’intégration (ARADI) avait proposé un accord économique et commercial global intégrant tous les accords existants, y compris le Système d’intégration centraméricain (SICA). Les déclarations des dirigeants qui s’ensuivirent avaient une portée antiprotectionniste, visant à positionner l’Amérique du Sud contre le président Trump. Cette intense activité diplomatique est le produit de l’isolement des États-Unis sous la présidence Trump et de l’absence de leadership du Brésil, libérant les puissances moyennes (notamment le Mexique et l’Argentine). Elle reflète également le changement politique en Amérique du Sud, qui envisage à nouveau le développement du libre-échange dans la région.

La volonté multilatéraliste de Joe Biden mis à mal par des difficultés d’intégration régionales et des changements socio-économiques fluctuants

Lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir en janvier 2021, de par son expérience en tant qu’ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat (1997-2008) et envoyé permanent du vice-président Barack Obama en Amérique latine (2008-2016), il était jugé comme un fin connaisseur de l’Amérique latine. La « pression maximale » sur Cuba et le Venezuela (et accessoirement le Nicaragua) dans le but d’un changement de régime dans ces pays « socialistes » dont ils font partie, après quatre années de mandat de Donald Trump caractérisées par une indifférence stratégique à l’égard des pays latino-américains, une pression commerciale et une émigration ponctuelle ou constante (Argentine, Brésil, Mexique et les pays du ” Triangle du Nord “) et, selon les termes de l’ancien secrétaire d’État, John Bolton, une « troïka de despotes ».

Le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes constituent le cœur de la feuille de route latino-américaine élaborée par Joe Biden et son administration. Cette région du sous-continent est le bénéficiaire le plus direct de l’influence économique et géopolitique traditionnelle des États-Unis. Pour Joe Biden, cette approche est un plan et un moyen de restaurer l’hégémonie américaine. Dans ce contexte, Joe Biden envisage une nouvelle relation avec l’Amérique centrale et les Caraïbes basée sur la résolution conjointe de problèmes directement liés aux priorités locales. Les questions migratoires sont donc un axe central de son projet pour la sous-région.

Conformément à la promesse de Joe Biden de remporter près des deux tiers du vote latino lors des élections du 3 novembre 2020, le nouveau président américain a soumis au Congrès, dès le premier jour de son mandat, un nouveau projet de loi, l’American Citizenship Act of 2021, visant à « moderniser le système d’immigration américain ». En rupture radicale et spectaculaire avec les politiques de son prédécesseur, et notamment celles prônées par le camp républicain et de nombreux sympathisants des puissants mouvements Alt-Right et suprémacistes blancs, cette loi prévoit une nouvelle « voie d’accès à la citoyenneté » ou, à terme, au droit de vote pour les quelque 11 millions d’immigrés clandestins (principalement des Centraméricains comme le Salvador, le Guatemala et le Honduras, des Mexicains et des Caribéens comme Haïti) qui vivent et travaillent aux États-Unis (notamment dans les secteurs de l’agriculture, des travaux publics, des services et de la restauration).

Ces derniers mois encore, l’administration Biden s’est appuyée sur des accords avec le Mexique pour augmenter le nombre de demandes d’asile et de nouvelles restrictions sur le passage des frontières, alors que le président Trump avait cherché à bloquer toute entrée.

Mais la question reste complexe et doit faire face à la propagande médiatique qui s’empare du sujet à chaque élection. Tous les chercheurs, les organisations professionnelles et quatre administrations successives ont appelé le Congrès à adopter une loi. Cependant, le Congrès n’a pas réussi à agir sur cette question en raison de la polarisation politique et de la transformation du Parti républicain par le président Trump.

De plus, cette administration avait confirmé le lancement du « Plan Biden pour construire la sécurité et la prospérité en partenariat avec les peuples d’Amérique centrale ». Ce « Plan Biden » était l’une des pierres angulaires de la stratégie latino-américaine du nouveau président lors de la campagne électorale. Dans la tradition de la diplomatie de Washington, le plan affirme que « l’hémisphère occidental, ou en d’autres termes l’ensemble du continent américain, de la pointe nord du Canada à la pointe sud du Chili, a le potentiel d’être sûr, démocratique et prospère ».

Poursuivant la logique de l’Alliance pour le progrès de 2014, abolie par Donald Trump, le plan prévoit l’allocation de 4 milliards de dollars américains8 sur quatre ans à trois pays du « Triangle du Nord », où a lieu la majeure partie de la migration de la région vers les États-Unis. Conçu pour réduire les migrations en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras de manière « efficace et durable », le « plan Biden » prétend s’attaquer aux problèmes « sous-jacents » de ces phénomènes : la pauvreté, la violence, le crime organisé, la corruption, le dysfonctionnement des institutions publiques et le changement climatique. Son objectif est de proposer une « stratégie globale » qui permettra à terme à ces pays de se transformer en sociétés de « classe moyenne ». Dans cette optique, le « Plan Biden » organise la mobilisation des fonds américains, l’implication des différentes administrations et agences gouvernementales impliquées sur le terrain, ainsi que la participation du secteur privé américain et des bailleurs de fonds internationaux. En contrepartie, les pays bénéficiaires doivent s’engager à mettre en œuvre, promouvoir et cofinancer les réformes identifiées et exigées par Washington et ses partenaires pour lutter contre la corruption, la pauvreté, le crime organisé et la violence en développant leurs propres ressources (réforme fiscale) ; également en termes de gouvernance d’entreprise et d’attractivité économique pour faciliter l’afflux d’investissements étrangers. Sur ce dernier point, le Président a inclus cet objectif dans la promotion de la « transition vers une énergie propre, l’adaptation au changement climatique et la résilience ».

La politique latino-américaine de Joe Biden rencontre des difficultés en Amérique latine, en particulier dans le cône sud, en raison du recul des processus d’intégration régionale et de l’absence de leadership politique régional. Les dynamiques de coopération ont eu du mal à voir le jour à cause des divisions géopolitiques du fait des choix économiques, commerciaux, sanitaires, sécuritaires et climatiques faits. C’est dans ce contexte général que Joe Biden a pris position sur deux dossiers sensibles : Cuba et le Venezuela. Ces deux pays ont exprimé le souhait de réfléchir à l’ère Trump et d’avoir un dialogue ouvert.

En ce qui concerne le Venezuela, le nouveau gouvernement, par l’intermédiaire de son nouveau secrétaire d’État Antony Blinken, a clairement indiqué qu’il considérait Nicolás Maduro comme un « dictateur brutal » et que, contrairement à l’Union européenne, il continuerait à reconnaître Juan Guaido comme président intérimaire du Venezuela jusqu’à la tenue d’élections « libres et équitables ». Tant que cet objectif n’est pas atteint, le nouveau gouvernement pourrait modifier sensiblement son approche du Venezuela. Il mettra l’accent non plus sur l’intervention politique directe (comme il l’a fait sous Donald Trump) mais sur l’action humanitaire et permettra aux Vénézuéliens qui se trouvent aux États-Unis en tant qu’immigrés clandestins de bénéficier des nouvelles dispositions du gouvernement en matière d’asile. Les dirigeants vénézuéliens ne sont pas des activistes économiques.

Quant à Cuba, l’ancien secrétaire d’État, Mike Pompeo, a réintégré à la dernière minute le 11 janvier 2021 sur la liste des « États soutenant le terrorisme » (retiré de la liste par le président Barack Obama en 2015), après quatre années de renforcement constant des mesures restrictives unilatérales, y compris extraterritoriales. L’administration Biden, quant à elle, est prête à avancer avec prudence car Joe Biden est revenu à la doctrine Obama de normalisation des relations avec Cuba et a annoncé son intention de lever certaines restrictions imposées par son prédécesseur Donald Trump sur les voyages à Cuba des Américains et sur les envois de fonds à la famille restée au pays par les Cubains vivant aux États-Unis. Toutefois, des partisans d’un changement de régime à Cuba se trouvent aussi bien dans le camp démocrate que dans le camp républicain du président.

Une moindre présence en Amérique latine : de l’interventionnisme intense à l’influence

Les États-Unis continuent de jouer un rôle-clé en Amérique latine à travers la diplomatie et la sécurité : la visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, en décembre 2023, en Colombie et au Chili illustre cet engagement. En Colombie, Blinken a rencontré le nouveau président de gauche, Gustavo Petro, pour établir un cadre de collaboration sur la sécurité, notamment en ce qui concerne la « paix totale » et la lutte contre le narcotrafic. Cette rencontre vise à harmoniser les objectifs américains avec les priorités locales sous la nouvelle administration. Sur le plan économique, les États-Unis cherchent à renforcer leur influence par le biais de l’Alliance pour la prospérité économique des Amériques, lancée par Joe Biden dès 2022. Cette initiative vise à contrer l’influence croissante de la Chine dans la région et à réduire l’émigration vers les États-Unis en favorisant l’intégration économique régionale. Une stratégie de « nearshoring » est également promue, encourageant la relocalisation de centres de production en Amérique latine, notamment au Mexique, pour diminuer la dépendance envers l’Asie. Les États-Unis maintiennent aussi des relations commerciales solides avec des pays comme la Colombie et le Chili : la Colombie, par exemple, exporte une part importante de ses produits vers les États-Unis, qui restent un partenaire commercial majeur.

Légende : Protestations à Caracas contre la réélection de Nicolas Maduro en 2024 / Source : Creative Common

Les relations entre Washington et le Chili sont importantes surtout avec la montée en puissance du géant asiatique dans le pays andin, et notamment après le retour de Chine du président chilien Gabriel Boric en octobre 2023. L’administration américaine a également rédigé un rapport stratégique indiquant qu’elle souhaite étendre son influence et renforcer ses relations avec le Chili. Mais la complicité des États-Unis dans l’établissement de la dictature de Pinochet dans les années 1970 suscite encore le cynisme chez certains Chiliens et leur méfiance à l’égard de l’agenda américain dans le pays. La crise sociale de 2019 a également donné naissance à une génération d’hommes politiques désireux de changer le modèle hyper-néolibéral du Chili, calqué sur celui des États-Unis, qui crée d’énormes inégalités sociales. Il est vrai que, depuis plusieurs années, le Chili a renforcé son partenariat avec la Chine, notamment au niveau économique. Le géant asiatique est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Chili, notamment pour l’exportation de cuivre, la principale ressource du pays. Cependant, les États-Unis conservent toujours une influence non négligeable puisqu’en 20 ans, les exportations du Chili vers les États-Unis ont triplé, notamment grâce à l’accord de libre-échange. Les relations en termes de niveaux académiques, culturels et touristiques sont également très élevées. Pour sa part, le Chili souhaite que ses relations, que ce soit avec les États-Unis ou la Chine, en récoltent le plus grand bénéfice. Le pays a vraiment besoin d’investissements majeurs, notamment dans le secteur énergétique, car il ambitionne de devenir le premier producteur mondial de lithium et mise tout sur l’hydrogène vert. Ce sont ces investissements que Gabriel Boric recherchait en Chine en octobre dernier et désormais aux Etats-Unis avec Joe Biden.

Malgré ces efforts, le leadership américain en Amérique latine montre des signes de déclin. Un exemple marquant est le boycott du Sommet des Amériques par le président mexicain, suite à l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua. À l’origine, les Etats-Unis ont rayé de ce sommet rassemblant tous les pays du continent pour des raisons de violation des principes démocratiques et des droits humains au sein de ces pays. Ce boycott coûte cher aux efforts entrepris par Joe Biden qui souhaitait affirmer, depuis son élection, son leadership régional. Alors que Joe Biden a souhaité concentrer sa politique étrangère dernièrement sur l’Europe avec la guerre en Ukraine et l’Asie, la Chine gagne du terrain et investit massivement en Amérique du Sud. Michael Shifter, chercheur à l’organisme Inter-American Dialogue, souligne notamment que « les Etats-Unis ont encore beaucoup de soft-power, mais leur influence politique et diplomatique décline chaque jour ». Justement, le Président américain avait décidé d’être en rupture avec son prédécesseur Donal Trump et de finalement levé certaines sanctions à l’encontre de Cuba et d’être plus ouvert. Et justement, le Sommet des Amériques venait avancer une nouvelle ambition de Biden pour l’Amérique latine mais certains opposants critiquent que cela « n’est pas la bonne voie ».

En ce sens, la politique américaine de promotion de la démocratie est de plus en plus critiquée. Les États-Unis sont accusés de traiter de manière sélective certains pays, excluant Cuba et le Venezuela tout en maintenant des relations avec des nations comme l’Arabie Saoudite. Cela affaiblit la crédibilité des États-Unis en tant que promoteurs de la démocratie en Amérique latine.

