Rapport de force à propos de l’interdiction des voitures thermiques en Europe

Rapport de force à propos de l’interdiction des voitures thermiques en Europe

par Thomas Ricard – École de Guerre Économique – publié le 4 janvier 2024

https://www.ege.fr/infoguerre/rapport-de-force-propos-de-linterdiction-des-voitures-thermiques-en-europe


Depuis la création du concept de développement durable dans le rapport Bruntland (ONU-1987) et son officialisation au cours du Sommet de la Terre à Rio en 1992, la réduction des impacts de l’activité humaine sur l’environnement est progressivement devenue une préoccupation majeure. Pour répondre aux attentes croissantes de la population, de nombreux États se fixent des objectifs de réduction de leurs effets sur l’environnement. Pour les atteindre, des évolutions technologiques sont souvent présentées comme indispensables, ce qui entraîne l’émergence de nouvelles filières technologiques. Ces dernières font l’objet d’une forte compétition entre États pour en devenir les leaders. La maîtrise d’une technologie peut, en effet, constituer un levier déterminant en vue d’exercer une certaine domination sur les autres acteurs. Ainsi, derrière les ambitions purement écologiques se cachent des jeux de pouvoir et des enjeux géostratégiques liés aux technologies choisies pour limiter les impacts de l’Homme sur l’environnement.

La mise en place d’une loi sur l’interdiction des voitures thermiques dans l’union européenne d’ici 2035 est une illustration concrète et récente de ce phénomène.Le 28 mars 2023, le conseil de l’Union Européenne a adopté un texte de loi qui interdit la vente de voitures neuves émettrices de CO2 en Europe (véhicules essence, diesel et hybride) à partir de 2035, au profit du tout électrique. Cette décision fait suite à des rebondissements de dernière minute liés au blocage du texte par l’Allemagne qui souhaitait ouvrir une voie aux carburants synthétiques (e-fuel) pour prolonger l’usage des moteurs thermiques dans certains cas spécifiques (véhicules de luxe notamment). Ce projet de loi, qui va profondément modifier le futur parc automobile européen, a fait l’objet de rapports de force entre différentes parties prenantes en vue d’influencer la décision.

Les différents acteurs du rapport de force

L’Europe, à travers ses constructeurs automobiles, est devenue un leader de l’industrie automobile mondiale par le biais de son expertise dans les véhicules à moteurs thermiques. L’industrie automobile y occupe une place importante dans l’économie et représente environ 12,5 millions d’emplois sur le continent, dont environ 400 000 emplois directs rien qu’en France. Compte tenu du durcissement des normes environnementales et suite au scandale du « Dieselgate »[i] (scandale de trucage des émissions de CO2 de voitures diesel), les constructeurs européens ont été contraints de développer des technologies alternatives telles que l’hydrogène ou l’électrique. Étant donné que le véhicule électrique s’est imposé comme l’alternative principale aux véhicules thermiques, les industriels européens ont investi massivement (mais assez tardivement) afin d’essayer de rattraper leur retard sur les concurrents étrangers (Chine & Etats-Unis). La problématique des ressources naturelles et des coûts supplémentaires associés à la technologie électrique mènent vers une perte de leadership progressif de l’Europe dans le paysage automobile mondial au profit de la Chine et des Etats-Unis.

L’Union européenne, en tant qu’institution disposant des pouvoirs législatifs et exécutifs à l’échelle des 27 Etats membres du continent européen, est à l’origine de cette nouvelle loi. En 2019, la commission européenne propose son « Pacte vert pour l’Europe »[ii] qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre et faire de l’Europe le premier continent à atteindre la « neutralité climatique » d’ici 2050. Ce dernier s’inscrit dans la lignée des engagements pris par de nombreux pays, lors de l’Accord de Paris[iii] (COP21 en 2015), en matière de limitation du réchauffement climatique. Ce « Pacte vert » fait office de fil conducteur pour l’ensemble des réglementations européennes qui sont adoptées. La législation sur la fin des véhicules thermiques est une illustration concrète de la politique qui est menée.

Les partis politiques et les associations écologistes occupent une place importante dans le paysage médiatique européen. À travers leur influence importante, elles participent au façonnement de l’opinion publique dans l’objectif de faire avancer leurs causes. L’immense majorité de ces acteurs sont ouvertement favorables à l’interdiction des véhicules thermiques au profit des véhicules électriques.

La Chine est un acteur incontournable en ce qui concerne les véhicules électriques. Alors que cette dernière n’a jamais réussi à s’imposer dans l’industrie automobile mondiale au travers des voitures thermiques, le leadership revenant aux Européens, elle est en passe d’y arriver au travers de la technologie électrique. Le pays a en effet réussi à construire sa propre industrie automobile et devenir le pays leader de cette technologie en une dizaine d’années à peine. Cette réussite spectaculaire n’est pas l’objet d’un hasard mais d’une volonté affichée de la Chine. À partir de 2011, le gouvernement a lancé le développement rapide de la filière au travers de son 12ème plan quinquennal (2011-2015) avec des objectifs ambitieux pour faire évoluer le parc automobile national vers la technologie électrique. Aujourd’hui, la Chine maîtrise l’ensemble de la chaîne de valeur concernant les voitures électriques : depuis les ressources naturelles (lithium et terres rares) jusqu’à la fabrication des véhicules en passant par la confection des batteries.

Les enjeux autour de l’interdiction des véhicules thermiques en Europe

La loi votée au sein de l’Union Européenne porte sur les voitures et véhicules utilitaires légers. Désormais, à compter de l’année 2035, tous les véhicules neufs vendus sur le territoire européens ne devront pas émettre de CO2 lors de leur utilisation. Cela entraîne de facto l’interdiction de ventes de tous les véhicules neufs fonctionnant à l’essence, au diesel mais également les véhicules hybrides. La voie est donc ouverte aux véhicules électriques, qui restent, jusqu’à présent, la seule technologie alternative satisfaisant aux critères de la nouvelle réglementation.

Cette mutation technologique à venir présente des enjeux très importants pour l’Union Européenne. Tout d’abord, du point de vue de la maîtrise des chaînes de valeur et de la souveraineté, les véhicules électriques entraîneront un changement de paradigme profond. Les européens, avec leur position de leaders technologiques sur les moteurs thermiques, étaient devenus la principale puissance automobile du monde. Avec le passage aux véhicules électriques, il y a fort à parier que cette position préférentielle va basculer au profit de la Chine qui est devenue le leader mondial du secteur. En se concentrant sur l’électrique, la Chine a contourné la « barrière à l’entrée » qui existait pour les moteurs à combustion interne et profité de la bascule technologique pour devenir rapidement un acteur majeur de l’automobile. En interdisant les véhicules thermiques, l’Europe risque de devenir fortement dépendante de la Chine car elle domine l’ensemble de la chaîne de valeur des voitures électrique.

Le passage au « tout électrique » nécessitera une transformation et un développement important des infrastructures énergétiques. Il faudra des outils de production électrique « bas-carbone » et des réseaux de distribution qui soient en mesure de répondre aux fortes augmentations de consommations électriques. Il y a un risque d’incohérence de la politique européenne dans certains pays dans lesquels le mix énergétique est fortement représenté par les énergies fossiles (Pologne, Allemagne). Les véhicules électriques, considérés comme vertueux car n’émettant aucun CO2, se retrouveraient alimentés par de l’électricité produite à partir d’énergies fossiles… Il y aurait ainsi un double discours qui pourrait nuire significativement à l’image de l’Union Européenne.

Par ailleurs, la nouvelle législation adoptée est une source potentielle de crise sociale sur le continent européen. Les véhicules électriques nécessitent moins de ressources humaines pour leur fabrication (moins de composants que les voitures thermiques) et une main-d’œuvre plus qualifiée. En parallèle, les équipementiers qui fournissaient les composants mécaniques et tous les métiers qui gravitaient autour des voitures thermiques ne seront pas tous en mesure de se reconvertir. Cette situation conduira inéluctablement vers une certaine destruction du tissu économique et des problématiques d’emploi.

Enfin, les véhicules électriques, de par leurs coûts élevés, risquent de poser des problèmes en terme d’accessibilité pour l’ensemble de la population. Actuellement, en moyenne, les voitures électriques coûtent 40% plus cher que leurs homologues thermiques et 30 à 40% du prix est directement lié à la batterie, qui est le composant essentiel de ce type de véhicule. La généralisation des véhicules électriques, en augmentant la pression sur les matières premières entrant dans la composition des batteries, pourrait faire exploser leurs prix, malgré les réductions de coûts liées à la démocratisation de ces technologies (production de masse et économie d’échelle). De nos jours, les classes moyennes ont déjà des difficultés pour acheter ces nouveaux véhicules malgré de nombreuses aides publiques alors que celles-ci ne pourront pas être éternelles. L’inégalité d’accès aux véhicules qui se profile, en impactant la liberté pour chacun de se déplacer librement, pourrait avoir des répercussions et créer des tensions dans la société à l’avenir.

Les éléments et stratégies utilisées par les différents acteurs

La Chine est le premier marché automobile du monde[iv] avec presque 27 millions de voitures vendues chaque année[v]. Cette caractéristique, combinée à l’augmentation du niveau de vie de la population (émergence d’une classe moyenne importante) en fait un marché prisé par les fabricants automobiles du monde entier. Etant un pays très fortement pollué, la Chine a utilisé l’argument écologique pour promouvoir les véhicules électriques sur son marché intérieur (primes à l’achat pour les consommateurs). En ouvrant ce dernier aux constructeurs étrangers (notamment européens), elle les a contraint à s’allier avec des entreprises chinoises à travers des joint-ventures, via des mesures protectionnistes, pour pouvoir vendre leurs véhicules sur le territoire. Ces alliances ont été des facteurs clés qui ont permis à la Chine de développer, en un temps record, ses propres constructeurs nationaux tels que BYD, Geely ou MG. En prônant l’essor des véhicules électriques sur son territoire, la Chine a poussé les fabricants européens à développer et « populariser », d’une certaine façon, la technologie électrique auprès du grand publique. En ce sens, cela a permis d’améliorer l’image du véhicule électrique auprès des populations européennes et d’améliorer la crédibilité de celui-ci comme alternative possible aux véhicules thermiques.

Face aux problèmes de pollution en Chine, les politiques mises en place par le gouvernement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution de l’air ont séduit bon nombre de pays européens. Plus globalement, l’attitude proactive de la Chine dans sa démarche de transition énergétique (très fort développement des énergies renouvelables et des voitures électriques) et le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris[vi] (sous le président D. Trump) ont participé à la construction d’une image de pays leader ou « bon élève » en matière de transition énergétique et de protection de l’environnement dans l’inconscient collectif. L’Union Européenne, voulant elle aussi être exemplaire et leader sur ces thématiques, a ainsi eu tendance à s’inspirer des politiques chinoises, tout particulièrement en matière de véhicules électriques.

Les partis politiques et associations écologistes ont le vent en poupe depuis un certain nombre d’années. Les questions environnementales et climatiques font l’objet d’une forte couverture médiatique en Europe, ce qui contribue à augmenter leur popularité de manière générale. Les écologistes communiquent également énormément sur ces thématiques et organisent des actions « coup de poing » à fort retentissement médiatiques. Ils ont fait en sorte de présenter la voiture thermique comme « bouc émissaire », concernant les émissions de CO2 en Europe, et de persuader l’opinion publique qu’il s’agissait de l’élément prioritaire sur lequel agir. Par ailleurs, en relayant massivement les rapports ou études d’organisations/instituts sur le climat (GIEC par exemple), les acteurs ont progressivement réussi à convaincre l’opinion publique de la nécessité d’agir rapidement « avant qu’il ne soit trop tard ». Alors que l’image du moteur thermique était déjà mal en point, l’affaire du « Dieselgate » qui a éclaté en 2015 l’a définitivement condamné de par le retentissement mondial qui en a découlé.

A l’inverse, la voiture électrique a été mise sur un « piédestal » et présentée comme la meilleure solution au problème. Les éventuelles questions entourant ce type de véhicule (utilisation massive de métaux, pertinence selon les usages…) ont été négligées voire ignorées. Cela a contribué à la création d’une position dogmatique sur l’automobile en Europe : le véhicule thermique devra inéluctablement être remplacé par son homologue électrique. Plus généralement, la voiture électrique, en étant une nouveauté technologique, a été présentée caricaturalement comme « le progrès » face à « l’ancien temps » matérialisé par les moteurs thermiques. Étant donné que la notion de progrès est majoritairement associée à une image positive, la voiture électrique a bénéficié de ce positionnement.

Les pays membres de l’union européenne n’ont pas su adopter une position commune face au projet de législation. Les pays dans lesquels l’industrie automobile est bien implantée (Pologne, France, Italie, Espagne) ont manifesté leur opposition au projet de loi ou soutenaient une loi moins radicale en prônant plutôt des objectifs de réduction des émissions de CO2 de -90% et la conservation des motorisations hybrides (au lieu de 100% pour l’interdiction totale). Cette voie aurait pu laisser plus de flexibilité concernant les solutions technologiques plutôt que se restreindre uniquement aux véhicules électriques. À l’inverse, d’autres pays dépourvus d’industrie automobile sur leur territoire ont poussé pour l’adoption de la loi. Certains ont même été proactifs dans leur législation au niveau national (interdiction en Suède, Irlande, Pays-Bas d’ici 2030[vii]).

La stratégie allemande

L’Allemagne, au sein de laquelle l’industrie automobile occupe une place très importante a, de son côté, joué un rôle singulier. Alors que les industriels n’étaient auparavant pas favorables au passage vers le « tout électrique », à cause des incertitudes qui y sont associées, ils ont finalement franchi le pas récemment en investissant massivement dans ce segment (60 milliards d’euros pour Volkswagen entre 2019 et 2024[viii], la même somme pour Mercedes-Benz entre 2022 et 2026[ix]). Cette implication des grands constructeurs avait fini par convaincre le gouvernement de se positionner en faveur de la législation. L’élection du nouveau chancelier allemand Olaf Scholz, en 2021, n’est également pas anodine pour comprendre la position Allemande sur le sujet. Il a, en effet, été porté au pouvoir par une coalition entre socio-démocrates (SPD), verts (écologistes) et libéraux (FDP). Contre toute attente, un revirement de dernière minute s’est produit lors de l’adoption finale au Conseil de l’Union Européenne. Des désaccords au sein de la coalition gouvernementale ont amené l’Allemagne à bloquer temporairement la validation du projet de loi[x]. Cette situation, était due à la volonté du parti libéral (FDP) d’assouplir la loi afin d’autoriser les moteurs thermiques utilisant des carburants de synthèse (e-fuel) au-delà de 2035. Après plusieurs semaines de négociation, un compromis a été trouvé : l’adoption de la loi en échange de l’engagement pour une ouverture nette aux carburants de synthèse. Le e-fuel, un carburant de synthèse neutre en terme de bilan carbone, est devenu la parade de certains constructeurs de niche (voitures sportives) face à l’électrification du parc automobile. Cette technologie fait l’objet d’un développement important, en particulier par le constructeur Porsche, qui a mis en place des campagnes de communication importantes sur le sujet à partir de 2020[xi]. Il est fort probable que les lobbyistes de Porsche aient été actifs pour influencer l’issue du projet législatif en ce sens.

Les constructeurs et équipementiers automobiles européens n’ont pas adopté de position commune face au projet de loi. Compte tenu du durcissement continu des normes européennes sur les véhicules et de l’électrochoc provoqué par le scandale de trucage des émissions de CO2 dans l’opinion publique, les constructeurs avaient déjà commencé une transition vers les technologies hybrides et électriques. La majorité des grands constructeurs se sont montrés plutôt en accord avec le projet de loi. Certains d’entre eux avaient même déjà anticipé leur transition vers le « tout électrique » avant la date butoir de 2035. C’est particulièrement le cas de la marque Volkswagen qui a procédé à un virage radical vers l’électrique[xii] suite au « Dieselgate » en vue de redorer sa réputation et son image. De nombreux constructeurs ont ainsi profité du projet de loi pour présenter leurs intentions en matière d’électrification dans des objectifs d’image et de marketing. À l’inverse, quelques marques ont émis des réserves voir des oppositions claires face au projet de loi. C’est notamment le cas de BMW, par l’intermédiaire de ses dirigeants, qui ont fait part de leurs doutes et interrogations quant à la stratégie proposée par l’Union Européenne (échéance courte, capacités des infrastructures…)[xiii]. Renault souhaitait, pour sa part, un assouplissement en excluant les véhicules hybrides de la loi[xiv]. L’opposition la plus virulente est venue de Stellantis (fusion PSA-Fiat-Chrysler), par le biais de son PDG Carlos Tavares, qui considérait que le projet de loi était purement politique sans tenir compte des réalités technico-économiques et qu’elle poserait de nombreux problèmes à l’avenir…[xv] Dans l’ensemble, les constructeurs n’ont pas réussi à se rassembler sous un front commun ce qui a réduit leurs capacités à influencer la décision.

De leur côté, les équipementiers automobiles se sont montrés opposés au projet de loi. Ils ont été actifs en communiquant, au travers de rapports de leur syndicat (CLEPA), sur les risques socio-économiques liés à un virage complet vers l’électrique en Europe (suppression d’emplois, pertes d’activités…)[xvi]. En France, Luc Chatel, le président du syndicat automobile (plateforme automobile), a pour sa part dénoncé un « saut dans le vide et un sabordage industriel »[xvii]. Les équipementiers n’ont, en effet, pas les mêmes capacités et facilités que les constructeurs à réorienter leurs activités (pièces mécaniques vouées à disparaître avec l’interdiction des moteurs thermiques par exemple). Le manque de cohésion entre constructeurs et équipementiers témoigne d’une fracture et d’un manque de cohésion entre acteurs de l’automobile.

Le résultat du rapport de force et les perspectives actuelles

La loi a été adoptée, le 28 mars 2023, en réussissant à rallier une majorité de parlementaires favorables au projet (340 voix pour, 279 contre et 21 absentions). L’Allemagne a été le seul pays en mesure d’influencer très concrètement la décision finale, en réussissant à imposer une ouverture vers les carburants de synthèse (e-fuel). Cela se matérialisera par un projet de loi sur le sujet qui sera déposé courant 2024 et qui aura pour objet d’autoriser leur usage au-delà de 2035 sous réserve de preuve de leur neutralité du point de vue du bilan carbone.

Un amendement avait également été ajouté, lors de l’été 2022, pour autoriser certaines exemptions pour les constructeurs dont les nouvelles immatriculations sont inférieures à 10 000 véhicules/an et une exemption complète pour ceux dont les productions sont inférieures à 1000 véhicules/an. Cet amendement avait été en grande partie porté par les députés italiens pour protéger leurs constructeurs nationaux prestigieux (Ferrari, Lamborghini…)[xviii].

À présent la loi est entrée en application mais comporte cependant une clause de revoyure en 2026[xix]. Elle consistera à faire un état de lieux par rapport à l’objectif d’interdiction des moteurs thermiques d’ici 2035 (état d’avancement des technologies, des infrastructures, réseaux…). Des ajustements pourront être effectués en fonction de la situation à ce moment-là. Cette clause pourra également constituer une fenêtre d’opportunité, pour les parties prenantes, en vue de faire évoluer la législation actuellement en vigueur. Il est à noter que, suite à son adoption, la loi a rapidement fait l’objet d’attaques en justice par des groupes d’industriels en vue de l’annuler[xx]. Le rapport de force autour de l’interdiction des moteurs thermiques n’est donc pas encore terminé et risque d’évoluer dans les années à venir.

Thomas Ricard (SIE27 de l’EGE)


Notes :

[i] Afp, L. F. A. (2019, 30 septembre).  « Volkswagen  ;  : Chronologie du scandale du Dieselgate ». Le Figaro.

[ii] «Press corner». (s. d.). European Commission – European Commission.

[iii] France 24. (2021, 28 octobre). « Quel bilan pour l’accord de Paris ? ».

[iv] « Les spécificités du marché de l’automobile en Chine ».

[v] «Production of automobiles in December 2022 »- China Association of Automobile Manufacturers(CAAM).

[vi] France 24. (2019, 5 novembre). « Par une lettre, Washington officialise sa sortie de l’Accord de Paris sur le climat ». France 24.

[vii] Assurance, D. (2020, 26 novembre). « La carte des pays où les véhicules thermiques vont être interdits ».

[viii] Reuters, A. (2019, 15 novembre). Volkswagen va investir 60 milliards d’euros d’ici 2024 dans l’électrique et le numérique. Mediapart.

[ix] Afp, L. F. A. (2021, 2 décembre). « Mercedes investit 60 milliards d’euros en cinq ans dans sa transition électrique ». Le Figaro.

[x] Berretta, E. (2023, 3 mars). « Fin du moteur thermique en 2035 : l’Allemagne bloque la décision ». Le Point.

[xi] « L’essence synthétique Porsche » | Porsche Lauzon. DwaaS.

[xii] Rédaction, L. (2021, 9 mars).  « Volkswagen veut devenir le n°1 de la voiture électrique ». Transitions & Energies.

[xiii] Chodorge, S. (2019, 14 juillet). « Quand le directeur R&D de BMW tacle la voiture électrique ». www.usinenouvelle.com.

[xiv] Max.K. (2021, 9 septembre). « La fin du thermique en 2035, Renault n’en veut pas ». L’Automobile Magazine.

