Ukraine. Intelligence économique des guerres d’Ukraine

par Bernard BESSON* – Cf2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / mars 2025

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Les guerres d’Ukraine sont aussi multiples que leurs lectures. On sait depuis Montaigne que la géographie commande la vérité. La Défaite de l’Occident[1] d’Emmanuel Todd parle d’un affaiblissement sociologique, religieux et moral de l’Occident. C’est une lecture. Nous serons plus court et tenterons de prévoir les conséquences de l’affrontement. Rien ne commence le 24 février 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie est une conséquence avant d’être une cause. L’Opération Z ne doit pas cacher la forêt qui précède. Ces guerres viennent de loin. Plusieurs grilles d’interprétations décrivent des événements superposés à d’autres évènements. Comme les couches géologiques ces évidences s’accumulent sans s’annuler. Les guerres d’Ukraine interrogent les diplomaties de nos États et de nos entreprises. Des acteurs émergent qui ne pensent pas le monde comme nous.

Le droit international

Le droit international est invoqué par les deux parties. L’Occident dénonce la violation des frontières. L’ONU déplore l’agression commise par la Fédération de Russie contre l’Ukraine en violation du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations unies. L’Organisation « exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement d’employer la force contre l’Ukraine et s’abstienne de tout nouveau recours illicite à la menace ou à l’emploi de la force contre tout État membre. » On ne peut être plus clair.

La Russie de son côté invoque l’article 51 de la charte des Nations unies qui lui permet après la reconnaissance des Républiques de Donetsk et de Lougansk de répondre à la demande de légitime défense d’États soucieux de mettre fin aux bombardements des populations civiles. En théorie l’argument est recevable. Mais les circonstances sont pour le moins discutables…

Il n’en reste pas moins que le droit international est malmené. Par exemple le non-respect des multiples résolutions de l’ONU dans le conflit israélo palestinien, la contestation par plusieurs pays africains de la justice pénale internationale, les guerres illégales des États-Unis depuis 1945[2] affaiblissent ce même droit international.

Le non-respect des accords de Minsk 1 et Minsk 2 garantis par la France et l’Allemagne conjointement avec l’Ukraine et la Russie dans le format Normandie[3] ne renforce pas le droit international. La chancelière aussi bien que le président français ont reconnu publiquement avoir menti aux Russes pour permettre à l’Ukraine de se réarmer entre 2014 et 2022 afin de reconquérir la Crimée et le Donbass[4].

Savoir que les Russes n’étaient pas dupes, n’oblitère pas l’affaiblissement de la crédibilité occidentale dans le respect des engagements diplomatiques. Le décret présidentiel ukrainien interdisant toute discussion avec le président Poutine ajouté à l’annulation des élections en Ukraine paralysent pour l’instant les solutions diplomatiques.

Les accords d’Istanbul[5] signés le 29 mars 2022 grâce aux démarches du gouvernement israélien et de la présidence turque décrivaient sur 32 pages un accord de cessez-le feu. Une rencontre entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine était prévue sous l’égide des Nations Unies. L’Ukraine reconnaissait des droits linguistiques et administratifs aux minorités russophones de l’Est dont elle conservait les territoires. En échange du retrait militaire russe, déjà entamé, elle s’engageait à ne pas intégrer l’OTAN, seconde exigence de Moscou. L’arrivée à Kiev le 8 avril 2022 de Boris Johnson, Premier ministre britannique, encourage un revirement de la partie ukrainienne soutenue par l’Union européenne et les États-Unis[6]. La guerre va se poursuivre.

Cette paix ratée, confirmée par le Premier ministre israélien Naftali Bennett et le président turc Recep Erdogan, offrait une porte de sortie au président Zelensky. Celui-ci avait été élu le 20 mai 2019 avec 73,2% des voix à la suite de sa promesse de finir une guerre civile ayant fait 14 000 morts depuis la destitution du président Ianoukovitch en février 2014, après l’insurrection de Maïdan. Les historiens, en Ukraine et aux États-Unis, débattent du déroulement et du financement de cette révolution de couleur, notamment du rôle de la CIA, du MI 6 et de madame Victoria Nuland, alors sous-secrétaire d’État à l’Eurasie dans la conduite des opérations.

Depuis leur arrivée à la Maison Blanche le président Donald Trump et Robert F. Kennedy Jr ont à plusieurs reprises confirmé cette thèse affirmant que la CIA, avec les fonds dE L’USAID (5 milliards de dollars) a programmé le coup d’État de Maïdan et poussé la Russie à intervenir en Ukraine pour secourir les populations russophones.

L’objectif était comme nous allons le démontrer de s’emparer des richesses et matières premières de l’immense Fédération de Russie à la suite de son effondrement économique. L’échec de cette entreprise démocrate conduit les Républicains à se replier sur le Groenland et Panama, et à taxer l’Union européenne le Canada, le Mexique, la Chine.

L’équilibre de la terreur

Le conflit entre la Russie et les États-Unis n’a pas éclaté pour cause de terreur réciproque. En 2022 les deux puissances renoncent à s’affronter directement. En témoigne l’absence d’interdiction aérienne par les États-Unis et à fortiori par l’OTAN. L’Occident laisse l’aviation russe décapiter celle de l’Ukraine. La partie sur le plan militaire est jouée dès le début malgré les discours sur les plateaux de télévision. Plusieurs raisons expliquent la non-intervention américaine.

Le 24 février 2022 la Russie dispose de forces balistiques, aériennes et sous-marines redoutables. Les vecteurs R-28 Sarmate, Avangard, Kinjal, Poséidon, RS-26, R28, Zircon, pour ne citer que ceux-là, sont des armes hypervéloces atteignant des vitesses proches des 30 000 km/h. Ils sont également d’une grande précision. Ces vecteurs utilisent les possibilités offertes par la MHD, magnétohydrodynamique[7] théorisée en France par le physicien Jean-Pierre Petit. Les forces balistiques russes ont accordé de l’importance à ses publications scientifiques.

Le 21 novembre 2024 une attaque conventionnelle à partir de l’un de ces vecteurs l’Oreshnik (noisetier) pouvant transporter quatre bombes atomiques a touché le complexe militaro-industriel Iouzhmash à Dnipropetrovsk. La destruction par armes cinétiques de ces installations n’est pas anodine. Il s’agit d’une réponse politique et personnelle adressée au président Joe Biden qui autorisa l’Ukraine le 16 novembre 2024 à tirer 6 missiles ATACMS dans la profondeur du territoire russe[8].

Pour éviter tout malentendu, le Kremlin prévint les États-Unis avant le lancement du missile en certifiant qu’il ne transporterait pas d’armes nucléaires. Avertissement confirmé le lendemain par la porte-parole du Pentagone. Depuis 1945, les deux puissances n’ont jamais cessé d’utiliser les « canaux de sécurité habituels » afin d’éviter les méprises. Il en fut ainsi lors de la crise des missiles de Cuba en 1962.[9] Il en va de même dans le monde du renseignement où les dirigeants des deux communautés, russes et américaines, se connaissent et gardent le contact.

La « nuit du noisetier » s’adresse à la France et à la Grande-Bretagne autant qu’aux États-Unis. La Russie montre qu’elle peut à partir d’un missile hypersonique de moyenne portée (5 000 km), atteindre le sol ennemi et surtout le sous-sol avec des armes cinétiques.[10] En avertissant l’adversaire, elle montre que ses vecteurs sont à l’abri de toute interception. Elle met en avant un souci des populations civiles destiné à la propagande qui impressionne l’opinion.

En ajoutant un échelon conventionnel en amont de la dissuasion nucléaire, la Russie plonge les états-majors de l’OTAN dans une réflexion qu’ils avaient anticipée. Le Pentagone, bien informé, avait déjà retiré son porte-avions de mer Rouge.[11] La Chine, préoccupée par Taïwan, observe avec envie ce nouvel outil dissuasif. L’Inde, nous le verrons, coopère déjà avec le complexe militaro-industriel russe.

Ironie de l’Histoire, cette dissuasion non-nucléaire d’une portée moyenne a été rendue possible par le président Donald Trump lorsqu’il a dénoncé les traités interdisant ce type de missiles sur le théâtre européen lors de son premier mandat (2019). « La Russie a dû s’adapter » affirme le Kremlin. L’initiative de ces traités et leur dénonciation par les uns ou les autres mérite une étude spécifique tant les propagandes et désinformations entourent le sujet.

Présentée le 13 avril 2018 par le président Poutine devant les députés de la Douma et plusieurs centaines de scientifiques,[12]la panoplie balistique russe dissuade pour l’instant tout belligérant, fussent-ils les États-Unis. Cette technologie intéresse depuis longtemps les BRICS. Le BrahMos est un missile de croisière supersonique pouvant être lancé à partir d’un sous-marin, d’un bâtiment de surface, d’un avion ou d’une station terrestre. Développé conjointement par l’Inde et la Russie – qui ont créé à cette fin une société commune, BrahMos Aerospace Private Limited -, il tire son nom du Brahmapoutre, fleuve indien, et de la Moskova, fleuve russe. Sa vitesse de croisière est d’environ Mach 2,5-2,8, ce qui le rend trois fois et demie plus rapide que le missile subsonique américain Harpoon. Une version hypersonique de ce vecteur est en développement, le BrahMos-II. Cette supériorité aérospatiale se retrouve dans le domaine aéronautique où les performances des derniers Sukoi 57[13] et Mig 41 intéressent les armées de plusieurs nations.

Le champ de bataille

Avant d’aborder les conséquences économiques, culturelles, politiques de cette guerre, il est utile de comparer les deux lectures du champ de bataille.

Les experts occidentaux, à part quelques exceptions, commentent les combats à partir des avancées ou des reculs sur la carte. Ils recensent sur des tableaux les moyens matériels et financiers à la disposition des belligérants. Les experts russes s’expriment sur les médias domestiques et ceux du Sud Global où ils sont écoutés. Le souvenir de l’URSS qui soutint les guerres anticoloniales leur garantit une attention particulière. Les auditeurs et téléspectateurs comparent les spécialistes de la « guerre civile européenne ». Pour l’OTAN, les progrès territoriaux de Moscou ont longtemps paru médiocres, obtenus au prix de « pertes abyssales ».

L’art de la guerre russe, héritier d’une longue tradition[14] ne vise pas prioritairement la conquête ou la conservation des territoires. Les campagnes contre la Suède, la Pologne, l’Allemagne ou la France ont enseigné aux officiers russes que l’essentiel est la destruction de l’armée ennemie. L’espace, le temps et la météo sont pour eux des avantages gratuits. Le silence également.

La foi dans l’industrie financière caractérise l’approche anglo-saxonne. Avec un budget militaire de 916 milliards de dollars – contre 109 pour la Russie -, les États-Unis disposent d’une force écrasante.[15] Cette supériorité justifie la dépréciation de l’ennemi. Madame Ursula Van der Layen déclarait le 14 septembre 2022 à la tribune du Parlement européen que la Russie achetait des machines à laver partout dans le monde pour récupérer des puces électroniques afin de faire voler ses fusées et ses avions. Elle ajoutait que le complexe militaro-industriel russe était en lambeaux…

Selon Karen Kwiatkoswski, sociologue du complexe militaro-industriel, ancien officier, le budget américain entretient une pléthore de généraux. Il produits des armements couteux bénéficiant aux entreprises de la Défense dans lesquelles nombre d’officiers achèveront leur carrière. Cette armée trop grasse est moins efficace que dans le passé. Sur le terrain il s’avère que les matériels occidentaux ne sont pas à la hauteur d’une guerre terrestre de haute intensité. Les armes qui devaient « changer la donne » en faveur de l’Ukraine se révèlent les unes après les autres inefficaces. Seul le Caesar français, dont les tubes chauffent malheureusement plus vite que ses concurrents russes, et nos Rafale pourraient tenir tête à l’armée russe[16].

Les rapports se succèdent sur les échecs répétés du F-35. Fiabilité et furtivité ne sont pas à la hauteur des attentes. Parmi les problèmes figurent des retards fréquents dans la maintenance, des dysfonctionnements de l’armement et des vulnérabilités non résolues en matière de cyberdéfense. Selon Greg Williams, directeur du Project on Government Oversight (POGO) le dernier rapport révèle des failles importantes qui pourraient inciter l’administration Trump II à exiger une révision complète d’un programme dont les coûts immenses ne sont pas à la hauteur du résultat.[17]

Quand on sait que le projet F 35 « séduit » les aviations de l’OTAN, on mesure les défis auxquels nos forces aériennes, hormis la France, seront soumises. On se souviendra à l’occasion des déclarations d’experts militaires, de généraux, d’ambassadeurs, évoquant sur nos médias les faiblesses structurelles, voire congénitales, d’une armée russe démoralisée, sous-équipée, confrontée à des désertions massives, se battant avec des pelles…

Des journalistes de renom complétaient le tableau en évoquant la santé mentale voire physique du président Poutine, isolé dans son pays, paria sur la scène internationale. Ces encouragements repris par les médias ukrainiens galvaniseront une infanterie qui subira des pertes réellement abyssales, en croyant percer le système Sourovikine[18] en particulier à Robotino, Krinki, Uglédar et autres « sacs à feux ».

La très lente avancée des forces russes jusqu’à décembre 2024 n’a pas pour seule cause la stratégie d’attrition chère à Moscou. Une autre raison explique l’absence des grandes chevauchées blindées des années 1944-1945. Elles sont impossibles aujourd’hui car vouées à l’échec. Des deux côtés.

Les drones changent la guerre

Le combattant vit une guerre de plus en plus terrifiante menée des deux côtés par des jeunes gens intégrés dans les unités de première ligne. Ces nouveaux soldats jouent à la vraie guerre comme dans un jeu vidéo. Il n’y a plus de protection, il n’y a plus de tranchée ou d’abri comme à Verdun. « Si tu bouges le drone te repère, il te tue. Si tu es immobile il finit par te repérer, si tu urines contre un arbre, il détecte la chaleur qui sort de toi[19] ». « L’artillerie russe, tu ne la vois jamais mais elle te voit ! ».

Dans les deux camps l’ingéniosité des dronistes est stupéfiante. Le Babayaga ukrainien était à l’origine un drone agricole. Il en existe désormais plusieurs versions larguant des mines ou des grenades sur l’ennemi. Il va sans dire que la mise au point de ces engins est à l’origine d’accidents mortels, d’amputations des bras.

Chez les Russes la famille des Kolibri fait l’objet d’incessantes modifications. Ces appareils volent en essaim. Certains font de la reconnaissance. Ils éclairent le chemin des drones frappeurs. Spécialistes de la guerre électronique les Russes mettent au point une nouvelle génération de drones. Ils sautent d’une fréquence à une autre afin d’échapper aux tentatives de brouillage. Les drones deviennent compacts. Les Hummingbirds sont pliables. Ils tiennent dans un petit boîtier. Ils ne pèsent pas plus de quatre kilos. Des championnats internationaux de guerre des robots ont lieu dans les pays appartenant aux BRICS.

La guerre des drones augure d’un avenir inquiétant pour l’Europe. Les compétences du champ de bataille seront le bras armé de groupes radicaux ou mafieux. Ils mèneront des guerres dévastatrices contre leurs concurrents. Les spécialistes se forment sur place, in vivo. Le combattant de demain sera jeune, manipulable. Il opérera depuis le trottoir d’en face. Nos services de renseignement extérieurs et intérieurs pensent déjà aux contre-mesures. Comme en 1946, l’après-guerre risque d’être violent.

Les drones comme les satellites qui peuvent en coordonner les essaims sont par ailleurs un enjeu de la guerre économique comme nous le verrons plus loin.[20] En décembre 2024, la Chine réduit le volume de ses exportations de métaux précieux comme le gallium, l’antimoine ou le germanium vers les États-Unis. Pékin d’attire l’attention de la Maison Blanche sur le rapport de force des deux géants dans le domaine des technologies à double usage, militaire et civil. En cette occasion, le ministère du Commerce annonce que les livraisons de graphite à usage civil, notamment dans les batteries, feront l’objet de contrôles stricts.

Le renseignement, arme déterminante

Dans un article du New York Times paru le 25 février, 2024 on apprend ce que l’on savait déjà. La CIA est largement impliquée en Ukraine. Après plus de 200 entretiens avec d’actuels ou anciens fonctionnaires ukrainiens, américains et européens, deux journalistes dressent le tableau d’une collaboration des agences de renseignement ukrainiennes et américaines depuis la révolution de Maïdan en février 2014.

La « Compagnie » compte officiellement 12 bases le long de la frontière russe, et elle n’est pas le seul service de renseignement américain. On sait que la NSA est venu « durcir » les communications ukrainiennes avant le 24 février 2024, dans l’optique d’une reconquête de la Crimée et du Dombass.

La cohabitation des services occidentaux avec leurs homologues ukrainiens n’a jamais été un fleuve tranquille. Des complications surviendront lorsque le président Donald Trump demandera à son homologue Zelensky une enquête sur Hunter Biden, le fils de Joe Biden, lors de son premier mandat. Il n’en reste pas moins que le renseignement occidental fournit à l’Ukraine de précieuses informations permettant la réalisation de frappes dans une profondeur limitée…

A la suite de l’invasion russe, Joe Biden autorise les agences américaines à abandonner les anciennes règles. Elles sont autorisées à soutenir des opérations létales visant les troupes russes présentes sur le territoire ukrainien. La CIA avertit ses alliés d’un couloir humanitaire déployé à Marioupol risquant de se transformer en piège mortel. Elle permet de déjouer un complot qui menaçait le président ukrainien. Les services américains ne sont pas les seuls sur place. Tous les pays membres de l’Union européenne ont leurs « observateurs ».

La collaboration n’exclut pas la méfiance. Jusqu’à la destitution par le parlement du président Viktor Ianoukovytch les services de Kiev collaboraient avec leurs homologues russes civils et militaires. Il reste des sympathies inavouées au sein de l’appareil ukrainien pour le grand frère russe. Cela explique les ciblages, les attentats contre les sergents recruteurs,[21] les sabotages sur les lignes logistiques, et les dépôts d’armes. Emerge à l’ouest du Dniepr une résistance qui ne peut survivre sans la complicité d’une partie du renseignement ukrainien.

Les entreprises occidentales impliquées dans les guerres d’Ukraine disposent de compétences en matière de renseignement privé. Les cellules bien équipées sont animées par des anciens des services officiels. Les investisseurs céréaliers ou miniers animent des réseaux qui s’étendent bien au-delà des frontières ukrainiennes. Depuis le Moyen-Âge et la Ligue hanséatique, l’Allemagne, l’Angleterre et les Pays-Bas ont des intérêts en Ukraine et en Russie. Leurs entreprises, banques et compagnies d’assurance sont en mesure d’éclairer le gouvernement de Kiev à partir d’entrelacements commerciaux, philanthropiques, philosophiques, religieux. Bien des ONG sont les avatars de ces traditions. Il en va de même d’Israël dont les services civils et militaires, les start-ups dans le domaine de la cybersécurité ont des clients des deux côtés de la frontière.

Rien cependant ne laissait prévoir le rôle prépondérant de Starlink. « Sans lui nous aurions perdu la guerre » commentent les officiers ukrainiens. Sur le front, le système de satellites d’Elon Musk est un outil-clé pour Kiev. Il permet des liaisons en principe sécurisées et joue un rôle dans le pilotage des drones. Une entreprise privée devient belligérante, pèse sur le cours des opérations militaires.[22] La médaille a cependant son revers. Le propriétaire de SpaceX a empêché son utilisation pour frapper une base de la marine russe afin d’éviter, dit-il, un « mini Pearl Harbor. »

Le diable, se situe dans les détails. La couverture de l’Ukraine en septembre 2023, selon la carte officielle sur le site web de Starlink « oublie » les zones situées le long des frontières biélorusses et russes. La Crimée et certaines parties du Donbass ne sont pas protégées. Elon Musk sait dès le 24 février 2022 que les États-Unis ne combattront pas. La guerre économique suffira à faire tomber le gouvernement russe. Par la même occasion, il montre à la Chine où il possède des intérêts et qu’il n’est pas un jusqu’au-boutiste. Inutile d’insulter l’avenir. La participation du réseau privé de communication ouvre un chapitre peu connu des guerres d’Ukraine : la cyberguerre.

