Et de trois! Sébastien Lecornu rempile de nouveau au ministère des Armées

Et de trois! Sébastien Lecornu rempile de nouveau au ministère des Armées

Sébastien Lecornu, ministre des Armées (photo Franck Dubray, O.-F.)

Nommé ministre des Armées le 20 mai 2022, Sébastien Lecornu est donc maintenu à son poste dans le (premier?) gouvernement Barnier. Ce qui n’est pas sans déplaire à de nombreux militaires qui reconnaissent la détermination de leur ministre.

On lira son CV ici.

Que préciser ou ajouter?

Que ce « discret » (selon l’AFP), proche d’Emmanuel Macron, est né en 1986… Qu’il a occupé à partir de 2020 le poste de ministre des Outre-mer dans le gouvernement Jean Castex, puis celui de ministre des Armées d’abord dans le gouvernement Élisabeth Borne puis dans le gouvernement Gabriel Attal.

Qu’il a été le principal artisan de l’élaboration et du vote de la loi de programmation militaire (LPM) d’avril 2023, qui doit s’appliquer de 2024 à 2030. Cette LPM prévoit 413 milliards d’euros de dépenses militaires sur les sept années d’exercice. Le budget annuel passera ainsi de 32 milliards en 2017 à 69 milliards en 2030, soit un doublement du financement des armées.

Qu’est-ce qui l’attend?

Du roulis politique! Ce gouvernement naît dans la douleur et la mauvaise humeur. Et sa durée de vie est évidemment jugée éphémère.

Des pressions et menaces sur la LPM et le budget des Armées, puisqu’il va falloir réduire le train de vie de l’Etat. Toutefois, les plafonds de dépenses prévisionnels pour le PLF 2025, considérés comme une « base technique » pour préparer le prochain budget, montrent que pour l’instant, les Armés s’en sortent bien (+ 7 % par rapport à la loi de finances initiale de 2024, à 50,5 milliards d’euros).

Des remises en question dans le dossier « Ukraine », sur la nature et le montant des aides françaises à Kiev face à Moscou. C’est possible; on se souviendra qu’en mars dernier, lors du débat sur l’Ukraine au Parlement, LFI avait exprimé son rejet de la stratégie française d’aide à Kiev.

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

Pourquoi le budget défense 2025 devra respecter la loi de programmation militaire

OPINION – Nouveau gouvernement, nouvelles priorités, nouvelles orientations économiques ? Alors que le budget du ministère des Armées doit augmenter de 3,3 milliards d’euros en 2025, le groupe de réflexions Mars* rappelle que l’investissement de défense est rentable sur le plan économique, social, fiscal ainsi que pour le commerce extérieur et l’innovation (Recherche & Développement).

« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars)
« une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines » (Le groupe Mars) (Crédits : PHILIPPE WOJAZER)

L’un des enjeux de la nomination d’un nouveau gouvernement réside dans sa capacité à décider de mesures nouvelles conformes à des orientations politiques rencontrant le soutien d’une majorité de parlementaires des deux chambres. Au terme d’une cinquantaine de jours d’impasse, on semble s’orienter vers un gouvernement de droite avec le soutien sans participation de la droite de la droite. Ce qui s’appelle une victoire du « front républicain »… belle manœuvre Mon général !

Le monde de la défense garde un souvenir amer de l’expérience passée, pour ne pas dire du passif, du dernier gouvernement de droite (Fillon). Avec la perte de 20% des effectifs, la trop fameuse RGPP a eu l’effet d’une guerre d’attrition sur les moyens consacrés à nos armées, sans les avantages de l’aguerrissement. C’est essentiellement ce qui explique pourquoi la France est montrée du doigt pour son manque de solidarité à l’égard de l’Ukraine. Mais la vérité est qu’elle manque cruellement de moyens militaires depuis les coupes subies jusqu’en 2012, voire 2015. La vigilance est donc de mise.

Un rééquipement urgent

En matière de défense, chacun sait en effet que la reconduction à l’identique du budget 2024 aurait pour effet de renoncer à « franchir la marche » à 3,3 milliards d’euros prévue à l’article 4 de la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024-2030 adoptée il y a un an. Fâcheux pour une deuxième année d’exécution. Certes, notre pays n’est pas en première ligne dans les conflits majeurs en cours dans le monde, mais si l’on admet que l’époque a changé et que ce changement est durable, il convient d’en tirer les conséquences en termes militaires. Notre pays a besoin d’équiper son armée à un rythme accéléré. Tel est l’enjeu du budget de la défense à adopter cet automne.

La bonne nouvelle dans ce contexte sombre, c’est que l’investissement de défense est rentable. Cela est admis dorénavant depuis quelques années par la littérature économique (1) même si les analyses divergent sur le délai du retour sur investissement (interrogé sur le sujet, un logiciel d’IA générative donne la fourchette de 0,6 à 1,2 de retour sur un an).

Sur le plan de l’économie politique, il paraît en effet possible de dégager un certain consensus qui pourrait se résumer en une quinzaine de constats objectifs.

  • Il n’existe pas d’effort de défense (exprimé en % PIB) optimal absolu, mais des optima relatifs en fonction de la réalité de la menace et de la taille du pays ; à ce titre, l’objectif otanien de 2% est très inférieur aux normes de la guerre froide, quand l’OTAN exigeait au moins 3%. Cela n’a donc aucun sens de comparer le taux d’effort actuel avec ce qu’il était à une autre période, ni de comparer le taux d’effort entre pays de tailles très différentes. Ce n’est pas un indicateur pertinent, ni en termes économiques, ni même en termes d’efficacité.
  • La politique industrielle de l’armement (lorsqu’il en existe une) intéresse exclusivement le moyen et le long terme économique parce qu’elle est sous-tendue par une volonté politique de souveraineté et d’autonomie stratégique. Sa définition échappe largement au domaine d’interprétation du calcul traditionnel de rentabilité économique, en raison notamment de la longueur des immobilisations qu’elle utilise, très supérieure à l’horizon de la majorité des investissements commerciaux privés. Le choix du développement des industriels d’armement se présente donc aujourd’hui comme un choix pour l’avenir dont la responsabilité globale revient aux autorités publiques, même si sa réalisation fait intervenir pour moitié des centres de décision privés. Cela rend inadaptés les raisonnements en termes de coûts d’opportunité par rapport aux autres investissements industriels.
  • L’achat d’équipement sur étagère à l’étranger a pour premier effet macroéconomique d’augmenter les importations. Cet effet négatif peut être partiellement équilibré par des compensations industrielles locales, mais ces « offsets » ont surtout pour conséquence de renchérir le coût des équipements importés et donc de dégrader la balance commerciale. On rappellera que, par fierté d’une autonomie retrouvée, la France refuse depuis au moins 40 ans de demander des compensations industrielles contrairement à sa pratique sous la IVe République, pratique toujours en cours, malgré les codes européens de bonne conduite, de la part de la plupart de nos partenaires européens avec, pour certains, la volonté d’avoir surtout des compensations bien plus que des équipements.
  • L’achat d’équipements militaires auprès des industriels nationaux (BITD) permet de maîtriser la balance commerciale et d’être souverain à condition que la chaîne de valeur reste très majoritairement nationale de bout en bout. Si ce n’est pas le cas, toute « fuite » hors du circuit économique national diminue l’effet multiplicateur potentiel et fragilise l’objectif de demeurer souverain sur le long terme. Or des études microéconomiques récentes ont montré à quel point cette chaîne de valeur était intégrée au niveau européen, ce que des instruments tels que le fonds européen de défense encourage. Cela va des composants les plus modestes jusqu’à des sous-ensembles majeurs tels que les moteurs diesel et les boîtes de vitesse.
  • A ce titre, le modèle de l’arsenal (2) apparaît le plus efficace en termes macroéconomiques, à condition que les coûts de production soient maîtrisés, ce qui suppose, en l’absence de compétition, une régulation publique forte au niveau microéconomique sur la formation des prix. A cet égard, le modèle américain d’arsenal national privé mérite d’être rappelé.Pour les États-Unis, le libre échange ne s’applique qu’aux autres. Ils ont parfaitement raison : il n’existe pas de marché de l’équipement de défense, pas de libre concurrence, pas de libre formation des prix, un client unique, une interdiction d’exportation de principe (pour un contrôle politique des exceptions), des barrières considérables à l’entrée de nouveaux fournisseurs, etc. Il n’y a dans le monde que la Commission européenne pour croire à l’existence d’un marché intérieur de défense.
  • L’impact économique de l’effort de défense n’est pas le même selon que la priorité est donnée à la formation de capital fixe ou de… capital humain : l’effet multiplicateur des rémunérations n’est pas établi au niveau national, même si son rôle pour les économies locales est évident. Il en va différemment de l’effort d’armement. L’investissement de défense comprend en effet plusieurs composantes : la formation de capital fixe sous la forme de capacités industrielles, la formation du capital humain nécessaire à la conception et à l’entretien des équipements, la recherche technologique.

Dépenses de défense : quel impact économique ?

En revanche, considérer l’équipement de combat lui-même comme un investissement est contestable en termes économiques car difficile à amortir et à assurer dans la mesure où sa durée de vie est impossible à déterminer à l’avance. Qui sait si tel Rafale durera 50 ans dans les inventaires sous différentes configurations ou disparaîtra dans l’année par accident ou par fait de guerre ? Par conséquent l’impact économique de l’investissement de défense est d’autant plus fort qu’il touche les trois composantes précédemment citées ; s’il ne concerne que la production d’équipements déjà développés (et à plus forte raison de consommables tels que les munitions), l’impact est nul, voire négatif. Et effectivement, acheter des chars sur étagère à l’étranger (comme le fait la Pologne) n’est pas un investissement au sens économique : c’est une consommation intermédiaire qui capte une dépense publique qui serait sans doute plus utile ailleurs.

  • Investir dans l’armement ne vise pas à produire un effet économique direct (contrairement à la plupart des investissements civils), mais à délivrer durablement (investir dans l’armement et dans l’industrie nationale d’armement, c’est s’assurer une capacité autonome et sur le long terme d’accéder aux systèmes nécessaires pour notre défense) un bien collectif – la défense – sans lequel le reste des activités économiques et humaines ne peut pas avoir lieu sereinement. L’utilité en matière de défense est cependant une notion ambiguë, car il est très difficile de chiffrer le gain économique dû à une défense efficace, c’est-à-dire assurant la sauvegarde de la nation, la sécurité de ses habitants et la protection de ses intérêts vitaux. La guerre en Ukraine, avec un coût de la reconstruction évalué entre 500 et 600 milliards d’euros (soit quatre années du PIB ukrainien d’avant-guerre) permet d’estimer le gain économique d’une dissuasion efficace. En extrapolant ces chiffres à la France, la comparaison est vertigineuse : une dépense annuelle de défense de 50 milliards d’euros permet ainsi « d’économiser » plus de 10.000 milliards d’euros, soit un retour sur investissement de deux cents contre un : imbattable !
  • Il ne serait pas tout à fait exact d’affirmer que l’achat de « produits de défense » matures (pour employer la terminologie de l’UE) à l’industrie nationale n’ait aucun intérêt économique : cela permet au moins d’éponger les coûts fixes et donc d’améliorer potentiellement la capacité d’autofinancement afin de faciliter à l’industriel l’investissement sur fonds propres dans le développement de nouveaux produits et de nouvelles capacités.
  • Les exportations permettent aussi de préserver une base industrielle au service des armées sans que cela ne requière un effort budgétaire national équivalent. Elles contribuent ainsi de manière significative à la finalité première de cette base : participer à la politique d’autonomie stratégique. L’exportation de « produits de défense » (qui sont aussi de plus en plus des services) contribue également autant aux économies d’échelle qu’à l’équilibre de la balance commerciale, dont on sait aujourd’hui à quel point elle est en déficit en dépit d’un excédent croissant des transferts de matériel de guerre (3). Difficile de nier cet impact macroéconomique dans le cas de la France. On aimerait que l’industrie française de la transition énergétique soit aussi performante.
  • L’innovation technique est en effet inhérente à l’investissement de défense, car les armées recherchent toujours l’efficacité opérationnelle, c’est-à-dire la supériorité sur tous les champs de confrontation potentiels. Or, comme le montre la guerre en Ukraine, cette supériorité ne vient de la « masse » que parce que le rapport de force technologique est équilibré : une rupture technologique pourrait déséquilibrer le rapport de force d’un côté ou de l’autre. C’est pourquoi l’investissement de défense comporte une forte intensité en innovations, le plus souvent plus forte que la plupart des investissements civils. C’est aussi pourquoi certains risques en matière de recherche ne peuvent être assumés que par la puissance publique, du fait de leur faible probabilité de rentabilité à court terme. C’est ainsi que la plupart des ruptures technologiques développées dans la Silicon Valley ont pour origine le financement de programmes de défense par le Pentagone. Une exception toutefois qui n’en est pas une, tant le domaine spatial est d’intérêt dual : le programme (civil) Apollo a été, dans les années soixante, la matrice de la révolution industrielle informatique, mais il s’agissait en réalité moins de poser le pied sur la Lune que de combler le « missile gap » apparu depuis le lancement de Spoutnik en 1957.

La R&D militaire tire l’innovation

Pendant longtemps on a supposé que la R&D militaire induisait un effet d’éviction à l’égard de la R&D civile, tant publique que privée ; mais, comme le remarque Renaud Bellais (4), la chute des budgets militaires n’a pas induit d’augmentation de l’effort civil de recherche. Il apparaît en fait que la R&D militaire représente plus un complément qu’un concurrent de son équivalent civil. Le plus souvent les projets civils ont beaucoup de mal à trouver des appuis. Le budget civil de R&D trouve bien peu de défenseurs face à ceux qui cherchent par tous les moyens à réduire la pression fiscale ; et les projets civils doivent prouver leur « retour sur investissement » (à l’instar des investissements privés). Un tel contexte ne laisse qu’une faible marge de manœuvre et tend à exclure tout financement pour des projets à haut risque ou trop éloignés d’une commercialisation rapide.

