Après sa victoire électorale sans appel, Donald Trump a réaffirmé son innocence qualifiant à plusieurs reprises l’acharnement judiciaire dont il était victime de « poursuites fictives » et de « guerre juridique ». Alors que deux autres affaires au niveau de l’État sont en cours, le ministère de la Justice a annoncé mercredi 6 novembre qu’il cherchait à clore deux affaires pénales fédérales concernant le président élu.
L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?
Par Angélique Bouchard – Le Dipolmate Média – publié le 10 novembre 2024
L’écrasante victoire électorale de Trump sonne-t-elle la fin de « la chasse aux sorcières » judiciaire ?
Par Angélique Bouchard – Le Diplomate Média – publié le 10 novembre 2024
Les affaires fédérales :
L’affaire des documents classifiés lors de l’émeute du Capitole
Donald Trump a été inculpé de 37 chefs d’accusation fédéraux en juin 2023 suite à l’enquête du procureur spécial Jack Smith sur l’émeute du Capitole du 6 janvier 2021. Smith a dirigé une enquête sur la conservation de documents classifiés. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’accusation.
L’équipe de campagne de Donald Trump avait demandé une pause partielle sur la base de la décision rendue par la Cour suprême, selon laquelle un ancien président bénéficie d’une immunité substantielle contre les poursuites pour les actes officiels commis pendant son mandat, mais pas pour les actes non officiels.
La juge Aileen Cannon a finalement rejeté l’affaire contre Trump en juillet 2024, estimant que Smith avait été nommé de manière inappropriée au poste de conseiller spécial en vertu de la clause de nomination de la Constitution.
La clause de nomination stipule : « Les ambassadeurs, les autres ministres publics et les consuls, les juges de la Cour suprême et tous les autres fonctionnaires des États-Unis sont nommés par le Président, sous réserve de l’avis et du consentement du Sénat, bien que le Congrès puisse confier la nomination des fonctionnaires subalternes au Président seul, aux tribunaux ou aux chefs de département ». (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).
Or Smith n’a jamais été confirmé par le Sénat.
Smith a fait appel de la décision en août dernier avec le document indiquant : « le procureur général a validé la nomination du procureur spécial, qui est également correctement rémunéré ».
Coup de tonnerre…. Le procureur Jack Smith a dû mettre un terme à ses poursuites contre le président élu Donald Trump avant le jour de son investiture.
Dans un courrier obtenu et publié par Fox News Digital, le 8 novembre 2024, le président de la commission judiciaire de la Chambre des représentants, Jim Jordan et le représentant Barry Loudermilk, ont écrit à Smith. Ils craignent que le procureur spécial, ainsi que les procureurs impliqués dans les enquêtes sur le président élu Donald Trump, ne « purgent » les dossiers pour échapper à toute surveillance et exigent qu’ils produisent au Congrès tous les documents liés aux enquêtes avant la fin du mois de nombre.
Jordan et Loudermilk ont prévenu le que Bureau du conseiller spécial devait respecter le processus de transparence et n’était pas « au-dessus de toute responsabilité pour ses actes » :
Jordan et Loudermilk demandent à Smith de fournir des informations sur l’utilisation du personnel du FBI au sein de son équipe- une demande faite pour la première fois en juin 2023- afin de savoir si « l’un des employés du FBI a déjà travaillé sur d’autres questions concernant le président Trump ».
Les responsables du ministère de la Justice cherchent à clore les affaires pénales fédérales contre Trump alors qu’il se prépare à prêter serment pour un second mandat à la Maison-Blanche, ce qui conforte bien l’impossibilité de poursuivre un président en exercice.
A ce titre, les responsables du ministère de la Justice ont cité une note du Bureau du conseiller juridique déposée en 2000, qui soutient l’argument se rapportant au Watergate, selon lequel il s’agit, pour le ministère de la Justice, d’une violation de la doctrine de la séparation des pouvoirs que d’enquêter sur un président en exercice.
De telles « procédures interfèreraient indûment, de manière directe ou formelle, avec la conduite de la présidence ».
L’affaire d’ingérence électorale
Le fameux procureur spécial Smith a également déposé un autre acte d’accusation dans son enquête contre Trump en août 2023.
Ce dernier a été inculpé de quatre chefs d’accusation fédéraux découlant de l’enquête, notamment de « complot » en vue de frauder les États-Unis, de « complot en vue d’entraver une procédure officielle », d’entrave et de tentative d’entrave à une procédure officielle et de « complot contre les droits ».
Trump a plaidé non coupable de tous les actes d’accusations et a fait valoir « qu’il devait être à l’abri des poursuites pour les actes officiels accomplis en tant que président des États-Unis (Source : Where do Trump’s legal cases stand after massive election win ? par Haley Chi-Sing, Fox News, 8 novembre 2024).
En juillet dernier, la Cour suprême, dans sa décision sur l’immunité présidentielle, a renvoyé l’affaire à un tribunal inférieur.
Trump a été inculpé une deuxième fois en août 2024. Le nouvel acte d’accusation a maintenu les accusations criminelles précédentes tout en modérant les actes d’accusations, après la décision de la Cour suprême, en se référant aux conversations que le président Trump aurait eu avec son vice-président de l’époque, Mike Pence. Smith a soumis un dossier de 165 pages, dans lequel il espérait exposer des preuves suffisantes pour traîner le président Trump en procès.
Or, la juge Tanya Chutkan a ordonné, quelques semaines avant l’élection présidentielle, que davantage de preuves soient rendues publiques.
Un procureur général nommé par Donald Trump pourra immédiatement mettre un terme à toutes les affaires fédérales portées par l’actuel procureur spécial Jack Smith, à Washington, DC et en Floride. Les procureurs et les juges locaux devront arrêter « leur show ».
Les cas d’État :
L’affaire Stormy Daniels : le juge Juan Merchan a un très sérieux problème à résoudre
Le 47ème président élu, Donald Trump doit être encore jugé dans son procès pénal à Manhattan ce mois-ci. Le juge Juan Merchan doit se prononcer sur le rejet ou non des accusations à son encontre, après la décision de la Cour suprême sur l’immunité présidentielle.
Pour rappel, Donald Trump a été reconnu de 34 chefs d’accusation notamment de falsification de documents commerciaux, à l’issue de son premier procès pénal, à Manhattan, en mai dernier. Le procureur Alvin Bragg s’est employé à démontrer que Trump avait falsifié des documents commerciaux pour dissimuler un paiement de 130 000 dollars, à l’ancienne star du porno Stormy Daniels avant l’élection de 2016 pour faire taire l’intéressée quant à une présumée liaison qu’il aurait entretenue avec elle en 2006. Trump a toujours clamé son innocence dans l’affaire.
Le président élu a plaidé non coupable dans cette affaire. Il avait dénoncé le procès comme une imposture, tout en qualifiant Merchan de « corrompu » et coupable de « conflits d’intérêts » faisant référence directement aux liens familiaux du juge avec le Parti démocrate. Trump a également fustigé l’affaire comme une « guerre juridique » entretenue par le ticket Biden-Harris pour anéantir sa campagne électorale.
Trump est dans l’attente de sa sentence, qui doit être prononcée le 26 novembre prochain, soit quatre mois de retard par rapport à la date initiale du jugement qui avait été fixée au 11 juillet 2024.
Les avocats de Trump ont expressément demandé au juge Merchan d’annuler le verdict de culpabilité en mettant en avant la décision de la Cour suprême, qui a statué en juillet dernier sur l’immunité substantielle dont bénéficient les anciens présidents dans l’exercice de leurs fonctions, lors de poursuites concernant des actes non officiels.
Le 15 octobre dernier, la Défense de Donald Trump avait également demandé le transfert de son dossier pénal, de New York, à un tribunal fédéral sur la base de cette même décision de la Cour suprême. Le juge de district Alvin Hellerstein avait rejeté cette demande en septembre.
Les avocats de Donald Trump ont toujours soutenu que le bureau du procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg « avait violé la doctrine concernant l’immunité présidentielle devant le Grand jury et à nouveau, lors du procès de leur client, en se basant sur des actes officiels du président Trump qui ont eu cours lors de son premier mandat ». L’utilisation de preuves issues d’actes officiels, dans de telles procédures, devant le Grand jury et au procès, serait susceptible de violer la Constitution et de menacer la capacité de tous futurs présidents dans l’exercice de leur fonction présidentielle.
La décision de Merchan est attendue le 12 novembre.
Le juge Merchan a démontré qu’il n’était pas un juge ordinaire. Un juge normal aurait rejeté cette affaire. Toutefois, en cas de refus, parce qu’il s’agit d’une demande d’immunité, la défense de Donald Trump aura le droit légal de faire immédiatement appel.
Dans tous les cas, en vertu de la clause de suprématie, il est fort probable que le ministère de la justice intervienne : ni Merchan, ni la cour d’appel ne pourront imposer une peine d’emprisonnement à un président en exercice. Cette affaire restera en suspens jusqu’à ce que Trump quitte le pouvoir.
Merchan n’ira pas à l’encontre de la plus haute cour du pays. Il serait impossible de disséquer l’affaire et de séparer les preuves rattachées à la vie privée de Donald Trump avant qu’il ne soit président aux « actes officiels » durant la première administration Trump
Il est donc très probable que l’affaire Stormy Daniels et celle de Fanni Willis soient terminées.
En rejetant les accusations, la balle sera dans le camp du Procureur de district de Manhattan, Alvin Bragg. Là encore, il est peu probable que Bragg rouvre le dossier. Le président Trump aura pris ses fonctions et le ministère de la Justice agira en vertu de la clause de suprématie selon laquelle aucune plainte pénale ne peut être portée à l’encontre d’un président en exercice tant qu’il est président.
Andrew McCarthy, ancien procureur adjoint des États-Unis pour le district sud de New York a également écrit dans un éditorial que Donald Trump ne risquerait aucune peine de prison dans cette affaire :
« Comprenez-bien que Trump n’ira pas en prison même si Merchan le condamne à une peine d’emprisonnement. Bien que les accusations relèvent de crimes, elles ne sont pas suffisamment graves selon la loi de New York pour mériter une détention immédiate. Trump sera libéré sous caution en attendant l’appel. Étant donné que Trump ne sera pas envoyé de toute façon à Rikers Island par un juge de Manhattan, il serait prudent de reporter la sentence et de permettre à Trump de poursuivre son appel concernant son immunité. Cela éviterait l’inconvenance de soumettre le prochain président des États-Unis, à une condamnation et une peine au pénal alors qu’il est sur le point de prendre ses fonctions » a- t-il précisé.
Le président élu a été inculpé en août 2023, après une enquête criminelle de plusieurs années, menée par des procureurs d’État sur la base de présupposées tentatives de faire annuler l’élection présidentielle de 2020. Il a été en effet inculpé en août dernier avec 18 coaccusés sur ses « efforts présumés » pour renverser l’élection présidentielle de 2020 dans l’État. Trump a plaidé non coupable de tous les chefs d’inculpation.
En mars 2023, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a rejeté six chefs d’accusation portés contre Donald Trump, affirmant que la procureure de district Fani Willis, n’avait pas fourni suffisamment de preuves détaillées. Un mois avant, le juge du comté de Fulton, Scott McAfee a également rejeté deux autres chefs d’accusation criminels contre Trump affirmant que Willis et les procureurs de Géorgie n’avaient pas l’autorité de porter ces accusations sur la base du dépôt présumé de « faux documents devant un tribunal fédéral ».
La procureure de district n’a connu que des échecs dans cette veine tentative de faire traduire Trump en justice.
Le cours des événements a été ensuite bouleversé lorsqu’il a été révélé que Willis aurait eu une « liaison inappropriée » avec Nathan Wade, un procureur qu’elle avait engagé pour l’aider à porter l’affaire contre Trump. Plus précisément, c’est en février dernier, que Michael Roman, un membre du GOP et coaccusé dans l’affaire, a lancé des accusations selon lesquelles Willis aurait eu une liaison avec Wade, qu’elle avait engagé pour poursuivre l’affaire de « racket » en novembre 2021. D’autres coaccusés ont formulé des allégations similaires, selon lesquelles Willis aurait bénéficié financièrement de sa relation avec lui, en passant des vacances de luxe. Wade, a été à l’issue de ces révélations, démis de ses fonctions.
La Cour d’appel de Géorgie a ensuite suspendu la procédure en juin dernier, jusqu’à ce que soit portée l’affaire visant à disqualifier Willis. La cour a également déclaré qu’elle entendrait l’argument de Trump visant à disqualifier Willis, le 5 décembre, soit un mois après sa réélection.
Avec 14 coaccusés restants dans l’affaire de Géorgie, c’était irréaliste de croire que l’affaire serait jugée avant les élections. L’ordonnance de la Cour d’appel a envoyé deux signaux sérieux : le premier, visant les paiements effectués à Nathan Wade et la relation que Willis entretenait avec lui puis le second, se rapportant au discours malavisé de Willis depuis une chaire d’église, qualifiant les accusés de « racistes ».
En effet, Fani Willis avait prononcé un discours dans une église d’Atlanta en janvier 2024, affirmant que Wade et elle-même étaient surveillés en raison de leur « race », ce que le juge McAfee a réprimandé dans une ordonnance du tribunal.
Les Américains ont réélu Donald Trump avec une majorité écrasante. Son mandat est ainsi conforté. Il est désormais tout à fait clair qu’ils souhaitent mettre fin à cette « militarisation du système judiciaire ». Les électeurs ont été clairement perturbés par la pratique systématique des Démocrates, consistant à utiliser les forces de l’ordre et les procédures judiciaires comme des « armes » contre leur principal rival politique.
De plus, dans ces affaires pénales, Trump a quelques cartes non négligeables à jouer, particulièrement à un moment de célébration nationale.
L’immunité est censée pouvoir être immédiatement examinée par les tribunaux supérieurs- la Défense n’a pas à attendre la condamnation et la peine pour faire appel. Par conséquent, les avocats de Trump soutiendront qu’ils pourront faire appel de la décision d’immunité (dans le cas du juge Merchan), bien avant que la peine ne soit prononcée- et ce, devant les deux niveaux d’appel, de New York et potentiellement devant la Cour suprême des États-Unis.
Les affaires ne disparaîtront pas pour autant, cela ne placerait pas Donald Trump au- dessus de la loi. Elles seraient tout simplement « suspendues » afin que l’État ne soit pas en position d’interférer avec la capacité du gouvernement fédéral à gouverner- ce qui est le principe au cœur de la clause de suprématie de la Constitution.
Les Démocrates auront-il tiré la leçon de la victoire écrasante de Trump ? Car la guerre juridique est avant tout anti-américaine.
Le président Biden pourrait donner un exemple puissant de bon sens politique, en agissant comme président unificateur, à l’aube de quitter ses fonctions, en graciant son prédécesseur et son successeur. N’oublions pas que son fils Hunter, reste dans l’attente de sa sentence pour port d’armes et fraude fiscale…
Par Angélique Bouchard – Le Diplomate Média – publié le 10 novembre 2024
Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.
Un officier d’active de Gendarmerie nous a transmis cette tribune dans laquelle il livre ses réflexions sur la doctrine de la Gendarmerie.
Dans l’ombre des institutions républicaines, là où le devoir se mêle à la conscience, une question insidieuse se faufile : un Gendarme, peut-il encore, en son âme et conscience, servir la République sans se sentir en contradiction avec elle ?
Depuis toujours, la mission de service public est érigée en idéal absolu, gravée dans les consciences des militaires comme un serment sacré. Pourtant, derrière cette noble ambition se dresse un autre impératif, plus silencieux, mais tout aussi pesant : celui de la soumission à la machine républicaine. Mais qu’advient-il lorsque la volonté politique, aveuglée par ses ambitions, se heurte à la réalité du terrain ?
Trop souvent, hélas, l’idéalisme des décideurs semble déconnecté des besoins tangibles. Et dans cette déconnexion, les décisions, prises à la hâte et en haut lieu, risquent de s’éloigner de l’intérêt général, celui qu’elles prétendent pourtant défendre.
Dans bien des administrations, ce constat est une source de désillusion. La Gendarmerie nationale, corps militaire longtemps réputé pour sa loyauté et son silence, n’y échappe pas. Si certains ont osé briser ce mutisme, ils restent encore trop rares, tandis que la majorité demeure en retrait, retenant en eux ce goût amer d’impuissance. La “loyauté » républicaine, comme un carcan invisible, les enchaîne à leur devoir, les privant de la liberté d’exprimer leur désarroi.
Depuis plusieurs années, les priorités politiques semblent avoir pris le pas sur le sens profond de nos missions. Une perte de repères s’installe, s’immisce au cœur même de notre conscience professionnelle, fragilisant nos convictions. Nos chefs, jadis guides éclairés, sont eux-mêmes ébranlés, tiraillés entre leur devoir de loyauté et leur liberté de conscience, aujourd’hui réduite à une ombre vacillante. Le glissement est évident : de “serviteurs” de la République, nous sommes devenus ses “instruments”, obéissants à des injonctions qui parfois nous échappent.
Les directives se multiplient, souvent portées par des plans d’action de grande envergure, mais dénuées de sens pour ceux qui arpentent le terrain, jour après jour. Cette avalanche de décisions, détachées des réalités, finit par miner l’adhésion des troupes. Et cette désaffection, imperceptible au premier regard, s’étend peu à peu dans les rangs.
Voici donc, sans fard ni embellissement, quelques points de tension, des interrogations non résolues, que l’on murmure tout bas mais qui mériteraient d’être criées tout haut :
– Le rattachement de la Gendarmerie au ministère de l’Intérieur, une décision dont les effets se font sentir chaque jour.
– Les réformes sur le temps de travail, des mesures textuelles qui alourdissent un peu plus la charge des militaires.
– L’identité militaire, qui se dilue, entre tradition et modernité.
– Le syndrome du “bon élève”, ce besoin constant de prouver sa valeur, au détriment parfois de l’autonomie.
– Les liens complexes avec l’autorité administrative, qui semblent parfois peser davantage que le bien commun.
– La lutte entre la prévention de voie publique et le poids du judiciaire, une bataille silencieuse mais constante.
– La longévité de la Gendarmerie face à la Police nationale, une question d’équilibre des forces et des moyens.
Enfin, et surtout, la volonté du politique, si souvent en décalage avec la réalité du terrain, qui érode peu à peu la quête de sens des Gendarmes.
Dans un contexte de tensions sociales et d’instabilité politique croissante, cette lente dégradation, déjà bien amorcée, pourrait-elle encore susciter l’intérêt chez les décideurs, ou sommes-nous condamnés au silence ?
La quête de Sens ou la soumission républicaine : réflexions sur la doctrine de la Gendarmerie
Dans l’intimité silencieuse de mon bureau, une question me ronge, obsédante, presque impertinente. Ai-je encore le droit de me poser des questions, de douter, face à l’Institution à laquelle je voue mon quotidien ? Qu’on ne s’y méprenne pas, mes mots ne sont ni une révolte ni une revendication militante. Ils sont le fruit d’une réflexion, sincère, lucide, sur ce qu’est devenue la Gendarmerie, ce bastion séculaire qui vacille sous le poids des changements.
Les réformes se sont succédé, bouleversant les fondations mêmes de notre maison. Loi du 3 août 2009, PSQ, DGE, PVP… (politique de sécurité du quotidien, dispositif de gestion de l’évènement, présence voie publique) des sigles qui défilent comme des promesses, mais qui, sur le terrain, créent un gouffre. Un gouffre entre la réalité politique, façonnée dans les couloirs feutrés du pouvoir, et la dure réalité opérationnelle que nous vivons chaque jour.
Le fossé se creuse, et avec lui, le malaise grandit. Nous, gendarmes, sommes appelés à “l’intelligence des territoires”, à l’adaptation, à l’initiative locale. Mais ces belles intentions se heurtent sans cesse à des directives nationales, aveugles aux particularités de nos territoires. Nous sommes devenus les exécutants d’ordres venus d’en haut, sans qu’un regard ne soit posé sur ce qui fait la singularité de chaque ville, de chaque route que nous arpentons. La DGE, la PVP… autant d’outils qui, bien qu’essentiels sur le papier, se transforment en carcans sur le terrain.
