Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

Pourquoi amener l’effort de défense français à 3 % PIB couterait moins de 3 Md€ par an aux finances publiques ?

De nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les insuffisances de l’effort de defense français face à la montée en puissance des menaces internationales, alors que l’encre de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, votée en juillet dernier, est à peine sèche.

Entre le spectre d’une Chine surpuissante, la renaissance de la puissance militaro-industrielle russe, les perspectives pessimistes concernant la guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche, plus que jamais depuis la fin de la crise des Euromissiles, le rôle des armées françaises, pour garantir la sécurité du pays, mais aussi de ses alliés, est aujourd’hui crucial.

La LPM 2024-2030, en reprenant le format des armées conçu en 2013 par un Livre Blanc structuré autour d’une menace dissymétrique, et en ne visant que le plancher d’investissement fixé par l’OTAN de 2 % du PIB, ne répond ni en volume, ni dans son calendrier, aux défis qui s’accumulent face aux armées françaises.

Sommaire

Pour autant, les arguments avancés pour expliquer ce manque d’ambition et de moyens, apparaissent raisonnables, avec un déficit public chronique ne parvenant pas à passer sous la barre des 3 %, une dette souveraine s’approchant des 120 % de PIB, et une économie encore chancelante avec une croissance limitée et un chômage vivace, le tout venant caper les capacités d’investissements de l’État.

Alors, est-il illusoire de vouloir amener l’effort de défense français au niveau requis pour effectivement répondre aux enjeux sécuritaires ? Comme nous le verrons dans cet article, tout dépend de la manière dont le problème est posé.

Une LPM 2024-2030 à 2 % PIB est objectivement insuffisante pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir

Si la LPM 2024-2030 s’enorgueillit d’une hausse inégalée des dépenses de défense sur sa durée, avec un budget des armées qui passera de 43,9 Md€ en 2023 à 67 Md€ en 2030, l’effort de défense, c’est-à-dire le rapport entre ces dépenses et le produit intérieur brut du pays, demeurera relativement stable, autour de 2 %.

Hélicoptère gazelle
Certains équipements des armées, comme les hélicoptères Gazelle, devront jouer les prolongations bien au-delà du raisonnable, du fait des limitations de la LPM 2024-2030

De fait, en de nombreux aspects, cette hausse annoncée des crédits sera en trompe-l’œil, d’autant qu’elle sera en partie érodée par les effets de l’inflation, comme ce fut d’ailleurs le cas lors de la précédente LPM.

Dans un précédent article, nous avions montré qu’il serait nécessaire, pour la France, de produire un effort de défense supérieur ou égal à 2,65 % PIB pour répondre aux enjeux du moment. Depuis sa rédaction, plusieurs facteurs sont venus aggraver les menaces, donc le calendrier des besoins pour les armées, et avec eux, les besoins d’investissements.

Répondre au besoin de recapitalisation des armées françaises

D’abord, avec un effort à 2,65 % tel qu’il a été préconisé, la recapitalisation des armées françaises, après 20 années de sous investissements critiques, se voulait relativement progressive. En effet, le pic de menaces alors évalué se situait entre 2035 et 2040, ce qui laissait une quinzaine d’années à l’effort de défense pour combler les lacunes constatées, et remplacer les matériels les plus obsolètes comme les hélicoptères Gazelle, les Patrouilleurs Hauturier, et bien d’autres.

Or, le tempo s’est considérablement accru ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une Chine de plus en plus sûre d’elle dans le Pacifique, d’une Russie, en pleine confiance, qui a renoué avec une puissance militaro-industrielle de premier ordre, d’un axe de fait qui s’est formé entre ces deux pays, l’Iran et la Corée du Nord, et la menace désormais très perceptible du retour de Donald Trump à la Maison-Blanche à l’occasion des élections présidentielles américaines de 2024.

Donald Trump
Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche est désormais une hypothèse crédible avec laquelle il convient de composer dans la planification stratégique en France comme en Europe.

En d’autres termes, là où l’on pouvait considérer raisonnable, un délai de 15 ans pour recapitaliser les armées françaises il y a quelques mois, il est aujourd’hui nécessaire de faire le même effort de modernisation et de transformation, sur un délai sensiblement plus court, le pic de menace pouvant débuter dès 2028, voire avant cela, selon les prévisions les plus pessimistes.

Assurer la transformation conventionnelle vers le théâtre européen

Sur ce même intervalle de temps, les armées françaises doivent aussi assurer une profonde transformation d’une partie significative de leurs forces, pour répondre aux besoins spécifiques du théâtre centre-Europe face à la Russie.

En effet, à ce jour, une part majoritaire des armées françaises, et plus spécifiquement de l’Armée de Terre, est conçue et organisée pour répondre aux besoins de projection de puissance sur des théâtres dissymétrique, en Afrique notamment. Légères et très mobiles, ces unités ont démontré une grande efficacité en Irak ou dans la zone Sud-saharienne.

Toutefois, force est de constater que les VBCI, VAB et même les VBMR et EBRC plus récents, manquent de puissance de feu et de protection pour évoluer face à un adversaire symétrique comme peut l’être la Russie, alors que, dans le ciel, les forces aériennes souffrent de ne disposer d’aucune capacité avancée de guerre électronique ou de suppression des défenses aériennes adverses, pour s’opposer à une défense antiaérienne performante, dense et structurée, comme c’est le cas dans les armées russes.

Étendre les armées et leur résilience

Non seulement les armées françaises apparaissent « trop légères » pour un affrontement en Europe centrale, mais elles souffrent, dans le même temps, d’un format trop réduit pour envisager de s’engager dans un affrontement conventionnel symétrique.

Ainsi, avec seulement 200 chars de combat, moins de 120 tubes d’artillerie, et au mieux, deux brigades lourdes, et deux brigades moyennes, pouvant répondre à ce type d’engagement, les armées françaises ont tout juste la possibilité d’engager une division mécanisée complète sur un éventuel front oriental.

Garde nationale 24ᵉ régiment d'Infanterie
Le 24ᵉ RI est le seul régiment français exclusivement composé de réservistes. En revanche, il n’est que très légèrement équipés, ne disposant d’aucun véhicule de combat blindé en propre.

Pire encore, une fois les deux brigades disponibles engagées, l’Armée de terre ne dispose que de peu de réserves matérielles pour assurer la rotation des forces, même si un effort a été fait lors de la LPM 2024-2030, pour tenter d’accroitre les forces de réserves, afin de renforcer la résilience humaine des armées.

La situation n’est guère meilleure dans les autres armées, avec une flotte de chasse limitée à 185 appareils pour l’Armée de l’air, un unique groupe aéronaval pour la Marine, et une flotte d’escorteurs de premier rang trop réduite pour effectivement assurer la sécurité des grandes unités majeures que sont le porte-avions et les 3 PHA, encore moins d’assurer la sécurité des espaces maritimes dont elle a la charge.

Renforcer l’industrie de défense nationale

Si la guerre en Ukraine a montré, de manière évidente, les insuffisances de format des armées françaises, elle a aussi mis en évidence le sous-dimensionnement et la vulnérabilité de l’industrie de défense nationale, qui peine à produire ne serait-ce qu’une partie des munitions nécessaires à l’Ukraine pour tenir face à la puissance retrouvée du complexe industriel militaire russe. Rappelons , à ce titre, que la France a un PIB presque 60 % plus important que celui de la Russie.

Sur ce même intervalle de temps réduit, allant jusqu’en 2028, 2030 au mieux, il serait donc aussi indispensable de reformater l’ensemble de l’outil industriel de défense français, afin de répondre aux besoins de reconstruction et d’extension des armées, mais aussi pour soutenir, dans la durée, les opérations militaires des armées françaises engagées dans un conflit conventionnel symétrique, le cas échéant.

Il convient aussi de conscidérer que l’industrie française, par sa position géographique, et par le statut spécifique du pays disposant d’une dissuasion, pourrait avoir un rôle tout particulier à jouer pour soutenir les armées européennes dans un tel engagement, et pas uniquement les armées françaises, en charge d’une portion seulement de la ligne de défense.

Renforcer la dissuasion française face à la menace sino-russe

Enfin, il s’avèrerait probablement nécessaire de revoir le format et les moyens à disposition de la dissuasion française, aujourd’hui construite sur le principe de stricte suffisance, mais en temps de paix.

SNLA Le Triomphant
Le passage d’une flotte de 4 à 5 ou 6 SNLE s’avèrerait plus que bienvenue pour contrebalancer les 12 SNLE Boreï et Boreï-A russes.

En effet, la Russie a explicitement fait savoir qu’elle n’était plus engagée par les accords internationaux post-guerre froide, alors que la Chine est engagée dans un effort sans précédant pour renforcer sa triade nucléaire, et la mettre au niveau des Etats-Unis et de la Chine.

Ne pouvant écarter un possible retour de l’isolationnisme américain, et devant anticiper un engagement total des forces US dans le Pacifique face à la Chine, il revient donc à la France, et à la Grande-Bretagne, d’assurer le parapluie dissuasif des pays européens.

Or, pour ce faire, les deux pays souffrent d’un déficit de moyens pour contrer la menace russe qui peut s’appuyer sur une triade nucléaire forte de 12 SNLE (contre 8 franco-britanniques), de 110 bombardiers stratégiques (contre une vingtaine de Rafale/ASMPA français), et de plusieurs centaines de missiles ICBM et SRBM terrestres (contre 0 dans les deux pays).

Un effort de défense à 3 % PIB comme point d’équilibre entre besoins immédiats et à venir

Relever le défi préalablement esquissé, d’ici à 2030, nécessiterait une étude approfondie et un effort national dépassant de beaucoup le seul périmètre du ministère des Armées, et surtout de cet article.

En revanche, sur la base d’un point d’équilibre moyen établit autour de 2,65 % de PIB, comme analysé dans de précédents articles, on peut estimer qu’un effort de défense transitoire à 3 % du PIB s’avèrerait nécessaire, dans les années à venir, pour financer l’ensemble des mesures requises, sur le calendrier imposé par la détérioration de la situation internationale.

Effort de defense munitions Nexter
La production française de munition est très loin d’être suffisante pour permettre aux armées françaises de soutenir un engagement symétrique durable.

Or, dans la situation budgétaire actuelle du pays, qui peine déjà à financer les 47 Md€ des armées valant moins de 2 % du PIB 2023, comment peut-on espérer amener cet effort de défense à 70 Md€ (2023), soit 3 % du PIB ?

Combien coute à l’État le budget des armées 2023 à 45 Md€ ?

Pour répondre à cette question, il convient dans un premier temps d’estimer la soutenabilité de l’effort de défense à 2 % du PIB en 2023, valant 47 Md€. Il est nécessaire d’introduire la notion de retour budgétaire, c’est-à-dire les recettes et économies budgétaires réalisées par sur le Budget de l’État, en application des investissements consentis sur le budget des armées.

La notion de retour budgétaire

Pour calculer ce retour budgétaire, il convient dans un premier temps d’effectuer une découpe synthétique du budget des armées, comme suit :

  • 20 Md€ pour les frais de personnels militaires et civils
  • 19 Md€ pour les acquisitions, R&D et entretient des équipements des armées
  • et enfin 8 Md€ pour la dissuasion, dont 4 Md€ pour les couts de personnels, et 4 Md€ pour les investissements industriels et technologiques.

De fait, on peut décomposer le budget des armées en deux catégories, 24 Md€ pour les couts de personnels, et 23 Md€ pour les investissements industriels. Or, chacune de ces catégories produit un retour budgétaire propre.

Ainsi, les recettes d’état concernant les dépenses de personnels peuvent s’évaluer au travers du taux de prélèvement moyen sur PIB français calculé par l’OCDE, qui s’élève à 47 % en 2022. Ainsi, les 25 Md€ qu’auraient dû investir les armées pour les couts de personnel en 2023 si l’effort de defense avait atteint 2%, auraient généré 11,3 Md€ de recettes fiscales et sociales dans le pays.

Les plus attentifs auront certainement remarqué que ce calcul prend en compte des recettes sociales qui, logiquement, ne s’imputent pas au budget de l’État. Toutefois, dans la mesure où les comptes sociaux sont structurellement déficitaires en France, et compensés chaque année par le budget de l’État, il est possible, par simplification, de considérer que toutes les recettes s’appliquant aux comptes sociaux, diminuent d’autant la compensation de l’État chaque année, et donc s’imputent à son budget.

Calcul du retour budgétaire sur le budget théorique des armées 2023 à 2 % PIB

Le taux est sensiblement différent pour ce qui concerne les investissements industriels, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le taux de TVA appliqué à toutes ces prestations est fixe à 20 %, là où le taux moyen de recette de TVA par rapport au PIB n’est que de 12 %. En d’autres termes, la simple application systématique d’un taux de TVA à 20 % fait croitre le taux de prélèvement moyen sectoriel appliqué à l’industrie de défense de 8 %, pour atteindre 55 %.

Industrie de défense Chaine d'assemblage Rafale
L’industrie de défense française s’appuie sur une chaine de sous-traitance riche et efficace. Ainsi, la team Rafale se compose de pas moins de 500 entreprises allant de groupes internationaux, comme Safran, Thales et Dassault, à des PME de quelques salariés.

En second lieu, l’industrie de défense est, par nature, beaucoup moins exposée que le marché national aux importations, de sorte que l’immense majorité de son réseau de sous-traitance est, lui aussi, national.

S’applique donc un coefficient multiplicateur de recettes supplémentaires pour l’état, que l’on peut aisément ramener par défaut à 65 % des investissements consentis, en lien avec le coefficient multiplicateur keynésien ramené à ce seul secteur industriel. Sur cette base, les 23 Md€ d’investissements industriels et technologiques des armées, génèrent donc 15 Md€ de recettes et économies sur le budget de l’État.

Ainsi, sur les 47 Md€ investis initialement par l’état à 2% du PIN, nous venons de montrer que le cout résiduel ne serait que de 47 – (11,3 + 15) = 20,7 Md€. Ce cout doit encore diminuer. En effet, les industries de defense françaises exportent, en moyenne chaque année, l’équivalent de 50 % des investissements nationaux réalisés.