  • L’exemple des hélicoptères montre que les relations dynamiques entre l’aéronautique militaire et civile résultent moins de retombées technologiques du militaire au civil que du nombre élevé des utilisations conjointes de mêmes techniques, voire des possibilités offertes de construire quasi simultanément des versions militaires et civiles des mêmes modèles (ex. Super PUMA). Cette facilité offerte à l’industrie aérospatiale a pour conséquence économique pour les entreprises de réaliser une certaine péréquation entre les résultats des branches civiles et militaires.
  • L’investissement de défense permet en outre de maintenir et développer un tissu industriel performant alimentant des emplois de qualité dans des territoires ruraux ou en reconversion : il concourt de fait à l’aménagement du territoire, ce qui économise de la dépense sociale.
  • Au-delà de la R&D, il nous faut veiller plus que jamais à la protection et à la transmission de nos savoir-faire, même ceux qui sont considérés comme les plus traditionnels et les plus rustiques. A défaut, le risque de perte de compétences et de savoir-faire n’épargnera aucune filière.
  • L’investissement de défense, dès lors qu’il s’inscrit dans une perspective politique de maintien d’une autonomie stratégique, obéit à une programmation de moyen terme, voire dans l’idéal à une planification de long terme, qui s’accommode très mal des à-coups d’une politique budgétaire de court terme, qu’il s’agisse de relancer la demande en anticipant les commandes ou au contraire de freiner le rythme des acquisitions, incompatible avec une saine gestion des capacités industrielles.
  • Enfin, sauf à exonérer de taxes et de cotisations les fournisseurs de la défense, le retour fiscal et social de la dépense de défense à chaque étape de la chaîne de valeur permet au bout « d’un certain temps » (fonction des caractéristiques du circuit économique en cause) à la puissance publique de rentrer dans ses frais. Un euro dépensé rapporte à terme un euro en rentrées fiscales et sociales, voire davantage. Cela signifie que, loin d’être un pur centre de coût, l’investissement de défense est surtout un centre de profit qui non seulement tire l’innovation technologique, mais permet aussi de financer d’autres priorités politiques économiquement moins rentables : la transition énergétique par exemple, dont le contenu technologique est beaucoup moins intense et la contribution à la balance commerciale beaucoup moins favorable.

C’est pourquoi une politique économique avisée de la part du prochain gouvernement français, alors que les pays européens vivent sous la menace de la Russie, devrait commencer par investir massivement dans des capacités industrielles de défense souveraines. L’effet multiplicateur et le retour fiscal garantiraient rapidement un retour sur investissement permettant d’investir dans d’autres priorités, notamment la formation, la santé et la transition énergétique, toujours dans une perspective souveraine. Il ne faut pas inverser l’ordre des priorités.


1 : Les travaux de l’observatoire économique de la défense (OED) ont sans doute été précurseurs à partir d’avril 2017 avec la publication d’une première étude dans le n°91 de la publication EcoDef (Oudot, 2017), suivie et confirmée par une analyse de la chaire économique de l’IHEDN en mai 2020 (Belin & Malizard, 2020) ; le groupe MARS n’a pas été pour rien dans la diffusion de ces travaux à partir du printemps 2020 : cf. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/l-investissement-dans-la-defense-rapporte-plus-que-ce-qu-il-coute-846190.html

2/ Cf. https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-1-2-989552.html ; https://www.latribune.fr/opinions/arsenal-arsenal-est-ce-que-j-ai-une-gueule-d-arsenal-2-2-989696.html

3/ Les exportations de matériel de guerre génèrent près d’un quart des exportations françaises et entretiennent 75 000 emplois directs et indirects.

4/ BELLAIS Renaud, « Armement et dépenses publiques, quels enjeux pour l’analyse robinsonienne ? », Innovations, 2001/2 (no 14), p. 139-158 https://www.cairn.info/revue-innovations-2001-2-page-139.htm

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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

La trajectoire budgétaire des armées provisoirement maintenue

par

Pas de statu quo pour le budget des armées mais une hausse conforme à la trajectoire inscrite dans la nouvelle loi de programmation militaire. Du moins, pour l’instant, car la situation financière de la France, jugée « catastrophique » par plusieurs sénateurs, pourrait forcer le prochain gouvernement à revoir la copie.  

Le budget 2025 des Armées s’en sort jusqu’à présent plutôt bien, confirment des documents perçus ce lundi par la commission des Finances du Sénat. Entre la loi de finances pour 2024 et le plafond de dépenses pour 2025 envoyé fin août par le Premier ministre, les dépenses militaires augmentent de 3,3 Md€ l’an prochain pour plafonner à 50,5 Md€ hors pensions. Soit une hausse fidèle à l’objectif fixé dans la LPM 2024-2030. 

D’autres pâtissent néanmoins de la volonté de gel budgétaire prônée par le gouvernement démissionnaire. L’enveloppe consacrée au travail et à l’emploi recule ainsi de 2,3 Md€. Celles de l’aide publique au développement et du plan de relance baissent de 1,3 Md€ et 1,2 Md€. Plusieurs lignes budgétaires sont figées, dont celle allouée à la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». 

Si l’équilibre présenté s’avère bénéfique aux armées, celui-ci demeure aussi provisoire qu’instable. « Une nouvelle fois, les nouvelles ne sont pas bonnes », martelait hier le président de la commission des Finances, le sénateur Claude Raynal (PS) lors d’une conférence de presse. Les dépenses « dérivent dangereusement » quand les recettes se réduisent, l’équation se soldant par « une dégradation historique des comptes de la nation », pointait à son tour Jean-François Husson, sénateur LR et rapporteur général de la commission des Finances. 

Selon une note de la Direction générale du Trésor datée de juillet, le déficit public atteindrait désormais les 5,6% du PIB en 2024, contre 5,1% auparavant. Il atteindrait 6,2% en 2025, soit 60 Md€ ou une augmentation de 50% de la dérive par rapport à début 2024. Ces chiffres « établissent la poursuite en 2024 et pour les années à venir, évidemment sous réserve qu’il n’y ait pas de mesures correctrices, de la dégradation des finances publiques que nous constatons déjà depuis 2023 », constate Claude Raynal.

« On ne peut pas sans arrêt bidouiller », poursuit Claude Raynal tout en invitant « un gouvernement sérieux » à se mettre au travail « pour redresser la situation dont il va hériter ». Entre une réduction des dépenses ou une hausse des recettes, les sénateurs privilégient la prudence sur la marche à suivre mais seront forces de proposition lorsque le temps des discussions parlementaires sera venu. La partie ne fait donc que commencer et, malgré un contexte sécuritaire dégradé et la nécessité de continuer à renforcer l’outil de défense, le prochain round pourrait s’avérer autrement plus corsé.

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

 

Par Fabrice Wolf – Méta Défense – publié le

La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.

Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.

C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.

Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.

Sommaire

  1. La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
  2. L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
  3. L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
  4. De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
  5. La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
  6. Conclusion

La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité

Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.

 

Rafale M armé d'un missile ASMPA nucléaire au catapultage
La FaNu permet à la France de déployer des missiles nucléaires ASMPA à partir de Rafale M embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut deployer cette capacité que 50 % du temps, au mieux.

Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.

À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

La seconde est la Force Océanique Stratégique, disposant de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, de la classe le Triomphant. Celle-ci conserve, à chaque instant, un de ces navires à la mer, pour évoluer caché dans les profondeurs océaniques, et lancer, à la demande présidentielle, ses 16 missiles balistiques M51.3, d’une portée de 10.000 km, et transportant chacun 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt.

Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.

FOST SNLE Le terrible classe Le triomphant
Avec quatre SNLE classe Le Triomphant, la France dispose en permance d’un navire en patrouille, susceptible de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre un pays ayant attaqué le Pays, y compris avec des armes nucléaires stratégiques.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la dissuasion française est aujourd’hui correctement dimensionnée, et certainement efficace, pour contenir la menace d’un pays comme la Russie, et ce, en dépit d’un nombre beaucoup plus important de vecteurs et de têtes nucléaires pour Moscou.

En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.

De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.

L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française

Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.

ICBM KN-22 Pyonguang
première présentation publique du missile ICBM KN-22 à Pyongyang en 2020

Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.

C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.

L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.

Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.

Bombardier Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes disposeront d’une cinquantaine de bombardiers supersoniques à très long rayon d’action Tu-160M et M2 d’ici à 2040.

La Russie, justement, développe et modernise rapidement son arsenal nucléaire, avec l’entrée en service de nouveaux vecteurs, comme les SNLE de la classe Boreï, les bombardiers stratégiques Tu-160M et les ICBM RS-28 Sarmat, équipés du planeur hypersonique Avangard.

Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.

Enfin, la Chine produit un effort sans équivalent, pour accroitre et étendre ses capacités de frappe nucléaire, son arsenal devant être triplé d’ici à 2035, pour atteindre 1000 vecteurs opérationnels.

DF41 ICBM Chine
le missile balsitique ICBM DF41 chinois représente un immense progrès vis-à-vis des DF-5 à carburant liquide en silo, employés jusqu’à présent.

Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.

L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée

À ces nouvelles menaces stratégiques nucléaires, pouvant directement menacer la France et ses intérêts vitaux, s’ajoutent, également, de nouvelles capacités au potentiel de destruction stratégique, mais armées de charges conventionnelles et/ou faiblement létales.

L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.

Drone d'attaque Shahed 136 en Ukraine
Les drones d’attaque, comme le Shahed 136 iraniens, se sont montrés très efficaces pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes.

Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.

D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.

Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².

Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.

Usine drones d'attaque Geranium-2
La Russie prévoit de construire plus de 8000 Geran-2, version russe modifiée du Shahed 136, sur la seule année 2024.

Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.

Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.

De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine

Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.

SSBN CLasse Columbia US Navy
L’US Navy prévoit de n’acquerir que 12 SSBN de la classe Columbia. Un nombre jugé très insuffisant par la Heritage Foundation, qui préconise un retour à 16 navires, comme pendant la guerre froide.

Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.

Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.

Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.

Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.

silos missiles chine
La construction de plusieurs centaines de silos pour missiles ICBM a été observée en Chine

Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.

Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.

La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?

Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.

Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.

Rafale B missile ASMPA
Le missile nucléaire supersonique ASMPA-R (Rénové) sera remplacé, à partir de 2035, par le missile ASN4G, qui pourrait être doté d’un planeur hypersonique.

En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.

De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.

Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.

En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.

SNLE 3G Naval Group
Le conception et la construction des 4 SNLE 3G, destinés à remplacer, à partir de 2035, les SNLE classe le Triomphant, sera le chantier industriel et technologique le plus complexe réalisé en France dans les dix années à venir.

Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.

Conclusion

On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.

Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.

Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.

Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.

Article du 31 juillet, en version intégrale jusqu’au 6 septembre 2024

Statu quo temporaire pour le budget 2025 des armées ?

Statu quo temporaire pour le budget 2025 des armées ?

– Forces opérations Blog – publié le

Entre les budgets 2024 et 2025, pas un euro de différence ? Le gouvernement démissionnaire privilégie pour l’instant le statu quo dans les plafonds budgétaires fixés pour l’an prochain. Un scénario qui, s’il se maintient, reviendrait à stopper net la nouvelle dynamique engagée au bénéfice des armées françaises. 

Avec plusieurs semaines de retard sur le calendrier établi, le Premier ministre Gabriel Attal a finalement choisi le statu quo en proposant une enveloppe identique à celle de 2024, soit 492 Md€. La raison invoquée ? Avancer dans la construction d’un budget qui devra impérativement être présenté au Parlement le 1er octobre puis adopté avant le 1er janvier. Et, par là, fournir une base de travail potentiellement réversible au futur gouvernement. 

Les différentes enveloppes ne sont pas détaillées, mais ce gel théorique des dépenses implique néanmoins quelque 10 Md€ d’économies à réaliser pour les différents ministères. L’annonce intervient en effet sur fond d’austérité. Un effort de 25 Md€ sera nécessaire pour tenir l’objectif de 5,1% de déficit public en 2024, annonçait mi-juillet le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Lemaire. Resteraient 10 Md€ à trouver, dont la moitié à charge des ministères. 

Si le ministère des Armées s’en était bien sorti lors du premier tour de vis de février dernier, aucun détail n’a depuis filtré sur les arbitrages suivants. Les premiers échos font état de situations variables, certains étant plus touchés que d’autres. Pour la mission Défense, un statu quo ou, pire, un recul des crédits aurait pour principale conséquence d’enrayer la trajectoire haussière d’une loi de programmation militaire à peine entamée et considérée dès son adoption comme un socle à renforcer selon le contexte. 

Reconduire les crédits à l’identique – probablement le meilleur scénario en l’état – reviendra à empêcher le franchissement de la marche de 3,3 Md€ prévue pour porter les dépenses militaires à 50,5 Md€. De nouveaux arbitrages seraient donc à prévoir, ceux-ci venant s’ajouter aux étalements et renoncements consentis pour mettre sur pied une LPM dont la nécessité n’est plus à démontrer. Ce sera ensuite autant de crédits à trouver et à répartir entre les cinq annuités restantes pour s’assurer de remplir les objectifs d’une LPM dite « de transformation », calcul d’autant plus complexe que l’accélération de l’effort se situe au-delà de l’horizon 2027. 

La balle est désormais dans l’autre camp. Celui du Nouveau Front Populaire (NFP) a rapidement battu en brèche la copie de Matignon. La principale faction de gauche a pris les devants pour, sans surprise, revenir sur la rigueur gouvernementale et soutenir une envolée des dépenses. Certains proposent de rehausser l’enveloppe globale de 30 Md€ afin de soutenir la croissance, les services publics, les salaires de la fonction publique, les aides au logement et la gratuité de l’enseignement. Mais pas un mot, du moins jusqu’à présent, sur les armées. 

Crédits image : EMA

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les insuffisances de l’effort de defense français face à la montée en puissance des menaces internationales, alors que l’encre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, votée en juillet dernier, est à peine sèche.

Entre le spectre d’une Chine surpuissante, la renaissance de la puissance militaro-industrielle russe, les perspectives pessimistes concernant la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, plus que jamais depuis la fin de la crise des Euromissiles, le rôle des armées françaises, pour garantir la sécurité du pays, mais aussi de ses alliés, est aujourd’hui crucial.

La LPM 2024-2030, en reprenant le format des armées conçu en 2013 par un Livre Blanc structuré autour d’une menace dissymétrique, et en ne visant que le plancher d’investissement fixé par l’OTAN de 2 % du PIB, ne répond ni en volume, ni dans son calendrier, aux défis qui s’accumulent face aux armées françaises.

Sommaire

Pour autant, les arguments avancés pour expliquer ce manque d’ambition et de moyens, apparaissent raisonnables, avec un déficit public chronique ne parvenant pas à passer sous la barre des 3 %, une dette souveraine s’approchant des 120 % de PIB, et une économie encore chancelante avec une croissance limitée et un chômage vivace, le tout venant caper les capacités d’investissements de l’État.

Alors, est-il illusoire de vouloir amener l’effort de défense français au niveau requis pour effectivement répondre aux enjeux sécuritaires ? Comme nous le verrons dans cet article, tout dépend de la manière dont le problème est posé.