Prenons l’exemple de la sécurisation des églises ou des écoles. Nous voilà sommés, sans ménagement, de placer un gendarme devant chaque lieu de culte, devant chaque établissement. La directive est formelle, rigide. Mais, à l’heure où nos ressources s’amenuisent et où chaque mission en chasse une autre, comment pouvons-nous répondre à cette demande ? Nous ne sommes pas des surhommes, et la réalité finit par nous rattraper. Pourtant, qui, parmi ceux qui nous dirigent, s’est posé la question du rapport bénéfice-risque ? Qui a pris le temps de réfléchir à la faisabilité, à l’impact réel sur le terrain ? Non, cela n’a pas d’importance. L’ordre est politique, et donc, il ne peut être contesté.
Nous ne demandons pas à désobéir. La loyauté, nous l’avons ancrée dans notre ADN. Mais à force de suivre aveuglément, sans jamais remettre en question, ne risquons-nous pas de perdre ce qui fait notre essence même ? La prise de risque, l’initiative, ne sont plus encouragées. Chaque échelon supérieur interfère, empêche, verrouille les décisions locales. Le commandement unique, cet héritage qui a forgé notre Institution, semble aujourd’hui menacé.
Les « spécialistes » se multiplient. Chaque domaine a désormais son référent, son expert. Cela pourrait sembler vertueux, une montée en compétence, un gage de professionnalisme. Mais à quel prix ? La polyvalence, autrefois notre force, est en train de disparaître. Nos brigadiers, ces hommes et ces femmes capables de tout, se retrouvent enfermés dans des rôles cloisonnés, incapables d’agir avec la liberté d’antan.
Un autre exemple, plus subtil mais tout aussi parlant : la fameuse PVP. Cette volonté de rapprocher la Gendarmerie de ses citoyens, de renouer le lien, est louable. Mais sur le terrain, que constatons- nous ? Une pression statistique qui déforme la réalité. Les chiffres augmentent, mais qu’en est-il du véritable impact ? Nos outils ne reflètent pas notre quotidien, ils alimentent une vision déconnectée, une illusion qui fait dire aux élus : “On ne vous voit pas assez”. Cette perception est peut-être juste dans certains territoires, mais pas partout. Et pourtant, pour satisfaire cette soif de chiffres, nous trichons, nous adaptons nos rapports, non par malhonnêteté, mais par obligation.
Et là réside le nœud du problème. Nous avons cessé d’être des acteurs de notre propre mission.
Nous disons ce que nos chefs veulent entendre. Nous validons, nous acquiesçons, par peur de remettre en question, par crainte de compromettre une carrière. Le courage intellectuel a cédé le pas à l’obéissance aveugle.
Notre liberté d’action, tant enseignée, tant valorisée, s’est évaporée, étouffée sous le poids de la hiérarchie et de la bureaucratie.
L’immédiateté gouverne tout
Cette situation n’est pas nouvelle, mais elle s’aggrave. L’immédiateté gouverne tout. Chaque événement, chaque incident est scruté par tous les échelons, avant même que les premiers éléments ne remontent aux responsables opérationnels. L’urgence devient la norme, et avec elle, une infobésité qui nous submerge. Les mails, les comptes-rendus, les ordres qui se bousculent… tout devient prioritaire, tout devient urgent. Et dans ce flot continu d’informations, nous ne faisons plus que réagir, sans jamais anticiper.
À cela s’ajoute la “communication”. Celle qui flatte l’ego, qui alimente le narcissisme de certains, qui pensent réinventer le métier. Ces “influenceurs”, comme ils aiment à se nommer, réduisent notre engagement à des images, des slogans. La médiocrité s’installe, insidieusement.
Enfin, une réforme de la déconcentration est en marche, voulue par le président de la République, avec pour ambition de simplifier l’action publique. Mais peut-on vraiment y croire ? Les bonnes intentions sont là, certes, mais sur le terrain, la réalité est toute autre. Les autres administrations ne suivent pas, la cadence n’est pas la même, et nous, gendarmes, continuons de crouler sous nos dossiers, sous les heures “bureau”, sous les enquêtes qui s’empilent.
Malgré tout, il nous est demandé de rester fidèles, de continuer à servir, sans questionner. Mais est- ce cela, être loyal ? Est-ce accepter sans jamais remettre en question ? Sommes-nous condamnés à une soumission aveugle, à ne plus nous appartenir, à sacrifier ce qui faisait de nous des gendarmes et non des policiers ?
La policisation de notre Institution est en marche. Et avec elle, c’est peut-être notre âme que nous perdons.
Le corpus de lois que vient de publier le pouvoir des talibans définit de très nombreux interdits, notamment concernant les femmes. Mais au-delà de cette dimension, il s’agit d’un texte dont l’étude permet de mieux appréhender l’univers mental, à la fois ancré dans une vision ancienne de l’islam et imprégnée de modernité technique, qui est celui du régime en place dans le pays depuis l’été 2021.
Le 23 août 2024, le « ministère de la Justice » de l’autoproclamé « Émirat islamique d’Afghanistan » a publié dans son Journal officiel un décret (firmān) intitulé « Loi en vue d’ordonner le bien et d’interdire le mal » (n° 1452). Il a été approuvé par le « très-haut, le commandeur des croyants », le mollah Haibatullah Akhundzada, né en 1961, chef des talibans au moins depuis 2021 et leur victoire contre la coalition internationale menée par les États-Unis.
L’homme, qui a une formation de juriste et s’est spécialisé dans les questions de mœurs, est habitué à publier des avis juridiques sur l’organisation de la vie en Afghanistan. Ce disciple du mollah Omar, mort en 2013, en a récupéré la titulature de type califal, amīr al-muʾminīn, « chef des fidèles », ou « commandeur des croyants », qui recouvre une dimension à la fois politique, religieuse et militaire. Bien que prestigieux et inscrit dans l’histoire de l’islam médiéval, un tel titre n’implique pas la résurrection du califat. En effet, stratégiquement, le califat a laissé des marques trop sanglantes à travers Daech pour être pertinent aujourd’hui. En outre, aucun membre des talibans ne peut y prétendre selon la réglementation rappelée par le juriste chafiite al-Mawardi (972-1058) dans ses Statuts gouvernementaux, texte sur lequel s’appuient les talibans, bien qu’ils se réclament explicitement du maḏhab hanafite, l’une des quatre grandes écoles sunnites (le document utilise l’expression « selon la jurisprudence hanafite », p. 13.).
Cette législation a suscité une émotion légitime dans la communauté internationale, car elle renforce la ségrégation subie par les femmes afghanes. Toutefois, une analyse plus détaillée permet d’élargir le champ de l’étude et d’envisager d’autres aspects, tout aussi essentiels.
Présentation de la source
Le document, qui comporte 114 pages et 35 articles répartis en quatre chapitres, est rédigé en dari et en pachtô, les deux langues officielles d’Afghanistan. Il comporte de nombreux passages en arabe et de vastes justifications et références en notes de bas de page.
Parmi celles-ci on relève une forte place accordée au Coran, aux recueils de hadith, aux dits des grands califes, à al-Mawardi déjà évoqué, aux traités médiévaux du fiqh hanafite ainsi qu’à l’imam Ibn Abidin, le grand juriste ottoman de Damas, mort en 1836.
Il y a là sans doute une manière pour les talibans de se rattacher à une autorité majeure et incontestée du maḏhab hanafite. Cet imam est pourtant connu pour ses solutions juridiques souples et pour avoir été le promoteur d’une adaptation du fiqh aux conditions modernes.
La préface
La préface (p. 5-15) justifie le décret en reprenant une formule classique : « La présente loi a pour but d’organiser les questions relatives à la promotion de la vertu et à la prévention du vice » (p. 6).
En effet, dès la fin du VIIIe siècle, l’élaboration du droit sous contrôle califal devait permettre de rappeler le comportement attendu des musulmans, afin que chacun endosse la « curatelle » de ses frères, c’est-à-dire la correction de leurs fautes, la promotion du bien sur le mal que le Coran attribue à la communauté (la Umma) : « Vous êtes la meilleure Umma qu’on ait fait surgir pour les hommes : vous ordonnez le convenable et interdisez le blâmable » (sourate 3, verset 110). Comme beaucoup d’autres, le célèbre théologien et mystique d’origine persane al-Ghazali (1058-1111) insista sur ce redressement des mœurs, consistant en une censure collective des actes répréhensibles publics, le jugement de la faute intime appartenant à Dieu.
L’essentiel de la préface consiste à donner la terminologie (ou à la redonner pour ceux qui l’ignoreraient, en Afghanistan ou ailleurs) des fonctions islamiques officielles au sein du pays, mais aussi dans tout émirat respectant les règles énoncées par al-Mawardi au XIe siècle (p. 7-11). Sont ainsi définis dix termes classiques, références idéalisées et anachroniques de la plupart des régimes islamistes, dont le muḥtasib, « délégué par le commandeur des croyants », qui est un contrôleur des marchés et du comportement public, dont le but est d’« empêcher toute infraction aux dispositions de la charia » (p. 7) ; le maʿrūf (la vertu ou le bien) ; le munkar (le vice ou le mal) ; le taʿzīr, c’est-à-dire le châtiment prévu dans le droit pénal ancien (« action entreprise en accord avec un règlement de la charia musulmane ou avec une loi en particulier par son exécutant lorsqu’un acte manifeste contrevient à la charia », p. 10) ; ou encore le « ḥijāb légiféré », dont la définition ne se limite pas à la femme : « Vêtement qui couvre tout le corps d’une femme et qui est porté par toute personne qui n’est pas son maḥram [c’est-à-dire un homme qui n’est pas son proche parent] » (p. 11). Notons que ces termes et ces définitions sont d’une grande banalité dans l’éducation historique musulmane, et qu’ils trahissent la naïveté ou l’inculture du public visé, surtout au regard de la nature officielle du texte. D’une certaine manière, ces notions historiques sont aussi courantes dans le monde musulman que ceux de roi, empereur, Église, évêque, dans l’univers européen.
Viennent alors le nom des administrations, des agents et des domaines d’application (pp. 12-16) et, au premier chef, le « ministère de la Promotion de la Vertu, de l’Interdiction du Vice et de l’Audition des Plaintes ». Le but de l’institution est « de promouvoir la paix [ṣulḥ, le compromis ou la réconciliation] et la fraternité au sein de la population et de la dissuader des préjugés ethniques (nationaux, claniques), linguistiques et régionaux ». La précision est sans doute importante en raison du contexte multiculturel afghan, où des oppositions fortes se sont manifestées régulièrement dès l’invasion soviétique en 1979 entre Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras chiites. L’unité du pays dans l’islam ne saurait être menacée par des querelles communautaristes.
Dernier point notable de cette préface : est mentionnée à plusieurs reprises la responsabilité collective face au mal (la « curatelle »), conformément à la tradition sunnite, mais aussitôt réduite dans son champ d’application « à la responsabilité exclusive du muḥtasib » (p. 15), ce qui revient à affirmer prioritairement l’autorité de l’État central sur les velléités personnelles ou claniques de sanction au sein de la société.
Les règles du droit (I)
La première partie (pp. 16-30) énonce une série de règles de droit, et cela en deux temps. Tout d’abord sont mentionnés « les principes relatifs à leur exécution » : respect des conditions sociales et de la dignité humaine ; seuls sont interdits les comportements visibles et publics, et nullement ceux qui relèvent de l’intimité des personnes, qu’il s’agisse du foyer ou du for interne (la niyya) ; exigence pour toute infraction de deux témoins de bonne réputation au minimum ; ne sont poursuivis que les délits qualifiables et constatables, soit par une enquête soit de manière évidente.
Les talibans ne font ici que rappeler des éléments médiévaux, notamment la niyya, qui désigne la conviction intérieure du croyant qui anime ses actes de piété et les rend valides. Or, depuis la crise muʿtazilite du IXe siècle, il est acquis que nul pouvoir ne peut arbitrairement interroger l’intériorité des suspects pour y déceler l’hérésie ou une culpabilité doctrinale, car l’intimité n’appartient qu’à Dieu et lui seul est juge des pensées cachées. Ainsi l’encyclopédiste muʿtazilite al-Jahiz (776-867) fixe des limites à la procédure inquisitoriale : « Soumettre à l’épreuve un suspect ne veut pas dire violer son intimité. Sinon, le cadi le [juge] serait la personne la plus coupable de violer les secrets et de dévoiler ce qui ne doit pas l’être. »
Dans un deuxième temps, la source fait mention des dispositifs vestimentaires touchant les hommes et les femmes (pp. 26-29), point qui a suscité la réprobation internationale :
Réglementation attachée au ḥijāb des femmes :
Une femme est tenue de couvrir tout son corps.
Une femme doit se couvrir le visage afin d’éviter que se produisent certaines fitna [divisions dans la communauté ou troubles sociaux].
Les voix des femmes (dans une chanson, un hymne ou un récital à voix haute lors d’un rassemblement) sont également à recouvrir.
Les vêtements d’une femme ne doivent pas être fins, courts ou serrés.
Il est de la responsabilité des femmes de cacher leur corps et leur visage aux hommes qui ne sont pas leurs maḥram.
Il est obligatoire pour les femmes musulmanes et pieuses de se couvrir devant les femmes non croyantes ou dépravées, afin d’éviter toute fitna.
Il est interdit aux non-maḥram de regarder le corps ou le visage d’une femme. De même, les femmes n’ont pas le droit de regarder des hommes inconnus.
Si une femme adulte quitte la maison en raison d’un besoin urgent, elle a le devoir de dissimuler sa voix, son visage et son corps.
Et les hommes d’être contraints, eux aussi, à couvrir leur corps de la taille aux genoux, notamment dans le cadre de leur profession et aussi de leurs loisirs (p. 29).
Le firmān s’applique à suivre la définition du vêtement « légiféré », c’est-à-dire répondant aux exigences de tenue des femmes selon l’interprétation du droit hanafite médiéval. Il s’inspire des hadiths, mais se garde de rejoindre la tradition hanbalite, maḏhab rigoriste qui n’a quasiment plus de place officielle nulle part, même en Arabie saoudite, ou si ce n’est chez les salafistes. De fait, les gants ne sont pas mentionnés, ni l’interdiction des motifs imprimés, de l’usage de la soie ou d’une couleur particulière. Il n’est pas dit que les femmes doivent sortir de chez elles accompagnées d’un tuteur (wakīl), ce qui est pourtant la norme dans les zones pachtounes d’Afghanistan qui obéissent aussi à un autre code, tribal et coutumier celui-ci, le pachtounwali, lequel impose la claustration des femmes pubères, contrairement au droit hanafite.
Les agents et leurs domaines de compétences (II)
La seconde partie désigne aux agents exécutifs de l’Émirat leurs principaux objets d’attention (pp. 32-72) :
La presse et les organes d’information (pp. 32-34), lesquels ne doivent rien publier allant à l’encontre des « règles vertueuses » (ex. : le vice, la moquerie, les dessins animés).
La vie économique (pp. 35-45). Tous les travailleurs doivent prier en commun aux heures légales, payer la zakāt (l’aumône), suivre le_ maḏhab h_anafite dans leurs affaires, éviter l’usure, la duperie dans le commerce, etc.
Le tourisme (pp. 46-48), chaque site devant avoir une mosquée.
La circulation routière (pp. 49-51). La drogue, la contrebande et la musique sont interdites au volant, de même que les femmes ne peuvent voyager seules ni découvertes.
Les bains publics (p. 52).
Suit une longue liste d’infractions morales individuelles (pp. 53-72), dont : l’adultère, le lesbianisme (l’homosexualité masculine n’est pas explicitement nommée), la sodomie (même conjugale), la pédophilie, les jeux de hasard (pourtant très prisés dans certaines provinces afghanes), les combats d’animaux (même remarque), l’usage abusif d’appareils audio et vidéo, les retards à la prière, les refus de jeûne, les barbes trop courtes, les relations amicales avec des non-musulmans, les fêtes persanes, la désobéissance envers les parents, la sévérité envers les orphelins, la possession de croix ou de cravates.
Sont ici mélangés pêle-mêle des usages de bon comportement, des coutumes et des délits qui relèvent pourtant des mêmes agents publics, lesquels ne peuvent évidemment pas intervenir systématiquement sans le soutien du voisinage (et donc de la dénonciation – on ne parle pas de délation, car les dénonciations ne peuvent être anonymes). L’idéal est d’obéir à des coutumes qui soient à la fois locales et musulmanes, et plus encore non occidentales, car les talibans associent le culturel et le religieux.
Le droit hanafite médiéval ne condamne pas les relations avec les chrétiens et les Juifs. En revanche, le wahhabisme a popularisé depuis le XVIIIe siècle le double concept « d’allégeance et de désaveu » (al-walāʾ wa l-barāʾ), lequel impose à tout musulman de se détacher des infidèles, des apostats, des soufis, des chiites, des Juifs, des « croisés » (les chrétiens européens), et même de les haïr, sous peine d’être excommunié.
Or, les talibans ont été marqués par l’influence wahhabite – liée au maḏhab hanbalite –, notamment lors de la guerre contre l’URSS (1979-1989), lorsque plusieurs millions d’Aghfans trouvèrent refuge au Pakistan, où les madrasa saoudiennes se mobilisèrent pour les scolariser. Le décret se trouve ici dans une position intermédiaire, ni totalement hanafite, ni parfaitement hanbalite, mais cherche un compromis pour mieux dénoncer ceux qui ont pactisé avec les États-Unis. Il n’est pas sans contradiction avec la réalité géopolitique du gouvernement taliban, qui mène une diplomatie active avec la Chine, « amitié » qui pourrait être condamnée au regard de ce firmān.
Les sanctions (III)
Enfin, la troisième partie s’attache aux sanctions elles-mêmes (pp. 73-79) et insiste sur la responsabilité des agents de l’État dans ce domaine. Aucun taʿzīr ne s’applique automatiquement, car il faut d’abord exhorter le pécheur, le menacer des sévérités de la loi avant de le punir par une amende, puis par la prison, et enfin par d’autres sanctions (sous-entendu : corporelles), si son crime le nécessite. On tiendra compte alors de la réputation (religieuse et morale) du prévenu et de son comportement devant l’autorité judiciaire, ce qui est une manière de dire, conformément au droit classique, que des accommodements (ḥiyal) sont toujours possibles.
En revanche, les peines corporelles ne sont pas évoquées, alors qu’elles auraient pu l’être si le décret prétendait restaurer la législation hanafite abbasside ou ottomane.
La source se termine par une quatrième partie (« Injonctions diverses », pp. 80-87), mais répétitive par rapport au contenu des trois autres).
La législation d’un pays fantasmé
La lecture du décret n° 1452 de l’Émirat d’Afghanistan démontre qu’il n’est pas d’abord une loi contre les femmes, ou du moins que ce n’est pas sa nature profonde. Il s’agit d’un acte législatif de souveraineté et d’autojustification au regard de la norme islamique hanafite, celle des IXe-XIe siècles, revivifiée au XIXe siècle par Ibn Abidin dans le contexte précolonial.
Il vise à démontrer combien la vie quotidienne afghane depuis 2021 suit une tradition historique sûre, éprouvée, validée par les plus grands imams sunnites au-delà du cercle hanafite, et par les références incontournables du Coran et de la Sunna. Grâce à ces autorités prestigieuses, les talibans entendent non pas renforcer, car c’est inutile, mais légitimer leur contrôle social, limiter les tensions ethnico-provinciales au nom d’une unité théorique et détourner la curatelle sociale au profit de l’État.
Cet État singe de manière pathétique le califat médiéval – sans calife en titre – et pour cela exhume des fonctions anciennes qui ne peuvent être efficaces sans un appareil administratif moderne, lequel existe bel et bien dans le pays, mais dont la source ne parle pas. De même qu’il évacue la référence aux coutumes tribales, aux chiites du pays, au soufisme parfaitement accepté dans le pays (contrairement au hanbalisme), au pachtounwali, qui semblent ici inexistants.
L’Émirat devient un pays irréel, coupé de toute histoire, de toute géopolitique, même si son État a des prétentions de contrôle très modernes (la presse, l’économie, le tourisme, le comportement individuel, etc.). Le citoyen – qu’il soit homme ou femme – apparaît ici comme un être télétransporté au Xe siècle pour sa vie morale, et enraciné dans le XXIe siècle pour ce qui relève de l’obéissance à l’État.