L’influence croissante de nouveaux acteurs dans la région posent problèmes à Washington : la Chine, mais également la Turquie, sans oublier la Russie, notamment au Nicaragua. Les relations avec l’Europe se sont densifiées, mais sont distancées sur le plan économique par le nouveau poids de Beijing. Un nouvel engagement sur des bases contractuelles entre les États-Unis et ses voisins latino-américains semble indispensable pour une relation partagée et plus apaisée, alors même que la pandémie bouscule l’ordre établi. Enfin, les crises sociales récentes, comme celle au Chili en 2019, ont favorisé l’émergence de nouveaux leaders politiques qui remettent en question le modèle néolibéral soutenu par les États-Unis. Cette dynamique sociopolitique entraîne une méfiance accrue à l’égard de l’influence américaine.


Pour aller plus loin ;

  • BERG, Eugène. « Livre – LA politique des Etats-Unis en Amérique latine : interventionnisme ou influence ? », Revue Conflits, 01/08/2020.
  • « Biden poursuit son opération séduction auprès de l’Amérique latine », l’Orient-le Jour, AFP, 03/11/2023.
  • DABÈNE, Olivier. L’effet Trump en Amérique latine: une nouvelle donne régionale?. Les Études du CERI, 2018, 233-234, pp.4 – 8.
  • DROUHAUD, Pascal. « L’Amérique latine : enjeux et perspectives internationales », Revue Défense Nationale, n°855, 10/2022, pp. 103 à 110.
  • FONTAINE, Marion. « Au Sommet des Amériques, l’effritement de l’influence des Etats-Unis sur le continent », Géo, 07/06/2022.
  • KANDEL, Maya. « Le virage sud-américain de Joe Biden met en furie les républicains », Mediapart, 02/05/2023.
  • OVARLEZ, Lola. « Biden-Trump, même combat en Amérique latine », L’Opinion, 23/02/2024.
  • STEELS, Emmanuelle. BENRABAA, Najet. DERROISNÉ, Naïla. « Sommet des Amériques : Joe Biden soigne les relations avec ses voisins », France Info, 03/11/2023.
  • VAGNOUX, Isabelle. « Les Etats-Unis et l’Amérique du Sud : des voisins distants », Politique Etrangère, Institut Français des Relations Internationales, 2013/4, pp. 65 à 76. 
  • VENTURA, Christophe. « Etats-Unis-Amérique latine : quelles perspectives après l’élection de Joe Biden ? », Note d’analyse réalisée par l’IRIS pour le compte de l’Agence française de Développement,02/2021.

 

(*) Athénaïs Jalabert-Doury est actuellement étudiante en relations internationales à l’ILERI et stagiaire au sein de la revue Espritsurcouf. Elle se passionne notamment sur les sujets de sécurité internationale, plus particulièrement dans les zones géographiques des Amériques et de l’Europe.

Comment développer la puissance par l’image ?

Comment développer la puissance par l’image ? Entretien avec Christian Lequesne

Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
Presses de Sciences Po

Par Christian Lequesne, Elena Roney – Diploweb – publié le 6 août 2024  

https://www.diploweb.com/Comment-developper-la-puissance-par-l-image-Entretien-avec-Christian-Lequesne.html


Christian Lequesne, spécialiste des relations internationales, est professeur à Sciences Po. Il est notamment l’auteur d’une remarquable « Ethnographie du Quai d’Orsay » (CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2020). Il dirige un nouvel ouvrage fondateur : « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. Propos recueillis par Eléna Roney, étudiante en 3ème année de Licence à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle) en majeure études internationales, mineure anglais.

La diplomatie publique est-elle aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ? Une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace-t-elle la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ? Comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ? Voici quelques-unes des questions posées par Eléna Roney à Christian Lequesne qui vient de diriger « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po.

Initialement publié sur Diploweb.com en 2021, nous remettons cet entretien à l’honneur dans le contexte des JOP de 2024. Beaucoup conviendront que ces JOP sont aussi un succès d’image.

Eléna Roney (E.R.) : Comment expliquez-vous que vous soyez le premier chercheur en France à consacrer un ouvrage à la diplomatie publique, alors que celle-ci occupe une place très importante dans le champ des relations internationales, et ce depuis plusieurs décennies ?

Christian Lequesne (C.L.) : En France le concept importé des États-Unis de public diplomacy a davantage tendance à se traduire par “diplomatie d’influence” que par diplomatie publique. En effet, en langue française, l’adjectif “public” se rapporte à ce qui a trait à l’État plutôt qu’à la société. De plus, une opinion à mon avis encore majoritaire en France est que la puissance d’un État se fonde plus sur le hard power, sur sa puissance militaire et la diplomatie coercitive que sur une influence culturelle et médiatique. Cela est en partie dû à l’histoire et au passé de puissance de la France, qui au fil des siècles a appuyé son influence sur des interventions militaires et un pouvoir coercitif.


Définition de la diplomatie publique : “ A la différence du soft power, qui décrit un état de fait, la diplomatie publique (appelée diplomatie d’influence en France et au Québec) est la construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Le plus souvent un État, cette autorité peut aussi être une organisation internationale (l’Union européenne ou l’OTAN ont des diplomaties publiques) ou un gouvernement infra-étatique. […] Elle consiste pour une autorité politique (le plus souvent État, comme nous venons de le voir) à demander à ses agents de réduire l’écart, ou l’éloignement, avec une autre autorité politique (le plus souvent un autre État). La diplomatie publique a toutefois ceci de spécifique que l’acte de médiation ne vise pas seulement les représentants de l’autre entité politique, mais la société dans son ensemble. Le principal interlocuteur du diplomate public n’est pas le diplomate de l’autre État, mais l’ensemble des acteurs composant la société.” C. Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. p.14-15


Ainsi, la diplomatie publique a-t-elle été un peu reléguée dans le champ des sciences sociales au rang des accessoires mineurs, car considérée à tort comme moins efficace et moins importante que le hard power.

E. R. : Pensez-vous que la diplomatie publique est aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ?

C.L. : La diplomatie publique appartient complètement à la diplomatie traditionnelle en cherchant à influencer les opinions publiques étrangères. Depuis plusieurs années, elle est de plus en plus développée, car elle permet aux États d’élargir leur influence par rapport à de simples relations inter-gouvernementales, et elle touche le public de plus en plus facilement grâce à l’essor des réseaux sociaux.

Cependant, chaque État développe plus ou moins tel ou tel type de diplomatie en fonction de ses ressources et de ses objectifs. Ainsi, au sein de chaque État existe-t-il une réflexion autour de l’exercice de la puissance. Après analyse, selon ses capacités et ses caractéristiques, l’État choisit de porter ses efforts sur la puissance militaire ou le soft power, et parfois les deux. Ceci est valable aussi bien pour des démocraties que pour des régimes autoritaires.

Pour donner des exemples de spécialisation, la Suisse, pays neutre sur le plan militaire, donne l’avantage à la diplomatie publique. L’État suisse participe ainsi à l’aide au développement ou encore, pour choisir un exemple très concret, à la rénovation en Albanie d’une ancienne prison datant de la dictature d’Enver Hoxha pour en faire un lieu de mémoire sur les crimes du communisme. En participant à ce travail de mémoire, la Suisse donne d’elle l’image d’une nation démocratique responsable, aussi bien en Albanie que dans la communauté internationale. La Norvège privilégie également la diplomatie publique, ce qui a pu notamment se traduire par sa participation à la rénovation du fort millénaire de Lahore au Pakistan. Participer aux travaux de rénovation permet à Oslo de montrer qu’elle s’intéresse à la culture et qu’elle cherche à la préserver. La Russie quant à elle à une inclinaison naturelle pour le hard power, intervenant dans de nombreux conflits armés, mais elle se sert de plus en plus des réseaux sociaux afin de diffuser ses messages politiques dans les opinions publiques étrangères, comme cela a pu se voir lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 ou française de 2017.

E.R. : Quelles sont les idées reçues qui circulent dans le débat public sur la diplomatie publique, et plus généralement sur la diplomatie ? Lesquelles vous irritent le plus ?

C.L. : L’idée reçue principale qui circule au sein de la société sur la diplomatie est une affaire de secrets et de connivences entre responsables politiques au plus haut niveau. Il est certain qu’il reste une part de secret indispensable dans la diplomatie. Cette part de secret par exemple se manifeste lors des échanges d’otages ou de la préparation des interventions militaires. Cependant, la diplomatie se limite de moins en moins à ce que Richelieu appelait le « cabinet noir ». La diplomatie se doit de concevoir de plus en plus des actions ouvertes aux sociétés. Les ambassadeurs parlent de plus en plus dans les universités, se rendent dans les foires commerciales, visitent les collectivités locales dans le but de donner une « bonne » image de leur pays. Parler aux publics autres que les gouvernements est devenu une part essentielle de la diplomatie contrairement à l’idée reçue qui a tendance encore à ne voir que l’ambassadeur enfermé dans sa salle de négociation.

E.R. : La télévision utilisée à des fins de diplomatie publique est-elle véritablement efficace pour changer l’opinion publique ? Les téléspectateurs des chaînes implantées à l’étranger ne sont-ils pas déjà d’accord avec la ligne idéologique de la chaîne qu’ils regardent ?

C.L. : Les effets de la diplomatie publique sur l’opinion publique font partie des choses les plus difficiles à mesurer. Simplement, s’il existe un tel déploiement de moyens financiers, matériels, et humains pour faire exister des chaînes de télévision à portée internationale, c’est que les États y trouvent un intérêt. Un sondage datant d’il y a quelques années a par exemple montré que l’électeur classique du Rassemblement national trouvait très justes les informations sur Russia Today, et que de nombreux téléspectateurs réguliers de la chaîne en France se sentaient une certaine proximité avec les idées de l’extrême droite. L’idéologie du gouvernement de Vladimir Poutine parvient ainsi à toucher une partie de l’opinion publique française et à influencer les résultats d’élections. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine a affiché en 2017 son soutien à Marine Le Pen, et Russia Today a fait de cette dernière un portrait souvent complaisant dans ses émissions diffusées en France.

E.R. : Estimez-vous qu’aujourd’hui il y a un changement de paradigme dans les relations internationales, et qu’une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ?

C.L. : Tout d’abord, il faut distinguer les médias ayant une indépendance rédactionnelle des médias sans aucune indépendance, comme Russia Today ou Sputnik. Mais le véritable enjeu communicationnel aujourd’hui pour la diplomatie publique se joue autour des médias sociaux. Les régimes non démocratiques l’ont parfaitement compris. Ces derniers se servent des réseaux sociaux comme un outil de propagation de leur modèle, voire de conflit. C’est ce qu’il s’est passé en 2016 aux États-Unis où la Russie a propagé de nombreuses fake news sur Facebook et a instrumentalisé le réseau social afin d’influer sur les élections présidentielles américaines et de pousser les Américains à voter pour Donald Trump. Il s’est passé la même chose lors des élections présidentielles en France en 2017 où la Russie a lancé une large campagne en faveur de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, et a diffusé des contenus complotistes contre le candidat Emmanuel Macron.

Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un véritable enjeu, car il est difficile d’identifier qui est derrière la diffusion de messages, les traces pouvant même être brouillées afin de faire accuser ses ennemis politiques, comme la Russie l’a beaucoup fait avec l’Ukraine. En effet, la Russie a partagé de nombreux messages depuis une adresse IP située en Ukraine, afin de faire désigner cette dernière coupable.

Contre la multiplication des fake news, des politiques d’État sont nées. En effet, les États ont dû mettre en place une vérification régulière des informations publiées et échangées sur les réseaux sociaux. Désormais, dès qu’une fake news est identifiée, il est publié des contre-messages. Ces derniers doivent être publiés au plus vite, afin d’empêcher l’opinion publique de croire aux fausses informations diffusées et donc éviter un éventuel changement d’opinion.

E.R. : Dans quelle mesure la diplomatie publique des États reflète-t-elle les inégalités entre les pays, notamment au niveau de la représentation médiatique internationale, ainsi qu’une forme de néocolonialisme de la part des anciens pays colonisateurs sur les anciens pays colonisés ?

C.L. : Pour avoir une diplomatie publique efficace, un État doit en effet disposer de moyens financiers, humains et matériels. Une diplomatie publique efficace n’est pas possible sans ressource. A partir de ce constat, il est certain que les grandes puissances, ou les États possédant un certain niveau de développement ont plus de facilités à avoir une diplomatie publique. La diplomatie publique reflète donc des inégalités de richesse. Elle peut également prendre la forme d’un certain néo-colonialisme, lorsque les anciens pays colonisateurs tentent d’avoir une certaine influence sur les anciens pays colonisés. Ceci est d’autant plus facile lorsque, dans les anciens pays colonisés, la langue de l’ancien pays colonisateur est parlée par une grande partie de la population. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’audience de France 24 est très élevée et la chaîne est très connue, alors qu’en France métropolitaine cette chaîne est très peu regardée. Les anciens pays colonisateurs cherchent à conserver une influence sur les anciens pays colonisés, ainsi qu’une relation privilégiée. Cela se fait à travers la télévision, mais aussi par l’implantation des lycées français ouverts aux enfants des élites locales, comme au Maroc, au Liban ou à Madagascar. Il existe parfois une concurrence autour de ces formes de néo-colonialisme. Il existe des chaînes de télévision émettant uniquement dans les langues locales qui, au travers du choix de cette langue, s’oppose au néo-colonialisme. C’est par exemple le cas au Sénégal de la chaîne 2STV dont les programmes sont majoritairement diffusés en wolof.