La cyberguerre au centre de toutes les autres

L’interception du signal, le brouillage des fréquences, l’interprétation des captations par le cerveau humain ou l’intelligence artificielle atteignent des niveaux de sophistication jamais vus auparavant. Les drones dont nous venons de voir l’efficacité sont désormais pilotés par fibre optique, tel autrefois le célèbre Milan, arme antichar française filoguidée. Les images en direct des impacts transforment le conflit en « spectacle ». Dans les deux camps, chaque unité se déplace avec ses brouilleurs et ses dronistes. Les groupes d’assaut, de plus en plus petits pour limiter les pertes, « reniflent » l’ennemi, le rendent visibles à l’artillerie, aux bombes planantes, aux lance-flammes.

Les belligérants développent des politiques de souveraineté numérique. Celles-ci se déclinent en trois chapitres, la maîtrise du hardware, les installations lourdes, le software, les logiciels et le cloud, la maîtrise des données. L’Europe et la Russie cherchent par tous les moyens à bâtir une industrie du cyber avec l’aide de nombreux partenaires de manière à anticiper les risques et saisir les opportunités d’affaires.

A Moscou, les semaines de la cybersécurité ressemblent à des écosystèmes rassemblant des milliers de participants à l’échelle des BRICS. Des administrations, des entreprises privées chinoises ou indiennes y côtoient des militaires mais aussi les directeurs de système d’information de grandes entreprises.

Il en va de même dans l’Union européenne. Le NIS2[23] qui fait suite au règlement général sur la protection des données (RGPD) prépare nos administrations et organismes d’intérêts vitaux à toutes les éventualités. La vulnérabilité du système Internet, notamment les câbles par lesquels transitent 99% des données, préoccupe nos services qui disposent d’un département cyberguerre important. L’ANSSI[24] anime un écosystème de souveraineté numérique à l’image de celui de Moscou. Des rencontres de praticiens telles que les « Lundi de la cybersécurité », ou des associations comme l’ARCSI[25] sont des lieux d’échanges entre spécialistes. Comme les autres, la cyberguerre a besoin d’idées.

Sur le champ de bataille elle brouille les vecteurs de l’ennemi. C’est ainsi que la guerre électronique rend aveugle certains missiles de croisière qui n’atteignent plus leurs cibles. L’obus de 155 mm Excalibur guidé par GPS n’est plus aussi performant qu’au début du conflit. Des corsaires ou mercenaires apparaissent dans le cyberespace. Ils traversent les frontières, menacent les souverainetés des États. A l’Est comme à l’Ouest des groupes informels tels que Conti[26] en Russie ou IT Ukrainian Army, préfigurent des guerres étonnantes, inattendues.

Encore limitée, la cyberguerre peut devenir cataclysmique. Entre la dissuasion nucléaire et la dissuasion conventionnelle existe désormais une dissuasion informatique tout aussi terrifiante. Après « la nuit du noisetier » celle de Chronos menace tous les belligérants.

Au XXIe siècles, avoir l’heure exacte est critique pour de grands pans de l’industrie et des transports. En mer Baltique, notamment depuis l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, la navigation commerciale est rendue plus difficile. L’heure est diffusée de plusieurs façons : par des émetteurs radio, par les satellites GNSS (GPS, Galileo, etc.), par Internet avec le protocole NTP, par des fibres optiques dédiées, etc.

Toutes les méthodes actuelles posent de gros problème de sécurité : les GNSS, très précis, utilisés absolument partout, sont très sensibles au brouillage, qui empêche la localisation, et au leurrage, qui vous transporte n’importe où. Or le brouillage, nous l’avons vu est une spécialité russe. Le protocole NTP, qui distribue l’heure sur Internet avec une précision bien moins grande, est facilement attaquable. Et les conséquences des attaques de plus en plus nombreuses peuvent être très graves[27].

En cas d’aggravation du conflit, des pirates pourraient modifier l’heure affichée sur des serveurs de temps, entraînant des désynchronisations massives et des dysfonctionnements dans les systèmes qui s’y réfèrent. Des attaques par déni de service pourraient rendre inaccessibles les serveurs de temps, paralysant les systèmes qui en dépendent. Les conséquences de la cyberguerre pourraient être catastrophiques. Les systèmes d’exploitation, les bases de données et leurs applications dépendent d’une horloge précise pour fonctionner correctement. Une heure erronée pourrait entraîner des pertes de données, des plantages et des dysfonctionnements généralisés.

Les réseaux de télécommunications s’appuient sur la synchronisation horaire pour router les paquets de données de manière efficace. Une heure inexacte pourrait entraîner des retards, des pertes de paquets et une dégradation de la qualité des communications. Les marchés financiers fonctionnent en temps réel et s’appuient sur des horloges précises pour exécuter les transactions. Une heure erronée pourrait entraîner des erreurs de calcul, des pertes financières et une perte de confiance dans les marchés. Les réseaux électriques, les systèmes de transport et les systèmes de contrôle industriels dépendent tous d’une synchronisation horaire précise. Une heure erronée pourrait entraîner des pannes, des accidents et des perturbations majeures. Le professeur Gérard Berry auteur de L’Hyperpuissance de l’informatique, Algorithmes, données, machines,réseaux[28] trace les grandes lignes d’un conflit généralisé.

La cyberguerre ne se limite pas au terrain militaire. Elle facilite le développement de technologies qui contournent les sanctions, bâtissent une souveraineté numérique partagée entre les BRICS. C’est sur elles que s’appuieront les réponses russes à la guerre économique occidentale.

La guerre économique occidentale

La guerre économique devait vaincre la Russie grâce aux sanctions économiques et financières. Il était inutile et risqué comme nous venons de le voir d’engager l’OTAN le 24 février 2022. L’Ukraine, forte d’une armée rééquipée, aux effectifs trois fois supérieurs à ceux de la force d’invasion russe, devait obliger cette dernière à l’envahir pour éviter la reconquête de la Crimée et du Donbass. Excellent prétexte pour lancer les sanctions finales. Tout était prêt, rien n’était caché puisque visible, écouté, par les service de renseignement des uns et des autres.

Le projet de guerre économique contre la Russie est une vielle idée anglo-saxonne qui prend ses racines après le congrès de Vienne de 1815. L’Angleterre ne pardonne pas au Tsar d’avoir ménagé la France. Tout au long du XIXe siècle, ce sont les milieux libéraux britanniques pour des motifs coloniaux qui inventeront le terme russophobie. Celui-ci ne fera pas toujours l’unanimité au sein de cette famille de pensée. Les États-Unis prennent le relais avec des géopoliticiens tels que Alfred Mahan, qui développe le concept de puissance maritime, John Mackinder[29], qui voit dans le Heartland eurasiatique une menace existentielle pour l’Amérique, ou Nicolas Spikman, qui, avec la théorie de l’anneau, est à l’origine de la politique de Containment de la Russie soviétique puis de la Chine.

C’est dans la continuité de ces auteurs que se situe Le Grand échiquier de Zbigniew Brzezinski et l’émergence des néo-conservateurs américains au sein du Parti démocrate et de son concurrent républicain. Madame Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat à l’Eurasies en sera l’une des figures politiques. On remarquera la filiation « polonaise » de cette école jusqu’au président Duda qui, en juin 2024, parlait de la nécessaire décolonisation de la Russie. Bien avant le 24 février, un axe Washington-Varsovie émerge. Il joue maintenant un rôle diplomatique et militaire au sein même de l’Union européenne…

En 2019, un rapport intitulé Overextending and Unbalancing Russia de la Rand Corporation[30], sous l’administration Trump I, décrit les mesures à prendre pour ruiner la Russie. Sont abordés les chapitres suivants : Economie – Géopolitique – Système informationnel et idéologique – Dimension aérienne et spatiale – Dimension maritime – Dimension terrestre et multi-domaines. Ce rapport s’inscrit dans le contexte des sanctions communes aux États-Unis et à l’Union européenne qui depuis la sécession des oblasts russophones sont censées affaiblir la Russie. On notera que les rédacteurs envisageaient déjà la possibilité d’une victoire militaire russe.

L’attaque économique décisive est déclenchée au lendemain du 24 février 2024. Bruno Le Maire déclare le 3 mars 2022 : « Nous allons mettre l’économie russe à genoux ». Le 23 mars au sommet de l’OTAN, le président Macron annonce : « Au moment où je vous parle la Russie est en état de cessation de paiement. Nous allons l’isoler sur la scène mondiale ». La déclaration de guerre de la France s’inscrit dans celle plus globale de l’Occident. Les banques russes, exceptions faites de certaines qui négocient les hydrocarbures, sont déconnectées du système SWIFT. La Russie plie, le rouble chute lourdement, mais le pays résiste.

Le 26 septembre 2022, en mer Baltique, deux explosions occasionnent d’importantes fuites de gaz. La première, sur Nord Stream 2 est découverte au sud-est de l’île danoise de Bornholm. Plusieurs heures plus tard, deux autres fuites sont décelées sur Nord Stream 1 au nord-est de l’île. Ces actes de guerre sanctionnent les économies allemandes et françaises. On mesure mieux aujourd’hui le désastre subi. Engie, partenaire de Gazprom avec des sociétés allemandes et hollandaises, perd 900 millions d’euros d’investissement[31]. Le gaz revendu en Europe ne peut plus l’être.

Trois pays bénéficient de cette agression. La Russie libère des stocks importants qu’elle peut écouler en direction des BRICS. Elle profite de l’affaiblissement européen. Les États- Unis rentabilisent leur industrie des gaz de schiste. Ils le vendent aux Européens qui le boudaient pour des raisons environnementales. Un troisième pays tire son épingle du jeu : la Norvège[32] qui vend son gaz plus cher elle aussi. La question demeure de savoir qui a commis cette destruction stratégique, mais il est évident que le grand perdant demeure l’Union européenne.

En septembre 2024, le rapport Draghi tire un bilan provisoire des conséquences de la guerre économique. Il annonce un lent appauvrissement de l’Europe occidentale. Selon le FMI (octobre 2024) la croissance est plus forte dans les BRICS qu’au G7. En termes de pouvoir d’achat du consommateur, la Russie dépasse l’Allemagne et la France. Après la défaite militaire, l’Europe enregistre une défaite économique. Comment la Russie a-t-elle surmonté les sanctions ? Comment les a-t-elle utilisées ?

La guerre économique russe

L’échec des sanctions occidentales a pour cause première leur publicité. Bien avant 2014, les « trains » de sanctions commentés, discutés dans les assemblées et les chancelleries, décrivent par le menu toutes les attaques dont l’économie russe sera la cible. La discrétion n’est pas une arme occidentale. Depuis longtemps, la Russie maîtrise l’art de se taire. Cet avantage nous est étranger. Souffrant d’un climat rude, d’un espace immense, de conditions de vie difficiles, le peuple russe développe des capacités de résilience étonnantes. Judoka dans l’âme, le président Poutine a profité des sanctions pour « secouer » l’intelligence économique et technologique de ses concitoyens.

Comme aurait dit le général de Gaulle, la paresse et le renoncement menacent les Russes autant que les autres. Les sanctions occidentales renforcent l’idée d’encerclement autant que les Léopard dans les plaines d’Ukraine ou les bases de l’OTAN autour de la Rodina. La Russie est le pays de la TRIZ (acronyme de Théorie de Résolution des Problèmes Inventifs[33]). Chaque sanction, chaque retrait de fournisseur, chaque rupture d’approvisionnement de pièce détachée devient un problème appelant une innovation, souvent par simplification ou alliance iconoclaste de technologies séparées par des préjugés[34]. La démarche est une approche heuristique destinée à résoudre des problèmes d’inventivité technique. Comme lors du siège de Leningrad, l’intelligence russe collective va retourner les sanctions contre l’ennemi.

Dotée d’une mémoire séculaire, la diplomatie russe puise des idées dans l’histoire de l’URSS. Celle-ci commerçait en rouble et en roupies avec l’Inde dans le domaine des hydrocarbures. L’expérience cessa avec le régime communiste. Avant même les guerres d’Ukraine, la vielle idée reprend du service. Lorsque les BRICS apparaissent, l’envie d’échapper à de nouvelles sanctions se confond avec celle d’ajouter aux FMI et à la Banque mondiales des institutions financières plus souples, mieux adaptées au désir du Sud de commercer avec le Sud, sans risquer l’extraterritorialité judiciaire du dollar.

Pour madame Anuradha Chenoy analyste financière indienne, le programme des BRICS pour une dédollarisation prendra du temps. Le dollar représente encore 80% des échanges mondiaux, l’euro 16%, devant les monnaies chinoises et indiennes. La monnaie de remplacement n’existe pas encore. Cependant le manque de crédibilité militaire et diplomatique de l’Union européenne pourrait entraîner la chute de l’euro avant celle du dollar, qui a encore de beaux jours devant lui.

Lors du 16e forum de Kazan[35] les BRICS se définissent comme un club d’affaires non occidental mais pas anti-occidental. La plupart des pays membres, y compris la Russie, souhaitent entretenir des relations commerciales voire culturelles avec l’Occident. Cependant les BRICS opposent la notion d’état civilisationnel à celle d’universalisme occidental. Beau sujet de thèse pour nos étudiants en géopolitique.

Malgré la domination du dollar, le forum de Kazan réaffirme les fondements d’un projet financier calqué sur les institutions de Bretton Woods, mais plus souples, plus « technologiques ». Les BRICS envisagent la création d’une unité de compte commune basée sur la blockchain.[36] L’exercice est ardu car il faut concilier une technologie par essence décentralisée avec une nécessaire centralisation. La nouvelle unité de compte pourrait intégrer des devises mais aussi de l’or ou des matières premières.

Un système d’assurance mondial pourrait compléter le tableau de façon classique. Il est encore au stade des idées. La création d’une agence de notation mondiale indépendante posera des problèmes politiques. La Banque de développement de Shanghai, faiblement dotée (100 milliards en dollars), reste un nain. En revanche l’idée d’un dépositaire de règlement, chambre de compensation, est stratégique. Une grande partie du commerce mondial échappera aux regards des statistiques occidentales. Le monde commercera sans nous.

Les BRICS sont un animal diplomatique qui interroge les ministres des Affaires étrangères occidentaux. Le forum de Kazan acte la fin de l’anthropocène à l’instar d’un nombre croissant de scientifiques, géologues, physiciens ou climatologues. La transition climatique est ajournée. Les conclusions du GIEC sur le CO2 sont soupçonnées de favoriser les études accusant le dioxyde de carbone au détriment de celles qui relient le changement climatique à des phénomènes complexes, voire aux nanoparticules de plastique, aux évolutions du système solaire. Une telle politique remet en cause les réglementations européennes. L’industrie du Vieux continent, basée sur la « protection de la planète », est prise à revers.

Outre l’extraterritorialité juridique du dollar, les BRICS dénoncent les sanctions unilatérales. Selon Anuradha Chenoy, 15 entreprises indiennes ont récemment été sanctionnées par les États-Unis. Ce qui ulcère New Delhi. La politique du genre et l’étude de la transsexualité à l’école primaire choquent ses valeurs de société qui reconnaissent le masculin et le féminin. Les BRICS ont permis un gel du conflit frontalier de l’Himalaya entre la Chine et l’Inde. Ces deux pays ont reculé leurs troupes. L’Iran et l’Arabie saoudite mènent des manœuvres militaires conjointes. Pour les spécialistes du Moyen-Orient, la chose était inconcevable.

Ces développements diplomatiques sont pour la Russie une source d’influence. Ils sont dus à la compétence de fonctionnaires travaillant depuis plusieurs décennies sous les ordres du même ministre. Sergueï Viktorovitch Lavrov associe son pays à un regroupement planétaire dont le PIB dépasse celui du G7. Ce diplomate est en passe d’isoler l’Union européenne. Celle-ci, confrontée à la signature le 6 décembre 2024 du traité de libre-échange avec le Mercosur[37], doit gérer le mécontentement d’agriculteurs hostiles à l’importation de produit alimentaires et céréaliers ukrainiens ne respectant pas nos normes sanitaires.

Le souvenir, du bombardement de la Serbie en 1999 par les États-Unis hante les guerres d’Ukraine. L’annulation du premier tour des élections présidentielle en Roumanie[38] le 6 décembre 2024 par la Cour constitutionnelle empêche M Calin Georgescu, pro-russe opposé au maintien de la Roumanie dans l’OTAN, d’accéder au second tour. La condamnation par son challenger, madame Elena Lasconi, de cette décision constitutionnelle ouvre une crise politique. Dans les derniers sondages, Georgescu était crédité de 63% des voix le 8 décembre 2024. Ce séisme politique concerne la France qui dispose de troupes[39]au camp de Cincu.

La Hongrie, la Slovaquie, la Roumanie – pays frontaliers de l’Ukraine – et la Serbie sont le théâtre d’évolutions hostiles au gouvernement de Kiev. La Moldavie, grâce à l’apport controversé des Moldaves de l’étranger, échappe de justesse à un gouvernement pro-russe. En Allemagne les élections partielles et la crise économique favorisent à droite comme à gauche un courant hostile à l’OTAN et à Kiev. La Géorgie souhaite une politique d’apaisement avec Moscou.

Le retrait partiel des États-Unis, renforce la tendance. Dans une Ukraine en paix, rien ne garantit un résultat électoral favorable à l’Union européenne. Le ressentiment gagne du terrain parmi la population. L’Occident est accusé de ne pas avoir été à la hauteur des promesses. L’image de la Russie s’améliore, malgré les cimetières qui s’étendent à perte de vue. La langue russe se parle à nouveau dans certains milieux. L’opposition à la guerre en France[40] affaiblit notre « soutien indéfectible » au gouvernement de Kiev. Pourquoi envoyer des jeunes Français mourir à la place des Ukrainiens, accueillis chez nous ?

Le 7 décembre 2024, à l’occasion de la réouverture de Notre Dame, Ursula Van der Layen était absente. C’est plus qu’un symbole. C’est un avertissement. L’Union européenne incapable de gagner la guerre commence à perdre une paix qu’elle n’a pas anticipée[41]. Sa dislocation devient une possibilité.

Intelligence économique et stratégique

Les guerres d’Ukraine obligent la France à voir le monde tel qu’il est. La proposition de loi du Sénat[42] du 25 mars 2021 portant sur une politique d’intelligence économique et stratégique, est une réponse à la hauteur de la menace. Il faut féliciter les sénateurs qui ont conçu un système innovant inspiré des actions de monsieur Alain Juillet, premier Haut responsable à l’Intelligence économique de 2003 à 2009. Les fondements doctrinaux, législatifs, réglementaires, existent. Il est inutile de refaire un énième rapport. Il faut passer à l’acte…Difficulté française.

Sans intelligence nationale il est impossible de lire et conduire la guerre économique[43] qui ne s’arrêtera jamais. Cette ambition, source de cohérence nationale, mobilise les élus, les chefs d’entreprises, les territoires, les métiers, les ingénieurs et les scientifiques. Elle nécessite une formation des dirigeants et des cadres aux éléments fondamentaux de la discipline.[44] Elle nous oblige à une réflexion sur les temps qui viennent. Des milliers de questions nécessiteront des réponses. En voici quelques-unes parmi une immensité :

– La Russie voudra-t-elle nous envahir ? En a-t-elle les moyens ? Le veut-elle ?

– Sommes-nous si appétissants ? Qu’avons-nous à part du charbon, du granit et de la neige l’hiver ? L’Europe occidentale a toujours été un continent pauvre…

– Quid de la Roumanie après l’annulation de la présidentielle ?

– Qui assumera la dette ukrainienne ?

– Quid de l’Ukraine dans l’Union européenne ?

– Quid des terrorismes nés de l’après-guerre ?