[xv] Touzot, E., & Touzot, E. (2023, 7 juin). « Stellantis : Carlos Tavares toujours sceptique sur la voiture électrique ». Automobile Propre.

[xvi] « Le lobby automobile brandit la menace des pertes d’emplois ». Techniques de l’Ingénieur.

[xvii] Dumonteil, P. (2022, 9 juin). « Fin des moteurs thermiques en 2035 : Luc Chatel dénonce un  » ; sabordage industriel ».      BFMTV.

[xviii] Kossmann, M. (2022, 14 juin). « Arrêt du thermique en 2035. Quels constructeurs seront exemptés » ?  www.largus.fr.

[xix] « Fin du thermique en Europe : clause de revoyure en 2026 ». AM Today.

[xix] Lethuillier, Y. (2023, 27 septembre). « Première contestation en justice contre la fin des moteurs thermiques en 2035 ». Autoplus.

Autres sources

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avec AFP, F. (2023, 28 mars). « Interdiction de vente des voitures thermiques : Qu’est-ce que les carburants de synthèse, que l’Europe a promis ». Franceinfo.

Afp, L. F. A. (2023, 14 février).  « Le Parlement européen vote la fin des moteurs thermiques en 2035 ». Le Figaro.

« La Chine ou l’art de la guerre sur le marché de la voiture électrique ». (2020, 12 mars). Ecole de Guerre Economique.

Amiot, M. (2019, août 5). « Le « hold-up » de la Chine sur la voiture électrique ». Les Echos.

Bourassi, N. « Fin de la voiture thermique en 2035 : la guerre des blocs s& # 039 ; intensifie en Europe, la France prend la tête du  » ; non » ». La Tribune.

« Fin des moteurs thermiques : la charrue avant les bœufs ! »  

Énergies, C. D., & Énergies, C. D. (2018, 2 octobre). « La Chine, à la conquête du marché des véhicules électriques ». Connaissance des Énergies.

« Ces scandales qui ont changé le monde : le Dieselgate, promoteur du véhicule électrique ».

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Pétroyuan versus Pétrodollar : la fin de l’hégémonie du billet vert ?

Pétroyuan versus Pétrodollar : la fin de l’hégémonie du billet vert ?

par Émilie Alexandre (SIE 27 de l’EGE) – Ecole de Guerre Economique – publié le 4 décembre 2023

https://www.ege.fr/infoguerre/petroyuan-versus-petrodollar-la-fin-de-lhegemonie-du-billet-vert


L’hégémonie du dollar, instrument de la suprématie internationale des États-Unis, est-elle menacée ? La multiplication des transactions pétrolières en yuan, et la volonté d’un nombre croissant de pays de contourner la monnaie américaine semblent l’indiquer. La domination financière actuelle des États-Unis, basée sur l’usage exclusif du dollar dans le commerce mondial du pétrole, pourrait être mise à mal si le yuan parvenait à supplanter le billet vert dans ce secteur. Ce possible renversement de situation pourrait constituer un tournant décisif dans la compétition pour la suprématie mondiale entre les États-Unis et la Chine.

Une prééminence du pétrodollar dans les transactions pétrolières internationales incontestée jusqu’à présent

Depuis les années 1970, le pétrodollar a régné en maître dans le domaine des échanges pétroliers. Né de l’accord de 1974 entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, ce système a établi le dollar comme la devise dominante pour les transactions pétrolières, renforçant ainsi la position du dollar en tant que monnaie de référence dans le commerce international du pétrole[i]. Cette prééminence du dollar a favorisé une demande mondiale constante pour la devise américaine. Entre autres, elle a permis à l’État américain de maintenir un niveau de dette élevé en raison de la confiance et de la demande pour le dollar dans le commerce pétrolier[ii]. C’est le « privilège exorbitant » des États-Unis. Au-delà de la simple logique économique, le dollar est une arme qui a permis aux États-Unis d’imposer, de manière unilatérale, des sanctions pouvant s’appliquer aussi bien à des entreprises qu’à des États, en vertu de l’extraterritorialité du droit américain[iii]. Décidé également de manière unilatérale par les États-Unis, le partenaire d’une entreprise placée sur la liste noire américaine, fait également l’objet de sanctions par effet rétroactif. En somme, le système du pétrodollar a élevé le dollar américain au rang de monnaie de réserve mondiale et grâce à ce statut, les États-Unis bénéficient d’avantages substantiels géoéconomiques.

L’apparition du pétroyuan comme le reflet d’une baisse de l’appréciation du pétrodollar

L’évolution du paysage énergétique mondial des années 1970 a engendré un changement significatif. Les États-Unis sont devenus moins dépendants des importations pétrolières, grâce à la révolution du fracking, ce qui a altéré leur position de premier importateur mondial de pétrole. De ce fait, les États-Unis exportent plus qu’ils n’importent pour la première fois en 2020[iv]. Parallèlement, la Chine émerge comme le plus grand importateur de pétrole au monde, dépassant les États-Unis, en 2017[v].

Cette transformation dans les dynamiques de consommation énergétique s’accompagne d’une montée de la méfiance et du désir de réduire la dépendance au dollar, notamment de la part des pays non occidentaux, émergents ou en développement. Ce phénomène découle de l’utilisation par les États-Unis du dollar comme levier dans leur politique étrangère, souvent au détriment de la souveraineté des nations. Dans ce contexte, tirant parti de sa croissance économique, la Chine est motivée à rechercher des alternatives au dollar pour ses transactions pétrolières, cherchant ainsi à s’émanciper d’un système largement dominé par les États-Unis[vi]. Concrètement, l’ambition de la Chine est d’internationaliser le yuan afin de réduire sa dépendance vis-à-vis du dollar américain, et plus largement, de consolider son statut de superpuissance économique.

Pour ce faire, la Chine lance le 26 mars 2018 le pétroyuan à la Bourse internationale de l’énergie de Shanghai et propose ses premiers contrats à terme sur le pétrole en yuan, garantis par l’or[vii]. Avant cette date, toutes les transactions pétrolières à terme étaient uniquement libellées en dollar[viii]. Ce système a permis de créer potentiellement l’indice de référence du pétrole asiatique le plus important et offre une alternative aux indices libellés en dollars américains.

La montée en puissance du pétroyuan témoigne ainsi de l’ambition de la Chine d’établir sa devise nationale comme une alternative crédible et compétitive au dollar.  Par extension, il stimule l’intérêt et l’implication d’autres acteurs tels que la Russie, l’Union européenne, et des pays exportateurs de pétrole comme l’Iran et le Venezuela, soucieux de diversifier leurs réserves monétaires[ix].

À ce titre, l’essor du pétroyuan constitue le défi le plus important à ce jour pour la domination du dollar dans les transactions pétrolières internationales.

Une lutte asymétrique pour l’hégémonie monétaire mondiale

La suprématie financière des États-Unis repose sur l’exclusivité du dollar en tant que véhicule du commerce mondial du pétrole. En cherchant à ébranler la suprématie du dollar dans le commerce pétrolier, le pétroyuan transforme cette compétition pour le statut de devise de référence dans les transactions pétrolières en une lutte pour la domination monétaire.

The rise of the pétrodollar system : dollars for oil de Jerry Robinson (2002) évoque l’enjeu pour les États-Unis, dès les années 1970, de « maintenir le système du pétrodollar » qui « devient le but premier de l’empire américain, tout le reste étant secondaire »[x]. Les États-Unis s’efforcent toujours de défendre et maintenir le statut du dollar comme monnaie de réserve mondiale pour préserver leur influence économique et géopolitique. Les enjeux sont considérables. Si le système du pétrodollar venait à s’effondrer, les États-Unis pourraient se retrouver dans l’incapacité d’imprimer de la monnaie excédentaire par rapport à la demande. Cela entraînerait probablement une situation où les nations étrangères liquideraient leurs réserves de dollars, provoquant une hyperinflation, en particulier par le biais d’une augmentation des taux d’intérêt et des prix du pétrole[xi].

Dans le rapport de force avec le pétroyuan, les États-Unis bénéficient d’un avantage considérable face à la Chine. Sur le plan financier, le pétrodollar tire sa force de l’ancrage historique du dollar comme principale devise de réserve mondiale. Sa stabilité, sa liquidité et la confiance qu’il inspire en font un choix privilégié pour les réserves de change des banques centrales et pour les transactions internationales, notamment pétrolières[xii]. En raison de ces caractéristiques, de nombreuses transactions pétrolières restent libellées en dollars. Les acteurs mondiaux ont des réserves en dollars et sont souvent plus à l’aise avec cette monnaie.

En revanche, on observe quelques signes d’érosion du dollar. En mai 2023, les États-Unis ont atteint le plafond de leur dette publique[xiii], et mènent régulièrement des politiques monétaires expansionnistes[xiv] pour soutenir l’économie américaine, notamment à la suite de la crise sanitaire de la covid-19. Ces facteurs soulèvent des inquiétudes quant à la soutenabilité à long terme du dollar. D’autre part, l’extraterritorialité du droit américain qui s’applique au travers du recours du dollar conduit un nombre grandissant de pays à s’en détourner pour des alternatives fiables[xv].

Dans ce cadre, le pétroyuan émerge comme un défi sérieux à l’hégémonie du dollar dans le commerce pétrolier. Au-delà de la simple logique économique de promouvoir l’utilisation du yuan dans les échanges de pétrole et ainsi réduire sa dépendance vis-à-vis du dollar, se profile un scénario écrit par Pékin qui vise à dégrader la puissance états-unienne en lui subtilisant son privilège et en affaiblissant le statut de sa monnaie[xvi]. La possibilité de payer du pétrole en yuan entame le monopole du dollar en tant que devise internationale de réserve. Ce projet de la Chine pourrait donc être le début d’un long processus de dédollarisation de l’économie mondiale[xvii].

La montée en puissance du yuan s’est manifestée lors de son admission par le FMI en septembre 2016 au sein du panier de devises constitutives des Droits de tirage spéciaux (DTS), consacrant ainsi sa reconnaissance officielle dans les réserves de change internationales[xviii]. Cependant, un argument fort contre le pétroyuan est que le yuan lui-même n’est pas une monnaie très liquide. La Chine doit en effet encore faire face à des préoccupations concernant la convertibilité et liquidité limitées du yuan[xix]. Si les marchés financiers chinois ont connu une croissance exponentielle au cours des dernières décennies, ils restent relativement peu liquides par rapport aux marchés des capitaux américains.

En revanche, les autorités chinoises sont conscientes des faiblesses du yuan et ont déjà trouvé une solution. Pour renforcer l’attractivité du yuan, depuis avril 2016, la Chine assure la convertibilité de sa devise en or. Pour les pays exportateurs, cela signifie que, s’ils acceptent des yuans en échange de leur pétrole, ils peuvent ensuite convertir la monnaie chinoise en or physique[xx]. PetroChina et Sinopec, deux compagnies pétrolières chinoises, fournissent des liquidités aux contrats à terme sur le brut en yuans en étant de gros acheteurs. Ainsi, si un producteur de pétrole souhaite vendre son pétrole en yuans, et indirectement de l’or, il y aura toujours une offre[xxi].

Ainsi, bien que le rapport de force entre le pétroyuan et le pétrodollar soit initialement asymétrique et déséquilibré en faveur des États-Unis, la Chine sait s’adapter et capitaliser sur les contradictions du pétrodollar pour se démarquer.

Une double stratégie défensive et offensive de la Chine

La Chine a adopté une double stratégie pour se soustraire progressivement aux pressions des États-Unis et internationaliser sa devise dans les transactions pétrolières[xxii]. D’une part, sa politique de promotion du pétroyuan se fonde sur une approche relativement prudente et défensive, notamment pour éviter des réactions négatives sur les marchés financiers mondiaux. D’autre part, la Chine dispose dorénavant d’outils qui pourraient lui servir d’armes économiques offensives pour tenter d’imposer sa monnaie au commerce pétrolier[xxiii].

Comparativement à Saddam Hussein ou Mouammar Kadhafi qui ont voulu déconnecter l’échange pétrolier du dollar sans plan pour ce faire, la stratégie chinoise s’est construite sur des décennies. La Chine a tout à bord renforcé sur une quinzaine d’années sa position en tant que principale importatrice de pétrole en Asie centrale, en contrats en monnaie nationale, pour offrir une base solide afin de promouvoir le yuan dans les transactions pétrolières, à l’échelle régionale[xxiv]. La Chine a par conséquent acquis le statut de premier importateur mondial de pétrole, en important 8,4 millions de barils de pétrole brut par jour en 2017 (contre 7,9 Mb/j pour les États-Unis)[xxv]. Un système de pipelines amène le pétrole du Kazakhstan ou le gaz du Turkménistan. Ce dispositif répond à deux objectifs. D’une part, ces flux sont inaccessibles au contrôle des États-Unis. D’autre part, ils participent au grand mouvement de dédollarisation de l’Asie centrale, car les contrats sont de plus en plus souvent signés en monnaies nationales. Ainsi, Gazprom décide en 2015 de vendre son pétrole à la Chine en yuan et non plus en dollar.

Au-delà, de la logique de promotion du yuan dans les transactions pétrolières régionales, se profile également la stratégie de jouer la même partition diplomatique que les États-Unis, il y a 40 ans. En effet, l’accord conclu en 1974 avec l’Arabie Saoudite par le secrétaire d’État Kissinger n’a été possible que parce que les États-Unis étaient le plus gros importateur de pétrole dans les années 1970. Aujourd’hui, ce titre lui a été ravi par la Chine. Si cette dernière parvient à jouer la même stratégie, le pétroyuan deviendrait sérieusement une menace pour le pétrodollar.

D’autre part, le moment choisi pour introduire le pétroyuan par la Chine est opportun. Alors que les plus grands exportateurs de pétrole, que sont l’Iran, le Venezuela et la Russie subissent des sanctions américaines, le pétroyuan apparaît comme une alternative intéressante. La Chine cherche donc à tourner à son avantage le contexte géopolitique actuel. C’est le côté défensif de l’approche chinoise. Il s’agit d’un narratif qui fait référence à une expérience commune à un nombre croissant d’entreprises et de gouvernements, soit, celui de pressions américaines ressenties comme indues, et qui fonctionnent par l’utilisation du levier « accès au dollar »[xxvi]. S’en soustraire est séduisant pour un nombre croissant de pays.

Étant donné que la Chine importe majoritairement son pétrole auprès de pays qui ont des relations tendues avec les États-Unis (Russie, Iran, Irak, Venezuela, etc.), elle leur propose un échange « gagnant-gagnant » : Elle achète leur pétrole, et eux en contrepartie acceptent ses yuans et échappent tous à l’extra-territorialité du droit américain.

Dans une démarche plus offensive, la Chine cherche à développer des partenariats avec des alliés historiques des États-Unis. À ce titre, Pékin fait pression sur l’Arabie Saoudite, et les pays du Golfe, pour abandonner leur cotation en dollars et leur vendre son pétrole en devise chinoise[xxvii]. Ce fut l’objet du déplacement du président chinois Xi Jinping en Arabie saoudite, le 9 décembre 2022, et dans d’autres États du Conseil de coopération du Golfe (CCG) pour lancer, selon ses propres termes, « un nouveau paradigme de coopération énergétique multidimensionnelle »[xxviii].

L’Arabie saoudite est le pilier du système du pétrodollar. La décision de ne plus vendre son pétrole exclusivement en dollars américains pourrait ébranler la suprématie du dollar américain dans le système financier international. Cependant, en acceptant de se faire payer en yuan, l’Arabie Saoudite s’expose au risque de perdre la protection militaire nord-américaine, prévu depuis l’accord de 1945[xxix]. Les Saoudiens se retrouvent donc face à un dilemme, soit, renoncer à leur prééminence pétrolière, s’ils refusent la requête chinoise, ou renoncer au pétrodollar, au risque de contrarier les Américains. La Chine ayant conscience du dilemme dans lequel se trouve l’Arabie Saoudite proposent de nouvelles offres. Elle propose une autorisation d’émission de bons en yuans par l’Arabie Saoudite, la création d’un fonds d’investissement saoudo-chinois, ou encore l’acquisition d’une partie des 5% de la Saudi Aramco (compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures)[xxx].

Plus rapidement que les États-Unis ne l’anticipent, la Chine développe des initiatives, et des outils lui permettant progressivement d’imposer sa monnaie dans les transactions pétrolières.

Une stratégie américaine à deux vitesses

Les États-Unis ont réagi relativement tardivement à l’essor du pétroyuan, illustrant potentiellement une certaine complaisance quant à la position dominante du dollar.

Une des stratégies principales des États-Unis vise à dissuader les pays et les entreprises d’adopter le pétroyuan. Cette approche se fonde sur la mise en avant des risques de perte d’accès au marché américain, au système financier et à l’utilisation du dollar comme monnaie pour les transactions internationales. À ce titre, les États-Unis ont pris des mesures contre certaines entreprises chinoises impliquées dans des transactions pétrolières en yuan. Par exemple, en 2019, ils ont imposé des sanctions à l’encontre de la société chinoise Zhuhai Zhenrong, une importante entreprise pétrolière, en raison de ses transactions de pétrole avec l’Iran en yuan[xxxi]. Ces sanctions ont été conçues pour dissuader d’autres entreprises de suivre cet exemple. Les États-Unis ont également imposé des sanctions contre les institutions financières qui faciliteraient des transactions pétrolières en yuan, contournant ainsi le dollar. En 2018, les États-Unis ont imposé des sanctions à l’encontre de la Banque de développement de Chine, l’une des plus grandes banques chinoises, en raison de ses transactions financières avec l’Iran[xxxii]. Ces sanctions ont eu un effet dissuasif sur les banques et les institutions financières qui craignaient d’être exclues du système financier américain.

Le pétrodollar chahuté, mais là pour rester

Les États-Unis parviennent à maintenir la position dominante du dollar en tant que principale devise de réserve mondiale face au pétroyuan qui demeure un défi relativement modeste à ce stade.

Les principales références pétrolières sont toujours déterminées à Londres et à New York, et si nous étudions l’enjeu que représente le contrat à terme de Shanghai par rapport aux contrats Brent et West Texas, nous constatons qu’il est encore très faible (seulement 7% de la part de marché)[xxxiii]. Il est également vrai que le contrat à terme sur le pétrole de Shanghai ne porte que sur la livraison d’un type spécifique de pétrole brut, à savoir le type à haute teneur en soufre principalement consommé par les raffineries chinoises, et non sur l’offre mondiale de pétrole de manière plus générale[xxxiv]. Le yuan est donc encore loin d’avoir détrôné le dollar dans les transactions pétrolières.

Le rapport de force se joue véritablement au niveau des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient qui s’alignent pour le moment sur les États-Unis et s’en tiennent au dollar. Si Xi Jinping a demandé aux producteurs du Moyen-Orient d’accepter les paiements en yuans, il n’a pas sollicité de fixer le prix du pétrole en yuan[xxxv]. Thani Al Zeyoudi, le ministre émirati du Commerce, a déclaré que son pays était prêt à discuter du règlement des échanges commerciaux dans différentes devises, mais uniquement pour les accords non pétroliers[xxxvi]. Dans la région, le pétroyuan est également considéré comme une porte qui, une fois ouverte, constituerait une invitation pour les éventuels adeptes. L’Inde, le Japon, la Corée du Sud et Taïwan pourraient ainsi rechercher des accords similaires[xxxvii]. D’autre part, la plupart des monnaies des pays producteurs du Moyen-Orient sont rattachées au dollar, ce qui nécessite un afflux constant de dollars pour soutenir l’accord[xxxviii]. Ces économies sont détenues sur des comptes en dollars, les pays du Moyen-Orient ont donc intérêt à maintenir un dollar fort[xxxix].

Néanmoins, le pétroyuan est déjà un succès sur la place boursière de Shanghai qui assure progressivement sa crédibilité à l’international. La Chine est parvenue à augmenter la visibilité du yuan à l’échelle mondiale, renforçant sa position en tant qu’acteur économique mondial majeur.


Notes

[i]  GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[ii] Ibid.

Le dollar, monnaie de réserve mondiale | vie-publique.fr, [http://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270947-le-dollar-monnaie-de-reserve-mondiale], consulté le 6 novembre 2023.

[iii]Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

[iv] La révolution du gaz et du pétrole de schiste aux États-Unis : enjeux technologiques, territoriaux et géostratégiques — Planet-Terre, [https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/gaz-petrole-schiste-EU.xml], consulté le 20 octobre 2023.

[v] La Chine, premier importateur mondial de pétrole brut en 2017, [https://www.connaissancedesenergies.org/la-chine-premier-importateur-mondial-de-petrole-brut-en-2017-220218], consulté le 6 novembre 2023.

[vi] Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

[vii] GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[viii] Ibid.

Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

[ix] GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[x] Ibid.

[xi] Petro dollar System, [https://www.slideshare.net/kashyapshah11/petrodollar-42971452], consulté le 28 octobre 2023.

[xii] Le dollar, monnaie de réserve mondiale | vie-publique.fr, [http://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270947-le-dollar-monnaie-de-reserve-mondiale], consulté le 18 octobre 2023.

[xiii] « Dette américaine : les Etats-Unis approchent dangereusement du défaut de paiement », Le Monde.fr, 15/05/2023.