Une LPM 2024-2030 à 2 % PIB est objectivement insuffisante pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir

Si la LPM 2024-2030 s’enorgueillit d’une hausse inégalée des dépenses de défense sur sa durée, avec un budget des armées qui passera de 43,9 Md€ en 2023 à 67 Md€ en 2030, l’effort de défense, c’est-à-dire le rapport entre ces dépenses et le produit intérieur brut du pays, demeurera relativement stable, autour de 2 %.

Hélicoptère gazelle
Certains équipements des armées, comme les hélicoptères Gazelle, devront jouer les prolongations bien au-delà du raisonnable, du fait des limitations de la LPM 2024-2030

De fait, en de nombreux aspects, cette hausse annoncée des crédits sera en trompe-l’œil, d’autant qu’elle sera en partie érodée par les effets de l’inflation, comme ce fut d’ailleurs le cas lors de la précédente LPM.

Dans un précédent article, nous avions montré qu’il serait nécessaire, pour la France, de produire un effort de défense supérieur ou égal à 2,65 % PIB pour répondre aux enjeux du moment. Depuis sa rédaction, plusieurs facteurs sont venus aggraver les menaces, donc le calendrier des besoins pour les armées, et avec eux, les besoins d’investissements.

Répondre au besoin de recapitalisation des armées françaises

D’abord, avec un effort à 2,65 % tel qu’il a été préconisé, la recapitalisation des armées françaises, après 20 années de sous investissements critiques, se voulait relativement progressive. En effet, le pic de menaces alors évalué se situait entre 2035 et 2040, ce qui laissait une quinzaine d’années à l’effort de défense pour combler les lacunes constatées, et remplacer les matériels les plus obsolètes comme les hélicoptères Gazelle, les Patrouilleurs Hauturier, et bien d’autres.

Or, le tempo s’est considérablement accru ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une Chine de plus en plus sûre d’elle dans le Pacifique, d’une Russie, en pleine confiance, qui a renoué avec une puissance militaro-industrielle de premier ordre, d’un axe de fait qui s’est formé entre ces deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et la menace désormais très perceptible du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles américaines de 2024.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est désormais une hypothèse crédible avec laquelle il convient de composer dans la planification stratégique en France comme en Europe.

En d’autres termes, là où l’on pouvait considérer raisonnable, un délai de 15 ans pour recapitaliser les armées françaises il y a quelques mois, il est aujourd’hui nécessaire de faire le même effort de modernisation et de transformation, sur un délai sensiblement plus court, le pic de menace pouvant débuter dès 2028, voire avant cela, selon les prévisions les plus pessimistes.

Assurer la transformation conventionnelle vers le théâtre européen

Sur ce même intervalle de temps, les armées françaises doivent aussi assurer une profonde transformation d’une partie significative de leurs forces, pour répondre aux besoins spécifiques du théâtre centre-Europe face à la Russie.

En effet, à ce jour, une part majoritaire des armées françaises, et plus spécifiquement de l’Armée de Terre, est conçue et organisée pour répondre aux besoins de projection de puissance sur des théâtres dissymétrique, en Afrique notamment. Légères et très mobiles, ces unités ont démontré une grande efficacité en Irak ou dans la zone Sud-saharienne.

Toutefois, force est de constater que les VBCI, VAB et même les VBMR et EBRC plus récents, manquent de puissance de feu et de protection pour évoluer face à un adversaire symétrique comme peut l’être la Russie, alors que, dans le ciel, les forces aériennes souffrent de ne disposer d’aucune capacité avancée de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes adverses, pour s’opposer à une défense antiaérienne performante, dense et structurée, comme c’est le cas dans les armées russes.

Étendre les armées et leur résilience

Non seulement les armées françaises apparaissent « trop légères » pour un affrontement en Europe centrale, mais elles souffrent, dans le même temps, d’un format trop réduit pour envisager de s’engager dans un affrontement conventionnel symétrique.

Ainsi, avec seulement 200 chars de combat, moins de 120 tubes d’artillerie, et au mieux, deux brigades lourdes, et deux brigades moyennes, pouvant répondre à ce type d’engagement, les armées françaises ont tout juste la possibilité d’engager une division mécanisée complète sur un éventuel front oriental.

Garde nationale 24ᵉ régiment d'Infanterie
Le 24ᵉ RI est le seul régiment français exclusivement composé de réservistes. En revanche, il n’est que très légèrement équipés, ne disposant d’aucun véhicule de combat blindé en propre.

Pire encore, une fois les deux brigades disponibles engagées, l’Armée de terre ne dispose que de peu de réserves matérielles pour assurer la rotation des forces, même si un effort a été fait lors de la LPM 2024-2030, pour tenter d’accroitre les forces de réserves, afin de renforcer la résilience humaine des armées.

La situation n’est guère meilleure dans les autres armées, avec une flotte de chasse limitée à 185 appareils pour l’Armée de l’air, un unique groupe aéronaval pour la Marine, et une flotte d’escorteurs de premier rang trop réduite pour effectivement assurer la sécurité des grandes unités majeures que sont le porte-avions et les 3 PHA, encore moins d’assurer la sécurité des espaces maritimes dont elle a la charge.

Renforcer l’industrie de défense nationale

Si la guerre en Ukraine a montré, de manière évidente, les insuffisances de format des armées françaises, elle a aussi mis en évidence le sous-dimensionnement et la vulnérabilité de l’industrie de défense nationale, qui peine à produire ne serait-ce qu’une partie des munitions nécessaires à l’Ukraine pour tenir face à la puissance retrouvée du complexe industriel militaire russe. Rappelons , à ce titre, que la France a un PIB presque 60 % plus important que celui de la Russie.

Sur ce même intervalle de temps réduit, allant jusqu’en 2028, 2030 au mieux, il serait donc aussi indispensable de reformater l’ensemble de l’outil industriel de défense français, afin de répondre aux besoins de reconstruction et d’extension des armées, mais aussi pour soutenir, dans la durée, les opérations militaires des armées françaises engagées dans un conflit conventionnel symétrique, le cas échéant.

Il convient aussi de conscidérer que l’industrie française, par sa position géographique, et par le statut spécifique du pays disposant d’une dissuasion, pourrait avoir un rôle tout particulier à jouer pour soutenir les armées européennes dans un tel engagement, et pas uniquement les armées françaises, en charge d’une portion seulement de la ligne de défense.

Renforcer la dissuasion française face à la menace sino-russe

Enfin, il s’avèrerait probablement nécessaire de revoir le format et les moyens à disposition de la dissuasion française, aujourd’hui construite sur le principe de stricte suffisance, mais en temps de paix.

SNLA Le Triomphant
Le passage d’une flotte de 4 à 5 ou 6 SNLE s’avèrerait plus que bienvenue pour contrebalancer les 12 SNLE Boreï et Boreï-A russes.

En effet, la Russie a explicitement fait savoir qu’elle n’était plus engagée par les accords internationaux post-guerre froide, alors que la Chine est engagée dans un effort sans précédant pour renforcer sa triade nucléaire, et la mettre au niveau des Etats-Unis et de la Chine.

Ne pouvant écarter un possible retour de l’isolationnisme américain, et devant anticiper un engagement total des forces US dans le Pacifique face à la Chine, il revient donc à la France, et à la Grande-Bretagne, d’assurer le parapluie dissuasif des pays européens.

Or, pour ce faire, les deux pays souffrent d’un déficit de moyens pour contrer la menace russe qui peut s’appuyer sur une triade nucléaire forte de 12 SNLE (contre 8 franco-britanniques), de 110 bombardiers stratégiques (contre une vingtaine de Rafale/ASMPA français), et de plusieurs centaines de missiles ICBM et SRBM terrestres (contre 0 dans les deux pays).

Un effort de défense à 3 % PIB comme point d’équilibre entre besoins immédiats et à venir

Relever le défi préalablement esquissé, d’ici à 2030, nécessiterait une étude approfondie et un effort national dépassant de beaucoup le seul périmètre du ministère des Armées, et surtout de cet article.

En revanche, sur la base d’un point d’équilibre moyen établit autour de 2,65 % de PIB, comme analysé dans de précédents articles, on peut estimer qu’un effort de défense transitoire à 3 % du PIB s’avèrerait nécessaire, dans les années à venir, pour financer l’ensemble des mesures requises, sur le calendrier imposé par la détérioration de la situation internationale.

Effort de defense munitions Nexter
La production française de munition est très loin d’être suffisante pour permettre aux armées françaises de soutenir un engagement symétrique durable.

Or, dans la situation budgétaire actuelle du pays, qui peine déjà à financer les 47 Md€ des armées valant moins de 2 % du PIB 2023, comment peut-on espérer amener cet effort de défense à 70 Md€ (2023), soit 3 % du PIB ?

Combien coute à l’État le budget des armées 2023 à 45 Md€ ?

Pour répondre à cette question, il convient dans un premier temps d’estimer la soutenabilité de l’effort de défense à 2 % du PIB en 2023, valant 47 Md€. Il est nécessaire d’introduire la notion de retour budgétaire, c’est-à-dire les recettes et économies budgétaires réalisées par sur le Budget de l’État, en application des investissements consentis sur le budget des armées.

La notion de retour budgétaire

Pour calculer ce retour budgétaire, il convient dans un premier temps d’effectuer une découpe synthétique du budget des armées, comme suit :

  • 20 Md€ pour les frais de personnels militaires et civils
  • 19 Md€ pour les acquisitions, R&D et entretient des équipements des armées
  • et enfin 8 Md€ pour la dissuasion, dont 4 Md€ pour les couts de personnels, et 4 Md€ pour les investissements industriels et technologiques.

De fait, on peut décomposer le budget des armées en deux catégories, 24 Md€ pour les couts de personnels, et 23 Md€ pour les investissements industriels. Or, chacune de ces catégories produit un retour budgétaire propre.

Ainsi, les recettes d’état concernant les dépenses de personnels peuvent s’évaluer au travers du taux de prélèvement moyen sur PIB français calculé par l’OCDE, qui s’élève à 47 % en 2022. Ainsi, les 25 Md€ qu’auraient dû investir les armées pour les couts de personnel en 2023 si l’effort de defense avait atteint 2%, auraient généré 11,3 Md€ de recettes fiscales et sociales dans le pays.

Les plus attentifs auront certainement remarqué que ce calcul prend en compte des recettes sociales qui, logiquement, ne s’imputent pas au budget de l’État. Toutefois, dans la mesure où les comptes sociaux sont structurellement déficitaires en France, et compensés chaque année par le budget de l’État, il est possible, par simplification, de considérer que toutes les recettes s’appliquant aux comptes sociaux, diminuent d’autant la compensation de l’État chaque année, et donc s’imputent à son budget.

Calcul du retour budgétaire sur le budget théorique des armées 2023 à 2 % PIB

Le taux est sensiblement différent pour ce qui concerne les investissements industriels, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le taux de TVA appliqué à toutes ces prestations est fixe à 20 %, là où le taux moyen de recette de TVA par rapport au PIB n’est que de 12 %. En d’autres termes, la simple application systématique d’un taux de TVA à 20 % fait croitre le taux de prélèvement moyen sectoriel appliqué à l’industrie de défense de 8 %, pour atteindre 55 %.

Industrie de défense Chaine d'assemblage Rafale
L’industrie de défense française s’appuie sur une chaine de sous-traitance riche et efficace. Ainsi, la team Rafale se compose de pas moins de 500 entreprises allant de groupes internationaux, comme Safran, Thales et Dassault, à des PME de quelques salariés.

En second lieu, l’industrie de défense est, par nature, beaucoup moins exposée que le marché national aux importations, de sorte que l’immense majorité de son réseau de sous-traitance est, lui aussi, national.

S’applique donc un coefficient multiplicateur de recettes supplémentaires pour l’état, que l’on peut aisément ramener par défaut à 65 % des investissements consentis, en lien avec le coefficient multiplicateur keynésien ramené à ce seul secteur industriel. Sur cette base, les 23 Md€ d’investissements industriels et technologiques des armées, génèrent donc 15 Md€ de recettes et économies sur le budget de l’État.

Ainsi, sur les 47 Md€ investis initialement par l’état à 2% du PIN, nous venons de montrer que le cout résiduel ne serait que de 47 – (11,3 + 15) = 20,7 Md€. Ce cout doit encore diminuer. En effet, les industries de defense françaises exportent, en moyenne chaque année, l’équivalent de 50 % des investissements nationaux réalisés.

Ainsi, si 23 Md€ sont investis par l’État, cette règle empirique, mais aisément confirmée sur les 20 dernières années, voudrait qu’en moyenne, les industries de defense françaises exportent chaque année pour 11,5 Md€ d’équipements de defense. Déduction faite de la TVA puisque exportés, et des productions locales, ces exportations rapportent 40 % des sommes investis en taxes et cotisations sociales au budget national, soit 4,6 Md€.

Au total, donc, sur les 47 Md€ investis, l’état récupère ou économise en moyenne 30,9 Md€, et ne doit abonder ce budget par d’autres sources de financement qu’à hauteur de 16,1 Md€.

Combien couterait à l’état un budget des armées (2023) à 3 % PIB (70 Md€)

Sur les mêmes hypothèses, il est possible de calculer quel serait le surcout réel engendré par une hausse de l’effort de defense de 2 à 3 % du PIB, soit un budget des armées à 70 Md€ sur la même hypothèse de travail 2023.

Leclerc VBCI VAB Armée de Terre
Avec seulement 200 chars Leclerc et 120 tubes d’artillerie, l’Armée de terre n’a pas la puissance de feu et la protection requise pour s’engager durablement sur un théâtre symétrique.

L’approche la plus triviale serait de s’appuyer sur une croissance homothétique des couts, c’est-à-dire des couts de personnels passant de 22 à 32,7 Md€, des couts industriels de 19 à 28,3 Md€, et une dissuasion passant de 8 à 11,9 Md€, dont 6 Md€ de couts de personnels. Ainsi posé, le reste à charge de l’État passerait de 20,7 à 37,7 Md€, soit une hausse de 17 Md€, sans tenir compte des exportations.

Cette hypothèse est pourtant aussi peu efficace que peu crédible. En effet, passer les dépenses de personnels totales de 23 Md€ à 32,7 Md€ n’aurait aucun sens, les armées ne parvenant déjà pas à remplir leurs objectifs de recrutement aujourd’hui. En outre, les besoins identifiés en début d’article, porte davantage sur de nouveaux équipements, et de nouvelles capacités industrielles et opérationnelles, que sur des forces simplement augmentées de 50%.