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 Comment développer la puissance par l'image ? Entretien avec Christian Lequesne
Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
Presses de Sciences Po

Dans quelle mesure existe-t-il une réciprocité d’influence entre les acteurs de la diplomatie publique et les acteurs visés par la diplomatie publique ? Par exemple, dans quelle mesure les ONG ont- elles une forte influence sur la diplomatie publique et vice-versa ?

L’influence de la diplomatie publique est à double sens. L’époque où l’État pouvait contrôler l’ensemble des flux d’informations est complètement dépassée. Même au sein des États autoritaires il existe des moyens de contourner les informations officielles, diffusées et transmises par le gouvernement. Les habitants peuvent s’informer en consultant des sites étrangers apportant les informations censurées par le régime en place. En Turquie, la population grâce à quelques manœuvres informatiques peut par exemple consulter Wikipedia, normalement indisponible dans le pays. Beaucoup de Turcs ont donc la possibilité de contourner le verrouillage internet de certains sites.

Certains acteurs, comme les ONG internationales, en faisant pression sur les États, peuvent également redéfinir leur diplomatie publique. Ceci est particulièrement flagrant aujourd’hui pour les ONG environnementalistes qui font pression sur les gouvernements, afin que ceux-ci changent leur politique et poussent d’autres gouvernements à faire de même.

E.R. : Selon vous, comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ?

En France, la diplomatie publique est le fruit d’une longue tradition. Elle n’est pas apparue récemment. Le réseau d’influence du pays existe depuis plus d’un siècle au moins. Néanmoins, depuis les années 1990, des coupures sont intervenues dans les budgets alloués à la diplomatie. Ainsi la France ne se donne-t-elle plus les mêmes moyens de rayonner à l’étranger par la diplomatie publique. Les réseaux existent toujours à l’étranger, notamment les lycées, mais les ressources ne suffisent plus toujours pour les faire fonctionner. Il y a donc un problème de choix budgétaire. Les parlementaires qui votent le budget ont besoin d’une représentation plus juste de ce qu’est la diplomatie publique moderne, de son efficacité et de son apport à la puissance de la France. La représentation de ce qu’est la diplomatie en 2021-2022 a également besoin de changer dans la société. En effet, elle apparaît encore trop aux yeux du public comme un monde éloigné, vivant entre soi, et mangeant des petits fours. Il y a un véritable besoin de pédagogie, d’instruction et d’éducation sur ce qu’est véritablement la diplomatie, sur son rôle et sur ce qu’elle représente pour le pays. La diplomatie publique doit aussi être mieux coordonnée entre les États membres de l’Union européenne, pour mieux peser sur le reste des acteurs mondiaux. Entre les pays de l’UE, il existe une collaboration efficace dans le domaine culturel qui passe par les instituts culturels, comme l’Institut Français et le Goethe Institut. Il faut renforcer ces collaborations et faire en sorte qu’elles concernent d’autres pays que les seules France et Allemagne, afin de montrer en dehors de l’Europe qu’il existe une influence européenne alliant culture et démocratie.

Copyright Novembre 2021-Lequesne-Roney/Diploweb.com

Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 21 novembre 2021


Plus

. Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » Presses de Sciences Po, 2021. Sur Amazon


4e de couverture

On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. Il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande. Voici le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales.

Séduire l’opinion mondiale : démocraties ou dictatures, tous les États s’efforcent de soigner leur image en s’adressant directement et à voix haute aux citoyens. Les moyens sont multiples pour se rendre attractif aux yeux de l’opinion mondiale : récits portés par les médias et les réseaux sociaux, implantations d’instituts culturels et d’écoles, échanges universitaires, distributions de matériel médical et de vaccins, etc. On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. S’ajoutant aux canaux feutrés de la diplomatie classique, il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande.

Dans le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales, une série d’analyses transversales et de focus sur des cas concrets, illustrés de cartes et de graphiques, donnent à voir ses usages et ses effets ainsi que les nouveaux modèles qu’il propose.

Avec Maxime Audinet, Sylvain Beck, Pierre Buhler, Rhys Crilley, Etienne Dignat, Alice Ekman, Béatrice Garapon, Caterina Garcia Segura, Auriane Guilbaud, Ilan Manor, Tristan Mattelart, Benjamin Oudet, Stéphane Paquin, Elena Sirorova, Virginie Troit, Earl Wang

Ingérences chinoises : les auxiliaires français de Pékin

Ingérences chinoises : les auxiliaires français de Pékin

par François Yves DAMON – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°644 / août 2024

https://cf2r.org/actualite/ingerences-chinoises-les-auxiliaires-francais-de-pekin/


Les ingérences chinoises relèvent de la stratégie globale de Pékin : la sape des alliances auxquelles adhèrent les États occidentaux et son corollaire, la promotion du multilatéralisme version chinoise comme alternative « pacifique » à l’imperium américain.

L’Institut de recherche de l’École militaire (IRSEM) a publié en 2021 un exhaustif et volumineux rapport – 650 pages – sur les ingérences chinoises[1]. Le lecteur pressé pourra se reporter à la synthèse de la troisième partie où sont rappelées les deux techniques binaires des opérations d’influence de Pékin : la première, « Séduire et subjuguer » ; la seconde, « Infiltrer et contraindre ». Toutes deux sont destinées, après la sape de l’OTAN et celle des États-Unis, à discréditer les démocraties parlementaires, qualifiées de moins efficaces – en raison de leur instabilité politique – que les systèmes autoritaires. Elles ont également pour but d’empêcher tout narratif négatif du pouvoir chinois.

Le rapport de l’IRSEM décrit également les organismes chargés de la stratégie d’influence de Pékin : ceux-ci relèvent soit du Parti communiste (départements de la propagande, des liaisons internationales, du Front Uni et Bureau 616 – chargé de la lutte contre le mouvement Falungong), soit de l’État, au premier chef du ministère de la Sécurité d’État (Guoanbu), dont les agents et les commissariats clandestinement implantés à l’étranger surveillent la diaspora pendant que son centre de recherche, le China Institute of Contemporary International Relations (CICIR), sert d’interlocuteur respectable aux Think Tanks, publics ou privés, étrangers.

Pour mener à bien leur action, ces organismes doivent trouver des relais : l’IRSEM distingue partenaires ponctuels, alliés de circonstances et véritables complices[2]. La Révolution culturelle (1966-1976[3]) avait déjà révélé l’abondance de relais disponibles en Occident chez les intellectuels et les artistes subjugués par Mao. Quarante ans plus tard, nombre d’universités ont ainsi offert un terrain favorable à l’implantation du plus officiel et visible des instruments de la stratégie d’influence de Pékin : les instituts Confucius.

Le 3 novembre 2011 un article de Rozenn Morgat intitulé : « À Arras, la discrète emprise chinoise sur la vie universitaire[4] » paru dans Le Figaro expliquait que « L’Institut Confucius, bras armé du soft power de la Chine, pénètre efficacement l’université d’Artois, entraînant le département d’études chinoises sur la pente d’un alignement inquiétant avec Pékin.»

Comment en est-on arrivé là ? Le gouvernement français a ouvert en 2005 ses portes aux instituts Confucius, un an après l’accord de transfert d’un laboratoire de recherche biomédicale P4 à Wuhan. Le premier institut fut implanté à l’université de Poitiers. Condition nécessaire à cette installation : la sino-compatibilité de l’université d’accueil – en d’autres termes, aucune critique à l’égard du gouvernement chinois…

En 2005 toujours, un poste de professeur de langue et civilisation chinoises fut attribué à l’université de Lille et un candidat local, élu par la commission ad hoc ; mais, sous l’impulsion de son président, le conseil d’administration annula cette élection. Le ministère retira ensuite le poste de professeur à Lille et l’attribua à l’université d’Arras, où, en 2006, était élue une ressortissante chinoise aux ordres de Pékin : un institut Confucius y ouvrit en 2008.

Cette emprise chinoise n’aurait pu s’étendre sans le relais actif d’éléments de l’administration française. À la manœuvre, un sinologue directeur adjoint de la direction de la recherche du ministère de l’Enseignement supérieur, qui a convaincu son allié de circonstances, le président de l’université de Lille, de rejeter l’élection du candidat local dont le narratif, jugé négatif à l’encontre de Pékin, était incompatible avec l’installation d’un institut Confucius ; puis il a obtenu le transfert du poste à Arras. Sa rétribution ? L’habile manouvrier a été, en 2007, nommé professeur honoraire de l’université de Pékin et, en 2008, membre de l’Académie chinoise des sciences sociales.

Les pilotes de ces actions d’ingérence peuvent désormais compter sur les citoyens et entreprises chinois contraints par l’article 7[5] de la Loi sur le renseignement national –adoptée en 2017 et modifiée en 2018 – de coopérer avec les agences de renseignement et de sécurité de l’État. Tous les ressortissants chinois – diaspora incluse – sont donc des agents potentiels de cette stratégie d’influence et les relais occidentaux, qu’ils soient ponctuels ou de circonstance, ou a fortiori complices, leurs auxiliaires.


[1] https://www.irsem.fr/rapport.html

Télécharger :

Les Opérations d’influence chinoises 2e éd. octobre – IRSEM 2021

[2] L’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin s’est activement engagé dans la promotion des intérêts chinois en France (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2022-0022_EN.html).

[3] Stratégie de Mao pour garder le pouvoir malgré l’échec du « Grand Bond en avant » (1958-1960).

[4] https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-institut-confucius-en-operation-seduction-a-l-universite-d-artois-20211103

[5] Sénat, Notes Commission d’enquête TikTok (Protection des données aux US Extraterritorialité du droit chinois) Étude de législation comparée n° 322, juillet 2023, p. 22 (https://www.senat.fr/lc/lc322/lc322_mono.html)

Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ?

Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

Popartic/Shutterstock

Par Eric Danon, Hugo Leclerc, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise,- Diploweb – publié le 1er août 2024 

https://www.diploweb.com/Podcast-Diploweb-Proche-Orient-la-paix-a-t-elle-encore-un-avenir-E-Danon.html


Intervenant : Éric Danon, Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023 et actuellement consultant international. Il s’exprime à titre personnel.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb, avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I et le Centre géopolitique. Son : Hugo Leclerc, co-gérant de l’agence Klimax. Montage : Hugo Leclerc et Pierre Verluise.

Quelle est la situation fin avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ? Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ? Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ? Que faut-il faire concrètement ? Eric Danon s’exprime à titre personnel. Ambassadeur de France en Israël d’août 2019 à juillet 2023, il apporte des éléments de réponse lors d’une conférence publique en Sorbonne.

Voici le podcast de la conférence organisée par Diploweb.com, le 25 avril 2024, en partenariat avec l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I.

Ecouter gratuitement en cliquant sur le triangle

Ecouter gratuitement cette conférence au format podcast sur six plateformes dont Spotify, Apple Podcasts et Google Podcasts.


Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, validée par E. Danon

Quelle est la situation au 25 avril 2024 dans la guerre opposant Israël et le Hamas ?

SE M. Éric Danon explique que cette guerre va durer. De fait, les deux protagonistes souhaitent qu’elle continue car ils n’ont pas atteint leurs objectifs respectifs.

En effet, Israël poursuit trois objectifs officiels : détruire le Hamas le plus possible, récupérer les otages et faire de Gaza une zone ne représentant pas de menace. Ceux-ci ont été atteints à moitié. À cela, s’ajoutent trois objectifs officieux. Premièrement, Israël souhaite rebâtir une dissuasion afin qu’aucun groupe n’ambitionne de faire pareil que le Hamas. Deuxièmement, Israël veut pouvoir surmonter le très fort traumatisme du 7 octobre 2023. Enfin, au vu de ses relations tendues avec le président J. Biden, B. Netanyahou cherche à faire durer la guerre au moins jusqu’au 5 novembre 2024, date de l’élection présidentielle américaine, car il ne souhaite pas faire le cadeau de la paix au président actuel.

De son côté, le Hamas a trois objectifs officiels : rentrer en Israël et tuer le maximum de personnes, capturer le plus d’otages possibles pour les échanger avec des prisonniers et préempter l’objet « résistance palestinienne » en montrant qu’il est le plus crédible pour porter ce combat. Enfin, il a également comme objectif officieux d’être présent à la table des négociations du jour d’après.

Podcast Diploweb. Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
Verluise/Diploweb.com

Dans l’atmosphère actuelle, SE M. Éric Danon sent deux peuples en souffrance. Du côté israélien, cette souffrance est liée aux actes des terroristes du Hamas. À cet égard, il souligne un paradoxe : les Israéliens considèrent que le gouvernement actuel porte une responsabilité dans l’attaque menée par le Hamas mais, dans le même temps, ils ne veulent pas lâcher ce gouvernement.