Ainsi, si 23 Md€ sont investis par l’État, cette règle empirique, mais aisément confirmée sur les 20 dernières années, voudrait qu’en moyenne, les industries de defense françaises exportent chaque année pour 11,5 Md€ d’équipements de defense. Déduction faite de la TVA puisque exportés, et des productions locales, ces exportations rapportent 40 % des sommes investis en taxes et cotisations sociales au budget national, soit 4,6 Md€.

Au total, donc, sur les 47 Md€ investis, l’état récupère ou économise en moyenne 30,9 Md€, et ne doit abonder ce budget par d’autres sources de financement qu’à hauteur de 16,1 Md€.

Combien couterait à l’état un budget des armées (2023) à 3 % PIB (70 Md€)

Sur les mêmes hypothèses, il est possible de calculer quel serait le surcout réel engendré par une hausse de l’effort de defense de 2 à 3 % du PIB, soit un budget des armées à 70 Md€ sur la même hypothèse de travail 2023.

Leclerc VBCI VAB Armée de Terre
Avec seulement 200 chars Leclerc et 120 tubes d’artillerie, l’Armée de terre n’a pas la puissance de feu et la protection requise pour s’engager durablement sur un théâtre symétrique.

L’approche la plus triviale serait de s’appuyer sur une croissance homothétique des couts, c’est-à-dire des couts de personnels passant de 22 à 32,7 Md€, des couts industriels de 19 à 28,3 Md€, et une dissuasion passant de 8 à 11,9 Md€, dont 6 Md€ de couts de personnels. Ainsi posé, le reste à charge de l’État passerait de 20,7 à 37,7 Md€, soit une hausse de 17 Md€, sans tenir compte des exportations.

Cette hypothèse est pourtant aussi peu efficace que peu crédible. En effet, passer les dépenses de personnels totales de 23 Md€ à 32,7 Md€ n’aurait aucun sens, les armées ne parvenant déjà pas à remplir leurs objectifs de recrutement aujourd’hui. En outre, les besoins identifiés en début d’article, porte davantage sur de nouveaux équipements, et de nouvelles capacités industrielles et opérationnelles, que sur des forces simplement augmentées de 50%.

Hypothèse d’une croissance budgétaire optimisée

Prenons donc une hypothèse différente, à savoir des couts de personnels amenés à 28 Md€, une dissuasion amenée à 11 Md€ dont 5 Md€ pour les personnels, et les investissements industriels et technologiques passant de 19 à 31 Md€. Ce découpage génère un investissement total RH de 33 Md€, pour un investissement industriel total de 37 Md€.

En appliquant les mêmes données que lors du calcul précédent, nous obtenons donc un retour budgétaire RH de 15,5 Md€, et un retour budgétaire industriel de 24 Md€, soit un total initial de 39,6 Md€. En reprenant l’hypothèse de croissance homothétique des exportations à 50 % des investissements industriels, nous atteignons 7,4 Md€ de recettes supplémentaires.

ordre serré
La ressource humaine est aujourd’hui la ressource la plus difficile à maitriser et à étendre pour les armées.

Au total, donc, les 70 Md€ (2023) initialement investis, engendreraient un retour budgétaire de 47 Md€, soit un cout marginal de 23 Md€. En comparaison des 16,1 Md€ aujourd’hui, le surcout du reste à charge de l’État n’augmenterait que de 6,9 Md€.

Un surcout budgétaire de 7 Md€ surévalué

Ce solde est toutefois très supérieur à ce que le budget de l’État devrait effectivement supporter en termes de charges supplémentaires. En effet, en passant de 23 à 37 Md€ d’investissements, les industries de défense seraient amenées à créer de 100.000 à 130.000 emplois directs, et autant d’emplois indirects et induits, soit un total de plus de 200.000 emplois créés en hypothèse basse, auxquels il convient d’ajouter 100.000 emplois supplémentaires liés à la hausse des exportations.

Ces 300.000 créations d’emplois viendraient, évidemment, alléger les dépenses sociales de l’état et des collectivités locales, en soutien aux chercheurs d’emplois, si pas directement, tout au moins par transitivité, à termes.

Avec un cout moyen par chercheur d’emplois estimé aujourd’hui autour de 15 000 € par an pour les différents services de l’État, ces 300 000 nouveaux emplois représenteraient 4,5 Md€ d’économies sur le budget de l’État.

Ainsi, le reste à charge net de l’état, pour avoir amener le budget des armées de 47 Md€ et 2 % du PIB, à 70 Md€ et 3 % du PIB, n’atteindrait que 2,4 Md€ par an, soit à peine plus de 0,09 % du PIB français.

Applications et contraintes du modèle présentée

Bien évidemment, l’approche proposée ici, n’est pas exempte de faiblesses. La plus évidente d’entre elles, est le fait de considérer qu’un constat empirique puisse être transposé comme une règle.

Ainsi, si effectivement, sur les décennies passées, les exportations de l’industrie de défense française ont respecté, en moyenne, le principe des 50 % des investissements nationaux, rien ne garantit qu’une hausse des investissements dans ce domaine puisse être, automatiquement, suivie par une hausse similaire des exportations.

Défilé Maistrance
Les armées peinent de plus en plus à recruter des personnels qualifiés répondant à leurs attentes

Pour sécuriser cet aspect, il serait, en effet, nécessaire que les armées adoptent une stratégie d’équipement plus favorable aux exportations, et ainsi garantir que la hausse des crédits disponibles s’accompagne d’une hausse des marchés adressables par l’industrie de défense française.

On notera également que pour répondre aux enjeux sécuritaires, il serait nécessaire d’augmenter les effectifs des armées, probablement par l’intermédiaire d’une extension rapide de la Garde Nationale. Cela suppose non seulement que la Garde nationale vienne renforcer les unités existantes de l’armée de terre comme aujourd’hui, mais qu’elle puisse donner naissance à des unités autonomes et intégralement équipées, à l’instar de la Garde Nationale US.

En outre, il serait indispensable, dans cette hypothèse, aux armées technologiques, Marine nationale et Armée de l’Air, de mener une réflexion pour intégrer efficacement le potentiel RH de la Garde Nationale et de la Réserve, pour étendre leurs capacités opérationnelles, et pas simplement pour les suppléer.

Conclusion

On le voit, amener l’effort de défense de la France à 3 % du PIB, ce qui paraissait hors de portée des finances publiques à l’entame de cet article, semble bien plus accessible à la fin de celui-ci.

Pour y parvenir, il faut cependant accepter de profondément faire évoluer le paradigme fort encadrant l’effort de défense national, à savoir ne considérer celui-ci, au seul prisme des dépenses, sans jamais considérer, dans sa conception et son équilibrage, les recettes qui seront, ou sont, générées par ces investissements.

Usine Sukhoï Su-57
La Russie s’est mise en économie de guerre, consacrant une part très importante de son PIB à la fabrication d’armement et au soutien des armées.

Ce dogme, hérité d’un gaullisme qui n’avait connu qu’une croissance forte et des budgets excédentaires, ne peut plus, aujourd’hui, répondre aux enjeux spécifiques qui encadrent le financement des armées françaises.

Toutefois, contrairement à de nombreux pays, la France dispose d’un atout pour augmenter ses dépenses et investissements dans ce domaine, une industrie de défense globale capable de produire la presque totalité des équipements de defense des armées. Cette industrie est, par ailleurs, largement exportatrice, et faiblement exposée aux importations, en faisant un outil exceptionnel en matière d’efficacité de l’investissement public.

Évidemment, 2,4 Md€ de surcouts, ce n’est pas rien, ce d’autant qu’il faudra très certainement une période de croissance et d’adaptation pour que les équilibrés évoqués se stabilisent. Pour autant, l’effort à consentir, pour effectivement transformer les armées françaises en une force de protection répondant aux enjeux du moment, apparait parfaitement à la portée des finances publiques d’un pays comme la France, qui plus est en les mettant en perspective des risques associés à l’inaction, ou à une action trop timorée.

Reste que si l’innovation technologique est plébiscitée au sein du ministère des Armées, et plus globalement, de la fonction publique, les modèles disruptifs venant bousculer des décennies de planification, certes inefficaces, mais confortables, sont beaucoup plus difficiles à imposer, ou simplement à faire valoir.

Article du 19 février 2024 en version intégrale jusqu’au 24 juillet 2024

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

https://www.opex360.com/2024/07/08/avec-une-lpm-2024-30-en-suspens-le-ministere-des-armees-va-au-devant-de-gros-problemes-budgetaires/


Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.

Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].

L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.

Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.

En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.

Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.

« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.

Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?

Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.

Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.

Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.

Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…

Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.

Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.

Atos: l’Etat propose 700 millions d’euros pour racheter les activité sensibles

Paris – Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante », la proposition de l’État concerne les activités englobant les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité
par Paul Ricard – l’Opinion (avec AFP) – Publié le

AFP - Atos
Le siège d’Atos à Bezons, près de Paris, le 26 avril 2024.  –  Ludovic MARIN – Bezons (AFP)

« Aucune certitude ne peut être apportée quant à l’issue des négociations et à la conclusion d’un accord définitif entre les parties », a mis en garde Atos, vendredi 14 juin, dans un communiqué, en annonçant l’offre de l’Etat. Elle intervient deux jours après le choix du consortium mené par Onepoint pour la reprise d’Atos, et vise à éviter que ces activités, qui touchent à la souveraineté de la France, tombent entre les mains d’acteurs étrangers.

Selon Atos, son conseil d’administration, sous l’égide de la conciliatrice Hélène Bourbouloux, et sa direction « vont discuter de cette proposition avec l’État ». Avec cette offre, l’État a « tenu parole », a pour sa part fait valoir sur franceinfo le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire. Selon lui, « d’autres entreprises pourraient être partenaires » pour acheter les « activités stratégiques » d’Atos, et « garantir » ainsi qu’elles « restent sous le contrôle total ou partiel de l’État. »

« Pas bradés ». Formulée dans une « lettre d’offre confirmatoire non engageante » la proposition de l’Etat concerne « l’acquisition potentielle de 100% des activités d’Advanced Computing, de Mission-Critical Systems et de Cybersecurity Products de la division BDS (Big Data & Cybersécurité) » d’Atos, a indiqué le groupe.

Ces activités englobent les supercalculateurs utilisés pour la dissuasion nucléaire, les contrats avec l’armée française et les produits de cybersécurité. « Cette offre confirmatoire non-engageante porte sur une valeur d’entreprise globale de 700 millions d’euros », a poursuivi Atos. La valeur indicative de ces activités était estimée entre 700 millions et un milliard d’euros, avait indiqué Atos fin avril.

« Nous ferons tout pour sanctuariser la partie des actifs dits ultrasensibles, mais nous serons très vigilants à ce qu’ils ne soient pas bradés », avait prévenu mercredi dans Les Echos David Layani, patron de Onepoint, après être sorti gagnant de la compétition pour la reprise d’Atos face au milliardaire tchèque Daniel Kretinsky.

Crise financière. Partenaire informatique mondial du Comité international olympique (CIO) depuis 2002, Atos sera l’un des piliers technologiques des JO-2024 de Paris. Embourbé dans une crise financière depuis près de trois ans, le groupe avait enclenché en février une procédure de restructuration.

Il avait annoncé avoir besoin de 1,1 milliard d’euros de liquidités pour 2024-2025 et vouloir réduire de 3,2 milliards d’euros sa dette brute, qui a atteint 4,8 milliards d’euros, pour sauvegarder son activité. Au cours des 12 derniers mois, l’action Atos a perdu plus de 90% de sa valeur, et affiche une baisse de plus de 20% depuis l’annonce du choix de Onepoint comme repreneur. Vendredi matin, elle progressait toutefois, à 90 centimes d’euro vers 09h35.

Enjeu majeur. Depuis le début de la chute du géant, le sort de ses activités stratégiques est un enjeu politique majeur. Sa branche « Advanced Computing » comprend les supercalculateurs et les serveurs participant à l’intelligence artificielle (IA) et à l’informatique quantique. Ces supercalculateurs sont essentiels à la simulation d’essais nucléaires ou à la gestion du parc des centrales nucléaires d’EDF.

La branche MCS, elle, comprend le système de commandement de Scorpion (programme de modernisation de l’armée de Terre), des outils de navigation pour les forces navales et la marine marchande, ou de cartographie en temps réel pour les militaires. MCS est également chargée de la sécurisation des réseaux de communication à bord des avions Rafale « F4 » de Dassault, et comprend la société Avantix, spécialisée dans les systèmes d’écoute pour les services de renseignement.

Dans la foulée du choix de Onepoint, Atos avait annoncé être entré en négociations exclusives avec le groupe français d’ingénierie Alten en vue de la vente de Worldgrid, sa filiale hautement critique qui conçoit les systèmes de pilotage des centrales nucléaires, notamment pour EDF. Dans son communiqué vendredi, Atos confirme « son objectif de parvenir à un accord définitif de restructuration financière avec le consortium Onepoint et ses créanciers financiers », pour une mise en œuvre « d’ici juillet ».

Comparer les budgets défense des pays est une grave erreur ! Voilà pourquoi…

Comparer les budgets défense des pays est une grave erreur ! Voilà pourquoi…

Lorsque l’on traite de défense, deux phrases reviennent systématiquement dans les débats. La première est évidemment la locution latine de la fin du IVe siècle « Si vis Pacem, Para Bellum », inspirée de Végèce, qui veut que pour s’assurer de la paix, il faut être prêt à la guerre.

La seconde est un proverbe français, cité par Raymond Aron en 1962 dans Paix et Guerre entre les nations, « L’argent est le nerf de la guerre », selon lequel l’efficacité des armées au combat, dépend des sommes investies.

Mis bout à bout, ces deux phrases laissent supposer que les capacités d’investissements consentis par les États, en particulier en amont de guerres, conditionnent les rapports de forces, donc l’efficacité des postures de dissuasion, et avec elles, la préservation de la paix.

Il est donc tentant de comparer les budgets défense entre les pays, voire entre les alliances, pour s’assurer du caractère dissuasif des outils de défense, et par extension, pour se faire une idée des rapports de force militaires.