Hypothèse d’une croissance budgétaire optimisée

Prenons donc une hypothèse différente, à savoir des couts de personnels amenés à 28 Md€, une dissuasion amenée à 11 Md€ dont 5 Md€ pour les personnels, et les investissements industriels et technologiques passant de 19 à 31 Md€. Ce découpage génère un investissement total RH de 33 Md€, pour un investissement industriel total de 37 Md€.

En appliquant les mêmes données que lors du calcul précédent, nous obtenons donc un retour budgétaire RH de 15,5 Md€, et un retour budgétaire industriel de 24 Md€, soit un total initial de 39,6 Md€. En reprenant l’hypothèse de croissance homothétique des exportations à 50 % des investissements industriels, nous atteignons 7,4 Md€ de recettes supplémentaires.

ordre serré
La ressource humaine est aujourd’hui la ressource la plus difficile à maitriser et à étendre pour les armées.

Au total, donc, les 70 Md€ (2023) initialement investis, engendreraient un retour budgétaire de 47 Md€, soit un cout marginal de 23 Md€. En comparaison des 16,1 Md€ aujourd’hui, le surcout du reste à charge de l’État n’augmenterait que de 6,9 Md€.

Un surcout budgétaire de 7 Md€ surévalué

Ce solde est toutefois très supérieur à ce que le budget de l’État devrait effectivement supporter en termes de charges supplémentaires. En effet, en passant de 23 à 37 Md€ d’investissements, les industries de défense seraient amenées à créer de 100.000 à 130.000 emplois directs, et autant d’emplois indirects et induits, soit un total de plus de 200.000 emplois créés en hypothèse basse, auxquels il convient d’ajouter 100.000 emplois supplémentaires liés à la hausse des exportations.

Ces 300.000 créations d’emplois viendraient, évidemment, alléger les dépenses sociales de l’état et des collectivités locales, en soutien aux chercheurs d’emplois, si pas directement, tout au moins par transitivité, à termes.

Avec un cout moyen par chercheur d’emplois estimé aujourd’hui autour de 15 000 € par an pour les différents services de l’État, ces 300 000 nouveaux emplois représenteraient 4,5 Md€ d’économies sur le budget de l’État.

Ainsi, le reste à charge net de l’état, pour avoir amener le budget des armées de 47 Md€ et 2 % du PIB, à 70 Md€ et 3 % du PIB, n’atteindrait que 2,4 Md€ par an, soit à peine plus de 0,09 % du PIB français.

Applications et contraintes du modèle présentée

Bien évidemment, l’approche proposée ici, n’est pas exempte de faiblesses. La plus évidente d’entre elles, est le fait de considérer qu’un constat empirique puisse être transposé comme une règle.

Ainsi, si effectivement, sur les décennies passées, les exportations de l’industrie de défense française ont respecté, en moyenne, le principe des 50 % des investissements nationaux, rien ne garantit qu’une hausse des investissements dans ce domaine puisse être, automatiquement, suivie par une hausse similaire des exportations.

Défilé Maistrance
Les armées peinent de plus en plus à recruter des personnels qualifiés répondant à leurs attentes

Pour sécuriser cet aspect, il serait, en effet, nécessaire que les armées adoptent une stratégie d’équipement plus favorable aux exportations, et ainsi garantir que la hausse des crédits disponibles s’accompagne d’une hausse des marchés adressables par l’industrie de défense française.

On notera également que pour répondre aux enjeux sécuritaires, il serait nécessaire d’augmenter les effectifs des armées, probablement par l’intermédiaire d’une extension rapide de la Garde Nationale. Cela suppose non seulement que la Garde nationale vienne renforcer les unités existantes de l’armée de terre comme aujourd’hui, mais qu’elle puisse donner naissance à des unités autonomes et intégralement équipées, à l’instar de la Garde Nationale US.

En outre, il serait indispensable, dans cette hypothèse, aux armées technologiques, Marine nationale et Armée de l’Air, de mener une réflexion pour intégrer efficacement le potentiel RH de la Garde Nationale et de la Réserve, pour étendre leurs capacités opérationnelles, et pas simplement pour les suppléer.

Conclusion

On le voit, amener l’effort de défense de la France à 3 % du PIB, ce qui paraissait hors de portée des finances publiques à l’entame de cet article, semble bien plus accessible à la fin de celui-ci.

Pour y parvenir, il faut cependant accepter de profondément faire évoluer le paradigme fort encadrant l’effort de défense national, à savoir ne considérer celui-ci, au seul prisme des dépenses, sans jamais considérer, dans sa conception et son équilibrage, les recettes qui seront, ou sont, générées par ces investissements.

Usine Sukhoï Su-57
La Russie s’est mise en économie de guerre, consacrant une part très importante de son PIB à la fabrication d’armement et au soutien des armées.

Ce dogme, hérité d’un gaullisme qui n’avait connu qu’une croissance forte et des budgets excédentaires, ne peut plus, aujourd’hui, répondre aux enjeux spécifiques qui encadrent le financement des armées françaises.

Toutefois, contrairement à de nombreux pays, la France dispose d’un atout pour augmenter ses dépenses et investissements dans ce domaine, une industrie de défense globale capable de produire la presque totalité des équipements de defense des armées. Cette industrie est, par ailleurs, largement exportatrice, et faiblement exposée aux importations, en faisant un outil exceptionnel en matière d’efficacité de l’investissement public.

Évidemment, 2,4 Md€ de surcouts, ce n’est pas rien, ce d’autant qu’il faudra très certainement une période de croissance et d’adaptation pour que les équilibrés évoqués se stabilisent. Pour autant, l’effort à consentir, pour effectivement transformer les armées françaises en une force de protection répondant aux enjeux du moment, apparait parfaitement à la portée des finances publiques d’un pays comme la France, qui plus est en les mettant en perspective des risques associés à l’inaction, ou à une action trop timorée.

Reste que si l’innovation technologique est plébiscitée au sein du ministère des Armées, et plus globalement, de la fonction publique, les modèles disruptifs venant bousculer des décennies de planification, certes inefficaces, mais confortables, sont beaucoup plus difficiles à imposer, ou simplement à faire valoir.

Article du 19 février 2024 en version intégrale jusqu’au 24 juillet 2024

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

https://www.opex360.com/2024/07/08/avec-une-lpm-2024-30-en-suspens-le-ministere-des-armees-va-au-devant-de-gros-problemes-budgetaires/


Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.

Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].

L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.

Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.

En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.

Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.

« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.

Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?

Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.

Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.

Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.

Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…

Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.

Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.

Atos: l’Etat propose 700 millions d’euros pour racheter les activité sensibles

Paris – Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante », la proposition de l’État concerne les activités englobant les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité
par Paul Ricard – l’Opinion (avec AFP) – Publié le

AFP - Atos
Le siège d’Atos à Bezons, près de Paris, le 26 avril 2024.  –  Ludovic MARIN – Bezons (AFP)

« Aucune certitude ne peut être apportée quant à l’issue des négociations et à la conclusion d’un accord définitif entre les parties », a mis en garde Atos, vendredi 14 juin, dans un communiqué, en annonçant l’offre de l’Etat. Elle intervient deux jours après le choix du consortium mené par Onepoint pour la reprise d’Atos, et vise à éviter que ces activités, qui touchent à la souveraineté de la France, tombent entre les mains d’acteurs étrangers.

Selon Atos, son conseil d’administration, sous l’égide de la conciliatrice Hélène Bourbouloux, et sa direction « vont discuter de cette proposition avec l’État ». Avec cette offre, l’État a « tenu parole », a pour sa part fait valoir sur franceinfo le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Selon lui, « d’autres entreprises pourraient être partenaires » pour acheter les « activités stratégiques » d’Atos, et « garantir » ainsi qu’elles « restent sous le contrôle total ou partiel de l’État. »

« Pas bradés ». Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante » la proposition de l’Etat concerne « l’acquisition potentielle de 100% des activités d’Advanced Computing, de Mission-Critical Systems et de Cybersecurity Products de la division BDS (Big Data & Cybersécurité) » d’Atos, a indiqué le groupe.

Ces activités englobent les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité. « Cette offre confirmatoire non-engageante porte sur une valeur d’entreprise globale de 700 millions d’euros », a poursuivi Atos. La valeur indicative de ces activités était estimée entre 700 millions et un milliard d’euros, avait indiqué Atos fin avril.

« Nous ferons tout pour sanctuariser la partie des actifs dits ultrasensibles, mais nous serons très vigilants à ce qu’ils ne soient pas bradés », avait prévenu mercredi dans Les Echos David Layani, patron de Onepoint, après être sorti gagnant de la compétition pour la reprise d’Atos face au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.

Crise financière. Partenaire informatique mondial du Comité international olympique (CIO) depuis 2002, Atos sera l’un des piliers technologiques des JO-2024 de Paris. Embourbé dans une crise financière depuis près de trois ans, le groupe avait enclenché en février une procédure de restructuration.

Il avait annoncé avoir besoin de 1,1 milliard d’euros de liquidités pour 2024-2025 et vouloir réduire de 3,2 milliards d’euros sa dette brute, qui a atteint 4,8 milliards d’euros, pour sauvegarder son activité. Au cours des 12 derniers mois, l’action Atos a perdu plus de 90% de sa valeur, et affiche une baisse de plus de 20% depuis l’annonce du choix de Onepoint comme repreneur. Vendredi matin, elle progressait toutefois, à 90 centimes d’euro vers 09h35.

Enjeu majeur. Depuis le début de la chute du géant, le sort de ses activités stratégiques est un enjeu politique majeur. Sa branche « Advanced Computing » comprend les supercalculateurs et les serveurs participant à l’intelligence artificielle (IA) et à l’informatique quantique. Ces supercalculateurs sont essentiels à la simulation d’essais nucléaires ou à la gestion du parc des centrales nucléaires d’EDF.

La branche MCS, elle, comprend le système de commandement de Scorpion (programme de modernisation de l’armée de Terre), des outils de navigation pour les forces navales et la marine marchande, ou de cartographie en temps réel pour les militaires. MCS est également chargée de la sécurisation des réseaux de communication à bord des avions Rafale « F4 » de Dassault, et comprend la société Avantix, spécialisée dans les systèmes d’écoute pour les services de renseignement.

Dans la foulée du choix de Onepoint, Atos avait annoncé être entré en négociations exclusives avec le groupe français d’ingénierie Alten en vue de la vente de Worldgrid, sa filiale hautement critique qui conçoit les systèmes de pilotage des centrales nucléaires, notamment pour EDF. Dans son communiqué vendredi, Atos confirme « son objectif de parvenir à un accord définitif de restructuration financière avec le consortium Onepoint et ses créanciers financiers », pour une mise en œuvre « d’ici juillet ».

Comparer les budgets défense des pays est une grave erreur ! Voilà pourquoi…

Comparer les budgets défense des pays est une grave erreur ! Voilà pourquoi…

Lorsque l’on traite de défense, deux phrases reviennent systématiquement dans les débats. La première est évidemment la locution latine de la fin du IVe siècle « Si vis Pacem, Para Bellum », inspirée de Végèce, qui veut que pour s’assurer de la paix, il faut être prêt à la guerre.

La seconde est un proverbe français, cité par Raymond Aron en 1962 dans Paix et Guerre entre les nations, « L’argent est le nerf de la guerre », selon lequel l’efficacité des armées au combat, dépend des sommes investies.

Mis bout à bout, ces deux phrases laissent supposer que les capacités d’investissements consentis par les États, en particulier en amont de guerres, conditionnent les rapports de forces, donc l’efficacité des postures de dissuasion, et avec elles, la préservation de la paix.

Il est donc tentant de comparer les budgets défense entre les pays, voire entre les alliances, pour s’assurer du caractère dissuasif des outils de défense, et par extension, pour se faire une idée des rapports de force militaires.

Beaucoup se sont ainsi empressés de tirer des conséquences à la parution du nouveau rapport annuel du SIPRI, étudiant précisément les investissements défense de l’ensemble des nations, ainsi que leurs évolutions respectives. Toutefois, l’investissement défense est-il un indicateur efficace dans ce domaine, pour comparer les capacités militaires entre pays, et donc en déduire, un rapport de force présent et à venir ? C’est loin d’être évident…

Sommaire

Le rapport annuel du SIPRI est publié, avec, comme chaque fois, sa cohorte de commentaires

« Avec un budget défense de 109 Md$ en 2023, la Russie dépasse à peine le budget de l’Ukraine, de 100 M$, dont 35 Md$ d’aides militaires américaines et européennes, et sans comparaison avec les 1 300 Md$ de budget de l’OTAN. La Russie n’est donc pas une menace pour l’occident.« 

Budgets défense russie
Les budgets défense russes et Ukrainiens sont très similaires, mais revetent pourtant des réalités radicalement différentes.

Cette analyse, qui semble raisonnable de prime abord, est réapparue ces derniers jours, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les mots des journalistes et de certaines personnalités politiques, en France, et partout en Europe, suite à la publication du dernier rapport du SIPRI, il y a quelques jours. Il en va de même concernant la menace chinoise, alors qu’avec 290 Md$, Pékin investit pourtant trois fois moins que les États-Unis, dans ce domaine.

Chaque année, en effet, de nombreuses analyses de ce type sont publiées peu de temps après que le Stockholm International Peace Resarch Institut, ou SIPRI, publie son rapport annuel sur les dépenses militaires mondiales.

En effet, que ce soit à des fins politiques, médiatiques ou commerciales, la tentation est grande, d’employer ces éléments, surtout lorsqu’ils semblent aller vers la démonstration recherchée, tout en se parant d’une apparente cape de cohérence. Ils sont pourtant hautement contestables, pour ne pas dire, fallacieux.

La comparaison des budgets défense n’est pas efficace lorsqu’il s’agit d’en déduire un rapport de force

Il est vrai que par la manière dont le SIPRI présente son rapport, qui plus est en synthétisant la présentation des budgets défenses des États, avec une conversion globale en dollars américains, incite aisément à ce type de comparaison, pourtant particulièrement peu efficace, et même souvent totalement inexacte. Ce type de comparaison suppose, en effet, que l’investissement défense représente un indicateur strict du rapport de force militaire entre états.

Destroyer Type 052 DL
La Chine ne communique pas sur les prix auxquels elle achete les equipements de défense pour ses armées; Toutefois, sur le marché export, les navires chinois proposés sont frequement 30 à 50 % moins chers que leurs homologues occidentaux.