[xiv]Expansionary Fiscal Policy: Risks and Examples, [https://www.investopedia.com/terms/e/expansionary_policy.asp], consulté le 20 octobre 2023.

[xv]Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

Malik Matheo, « 10 points sur les sanctions américaines et la dédollarisation », consulté le 2 novembre 2023.

[xvi] GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[xvii] Ibid.

[xviii] Le FMI inclut le renminbi dans le panier de devises des droits de tirage spéciaux, [https://www.imf.org/fr/News/Articles/2016/09/29/AM16-NA093016IMF-Adds-Chinese-Renminbi-to-Special-Drawing-Rights-Basket], consulté le 2 novembre 2023.

[xix]Yuan : le fonctionnement d’une monnaie atypique, [https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/yuan-le-fonctionnement-dune-monnaie-atypique-1125149], consulté le 18 octobre 2023.

Internationalisation du yuan : une stratégie à pas comptés, [https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/c9176e57-03a1-4576-89b4-927e23f9161d/files/d1ab36f4-deb5-4c50-9886-7d4c3c5ba162], consulté le 18 octobre 2023.

[xx]Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

[xxi] L’essor du Pétroyuan : La fin du règne du pétrodollar et son impact sur les marchés mondiaux, [https://www.aubedigitale.com/lessor-du-pétroyuan-la-fin-du-regne-du-petrodollar-et-son-impact-sur-les-marches-mondiaux/], consulté le 19 octobre 2023.

[xxii] La polémique sur la Shanghai International Energy Exchange, [https://www.ege.fr/infoguerre/la-polemique-sur-la-shanghai-international-energy-exchange], consulté le 2 novembre 2023.

[xxiii] Ibid.

[xxiv] GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[xxv]La Chine, premier importateur mondial de pétrole brut en 2017, [https://www.connaissancedesenergies.org/la-chine-premier-importateur-mondial-de-petrole-brut-en-2017-220218], consulté le 2 novembre 2023.

[xxvi] La polémique sur la Shanghai International Energy Exchange, [https://www.ege.fr/infoguerre/la-polemique-sur-la-shanghai-international-energy-exchange], consulté le 2 novembre 2023.

[xxvii] L’essor du Pétroyuan : La fin du règne du pétrodollar et son impact sur les marchés mondiaux, [https://www.aubedigitale.com/lessor-du-pétroyuan-la-fin-du-regne-du-petrodollar-et-son-impact-sur-les-marches-mondiaux/], consulté le 19 octobre 2023.

[xxviii] Ibid.

[xxix] Ibid.

[xxx] GREILING Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.

[xxxi] « Pétrole : l’Iran accepte les règlements en yuans », Le Monde.fr, 08/05/2012.

[xxxii]HUGHES DAVID A.,  « The End of US Petrodollar Hegemony ? », [https://eprints.lincoln.ac.uk/id/eprint/34036/1/The%20End%20of%20US%20Petrodollar%20Hegemony.pdf], consulté le 2 novembre 2023.

[xxxiii]Pétroyuan : le projet de la Chine pour Remplacer le Dollar – Grand Angle, [https://grandangleeco.com/pétroyuan-remplace-dollar/], consulté le 18 octobre 2023.

[xxxiv] Ibid.

[xxxv] « The Myth of the Inevitable Rise of a Pétroyuan », Bloomberg.com, 27/02/2023.

[xxxvi] Ibid.

[xxxvii] Ibid.

[xxxviii] Ibid.

[xxxix] Ibid.

 

Sources

Ouvrages :

  • Cabestan Jean-Pierre, Demain la Chine : guerre ou paix ?, Editions Gallimard, 2021.
  • Greiling Christian, Le grand jeu, Héliopoles, 2020.
  • Laïdi Ali, La Chine ou le réveil du guerrier économique, Éditions Actes Sud, 2023.

Articles :

Sites internet :

Voiture électrique : une transition à 110 milliards d’euros pour la France

Voiture électrique : une transition à 110 milliards d’euros pour la France

Le site de la gigafactory d’ACC à Billy-Berclau, Pas-de-Calais – Credits: (c) ACC


par Marc-Antoine EYL-MAZZEGA, cité par Guillaume Guichard dans Les Echos. Article sur l’étude de l’Ifri – publié le 8 novembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/voiture-electrique-une-transition-110-milliards-deuros-france


Pour réduire sa dépendance aux importations, la France devrait investir dans les mines de lithium, les matériaux pour batterie et les bornes de recharge, liste l’Ifri dans une étude. L’Etat doit aussi sortir le chéquier.

Les usines de batteries, c’est bien, mais cela ne suffit pas. La France compte déjà quatre projets dans ce domaine sur son sol, mais doit continuer d’investir pour réduire sa dépendance aux importations, prévient l’Institut français des relations internationales (Ifri) dans un rapport présenté mercredi.

« Les gigafactories jouent un rôle crucial, bien qu’elles ne soient pas suffisantes pour assurer la résilience et la croissance industrielle de ce secteur en plein bouleversement », écrivent les auteurs, emmenés par Marc-Antoine Eyl-Mazzega, directeur du Centre Energie & Climat du think tank. L’amont de la chaîne de valeur est le talon d’Achille de l’industrie automobile électrique française et européenne. »

Des mines de lithium aux bornes de recharges pour les usagers , les investissements nécessaires pour constituer une filière se montent à environ 113 milliards d’euros d’ici 2035. Les industriels ne réussiront pas seuls. « Le soutien budgétaire est indispensable pour aider à l’investissement, dans un contexte de concurrence en Europe pour attirer les industries, et de concurrence internationale sur les technologies et les soutiens aux industries », prévient l’Ifri.

La prépondérance chinoise

Toute la chaîne de valeur en amont de la fabrication des cellules de batteries, qui relève de la chimie, est à constituer. Aujourd’hui, « la domination de la Chine au niveau mondial dans le segment de la transformation des matières premières critiques est écrasante », alerte l’Ifri.Par exemple, Stellantis, d’après la documentation officielle du groupe, ne se fournit qu’auprès de raffineurs de lithium de l’empire du Milieu – faute de concurrence.

De même, les chimistes spécialisés dans la fabrication de matériaux pour cathodes et anodes (deux des trois éléments constitutifs des batteries avec l’électrolyte), sont presque tous asiatiques (chinois ou coréens). Pour mettre fin à une dépendance sur cette étape cruciale de la chaîne de valeur (le matériau de cathode actif, dit « CAM », compte pour 40 % du coût d’une batterie), la France devrait construire quatre usines, d’un coût unitaire de 1,5 milliard d’euros, soit 6 milliards au total.

A cette heure, le pays ne compte que deux projets dans ce domaine requérant des savoir-faire peu répandus. L’un réunit Orano et le chinois XTC à Dunkerque, et représentera un investissement d’un milliard d’euros. L’autre est porté par une ETI de la chimie, le groupe Axens (filiale de l’IFP Energies nouvelles), allié, là encore, à un chinois, Hunan Changyuan Lico. Il nécessite un investissement 500 millions d’euros d’investissement environ, d’après « L’Usine nouvelle ». C’est un début.

Aujourd’hui, « la domination de la Chine au niveau mondial dans le segment ransformation des matières premières critiques est écrasante », alerte l’Ifri. Par exemple, Stellantis, d’après la documentation officielle du groupe, ne se fournit qu’auprès de raffineurs de lithium de l’empire du Milieu – faute de concurrence.

Une facture salée pour l’État

Tout au long de la chaîne de valeur, l’État devra participer au financement, pour un coût total d’une vingtaine de milliards d’euros d’ici 2035, a calculé l’Ifri. L’Europe a d’ailleurs assoupli ses règles sur les aides publiques afin de permettre un tel soutien. A cela, il faut ajouter les aides à l’achat de voitures électriques (35 milliards sur les douze prochaines années), pour une facture totale comprise entre « 55 et 60 milliards sur un peu plus de dix ans ».

 

Une facture salée pour le secteur privé comme pour le public. Mais, rappelle l’Ifri, « cela sera en partie compensé par la réduction de la facture pétrolière extérieure qui revêt un enjeu économique et stratégique majeur, compte tenu de son montant de 58 milliards d’euros en 2022 ».

 

> Article à lire dans Les Echos 

Conséquences du conflit israélo-palestinien sur les litiges maritimes israélo-libanais concernant les hydrocarbures

Conséquences du conflit israélo-palestinien sur les litiges maritimes israélo-libanais concernant les hydrocarbures

par Giuseppe Gagliano – CF2R – publié le 5 novembre 2023

https://cf2r.org/actualite/consequences-du-conflit-israelo-palestinien-sur-les-litiges-maritimes-israelo-libanais-concernant-les-hydrocarbures/

Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.

 

Comme nous le savons, Israël se positionne comme un acteur clé dans le secteur énergétique de la Méditerranée orientale, grâce à la découverte et à l’exploitation d’importants gisements de gaz naturel tels que Leviathan et Tamar. Ces gisements ont transformé le pays, auparavant importateur de gaz, en un exportateur émergent, avec des implications économiques et politiques significatives.

Jusqu’en 2008, Israël dépendait fortement des importations de gaz de l’Égypte, mais la situation a changé avec la découverte des gisements mentionnés. En particulier, Leviathan, avec des réserves estimées à environ 450 milliards de mètres cubes de gaz, a commencé sa production à la fin de 2019. Tamar, plus petit mais néanmoins significatif, est entré en production depuis quelques années déjà. Ces gisements promettent non seulement de satisfaire les besoins intérieurs d’Israël, mais également son potentiel d’exportation, changeant la dynamique énergétique de la région.

Cependant, la transition énergétique de l’État hébreu a été confronté à un défi e, en raison d’un différend maritime sur les droits d’exploitation des ressources naturelles avec son voisin, le Liban. Celui-ci a délimité sa propre zone économique exclusive, la subdivisant en blocs et en attribuant des licences pour l’exploration d’hydrocarbures. Le bloc numéro 9 fait l’objet d’un conflit avec Israël. Tel Aviv a revendiqué une portion de ce bloc en se basant sur un accord maritime avec Chypre, tandis que Beyrouth a établi ses propres délimitations, donnant lieu à une question ouverte concernant les droits d’exploration et d’exploitation.

Les tensions entre les deux pays ont été constantes, le Liban accusant Israël de prendre des actions unilatérales et d’expansionnisme. Toutefois, sous l’administration Biden, un accord a été conclu en 2021 qui pourrait atténuer ces tensions. L’accord prévoit une médiation qui offre à Israël une sécurité économique grâce à la possibilité d’exploiter le gisement de Leviathan, tandis qu’il est permis au Liban d’explorer et de développer le controversé bloc 9, en échange d’une compensation pour le gaz extrait à l’intérieur de sa propre zone maritime.

Malgré cette avancée, la question de la « ligne bleue », la frontière terrestre temporairement tracée par les Nations Unies, reste un point en suspens. Cela montre que les différends territoriaux et les ressources naturelles continuent d’être des facteurs critiques dans les relations internationales en Méditerranée orientale. La situation reste tendue, car le potentiel économique des gisements gaziers pourrait à la fois servir de catalyseur pour la coopération régionale, mais aussi accentuer les tensions existantes entre les pays voisins.

En effet, le conflit persistant entre Israël et la Palestine a le potentiel de modifier considérablement l’équilibre géopolitique au Moyen-Orient, en particulier en ce qui concerne la dynamique énergétique impliquant Israël et le Liban. La dispute sur les hydrocarbures dans l’est de la Méditerranée, notamment en ce qui concerne le gisement de Leviathan et les différends sur les droits d’exploration du bloc 9, pourrait être influencée de diverses manières par la prolongation des hostilités israélo-palestiniennes.

D’abord, l’instabilité croissante pourrait compromettre la sécurité des infrastructures énergétiques en Israël, posant un risque pour la production et l’exportation de gaz naturel. Cela pourrait entraîner une réduction de la confiance des investisseurs et un impact économique conséquent pour Tel Aviv, ce qui pourrait affaiblir sa position de négociation avec le Liban.

D’autre part, l’intensification du conflit israélo-palestinien pourrait mener à un renforcement des alliances régionales. Le Liban, confronté à ses propres défis internes, pourrait être incité à rechercher une résolution rapide du différend énergétique avec Israël, surtout si cela impliquait des bénéfices économiques immédiats pour alléger ses tensions financières.

Cependant, une escalade pourrait aussi avoir l’effet contraire, intensifiant le nationalisme et la rhétorique anti-israélienne, ce qui compliquerait davantage les pourparlers. Les factions opposées à Israël au sein du Liban pourraient utiliser la guerre actuelle comme prétexte pour interrompre les négociations ou pour exercer une pression afin d’adopter des positions plus fermes.

Il est également plausible que la guerre israélo-palestinienne détourne l’attention internationale de la dispute énergétique entre Israël et le Liban, retardant une résolution tandis que les puissances mondiales se concentrent sur le conflit plus immédiat et ses ramifications.

Enfin, une plus grande instabilité pourrait conduire à une intervention internationale plus décidée, avec des acteurs tels que les États-Unis qui pourraient jouer un rôle plus actif pour stabiliser la région à travers des accords énergétiques favorisant la coopération économique, pouvant être perçus comme antidote aux tensions croissantes.

En conclusion, la guerre israélo-palestinienne n’est pas un conflit isolé mais une pièce d’un puzzle beaucoup plus vaste comprenant la sécurité énergétique, la diplomatie et la stabilité régionale au Moyen-Orient. Ses répercussions se font sentir au-delà des frontières nationales et la dispute concernant les gisements gaziers entre Israël et le Liban n’est que l’une des nombreuses questions qui pourraient être façonnées par l’issue de ce conflit.

Thalassopolitique des fonds marins, théâtre d’une nouvelle conflictualité inter-étatique ?

Thalassopolitique des fonds marins, théâtre d’une nouvelle conflictualité inter-étatique ?

Par Florian Manet – Diploweb – publié le 5 novembre 2023 

https://www.diploweb.com/Thalassopolitique-des-fonds-marins-theatre-d-une-nouvelle-conflictualite-inter-etatique.html


L’auteur s’exprime à titre personnel. Colonel de la gendarmerie nationale, expert en sûreté globale, chercheur associé à la Chaire de géopolitique de Rennes School of Business. Auteur de Florian Manet, « Le crime en bleu. Essai de thalassopolitique« , préfaces du général d’armée Richard Lizurey et de l’amiral Christophe Prazuck, ed. Nuvis.

Matérialisée par le conflit russo-ukrainien et ré-affirmée au Proche-Orient depuis l’attaque par le Hamas d’Israël, la nouvelle donne stratégique a des incidences directes et immédiates sur les politiques de défense des États, contraints d’adapter la protection de leurs intérêts majeurs. La maritimisation des modes de vie conjuguées à la digitalisation des économies et aux objectifs de transition énergétique ont dessiné, notamment, une géopolitique énergétique et numérique qui est questionnée aujourd’hui. En effet, ces dynamiques reposent sur des réalisations industrielles à l’image des câbles sous-marins (énergie, télécommunication), des plates-formes d’extraction de matières premières (hydrocarbures, terres rares…) mais aussi les projets d’envergure des îles énergétiques artificielles. Ces infrastructures critiques sous-marines et maritimes sont devenues des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience des États. Transparentes pour l’usager, elles constituent, néanmoins, selon les points de vue, soit des vulnérabilités soit des cibles d’intérêt dans la perspective d’une guerre totale ou guerre d’attrition. Florian Manet se fait pédagogue pour expliquer les ressorts de ces nouveaux risques majeurs et met les États devant leurs responsabilités.

4 illustrations : deux photos et deux cartes.

LES ESPACES OCEANIQUES font, actuellement, l’objet d’une cristallisation des intérêts des nations. L’une des illustrations les plus criantes demeure le conflit russo-ukrainien et, notamment, les opérations militaires engendrées à la suite de l’invasion du Donbass le 24 février 2022. Le théâtre des opérations s’est, progressivement, dilué vers les espaces maritimes stratégiques encadrant le théâtre européen aéro-terrestre. L’attaque portée au Moskowa, vaisseau amiral de la flotte russe de la mer Noire, le 14 avril 2022, n’était que le premier épisode d’opérations aéronavales. Le contrôle de la navigation dans cette mer presque fermée, ce cul de sac maritime à la frontière de l’Europe et du Moyen-Orient, constitue l’un des enjeux majeurs au plan militaire comme économique. La pose de mines maritimes, les attaques répétées à base de navires autonomes comme le tir de missiles mer-mer, terre-mer et air-mer visant des installations portuaires comme les flottes de combat ont contraint à une réorganisation des chaines d’approvisionnement internationales. Ce volet d’opérations navales s’avère finalement tout à fait conventionnel dans la perspective d’un conflit armé inter-étatique de haute intensité.

Cependant, une révolution aux conséquences durables s’est jouée, simultanément, sur une mer adjacente au théâtre des opérations aéro-terrestres, la mer Baltique. Les actes de sabotage portés à quatre reprises sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 ont banni durablement la croyance universelle en l’inviolabilité des infrastructures flottantes ou posées au fond des océans dans un contexte de dépendance accrue aux espaces maritimes. Quand bien même fussent-elles situées hors des eaux territoriales.

De fait, alors que les acteurs étatiques se polarisent nettement et que les opérations militaires multi-champs et multi-milieux éprouvent la résilience des parties prenantes, les infrastructures critiques maritimes constituent, plus que jamais, des centres de gravité des conflits inter-étatiques. Des modes d’action qualifiés d’hybrides mettent, désormais, en risque la capacité d’opérateurs de services essentiels à assumer la fourniture de communication, d’énergie et de transport par voie maritime.

Ainsi, après avoir décrit les enjeux de l’« infrastructuration » des espaces océaniques (I), les menaces et des scénarii envisageables d’expression des conflits hybrides dans les espaces maritimes seront présentés (II). Enfin, cette nouvelle donne stratégique invite les États à développer une thalassopolitique conforme à leurs responsabilités et à la défense de leurs propres intérêts (III).

I. L’infrastructuration des espaces océaniques

Les espaces océaniques connaissent un mouvement universel d’exploitation de leurs potentialités ce qui se traduit par l’implantation d’installations artificielles offshore très variées. Cette dynamique est qualifiée par le néologisme d’« infrastructuration » (A). Néanmoins, le droit international a précédé, accompagné et s’est adapté à ces évolutions, s’efforçant de réguler les activités humaines en mer en combinant les principes de souveraineté des États et de protection de l’environnement naturel maritime (B).

A. Une variété et une complexité croissante d’installations posées ou flottantes

Le progrès technologique a accompagné la dynamique de mondialisation économique fondée sur un rapport de dépendance accru aux espaces maritimes. Pour décrire cette réalité irréfragable, on évoque alors le concept de « maritimisation » des économies et des modes de vie. Initiés au XIX ème siècle, ce mouvement de travaux maritimes a affecté initialement les télécommunications avec la pose du premier câble en Manche le 28 août 1850 [1]. Puis, à compter des années 1920, les pionniers de l’exploration pétrolière offshore ont exploité des nappes pétrolifères du golfe du Mexique, rendant possible in fine une production industrielle en 1947. Dès lors, ces infrastructures se développent et se multiplient, de plus en plus loin des côtes et de plus en plus profondément. L’offshore profond se développe entre 1 500 et 3 000 mètres de profondeur.

L’exploitation minière et pétrolière sous-marine

Recouvrant près de 64 % de la surface du globe, ces espaces singuliers regorgent, en effet, de matières premières. Le potentiel minier des fonds et grands fonds marins est très prometteur, notamment dans le contexte de production d’énergies alternatives sans émission de gaz à effet de serre. Les gisement de terres rares ou de modules polymétalliques [2] constituent des défis, certes, technologiques mais aussi économiques.

Par ailleurs, les fonds marins servent de support à des réseaux de tuyaux ou pipe-line [3] alimentant en gaz ou en hydrocarbures les économies énergivores depuis des plates-formes de forage offshore. L’Organisation Maritime Internationale [4] considère que le fret pétrolier, brut ou raffiné, représente un tiers du commerce maritime international. Le stockage comme la distribution des hydrocarbures nécessitent des installations dédiées de plus en plus souvent localisées offshore. Pour des gains de productivité, les navires citerne délivrent les hydrocarbures non plus à quai dans un port mais au large à partir de bouées d’amarrage offshore situées sur le plateau continental. Les bouées d’amarrage par point unique sont utilisées pour immobiliser les pétroliers navettes pendant les opérations de chargement et de déchargement. Attachée à une structure sous-marine à l’aide de tuyaux flexibles, la bouée est maintenue en place par des ancres.

Enfin, se développent, pour des raisons d’autonomie stratégique et de sécurité énergétique, des solutions de stockage de gaz liquéfié. L’exemple lituanien est très illustratif. Il s’agissait, pour cet état balte, d’opter pour une alternative au gazoduc russe et de diversifier ses approvisionnements. Amarré à l’embouchure du port lituanien de Klaipéda, un navire-citerne, INDEPENDANCE, joue le rôle de terminal flottant de gaz naturel liquéfié (GNL).

Un navire-citerne opérant à une bouée d’amarrage par point unique
Copyright : Louis du Plessix/Diploweb.com
du Plessix/Diploweb.com

La mer, remède circonstanciel à la transition énergétique ?