Beaucoup se sont ainsi empressés de tirer des conséquences à la parution du nouveau rapport annuel du SIPRI, étudiant précisément les investissements défense de l’ensemble des nations, ainsi que leurs évolutions respectives. Toutefois, l’investissement défense est-il un indicateur efficace dans ce domaine, pour comparer les capacités militaires entre pays, et donc en déduire, un rapport de force présent et à venir ? C’est loin d’être évident…

Sommaire

Le rapport annuel du SIPRI est publié, avec, comme chaque fois, sa cohorte de commentaires

« Avec un budget défense de 109 Md$ en 2023, la Russie dépasse à peine le budget de l’Ukraine, de 100 M$, dont 35 Md$ d’aides militaires américaines et européennes, et sans comparaison avec les 1 300 Md$ de budget de l’OTAN. La Russie n’est donc pas une menace pour l’occident.« 

Budgets défense russie
Les budgets défense russes et Ukrainiens sont très similaires, mais revetent pourtant des réalités radicalement différentes.

Cette analyse, qui semble raisonnable de prime abord, est réapparue ces derniers jours, sur les réseaux sociaux, mais aussi dans les mots des journalistes et de certaines personnalités politiques, en France, et partout en Europe, suite à la publication du dernier rapport du SIPRI, il y a quelques jours. Il en va de même concernant la menace chinoise, alors qu’avec 290 Md$, Pékin investit pourtant trois fois moins que les États-Unis, dans ce domaine.

Chaque année, en effet, de nombreuses analyses de ce type sont publiées peu de temps après que le Stockholm International Peace Resarch Institut, ou SIPRI, publie son rapport annuel sur les dépenses militaires mondiales.

En effet, que ce soit à des fins politiques, médiatiques ou commerciales, la tentation est grande, d’employer ces éléments, surtout lorsqu’ils semblent aller vers la démonstration recherchée, tout en se parant d’une apparente cape de cohérence. Ils sont pourtant hautement contestables, pour ne pas dire, fallacieux.

La comparaison des budgets défense n’est pas efficace lorsqu’il s’agit d’en déduire un rapport de force

Il est vrai que par la manière dont le SIPRI présente son rapport, qui plus est en synthétisant la présentation des budgets défenses des États, avec une conversion globale en dollars américains, incite aisément à ce type de comparaison, pourtant particulièrement peu efficace, et même souvent totalement inexacte. Ce type de comparaison suppose, en effet, que l’investissement défense représente un indicateur strict du rapport de force militaire entre états.

Destroyer Type 052 DL
La Chine ne communique pas sur les prix auxquels elle achete les equipements de défense pour ses armées; Toutefois, sur le marché export, les navires chinois proposés sont frequement 30 à 50 % moins chers que leurs homologues occidentaux.

En d’autres termes, pour que ces comparaisons aient du sens, il convient d’accepter préalablement qu’un dollar investi dans les armées américaines, ou qu’un dollar converti en rouble en Russie, en Euro en France, ou en Yuan en Chine, ont exactement la même efficacité résultante en termes de puissance militaire.

On comprend, ainsi posé, toute l’inefficacité de la démarche. Il existe, ainsi, depuis de nombreuses décennies, des outils macro-économiques pour comparer ces valeurs absolues incomparables sans cela, comme la Parité de Pouvoir d’Achat concernant le PIB. Celui-ci permet précisément de comparer des valeurs macro-économiques nationales dans un contexte international, au travers d’un coefficient de correction.

Ainsi, Pour l’année 2017, le PIB nominal de la Russie s’établissait à 1 574 Md$, Alors que son PIB PPA dépassait les 4 000 Md$, soit un coefficient de correction de 2,5. Pour la Chine, le PIB de 12 300 Md$ était amené à 24 000 Md$ en PPA, dépassant d’ailleurs celui des États-Unis de 19 500 Md$ en 2017, avec un coefficient correcteur de 1,95.

En outre, bien souvent, le périmètre de comparaison entre les budgets pris en compte par SIPRI, sont très différents d’un pays à l’autre. À titre d’exemple, plusieurs pays, ont toujours intégré au budget des Armées, des forces de police de type gendarmerie, ou des fonctions de garde cotes, alors que pour d’autres, ces fonctions relèvent d’autres budgets, et ne sont donc pas intégrées.

Enfin, la conversion en une monnaie de référence unique, avec comme valeur de change de référence, une date unique de rédaction, peut engendrer de nombreuses erreurs d’interprétation.

Le calcul d’un indispensable coefficient de correction pour tirer une information relative des budgets défenses en valeurs absolues.

L’exemple éclairant de la Corée du Nord

Un exemple est généralement bien plus efficace que de longs développements théoriques. Et la Corée du Nord représente l’exemple idéal, pour démontrer l’inefficacité absolue de la comparaison par dépenses de défense.

Corée du nord armées
Malgré un budget défense inférieur à celui de l’Estonie, la Corée du nord aligne une armée de 1,3 millions d’hommes, soit autant que la population totale de l’Estonie, armée de vatnage de chars et de systèmes d’artillerie, que l’ensemble des pays européens n’en dispose, tout en possédant une cinquantaine de têtes nucléaires.

En 2017, le pays avait un PIB de 15,7 Md$, et un budget défense de 0,96 Md$. Même en appliquant la parité de pouvoir d’achat, le PIB résultant s’élève à 47 Md$, et le budget des armées nord-coréennes, à 3 Md$. La Corée du Sud, pour sa part, dépensait cette année, 43 Md$, et même 45 Md$ en PPA, soit 15 fois plus que son voisin du nord.

Pourtant, Pyongyang est perçu, à juste titre, comme une menace majeure et mortelle par la Corée du Sud. Non seulement le pays dispose-t-il de l’arme nucléaire, mais il aligne une puissance armée conventionnelle, certes en majeure partie obsolète, mais considérable, avec 1,3 million d’hommes en service actif, plus de 5 000 chars et plus de 2500 systèmes d’artillerie.

Il faut d’ailleurs 28 500 militaires américains déployés en permanence en Corée du Sud, qui par ailleurs coutent au Pentagone bien plus que 3 Md$ par an, pour garder la Corée du Nord, et ses armes nucléaires, en respect, et ainsi assurer le maintien de la paix, sur la péninsule coréenne.

Bien qu’identique en valeur absolue et Parité de Pouvoir d’Achat, les budgets défense de l’Ukraine et de la Russie sont très différents.

On le voit, ni la comparaison des budgets en valeur absolue, ni en valeur corrigée de la parité de pouvoir d’achat, semblent convenir, pour transformer l’investissement de défense en une valeur permettant de comparer les puissances militaires, et donc d’en déterminer un rapport de force synthétique.

Pire encore, en fonction de la production industrielle de défense du pays, ou de sa dépendance aux importations, et de la provenance de ces importations, le calcul d’un éventuel coefficient correcteur, varie considérablement.

Mé Bradley en Ukraine
les équipements occidentaux livrrés à l’Ukraine rendent impossibles la conception d’un coefficient de correction des budgets défenses pour rendre compte du rapport de force, avec la Russie.

Ainsi, si la Russie et l’Ukraine ont un budget proche, exprimé en USD en 2023, et si la correction PPA pour les deux pays, est similaire, autour de 2,5, la conversion de cet investissement en puissance militaire est pourtant différente. En effet, Kyiv achète ses équipements, neufs ou d’occasion, aux États-Unis ou en Europe, là où la Russie produit l’essentiel des siens.

Ainsi, un Leopard 2A6 transféré par l’Allemagne ou le Portugal aux armées ukrainiennes, est décompté pour un cout de l’ordre de 10 m$. Selon plusieurs références internes, l’Armée de terre russe achète ses T-90M, la version la plus évoluée du T-90, et le char le plus performant de l’arsenal blindé du pays, 318 mR, soit 3,5 m$, une fois convertis en USD.

Il en va de même concernant les systèmes d’artillerie, les systèmes antiaériens, les missiles, et même les munitions, avec des rapports dépassant souvent les 5. Ainsi, un obus de 152 mm produit en Russie est acheté autour de 55 000 roubles, soit 600 $, alors qu’un obus de 155 mm produit en Europe ou aux États-Unis, coute le plus souvent, à performances égales ou proche, de 4 500 à 6 000 $, selon les fournisseurs.

De fait, alors que ces pays ont un budget exprimé en PPA identique, La Russie achète et entretient ses équipements de 3 à 6 fois moins cher, que l’Ukraine, tout du moins, pour ce qui concerne les équipements importés ou livrés par les alliés occidentaux.

Conclusion : l’indicateur budgétaire est inefficace en matière de rapport de force militaire

Cette même sur-correction au PPA, s’applique dans la comparaison entre les budgets russes et chinois, et les budgets occidentaux, avec des corrections extrêmement différentes selon que l’on est américain ou français, très peu exposés à l’importation d’équipement de défense, britannique, allemand ou italien, exposé entre 30 et 50 % aux importations, ou Estonien, important presque l’intégralité de ses équipements, auprès de fournisseurs eux-mêmes différents, et exposés à des corrections différentes.

Le budget des armées est stratégique
Le budget des armées est évidemment une donnée majeure, dans la conception de l’effort de défense d’un pays. Toutefois, la comparaison de ces budgets entre pays, pour en faire un indicateur de rapport de force, est totalement fallacieux.

N’oublions pas qu’en outre, les dépenses de personnels, et beaucoup de dépenses d’infrastructures et de service des armées, doivent en revanche être exprimées en PPA corrigé.

On comprend aisément, dans ces conditions, à quel point la comparaison des budgets défense, entre états, pour en déduire autre chose que la différence des investissements, et rien d’autre, est hautement inefficace, et même parfaitement contre-productive. On peut, à ce titre, s’interroger sur la pertinence de la présentation faite par le SIPRI, chaque année, à ce sujet, qui invite à ce type de comparaison pourtant inexacte.

Article du 23 avril en version intégrale jusqu’au 23 mai

Rapport de la Cour des comptes sur les forces mobiles : la critique argumentée du général (2s) Bertrand Cavallier

Rapport de la Cour des comptes sur les forces mobiles : la critique argumentée du général (2s) Bertrand Cavallier


Le général (2s) Bertrand Cavallier avec les gendarmes du groupement II/1 de Maisons-Alfort devant l’arc de Triomphe pendant la crise des Gilets Jaunes (Photo Lt-col Christian Gojard)

À la suite du rapport que consacre la Cour des comptes aux forces mobiles avec six recommandations dont la nécessité de se recentrer sur le maintien de l’ordre, une refonte de l’implantation géographique des casernes, une critique des Centaure (*), le général de division (2s) Bertrand Cavallier, expert du maintien de l’ordre, consultant pour plusieurs médias, dont la Voix du Gendarme, analyse ce rapport et le commente.

L’ancien commandant historique du Centre national d’entraînement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier développe son analyse critique en cinq points à partir des constats majeurs formulés par la juridiction financière. Il s’appuie sur les retours d’expérience (Retex) des professionnels en mettant les faits en perspective. Les cinq points sont :

1 : un emploi intense sur des missions de plus en plus complexes et diverses

2 : une nouvelle doctrine de maintien de lordre, qui na pas bouleversé le cadre de gestion des forces mobiles

3 : une implantation territoriale qui devrait être réexaminée, à l’occasion de la création de nouvelles unités de forces mobiles

4 : des moyens humains et matériels à préserver, tout en renforçant la contribution de toutes les forces au maintien de l’ordre

5 : un renouvellement insuffisamment préparé du parc de blindés de la gendarmerie mobile

L’on peut se féliciter de l’intérêt que peut apporter une telle juridiction à une composante des forces de sécurité intérieure qui n’a pas toujours suscité l’intérêt qu’elle méritait. En témoigne la très grande légèreté qui a présidé, sous couvert de la RGPP (Révision générale des politiques publiques initiée en 2008) à la diminution globale de 14% de l’effectif  des Unités de forces mobiles. Soit 1500 ETP supprimés pour la composante CRS et 2300 au sein de la GM, suppression accompagnée par la dissolution de 15 escadrons. 

Le politique de l’époque a alors estimé que la situation sécuritaire ainsi que le contexte géopolitique de la France autorisaient une réduction globale des effectifs des forces de sécurité intérieure et une contraction encore plus drastique des forces de défense. Contraction qui procédait sous l’effet du syndrome “des dividendes de la paix” d’un certain Fabius, d’une démolition de notre appareil de défense. Ainsi contraintes, Police et Gendarmerie ont fait des choix au détriment des forces mobiles selon, concernant cette dernière, des modalités très discutables. 

1 : Un emploi intense sur des missions de plus en plus complexes et diverses

Le constat s’impose. La France a rarement connu depuis des décennies, des crises d’une telle durée et d’une telle intensité qui ont mobilisé à un rythme d’emploi rarement atteint l’ensemble des forces mobiles. Les engagements de maintien/rétablissement de l’ordre, comme cela est indiqué, se sont déroulés dans un contexte opérationnel complexe du fait notamment “de la radicalisation de certaines franges protestataires et de la médiatisation permanente de leur activité”.

S’agissant de la médiatisation, il est cependant indispensable de comprendre que le maintien de l’ordre dans sa réalité la plus large a basculé dans une nouvelle ère. La vulgarisation des moyens de communication, l’omnipotence des réseaux sociaux, le poids des chaînes d’information continue génèrent aujourd’hui un nouveau champ d’affrontement qui relève de la guerre de l’information, sur fond de défi des perceptions qui conditionne un politique hyper-sensible à l’état de l’opinion. La médiatisation est directement instrumentalisée à des fins de mise en cause systématique des forces de l’ordre, dans un contexte de plus en plus judiciarisé et conditionné par des nouveaux acteurs tels que le Défenseur des droits. Ces mises en cause peuvent s’inscrire dans une stratégie très élaborée de déstabilisation du pouvoir en place et des institutions, voire servir de catalyseur à des affrontements de grande ampleur.

Un manifestant équipé d’un chalumeau incendie un fourgon de Gendarmerie (photo ministère de l’Intérieur)

Cette mutation modifie profondément la conception d’une manœuvre. Désormais, à l’effet majeur sur le terrain physique, s’ajoute celui sur le terrain politico-médiatique alimenté par l’action potentielle en justice. L’exemple des affrontements à Sainte-Soline est en l’illustration marquante.

Cette guerre de l’information exige une maîtrise parfaite du métier à tout niveau. Celui tactique étant par nature celui engagé dans l’action de force est de toute évidence le plus exposé. 

Les forces de l’ordre doivent, en conséquence, disposer d’une doctrine et d’équipements pour se prémunir de ces nouvelles menaces très structurées. Sans évoquer un vacillement passager du politique.