En d’autres termes, pour que ces comparaisons aient du sens, il convient d’accepter préalablement qu’un dollar investi dans les armées américaines, ou qu’un dollar converti en rouble en Russie, en Euro en France, ou en Yuan en Chine, ont exactement la même efficacité résultante en termes de puissance militaire.

On comprend, ainsi posé, toute l’inefficacité de la démarche. Il existe, ainsi, depuis de nombreuses décennies, des outils macro-économiques pour comparer ces valeurs absolues incomparables sans cela, comme la Parité de Pouvoir d’Achat concernant le PIB. Celui-ci permet précisément de comparer des valeurs macro-économiques nationales dans un contexte international, au travers d’un coefficient de correction.

Ainsi, Pour l’année 2017, le PIB nominal de la Russie s’établissait à 1 574 Md$, Alors que son PIB PPA dépassait les 4 000 Md$, soit un coefficient de correction de 2,5. Pour la Chine, le PIB de 12 300 Md$ était amené à 24 000 Md$ en PPA, dépassant d’ailleurs celui des États-Unis de 19 500 Md$ en 2017, avec un coefficient correcteur de 1,95.

En outre, bien souvent, le périmètre de comparaison entre les budgets pris en compte par SIPRI, sont très différents d’un pays à l’autre. À titre d’exemple, plusieurs pays, ont toujours intégré au budget des Armées, des forces de police de type gendarmerie, ou des fonctions de garde cotes, alors que pour d’autres, ces fonctions relèvent d’autres budgets, et ne sont donc pas intégrées.

Enfin, la conversion en une monnaie de référence unique, avec comme valeur de change de référence, une date unique de rédaction, peut engendrer de nombreuses erreurs d’interprétation.

Le calcul d’un indispensable coefficient de correction pour tirer une information relative des budgets défenses en valeurs absolues.

L’exemple éclairant de la Corée du Nord

Un exemple est généralement bien plus efficace que de longs développements théoriques. Et la Corée du Nord représente l’exemple idéal, pour démontrer l’inefficacité absolue de la comparaison par dépenses de défense.

Corée du nord armées
Malgré un budget défense inférieur à celui de l’Estonie, la Corée du nord aligne une armée de 1,3 millions d’hommes, soit autant que la population totale de l’Estonie, armée de vatnage de chars et de systèmes d’artillerie, que l’ensemble des pays européens n’en dispose, tout en possédant une cinquantaine de têtes nucléaires.

En 2017, le pays avait un PIB de 15,7 Md$, et un budget défense de 0,96 Md$. Même en appliquant la parité de pouvoir d’achat, le PIB résultant s’élève à 47 Md$, et le budget des armées nord-coréennes, à 3 Md$. La Corée du Sud, pour sa part, dépensait cette année, 43 Md$, et même 45 Md$ en PPA, soit 15 fois plus que son voisin du nord.

Pourtant, Pyongyang est perçu, à juste titre, comme une menace majeure et mortelle par la Corée du Sud. Non seulement le pays dispose-t-il de l’arme nucléaire, mais il aligne une puissance armée conventionnelle, certes en majeure partie obsolète, mais considérable, avec 1,3 million d’hommes en service actif, plus de 5 000 chars et plus de 2500 systèmes d’artillerie.

Il faut d’ailleurs 28 500 militaires américains déployés en permanence en Corée du Sud, qui par ailleurs coutent au Pentagone bien plus que 3 Md$ par an, pour garder la Corée du Nord, et ses armes nucléaires, en respect, et ainsi assurer le maintien de la paix, sur la péninsule coréenne.

Bien qu’identique en valeur absolue et Parité de Pouvoir d’Achat, les budgets défense de l’Ukraine et de la Russie sont très différents.

On le voit, ni la comparaison des budgets en valeur absolue, ni en valeur corrigée de la parité de pouvoir d’achat, semblent convenir, pour transformer l’investissement de défense en une valeur permettant de comparer les puissances militaires, et donc d’en déterminer un rapport de force synthétique.

Pire encore, en fonction de la production industrielle de défense du pays, ou de sa dépendance aux importations, et de la provenance de ces importations, le calcul d’un éventuel coefficient correcteur, varie considérablement.

Mé Bradley en Ukraine
les équipements occidentaux livrrés à l’Ukraine rendent impossibles la conception d’un coefficient de correction des budgets défenses pour rendre compte du rapport de force, avec la Russie.

Ainsi, si la Russie et l’Ukraine ont un budget proche, exprimé en USD en 2023, et si la correction PPA pour les deux pays, est similaire, autour de 2,5, la conversion de cet investissement en puissance militaire est pourtant différente. En effet, Kyiv achète ses équipements, neufs ou d’occasion, aux États-Unis ou en Europe, là où la Russie produit l’essentiel des siens.

Ainsi, un Leopard 2A6 transféré par l’Allemagne ou le Portugal aux armées ukrainiennes, est décompté pour un cout de l’ordre de 10 m$. Selon plusieurs références internes, l’Armée de terre russe achète ses T-90M, la version la plus évoluée du T-90, et le char le plus performant de l’arsenal blindé du pays, 318 mR, soit 3,5 m$, une fois convertis en USD.

Il en va de même concernant les systèmes d’artillerie, les systèmes antiaériens, les missiles, et même les munitions, avec des rapports dépassant souvent les 5. Ainsi, un obus de 152 mm produit en Russie est acheté autour de 55 000 roubles, soit 600 $, alors qu’un obus de 155 mm produit en Europe ou aux États-Unis, coute le plus souvent, à performances égales ou proche, de 4 500 à 6 000 $, selon les fournisseurs.

De fait, alors que ces pays ont un budget exprimé en PPA identique, La Russie achète et entretient ses équipements de 3 à 6 fois moins cher, que l’Ukraine, tout du moins, pour ce qui concerne les équipements importés ou livrés par les alliés occidentaux.

Conclusion : l’indicateur budgétaire est inefficace en matière de rapport de force militaire

Cette même sur-correction au PPA, s’applique dans la comparaison entre les budgets russes et chinois, et les budgets occidentaux, avec des corrections extrêmement différentes selon que l’on est américain ou français, très peu exposés à l’importation d’équipement de défense, britannique, allemand ou italien, exposé entre 30 et 50 % aux importations, ou Estonien, important presque l’intégralité de ses équipements, auprès de fournisseurs eux-mêmes différents, et exposés à des corrections différentes.

Le budget des armées est stratégique
Le budget des armées est évidemment une donnée majeure, dans la conception de l’effort de défense d’un pays. Toutefois, la comparaison de ces budgets entre pays, pour en faire un indicateur de rapport de force, est totalement fallacieux.

N’oublions pas qu’en outre, les dépenses de personnels, et beaucoup de dépenses d’infrastructures et de service des armées, doivent en revanche être exprimées en PPA corrigé.

On comprend aisément, dans ces conditions, à quel point la comparaison des budgets défense, entre états, pour en déduire autre chose que la différence des investissements, et rien d’autre, est hautement inefficace, et même parfaitement contre-productive. On peut, à ce titre, s’interroger sur la pertinence de la présentation faite par le SIPRI, chaque année, à ce sujet, qui invite à ce type de comparaison pourtant inexacte.

Article du 23 avril en version intégrale jusqu’au 23 mai

Rapport de la Cour des comptes sur les forces mobiles : la critique argumentée du général (2s) Bertrand Cavallier

Rapport de la Cour des comptes sur les forces mobiles : la critique argumentée du général (2s) Bertrand Cavallier


Le général (2s) Bertrand Cavallier avec les gendarmes du groupement II/1 de Maisons-Alfort devant l’arc de Triomphe pendant la crise des Gilets Jaunes (Photo Lt-col Christian Gojard)

À la suite du rapport que consacre la Cour des comptes aux forces mobiles avec six recommandations dont la nécessité de se recentrer sur le maintien de l’ordre, une refonte de l’implantation géographique des casernes, une critique des Centaure (*), le général de division (2s) Bertrand Cavallier, expert du maintien de l’ordre, consultant pour plusieurs médias, dont la Voix du Gendarme, analyse ce rapport et le commente.

L’ancien commandant historique du Centre national d’entraînement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier développe son analyse critique en cinq points à partir des constats majeurs formulés par la juridiction financière. Il s’appuie sur les retours d’expérience (Retex) des professionnels en mettant les faits en perspective. Les cinq points sont :

1 : un emploi intense sur des missions de plus en plus complexes et diverses

2 : une nouvelle doctrine de maintien de lordre, qui na pas bouleversé le cadre de gestion des forces mobiles

3 : une implantation territoriale qui devrait être réexaminée, à l’occasion de la création de nouvelles unités de forces mobiles

4 : des moyens humains et matériels à préserver, tout en renforçant la contribution de toutes les forces au maintien de l’ordre

5 : un renouvellement insuffisamment préparé du parc de blindés de la gendarmerie mobile

L’on peut se féliciter de l’intérêt que peut apporter une telle juridiction à une composante des forces de sécurité intérieure qui n’a pas toujours suscité l’intérêt qu’elle méritait. En témoigne la très grande légèreté qui a présidé, sous couvert de la RGPP (Révision générale des politiques publiques initiée en 2008) à la diminution globale de 14% de l’effectif  des Unités de forces mobiles. Soit 1500 ETP supprimés pour la composante CRS et 2300 au sein de la GM, suppression accompagnée par la dissolution de 15 escadrons. 

Le politique de l’époque a alors estimé que la situation sécuritaire ainsi que le contexte géopolitique de la France autorisaient une réduction globale des effectifs des forces de sécurité intérieure et une contraction encore plus drastique des forces de défense. Contraction qui procédait sous l’effet du syndrome “des dividendes de la paix” d’un certain Fabius, d’une démolition de notre appareil de défense. Ainsi contraintes, Police et Gendarmerie ont fait des choix au détriment des forces mobiles selon, concernant cette dernière, des modalités très discutables. 

1 : Un emploi intense sur des missions de plus en plus complexes et diverses

Le constat s’impose. La France a rarement connu depuis des décennies, des crises d’une telle durée et d’une telle intensité qui ont mobilisé à un rythme d’emploi rarement atteint l’ensemble des forces mobiles. Les engagements de maintien/rétablissement de l’ordre, comme cela est indiqué, se sont déroulés dans un contexte opérationnel complexe du fait notamment “de la radicalisation de certaines franges protestataires et de la médiatisation permanente de leur activité”.

S’agissant de la médiatisation, il est cependant indispensable de comprendre que le maintien de l’ordre dans sa réalité la plus large a basculé dans une nouvelle ère. La vulgarisation des moyens de communication, l’omnipotence des réseaux sociaux, le poids des chaînes d’information continue génèrent aujourd’hui un nouveau champ d’affrontement qui relève de la guerre de l’information, sur fond de défi des perceptions qui conditionne un politique hyper-sensible à l’état de l’opinion. La médiatisation est directement instrumentalisée à des fins de mise en cause systématique des forces de l’ordre, dans un contexte de plus en plus judiciarisé et conditionné par des nouveaux acteurs tels que le Défenseur des droits. Ces mises en cause peuvent s’inscrire dans une stratégie très élaborée de déstabilisation du pouvoir en place et des institutions, voire servir de catalyseur à des affrontements de grande ampleur.

Un manifestant équipé d’un chalumeau incendie un fourgon de Gendarmerie (photo ministère de l’Intérieur)

Cette mutation modifie profondément la conception d’une manœuvre. Désormais, à l’effet majeur sur le terrain physique, s’ajoute celui sur le terrain politico-médiatique alimenté par l’action potentielle en justice. L’exemple des affrontements à Sainte-Soline est en l’illustration marquante.

Cette guerre de l’information exige une maîtrise parfaite du métier à tout niveau. Celui tactique étant par nature celui engagé dans l’action de force est de toute évidence le plus exposé. 

Les forces de l’ordre doivent, en conséquence, disposer d’une doctrine et d’équipements pour se prémunir de ces nouvelles menaces très structurées. Sans évoquer un vacillement passager du politique.

Au niveau individuel, la mise en cause est de plus en plus redoutée. Tout doit être mis en œuvre pour la sécurité juridique des personnels.

Le référencement de manœuvres communication-médias, de captation et d’exploitation des images (création d’une division image dans l’organigramme opérationnel pour les opérations d’envergure), de police judiciaire (concept de la PJ de l’avant avec des personnels formés à l’exercice spécifique de cette mission dans un environnement de MO/RO) dans l’instruction n°200000/GEND/DOE/SDEF/BSOP du 26 juillet 2022 relative à la gestion de l’ordre public par les unités de la Gendarmerie nationale, participe bien de cette nécessaire montée en puissance.

Pour revenir au contexte opérationnel, pour complexe que soit la gestion de certaines manifestations marquées par des violences, tant en milieu urbain que rural, sachant qu’elle est toutefois facilitée par l’intégration des drones (capacité d’anticipation sur les manœuvres de l’adversaire, facilitation dans la concentration des efforts, bascule de forces…), là n’est pas le plus grand défi qui attend les forces mobiles. Sous réserve, j’y reviendrai en évoquant la doctrine, de redonner aux UFM une capacité effective de maintenir à distance (minimum 30 mètres) des manifestants violents.

La Cour des comptes, tout en évoquant les dernières émeutes de l’été 2023, ne prend pas suffisamment en considération l’état réel d’une France confrontée au séparatisme, aux confrontations culturelles, à la sédition de territoires, à l’émergence de réseaux criminels (notamment les narco-trafiquants) de plus en plus puissants comme l’ont évoqué récemment des magistrats marseillais.

La préservation de la cohésion de la Nation, de sa souveraineté et du pacte social fondé sur les valeurs républicaines, obligeront le politique à assumer la confrontation avec des moyens appropriés et dans un cadre maîtrisé. Ce qui ne serait évidemment pas le cas si le peuple, fataliste, décidait à se substituer à la puissance publique.

Si les forces territoriales, pour autant qu’elles soient encore réellement présentes dans tous les territoires, assurent la sécurité du quotidien, laquelle constitue la fonction socle de la mission globale de sécurité, elles ne sont pas en mesure aujourd’hui de régler seules les nouvelles problématiques sécuritaires.

Dans l’immédiat, ne serait-ce que pour rassurer l’opinion, des déploiements d’envergure à haute visibilité, sont nécessaires. Lesdites opérations “Place nette”, qui comprennent toutefois un volet judiciaire non négligeable, participent de cette politique.

Ces opérations qui interviennent dans des environnements hostiles nécessitent l’engagement de forces mobiles telles que la gendarmerie mobile et les CRS.