De même, les enjeux environnementaux favorisant des productions d’énergies décarbonnées invitent à la conception et à la réalisation de parcs éoliens, soit posés, soit flottants ou encore à celle de plateformes produisant de l’énergie hydrolienne ou marémotrice promouvant ainsi des Énergies Marines Renouvelables (EMR).

Témoignant, désormais, d’une réelle maturité, ce mouvement connaît actuellement des développements sans précédent comme le démontrent des projets scandinaves en mer du Nord. Il s’agit de la construction d’îles énergétiques [5] (« energy island  ») situées au large des côtes qui fourniront de l’hydrogène et de l’électricité aux pays riverains dans une logique d’intégration européenne. Ainsi, un complexe d’envergure, Princess Elizabeth, est en cours de construction à 45 kilomètres des côtes belges, entre La Panne et Ostende. Dotée d’un port, d’un héliport et d’équipements haute tension (transformateur, sous-station), elle s’étendra sur 6 hectares et sera reliée à des parcs éoliens offshore et disposera d’une capacité totale de production de 3,5 gigawatts (GW). Elle alimentera en électricité la Belgique, le Danemark et le Royaume-Uni. Ce premier projet ouvre la voie à des réalisations encore plus importante comme le suggère l’appel d’offre lancé au Danemark pour une île de 20 à 40 hectares. Elle sera implantée à une centaine de kilomètres des côtes occidentales du Jutland, en mer du Nord. Réparties en 10 fermes, les installations composées de 670 turbines offshore seront ancrées à 30 mètres de profondeur. Lors de sa mise en service en 2030, elles produiront nominalement une puissance de 10 GW soit l’alimentation électrique de 10 millions de foyers ou encore la production de 6 réacteurs EPR. Cette île artificielle accueillera, aussi, une capacité de production d’hydrogène et de stockage d’énergie qui sera, ensuite, convoyée par un réseau de câbles d’alimentation à destination du continent. L’hydrogène apporte plus de souplesse dans le stockage et le transport de l’électricité. Ce défi technologique réside aussi dans sa capacité d’intégration dans un environnement naturel particulièrement exigeant.

Les perspectives de transport par voie maritime d’énergie électrique produite offshore mais aussi onshore s’avèrent très dynamique à l’échelle internationale. L’Australie s’impose par une politique très volontariste de production d’énergie électrique au sein du Pacifique sud. Ainsi, le Japon est dépendant de l’énergie produite par l’Australie à hauteur de 15 % de ses importations totales. Une des sources principales provient des champs d’exploitation gazier offshore de IMPEX ICHTHYS [6] implantés sur la côte nord-ouest de l’Australie. De même, le projet sous-marin « Sun Cable » ambitionne de transporter l’électricité produite par des fermes solaires à proximité de Darwin à destination de Jakarta (Indonésie) et de la cité-État de Singapour. Cette géopolitique énergétique constitue l’un des volets conditionnant les relations internationales dans la zone Indo-Pacifique.

Vingt milles câbles sous les mers

Enfin, les espaces océaniques constituent des traits d’union entre les hommes, les peuples et les continents. Ainsi, dès le XIX ème siècle, des câbles de communication ont été déployés en Atlantique nord, reliant la France aux États-Unis d’Amérique. Dès lors, stimulés par la brutale numérisation des économies, les réseaux de câbles sous-marin se sont développés à tel point qu’il est estimé que 97 % des data échangées dans le monde empruntent les fonds marins selon de multiples combinaisons géographiques. Le montant global des transactions financières empruntant les câbles est estimé, en valeur, à 10 trillions de dollar US par jour. Ainsi, sous forme d’impulsions lumineuses circulant à très grande vitesse, ils véhiculent dans les fibres optiques, c’est-à-dire un long fil de verre de l’épaisseur d’un cheveu, des informations de toutes natures. Ordres de bourse, messageries personnelles comme professionnelles, renseignement militaire, etc.

 
Carte. Planisphère des réseaux de câbles sous-marins
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Les câbles maillent les fonds marins. D’un continent à l’autre. D’un rivage à l’autre. Concentrés en leur point d’atterrissement (ou d’attérage), ils s’immergent en faisceau qui, au fur et à mesure, gagnent leurs destinations finales. En 2023, 485 systèmes opérationnels étaient dénombrés pour un réseau fort de 1,2 million de kilomètres. La France, métropolitaine ainsi que les outre-mers en dénombrent une cinquantaine. D’une longueur de 6800 kilomètres, le câble dénommé « Amitié » a été mis en service le 18 octobre 2023 : il relie Boston aux États-Unis d’Amérique à Porge (département de la Gironde) en France ainsi qu’à Bude (Cornouaille) au Royaume-Uni. De même, dans le cadre d’un programme de résilience numérique opéré en Pacifique sud, deux câbles sous-marins transpacifiques « Honomoana » et « Tabua » seront prochainement exploités par Google. Ils visent à améliorer la connectivité et la fiabilité sur les routes transpacifiques entre les États-Unis, l’Australie, la Polynésie française et les Fidji. C’est un premier pas dans la construction de réseaux numériques alimentant et désenclavant les nombreuses îles et archipels du Sud-pacifique. C’est aussi une démarche, certes, technologique et économique Mais, cette démarche est aussi porteuse de conséquences géopolitiques dans une région à forts enjeux.

Or, chacun peut imaginer les difficultés et les obstacles qui compliquent l’entretien d’un tel réseau peu accessible et transparent aux yeux de nombre d’utilisateurs. Ces opérations de maintenance exigent des moyens considérables et un savoir-faire à haute valeur ajoutée maitrisé par peu d’acteurs.

L’une des spécificités majeure repose dans le statut juridique de ces infrastructures qui relève d’acteurs privés et, notamment, des champions de l’Internet. Résumés dans deux acronymes GAFAM (ou plus exactement GAMAM) et BATX [7], ils reflètent, à leur manière, une nouvelle réalité géopolitique d’un monde pivotant sur deux orbites culturelles concurrentielles. Ces partenaires économiques agissent de fait comme des acteurs géopolitiques de dimension internationale dotés d’un pouvoir qui, à bien des égards, égale voire surpasse celui des États tant leur raison sociale – permettre la communication – est déterminante.

B. Une exploitation des espaces maritimes régie par des conventions internationales

Cette exploitation des espaces océaniques s’inscrit effectivement dans le cadre juridique de la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) signé à Montégo Bay, en Jamaïque, en 10 décembre 1982. Suite à la ratification préalable par un nombre suffisant d’États, ce texte fondateur est entré en vigueur en 16 novembre 1994. Son apport est fondamental à de multiples titres.

Tout d’abord, cette « constitution de la mer » structure l’espace maritime selon une double perspective, sécuritaire et économique. Ainsi, l’espace de 12 milles nautiques courant depuis la laisse de basse mer vers le large est qualifiée de « mer territoriale ». C’est le prolongement maritime de l’État-côtier. En conséquence, ce dernier exerce, pleinement, des pouvoirs de police à la fois sur le milieu comme sur les vecteurs qui y évoluent librement. Cette garantie constitutionnelle contribue à l’expression pleine et entière de la souveraineté de l’État-côtier exercée sur ses approches maritimes. Ainsi, la pose d’installations (câble ou tuyaux) comme les opérations de recherche scientifique marine sont soumis à un régime d’autorisation préalable.

Par ailleurs, au-delà de cette ligne symbolique des 12 milles nautiques (soit 22 km), s’étend la Zone Économique Exclusive (ZEE) jusqu’aux 200 milles (soit 370 km). La CNUDM [8] attribue de fait à l’État-côtier le monopole de « l’exploration et de conservation et de gestion des ressources naturelles, biologiques, et non biologiques des eaux surjacentes aux fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu’en ce qui concerne d’autres activités tendant à l’exploration et à l’exploitation de la zone à des fins économiques , telles la production d’énergie électrique à partir de l’eau, des vents et des courants [9] ». Il est, ainsi, libre de réguler les activités économiques telles la pêche maritime et la gestion des ressources halieutiques ou encore la construction d’îles artificielles, d’ouvrages et d’installations. Enfin les 64 % des espaces océaniques restants constituent la haute mer, patrimoine commun de l’humanité. Selon la formulation latine « res nullius, res communis« , la mer relève du patrimoine commun de l’humanité. Les autres puissances étatiques ont la possibilité de poser et d’entretenir des réseaux sous-marins immergés dans la ZEE relevant de la souveraineté de l’État côtier [10].

Enfin, l’État-côtier peut encore valoriser davantage les potentialités offertes par l’espace sous-marin en sollicitant l’extension de son propre plateau continental, auprès de la Commission des Limites du Plateau Continental, organe spécialisé des Nations unies. Déterminée par des conditions géophysiques, cette extension au sol et au sous-sol marin s’inscrit dans le prolongement naturel des terres émergées du rebord jusqu’à une distance de 350 milles nautiques. A la différence de la ZEE, l’État-côtier ne peut revendiquer des droits sur la colonne d’eau surjacente des fonds marins. Il s’agit, en effet, d’eaux à statut international. A titre d’illustration, le 10 juin 2020, la France [11] a obtenu une telle dérogation, notamment, dans l’océan Indien. Cette décision lui a permis d’étendre le domaine sous-marin français de 151 323 kilomètre carré au large de l’ile de la Réunion (58 121 Km2) et de Saint Paul et Amsterdam (93 202 Km2).

De fait, le bouillonnement actuel de projets d’implantation de parcs éoliens ou encore de pose de câbles s’inscrivent en parfaite cohérence avec les dispositions des normes internationales en vigueur. Ces projets d’envergure déployés en mer posent des défis non seulement technologiques mais aussi sécuritaires dont la perception a été renouvelée avec gravité depuis les événements du Nord Stream 1 et 2 en 2022. Les conventions internationales ont envisagé des événements affectant la sécurité des installations offshore à l’image de la convention MARPOL [12] et de ses différentes annexes.

La convention internationale mise en œuvre par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) dite de Rome est dédiée à la suppression des actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime [13] et des plates-formes situées sur le plateau continental. Elle envisage la commission d’actes de malveillance de nature terroriste ou en lien avec la prolifération de matières nucléaires mettant en péril la sécurité de la navigation maritime.

II. Les infrastructures critiques maritimes, nouveau champs de bataille ?

L’Union européenne définit les infrastructures critiques maritimes comme « des actifs ou un système qui est essentiel pour la maintenance des fonctions vitales de la société ». Elles incluent non seulement les réseaux d’énergie et de communication sous-marins mais encore les installations portuaires, les rails de navigation, les plates-formes offshore et les réseaux afférents. Elles jouent un rôle central dans les chaines d’approvisionnement globalisées et dans la souveraineté des États à l’image de la liberté de manœuvre des forces armées par exemple [14].

Ces infrastructures posées sur les fonds marins ou flottantes sont l’objet de menaces protéiformes qui retrouvent une acuité singulière au regard d’une polarisation croissante des relations internationales. Elles cristallisent, désormais, l’attention des États qui ont une parfaite conscience de l’importance de ces installations qualifiées, à juste titre, de critiques. Ces risques sont d’ordre accidentels (A) mais aussi volontaires et intentionnelles (B). Ainsi, il convient de distinguer le concept de « sécurité » avec celui de « sûreté ». La sécurité ou safety désigne « la prise en charge des risques d’origine naturelle ou provoqués par la navigation maritime [15] ». Par différence, la sûreté maritime ou security est « la combinaison des mesures préventives visant à protéger le transport maritime et les installations portuaires contre les menaces d’actions illicites conventionnelles [16] ».

A. Les atteintes accidentelles aux infrastructures critiques maritimes

Les infrastructures maritimes sont exposées aux aléas d’un environnement naturel et industriel particulièrement exigeant.

Ainsi, la météorologie spécifique en mer peut se traduire par des tempêtes, raz de marée et courants susceptibles d’endommager les installations. Ainsi, des conflits d’usage entre les vecteurs maritimes et les infrastructures localisées en mer peuvent être provoqués par des éléments naturels conjugués à des problèmes d’ordre mécanique. Un cargo, le PETRA L [17], a heurté une turbine de la ferme éolienne offshore Gode Wind 1 situé en mer du Nord à environ 45 kilomètres des côtes allemandes et à 33 km au large des îles de Juist et de Norderney. Mettant hors service une turbine, cette perte de contrôle serait consécutive à une avarie dans une situation de forts vents.

Par ailleurs, le risque industriel encouru par l’exploitation offshore est une réalité omniprésente, notamment, au regard de la complexité d’infrastructures toujours plus sophistiquées. Ces plates-formes opérées en haute mer concentrent une multitude d’aléas liés à l’activité elle-même d’extraction à forte profondeur et au stockage d’un produit hautement inflammable ainsi qu’au milieu maritime particulièrement exigeant. Le contexte actuel est marqué par une recherche accrue de gisements. Aussi, les frontières du possible sont sans cesse repoussées : des forages toujours plus profonds exposent à des températures et des pressions de plus en plus fortes. Garantir un niveau élevé de sécurité est un enjeu fondamental pour l’industrie pétrolière. Le risque financier encouru est, aussi, susceptible de contribuer à la faillite de l’entrepreneur tant les coûts liés à la gestion d’une crise et les pénalités peuvent être importants.

Exemples non exhaustifs d’accidents majeurs depuis 30 ans

Ixtoc 1 (golfe du Mexique), 3 juin 1979. La plateforme Ixtoc 1, exploitée par le pétrolier Perforaciones Marinas del Golfo, est soufflée par une éruption de pétrole. Neuf mois sont nécessaires pour stopper la marée noire de plus 500 000 tonnes de pétrole. Coût : 1,5 milliard de dollars US.

• Piper Alpha (mer du Nord), 6 juillet 1988. La plateforme Piper Alfa, opérée par Occidental Petroleum en mer du Nord britannique, explose. Faisant 167 morts, l’accident est celui qui a le plus profondément marqué l’industrie pétrolière en mer. Coût : 3,5 milliards de dollars US.

• Deepwater Horizon (golfe du Mexique), 20 avril 2010. La plateforme de forage Deepwater Horizon de Transocean, opérée par BP, explose, causant 11 morts. BP met trois mois à stopper la fuite à – 1 500 mètres sous l’eau. 4,9 millions de barils de brut se sont échappés. Coût : 40 milliards de dollars.

• Elgin (mer du Nord), 25 mars 2012. Une fuite de gaz de 200 000 m 3 par jour survient sur une plateforme exploitée par Total au large de l’Écosse. Malgré les efforts, les opérations engagées par le pétrolier français pourraient prendre jusqu’à six mois. Coût : 2,5 millions de dollars par jour.

En matière de réseaux de communication, les câbles posés sont vulnérables aux mouvements géologiques du sous-sol marin [18]. Ainsi, parmi les risques les plus fréquents, se trouvent les opérations de pêche et d’ancrage [19] de navire. Si elles sont fort heureusement rares, ces pannes engendrent des effets domino observés parfois très loin de leur centre de gravité au regard du degré d’interconnexion et d’inter-dépendance des économies aux réseaux. Plus récemment, le 8 octobre 2023, le gazoduc Balticconnector [20] et deux câbles de télécommunications ont été victimes de dommages liés à des opérations d’ancrage selon les premiers éléments communiqués par les autorités finlandaises. L’origine accidentelle comme intentionnelle n’est pas encore déterminée [21].

Dans notre perspective, ces atteintes à la sécurité sont à prendre en considération non pas pour elles-mêmes. Mais véritablement comme les conséquences possibles d’un acte de malveillance perpétré sur des infrastructures critiques. Notons que l’environnement maritime démultiplie l’impact d’une crise qui est sans commune mesure avec celle des autres milieux. La maritimisation contemporaine témoigne du gigantisme de la construction navale qui met en circulation des navires citerne longs de 400 mètres transportant plus de 300 000 tonnes de brut. La perte d’un navire génère des conséquences démultipliées dans l’espace maritime et côtier mais aussi dans le temps, car, tant que l’épave n’a pas rendu l’intégralité du fret transporté, du produit s’échappe inexorablement. D’autant plus que l’intervention humaine semble bien dérisoire au milieu des océans, quand les éléments se déchaînent.

Nord Stream 2 ou la révolution de l’évaluation de la malveillance maritime

La maritimisation s’est trouvée renforcée par la dépendance croissante des économies aux richesses des océans mais aussi par le rôle majeur joué par les vecteurs maritimes dans les approvisionnements stratégiques en matières premières. Stimulés par le croissance de l’industrie, les acteurs publics et privés ont massivement investi les océans pour implanter des infrastructures. Conjointement, la notion de risque a été atténuée par cet enthousiasme collectif.

Ces actes malveillants [22] nécessitent la conception d’une manœuvre particulièrement audacieuse visant à interrompre ou à détourner le flux de données transitant par ces tuyaux. Ils supposent des modes opératoires hybrides produisant des effets asymétriques sur le camp adverse : quelques milliers d’euros d’investissement pour l’acquisition, par exemple, d’un drone maritime peuvent causer des dommages de plusieurs millions d’euros. Observé en 1898, lors de la guerre américano-espagnole, les Américains coupèrent les fils télégraphiques entre l’Espagne et ses possessions transatlantiques. Autre scénario possible qui expose moins les auteurs : « écouter » le flux de données qui empruntent ce canal en installant des mouchards aux points clés du réseau. Reste, cependant, à déchiffrer et à exploiter cette masse considérable de données frauduleusement collectées. Enfin, nous assistons à une privatisation progressive de ces infrastructures vitales qui irriguent l’ensemble de nos vies. Jadis réseau étatique, les opérateurs comme les GAFAM en prennent progressivement le contrôle. Ce qui ne laisse pas d’interroger sur les enjeux de souveraineté attachés aux données et aux garanties apportées à la liberté d’expression.

Toutefois, les actes de sabotage portés aux pipeline Nord Stream 1 et 2 ont matérialisé une menace pensée comme théorique. Ce trait d’union maritime gazier reliant la Russie à l’Allemagne est victime d’un acte de malveillance constaté les 26 et 27 septembre 2022. A cette occasion, la communauté internationale s’étonne d’un bouillonnement inhabituel à la surface de la mer Baltique et, ce, en deux endroits différents. Gisant dans les fonds de la Baltique, en Zone Économique Exclusive du Danemark et de la Finlande, le pipeline rallie Vyborg en Russie à Lubmin en Allemagne, soit une distance de 1224 kilomètres. Ce défi technologique permettait d’alimenter l’économie allemande en matières premières bon marché. Les différentes enquêtes sont encore actives afin d’élucider ces actes de malveillance et d’en établir les responsabilités. Néanmoins, il convient de souligner la grande complexité de la conception et de l’exécution d’une telle opération à haut risque. L’expédition sous-marine a été conduite par des plongeurs missionnés pour positionner à différentes reprises des charges explosives sur des installations posées au fond de la mer Baltique.

Cet acte de sabotage a généré un séisme au sein des sociétés hyperconnectées et tributaires de la mer pour l’équilibre de leurs chaines d’approvisionnement. Ces menaces hybrides sont issues d’une zone grise évoluant entre la criminalité organisée et les organisations para-étatiques voire étatiques. Elles s’inscrivent dans un cadre juridique indéterminé entre le régime normal de la paix et le droit des conflits armés. Cyberattaque, subversion politique, coercition économique, opération de déstabilisation, … . tels en sont les modes d’action privilégiés. L’immensité océanique, la multiplicité et la complexité des réseaux posées ou encore des infrastructures offshore constituent autant d’effets multiplicateurs impactant la résilience de sociétés interdépendantes. D’autant plus que ces infrastructures critiques sont véritablement transparentes aux yeux des citoyens peu au fait de ces réalités. Ce rapport distant aux choses de la mer rend souvent inaudible ces enjeux lointains et technologiques. Or, le contexte géostratégique actuel est caractérisé par un recours décomplexé à la force armée comme outil de règlement des conflits, la conception d’une guerre totale incluant les infrastructures critiques et les chaines d’approvisionnement ainsi que par la polarisation des acteurs étatiques. Cette guerre des fonds marins («  seabed warefare ») est devenue une réalité comme le souligne sans ambages les conclusions du Sommet de l’OTAN des 11-12 juillet 2023. : « La menace qui pèse sur les infrastructures sous-marines critiques est réelle, et elle s’accroît. Nous sommes déterminés à déceler et à atténuer les vulnérabilités et dépendances stratégiques de nos infrastructures critiques, ainsi qu’à assurer la préparation, la dissuasion et la défense face à l’instrumentalisation de l’énergie et au recours à tout autre procédé hybride par des acteurs étatiques ou non étatiques à des fins coercitives. Toute attaque délibérée contre les infrastructures critiques de pays de l’Alliance se verra opposer une réponse unie et déterminée, et cela vaut aussi pour les infrastructures sous-marines critiques. La protection des infrastructures sous-marines critiques se trouvant sur le territoire des Alliés demeure une prérogative nationale et un engagement collectif [23]. ».

L’émergence de technologies de rupture duales menace la résilience de nos sociétés interconnectées

Le conflit russo-ukrainien a démocratisé l’emploi des drones non seulement lors des opérations terrestres mais aussi maritimes. Facilement disponible et bon marché, le drone impose une stratégie du faible au fort démultiplié par l’immensité du domaine sous-marin. Il exerce, ainsi, une menace diffuse sur les infrastructures critiques sous-marines et les lignes de communication.

Les drones sous-marins sont des véhicules capables de fonctionner sans être humain à bord voire sans contrôle à distance ou opéré par un humain.