Au niveau individuel, la mise en cause est de plus en plus redoutée. Tout doit être mis en œuvre pour la sécurité juridique des personnels.

Le référencement de manœuvres communication-médias, de captation et d’exploitation des images (création d’une division image dans l’organigramme opérationnel pour les opérations d’envergure), de police judiciaire (concept de la PJ de l’avant avec des personnels formés à l’exercice spécifique de cette mission dans un environnement de MO/RO) dans l’instruction n°200000/GEND/DOE/SDEF/BSOP du 26 juillet 2022 relative à la gestion de l’ordre public par les unités de la Gendarmerie nationale, participe bien de cette nécessaire montée en puissance.

Pour revenir au contexte opérationnel, pour complexe que soit la gestion de certaines manifestations marquées par des violences, tant en milieu urbain que rural, sachant qu’elle est toutefois facilitée par l’intégration des drones (capacité d’anticipation sur les manœuvres de l’adversaire, facilitation dans la concentration des efforts, bascule de forces…), là n’est pas le plus grand défi qui attend les forces mobiles. Sous réserve, j’y reviendrai en évoquant la doctrine, de redonner aux UFM une capacité effective de maintenir à distance (minimum 30 mètres) des manifestants violents.

La Cour des comptes, tout en évoquant les dernières émeutes de l’été 2023, ne prend pas suffisamment en considération l’état réel d’une France confrontée au séparatisme, aux confrontations culturelles, à la sédition de territoires, à l’émergence de réseaux criminels (notamment les narco-trafiquants) de plus en plus puissants comme l’ont évoqué récemment des magistrats marseillais.

La préservation de la cohésion de la Nation, de sa souveraineté et du pacte social fondé sur les valeurs républicaines, obligeront le politique à assumer la confrontation avec des moyens appropriés et dans un cadre maîtrisé. Ce qui ne serait évidemment pas le cas si le peuple, fataliste, décidait à se substituer à la puissance publique.

Si les forces territoriales, pour autant qu’elles soient encore réellement présentes dans tous les territoires, assurent la sécurité du quotidien, laquelle constitue la fonction socle de la mission globale de sécurité, elles ne sont pas en mesure aujourd’hui de régler seules les nouvelles problématiques sécuritaires.

Dans l’immédiat, ne serait-ce que pour rassurer l’opinion, des déploiements d’envergure à haute visibilité, sont nécessaires. Lesdites opérations “Place nette”, qui comprennent toutefois un volet judiciaire non négligeable, participent de cette politique.

Ces opérations qui interviennent dans des environnements hostiles nécessitent l’engagement de forces mobiles telles que la gendarmerie mobile et les CRS.

La gendarmerie mobile constitue l’élément naturellement consacré à l’engagement d’envergure de haute intensité sur le territoire national

Cependant, la reconquête effective et durable ce certains quartiers – qu’il faut plutôt considérer comme des territoires de plus en plus étendus – va se traduire par des manœuvres d’ampleur, intégrant de nombreux acteurs, mais dont le noyau dur et la masse seront constitués de forces mobiles, aptes à gérer l’affrontement avec des groupes armés. Il serait intéressant dans cette perspective de connaître les limites d’engagement des CRS qui disposent certes de sections de protection et d’intervention de 4e génération (SPI 4G), pourvus d’équipements de protection durcie. 

Composante d’une force armée, imprégnée d’une culture d’emploi de la force graduée et proportionnée, disposant de blindés et d’appuis aériens, la gendarmerie mobile constitue l’élément naturellement dédié à l’engagement d’envergure de haute intensité sur le territoire national.

Sans qu’il y ait une quelconque confusion avec l’armée de terre, qui est l’ultima ratio, l’essence et la culture militaire de la Gendarmerie, et plus particulièrement de la gendarmerie mobile, lui confèrent des compétences en matière de planification, de conduite des opérations, et d’évolution sur le terrain qui procèdent des principes de manœuvres de l’infanterie motorisée et de la cavalerie. Soyons cependant honnêtes. Les nouvelles orientations, initiées au plus haut niveau de la Gendarmerie, de remilitarisation et de renforcement des capacités opérationnelles avec l’appui de l’armée de Terre, révèlent bien que depuis une vingtaine d’années, la haute hiérarchie gendarmique, sans doute inspirée par l’air du temps, avait délaissé ce qui constitue des atouts majeurs pour permettre à la Gendarmerie d’agir sur l’ensemble du fameux spectre Paix-Crise-Guerre.

Plus que jamais, la Nation attend des officiers de Gendarmerie qu’ils soient des chefs militaires et non des copies d’énarques

La formation doit en conséquence être axée sur le retour de ces compétences militaires, sans évoquer bien évidemment le savoir être premier. Ceci avait été la mission qui m’avait été assignée par le général Rolland Gilles, alors DGGN, alors que je prenais en 2009 les fonctions de sous-directeur des compétences. S’agissant des élèves sous-officiers, le concept pédagogique avait alors été structuré autour d’un objectif comportant trois strates : densifier l’individu-citoyen, construire le soldat au travers d’un “ mini-Coëtquidan” de trois mois inspiré de la formation élémentaire toutes armes (Fetta), et sur ces bases indispensables former le gendarme (“bleuir”).

Concernant les élèves-officiers, s’il était nécessaire de bien positionner les futurs cadres de la Gendarmerie dans la haute fonction publique, il ne saurait être question qu’ils se confondent avec des cadres civils. Plus que jamais, la nation attend des officiers de Gendarmerie qu’ils soient des chefs militaires et non des copies d’énarques.

En termes d’acquisition d’une capacité à évoluer dans un contexte très dégradé, la mise en condition avant projection (MCP) pour les escadrons déployés en Afghanistan entre 2009 et 2014 a démontré alors la pleine aptitude de la gendarmerie mobile à recouvrer globalement sa culture opérationnelle héritée de la garde mobile, et éprouvée lors de nombreux engagements extérieurs, mais aussi sur le territoire national en Guyane ou à Mayotte.

Compte-tenu de l’évolution du contexte opérationnel spécifique à la gendarmerie mobile, la Gendarmerie selon la Cour des Comptes a procédé “à la mise en place d’un plan d’entraînement à l’aguerrissement sous le feu des escadrons de gendarme mobile ”.

Gendarmes du PSIG d'Ambérieu en Bugey lors d'un entraînement avec l'armée de Terre à la Valbonne (Photo DC/LVDG)

Très curieusement, cette juridiction objecte que “sans contester le diagnostic sécuritaire sur lequel il s’appuie, cet aguerrissement coûteux en équipement mais aussi en formation peut poser question”.

Soyons clairs. L’acquisition de cette capacité a toujours fait l’objet d’exercices spécifiques, notamment au sein du Centre National d’Entraînement des Forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier qui vont d’ailleurs être densifiés. Il est en effet indispensable qu’elle soit renforcée, ne serait-ce que pour mieux garantir la sécurité des militaires engagés dans des opérations en situation dégradée.

Elle renvoie de surcroît à la vocation même de la Gendarmerie, force armée tel que rappelée dans la loi du 3 août 2009, d’agir en toutes circonstances. Les magistrats de la Cour des comptes souhaiteraient-ils que ce soient des régiments d’infanterie qui soient désormais engagés sur le territoire national pour assurer des missions relevant de la sécurité intérieure ? En outre, faut-il rappeler également le rôle de la gendarmerie en DOT ?

Enfin, en termes de coûts, alors qu’il s’agit de dépenses visant à protéger les populations et à préserver la cohésion de la Nation, la Cour des comptes ne pourrait-elle pas fort opportunément s’intéresser à des dérives majeures comme celles induites par l’accueil totalement non régulé de mineurs non accompagnés.

Les modélisations militaires seront également indispensables pour conduire, sur de vastes zones, la lutte contre l’immigration illégale

En termes de génération de forces, la structure du GTG (Groupement Tactique Gendarmerie dérivé des états-majors des groupements de gendarmerie mobile) dit augmenté (une autre dénomination pourrait être judicieusement trouvée à l’instar des EGM baptisés Escadrons Guépard qui bénéficient d’une formation durcie) a vocation à devenir la composante noyau pour la mise en œuvre d’opérations d’envergure. Inspiré du concept des GTIA (groupement tactique interarmes), il constitue le premier niveau permettant d’assurer une cohérence tactique. Engerbant un volume donné d’EGM, le GTG a ainsi vocation à intégrer l’ensemble des savoir-faire nécessaires (renseignement, composante blindée, moyens aériens, éléments GIGN, franchissement…) pour les déploiements opérationnels les plus exigeants. Bien évidemment, adaptées à la gestion de manifestations très violentes, ces structurations seront indispensables pour des opérations en situation de haute intensité s’agissant par exemple du démantèlement de réseaux criminels. Les modélisations militaires seront également indispensables pour conduire, sur de vastes zones, la lutte contre l’immigration illégale. Dans ce cadre notamment, il importera de donner aux forces mobiles une autonomie d’action suffisante, qui ne saurait porter préjudice aux services spécialisés tels que la Direction nationale de la police aux frontières (DNPAF).

Le contexte opérationnel actuel et à venir oblige donc à ne plus affecter les forces mobiles à des missions éloignées de leurs compétences spécifiques, comme c’est le cas s’agissant de la garde des centres de rétention administrative (CRA), comme à ne plus les consommer inutilement dans des dispositifs de maintien de l’ordre souvent surdimensionnés au regard de la menace existante, et bien évidemment à renforcer leurs effectifs.

2. “Une nouvelle doctrine de maintien de lordre, qui na pas bouleversé le cadre de gestion des forces mobiles

L’élaboration du Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) doit certes être comprise par rapport à un contexte opérationnel marqué par la généralisation des réseaux sociaux, l’irruption de manifestations non encadrées et parfois non déclarées. Mais elle a également répondu à la nécessité d’adresser un message à une opinion publique choquée par des dérives nombreuses en matière d’usage des armes, le Lanceur de balles de défense (LBD) principalement, et déboussolée par des échecs opérationnels comme rarement la capitale en aura connus dont en premier lieu le saccage de l’Arc de triomphe, le 1er décembre 2018.

Comme le souligne le rapport, le SNMO s’est traduit par des mesures intéressantes portant notamment sur une meilleure compréhension des sommations, une meilleure définition des différents acteurs ayant à intervenir dans la direction et la conduite de la manœuvre, une amélioration des relations entre les forces de l’ordre et les organisateurs, par la mise en place d’équipes de liaison et d’information (ELI), la systématisation d’un superviseur auprès de l’utilisateur d’un LBD…Les dispositions du SNMO qui constitue un document cadre, de portée générale, ont été intégrées dans l’instruction 200 000 citée supra, au contenu nécessairement beaucoup plus détaillé et constituant un véritable corpus doctrinal. Pour l’information du lecteur, cette Instruction “concerne donc l’ensemble de la Gendarmerie nationale, dans toutes ses dimensions et composantes. Elle constitue le référentiel unique, synthétique, pratique et évolutif de la manière dont les unités territoriales et les forces mobiles de la gendarmerie nationale assurent la gestion de l’ordre public, dans les territoires et les agglomérations. Elle articule le spectre des opérations d’ordre public autour de trois typologies d’engagement (maintien de l’ordre, rétablissement de l’ordre, violences urbaines), redéfinit le régime d’emploi des unités de la gendarmerie mobile, supprime les formats d’engagement préexistants, trop rigides, précise les modalités de la génération de force de la gendarmerie départementale, de la gendarmerie mobile et de leurs appuis, rappelle l’encadrement des principes de réversibilité et de sécabilité…”.

Cependant, sur les aspects fondamentaux, la Cour des Comptes livre une lecture approximative du SNMO et au-delà du MO quand elle déclare : “ l’une des principales nouveautés du SNMO est l’affirmation des grands principes tactiques. Ainsi, le maintien à distance, la mobilité et la réactivité sont désormais les principes cardinaux en la matière”. Cette analyse est assez éloignée de la lettre et de l’esprit du SNMO qui reste fidèle à la culture française du MO.

Trois principes fondamentaux du maintien de l’ordre français

Le SNMO rappelle en effet que les trois principes fondamentaux du maintien de l’ordre français dont la conjugaison doit permettre d’atteindre l’effet final recherché, soit de favoriser le retour à la normale pour promouvoir un règlement négocié des conflits fondés sur le dialogue, sont :

premièrement l’engagement privilégié de forces spécialisées (les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et les compagnies républicaines de sécurité) disposant d’une solide culture professionnelle spécifique (le MO est un métier), ce qui fait écho aux dysfonctionnements majeurs imputables à des unités de circonstance, non formées et sous encadrées, initiées sous l’autorité du préfet Delpuech ;

deuxièmement, l’emploi de la force strictement nécessaire qui, relevant des principes de proportionnalité et d’absolue nécessité rappelés dans l’article R 211-13 du CSI, doit permettre de prévenir un esprit de vengeance chez les manifestants. Le respect de ce principe est largement conditionné par la possession d’une grande pratique du maintien de l’ordre, et d’une formation à cette mission ;

le maintien à distance qui permet d’éviter le contact direct, soit le corps à corps, avec toutes ses conséquences en termes d’augmentations de dommages corporels de part et d’autre.

S’agissant des principes d’emploi, il est utile de rappeler qu’ils ont été initiés dans la foulée de la création de la garde mobile, la France, pays marqué par une culture de la manifestation violente, ayant alors été le premier pays à opter pour la spécialisation de forces dans le domaine du maintien de l’ordre. Ainsi, dès 1928, des officiers de Gendarmerie (dont le lieutenant Favre) animent une réflexion de fond sur le maintien de l’ordre qui est notamment publiée dans la toute récente Revue de la Gendarmerie. Présentant le gendarme comme le défenseur d’une démocratie garante de l’ordre public, ils s’intéressent à la psychologie des foules, fixent de nouvelles tactiques d’intervention qui reposent sur des techniques professionnelles spécifiques, promeuvent des innovations techniques dont l’emploi des gaz lacrymogènes et développent le principe des Retex en observant les situations à l’étranger. Ils insistent notamment sur l’importance de la fonction de renseignement et l’adaptation continue aux modes d’action de l’adversaire.

Le SNMO évoque toutefois “une exigence de plus forte réactivité et mobilité afin de mettre un terme aux exactions, en recourant notamment à des unités spécialement constituées disposant de capacités de mobilité élevées”.