Quant à eux, les Palestiniens vivent le désastre de ce qui produit à Gaza mais prennent aussi conscience que les pays arabes, notamment méditerranéens, ne sont pas intéressés par la fin du conflit. La jeunesse palestinienne réalise ainsi qu’ils ont toujours été empêchés, depuis 1949, d’avoir un État par leurs dirigeants ou par ces pays arabes.

Pourquoi les pays arabes, et tout particulièrement ceux de la Méditerranée, n’ont-ils rien fait pour favoriser l’émergence d’un Etat palestinien ?

Premièrement, SE. M. Danon note que la cause palestinienne constitue un puissant levier de politique intérieure pour les pays arabes. En effet, elle permet d’entraîner la population en faveur des gouvernements au pouvoir.

Deuxièmement, si les populations des pays arabes s’entendent très bien, leurs gouvernements ne s’apprécient pas, comme le souligne la rivalité entre le Maroc et l’Algérie ou celle entre la Tunisie et l’Égypte. De fait, le rejet d’Israël contribue à rassembler ces pays lorsqu’ils se réunissent, par exemple lors des sommets de la Ligue arabe. Pour que cette entente dure, ils ont donc tout intérêt à ce que le conflit perdure.

Troisièmement, si le conflit israélo-palestinien prend fin, Israël pourrait devenir encore plus puissant. Israël est déjà une puissance déterminante du Proche-Orient dont le PIB (525 milliards de dollars) est supérieur à l’addition du PIB de tous les pays qui l’entourent. Ce conflit, et notamment la dégradation d’image engendrée ainsi que les pertes économiques représentées par les appels au boycott, demeure un frein qui empêche Israël de devenir une superpuissance.

Quatrièmement, SE. M. Danon évoque une raison psychologique, liée au concept de dhimmitude (le « dhimmi » étant celui qui a un statut dégradé dans le monde musulman). Il apparaît pénible pour les pays arabes que des non-musulmans puissent faire mieux qu’eux en termes de gouvernance, d’économie et de sécurité.

Enfin, le statut de Jérusalem demeure une des réticences essentielles à la création d’un État palestinien. Le fait que la Palestine récupère ce lieu saint (la mosquée Al-Aqsa) pourrait ne pas convenir à l’Arabie Saoudite ou à l’Iran.

 
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
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Quel est l’état du rapport de force concernant la paix au Proche-Orient ? Quels diagnostics peut-on formuler ?

Parmi les forces opposées à la paix, SE. M. Danon insiste sur le manque d’enthousiasme des pays arabes de la Méditerranée. Il souligne également que des individus sont profondément contre l’idée de la paix aussi bien du côté palestinien qu’israélien.

Ainsi, du côté palestinien, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 a d’abord été revendiquée comme une non-acceptation d’Israël, au sens d’un refus du partage de l’ancienne Palestine mandataire (1923-1948). En ce sens, la difficulté originelle, renforcée par l’échec des nombreuses négociations, tient à la non-acceptation de ce partage.

Du côté israélien, le sionisme messianique, qui a pris une importance grandissante pour des raisons démographiques et politiques, refuse l’existence d’un État palestinien. Ainsi, le massacre du caveau des Patriarches commis par un colon juif fanatique en 1994 puis l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin par un juif religieux d’extrême-droite en 1995 ont eu pour but de tuer le processus d’Oslo (1993). La part de ces Israéliens qui n’acceptent pas d’abandonner leurs idéaux pour la paix a augmenté, passant de 25% en 1993 à plus de 40% en 2024. Enfin, dans les territoires occupés de Cisjordanie, les gens s’installant ne le font plus exclusivement pour des raisons religieuses (comme les Juifs messianiques) mais également pour des motifs économiques. Ce faisant, quasiment 700 000 personnes vivent dans ces territoires occupés, ce qui rend compliquée toute évolution de la situation.

Pour autant, la majorité des Palestiniens et des Israéliens de la société civile veulent la paix. Mais, les extrémistes des deux camps parviennent à bloquer les processus de paix.

Dès lors, étant donné les fortes incertitudes, SE. M. Danon propose trois diagnostics pour avancer.

Premièrement, il récuse l’utilisation du terme « solution »(l’expression « solution à deux États » étant très présente dans le débat public) pour parler du conflit israélo-palestinien, et lui préfère l’expression de « tectonique des puissances ». Selon lui, il ne faut pas penser les dynamiques politiques en termes de « solution » mais plutôt d’évolution.

Deuxièmement, il soutient que la paix est aussi une question de personnes capables de la faire advenir. Or, sortir de ce conflit requiert des gens à la hauteur, ce qui n’est pas le cas au premier trimestre 2024.

Troisièmement, au vu du rapport de forces déséquilibré entre Israël et la Palestine, il n’est pas possible de les laisser négocier face-à-face. Il faut donc une médiation. Or, celle-ci ne peut pas s’articuler exclusivement autour des Etats-Unis, médiateur traditionnel, car sa proximité vis-à-vis des Israéliens tend à les disqualifier. SE. M. Danon défend donc une double médiation menée par l’Arabie Saoudite avec les Etats-Unis.

 
Eric Danon
Centre Panthéon de l’Université Paris 1 Sorbonne, 25 avril 2024. Crédit photographique : Pierre Verluise pour Diploweb.com
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Pourquoi l’Arabie Saoudite peut-elle jouer le rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien ?

SE. M. Danon considère que le seul État arabe véritablement intéressé par l’arrêt du conflit est l’Arabie Saoudite. En effet, le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) souhaite normaliser les relations de son pays avec Israël car il a besoin de stabilité au Proche-Orient.

Sur le plan de la normalisation politique, l’Arabie Saoudite a observé la mise en œuvre des Accords d’Abraham (2020), entre Israël et les Émirats Arabes Unis (EAU) ainsi qu’entre Israël et Bahreïn, avant de chercher possiblement à les rejoindre. Or, ces accords sont un vrai succès. Ainsi, en 5 ans, le commerce bilatéral entre les EAU et Israël a dépassé celui entre la France et Israël. Le volet politique fonctionne donc, et ces accords n’ont pas été remis en cause par les EAU ou par le Bahreïn depuis le 7 octobre 2023.

En outre, MBS souhaite prolonger cette normalisation politique classique par une « normalisation religieuse » entre La Mecque et Jérusalem. En effet, MBS, qui contrôle déjà les lieux saints de Médine et La Mecque, cherche à devenir le chef spirituel total du monde sunnite. En ce sens, il pourrait souhaiter à terme récupérer la gestion de la Mosquée al-Aqsa, actuellement sous l’administration du Waqf, c’est-à-dire un bien public durablement confié aux Jordaniens.

MBS souhaite également être celui qui va régler la question israélo-palestinienne pour rentrer dans l’histoire. Pour ce faire, il s’appuie, en termes de méthode, sur ce qu’il s’est passé dans les pays du Golfe. En effet, ceux-ci ont envoyé les étudiants des EAU, de Bahreïn etc. dans les meilleures universités mondiales pour apprendre à construire et à gérer leur pays. MBS veut reproduire ce schéma pour assurer à terme le développement d’un Etat palestinien. Et ils semblent prêt à mettre les moyens pour que cela se concrétise.

Enfin, les négociations entre l’Arabie Saoudite et Israël n’ont jamais cessé, d’autant plus que les Etats-Unis sont à la manœuvre. En effet, les Etats-Unis ont tendance à apprécier les alliances de bloc à bloc. Dans la situation présente, l’Ouest fait face à la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran. Cependant, de nombreux pays, et notamment les pays arabes du Golfe, ne veulent pas rentrer dans cette logique.

De son côté, MBS a initialement posé deux conditions pour normaliser politiquement avec Israël : une liste de matériel militaire pour se protéger de l’Iran et une stabilisation du conflit israélo-palestinien. Ne les ayant pas obtenus, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle allait baisser le niveau de conflictualité avec son ennemi potentiel, l’Iran. Ainsi, le 10 mars 2023, cassant la logique bloc à bloc des États-Unis, l’Arabie Saoudite et l’Iran ont annoncé avoir signé un accord pour reprendre leurs relations diplomatiques. Finalement, les États-Unis ont cédé sur les deux conditions posées par MBS, auxquelles a été ajoutée ensuite la livraison d’une centrale nucléaire civile.

Quelle est l’incidence de l’Iran sur le conflit israélo-palestinien ?

En raison de ses proxys (le Hezbollah au Liban, le Hamas dans la bande de Gaza et les Houthis au Yémen), l’Iran est un facteur clé dans le conflit israélo-palestinien. L’Iran a désigné Israël comme un ennemi absolu qu’il souhaite détruire. En ce sens, l’Iran représente une « menace existentielle » pour Israël, même si le risque de mise à exécution de cette menace est très faible . Pour autant, l’Iran cherche à développer un axe chiite dans la zone et se focalise sur la destruction d’Israël.

De plus, l’Iran a inscrit le nucléaire dans son récit national. Il met en place des installations capables d’enrichir l’uranium à des degrés militaires, et se rapproche donc d’un pays du seuil. L’accord de Vienne sur le nucléaire iranien (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPoA), signé en 2015 après 16 ans de négociation, prévoyait de limiter l’enrichissement iranien. Mais, en 2018, D. Trump, poussé par B. Netanyahou, a cassé cet accord, ce que SE. M. Danon considère comme la plus grosse erreur stratégique des Etats-Unis depuis l’invasion de l’Irak en 2003. Dès lors, les pays occidentaux n’ayant pas de plan B, il est probable que ce soit la Russie qui s’occupe de cette question, avec l’appui de la Chine. Dans cette perspective, l’Iran va devenir un pays du seuil, ce qui va renforcer l’Iran dans sa posture. Surtout, ce ratage occidental va avoir des conséquences pour Israël, qui va se trouver sous la menace d’un pays du seuil.

Cependant, SE. M. Danon estime que cette situation ne va pas entraîner une guerre entre l’Iran et Israël. En effet, l’Iran est affaibli sur le plan intérieur car la population n’apprécie pas le gouvernement des mollahs et le pays est durement touché par les sanctions économiques. Pour autant, ce n’est pas le moment opportun pour attaquer l’Iran car cela pourrait susciter un fort sursaut nationaliste iranien. En outre, Israël ne peut pas tenir longtemps seule une guerre contre l’Iran. Si l’on s’en réfère à Clausewitz, il apparaît compliqué de faire rivaliser 9 millions d’habitants (Israël) contre 88 millions (Iran). Dès lors, afin d’anticiper au mieux une potentielle frappe en retour de l’Iran, Israël cherche à monter à l’avance une coalition suffisamment dissuasive. Récemment, une pré-coalition s’est formée entre les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, la Jordanie et l’Arabie Saoudite.
Au vu des liens entre le Hamas qui a préempté la résistance palestinienne et l’Iran, se profile donc une bataille géopolitique des chiites, emmené par l’Iran, face au monde sunnite, mené par l’Arabie Saoudite avec l’appui des Occidentaux.

Que faut-il faire concrètement ?

Outre le fait de changer les responsables à la manœuvre dans les deux camps, SE. M. Danon préconise une médiation équilibrée qui tient compte de la réalité des Palestiniens. Celle-ci doit prendre son temps car envisager un Etat palestinien à court terme serait prématuré. En effet, il est nécessaire de construire une gouvernance solide pour que les Israéliens puissent accepter un État palestinien.

Si le conflit israélo-palestinien est de nature géopolitique, il comporte une autre composante déterminante, la dimension religieuse. En effet, les Messianiques juifs refusent de lâcher les territoires pour des raisons religieuses. Une difficulté structurelle à gérer le Mont du Temple persiste. Enfin, les politiques et diplomates souhaitant le compromis se heurtent à la radicalité religieuse. L’attentat du 7 octobre 2023 en est le symbole. Par conséquent, cette montée du religieux déplace les frontières du conflit israélo-palestinien. En effet, le Palestinien est devenu un symbole du refus de l’histoire et des valeurs de l’Occident.

Enfin, au-delà de l’action politique, SE. M. Danon incite ceux qui choisissent leur camp à garder au fond d’eux de la compassion et de l’empathie pour ce qu’il se passe de l’autre côté.

Copyright pour la synthèse 7 mai 2024-Danon-Reynier/Diploweb.com

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Bonus, la vidéo de la conférence Proche-Orient : la paix a-t-elle encore un avenir ? E. Danon

Cinéma et propagande : la guerre froide

Cinéma et propagande : la guerre froide

Mandatory Credit: Photo by James Veysey/REX (10218306y)

par Alain Bogé – Revue Conflits – publié le 2 août 2024

https://www.revueconflits.com/cinema-et-propagande-la-guerre-froide/


Entre l’URSS et les États-Unis, la guerre culturelle s’est aussi conduite via le cinéma. Figures des méchants et des héros, thèmes abordés, le cinéma de la Guerre froide révèle les tendances de cette époque.