Plusieurs scénarii [24] de perturbation voire d’interruption d’activités humaines en mer peuvent être identifiés par l’emploi de ce moyen :

. Attaque physique coordonnée de drone (s) sur les infrastructures critiques et lignes de communication.

L’engin sous-marin effectuerait des poses de mines réelles ou fictives en surface, en sous-marin ou dans les ports. Il pourrait, en outre, véhiculer des charges explosives (notamment des charges nucléaires) ou disséminer des agents chimiques et / ou biologiques. Au vu du faible coût d’acquisition ou de conception, ce cas d’usage pourrait être mis en œuvre par des acteurs para-étatiques ou issus de la criminalité organisée en qualité de sous-traitant au bénéfice d’autres organisations hybrides. Ce scénario est évalué comme probable.

. Cyber-attaque ciblant les infrastructures critiques sous-marines, maritimes et portuaires.

Ce mode opératoire complexe chercherait à porter une atteinte à la disponibilité et à l’intégrité de la donnée, notamment, en lien avec les systèmes de sécurité maritime (positionnement géographique des navires, cartographie maritime, communication, etc..). Par ses capacités cybernétiques, il pourrait prendre part à des manœuvres élaborées visant à leurrer ou à dupliquer des communications maritimes et portuaires entre des vecteurs entre eux mais aussi entre des vecteurs et des infrastructures (dispositif de Command and Control, sous-stations électriques). Pour accroitre encore les effets sur un théâtre d’opération maritime ou sous-marin, une attaque massive et coordonnée pourrait être envisagée par le recours à un ou des essaim(s) de drones. Furtif par construction, il présente l’avantage d’être difficilement « attribuable » à son commanditaire. Nécessitant encore des développements technologiques important, ce scénario est perçu comme peu probable en 2023.

. Menace physique portée à la sécurité des routes maritimes [25] et des ports

Ce mode opératoire conçoit l’emploi des drones télé-opérés comme des sous-marins ou des navires de surface. Dans cette perspective, ces engins pourraient être dotés d’armes de bord conventionnelles, poser des mines sous-marines pré-programmées voire emporteraient des matières fissiles dans un cas très extrême. Quelle que soit la nature des équipements embarqués, un tel cas d’usage avéré exerce par lui-même une très forte menace psychologique à l’égard des gens de mer, qu’ils relèvent de la navigation marchande ou des flottes militaires. Ce scénario est perçu comme probable.

. Ces technologies évolutives connaissent actuellement des développements par le recours aux apports de l’Intelligence Artificielle ou encore du Machine Learning. Ils posent, néanmoins, de nombreuses questions majeures, notamment en terme d’éthique de la décision ultime. Est-ce que la décision d’emploi de telles armes peut être confiée à des algorithmes ? Cette « démocratisation » d’emploi des drones sous-marins à usage dual interroge aussi sur les perspectives de prolifération vers des acteurs hybrides, voire relevant de la criminalité organisée. Une telle extension d’usage des drones nécessitera, à l’avenir, des mesures de coordination internationale, susceptibles d’impacter les principes du droit maritime international.

Face à ces questions en suspens, ces engins télé-opérés doivent gagner en maturité. En l’état actuel de l’art, les drones connaissent des limitations en termes d’autonomie de navigation et de liaisons entre le pilote et son véhicule sous-marin, notamment, Internet dont la portée se trouve ralentie en milieu marin.

La mer, pare-feu numérique des infrastructures énergétiques et informationnelles [26] ?

Les infrastructures maritimes constituent, bien souvent, des sites industriels complexes dont le principe de fonctionnement et, partant, l’efficacité reposent sur des connexions internes mais aussi externes établies avec des centres distants de Command and Control (C2). Ces interconnexions sont donc consubstantielles à la conception de ces systèmes. En plein développement, elles s’inscrivent graduellement dans le sillage de l’industrie du futur, l’industrie 4.0 [27], qui accélère l’ouverture numérique des ensembles industriels.

Cette menace s’est déjà exprimée récemment au travers un chantage par déni de service avec un opérateur énergétique. Ainsi, en octobre 2015, immergée dans le raz de Sein, l’hydrolienne opérée par l’entreprise finistérienne Sabella est victime d’un rançongiciel [28] infectant l’ordinateur de contrôle de la production. Encore en phase de test, cet incident se traduit, néanmoins, par un arrêt de la production durant 15 jours, privant ainsi l’île voisine d’Ouessant d’électricité. Cet exemple symbolique permet d’envisager l’impact socio-économique sur l’activité humaine en le transposant au cas des îles énergétiques. Ce bilan étant accru par l’insularité.

De plus, les vecteurs maritimes affichent aussi des vulnérabilités susceptibles d’être exploitées par des acteurs hybrides malveillants. La société israélienne a illustré l’acuité de cette menace cybernétique en organisant une cyberattaque visant un navire porte-conteneurs. En décembre 2017 [29], l’équipe d’ingénieurs de Naval Dome est parvenue à prendre le contrôle du ZIM GENOVA à la fois lors d’une escale que lors d’une navigation transatlantique, en compromettant le système de navigation, les radars comme la gestion de la salle des machines. Les effets de cette intrusion numérique opérée à distance démontrent les champs nouveaux d’une action hybride impactant le commerce international et la viabilité des routes maritimes. Au total, l’analyse des risques de la navigation peut se résumer de manière synthétique comme suit :

. usurpation et brouillage des systèmes de positionnement ou de communication ciblant le vecteur ou son environnement,

. dérèglements ou perte de disponibilité des systèmes cartographiques,

. diffusion de fausses informations de sécurité vers le navire,

. intrusion des systèmes industriels à bord,

. chiffrement des systèmes d’information en tout ou partie.

Ce panorama du risque permet d’identifier les modes opératoires hybrides susceptibles d’impacter les activités humaines en mer et, partant, la résilience des sociétés et des États.

Des plates-formes pétrolières sont ancrées au cœur des ZEE comme ici en Irak, au large de Bassorah
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du Plessix/Diploweb.com

III. Le défi de la protection des infrastructures critiques maritimes dans le contexte de guerre haute intensité ou retour en force de la thalassopolitique ?

Le contexte géo-stratégique semble s’orienter durablement sur une polarisation des relations internationales, laissant peu d’espace à une troisième voie. De manière très concrète, cela se traduit par un recours à la force armée comme outil de résolution des conflit et une militarisation multi-champs, multi-domaines. A ce titre, et dans le contexte de maritimisation des économies, les infrastructures critiques maritimes apparaissent comme des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience d’un État ou d’une alliance. Elles font l’objet d’un regain d’intérêt des États comme en témoigne un foisonnement doctrinal inédit (A). De plus, cette situation nouvelle recentre l’État sur sa mission de protection de ses propres intérêts dans une thalassopolitique renouvelée, miroir de ses ambitions et de ses moyens (B).

A. Un foisonnement inédit de doctrines en lien avec les fonds marins et de développements technologiques

La période actuelle est fertile en multiples réflexions et propose de nombreuses mesures destinées à diminuer le risque d’atteintes aux infrastructures critiques maritimes. Des études et recherches scientifiques préparent des efforts doctrinaires et invitent au développement de technologies de rupture afin de sécuriser ces infrastructures, certes, difficiles d’accès mais, ô combien, vitales.

La France a rendu public la stratégie ministérielle de maitrise des grands fonds marins [30] en février 2022, combinant une dimension militaire et économique. Cette stratégie se fonde sur un double constat :

. les activités étatiques et économiques se développent dans les fonds marins,

. la protection de nos intérêts stratégiques et la liberté d’action de nos forces pourraient être contestées.

Désireuse de consolider l’autonomie stratégique tout en saisissant les opportunités liées à cet espace de compétition, la France développe une feuille de route dont les éléments principaux sont énoncés ci-après :

. intégrer la maitrise des fonds dans la stratégie de défense au travers des Opérations de Maitrise des Fonds Marins (OMFM) [31],

. définir une gouvernance interministérielle basée sur un groupe de travail multidisciplinaire,

. préparer les capacités de maitrise des fonds marins en cohérence avec les programmes d’armement existants ou prévus [32],

. intégrer cette stratégie au sein d’une dynamique interministérielle portée par la Stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins de 2020 et l’objectif 10 du plan d’investissement « France 2030 ».

Le Royaume-Uni renforce sa flotte hydrographique par la mise en service de deux frégates multi-rôles en janvier 2023 et par des projets d’acquisition de drones sous-marins. Les missions opérationnelles sont axées, principalement, sur la surveillance des infrastructures critiques sous-marines, scellant simultanément un partenariat stratégique avec la Norvège.

Par ailleurs, les États-Unis d’Amérique investissent massivement le champs de la recherche scientifique et du développement de technologies de rupture ou émergentes telles le positionnement géographique ainsi qu’un réseau de senseurs et de capteurs dédiés aux grandes profondeurs associés à une flotte de navires autonomes pilotée à base d’intelligence artificielle.

Les organisations internationales se sont aussi saisies des enjeux des infrastructures critiques.

Avant le sabotage des gazoducs Nord Stream 1 et 2, l’Union européenne s’est emparée de ce sujet au travers d’un rapport publié par le Parlement européen en juin 2022. Il est intitulé « Conséquences pour l’UE des atteintes à la sécurité des câbles de communication et infrastructures sous-marines [33] ». Ce document suggère une meilleure coordination dans la protection et la surveillance des réseaux immergés et le développement de solutions technologiques. En mars 2023, la Stratégie européenne de sûreté maritime [34] est réévaluée à la lumière des dernières attaques en mer Baltique. Des partenariats stratégiques [35] sont alors noués avec l’OTAN en matière de protection d’infrastructures critiques, sans se limiter exclusivement au domaine maritime.

De plus, l’OTAN a renforcé ses missions de surveillance des espaces maritimes de la mer du Nord et de la mer Baltique sans négliger la mer Méditerranée. La coordination générale est confiée au commandement maritime de l’OTAN ou MARCOM [36] basé à Northwood au Royaume-Uni. Un centre dédié à la sécurité des infrastructures critiques sous-marines a été, en outre, intégré à MARCOM à la suite du sommet l’OTAN organisé à Vilnius les 11 et 12 juillet 2023. Des nations alliées prêtent leur concours à l’image du Corps d’auto-défense japonais et de l’Australie qui ont pris part à l’opération de l’OTAN Sea Guardian en octobre 2022. De même, l’OTAN encourage le partenariat public-privé en créant « un réseau rassemblant l’OTAN, les Alliés, le secteur privé et d’autres acteurs concernés qui permettra d’améliorer le partage de l’information et l’échange de bonnes pratiques » [37].

B. Les États recentrés sur la mission organique de protection des intérêts vitaux ?

Les infrastructures critiques maritimes délivrant des services essentiels relatifs aux communications, à l’énergie, à la fourniture de matières premières… relèvent d’acteurs privés qui assument in fine une mission de service public et concourent activement à la résilience de l’État et des populations. C’est précisément un point commun majeur qui les relient toutes entre elles. Cette situation singulière oblige l’État à assurer la protection de ces activités essentielles. Car ces dernières garantissent directement la défense de ses propres intérêts.

Cette tendance lourde semble irréversible tant la numérisation croissante de l’économie associée aux exigences de la transition climatique se traduisent par une exploitation accrue des potentialités offertes par les espaces maritimes. Néanmoins, au vue du contexte géo-stratégique actuel qui désigne ces infrastructures critiques comme des objectifs militaires, les projets de création de nouvelles connexions numériques sous-marines ou d’installations offshore produisant des énergies marines renouvelables sont susceptibles d’être réévalués. S’inscrivant sur des cycles de conception et de production supérieure à 25 ans, ces projets de grande envergure supposent des investissements conséquents, des autorisations préalables d’acteurs étatiques variés et des défis technologiques. Ainsi, l’exemple du projet Xlinks opéré par des acteurs privés britanniques est illustratif des enjeux. Il s’agit de fournir de l’électricité sûre, fiable et durable à 8 % des foyers britanniques. Conforme aux engagements du gouvernement en matière de développement durable, cette électricité verte sera produite au Maroc [38] à la fois mixant des énergies éoliennes comme solaires. Avant d’être distribuée, elle sera transportée par câbles sous-marins sur plus de 3800 kilomètres à travers l’océan Atlantique.

L’enjeu de protection et de surveillance de ce réseau de transport d’énergie posé connaît une acuité renouvelée depuis la relance le 24 février 2022 du conflit russo-ukrainien. Quels en seront les impacts ? Comment anticiper les évolutions géo-stratégiques dans un projet intercontinental à proximité de chokepoints internationaux ? Les investissements particulièrement conséquents sont très régulièrement assumés par des consortiums internationaux à l’image du câble « Amitié ». Celui-ci est constitué de Facebook, Microsoft, Aqua Comms et Vodaphone avec lequel Orange a signé un partenariat.

 
Carte des réseaux de câbles sous-marins dans l’espace Balte et ses abords
Copyright : TeleGeography (Attribution-ShareAlike 4.0 International (CC BY-SA4.0)

Pour ce faire, les organisations internationales comme les États émettent des normes, des obligations afin de sécuriser ces activités essentielles. Le maritime donne, à ce titre, une illustration concrète des efforts déployés. Véritable clé de voute, le code ISPS (International Ship and Port Facility Security) est l’instrument réglementaire en matière de sûreté maritime. Il dispose que « l’évaluation de la sûreté du navire devrait porter sur (…) les systèmes de radio et télécommunications, y compris les systèmes et réseaux informatiques ». Il impose, néanmoins, un plan de sûreté du navire comportant une cartographie logicielle et matérielle du navire, la définition des éléments sensibles et la gestion des vulnérabilités du système. En 2017, l’Organisation Maritime Internationale émet des directives [39] sur la gestion des cyber-risques maritimes dans le sens d’une meilleure protection du transport maritime. Elle impose sous échéance la mise en conformité des systèmes de gestion de la sécurité [40] aux cyber-menaces. Enfin, la directive européenne NIS [41] prévoit la mise en œuvre de mesures destinées à assurer un niveau élevé et commun de sécurité des réseaux et systèmes d’information au sein de l’UE. Transposée en 2018 en droit français, elle identifie comme Opérateur de Services Essentiels les compagnies de transports maritimes et les gestionnaires de ports soumis à des mesures techniques et organisationnelles contre les cyber-risques.

*

En conclusion, matérialisée par le conflit russo-ukrainien et ré-affirmée au Proche-Orient depuis l’attaque par le Hamas d’Israël, la nouvelle donne stratégique a des incidences directes et immédiates sur les politiques de défense des États, contraints d’adapter la protection de leurs intérêts majeurs. La maritimisation des modes de vie conjuguées à la digitalisation des économies et aux objectifs de transition énergétique ont dessiné, notamment, une géopolitique énergétique et numérique qui est questionnée aujourd’hui. En effet, ces dynamiques reposent sur des réalisations industrielles à l’image des câbles sous-marins (énergie, télécommunication), des plates-formes d’extraction de matières premières (hydrocarbures, terres rares…) mais aussi les projets d’envergure des îles énergétiques artificielles. Ces infrastructures critiques sous-marines et maritimes sont devenues des centres de gravité stratégiques qui conditionnent la résilience des États. Transparentes pour l’usager, elles constituent, néanmoins, selon les points de vue, soit des vulnérabilités soit des cibles d’intérêt dans la perspective d’une guerre totale ou guerre d’attrition.

Le sabotage de Nord Stream 1 et 2 a remis en cause l’ordre international existant. Parmi d’autres enseignements, il a placé au centre des débats notre organisation socio-économique et, singulièrement, notre rapport à la mer. En ce sens, cet acte de sabotage renforce l’État dans sa fonction première de protection de ses intérêts vitaux et de disponibilité des fonctions et services essentiels. Qui sont en très grande partie tributaires des espaces océaniques. La thalassopolitique offre ainsi aux observateurs comme aux décideurs une opportunité d’adopter un point de vue fertile pour mieux appréhender la complexité du monde et des relations internationales.

Copyright Novembre 2023-Manet/Diploweb.com


[1] John Watkins BRETT, à bord du remorqueur GOLIATH, pose le premier câble entre le cap Gris nez, en France, et la cap Southerland au Royaume-Uni. L’émission dura 11 minutes avant que le câble ne se rompt en divers endroits.

[2] La réalisation des batteries de stockage d’énergie réclame du magnésium, du cobalt ou encore du nickel. Ces matières sont présentes dans des enrochements. Ainsi, la zone de Clarion-Clipperton – allant du Mexique à Hawaï- regorgerait de 6 fois plus de cobalt et de trois fois plus de nickel que l’ensemble des réserves connues au monde.

[3] Le gazoduc Franpipe fonctionne depuis 1988. Long de 840 kilomètres, il relie la plate-forme de Draupner dans les eaux territoriales de la Suède au terminal gazier de Dunkerque.

[4] Thalassocratie criminelle et sécurisation des approvisionnements stratégiques, Florian MANET, in Sécurisation des infrastructures vitales, Mare et Martin, novembre 2020

[5] https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/en-mer-du-nord-des-iles-energetiques-pour-sauver-la-planete-1948932, consulté le 29/10/23

[6] Le FPSO (Floating Production Storage and Offloding) ICHTYS VENTURER est amarré à 250 mètres de profondeur et à plus de 220 kilomètres des côtes, dans la Zone Économique Exclusive australienne. https://www.offshore-mag.com/field-development/article/16799853/ichthys-lng-fpso-in-place-offshore-australia

[7] Cet acronyme désigne les quatre grandes entreprises du web chinois, à savoir Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi.

[8] Article 55 et suivants de la CNUDM

[9] Article 56 de la CNUDM

[10] Articles 58 et 112, CNUDM

[11] Voir décision de la Commission des limites du plateau continental, consulté le 23/10/24, 2020_03_04_COM_SUMREC_FRA2.pdf

[12] Cette convention est dédiée à la prévention et à la répression des rejets volontaires en mer par des navires ou des plates-formes offshore, que la cause soit accidentelle ou liée à l’exploitation. Elle a été adoptée en 1973 et enrichie de protocoles additionnels (en 1978 et 1997) , https://www.imo.org/fr/about/Conventions/Pages/International-Convention-for-the-Prevention-of-Pollution-from-Ships-(MARPOL).aspx

[13] Ou Suppression of Unlawful Acts against the Safety of Navigation (dite SUA). Elle a été signée le 10 mars 1988 et ratifiée le 1 er mars 1992. Elle fait suite à un acte de terrorisme commis à bord du navire à passagers ACHILLE LAURO 1985 au large d’Alexandrie. Ce navire a été détourné et un passager de nationalité américaine a été tué sur fonds du conflit israélo-palestinien. Elle a été enrichie par le protocole pour la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates formes fixes situées sur le plateau continental.

[14] Protecting critical maritime infrastructure – the role of technology, 032 STC 23 E rev.2 fin – 7 octobre 2023

[15] POLÉRE, Pascal « Sûreté maritime : bilan et perspectives du code ISPS », DMF, 2006, p.66

[16] Règlement européen n° 725/2004 reprenant le Code ISPS

[17] .https://www.offshore-energy.biz/cargo-ship-strikes-orsteds-gode-wind-1-offshore-wind-farm-suffers-massive-damage_gl=1*7wn26z*_ga*OTA1ODIyMjM5LjE2OTg1ODk0MjY.*_ga_R07LJ1W79Y*MTY5ODU4OTQyOC4xLjAuMTY5ODU4OTQyOC42MC4wLjA

[18] Le 26 décembre 2006, un tremblement de terre de magnitude 7 sur l’échelle de Richter secoue Taïwan. L’épicentre est localisé dans le détroit de Luçon par lequel transitent l’ensemble du réseau de câbles qui relie l’île et une partie de l’Asie du Sud-Est avec le reste du monde. L’ensemble des communications ont été très perturbés, 50 jours ayant été nécessaires pour rendre opérant cette infrastructure.

[19] En juillet 2017, la Somalie a été isolée du reste du monde après qu’un porte-conteneurs coupe l’Eastern Africa Submarine System (EASSy), unique câble du pays. Les pertes quotidiennes ont été évaluées à 9 millions d’euros par jour soit la moitié du PIB journalier de la Somalie.

[20] Ouvert le 11 décembre 2019, le gazoduc BALTICCONNECTOR approvisionne en gaz la Finlande depuis l’Estonie. Il permet à la Finlande d’accéder au stockage de gaz naturel d’Incukalns en Lettonie. Le gazoduc comprend trois tronçons : 22 km sur le sol finlandais, 80 km en mer et 50 km sur le sol estonien. Dans le même temps, un câble de communication a été endommagé entre la Suède et l’Estonie.

[21] Voir https://www.reuters.com/world/europe/finland-retrieves-anchor-seabed-near-broken-gas-pipeline-2023-10-24/, consulté le 23/10/23

[22] Voir Security Threats to undersea communications cables and infrastructure- conséquences for the EU, DG for External Policies, juin 2022,

[23] Communiqué du sommet de l’OTAN de VILNIUS, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_217320.htm, consulté le 26/10/23.