– Nos intérêts sont-ils compatibles avec ceux de l’Union européenne ?

– Une défense européenne est-elle crédible ?

– Nos « alliés » sont-ils nos alliés, nos « ennemis » sont-ils nos ennemis ?

– Comment rétablir nos positions en Afrique ?

– Quelles énergies pour demain ?

– Quelles valeurs compatibles avec celles des autres ?

– Pourquoi les autres ne pensent-ils pas comme nous ?

– Interactions entre le conflit ukrainien et celui du Moyen Orient ?

– Le Sud Global est déjà parmi nous, quelle approche ?

L’intelligence économique nationale travaille en collaboration avec les entreprises, car celles-ci sont déjà des intelligences économiques. La fiabilité des sources et la véracité de l’information sont prioritaires. Le présent article s’inspire à 90% de sources ouvertes facilement accessibles dont on trouvera une liste non exhaustive ci-dessous.

Beaucoup de médias ont traité le sujet conformément à la charte de Munich régissant la profession de journaliste et dont l’article premier stipule : « Respecter la vérité, quelles qu’en puissent être les conséquences pour lui-même, et ce, en raison du droit que le public a de connaître la vérité ».

par Bernard BESSON* – Cf2R – TRIBUNE LIBRE N°172 / mars 2025

*Contrôleur général honoraire de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) et de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).
Ancien chef de cabinet du directeur central des Renseignements Généraux (DCRG) et du directeur de la Surveillance du territoire (DST), il a été chargé de mission auprès du Haut responsable pour l’intelligence économique (HRIE).
Bernard Besson est également directeur scientifique du Comité intelligence économique des Ingénieurs et scientifiques de France (IESF), membre de la Commission intelligence économique du MEDEF Ile-de-France et auteur de nombreux ouvrages consacré à l’intelligence économique et de thrillers géopolitiques dont l’un a obtenu le prix Edmond-Locard 2000 du roman noir en langue française.


Nota

Les analystes et les media dont les noms suivent ont été validés par les faits, la pertinence des commentaires, malgré des divergences d’opinions. Utiles pour comprendre la guerre, ils le sont pour anticiper l’après-guerre.

Idriss Aberkane, essayiste, Agence internationale de l’énergie, Frédéric Aigouy, journaliste, Brainlesspartisans X, Jacques Baud, analyste militaire, Espoir et Dignité, George Beebe, analyste, Bloomberg News, BFMTV.Cyril Gloagen, militaire-géopoliticien. Karine Bechet-Golovko, juriste, Anne-Laure Bonnel, journaliste, Fabien Bouglé, énergéticien. André Bercoff journaliste. Hervé Carresse analyste militaire, Tucker Carlson, journaliste, Régis de Castelnau, avocat. Consortium international des journalistes d’investigation, Eric Denécé, analyste, CF2R, CNEWS, Grillard Eric X. Dialogue franco-russe, Glenn Diesen, universitaire, Donbass insider, Diploweb, Sylvain Ferreira, historien, Chas W Freeman, analyste, JacquesFrèreX. Vladimir Fédorovski, écrivain, The Economist. FMI news, Fulguradvenit, Caroline Galactéros, géopolitologue, Géopolitique profonde, Géopragma, Charles Gave, économiste, Jacques Hogard, militaire, François Hollande ex-président. Intelligence online, Jean-Loup Izambert, écrivain, Alain Juillet, Sergueï Alexandrovitch Karaganov, politique, Olivier Kempf, militaire, Kyiv Post, Régis Le Sommier, journaliste. Le courrier des stratèges, Pascal Lottaz, universitaire, LCI, Ligne droite, Thierry Mariani, député, Dimitri Marckenko, militaire, Jack Matlock, diplomate, Le nouveau Conservateur. Mediazona, Viktor Medvedchuk, politicien, Alexander Mercouris, avocat, Angela Merkel, ex-chancelière. Military Summary Chanel. Nikola Mirkovic, écrivain, Arta Moeini, analyste Xavier Moreau, entrepreneur, Camille Moscow blogueuse, Omerta, Vasyl Muravytskyi, journaliste.Christelle Néant, journaliste, Open Box TV, New York Times, Victoria Nuland, ministre, Renard Paty, Jean-Pierre Petit, scientifique, Jean Bernard Pinatel, général, Politico, Piotr Olegovitch Tolstoï, député.  Markus Reisner, universitaire, Jeff Rich, analyste, Fabrice Ribère, analyste. Rand Corporation Scott Ritter analyste, Alexandre Robert analyste, Henri Roure, analyste militaire, RussiaToday Jeffrey Sachs, économiste, Jacques Sapir économiste, Sputnik, Sud Radio. TerciosdelsolX, Sanevox, Stratpol, Tocsin, Emmanuel Todd essayiste, SitRepInternational Reporter, TVlibertés, Veille stratégique, Dominique de Villepin, politique.


[1] La Défaite de l’Occident Emmanuel Todd, Gallimard janvier 2024. L’auteur qui avait prévu de manière détaillée et documentée la fin de l’empire communiste réitère l’exercice avec l’Occident et en particulier l’OTAN.

[2] CF. Liste des guerres des États-Unis (Wikipédia). Le bombardement de l’OTAN sur la Serbie en 1999 pendant 78 jours a marqué les esprits en Europe balkanique. Voir plus loin.

[3] Le Format Normandie est une discussion diplomatique impliquant quatre pays : Russie, Ukraine, Allemagne et France, visant à régler la guerre du Donbass. Cette configuration des rencontres diplomatiques à quatre pays a été adoptée pendant la guerre civile opposant de 2014 à 2022 l’armée ukrainienne aux deux républiques séparatistes de Donetsk et de Lougansk

[4] Dans un entretien au Kyiv Independent (12 décembre 2022), François Hollande a revendiqué que les accords de Minsk avaient amené la Russie sur le terrain diplomatique, laissant à l’armée de Kiev le temps de se renforcer. Un aveu contredisant les déclarations pacifiques d’alors.

[5] Guerre en Ukraine : après des pourparlers « substantiels » à Istanbul, Moscou promet de « réduire radicalement » son offensive vers Kiev (Le Monde 29 mars 20).

[6] Poutine et Zelensky “voulaient un cessez-le-feu” mais les négociations ont été rompues par les pays occidentaux a expliqu » Naftali Bennett (France soir, 6 février 2023).

[7] Site de Jean Pierre Petit. Le missile tiré le 21 novembre 2024 était un MRBM Oreshnik volant à Mach 10 (3km/s). Sur ce sujet on se réfèrera aux explications de Cyril Gloagen cité plus loin. Quant à Jean Pierre Petit sa connaissance intime du milieu scientifique russe en fait un expert également très écouté. Spécialiste des problèmes liés à l’hypervélocité, il traite de l’apparition de ces technologies dans l’industrie aérospatiale.

[8] La paternité de cette décision n’est pour l’instant pas clairement établie. La » profondeur » toute relative n’excède pas 300 km. Le tir fut d’une efficacité réduite : 5 missiles abattus, le 6edestabilisé. On peut dire que l’OTAN malgré ses fermes déclarations soutient l’Ukraine comme la corde soutient le pendu.

[9] 1962, roman de Bernard Besson, Odile Jacob, 2015. A cette époque déjà (crise des missiles de Cuba), les ambassadeurs des deux puissances jouèrent un rôle stratégique de premier plan. Aujourd’hui encore, des personnalités comme William Burns et Serguei Naryshkin qui se connaissent bien, reproduisent le dialogue de 1962, équilibre de la terreur oblige.

[10] Cyril Gloagen, « Portrait possible du missile russe Oreshnik », Diploweb, 8 décembre 2024. Ce spécialiste détaille longuement les défauts et qualités du missile, son histoire technologique.

[11] Les États-Unis retirent le porte-avions Eisenhower de la mer Rouge en raison de l’intensification des attaques des Houthis (Jade, 24 juin 2024).

[12] Site de Jean Pierre Petit.

[13] Le Russie revendique une première vente à l’export pour son nouveau chasseur Sukhoi Su-57. Le pays acheteur n’a pas été nommé mais il pourrait s’agir de l’Algérie ou de l’Iran (Frédéric Lert, Aéro Buzz, 18 novembre 2024). On écoutera avec intérêt l’analyse d’Hervé Carresse le 24 novembre 2024 sur TVL.

[14] Jacques Baud, L’Art de la guerre russe, Max Milo, 2023. Ancien expert militaire de l’ONU, r ex officier de renseignement suisse, il a travaillé en Ukraine et en Russie dans le cadre du Format Normandie. Ses analyses de terrain ont été confirmées par les faits à de nombreuses reprises.

[15] Statista 202,3 Statista Research Department, 21 mai 2024.

[16] Dès 2026, la version F4 du Rafale de Dassault va utiliser l’IA pour désigner des cibles au sol

Après huit ans de travaux de recherche, Thales est parvenu à injecter une dose d’intelligence artificielle dans le pod Talios de la nouvelle version du Rafale. Cet équipement sert à la reconnaissance des objets et à la désignation laser. Cette innovation va équiper la future version F4 du chasseur-bombardier français, prévue pour 2026 (L’Usine Digitale, IA Insider, 10 décembre 2026)

[17] Yves Pagot, « Les déboires du programme F-35 ou le paradoxe de Zénon », Aviation militaire, août 2018.

[18] Sergueï Vladimirovitch Sourovikine concepteur et réalisateur d’une « défense active », un des vainqueurs de cette guerre.

[19] Confidence d’un engagé français dans la Légioni ayant combattu du côté ukrainien. Cette relation est confirmée par le grand reporter Régis le Sommier sur la chaîne Omerta. Celui-ci a passé plusieurs semaines des deux côtés du front notamment dans le saillant de Soudja. Où il a fréquenté les « dronistes ».

[20]  Harold Thibault, Le Monde,4 décembre 2024 La Chine a annoncé, mardi 3 décembre, bloquer ses exportations de certains métaux stratégiques vers les États-Unis, au lendemain de nouvelles restrictions américaines à son encontre, dans une accélération de la guerre technologique entre les deux premières puissances de la planète. Le ministère du commerce chinois, accusant Washington d’avoir « politisé les questions commerciales et technologiques », explique dans un communiqué qu’il ne délivrera plus de licences d’exportation de gallium, de germanium, d’antimoine et d’autres matériaux vers les États-Unis dès lors qu’ils peuvent avoir un double usage civil et militaire.

[21] Des centaines de milliers de jeunes ukrainiens ont fui leur pays dès 2014 pour rejoindre les États-Unis, l’Union européenne ou la Russie. L’armée de Kiev manque cruellement d’hommes. L’argument, repris par des officiers américains, pèse dans la politique de retrait des États-Unis. Côté russe, des centaines de volontaires affluent chaque jour, motivés par des primes, de bons salaires et un patriotisme évident.

[22] Elise Vincent, Alexandre Piquard et Cédric Pietralunga Le Monde, 15 décembre 2022

[23] Securityhttps://waterfall-security.com/guides/nis2 NIS2 Directive Guide NIS2 Compliance Guide

[24] Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (https://cyber.gouv.fr). Clé de voute de la souveraineté numérique française, l’Agence mettra en œuvre les recommandations de NIS2. Les esprits critiques pour ne pas dire chagrins, remarqueront que l’Europe réglemente, la Fédération de Russie agit, les États-Unis achètent…

[25] Association des réservistes du chiffre et de la sécurité de l’information (https://www.arcsi.fr). La cybersécurité est également enseignée à l’Ecole européenne d’intelligence économique de Versailles (EEIE).

[26] « Ransomware : le groupe pro-russe Conti pratique volontiers un terrorisme numérique », Le Monde Informatique(https://www.lemondeinformatique.fr/ac).

[27] Gérard Berry, ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur général du corps des Mines, membre de l’Académie des sciences, de l’Académie des technologies est titulaire de la médaille d’or du CNRS qu’il a reçue en 2014. Il est professeur émérite (au mérite) au Collège de France, ex-chaire Algorithmes, machines et langages (Gérard Berry Le Temps vu autrement, Odile jacob, 2025).

[28] Odile Jacob, 2017.

[29] D’après sa théorie du Heartland, il estime que pour dominer le monde, il faut tenir la plaine s’étendant de l’Europe centrale à la Sibérie occidentale, qui rayonne sur la mer Méditerranée, le Moyen-Orient, l’Asie du Sud et la Chine.

[30] « Le rapport de la Rand Corporation pour déstabiliser la Russie », 31 octobre 2022 (https://www.francesoir.fr/politique-monde/le-rapport-de-la-rand). La Rand Corporation semble quelque peu embarrassée par ces preuves qui montrent que les États-Unis ont cherché à déstabiliser la Russie.

[31] Alors que l’enquête de la police allemande avance à petits pas, le flou demeure sur les commanditaires du sabotage des gazoducs Nord Stream survenu il y a deux ans. Les actionnaires européens et leur partenaire russe Gazprom restent dans le noir (Intelligence online, 05/12/2024). Ce média laisse clairement entendre que tout est fait pour masquer les preuves…Cette affaire marque les esprits en Allemagne ; elle jouera un rôle dans les évolutions politiques du pays.

[32] Seymour Hersh, “How America Took Out The Nord Stream Pipeline”, (https://seymourhersh.substack.com/p/how-amer). L’auteur très connu outre-Atlantique pour son sérieux, avoue ne pas apporter de preuve évidente. Mais la thèse qui accuse les Russes ou les Ukrainiens ne prouve rien non plus.

[33] Teorija Reshenija Izobretateliskih Zadatch (Теория Решения Изобретательских Задач – ТРИЗ).

[34] L’utilisation de GPS sur de vielles bombes héritées de la Seconde Guerre mondiale en est un exemple.

[35] Sommet des BRICS : 24 dirigeants étrangers et le secrétaire général de l’ONU attendus en Russie. Ce sommet revêt une importance particulière pour la Russie, qui y voit l’opportunité de briser son isolement diplomatique consécutif au conflit en Ukraine (i24News, Kazan Russian Federation, 23 october 2024).

[36] La blockchain est une technologie numérique de stockage et de transmission d’informations sans autorité centrale. Elle fonctionne comme une base de données sécurisée par des moyens cryptographiques, répertoriant les transactions dans un ordre chronologique. La validation et l’authentification des transactions se font par un réseau décentralisé et de pair à pair, sans intermédiaire ou tiers de confiance. La blockchain permet de minimiser les coûts et les retards liés à l’utilisation d’intermédiaires tiers pour les transactions financières.

[37] « L’UE et le Mercosur annoncent avoir conclu les négociations pour un accord de libre-échange », Africanews.

[38] https://www.lemonde.fr/international/article/2024/12/06/roumanie.

[39] Ministère des Armées, 12 juillet 2022. Depuis le début de la guerre en Ukraine, 800 soldats français sont déployés en Roumanie pour consolider la défense du flanc Est de l’Europe.

[40] « Sondage : 68% des Français opposés à une intervention militaire » (www.cnews.fr/france/2024-11-28).

[41]« L’ancien chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, dans une interview au journal El Diario le 11 décembre 2024, reconnait que les sanctions économiques de l’Union européenne ont été rendues inefficaces du fait de la solidarité des BRICS. Il s’interroge également sur la capacité de l’Union européenne à remplacer l’effort militaire américain si celui-ci s’arrête.

[42] Proposition de loi, Texte n° 489 (2020-2021) de Mme Marie-Noëlle Lienemann, M. Fabien Gay et plusieurs de leurs collègues, déposé au Sénat le 25 mars 2021

[43] Bernard Besson,4 mai 2022 (https://www.diploweb.com/Ukraine-Comment-lire-et-conduire-la-guerre). L’auteur du présent article approuvait la nécessité d’arrêter cette guerre par la négociation comme lors des rencontres diplomatiques du format Normandie. La nation ukrainienne a été brisée par ce conflit. Lorsque les pertes humaines seront comptabilisées de part et d’autre, l’Europe et la Russie prendront conscience d’une faillite morale et politique sans précédent depuis 1945.

[44] https://www.iesf.fr/752_p_43175/comite-intelligence-economique. Le MOOC-IESF-UNIT sur l’intelligence économique propose des outils pédagogiques, une certification des personnels, une évaluation de l’intelligence économique déjà présente à partir du TEST 1000 et un Questionnement stratégique. Cet enseignement en ligne s’appuie sur les retours d’expérience en France et dans le monde de nos ingénieurs confrontés à la concurrence loyale autant qu’à la guerre économique. Ce programme est supporté par L’Université numérique ingénierie et technologie (UNIT) qui est l’une des sept universités numériques thématiques nationales (UNT) créées à l’initiative d’universités, de grandes écoles et du ministère chargé de l’Enseignement supérieur. Le badge IESF-MOOC -UNIT certifie les compétences de celui ou celle qui obtient une moyenne de 14/20 en répondant au Quiz du MOOC intelligence économique. Il n’est d’ailleurs pas interdit d’obtenir 20/20…

Diplomates, corruption et compromission

Diplomates, corruption et compromission

par Jean DASPRY* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°177 / mars 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

 

 

 

JD Vance accuse l’UE de bâillonner les opinions qui dérangent les élites

JD Vance accuse l’UE de bâillonner les opinions qui dérangent les élites

Mandatory Credit: Photo by dts News Agency Germany/Shutterstock (15150588as)
Munich Security Conference 2025: James David « JD » Vance, Vice President of the United States, delivers a speech
Munich Security Conference 2025, Hotel Bayerischer Hof, Germany – 14 Feb 2025/shutterstock

par Samuele Furfari – Revue Conflits – publié le 18 février 2025

https://www.revueconflits.com/jd-vance-accuse-lue-de-baillonner-les-opinions-qui-derangent-les-elites/


JD. Vance, le vice-président des États-Unis, lors de la conférence de Munich sur la sécurité, a vivement critiqué l’élite européenne, visiblement mal préparée à entendre ses propres contradictions. Cette dernière est habituée depuis des années à ne rencontrer aucune opposition. Vance a osé exprimer publiquement ce que les exclus des médias et de l’élite affirment également depuis longtemps, mais pour lesquels ils sont marginalisés et tournés en dérision. Ce n’est pas étonnant qu’il y ait eu très peu d’applaudissements.

Dernier livre paru de Samuel Furfari : Dernier livre « Énergie, mensonges d’état. La destruction organisée de la compétitivité de l’UE » | L’artilleur

Vance à Munich, un discours qui dérange

On a pu presque entendre en fond sonore la célèbre chanson de Guy Béart, « Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté », tant la réaction outrée des dirigeants européens illustre à merveille ce refrain. Vance, en fidèle shérif adjoint du « nouveau shérif en ville » comme il a nommé Trump, est venu faire la leçon aux Européens. Force est de constater que les habitués du cercle Bruxelles-Strasbourg n’ont pas apprécié que la tornade Vance, avec un discours calme et, argumenté, sans aucune note tant il maîtrise son sujet, ait évoqué sans détour les attentats liés à une immigration mal maîtrisée, les restrictions à la liberté d’expression au nom de la lutte contre la « désinformation », l’énergie chère, et même les velléités d’annulation d’élections qui ne conviendraient pas à certains. Toutes ces choses, les médias non subventionnés les dénoncent, mais elles restent inaudibles pour la prétendue élite.

L’ironie de la situation n’échappe à personne. L’irritation des dirigeants européens, telle celle d’Olaf Scholz et de Boris Pistorius (le ministre allemand de la Défense ayant utilisé deux fois le mot « inacceptable »), confirme le diagnostic de Vance. À son appel à laisser libre cours à la parole, ils ont répondu qu’il n’avait pas le droit de dire cela. Pendant que l’UE se drape dans sa vertu prétendument morale et ses valeurs supposément inébranlables, mais dont une grande part de la population européenne ne supporte plus, la tornade Vance a eu l’audace de pointer du doigt les failles béantes dans leur discours.

Le réveil brutal : les critiques de Vance à l’égard de l’UE

L’establishment européen, pris de court par la tornade Trump-Vance, se retrouve dans la position inconfortable de devoir justifier l’injustifiable. Habitués à prêcher la bonne parole à des auditoires et médias acquis, ils se sont retrouvés déstabilisés et humiliés par un discours qui brise leurs codes et remet en question leur narratif bien huilé. Ils ne pouvaient que le rejeter.