De toute évidence, un tel décret ne changera rien à la situation quotidienne des habitants, mais pourrait avoir une fonction de communication ou de propagande religieuse vers l’extérieur (la Daʿwa), vers ceux qui rêvaient d’un système islamiste idéalisé et que Daech (ou sa défaite) a déçus.
Olivier Hanne, Chercheur associé au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM), Université de Poitiers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Olivier Hanne
Docteur en histoire, agrégé, Olivier Hanne est chercheur associé à l’Université Aix-Marseille et professeur à l’ESM Saint-Cyr. Il est spécialiste du monde musulman et a publié de nombreux livres sur ce sujet.
Immigration clandestine dans l’hexagone et outre-mer, narcotrafic, tranquillité publique, contestation sociale, terrorisme islamique et écoterrorisme, le futur ministre de l’Intérieur fait face à des attentes très lourdes en matière de sécurité dans un contexte budgétaire très tendu.
Fort d’une longue et riche expérience, commandant de groupement de gendarmerie départementale et de gendarmerie mobile, commandant du centre national d’entrainement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier, commandant de région, et sous-directeur des compétences, le général de division (2S) de Gendarmerie Bertrand Cavallier, l’un des meilleurs experts français en matière de sécurité intérieure et de défense passe en revue les défis qui attendent le gouvernement. Dans une seconde interview qui sera publiée dans les jours prochain, il se penche sur les défis qui attendent le futur chef des gendarmes qui devrait être nommé rapidement.
LVDGUn nouveau ministre de l’Intérieur va être nommé. Quelles sont, d’après vous les leviers à sa disposition pour améliorer l’efficience des forces de sécurité intérieure et de ce fait la sécurité des Français ?
Trois grands défis essentiels, pour ne pas dire vitaux, mais inter-agissants, sont à relever par la France : celui tout d’abord de l’économie qui conditionne tout le reste. N’oublions pas que la charge de la dette va bientôt peser davantage que le budget de la Défense alors même que l’environnement géopolitique est de plus en plus désordonné et menaçant. Ensuite, celui de l’éducation qui conditionne le maintien de notre pacte social par l’appropriation de nos valeurs communes, non négociables, mais aussi notre capacité à innover dans un environnement notamment technologique de plus en plus compétitif marqué par le recul constant de la France. Enfin, celui sécuritaire, tant on constate une augmentation considérable de la violence, des fractures, qui menacent la cohésion et la survie de notre nation, sous l’effet notamment d’une immigration massive.
Le futur ministre de l’Intérieur devra pleinement s’emparer de ces enjeux sachant que le déni de réalité ne fonctionne plus. La légèreté d’être des élites depuis des décennies, pour ne pas dire leur lâcheté par crainte de la pensée politiquement correcte et du coût social devant être assumé par celui qui osait tenir un discours de vérité, suscite une révolte croissante dans la population, révolte légitime.
Cependant, la tâche du ministère de l’Intérieur va s’avérer très ardue du fait d’un contexte budgétaire catastrophique qui impose d’en finir avec la surenchère de moyens et d’acquis catégoriels, le syndrome du quoi qu’il en coûte, sous notamment la pression des syndicats.
L’intervention du premier président de la Cour des Comptes, dans le Figaro (version numérique du 8 septembre) est très claire : “Ce sera sans doute le budget le plus délicat de la Ve République …il va falloir une rupture…un pays trop endetté est un pays impuissant”.
La Cour des comptes avait déjà sonné l’alarme s’agissant du ministère de l’Intérieur en constatant que, malgré une hausse significative de la masse salariale – entendre plus de gendarmes et policiers, certes pour compenser partiellement les réductions d’effectifs mises en oeuvre sous la présidence Sarkozy, mais également des avantages catégoriels – , on observait une diminution constante de la présence des forces de l’ordre sur le terrain, ainsi qu’une érosion des taux d’élucidation. Plus récemment, dans une note parue le 7 juillet dernier, et intitulée “Les forces de sécurité intérieure : des moyens accrus, une efficience à renforcer”, la même juridiction déclarait que “des hausses de crédits ont été consacrées aux augmentations salariales des policiers et gendarmes prévues dans le cadre du “Beauvau de la Sécurité”, finançant des primes souvent sans cohérence… ”.
Un impératif de redevabilité envers la nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées
Il ne s’agit pas ici de fustiger le gendarme ou le policier en soi, sachant que nombre d’entre eux sont dévoués, et prennent des risques dans un environnement de plus en plus menaçant mais d’enfin poser certains principes :
Il y a un cadre budgétaire donné, et désormais, il n’y a plus de marge. Ce qui doit être intégré par les organisations syndicales, dont les ressorts, tels qu’ils m’ont été confiés par certains responsables, sont guidés principalement par “le maintien du nombre d’encartés”, donc assez éloignés de l’intérêt général.
La question de la durée de temps de travail réelle
Il y a un impératif de redevabilité envers la Nation lorsque des avancées catégorielles sont accordées (à noter que ces dernières années, les négocations étaient limitées à leur plus simple expression tant les gouvernements cédaient sur tous les points).
Comme l’évoquait la Cour des Comptes, il faut s’interroger, sur des règles d’organisation du service, de fonctionnement, très complexes, et pour partie non appliquées.
Ceci doit conduire à poser la question de la durée de temps de travail réelle, lors d’une journée de service, mais plus encore mesurée sur toute une année (ce qui est encore plus explicite) d’un policier ou d’un gendarme. Ceci renvoie également au poids grandissant des polices municipales qui vont jusqu’à se substituer à la force étatique, dans certaines communes d’importance.
En d’autres termes, il faut en finir avec ces discours surréalistes tenus sur certains plateaux de télévision, par des prétendus experts, et des acteurs corporatistes, justifiant de nouvelles demandes exorbitantes en mettant en exergue la sécurité dans Paris à l’occasion des Jeux Olympiques.
Comme s’il était possible de durablement saturer l’espace public avec 18000 gendarmes, de milliers de policiers, dont beaucoup issus de la province, une vingtaine de milliers de militaires de Sentinelle….
Les leviers dont va donc disposer le ministère de l’Intérieur auront pour préalable un discours de vérité, un constat lucide et objectif, nécessitant un courage certain. J’insisterai notamment sur trois leviers qui me semblent majeurs.
Le premier levier : le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique
Le premier levier portera sur le nécessaire renouveau de la hiérarchie policière et gendarmique, laquelle doit retrouver toute sa place, pour redonner une cohérence à l’ensemble du système, tant dans son organisation que dans son fonctionnement. Une hiérarchie qui attend cette mesure de bon sens, et pour affirmer cela, je m’appuie sur nombre de confidences, car il est depuis des années hasardeux pour ses membres de parler ouvertement de sa fragilisation, voire parfois de sa marginalisation, j’évoquerai dans cet article le cas particulier de la hiérarchie en Gendarmerie.
Elargir les conditions d’usage des armes, simplifier les procédures pénales
Le second concerne le soutien aux gendarmes et policiers de terrain, les producteurs premiers de sécurité.
Il faut élargir les conditions d’usage des armes, lesquelles ont en particulier été considérablement restreintes pour les gendarmes, et qui globalement, de toute évidence, ne sont plus adaptées au contexte sécuritaire. Elles Induisent une véritable inhibition face à l’usage des armes chez les gendarmes et policiers alors qu’ils sont confrontés à des comportements de plus agressifs, à une délinquance de plus en plus violente, déterminée, et disposant de plus en plus d’armes de guerre, sans évoquer la généralisation des refus d’obtempérer.
C’est un point capital, au-delà des forces de l’ordre, pour la défense de notre société, qui mérite un développement particulier. J’ajouterai la simplification des procédures pénales, tant aujourd’hui elles accaparent gendarmes et policiers, pour des résultats finaux au demeurant décourageants du fait de la saturation des services de justice.
Le ministre devra se positionner sur la répartition Police Gendarmerie
Le troisième a trait à la problématique migratoire. Je l’aborde ci-dessous.
Enfin, Les Jeux olympiques et paralympiques étant passés, le futur ministre de l’Intérieur – à l’inverse de son prédécesseur qui a fait machine arrière sur ce sujet- ne pourra pas s’exonérer de se positionner sur les recommandations du Livre blanc concernant les redéploiements Police Gendarmerie.
Il devra dire s’il est favorable, quitte à s’affirmer face à certains syndicats de police à ce que la Gendarmerie prenne en compte la sécurité publique de villes moyennes comme par exemple Cannes, Digne, Mende, Lons-Le-Saunier, et des départements complets tels que le préconisait le Livre blanc.
LVDGRéduire drastiquement l’immigration illégale est l’un des principaux challenges du futur ministre de l’Intérieur. Pourquoi ne pas donner davantage de place à la Gendarmerie dans le dispositif humain d’autant que de nombreux secteurs de passage, au Sud et à l’ouest sont en zone de compétence Gendarmerie ? Un ancien directeur de la Police aux frontières vient d’ailleurs dans un livre de constater des moyens humains et technologiques limités.
Bertrand Cavallier La lutte contre l’immigration illégale (ou clandestine) est devenue capitale à deux titres : d’une part, elle constitue un des facteurs majeurs de criminalité qu’aucun politique sérieux ne conteste aujourd’hui. Ainsi, comme cela était avancé dans l’Opinion du 9 novembre 2022, “s’appuyant sur les statistiques, Gérard Darmanin mais aussi Emmanuel Macron ont fait sauter le tabou entre immigration et insécurité. Il y a en effet une réalité factuelle”. Plus récemment, sur Cnews, le 27 mai 2024, la députée Ensemble pour la République Maud Bregeon déclarait :“ Il y a aujourd’hui en France un lien entre insécurité et immigration”. Violence voie publique, trafic de stupéfiants, agressions de femmes…Cette triste réalité s’impose en effet ;
d’autre part, elle provoque aujourd’hui de par la nature et la masse des flux (qui pourrait se traduire en submersion de l’Europe), sur fond de confrontation civilisationnelle, la partition des territoires, annoncée par Gérard Collomb, admise par François Hollande alors président de la République. Cette confrontation s’exprime de plus en plus en termes de conception de la personne, de la place de la femme, de l’acceptation de l’homosexualité, de la vision de la société, du droit applicable…tels qu’existant dans la majorité des pays à majorité musulmane.
Le défi est immense. Et comme le déclare le Premier ministre, Michel Barnier, “il y a le sentiment que les frontières sont des passoires et que les flux migratoires ne sont plus maîtrisés. Et nous allons les maîtriser avec des mesures concrètes”.
Immigration : une nécessaire réforme des normes juridiques et une révision complète de la manœuvre opérationnelle
Avant d’aborder la question sous un angle franco-français, et de nature technique, rappelons que cette question relève au premier chef de l’Union Européenne. C’est à ce niveau que doivent être initiés :
tout d’abord une réforme des normes juridiques, en s’affranchissant notamment dans ce domaine de la CEDH (Cour Européenne des droits de l’homme), en posant prioritairement la question si sensible du droit d’asile, auquel est éligible la moitié de l’humanité ;
d’autre part une révision complète de la manoeuvre opérationnelle qui imposerait de mettre en oeuvre une protection effective des frontières européennes, appelant notamment une action de l’avant dans les espaces maritimes, relevant d’un commandement militaire, compte tenu de l’étendue et de la complexité de la zone d’action, du volume des flux et de leurs modes opératoires, et des moyens à déployer.
Je n’évoquerai pas la question des laissez-passer consulaires tant il est évident que la France – qui reste la 7ème puissance mondiale, doit réaffirmer sa souveraineté, et ne saurait en particulier se soumettre aux volontés de l’Algérie, du Mali…ou de quelque autre état.
La Gendarmerie davantage impliquée dans la lutte contre l’immigration clandestine ?
Le droit du sol, dont la suppression à Mayotte devait faire l’objet d’un projet de loi constitutionnelle, repoussé en raison de la dissolution, doit l’être également dans les autres territoires ultramarins, en particulier de manière urgente en Guyane où des surinamaises viennent accoucher en très grand nombre.
La direction nationale de la police aux frontières (DNPAF) est la direction spécialisée est en charge du contrôle aux frontières et de la lutte contre l’immigration irrégulière.
Elle a donc dans ces domaines un rôle central en terme de définition des objectifs et de coordination.
Pour autant, le contrôle aux frontières et la lutte contre l’immigration irrégulière exige aujourd’hui une autre approche opérationnelle. Il s’agit en effet d’interdire de vastes segments, dans des terrains souvent complexes, appelant des manoeuvres d’envergure, s’appuyant dans la profondeur, et nécessitant le déploiement d’effectifs importants, robustes, aptes si nécessaire à l’engagement de force. Dans ses zones de compétence, la gendarmerie a naturellement vocation à répondre à de telles exigences.
Sous réserve qu’elle soit engagée selon le principe de contrats opérationnels lui permettant de valoriser les atouts que lui confèrent sa culture militaire en termes de planification, d’organisation du commandement (articulation en groupements tactiques Gendarmerie intégrant l’ensemble de ses moyens dont ceux aériens), de modes opératoires, et évidemment sa connaissance intime du terrain qu’apportent ses unités territoriales. Coordonnée au niveau de région zonale avec la Sous-direction des frontières, la mission de la Gendarmerie s’arrêtait cependant aux fonctions de rétention et d’éloignement.
LVDGEn matière de lutte contre les stupéfiants et de terrorisme, deux infractions souvent connexes à d’autres crimes ou délits, quelles sont les mesures qu’attendent du nouveau gouvernement les praticiens que sont les magistrats, les policiers et les gendarmes ?
Bertrand Cavallier Il m’apparaît important d’aborder les deux sujets de façon distincte, même s’il y a des liens croissants entre les deux phénomènes.
J’aborderai d’emblée la question terroriste. Outre le renforcement des unités d’intervention spécialisée (GIGN, RAID, et BRI), des progrès considérables ont été consentis depuis une dizaine d’années, notamment au travers de l’essor de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), dont il faut saluer le travail considérable dans le suivi et le démantèlement de réseaux terroristes, relevant principalement de l’islam dit radical. Cependant, la même DGSI dans un rapport intitulé “État des lieux de la pénétration de l’islam fondamentaliste en France”, posait le constat suivant : “les réseaux islamistes ont investi un ensemble de champs et d’institutions leur permettant de fabriquer des individus dont la vision du monde est étrangère au lègs de l’héritage politico-culturel français (…) Le risque ultime que font peser les quatre mouvements islamistes les plus actifs – Frères Musulmans, salafistes, tabligh, turcs – est l’avènement d’une contre-société sur le territoire national. Ce risque se matérialise et s’intensifie alors que près de 53% de français de confession musulmane pratiquent un islam “conservateur” voire “autoritaire” qui confine à une forme de sécessionnisme politique et social pour 28% d’entre eux”. La France est donc confrontée à l’essor d’une matrice idéologique, voire civilisationnelle, sur fond de haine de ce que nous sommes, de ce nous représentons. Cette haine est de plus dopée par la question du conflit israélo-Hamas. Cette matrice engendre un terrorisme d’atmosphère (pressions, menaces notamment contre les professeurs, port ostentatoire de vêtements religieux…) mais également des actions très violentes qui relèvent de plus en plus d’individus isolés. Face à cela, l’action de la DGSI est moins aisée, et ce sont les gendarmes et des policiers des unités à vocation de sécurité publique (brigades territoriales, Psig, commissariats dont les BAC) qui, à tout moment, et sans transition, peuvent devoir agir comme primo-intervenants. Ce qui constitue une prise de risque maximale. Et renvoie à la question de leur équipement, de leur formation, et du “soutien” assuré de leur hiérarchie et des magistrats, pour qu’ils puissent, dans le “brouillard” de l’intervention, agir efficacement.
Mais sur le plan sécuritaire, faut-il encore prendre la question par le commencement et agir en amont, en limitant une immigration qui, de par ses origines, renforce cette contre-société.
À titre d’exemple, et qui sera dérangeant, que penser des arrivées de ressortissants afghans dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord, tellement massives que les forces de sécurité intérieure ne mettent même plus en oeuvre la procédure d’OQTF. Mesure à l’efficacité certes limitée, notamment du fait des fausses identités, mais qui permet une traçabilité minimum.
Déchéance de nationalité pour les trafiquants de stupéfiants
Le lien entre immigration et trafic de stupéfiants est assez logique tant cette criminalité est dominée par des individus d’origine immigrée, pour partie de citoyenneté française, mais aussi en proportion notable étrangers, principalement d’origine africaine, et que des passerelles sont établies avec des mouvances islamistes.
Mais une question première s’impose. Pour qu’il y ait offre, il faut une demande, même si aujourd’hui l’offre si endémique stimule la demande. La France – triste record – est en tête du classement des pays d’Europe pour la consommation de Cannabis. L’observatoire français des drogues (OFDT) constate par ailleurs que le marché des drogues se caractérise par des évolutions considérables : diversification des produits consommés, essor des poly-consommations, adaptation constante des modes de diffusion avec l’utilisation croissante par les réseaux de l’internet favorisant notamment la diffusion de drogues de synthèses…
Donc, question de toute évidence sociétale, qu’est-ce qui peut expliquer cette forme d’addiction si massive, dans notre pays, et notamment au sein de la jeunesse ? On ne pourra s’économiser une réflexion de fond en la matière.
En termes de réponse, depuis le 1er septembre 2020, la réponse pénale a évolué avec l’introduction de l’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants, dressée par les forces de l’ordre. Sera-ce suffisamment dissuasif ? D’autant que, s’agissant du cannabis, l’environnement européen penche pour une libéralisation de son usage. Et que penser du choix du Canada d’exercer un contrôle complet de ce stupéfiant de sa production à sa consommation ?
Mais cela ne règle pas la question des autres drogues qui prolifèrent (cocaine…), et sur lesquelles les trafiquants orienteront davantage leurs activités.
Un syndrome de sud américanisation
Aborder la lutte contre les trafics de stupéfiants nécessite de bien saisir toute la dimension de ce défi compte tenu d’une part du préjudice porté à la jeunesse, d’autre part de la généralisation de la violence, et de l’essor d’organisations, soit des cartels, dont les capacités sont telles qu’ils peuvent aujourd’hui menacer la souveraineté de certains Etats d’Europe occidentale. J’ai dans un autre média évoqué un syndrome de sud-américanisation.
Il faut donc aujourd’hui raisonner aujourd’hui en termes de guerre contre ce qui affecte nos capacités vitales au sens premier du terme, soit les nouvelles générations, mais également remet en cause notre pacte social et le principe même de l’Etat de droit.
Le trafic de drogue développe, à partir de ses centres de gravité, soit les quartiers dits difficiles, un réseau très étendu, sous formes notamment de petits commerces (épiceries, kebabs, ongleries, barbiers…) maillant les territoires, y compris ruraux. Il se traduit désormais par de vastes guerres de territoires, provoquant une escalade de la violence, avec le recours désormais banalisé aux armes de guerre.
Il se caractérise pour ses approvisionnements par de fortes connexions internationales, en particulier avec le Maghreb, mais aussi avec l’Europe du Nord, où, selon Europol, “se situe l’épicentre du marché de la cocaïne”. Les plus gros trafiquants, ceux qui tirent les ficelles de ces réseaux tentaculaires, résident de plus en plus à l’étranger, notamment au Maroc, en Algérie, mais surtout dans les Emirats Arabes Unis. DubaÏ s’est notamment imposé, selon le juge Christophe Perruaux, comme “le trou noir de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la drogue”. Ces narco-trafiquants dont des dizaines de français, ont accumulé des richesses considérables qu’ils ont investies localement. Faute de convention judiciaire au niveau européen, et du fait de la lenteur des procédures, ils sont encore pratiquement intouchables. Or, ces individus, ainsi que leur patrimoine, sont parfaitement identifiés, grâce notamment à l’infiltration par l’agence Europol de l‘application cryptée Sky ECC.
Cette guerre exige de la République en danger, certes une volonté inflexible, mais surtout un grand pragmatisme.