La Conférence de Yalta se tient du 4 au 11 février 1945, dans les environs de Yalta en Crimée, au palais de Livadia, et réunit les vainqueurs de la 2e guerre mondiale à savoir l’Union soviétique (Joseph Staline), le Royaume-Uni (Winston Churchill) et les États-Unis d’Amérique (Franklin D.Roosevelt). Le général de Gaulle n’a pas été convié. L’objet de cette réunion est, en fait, de se partager l’Europe entre les 3 puissances. Le 5 mars 1946, Winston Churchill prononce un discours à Fulton (Missouri) en présence du Président américain Harry Truman en appelant la nécessité d’une alliance entre Britanniques et Américains pour prévenir la poursuite de l’expansionnisme soviétique en Europe et parle à ce sujet de rideau de fer ou Iron curtain. On va alors parler alors de guerre froide ou cold war qui va s’installer progressivement de 1947 jusqu’à la chute des régimes communistes en 1989, suite à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989.

Cette guerre froide, qui n’aura pas vraiment d’épisodes guerriers stricto sensu, va aussi devenir une guerre d’influence et une « guerre d’images » dans laquelle le cinéma va prendre toute sa place et au cours de laquelle les réalisateurs vont créer des films à forte propagande, c’est-à-dire que lesdits films vont être des vecteurs de démonstration de culture et d’idéologie : pour les Américains, l’« american way of life » et pour les Russes, le « réalisme socialiste ». Les 2 protagonistes vont également magnifier leurs valeurs militaires, leur culte des héros et leur fidélité à la nation en danger.

Les États-Unis

Après la Seconde Guerre mondiale, les Américains intensifient leur propagande à travers le cinéma. L’efficacité incontestable de ce type de propagande va encourager les autorités américaines à poursuivre dans cette voie. La propagande se retrouve dans beaucoup de genres cinématographiques comme l’espionnage, la science-fiction, le fantastique et, bien sûr, les films de guerre. La lutte anticommuniste s’amplifie, surtout sous le maccarthysme (encadré 1), et la propagande se met au service de cette lutte par le cinéma. Le cinéma hollywoodien s’engage dans la Guerre froide. Les historiens du cinéma dénombrent une trentaine de films qu’on peut qualifier d’anticommunistes pour toute la période, alors que la moyenne annuelle est proche de 360 longs-métrages. Les sociétés de production sont toutes mises à contribution. La Metro Goldwyn Mayer produit Guet-apens de Victor Saville ( 1949 ), la Warner, I was a communist for the FBI de Gordon Douglas ( 1951 ), la Paramount, My son John de Leo Mac Carey ( 1952 ).Outre les réalisateurs cités, ainsi que quelques cinéastes chevronnés qui s’engagent dans la lutte anticommuniste : William Wellman, Sam Fuller, Henry Hattaway. Nous sommes dans un monde bipolaire et le cinéma américain a un grand impact sur l’ensemble de la population, quels que soient les classes sociales et les âges. Il y a forcément un genre de film qui correspond aux goûts de chacun. Prenons 2 exemples : les films d’espionnage et les films de science-fiction.

Les films d’espionnage traitent des sujets concrets qui se sont déroulés pendant la période où ils ont été tournés et utilisent des institutions nouvelles comme la Central Intelligence Agency mise en place en 1947, reconnue pour ses actions d’espionnage des communistes pendant la guerre froide.

La propagande de ces films est importante, car l’adversaire, en l’occurrence l’URSS, est toujours décrite de manière négative avec, à l’origine, un plan machiavélique qui vise les États-Unis, mais aussi le reste du monde. Les scénarios sont toujours très manichéens avec la supériorité américaine vs la défaillance russe. Un parfait exemple de ce genre est le film américain réalisé par Alfred Hitchcock en 1966 Torn curtain (Le rideau déchiré) dont l’action se passe en République Démocratique Allemande (RDA) et dont le titre est une allusion au rideau de fer (Iron curtain) érigé en 1961 par les Soviétiques et, entre autres, à Berlin.

Dans ces mêmes années 1950, les films de science-fiction connaissent un essor remarquable. C’est le règne de la métaphore. De nombreux films évoquent la lutte entre la Terre (c’est-à-dire les  États-Unis et le camp occidental ) et des mondes menaçants , comme la planète rouge Mars (tout un symbole !). Il va s’agir d’expéditions dans ces endroits inconnus comme Red Planet Mars de Harry Horner (1952), ou bien de la défense contre des envahisseurs venus d’ailleurs comme Invaders from Mars de William Menzies (1953), The war of the worlds de Byron Haskin (1953), facilitant le transfert d’image desdits envahisseurs aux ennemis soviétiques.

Quand l’URSS lance avant les États-Unis ses premiers satellites à partir de 1957, l’image des soucoupes volantes semble à beaucoup d’Américains l’anticipation d’une réalité à venir.

Tout au long de la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS ont fait vivre le monde dans l’inquiétude d’une destruction nucléaire totale et irréversible. Ils l’ont fait à travers des déclarations et des pourparlers médiatisés par la presse, la radio et la télévision, mais aussi par une importante production cinématographique. Cette instabilité rendait la tension encore plus perceptible et exacerbait les peurs dès le moindre incident. On peut citer 2 exemples : la destruction d’un U2 américain en 1960, qui voit cet avion-espion américain, abattu par les Russes pour violation du Point limite (Fail Safe) en survolant le territoire soviétique, ou la Crise des missiles de Cuba en 1962, qui fut un moment de tension extrême y compris chez les acteurs eux-mêmes et dont les films Dr. Strangelove et Fail Safe sont directement et simultanément inspirés. (25). Et il faut, bien sûr, mentionner les films de James Bond surtout ceux de 1964 à 1980 où la «paranoïa atomique» va dominer ces premiers films de Dr. No à Opération Tonnerre en passant par Goldfinger (voir encadré 2).

L’URSS

Le cinéma de propagande soviétique s’est déjà développé dès le début du XXe siècle sous le pouvoir tsariste. En 1919, le cinéma se nationalise et le cinéma devient « le premier vecteur de communication, d’éducation et de propagande». Joseph Staline est le Pendant cette période, le cinéma soviétique se fonde essentiellement sur le culte du Secrétaire général du Parti communiste Joseph Staline jusqu’à sa mort en 1953. (34).

L’été 1946 marque, en Union soviétique, le déclenchement d’une vigoureuse campagne dont l’objectif est de renforcer le contrôle du parti communiste sur l’ensemble de la production intellectuelle. Cette campagne atteint le théâtre le 26 août, puis le cinéma le 4 septembre. La direction idéologique de cette opération fut assurée par Andreï Jdanov, d’où le nom de « Jdanovschina » qui lui a été donné et qui se poursuivra jusqu’en 1953.

Alors que les films américains sont dans l’action et la célébration de l’ « american way of life », même en temps de guerre froide, les films soviétiques se rapprochent plus des films d’auteur avec ce réalisme soviétique qui est la marque de fabrique du cinéma stalinien et également la doctrine officielle de l’art, d’une manière générale, en présentant la réaliste selon une perspective historique. Les hommes et les femmes sont sur un pied d’égalité, les valeurs du travail et de la communauté sont mises en scène, communisme et bonheur vont ensemble. Un film comme La moisson (1953) Vlesodov Poudovovkine, est un exemple de ces valeurs et est complètement dédié à la gloire du système communiste.

La fin des années 1950 voit un dégel politique et culturel dans les relations des deux super puissances, et bien que la censure dans le cinéma soviétique soit moins visible qu’à l’époque de Staline, elle sera plus subtile sous Khrouchtchev. Le cinéma soviétique continue de mettre en avant et de diffuser largement l’idéologie socialiste en exagérant les principes et les valeurs, mais il n’y a pas vraiment de méchants Américains, mais plutôt la présence de bons Soviétiques.

L’arrivée de Khrouchtchev va favoriser un changement de ton dans le cinéma soviétique où les réalisateurs vont revenir sur le courage et l’abnégation des soldats soviétiques lors de la Grande Guerre patriotique contre les nazis, représentative de l’ennemi dans le roman national russe, comme on le voit encore aujourd’hui. Les autorités vont favoriser les fresques monumentales, en partie pour rivaliser avec Hollywood.

On peut citer comme exemples Les soldats (1956) d’Alexandre Ivanov, Raphsodie ukrainienne (1961) de Serguei Paradjanov ou La bataille de Stalingrad (1949) de Vladimir Petrov. La plupart de ces films font la part belle au culte de la personnalité alors à son apogée (Le chevalier à l’étoile d’or (1950) de Youli Raizman en est un exemple) mais restent relativement discrets sur le combat idéologique, ceci pouvant s’expliquer par la stratégie des dirigeants soviétiques basée sur coexistence pacifique, qui veut présenter le camp occidental comme l’agresseur. C’est l’époque ou le Conseil Mondial pour la Paix (World Peace Coucil) et ses membres ont adopté la ligne établie par le Kominform selon laquelle le monde est divisé entre l’Union soviétique éprise de paix et les États-Unis bellicistes.

D’autre part, dans la production soviétique, les allusions à la Guerre froide et à l’espionnage sont peu fréquentes pour autant que l’on puisse connaître les films de cette période. Déjà, leur nombre total est faible (19 en 1946, 61 en 1956). Néanmoins, il existe l’équivalent de James Bond dans le cinéma soviétique : il s’agit de Max Otto von Sterlitz, qui est le principal personnage d’une série de livres écrits dans les années 1960 par Julian Semenov et qui sera repris dans une série télévisée Dix-sept moments de printemps 1973) de Zinovi Genzer avec, dans le rôle de Stierlitz, le célèbre acteur Viatcheslav Tikhonov.

Et maintenant ?

Dans la Revue internationale et stratégique citée en rubrique, Charlotte Lepri peut avancer que « le recours à la propagande pendant la Guerre froide n’est plus à prouver. Qui dit Guerre froide pense course aux armements, rideau de fer, dissuasion nucléaire. Mais la lutte que se menèrent les deux blocs fut surtout idéologique et psychologique : la Guerre froide était aussi et peut-être avant tout une guerre d’images, d’idées, de propagande, de désinformation et de pression diplomatique ». Aujourd’hui encore, la culture, en particulier le cinéma, est un vecteur d’influence et de propagande et reste un outil privilégié du soft power d’un pays. Les films de propagande ont continué à être proposés après la guerre froide et, plus particulièrement aux États-Unis. On peut citer comme exemple The hunt for Red October  (1990) de John Mc Tiernan et Bridge of spies (2015) de Steven Spielberg.

Mais, aujourd’hui, nous sommes passés d’un monde bipolaire au moment de la guerre froide à un monde multipolaire. Aux industries cinématographiques américaines, russes et de leurs alliés viennent s’ajouter aujourd’hui principalement les films chinois et indiens. En Chine, l’autorité cinématographique chinoise a ordonné à toutes les salles de projeter, au moins deux fois par semaine, des créations vantant «la patrie, son peuple, ses héros» ainsi que le Parti communiste à l’occasion du centenaire du PCC.

L’Inde, qui n’a pas participé directement à la guerre froide, se sert de l’énergie et de féérie visuelle de ses films (Bollywoodisation) pour se forger une image et une identité, relayée par les politiques, surtout avec le principe de nationalisme hindou développé par le gouvernement. La puissance émotionnelle du cinéma peut ainsi faire passer de la notion de soft power au principe de nation building.

Encadré 1 : Le Maccarthysme (1946-1954).

Au lendemain de la 2e guerre mondiale et après les accords de Yalta et Potsdam, l’URSS gagne du terrain en Europe « vassalisant » les pays qui vont faire partie du « bloc soviétique » et menacent le modèle démocratique occidental. De facto, une paranoïa anticommuniste se développe aux États-Unis et, en 1947, s’ouvre à Hollywood une période de chasse aux sorcières initiée par le sénateur républicain du Wisconsin Joseph McCarthy (1908-1957). Toute critique contre l’American way of life est vite assimilée à une attitude communiste. C’est la période des affaires d’espionnage soviétique : Klaus Fuchs (1950) et les époux Rosenberg (1953) et des films films relatent des affaires d’espionnage « atomique » sur le territoire américain, dans lesquelles les agents du FBI ont le beau rôle : Le rideau de fer de William Wellmann (1948), I was a communist for the FBI de Gordon Douglas (1951). À Hollywood, est établie une liste noire d’environ 300 artistes à qui les studios hollywoodiens refusent tout emploi, parce qu’ils sont soupçonnés de sympathie avec le parti communiste américain. : Charlie Chaplin, Jules Dassin, Sterling Hayden, Joseph Losey et certains choisiront l’exil. Le processus est bien expliqué dans le film The way we were (1973) de Sydney Pollack. Le cinéma est une entreprise privée aux États-Unis, mais le gouvernement exerce toujours une influence, voire un droit de véto, sur les productions cinématographiques. McCarthy se verra désavoué par le Président Eisenhower à la suite d’un vote de censure.