Peut-être est-il temps pour l’Europe de descendre de son piédestal moral et d’écouter réellement les critiques, aussi dérangeantes soient-elles. Car comme le suggère la chanson de Béart, tenter d’exécuter le messager ne fera pas disparaître le message pour autant.

La liberté d’expression en question : exemples de censure en UE

Malgré les déclarations de Jean-Noël Barrot, ministre français des Affaires étrangères, qui a réagi au discours de Munich en affirmant que « la liberté d’expression est garantie en UE », la réalité montre une tout autre image. Autrefois considérée comme un pilier de la liberté d’expression, l’UE emprunte désormais une voie qui soulève des questions quant à sa gestion de l’information et de la liberté d’expression.

Prenons l’exemple de la RTBF, la chaîne de télévision publique belge qui s’est permis de diffuser le discours d’investiture de Donald Trump en « léger » différé le 20 janvier 2025. Sous prétexte de « prendre le temps de l’analyse », la chaîne s’est arrogé le droit de filtrer les propos du président américain, instaurant de facto une forme de censure préventive. Cette décision, justifiée par un soi-disant « cordon sanitaire médiatique », n’est rien d’autre qu’une atteinte à la liberté d’information des citoyens belges.

En France, la situation n’est guère plus reluisante. La fermeture de C8 et la mise sous tutelle de CNews par l’Arcom illustrent une volonté manifeste de museler les voix dissidentes. Ces chaînes offraient une alternative au discours dominant. Leur disparition ou leur contrôle étroit par l’autorité de régulation représente un appauvrissement du débat public et une atteinte à la pluralité des opinions.

Mon cas personnel est également révélateur de cette dérive. En tant que professeur à l’Université Libre de Bruxelles et expert en énergie, j’ai été marginalisé dans ma propre université et privé de parole dans les médias belges pour avoir osé remettre en question l’utilité des éoliennes pour lutte contre le changement climatique. Cette mise au ban académique et médiatique démontre l’intolérance croissante envers les opinions qui ne s’alignent pas sur le consensus décrété par le pouvoir profond comme l’appelle Donald Trump.

Il est grand temps de reconnaître que l’UE, malgré ses prétentions, est en train de bafouer l’un de ses principes fondamentaux : la liberté d’expression, et parfois même la liberté académique. La chanson de Guy Béart, « Le premier qui dit la vérité », n’a jamais été aussi pertinente. Aujourd’hui, dans l’UE, celui qui ose dire une vérité qui dérange risque effectivement d’être « exécuté » médiatiquement et professionnellement.

Cette tendance à la censure et à l’uniformisation de la pensée est non seulement dangereuse pour nos démocraties, mais elle nourrit également le ressentiment et la méfiance envers les institutions européennes. Il est crucial de revenir aux fondamentaux de la liberté d’expression, même si cela implique d’entendre des opinions qui dérangent ou qui remettent en question le statu quo. C’est à ce prix seulement que l’UE aura le droit de prétendre être un véritable espace de liberté et de démocratie.

Financements opaques et contrôle de l’opinion : le scandale révélé

Il est impossible de comprendre le discours de Munich et l’opposition féroce qu’il a suscité si l’on ignore le contrôle de l’opinion publique par des financements de la part des gouvernements qui ont façonné la politique occidentale. Le scandale actuel à Bruxelles expose des pratiques troublantes de la Commission européenne concernant le financement d’ONG et de médias pour promouvoir son Pacte vert. Des documents révèlent qu’elle aurait financé des ONG environnementales pour faire pression sur les eurodéputés et les États membres en faveur de ce pacte, une pratique qualifiée d’« inappropriée » par Piotr Serafin, le nouveau commissaire au Budget.

J’ai expliqué ce processus d’endogamie dans un article récent. Il se manifeste à travers des programmes officiels qui financent des ONG écologistes dans une chaîne sans fin de projets. À leur terme, ces projets nécessitent de nouvelles études, mais toujours avec les mêmes bénéficiaires.

Des ONG financées par les Etats pour lutter contre la science

MCC-Europe vient de publier un rapport marquant qui dévoile l’utilisation abusive des fonds publics par la Commission européenne, ayant consacré des milliards d’euros à un réseau opaque d’ONG et de groupes de réflexion pour promouvoir son programme politique tout en étouffant les voix dissidentes. Ce vaste système de propagande UE-ONG porte atteinte à la démocratie et constitue une trahison majeure envers les citoyens européens. J’ai expliqué un processus d’endogamie dans un article récent sur le site Science-Climat-Énergie. Il se manifeste à travers des programmes officiels qui financent des ONG écologistes dans une chaîne sans fin de projets. À leur terme, ces projets nécessitent de nouvelles études, toujours réalisées par les mêmes bénéficiaires, créant une collusion qui conduit à une monoculture de la pensée.

Parmi les ONG écologistes impliquées figurent le Bureau européen de l’environnement et des bénéficiaires du programme Life. Ces contrats visaient explicitement à influencer certains députés pour soutenir les initiatives de Frans Timmermans, l’ancien premier vice-président de la Commission européenne responsable de la doctrine verte. Certaines ONG subventionnées, comme Friends of the Earth Europe (1,5 million d’euros) et Climate Action Network, ont des lignes d’actions politiques marquées, notamment contre le nucléaire.

Grâce à l’action du nouveau Department of Governmental Efficiency (DOGE) créé par le binôme Trump-Musk, il a été découvert que des médias prestigieux comme Politico et Reuters ont été financés par Washington. Ils auraient perçu des subventions totalisant 8,2 millions de dollars entre 2016 et 2025 au titre des actions humanitaires de l’USAid. Cet organisme officiel, qui finance 47 % de l’aide humanitaire dans le monde, est évidemment essentiel pour soulager les souffrances dans de nombreux pays, mais il est déplorable de constater qu’une partie des fonds a été détournée pour manipuler l’opinion publique. En Ukraine, 80 % des médias auraient collaboré avec l’agence, favorisant une dépendance accrue à Washington. Tous les fonctionnaires européens peuvent recevoir gratuitement sur leur bureau une copie de l’hebdomadaire Politico, qui ne manque pas de les formater à la pensée unique promue par la Commission européenne et l’administration Biden.

Des manipulations de l’opinion publique au sein même de l’UE

Cette affaire remet en question l’intégrité démocratique de l’UE, dénoncée par des eurodéputés comme une manipulation de l’opinion publique et une atteinte à la confiance dans les institutions. Elle souligne un besoin urgent de transparence dans les relations entre la Commission, les ONG et la paléopresse comme l’appelle le philosophe Drieu Godefridi. Ce que fait l’UE avec le contrôle des médias est — a dit Vance — « le moyen le plus sûr de détruire la démocratie ». À l’instar de ce qu’a fait la tornade Trump, l’UE a besoin d’un « EU Department of Governmental Efficiency (EU DOGE) » pour mettre fin à la dilapidation de nos taxes à des fins partisanes.

Malgré les défis actuels, des acteurs persistent à défendre l’éthique et la transparence, en particulier au sein des médias non conventionnels. C’est grâce à leur vigilance et à leur indépendance que l’espoir demeure de voir un retour à des pratiques plus intègres et responsables, essentielles pour rétablir la confiance des citoyens envers les institutions européennes et les médias en général.

Greta Thunberg et l’endoctrinement climatique : un rappel de Vance

JD. Vance a voulu faire rire en disant que : « Si la démocratie américaine peut survivre à dix ans de sermons de Greta Thunberg, vous pouvez survivre à quelques mois d’Elon Musk. » Mais personne n’a ri et les médias subventionnés se sont empressé de se moquer de J. D. Vance sans se rendre compte que c’est précisément pour cela qu’il l’a dit.

La militante pour le climat avait rapidement acquis une notoriété mondiale disproportionnée au regard de son jeune âge et de son manque d’expertise. L’accueil que lui a réservé Ursula von der Leyen a été choquant : elle a été reçue à la table de la Commission européenne avec les honneurs habituellement réservés aux chefs d’État. Les Universités de Mons et d’Helsinki sont allées jusqu’à lui décerner un doctorat honoris causa. Le mouvement « Youth for Climate », initié par Thunberg en 2018, soulève des questions quant à son origine et sa propagation rapide. Cette expansion fulgurante suggère un soutien coordonné de la part des institutions européennes et des médias grand public.

Des commissaires européens comme Maroš Šefčovič, étrangement en poste depuis 2009, ont activement participé à des initiatives impliquant des jeunes et le climat, financées par des programmes aux liens étroits. Ces actions révèlent une volonté manifeste de l’establishment européen d’influencer la jeunesse sur les questions climatiques.

L’attention médiatique disproportionnée accordée à Greta Thunberg, notamment sa désignation comme personnalité de l’année 2019 par le Time Magazine, révèle l’ampleur de la manipulation orchestrée par l’État profond aux États-Unis comme dans l’UE. L’endoctrinement a conduit à une jeunesse européenne largement influencée par cette idéologie climatique. Bien que le site officiel de Youth for Climate semble moins actif depuis 2022, l’impact de ce mouvement sur la sensibilisation des jeunes Européens aux enjeux climatiques reste significatif et continue d’influencer les politiques européennes.

Ce n’est donc pas par hasard que le vice-président des États-Unis a rappelé aux élites européennes leur admiration béate, pourtant totalement injustifiée, de cette égérie. Il a souligné que ce type de contrôle des médias et de manipulation de l’opinion publique représente « le moyen le plus sûr de détruire la démocratie ». Il est crucial de remettre en question ces narratifs imposés et de promouvoir un débat ouvert et équilibré sur les questions climatiques et énergétiques.

Notons en passant qu’en mentionnant Elon Musk dans sa comparaison, Vance semble suggérer que l’influence de Musk, bien que significative, pourrait être transitoire. Cette remarque peut être interprétée comme une tentative de relativiser l’importance accordée à certaines figures médiatiques dans le débat public.

L’entêtement de la Commission européenne : vers une destruction économique ?

En fin de compte, le discours de Vance aura eu le mérite de mettre en lumière le fossé grandissant entre les élites européennes et les réalités du terrain. Alors que ces dernières persistent dans leur déni, refusant d’admettre leurs erreurs et leurs contradictions, Vance a joué le rôle du grain de sable dans la machine bien rodée du politiquement correct européen.

La Commission européenne a fait savoir qu’elle travaille sur un paquet législatif appelé « omnibus » dans lequel elle prévoit une réduction de 90 % des émissions de CO₂ d’ici 2040. C’est de l’entêtement, c’est se moquer d’une large partie de l’opinion publique qui ne veut plus entendre parler de ces réductions inutiles et coûteuses. Rappelons que dans le monde, les émissions de CO₂ ont augmenté de 65 % depuis l’adoption de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et que l’Europe ne représente que 7 % de ces émissions. Si l’on veut détruire l’économie européenne plus rapidement, c’est exactement ce qu’il faut faire. Trump ou pas Trump, Vance ou pas Vance, on ne peut pas continuer à mentir sur des questions aussi cruciales pour notre avenir. Nous ne pouvons pas permettre à l’UE de poursuivre la destruction organisée de notre économie, comme je le démontre dans mon livre « Énergie, mensonges d’État ».

Un appel au courage et à l’écoute

Vance, l’ancien Marine, le catholique pratiquant, aura fait son devoir en suivant le très vieux précepte biblique « tu ne manqueras pas de reprendre ton prochain pour ne pas te charger d’un péché » (Lévitique 19,17). Lui a fait son devoir ; nos dirigeants vont-ils avoir le courage de l’écouter ?

Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

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par Guy-Alexandre Le Roux – Revue Conflits – publié le 21 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/guerre-economique-et-extraterritorialite-leurope-doit-renforcer-son-arsenal-juridique/


Une nouvelle étude de l’Institut Montaigne aborde la question de l’extraterritorialité. Sur ce sujet stratégique pour l’économie mondiale, les États européens et l’UE manquent d’un arsenal défensif et offensif, au détriment des entreprises européennes.

Une déstabilisation juridique internationale

L’extraterritorialité désigne la capacité d’un État à appliquer ses lois au-delà de ses frontières, souvent au nom de l’intérêt national. Le principe est toléré en droit international au nom de la « théorie des effets », une extension du principe de territorialité selon laquelle « le droit de la concurrence peut avoir une application extraterritoriale lorsque des actions menées à l’étranger ont un effet direct et substantiel sur la concurrence sur les marchés intérieurs ». Aux États-Unis, des lois comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) ou le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) s’imposent à des entreprises étrangères dès lors qu’elles utilisent des services financiers américains ou opèrent sur des marchés clés. Ces mesures établissent de fait un contrôle indirect sur les économies. Et, en cas de litige, il n’existe aucun instrument pour arbitrer.

En Relations internationales, la sécurité repose toujours sur la force, surtout lorsqu’il n’existe pas d’arbitres. La Chine a donc développé un arsenal juridique similaire, illustré par sa loi sur la sécurité nationale de Hong Kong. Les règles imposées par ces deux grandes puissances ne se contentent pas de défendre leurs intérêts : elles redéfinissent les rapports de force économiques mondiaux, au détriment de l’autonomie européenne.

Les entreprises européennes, premières victimes

Les conséquences pour les entreprises européennes sont lourdes : amendes exorbitantes, exclusion des marchés internationaux, et même transferts forcés de technologies sensibles. L’affaire Alstom est emblématique. En 2014, la branche énergie de la multinationale française a été acquise par General Electric dans un contexte de pressions judiciaires américaines liées au FCPA. Derrière ces litiges se profile un impératif stratégique : fragiliser les champions industriels européens.

L’application extraterritoriale de lois, notamment dans le domaine des sanctions économiques, se traduit également par une entrave au commerce international. Les entreprises de l’UE, naviguant entre des régimes juridiques conflictuels, doivent allouer des ressources considérables pour rester en conformité, au détriment de leur compétitivité.

Il faut croire que le retour de D. Trump à la Maison-Blanche sur la promesse de renforcer le dollar va doper l’agressivité de l’extraterritorialité américaine.

Un débat européen embryonnaire

Face à ces menaces, il est nécessaire que les États de l’UE se musclent. La question est de savoir qui doit s’en occuper, les instances européennes ou les États ? Pour protéger leur souveraineté et leurs entreprises, les États sont méfiants vis-à-vis des interventions de la banque centrale européenne. Mais, leur arsenal juridique est trop faible ou limité.

L’UE ne dispose que de mesures défensives, comme le règlement de blocage, qui limite l’application de sanctions étrangères sur le territoire européen. Toutefois, cette approche reste insuffisante. La stratégie récemment présentée par la Commission européenne sur la sécurité économique en juin 2023 n’intègre toujours pas une réponse offensive à l’extraterritorialité.

Les divisions internes de l’Union, alimentées par des visions divergentes entre États membres, ralentissent tout consensus. Certains, comme la France, appellent à une réponse européenne coordonnée, tandis que d’autres craignent d’éroder leurs relations transatlantiques ou de déléguer davantage de compétences à Bruxelles.

Vers une stratégie européenne offensive ?

L’adoption récente d’instruments de défense commerciale, tels que l’Instrument anticoercition (IAC), pourrait marquer un tournant. Le chemin vers une approche offensive que préconise l’Institut Montaigne reste semé d’embûches. Cela ne va pas de soi, car il est inscrit dans l’ADN de l’UE de ne recourir à aucune forme d’extraterritorialité offensive. Cette spécificité européenne pourrait changer.

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Des soldats devant les bâtiments de l’Assemblée mardi soir. Photo by Jung Yeon-je / AFP

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a créé la surprise en proclamant mardi la loi martiale, avant de la retirer quelques heures plus tard sous la pression des parlementaires et d’une foule de manifestants. Yoon a dit avoir proclamé la loi martiale « pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’État ».

En ce qui concerne l’armée sud-coréenne, principale partie prenante de la loi martiale d’urgence, que retenir des événements de mardi soir?

D’abord, l’alignement des chefs militaires sur la décision présidentielle. Cet alignement a débouché sur la proclamation d’un décret en six points du nouveau commandant de la loi martiale, le chef des armées, général Park An-su. Ce décret interdisait les activités et les partis politiques, la « fausse propagande », les grèves et les « rassemblements qui incitent à l’agitation sociale ». Yoon s’est entouré d’hommes à sa botte et à nommé des proches dans toute l’infrastructure sécuritaires (armées et renseignement). Mais, comme l’écrivait en septembre l’ancien patron des forces spéciales sud-coréennes, le général Chun in-bum, « pour qu’un coup d’état ou une loi martial réussisse, il faudra plus que des nominations de hauts gradés; ça exigera la complicité de l’institution militaire dans son ensemble et une opinion publique passive ». Et c’est bien ce qui a manqué mardi soir.

Ensuite, l’entrée (plutôt compliquée) des commandos sud-coréen dans un des bâtiments du Parlement, comme le montre cette vidéo où l’on voit le personnel et vraisemblablement des élus s’opposer à la progression des soldats:

Des hélicoptères ont déposé des troupes dans l’enceinte du Parlement, selon des images de vidéosurveillance diffusées mercredi. D’autres soldats, obéissant aux ordres du chef d’état-major conjoint (Joint Chiefs of Staff JCS), l’amiral Kim Myung-soo, ont escaladé les clôtures de l’enceinte gouvernementale après minuit. Quelque 300 militaires ont pris part à cette action au Parlement dont 230 ont été héliportés en 24 rotations. Mais numériquement, ils ont été vite débordés par la foule des opposants.

Enfin, un constat encourageant: les militaires ont fait preuve de retenue et il ne semble, en ce mercredi matin, qu’aucun débordement/dérapages par les forces de l’ordre n’ait été recensé. On a connu (malheureusement) des militaires sud-coréens ayant la main beaucoup plus lourde, comme en 1980 lors de la précédente et dernière en date proclamation de la loi martiale (officiellement 230 morts). D’ailleurs, des photos des soldats à l’Assemblée montrent qu’ils étaient équipés de munitions d’entrainement (voir le chargeur bleu du militaire à droite de la photo):

Photo by YONHAP / AFP

Et maintenant?

Le Joint Chiefs of Staff JCS a, peu après l’annonce de l’imposition de la loi martiale, rassuré les Américains, précisant que les troupes engagées ne venaient pas de la zone frontalière avec la Corée du Nord et que la sécurité du territoire était bien assurée.

A moyen terme, les forces armées sud-coréennes risquent de se retrouver plongées dans les convulsions politiques post-loi martiale, convulsions exacerbées par la « complicité » du ministre de la Défense de Yoon, Kim Yong Hyun, la complaisance de certains chefs militaires et l’assaut très médiatisé mené par des unités contre l’Assemblée nationale.

« Cette situation laissera des séquelles durables dans les relations civiles et militaires délicates de la Corée du Sud. Mais le risque sécuritaire immédiat concerne la défense extérieure, en particulier compte tenu des incertitudes probables autour du commandement et du contrôle militaires au lendemain de la loi martiale. Cela va évidemment inquiéter les États-Unis, allié de la Corée du Sud par traité, et les forces américaines en Corée », estime Euan Graham, un analyste de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute).

L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

écrasante victoire électorale de Trump
Photo : Donald J. Trump – Facebook – DR

 

Après sa victoire électorale sans appel, Donald Trump a réaffirmé son innocence qualifiant à plusieurs reprises l’acharnement judiciaire dont il était victime de « poursuites fictives » et de « guerre juridique ». Alors que deux autres affaires au niveau de l’État sont en cours, le ministère de la Justice a annoncé mercredi 6 novembre qu’il cherchait à clore deux affaires pénales fédérales concernant le président élu.

L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

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L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?

 

  1. Les affaires fédérales :
  • L’affaire des documents classifiés lors de l’émeute du Capitole

Donald Trump a été inculpé de 37 chefs d’accusation fédéraux en juin 2023 suite à l’enquête du procureur spécial Jack Smith sur l’émeute du Capitole du 6 janvier 2021. Smith a dirigé une enquête sur la conservation de documents classifiés. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation.