Cette exigence est fondée mais elle a toujours fait partie du corpus doctrinal tant des GM que des CRS.

Les configurations de base, à dominante statique, conformes au principe du maintien à distance, n’ont jamais été exclusives d’actions offensives chirurgicales, voire d’envergure.

Les stages dénommés PECO (Perfectionnement et évaluation de  la capactité opérationnelle) mis en œuvre au sein du CNEFG ont toujours inclus des mises en situation inspirées de cas concrets et nécessitant des modes d’action offensifs, ce au niveau du Peloton d’intervention (PI) mais aussi au niveau d’un EGM voire d’un GTG.

Différents maux qui caractérisaient alors la gestion du MO dans la capitale et qui avaient régulièrement été signalés tant par la DGGN que par les CRS

Le manque de réactivité, de mobilité lors notamment des opérations de MO durant la crise des gilets jaunes a procédé non d’une lacune doctrinale mais surtout de différents maux qui caractérisaient alors la gestion du MO dans la capitale et qui avaient régulièrement été signalés tant par la DGGN que par les CRS. En la matière, avaient été pointés :

l’hyper-centralisation de la manœuvre à partir de la salle de commandement renvoyant à un manque de subsidiarité, donc de prise d’initiative. Je rappelle par expérience qu’une situation peut basculer en quelques minutes et exige donc une réaction quasi instantanée ;

l’hétérogénéité des dispositifs déployés mêlant pêle-mêle des unités de différentes institutions :

un manque de coordination, caractérisé notamment par l’irruption en pleine manœuvre d’unités telles que les BRAV, au demeurant lors de leur déploiement initial sans culture de MO et sous-encadrées ;

la non-implication en amont dans la préparation de la manœuvre des commandants des forces publiques de niveau groupement ( GM, CRS)…;

la systématisation de dispositifs trop encadrants dont parfois un usage dénué de sens de la dite nasse ; etc..

Au-delà des préconisations du SNMO, et d’une prise de conscience au plus haut niveau de l’Etat des imperfections constatées durant la crise des gilets jaunes, il faut prendre en considération l’importance déterminante de l’élément humain dans le cours de l’histoire.

L’arrivée du préfet Laurent Nunez à la tête de la préfecture de police a marqué un changement radical, au sens positif du terme, qui tient en partie à sa propre personnalité.

L’exemple des GAP (Groupes d’appui projeté) ou de GTT (Groupes tactiques temporaires), composés de façon homogène, soit de gendarmes mobiles (issus principalement de PI) soit de CRS, tous des professionnels du MO, était attendue. Cette mesure a pu déboucher par une meilleure écoute des professionnels du MO, dont les chefs de haut niveau sont très étroitement impliqués dans la préparation des opérations avec la DOPC. L’emploi de ces dispositifs bien dimensionnés, alliant puissance et rapidité d’action, est optimisé par une conception de manœuvre qui s’appuie sur des bascules de forces procédant du principe de concentration des efforts. Evoluant dans le cadre d’une manœuvre de jalonnement dynamique, pré-positionnés dans des points clés du terrain, à proximité de lieux sensibles ou favorables à l’action adverse, ces dispositifs très réactifs permettent évidemment de moins recourir à des dits “flanc-gardage » massifs et très encadrants, type de manœuvre qu’il ne faut cependant pas exclure en présence d’activistes nombreux et potentiellement très violents.

Le recours à des actions offensives, qu’elles soient ponctuelles ou massives, doit cependant être assumé à tout niveau.

S’il s’impose dans certaines situations – des violences graves et des dommages matériels importants ne sauraient être tolérés dans un Etat de droit -, il expose en effet davantage les forces de l’ordre à l’impact médiatique et à la mise en cause.

Le cas de Sainte-Soline en mars dernier est de ce point de vue significatif. Caractérisé par un dispositif défensif à dominante statique, le dos à la clôture même de la bassine, l’unique intervention vers l’avant d’un Peloton motorisé d’interception et d’interpellation (PM2I) de la Garde Républicaine équipé de quads, conjugué à un usage de LBD, a été exploité par une certaine presse et a provoqué un certain flottement au niveau politique, heureusement vite dissipé. Est à noter que l’action de ce seul PM2I a permis de surprendre et de désorganiser l’adversaire, au demeurant structuré de façon quasi-militaire, pendant un temps suffisant pour permettre à ligne d’arrêt de se réorganiser. Plus que jamais, la manœuvre au MO/RO relève de la combinaison entre “le feu” et le mouvement.

Les questions récurrentes de la réversibilité missionnelle et de la sécabilité des unités

La Cour des comptes aborde également les questions récurrentes de la réversibilité missionnelle et de la sécabilité des unités, mentionnées dans l’instruction commune d’emploi des forces mobiles de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale du 29 décembre 2015, considérant que ce document en propose une version trop rigide. Elle propose donc que ce document soit révisé dans le sens d’une plus grande souplesse.

Les notions de service d’ordre et de sécurisation sont des notions non définies

Passons donc en revue cette instruction. Tout d’abord des premières observations qui pourraient être prises en considération pour l’évolution de ce texte : tout d’abord des premières observations qui pourraient être prises en considération pour l’évolution de ce texte : 

  • la notion de service d’ordre est une notion non définie en dehors du champ des SOI (services d’ordre indemnisés) ;
  • la notion de sécurisation est également non définie. En fait, elle recouvre les renforts des forces mobiles aux unités territoriales dans le champ de la sécurité publique ;

s’agissant des missions de sécurisation, l’article 8 de la dite instruction précise qu’elles “sont assurées par les forces mobiles prioritairement dans leur zone de compétence respective”, soit les CRS en Zone de compétence police nationale (ZPN), soit les EGM en zone de compétence gendarmerie nationale (ZGN). Or, cette disposition, tombée en désuétude, mériterait d’être réaffirmée et ainsi devenir effective ;

  • la priorisation de la mission de maintien de l’ordre public sur les deux missions citées supra devrait être clairement posée (c’est le vœu logique de la Cour des Comptes rappelant la vocation première des UFM, quand bien même elles constituent une réserve générale à disposition du gouvernement). 

Concernant la réversibilité opérationnelle – ou plutôt la réversibilité missionnelle – ce qui est plus exact -, elle est définie dans l’instruction 200000 comme “la capacité d’une UFM à passer d’une mission de maintien de l’ordre public à une mission de sécurisation, pour faire face à une situation dépassant les capacités des unités territoriales lorsqu’elles sont pleinement mobilisées”. Le texte précise également que “le principe de la réversibilité missionnelle est mis en œuvre :

après remise en condition de l’unité et réalisation du trajet jusqu’au nouveau lieu d’emploi ;

pour une durée minimale de deux heures sur le nouveau lieu d’emploi ;

dans les limites horaires du service initialement prévu ;”.

Cependant, l’inverse, soit la réversibilité missionnelle de la sécurité publique vers le maintien de l’ordre, prônée par la Cour des Comptes, se heurte à de telles contraintes qu’elle doit relever d’une mesure exceptionnelle.

En effet, alors que les UFM sont quasiment systématiquement engagées sur de vastes territoires, articulées en DSI (Détachement de surveillance et d’intervention), se pose la première difficulté de reconstituer l’unité. Ensuite, il s’agit de l’équiper (perceptions des équipements de maintien de l’ordre, des dotations de grenades…et de réarticuler l’unité en fonction de la mission de MO/RO  qui se présente et de son environnement (Type de mission, durée, nature de l’adversaire…).

S’agissant de la sécabilité, quitte à décevoir les magistrats de la Cour des Comptes, il convient enfin d’en finir avec ce qui relève d’une véritable intrusion dans le domaine relevant du commandant de la force publique, lequel doit conserver la capacité dans l’exécution de la mission confiée de décider de l’articulation opérationnelle de son unité et des modes d’action.

Rappelons que l’effectif moyen d’un escadron au maintien de l’ordre, sur le terrain, est de soixante militaires. Une certaine modularité peut toutefois être envisagée par le commandant de la force publique, selon la nature de la mission et de l’environnement opérationnel (violences urbaines…), mais en conservant la capacité de réarticuler son dispositif à tout moment. Désormais un commandant d’unité peut communiquer sur l’effectif dont il dispose mais il n’a pas à préciser le nombre de pelotons engagés.

Ceci doit être clairement rappelé aux commandants d’unité en se fondant sur les prescriptions de l’instruction 200000, où l’on retrouve l’esprit de l’Instruction interministérielle IMM n°500/SGDSN/MPS/OTP du 9 mai 1995 relative à la participation des forces armées au maintien de l’ordre (IPFA 500), texte qui a longtemps encadré l’engagement de la Gendarmerie au maintien de l’ordre avec des principes clairs en termes de définition des rôles et responsabilités de chaque acteur : 

“ 1.4.3. La direction opérationnelle des UFM

Dans le respect des directives et des mesures prises par le ROP, le DSO ou le CSO, le CFP commande et conduit la manœuvre de l’unité ou des unités placées sous ses ordres, en particulier :

  • en engageant librement les moyens et l’effectif adaptés à la réalisation de la mission, en fonction des éléments de contexte et d’adversité potentielle communiqués par son autorité d’emploi ;
  • en articulant librement son dispositif, à tout moment de la manœuvre, en coordination étroite avec les unités limitrophes le cas échéant.

Pour rappel, cette question très sensible n’est pas nouvelle et avait déjà fait l’objet d’une clarification. Ainsi, le DGGN et le DGPN avaient explicitement et conjointement écrit au ministre sur ce sujet : Note MININT conjointe DGGN- DGPN n°63-184 GEND/CAB et 3683A DGPN/CAB du 31 juillet 2017 :

“Pour des raisons de sécurité, la sécabilité des unités doit être exceptionnelle et relève de la responsabilité du commandant d’unité en fonction de la mission reçue et de la situation à laquelle il est confronté”.

Je n’épiloguerai pas sur le passage concernant le concept de la désescalade.

Les gendarmes mobiles et les CRS n’ont pas attendu les policiers belges et allemands pour inscrire leur action dans le souci permanent de favoriser le retour au calme par le dialogue avec les organisateurs et les manifestants (certes facilité par certaines dispositions du SNMO) une capacité d’absorption de la violence adverse, et un emploi de la force strictement nécessaire.

De surcroît, la radicalisation des manifestations depuis les affrontements violents survenus à Hambourg en juillet 2017, qui ont sidéré les forces de l’ordre, et certains grands désordres ayant eu lieu en Belgique, et notamment à Bruxelles, ces dernières années, ont démontré dans certaines situations les limites de ce principe.

3. Une implantation territoriale qui devrait être réexaminée, à l’occasion de la création de nouvelles unités de forces mobiles

La carte des casernements permanents, qui est le fruit de l’histoire des mouvements sociaux, n’est plus adaptée aux besoins territoriaux d’emploi des forces mobiles […] une réflexion globale sur la politique immobilière des forces mobiles apparaît donc nécessaire”.

Cette assertion des magistrats financiers appelle plusieurs commentaires. Tout d’abord, même si Paris concentre la majorité des manifestations et demeure le centre de gravité politique, économique…dont il faut impérativement garantir la stabilité,

on assiste sur fond de séparatisme, de montée de la violence globale et de structuration de la délinquance organisée à un besoin croissant d’interventions d’UFM sur l’ensemble du territoire. Il faut également mentionner sur les frontières la lutte contre l’immigration clandestine (LIC), qui va être croissante, ainsi que, s’agissant de la gendarmerie, le déploiement permanent d’une vingtaine de ses escadrons outre-mer et en Corse.

Les critères relatifs à l’implantation territoriale doivent donc permettre de pouvoir rapidement intervenir sur les grands bassins de population, sachant que Paris dispose déjà à proximité immédiate de deux groupements de gendarmerie très étoffés, le GBGM (Groupement blindé de la gendarmerie mobile) basé à Satory, et qui constitue la capacité nationale de réaction rapide de la composante blindée de la gendarmerie, et le groupement II/1 dont l’état-major est implanté à Maisons-Alfort.

Cependant, l’on peut s’interroger sur les choix de dissolution d’escadrons qui ont été privilégiés à partir de 2011 dans le cadre de la fameuse RGPP, alors que ces unités disposaient de casernements en bon état, dont certains très récents comme celui de Narbonne, implantés dans des bassins de population permettant un accès aisé à l’emploi pour les épouses et compagnes des militaires, offrant la proximité d’universités pour les études supérieures (Nantes, Rennes…). Curieusement, fut proposée une liste d’unités sises dans des communes gérées par l’opposition du moment…

S’il y a une réforme à faire, tout en considérant que des villes moyennes s’attacheront à ne pas perdre leur escadron ou leur CRS, c’est de favoriser progressivement des regroupements d’unités de façon à mutualiser les soutiens, à permettre aisément des renforcements mutuels, à mieux structurer la formation…selon l’exemple très réussi du regroupement de trois unités à Sathonay-Camp. Soit le principe de “structures régimentaires”.

Concernant les hébergements, si des structures bien adaptées sont disponibles en région parisienne, en Corse et outre-mer, et que l’on doit prendre dans le reste du territoire toutes les dispositions requises pour offrir de bonnes capacités d’accueil,

il est important que la Gendarmerie continue de s’appuyer sur son essence militaire pour pouvoir être déployée partout et en toutes circonstances.

4. Des moyens humains et matériels à préserver, tout en renforçant la contribution de toutes les forces au maintien de l’ordre

La cour des Comptes met très justement l’accent sur l’importance de la formation. Alors que les contextes opérationnels se durcissent et sont très évolutifs, que l’on exige une parfaite maîtrise de l’emploi de la force, que les effectifs d’une unité de Gendarmerie sont quasi renouvelés en quatre ans, l’on constate depuis une dizaine d’années un ralentissement très net du rythme de passage des EGM au CNEFG.

Le passage des EGM tous les deux ans et demi au CNEFG doit donc redevenir la règle

Si le plan de charge du CNEFG s’est alourdi du fait des réformes d’ampleur portant sur la formation des futurs gradés de la GM, de la GR et des PSIG, réduisant de facto les créneaux dédiés au recyclage des EGM, ce sont surtout les décisions du niveau politique, avec des courts préavis, qui obligent la DGGN à démonter des stages, voire à réengager des unités alors qu’elles sont en formation.