Encadré 2

Lorsque Klaus Dodds étudie les cinq premiers films des aventures de James Bond sortis entre 1962 et 1967, il souligne  que ce choix de lieux où se pesse l’action propose une représentation des espaces de la Guerre froide, avec le Bloc de l’Est comme principale origine des complots menaçant l’ordre mondial, selon la logique d’un affrontement manichéen entre le Bien et le Mal soulignant combien le succès des James Bond repose sur le choix de lieux exotiques, ainsi que les « James Bond girls » et les scènes mouvementées d’action, l’objectif étant de toucher un large public.  L’adversaire, dans ces premiers films, est un service russe, le SMERSH, qui est un acronyme de l’expression «smiert spionam» («mort aux espions»). Le héros est anglais, même so british, mais son « complice », au moins au début, est Félix Leiter de la CIA. Dans ses films, James Bond est le représentant des « bloc de l’Ouest » et des valeurs occidentales, le tout sous forme de divertissement qui fait d’autant mieux passer les messages de l’«occidental way of life ».


Pour aller plus loin :

Lepri, C. (2010). De l’usage des médias à des fins de propagande pendant la guerre froide. Revue internationale et stratégique, 78, 111-118. https://doi.org/10.3917/ris.078.0111

Nardone R. (2021). Hollywood, Atome et Guerre froide. Entre détente et terreur.

Funnell L.  Dodds.K (2017) Geographies, Genders and Geopolitics of James Bond. Ed.Palgrave Macmillan.

Site Cinema et Guerre froide https://cinema-guerre-froide.weebly.com

Filmographie (non limitative).

USA

The third man (1949), de Carol Reed.

On the Beach (1959) de Stanley Kramer.

The Day after (1983) de Nicholas Meyer.

From Russia with Love (1963) de Terence Young.

Dr. Strangelove (1964) de Stanley Kubrick.

Fail Safe (1964) de Sidney Lumet.

The spy who came in from the cold (1965), de Martin Ritt.

Torn curtain (1966) d’Alfred Hitchcock.

You Only Live Twice (1967) de Lewis Gilbert.

Telefon (1977) de Don Siegel.

The Spy Who Loved Me (1977) de Lewis Gilbert.

Firefox (1982) de Clint Eastwood.

Rocky IV (1985) de Sylvester Stallone.

URSS

La Chute de Berlin (1949) de Mikhail Tchiaoureli.

Quand Passent les Cigogne (1957) de Mikhail Kalatozov.

La Balade du Soldat (1959) de Grigori Tchoukhraï.

Le Bastion d’Ilitch (1961) de Marlen Khoutsiev.

Le Nôtre parmi les autres (1974) de Nikita Mikhalkov.


Alain Bogé

Enseignant en Géopolitique et Relations Internationales. HEIP Hautes Etudes Internationales et Politiques – Lyon. Czech University of Life Sciences-Dpt Economy – Prag (Czech Republic). Burgundy School of Business-BSB – Dijon-Lyon. European Business School-EBS – Paris

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

par Michael BRENNER* – TRIBUNE LIBRE N°156 / juillet 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/etats-unis-lhegemonie-ou-lechec/


*Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

La nouveauté amène les observateurs à fouiller dans leur inventaire d’idées et de concepts pour en trouver un qui corresponde à la situation internationale que nous connaissons. Son application est censée donner un peu de sens aux nouveaux phénomènes qui apparaissent. Nombreux sont ceux qui se contentent de cela, même si leur description comporte des dénominations inappropriées ou des connotations ambiguës. Il en va ainsi de concepts tels que « populisme », « fascisme » et « hégémonie ». Tous sont en vogue ; tous sont employés à toutes les sauces si bien que ces termes ont perdu toute capacité de clarification pour expliquer les phénomènes en question.

Examinons le dernier en date : l’hégémonie. Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel sur la place des États-Unis dans le monde : ce qu’elle a été, sa durabilité et la manière qu’ils ont de formuler les intérêts nationaux du pays.

 

Hégémonie 

L’hégémonie est la domination sur des lieux, des élites politiques, des institutions de manière à contrôler ce qu’un État fait dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes de portée, de méthodes et de degrés de contrôle. L’hégémonie américaine, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son champ d’action. Après 1991, elle a pris une dimension mondiale, l’objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C’est toujours le cas aujourd’hui. (Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui est devenu depuis lors le modèle de la politique étrangère américaine[1]). Pendant la Guerre froide, la préoccupation des États-Unis était la sécurité, leurs moyens étant principalement militaires – bien qu’étayés par un réseau dense de relations économiques favorables partiellement institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi (1992-2022), l’accent s’est progressivement déplacé vers la stratégie politico-économique à multiples facettes du néolibéralisme. Ce changement dans l’équilibre entre puissance « dure » et « semi-douce » n’a jamais éclipsé les considérations purement militaires, comme en témoignent :

  1. a) l’engagement publiquement déclaré du Pentagone en faveur d’une supériorité militaire à large spectre afin d’assurer une domination par escalade dans chaque région contre tout ennemi imaginable,
  2. b) les interventions dispersées menées au nom de la guerre mondiale contre la terreur,
  3. c) l’expansion incessante de l’OTAN.

La volonté de Washington d’utiliser la force pour imposer sa volonté, qui s’exprime aujourd’hui par une attitude agressive à l’égard de la Russie et de la Chine, n’a pas éteint la croyance idéaliste kantienne selon laquelle la propagation de la démocratie constitutionnelle, accompagnée des récompenses tangibles promises par l’indépendance économique mondiale, est la garantie la plus sûre de la stabilité internationale. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. L’accomplissement de cette téléologie présumée, cependant, a dicté l’utilisation de la puissance dure pour contrecarrer ou subjuguer ceux qui pourraient la défier.

Aujourd’hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une position où l’objectif de l’hégémonie mondiale est devenu inaccessible – selon toute norme raisonnable, pour des raisons objectives. Pourtant, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas – accepter cette conclusion logique. Cette réticence est à la fois intellectuelle, idéologique et émotionnelle. La psychologie complexe d’une grande puissance en déclin qui jouissait d’un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la croyance en une exception innée la destinant à être le point de mire d’idées qui allaient remodeler le monde, rend l’analyse de ce comportement déconcertante. Ce que nous pouvons dire, c’est que la perspective d’un statut réduit est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d’une sécurité absolue et d’une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu’ils ont accompli chez eux et à l’étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu’il se sentait sur le point d’accomplir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d’année en année. C’est là que le bât blesse.

L’affaiblissement des performances est l’une des choses les plus difficiles à gérer pour l’être humain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation.  Par nature, nous apprécions notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et ses signes d’extinction. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l’individu et la personnalité collective sont inséparables. Aucun autre pays n’essaie aussi inlassablement de vivre sa légende que les États-Unis. Pour de nombreux Américains – à l’ère de l’anxiété et de l’insécurité – le sentiment d’estime de soi et de valeur personnelle est fondé sur leur association intime avec l’appartenance à une nation vertueuse et dotée d’un pouvoir unique. Aujourd’hui, des événements se produisent qui contredisent le récit américain d’une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise[2].

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d’affronter ce dilemme de front. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux sur les objectifs et les moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux couloirs du pouvoir décisionnel. Tous observent la même écriture sainte et chantent le même cantique. Résultat : une pensée de groupe profondément ancrée, imperméable aux preuves contradictoires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues. Cela soulève une question troublante : la conduite des États-Unis sur la scène internationale doit-elle être comprise comme une détermination raisonnée à suivre la voie choisie, quelles que soient les chances d’atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien observons-nous des actions compulsives enracinées dans des émotions et des états d’esprit profondément ancrés, réifiés dans l’hégémonie doctrinale ?

 

Pourquoi l’hégémonie ?

La préoccupation première de tout État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n’y a pas d’autorité supérieure qui fixe et applique des règles de comportement. D’où l’omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C’est la caractéristique des relations internationales. Ce truisme soulève toutefois des questions fondamentales. La situation dans laquelle se trouve un État n’est pas figée ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu’un État pourrait suivre pour se protéger dans l’une ou l’autre de ces conditions.

Évidemment, ces options théoriques sont limitées par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d’autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est limité par des conditions objectives.

La détermination de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l’histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche de la sécurité absolue – ou d’une certaine approximation de celle-ci. Même dans ce cas, il convient d’évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? Pour cette génération ? Jusqu’à ce qu’un changement envisagé dans l’équilibre des forces se produise ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C’est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était le danger planant posé dans les premières années par une Grande-Bretagne qui nourrissait l’espoir d’un châtiment et d’une restauration, comme cela s’est manifesté lors de la guerre de 1812. Au cours du siècle suivant, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d’autres États qu’en raison de leurs propres ambitions d’étendre leurs territoires. (contre l’Espagne en 1819 et 1898 ; contre le Mexique en 1848). Il s’agissait de choix, en aucun cas d’une nécessité. Il en va de même pour l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l’aise avec le statu quo d’avant-guerre qu’avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Néanmoins, l’évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle qu’elle était – ne pouvait pas être réalisée dans un avenir proche. C’est donc à juste titre qu’elle a été qualifiée de « guerre de choix » plutôt que de guerre de nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prédestiné, que les États-Unis reviennent au néo-isolationnisme pendant l’entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour leur sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor ; l’explosion d’une bombe nucléaire par l’Union soviétique ; et le 11 septembre 2001. Ce dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace de l’URSS. Au cours de la décennie écoulée, les élites politiques des États-Unis se sont senties rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à exploiter les conditions favorables à l’échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante dans laquelle aucune menace ne pourrait se matérialiser. Une stratégie multiforme était nécessaire pour étendre et approfondir l’influence américaine, pour affirmer l’allégeance et la déférence des autres États, et pour se préparer à l’utilisation de la force si nécessaire pour prévenir l’émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l’heure actuelle, son enracinement dans l’esprit des dirigeants du pays est illustré par notre attitude de confrontation à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’une série d’États moins redoutables que Washington considère comme hostiles ou antagonistes, d’une manière ou d’une autre. Comme l’a déclaré Joe Biden le 5 juillet 2024 : « non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde ». Cela peut sembler une hyperbole, mais nous sommes la nation essentielle du monde. Interpolation : Nous devrions diriger le monde entier – pour le bien du monde et pour le nôtre.

L’expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s’agit pas d’un besoin de sécurité manifeste puisqu’il n’existe pas de menace manifeste pour l’intégrité territoriale ou l’intégrité politique des États-Unis. Il ne s’agit pas non plus d’une menace pour nos principaux alliés ou partenaires, même si l’on s’imagine que Poutine est un autre Hitler et qu’il existe un complot diabolique de la Chine pour nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c’est l’hégémonie américaine telle que la conçoit Wolfowitz. Cette hégémonie est nécessaire non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l’exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l’état des lieux lorsque l’équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont ressenti un sentiment d’urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d’une batterie de sanctions. Pendant qu’il « tergiversait », la Chine et la Russie se sont renforcées, ce qui exigeait une réaction rapide de peur que leur progression n’échappe à tout contrôle. Ces deux nations avaient le couteau entre les dents ; elles avaient un plan. Les principaux acteurs internationaux partageaient alors une carte cognitive claire – bien qu’unidimensionnelle – de l’environnement mondial : l’objectif était gravé dans le granit et leur croyance en l’efficacité de la puissance américaine était sans réserve. Les principaux éléments étaient les suivants. La Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l’incitant à s’abriter sous l’aile de l’Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en l’affaiblissant gravement par une combinaison d’expansion de l’OTAN et de sanctions économiques, dans l’espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden en mars 2022 : « Cet homme doit partir« . La Chine devait être contenue par la formation d’une ceinture d’alliances dirigées par les Américains en Asie, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l’Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l’indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. Les « Bidens » s’attendaient à ce qu’une telle stratégie entraîne une stagnation de l’économie chinoise et une diminution proportionnelle de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, elles pourraient être traitées en mobilisant l’arsenal  de coercition militaire de l’Amérique contre elles.

Cette stratégie de grande envergure impliquait un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Pendant la Guerre froide avec l’URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un historien de l’Antiquité caractérisait ainsi les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes : « Chaque empire devait respecter les sensibilités de l’autre. Pousser trop loin risquait d’entraîner une guerre bien plus grave qu’aucune des deux parties ne souhaitait »[3]. Les dirigeants américains d’aujourd’hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme un souvenir désuet d’une époque révolue.

Ces plans de Washington à l’égard de la Russie et de la Chine ont eu en commun 1) d’être fondés sur une profonde méconnaissance des deux pays ; et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l’Occident par rapport à ses rivaux présumés. La démonstration brutale, par la débâcle de l’Ukraine et la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient fausses n’a pas encore été assimilée par la communauté américaine des affaires étrangères.

La vérité évidente est que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible la réalisation de l’objectif hégémonique. En effet, la trajectoire actuelle indique un changement inexorable des lieux de pouvoir et d’interaction internationaux vers un système mondial différent (bien que toujours interdépendant), multinodal – pour reprendre le terme approprié de Chas Freeman.