L’équipe de campagne de Donald Trump avait demandé une pause partielle sur la base de la décision rendue par la Cour suprême, selon laquelle un ancien président bénéficie d’une immunité substantielle contre les poursuites pour les actes officiels commis pendant son mandat, mais pas pour les actes non officiels.

La juge Aileen Cannon a finalement rejeté l’affaire contre Trump en juillet 2024, estimant que Smith avait été nommé de manière inappropriée au poste de conseiller spécial en vertu de la clause de nomination de la Constitution.

La clause de nomination stipule : « Les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges de la Cour suprême et tous les autres fonctionnaires des États-Unis sont nommés par le Président, sous réserve de l’avis et du consentement du Sénat, bien que le Congrès puisse confier la nomination des fonctionnaires subalternes au Président seul, aux tribunaux ou aux chefs de département ». (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).

Or Smith n’a jamais été confirmé par le Sénat.

Smith a fait appel de la décision en août dernier avec le document indiquant : « le procureur général a validé la nomination du procureur spécial, qui est également correctement rémunéré ».

Coup de tonnerre…. Le procureur Jack Smith a dû mettre un terme à ses poursuites contre le président élu Donald Trump avant le jour de son investiture.

Dans un courrier obtenu et publié par Fox News Digital, le 8 novembre 2024, le président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jim Jordan et le représentant Barry Loudermilk, ont écrit à Smith. Ils craignent que le procureur spécial, ainsi que les procureurs impliqués dans les enquêtes sur le président élu Donald Trump, ne « purgent » les dossiers pour échapper à toute surveillance et exigent qu’ils produisent au Congrès tous les documents liés aux enquêtes avant la fin du mois de nombre.

Jordan et Loudermilk ont prévenu le que Bureau du conseiller spécial devait respecter le processus de transparence et n’était pas « au-dessus de toute responsabilité pour ses actes » :

« Nous réitérons nos demandes, détaillées dans l’annexe ci-jointe et incorporées aux présentes et nous vous demandons de produire l’intégralité du matériel demandé dans les plus brefs délais, mais au plus tard avant le 22 novembre » ont-ils écrit. (Source : Jordan demands Smith retain all records related to Trump prosecutions as special counsel’s office wind down, par Brooke Singman, Fox News, publié le 8 novembre 2024).

Jordan et Loudermilk demandent à Smith de fournir des informations sur l’utilisation du personnel du FBI au sein de son équipe- une demande faite pour la première fois en juin 2023- afin de savoir si « l’un des employés du FBI a déjà travaillé sur d’autres questions concernant le président Trump ».

Les responsables du ministère de la Justice cherchent à clore les affaires pénales fédérales contre Trump alors qu’il se prépare à prêter serment pour un second mandat à la Maison-Blanche, ce qui conforte bien l’impossibilité de poursuivre un président en exercice.

A ce titre, les responsables du ministère de la Justice ont cité une note du Bureau du conseiller juridique déposée en 2000, qui soutient l’argument se rapportant au Watergate, selon lequel il s’agit, pour le ministère de la Justice, d’une violation de la doctrine de la séparation des pouvoirs que d’enquêter sur un président en exercice.

De telles « procédures interfèreraient indûment, de manière directe ou formelle, avec la conduite de la présidence ».

  • L’affaire d’ingérence électorale

Le fameux procureur spécial Smith a également déposé un autre acte d’accusation dans son enquête contre Trump en août 2023.

Ce dernier a été inculpé de quatre chefs d’accusation fédéraux découlant de l’enquête, notamment de « complot » en vue de frauder les États-Unis, de « complot en vue d’entraver une procédure officielle », d’entrave et de tentative d’entrave à une procédure officielle et de « complot contre les droits ».

Trump a plaidé non coupable de tous les actes d’accusations et a fait valoir « qu’il devait être à l’abri des poursuites pour les actes officiels accomplis en tant que président des États-Unis (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).

En juillet dernier, la Cour suprême, dans sa décision sur l’immunité présidentielle, a renvoyé l’affaire à un tribunal inférieur.

Trump a été inculpé une deuxième fois en août 2024. Le nouvel acte d’accusation a maintenu les accusations criminelles précédentes tout en modérant les actes d’accusations, après la décision de la Cour suprême, en se référant aux conversations que le président Trump aurait eu avec son vice-président de l’époque, Mike Pence. Smith a soumis un dossier de 165 pages, dans lequel il espérait exposer des preuves suffisantes pour traîner le président Trump en procès.

Or, la juge Tanya Chutkan a ordonné, quelques semaines avant l’élection présidentielle, que davantage de preuves soient rendues publiques.

Un procureur général nommé par Donald Trump pourra immédiatement mettre un terme à toutes les affaires fédérales portées par l’actuel procureur spécial Jack Smith, à Washington, DC et en Floride. Les procureurs et les juges locaux devront arrêter « leur show ».

  • Les cas d’État :
  • L’affaire Stormy Daniels : le juge Juan Merchan a un très sérieux problème à résoudre

Le 47ème président élu, Donald Trump doit être encore jugé dans son procès pénal à Manhattan ce mois-ci. Le juge Juan Merchan doit se prononcer sur le rejet ou non des accusations à son encontre, après la décision de la Cour suprême sur l’immunité présidentielle.

Pour rappel, Donald Trump a été reconnu de 34 chefs d’accusation notamment de falsification de documents commerciaux, à l’issue de son premier procès pénal, à Manhattan, en mai dernier. Le procureur Alvin Bragg s’est employé à démontrer que Trump avait falsifié des documents commerciaux pour dissimuler un paiement de 130 000 dollars, à l’ancienne star du porno Stormy Daniels avant l’élection de 2016 pour faire taire l’intéressée quant à une présumée liaison qu’il aurait entretenue avec elle en 2006. Trump a toujours clamé son innocence dans l’affaire.

Le président élu a plaidé non coupable dans cette affaire. Il avait dénoncé le procès comme une imposture, tout en qualifiant Merchan de « corrompu » et coupable de « conflits d’intérêts » faisant référence directement aux liens familiaux du juge avec le Parti démocrate. Trump a également fustigé l’affaire comme une « guerre juridique » entretenue par le ticket Biden-Harris pour anéantir sa campagne électorale.

Trump est dans l’attente de sa sentence, qui doit être prononcée le 26 novembre prochain, soit quatre mois de retard par rapport à la date initiale du jugement qui avait été fixée au 11 juillet 2024.

Les avocats de Trump ont expressément demandé au juge Merchan d’annuler le verdict de culpabilité en mettant en avant la décision de la Cour suprême, qui a statué en juillet dernier sur l’immunité substantielle dont bénéficient les anciens présidents dans l’exercice de leurs fonctions, lors de poursuites concernant des actes non officiels.

Le 15 octobre dernier, la Défense de Donald Trump avait également demandé le transfert de son dossier pénal, de New York, à un tribunal fédéral sur la base de cette même décision de la Cour suprême. Le juge de district Alvin Hellerstein avait rejeté cette demande en septembre.

Les avocats de Donald Trump ont toujours soutenu que le bureau du procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg « avait violé la doctrine concernant l’immunité présidentielle devant le Grand jury et à nouveau, lors du procès de leur client, en se basant sur des actes officiels du président Trump qui ont eu cours lors de son premier mandat ». L’utilisation de preuves issues d’actes officiels, dans de telles procédures, devant le Grand jury et au procès, serait susceptible de violer la Constitution et de menacer la capacité de tous futurs présidents dans l’exercice de leur fonction présidentielle.

La décision de Merchan est attendue le 12 novembre.

Le juge Merchan a démontré qu’il n’était pas un juge ordinaire. Un juge normal aurait rejeté cette affaire. Toutefois, en cas de refus, parce qu’il s’agit d’une demande d’immunité, la défense de Donald Trump aura le droit légal de faire immédiatement appel.

Dans tous les cas, en vertu de la clause de suprématie, il est fort probable que le ministère de la justice intervienne : ni Merchan, ni la cour d’appel ne pourront imposer une peine d’emprisonnement à un président en exercice. Cette affaire restera en suspens jusqu’à ce que Trump quitte le pouvoir.

 Merchan n’ira pas à l’encontre de la plus haute cour du pays. Il serait impossible de disséquer l’affaire et de séparer les preuves rattachées à la vie privée de Donald Trump avant qu’il ne soit président aux « actes officiels » durant la première administration Trump

Il est donc très probable que l’affaire Stormy Daniels et celle de Fanni Willis soient terminées.

En rejetant les accusations, la balle sera dans le camp du Procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg. Là encore, il est peu probable que Bragg rouvre le dossier. Le président Trump aura pris ses fonctions et le ministère de la Justice agira en vertu de la clause de suprématie selon laquelle aucune plainte pénale ne peut être portée à l’encontre d’un président en exercice tant qu’il est président.

Andrew McCarthy, ancien procureur adjoint des États-Unis pour le district sud de New York a également écrit dans un éditorial que Donald Trump ne risquerait aucune peine de prison dans cette affaire :

« Comprenez-bien que Trump n’ira pas en prison même si Merchan le condamne à une peine d’emprisonnement. Bien que les accusations relèvent de crimes, elles ne sont pas suffisamment graves selon la loi de New York pour mériter une détention immédiate. Trump sera libéré sous caution en attendant l’appel. Étant donné que Trump ne sera pas envoyé de toute façon à Rikers Island par un juge de Manhattan, il serait prudent de reporter la sentence et de permettre à Trump de poursuivre son appel concernant son immunité. Cela éviterait l’inconvenance de soumettre le prochain président des États-Unis, à une condamnation et une peine au pénal alors qu’il est sur le point de prendre ses fonctions » a- t-il précisé.

« La guerre juridique a été terrible pour tout le pays. La victoire retentissante de Trump devrait sonner le glas » a ajouté McCarty (Source : Where does Trump’s New York sentencing stand after massive election win ? par Emma Colton, Fox News, le 7 novembre 2024).

  • L’affaire électorale en Géorgie de 2023

Le président élu a été inculpé en août 2023, après une enquête criminelle de plusieurs années, menée par des procureurs d’État sur la base de présupposées tentatives de faire annuler l’élection présidentielle de 2020. Il a été en effet inculpé en août dernier avec 18 coaccusés sur ses « efforts présumés » pour renverser l’élection présidentielle de 2020 dans l’État. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’inculpation.

En mars 2023, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a rejeté six chefs d’accusation portés contre Donald Trump, affirmant que la procureure de district Fani Willis, n’avait pas fourni suffisamment de preuves détaillées. Un mois avant, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a également rejeté deux autres chefs d’accusation criminels contre Trump affirmant que Willis et les procureurs de Géorgie n’avaient pas l’autorité de porter ces accusations sur la base du dépôt présumé de « faux documents devant un tribunal fédéral ».

La procureure de district n’a connu que des échecs dans cette veine tentative de faire traduire Trump en justice.

Le cours des événements a été ensuite bouleversé lorsqu’il a été révélé que Willis aurait eu une « liaison inappropriée » avec Nathan Wade, un procureur qu’elle avait engagé pour l’aider à porter l’affaire contre Trump. Plus précisément, c’est en février dernier, que Michael Roman, un membre du GOP et coaccusé dans l’affaire, a lancé des accusations selon lesquelles Willis aurait eu une liaison avec Wade, qu’elle avait engagé pour poursuivre l’affaire de « racket » en novembre 2021. D’autres coaccusés ont formulé des allégations similaires, selon lesquelles Willis aurait bénéficié financièrement de sa relation avec lui, en passant des vacances de luxe. Wade, a été à l’issue de ces révélations, démis de ses fonctions.

La Cour d’appel de Géorgie a ensuite suspendu la procédure en juin dernier, jusqu’à ce que soit portée l’affaire visant à disqualifier Willis. La cour a également déclaré qu’elle entendrait l’argument de Trump visant à disqualifier Willis, le 5 décembre, soit un mois après sa réélection.

Avec 14 coaccusés restants dans l’affaire de Géorgie, c’était irréaliste de croire que l’affaire serait jugée avant les élections. L’ordonnance de la Cour d’appel a envoyé deux signaux sérieux : le premier, visant les paiements effectués à Nathan Wade et la relation que Willis entretenait avec lui puis le second, se rapportant au discours malavisé de Willis depuis une chaire d’église, qualifiant les accusés de « racistes ».

En effet, Fani Willis avait prononcé un discours dans une église d’Atlanta en janvier 2024, affirmant que Wade et elle-même étaient surveillés en raison de leur « race », ce que le juge McAfee a réprimandé dans une ordonnance du tribunal.

Les Américains ont réélu Donald Trump avec une majorité écrasante. Son mandat est ainsi conforté. Il est désormais tout à fait clair qu’ils souhaitent mettre fin à cette « militarisation du système judiciaire ». Les électeurs ont été clairement perturbés par la pratique systématique des Démocrates, consistant à utiliser les forces de l’ordre et les procédures judiciaires comme des « armes » contre leur principal rival politique.

De plus, dans ces affaires pénales, Trump a quelques cartes non négligeables à jouer, particulièrement à un moment de célébration nationale.

L’immunité est censée pouvoir être immédiatement examinée par les tribunaux supérieurs- la Défense n’a pas à attendre la condamnation et la peine pour faire appel. Par conséquent, les avocats de Trump soutiendront qu’ils pourront faire appel de la décision d’immunité (dans le cas du juge Merchan), bien avant que la peine ne soit prononcée- et ce, devant les deux niveaux d’appel, de New York et potentiellement devant la Cour suprême des États-Unis.

Les affaires ne disparaîtront pas pour autant, cela ne placerait pas Donald Trump au- dessus de la loi. Elles seraient tout simplement « suspendues » afin que l’État ne soit pas en position d’interférer avec la capacité du gouvernement fédéral à gouverner- ce qui est le principe au cœur de la clause de suprématie de la Constitution.

Les Démocrates auront-il tiré la leçon de la victoire écrasante de Trump ? Car la guerre juridique est avant tout anti-américaine.

Le président Biden pourrait donner un exemple puissant de bon sens politique, en agissant comme président unificateur, à l’aube de quitter ses fonctions, en graciant son prédécesseur et son successeur. N’oublions pas que son fils Hunter, reste dans l’attente de sa sentence pour port d’armes et fraude fiscale…


écrasante victoire électorale de Trump
Angélique Bouchard

Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.

Tribune d’un officier de Gendarmerie : pour un “agent” de l’État, agir en conscience est-il un affront à la cause républicaine ?

Tribune d’un officier de Gendarmerie : pour un “agent” de l’État, agir en conscience est-il un affront à la cause républicaine ?


Véhicule de Gendarmerie
Illustration

Un officier d’active de Gendarmerie nous a transmis cette tribune dans laquelle il livre ses réflexions sur la doctrine de la Gendarmerie.

Dans l’ombre des institutions républicaines, là où le devoir se mêle à la conscience, une question insidieuse se faufile : un Gendarme, peut-il encore, en son âme et conscience, servir la République sans se sentir en contradiction avec elle ?

Depuis toujours, la mission de service public est érigée en idéal absolu, gravée dans les consciences des militaires comme un serment sacré. Pourtant, derrière cette noble ambition se dresse un autre impératif, plus silencieux, mais tout aussi pesant : celui de la soumission à la machine républicaine. Mais qu’advient-il lorsque la volonté politique, aveuglée par ses ambitions, se heurte à la réalité du terrain ?

Trop souvent, hélas, l’idéalisme des décideurs semble déconnecté des besoins tangibles. Et dans cette déconnexion, les décisions, prises à la hâte et en haut lieu, risquent de s’éloigner de l’intérêt général, celui qu’elles prétendent pourtant défendre.

Dans bien des administrations, ce constat est une source de désillusion. La Gendarmerie nationale, corps militaire longtemps réputé pour sa loyauté et son silence, n’y échappe pas. Si certains ont osé briser ce mutisme, ils restent encore trop rares, tandis que la majorité demeure en retrait, retenant en eux ce goût amer d’impuissance. La “loyauté » républicaine, comme un carcan invisible, les enchaîne à leur devoir, les privant de la liberté d’exprimer leur désarroi.

Depuis plusieurs années, les priorités politiques semblent avoir pris le pas sur le sens profond de nos missions. Une perte de repères s’installe, s’immisce au cœur même de notre conscience professionnelle, fragilisant nos convictions. Nos chefs, jadis guides éclairés, sont eux-mêmes ébranlés, tiraillés entre leur devoir de loyauté et leur liberté de conscience, aujourd’hui réduite à une ombre vacillante. Le glissement est évident : de “serviteurs” de la République, nous sommes devenus ses “instruments”, obéissants à des injonctions qui parfois nous échappent.

Les directives se multiplient, souvent portées par des plans d’action de grande envergure, mais dénuées de sens pour ceux qui arpentent le terrain, jour après jour. Cette avalanche de décisions, détachées des réalités, finit par miner l’adhésion des troupes. Et cette désaffection, imperceptible au premier regard, s’étend peu à peu dans les rangs.

Voici donc, sans fard ni embellissement, quelques points de tension, des interrogations non résolues, que l’on murmure tout bas mais qui mériteraient d’être criées tout haut :

– Le rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur, une décision dont les effets se font sentir chaque jour.

– Les réformes sur le temps de travail, des mesures textuelles qui alourdissent un peu plus la charge des militaires.

L’identité militaire, qui se dilue, entre tradition et modernité.

– Le syndrome du “bon élève”, ce besoin constant de prouver sa valeur, au détriment parfois de l’autonomie.

– Les liens complexes avec l’autorité administrative, qui semblent parfois peser davantage que le bien commun.

– La lutte entre la prévention de voie publique et le poids du judiciaire, une bataille silencieuse mais constante.

– La longévité de la Gendarmerie face à la Police nationale, une question d’équilibre des forces et des moyens.

Enfin, et surtout, la volonté du politique, si souvent en décalage avec la réalité du terrain, qui érode peu à peu la quête de sens des Gendarmes.

Dans un contexte de tensions sociales et d’instabilité politique croissante, cette lente dégradation, déjà bien amorcée, pourrait-elle encore susciter l’intérêt chez les décideurs, ou sommes-nous condamnés au silence ?

La quête de Sens ou la soumission républicaine : réflexions sur la doctrine de la Gendarmerie

Dans l’intimité silencieuse de mon bureau, une question me ronge, obsédante, presque impertinente. Ai-je encore le droit de me poser des questions, de douter, face à l’Institution à laquelle je voue mon quotidien ? Qu’on ne s’y méprenne pas, mes mots ne sont ni une révolte ni une revendication militante. Ils sont le fruit d’une réflexion, sincère, lucide, sur ce qu’est devenue la Gendarmerie, ce bastion séculaire qui vacille sous le poids des changements.

Les réformes se sont succédé, bouleversant les fondations mêmes de notre maison. Loi du 3 août 2009, PSQ, DGE, PVP… (politique de sécurité du quotidien, dispositif de gestion de l’évènement, présence voie publique) des sigles qui défilent comme des promesses, mais qui, sur le terrain, créent un gouffre. Un gouffre entre la réalité politique, façonnée dans les couloirs feutrés du pouvoir, et la dure réalité opérationnelle que nous vivons chaque jour.

Le fossé se creuse, et avec lui, le malaise grandit. Nous, gendarmes, sommes appelés à “l’intelligence des territoires”, à l’adaptation, à l’initiative locale. Mais ces belles intentions se heurtent sans cesse à des directives nationales, aveugles aux particularités de nos territoires. Nous sommes devenus les exécutants d’ordres venus d’en haut, sans qu’un regard ne soit posé sur ce qui fait la singularité de chaque ville, de chaque route que nous arpentons. La DGE, la PVP… autant d’outils qui, bien qu’essentiels sur le papier, se transforment en carcans sur le terrain.