Sur le plan juridique, les procédures doivent être simplifiées, en finir avec leurs effets incapacitants, notamment pour la saisie des avoirs criminels. En la matière, il faut :
privilégier la saisie des avoirs criminels visibles par la population avoisinante, et flécher la distribution des biens mal acquis au profit des quartiers où ils ont été saisis pour que la richesse négative devienne positive pour toute la collectivité éprouvée par ces trafics ;
faire de la non-justification de ressources une infraction à part entière, en inversant la charge de la preuve;
Ressortissant à la norme juridique concernant les personnes, il faut mettre en oeuvre les mesures suivantes :
systématiser, à l’occasion de toute condamnation à une peine d’emprisonnement, l’interdiction de paraître dans le quartier à minima durant six mois, ainsi que l’interdiction du territoire français à tout individu étranger avec mesure effective d’expulsion. Alors que les capacités de l’administration pénitentiaire sont saturées, les mesures d’expulsion assorties de l’interdiction du territoire national, qui devraient être logiquement applicable à tout étranger auteur d’infractions graves ou multi-récidiviste, seraient de nature à réduire de façon significative la population carcérale (plus de 20% de ressortissants étrangers). Par là-même, les condamnations à une peine d’emprisonnement pourraient être plus effectives, et ainsi faire reculer ce syndrome gravissime de l’impunité ;
procédant de l’adaptation indispensable de notre politique migratoire, procéder très rapidement à l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, notamment les dits mineurs non accompagnés, qui sont massivement recrutés par les dirigeants des réseaux. Il faut aussi étendre la déchéance de nationalité aux trafiquants de stupéfiants binationaux afin d’expulser ces marchands de mort.
Contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée
Sur le plan opérationnel, deux actions complémentaires s’imposent. Premièrement harceler, déstabiliser sur toute l’étendue du territoire les points de distribution et de blanchiment des trafiquants en coopération étroite avec les services fiscaux. Ensuite, selon une logique de concentration des efforts en ciblant certaines zones emblématiques, et en démontrant ainsi que la République sait et peut encore agir, contractualiser la mission de restauration durable de la sécurité avec la force de l’ordre la plus adaptée (atouts de proximité, capacités de montée en puissance…), sous l’autorité d’un préfet coordonnateur, et avec l’appui d’une task force de magistrats.
D’aucuns, (tel Christian Estrosi NDLR) ont évoqué l’engagement de l’armée de terre. Cette option procède d’une vision simpliste qui voudrait renouveler la bataille d’Alger. Laissons agir les forces de sécurité intérieure qui ont les capacités et la culture professionnelles requises pour mener ces opérations.
En revanche, s’agissant tout particulièrement de l’interception dans les espaces maritimes, mais aussi de la localisation et de la neutralisation de membres de cartel opérant depuis l’étranger, les capacités du ministère des armées (rens, cyber, intervention…) apparaissent très précieuses.
La République a la capacité de reconquérir ces territoires en agissant avec force. Mais pour que cette reconquête soit durable, elle doit comprendre que l’enjeu essentiel est la population qui y réside. Elle se doit donc de reconquérir les âmes et les coeurs, en restant présente, par la mise en oeuvre concrète de la sécurité de proximité, et la sécurité retrouvée, en agissant de façon globale (éducation, économie …).
Sur le plan diplomatique, eu égard aux enjeux qui sont essentiels, ne plus les sacrifier à des intérêts court-termistes, en réaffirmant, ce qui est plus qu’attendu par un pays affichant des ambitions d’acteur international, notre souveraineté.
LVDGEn matière de maintien de l’ordre, face à des « black block » ou à des “écoterroristes”, ou encore dans un contexte très dégradée comme en Nouvelle Calédonie, que préconisez vous, compte-tenu des effectifs et moyens disponibles ?
Bertrand Cavallier Les dix dernières années révèlent un engagement sans précédent des forces spécialisées dans le maintien de l’ordre (Gendarmerie mobile, CRS, Compagnies départementales d’intervention). Certaines crises comme celle des Gilets jaunes, qui a connu des épisodes très violents, à Paris mais aussi en province (Le Puy-en-Velais, Pouzin en Ardèche…) ont même nécessité, du fait de leur ampleur, l’engagement des unités territoriales, qui souffrent d’un manque d’équipement adapté.
La situation budgétaire et économique de la France, les fractures politiques (présence d’une mouvance révolutionnaire très active), sociales mais aussi culturelles, obligent tout analyste lucide et raisonnable à comprendre que notre pays est entré dans une période de turbulences. Cette donne concerne tant la métropole que les territoires d’outre-mer, avec la dérive insurrectionnelle de la Nouvelle-Calédonie.
Un élément d’importance dans ce contexte, qui peut participer d’un paradoxe, est l’attente, consciente ou intuitive, d’ordre par une majorité de la population.
Le prochain gouvernement, et plus particulièrement le ministre de l’Intérieur, doit donc anticiper pour gérer au mieux les troubles d’ampleur. Il doit dans cette perspective avoir comme priorité d’économiser les forces de l’ordre, en priorité la gendarmerie mobile et les CRS.
Ceci implique de réduire les grands évènements, très consommateurs en forces mobiles, mais également de prendre toutes les mesures nécessaires pour réduire le volume de forces engagées, par des dispositifs mieux ajustés à la réalité de la menace de troubles, la poursuite de la judiciarisation et un renforcement des moyens de force intermédiaire à la disposition des gendarmes et des policiers.
Le bon dimensionnement des dispositifs de maintien de l’ordre relevant du principe de l’économie des forces, est assuré par une étroite collaboration entre le responsable de l’ordre public (le préfet) et le commandant des forces mobiles. Ce qui est d’ailleurs préconisé dans les textes en vigueur. Cette collaboration se traduit par la validation d’une conception d’opération privilégiant la manoeuvre fondée sur la mobilité des forces, et un positionnement très clair de l’autorité préfectorale durant la conduite de la manoeuvre.
Deux exemples concrets permettent d’illustrer ce qui doit devenir la règle générale.
Tout d’abord Paris, soit le centre de gravité de notre pays.
L’arrivée de Laurent Nunez à la tête de la préfecture de police de Paris a été marquée par des changements très positifs, attendus depuis longtemps tant par la gendarmerie mobile que par les CRS, et participant, sans doute, d’une autre philosophie du maintien de l’ordre que celle de ses prédécesseurs immédiats.
Outre une posture très bienveillante, le préfet Nunez a systématisé la participation des officiers supérieurs de Gendarmerie mobile, et des CRS, aux réunions préparatoires aux opérations de maintien de l’ordre, dont beaucoup peuvent dégénérer du fait notamment de la présence quasi systématique des blacks-blocs. Ces échanges, sous la gouverne de la DOPC (direction de l’ordre public et de la circulation), ont permis de mettre en oeuvre des dispositifs plus manoeuvriers, tout d’abord en remédiant au mélange d’unités de forces différentes, en favorisant une meilleure subsidiarité, et en systématisant la constitution de GAP, soit des Groupes d’appui projetables, constitués par des professionnels du maintien de l’ordre, soit des gendarmes mobiles, soit des CRS. Ces GAP, agissant dans le cadre de dispositifs jalonnant à distance les cortèges, ont vocation à intervenir très rapidement en cas de regroupement d’activistes. en limitant ainsi l’usage de la force légitime.
À l’occasion des JO et dans une manoeuvre d’échelle inédite, procédant de cette démarche d’étroits échanges en amont, le préfet Nunez a opté pour une sectorisation missionnelle et spatiale des forces déployées. Il a également permis une meilleure inter-opérabilité avec les compagnies d’intervention de la préfecture de police, par l’initiation d’entraînements communs avec les gendarmes mobiles, au Centre National d’Entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier.
Il est à espérer que cette évolution vertueuse ne dépendra pas que du seul facteur humain.
Ce constat est aussi valable pour la province, avec les différentes opérations conduites par des manifestants dits écologistes mais largement infiltrés par des activistes de l’ultra-gauche, contre les bassines dont celle de Sainte-Soline devenu le symbole “totémique” de cette contestation. L’étroite collaboration du commandement de la Gendarmerie au niveau régional et départemental, avec les autorités préfectorales, a permis de privilégier une manoeuvre dynamique, par la combinaison d’actions défensives, mais surtout mobiles (bascules, projections…) favorisées par la composante renseignement. Cette conception de manœuvre a permis de prendre l’ascendant sur les adversaires, avec un usage minimum de la force.
La judiciarisation du maintien de l’ordre doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché
La judiciarisation du maintien de l’ordre, soit la capacité à identifier les fauteurs de troubles, et à réunir les éléments de preuve pour leur imputer une infraction donnée (dont au premier niveau, la participation à un attroupement sur le fondement de l’article 41-4 du Code pénal) doit constituer un mode d’action majeur s’agissant de l’effet final recherché : le retour à une situation normale par la gestion régulée de la conflictualité ( inhérente au pacte social) en s’appuyant sur la logique incontestable de l’état de droit.
Cette judiciarisation est fortement attendue par la population, qui ne comprend pas l’impunité dont ont pu bénéficier des fauteurs de troubles professionnels, une impunité de fait les incitant ainsi à poursuivre leurs actions prédatrices, mais également par les gendarmes et policiers.
Les forces de l’ordre, dont on exige qu’elles agissent selon les principes de proportionnalité et d’absolue nécessité dans l’usage de force, attendent de façon légitime, face notamment aux individus violents, une plus plus grande effectivité de la réponse pénale. Cette réponse, qui participe de l’action de justice dévolue à tout citoyen, est indispensable pour neutraliser durablement des acteurs de plus en plus agressifs, et par là, abaisser les risques d’affrontement, et moins exposer les gendarmes et policiers
En définitive, la judiciarisation doit permettre de diminuer le volume des forces engagées, et l’attrition des unités (moins de blessés), ce qui indispensable en termes d’économie des forces.
Cette judiciarisation est désormais pleinement intégrée dans les conceptions d’opération, comme l’a démontré la dernière vaste manoeuvre conduite par la région de gendarmerie de Nouvelle-Aquitaine lors des manifestations anti-bassines, en juillet dernier, dans les départements des Deux-Sèvres, de la Vienne et de la Charente maritime (présence des magistrats, “engagement des OPJ” de l’avant au sein des escadrons de gendarmerie mobile). Cependant, plusieurs pistes pourraient être explorées pour l’optimiser, sachant que l’arsenal pénal, durci ces dernières années, est largement suffisant :
la systématisation de la participation des magistrats du parquet à la conception de la manoeuvre (réalisée lors des opérations à l’occasion des manifestations anti-bassines) ;
la mise en place (projection sur le terrain) de magistrats spécialisés en matière de violences à agents dépositaires de l’autorité publique, formés à cet effet ;
l’amélioration des dispositifs d’identification d’auteurs présumés de violence par le recours aux innovations technologiques dont les marqueurs à distance, permettant de privilégier des arrestations après les opérations proprement dites (diminution des risques), la généralisation de la fiche de mise à disposition électronique, expérimentée avec succès au sein de la Préfecture de police de Paris depuis 18 mois, et permettant une meilleure prise en comptes des fauteurs de troubles présumés par le parquet.
Rééquilibrer les moyens des forces de l’ordre
Le rééquilibrage des moyens des forces de l’ordre par rapport aux armements, sans cesse perfectionnés, dont disposent leurs adversaires, est indispensable.
“Les autorités au plus haut niveau doivent prendre les dispositions pour éviter qu’il y ait des blessés graves, voire des morts au sein des forces de l’ordre, car la maîtrise dans l’emploi de la force ne signifie pas la sur-exposition des gendarmes et policiers et dans un contexte très incertain, il ne faut surtout ne pas déstabiliser les corps constitués majeurs”
Les moyens à disposition des forces de l’ordre.
Les évènements en Nouvelle-Calédonie sont, en termes d’ordre public, d’une toute autre nature que celle des troubles qu’a pu connaître la métropole, ces dernières années. Les forces de l’ordre sont en effet confrontées à une situation insurrectionnelle qui dure depuis quatre mois. Elle se caractérise par des opposants très déterminés, majoritairement jeunes, pour partie conditionnés sur le plan idéologique, et le recours très fréquent à la prise à partie des forces de l’ordre avec des armes à feu de gros calibre.
Revoir, en mettant en œuvre l’économie des forces, le schéma fonctionnel de la gendarmerie mobile pour sanctuariser les créneaux d’entraînement
La Gendarmerie qui fournit la plus grande partie du dispositif engagé a déployé l’ensemble de ses capacités, dont une composante blindée renforcée depuis la métropole par des Centaures, et qui constitue un atout opérationnel majeur.
La culture militaire de la Gendarmerie, et plus particulièrement celle de la gendarmerie mobile, s’est avérée capitale pour agir dans un tel environnement qui, correspondant au sommet du spectre du maintien de l’ordre, relève en réalité de l’infra-combat.
Les premiers retex portent sur :
l’importance première de la formation militaire tactique et de la robustesse à la fois physique mais aussi mentale et morale. S’agissant notamment de la gendarmerie mobile, il faut revoir, en mettant en oeuvre l’économie des forces, son schéma fonctionnel pour sanctuariser les créneaux d’entraînement ;
l’efficacité d’un dispositif cohérent intégrant l’ensemble des moyens de la Gendarmerie sous une chaîne de commandement unique, y compris en s’appuyant sur les ressources humaines et technologiques de l’IRCGN (optimisation de la manoeuvre de police judiciaire….);
la pertinence de la planification, du déploiement d’état-majors opérationnels, et d’une résilience logistique. À l’inverse de la mutualisation et de l’externalisation, la Gendarmerie doit recouvrer son autonomie, notamment dans le domaine du soutien des moyens de mobilité terrestre ;
l’avantage de l’inter-opérabilité avec les armées, en particulier avec les régiments du génie ; cette inter-opérablité, qui s’appuie notamment sur une culture de base commune et une proximité des hiérarchies respectives, doit être confortée.
Un enseignement qui appelle une prise en compte rapide par les responsables politiques, porte sur la nécessité impérieuse d’une mise à plat des armements dont dispose la gendarmerie mobile en situation très dégradée
Les engagements récents en Nouvelle-Calédonie ont en effet mis en exergue :
une grande fragilité dans la capacité à agir dans les 0-40 mètres du fait, d’une interdiction du lancer à main de la grenade GM2L (Interdiction depuis levée mais mesure malencontreusement limitée à la seule Nouvelle-Calédonie), de l’absence de grenades à effets de souffle puissant (de type GLI, voire OF37) pour se désengager face à des individus lourdement armés, du manque d’efficacité des nouvelles munitions de LBD…sachant que le GIGN est doté de certains moyens de force intermédiaire, à l’efficacité éprouvée, qui pourraient être mis en dotation dans les escadrons de gendarmerie mobile ;
Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance
Une carence grave en matière de capacité à administrer des tirs à longue distance, suite, il y a une dizaine d’années, à l’incompréhensible suppression au sein des escadrons de gendarmerie mobile, des cellules observation tireur, équipées alors de carabines Tikka (conservées heureusement au sein des CRS) et de moyens optiques performants.
La réflexion prochaine doit également s’intéresser au format de la composante blindée, renouvelée avec l’arrivée des Centaures.
Pourquoi la Gendarmerie doit renouveler ses blindés ? les explications de Bertrand Cavallier
S’il est évidemment à espérer que l’ordre républicain soit rétabli durablement en Nouvelle-Calédonie, au plus grand profit de l’ensemble de la population, dans toutes ses composantes, il faut toutefois bien saisir que ce scénario pourrait se renouveler dans d’autres territoires, y compris et surtout en métropole du fait de l’expansion de zones hautement “volcaniques”, en particulier dans la proximité immédiate de la capitale.
Plusieurs hauts gradés de l’armée française et un de ses principaux sous-traitants pour la logistique des opérations extérieures (Opex) doivent être jugés à partir de lundi 9 septembre 2024 devant le tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons de corruption et de favoritisme.
Parmi les prévenus figurent huit militaires, au premier rang desquels l’ancien chef d’état-major du Centre du soutien des opérations et des acheminements (CSOA), le colonel Philippe Rives, qui doit comparaître pour favoritisme, corruption passive, violation du secret professionnel et prise illégale d’intérêts.
Un ancien commandant du CSOA, le général Philippe Boussard, un lieutenant-colonel du Commandement des opérations spéciales (COS), Christophe Marie, et le président de la société International Chartering Systems (ICS), Philippe de Jonquières, seront également sur le banc des prévenus.
Ils sont soupçonnés, à des degrés divers, d’avoir participé dans les années 2010 à une opération ayant permis à ICS – qui comparaît comme personne morale – d’être favorisée dans l’attribution de plusieurs marchés de logistique, notamment concernant le transport aérien, pour des Opex de l’armée française.
Des contrats se chiffrant en centaines de millions d’euros
L’histoire a démarré en 2016 par un rapport de la Cour des comptes étudiant les Opex françaises, dont leur logistique. Faute de solution tricolore, entre des Transall vieillissants ou des A400M à la livraison retardée, l’armée française a eu régulièrement recours aux « très gros porteurs russes ou ukrainiens », notamment des Antonov 124, « une ressource rare au niveau mondial », comme le rappelaient les magistrats de la rue Cambon.
Comment ? Principalement via deux prestataires extérieurs, l’agence de soutien de l’Otan Salis et le logisticien privé ICS, vieux compagnon de route de l’armée française, pour des contrats se chiffrant en centaines de millions d’euros.
Outre des doutes sur leur avantage stratégique, la Cour des comptes s’interrogeait sur le surcoût des prestations offertes par ICS par rapport à celles de Salis.
Il n’est pas possible de « comparer directement » les deux, avait répondu en mars 2018 le ministère des Armées. La Cour des comptes a finalement signalé à la justice ces faits, comme l’armée un peu plus tard, donnant lieu à une enquête, révélée par le journal Le Monde et ouverte début 2017 par le Parquet national financier (PNF).
Les gendarmes de la section de recherches de Paris ont perquisitionné en octobre de la même année le CSOA à Vélizy-Villacoublay (Yvelines) et les locaux d’ICS à Paris.
L’enquête, riche de 8.000 pages selon une source proche du dossier, a abouti, selon des révélations en 2018 de la cellule investigation de Radio France, à la découverte d’échanges soutenus entre plusieurs haut gradés et les responsables d’ICS à des moments-clés de passation de marchés.
Les investigations ont également mis au jour plusieurs manipulations potentielles qui auraient permis à la société d’être mieux notée dans les processus d’attribution.
Procès jusqu’au 25 septembre
Selon une note de synthèse du PNF de juillet 2022 dont l’AFP a eu connaissance, le colonel Philippe Rives, par exemple, est soupçonné d’avoir rédigé, entre février et décembre 2015, « une fiche interne favorable à ICS » ou transmis des informations stratégiques au président de la société, Philippe de Jonquières, en échange de son embauche future comme directeur général adjoint d’ICS.
Philippe Broussard est suspecté de favoritisme, en ce qu’il aurait contribué à ce qu’ICS soit « privilégiée » dans l’attribution des missions, « pour un surcoût minimum estimé de 16,3 millions d’euros ».
En novembre 2017, après l’ouverture de l’enquête pénale, l’armée française n’a pas reconduit le marché qui la liait à ICS sur le marché du fret des opérations extérieures.
En marge de ce dossier, trois journalistes de Radio France et de Disclose qui avaient enquêté sur l’affaire ont été entendus en décembre 2022, en audition libre, par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour des soupçons d’atteinte au secret de la défense nationale.
Le droit est une arme de guerre qui a été utilisée contre de nombreuses entreprises françaises. Aujourd’hui, d’autres États tentent de l’imposer via les règles d’extra-territorialité.
Pour la première fois, en mars 2024, plus de 52 % des exportations chinoises ont été payées en renminbi, 42 % seulement étant réglées en dollar. En juin 2024, l’Arabie Saoudite a laissé passer sans le renouveler l’accord historique qui assurait au dollar le monopole des ventes de pétrole par le royaume, et de fait par l’OPEC.
Passées relativement inaperçues à l’Ouest, ces données traduisent le mouvement actuel de décentralisation des opérations monétaires et financières (souligné notamment par Charles Gave) ; fini le temps où une monnaie, le dollar, et un système, SWIFT et Euroclear, sous contrôle américain, centralisaient la quasi-totalité des opérations de paiement internationales. La planète financière se fracture. Certains observent la concomitance de ce basculement avec les ventes d’obligations américaines par la Chine, qui se dégage des « T-bonds » au rythme de plusieurs dizaines de milliards par an ( en juin 2024, la banque japonaise Norinchukin aurait à elle seule vendu 63 milliards d’obligations américaines et européennes!)