Le sentiment exalté qu’a l’Amérique d’elle-même est le principal obstacle qui l’empêche d’accepter cette réalité inconfortable. Elle a suscité l’envie de se prouver à elle-même (et au reste du monde) qu’elle reste le paladin mondial en lançant une série d’entreprises destinées à repousser ses ennemis et ses rivaux tout en revigorant les liens avec ses vassaux et ses fidèles. Cette ambition audacieuse et vouée à l’échec de s’assurer une domination mondiale n’est pas le fruit d’un jugement stratégique froid. Il s’agit plutôt de la matérialisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C’est la stratégie de la fuite en avant d’un pays souffrant d’une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d’identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une voie qui ne permet aucune déviation, aucune adaptation, aucune décélération.  Tout ou rien : l’hégémonie ou l’Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux développements qui modifient les chances de cette issue. Ces évolutions ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La performance honteuse de l’Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a dissous la position des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé d’intentions décentes. C’est la fin du soft power tel qu’il existait. Bien sûr, les souhaits de Washington sont toujours considérés comme des ordres autoritaires par sa coterie de vassaux dénaturés dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires, ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain.

 

Une alternative est possible

Il existe une autre alternative, radicale, fondée sur la conviction qu’il est possible d’élaborer une stratégie à long terme visant à entretenir des liens cordiaux avec la Russie et la Chine et à favoriser les domaines de coopération. Cette stratégie reposerait sur la reconnaissance commune qu’un engagement mutuel en faveur du maintien de la stabilité politique et de l’élaboration de mécanismes de prévention des conflits sert au mieux leurs intérêts à long terme. Cette idée n’est pas aussi farfelue qu’on pourrait le croire à première vue.

L’idée d’un concert des grandes puissances vient à l’esprit. Toutefois, nous devrions envisager un arrangement assez différent du concert historique de l’Europe qui a vu le jour à la Conférence de Vienne au lendemain des guerres napoléoniennes (1815). D’une part, l’objectif ne serait pas de renforcer le statu quo par la double stratégie consistant à s’abstenir de tout conflit armé entre les États signataires et à réprimer les mouvements révolutionnaires susceptibles de mettre en péril les régimes en place. Les caractéristiques de ce concert étaient les suivantes : la concentration du pouvoir entre les cinq grands cogestionnaires du système, l’étouffement des réformes politiques dans toute l’Europe et le mépris des forces apparaissant en dehors de leur champ d’action.

En revanche, un concert contemporain entre les grandes puissances assumerait la responsabilité de prendre la tête de la conception d’un système mondial fondé sur les principes complémentaires d’ouverture, d’égalité souveraine et de promotion de politiques qui produisent des résultats à somme positive. Plutôt que d’être dirigées par un directoire, les affaires internationales seraient structurées par :

  1. a) des institutions internationales dont la philosophie serait modifiée, ouvertes à la prise de décision multilatérale et adoptant des mesures de déconcentration qui donneraient des pouvoirs aux organismes régionaux ;
  2. b) un modèle de consultation entre les gouvernements qui, par leur poids économique et leurs capacités militaires, devraient tout naturellement jouer un rôle informel dans le fonctionnement du système ;
  3. c) des mesures visant à régulariser la participation d’autres États.

Quid de la légitimité ? Elle doit être établie par la conduite et la performance. La chute drastique du respect pour le leadership mondial américain facilitera ce processus – comme le démontrent déjà les succès des BRICS.

Le point de départ crucial d’un tel projet est une rencontre des esprits entre Washington, Pékin et Moscou – accompagnée d’un dialogue avec New Delhi, Brasilia, etc. Il y a des raisons de croire que les conditions, objectivement parlant, sont propices à une entreprise de cet ordre depuis plusieurs années. Cependant, l’Occident ne l’a jamais reconnu et l’a encore moins sérieusement envisagé – une occasion historique perdue.

Le facteur suffisant le plus important est le tempérament des dirigeants chinois et russes. Xi et Poutine sont des dirigeants rares. Ils sont sobres, rationnels, intelligents, très bien informés, capables d’une vision large et, tout en se consacrant à la défense de leurs intérêts nationaux – avant tout le bien-être de leurs peuples -, ils ne nourrissent pas d’ambitions impériales. En outre, ils sont chefs d’État depuis longtemps. Ils disposent du capital politique nécessaire pour investir dans un projet d’une telle ampleur et d’une telle perspective. Malheureusement, Washington n’a pas eu de dirigeants au caractère et aux talents similaires.

Les réunions au sommet de Bush, Obama, Trump ou Biden se sont toujours concentrées sur des questions de détail ou sur des instructions concernant ce que leur homologue devrait faire pour se conformer à la vision américaine du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’une perte de temps précieux par rapport à l’impératif de promouvoir une perspective mondiale commune à long terme. Pour entamer un dialogue sérieux, il serait judicieux qu’un président doté de qualités d’homme d’État s’assoie seul avec Poutine et Xi et leur pose la question suivante : « Que voulez-vous, président Poutine/président Xi ? Comment voyez-vous le monde dans 20 ans et la place de votre pays dans ce monde ? » Seraient-ils prêts à donner une réponse articulée ? Poutine, certainement. C’est exactement ce qu’il a proposé depuis 2007, à de nombreuses reprises, de vive voix ou dans ses écrits. Au lieu de cela, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, depuis 2014, a été traité comme un paria menaçant qu’il faut diffamer et insulter personnellement. 

Voici le point de vue de Barack Obama : Le président russe est un homme « physiquement banal« , comparé aux « patrons de quartier durs et rusés qui dirigeaient la machine de Chicago« . Ce commentaire, tiré du premier volume des mémoires publiées par Obama[4], en dit plus long sur son propre ego, à la fois gonflé et vulnérable, que sur le caractère de Poutine. En fait, c’est la machine de Chicago, ainsi que l’argent et les encouragements du réseau Pritzker[5], qui ont fait d’Obama ce qu’il est devenu. Contraste : lorsque Bismarck a rencontré Disraeli lors de la conférence de Berlin de 1878 – allant même jusqu’à l’inviter deux fois à manger chez lui, alors qu’il était juif – il n’a pas harcelé le Premier ministre britannique au sujet des restrictions commerciales imposées aux exportations allemandes de textiles et de produits métallurgiques, ni au sujet des mauvais traitements systématiques infligés par les Britanniques aux travailleurs des plantations de thé dans l’Assam. Il n’a pas non plus commenté son physique. Bismarck était un homme d’État sérieux, contrairement aux personnes à qui nous confions la sécurité et le bien-être de nos nations. 

Le résultat est que Poutine et Xi semblent perplexes quant à la manière de traiter avec leurs homologues occidentaux incapables qui ignorent les préceptes élémentaires de la diplomatie. Cela devrait également nous préoccuper – à moins, bien sûr, que nous n’ayons l’intention de mener notre « guerre » de manière linéaire, en faisant peu de cas de la réflexion des autres parties

Le vitriol que ses homologues occidentaux jettent sur Poutine avec une telle véhémence a quelque chose d’énigmatique. Cette attitude est manifestement disproportionnée par rapport à ce qu’il a fait ou dit, même si l’on déforme l’histoire sous-jacente de l’Ukraine. La condescendance d’Obama suggère une réponse. Au fond, son attitude reflète l’envie dans le sens où il a inconsciemment reconnu en Poutine quelqu’un qui lui est clairement supérieur en termes d’intelligence, de connaissance des questions contemporaines et de l’histoire, d’éloquence, de sens politique et – très certainement – d’habileté diplomatique. Essayez d’imaginer l’un de nos dirigeants imitant la performance de Poutine en organisant des séances de questions-réponses de trois heures avec la presse internationale ou avec des citoyens de tous bords, répondant directement, en détail, de manière cohérente et de bonne grâce. Biden ? Trudeau ? Scholz ? Sunak ? Starmer ? Macron ? Von der Leyen ? Kaja Kallis ? Même pas Barack Obama qui nous servirait des sermons en conserve dans un langage de haute voltige n’ayant pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est pourquoi la classe politique occidentale évite assidûment de prêter attention aux discours et aux conférences de presse de Poutine – loin des yeux, loin du cœur. Elle préfère agir en se référant à la caricature plutôt qu’à l’homme réel.

Aujourd’hui, à l’ère de l’Ukraine, le consensus rigide de Washington est que Vladimir Poutine est la quintessence du dictateur brutal – fou de pouvoir, impitoyable et n’ayant qu’une prise ténue sur la réalité. En effet, il est devenu courant de l’assimiler à Hitler, comme l’ont fait des figures de proue de l’élite du pouvoir américain telles que Hillary Clinton et Nancy Pelosi, ainsi que des « faiseurs d’opinion » à foison. 203 titulaires du prix Nobel ont mêm prêté leur cerveau collectif et leur notoriété à une « lettre ouverte » dont la première phrase associe l’attaque de la Russie contre l’Ukraine à l’assaut d’Hitler contre la Pologne en septembre 1939. 

Malheureusement, l’argument selon lequel ceux qui prennent des décisions cruciales en matière de politique étrangère devraient se donner la peine de savoir de quoi ils parlent est largement considéré comme radical, voire subversif. En ce qui concerne Poutine, il n’y a absolument aucune excuse pour une telle ignorance à son égard. Il a présenté son point de vue sur la manière dont la Russie envisage sa place dans le monde, ses relations avec l’Occident et les règles d’un système international souhaité. Il a fait cela  de manière complète, éclairée par l’histoire et plus cohérente que n’importe quel autre dirigeant national que je connaisse. Les déclarations à l’emporte-pièce « nous sommes le numéro un et nous le serons toujours – vous feriez mieux de le croire » (Obama) ne sont pas son style. Le fait est que l’on peut être troublé par ses conclusions, mettre en doute sa sincérité, soupçonner des courants de pensée cachés ou dénoncer certaines actions. Mais cela n’a de crédibilité que si l’on s’est intéressé à l’homme en se basant sur les éléments disponibles et non sur des caricatures de dessins animés. De même, nous devrions reconnaître que l’attitude de la Russie n’est pas du spectacle et qu’il nous incombe de prendre en compte la réalité plus complexe de la gouvernance et de la politique russes.

Le président chinois Xi a échappé à la diffamation personnelle dont Poutine a fait l’objet – jusqu’à présent. Mais Washington n’a pas fait plus d’efforts pour engager avec lui une discussion sur la forme future des relations sino-américaines et sur le système mondial dont ils sont destinés à être ensemble les principaux gardiens. Xi est plus insaisissable que Poutine. Il est beaucoup moins direct, plus réservé et incarne une culture politique très différente de celle des États-Unis ou de l’Europe. Pourtant, ce n’est pas un idéologue dogmatique ni un impérialiste avide de pouvoir. Les différences culturelles peuvent trop facilement devenir une excuse pour éviter l’étude, la réflexion et l’exercice d’imagination stratégique qui s’imposent.

L’approche décrite ci-dessus vaut les efforts – et les faibles coûts – qu’elle entraine. En effet, ce sont les accords entre les trois dirigeants (et leurs collègues de haut rang) qui sont de la plus haute importance. En d’autres termes, il s’agit de s’entendre sur la manière dont ils perçoivent la forme et la structure des affaires mondiales, sur les points où leurs intérêts s’opposent ou convergent, et sur la manière de relever le double défi consistant à : 1) gérer les points de friction qui peuvent surgir ; et 2) travailler ensemble pour assurer les fonctions de « maintenance du système » dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

À l’heure actuelle, il n’y a aucune chance que les dirigeants américains aient le courage ou la vision nécessaire pour s’engager dans cette voie. Ni Biden et son équipe, ni leurs rivaux républicains ne sont à la hauteur. En vérité, les dirigeants américains sont psychologiquement et intellectuellement incapables de réfléchir sérieusement aux conditions d’un partage du pouvoir avec la Chine, avec la Russie ou avec n’importe qui d’autre – et de développer des mécanismes pour y parvenir à différentes échéances. Washington est trop préoccupé par l’équilibre naval en Asie de l’Est pour réfléchir à des stratégies générales. Ses dirigeants sont trop complaisants à l’égard des failles profondes de nos structures économiques, et trop gaspilleurs en dissipant des billions dans des entreprises chimériques visant à exorciser un ennemi mythique pour se préparer à une entreprise diplomatique du type de celle à laquelle une Amérique égocentrique n’a jamais été confrontée auparavant.

Nous sommes proches d’un état qui se rapproche de ce que les psychologues appellent la « dissociation ».  Elle se caractérise par une incapacité à voir et à accepter les réalités telles qu’elles sont pour des raisons émotionnelles profondes. La tension générée pour une nation ainsi constituée lorsqu’elle est confrontée à la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est constituée par les attitudes et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes.


[1] Le credo de Wolfowitz anime presque tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes bruts. Les quelques non-croyants n’ont rien à voir avec le discours de politique étrangère de l’Amérique. Si vous préconisez un engagement avec Téhéran et un dialogue avec Poutine, vous êtes rejeté comme hérétique – comme les gnostiques, puis les Cathares, sauf que ces derniers ont au moins reconnu le Christ (l’exceptionnalisme américain) et Satan (Poutine/Khamenei) avant qu’on ne leur administre leur juste châtiment.