Prenons l’exemple de la sécurisation des églises ou des écoles. Nous voilà sommés, sans ménagement, de placer un gendarme devant chaque lieu de culte, devant chaque établissement. La directive est formelle, rigide. Mais, à l’heure où nos ressources s’amenuisent et où chaque mission en chasse une autre, comment pouvons-nous répondre à cette demande ? Nous ne sommes pas des surhommes, et la réalité finit par nous rattraper. Pourtant, qui, parmi ceux qui nous dirigent, s’est posé la question du rapport bénéfice-risque ? Qui a pris le temps de réfléchir à la faisabilité, à l’impact réel sur le terrain ? Non, cela n’a pas d’importance. L’ordre est politique, et donc, il ne peut être contesté.

Nous ne demandons pas à désobéir. La loyauté, nous l’avons ancrée dans notre ADN. Mais à force de suivre aveuglément, sans jamais remettre en question, ne risquons-nous pas de perdre ce qui fait notre essence même ? La prise de risque, l’initiative, ne sont plus encouragées. Chaque échelon supérieur interfère, empêche, verrouille les décisions locales. Le commandement unique, cet héritage qui a forgé notre Institution, semble aujourd’hui menacé.

Les « spécialistes » se multiplient. Chaque domaine a désormais son référent, son expert. Cela pourrait sembler vertueux, une montée en compétence, un gage de professionnalisme. Mais à quel prix ? La polyvalence, autrefois notre force, est en train de disparaître. Nos brigadiers, ces hommes et ces femmes capables de tout, se retrouvent enfermés dans des rôles cloisonnés, incapables d’agir avec la liberté d’antan.

Un autre exemple, plus subtil mais tout aussi parlant : la fameuse PVP. Cette volonté de rapprocher la Gendarmerie de ses citoyens, de renouer le lien, est louable. Mais sur le terrain, que constatons- nous ? Une pression statistique qui déforme la réalité. Les chiffres augmentent, mais qu’en est-il du véritable impact ? Nos outils ne reflètent pas notre quotidien, ils alimentent une vision déconnectée, une illusion qui fait dire aux élus : “On ne vous voit pas assez”. Cette perception est peut-être juste dans certains territoires, mais pas partout. Et pourtant, pour satisfaire cette soif de chiffres, nous trichons, nous adaptons nos rapports, non par malhonnêteté, mais par obligation.

Et là réside le nœud du problème. Nous avons cessé d’être des acteurs de notre propre mission.

Nous disons ce que nos chefs veulent entendre. Nous validons, nous acquiesçons, par peur de remettre en question, par crainte de compromettre une carrière. Le courage intellectuel a cédé le pas à l’obéissance aveugle.

Notre liberté d’action, tant enseignée, tant valorisée, s’est évaporée, étouffée sous le poids de la hiérarchie et de la bureaucratie.

L’immédiateté gouverne tout

Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave. L’immédiateté gouverne tout. Chaque événement, chaque incident est scruté par tous les échelons, avant même que les premiers éléments ne remontent aux responsables opérationnels. L’urgence devient la norme, et avec elle, une infobésité qui nous submerge. Les mails, les comptes-rendus, les ordres qui se bousculent… tout devient prioritaire, tout devient urgent. Et dans ce flot continu d’informations, nous ne faisons plus que réagir, sans jamais anticiper.

À cela s’ajoute la “communication”. Celle qui flatte l’ego, qui alimente le narcissisme de certains, qui pensent réinventer le métier. Ces “influenceurs”, comme ils aiment à se nommer, réduisent notre engagement à des images, des slogans. La médiocrité s’installe, insidieusement.

Enfin, une réforme de la déconcentration est en marche, voulue par le président de la République, avec pour ambition de simplifier l’action publique. Mais peut-on vraiment y croire ? Les bonnes intentions sont là, certes, mais sur le terrain, la réalité est toute autre. Les autres administrations ne suivent pas, la cadence n’est pas la même, et nous, gendarmes, continuons de crouler sous nos dossiers, sous les heures “bureau”, sous les enquêtes qui s’empilent.

Malgré tout, il nous est demandé de rester fidèles, de continuer à servir, sans questionner. Mais est- ce cela, être loyal ? Est-ce accepter sans jamais remettre en question ? Sommes-nous condamnés à une soumission aveugle, à ne plus nous appartenir, à sacrifier ce qui faisait de nous des gendarmes et non des policiers ?

La policisation de notre Institution est en marche. Et avec elle, c’est peut-être notre âme que nous perdons.

Jean Ceymon

Afghanistan : comprendre la nouvelle législation instaurée par les talibans

Afghanistan : comprendre la nouvelle législation instaurée par les talibans

par Olivier Hanne – Revue Conflits – publié le 18 septembre 2024


Le corpus de lois que vient de publier le pouvoir des talibans définit de très nombreux interdits, notamment concernant les femmes. Mais au-delà de cette dimension, il s’agit d’un texte dont l’étude permet de mieux appréhender l’univers mental, à la fois ancré dans une vision ancienne de l’islam et imprégnée de modernité technique, qui est celui du régime en place dans le pays depuis l’été 2021.

Le 23 août 2024, le « ministère de la Justice » de l’autoproclamé « Émirat islamique d’Afghanistan » a publié dans son Journal officiel un décret (firmān) intitulé « Loi en vue d’ordonner le bien et d’interdire le mal » (n° 1452). Il a été approuvé par le « très-haut, le commandeur des croyants », le mollah Haibatullah Akhundzada, né en 1961, chef des talibans au moins depuis 2021 et leur victoire contre la coalition internationale menée par les États-Unis.

L’homme, qui a une formation de juriste et s’est spécialisé dans les questions de mœurs, est habitué à publier des avis juridiques sur l’organisation de la vie en Afghanistan. Ce disciple du mollah Omar, mort en 2013, en a récupéré la titulature de type califal, amīr al-muʾminīn, « chef des fidèles », ou « commandeur des croyants », qui recouvre une dimension à la fois politique, religieuse et militaire. Bien que prestigieux et inscrit dans l’histoire de l’islam médiéval, un tel titre n’implique pas la résurrection du califat. En effet, stratégiquement, le califat a laissé des marques trop sanglantes à travers Daech pour être pertinent aujourd’hui. En outre, aucun membre des talibans ne peut y prétendre selon la réglementation rappelée par le juriste chafiite al-Mawardi (972-1058) dans ses Statuts gouvernementaux, texte sur lequel s’appuient les talibans, bien qu’ils se réclament explicitement du maḏhab hanafite, l’une des quatre grandes écoles sunnites (le document utilise l’expression « selon la jurisprudence hanafite », p. 13.).

Cette législation a suscité une émotion légitime dans la communauté internationale, car elle renforce la ségrégation subie par les femmes afghanes. Toutefois, une analyse plus détaillée permet d’élargir le champ de l’étude et d’envisager d’autres aspects, tout aussi essentiels.

Présentation de la source

Le document, qui comporte 114 pages et 35 articles répartis en quatre chapitres, est rédigé en dari et en pachtô, les deux langues officielles d’Afghanistan. Il comporte de nombreux passages en arabe et de vastes justifications et références en notes de bas de page.

Parmi celles-ci on relève une forte place accordée au Coran, aux recueils de hadith, aux dits des grands califes, à al-Mawardi déjà évoqué, aux traités médiévaux du fiqh hanafite ainsi qu’à l’imam Ibn Abidin, le grand juriste ottoman de Damas, mort en 1836.

Il y a là sans doute une manière pour les talibans de se rattacher à une autorité majeure et incontestée du maḏhab hanafite. Cet imam est pourtant connu pour ses solutions juridiques souples et pour avoir été le promoteur d’une adaptation du fiqh aux conditions modernes.

La préface

La préface (p. 5-15) justifie le décret en reprenant une formule classique : « La présente loi a pour but d’organiser les questions relatives à la promotion de la vertu et à la prévention du vice » (p. 6).

En effet, dès la fin du VIIIe siècle, l’élaboration du droit sous contrôle califal devait permettre de rappeler le comportement attendu des musulmans, afin que chacun endosse la « curatelle » de ses frères, c’est-à-dire la correction de leurs fautes, la promotion du bien sur le mal que le Coran attribue à la communauté (la Umma) : « Vous êtes la meilleure Umma qu’on ait fait surgir pour les hommes : vous ordonnez le convenable et interdisez le blâmable » (sourate 3, verset 110). Comme beaucoup d’autres, le célèbre théologien et mystique d’origine persane al-Ghazali (1058-1111) insista sur ce redressement des mœurs, consistant en une censure collective des actes répréhensibles publics, le jugement de la faute intime appartenant à Dieu.

L’essentiel de la préface consiste à donner la terminologie (ou à la redonner pour ceux qui l’ignoreraient, en Afghanistan ou ailleurs) des fonctions islamiques officielles au sein du pays, mais aussi dans tout émirat respectant les règles énoncées par al-Mawardi au XIe siècle (p. 7-11). Sont ainsi définis dix termes classiques, références idéalisées et anachroniques de la plupart des régimes islamistes, dont le muḥtasib, « délégué par le commandeur des croyants », qui est un contrôleur des marchés et du comportement public, dont le but est d’« empêcher toute infraction aux dispositions de la charia » (p. 7) ; le maʿrūf (la vertu ou le bien) ; le munkar (le vice ou le mal) ; le taʿzīr, c’est-à-dire le châtiment prévu dans le droit pénal ancien (« action entreprise en accord avec un règlement de la charia musulmane ou avec une loi en particulier par son exécutant lorsqu’un acte manifeste contrevient à la charia », p. 10) ; ou encore le « ḥijāb légiféré », dont la définition ne se limite pas à la femme : « Vêtement qui couvre tout le corps d’une femme et qui est porté par toute personne qui n’est pas son maḥram [c’est-à-dire un homme qui n’est pas son proche parent] » (p. 11). Notons que ces termes et ces définitions sont d’une grande banalité dans l’éducation historique musulmane, et qu’ils trahissent la naïveté ou l’inculture du public visé, surtout au regard de la nature officielle du texte. D’une certaine manière, ces notions historiques sont aussi courantes dans le monde musulman que ceux de roi, empereur, Église, évêque, dans l’univers européen.

Viennent alors le nom des administrations, des agents et des domaines d’application (pp. 12-16) et, au premier chef, le « ministère de la Promotion de la Vertu, de l’Interdiction du Vice et de l’Audition des Plaintes ». Le but de l’institution est « de promouvoir la paix [ṣulḥ, le compromis ou la réconciliation] et la fraternité au sein de la population et de la dissuader des préjugés ethniques (nationaux, claniques), linguistiques et régionaux ». La précision est sans doute importante en raison du contexte multiculturel afghan, où des oppositions fortes se sont manifestées régulièrement dès l’invasion soviétique en 1979 entre Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras chiites. L’unité du pays dans l’islam ne saurait être menacée par des querelles communautaristes.

Dernier point notable de cette préface : est mentionnée à plusieurs reprises la responsabilité collective face au mal (la « curatelle »), conformément à la tradition sunnite, mais aussitôt réduite dans son champ d’application « à la responsabilité exclusive du muḥtasib » (p. 15), ce qui revient à affirmer prioritairement l’autorité de l’État central sur les velléités personnelles ou claniques de sanction au sein de la société.

Les règles du droit (I)

La première partie (pp. 16-30) énonce une série de règles de droit, et cela en deux temps. Tout d’abord sont mentionnés « les principes relatifs à leur exécution » : respect des conditions sociales et de la dignité humaine ; seuls sont interdits les comportements visibles et publics, et nullement ceux qui relèvent de l’intimité des personnes, qu’il s’agisse du foyer ou du for interne (la niyya) ; exigence pour toute infraction de deux témoins de bonne réputation au minimum ; ne sont poursuivis que les délits qualifiables et constatables, soit par une enquête soit de manière évidente.

Les talibans ne font ici que rappeler des éléments médiévaux, notamment la niyya, qui désigne la conviction intérieure du croyant qui anime ses actes de piété et les rend valides. Or, depuis la crise muʿtazilite du IXe siècle, il est acquis que nul pouvoir ne peut arbitrairement interroger l’intériorité des suspects pour y déceler l’hérésie ou une culpabilité doctrinale, car l’intimité n’appartient qu’à Dieu et lui seul est juge des pensées cachées. Ainsi l’encyclopédiste muʿtazilite al-Jahiz (776-867) fixe des limites à la procédure inquisitoriale : « Soumettre à l’épreuve un suspect ne veut pas dire violer son intimité. Sinon, le cadi le [juge] serait la personne la plus coupable de violer les secrets et de dévoiler ce qui ne doit pas l’être. »

Dans un deuxième temps, la source fait mention des dispositifs vestimentaires touchant les hommes et les femmes (pp. 26-29), point qui a suscité la réprobation internationale :

Réglementation attachée au ḥijāb des femmes :

  • Une femme est tenue de couvrir tout son corps.
  • Une femme doit se couvrir le visage afin d’éviter que se produisent certaines fitna [divisions dans la communauté ou troubles sociaux].
  • Les voix des femmes (dans une chanson, un hymne ou un récital à voix haute lors d’un rassemblement) sont également à recouvrir.
  • Les vêtements d’une femme ne doivent pas être fins, courts ou serrés.
  • Il est de la responsabilité des femmes de cacher leur corps et leur visage aux hommes qui ne sont pas leurs maḥram.
  • Il est obligatoire pour les femmes musulmanes et pieuses de se couvrir devant les femmes non croyantes ou dépravées, afin d’éviter toute fitna.
  • Il est interdit aux non-maḥram de regarder le corps ou le visage d’une femme. De même, les femmes n’ont pas le droit de regarder des hommes inconnus.
  • Si une femme adulte quitte la maison en raison d’un besoin urgent, elle a le devoir de dissimuler sa voix, son visage et son corps.

Et les hommes d’être contraints, eux aussi, à couvrir leur corps de la taille aux genoux, notamment dans le cadre de leur profession et aussi de leurs loisirs (p. 29).

Le firmān s’applique à suivre la définition du vêtement « légiféré », c’est-à-dire répondant aux exigences de tenue des femmes selon l’interprétation du droit hanafite médiéval. Il s’inspire des hadiths, mais se garde de rejoindre la tradition hanbalite, maḏhab rigoriste qui n’a quasiment plus de place officielle nulle part, même en Arabie saoudite, ou si ce n’est chez les salafistes. De fait, les gants ne sont pas mentionnés, ni l’interdiction des motifs imprimés, de l’usage de la soie ou d’une couleur particulière. Il n’est pas dit que les femmes doivent sortir de chez elles accompagnées d’un tuteur (wakīl), ce qui est pourtant la norme dans les zones pachtounes d’Afghanistan qui obéissent aussi à un autre code, tribal et coutumier celui-ci, le pachtounwali, lequel impose la claustration des femmes pubères, contrairement au droit hanafite.

Les agents et leurs domaines de compétences (II)

La seconde partie désigne aux agents exécutifs de l’Émirat leurs principaux objets d’attention (pp. 32-72) :

  • La presse et les organes d’information (pp. 32-34), lesquels ne doivent rien publier allant à l’encontre des « règles vertueuses » (ex. : le vice, la moquerie, les dessins animés).
  • La vie économique (pp. 35-45). Tous les travailleurs doivent prier en commun aux heures légales, payer la zakāt (l’aumône), suivre le_ maḏhab h_anafite dans leurs affaires, éviter l’usure, la duperie dans le commerce, etc.
  • Le tourisme (pp. 46-48), chaque site devant avoir une mosquée.
  • La circulation routière (pp. 49-51). La drogue, la contrebande et la musique sont interdites au volant, de même que les femmes ne peuvent voyager seules ni découvertes.
  • Les bains publics (p. 52).
  • Suit une longue liste d’infractions morales individuelles (pp. 53-72), dont : l’adultère, le lesbianisme (l’homosexualité masculine n’est pas explicitement nommée), la sodomie (même conjugale), la pédophilie, les jeux de hasard (pourtant très prisés dans certaines provinces afghanes), les combats d’animaux (même remarque), l’usage abusif d’appareils audio et vidéo, les retards à la prière, les refus de jeûne, les barbes trop courtes, les relations amicales avec des non-musulmans, les fêtes persanes, la désobéissance envers les parents, la sévérité envers les orphelins, la possession de croix ou de cravates.

Sont ici mélangés pêle-mêle des usages de bon comportement, des coutumes et des délits qui relèvent pourtant des mêmes agents publics, lesquels ne peuvent évidemment pas intervenir systématiquement sans le soutien du voisinage (et donc de la dénonciation – on ne parle pas de délation, car les dénonciations ne peuvent être anonymes). L’idéal est d’obéir à des coutumes qui soient à la fois locales et musulmanes, et plus encore non occidentales, car les talibans associent le culturel et le religieux.

Le droit hanafite médiéval ne condamne pas les relations avec les chrétiens et les Juifs. En revanche, le wahhabisme a popularisé depuis le XVIIIe siècle le double concept « d’allégeance et de désaveu » (al-walāʾ wa l-barāʾ), lequel impose à tout musulman de se détacher des infidèles, des apostats, des soufis, des chiites, des Juifs, des « croisés » (les chrétiens européens), et même de les haïr, sous peine d’être excommunié.

Or, les talibans ont été marqués par l’influence wahhabite – liée au maḏhab hanbalite –, notamment lors de la guerre contre l’URSS (1979-1989), lorsque plusieurs millions d’Aghfans trouvèrent refuge au Pakistan, où les madrasa saoudiennes se mobilisèrent pour les scolariser. Le décret se trouve ici dans une position intermédiaire, ni totalement hanafite, ni parfaitement hanbalite, mais cherche un compromis pour mieux dénoncer ceux qui ont pactisé avec les États-Unis. Il n’est pas sans contradiction avec la réalité géopolitique du gouvernement taliban, qui mène une diplomatie active avec la Chine, « amitié » qui pourrait être condamnée au regard de ce firmān.

Les sanctions (III)

Enfin, la troisième partie s’attache aux sanctions elles-mêmes (pp. 73-79) et insiste sur la responsabilité des agents de l’État dans ce domaine. Aucun taʿzīr ne s’applique automatiquement, car il faut d’abord exhorter le pécheur, le menacer des sévérités de la loi avant de le punir par une amende, puis par la prison, et enfin par d’autres sanctions (sous-entendu : corporelles), si son crime le nécessite. On tiendra compte alors de la réputation (religieuse et morale) du prévenu et de son comportement devant l’autorité judiciaire, ce qui est une manière de dire, conformément au droit classique, que des accommodements (ḥiyal) sont toujours possibles.

En revanche, les peines corporelles ne sont pas évoquées, alors qu’elles auraient pu l’être si le décret prétendait restaurer la législation hanafite abbasside ou ottomane.

La source se termine par une quatrième partie (« Injonctions diverses », pp. 80-87), mais répétitive par rapport au contenu des trois autres).

La législation d’un pays fantasmé

La lecture du décret n° 1452 de l’Émirat d’Afghanistan démontre qu’il n’est pas d’abord une loi contre les femmes, ou du moins que ce n’est pas sa nature profonde. Il s’agit d’un acte législatif de souveraineté et d’autojustification au regard de la norme islamique hanafite, celle des IXe-XIe siècles, revivifiée au XIXe siècle par Ibn Abidin dans le contexte précolonial.

Il vise à démontrer combien la vie quotidienne afghane depuis 2021 suit une tradition historique sûre, éprouvée, validée par les plus grands imams sunnites au-delà du cercle hanafite, et par les références incontournables du Coran et de la Sunna. Grâce à ces autorités prestigieuses, les talibans entendent non pas renforcer, car c’est inutile, mais légitimer leur contrôle social, limiter les tensions ethnico-provinciales au nom d’une unité théorique et détourner la curatelle sociale au profit de l’État.

Cet État singe de manière pathétique le califat médiéval – sans calife en titre – et pour cela exhume des fonctions anciennes qui ne peuvent être efficaces sans un appareil administratif moderne, lequel existe bel et bien dans le pays, mais dont la source ne parle pas. De même qu’il évacue la référence aux coutumes tribales, aux chiites du pays, au soufisme parfaitement accepté dans le pays (contrairement au hanbalisme), au pachtounwali, qui semblent ici inexistants.