Alors que les travaux du Beauvau de la sécurité avaient rappelé l’importance capitale de la formation, la réalité révèle que certains EGM ne sont pas passés à Saint-Astier depuis quatre ans. La question peut d’ailleurs être posée, en cas de défaillance individuelle ou collective, d’une responsabilité de l’Etat n’ayant pas assuré les conditions minimales de la formation.

Le passage des EGM tous les deux ans et demi au CNEFG doit donc redevenir la règle. De même, de façon ponctuelle, des entraînements communs avec des unités de la Police nationale (CRS et compagnies d’intervention) doivent être organisés pour conforter l’interopérabilité dans les segments opérationnels communs.

Nonobstant l’augmentation du nombre d’EGM (création de sept unités), il appartient au ministère de l’Intérieur et aux préfets de mieux dimensionner les dispositifs de maintien de l’ordre en fonction de la menace réelle, la tendance structurelle étant à la surconsommation d’UFM. Ceci impose bien évidemment de densifier le renseignement, mais également de mieux impliquer, en amont des évènements, des cadres de haut niveau tant de la GM que des CRS, à même de bien ajuster les effectifs requis, notamment en privilégiant des dispositifs manœuvriers. 

Fort justement comme l’évoque la Cour des Comptes, en cas de crise généralisée comme cela s’est révélé durant la crise des gilets jaunes, les UFM concentrées notamment dans la capitale et les métropoles ne peuvent couvrir tous les besoins opérationnels. 

Les forces territoriales doivent donc être mise à contribution. S’agissant de la Gendarmerie, les PSIG, sous réserve d’être formés aux techniques élémentaires du MO – rappelons toutefois que leurs gradés suivent désormais la même formation que leurs homologues de la GM et de la GR – et être mieux dotés, constituent la première réserve d’intervention. Unités dévolues à la surveillance, devant conserver impérativement une posture de contact avec la population, et à l’intervention du quotidien, elles ne sauraient toutefois être identifiées à des unités spécialisées au MO.

Cependant, la réflexion en termes de formation et de dotations doit concerner l’ensemble des unités de la gendarmerie départementale.

Comme cela a été démontré lors de la crise des gilets jaunes, notamment en Ardèche, en Côte d’Or et en Haute-Loire, ce sont des gendarmes départementaux, épaulés par des réservistes, qui, dans l’attente d’UFM ont été engagés en premier échelon face à des émeutiers très violents.

Par ailleurs, tant au regard de fragilités structurelles de notre nation que du contexte international qui oblige à réactualiser le concept de DOT, le questionnement actuel sur les capacités de la gendarmerie départementale est pleinement fondé.

On assiste à un désarmement continu des forces de l’ordre depuis 2014

S’agissant du maintien de l’ordre/rétablissement de l’ordre, la question des équipements est parfaitement posée par la Cour des comptes. Elle souligne en effet que “les forces mobiles sont ainsi soumises à deux injonctions contradictoires : d’une part, limiter le plus possible le niveau de blessure causée par les armements utilisés, et d’autre part continuer à maintenir à distance les manifestants pour éviter les violences les plus graves”. J’avais évoqué à l’issue de la dernière mobilisation à Sainte-Soline (manifestation non autorisée, violences paroxystiques contre les forces de Gendarmerie), dans ce même média, cette question désormais centrale.

En effet, on assiste à un désarmement continu des forces de l’ordre depuis 2014. Si je m’étais prononcé alors pour le retrait de la grenade offensive considérant que la GLI-F4 produisait un effet comparable, on l’a depuis retirée pour lui substituer la GM2L, laquelle fait désormais l’objet, par la directive N° 352 CAB/PHM du 1er juillet 2021, signée par le préfet Pierre de Bousquet, d’une interdiction de “lancer à la main…dans toutes les situations opérationnelles et quelle que soit l’unité concernée”.

Il en ressort, alors même que les adversaires disposent d’un arsenal d’armes, au sens de l’article 132-75 du Code Pénal, d’un déséquilibre, d’une asymétrie en défaveur des forces de l’ordre.

Après les retraits successifs des grenades à main offensive (OF), lacrymogène instantanée – F4 (GLI-F4) puis plus récemment, modulaire 2 lacrymogène (GM2L) à main, un trou capacitaire s’est progressivement mais durablement creusé au sein de l’équipement des forces de sécurité intérieure dédiées au maintien de l’ordre. Les grenades à main à létalité réduite et à effet sonore (ALR ASSD) et Sound (S) de chez Alsetex semblaient avoir été choisies pour combler ce dernier dans la bande d’engagement des 0 à 30 m mais acquises en urgence hors marché public, elle seront prochainement remplacées par la grenade à effet sonore brésilienne de marque Condor et de type GL 304. Cette arme de force intermédiaire est très attendue par les unités de maintien de l’ordre. Déflagrant à 160 db, elle présente la particularité d’initier sa chaîne pyrotechnique en deux temps et d’éjecter son bouchon allumeur à très faible énergie et à très courte distance ce qui réduit le risque de blessure collatérale. Pour autant, ne contenant pas de lacrymogène, contrairement à la grenade GM2L quelle remplace, cette carence risque d’être préjudiciable aux forces de l’ordre

S’agissant des lanceurs 56mm, serait en cours de finalisation l’expérimentation du lanceur multicoups 56 mm de marque TR équipement.

5. “Un renouvellement insuffisamment préparé du parc de blindés de la gendarmerie mobile

Alors que, après des années d’atermoiement, la Gendarmerie vient de renouveler son parc blindé, ce qui constitue un évènement majeur à mettre à l’actif du général Christian Rodriguez, DGGN, la Cour des comptes a formulé plusieurs objections qui sont révélatrices d’une méconnaissance de trois données fondamentales :

  • – le statut et la nature même de la Gendarmerie de “force armée”, et sa vocation opérationnelle à la fois globale et spécifique tels que définis dans l’article L.3211-3 de LOI n° 2009-971 du 3 août 2009 relative à la Gendarmerie nationale .  
  • – la réalité du contexte sécuritaire intérieur de la France tant en métropole qu’outre-mer caractérisé par un accroissement constant de la violence, les syndromes de partition et de fracture évoqués au plus haut niveau de l’Etat, et celle d’un environnement géopolitique de plus en plus déstabilisé. Mutations sur fond de “retour de l’histoire” qui conduisent aujourd’hui à revitaliser le concept de DOT (défense opérationnelle du territoire) et le rôle majeur de la Gendarmerie dans une telle configuration ;
  • – le constat concret de la Gendarmerie, de par ses atouts induits par sa nature et sa culture de force armée (robustesse, capacité sans équivalent de montée en puissance massive au sein de son ministère de tutelle…) de force à agir globalement sur le haut du spectre de crise comme le démontrent ses engagements récents tant en métropole qu’outre-mer, sans évoquer ceux à l’étranger (Afghanistan…).

Examinons maintenant le fond des six principales objections de la Cour des Comptes au sujet du Centaure en y répondant cas par cas.

Objection 1 de la Cour des comptes  : “Le contrat prévoit la livraison de 90 véhicules, dont 56 en métropole et 34 outre-mer, si bien que le plan d’équipement du nouveau véhicule d’intervention polyvalent de la gendarmerie (VIPG) , baptisé “Centaure”, correspond peu ou prou à un remplacement “un pour un” des VBRG actuellement en service, puisque 45 sont en métropole et 35 outre-mer.

La cible de 90 véhicules constitue le volume minimum pour permettre à la Gendarmerie de faire face à tous les scénarios opérationnels actuels et très probables, dans un futur proche, eu égard à l’évolution objective de notre pays.

Compte tenu de la situation structurelle de “l’outre-mer”, il est indispensable d’y déployer une trentaine d’engins (35 auparavant et 32 avec l’arrivée des Centaure), ce qui va stabiliser le parc disponible en métropole à hauteur de 58 engins. Dans l’hypothèse d’une opération de rétablissement de l’ordre d’envergure ou de violences urbaines limitées à quelques quartiers, il faut a minima envisager l’engagement d’une dizaine d’engins. Dans celle d’une crise généralisée de type insurrection de juin-juillet 2023, en tenant compte d’une extension quasi-certaine du phénomène (de par la mutation du “corps social”), d’une radicalisation des adversaires (montée en gamme de l’armement avec recours à des armes à feu…), de l’impératif de durcir la protection des centres de gravité politiques (Paris), énergétiques…et sous réserve d’opérer des bascules de force, le format 58 engins constitue un niveau minimum pour “l’assurance vie” de la nation. 

Objection 2 de la Cour des comptes : “ À son entrée en service, il sera le véhicule le plus polyvalent et le plus armé de tous les véhicules blindés en service dans les forces de maintien de l’ordre au sein des pays européens similaires à la France.

Le VIPG Centaure s’impose en effet, de par sa conception et ses innovations technologiques, comme un véhicule à la fois très novateur et particulièrement polyvalent, permettant à la Gendarmerie – force armée – d’agir sur l’ensemble du spectre opérationnel qui lui est dédié (situations très dégradées de type insurrectionnel, DOT, opérations extérieures…), et qui va au-delà de celui communément dévolu aux forces de police d’Europe. S’agissant des segments communs à “une force de police”, outre une meilleure protection des personnels indispensable face à la généralisation d’armes de guerre, il offre de nouvelles capacités en termes d’observation (caméras, capteurs), fort utiles notamment en terrain rural, ainsi qu’en localisation d’un tir permettant une riposte “chirurgicale” (système de détection acoustique de tir adverse).

Cependant, il est à noter que ce nouveau contexte sécuritaire conduit des forces de police européennes à se doter de véhicules blindés de gabarit et de niveau de protection équivalent (balistique, NRBC), toutefois en nombre limité. Tel est le cas de l’Allemagne avec l’adoption par la police fédérale et certaines polices de Länder du Survivor-R, véhicule blindé tout terrain construit par Rheinmetall MAN, la division véhicules militaires de la filiale poids lourds de Volkswagen, d’un coût de 1,2 millions d’euros, soit très supérieur au coût du Centaure (prés de 50%°). 

Objection 3 de la Cour des comptes : “un premier déploiement du Centaure (quatre véhicules) a été expérimenté dans l’urgence par la gendarmerie nationale à la fin du mois de juin 2023 dans le cadre des émeutes urbaines.

Le déploiement de quatre Centaure fin juin 2023 correspond certes au premier engagement opérationnel du VIPG, mais il ne saurait avoir ressorti à une expérimentation. Il a en effet été mis en œuvre par des unités du Groupement Blindé de Gendarmerie Mobile (GBGM) de Versailles-Satory, disposant, de par leur dotation en VBRG, de leurs engagements opérationnels constants, notamment Outre-mer, et de leur montée en puissance (entraînements…) de toute la compétence requise pour procéder à ce premier déploiement. S’agissant des  “expérimentations”, elles se sont déroulées dans des infrastructures adaptées telles que le Centre National d’Entraînement des forces de Gendarmerie (CNEFG) de Saint-Astier au sein duquel s’effectue également la formation de l’ensemble des EGM à l’intervention couplée avec des véhicules blindés.

Objection 4 de la Cour des comptes : « Cette rapidité excessive a conduit, de l’aveu même de la gendarmerie, à omettre des besoins techniques importants relatifs notamment au maintien en condition opérationnelle des véhicules.

De toute évidence, le véhicule Centaure correspond de façon remarquable au besoin exprimé par la Gendarmerie tel que formulé dans le cahier des charges établi, ceci d’autant si l’on prend en considération les temps impartis et les effectifs dédiés. Depuis la notification du marché, et disposant de contacts étroits avec l’industriel, j’ai pu observer les demandes formulées par la Gendarmerie en termes d’adaptations nécessaires, demandes qui n’ont pas modifié la nature du marché. C’est là, d’expérience, dans tout programme aussi important – voir à titre comparatif les programmes véhicules blindés de l’armée de terre -, chose normale. Concernant le maintien en condition opérationnelle, le choix d’un véhicule dérivé du modèle Arive produit à 2000 exemplaires, et conçu à partir de la base (châssis, propulsion…) d’un véhicule largement distribué dans le commerce, marque une volonté de bien maîtriser les coûts en terme de MCO (maintien en condition opérationnelle), lequel sera en grande partie internalisé.

Objection 5 de la Cour des comptes : « Le choix d’une cible d’équipement à 90 véhicules garantissant un remplacement un pour un des VBRG interroge aussi, dans la mesure où les surcroîts de polyvalence impliquent souvent une réduction des flottes de grands systèmes militaires (exemple du Rafale ou des frégates multi-missions). (…) Le concept d’emploi définitif du véhicule ne date que du 14 décembre 2023. La conception du Centaure et sa spécification technique ont ainsi précédé la définition de son usage.

Le besoin du remplacement du VBRG a été identifié dès les années 2000, alors que cet engin avait déjà une trentaine d’années. Il avait en effet été mis en dotation en 1974 comme véhicule spécifique aux opérations de rétablissement de l’ordre, pour mieux répondre notamment à des crises de type Mai 68. Le volume alors livré avait porté sur 155 engins, alors même que la Gendarmerie disposait d’un important parc “kaki” composé de 90 Auto-mitrailleuses Panhard (AML 60 équipées de mortier de 60 mm et AML 90 équipés de canon de 90 mm, et toutes deux de mitrailleuses type AA52 de 7,5 mm), complété (au sein du GBGM) de 28 VBC 90G.

Tous ces véhicules blindés (au sens de véhicules disposant d’une protection balistique et de systèmes d’arme par opposition aux véhicules protégés qui en sont dépourvus), ont été retirés sur fond de l’illusion des “dividendes la paix” consécutifs à la chute du mur de Berlin, mais aussi à une dérive de la Gendarmerie vers le concept d’une force de police initiée par une partie de la haute hiérarchie de cette institution. Pour être concret, la Gendarmerie disposait alors d’environ 270 véhicules blindés, pour la moitié lourdement armés, ce qui devrait éclairer la Cour des Comptes sur la justesse du format à 90 Centaure.