Ce récit historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables du consensus actuel des élites, qui porte l’empreinte du modèle Néo-Con/Wolfowitz :

– premièrement, sa conquête presque totale de l’esprit américain a réussi malgré un record inégalé d’échecs – dans l’analyse et dans l’action : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout couronné par la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (erreur fatale de lecture de la Russie) ;

– deuxièmement, l’administration Biden a presque officiellement annoncé que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride globale contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était concevable pour l’encourager. Pourtant, l’élite de la politique étrangère, la classe politique et le public ont accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans broncher. Le pays s’est engagé sur une voie funeste dans un état d’inconscience induit par une coterie volontaire de vrais croyants inspirés par un dogme enveloppé d’ignorance et poursuivis dans une incompétence stupéfiante.

[2] Sur le plan psychologique, cette approche est compréhensible, car elle joue sur la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une force matérielle – perpétuant ainsi les mythes nationaux d’être destiné à rester le numéro un mondial pour toujours, et d’être en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains. Le président Obama s’est exclamé : « Laissez-moi vous dire quelque chose.  Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la planète.  Un point c’est tout. Cette période est loin d’être finie [répété trois fois !]« .  Et alors ?  S’agit-il d’une révélation ? Quel est le message ? À qui s’adresse-t-il ?  Est-ce différent de quelqu’un qui crierait : Allah Akbar ! Les mots qui ne sont ni un prélude à l’action, ni une incitation à l’action, ni même une information, ne sont que du vent.  En tant que telles, elles constituent un autre moyen d’évitement – une fuite de la réalité. Elles ne trouvent pas d’oreilles attentives à Londres, Bruxelles, Berlin et Canberra. Lors des sommets de l’OTAN et du G7, on entend la récitation en chœur de la Shahada : « Il n’y a qu’un seul Dieu – l’Oncle Sam – et Wolfowitz est son prophète ». Pourtant, aucun président n’ose répéter l’exclamation d’Obama à Moscou, Pékin, New Delhi, Brasilia, Riyad, Brasilia, Jakarta ….

La tension associée à la rencontre d’une nation ainsi constituée avec la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est l’attitude et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes. Ce phénomène s’accompagne d’une appréhension croissante dans le pays que la suprématie des États-Unis dans le monde est en train de s’évanouir, de la sensation de perdre ses prouesses nationales, de voir sa maîtrise menacée. Cela génère une préférence pour la recherche de résultats clairs dans un délai relativement court, qui rassurent en confirmant la croyance optimiste en l’exceptionnalisme américain.

[3] Adrian Goldsworthy Rome and Persia : The Seven Hundred Year Rivalry, Basic Books, 2023.

[4] Une terre promise, Fayard, 2020.

[5] Famille de milliardaires américains qui joue un rôle majeur dans la vie politique des Etats-Unis depuis plusieurs générations.

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense


Occupant une position stratégique aux abords du détroit de Bab el-Mandeb [mer Rouge], Djibouti intéresse plusieurs pays, dont les États-Unis, la Chine, le Japon ou encore l’Italie. Pays qui ont été autorisés à y implanter des emprises militaires. Mais, depuis son indépendance, en 1977, ce petit État de la corne de l’Afrique cultive des relations étroites avec la France pour assurer sa défense.

En 2011, le traité de coopération militaire entre Djibouti et Paris [TCMD] fut reconduit, la France ayant ainsi renouvelé, selon les termes du président Sarkozy, son « soutien ferme et indéfectible à la République de Djibouti ».

Pour autant, les Forces françaises stationnées à Djibouti [FFDj] n’échappèrent pas aux coupes budgétaires, leur format ayant été réduit… Au point que, en 2014, un rapport remis par les députés Gwendal Rouillard et Yves Fromion s’inquiéta pour leur avenir, des plans visant à réduire leur effectif à seulement 950 hommes ayant circulé à l’époque. Et cela alors que le traité reconduit trois ans plus tôt allait entrer en vigueur pour une période de dix ans.

Finalement, après que l’État-major des armées [EMA] fit valoir qu’il fallait garder « au moins » 1350 militaires à Djibouti pour permettre aux FFDj d’honorer leurs contrats opérationnels et de rester « crédibles », le plan évoqué par les deux parlementaires ne fut pas appliqué.

En 2017, lors d’une audition parlementaire, le général François Lecointre, alors fraîchement nommé chef d’état-major des armées [CEMA], fut très clair. « Je n’ai pas l’intention de lâcher un pouce de terrain à Djibouti. La zone, où nous sommes implantés, est extrêmement sensible et je ne pense pas que nous devrons nous en désengager dans les décennies qui viennent », avait-il affirmé.

Le TCMD devant arriver à échéance le 30 avril 2024, le président Macron et son homologue djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, lancèrent des discussions non seulement pour le reconduire mais aussi pour le renforcer. Il était alors question de signer un nouvel accord dans le courant de l’année 2023.

Seulement, les négociations auront été plus compliquées que prévu. A priori, celles-ci ont buté sur des considérations financières, le gouvernement djiboutien ayant réclamé une hausse importante du loyer payé par la France pour ses emprises militaires dans le pays. Loyer d’une trentaine de millions d’euros par an, dont Paris a commencé à s’acquitter en 2003, soit après l’arrivée des forces américaines au Camp Lemonnier…

La partie française a-t-elle cédé devant les exigences djiboutiennes ? En tout cas, comme l’avait souligné l’ex-député Jean-Charles Larsonneur, dans un avis budgétaire rendu en octobre 2023, le « positionnement des FFDj est stratégique, » car « il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent avec une capacité de projection vers différentes zones [détroit de Bab-el-Mandeb, mer Rouge, océan Indien]. Et d’insister : « La France est ainsi le seul pays de l’Union européenne à posséder de telles capacités militaires dans cette zone dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement [flux économiques, énergétiques, numériques, métaux rares].

Quoi qu’il en soit, un accord a fini par être trouvé. Les président Macron et Guelleh « sont convenus de l’aboutissement des discussions autour de la réforme ambitieuse du traité de coopération en matière de défense [TCMD] qui unit la France et Djibouti », a fait savoir l’Élysée, le 24 juillet.

« La version rénovée du TCMD reflète l’excellence de la relation qui prévaut entre nos deux pays ainsi que la convergence de nos intérêts stratégiques », a ajouté la présidence française qui n’a cependant pas évoqué la signature d’un accord à ce stade.

Pour rappel, la France assure la protection de l’espace aérien de Djibouti, avec notamment 4 Mirage 2000-5 mis à la disposition de l’Escadron de chasse 3/11 Corse. Ces appareils sont régulièrement relevés afin de ménager leur potentiel… Aussi, la question de leur remplacement par un « plot » Rafale pourrait bientôt se poser si le projet de M. Macron de céder des Mirage 2000-5 à l’Ukraine se concrétise.

Reste que l’arrivée de Rafale à Djibouti n’est qu’une question de temps. De même que le renouvellement capacitaire des FFDj, ces dernières devant être progressivement dotées d’hélicoptères NH-90 Caïman TTH [à partir de 2025, ndlr], de véhicules blindés multirôles [VBMR] Griffon, d’engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar et d’engins de débarquement amphibie standard [EDAS]. Et cela nécessitera de réaliser des travaux d’infrastructure pour les accueillir.

Note : Les FFDj englobent le 5e Régiment interarmes d’outre-mer [5e RIAOM], un détachement de l’Aviation légère de l’armée de Terre [DETALAT] , la base aérienne 188 « colonel Massart », une base navale et le Centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert de Djibouti [CECAD].

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

par Eduard Abrahamyan* – CF2R – publié en juillet 2024

https://cf2r.org/tribune/de-leurope-centrale-a-lindo-pacifique-lazerbaidjan-sape-leffort-de-guerre-de-lukraine/


*Docteur en sciences politiques (université de Leicester 2022), membre de l’Institut d’Analyse de la Sécurité (ISA) d’Erevan (Arménie), il a été conseiller en politique étrangère de l’ancien président arménien Armen Sarkissian. Il est également collaborateur régulier d’IHS Markit, de la Jamestown Foundation, de The National Interest, du Foreign Policy Research Institute et du Central Asia-Caucasus Institute.

 

 

Les porte-hélicoptères amphibies français : piliers de la projection de force

Les porte-hélicoptères amphibies français : piliers de la projection de force

Les forces armées françaises disposent de trois porte-hélicoptères amphibies (PHA) : le Mistral (L 9013), le Tonnerre (L 9014), et le Dixmude (L 9015). Ces navires sont des éléments cruciaux dans la stratégie de défense et de projection de force de la France, permettant une variété d’opérations militaires et humanitaires à l’échelle mondiale.

Polyvalence et capacités des PHA

Capables de mener des opérations sous faible préavis, les PHA sont des bâtiments hautement polyvalents. Ils sont équipés pour gérer des crises, effectuer des transports logistiques et conduire des évacuations sanitaires. Leur conception leur permet d’intégrer des éléments des armées de Terre, de l’Air et de l’Espace, ainsi que des forces interalliées et des composantes sanitaires, tant militaires que civiles.

Descriptif technique des porte-hélicoptères

Chaque PHA présente une longueur de 199 mètres et une largeur de 32 mètres, avec un déplacement de 21 500 tonnes. Leur vitesse maximale atteint 19 nœuds. Ils peuvent accueillir 177 marins, un état-major embarqué, et entre 400 et 900 soldats selon les besoins de la mission.

L’équipement de ces navires est impressionnant : un radier de 885 m² pour des chalands, un hangar de 2 650 m² pouvant contenir 60 véhicules blindés ou 13 chars, ainsi qu’une capacité de transport aérien avec un hangar pouvant accueillir jusqu’à 16 hélicoptères. Ils sont aussi équipés d’un hôpital de 69 lits, extensible, comprenant deux blocs opératoires.

L’armement des PHA comprend deux canons de 20 mm téléopérés, quatre mitrailleuses de 12,7 mm, et deux systèmes d’autodéfense surface-air à très courte portée SIMBAD. La défense est complétée par des radars de navigation et de veille air-surface, des leurres antitorpilles SLAT, un système de transmission par satellite, et un système de combat SENIT.

Rôle stratégique dans les opérations interarmées

Les PHA sont conçus pour mener des opérations amphibies et aéromobiles, facilitant ainsi la projection de force dans des zones conflictuelles ou lors de missions humanitaires. Ils servent également de commandement mobile pour les opérations, offrant une plateforme stratégique pour les décisions en temps réel sur le terrain.

Contributions spécifiques des trois PHA

Le Mistral, mis en service en décembre 2006, et son jumelage avec la ville du Havre renforce les liens entre la marine et la communauté civile. Le Tonnerre, actif depuis juillet 2007, est parrainé par la ville de Limoges, illustrant l’importance de la coopération régionale dans le soutien aux forces armées. Quant au Dixmude, le plus récent, mis en service en juillet 2012, il symbolise l’adaptation continue de la marine française aux technologies modernes et aux exigences opérationnelles actuelles.

Importance dans la diplomatie et l’aide internationale

Outre leur rôle militaire, les PHA jouent un rôle important dans la diplomatie française. Par leur capacité à déployer rapidement des forces et du matériel partout dans le monde, ils sont souvent en première ligne lors de missions d’aide humanitaire ou de réponse à des catastrophes naturelles. Ce rôle contribue non seulement à la sécurité globale mais renforce aussi l’image de la France en tant qu’acteur clé sur la scène internationale.

Quels autres pays possèdent des porte-hélicoptères dans le monde ?

Plusieurs nations possèdent des porte-hélicoptères VTOL (Vertical Take-Off and Landing), un type spécifique de porte-aéronefs capable de gérer des hélicoptères et d’autres aéronefs à décollage et atterrissage verticaux. Voici une comparaison avec la France qui possède trois de ces navires :

  • Japon se distingue avec 7 porte-hélicoptères, ce qui en fait le pays avec le plus grand nombre de ce type de navires dans la liste.
  • France, Chine, et Égypte ont respectivement 3, 3, et 2 porte-hélicoptères, montrant un engagement notable dans leurs capacités de projection maritime et de réponse rapide.
  • Corée du Sud possède également 2 de ces navires, témoignant de son investissement croissant dans la puissance navale.
  • Algérie, Brésil, Thaïlande, et Turquie disposent chacun d’un porte-hélicoptères, illustrant une capacité modeste mais significative de projection de force et de soutien logistique.
  • Les autres pays tels que Argentine, Australie, Canada, Espagne, États-Unis, Inde, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, et Russie n’ont pas de porte-hélicoptères VTOL, bien que certains de ces pays possèdent d’autres types de porte-aéronefs ou d’autres capacités militaires importantes.

Les porte-hélicoptères amphibies français ne sont pas seulement des instruments de guerre; ils sont des vecteurs de paix et de coopération internationale. Leur capacité à intervenir rapidement en fait des outils indispensables pour la France, capable de répondre efficacement aux crises globales tout en promouvant les valeurs humanitaires et la stabilité internationale. Ces navires démontrent l’engagement continu de la France envers ses alliés et son rôle actif dans la gestion des crises internationales.