L’Émirat devient un pays irréel, coupé de toute histoire, de toute géopolitique, même si son État a des prétentions de contrôle très modernes (la presse, l’économie, le tourisme, le comportement individuel, etc.). Le citoyen – qu’il soit homme ou femme – apparaît ici comme un être télétransporté au Xe siècle pour sa vie morale, et enraciné dans le XXIe siècle pour ce qui relève de l’obéissance à l’État.

De toute évidence, un tel décret ne changera rien à la situation quotidienne des habitants, mais pourrait avoir une fonction de communication ou de propagande religieuse vers l’extérieur (la Daʿwa), vers ceux qui rêvaient d’un système islamiste idéalisé et que Daech (ou sa défaite) a déçus.


Olivier Hanne, Chercheur associé au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM), Université de Poitiers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Olivier Hanne

Olivier Hanne

Docteur en histoire, agrégé, Olivier Hanne est chercheur associé à l’Université Aix-Marseille et professeur à l’ESM Saint-Cyr. Il est spécialiste du monde musulman et a publié de nombreux livres sur ce sujet.

Interview: le général (2s) Bertrand Cavallier, expert en sécurité intérieure, passe en revue les défis du futur ministre de l’Intérieur

Interview: le général (2s) Bertrand Cavallier, expert en sécurité intérieure, passe en revue les défis du futur ministre de l’Intérieur

Place Beauvau
Ministère de l’Intérieur (Photo d’illustration LVDG)

Immigration clandestine dans l’hexagone et outre-mer, narcotrafic, tranquillité publique, contestation sociale, terrorisme islamique et écoterrorisme, le futur ministre de l’Intérieur fait face à des attentes très lourdes en matière de sécurité dans un contexte budgétaire très tendu.

Fort d’une longue et riche expérience, commandant de groupement de gendarmerie départementale et de gendarmerie mobile, commandant du centre national d’entrainement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, commandant de région, et sous-directeur des compétences, le général de division (2S) de Gendarmerie Bertrand Cavallier, l’un des meilleurs experts français en matière de sécurité intérieure et de défense passe en revue les défis qui attendent le gouvernement. Dans une seconde interview qui sera publiée dans les jours prochain, il se penche sur les défis qui attendent le futur chef des gendarmes qui devrait être nommé rapidement.

LVDG Un nouveau ministre de l’Intérieur va être nommé. Quelles sont, d’après vous les leviers à sa disposition pour améliorer l’efficience des forces de sécurité intérieure et de ce fait la sécurité des Français ? 

Trois grands défis essentiels, pour ne pas dire vitaux, mais inter-agissants, sont à relever par la France : celui tout d’abord de l’économie qui conditionne tout le reste. N’oublions pas que la charge de la dette va bientôt peser davantage que le budget de la Défense alors même que l’environnement géopolitique est de plus en plus désordonné et menaçant. Ensuite, celui de l’éducation qui conditionne le maintien de notre pacte social par l’appropriation de nos valeurs communes, non négociables, mais aussi notre capacité à innover dans un environnement notamment technologique de plus en plus compétitif marqué par le recul constant de la France. Enfin, celui sécuritaire, tant on constate une augmentation considérable de la violence, des fractures, qui menacent la cohésion et la survie de notre nation, sous l’effet notamment d’une immigration massive.

Le futur ministre de l’Intérieur devra pleinement s’emparer de ces enjeux sachant que le déni de réalité ne fonctionne plus. La légèreté d’être des élites depuis des décennies, pour ne pas dire leur lâcheté par crainte de la pensée politiquement correcte et du coût social devant être assumé par celui qui osait tenir un discours de vérité, suscite une révolte croissante dans la population, révolte légitime. 

Cependant, la tâche du ministère de l’Intérieur va s’avérer très ardue du fait d’un contexte budgétaire catastrophique qui impose d’en finir avec la surenchère de moyens et d’acquis catégoriels, le syndrome du quoi qu’il en coûte, sous notamment la pression des syndicats.

L’intervention du premier président de la Cour des Comptes, dans le Figaro (version numérique du 8 septembre) est très claire : “Ce sera sans doute le budget le plus délicat de la Ve République …il va falloir une rupture…un pays trop endetté est un pays impuissant”.

La Cour des comptes avait déjà sonné l’alarme s’agissant du ministère de l’Intérieur en constatant que, malgré une hausse significative de la masse salariale  – entendre plus de gendarmes et policiers, certes pour compenser partiellement les réductions d’effectifs mises en oeuvre sous la présidence Sarkozy, mais également des avantages catégoriels – , on observait une diminution constante de la présence des forces de l’ordre sur le terrain, ainsi qu’une érosion des taux d’élucidation. Plus récemment, dans une note parue le 7 juillet dernier, et intitulée “Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer”, la même juridiction déclarait que “des hausses de crédits ont été consacrées aux augmentations salariales des policiers et gendarmes prévues dans le cadre du “Beauvau de la Sécurité”, finançant des primes souvent sans cohérence… ”.

Un impératif de redevabilité envers la nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées

Il ne s’agit pas ici de fustiger le gendarme ou le policier en soi, sachant que nombre d’entre eux sont dévoués, et prennent des risques dans un environnement de plus en plus menaçant mais d’enfin poser certains principes :

Il y a un cadre budgétaire donné, et désormais, il n’y a plus de marge. Ce qui doit être intégré par les organisations syndicales, dont les ressorts, tels qu’ils m’ont été confiés par certains responsables, sont guidés principalement par “le maintien du nombre d’encartés”, donc assez éloignés de l’intérêt général.

La question de la durée de temps de travail réelle

Il y a un impératif de redevabilité envers la Nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées (à noter que ces dernières années, les négocations étaient limitées à leur plus simple expression tant les gouvernements cédaient sur tous les points).

Comme l’évoquait la Cour des Comptes, il faut s’interroger, sur des règles d’organisation du service, de fonctionnement, très complexes, et pour partie non appliquées.

Ceci doit conduire à poser la question de la durée de temps de travail réelle, lors d’une journée de service, mais plus encore mesurée sur toute une année (ce qui est encore plus explicite) d’un policier ou d’un gendarme.  Ceci renvoie également au poids grandissant des polices municipales qui vont jusqu’à se substituer à la force étatique, dans certaines communes d’importance. 

En d’autres termes, il faut en finir avec ces discours surréalistes tenus sur certains plateaux de télévision, par des prétendus experts, et des acteurs corporatistes, justifiant de nouvelles demandes exorbitantes en mettant en exergue la sécurité dans Paris à l’occasion des Jeux Olympiques.

Comme s’il était possible de durablement saturer l’espace public avec 18000 gendarmes,  de milliers de policiers, dont beaucoup issus de la province, une vingtaine de milliers de militaires de Sentinelle….

Les leviers dont va donc disposer le ministère de l’Intérieur auront pour préalable un discours de vérité, un constat lucide et objectif, nécessitant un courage certain. J’insisterai notamment sur trois leviers qui me semblent majeurs.

Le premier levier : le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique

Le premier levier portera sur le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique, laquelle doit retrouver toute sa place, pour redonner une cohérence à l’ensemble du système, tant dans son organisation que dans son fonctionnement. Une hiérarchie qui attend cette mesure de bon sens, et pour affirmer cela, je m’appuie sur nombre de confidences, car il est depuis des années hasardeux pour ses membres de parler ouvertement de sa fragilisation, voire parfois de sa marginalisation, j’évoquerai dans cet article le cas particulier de la hiérarchie en Gendarmerie.

Elargir les conditions d’usage des armes, simplifier les procédures pénales

Le second concerne le soutien aux gendarmes et policiers de terrain, les producteurs premiers de sécurité.

Il faut élargir les conditions d’usage des armes, lesquelles ont en particulier été considérablement restreintes pour les gendarmes, et qui globalement, de toute évidence, ne sont plus adaptées au contexte sécuritaire. Elles Induisent une véritable inhibition face à l’usage des armes chez les gendarmes et policiers alors qu’ils sont confrontés à des comportements de plus agressifs, à une délinquance de plus en plus violente, déterminée, et disposant de plus en plus d’armes de guerre, sans évoquer la généralisation des refus d’obtempérer.

C’est un point capital, au-delà des forces de l’ordre, pour la défense de notre société, qui mérite un développement particulier. J’ajouterai la simplification des procédures pénales, tant aujourd’hui elles accaparent gendarmes et policiers, pour des résultats finaux au demeurant décourageants du fait de la saturation des services de justice.

Le ministre devra se positionner sur la répartition Police Gendarmerie

Le troisième a trait à la problématique migratoire. Je l’aborde ci-dessous.

Enfin, Les Jeux olympiques et paralympiques étant passés, le futur ministre de l’Intérieur – à l’inverse de son prédécesseur qui a fait machine arrière sur ce sujet- ne pourra pas s’exonérer de se positionner sur les recommandations du Livre blanc concernant les redéploiements Police Gendarmerie.

Il devra dire s’il est favorable, quitte à s’affirmer face à certains syndicats de police à ce que la Gendarmerie prenne en compte la sécurité publique de villes moyennes comme par exemple Cannes, Digne, Mende, Lons-Le-Saunier, et des départements complets tels que le préconisait le Livre blanc. 

LVDG Réduire drastiquement l’immigration illégale est l’un des principaux challenges du futur ministre de l’Intérieur. Pourquoi ne pas donner davantage de place à la Gendarmerie dans le dispositif humain d’autant que de nombreux secteurs de passage, au Sud et à l’ouest sont en zone de compétence Gendarmerie ? Un ancien directeur de la Police aux frontières vient d’ailleurs dans un livre de constater des moyens humains et technologiques limités. 

Bertrand Cavallier La lutte contre l’immigration illégale (ou clandestine) est devenue capitale à deux titres : d’une part, elle constitue un des facteurs majeurs de criminalité qu’aucun politique sérieux ne conteste aujourd’hui. Ainsi, comme cela était avancé dans l’Opinion du 9 novembre 2022, “s’appuyant sur les statistiques, Gérard Darmanin mais aussi Emmanuel Macron ont fait sauter le tabou entre immigration et insécurité. Il y a en effet une réalité factuelle”. Plus récemment, sur Cnews, le 27 mai 2024, la députée Ensemble pour la République Maud Bregeon déclarait :“ Il y a aujourd’hui en France un lien entre insécurité et immigration”. Violence voie publique, trafic de stupéfiants, agressions de femmes…Cette triste réalité s’impose en effet ;

d’autre part, elle provoque aujourd’hui de par la nature et la masse des flux (qui pourrait se traduire en submersion de l’Europe), sur fond de confrontation civilisationnelle, la partition des territoires, annoncée par Gérard Collomb, admise par François Hollande alors président de la République. Cette confrontation s’exprime de plus en plus en termes de conception de la personne, de la place de la femme, de l’acceptation de l’homosexualité, de la vision de la société, du droit applicable…tels qu’existant dans la majorité des pays à majorité musulmane.

Le défi est immense. Et comme le déclare le Premier ministre, Michel Barnier, “il y a le sentiment que les frontières sont des passoires et que les flux migratoires ne sont plus maîtrisés. Et nous allons les maîtriser avec des mesures concrètes”. 

Immigration : une nécessaire réforme des normes juridiques et une révision complète de la manœuvre opérationnelle

Avant d’aborder la question sous un angle franco-français, et de nature technique, rappelons que cette question relève au premier chef de l’Union Européenne. C’est à ce niveau que doivent être initiés :

  • tout d’abord une réforme des normes juridiques, en s’affranchissant notamment dans ce domaine de la CEDH (Cour Européenne des droits de l’homme), en posant prioritairement la question si sensible du droit d’asile, auquel est éligible la moitié de l’humanité ;
  • d’autre part une révision complète de la manoeuvre opérationnelle qui imposerait de mettre en oeuvre une protection effective des frontières européennes, appelant notamment une action de l’avant dans les espaces maritimes, relevant d’un commandement militaire, compte tenu de l’étendue et de la complexité de la zone d’action, du volume des flux et de leurs modes opératoires, et des moyens à déployer. 

Je n’évoquerai pas la question des laissez-passer consulaires tant il est évident que la France – qui reste la 7ème puissance mondiale, doit réaffirmer sa souveraineté, et ne saurait en particulier se soumettre aux volontés de l’Algérie, du Mali…ou de quelque autre état.

La Gendarmerie davantage impliquée dans la lutte contre l’immigration clandestine ?

Le droit du sol, dont la suppression à Mayotte devait faire l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, repoussé en raison de la dissolution, doit l’être également dans les autres territoires ultramarins, en particulier de manière urgente en Guyane où des surinamaises viennent accoucher en très grand nombre.

La direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) est la direction spécialisée est en charge du contrôle aux frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière.

Elle a donc dans ces domaines un rôle central en terme de définition des objectifs et de coordination.

Pour autant, le contrôle aux frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière exige aujourd’hui une autre approche opérationnelle. Il s’agit en effet d’interdire de vastes segments, dans des terrains souvent complexes, appelant des manoeuvres d’envergure, s’appuyant dans la profondeur, et nécessitant le déploiement d’effectifs importants, robustes, aptes si nécessaire à l’engagement de force. Dans ses zones de compétence, la gendarmerie a naturellement vocation à répondre à de telles exigences.

Sous réserve qu’elle soit engagée selon le principe de contrats opérationnels lui permettant de valoriser les atouts que lui confèrent sa culture militaire en termes de planification, d’organisation du commandement (articulation en groupements tactiques Gendarmerie intégrant l’ensemble de ses moyens dont ceux aériens), de modes opératoires, et évidemment sa connaissance intime du terrain qu’apportent ses unités territoriales. Coordonnée au niveau de région zonale avec la Sous-direction des frontières, la mission de la Gendarmerie s’arrêtait cependant aux fonctions de rétention et d’éloignement.

LVDG En matière de lutte contre les stupéfiants et de terrorisme, deux infractions souvent connexes à d’autres crimes ou délits, quelles sont les mesures qu’attendent du nouveau gouvernement les praticiens que sont les magistrats, les policiers et les gendarmes ? 

Bertrand Cavallier Il m’apparaît important d’aborder les deux sujets de façon distincte, même s’il y a des liens croissants entre les deux phénomènes.

J’aborderai d’emblée la question terroriste. Outre le renforcement des unités d’intervention spécialisée (GIGN, RAID, et BRI), des progrès considérables ont été consentis depuis une dizaine d’années, notamment au travers de l’essor de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), dont il faut saluer le travail considérable dans le suivi et le démantèlement de réseaux terroristes, relevant principalement  de l’islam dit radical. Cependant, la même DGSI dans un rapport intitulé “État des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France”, posait le constat suivant : “les réseaux islamistes ont investi un ensemble de champs et d’institutions leur permettant de fabriquer des individus dont la vision du monde est étrangère au lègs de l’héritage politico-culturel français (…) Le risque ultime que font peser les quatre mouvements islamistes les plus actifs – Frères Musulmans, salafistes, tabligh, turcs – est l’avènement d’une contre-société sur le territoire national. Ce risque se matérialise et s’intensifie alors que près de 53% de français de confession musulmane pratiquent un islam “conservateur” voire “autoritaire” qui confine à une forme de sécessionnisme politique et social pour 28% d’entre eux”. La France est donc confrontée à l’essor d’une matrice idéologique, voire civilisationnelle, sur fond de haine de ce que nous sommes, de ce nous représentons. Cette haine est de plus dopée par la question du conflit israélo-Hamas. Cette matrice engendre un terrorisme d’atmosphère (pressions, menaces notamment contre les professeurs, port ostentatoire de vêtements religieux…) mais également des actions très violentes qui relèvent de plus en plus d’individus isolés. Face à cela, l’action de la DGSI est moins aisée, et ce sont les gendarmes et des policiers des unités à vocation de sécurité publique (brigades territoriales, Psig, commissariats dont les BAC) qui, à tout moment, et sans transition, peuvent devoir agir comme primo-intervenants. Ce qui constitue une prise de risque maximale. Et renvoie à la question de leur équipement, de leur formation,  et du “soutien” assuré de leur hiérarchie et des magistrats, pour qu’ils puissent, dans le “brouillard” de l’intervention, agir efficacement.

Mais sur le plan sécuritaire, faut-il encore prendre la question par le commencement et agir en amont, en limitant une immigration qui, de par ses origines, renforce cette contre-société.

À titre d’exemple, et qui sera dérangeant, que penser des arrivées de ressortissants afghans dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord, tellement massives que les forces de sécurité intérieure ne mettent même plus en oeuvre la procédure d’OQTF. Mesure à l’efficacité certes limitée, notamment du fait des fausses identités, mais qui permet une traçabilité minimum.

Déchéance de nationalité pour les trafiquants de stupéfiants

Le lien entre immigration et trafic de stupéfiants est assez logique tant cette criminalité est dominée par des individus d’origine immigrée, pour partie de citoyenneté française, mais aussi en proportion notable étrangers, principalement d’origine africaine, et que des passerelles sont établies avec des mouvances islamistes.

Mais une question première s’impose. Pour qu’il y ait offre, il faut une demande, même si aujourd’hui l’offre si endémique stimule la demande. La France – triste record – est en tête du classement des pays d’Europe pour la consommation de Cannabis. L’observatoire français des drogues (OFDT) constate par ailleurs que le marché des drogues se caractérise par des évolutions considérables : diversification des produits consommés, essor des poly-consommations, adaptation constante des modes de diffusion avec l’utilisation croissante par les réseaux de l’internet favorisant notamment la diffusion de drogues de synthèses…

Donc, question de toute évidence sociétale, qu’est-ce qui peut expliquer cette forme d’addiction si massive, dans notre pays, et notamment au sein de la jeunesse ? On ne pourra s’économiser une réflexion de fond en la matière.

En termes de réponse, depuis le 1er septembre 2020, la réponse pénale a évolué avec l’introduction de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants, dressée par les forces de l’ordre.  Sera-ce suffisamment dissuasif ? D’autant que, s’agissant du cannabis, l’environnement européen penche pour une libéralisation de son usage. Et que penser du choix du Canada d’exercer un contrôle complet de ce stupéfiant de sa production à sa consommation ? 

Mais cela ne règle pas la question des autres drogues qui prolifèrent (cocaine…), et sur lesquelles les trafiquants orienteront davantage leurs activités.

Un syndrome de sud américanisation

Aborder la lutte contre les trafics de stupéfiants nécessite de bien saisir toute la dimension de ce défi compte tenu d’une part du préjudice porté à la jeunesse, d’autre part de la généralisation de la violence, et de l’essor d’organisations, soit des cartels, dont les capacités sont telles qu’ils peuvent aujourd’hui menacer la souveraineté de certains Etats d’Europe occidentale. J’ai dans un autre média évoqué un syndrome de sud-américanisation.

Il faut donc aujourd’hui raisonner aujourd’hui en termes de guerre contre ce qui affecte nos capacités vitales au sens premier du terme, soit les nouvelles générations, mais également remet en cause notre pacte social et le principe même de l’Etat de droit. 

Le trafic de drogue développe, à partir de ses centres de gravité, soit les quartiers dits difficiles, un réseau très étendu, sous formes notamment de petits commerces (épiceries, kebabs, ongleries, barbiers…) maillant les territoires, y compris ruraux. Il se traduit désormais par de vastes guerres de territoires, provoquant une escalade de la violence, avec le recours désormais banalisé aux armes de guerre.

Il se caractérise pour ses approvisionnements par de fortes connexions internationales, en particulier avec le Maghreb, mais aussi avec l’Europe du Nord, où, selon Europol, “se situe l’épicentre du marché de la cocaïne”. Les plus gros trafiquants, ceux qui tirent les ficelles de ces réseaux tentaculaires, résident de plus en plus à l’étranger, notamment au Maroc, en Algérie, mais surtout dans les Emirats Arabes Unis. DubaÏ s’est notamment imposé, selon le juge Christophe Perruaux, comme “le trou noir de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue”. Ces narco-trafiquants dont des dizaines de français, ont accumulé des richesses considérables qu’ils ont investies localement. Faute de convention judiciaire au niveau européen, et du fait de la lenteur des procédures, ils sont encore pratiquement intouchables. Or, ces individus, ainsi que leur patrimoine, sont parfaitement identifiés, grâce notamment à l’infiltration par l’agence Europol de l‘application cryptée Sky ECC.