[24] Voir Australia’s Trade and the Threat of Autonomous Uncrewed Underwater Vehicles, RMIT University, disponible https://www.rmit.edu.au/research/centres-collaborations/cyber-security-research-innovation/autonomous-uncrewed-underwater-vehicles, consulté le 26/10/2023

[25] Pourraient être visé en priorité les chokepoint. L’agence américaine pour l’énergie (EIA) définit ainsi le chokepoint : «  narrow channels along widely used global sea routes  ». Voir MANET, Florian, 17/09/21,https://www.diploweb.com/Pourquoi-le-detroit-d-Ormuz-est-il-un-symbole-des-enjeux-contemporains-de-la-maritimisation-de-nos.html

[26] La marétique, un enjeu essentiel pour l’humanité ? Florian MANET, in Cybercercle Collection, décembre 2020

[27] Industrie 4.0, cheval de Troie de la cybersécurité intégrée au sein de l’aéronautique ? Une opportunité historique à saisir, Florian MANET, in Cybercercle Collection, juillet 2022

[28] Technique d’attaque courante de la cybercriminalité, le rançongiciel ou ransomware consiste en l’envoi à la victime d’un logiciel malveillant qui chiffre l’ensemble de ses données et lui demande une rançon en échange du mot de passe de déchiffrement. https://www.ssi.gouv.fr/entreprise/principales-menaces/cybercriminalite/rancongiciel/

[29] Consultation du site de Naval Dome, http:// navaldome.com/

[30] https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwi2vaH_mZOCAxUrT6QEHfhjAnYQFnoECBkQAQ&url=https%253A%252F%252Fwww.defense.gouv.fr%252Fsites%252Fdefault%252Ffiles%252Fministere-armees%252F20220210_LANCEMENT%2525, consulté le 26/10/23

[31] Ces OMFM se définissent comme « l’ensemble des opérations conduites vers, depuis et sur les fonds marins et associant des systèmes pouvant opérer de manière autonome ou en réseau. Le spectre des OMFM s’étend des opérations hydro-océanograhiques à des opérations d’intervention et d’action sous la mer, en passant par des missions de surveillance.

[32] Comme les Capacités hydrographique et océaniques du Futur (CHOF), Système de Lutte Anti-mines du Futur (SLAMF) ou encore les premiers drones (AUV) et robots (ROV) pouvant opérer jusqu’à 6 000 mètres.

[33] BUEGER, Christian, LIEBTRAU, Tobias et FRANKEN, Jonas, http://europarl.europa.eu/Regdata/etudes/IDAN/2022/702557/EXPO_IDA(2022)702557_EN.pdf

[34] http://oceans-and-fisheries.ec.europa.eu/ocean/blue-economy/other-sectors/maritime-security-strategy_en

[35] Une Task Force UE – OTAN dédiée à la résilience des infrastructures critiques est créée le 16 mars 2023.

[36] http://mc.nato.int/media-centre/news/2023/nato-maritime-assets-play-key-role-in-offshore-critical-infrastructure-security

[37] Communiqué du sommet de l’OTAN de VILNIUS, https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_217320.htm, consulté le 26/10/23

[38] Les installations seront localisées dans la région de Guelmin Oued Noun au Maroc. La connexion au réseau britannique est envisagée dans le Devon à Alverdiscott. La production théorique est évaluée à 10,5 gigawatts dont 7 GW proviendraient de l’énergie solaire et 3,5 GW de l’énergie éolienne. Le Maroc apporte une prévisibilité et une constance dans la production d’énergie, contrairement à l’éolien britannique, instable et irrégulier. La première phase du projet sera opérationnelle en 2029, la deuxième phase étant prévue en 2031.

[39] MSC – FAL 1/Circ.3

[40] http://www.imo.org/fr/OurWork/Security/Guide_to_Maritime_Security/Documents/MSC%2098-23-Add.1.pdf

[41] Ou Network and Information System Security n° 2016/ 1148

Conflit israélo-palestinien : quel impact sur le marché du pétrole ?

Conflit israélo-palestinien : quel impact sur le marché du pétrole ?

ANALYSE. Les investisseurs semblent aujourd’hui dans l’expectative sur le marché du Brendt, dans l’attente de connaître l’ampleur d’une éventuelle contagion géopolitique du conflit israélo-palestinien. Par Eszter Wirth, Universidad Pontificia Comillas

                                                                                 (Crédits : CHINA STRINGER NETWORK)

 

Le conflit entre Israël et le Hamas n’est pas resté sans conséquence sur le marché du pétrole. Lundi dernier, le baril de Brent a augmenté de 4,2 % pour atteindre 88,15 dollars et celui de West Texas Intermediate (WTI) de 4,3 % pour atteindre 86,38 dollars. En ce milieu de semaine, il évolue au-dessus des 90 dollars.

Cette évolution peut surprendre dans la mesure où aucun des deux territoires directement concernés n’est un producteur important d’hydrocarbures et que, contrairement au schéma observé en 1973 au moment du premier choc pétrolier, les attentats sont restés pratiquement sans impact sur l’offre mondiale de pétrole. À l’époque, les pays pétroliers avaient décidé de réduire leur production pour sanctionner les alliés d’Israël, pris dans la guerre du Kippour l’opposant notamment à l’Égypte de Sadate et à la Syrie d’Assad.

Ces derniers jours, le plus grand gisement offshore d’Israël, Leviathan, n’a pas cessé de produire, bien que la production ait été interrompue dans le gisement de gaz de Tamar.

La crainte d’une contagion géopolitique

Les mouvements haussiers des premiers jours semblent plutôt dus au fait que les investisseurs ont été poussés par la peur. Ils craignent que le conflit militaire ne s’étende à la géopolitique d’autres États du Moyen-Orient et évaluent le risque géopolitique. Plusieurs pays producteurs de pétrole ont en effet apporté leur soutien au Hamas.

L’Iran, notamment, reconnaît avoir offert des armes et un entraînement à l’organisation paramilitaire palestinienne dans le passé, mais nie toute implication dans les derniers événements. Par ailleurs, l’organisation militaire libanaise Hezbollah s’est déjà jointe aux attaques dans le nord de l’État hébreu.

Les États-Unis imposeront-ils par ailleurs de nouvelles sanctions économiques à l’Iran, d’où est né le Second choc pétrolier en 1979, si le régime des ayatollahs continue à soutenir le Hamas ? Ils pourraient notamment durcir les sanctions sur le pétrole brut iranien après une période d’assouplissement voulu par l’administration Biden pour calmer les marchés pétroliers et contribuer à augmenter l’offre mondiale de pétrole à la suite de l’invasion de l’Ukraine.

Bien qu’il soit le quatrième producteur de pétrole au sein de l’OPEP, l’influence de l’Iran sur le marché international du pétrole demeure néanmoins limitée, précisément en raison des sanctions imposées en 2018 par l’administration Trump sur ses exportations. Quoiqu’il est également possible que le conflit israélo-palestinien déborde sur le détroit d’Ormuz, une étroite bande de mer au sud de l’Iran et au nord d’Oman, par laquelle transite quotidiennement 37 % du transport maritime de pétrole dans le monde. Une intervention iranienne dans les attaques pourrait perturber le trafic maritime dans cette région, ce qui augmenterait considérablement les prix du pétrole. Et, dans le pire des cas, même l’Arabie saoudite pourrait s’impliquer – en soutenant le Hamas – malgré ses efforts pour normaliser ses relations avec Israël.

Une demande qui ne fléchit pas

Ce qui peut inquiéter également, c’est que ce choc intervient après l’accord de septembre au sein de l’OPEP+ pour réduire la production de pétrole jusqu’à la fin de 2023, une décision portée par la Russie et l’Arabie saoudite. Le 2 avril, ils avaient déjà annoncé une baisse volontaire de plus d’un million de barils par jour de mai à septembre de cette année.

La raison de ces réductions est que les pays producteurs ont besoin de prix élevés pour couvrir les pertes causées par le Covid-19 et pour équilibrer leurs comptes fiscaux et étrangers. Ils n’ont pas hésité à afficher leur puissance internationale en agissant comme un cartel.

Par ailleurs, la crise immobilière et le ralentissement de la consommation privée chinoise à la suite de l’abandon de la politique du Covid zéro n’ont pas contribué à la diminution de la demande de pétrole brut sur le marché mondial, son industrie restant demandeuse d’énergie. Aux États-Unis, l’économie aussi reste demandeuse, en croissance malgré les hausses successives des taux d’intérêt. Même le Japon et la zone euro parviendront à croître légèrement en 2023 et à éviter la récession, selon les prévisions récemment publiées par le FMI.

Le fait est que le conflit entre Israël et le Hamas reste encore localisé et qu’il est encore loin de devenir une bataille régionale. Après une hausse les premiers jours, les marchés se sont calmés et le prix du pétrole brut Brent a baissé dès le mardi à 87,15 dollars le baril et le WTI à 85,33 dollars le baril. Les prix ont ensuite réaugmenté face à de nouvelles incertitudes quant aux évolutions du conflit.

La résistance de la demande mondiale de pétrole et les réductions stratégiques de l’OPEP+ semblent déterminer l’évolution des prix du pétrole pour le reste de l’année. À condition que le conflit israélo-palestinien ne s’étende pas à l’Iran et à l’Arabie saoudite.

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Par Eszter Wirth, Profesora de Economía Internacional (ICADE), Universidad Pontificia Comillas

La version originale de cet article a été publiée en espagnol

Les petits réacteurs nucléaires modulaires joueront un rôle central dans la transition énergétique

Les petits réacteurs nucléaires modulaires joueront un rôle central dans la transition énergétique

OPINION. Les petites centrales nucléaires, également connues sous le nom de réacteurs modulaires de petite taille (Small Modular Reactors ou SMR en anglais), sont des installations nucléaires de production d’électricité de taille réduite par rapport aux réacteurs conventionnels. Ils sont conçus pour être plus compacts et plus modulaires, ce qui les rend plus facilement transportables et déployables dans différentes applications et environnements.

(Crédits : DR)

Les SMR sont encore en phase de développement et d’évaluation, et différentes approches et conceptions sont explorées par les concepteurs et les fabricants pour répondre aux besoins spécifiques de chaque projet.

Le marché des petits réacteurs modulaires (SMR) devrait connaître une croissance significative dans les années à venir. Les SMR sont plus petits, à la fois en termes de puissance et de taille physique, que les réacteurs nucléaires conventionnels à l’échelle du gigawatt. En règle générale, les SMR ont une puissance de sortie inférieure à 300 mégawatts électriques (MWe), certains pouvant atteindre 1 à 10 MWe.

La technologie SMR en est encore à ses premiers stades de développement, mais elle a le potentiel de révolutionner l’industrie de l’énergie nucléaire. Les SMR offrent un certain nombre d’avantages par rapport aux réacteurs nucléaires traditionnels, notamment :

Le marché mondial des SMR devrait atteindre 18,8 milliards de dollars d’ici 2030, avec une croissance annuelle composée (TCAC) de 15,8 %.

Voici quelques caractéristiques et avantages associés aux petites centrales nucléaires :

  • Taille et modularité :
    • Les SMR sont conçus pour être de taille réduite, ce qui facilite leur fabrication en usine et leur transport vers le site d’installation. Leur modularité permet d’ajouter ou de retirer des modules en fonction des besoins de la demande en électricité, offrant une certaine flexibilité.
  • Coûts de construction réduits :
    • Étant donné leur taille plus petite et leur construction modulaire, les SMR peuvent potentiellement réduire les coûts de construction comparativement aux réacteurs de grande taille. Les économies d’échelle peuvent être réalisées grâce à la production en série des modules.
  • Flexibilité d’utilisation :
    • Les petites centrales nucléaires peuvent être utilisées dans différents contextes, tels que la fourniture d’électricité à des communautés éloignées, des industries spécifiques, des zones côtières, ou pour des applications de désalinisation de l’eau. Elles peuvent également être utilisées comme sources d’énergie pour des projets miniers, des plates-formes offshore ou des missions spatiales.
  • Sécurité et gestion des déchets :
    • Les SMR sont conçus avec des mesures de sûreté intégrées pour minimiser les risques liés à la sûreté nucléaire. Certains SMR utilisent des conceptions passives qui ne nécessitent pas d’intervention humaine ou de sources d’alimentation externes pour assurer le refroidissement du réacteur en cas d’incident. De plus, les SMR peuvent être équipés de systèmes de gestion des déchets intégrés pour minimiser l’accumulation de déchets radioactifs.
  • Durabilité et émissions réduites :
    • Les SMR peuvent contribuer à la transition énergétique en fournissant une source d’énergie bas-carbone et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux centrales à combustibles fossiles. Ils peuvent être intégrés aux réseaux électriques existants ou utilisés pour fournir une énergie décentralisée et résiliente.
  • Déploiement dans des environnements divers :
    • Les SMR sont conçus pour être déployés dans différents environnements, tels que des communautés éloignées, des zones côtières, des sites industriels, des plates-formes offshore ou des installations militaires. Leur taille réduite et leur modularité permettent une plus grande adaptabilité aux conditions locales et une meilleure intégration dans des infrastructures existantes.
  • Gestion des déchets :
    • Certains modèles de SMR sont conçus pour réduire la production de déchets nucléaires grâce à une meilleure utilisation du combustible ou à des cycles de retraitement. Ils peuvent également intégrer des systèmes de gestion des déchets avancés pour minimiser les risques liés aux déchets radioactifs et améliorer la sécurité à long terme.

Voici quelques-uns des principaux acteurs du marché SMR :

  • NuScale Power (États-Unis)
  • GE Hitachi Nuclear Energy (États-Unis/Japon)
  • X-énergie (États-Unis)
  • Natrium (États-Unis)
  • TerraPower (États-Unis)
  • Moltex Énergie (Canada)
  • Oklo (États-Unis)
  • Rolls-Royce (Royaume-Uni)
  • CNNC (Chine)
  • Rosatom (Russie)

Parmi les projets les plus intéressants, il y a le XAMR® de NAAREA est un micro générateur nucléaire de 4e génération à sels fondus et neutrons rapides où se produit une réaction de fission intrinsèquement régulée. De petite taille et produits en série dans des usines industrielles, ces SMR seront transportables pour assurer une production décentralisée d’électricité et de chaleur.

Ces entreprises développent diverses technologies SMR, chacune présentant ses propres avantages et inconvénients. Il est probable que plusieurs technologies SMR seront commercialisées dans les années à venir et que le marché finira par se contenter de quelques conceptions dominantes.

Hydrogène, un Eldorado français  ?

Hydrogène, un Eldorado français  ?

OPINION. Une opportunité majeure d’emplois, de croissance et de rayonnement industriel est-elle en train de se mettre en place dans notre pays ? Quels sont les éléments qui peuvent faire espérer que la France soit en train de se doter d’une nouvelle corde à son arc ? Les technologies de production, et d’emploi, de cet exceptionnel gaz, se situent au confluent de la volonté de l’État, de nos talents scientifiques et industriels d’innovation, et des trésors de notre sous-sol. La France se doit de construire cet alignement d’étoiles. Par Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
                                Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

La décision de la NASA d’utiliser l’hydrogène comme carburant hautement énergétique de sa célèbre fusée Saturne V a conduit 27 hommes autour de la lune et 12 à s’y poser. Son emploi dans les piles à combustible des modules habités de ce programme lunaire a fourni l’énergie électrique nécessaire aux équipages et équipements. La course à la lune a mis en lumière, dans le monde industriel, et révélé au grand public, le potentiel de l’hydrogène.

D’autres conditions exceptionnelles, climatiques et géopolitiques, conduisent 60 ans plus tard, les grands pays industriels à considérer la production et l’utilisation de l’hydrogène comme une des alternatives aux combustibles fossiles, carbonés. L’hydrogène est en course, cette fois, pour conquérir la terre…. Etonnant retournement de l’aventure humaine.

La France a pris la décision de jouer un rôle significatif dans cette révolution énergétique et technologique, à l’image de son engagement dans son programme électronucléaire des années 1970.

Une stratégie nationale

La Stratégie Nationale de Développement de l’hydrogène décarboné (SNH) a été annoncée en septembre 2020 et prévoit un soutien public d’un montant de 9 milliards d’euros sur 10 ans. Elle vise à accélérer la transition écologique et à créer une filière industrielle dédiée.

Elle s’articule autour de 3 axes, dont le principal est l’installation d’électrolyseurs en visant une capacité de 6,5 GW d’électrolyse en 2030, ce qui représente la production de 600.000 t/an d’hydrogène décarboné. Un autre axe concerne le développement de mobilité, en particulier pour les véhicules lourds, de fret et de passagers. Le troisième axe vise la construction d’une filière industrielle hydrogène, créatrice d’emplois. Elle pourrait représenter 150.000 emplois en fin de période du plan, et accompagner la baisse du chômage national vers les 5%. L’objectif de ce plan vise l’augmentation des volumes produits, mais également la réduction des coûts de production, pour créer une filière compétitive, tant vis-à-vis des autres pays, que des autres sources d’énergie.

L’avantage de ce plan stratégique est de s’inscrire, à la fois, dans le développement de nouvelles applications de l’hydrogène, et dans un cadre de diversification des technologies de production, décrites dans une codification de couleurs.

L’arc-en-ciel hydrogène

L’hydrogène présente la particularité de pouvoir être produit selon différents procédés codifiés suivant un code de couleurs. La stratégie française est d’être présent dans tous ceux décarbonés, en sortant progressivement des procédés basés issus du charbon et du pétrole.

Dans les filières actuelles de productions, on se réfère à l’hydrogène bleu pour désigner des procédés dans lequel il est produit à partir de gaz naturel ou de charbon en utilisant un processus de gazéification couplé à des dispositifs plus ou moins performants de capture de carbone.

L’hydrogène vert, filière du futur, consiste à le produire par électrolyse de l’eau grâce au courant électrique issu de sources renouvelables. La France se doit donc d’encourager vigoureusement la fabrication d’électrolyseurs. Plusieurs projets sont en cours, répartis sur l’ensemble du territoire, pilotés par différentes entreprises, McPhy, John Cockerill, Elogen, Genvia. Cette filière s’inscrit dans un accompagnement financier de près de 2 milliards d’euros.

La Commission européenne a confirmé, en 2022, son approbation des plans français dans le cadre de son Projet important d’intérêt européen commun (Piiec).

Le panorama des couleurs se complète d’un hydrogène rose, produit en utilisant l’électricité issue des centrales nucléaires. EDF est en train de préparer un démonstrateur, certes au Royaume-Uni, mais l’important est l’acquisition de la technologie.

La France est donc présente sur l’ensemble de ces créneaux, et pourra tirer à nouveau avantage de son parc de centrales nucléaires. Cet avantage compétitif de production pourrait même s’amplifier avec une découverte française récente.

L’hydrogène blanc

Jusqu’à présent, l’hydrogène n’était pas une source d’énergie primaire. Il était produit par transformation. Mais des chercheurs de l’université de Lorraine, en prospectant le sous-sol de la région, sont récemment tombés sur un gisement d’hydrogène, potentiellement très important. Selon leurs données, un réservoir estimé à 46 millions de tonnes se trouverait à un peu plus de 1.000m de profondeur, dans des roches très anciennes du carbonifère. Cette découverte d’hydrogène à l’état primaire constitue un bouleversement. Encore plus étonnant serait la pérennité du gisement. L’alimentation continue en eau de ces couches profondes autoriserait la continuité de la transformation en hydrogène par les carbonates de fer.

Cette découverte doit être confirmée par des forages profonds, attendus dès l’an prochain. La validation d’une telle découverte et son industrialisation donnerait à la France un avantage compétitif important en volume et potentiellement en prix. Elle offrirait en outre une grande diversification de production, élément clé d’une stratégie équilibrée d’approvisionnement.

La révolution hydrogène est donc en marche. Les entreprises du secteur pétrolier et gazier ne peuvent l’ignorer, et l’intègrent complètement.

Reconnaissance et implication du secteur pétrolier

Producteur d’hydrogène bleu, les acteurs du secteur gazier et pétrolier tournent leurs regards vers le potentiel de l’hydrogène. Cette dynamique s’illustre dans la part très importante réservée à la décarbonation et à l’hydrogène, au cours des 4 jours de conférence et d’exposition lors d’ADIPEC  2023 qui se déroulera du 2 au 5 octobre à Abu Dhabi, évènement mondial du secteur.

En effet, 40% des conférences concerneront les aspects stratégiques, la décarbonation et l’hydrogène. Le tournant pris par l’industrie pétrolière et gazière est donc très lisible. La thématique de la conférence est à cet égard révélatrice « décarbonation. Plus vite. Ensemble »…

L’hydrogène est ainsi reconnu comme élément central d’une stratégie mondiale ayant comme objectif zéro net émission en 2050. La situation des pays et régions ayant moins de potentiel de production locale y sera abordée, avec les implications dans le domaine des transports. Des corridors d’approvisionnement nécessiteront la mise en place de normes et certification. Un cadre réglementaire à l’image de celui présenté dans la Stratégie Nationale Hydrogène des Émirats Arabes Unis, pourrait servir de référence. Il vise en effet à atteindre l’objectif zéro net émission en 2050.

Le secteur pétrolier et gazier mondial reconnaît donc, dans ses échanges internes professionnels, au plus haut niveau, l’énorme potentiel offert par la filière industrielle hydrogène.

Les opportunités industrielles françaises

Dans un secteur technologique en développement rapide, il est essentiel de faire preuve de réactivité, d’inventivité et de souplesse. Ce profil convient parfaitement à l’esprit « start-up à la française ».