En charge du bureau défense de la DGGN au début des années 2000, agissant en liaison avec les autres bureaux ayant à connaître de ce dossier, j’avais été conduit à exposer ce besoin du remplacement du VBRG en mettant en avant :

la pleine pertinence du spectre paix-crise-guerre dévolu à la Gendarmerie ;

sa compétence sur 95% du territoire ;

ses engagements opérationnels du moment en situation dégradée dont ceux en opérations extérieures ( Ex-Yougoslavie, zone qui ne saurait d’ailleurs être vraiment stabilisée) et en outre-mer;

l’évolution du contexte opérationnel en sécurité intérieure (prévision des émeutes urbaines, processus de fracturation culturelle, recours croissant aux armes à feu…), évolution qui a intégré depuis quelques années la traque de forcenés, les interventions en police judiciaire contre des gangs armés…

L’identification du besoin s’était logiquement traduite par l’évolution des entraînements au sein du Cnefg, s’agissant de l’emploi des VBRG. Les principes d’emploi des blindés étaient déjà bien formulés. À l’aune de l’évolution du contexte opérationnel décrit supra, et des recommandations du SNMO, en s’appuyant sur la culture bien ancrée de la composante blindée de la Gendarmerie, un concept d’emploi provisoire des Centaures (circulaire provisoire n°45 du 22 juin 2023 relative à l’emploi du véhicule d’intervention polyvalent de la Gendarmerie) a été rédigé, débouchant sur la nouvelle circulaire n°45/GEND/DOE/SDEF/BSOP/DR du 14 décembre 2023 relative à l’organisation et à l’emploi de la composante blindée de la Gendarmerie nationale.

Objection 6 de la Cour des comptes : les autres forces, à commencer par la Police nationale, n’ont pas exprimé un intérêt particulier pour l’usage de ce véhicule

Les retours des policiers contredisent l’avis des rapporteurs de la Cour des Comptes. La composante blindée de la Gendarmerie, de par ses capacités et sa grande souplesse dans ses modalités d’emploi, est bien perçue comme un atout précieux tant au profit des UFM (CRS, Compagnies d’intervention) que par les unités territoriales.

Un des deux Centaure engagés à Grigny (Photo Gendarmerie Nationale/LVDG)

En témoigne le déploiement récent de deux Centaure pour la protection du commissariat de la Courneuve, le 18 mars 2024, après qu’il ait été attaqué par des bandes d’émeutiers. S’agissant du maintien de l’ordre ou son emploi lors des récents mouvements des agriculteurs, son engagement a souvent été déterminant, aussi bien en terrain rural qu’urbain. L’accueil à Saint-Astier, de cadres de la Police nationale, notamment des CRS, sera mis à profit pour leur permettre de mieux bénéficier de l’appui des Centaure, en particulier dans le cas de violences urbaines.

Les 6 recommandations de la Cour des comptes

Recommandation n° 1. (DGPN, DGGN) : mettre à jour l’instruction commune DGPN– DGGN du 29 décembre 2015 sur les conditions d’emploi des unités de forces mobiles, pour tenir compte de la modification du schéma national de maintien de l’ordre.

Recommandation n° 2. (DGPN, DGGN) : renforcer les effectifs de l’UCFM et mener à bien la modernisation de l’application de coordination des forces mobiles avant l’été 2024, afin de développer la capacité d’analyse des besoins réels en UFM.

Recommandation n° 3. (DGPN, DGGN) : affecter en priorité les renforts d’effectifs aux unités existantes pour permettre de constituer des unités à quatre sections ou pelotons.

Recommandation n° 4. (DGPN, DGGN) : n’affecter les forces mobiles à des missions éloignées de leurs compétences spécifiques qu’en l’absence d’alternatives et lorsque la mission revêt un caractère prioritaire.

Recommandation n° 5. (DGPN, DGGN, SG MININT) : définir un plan de réallocation des cantonnements des forces mobiles plus adapté aux besoins actuels en termes de maintien de l’ordre.

Recommandation n° 6. (DGGN, DGPN, PP) : poursuivre l’effort de mutualisation des entraînements entre CRS et gendarmes mobiles ainsi qu’entre les unités d’intervention et les forces mobiles.

« L’économie de guerre » : une comédie française

« L’économie de guerre » : une comédie française

OPINION – Face au conformisme de bon aloi du monde politico-médiatique qui prospère sur l’économie de guerre, le groupe de réflexions Mars estime que les gesticulations de l’exécutif ne sont que de la poudre de perlimpinpin. Car au niveau national, un déficit budgétaire est plus important que prévu avec un retour des coupes budgétaires en Europe dès 2025 à cause du nouveau pacte de stabilité auquel la France a dûment adhéré. Par le groupe de réflexions Mars.

« L'économie de guerre, c'est trois choses : des crédits, de l'argent et des fonds. L'économie de guerre, c'est la reconversion de la population active et la mobilisation de la population jusqu'alors inactive pour produire du matériel de guerre, c'est-à-dire des engins motorisés, des armes et des munitions » (Le groupe Mars).
« L’économie de guerre, c’est trois choses : des crédits, de l’argent et des fonds. L’économie de guerre, c’est la reconversion de la population active et la mobilisation de la population jusqu’alors inactive pour produire du matériel de guerre, c’est-à-dire des engins motorisés, des armes et des munitions » (Le groupe Mars). (Crédits : Eurenco)

Faut-il prendre pour argent comptant les chiffres et les affirmations d’un dossier de presse, quand, du point de vue de la réflexion stratégique, on tangente le zéro kelvin ? Il n’y a plus guère (plus guerre ?) que dans les tribunes de libres opinions que s’expriment, parfois, quand elles ne sont pas convenues, des idées, sinon nouvelles, du moins un peu stimulantes. Nous en retiendrons deux parues récemment dans la grande presse, sous la plume de deux commentateurs autorisés : Le diplomate Gérard Araud et le journaliste spécialisé des questions de défense Jean-Dominique Merchet.

Le premier parvient à élever le niveau de la réflexion stratégique en rappelant l’évidence que la France n’est pas en première ligne contre la Russie. Le second se hasarde à proposer des idées nouvelles sur le partage nucléaire. Ce faisant, les deux prennent le risque de heurter certaines convictions établies et de déplaire au petit monde politico-médiatique qui prospère sur un conformisme de bon aloi.

Car, évidemment, ces idées entrent avec difficulté dans le « plan com » (pour comédie) de l’exécutif sur « l’économie de guerre », dont on rappelle que le slogan a été lancé pour la première fois au salon Eurosatory en juin 2022, il y a près de deux ans, avec l’efficacité que l’on sait. Nul doute que le prochain salon donnera une nouvelle fois l’occasion à nos médias préférés d’emboucher les trompettes de Jéricho qui donneront l’illusion de faire trembler les murs du Kremlin. Mais tout cela n’est qu’illusion et poudre aux yeux, comme le titre justement l’hebdomadaire satirique Le Canard Enchainé. N’y a-t-il donc plus que le palmipède du mercredi dans le paysage médiatique français pour apporter un peu d’esprit critique à l’offensive médiatique du gouvernement sur « l’économie de guerre » ?

Entendons-nous bien. Il y a tout lieu d’applaudir la pièce de théâtre « Eurenco de Bergerac », et même de se tenir les côtes à lire sous certaines plumes renommées la confusion entre corps d’obus et affût de canon, charge militaire et poudre propulsive. Tout cela est plaisant. Nous nous montrerons à nouveau bon public quand tombera (pour Eurosatory ?) l’annonce officielle du retour en France de la production de munitions de petit calibre : la presse confidentielle a déjà vendu la mèche, si l’on ose dire. Ces annonces, qui ne se concrétiseront pas avant l’an prochain, sont de toute façon de bonnes nouvelles. Ne boudons pas notre plaisir. Mais ces mesures de bon sens, qui ne font que revenir sur des errements antérieurs, n’ont rien à voir avec l’économie de guerre.

Économie de guerre : des crédits, de l’argent et des fonds

Alors, à l’occasion de la publication du décret d’application d’une mesure législative de la LPM sur les réquisitions, on accroît l’intensité dramatique de la pièce avec une nouvelle formule magique : « pouvoir de police » ! On n’oublie simplement de dire que, si réquisition rime avec expropriation, il convient de ne pas les confondre, alors même que, dans les deux cas, il existe une contrepartie sonnante et trébuchante. Et surtout, à quoi servent ces « pouvoirs de police » quand il n’y a plus rien à réquisitionner ? Car pour qu’il reste des stocks intermédiaires ou de produits finis, il eût fallu que ces stocks fussent financés par l’État client. Mais cela fait belles lurettes que le « management par la performance » a vidé les stocks*. D’où la difficulté à aider l’Ukraine. Autrement dit, on amuse la galerie avec de la poudre de perlimpinpin quand il suffirait de décider d’augmenter les crédits destinés à la constitution de stocks.

Et voilà, le mot interdit est lâché : des crédits ! Bon sang, mais c’est bien sûr ! L’économie de guerre, c’est trois choses : des crédits, de l’argent et des fonds. L’économie de guerre, c’est la reconversion de la population active et la mobilisation de la population jusqu’alors inactive pour produire du matériel de guerre, c’est-à-dire des engins motorisés, des armes et des munitions. Et le débouché de toute cette production est assuré par les achats du gouvernement. Et quand on dit « achat », cela demande des fonds et des crédits, donc beaucoup d’argent public. Est-ce que la réduction envisagée de la durée du chômage indemnisé entre dans cette politique ? Il est permis d’en douter.

Au contraire, qu’observe-t-on « en même temps » ? Au niveau national, un déficit budgétaire plus important que prévu et « le retour des coupes budgétaires en Europe » (1) dès 2025 à cause du nouveau pacte de stabilité auquel notre pays a dûment adhéré. Les masques tombent, on ne rigole plus.

Le sécateur est déjà prêt

A force de « faire la guerre » au moindre microbe et à n’importe quoi, de « réarmer » tout et son contraire, nul ne prête plus attention au mauvais plaisantin qui joue à crier « au loup ». La fête du « quoi qu’il en coûte » est finie, il faut passer à la caisse. Telle est la réalité budgétaire qui attend nos armées. Alors, pour continuer à faire semblant, on joue à « l’économie de guerre ». Mais personne n’y croit.

Sous couvert de « revue des dépenses », l’inspection générale des finances est déjà en train de passer au peigne fin chaque ligne de la LPM, dans le but de réaliser ce que le jargon des consultants appelle des « quick wins », des « victoires rapides », c’est-à-dire des économies budgétaires de court terme. Comment ? Mais c’est très simple, la technique est éprouvée depuis la grande époque des « dividendes de la paix » : bourrage et décalage sont les deux mamelles de la régulation budgétaire.

D’un côté, pour montrer que je ne touche pas aux dimensions de la « valise » LPM (promis, juré), je « bourre » l’édredon avec tout un tas de (très coûteuses) mesures qui n’étaient pas prévues : trois milliards par ci promis aux Ukrainiens, deux milliards par là pour le SNU, etc. Et si l’OTAN décide effectivement d’un nouveau fonds de cent milliards pour aider l’Ukraine, qui paiera d’après vous ? De l’autre, je m’engage aussi tardivement que possible auprès de mes fournisseurs : c’est la fameuse « bosse » que le bousier pousse devant lui depuis trente ans. Tout le contraire de « l’économie de guerre », qui impliquerait de tout accélérer. Et, pour ne pas faire de jaloux, on rabote tout ce qui dépasse, à commencer par la trésorerie « dormante ».

Une LPM qui décale à 2035 le modèle 2030

Pas grave, entend-on, la LPM garantit à nos armée un financement historiquement haut. C’est vrai. Alors, où est le problème ? En fait, il n’y en aurait pas si l’espace médiatique n’était pas saturé par l’appel à la guerre pour protéger l’empire du bien des forces du mal qui le menace. De deux choses, l’une : soit il faut se préparer à la guerre pour rester en paix, et alors l’effort budgétaire est dramatiquement insuffisant, surtout dans l’hypothèse d’un retrait américain ; soit l’effort est suffisant par rapport à la réalité des menaces (ce que semble indiquer la LPM qui décale de cinq ans, donc à 2035, le modèle d’armée 2030 défini en 2017), mais alors, pourquoi hurler au loup ?

Au fond, comme le groupe MARS l’écrivait il y a un an (2) , le problème de cette LPM n’est pas le niveau des crédits promis, c’est l’absence de réelle réflexion stratégique permettant de répondre à la question : des armées, pour quoi faire ? C’est pourquoi les rappels de bon sens de Gérard Araud et les idées « disruptives » de Jean-Dominique Merchet interviennent à point nommé.

La France n’est pas en première ligne face à la Russie et le chef d’état-major de l’armée de terre vient de rappeler qu’elle était capable de projeter une division en appui de ses alliés (une brigade logistique est d’ailleurs créée à cet effet). Point. En effet, l’horizon stratégique de notre pays ne se limite pas aux rives du Boug et au marais du Pripiat : la France a des intérêts à défendre sur tous les continents et tous les océans, ou presque. Et ce n’est faire injure à personne que de penser que la « FR DIV » otanienne, quelle que soient les qualités de ses quelque 20.000 soldats et de ses équipements, n’emporterait pas la décision face aux centaines de milliers d’hommes que l’armée russe est capable de mettre en ligne.

Partage nucléaire ?

Alors, si la formule « gagner la guerre avant la guerre » est autre chose de plus sérieux qu’un slogan, c’est ailleurs qu’il faut investir. La France est en effet le seul « État doté » parmi les 27 États membres de l’Union européenne. C’est à la fois notre spécificité stratégique au sein de l’UE et notre « avantage comparatif » au sein de l’OTAN. C’est en outre, depuis exactement 60 ans, le moyen le plus économique d’assurer notre défense et de garantir la paix à l’horizon de tous nos intérêts vitaux, sans mobiliser (loin s’en faut !) toute l’économie au service de l’effort de défense.

C’est là que l’idée de Jean-Dominique Merchet est intéressante, même si tout est discutable dans sa proposition de « partage nucléaire » de la dissuasion française sur le modèle de la « double clé » de la bombe américaine B61-12. A l’évidence, si la France a un rôle à jouer dans la défense d’une Europe privée de la protection américaine, c’est dans la redéfinition de nos intérêts vitaux à l’échelle européenne, et non dans un effort conventionnel qui restera toujours insuffisant même si « l’épaulement stratégique » impose de redimensionner convenablement notre corps de bataille afin de garantir un continuum entre dissuasion conventionnelle et dissuasion atomique. Mais ce continuum est déjà assuré par nos alliés, Polonais en tête.