Cette guerre exige de la République en danger, certes une volonté inflexible, mais surtout un grand pragmatisme.

Sur le plan juridique, les procédures doivent être simplifiées, en finir avec leurs effets incapacitants, notamment pour la saisie des avoirs criminels. En la matière, il faut :

privilégier la saisie des avoirs criminels visibles par la population avoisinante, et flécher la distribution des biens mal acquis au profit des quartiers où ils ont été saisis pour que la richesse négative devienne positive pour toute la collectivité éprouvée par ces trafics ;

faire de la non-justification de ressources une infraction à part entière, en inversant la charge de la preuve;

Ressortissant à la norme juridique concernant les personnes, il faut mettre en oeuvre les mesures suivantes :

systématiser, à l’occasion de toute condamnation à une peine d’emprisonnement, l’interdiction de paraître dans le quartier à minima durant six mois, ainsi que l’interdiction du territoire français à tout individu étranger avec mesure effective d’expulsion. Alors que les capacités de l’administration pénitentiaire sont saturées, les mesures d’expulsion assorties de l’interdiction du territoire national, qui devraient être logiquement applicable à tout étranger auteur d’infractions graves ou multi-récidiviste, seraient de nature à réduire de façon significative la population carcérale (plus de 20% de ressortissants étrangers). Par là-même, les condamnations à une peine d’emprisonnement pourraient être plus effectives, et ainsi faire reculer ce syndrome gravissime de l’impunité ;

procédant de l’adaptation indispensable de notre politique migratoire, procéder très rapidement à l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, notamment les dits mineurs non accompagnés, qui sont massivement recrutés par les dirigeants des réseaux. Il faut aussi étendre la déchéance de nationalité aux trafiquants de stupéfiants binationaux afin d’expulser ces marchands de mort.

Contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée

Sur le plan opérationnel, deux actions complémentaires s’imposent. Premièrement harceler, déstabiliser sur toute l’étendue du territoire les points de distribution et de blanchiment des trafiquants en coopération étroite avec les services fiscaux. Ensuite, selon une logique de concentration des efforts en ciblant certaines zones emblématiques, et en démontrant ainsi que la République sait et peut encore agir, contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée (atouts de proximité, capacités de montée en puissance…), sous l’autorité d’un préfet coordonnateur, et avec l’appui d’une task force de magistrats.

D’aucuns, (tel Christian Estrosi NDLR) ont évoqué l’engagement de l’armée de terre. Cette option procède d’une vision simpliste qui voudrait renouveler la bataille d’Alger. Laissons agir les forces de sécurité intérieure qui ont les capacités et la culture professionnelles requises pour mener ces opérations.

En revanche, s’agissant tout particulièrement de l’interception dans les espaces maritimes, mais aussi de la localisation et de la neutralisation de membres de cartel opérant depuis l’étranger, les capacités du ministère des armées  (rens, cyber, intervention…)  apparaissent très précieuses.

La République a la capacité de reconquérir ces territoires en agissant avec force. Mais pour que cette reconquête soit durable, elle doit comprendre que l’enjeu essentiel est la population qui y réside. Elle se doit donc de reconquérir les âmes et les coeurs, en restant présente, par la mise en oeuvre concrète de la sécurité de proximité, et la sécurité retrouvée, en agissant de façon globale (éducation, économie …).

Sur le plan diplomatique, eu égard aux enjeux qui sont essentiels, ne plus les sacrifier à des intérêts court-termistes, en réaffirmant, ce qui est plus qu’attendu par un pays affichant des ambitions d’acteur international, notre souveraineté.

LVDG En matière de maintien de l’ordre, face à des « black block » ou à des “écoterroristes”, ou encore dans un contexte très dégradée comme en Nouvelle Calédonie, que préconisez vous, compte-tenu des effectifs et moyens disponibles ?

Bertrand Cavallier Les dix dernières années révèlent un engagement sans précédent des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre (Gendarmerie mobile, CRS, Compagnies départementales d’intervention). Certaines crises comme celle des Gilets jaunes, qui a connu des épisodes très violents, à Paris mais aussi en province (Le Puy-en-Velais, Pouzin en Ardèche…) ont même nécessité, du fait de leur ampleur, l’engagement des unités territoriales, qui souffrent d’un manque d’équipement adapté.

La situation budgétaire et économique de la France, les fractures politiques (présence d’une mouvance révolutionnaire très active), sociales mais aussi culturelles, obligent tout analyste lucide et raisonnable à comprendre que notre pays est entré dans une période de turbulences. Cette donne concerne tant la métropole que les territoires d’outre-mer, avec la dérive insurrectionnelle de la Nouvelle-Calédonie.

Un élément d’importance dans ce contexte, qui peut participer d’un paradoxe, est l’attente, consciente ou intuitive, d’ordre par une majorité de la population.

Le prochain gouvernement, et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, doit donc anticiper pour gérer au mieux les troubles d’ampleur. Il doit dans cette perspective avoir comme priorité d’économiser les forces de l’ordre, en priorité la gendarmerie mobile et les CRS.

Ceci implique de réduire les grands évènements, très consommateurs en forces mobiles, mais également de prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire le volume de forces engagées, par des dispositifs mieux ajustés à la réalité de la menace de troubles, la poursuite de la judiciarisation et un renforcement des moyens de force intermédiaire à la disposition des gendarmes et des policiers.

Le bon dimensionnement des dispositifs de maintien de l’ordre relevant du principe de l’économie des forces, est assuré par une étroite collaboration entre le responsable de l’ordre public (le préfet) et le commandant des forces mobiles. Ce qui est d’ailleurs préconisé dans les textes en vigueur. Cette collaboration se traduit par la validation d’une conception d’opération privilégiant la manoeuvre fondée sur la mobilité des forces, et un positionnement très clair de l’autorité préfectorale durant la conduite de la manoeuvre.

Deux exemples concrets permettent d’illustrer ce qui doit devenir la règle générale.

Tout d’abord Paris, soit le centre de gravité de notre pays.

L’arrivée de Laurent Nunez à la tête de la préfecture de police de Paris a été marquée par des changements très positifs, attendus depuis longtemps tant par la gendarmerie mobile que par les CRS, et participant, sans doute, d’une autre philosophie du maintien de l’ordre que celle de ses prédécesseurs immédiats.

Outre une posture très bienveillante, le préfet Nunez a systématisé la participation des officiers supérieurs de Gendarmerie mobile, et des CRS, aux réunions préparatoires aux opérations de maintien de l’ordre, dont beaucoup peuvent dégénérer du fait notamment de la présence quasi systématique des blacks-blocs. Ces échanges, sous la gouverne de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation), ont permis de mettre en oeuvre des dispositifs plus manoeuvriers, tout d’abord en remédiant au mélange d’unités de forces différentes, en favorisant une meilleure subsidiarité, et en systématisant la constitution de GAP, soit des Groupes d’appui projetables, constitués par des professionnels du maintien de l’ordre, soit des gendarmes mobiles, soit des CRS. Ces GAP, agissant dans le cadre de dispositifs jalonnant à distance les cortèges, ont vocation à intervenir très rapidement en cas de regroupement d’activistes. en limitant ainsi l’usage de la force légitime. 

À l’occasion des JO et dans une manoeuvre d’échelle inédite, procédant de cette démarche d’étroits échanges en amont, le préfet Nunez a opté pour une sectorisation missionnelle et spatiale des forces déployées. Il a également permis une meilleure inter-opérabilité avec les compagnies d’intervention de la préfecture de police, par l’initiation d’entraînements communs avec les gendarmes mobiles, au Centre National d’Entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier.

Il est à espérer que cette évolution vertueuse ne dépendra pas que du seul facteur humain.

Ce constat est aussi valable pour la province, avec les différentes opérations conduites par des manifestants dits écologistes mais largement infiltrés par des activistes de l’ultra-gauche, contre les bassines dont celle de Sainte-Soline devenu le symbole “totémique” de cette contestation. L’étroite collaboration du commandement de la Gendarmerie au niveau régional et départemental, avec les autorités préfectorales, a permis de privilégier une manoeuvre dynamique, par la combinaison d’actions défensives, mais surtout mobiles (bascules, projections…) favorisées par la composante renseignement. Cette conception de manœuvre a permis de prendre l’ascendant sur les adversaires, avec un usage minimum de la force. 

La judiciarisation du maintien de l’ordre doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché

La judiciarisation du maintien de l’ordre, soit la capacité à identifier les fauteurs de troubles, et à réunir les éléments de preuve pour leur imputer une infraction donnée (dont au premier niveau, la participation à un attroupement sur le fondement de l’article 41-4 du Code pénal) doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché : le retour à une situation normale par la gestion régulée de la conflictualité ( inhérente  au pacte social) en s’appuyant sur la logique incontestable de l’état de droit.

Cette judiciarisation est fortement attendue par la population, qui ne comprend pas l’impunité dont ont pu bénéficier des fauteurs de troubles professionnels, une impunité de fait les incitant ainsi à poursuivre leurs actions prédatrices, mais également par les gendarmes et policiers.

Les forces de l’ordre, dont on exige qu’elles agissent selon les principes de proportionnalité et d’absolue nécessité dans l’usage de force, attendent de façon légitime, face notamment aux individus violents, une plus plus grande effectivité de la réponse pénale. Cette réponse, qui participe de l’action de justice dévolue à tout citoyen, est indispensable pour neutraliser durablement des acteurs de plus en plus agressifs, et par là, abaisser les risques d’affrontement, et moins exposer les gendarmes et policiers

En définitive, la judiciarisation doit permettre de diminuer le volume des forces engagées, et l’attrition des unités (moins de blessés), ce qui indispensable en termes d’économie des forces.

Cette judiciarisation est désormais pleinement intégrée dans les conceptions d’opération, comme l’a démontré la dernière vaste manoeuvre conduite par la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine lors des manifestations anti-bassines, en juillet dernier, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente maritime (présence des magistrats, “engagement des OPJ” de l’avant au sein des escadrons de gendarmerie mobile). Cependant, plusieurs pistes pourraient être explorées pour l’optimiser, sachant que l’arsenal pénal, durci ces dernières années,  est largement suffisant :

la systématisation de la participation des magistrats du parquet à la conception de la manoeuvre (réalisée lors des opérations à l’occasion des manifestations anti-bassines) ;

la mise en place (projection sur le terrain) de magistrats spécialisés en matière de violences à agents dépositaires de l’autorité publique, formés à cet effet ;

l’amélioration des dispositifs d’identification d’auteurs présumés de violence par le recours aux innovations technologiques dont les marqueurs à distance, permettant de privilégier des arrestations après les opérations proprement dites (diminution des risques), la généralisation de la fiche de mise à disposition électronique, expérimentée avec succès au sein de la Préfecture de police de Paris depuis 18 mois, et permettant une meilleure prise en comptes des fauteurs de troubles présumés par le parquet.

Rééquilibrer les moyens des forces de l’ordre

Le rééquilibrage des moyens des forces de l’ordre par rapport aux armements, sans cesse perfectionnés, dont disposent leurs adversaires, est indispensable.

“Les autorités au plus haut niveau doivent prendre les dispositions pour éviter qu’il y ait des blessés graves, voire des morts au sein des forces de l’ordre, car la maîtrise dans l’emploi de la force ne signifie pas la sur-exposition des gendarmes et policiers et dans un contexte très incertain, il ne faut surtout ne pas déstabiliser les corps constitués majeurs”

Les moyens à disposition des forces de l’ordre.

Les évènements en Nouvelle-Calédonie sont, en termes d’ordre public, d’une toute autre nature que celle des troubles qu’a pu connaître la métropole, ces dernières années. Les forces de l’ordre sont en effet confrontées à une situation insurrectionnelle qui dure depuis quatre mois. Elle se caractérise par des opposants très déterminés, majoritairement jeunes, pour partie conditionnés sur le plan idéologique, et le recours très fréquent à la prise à partie des forces de l’ordre avec des armes à feu de gros calibre.

Revoir, en mettant en œuvre l’économie des forces, le schéma fonctionnel de la gendarmerie mobile pour sanctuariser les créneaux d’entraînement

La Gendarmerie qui fournit la plus grande partie du dispositif engagé a déployé l’ensemble de ses capacités, dont une composante blindée renforcée depuis la métropole par des Centaures, et qui constitue un atout opérationnel majeur.

La culture militaire de la Gendarmerie, et plus particulièrement celle de la gendarmerie mobile, s’est avérée capitale pour agir dans un tel environnement qui, correspondant au sommet du spectre du maintien de l’ordre, relève en réalité de l’infra-combat.

Les premiers retex portent sur :

l’importance première de la formation militaire tactique et de la robustesse à la fois physique mais aussi mentale et morale. S’agissant notamment de la gendarmerie mobile, il faut revoir, en mettant en oeuvre l’économie des forces, son schéma fonctionnel pour sanctuariser les créneaux d’entraînement ;

l’efficacité d’un dispositif cohérent intégrant l’ensemble des moyens de la Gendarmerie sous une chaîne de commandement unique, y compris en s’appuyant sur les ressources humaines et technologiques de l’IRCGN (optimisation de la manoeuvre de police judiciaire….);

la pertinence de la planification, du déploiement d’état-majors opérationnels, et d’une résilience  logistique. À l’inverse de la mutualisation et de l’externalisation, la Gendarmerie doit recouvrer son autonomie, notamment dans le domaine du soutien des moyens de mobilité terrestre ;

l’avantage de l’inter-opérabilité avec les armées, en particulier avec les régiments du génie ; cette inter-opérablité, qui s’appuie notamment sur une culture de base commune et une proximité des hiérarchies respectives, doit être confortée.

Un enseignement qui appelle une prise en compte rapide par les responsables politiques, porte sur la nécessité impérieuse d’une mise à plat des armements dont dispose la gendarmerie mobile en situation très dégradée

Les engagements récents en Nouvelle-Calédonie ont en effet mis en exergue :

une grande fragilité dans la capacité à agir dans les 0-40 mètres du fait, d’une interdiction du lancer à main de la grenade GM2L  (Interdiction depuis levée mais mesure malencontreusement limitée à la seule Nouvelle-Calédonie), de l’absence de grenades à effets de souffle puissant (de type GLI, voire OF37) pour se désengager face à des individus lourdement armés, du manque d’efficacité des nouvelles munitions de LBD…sachant que le GIGN est doté de certains moyens de force intermédiaire, à l’efficacité éprouvée, qui pourraient être mis en dotation dans les escadrons de gendarmerie mobile ;

Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance

Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance, suite, il y a une dizaine d’années,  à l’incompréhensible suppression au sein des escadrons de gendarmerie mobile, des cellules observation tireur, équipées alors de carabines Tikka (conservées heureusement au sein des CRS) et de moyens optiques performants.

Un Centaure en action (Photo Sirpa Gendarmerie)

La réflexion prochaine doit également s’intéresser au format de la composante blindée, renouvelée avec l’arrivée des Centaures.

Pourquoi la Gendarmerie doit renouveler ses blindés ? les explications de Bertrand Cavallier

S’il est évidemment à espérer que l’ordre républicain soit rétabli durablement en Nouvelle-Calédonie, au plus grand profit de l’ensemble de la population, dans toutes ses composantes, il faut toutefois bien saisir que ce scénario pourrait se renouveler dans d’autres territoires, y compris et surtout en métropole du fait de l’expansion de zones hautement “volcaniques”, en particulier dans la proximité immédiate de la capitale.

Des hauts gradés de l’armée seront jugés à partir du 9 septembre pour favoritisme et corruption

Des hauts gradés de l’armée seront jugés à partir du 9 septembre pour favoritisme et corruption

L’affaire avait été détaillée notamment par Radio France et Disclose : des militaires et leur prestataire vont être jugés dès lundi.

Par AFP – Paris – Normandie –

https://www.paris-normandie.fr/id557116/article/2024-09-07/des-hauts-grades-de-larmee-seront-juges-partir-du-9-septembre-pour-favoritisme


Plusieurs hauts gradés de l’armée française et un de ses principaux sous-traitants pour la logistique des opérations extérieures (Opex) doivent être jugés à partir de lundi 9 septembre 2024 devant le tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons de corruption et de favoritisme.

Parmi les prévenus figurent huit militaires, au premier rang desquels l’ancien chef d’état-major du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), le colonel Philippe Rives, qui doit comparaître pour favoritisme, corruption passive, violation du secret professionnel et prise illégale d’intérêts.

Un ancien commandant du CSOA, le général Philippe Boussard, un lieutenant-colonel du Commandement des opérations spéciales (COS), Christophe Marie, et le président de la société International Chartering Systems (ICS), Philippe de Jonquières, seront également sur le banc des prévenus.

Ils sont soupçonnés, à des degrés divers, d’avoir participé dans les années 2010 à une opération ayant permis à ICS – qui comparaît comme personne morale – d’être favorisée dans l’attribution de plusieurs marchés de logistique, notamment concernant le transport aérien, pour des Opex de l’armée française.

Des contrats se chiffrant en centaines de millions d’euros

L’histoire a démarré en 2016 par un rapport de la Cour des comptes étudiant les Opex françaises, dont leur logistique. Faute de solution tricolore, entre des Transall vieillissants ou des A400M à la livraison retardée, l’armée française a eu régulièrement recours aux « très gros porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124, « une ressource rare au niveau mondial », comme le rappelaient les magistrats de la rue Cambon.

Comment ? Principalement via deux prestataires extérieurs, l’agence de soutien de l’Otan Salis et le logisticien privé ICS, vieux compagnon de route de l’armée française, pour des contrats se chiffrant en centaines de millions d’euros.

Outre des doutes sur leur avantage stratégique, la Cour des comptes s’interrogeait sur le surcoût des prestations offertes par ICS par rapport à celles de Salis.

Il n’est pas possible de « comparer directement » les deux, avait répondu en mars 2018 le ministère des Armées. La Cour des comptes a finalement signalé à la justice ces faits, comme l’armée un peu plus tard, donnant lieu à une enquête, révélée par le journal Le Monde et ouverte début 2017 par le Parquet national financier (PNF).

Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont perquisitionné en octobre de la même année le CSOA à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) et les locaux d’ICS à Paris.

L’enquête, riche de 8.000 pages selon une source proche du dossier, a abouti, selon des révélations en 2018 de la cellule investigation de Radio France, à la découverte d’échanges soutenus entre plusieurs haut gradés et les responsables d’ICS à des moments-clés de passation de marchés.

Les investigations ont également mis au jour plusieurs manipulations potentielles qui auraient permis à la société d’être mieux notée dans les processus d’attribution.

Procès jusqu’au 25 septembre

Selon une note de synthèse du PNF de juillet 2022 dont l’AFP a eu connaissance, le colonel Philippe Rives, par exemple, est soupçonné d’avoir rédigé, entre février et décembre 2015, « une fiche interne favorable à ICS » ou transmis des informations stratégiques au président de la société, Philippe de Jonquières, en échange de son embauche future comme directeur général adjoint d’ICS.

Philippe Broussard est suspecté de favoritisme, en ce qu’il aurait contribué à ce qu’ICS soit « privilégiée » dans l’attribution des missions, « pour un surcoût minimum estimé de 16,3 millions d’euros ».

En novembre 2017, après l’ouverture de l’enquête pénale, l’armée française n’a pas reconduit le marché qui la liait à ICS sur le marché du fret des opérations extérieures.

En marge de ce dossier, trois journalistes de Radio France et de Disclose qui avaient enquêté sur l’affaire ont été entendus en décembre 2022, en audition libre, par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour des soupçons d’atteinte au secret de la défense nationale.

Le procès est prévu jusqu’au 25 septembre.