La gendarmerie mobile constitue l’élément naturellement consacré à l’engagement d’envergure de haute intensité sur le territoire national

Cependant, la reconquête effective et durable ce certains quartiers – qu’il faut plutôt considérer comme des territoires de plus en plus étendus – va se traduire par des manœuvres d’ampleur, intégrant de nombreux acteurs, mais dont le noyau dur et la masse seront constitués de forces mobiles, aptes à gérer l’affrontement avec des groupes armés. Il serait intéressant dans cette perspective de connaître les limites d’engagement des CRS qui disposent certes de sections de protection et d’intervention de 4e génération (SPI 4G), pourvus d’équipements de protection durcie. 

Composante d’une force armée, imprégnée d’une culture d’emploi de la force graduée et proportionnée, disposant de blindés et d’appuis aériens, la gendarmerie mobile constitue l’élément naturellement dédié à l’engagement d’envergure de haute intensité sur le territoire national.

Sans qu’il y ait une quelconque confusion avec l’armée de terre, qui est l’ultima ratio, l’essence et la culture militaire de la Gendarmerie, et plus particulièrement de la gendarmerie mobile, lui confèrent des compétences en matière de planification, de conduite des opérations, et d’évolution sur le terrain qui procèdent des principes de manœuvres de l’infanterie motorisée et de la cavalerie. Soyons cependant honnêtes. Les nouvelles orientations, initiées au plus haut niveau de la Gendarmerie, de remilitarisation et de renforcement des capacités opérationnelles avec l’appui de l’armée de Terre, révèlent bien que depuis une vingtaine d’années, la haute hiérarchie gendarmique, sans doute inspirée par l’air du temps, avait délaissé ce qui constitue des atouts majeurs pour permettre à la Gendarmerie d’agir sur l’ensemble du fameux spectre Paix-Crise-Guerre.

Plus que jamais, la Nation attend des officiers de Gendarmerie qu’ils soient des chefs militaires et non des copies d’énarques

La formation doit en conséquence être axée sur le retour de ces compétences militaires, sans évoquer bien évidemment le savoir être premier. Ceci avait été la mission qui m’avait été assignée par le général Rolland Gilles, alors DGGN, alors que je prenais en 2009 les fonctions de sous-directeur des compétences. S’agissant des élèves sous-officiers, le concept pédagogique avait alors été structuré autour d’un objectif comportant trois strates : densifier l’individu-citoyen, construire le soldat au travers d’un “ mini-Coëtquidan” de trois mois inspiré de la formation élémentaire toutes armes (Fetta), et sur ces bases indispensables former le gendarme (“bleuir”).

Concernant les élèves-officiers, s’il était nécessaire de bien positionner les futurs cadres de la Gendarmerie dans la haute fonction publique, il ne saurait être question qu’ils se confondent avec des cadres civils. Plus que jamais, la nation attend des officiers de Gendarmerie qu’ils soient des chefs militaires et non des copies d’énarques.

En termes d’acquisition d’une capacité à évoluer dans un contexte très dégradé, la mise en condition avant projection (MCP) pour les escadrons déployés en Afghanistan entre 2009 et 2014 a démontré alors la pleine aptitude de la gendarmerie mobile à recouvrer globalement sa culture opérationnelle héritée de la garde mobile, et éprouvée lors de nombreux engagements extérieurs, mais aussi sur le territoire national en Guyane ou à Mayotte.

Compte-tenu de l’évolution du contexte opérationnel spécifique à la gendarmerie mobile, la Gendarmerie selon la Cour des Comptes a procédé “à la mise en place d’un plan d’entraînement à l’aguerrissement sous le feu des escadrons de gendarme mobile ”.

Gendarmes du PSIG d'Ambérieu en Bugey lors d'un entraînement avec l'armée de Terre à la Valbonne (Photo DC/LVDG)

Très curieusement, cette juridiction objecte que “sans contester le diagnostic sécuritaire sur lequel il s’appuie, cet aguerrissement coûteux en équipement mais aussi en formation peut poser question”.

Soyons clairs. L’acquisition de cette capacité a toujours fait l’objet d’exercices spécifiques, notamment au sein du Centre National d’Entraînement des Forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier qui vont d’ailleurs être densifiés. Il est en effet indispensable qu’elle soit renforcée, ne serait-ce que pour mieux garantir la sécurité des militaires engagés dans des opérations en situation dégradée.

Elle renvoie de surcroît à la vocation même de la Gendarmerie, force armée tel que rappelée dans la loi du 3 août 2009, d’agir en toutes circonstances. Les magistrats de la Cour des comptes souhaiteraient-ils que ce soient des régiments d’infanterie qui soient désormais engagés sur le territoire national pour assurer des missions relevant de la sécurité intérieure ? En outre, faut-il rappeler également le rôle de la gendarmerie en DOT ?

Enfin, en termes de coûts, alors qu’il s’agit de dépenses visant à protéger les populations et à préserver la cohésion de la Nation, la Cour des comptes ne pourrait-elle pas fort opportunément s’intéresser à des dérives majeures comme celles induites par l’accueil totalement non régulé de mineurs non accompagnés.

Les modélisations militaires seront également indispensables pour conduire, sur de vastes zones, la lutte contre l’immigration illégale

En termes de génération de forces, la structure du GTG (Groupement Tactique Gendarmerie dérivé des états-majors des groupements de gendarmerie mobile) dit augmenté (une autre dénomination pourrait être judicieusement trouvée à l’instar des EGM baptisés Escadrons Guépard qui bénéficient d’une formation durcie) a vocation à devenir la composante noyau pour la mise en œuvre d’opérations d’envergure. Inspiré du concept des GTIA (groupement tactique interarmes), il constitue le premier niveau permettant d’assurer une cohérence tactique. Engerbant un volume donné d’EGM, le GTG a ainsi vocation à intégrer l’ensemble des savoir-faire nécessaires (renseignement, composante blindée, moyens aériens, éléments GIGN, franchissement…) pour les déploiements opérationnels les plus exigeants. Bien évidemment, adaptées à la gestion de manifestations très violentes, ces structurations seront indispensables pour des opérations en situation de haute intensité s’agissant par exemple du démantèlement de réseaux criminels. Les modélisations militaires seront également indispensables pour conduire, sur de vastes zones, la lutte contre l’immigration illégale. Dans ce cadre notamment, il importera de donner aux forces mobiles une autonomie d’action suffisante, qui ne saurait porter préjudice aux services spécialisés tels que la Direction nationale de la police aux frontières (DNPAF).

Le contexte opérationnel actuel et à venir oblige donc à ne plus affecter les forces mobiles à des missions éloignées de leurs compétences spécifiques, comme c’est le cas s’agissant de la garde des centres de rétention administrative (CRA), comme à ne plus les consommer inutilement dans des dispositifs de maintien de l’ordre souvent surdimensionnés au regard de la menace existante, et bien évidemment à renforcer leurs effectifs.

2. “Une nouvelle doctrine de maintien de lordre, qui na pas bouleversé le cadre de gestion des forces mobiles

L’élaboration du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) doit certes être comprise par rapport à un contexte opérationnel marqué par la généralisation des réseaux sociaux, l’irruption de manifestations non encadrées et parfois non déclarées. Mais elle a également répondu à la nécessité d’adresser un message à une opinion publique choquée par des dérives nombreuses en matière d’usage des armes, le Lanceur de balles de défense (LBD) principalement, et déboussolée par des échecs opérationnels comme rarement la capitale en aura connus dont en premier lieu le saccage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018.

Comme le souligne le rapport, le SNMO s’est traduit par des mesures intéressantes portant notamment sur une meilleure compréhension des sommations, une meilleure définition des différents acteurs ayant à intervenir dans la direction et la conduite de la manœuvre, une amélioration des relations entre les forces de l’ordre et les organisateurs, par la mise en place d’équipes de liaison et d’information (ELI), la systématisation d’un superviseur auprès de l’utilisateur d’un LBD…Les dispositions du SNMO qui constitue un document cadre, de portée générale, ont été intégrées dans l’instruction 200 000 citée supra, au contenu nécessairement beaucoup plus détaillé et constituant un véritable corpus doctrinal. Pour l’information du lecteur, cette Instruction “concerne donc l’ensemble de la Gendarmerie nationale, dans toutes ses dimensions et composantes. Elle constitue le référentiel unique, synthétique, pratique et évolutif de la manière dont les unités territoriales et les forces mobiles de la gendarmerie nationale assurent la gestion de l’ordre public, dans les territoires et les agglomérations. Elle articule le spectre des opérations d’ordre public autour de trois typologies d’engagement (maintien de l’ordre, rétablissement de l’ordre, violences urbaines), redéfinit le régime d’emploi des unités de la gendarmerie mobile, supprime les formats d’engagement préexistants, trop rigides, précise les modalités de la génération de force de la gendarmerie départementale, de la gendarmerie mobile et de leurs appuis, rappelle l’encadrement des principes de réversibilité et de sécabilité…”.

Cependant, sur les aspects fondamentaux, la Cour des Comptes livre une lecture approximative du SNMO et au-delà du MO quand elle déclare : “ l’une des principales nouveautés du SNMO est l’affirmation des grands principes tactiques. Ainsi, le maintien à distance, la mobilité et la réactivité sont désormais les principes cardinaux en la matière”. Cette analyse est assez éloignée de la lettre et de l’esprit du SNMO qui reste fidèle à la culture française du MO.

Trois principes fondamentaux du maintien de l’ordre français

Le SNMO rappelle en effet que les trois principes fondamentaux du maintien de l’ordre français dont la conjugaison doit permettre d’atteindre l’effet final recherché, soit de favoriser le retour à la normale pour promouvoir un règlement négocié des conflits fondés sur le dialogue, sont :

premièrement l’engagement privilégié de forces spécialisées (les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies républicaines de sécurité) disposant d’une solide culture professionnelle spécifique (le MO est un métier), ce qui fait écho aux dysfonctionnements majeurs imputables à des unités de circonstance, non formées et sous encadrées, initiées sous l’autorité du préfet Delpuech ;

deuxièmement, l’emploi de la force strictement nécessaire qui, relevant des principes de proportionnalité et d’absolue nécessité rappelés dans l’article R 211-13 du CSI, doit permettre de prévenir un esprit de vengeance chez les manifestants. Le respect de ce principe est largement conditionné par la possession d’une grande pratique du maintien de l’ordre, et d’une formation à cette mission ;

le maintien à distance qui permet d’éviter le contact direct, soit le corps à corps, avec toutes ses conséquences en termes d’augmentations de dommages corporels de part et d’autre.

S’agissant des principes d’emploi, il est utile de rappeler qu’ils ont été initiés dans la foulée de la création de la garde mobile, la France, pays marqué par une culture de la manifestation violente, ayant alors été le premier pays à opter pour la spécialisation de forces dans le domaine du maintien de l’ordre. Ainsi, dès 1928, des officiers de Gendarmerie (dont le lieutenant Favre) animent une réflexion de fond sur le maintien de l’ordre qui est notamment publiée dans la toute récente Revue de la Gendarmerie. Présentant le gendarme comme le défenseur d’une démocratie garante de l’ordre public, ils s’intéressent à la psychologie des foules, fixent de nouvelles tactiques d’intervention qui reposent sur des techniques professionnelles spécifiques, promeuvent des innovations techniques dont l’emploi des gaz lacrymogènes et développent le principe des Retex en observant les situations à l’étranger. Ils insistent notamment sur l’importance de la fonction de renseignement et l’adaptation continue aux modes d’action de l’adversaire.

Le SNMO évoque toutefois “une exigence de plus forte réactivité et mobilité afin de mettre un terme aux exactions, en recourant notamment à des unités spécialement constituées disposant de capacités de mobilité élevées”.

Cette exigence est fondée mais elle a toujours fait partie du corpus doctrinal tant des GM que des CRS.

Les configurations de base, à dominante statique, conformes au principe du maintien à distance, n’ont jamais été exclusives d’actions offensives chirurgicales, voire d’envergure.

Les stages dénommés PECO (Perfectionnement et évaluation de  la capactité opérationnelle) mis en œuvre au sein du CNEFG ont toujours inclus des mises en situation inspirées de cas concrets et nécessitant des modes d’action offensifs, ce au niveau du Peloton d’intervention (PI) mais aussi au niveau d’un EGM voire d’un GTG.

Différents maux qui caractérisaient alors la gestion du MO dans la capitale et qui avaient régulièrement été signalés tant par la DGGN que par les CRS

Le manque de réactivité, de mobilité lors notamment des opérations de MO durant la crise des gilets jaunes a procédé non d’une lacune doctrinale mais surtout de différents maux qui caractérisaient alors la gestion du MO dans la capitale et qui avaient régulièrement été signalés tant par la DGGN que par les CRS. En la matière, avaient été pointés :

l’hyper-centralisation de la manœuvre à partir de la salle de commandement renvoyant à un manque de subsidiarité, donc de prise d’initiative. Je rappelle par expérience qu’une situation peut basculer en quelques minutes et exige donc une réaction quasi instantanée ;

l’hétérogénéité des dispositifs déployés mêlant pêle-mêle des unités de différentes institutions :

un manque de coordination, caractérisé notamment par l’irruption en pleine manœuvre d’unités telles que les BRAV, au demeurant lors de leur déploiement initial sans culture de MO et sous-encadrées ;

la non-implication en amont dans la préparation de la manœuvre des commandants des forces publiques de niveau groupement ( GM, CRS)…;

la systématisation de dispositifs trop encadrants dont parfois un usage dénué de sens de la dite nasse ; etc..

Au-delà des préconisations du SNMO, et d’une prise de conscience au plus haut niveau de l’Etat des imperfections constatées durant la crise des gilets jaunes, il faut prendre en considération l’importance déterminante de l’élément humain dans le cours de l’histoire.

L’arrivée du préfet Laurent Nunez à la tête de la préfecture de police a marqué un changement radical, au sens positif du terme, qui tient en partie à sa propre personnalité.

L’exemple des GAP (Groupes d’appui projeté) ou de GTT (Groupes tactiques temporaires), composés de façon homogène, soit de gendarmes mobiles (issus principalement de PI) soit de CRS, tous des professionnels du MO, était attendue. Cette mesure a pu déboucher par une meilleure écoute des professionnels du MO, dont les chefs de haut niveau sont très étroitement impliqués dans la préparation des opérations avec la DOPC. L’emploi de ces dispositifs bien dimensionnés, alliant puissance et rapidité d’action, est optimisé par une conception de manœuvre qui s’appuie sur des bascules de forces procédant du principe de concentration des efforts. Evoluant dans le cadre d’une manœuvre de jalonnement dynamique, pré-positionnés dans des points clés du terrain, à proximité de lieux sensibles ou favorables à l’action adverse, ces dispositifs très réactifs permettent évidemment de moins recourir à des dits “flanc-gardage » massifs et très encadrants, type de manœuvre qu’il ne faut cependant pas exclure en présence d’activistes nombreux et potentiellement très violents.