Rares sont ceux qui prennent en considération un tout autre aspect, géopolitique celui-là, et décisif ; plus les transactions échappent au dollar et aux systèmes américains, plus elles échappent aux sanctions extraterritoriales américaines, plus elles sont hors d’atteinte des juridictions américaines. Les entreprises européennes, menacées très directement par les représentants de l’État profond américain si elles utilisaient le système européen de paiements internationaux mis au point par l’Union européenne, pour une fois dans le sens de l’histoire, ont quelques raisons de s’en réjouir, comme celles qui ont fait face à des actions d’intimidation, à la limite du terrorisme, parce qu’elles commerçaient avec des pays jugés hostiles aux États-Unis. Et il n’est pas interdit de considérer que la guerre qui se joue sur le front du droit, des monnaies et des paiements est une face cachée de l’agenda du « sud global » pour mettre fin à la domination mondiale anglo-américaine.
Le droit international et son faux ami, le droit américain
Le droit international reconnaît à toute Nation le droit de poursuivre les auteurs de certains faits commis à l’extérieur de ses frontières quand ils enfreignent ses propres lois, menacent l’ordre public, l’intérêt national, ou constituent une intelligence avec l’ennemi. Il faut pour cela que soit constitué le « nexus », le lien direct ou indirect avec le pays auteur des poursuites. Par ailleurs, les crimes internationaux, comme les actes terroristes, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité ou les génocides, se voient appliquer un droit spécifique, international et imprescriptible ( j’emprunte l’essentiel de cette réflexion à Dick Roche, ancien ministre des Affaires européennes puis de l’Environnement de l’Irlande, auteur de plusieurs articles sur ce sujet et avec lequel nous avons longuement examiné ces questions).
L’application de ce droit varie en fonction de divers facteurs. Selon que vous soyez puissant ou misérable, la capacité de poursuivre et de faire poursuivre des infractions au-delà des frontières nationales n’est pas la même. Chine, Iran, Rwanda, Turquie, Israël, Russie ont été maintes fois désignés coupables d’actions agressives d’intimidation, voire d’élimination d’opposants hors de leurs frontières. À l’évidence aussi, les exemples abondent de poursuites internationales motivées par des raisons de politique interne ; intimidation d’opposants, privation de leurs comptes bancaires et d’accès à leurs avoirs, voire extradition forcée ( le renvoi d’opposants kurdes à la Turquie par la Suède, contre son entrée dans l’OTAN, sachant qu’ils seront torturés et tués, n’honore pas les démocraties européennes).
Ce sont là des exceptions. L’ensemble des pays respecte le droit international qui limite strictement l’application internationale des droits nationaux. À titre d’exemple, les opérations agressives d’affirmation des intérêts nationaux et d’application du droit national hors frontière sont très généralement condamnées. Les États-Unis se distinguent par une conception extensive, pour ne pas dire invasive, de ces dispositions du droit international. À partir de l’adoption en 1977, d’une loi punissant la corruption d’agents étrangers (le Foreign Corruption Practices Act, ou FCPA) puis de son extension, à la fin des années 1990, aux sociétés étrangères concurrentes d’entreprises américaines, les États-Unis ont érigé leur propre règle en loi mondiale, profitant du dollar, de la puissance de leur système financier et du réseau de sociétés de services présentes partout dans le monde. En toute illégalité, ils imposent leurs lois au reste du monde. C’est l’un des éléments majeurs de cette « weaponisation » du commerce international, des mouvements de capitaux et des paiements bancaires, qui participe à la montée actuelle de la conflictualité et lui donne son caractère totalitaire – tout est utilisé pour livrer la guerre sans la guerre, ruiner l’adversaire et le réduire à merci. De sorte que s’il est utile de débattre des modalités d’application extraterritoriale du droit américain, et des possibilités de la combattre ou d’y échapper, les acteurs engagés dans ce débat doivent être conscients qu’ils affrontent un système totalitaire, le nouveau capitalisme totalitaire qui entend que rien n’échappe à sa dent, nulle part, jamais.
Le vertige de la démesure
L’histoire commence dans les années 1980. Comme l’Empire britannique confronté au blocus continental de Napoléon Ier, les États-Unis savaient depuis longtemps que la guerre économique, financière et monétaire n’est qu’une autre manière de faire la guerre, de la préparer – et de la gagner. Pour aider les Alliés contre l’Allemagne nazie, ce sont d’abord des dispositions financières et des sanctions qu’avait mobilisées l’Amérique de Roosevelt ; il en sera de même pour contenir l’Union soviétique ou la Chine. Mais c’est à partir du scandale « Lockeed », du nom de ce constructeur d’avions américains pris la main dans le sac dans une affaire majeure de corruption de gouvernements étrangers (Pays-Bas, notamment) que l’extraterritorialité du droit américain est formalisée, entre dans la doctrine, qu’elle trouve un bras armé, le Department of Justice (DOJ), et qu’elle va peu à peu devenir une arme redoutable, et redoutée.
Au départ, une juste cause ; la lutte contre la corruption de gouvernements ou d’agents publics étrangers. Et une cible ; les sociétés américaines coupables de faits de corruption ; la justice américaine poursuit et sanctionne des entreprises américaines, quoi de plus normal ? D’ailleurs, les poursuites sont rares, et les amendes, limitées. Pourtant, les entreprises américaines, et leur puissante Chambre de Commerce ne sont pas longues à protester ; si seules les entreprises américaines sont sanctionnées, alors que leurs concurrentes usent libéralement de la corruption, comment vont-elles exporter ? L’application du droit américain aux seules sociétés américaines fausse la concurrence, et entrave le libre fonctionnement du marché, au détriment des sociétés américaines ; la Chambre de Commerce évalue très libéralement le manque à gagner pour elles à quelque 30 milliards de dollars annuels. La solution apparaît bientôt ; d’abord, l’adoption par l’OCDE d’un dispositif anticorruption, copié sur le système américain, qui alignera les pratiques (certains pays acceptant que les entreprises déduisent de leurs bénéfices les montants de commissions versés aux agents étrangers corrompus…) Ensuite et surtout, l’extension des poursuites par les autorités américaines ; toute entreprise, notamment concurrente d’entreprises américaines, rattachée d’une manière ou d’une autre aux États-Unis, pourra être poursuivie par le DOJ ou la Security exchange Commission (SEC) pour fait de corruption. Et les critères de rattachement, le fameux « nexus » retenus par le DOJ, sont larges, l’emploi d’un photocopieur américain, ou d’un téléphone portable utilisant une puce américaine suffit ! Des entreprises seront poursuivies pour des transactions effectuées en Asie, sans aucun rapport avec les États-Unis… sauf des paiements en dollars ! La justice devient impérialiste ; la loi américaine doit devenir la loi du monde ; la globalisation est bien une américanisation du monde. N’est-ce pas alors que certains croient vivre la fin de l’histoire, quand d’autres saluent l’hyperpuissance ?
À partir de 1998, le gouvernement américain décide que le DOJ et la SEC ont compétence pour poursuivre et sanctionner les entreprises étrangères coupables de corruption ( il faut ajouter à ces dispositions exorbitantes du droit international la législation dite « Fatca », Foreign Account Tax compliance Act, qui oblige toute banque ou institution financière à vérifier que ses clients n’ont pas perçu des revenus aux États-Unis et bénéficié d’une fiscalité nationale plus avantageuse pour eux que celle en vigueur aux États-Unis, une disposition de colonisation financière qu’heureusement ne remplissent pas nombre d’établissements n’ayant pas de filiales aux États-Unis). Dès lors, la règle « FCPA » devient une arme redoutable, efficace, et utilisée à de tout autres fins que la lutte anticorruption.
Quand la loi devient un business rentable…
Assurer l’égalité devant la loi ; telle pourrait être la belle histoire du droit américain contre la corruption. Elle dérape bien vite, pour trois raisons.
D’abord, elle révèle l’une des exigences inavouées de la globalisation ; pour que la concurrence soit égale entre les entreprises, les lois doivent être les mêmes, et le capitalisme libéral s’appliquer partout. La globalisation appelle l’uniformisation des lois, des normes et des règles. Ce faisant, elle limite la souveraineté des Nations, et elle appelle la guerre, s’il est vrai que la liberté des peuples signifie d’abord qu’ils choisissent eux-mêmes leurs lois. Qui a parlé de démocratie comme autonomie ?
Elle suppose ensuite que des juristes, avocats, auditeurs, juges, aient compétence universelle pour traquer partout dans le monde les faits de corruption et se fassent complices de l’administration américaine, parfois contre l’intérêt national de leur propre pays. Des associations diverses, sous le noble principe de la lutte anticorruption, se feront ainsi les auxiliaires naïfs ou intéressés du DOJ ; la France n’a pas été épargnée par ces dérives. Des centaines de consultants, d’auditeurs, de lawyers, travaillant pour des sociétés américaines, agissent pour aligner, conformer, uniformiser, au nom de l’efficacité, de la rentabilité, mais toujours sur le modèle américain. Qui a parlé de souveraineté des Nations ? Et qui, alors même que la France prétend adopter une loi sur l’ingérence étrangère,se préoccupe de la captation de données par les sociétés de services américaines au profit des intérêts américains ? (Que des sociétés de conseil américaines s’approprient les compétences de l’État à la faveur de missions de conseil dont le montant global s’est élevé à 2,5 milliards d’euros en 2021 n’est pas la moindre trahison de l’intérêt national récemment avérée).
Enfin, elle dérape sous la pression des intérêts, privés aussi bien que nationaux. La tentation est forte d’utiliser l’extraterritorialité du droit pour peser sur des compétiteurs, pour pénaliser des concurrents, voire éliminer certains, ou les ranger derrière l’intérêt américain. Jean-Michel Quattrepoint n’est pas le seul à avoir affirmé que l’amende infligée à Alstom et l’emprisonnement arbitraire d’un dirigeant, Frédéric Pierucci, avaient pesé lourd dans la vente d’Alstom Énergie à General Electric, une vente qui avait pour notable conséquence que l’entretien des turbines des réacteurs nucléaires français dépendait d’un fournisseur américain, une vente réussie avec une étonnante complicité de dirigeants français dont certains se réclamaient pourtant du gaullisme… et d’Alcatel à Airbus, les exemples ne manquent pas d’entreprises que la seule menace de poursuites pour fait de corruption a fait rentrer dans le rang, s’agissant notamment de relations avec l’Iran, la Chine, ou désormais la Russie…
Inutile de refaire l’histoire. Le total des amendes infligées à des sociétés américaines ou étrangères au titre de la loi « anticorruption », ou « FCPA », a été multiplié au cours des années 2000. Il s’élèverait à plus de 40 milliards de dollars (BNP Paribas ayant payé le montant record de 9 milliards de dollars). Les autorités américaines sont promptes à signaler qu’une part majeure de ces montants a été imputée à des sociétés américaines, sur le mode « passez, il n’y a rien à voir ». Mais non, justement. Il faut y regarder de plus près. La particularité du droit américain est que le système se nourrit lui-même, et s’autofinance ; une partie significative des amendes infligées aux entreprises revient aux institutions juridiques américaines, au DOJ ou à la SEC ; tandis que le reste des amendes est affecté à diverses organisations ; une part de l’amende infligée à la BNP ( 9 milliards de dollars, pour des transactions de sa filiale suisse avec l’Iran et le Soudan ou la Libye qui n’étaient pas interdites par la France, mais que la banque a choisi de payer pour ne pas mettre en danger sa filiale américaine si profitable…) ira ainsi indemniser… les victimes américaines de la prise d’otage de Téhéran !
Plus récemment, les analystes curieux observeront que les transactions par lesquelles les entreprises mettent fin aux poursuites sont presque exclusivement fléchées sur les fondations et ONG démocrates, woke, LGBTistes – bouclant un système où se confondent aisément justice et racket ( maints élus locaux se souviennent que SOS racisme avait mis en place un système analogue dans les années 1980 ; « payez, sinon vous serez poursuivi… ») Le système mis en place par le parti démocrate dans « les années Clinton » semble avoir outrageusement bénéficié de dispositions très particulières, permettant par exemple à une entreprise faisant un « don » à une organisation du type fondation ou ONG, agréée par le DOJ, d’être aisément dispensée de poursuites par un accord négocié « avant poursuite »… La porosité éprouvée du système juridique américain et de l’administration démocrate n’est pas l’un des moindres griefs des Républicains ; d’ailleurs, la présidence de Donald Trump avait mis en sommeil l’extraterritorialité des poursuites… En sera-t-il de même s’il est réélu le 5 novembre prochain?
Un piège juridique bien construit
Le système est bouclé par les conditions juridiques très particulières applicables à tout « deal » passé avec le DOJ, conditions très rarement évoquées publiquement. Le fait est général ; toute entreprise qui a une filiale ou un établissement aux États-Unis, utilise le dollar, ou se trouve en concurrence avec des sociétés américaines, entre dans le faisceau de surveillance de la justice américaine. À l’arrivée, l’extraterritorialité du droit américain est une bonne affaire qui nourrit le système judiciaire et ses collaborateurs.
L’exigence de base est que rien ne soit révélé de la transaction, des clauses et modalités qui l’accompagnent, sinon, l’accord est rompu et des poursuites seront engagées. Tout partage d’expérience entre entreprises est donc impossible, ou se déroule avec les plus extrêmes précautions, y compris au sein d’institutions françaises… L’aimable conseil, voire la pression, en faveur du « plaider coupable » est en fait le moyen pour le DOJ d’assurer son chiffre d’affaires. Des entreprises, dont il serait dangereux de citer le nom, ont refusé. L’affaire a suivi son cours. L’expérience semble montrer qu’elles s’en sont bien tiré, les tribunaux des États fédérés dans lesquels sont jugées leurs affaires se montrant beaucoup plus ouvertes à la mise en question du lien justifiant leur compétence, allant jusqu’à remettre ouvertement en cause la politique du DOJ ! Mais les Français ont du mal à apprécier la nature fédérale des États américains, et une indépendance du juge de Dallas ou de Charlotte qui peut se traduire par le refus de s’aligner sur Washington, ce « marécage » que certains veulent assécher !
La négociation de l’amende encourue achevée, rien n’est fait, tout commence. D’autres exigences suivent un jugement de culpabilité, ou la reconnaissance de culpabilité. Car il ne suffit pas de sanctionner le coupable, il faut encore s’assurer qu’il se repente ! La conception protestante, doloriste, du « mérite » s’applique pleinement, et à grands frais. L’entreprise « coupable » se voit imposer, pour une durée variable, des agents, les « monitors », désignés par le DOJ et rémunérés aux conditions fixées par celui-ci, mais payées par elle. Ces « monitors », généralement installés au siège de l’entreprise, ont tout pouvoir de se faire communiquer tous documents utiles à leur mission ; prévenir tout cas de corruption. Et leur enquête peut être intrusive ! L’entreprise se voit conseiller d’avoir recours à des auditeurs, des juristes et des consultants, experts en conformité et en lutte anticorruption, sur liste fermée communiquée par le DOJ, qui par hasard se trouveront tous appartenir à des cabinets américains. Et, bien entendu, toute transaction hors dollar, hors banques soumises à Washington et concernant un pays hors OTAN, surtout s’il est désigné comme faisant partie de « l’axe du mal », une désignation laissée au bon vouloir des États-Unis et de leurs alliés, est déconseillée aux entreprises sous accord… Il sera intéressant, quand la menace américaine ne pèsera plus sur les dirigeants d’Airbus, d’Alcatel, de PPR, de BNP, de la Société Générale, de Total et de quelques autres, d’entendre des détails sur le comportement des « monitors », leurs revenus, leurs exigences, et le pillage des données auquel ils se livrent, qui n’est pas pour rien dans les malheurs de diverses entreprises françaises comme Alcatel… La libre concurrence est un jeu auquel tous jouent, à condition qu’à la fin, les Américains l’emportent, comme les sociétés chinoises sont en train de l’apprendre !
Cette application extensive de l’extraterritorialité a suscité des réactions. Pour avoir publié en 2004 l’un des tout premiers rapports sur ce sujet (voir annexe), pour avoir coorganisé un colloque à l’Assemblée nationale, grâce à l’aide du député Jacques Myard, pourêtre intervenu sur le sujet à de multiples reprises, à l’École militaire avec Alain Juillet comme à Bercy, au Medef ou à la Maison des ingénieurs, avec Pierre Lellouche, je peux témoigner de l’intérêt porté par des politiques courageux et des dirigeants d’entreprises engagés au combat contre l’extraterritorialité du droit américain. Hélas, je peux aussi témoigner de son insuccès devant la violence des pressions, voire des menaces américaines, par exemple contre l’usage de l’instrument européen de soutien aux échanges, dit Instex, ou encore du « blocking status » supposé protéger l’Union de l’ingérence américaine ( voir l’émouvant et spontané témoignage devant l’Assemblée nationale du député Jean-Philippe Tanguy en mars dernier, qui a été victime de pressions directes en qualité de cadre d’Alstom). S’il est une atteinte à la souveraineté des États, celle-là est majeure !
Quelques enjeux
En 2024, il est intéressant d’examiner les enjeux politiques et les perspectives de l’extraterritorialité du droit américain.
1/ L’approche traditionnelle consistant à opposer droit continental, droit dit « romano-germanique » et sa procédure accusatoire, et le droit anglo-américain, s’est peu à peu effacée des débats en raison des évolutions contrastées des systèmes juridiques de l’Europe continentale, aussi bien que des États-Unis eux-mêmes. Même si une certaine porosité est réelle, le sujet reste cependant d’actualité. Dans le domaine du droit bancaire et financier (règles Bâle 3 et Solvency 2), dans celui des règles comptables (comptabilité dite « à valeur de marché » ), comme dans celui du droit commercial et, plus étonnamment, du droit de l’environnement, les États-Unis sont parvenus à subvertir le modèle de financement bancaire (engagements dans le bilan) au profit du modèle de marché financier, le modèle de comptabilité à valeur historique, comme ils ont imposé des indicateurs prétendus « de responsabilité environnementale » qui épargnent à l’entreprise de comptabiliser ses externalités négatives au passif, comme de faire figurer à l’actif les dépenses environnementales qui sont des investissements pour le bien commun, pour le plus grand avantage du bénéfice financier et du « goodwill » de l’entreprise.
La destruction des systèmes coopératifs et mutualistes, celle des services publics et des biens communs au profit d’acteurs privés, est un autre exemple de l’imposition en Europe de principes et de modèles qui lui sont étrangers, et d’autres exemples de l’emprise des intérêts américains. Alors que 70 % des Nations ont adopté le droit continental, romano-germanique, alors que le système juridique de la Chine par exemple, qui associe public et privé au service du développement, lui est apparenté, il serait décisif d’engager une coopération eurasiatique dans le domaine du droit et des modèles économiques et comptables.
2/ La vraie dimension du sujet est apparue à propos du débat politiquement et juridiquement complexe engagé à propos de la saisie des avoirs russes, ou des intérêts qu’ils produisent, puis de leur transfert à l’Ukraine. Si un consensus au moins passif avait suivi la saisie des avoirs de l’Iran ou de l’Afghanistan, si un silence gêné a entouré des sanctions américaines qui paralysent toute aide à des populations en détresse, par exemple en Syrie, la saisie des avoirs de la Banque centrale de Russie, comme celle des biens d’oligarques russes sans procès ni procédure contradictoire, a de tout autres conséquences. Elle pose la question de l’extraterritorialité du droit de dissuasion massive contre toute opposition à l’unilatéralisme américain. Si l’agression contre l’Ukraine est évidemment condamnable au regard du droit international, comment qualifier nombre d’interventions armées américaines sans mandat des Nations-Unies ?