C’est le cas du domaine de la motorisation thermique à hydrogène. Dans un premier temps, l’utilisation de l’hydrogène dans le domaine des transports s’est projeté à travers l’utilisation de piles à combustible dans les véhicules, relevant ainsi d’une technique de moteur électrique. Mais il se fait jour maintenant une autre orientation, celle d’emploi direct d’hydrogène comme carburant dans des moteurs thermiques. L’hydrogène est alors une source d’énergie zéro carbone et zéro émission. Prototypes et essais sont en train d’être mis en place dans une vision mobilité lourde sur un autocar.

Tel est le projet en développement entre la société bretonne EHM et Transdev. La seule région Bretagne est porteuse d’une cinquantaine de projets hydrogène… !

Le développement de la production d’hydrogène posera naturellement la question de son stockage industriel. Dans ce domaine, Engie, dans le cadre d’une première mondiale, est en train d’évaluer la possibilité de stockage d’hydrogène dans des poches creusées dans des couches salines, à grande profondeur.

Une véritable dynamique hydrogène nationale est en train de se mettre en place. Le potentiel économique irriguant l’ensemble du territoire français est à même d’apporter à notre pays un élan économique que l’on espère, et qui pourrait constituer pour la France un « Eldorado hydrogène ». Mais il faut aussi que la société française réponde à cette dynamique. A cet égard, la jeunesse particulièrement motivée et engagée dans la lutte pour un meilleur environnement doit participer à la révolution hydrogène de façon exemplaire, par des choix d’études et des choix de vie zéro émission…

Nous avons depuis quelques semaines le plaisir de découvrir dans la presse étrangère des commentaires très flatteurs et prometteurs sur notre pays. « La France, l’Allemagne en mieux », selon Der Spiegel. Un quotidien britannique n’est pas en reste en évoquant le « silencieux succès français ». Nous savons que les Français ont quelque fois du mal à être optimistes.

Vu de l’extérieur nous avons des encouragements à changer notre regard. Vu de l’intérieur, la révolution hydrogène pourrait nous être très favorable. Il est vrai que nous avons un faible pour les révolutions…

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(*) Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté www.lemonde-decrypte.com

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).

                                                                                                      (Crédits : DR)

Une dénucléarisation française sous pression allemande…

L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.

La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuve de 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.

Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin

Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail Energy Charts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.

Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.

Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?

De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.

De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.

Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.

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(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.

Sabotage de Nord Stream : un acte de guerre contre la Russie et l’Europe dans l’intérêt de Washington et de l’Initiative des trois mers ?

Sabotage de Nord Stream : un acte de guerre contre la Russie et l’Europe dans l’intérêt de Washington et de l’Initiative des trois mers ?

 

par Pierre-Emmanuel THomann* – Centre français de recherche sur le renseignement – publié en mai 2023

https://cf2r.org/tribune/sabotage-de-nord-stream-un-acte-de-guerre-contre-la-russie-et-leurope-dans-linteret-de-washington-et-de-linitiative-des-trois-mers/

*Docteur en géopolitique

Le sabotage des gazoducs Nord Stream et le débat sur ses responsabilités restera comme l’un des grands épisodes de la désinformation du camp atlantiste dans le conflit en Ukraine. Il n’y aura probablement jamais de confirmation officielle de l’identité du commanditaire de cet acte de terrorisme d’État puisque tout est fait pour étouffer l’affaire.

Les gouvernements concernés, Berlin et Paris en particulier, sont en état de sidération complice. Leur silence sur cette affaire, ou bien le brouillage des pistes, appuyé par les médias dominants et les pseudo-experts qui passent en boucle sur les plateaux télévisés pour relayer les narratifs atlantistes, s’explique aisément. Ils ne peuvent révéler à leurs peuples que leur soi-disant allié principal, Washington, a commis un acte de guerre contre ses propres alliés, puisque ce serait démontrer que le conflit en Ukraine est une guerre provoquée et entretenue par Washington, non pas seulement contre la Russie, mais contre l’Europe tout entière. Tout le discours sur la soi-disant unité occidentale et transatlantique serait irrémédiablement fissuré

Dès l’explosion des gazoducs en septembre 2022, alors que la Russie a été immédiatement pointée du doigt par les experts au service du camp atlantiste, Moscou avait accusé Washington d’être derrière cet acte terroriste Les révélations du journaliste d’investigation américain Seymour Hersh[1] à propos du sabotage des gazoducs Nord Stream ont pourtant renforcé la thèse de la responsabilité de Washington. Cette version a fait sans surprise l’objet d’un embargo des médias dominants qui se font les porte-voix des gouvernements des États-membres de l’UE et de l’OTAN. La tentative maladroite de diversion de Washington par l’intermédiaire du New York Times[2], pointant la responsabilité d’un groupe pro-ukrainien, n’a convaincu personne et le ministre de la Défense Ukrainien a été obligé de démentir, rare épisode où le régime de Kiev a été obligé de contredire son mentor[3].

Il faut aussi rappeler que Washington avait explicitement annoncé son intention de se débarrasser des gazoducs par la voix du président Biden[4]. Les États impliqués dans l’enquête ont par ailleurs souligné que les résultats des investigations resteraient confidentiels, la vérité n’étant évidemment pas bonne à dire[5]. L’hypothèse de la responsabilité de Washington comme commanditaire du sabotage des gazoducs Nord Stream est donc la plus vraisemblable, et à vrai dire, la seule piste crédible.

L’absence de réaction des gouvernements des États européens concernés, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, directement visés par cet acte terrorise qui peut être assimilé à un acte de guerre, révèle le degré sans précédent de soumission géopolitique de cette classe politique à Washington,

Et si l’on analyse cet événement sous l’angle géopolitique, on aboutit à la même conclusion : la responsabilité de Washington. Replacer cet acte de guerre dans le contexte du projet géopolitique « Initiative des trois mers », initié par Varsovie avec le soutien de Washington, mais imaginé par un think tank américain permet de révéler le dessous des cartes géopolitiques.

 

L’Initiative des trois mers

Le projet « Initiative des trois mers » (ITM) rassemble douze pays d’Europe centrale et orientale situés entre la mer Baltique, la mer Noire et la mer Adriatique : Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Roumanie, Bulgarie, Lituanie, Estonie, Lettonie, Croatie, Slovénie et Autriche. Quinze autres participants ont choisi de s’associer à certains projets, parmi lesquels l’Ukraine. Cette initiative a pour finalité de renforcer la connectivité au sein de cet espace géographique par le développement des infrastructures de transport routières, ferroviaires et par voies navigables, des infrastructures énergétiques comme les gazoducs et les réseaux électriques, et des infrastructures numériques. Les objectifs affichés sont le renforcement du développement économique, de la cohésion au sein de l’Union européenne et des liens transatlantiques[6].

 

Carte 1

 

L’idée centrale est de développer des infrastructures énergétiques et de communication selon un axe nord-sud, car les infrastructures actuelles sont orientées dans le sens est-ouest en provenance de Russie. Ces infrastructures héritées de l’histoire sont considérées comme des facteurs de dépendance géopolitique vis-à-vis de Moscou, mais favorisent aussi la domination économique de l’Allemagne depuis l’élargissement de l’UE aux pays d’Europe centrale et orientale. L’Initiative des trois mers a été conjointement inaugurée en 2016 par la Pologne et la Croatie. Formalisée lors du premier sommet de Dubrovnik les 25 et 26 août 2016, un deuxième sommet s’est tenu à Varsovie les 6 et 7 juillet 2017. Ce projet a commencé à attirer l’attention des autres membres de l’Union européenne, notamment en raison de la présence de Donald Trump.

Le président autrichien Alexander Von der Bellen, a souligné que le projet était issu des think tank américains[7] et qu’il a été dès l’origine activement promu par le groupe de réflexion atlantiste Atlantic Council. Ian Brzezinski, le fils de Zbigniew Brzezinski, soutient activement l’Initiative des trois mers en tant que conseiller stratégique de l’Atlantic Council.[8] Une publication de ce think tank préfigure de manière très précise l’Initiative des trois mers dès 2014[9], c’est-à-dire sous la présidence Obama. Il fait la promotion d’un corridor de transports nord-sud, en adéquation avec les intérêts géopolitiques des Etats-Unis, afin d’assurer la résilience des pays d’Europe centrale et orientale face à la Russie.

 

Les origines géopolitiques du projet et sa renaissance actuelle  

Les origines de l’Initiative des trois mers sont anciennes. L’ITM est l’héritière des représentations géopolitiques polonaises qui ont émergé après la Première Guerre mondiale, plus précisément du projet d’Intermarium (traduction latine de Międzymorze en polonais) du général Josef Pilsudski. Les idées-forces de cet ancien projet ont refait leur apparition dans la configuration géopolitique actuelle. Comme la Pologne avait été dépecée plusieurs fois dans son histoire au profit de l’Empire allemand et de la Russie, le général Pilsudski a cherché, dès les années 1920, à promouvoir une Europe centrale et orientale préservée des appétits géopolitiques de ses voisins, en créant une fédération des États situés entre les mers Baltique, Noire et Adriatique – l’Intermarium – pour se protéger de l’URSS et de l’Allemagne. Le projet du général Pilsudski était destiné à assurer la survie de la Pologne, mais il fut abandonné à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. Cette idée a cependant survécu au sein de la diaspora polonaise des États-Unis, proche des stratégistes américains. Cela a abouti à créer une synergie forte entre les visions géopolitiques américaine et polonaise, depuis la Guerre froide jusqu’à aujourd’hui[10]. L’Initiative des trois mers est ainsi une reprise américano-polonaise de l’Intermarium. Initialement, pour Varsovie, l’Intermarium avait pour objectif de promouvoir une troisième voie entre empires russe et allemand. Mais la configuration géopolitique est aujourd’hui différente car la Pologne et l’Allemagne, toutes deux membres de l’Alliance atlantique, sont désormais alliées. Il n’y a donc plus de volonté de former une Europe médiane indépendante de l’UE et de l’OTAN. Aujourd’hui le projet est mis en avant avec des arguments géoéconomiques, comme la nécessité de réduire la dépendance au gaz russe et à l’hégémonie économique et politique allemande dans l’UE. Toutefois, les enjeux géostratégiques sont bien réels et demeurent implicites.En effet, depuis le retour de la rivalité entre les puissances européennes et mondiales – Russie, États-Unis, Chine et pays membres de l’Union européenne –, le dilemme géopolitique de l’Europe médiane et de sa sécurité resurgit. Les pays d’Europe centrale et orientale membres de l’UE et l’OTAN sont aujourd’hui considérés comme des pivots géopolitiques. Bien que la configuration internationale ait évoluée, la géographie et les constantes géopolitiques demeurent, et la perception de sa sécurité par la Pologne découle des représentations historiques qui persistent quels que soient les gouvernements. La méfiance de Varsovie vis-à-vis de la Russie a connu une nouvelle actualité avec la crise en Ukraine à partir de 2014 et poussé les Polonais à consolider leur sécurité. A leurs yeux, couple franco-allemand, n’est pas considéré comme totalement fiable, car trop accommodant vis-à-vis de la Russie, et l’UE trop divisée pour s’affirmer. Le projet a donc désormais pour objectif de se développer en synergie avec l’UE et de l’OTAN. Le premier objectif des Polonais est de contenir la Russie perçue comme la menace principale, mais aussi d’équilibrer l’Allemagne avec qui les désaccords se sont accumulés. L’Initiative des trois mers est donc, pour la Pologne, un projet destiné à réduire la dépendance à l’égard de Moscou et maintenir le lien transatlantique. Pour Varsovie et ses alliés au sein de l’ITM, l’alliance privilégiée avec les Etats-Unis est jugée nécessaire pour accroître leur marge de manoeuvre dans l’UE. La focalisation sur la menace russe permet à la Pologne de se positionner comme pivot géopolitique régional sur le flanc est de l’OTAN. Elle est assurée du soutien des Etats-Unis afin de devenir le chef de file régional de l’UE et de l’OTAN. Varsovie participe à de nombreux projets de défense avec les Etats-Unis[11], domaine dans lequel l’Union européenne reste secondaire malgré les progrès récents. L’UE est par contre une organisation utile pour obtenir des financements – fonds structurels et fonds de cohésion – destinés aux infrastructures[12].La méfiance vis-à-vis de l’Allemagne s’est aussi cristallisée à propos de la mise en service du gazoduc Nord Stream I[13], inauguré en 2001, qui approvisionne Berlin en gaz russe via la mer Baltique, et qui devait être doublé grâce à Nord Stream II. Ce projet a été qualifié abusivement par Varsovie de « second pacte Molotov-Ribentrop ». Les anciennes représentations historiques ont été réactivées en cette occasion, illustrant la permanence des craintes historiques des pays d’Europe centrale vis-à-vis des puissances voisines qui les ont toujours dominés.

 

La synergie entre l’OTAN, le Partenariat oriental de l’UE, le programme PESCO
et l’Initiative des trois mers

Les Polonais sont parvenus à faire converger à leur bénéfice les différentes initiatives prises au niveau européen, comme le Partenariat oriental de l’UE, mais aussi le nouveau programme PESCO[14] lancé par Bruxelles en matière de défense. Leur objectif est d’attirer le maximum de financements européens sur leurs priorités. – Le programme PESCO a pour volet principal le projet « Mobility[15] » destiné à mettre à niveau et à développer les infrastructures pour améliorer la mobilité des forces armées de l’OTAN. Cette priorité est aussi un objectif des services de la Commission européenne consacrés aux infrastructures[16], souligné dans la déclaration commune OTAN-UE.[17] Le lien entre l’Initiative des trois mers et les intérêts de l’Alliance atlantique apparaissent donc de manière évidente. Le général américain Ben Hodges, ancien commandant des forces américaines en Europe (EUCOM), a ainsi déclaré que les infrastructures du projet PESCO correspondant aux priorités de l’Initiative des trois mers – notamment Rail Baltica et Via Carpatia – étaient prioritaires[18]. Il s’est par contre prononcé contre l’installation d’une base américaine en Pologne, pour ne pas diviser les alliés.[19] – Le Partenariat oriental de l’UE a été imaginé par les Polonais et promu avec les Suédois. Il est issu de la doctrine Sikorski, qui a pour objectif d’établir une zone tampon face à la Russie[20]. Ainsi, le Partenariat oriental, l’Initiative des trois mers et le projet PESCO s’inscrivent dans la stratégie de sécurité de Varsovie face à Moscou. Le souhait du gouvernement polonais d’accueillir une base militaire de l’OTAN sur son territoire est une autre preuve de la cohérence des intentions polonaises. Cette convergence des projets au niveau régional permet de percevoir que la Pologne exploite l’Initiative des trois mers comme outil d’influence et de développement économique, mais aussi comme instrument pour assurer sa sécurité. Varsovie se repose également sur les Etats-Unis qui sont engagés dans une manœuvre à l’échelle européenne – principalement pour endiguer l’Allemagne et garder l’UE sous leur influence –, mais aussi à l’échelle mondiale vis-à-vis de la Russie et la Chine. Examinons ces enjeux.

 

La synergie entre l’Initiative des trois mers et le projet géopolitique des Etats-Unis : la rivalité avec la Russie et l’Allemagne

Si l’on se réfère aux enjeux géopolitiques à l’échelle mondiale, l’Initiative des trois mers est un projet qui s’inscrit également dans les priorités géopolitiques des Etats-Unis. Leur implication dans le projet, dès son origine, est en cohérence avec leur manœuvre stratégique vis-à-vis de l’Eurasie pour contrer la Russie et la Chine, mais aussi avec leur ambition de devenir un exportateur majeur de gaz de schiste.

 


Carte 2

 

Washington a en effet pour objectif prioritaire le contrôle de l’Eurasie. Cette préoccupation ancienne se réaffirme aujourd’hui de manière explicite afin de préserver son leadership mondial et de ralentir l’émergence d’un monde multipolaire[21]. Avec une continuité remarquable, la stratégie des Etats-Unis est donc de faire front contre la Russie et d’élargir le Rimland (selon la doctrine géopolitique de Spykman), mais aussi de fragmenter l’Eurasie (selon la doctrine de Mackinder) et de détacher l’Ukraine de la Russie (doctrine Brzezinski). Cette constante géopolitique a été réaffirmée dès la fin de la Guerre froide avec la doctrine Wolfowitz (1992). Celui-ci avait souligné que la mission de l’Amérique dans l’ère de l’après-Guerre froide consisterait à s’assurer qu’aucune superpuissance rivale n’émerge en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de l’ancienne Union soviétique[22]. La représentation stratégique de Zbigniew Zbrezinski[23] – qui fait de la fragmentation géopolitique du continent eurasien un objectif afin de provoquer une intégration renforcée des Etats de l’Europe occidentale dans l’espace euro-atlantique sur un axe Paris-Berlin-Kiev – a aussi exercé une influence importante[24] sur l’administration américaine. Cet objectif a été explicitement repris par Wess Mitchell, secrétaire d’État adjoint pour l’Europe et l’Eurasie au département d’État sous la présidence de Donald Trump. Il préconise de poursuivre de la consolidation par les Etats-Unis du Rimland européen[25]. Cette stratégie, combinée à celle conduite dans la région indopacifique, permet d’assurer l’encerclement du continent eurasien par les Etats-Unis. L’Initiative des trois mers s’intègre ainsi parfaitement dans cette vision et constitue un des instruments de Washington. Les Etats-Unis réinvestissent à nouveau l’Europe centrale et orientale dans le cadre de leur manœuvre vis-à-vis de l’Eurasie. La Pologne est donc le pivot qu’ils ont choisi pour préserver leur domination sur le projet européen, raison pour laquelle ils s’attachent à renforcer le poids de Varsovie au sein de l’UE. L’Ukraine était également destinée à prendre de l’importance dans l’Initiative des trois mers. En effet, arrimer Kiev à l’Europe de l’Ouest était déjà dans leurs plans initiaux et confirme le caractère très géopolitique de ce projet. Le rôle de l’Ukraine est celui d’un territoire de transit pour les corridors énergétiques permettant d’éviter la Russie via l’axe Asie centrale/Caucase du Sud/mer Noire. L’intervention russe en Ukraine à partir de 2023 est venue contrecarrer ces plans, du moins en ce qui concerne l’inclusion de Kiev dans le projet, option qui reste tributaire de l’issue du conflit. C’est dans ce contexte que l’Initiative des trois mers a été soutenue par Donald Trump à l’occasion de sa participation au sommet de Varsovie[26], en 2017. Le soutien très appuyé du président à l’ITM américain s’inscrit bien sûr dans le cadre de la rivalité géopolitique entre les Etats-Unis et la Russie. Mais il est également lié à la volonté de Washington d’exporter son gaz de schiste, lequel est devenu une arme géopolitique pour les Etats-Unis.[27] Ce soutien se comprend aussi dans le cadre d’une rivalité devenue explicite entre les Etats-Unis et l’Allemagne. La politique « America First !», de Donald Trump – objectif autrefois plus implicite qu’explicite – s’est traduite par une intense pression politique sur l’Allemagne, en donnant plus de poids aux critiques de la Pologne. En liant les dossiers énergie et sécurité[28], Trump a accusé Berlin d’importer du gaz russe, d’aggraver le déficit commercial américain et de ne pas contribuer financièrement suffisamment à l’OTAN. Cette mise sous pression a conduit Berlin à importer du gaz de schiste américain et à ouvrir un port destiné à accueillir le gaz naturel liquéfie (GNL) dans le nord de l’Allemagne. Berlin a pourtant continué de défendre fermement le projet de gazoduc Nord Stream II contre l’avis de Washington et de Varsovie, jusqu’au déclenchement de l’opération spéciale russe, en février 2022. 

 

Le sabotage de Nord Stream par Washington : un acte en synergie avec les objectifs de l’Initiative des trois mers

 L’arme énergétique comme instrument géopolitique est particulièrement importante pour Washington. Le sabotage des gazoducs Nord Stream, infrastructures qui évitaient l’Ukraine mais favorisaient la Russie et l’Allemagne, doit être replacé dans le contexte du conflit actuel dont il aggrave les enjeux et fait monter les enchères. Le déclenchement du conflit en Ukraine provoqué par Washington et Londres – notamment en raison du projet d’élargissement de l’OTAN – a été l’occasion de prendre des décisions radicales pour affaiblir la Russie et les États européens, en particulier l’Allemagne, mais aussi la France, par la même occasion. Les États-Unis ont l’ambition d’exporter leur gaz de schiste au détriment des sociétés énergétiques européennes impliquées dans l’exploration de ressources de Sibérie (Russie) et le projet de gazoduc Nord-Stream II. Dès le début de l’opération spéciale russe en Ukraine, les Etats-Unis ont fait pression sur leurs alliés de l’OTAN pour stopper les importations de gaz en provenance de Russie par les gazoducs Nord Stream, mais sans mettre un terme à celles ayant lieu via les gazoducs traversant l’Ukraine, pour donner des ressources et un levier à Kiev. Washington est arrivé à ses fins et le sabotage de Nord Stream, en septembre 2022, lui a permis de pérenniser ce gain en faisant clairement comprendre à l’Allemagne et à ses partenaires qu’il ne serait pas question d’utiliser ces gazoducs lorsque le conflit serait terminé, car la Russie a envisagé de les réparer[29] Avec ce sabotage, les Etats-Unis forcent donc les Européens à opérer une réorientation géopolitique radicale dans le sens des objectifs de l’Initiative des trois mers, destinée in fine, à détacher la Russie de l’Europe de l’Ouest en réorientant les infrastructures énergétiques et de transport et en les rendant plus dépendants au gaz de schiste américain. L’Union européenne se trouve ainsi réduite au statut de zone tampon dans le cadre de la manœuvre américaine en Eurasie, dont elle devient une périphérie de plus en plus divisée et instrumentalisée par Washington.