Le recours à des actions offensives, qu’elles soient ponctuelles ou massives, doit cependant être assumé à tout niveau.

S’il s’impose dans certaines situations – des violences graves et des dommages matériels importants ne sauraient être tolérés dans un Etat de droit -, il expose en effet davantage les forces de l’ordre à l’impact médiatique et à la mise en cause.

Le cas de Sainte-Soline en mars dernier est de ce point de vue significatif. Caractérisé par un dispositif défensif à dominante statique, le dos à la clôture même de la bassine, l’unique intervention vers l’avant d’un Peloton motorisé d’interception et d’interpellation (PM2I) de la Garde Républicaine équipé de quads, conjugué à un usage de LBD, a été exploité par une certaine presse et a provoqué un certain flottement au niveau politique, heureusement vite dissipé. Est à noter que l’action de ce seul PM2I a permis de surprendre et de désorganiser l’adversaire, au demeurant structuré de façon quasi-militaire, pendant un temps suffisant pour permettre à ligne d’arrêt de se réorganiser. Plus que jamais, la manœuvre au MO/RO relève de la combinaison entre “le feu” et le mouvement.

Les questions récurrentes de la réversibilité missionnelle et de la sécabilité des unités

La Cour des comptes aborde également les questions récurrentes de la réversibilité missionnelle et de la sécabilité des unités, mentionnées dans l’instruction commune d’emploi des forces mobiles de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale du 29 décembre 2015, considérant que ce document en propose une version trop rigide. Elle propose donc que ce document soit révisé dans le sens d’une plus grande souplesse.

Les notions de service d’ordre et de sécurisation sont des notions non définies

Passons donc en revue cette instruction. Tout d’abord des premières observations qui pourraient être prises en considération pour l’évolution de ce texte : tout d’abord des premières observations qui pourraient être prises en considération pour l’évolution de ce texte : 

  • la notion de service d’ordre est une notion non définie en dehors du champ des SOI (services d’ordre indemnisés) ;
  • la notion de sécurisation est également non définie. En fait, elle recouvre les renforts des forces mobiles aux unités territoriales dans le champ de la sécurité publique ;

s’agissant des missions de sécurisation, l’article 8 de la dite instruction précise qu’elles “sont assurées par les forces mobiles prioritairement dans leur zone de compétence respective”, soit les CRS en Zone de compétence police nationale (ZPN), soit les EGM en zone de compétence gendarmerie nationale (ZGN). Or, cette disposition, tombée en désuétude, mériterait d’être réaffirmée et ainsi devenir effective ;

  • la priorisation de la mission de maintien de l’ordre public sur les deux missions citées supra devrait être clairement posée (c’est le vœu logique de la Cour des Comptes rappelant la vocation première des UFM, quand bien même elles constituent une réserve générale à disposition du gouvernement). 

Concernant la réversibilité opérationnelle – ou plutôt la réversibilité missionnelle – ce qui est plus exact -, elle est définie dans l’instruction 200000 comme “la capacité d’une UFM à passer d’une mission de maintien de l’ordre public à une mission de sécurisation, pour faire face à une situation dépassant les capacités des unités territoriales lorsqu’elles sont pleinement mobilisées”. Le texte précise également que “le principe de la réversibilité missionnelle est mis en œuvre :

après remise en condition de l’unité et réalisation du trajet jusqu’au nouveau lieu d’emploi ;

pour une durée minimale de deux heures sur le nouveau lieu d’emploi ;

dans les limites horaires du service initialement prévu ;”.

Cependant, l’inverse, soit la réversibilité missionnelle de la sécurité publique vers le maintien de l’ordre, prônée par la Cour des Comptes, se heurte à de telles contraintes qu’elle doit relever d’une mesure exceptionnelle.

En effet, alors que les UFM sont quasiment systématiquement engagées sur de vastes territoires, articulées en DSI (Détachement de surveillance et d’intervention), se pose la première difficulté de reconstituer l’unité. Ensuite, il s’agit de l’équiper (perceptions des équipements de maintien de l’ordre, des dotations de grenades…et de réarticuler l’unité en fonction de la mission de MO/RO  qui se présente et de son environnement (Type de mission, durée, nature de l’adversaire…).

S’agissant de la sécabilité, quitte à décevoir les magistrats de la Cour des Comptes, il convient enfin d’en finir avec ce qui relève d’une véritable intrusion dans le domaine relevant du commandant de la force publique, lequel doit conserver la capacité dans l’exécution de la mission confiée de décider de l’articulation opérationnelle de son unité et des modes d’action.

Rappelons que l’effectif moyen d’un escadron au maintien de l’ordre, sur le terrain, est de soixante militaires. Une certaine modularité peut toutefois être envisagée par le commandant de la force publique, selon la nature de la mission et de l’environnement opérationnel (violences urbaines…), mais en conservant la capacité de réarticuler son dispositif à tout moment. Désormais un commandant d’unité peut communiquer sur l’effectif dont il dispose mais il n’a pas à préciser le nombre de pelotons engagés.

Ceci doit être clairement rappelé aux commandants d’unité en se fondant sur les prescriptions de l’instruction 200000, où l’on retrouve l’esprit de l’Instruction interministérielle IMM n°500/SGDSN/MPS/OTP du 9 mai 1995 relative à la participation des forces armées au maintien de l’ordre (IPFA 500), texte qui a longtemps encadré l’engagement de la Gendarmerie au maintien de l’ordre avec des principes clairs en termes de définition des rôles et responsabilités de chaque acteur : 

“ 1.4.3. La direction opérationnelle des UFM

Dans le respect des directives et des mesures prises par le ROP, le DSO ou le CSO, le CFP commande et conduit la manœuvre de l’unité ou des unités placées sous ses ordres, en particulier :

  • en engageant librement les moyens et l’effectif adaptés à la réalisation de la mission, en fonction des éléments de contexte et d’adversité potentielle communiqués par son autorité d’emploi ;
  • en articulant librement son dispositif, à tout moment de la manœuvre, en coordination étroite avec les unités limitrophes le cas échéant.

Pour rappel, cette question très sensible n’est pas nouvelle et avait déjà fait l’objet d’une clarification. Ainsi, le DGGN et le DGPN avaient explicitement et conjointement écrit au ministre sur ce sujet : Note MININT conjointe DGGN- DGPN n°63-184 GEND/CAB et 3683A DGPN/CAB du 31 juillet 2017 :

“Pour des raisons de sécurité, la sécabilité des unités doit être exceptionnelle et relève de la responsabilité du commandant d’unité en fonction de la mission reçue et de la situation à laquelle il est confronté”.

Je n’épiloguerai pas sur le passage concernant le concept de la désescalade.

Les gendarmes mobiles et les CRS n’ont pas attendu les policiers belges et allemands pour inscrire leur action dans le souci permanent de favoriser le retour au calme par le dialogue avec les organisateurs et les manifestants (certes facilité par certaines dispositions du SNMO) une capacité d’absorption de la violence adverse, et un emploi de la force strictement nécessaire.

De surcroît, la radicalisation des manifestations depuis les affrontements violents survenus à Hambourg en juillet 2017, qui ont sidéré les forces de l’ordre, et certains grands désordres ayant eu lieu en Belgique, et notamment à Bruxelles, ces dernières années, ont démontré dans certaines situations les limites de ce principe.

3. Une implantation territoriale qui devrait être réexaminée, à l’occasion de la création de nouvelles unités de forces mobiles

La carte des casernements permanents, qui est le fruit de l’histoire des mouvements sociaux, n’est plus adaptée aux besoins territoriaux d’emploi des forces mobiles […] une réflexion globale sur la politique immobilière des forces mobiles apparaît donc nécessaire”.

Cette assertion des magistrats financiers appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, même si Paris concentre la majorité des manifestations et demeure le centre de gravité politique, économique…dont il faut impérativement garantir la stabilité,

on assiste sur fond de séparatisme, de montée de la violence globale et de structuration de la délinquance organisée à un besoin croissant d’interventions d’UFM sur l’ensemble du territoire. Il faut également mentionner sur les frontières la lutte contre l’immigration clandestine (LIC), qui va être croissante, ainsi que, s’agissant de la gendarmerie, le déploiement permanent d’une vingtaine de ses escadrons outre-mer et en Corse.

Les critères relatifs à l’implantation territoriale doivent donc permettre de pouvoir rapidement intervenir sur les grands bassins de population, sachant que Paris dispose déjà à proximité immédiate de deux groupements de gendarmerie très étoffés, le GBGM (Groupement blindé de la gendarmerie mobile) basé à Satory, et qui constitue la capacité nationale de réaction rapide de la composante blindée de la gendarmerie, et le groupement II/1 dont l’état-major est implanté à Maisons-Alfort.

Cependant, l’on peut s’interroger sur les choix de dissolution d’escadrons qui ont été privilégiés à partir de 2011 dans le cadre de la fameuse RGPP, alors que ces unités disposaient de casernements en bon état, dont certains très récents comme celui de Narbonne, implantés dans des bassins de population permettant un accès aisé à l’emploi pour les épouses et compagnes des militaires, offrant la proximité d’universités pour les études supérieures (Nantes, Rennes…). Curieusement, fut proposée une liste d’unités sises dans des communes gérées par l’opposition du moment…

S’il y a une réforme à faire, tout en considérant que des villes moyennes s’attacheront à ne pas perdre leur escadron ou leur CRS, c’est de favoriser progressivement des regroupements d’unités de façon à mutualiser les soutiens, à permettre aisément des renforcements mutuels, à mieux structurer la formation…selon l’exemple très réussi du regroupement de trois unités à Sathonay-Camp. Soit le principe de “structures régimentaires”.

Concernant les hébergements, si des structures bien adaptées sont disponibles en région parisienne, en Corse et outre-mer, et que l’on doit prendre dans le reste du territoire toutes les dispositions requises pour offrir de bonnes capacités d’accueil,

il est important que la Gendarmerie continue de s’appuyer sur son essence militaire pour pouvoir être déployée partout et en toutes circonstances.

4. Des moyens humains et matériels à préserver, tout en renforçant la contribution de toutes les forces au maintien de l’ordre

La cour des Comptes met très justement l’accent sur l’importance de la formation. Alors que les contextes opérationnels se durcissent et sont très évolutifs, que l’on exige une parfaite maîtrise de l’emploi de la force, que les effectifs d’une unité de Gendarmerie sont quasi renouvelés en quatre ans, l’on constate depuis une dizaine d’années un ralentissement très net du rythme de passage des EGM au CNEFG.

Le passage des EGM tous les deux ans et demi au CNEFG doit donc redevenir la règle

Si le plan de charge du CNEFG s’est alourdi du fait des réformes d’ampleur portant sur la formation des futurs gradés de la GM, de la GR et des PSIG, réduisant de facto les créneaux dédiés au recyclage des EGM, ce sont surtout les décisions du niveau politique, avec des courts préavis, qui obligent la DGGN à démonter des stages, voire à réengager des unités alors qu’elles sont en formation.

Alors que les travaux du Beauvau de la sécurité avaient rappelé l’importance capitale de la formation, la réalité révèle que certains EGM ne sont pas passés à Saint-Astier depuis quatre ans. La question peut d’ailleurs être posée, en cas de défaillance individuelle ou collective, d’une responsabilité de l’Etat n’ayant pas assuré les conditions minimales de la formation.

Le passage des EGM tous les deux ans et demi au CNEFG doit donc redevenir la règle. De même, de façon ponctuelle, des entraînements communs avec des unités de la Police nationale (CRS et compagnies d’intervention) doivent être organisés pour conforter l’interopérabilité dans les segments opérationnels communs.

Nonobstant l’augmentation du nombre d’EGM (création de sept unités), il appartient au ministère de l’Intérieur et aux préfets de mieux dimensionner les dispositifs de maintien de l’ordre en fonction de la menace réelle, la tendance structurelle étant à la surconsommation d’UFM. Ceci impose bien évidemment de densifier le renseignement, mais également de mieux impliquer, en amont des évènements, des cadres de haut niveau tant de la GM que des CRS, à même de bien ajuster les effectifs requis, notamment en privilégiant des dispositifs manœuvriers. 

Fort justement comme l’évoque la Cour des Comptes, en cas de crise généralisée comme cela s’est révélé durant la crise des gilets jaunes, les UFM concentrées notamment dans la capitale et les métropoles ne peuvent couvrir tous les besoins opérationnels. 

Les forces territoriales doivent donc être mise à contribution. S’agissant de la Gendarmerie, les PSIG, sous réserve d’être formés aux techniques élémentaires du MO – rappelons toutefois que leurs gradés suivent désormais la même formation que leurs homologues de la GM et de la GR – et être mieux dotés, constituent la première réserve d’intervention. Unités dévolues à la surveillance, devant conserver impérativement une posture de contact avec la population, et à l’intervention du quotidien, elles ne sauraient toutefois être identifiées à des unités spécialisées au MO.

Cependant, la réflexion en termes de formation et de dotations doit concerner l’ensemble des unités de la gendarmerie départementale.

Comme cela a été démontré lors de la crise des gilets jaunes, notamment en Ardèche, en Côte d’Or et en Haute-Loire, ce sont des gendarmes départementaux, épaulés par des réservistes, qui, dans l’attente d’UFM ont été engagés en premier échelon face à des émeutiers très violents.

Par ailleurs, tant au regard de fragilités structurelles de notre nation que du contexte international qui oblige à réactualiser le concept de DOT, le questionnement actuel sur les capacités de la gendarmerie départementale est pleinement fondé.

On assiste à un désarmement continu des forces de l’ordre depuis 2014

S’agissant du maintien de l’ordre/rétablissement de l’ordre, la question des équipements est parfaitement posée par la Cour des comptes. Elle souligne en effet que “les forces mobiles sont ainsi soumises à deux injonctions contradictoires : d’une part, limiter le plus possible le niveau de blessure causée par les armements utilisés, et d’autre part continuer à maintenir à distance les manifestants pour éviter les violences les plus graves”. J’avais évoqué à l’issue de la dernière mobilisation à Sainte-Soline (manifestation non autorisée, violences paroxystiques contre les forces de Gendarmerie), dans ce même média, cette question désormais centrale.