Dorénavant, ce ne sont plus seulement des entreprises qui ont le sentiment de pouvoir être victimes d’abus de droit de la part des autorités américaines, c’est toute banque centrale détenant des actifs libellés en dollars qui peut s’interroger sur les conséquences d’une quelconque opposition aux intérêts américains. Qu’en sera-t-il si les autorités américaines décident que les dollars ou les actifs en dollars achetés avec des fonds « illégitimes » perdent toute valeur, que les T-bonds achetés par des pays non « compliants » sont exclus du remboursement ? Le Président Obama en son temps avait alerté sur les risques d’isolement des États-Unis. Nous y sommes. La démesure devient le pire ennemi des États-Unis et de leurs alliés. Et la « weaponisation » du droit et des circuits de paiement par les États-Unis ne peut appeler qu’une réponse concrète ; la vente des actifs libellés en dollars, l’abandon de l’usage du dollar dans les échanges internationaux, la construction de systèmes de paiements protégés de l’emprise américaine. Pour les membres des Brics, pour l’OCS, le moment est venu de couper les ponts avec la puissance abusive que sont devenus les États-Unis. Quant à la France, elle a choisi, en achetant massivement des titres de la dette américaine en 2022 et 2023…
3/ La montée en puissance de la Chine, les progrès des organisations eurasiatiques dont l’Europe est absente, renouvellent la question de l’extraterritorialité du droit ; ceux qui dénoncent la « westernisation » du monde seraient-ils plus à l’aise avec une « sinisation » du monde ? La Chine est accusée d’agir comme les États-Unis ; au long des routes de la Soie, n’est-il pas question d’uniformiser les règles sur le modèle chinois ? Ceux qui jugent que les États-Unis ne fournissent plus ces biens communs qu’ils ont assurés dans l’après-Seconde Guerre mondiale, pendant près d’un demi-siècle, sont-ils certains qu’une multipolarité partout invoquée, mais tout aussi imprécise qu’à ce jour inexistante les fournirait à nouveau ? La question est décisive. Nul ne peut contester la légitimité de la démarche américaine sans remettre en question ses présupposés ; si le commerce est mondial, si la finance est mondiale, les règles doivent être les mêmes pour tous. C’est le point aveugle du débat, et le vrai sujet de la multipolarité ; accepter la diversité des modèles et des lois signifie remettre en question l’édifice de la globalisation, et élaborer uen gouvernance régionale quji reste à définir.
4/ Maints exemples, notamment au sein de l’Union européenne, devraient conduire à interroger le mot « corruption ». Le rôle des Fondations, des ONG, de certains réseaux, disposant de moyens étendus pour apporter à divers pays aide, exemples et facilités, mériterait plus d’examens. C’est ainsi que plusieurs ONG prétendument « environnementalistes », exerçant leurs activités auprès de la Commission européenne ou du parlement européen, ont à maintes reprises influencé des directives, nourries des rapports et des commissions, dans un sens conforme aux intérêts américains, qu’il s’agisse de la transition écologique, de la lutte contre les émissions de CO2, des « obligations vertes », ou des indicateurs dits « RSE ». Destruction de l’industrie automobile européenne, subordination aux importations d’énergie des États-Unis, dépendance à l’égard des GAFAM au détriment de Huawei et des opérateurs d’autres pays, incitation aux financements de marché financier hors bilan aux dépens du modèle de financement bancaire, les exemples ne manquent pas de captation réglementaire facilitée par, ou opérée directement, par les fondations et ONG américaines. Qui a parlé de lutte anticorruption ?
Malgré les apparences, le phénomène de l’extraterritorialité du droit est loin d’être spécifiquement américain. L’une des plus remarquables sentences extraterritoriales a été prononcée par l’ayatollah Khomeini, quelques semaines avant sa mort, condamnant Salman Rushdie pour son ouvrage « Les versets sataniques », condamnation qui vaudra à l’auteur une attaque au couteau, dont il réchappera, et l’assassinat de deux éditeurs de son livre…
5/ Le sujet est moins celui des États-Unis que de la prétention d’un libéralisme dévoyé par un nouveau capitalisme totalitaire, de tenir le politique par le droit. Nous le voyons en Europe ; le juge paralyse le politique, et le droit devient le pire ennemi de la démocratie en corsetant la volonté populaire dans un étau de principes que nul n’a votés, et dont nul ne sait vraiment qui est à l’origine (voir à ce sujet les Tribunes dans Le Figaro sur le droit des étrangers, signés par Philippe Fontana, vendredi 14 juin, ou encore les analyses d’Eric Shoettl, etc.)
Le sujet majeur réside dans la négation de la diversité, fruit de la liberté politique, que signifie l’extension universelle du droit américain et qu’habillent les discours sur l’état de droit, la bonne gouvernance, et les droits de l’individu. Les grandes manipulations auxquelles ont donné lieu l’avènement de la « comptabilité à valeur de marché », des indicateurs « de responsabilité sociétale et environnementale » (RSE), etc. sont autant d’armes contre le libre choix par les peuples de leur destin, qui commence par l’adoption autonome de leurs lois, de leur régime juridique et de leurs alliances. Voilà pourquoi la globalisation aboutit à la guerre. L’extraterritorialité du droit américain doit à ce titre être considérée comme un facteur de la conflictualité qui monte, et nous entraîne où nul ne veut aller.
Annexe
À lire :
Euractiv, Dick Roche, « Us extraterritorial legal outreach threatens EU sovereignty » (2023)
Res publica, sous la direction de Jean Pierre Chevènement ; « L’Extraterritorialité du droit américain », avec Jean Michel Quattrepoint, Francis Gutman, Albert Iweins, Hervé Juvin, 1er février 2016
« La Gouvernance par les Nombres », Alain Supiot, Cours au Collège de France, Fayard, 2015
L’assujettissement des Nations, Renaud Beauchard, Charles Leopold Mayer éditions, 2017
Le coup d’État du droit, rapport à la Fondation Identité et Démocratie, Hervé Juvin, 2017
Conflits, « Nous sommes en guerre économique » Hors-série n° 1, avec Olivier Zajec, Alain Juillet, Hervé Juvin, Hiver 2014
Olivier Zajec, Les limites de la guerre, Marc et Martin, 2023
Hervé Juvin est député européen, fondateur du mouvement « Les Localistes ». Il a récemment publié « Chez nous. Pour en finir avec un capitalisme totalitaire » (La Nouvelle Librairie).
Au nom de la sécurité, l’usage du numérique et des caméras de surveillance s’accroît dans l’espace public, sans que leur utilité et leur légitimité soient analysées. C’est la question des libertés publiques qui est posée et des rapports à la surveillance de masse.
Appréhender le chemin pris depuis quelques années par le législateur français en matière d’utilisation des nouvelles technologies à des fins sécuritaires n’est pas chose aisée. Car oser questionner, c’est aussitôt être soupçonné : soit d’avoir quelque chose à cacher, soit d’être technophobe ou, pire encore, complotiste, notre démocratie étant là pour nous « protéger » du contrôle et de la surveillance numériques pratiqués par les épouvantails russe et chinois. S’il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, un rapide tour d’horizon de cet environnement juridico-technique interpelle.
Le QR code : du contrôle des biens au contrôle des humains
Technologie créée en 1994 pour l’industrie automobile japonaise, le QR code a longtemps été boudé, voire moqué en Europe avant d’atteindre son pic de démocratisation avec le « pass sanitaire » lors de la Covid-19. S’il n’est plus surprenant de la voir en France remplacer le menu imprimé d’un restaurant, cette technologie est aujourd’hui présente partout au Japon, en Corée du Sud ou en Chine, utilisée notamment comme moyen de paiement. L’expérience chinoise devrait spécialement susciter notre méfiance, car les QR codes y sont également déployés comme outils de surveillance de masse : dès 2017, les autorités en installaient sur les maisons des localités à forte proportion de Ouïghours, afin de les scanner plusieurs fois par semaine, et ainsi contrôler les personnes présentes dans les foyers.
Si la France n’en est évidemment pas là, ce qui devait n’être qu’un dispositif « exceptionnel et temporaire » (1) via le « pass sanitaire » n’aura peut-être été finalement qu’un prodrome, comme en atteste le QR code du « pass Jeux » requis pour circuler dans les « zones de restriction de circulation » à Paris pendant les Jeux olympiques. Le ministère de l’Intérieur a d’ailleurs sauté sur l’occasion pour élargir subrepticement la liste des données pouvant être collectées (2), sans jamais s’interroger sur la réelle nécessité de constituer une base de données visant pourtant plusieurs centaines de milliers de personnes.
Ces Jeux olympiques sont précisément le terrain de toutes les expérimentations. Ainsi la « loi JO » (3), tout en interdisant la reconnaissance faciale et l’identification biométrique, autorise-t-elle la vidéosurveillance algorithmique en vue d’« assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles qui, par l’ampleur de leur fréquentation ou par leurs circonstances, sont particulièrement exposées à des risques d’actes de terrorisme ou d’atteintes graves à la sécurité des personnes ».
Ces dispositifs pourront donc détecter en temps réel des « événements prédéterminés » : mouvements de foule, bagage abandonné, départ de feu, intrusion, etc. Pour cela, il ne faut pas seulement filmer en continu, mais également nourrir des algorithmes d’intelligence artificielle avec les images collectées. Comme souvent avec les lois d’expérimentation (celle-ci court jusqu’en 2025), il y a peu de doutes quant à la pérennisation de ses dispositions. La ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, s’en est à peine cachée : « Si cela fait ses preuves et que c’est entouré des garanties […], les Français attendent de nous qu’on agisse pour leur sécurité et qu’on fasse usage des moyens nouveaux, y compris numériques, pour favoriser cette sécurité. » (4) La boîte de Pandore est ouverte : après l’extension de cette technologie à la sécurité des transports – option d’ores et déjà en discussion (5) – il est difficile de ne pas envisager la reconnaissance faciale dans quelques années.
Les drones, cas d’école de l’obstination des pouvoirs publics
Les « aéronefs circulant sans personne à bord » (ou « drones ») équipés de caméras ont été pendant des années utilisés en dehors de tout cadre juridique, notamment à la faveur de la crise de la Covid-19 ou lors de simples manifestations. Condamnant ces pratiques illégales, le Conseil d’État avait par exemple enjoint à l’État « de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone, du respect, à Paris, des règles de sécurité sanitaire applicables à la période de déconfinement » (6), ou encore au préfet de police de la capitale « de cesser, sans délai, de procéder aux mesures de surveillance par drone des rassemblements de personnes sur la voie publique » (7). Le Conseil constitutionnel a lui aussi fait pendant longtemps de la résistance, en censurant par exemple la loi dite « sécurité globale » (8), estimant que le législateur n’avait « pas assuré une conciliation équilibrée entre les objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et le droit au respect de la vie privée » (9).
Un encadrement législatif a logiquement fini par être mis en place (10), autorisant l’utilisation de drones par les forces de l’ordre à des fins de police administrative après autorisation préfectorale (par exemple, pour la sécurité des rassemblements sur la voie publique en cas de risque de troubles graves à l’ordre public), à des fins judiciaires (par exemple, pour les besoins d’une enquête portant sur une personne disparue), ou encore à des fins de prévention des trafics transfrontaliers par les douaniers. Là encore, la vigilance du Conseil constitutionnel a permis de censurer des tentatives plus étendues, telle une disposition qui autorisait, en cas d’urgence et pendant quatre heures, le recours aux drones sans autorisation préfectorale préalable, ou une autre qui autorisait, à titre expérimental pendant cinq ans, le recours aux drones par la police municipale (11).
Certes, par leur jurisprudence, les juges administratif et constitutionnel considèrent que des garanties juridico-techniques suffisantes ont été apportées dans les textes de loi pour garantir les droits et libertés des personnes filmées (12) – et notamment leur droit à la vie privée. Mais l’on n’observe pas moins une propension des pouvoirs publics à grignoter, de proche en proche, des pans entiers de liberté par la mise en place de dispositifs techniques. Pour reprendre le mot de Gilbert Simondon, « la plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n’est pas une aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence » (13).
Jusqu’où irons-nous ?
Utilisation d’algorithmes de ciblage par les caisses d’allocations familiales (CAF) pour identifier « les plus susceptibles de frauder »(14) ; empilement de lois sécuritaires depuis dix ans à un rythme toujours plus soutenu, permettant la collecte de données personnelles et la surveillance des communications à large échelle ; ou, plus récemment, blocage du réseau social TikTok en Nouvelle-Calédonie – pratique jusque-là russe, turque ou iranienne, que l’on regardait depuis la France avec inquiétude malgré les tentations de l’exécutif (15), mais qui a fini par être validée par le Conseil d’État excipant alors de la « théorie des circonstances exceptionnelles »(16).
Nous vivons une période de banalisation du contrôle et de la surveillance par la technique, véritable fuite en avant technosolutionniste, sans que jamais ne soit questionnés la véritable efficacité de ces dispositifs ni même ses impacts philosophiques et politiques sur notre vision de la liberté. Plus largement, la numérisation de tout – de la « plateformisation » de l’État (17) à la « QR codé-isation » de la société (18), en passant par l’expansion de l’intelligence artificielle (IA) – pose la question de la place de la technique dans nos vies. « Ce n’est pas seulement son utilisation, c’est bien la technique elle-même qui est déjà domination (sur la nature et sur les hommes), une domination méthodique, scientifique, calculée et calculante. […] La technique, c’est d’emblée tout un projet socio-historique » (19). Ce projet, qui ne saurait être neutre par ses usages, sa conception ou son essence, c’est notre devoir de citoyen que de le questionner.
1. S. Godeluck, « Covid : le Conseil scientifique valide la création d’un pass sanitaire “exceptionnel et temporaire” », Les Échos, 4 mai 2021.2. Arrêté du 3 mai 2024 modifiant l’arrêté du 2 mai 2011 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommés « fichiers des résidents des zones de sécurité » créés à l’occasion d’un événement majeur.
3. Loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions.
4. Entretien accordé à France 3 le 24 septembre 2023.
5. Proposition de loi, adoptée par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relative au renforcement de la sûreté dans les transports, n° 2223.
6.CE, 18 mai 2020, n° 440442.
7. CE, 22 décembre 2020, n° 446155.
8. Loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés.
9. CC, décision n° 2021-817 DC du 20 mai 2021.
10. Loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure ; décret n°2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre de traitements d’images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative.
11. CC, décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022.
12. Voir, par exemple, CE, 24 mai 2023, n° 473547.
13. G. Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1958.
14. M. Saliou, « Transparence, discriminations : les questions soulevées par l’algorithme de la CAF », Next.ink, 28 novembre 2023.
15. D. Leloup et Fl. Reynaud, « Emmanuel Macron suggère de bloquer les réseaux sociaux pendant les émeutes, une pratique très controversée », Le Monde, 5 juillet 2023.
16. CE, 23 mai 2024, n° 494320.
17. G. Jeannot, « Vie et mort de l’État plateforme », RFAP, 2020, n° 173, p. 165-179.
18. Y. Zhang, « L’hégémonie du QR code en Chine », Actes du XXIIIe Congrès de la SFSIC, 2022, p 800-810.
19. H. Marcuse, « Industrialisation et capitalisme », in O. Stammer (dir.), Max Weber et la sociologie d’aujourd’hui : actes du Congrès de Heidelberg (1962).
Dans une décision marquée par la sagesse et la reconnaissance de la complexité des missions des forces de l’ordre, la Cour criminelle de Saint-Omer (62) a rendu un verdict de clémence à l’encontre d’un membre dévoué du GIGN.
Le 22 février, après un examen minutieux et quatre jours d’audience chargés d’émotion, le Gendarme impliqué dans l’intervention tragique à Fouquières-lès-Lens (62) en 2018, qui a conduit à la mort d’Henri Lenfant, âgé de 22 ans, a été acquitté.
Face à une situation d’extrême tension et dans le cadre de ses fonctions pour garantir la sécurité publique, l’agent a dû prendre une décision rapide lors d’une tentative d’interpellation qui a malheureusement tourné au drame.
L’engagement sans faille des Gendarmes du GIGN, reconnus pour leur professionnalisme et leur courage, a été une fois de plus mis en lumière lors de cette opération délicate visant à interpeller des individus sur un parking près de l’aire d’accueil des gens du voyage.
La réactivité de l’agent, appelé en renfort, face à un suspect refusant d’obtempérer et mettant potentiellement en danger la vie d’autrui, souligne la complexité des décisions que les membres des forces de l’ordre doivent prendre dans l’instant, sous la pression et dans des circonstances souvent imprévisibles.
Bien que le parquet ait requis deux ans de réclusion, estimant qu’il n’y avait pas légitime défense, la Cour a jugé autrement, reconnaissant implicitement les défis auxquels sont confrontés les Gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions.
L’acquittement du Gendarme souligne la nécessité de soutenir nos forces de l’ordre qui sont régulièrement confrontées à des situations périlleuses pour assurer notre sécurité.
La réaction vive des proches d’Henri Lenfant à l’annonce du verdict, bien que compréhensible dans le contexte douloureux de la perte d’un être cher, ne doit pas occulter l’engagement des forces de l’ordre à servir et protéger avec honneur et détermination.
La sécurité renforcée autour du tribunal pour ce procès témoigne de l’importance accordée à la protection de nos institutions judiciaires et de ceux qui y œuvrent.Ce verdict n’est pas seulement l’acquittement d’un Gendarme; il représente une reconnaissance des risques et des sacrifices endurés par les membres des forces de l’ordre dans l’accomplissement de leur devoir. Il rappelle à la société la nécessité de soutenir ceux qui nous protègent, tout en continuant à œuvrer pour la justice et la compréhension mutuelle dans des situations extrêmement complexes.
L’EXTRA-TERRITORIALITÉ DU DROIT, ENJEU DE PUISSANCE ET GUERRE SECRÈTE ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L’EUROPE
Les États-Unis n’ont jamais accepté que l’Europe existe réellement en témoignant d’une distanciation stratégique face à leur puissance économique. Aussi, le droit apparaît-il comme un vecteur central dans un rapport de force dont les conclusions sont toujours incertaines.
Dans un climat de complexification constante des relations internationales où de nombreux enjeux s’avèrent désormais globaux au sein d’une arène où les acteurs se sont démultipliés, il est nécessaire d’apporter une analyse rigoureuse et précises des différents mécanismes d’influences. Ainsi il s’agit de mieux comprendre comment fonctionne ce jeu international qui s’avère d’une complexité accrue. L’extraterritorialité du droit est alors devenue une arme redoutable. Ici nous allons parler de la façon dont les États-Unis, grands adeptes de cette pratique, ont étendu leur puissance au détriment de l’Union Européenne qui tend doucement à s’adapter à cette pratique.
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, et l’apparition du droit international ayant comme ambition de régir un ordre mondial, est apparu parallèlement l’utilisation de plus en plus courante de l’extraterritorialité du droit. Il s’agit de l’une des réponses ayant pour objectif de faire régner une justice globale négociée à condition qu’elle soit en concordance avec le droit international, qui est basé sur la charte des nations unies. Il s’agit du principe selon lequel un état applique sa justice et son droit sur un territoire étranger lorsqu’il estime qu’il en a la légitimité. Selon, monsieur Cohen-Tanugi, avocat et essayiste français, l’extraterritorialité du droit entre l’Europe et les États-Unis conduit à une harmonisation du droit international. Les trois domaines principaux de l’extraterritorialité à savoir le droit de la concurrence, l’anti-corruption et les sanctions, convergent entre ces états. Cependant il faut noter qu’il existe un danger lorsqu’elle est pratiquée avec des pays qui ne sont pas des états de droit. Ce danger est important du fait du caractère arbitraire de la réplique qui peut être engendrée, par exemple la détention de deux ressortissants canadiens lors de l’affaire Huawei entre les US et la Chine, nous n’allons cependant pas traiter ce sujet dans cette analyse.
Enjeux d’influences, les Etats-Unis experts en la matière.