Forcer l’Allemagne à choisir son camp et se détacher de la Russie 

Il convient de souligner la position de Berlin par rapport au projet. Aujourd’hui, l’Allemagne est une puissance centrale qui poursuit son expansion en direction des pays des Balkans, d’Europe orientale et des anciennes républiques de l’ex-URSS (Ostmitteleuropa). L’idéologie qui sous-tend cette expansion est différente de l’idéologie pangermaniste de la veille de la Première Guerre mondiale car elle se fait aujourd’hui au nom de « l’occidentalisation » et de « l’européanisation » de son flanc oriental, d’où sa rivalité géopolitique croissante avec la Russie. Mais si l’idéologie change les tropismes géographiques demeurent. Du point de vue géopolitique, l’Allemagne, cherche à arrimer les pays d’Europe centrale et orientale – dont l’Ukraine –à l’espace euro-atlantique. Le soutien des Etats-Unis à l’Initiative des trois mers, dans le contexte des désaccords croissants avec Donald Trump, a sans doute poussé Berlin à participer à l’ITM afin d’empêcher qu’il prenne une orientation trop antiallemande et afin de contrer la politique américaine de soutien aux initiatives de la Pologne. Les gouvernements allemands successifs poursuivent ainsi la construction d’une zone tampon à l’est, face à la Russie, grâce au Partenariat oriental de l’UE que l’ITM vient compléter.

Sur le plan économique, l’Allemagne table aussi sur l’ouverture des marchés des pays du Partenariat oriental, notamment l’Ukraine. Berlin se considère responsable de la trajectoire géopolitique de ce pays et utilise le narratif euro-atlantique pour parvenir à son objectif. Cependant, jusqu’au déclenchement de l’offensive russe, l’Allemagne considérait qu’elle avait besoin du gaz et du pétrole russes pour maintenir son statut de puissance économique. Elle reste pourtant toujours sous protection militaire américaine, le parapluie nucléaire des Etats-Unis étant la défense ultime du territoire allemand. Le soutien au projet d’Initiative des trois mers et l’acceptation des importations de gaz de schiste américain étaient sans doute considérés par Berlin comme le prix à payer pour préserver Nord Stream II et sa position de puissance centrale dans l’UE, en prenant garde à contenir l’attitude hostile des Etats-Unis[30] à l’égard de Moscou. Le soutien de l’Allemagne à l’ITM n’a toutefois pas effacé la méfiance de Varsovie vis-à-vis de Berlin, très prononcée dans les milieux conservateurs et pro-américains[31] en Pologne et dans la diaspora aux Etats-Unis. Varsovie est ainsi confronté à dilemme : conserver son emprise sur l’Initiative des trois mers, mais en même temps attirer les financements de l’UE avec le soutien de l’Allemagne.

C’est à l’occasion de l’aggravation de la crise en Ukraine en 2022 que Washington a décidé de ne plus tolérer la politique d’équilibre des Allemands combinant alliance stratégique avec l’OTAN et alliance énergétique avec la Russie. Le sabotage de Nord Stream par les Etats-Unis force Berlin à choisir définitivement le camp occidental contre la Russie et à abandonner sa politique d’équilibre pour se ranger sous l’hégémonie américaine, tant géostratégique que géoéconomique.

La domination sans partage de Washington est aussi rendue possible par l’incapacité des Français et des Allemands à s’entendre sur une architecture européenne de sécurité pouvant conférer plus d’indépendance à l’UE vis- à-vis des Etats-Unis, comme sur les questions énergétiques où ils restent des rivaux. La décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire et de compter massivement sur l’importation de gaz russe, sans consultation avec la France, explique sans doute l’absence de réaction de Paris au sabotage des Américains, selon un sentiment de schadenfreude (« se réjouir du malheur d’autrui »), même si les intérêts de Paris sont également touchés. Le camp des atlantistes français, qui a toujours craint l’axe germano-russe, en sort aussi renforcé. La rivalité géopolitique franco-allemande est une faille du projet européen que les Américains ont toujours exploitée pour l’affaiblir et l’orienter à leur avantage.

 

Le succès de la stratégie américaine et le déplacement du centre de gravité de l’UE

Le sabotage de Nord Stream par les Etats-Unis s’inscrit dans leur stratégie géopolitique de fragmentation du vieux continent afin de torpiller toute entente européenne – mais aussi eurasienne – et la constitution d’un axe Paris-Berlin-Moscou. Par ailleurs, Washington est bien décidé à poursuivre son encerclement de l’Eurasie contre la Russie et la Chine, afin de préserver sa suprématie en Europe et dans le monde. L’Initiative des trois mers est l’un des instruments de cette stratégie. Dans ce contexte, le sabotage des gazoducs Nord Stream est un acte de guerre contre la Russie, mais aussi contre l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, et une atteinte à leur souveraineté. C’est un acte d’hostilité contre l’idée d’un projet européen indépendant incluant la Russie, selon la vision gaullienne d’une « Europe européenne » qui s’oppose à « l’Europe américaine ».

L’UE est la dernière zone dans le monde où les Etats-Unis, peuvent encore exercer aujourd’hui leur hégémonie sans obstacle réel. Mais ils ne peuvent durablement maintenir la pression sur la classe politique du vieux continent qu’en terrorisant les Européens par des actes comme le sabotage des gazoducs. La politique de Washington, dictée par des idéologues néoconservateurs mus par la préservation à tout prix de la suprématie américaine, constitue une menace géopolitique majeure pour les nations européennes, en particulier pour la France et l’Allemagne. Leur absence de réaction s’explique par l’asservissement géopolitique de leurs gouvernements qui ne tiennent leur légitimité que de leur appartenance au camp atlantiste sous la direction de Washington, à qui ils ont fait allégeance, et non plus de leurs peuples qu’ils sont incapables de protéger. Paris et Berlin sont ainsi engagés dans une fuite en avant qui les place en situation de cobelligérance avec la Russie, au grand bénéfice des intérêts américains et de leur instrument, le régime de Kiev. Les conséquences prévisibles pour les Européens sont une nouvelle crise économique, une désindustrialisation au profit des Etats-Unis, une baisse du niveau de vie et une déstabilisation durable du continent par un conflit militaire qui pourrait déboucher sur une troisième guerre mondiale.

Le projet d’Initiative des trois mers, qui attire de manière croissante des investissements de l’UE et de l’Allemagne, amène le centre de gravité géopolitique de l’Union européenne à se déplacer vers l’est. La consolidation de l’Allemagne en posture centrale et la confirmation d’une rupture entre la Russie et une UE dominée par les priorités allemandes et polonaises appuyées par les Etats-Unis, vont renforcer les déséquilibres géopolitiques au sein de l’Europe. Une telle évolution se fait au détriment de l’axe franco-allemand et aggrave la rivalité avec la Russie. Toutefois, l’affaiblissement économique éventuel de l’Allemagne – dont l’accès au gaz et pétrole russes bon marché est désormais plus limité – va toutefois peut-être réduire son avantage géopolitique.

Depuis la réunification allemande et l’élargissement de l’UE en Europe centrale et orientale, une nouvelle rivalité géopolitique entre l’Allemagne et la France émerge[32]. En effet, le renforcement du statut de puissance centrale de l’Allemagne entre en contradiction avec le projet d’avant-garde franco-allemande et celui d’une Europe à plusieurs « cercles » défendu par la France. Dans le passé, Paris a cherché à rééquilibrer l’UE vers la Méditerranée pour contrer le déplacement de son centre de gravité géopolitique vers l’est, provoquant à son tour des initiatives comme le Partenariat oriental[33]

Il se peut que la crise économique ralentisse la montée en puissance de l’Initiative des trois mers, mais si les flux énergétiques en provenance de Russie se tarissent, alors son objectif géopolitique sera atteint. Sa consolidation se traduira-t-elle par une politique de compensation vis-vis de la France, ainsi que cela a été pratiqué depuis la réunification allemande ? Selon les plans de Washington, l’ITM devrait permettre de faire des pays membres de l’UE, des « États-fronts » contre la Russie, car l’Europe se verrait coupée de son espace oriental, comme pendant la Guerre froide, ce qui l’empêcherait de conduire une politique d’équilibre.

Berlin et Paris oseront-ils un jour riposter au sabotage des gazoducs ? La France va-t-elle enfin contester de manière ferme cette fuite en avant de l’UE sur son flanc oriental ? En ce qui concerne l’Initiative des trois mers, il n’y a aucune raison pour que Paris participe, au travers de l’UE, au financement d’un projet menant à sa marginalisation géopolitique. Si la construction d’infrastructures entre les pays d’Europe centrale et orientale est légitime, la rupture des flux dans le sens est-ouest devrait être évitée. La France a intérêt à ce que les États participant à l’ITM se positionnent comme des ponts entre la Russie et l’UE, à l’image de la Hongrie, et non pas comme un sous-ensemble farouchement opposé à Moscou, ce qui fracture l’Europe.

En 2014, la Russie avait proposé à l’Ukraine d’intégrer son projet d’Union eurasiatique, mais le coup d’État à Kiev a réorienté le pays vers l’espace euro-atlantique et un accord de libre-échange avec l’UE. La Russie a ensuite élaboré en 2016 le projet de Grande Eurasie, qui n’était pas fermé à une participation de l’Union européenne car sa vision était celle d’une convergence des intérêts géopolitiques communs à tout le continent[34]. L’Initiative des trois mers, qui tend à privilégier les relations nord-sud, entre en contradiction avec la vision est-ouest que la Russie cherche à maintenir. Or depuis février 2022, on observe une véritable hystérie au sujet d’une menace russe, en réalité inexistante pour les membres OTAN[35], alors même que le conflit actuel est principalement dû à la non prise en compte des intérêts de sécurité de la Russie. Moscou réagit en effet selon ses propres représentations, lesquelles proviennent de son sentiment d’encerclement par l’OTAN en raison de son élargissement, de l’installation de bases américaines en Europe de l’Est et du nouveau projet de bouclier antimissiles. Les crises géorgienne (2008) et ukrainienne s’inscrivent dans ce contexte[36].

Un meilleur équilibre géopolitique en Europe est nécessaire pour éviter l’hégémonie de Washington laquelle entraine la France et les Européens dans des conflits contre la Russie et la Chine, au détriment de leurs intérêts et au seul profit des néoconservateurs de Washington et des bureaucraties alignées de l’OTAN et de l’UE. Une confrontation de long terme avec Moscou doit être évitée car toute l’Europe et sa proximité géographique s’en trouveront affectées.

A l’issue du conflit en cours, la meilleure politique pour la France serait de s’affirmer comme puissance d’équilibre grâce à un rapprochement franco-russe pour contrebalancer l’axe euro-atlantiste sous hégémonie américaine. Pratiquer l’équilibre n’est pas la neutralité, mais permet de contrebalancer le pôle trop dominant par un autre. Il serait judicieux pour la France et les États ouverts à une reprise des relations avec la Russie – l’Italie, l’Espagne, la Grèce, Chypre, mais aussi la Hongrie et la Croatie, et espérons l’Allemagne, si elle se détache de ses illusions atlantistes – de promouvoir un nouvel équilibre plus favorable à leurs intérêts.

Si Moscou restait en conflit avec ce qu’elle appelle « l’Occident collectif », la coopération avec les pays occidentaux – ceux du temps de la Guerre froide –restera toutefois d’actualité selon le Kremlin.[37] A l’échelle mondiale, l’enjeu pour les Européens est d’éviter un éventuel condominium américano-chinois et la Russie peut jouer dans cette perspective un rôle important. Une nouvelle architecture européenne de sécurité, maintes fois évoquée mais jamais mise en œuvre, incluant la Russie et l’Ukraine, reste la condition, non seulement de la paix en Europe, mais aussi de la relance du projet européen vers une Europe des nations souveraines, alliées et interdépendantes, à l’échelle continentale.


 

[1] https://seymourhersh.substack.com/p/how-america-took-out-the-nord-stream

[2] https://www.nytimes.com/2023/03/07/us/politics/nord-stream-pipeline-sabotage-ukraine.html

[3] https://www.reuters.com/world/europe/zelenskiy-aide-kyiv-absolutely-not-involved-nord-stream-attack-2023-03-07/

[4] https://www.youtube.com/watch?v=k93WTecbbks

[5] https://www.epochtimes.fr/la-suede-quitte-lenquete-conjointe-sur-la-fuite-du-nord-stream-et-refuse-de-partager-ses-conclusions-invoquant-la-securite-nationale-2135764.html

[6] « The overarching pillars of the Three Seas Initiative are threefold – economic development, European cohesion and transatlantic ties. The changing nature of global environment calls for their strengthening in order to be able to face new challenges and overcome dynamic threats.

Firstly, the Initiative seeks to contribute to the economic development of the Central and Eastern Europe through infrastructure connectivity, mainly, but not only on the North-South axis, in three main fields – transport, energy and digital.

The second objective is to increase real convergence among EU Member States, thereby contributing to enhanced unity and cohesion within the EU. This allows avoiding artificial East-West divides and further stimulate EU integration.

Thirdly, the Initiative is intended to contribute to the strengthening of transatlantic ties. The US economic presence in the region provides a catalyst for an enhanced transatlantic partnership. » (https://www.three.si/2019-summit).

[7] https://www.bundespraesident.at/aktuelles/detail/drei-meere-initiative-2018

[8] http://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/the-three-seas-summit-a-step-toward-realizing-the-vision-of-a-europe-whole-free-and-at-peace

[9] http://www.atlanticcouncil.org/images/publications/Completing-Europe_web.pdf

[10] Laruelle Marlène, Riviera Ellen, Imagined Geographies of Central and Eastern Europe: The Concept of Intermarium, Institute for Russian European, and Eurasian studies, The Georges Washington University, IERES Occasional Papers, March 2019 (https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/laruelle-rivera-ieres_papers_march_2019_1.pdf).

[11] Montgrenier Jean-Sylvestre, Dubois-Grasset Jeanne, La Pologne, acteur géostratégique émergent et puissance européenne, http://institut-thomas-more.org/2018/06/30/la-pologne-acteur-geostrategique-emergent-et-puissance-europeenne/

[12] https://www.ft.com/content/2e328cba-c8be-11e8-86e6-19f5b7134d1c

[13] https://www.ft.com/content/eb1ebca8-9514-11e5-ac15-0f7f7945adba

[14] « Permanent Structured Cooperation ». Ce projet a pour objectif de rendre la politique de sécurité et de défense européenne plus contraignante. Les États membres s’engagent à mettre en œuvre ensemble des projets de défense sélectionnés.

[15] https://www.consilium.europa.eu/media/32079/pesco-overview-of-first-collaborative-of-projects-for-press.pdf

[16] https://ec.europa.eu/transport/themes/infrastructure/news/2018-03-28-action-plan-military-mobility_en

[17] https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2016/07/08/eu-nato-joint-declaration/

[18] https://biznesalert.pl/hodges-centralny-port-komunikacyjny-mobilnosc-nato/

[19] https://www.politico.eu/article/dont-put-us-bases-in-poland/

[20] https://wikileaks.org/plusd/cables/08WARSAW1409_a.html

[21] Foucher Michel, La bataille des cartes, Analyse critique des visions du monde, Françoise Bourin, 2011.

[22] https://www.nytimes.com/1992/03/08/world/us-strategy-plan-calls-for-insuring-no-rivals-develop.html

[23] Brzezinski Zbigniew, The Grand Chessboard: American Primacy and its Geostrategic Imperatives, Basic Books, 1997.

[24] Justin Vaïsse, Zbigniew Brzezinski, stratège de l’empire, Odile Jacob, 2016.

[25] Selon Mitchell, l’objectif des Etats-Unis est d’éviter la domination des masses eurasiennes par des puissances hostiles. Ainsi, il précise que « lors de trois guerres mondiales, deux chaudes et une froide, nous avons aidé à unifier l’Occident démocratique pour empêcher nos opposants brutaux de dominer l’Europe et le Rimland à l’ouest de l’Eurasie »[25]. Sans surprise, la Russie et la Chine sont désignées comme les adversaires stratégiques des Etats-Unis alors que la Guerre froide est terminée depuis plus d’un quart de siècle, car ils « contestent la suprématie des USA et leur leadership au XXIe siècle.» On retrouve donc avec constance l’objectif des Etats-Unis de contrôler l’Eurasie afin d’empêcher un rival géopolitique d’y émerger à nouveau et de relativiser leur propre puissance mondiale (https://ee.usembassy.gov/a-s-mitchells-speec).

[26]  Le Président Donald Trump a déclaré lors du sommet de l’Initiative des trois mers le 6 juillet 2017 à Varsovie que « L’Initiative des Trois Mers transformera et reconstruira l’ensemble de la région et veillera à ce que vos infrastructures, tout comme votre engagement en faveur de la liberté et l’état de droit, vous lient à toute l’Europe et, en fait, à l’Occident. (…) L’Initiative des trois mers permettra non seulement à vos peuples de prospérer, mais aussi à vos nations de rester souveraines, sûres et libres de toute coercition étrangère. Les nations libres d’Europe sont plus fortes et l’Occident l’est aussi. Les États-Unis sont fiers de constater qu’ils aident déjà les pays des trois mers à atteindre la diversification énergétique dont ils ont tant besoin. L’Amérique sera un partenaire fiable et sûr dans la production de ressources et de technologies énergétiques de haute qualité et à faible coût. »

[27] Le Financial Times a souligné que « Donald Trump est en train d’opérer un changement radical dans la politique énergétique américaine en utilisant les exportations de gaz naturel comme un instrument de politique commerciale, en se faisant le champion des ventes à la Chine et à d’autres régions d’Asie dans le but de créer des emplois et de réduire les déficits commerciaux américains. Dans une tentative de libérer les ressources énergétiques américaines, M. Trump essaie de promouvoir davantage d’exportations de gaz naturel liquéfié et pas seulement d’utiliser le GNL comme une arme géopolitique visant des nations telles que la Russie, comme c’était la position de son prédécesseur Barack Obama. ». « Trump looks to lift LNG exports in US trade shift », Financial Times, June 22, 2017 (https://www.ft.com/content/c5c1958c-5761-11e7-80b6-9bfa4c1f83d2).

[28]https://www.euractiv.com/section/energy/news/kremlin-accuses-trump-of-trying-to-bully-europe-into-buying-us-lng/

[29] https://www.lalibre.be/economie/conjoncture/2022/10/14/nord-stream-une-grande-section-du-tuyau-doit-etre-coupee-et-remplacee-G6ROQC3BGZF4RLFWETGX7NQ6Q4/

[30] Les sanctions allemandes contre la Russie étaient toujours calibrées afin de ne pas mettre en danger les intérêts fondamentaux de sa puissance économique, tout en satisfaisant les Etats-Unis mais aussi les pays d’Europe centrale et orientale, méfiants vis-à-vis de Moscou. Il s’agissait à la fois d’une politique d’équilibre, de réassurance, et d’endiguement de la Russie sur le plan géostratégique.

[31] https://www.tysol.pl/a23593-Najnowszy-numer-%E2%80%9ETygodnika-Solidarnosc%E2%80%9D-Po-co-Niemcom-Trojmorze-

[32] Thomann Pierre-Emmanuel, Le couple, franco-allemand et le projet européen, représentations géopolitiques, unité et rivalités, L’Harmattan, Paris, 2015.

[33] Le partenariat oriental avait été promu par la Pologne et la Suède pour contrer le tropisme euro-méditerranéen de la France, dans le contexte de la crise provoquée par le projet d’Union méditerranéenne de Nicolas Sarkozy en 2007/2008. L’Allemagne a toujours soutenu le partenariat oriental, mais en agissant dans les coulisses de l’Union européenne. Berlin a bloqué le projet d’Union méditerranéenne de la France pour éviter une division de l’UE et contrer l’émergence de Paris comme chef de file des pays méditerranéens en contrepoids de l’Europe allemande, afin d’éviter une fragmentation de l’Europe en alliances variables, et maintenir la France et les pays du sud de l’Europe dans le giron de l’UE.

[34] Glaser Kukartseva, M. et Thomann, P.-E., “The concept of “Greater Eurasia”: The Russian “turn to the East” and its consequences for the European Union from the geopolitical angle of analysis”, Journal of Eurasian Studies, 13(1), 3-15, 2022, (https://doi.org/10.1177/18793665211034183).

[35] Aucun État membre de l’OTAN protégé par l’article V n’a pourtant eu de différend militaire avec la Russie.

[36] Thomann Pierre-Emmanuel, « Guerre Russie-Géorgie : première guerre du monde multipolaire », Défense nationale, n°10, octobre 2008 (http://www.ieri.be/fr/node/329).

[37] Vladimir Putin Meets with Members of the Valdai Discussion Club. Transcript of the Plenary Session of the 19th Annual Meeting, october 27, 2022

https://valdaiclub.com/events/posts/articles/vladimir-putin-meets-with-members-of-the-valdai-club/