En effet, on assiste à un désarmement continu des forces de l’ordre depuis 2014. Si je m’étais prononcé alors pour le retrait de la grenade offensive considérant que la GLI-F4 produisait un effet comparable, on l’a depuis retirée pour lui substituer la GM2L, laquelle fait désormais l’objet, par la directive N° 352 CAB/PHM du 1er juillet 2021, signée par le préfet Pierre de Bousquet, d’une interdiction de “lancer à la main…dans toutes les situations opérationnelles et quelle que soit l’unité concernée”.

Il en ressort, alors même que les adversaires disposent d’un arsenal d’armes, au sens de l’article 132-75 du Code Pénal, d’un déséquilibre, d’une asymétrie en défaveur des forces de l’ordre.

Après les retraits successifs des grenades à main offensive (OF), lacrymogène instantanée – F4 (GLI-F4) puis plus récemment, modulaire 2 lacrymogène (GM2L) à main, un trou capacitaire s’est progressivement mais durablement creusé au sein de l’équipement des forces de sécurité intérieure dédiées au maintien de l’ordre. Les grenades à main à létalité réduite et à effet sonore (ALR ASSD) et Sound (S) de chez Alsetex semblaient avoir été choisies pour combler ce dernier dans la bande d’engagement des 0 à 30 m mais acquises en urgence hors marché public, elle seront prochainement remplacées par la grenade à effet sonore brésilienne de marque Condor et de type GL 304. Cette arme de force intermédiaire est très attendue par les unités de maintien de l’ordre. Déflagrant à 160 db, elle présente la particularité d’initier sa chaîne pyrotechnique en deux temps et d’éjecter son bouchon allumeur à très faible énergie et à très courte distance ce qui réduit le risque de blessure collatérale. Pour autant, ne contenant pas de lacrymogène, contrairement à la grenade GM2L quelle remplace, cette carence risque d’être préjudiciable aux forces de l’ordre

S’agissant des lanceurs 56mm, serait en cours de finalisation l’expérimentation du lanceur multicoups 56 mm de marque TR équipement.

5. “Un renouvellement insuffisamment préparé du parc de blindés de la gendarmerie mobile

Alors que, après des années d’atermoiement, la Gendarmerie vient de renouveler son parc blindé, ce qui constitue un évènement majeur à mettre à l’actif du général Christian Rodriguez, DGGN, la Cour des comptes a formulé plusieurs objections qui sont révélatrices d’une méconnaissance de trois données fondamentales :

  • – le statut et la nature même de la Gendarmerie de “force armée”, et sa vocation opérationnelle à la fois globale et spécifique tels que définis dans l’article L.3211-3 de LOI n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la Gendarmerie nationale .  
  • – la réalité du contexte sécuritaire intérieur de la France tant en métropole qu’outre-mer caractérisé par un accroissement constant de la violence, les syndromes de partition et de fracture évoqués au plus haut niveau de l’Etat, et celle d’un environnement géopolitique de plus en plus déstabilisé. Mutations sur fond de “retour de l’histoire” qui conduisent aujourd’hui à revitaliser le concept de DOT (défense opérationnelle du territoire) et le rôle majeur de la Gendarmerie dans une telle configuration ;
  • – le constat concret de la Gendarmerie, de par ses atouts induits par sa nature et sa culture de force armée (robustesse, capacité sans équivalent de montée en puissance massive au sein de son ministère de tutelle…) de force à agir globalement sur le haut du spectre de crise comme le démontrent ses engagements récents tant en métropole qu’outre-mer, sans évoquer ceux à l’étranger (Afghanistan…).

Examinons maintenant le fond des six principales objections de la Cour des Comptes au sujet du Centaure en y répondant cas par cas.

Objection 1 de la Cour des comptes  : “Le contrat prévoit la livraison de 90 véhicules, dont 56 en métropole et 34 outre-mer, si bien que le plan d’équipement du nouveau véhicule d’intervention polyvalent de la gendarmerie (VIPG) , baptisé “Centaure”, correspond peu ou prou à un remplacement “un pour un” des VBRG actuellement en service, puisque 45 sont en métropole et 35 outre-mer.

La cible de 90 véhicules constitue le volume minimum pour permettre à la Gendarmerie de faire face à tous les scénarios opérationnels actuels et très probables, dans un futur proche, eu égard à l’évolution objective de notre pays.

Compte tenu de la situation structurelle de “l’outre-mer”, il est indispensable d’y déployer une trentaine d’engins (35 auparavant et 32 avec l’arrivée des Centaure), ce qui va stabiliser le parc disponible en métropole à hauteur de 58 engins. Dans l’hypothèse d’une opération de rétablissement de l’ordre d’envergure ou de violences urbaines limitées à quelques quartiers, il faut a minima envisager l’engagement d’une dizaine d’engins. Dans celle d’une crise généralisée de type insurrection de juin-juillet 2023, en tenant compte d’une extension quasi-certaine du phénomène (de par la mutation du “corps social”), d’une radicalisation des adversaires (montée en gamme de l’armement avec recours à des armes à feu…), de l’impératif de durcir la protection des centres de gravité politiques (Paris), énergétiques…et sous réserve d’opérer des bascules de force, le format 58 engins constitue un niveau minimum pour “l’assurance vie” de la nation. 

Objection 2 de la Cour des comptes : “ À son entrée en service, il sera le véhicule le plus polyvalent et le plus armé de tous les véhicules blindés en service dans les forces de maintien de l’ordre au sein des pays européens similaires à la France.

Le VIPG Centaure s’impose en effet, de par sa conception et ses innovations technologiques, comme un véhicule à la fois très novateur et particulièrement polyvalent, permettant à la Gendarmerie – force armée – d’agir sur l’ensemble du spectre opérationnel qui lui est dédié (situations très dégradées de type insurrectionnel, DOT, opérations extérieures…), et qui va au-delà de celui communément dévolu aux forces de police d’Europe. S’agissant des segments communs à “une force de police”, outre une meilleure protection des personnels indispensable face à la généralisation d’armes de guerre, il offre de nouvelles capacités en termes d’observation (caméras, capteurs), fort utiles notamment en terrain rural, ainsi qu’en localisation d’un tir permettant une riposte “chirurgicale” (système de détection acoustique de tir adverse).

Cependant, il est à noter que ce nouveau contexte sécuritaire conduit des forces de police européennes à se doter de véhicules blindés de gabarit et de niveau de protection équivalent (balistique, NRBC), toutefois en nombre limité. Tel est le cas de l’Allemagne avec l’adoption par la police fédérale et certaines polices de Länder du Survivor-R, véhicule blindé tout terrain construit par Rheinmetall MAN, la division véhicules militaires de la filiale poids lourds de Volkswagen, d’un coût de 1,2 millions d’euros, soit très supérieur au coût du Centaure (prés de 50%°). 

Objection 3 de la Cour des comptes : “un premier déploiement du Centaure (quatre véhicules) a été expérimenté dans l’urgence par la gendarmerie nationale à la fin du mois de juin 2023 dans le cadre des émeutes urbaines.

Le déploiement de quatre Centaure fin juin 2023 correspond certes au premier engagement opérationnel du VIPG, mais il ne saurait avoir ressorti à une expérimentation. Il a en effet été mis en œuvre par des unités du Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile (GBGM) de Versailles-Satory, disposant, de par leur dotation en VBRG, de leurs engagements opérationnels constants, notamment Outre-mer, et de leur montée en puissance (entraînements…) de toute la compétence requise pour procéder à ce premier déploiement. S’agissant des  “expérimentations”, elles se sont déroulées dans des infrastructures adaptées telles que le Centre National d’Entraînement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier au sein duquel s’effectue également la formation de l’ensemble des EGM à l’intervention couplée avec des véhicules blindés.

Objection 4 de la Cour des comptes : « Cette rapidité excessive a conduit, de l’aveu même de la gendarmerie, à omettre des besoins techniques importants relatifs notamment au maintien en condition opérationnelle des véhicules.

De toute évidence, le véhicule Centaure correspond de façon remarquable au besoin exprimé par la Gendarmerie tel que formulé dans le cahier des charges établi, ceci d’autant si l’on prend en considération les temps impartis et les effectifs dédiés. Depuis la notification du marché, et disposant de contacts étroits avec l’industriel, j’ai pu observer les demandes formulées par la Gendarmerie en termes d’adaptations nécessaires, demandes qui n’ont pas modifié la nature du marché. C’est là, d’expérience, dans tout programme aussi important – voir à titre comparatif les programmes véhicules blindés de l’armée de terre -, chose normale. Concernant le maintien en condition opérationnelle, le choix d’un véhicule dérivé du modèle Arive produit à 2000 exemplaires, et conçu à partir de la base (châssis, propulsion…) d’un véhicule largement distribué dans le commerce, marque une volonté de bien maîtriser les coûts en terme de MCO (maintien en condition opérationnelle), lequel sera en grande partie internalisé.

Objection 5 de la Cour des comptes : « Le choix d’une cible d’équipement à 90 véhicules garantissant un remplacement un pour un des VBRG interroge aussi, dans la mesure où les surcroîts de polyvalence impliquent souvent une réduction des flottes de grands systèmes militaires (exemple du Rafale ou des frégates multi-missions). (…) Le concept d’emploi définitif du véhicule ne date que du 14 décembre 2023. La conception du Centaure et sa spécification technique ont ainsi précédé la définition de son usage.

Le besoin du remplacement du VBRG a été identifié dès les années 2000, alors que cet engin avait déjà une trentaine d’années. Il avait en effet été mis en dotation en 1974 comme véhicule spécifique aux opérations de rétablissement de l’ordre, pour mieux répondre notamment à des crises de type Mai 68. Le volume alors livré avait porté sur 155 engins, alors même que la Gendarmerie disposait d’un important parc “kaki” composé de 90 Auto-mitrailleuses Panhard (AML 60 équipées de mortier de 60 mm et AML 90 équipés de canon de 90 mm, et toutes deux de mitrailleuses type AA52 de 7,5 mm), complété (au sein du GBGM) de 28 VBC 90G.

Tous ces véhicules blindés (au sens de véhicules disposant d’une protection balistique et de systèmes d’arme par opposition aux véhicules protégés qui en sont dépourvus), ont été retirés sur fond de l’illusion des “dividendes la paix” consécutifs à la chute du mur de Berlin, mais aussi à une dérive de la Gendarmerie vers le concept d’une force de police initiée par une partie de la haute hiérarchie de cette institution. Pour être concret, la Gendarmerie disposait alors d’environ 270 véhicules blindés, pour la moitié lourdement armés, ce qui devrait éclairer la Cour des Comptes sur la justesse du format à 90 Centaure.

En charge du bureau défense de la DGGN au début des années 2000, agissant en liaison avec les autres bureaux ayant à connaître de ce dossier, j’avais été conduit à exposer ce besoin du remplacement du VBRG en mettant en avant :

la pleine pertinence du spectre paix-crise-guerre dévolu à la Gendarmerie ;

sa compétence sur 95% du territoire ;

ses engagements opérationnels du moment en situation dégradée dont ceux en opérations extérieures ( Ex-Yougoslavie, zone qui ne saurait d’ailleurs être vraiment stabilisée) et en outre-mer;

l’évolution du contexte opérationnel en sécurité intérieure (prévision des émeutes urbaines, processus de fracturation culturelle, recours croissant aux armes à feu…), évolution qui a intégré depuis quelques années la traque de forcenés, les interventions en police judiciaire contre des gangs armés…

L’identification du besoin s’était logiquement traduite par l’évolution des entraînements au sein du Cnefg, s’agissant de l’emploi des VBRG. Les principes d’emploi des blindés étaient déjà bien formulés. À l’aune de l’évolution du contexte opérationnel décrit supra, et des recommandations du SNMO, en s’appuyant sur la culture bien ancrée de la composante blindée de la Gendarmerie, un concept d’emploi provisoire des Centaures (circulaire provisoire n°45 du 22 juin 2023 relative à l’emploi du véhicule d’intervention polyvalent de la Gendarmerie) a été rédigé, débouchant sur la nouvelle circulaire n°45/GEND/DOE/SDEF/BSOP/DR du 14 décembre 2023 relative à l’organisation et à l’emploi de la composante blindée de la Gendarmerie nationale.

Objection 6 de la Cour des comptes : les autres forces, à commencer par la Police nationale, n’ont pas exprimé un intérêt particulier pour l’usage de ce véhicule

Les retours des policiers contredisent l’avis des rapporteurs de la Cour des Comptes. La composante blindée de la Gendarmerie, de par ses capacités et sa grande souplesse dans ses modalités d’emploi, est bien perçue comme un atout précieux tant au profit des UFM (CRS, Compagnies d’intervention) que par les unités territoriales.

Un des deux Centaure engagés à Grigny (Photo Gendarmerie Nationale/LVDG)

En témoigne le déploiement récent de deux Centaure pour la protection du commissariat de la Courneuve, le 18 mars 2024, après qu’il ait été attaqué par des bandes d’émeutiers. S’agissant du maintien de l’ordre ou son emploi lors des récents mouvements des agriculteurs, son engagement a souvent été déterminant, aussi bien en terrain rural qu’urbain. L’accueil à Saint-Astier, de cadres de la Police nationale, notamment des CRS, sera mis à profit pour leur permettre de mieux bénéficier de l’appui des Centaure, en particulier dans le cas de violences urbaines.

Les 6 recommandations de la Cour des comptes

Recommandation n° 1. (DGPN, DGGN) : mettre à jour l’instruction commune DGPN– DGGN du 29 décembre 2015 sur les conditions d’emploi des unités de forces mobiles, pour tenir compte de la modification du schéma national de maintien de l’ordre.

Recommandation n° 2. (DGPN, DGGN) : renforcer les effectifs de l’UCFM et mener à bien la modernisation de l’application de coordination des forces mobiles avant l’été 2024, afin de développer la capacité d’analyse des besoins réels en UFM.

Recommandation n° 3. (DGPN, DGGN) : affecter en priorité les renforts d’effectifs aux unités existantes pour permettre de constituer des unités à quatre sections ou pelotons.

Recommandation n° 4. (DGPN, DGGN) : n’affecter les forces mobiles à des missions éloignées de leurs compétences spécifiques qu’en l’absence d’alternatives et lorsque la mission revêt un caractère prioritaire.

Recommandation n° 5. (DGPN, DGGN, SG MININT) : définir un plan de réallocation des cantonnements des forces mobiles plus adapté aux besoins actuels en termes de maintien de l’ordre.

Recommandation n° 6. (DGGN, DGPN, PP) : poursuivre l’effort de mutualisation des entraînements entre CRS et gendarmes mobiles ainsi qu’entre les unités d’intervention et les forces mobiles.