Force est de constater que l’extraterritorialité du droit peut devenir un moyen de soumettre un tiers à des fins économiques, et in fine non pas à des fins éthiques et morales. C’est dans cette perspective pragmatique et rationnelle qu’il s’agit de s’intéresser à cet outil qui semble être un atout de puissance permettant de soumettre son influence sur la scène internationale. Il est dès lors inéluctable de s’atteler à l’extraterritorialité du droit américain et conformément à notre cas, aux conséquences sur la souveraineté de l’UE. En effet, les États-Unis sont des adeptes de son utilisation. Grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre Froide, ces derniers ont réussi à soumettre leur influence dans l’ensemble du monde en établissant des liens de dépendances d’autres pays à leur égard. Ainsi, du fait de leur implantation dans de nombreux États via des entreprises, l’utilisation courante du dollar par de nombreux pays sur les marchés financiers, ou encore de la dépendance technologique de nombreux acteurs, ces derniers s’estiment légitimes d’avoir un droit de regard afin d’appliquer leur justice à l’extérieur de leurs frontières. De nombreuses affaires témoignent de cette utilisation massive de l’extraterritorialité du droit par les États-Unis à l’instar de l’affaire Alstom. En effet, Alstom fût un fleuron national français en matière d’énergie nucléaire et a été fusionné puis acquis par le groupe Général Electric au grand désarroi de la France. Les États-Unis appliquent ce droit principalement grâce au Foreign Corrupt Act (FCPA), qui permet d’infliger des amendes en établissant des programmes de conformités. Le risque est alors de s’affaiblir économiquement, et pire encore comme ce fut le cas pour l’affaire Alstom, il s’agit de perdre de sa souveraineté du fait de la perte d’une technologie à laquelle nous sommes dépendants. En effet, en vendant ce fleuron national, la France, mais aussi l’Europe, a perdu ce qui faisait l’une de ses forces à savoir la maitrise du nucléaire nécessaire à la construction de turbines qui peuvent se trouver dans différentes technologies qui garantissent notre autonomie stratégique en matière énergétique ou militaire. Au final, c’est politiquement que l’Europe s’affaiblit. Cela a pour conséquence la mise à mal de l’aspiration à une Europe de la Défense qui se veut être la pierre angulaire d’un plan ayant comme objectif une autonomie stratégique permettant de s’émanciper des États-Unis d’un point de vue militaire. Les principales victimes de l’extraterritorialité du droit ont été des entreprises européennes, qui s’affichent désormais sur le tableau de chasses du FCPA. Celles-ci ont permis d’engendrer un gain de plusieurs dizaines de milliards de dollars aux États-Unis. Les principales touchées ont été Siemens, KBR, Alstom, BNP, Crédit Agricole ou encore Commerzbank.
La riposte européenne, une nécessité pour conserver sa souveraineté?
C’est en ce sens que l’Union Européenne a commencé à s’atteler à contrer les attaques de l’oncle Sam. Elle a ainsi mis en place une stratégie adaptée à de tels enjeux qui se fonde sur des mécanismes d’intelligences économiques. Ces derniers consistent à collecter, analyser et valoriser l’information économique et stratégique afin de protéger les intérêts des entreprises concernées et ainsi l’Europe. Cela se matérialise par la mise en place d’outils législatifs de protection et d’attaque. Dans cette mesure a été
mis en place l’INSTEX, qui est un mécanisme financier mis en place par l’Europe en 2019 pour faciliter le commerce avec l’Iran malgré les sanctions américaines rétablies à la suite du retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015. En matière d’intelligence économique, ce mécanisme joue un rôle crucial dans la défense des intérêts européens face à l’extraterritorialité du droit américain. Il vient ainsi pallier ce problème en établissant un système de paiement sécurisé, qui contourne le système financier américain pour les transactions commerciales entre l’Europe et l’Iran. En agissant ainsi, l’Europe protège ses entreprises des sanctions américaines, garantissant ainsi leur compétitivité et leur accès au marché iranien, tout en préservant la souveraineté de son système juridique. Dans ce sens, a aussi été mis en place en France le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique (SISSE) qui a pour but de protéger les actifs stratégiques de l’économie française face aux menaces étrangères en détectant, caractérisant et en traitant les menaces étrangères.
De façon plus pragmatique l’Union Européenne a mis en place d’autres outils législatifs plus offensifs qui vont au-delà des questions de territoire. Ainsi Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) joue un rôle crucial dans la défense des intérêts de l’Europe. Adopté en mai 2018, le RGPD établit un cadre réglementaire solide pour la protection des données personnelles des citoyens européens. Cette réglementation renforce la confiance des consommateurs européens dans les services numériques et les entreprises qui traitent leurs données. C’est ainsi que le RGPD renforce donc la souveraineté européenne en matière de protection des données et offre une protection contre l’ingérence étrangère dans les affaires européennes. En imposant des normes strictes de protection des données, l’Europe se positionne comme un acteur mondial influant en matière d’intelligence économique, car elle protège ses citoyens, ses entreprises et ses informations stratégiques des tentatives d’accès non autorisées de la part d’acteurs étrangers. Ce règlement permet de contrer l’activité extraterritoriale des États-Unis permis par le Cloud Act qui leur donne le droit d’accéder à des données détenues par des entreprises américaines, et ce peu importe où elles sont stockées dans le monde.
Dans la continuité de cette stratégie d’autres outils législatifs ont été mis en place à l’instar de la directive concernant une finance plus durable dans le cadre de la Corporate Social Responsability Directive (CSRD), qui s’appliquera à partir de 2024 aux premières entreprises atteignant un certain seuil pour leurs rapports 2025. Dés lors, leurs sera imposées des obligations de déclaration de performance extra-financière fondée sur l’impact environnemental, social et sur les droits de l’Homme des sociétés concernées, et ainsi permettra d’étendre les valeurs européennes à l’internationale.
Il s’agit ainsi pour l’Union européenne d’établir une approche stratégique d’intelligence du droit qui passe par une extraterritorialité en accord avec les droits des autres puissances. Dès lors il sera possible de répondre tout en dépassant la notion de territoire et assurer sa souveraineté. Pour cela il est nécessaire de devoir assurer une bonne entente entre les institutions européennes afin d’accéder à une effectivité sans tomber dans le piège d’une lourdeur administrative. En effet cette dernière est à l’origine de nombreux des maux de l’Union et empêche l’aboutissement de ses projets législatifs ambitieux. C’est dans cette mesure que l’Europe pourra garantir sa souveraineté sur son territoire et pour ses habitants qui résident à l’étranger.
Achille Christodoulou, fort d’un Master en Relations Internationales de l’ILERI, a préalablement obtenu une licence en Sciences Sociales Économiques et Politiques à l’Institut Catholique de Paris. Son parcours académique, de la diplomatie aux sciences sociales, reflète sa polyvalence et sa capacité à appréhender des enjeux diversifiés.
Frédéric Lasserre est professeur au département de Géographie de l’Université Laval à Québec (Canada). Il dirige le Conseil québécois d’Études géopolitiques (CQEG) ainsi que la Chaire de recherches en Études indo-pacifiques (CREIP). Membre du Conseil scientifique du Diploweb.com. Olga V. Alexeeva est professeure au département d’Histoire de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM) et Senior Fellow au sein de China Institute, University of Alberta (Canada).
Le droit peut-il être conçu comme outil d’influence et de promotion des intérêts nationaux ? Le conflit en mer de Chine du Sud portant sur les archipels des Paracels et des Spratleys a glissé d’enjeux de souveraineté sur les îles, à des enjeux de contrôle des espaces maritimes. Une évolution renforcée par l’avènement de la Convention sur le droit de la mer qui offre la possibilité aux États côtiers de régir de vastes espaces maritimes, ZEE et plateaux continentaux étendus. Frédéric Lasserre et Olga V. Alexeeva démontrent brillamment que la Chine comme les États d’Asie du Sud-Est ont fait évoluer leur discours juridique pour promouvoir leurs intérêts nationaux. Illustré de deux cartes.
DES TENSIONS territoriales importantes sont récurrentes en mer de Chine du Sud. Elles se sont à nouveau intensifiées à l’été 2023 entre la Chine et les Philippines, autour du récif Scarborough, longtemps occupé par Manille et ravi par les forces chinoises en 2012 ; et autour du récif Second Thomas, où est basée une petite garnison philippine que tentent de ravitailler des bâtiments philippins. L’enjeu immédiat réside dans la prise de contrôle des récifs et îlots de l’archipel des Spratleys. Au-delà, c’est aussi le contrôle des espaces maritimes qui motive les protagonistes.
Ces querelles de souveraineté ne sont pas nouvelles. Les conflits en mer de Chine du Sud (MCS) se sont accentués à partir des années 1950 et se sont principalement traduits en une course pour l’occupation des îles et des îlots des Paracels et des Spratleys. Le but était d’occuper les îles, bases de garnisons militaires égrenées comme autant de marqueurs de souveraineté. Puis avec l’avènement de la CNUDM (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer), la rivalité s’est déplacée vers l’affirmation des droits des États sur les espaces maritimes. Avec le temps, la Chine a peu à peu affirmé sa prééminence militaire, tant du point de vue naval que du développement progressif de ses positions : expulsion de la garnison sud-vietnamienne des Paracels (1974), prise de contrôle d’îlots dans le secteur vietnamien des Spratleys (1988) et ensuite dans le secteur philippin (1995), prise de contrôle du récif Scarborough (2012) puis remblaiement de récifs occupés pour la construction d’îles artificielles capables d’accueillir de bases militaires (depuis 2014). A ce titre, la Chine n’est pas la seule à procéder à ces remblaiements, mais l’ampleur des moyens mis en œuvre et des surfaces ainsi gagnées sur la mer dépasse largement les résultats accomplis par le Vietnam, la Malaisie et les Philippines.
Le discours des protagonistes a évolué à la suite de ces développements, non pas tant en ce qui concerne la légitimité de leurs revendications sur ces îles, mais plutôt sur la légitimité et la nature juridique des espaces maritimes revendiqués. La Malaisie (1983), le Vietnam (1994), les Philippines (2009) ont développé des discours selon lesquels les îles des Spratleys n’ouvrent pas droit à une zone économique exclusive (ZEE), avec comme conséquence indirecte de nier cette possibilité à la Chine. Cette lutte juridique a également poussé Pékin à modifier sa rhétorique officielle. Cette évolution des discours juridiques constitue-t-elle une réinterprétation du droit de la mer visant à contrer les arguments des adversaires, donc à mobiliser le discours juridique comme outil politique dans une lutte d’influence ?
Une évolution des discours juridiques des États d’Asie du Sud-Est
En mer de Chine du Sud, on observe une tendance à la qualification des espaces maritimes depuis 2009. Auparavant, si les États avaient affiché des revendications sur des espaces maritimes et si celles-ci étaient parfois représentées sur des cartes, leurs définitions manquaient souvent de clarté et de justification légale (Lasserre, 1996 ; McDorman, 2014). Récemment, la Malaisie, le Brunei, le Vietnam et les Philippines ont tenté de reformuler leurs revendications et de les ancrer dans les normes de la CNUDM de 1982, une stratégie qui contraste radicalement avec celle de la République populaire de Chine (RPC) dont l’évolution aboutit à des discours souvent considérés comme en décalage croissant avec le droit de l’amer international. Entre 1995 et 2016, la revendication chinoise en MCS reposait surtout sur la ligne à neuf tirets [九段线], dont le flou juridique a été critiqué à la fois en termes de portée (quelle est la nature de l’espace maritime englobé ?) et de légalité (sur quelles bases repose ce tracé ?). Depuis 2016, en réaction au verdict de la Cour permanente d’arbitrage, son discours a évolué vers la théorie dite des « Quatre sha » ([四沙] ou des quatre bancs de sable), selon laquelle de grands archipels (parfois fictifs) constitueraient implicitement le socle juridique de ses revendications d’espaces maritimes.
Cette évolution observée parmi les protagonistes d’Asie du Sud-Est pourrait être interprétée comme une manœuvre contre la Chine. En reformulant leurs revendications afin de les rendre plus conforme avec le droit de la mer, il se pourrait que ces États s’efforcent de souligner, par contraste, le caractère manifestement illégal et inacceptable des revendications de la Chine. Cette stratégie consisterait à mettre en évidence une divergence croissante entre les parties qui s’efforcent de modifier leurs prétentions afin de les aligner sur les principes du droit international, et ceux qui fondent leurs revendications sur les interprétations contestables du droit de la mer.
Le choc des discours juridiques en mer de Chine du Sud
Le gouvernement de la RPC illustre sa prétention en MCS en utilisant ce qui a été appelé la ligne des neuf tirets, ou ligne en U (U-shaped line) (Fig. 1), qui englobe la plus grande partie de l’étendue maritime de cette mer. Son origine remonte au Comité d’inspection des cartes de la terre et de l’eau du gouvernement du Guomindang, formé en 1933 (Franckx et Benatar, 2012). Elle a été rendue publique pour la première fois en 1935 ou en 1936 (Zou, 1999 ; Wang, 2015) mais la plupart des chercheurs mentionnent une première apparition officielle entre 1946 et 1948, dans un atlas créé pour les autorités nationalistes , avant d’être reproduite par le gouvernement communiste de la RPC en 1949 (Gau, 2012).
À l’époque, la ligne était composée de 11 tirets ; deux ont été abandonnées en 1953 par la RPC (Wang, 2015), tandis qu’un nouveau tiret a été ajouté en 2013, à l’est de Taïwan : depuis, certains chercheurs parlent plutôt de la ligne des dix tirets. En dépit de certaines divergences, la direction générale et la position de la ligne en forme de U ont peu évolué entre 1947 et 2009 (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2014), date à laquelle la ligne a été pour la première fois officialisée dans un communiqué de la Chine (Gouvernement de la RPC, 2009).
Une grande incertitude demeure sur ce que représente en fait cette ligne des neuf tirets, car la Chine ne l’a jamais expliqué, malgré les demandes répétées des États voisins (Zou, 1999 ; Fravel, 2011 ; Song et Tønnesson, 2013), ce qui les a de plus en plus irrité et a poussé les Philippines, en avril 2013, à déposer une plainte formelle auprès du Tribunal sur le Droit de la mer [1]. La réticence du gouvernement chinois à définir la nature et la localisation exacte de la ligne a créé un flou permettant diverses interprétations (Lasserre, 2017), ainsi que de la méfiance vis-à-vis des intentions réelles du gouvernement chinois. Les Philippines ont contesté la position de la Chine en 2011 et ont donné leur propre interprétation (Gouvernement des Philippines, 2011). Même l’Indonésie, qui n’a pas de revendication en MCS, a estimé nécessaire de faire une déclaration officielle concernant la revendication de la Chine en MCS dans sa Note Verbale de 2010 :
« Jusqu’à présent, il n’existe aucune explication claire quant à la base juridique, à la méthode du tracé et au statut de ces tirets séparés […]. La ligne des neuf tirets […] manque clairement de base juridique en droit international et revient à remettre en cause le droit de la CNUDM de 1982 » (Gouvernement d’Indonésie, 2010) [2].
Avant 2009, les protagonistes d’Asie du Sud-Est dans les disputes sur des formations insulaires ou des zones maritimes en MCS n’avaient pas clairement défini leurs revendications, que ce soit en justifiant leur extension sur des bases légales, ou en publiant les coordonnées exactes des limites des espaces maritimes revendiqués. Le Vietnam revendique ainsi une ZEE, mais son étendue n’est pas formellement spécifiée et repose sur des sources indirectes comme des cartes de blocs pétroliers offerts par le gouvernement vietnamien (Lasserre, 1996). La Malaisie a revendiqué un plateau continental en 1966 (Continental Shelf Act n°57) et a conclu un accord sur sa limite avec l’Indonésie en 1969 (Directorate of National Mapping, 1979). Les Philippines ont hésité entre plusieurs définitions contradictoires de leurs espaces maritimes : la première reposait sur les limites du traité de Paris de 1898, longtemps considérées par Manille comme définissant des eaux territoriales (US Navy Judge Advocate General’s Corps, 2014). Une seconde est un système de lignes de base droites (annoncé en 1961, Republic Act nº3046) à partir duquel une ZEE serait définie (Décret présidentiel nº1599, 1979). Il existait également une définition ambiguë du groupe d’îles appelées Kalayaan, ensemble revendiqué par le décret présidentiel nº1596 en 1978 et enserré dans un quadrilatère dessiné dans l’archipel des Spratleys, quadrilatère pour lequel il n’était pas clair si seules les îles incluses sont revendiquées à travers une ligne d’allocation, ou si la revendication portait également sur les eaux et le sous-sol (Prescott et Morgan, 1983 ; Lasserre, 1999).
Le 6 mai 2009, la Malaisie et le Vietnam ont déposé une soumission conjointe pour leur plateau continental étendu dans la partie sud de la MCS ; le 7 mai 2009, le Vietnam a présenté sa propre demande pour la partie centrale de la MCS. Tout d’abord, ce faisant, ces deux pays ont rendu publique la position de la limite extérieure de leurs ZEE respectives. De fait, dans ces deux soumissions, les deux États se sont abstenus d’utiliser les formations insulaires qu’ils revendiquent en MCS dans les définitions de leurs ZEE ou de leur plateau continental étendu. Au lieu de cela, les limites des zones de 200 milles sont basées sur le tracé des lignes de base le long de la côte de chaque État, lignes de base revendiquées par le Vietnam en 1977 (US Office of the Geographer, 1983) et par la Malaisie, implicitement dès 1969 (US Office of the Geographer, 1970), et officiellement en 2006, avec la Baseline of Maritime Zones Act (Loi 660, les coordonnées exactes n’ont pas été publiées).
Ainsi, tant la Malaisie que le Vietnam ont ignoré les îles Spratleys dans la définition de leurs espaces maritimes, ce qui implique qu’ils estiment qu’en vertu de l’article 121(3) ces formations insulaires sont des rochers qui ne peuvent générer ni ZEE ni plateaux continentaux. Cette prise de position traduit également un processus de réflexion qui avait commencé beaucoup plus tôt au Vietnam. Si Hanoi avait considéré dans le passé que les îles Spratleys donnaient droit à un plateau continental (comme en témoignent les cartes des blocs pétroliers des années 1990), il semblerait que le gouvernement ait commencé à modifier sa position d’une revendication rayonnant à partir des îles vers une revendication dérivant de la seule souveraineté sur la partie continentale du territoire vietnamien (Dzurek, 1992). Dès 1994, le Comité vietnamien pour le plateau continental avait estimé que ni les îles Spratleys ni les îles Paracels n’étaient plus que des rochers (Huynh, 1994), et qu’elles n’avaient donc pas droit à une ZEE et à un plateau continental. Ce changement dans le discours juridique était clairement motivé, dans le discours vietnamien, par un désir politique de saper les revendications de la Chine en MCS (Lasserre, 1996, 1998). La loi du Vietnam de 2012 (Gouvernement du Vietnam, 2012) (articles 15 et 17) affirme que le Vietnam ne revendique qu’une ZEE de 200 milles et un plateau continental à partir de ses lignes de base (continentales) (Poling, 2013).
Les Philippines ont également clarifié leur position concernant leurs zones maritimes en 2009, après de longues années d’hésitation (Lasserre, 1996 et 2005). Le Republic Act n°9522 d’avril 2009 abandonne le tracé géométrique du groupe des îles Kalayaan datant de 1978 tout comme l’idée d’enclore le Kalayaan dans un ensemble de lignes de base droites, et établit plutôt que l’étendue de la ZEE sera mesurée à partir des lignes de base archipélagiques de 1961 (modifiée en 2009). Il précise également que le régime des îles prévaudra pour les îles Kalayaan revendiquées en MCS et, par conséquent, aucune ligne de base droite n’a été tracée autour de l’ensemble de ces îles. Les espaces maritimes que pourront générer ces îles sont donc uniquement la mer territoriale et, possiblement, une ZEE si les îlots des Kalayaan se conforment aux dispositions de l’article 121(3) de la CNUDM. Les Philippines ont ainsi déclaré leur intention de réclamer une ZEE à partir de la ligne de base archipélagique, restreinte à une ligne tracée le long de l ’archipel principal et n’englobant pas les Kalayaan (Gouvernement des Philippines, 2012).
Une réinterprétation du droit ?
Une question conceptuelle se pose : peut-on parler de réinterprétation ? La littérature juridique témoigne de l’existence d’interprétations différentes des dispositions du droit, et c’est précisément parce qu’il y a des divergences d’analyse et d’interprétation selon les États (Song, 2010 ; da Silva, 2020) qu’il y a des arbitrages et des cours de justice pour régler leurs différends. Cependant, le terme de réinterprétation laisse entendre que les États ont changé leur compréhension des dispositions de la Convention sur le droit de la mer. C’est possible, mais présomptueux. En revanche, la mise en œuvre des règles de droit implique un double processus dans l’interprétation. Tout d’abord, il faut interpréter, comprendre la règle de droit. Par la suite, il faut qualifier le phénomène factuel, autrement dit déterminer si l’objet appréhendé – une île, un îlot, un banc de sable en l’occurrence – correspond aux phénomènes que la règle de droit entend régir. Ce processus est appelé qualification juridique (legal characterization). Cette nuance, importante, permet de comprendre pourquoi un concept qui recueille un certain consensus – le régime des îles de l’article 121 – peut mener à des qualifications qui n’en font pas (Bartenstein, 2021).
Les États d’Asie du Sud-Est nourrissent-ils un objectif politique en modifiant leur discours juridique ?
On observe une évolution, dans les discours des États d’Asie du Sud-Est impliqués dans le conflit en mer de Chine du Sud, Vietnam, Philippines, Malaisie, et même Indonésie qui pourtant n’est pas directement impliquée dans la dispute de souveraineté sur les îles des Spratleys, quant au statut de ces îles et à leur capacité à générer des espaces maritimes. Faute d’accès aux documents officiels relatifs à ces sujets et, surtout, aux minutes des discussions des gouvernements, il est difficile de déterminer si ces changements procèdent d’une évolution sincère de la lecture des dispositions de l’article 121 et d’un désir de se conformer au droit international, ou s’il s’agit d’une utilisation du droit comme d’un outil politique visant à orienter le cours de la dispute, un outil d’influence destiné à peser dans les relations interétatiques.
L’idée qu’un État puisse mobiliser le droit international non pas pour définir ce qui est légal ou non, mais comme outil politique afin de défendre ses intérêts, n’est pas nouvelle : la littérature en ferait part depuis les années 1950 (Pogies, 2017). Mais le concept ne suscite pas encore d’unanimité, en français on trouve guérilla juridique, diplomatie juridique notamment ; l’anglais lawfare, que l’on peut traduire approximativement par combat juridique, semble plus précis même si son acception continue de susciter des débats. Dunlap le définissait comme « la stratégie de mobilisation – bonne ou mauvaise – du droit comme alternative aux moyens militaires traditionnels pour atteindre un objectif opérationnel » (Dunlap, 2008 :146), une définition dont le parallèle avec celle du soft power selon Nye n’échappera pas au lecteur [3]. Ainsi, le lawfare, ou mobilisation du droit comme outil politique, peut être considéré comme une des facettes possibles du pouvoir d’influence. Les changements d’interprétation, de qualification ou de doctrine juridique, ou encore les efforts visant à définir les normes internationales (Werner, 2010) peuvent ainsi possiblement être interprétés à l’aune de la mobilisation du droit pour atteindre des objectifs politiques – et cela ne disqualifie pas d’emblée la démarche desdits États.
Afin de tenter d’évaluer les motivations dans ces changements de discours, nous avons sollicité des spécialistes du conflit en mer de Chine du Sud afin de préciser quelle était leur analyse. La question qui leur était adressée était : « Pensez-vous que les pays d’Asie du Sud-Est ont modifié leur analyse de l’article 121 ? Si oui, dans quel but ? » À l’automne 2021, 50 chercheurs à travers le monde ont été sollicités. Nous avons pu recueillir 25 réponses, dont 9 d’Europe, 3 d’Amérique du Nord, 5 d’Australie et 8 d’Asie. Parmi ces répondants, 16 avaient une formation en droit et 9 en sciences politiques (dont un chercheur avec un double cursus). Que disaient ces chercheurs et experts ?
L’idée que le Vietnam, les Philippines ou la Malaisie aient pu modifier leur position est contestée par deux chercheurs : le discours a pu être précisé, l’alignement sur le droit renforcé. Ils hésitent à qualifier les changements dans le positionnement de réinterprétation ou de requalification. Quatre (incluant les 2 ci-dessus) estiment que la position des trois États n’a pas fondamentalement changé, qu’ils ont simplement levé l’ambiguïté qu’ils entretenaient quant à leur position sur le statut des ilots de mer de Chine du Sud. En revanche, pour 20 chercheurs, il y a clairement eu changement dans les discours de ces trois pays, voire de quatre ou cinq car certains incluent Brunéi et l’Indonésie. Deux chercheurs rappellent que le Vietnam revendiquait clairement des espaces maritimes à partir des ilots revendiqués des Paracels et des Spratleys, et un autre que pour le Vietnam, les Philippines ou la Malaisie, au moins certains des ilots des Spratleys constituaient des îles selon l’article 121. Deux chercheurs estiment que le changement de discours s’est effectué dès la fin des années 1990 ; quatre datent ce changement de 2009, année de la soumission conjointe du Vietnam et de la Malaisie à la Commission pour les limites du plateau continental ; et deux, de 2016 avec le verdict de la Cour Permanente d’Arbitrage. En réalité, c’est dès le milieu des années 1990 que Hanoi a entamé une réflexion sur la requalification des îles des Spratleys ; comme la loi de 2009 sur les lignes de base des Philippines (Gouvernement des Philippines, 2009) entérine également une requalification des îles des Spratleys, la réflexion remonte à plusieurs années avant aux Philippines également.
Que reflète ce changement de discours sur lequel s’accorde la majorité des chercheurs ? Pour douze d’entre eux (10 juristes et 2 politologues), il s’agit d’une volonté d’alignement plus clair, plus explicite sur les principes du droit de la mer. Trois chercheurs récusent toute idée d’une instrumentalisation du discours juridique, en estimant que les concepts de guérilla juridique ou de lutte d’influence ne sont pas des concepts de droit. Mais d’autres précisent que cet objectif de la mise en conformité avec le droit international se double d’objectifs secondaires : objectifs d’ordre pratique – faciliter les délimitations en mer de Chine du Sud (4 mentions) ; repli sur une position qui réduit l’imbroglio des espaces maritimes projetés à partir des îles dans le cadre du blocage des négociations avec la Chine (2 mentions) ; mais aussi objectifs juridiques – une position juridique plus forte après la requalification (2 mentions) ; voire des objectifs politiques et de relations publiques de ce changement : « exemplarité de la position juridique », « name and shame [nommer et couvrir d’opprobre] », « souligne qu’un acteur [comprendre : la Chine] refuse le droit international » (4 mentions). Ainsi, même pour ces juristes, la recherche d’un alignement de la position sur le statut des îles sur le droit international n’exclut pas des éléments d’influence, de joute politique ont pu faire partie des calculs des gouvernements.
Parmi les avis minoritaires, un chercheur estime qu’il s’agit d’un alignement sur la position américaine dans un geste très politique, et un autre qu’il s’agit d’un alignement sur l’arbitrage de la Cour permanente d’arbitrage de 2016, dans une optique de mobilisation politique de l’arbitrage.
Dans une autre optique, 9 chercheurs (4 juristes et 5 politologues) estiment que l’on a clairement affaire à une mobilisation des ambiguïtés (Nordquist, 2018) de l’article 121 à des fins politiques. Il s’agit de mener une « guérilla juridique », une « diplomatie juridique », une « mobilisation stratégique du droit international ». Ce changement de position renforce la position des pays d’Asie du Sud-Est en cas de nouvel arbitrage et affaiblit la position chinoise (5 mentions) ; il peut permettre de contrôler de plus vastes espaces maritimes en sapant la légitimité des revendications chinoises (1 mention). La nouvelle position légaliste des pays d’Asie du Sud-Est « affaiblit la Chine » (3 mentions) et exerce une pression du faible au fort (1 mention).
Ainsi, pour 14 chercheurs, le changement de discours des pays d’Asie du Sud-Est dans le conflit de mer de Chine du Sud, les conduisant à requalifier le statut des îles des Spratleys, ne constitue pas qu’un geste de portée juridique. Que l’objectif premier ait été de se conformer au droit international ou de chercher d’emblée à employer celui-ci à des fins politiques, ils voient dans cette évolution des positions la mobilisation d’un levier d’influence à saveur juridique, afin de tenter de contenir la pression chinoise dans le conflit de mer de Chine du Sud (Lasserre et Alexeeva, 2023).
Réaction chinoise : une relecture des groupes d’îles en mer de Chine du Sud ?
Le 12 juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, agissant au titre de tribunal constitué selon l’article 7 de la CNUDM, a rendu son arbitrage à la suite de la requête engagée par les Philippines en 2013 (CPA, 2016). Dans sa décision, la Cour déboute les revendications chinoises quant à la notion de droits historiques et estime qu’aucune formation insulaire des Spratleys ne constitue une île au sens de l’article 121, ce qui ne leur permet pas de générer de ZEE ni de plateau continental. Furieuse, la Chine a récusé cette décision (Philips et al, 2016) et a affirmé ne pas vouloir accepter l’arbitrage. Pourtant, le discours chinois a évolué depuis 2016, laissant supposer le désir de la Chine d’adapter son argumentaire dans le contexte de la publication des décisions de la Cour.
En effet, avant 2016, la Chine faisait référence à sa souveraineté sur les îles de mer de Chine, décrites de manière générique et regroupées en quatre groupes d’îles, desquelles découlaient ses revendications sur des espaces maritimes [4]. Aucun statut particulier n’était attribué aux groupes d’îles. On a pu relever de rares exceptions avec l’apparition de deux nouveaux termes dans le vocabulaire utilisé pour décrire les revendications chinoises dans la mer de Chine du Sud- les « quatre bancs de sable » [四沙ou sisha] en 1987, et les « quatre archipels » [四沙群岛ou sishaqundao] en 1992. Toutefois, il s’agissait dans le premier cas d’une mention descriptive dans le corps du texte d’un article portant sur la pêche (Li et Li, 1987), dans le second d’un article politique (Zhou, 1992) mais qui n’a pas donné de suite dans la littérature en chinois. Ainsi, en 2009, la Note verbale de protestation de la Chine contre le dépôt de la soumission conjointe Vietnam-Malaisie mentionne encore expressément que la Chine « has indisputable sovereignty over the South China Sea islands and the adjacent waters » (Gouvernement de la RPC, 2009) tout en introduisant pour la première fois de manière officielle la carte des neuf tirets (Lasserre, 2017).
À partir de 2014 (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2022) ou de 2016 (Viray, 2017 ; Hayton, 2018 ; VietnamPlus, 2020 ; Zhu et Li, 2021) selon les auteurs, il semble que le gouvernement chinois ait entamé une promotion active du concept des quatre archipels de mer de Chine du Sud [南海四沙群島 ou nanhai sisha qundao], une nouvelle doctrine dite des « Quatre sha ». En 2014, la Chine souligne ainsi sa souveraineté sur les îles de mer de Chine du sud à appréhender « comme un tout » (as a whole) (Gouvernement de la RPC, 2014). Mais c’est surtout à partir de 2016 qu’on observe une transition, initiée le jour même de la publication de l’arbitrage de la CPA, le 12 juillet 2016, dans un communiqué chinois : « China’s Nanhai Zhudao (the South China Sea Islands) consist of Dongsha Qundao (the Dongsha Islands), Xisha Qundao (the Xisha Islands), Zhongsha Qundao (the Zhongsha Islands) and Nansha Qundao (the Nansha Islands) » (Gouvernement de la RPC, 2016). La Chine développe une argumentation dans laquelle les formations insulaires de mer de Chine du Sud constituent des unités cohérentes, notamment les Spratleys :
[les îles Spratleys]… [possèdent] « toutes les caractéristiques d’un archipel, c’est-à-dire qu’elles sont formées d’îles, de récifs, de cayes, de bancs, d’eaux interconnectées et d’autres caractéristiques naturelles… De par leurs caractéristiques géographiques, [les îles Spratleys sont] pleinement qualifiées d’archipel [formant] une seule entité économique et politique… » [5] (CSIL, 2018 : 254, cité par Seo, 2023 : 322).
On retrouve ce nouveau concept dans les déclarations officielles de la Chine, notamment dans ses Notes verbales déposées auprès des Nations unies. Ainsi en 2019, protestant contre le dépôt d’une demande de plateau continental étendu par la Malaisie, la Chine affirme que « La Chine exerce sa souveraineté sur le Nanhai Zhudao, composé des Dongsha Qundao, Xisha Qundao, Zhongsha Qundao et Nansha Qundao ; la Chine possède des eaux intérieures, sur la base du Nanhai Zhudao ; la Chine possède une zone économique exclusive et un plateau continental, sur la base du Nanhai Zhudao » [6] (Gouvernement de la RPC, 2019), une expression reprise à nouveau contre le Vietnam en 2020 (Gouvernement de la RPC, 2020). La souveraineté chinoise découle de celle sur quatre blocs d’îles formant des unités cohérentes, des archipels avec une grande ambiguïté quant au statut juridique de ceux-ci – peuvent-ils faire l’objet d’une ligne de base archipélagique ou pas ? Il semble que des juristes chinois s’efforcent de plaider pour un nouveau concept, la Chine ne pouvant bien évidemment se prétendre un État archipélagique au titre de la CNUDM (articles 46 et 47), mais un concept qui permettrait aux États continentaux de tracer des lignes de base entourant leurs archipels, considérés comme des unités territoriales. Ce concept est cependant largement battu en brèche par nombre de juristes occidentaux (Ashley Roach, 2018 ; Mastro, 2021).
En janvier 2022, le ministre des Affaires étrangères de Malaisie, Saifuddin Abdullah, affirmait de manière directe que plusieurs États d’Asie du Sud-Est avaient observé un glissement du discours sur la ligne des neuf tirets, vers un discours fondé sur la théorie des « Quatre Sha ». « [La Chine] est passée de l’utilisation de la ligne à neuf tirets à celle de Quatre Sha. Je peux voir un certain changement de politique dans la façon dont ils abordent la mer de Chine méridionale. Il reste à voir si l’[approche] des Quatre Sha est plus agressive ou si la ligne à neuf tirets est plus agressive » (cité dans Mustafa, 2022).
Ainsi, dans le discours chinois, il n’est plus fait référence à des groupes d’îles considérées dans leur individualité, ni à la ligne des neuf tirets dont la signification n’avait jamais été précisée (Lasserre, 2017), mais à quatre archipels qui seraient les unités de base du discours juridique chinois. À travers cette évolution, sans reconnaitre le verdict de la CPA de 2016, la Chine évacue malgré tout le concept d’île, fragilisé par l’arbitrage puisque la Cour ne leur accorde aucun droit à une ZEE dans les Spratleys, pour y substituer celui d’archipel qui lui, dans le discours officiel, permettrait de générer les espaces maritimes du droit de la mer à partir de lignes de base regroupant les ilots. Cette analyse est soutenue par plusieurs chercheurs chinois (Chinese Society of International Law – CSIL, 2018) avec l’idée d’une « approche différente de la Convention du droit de la mer » (Hong, 2022). Ce nouveau discours permet de se dégager des conséquences de l’arbitrage de 2016, puisque les espaces maritimes chinois ne seraient plus engendrés par les ilots, mais par les archipels. Il est en revanche contestable car, d’une part, le droit de la mer ne permet pas aux États continentaux de se prévaloir de la création d’archipels définis par de longues lignes de base rectilignes, fussent-elles droites (art. 7) ou archipélagiques (art. 47) (Baumert et Melchior, 2015 ; Roach, 2018) ; d’autre part, il ne permet pas de se prévaloir d’espaces maritimes générés à partir d’entités archipélagiques, si les ilots qui constituent ces archipels ne peuvent eux-mêmes générer de ZEE ou de plateau continental (US Office of Ocean and Polar Affairs, 2022), car ce sont les îles, et non les archipels considérés comme entités distinctes selon la lecture chinoise, qui peuvent engendrer des ZEE ou des plateaux continentaux selon la Convention de 1982.
Ce n’est pas la première évolution de la pensée juridique chinoise en mer de Chine du Sud. La notion de droits historiques sur de vastes espaces maritimes, présente dans la pensée juridique chinoise, a été reprise à partir des années 1990 sur la base de raisonnements initialement promus par le gouvernement taiwanais (Hayton, 2018). Compte tenu des négociations ayant présidé à la signature de la Convention en 1982, et auxquelles la Chine avait participé, cette notion de droits historiques définis dans le cadre de la ligne à neuf tirets avait clairement été abandonnée en 1982 et sa réactivation atteste d’une modulation des discours, jugée opportuniste (Guilfoyle, 2019). De la même manière, la mutation du discours chinois vers un nouvel argument juridique fondé sur les droits à une ZEE à partir d’archipels, lecture juridique très particulière de la Convention, semble procéder d’une conception de la doctrine juridique comme outil politique.
Par ailleurs, Pékin présente désormais les décisions de la Cour comme un outil d’influence politique que Washington utilise pour manipuler l’opinion publique internationale et destiné à dénigrer la politique chinoise en mer de Chine du Sud. En faisant pression sur le gouvernement chinois, les États-Unis viseraient à « aliéner la coopération entre les pays de la région et la Chine », à « renforcer la légitimité de leur propre intervention en mer de Chine méridionale » (Ju et Lin, 2022). Pour appuyer cette idée, les Chinois soulignent qu’après son arrivée au pouvoir, le président Biden et d’autres hauts fonctionnaires, dont le secrétaire d’État Blinken, le conseiller à la sécurité nationale Sullivan et le secrétaire à la Défense Austin, ont réitéré à plusieurs reprises leur soutien à l’arbitrage, alors que les médias américains ont activement diffusé le point de vue de Washington sur les enjeux sécuritaires en mer de Chine du Sud. Ainsi, selon les calculs des chercheurs chinois, les médias américains ont été responsables d’environ 68% de la couverture médiatique mondiale des questions liées au conflit en mer de Chine méridionale au cours de la même période, ce qui a aidé à Washington à orienter le discours international en fonction de ses propres intérêts géopolitiques dans la région (Ju et Lin, 2022).
D’autres experts chinois mettent en avant le fait que les États-Unis tentent eux-mêmes de réinterpréter les règlements et le droit de la mer internationaux afin qu’ils correspondent davantage à l’évolution de leur stratégie en mer de Chine du Sud, en utilisant le Shiprider Program qui permet à des garde-côtes américains d’intervenir dans les eaux territoriales et dans les ZEE d’autres pays (Yan, 2022). En effet, le Shiprider Agreement permet aux États côtiers de transférer partiellement aux États-Unis leur juridiction sur leurs espaces maritimes souverains, ce qui en fait une base juridique importante permettant aux États-Unis de réaliser les opérations conjointes en matière d’application de la législation maritime dans le monde entier. Les États-Unis affirment que cette délégation de pouvoir est légale puisque les États signent un consentement. Toutefois, soulignent les Chinois, l’accord ne respecte pas pleinement l’égalité souveraine des États côtiers, il ne devrait donc pas être appliqué aux eaux contestées. Ainsi, aux yeux des Chinois, toute tentative des États-Unis de mèner des opérations avec les Philippines, le Vietnam ou d’autres acteurs impliqués dans les différends en mer de Chine du Sud dans le cadre de l’accord de Shiprider, constituera un défi majeur pour la paix et la stabilité régionales (Yan, 2022).
Conclusion
En mer de Chine du Sud, le conflit portant sur les archipels des Paracels et des Spratleys a glissé d’enjeux de souveraineté sur les îles, à des enjeux de contrôle des espaces maritimes, une évolution renforcée par l’avènement de la Convention sur le droit de la mer qui offre la possibilité aux États côtiers de régir de vastes espaces maritimes, ZEE et plateaux continentaux étendus (Song et Tønnesson, 2013). On peut observer que tant la Chine que les États d’Asie du Sud-Est ont fait évoluer leur discours juridique.
Le Vietnam, les Philippines et la Malaisie se sont ainsi départis d’une certaine ambiguïté quant au statut des îles des Spratleys, pour finalement embrasser l’idée que ces îles ne satisfont pas les critères de l’article 121(3), et donc ne génèrent pas de ZEE ni de plateau continental. Une requalification qui a pour effet de les priver eux-mêmes, mais surtout de priver la Chine en droit de vastes espaces maritimes et qui donc semble traduire une instrumentalisation politique du droit de la mer.
La Chine également a vu sa doctrine évoluer, passant de revendications d’espaces maritimes prévues dans le cadre de la Convention à partir des îles des Paracels et des Spratleys ; à la notion de droits historiques ambigus dans le cadre de la ligne à neuf tirets ; pour récemment voir se développer le concept des « Quatre Sha », quatre archipels pensés comme unités autonomes, enserrés dans des lignes de base et engendrant des ZEE. Dans le cas de la Chine, il ne s’agit pas de saper les revendications des autres protagonistes, mais de trouver une nouvelle base juridique pour défendre une revendication très ambitieuse. Tous ces changements, cependant, témoignent du recours au droit conçu comme outil d’influence et de promotion des intérêts nationaux, avec la promotion par la Chine d’une interprétation « différente » du droit international (Williams, 2020 ; Eckman, 2022 ; Larkin, 2022).
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Références
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