Ouvert à la notion de dissuasion élargie, le groupe MARS considère néanmoins que le « sceptre nucléaire » ne se partage pas. La dissuasion repose sur la crédibilité technique des têtes nucléaires, opérationnelle des unités de mise en œuvre et politique de sa chaîne de commandement qui remonte in fine jusqu’au chef des armées. Cela ne se partage pas. On peut toujours imaginer des gadgets : un renfort de sous-mariniers alliés pour armer nos SNLE, des pilotes, mécaniciens et artificiers alliés dans nos escadrons nucléaires, voire (soyons fous !) des pilotes « Top gun » alliés sur notre porte-avions. Mais à la fin des fins, celui qui donne l’ordre ultime, c’est le président français.

L’idée de Jean-Dominique Merchet est intéressante et généreuse, mais, en ralliant le « groupe des plans nucléaires » de l’OTAN, elle supposerait d’abandonner notre doctrine de « l’ultime avertissement » pour endosser celle de la guerre nucléaire limitée que servent (en ont-ils seulement conscience ?) nos alliés certes britanniques, mais aussi allemands, belges, néerlandais, italiens et turcs. Il n’existerait pas de consensus politique en France pour un tel changement de doctrine.

Alors, comment élargir le parapluie nucléaire français ? La toute première mesure consisterait, si l’on est sérieux et qu’on ne se contente pas de confondre « signalement stratégique » et gesticulation théâtrale, à conforter la crédibilité de la dissuasion française en investissant tous azimuts dans toutes ses composantes (et leur environnement) afin d’augmenter le nombre et la performance de nos armes atomiques et de nos vecteurs. Investir dans la stratégie des moyens, c’est se donner, dans le temps long, les moyens de sa stratégie.

Une fois garantie la capacité de frappe en second, c’est-à-dire l’assurance de faire payer à l’adversaire le prix fort de son agression, les alliés viendront d’eux-mêmes se placer sous le parapluie français. A nos conditions. C’est certes plus modeste et beaucoup moins visible que la tonitruante « économie de guerre », mais c’est aussi beaucoup plus efficace pour faire face aux temps difficiles qui attendent une Europe désarmée, menacée et sur le point d’être abandonnée par son protecteur historique.

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1 Cf. Alternative économique n°444, mars 2024

2 https://www.latribune.fr/opinions/la-loi-de-programmation-militaire-passe-a-cote-des-lecons-de-la-guerre-en-ukraine-966436.html

* Voir aussi Économie de guerre : réalité d’un concept et enjeux pour la France – Fondation Jean-Jaurès (jean-jaures.org)

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* Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

Choix individuel et responsabilités collectives

Choix individuel et responsabilités collectives

https://espritsurcouf.fr/le-billet-de-pascal-le-pautremat_choix-individuel-et-responsabilites-collectives/


Les prises de décision autant que les postures de l’Exécutif en France ne peuvent que surprendre et être source de préoccupations, voire de vives critiques tant le fond comme la forme ne laissent pas de surprendre…et susciter un état proche de la sidération.

L’Elysée fait ainsi savoir que le pays va engager jusqu’à 3 milliards d’euros d’aide militaire supplémentaire à l’Ukraine en 2024, sur fond d’un accord bilatéral de Sécurité entre les deux pays, signé le 16 février par Volodymyr Zelenski et Emmanuel Macron et voté par le Parlement français, le 12 mars, à raison de 372 voix pour et 99 voix contre. Mercredi 13 mars, c’est au Sénat de se positionner par rapport à cet accord. La France a déjà versé 1,7 milliard d’euros en 2022 et 2,1 milliards d’euros en 2023 au profit de l’Ukraine.

Or, mardi 12 mars, la Cour des comptes a publié son rapport qui étrille la politique budgétaire de la présidence Macron puisque depuis 2018, ce sont près de 800 milliards d’euros qui sont venus alourdir la dette de la France qui ne cesse d’empirer depuis 50 ans.

La situation est telle que la France apparait comme le pays le plus sinistré par la dette dans la zone euro, derrière l’Italie et la Grèce.

Pierre Moscovici, en tant que Premier président de la Cour des comptes s’est exprimé à ce sujet dans « Les matins » de Guillaume Erner, sur France culture, le 12 mars : « […] Aujourd’hui, nous avons probablement les finances publiques parmi les plus dégradées de la zone euro. En cause notamment, nos déficits qui étaient égaux ou supérieurs à 5 % en 2023. Bien qu’ils doivent baisser à 3 % d’ici à 2027, les autres pays de la zone euro seront tous sortis de ces turbulences depuis 2025 ou 2026. Beaucoup, en réalité, sont déjà en dessous de 3 %. […]

Notre dette publique [atteint] les 3200 milliards. C’est énorme. Elle représente 110 % du PIB et ne baisse pas. Nous sommes aujourd’hui sur le podium peu enviable des trois pays les plus endettés de la zone euro. Enfin, notre charge de la dette, c’est-à-dire la somme que l’on doit rembourser annuellement pour financer la dette publique, a atteint les 57 milliards sous l’effet de la hausse des taux d’intérêts alors qu’elle était de 20 milliards il y a seulement trois ans. […] En 2024, nous allons fêter le cinquantième déficit budgétaire consécutif et cet anniversaire indique qu’aucun gouvernement de droite, de gauche ou du centre n’a eu la culture de la réduction du déficit. Par ailleurs, notre niveau de dépenses publiques reste particulièrement élevé et représente 56 à 57 % du PIB, soit huit points de plus que la moyenne de la zone euro.[…]

Sur les dépenses publiques, des efforts conjoints de réduction, de maîtrise et d’amélioration de leur qualité s’imposent. Évidemment, durant la crise du Covid le « quoiqu’il en coûte » a permis de sauver des vies, des entreprises et le système social. La Cour des comptes l’a bien sûr validé. Durant la crise énergétique et l’inflation qui ont suivi, nous aurions pu sans doute mieux répartir l’effort entre l’État et la société. Nous observons surtout des effets de cliquets où chaque fois qu’une dépense est engagée, elle n’est pas réduite ou maîtrisée. Cette tendance nous place dans une situation où l’effort ne peut plus être différé. […] Nous sommes au pied du mur ».

Pour le N°232 d’Espritsurcouf, Michel Goya partage son analyse à propos de la posture d’Emmanuel Macron qui a clairement appelé à un engagement concret des forces armées au profit de l’Ukraine, quelles qu’en soient les conséquences : « Paroles et musique » (rubrique Humeurs).

Rémy Porte, pour sa part, ressuscite la figure de l’officier Henri de Bournazel (1898-1933) surnommé le Cavalier Rouge, Spahi qui entra dans la légende et demeura longtemps une référence…oubliée peu à peu… : « De Bournazel, L’homme au burnous rouge » (rubrique Histoire).

Sur le champ économique, la situation du commerce de proximité, en France, est dramatique, comme le rapporte Alexandre Mirlicourtois : « Crise du commerce de détail » (rubrique Economie).

Enfin, en matière de sociologie, Paule Nathan, Karine Vuillmenin nous proposent le deuxième volet de leur étude consacrée à la posture genrée, en soulignant les dangers de l’autodétermination du genre chez les enfants. « Le transgenrisme à l’étude » (2ème partie)  (Rubrique Société)

La nouvelle Revue d’actualité d’André Dulou, est bien présente, comme à l’accoutumé. Avec un sommaire des plus riches, avec des sujets de défense, des questions conflictuelles et des enjeux internationaux

Pour clore ce sommaire, nous attirons votre attention, sur la prochaine parution, début avril, du dernier ouvrage de Rémy Porte, historien militaire de renom, qui publie un Dictionnaire d’histoire militaire de la France : des origines à nos jours (Ed. Lemme Edit, avril. 2024, ISBN. 249281825X, 360 pages, 24 €). Nul doute qu’il s’agira d’un dictionnaire utile et de référence, fort de plusieurs centaines d’entrées qui permettent de relater des événements, de redécouvrir des lieux, des hommes, sans oublier des organisations, des systèmes d’armes, en corrélation avec des postures politiques et militaires qui ont façonné notre histoire commune.

Bonne lecture
Pascal Le Pautremat


(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ?

Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ?

Le Socle Défense propose une approche innovante et pertinente pour répondre aux enjeux de financement de l’effort de défense en France dans le présent contexte marqué par des contraintes budgétaires fortes, et des besoins de modernisation et d’extension des capacités militaires du pays toutes aussi importantes.

Dans la première partie de cet article, nous avons présenté la structure et les paradigmes qui sous-tendent cette approche de financement basée sur quatre piliers : une société de financement portant une offre de location des équipements à destination des armées, un modèle de financement avec un recours à l’épargne, une analyse moderne de l’efficacité budgétaire des investissements industriels de défense pour améliorer la soutenabilité de l’effort, et un nouveau paradigme pour la conception et l’emploi dans la durée des équipements de défense.

Dans cette seconde partie, nous allons détailler l’application de ce modèle pour les quatre grands acteurs de cette problématique : les Armées afin de répondre à leurs besoins d’équipements, la Base Industrielle et Technologique Défense française pour en optimiser l’efficacité et l’attractivité notamment à l’exportation, les finances publiques et la politique d’aménagement du territoire, ainsi que son applicabilité aux programmes en coopération.

Sommaire


Le Socle Défense pour les Armées

Le Socle Défense est avant tout conçu pour permettre aux armées de disposer des crédits d’équipements et de fonctionnement cohérents avec l’évolution de la menace globale. En effet, si l’action du projet porte avant tout sur le financement des équipements majeurs, sa mise en œuvre permettrait aux Armées de ventiler l’utilisation de leurs crédits de manière souple et efficace pour répondre aux enjeux sécuritaires à court, moyen et long terme. 

Une bulle d’investissements pour répondre aux enjeux immédiats

effort de défense français
Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ? 10

En premier lieu, le SD permettrait aux Armées de voir leurs capacités d’équipement croitre très rapidement et sensiblement. Dans le graphique ci-contre, l’hypothèse retenue est une augmentation des investissements d’équipement de 5 Md€ en 2025, pour atteindre 20 Md€ en 2032, hors inflation.

Les couts de location, quant à eux, évoluent de manière progressive de 500 m€ en 2025 à 18,5 Md€ en 2039, sur la base d’un taux d’intérêt de 2,5% par an, d’une V0 à 10%, d’une VR à 35% et d’un leasing sur 15 ans.

La progressivité de la hausse des investissements répond aux contraintes industrielles. Sur la base d’un effort de défense amené à 3% du PIB sur 7 ans (euros constants), le modèle génère alors une plus-value budgétaire pour les armées de 20 Md€ au-delà de la hausse de 20 Md€ des crédits consacrés à l’équipement des forces. 

Les équipements éligibles au Socle Défense

Le Socle Défense permet de financer par son modèle de nombreux équipements de défense et programmes à effet majeur, pour peu qu’ils puissent être réexportés potentiellement en fin de leasing.

Ceci exclut donc les systèmes dédiés à la dissuasion nucléaire, ainsi que les équipements ayant un potentiel d’efficacité limité dans le temps ne permettant pas de les exporter dans de bonnes conditions, comme certaines munitions.

Pour autant, les besoins principaux des armées en termes d’équipements reposent précisément sur des matériels répondant aux critères d’éligibilité au Socle Défense.

Le transfert de crédits disponibles vers des postes critiques

Si le Socle Défense aide à financer une majorité d’équipements de défense conventionnels, il offre également de nombreux bénéfices dépassant de ce cadre pour les armées.

Ainsi, à court terme, il permet de libérer des crédits attribués au financement des PEM éligibles pour financer d’autres postes de dépenses critiques, comme la dimension RH des armées, le développement des infrastructures, la reconstitution des stocks de munitions et de pièces détachées, ainsi, bien évidemment, que la dissuasion.

Sur les 5 premières années de mise en place, les armées disposeraient alors d’un surplus budgétaire de plus de 50 Md€ de crédits libérés sur la base d’une hausse du budget des armées de 3 Md€ de 2025 à 2027, puis de 2,5 Md€ de 2028 à 2032. 


Le Socle Défense pour l’industrie de défense

La mise en œuvre du Socle Défense constituerait, pour la Base Industrielle et technologique de Défense française, une évolution comparable à celle qui fut entreprise à la suite de l’affaire de Suez en 1956, et qui permit 15 années plus tard à la France de disposer d’une industrie de Défense globale de premier plan sur la scène internationale, y compris dans les domaines technologiques les plus ardus comme la dissuasion, les sous-marins à propulsion nucléaire, les avions de combat ou le spatial. 

Une approche consolidée pour une planification optimisée

Outre l’augmentation des investissements annuels, qui passeraient en 5 ans de 12 à plus de 30 Md€ par an, justifiant d’une profonde transformation structurelle, le Socle Défense offre à la BITD une visibilité en termes de planification qu’elle n’a plus connu depuis plus de 30 années.

En effet, après trois décennies de programmes marqués par de nombreux reports, révisions de volume, voire annulations, les industriels français comme européens ont été amenés à transformer leur approche de l’activité pour s’adapter à ces contraintes et cette imprévisibilité. 

Par sa capacité à garantir le financement des programmes, mais également à concevoir la dotation des armées au sein d’un plan global à long terme d’une quinzaine d’années, le SD permettra aux industriels de défense de revenir sur des bases industrielles favorisant la compétitivité des offres, la progression technologique ainsi que l’attractivité des équipements sur la scène internationale, ce d’autant que les Armées françaises auront une puissance relative bien plus sécurisante pour nos alliés. 

Vers une offre globale et compétitive

L’augmentation massive de l’activité de production industrielle induite par la mise en œuvre du Socle Défense permettra à l’Industrie de Défense Française de sensiblement augmenter son attractivité sur la scène internationale, par une gamme d’équipements disponibles plus étendues, des délais de production plus réduits et des offres plus compétitives.

Ce changement d’échelle permettra notamment de disposer de capacités de production industrielle robustes et réactives, susceptibles de répondre aux attentes d’un marché en forte demande. En outre, l’attractivité des équipements de défense français sera renforcée par le dynamisme induit par les offres de matériels d’occasion en fin de leasing, ainsi que par le rôle plus prépondérant des armées françaises sur la scène internationale.

Ce changement d’échelle associé à la diminution des cycles technologiques permettra également de proposer des équipements plus économiques, donc plus abordables pour de nombreux clients potentiels.

Rappelons à ce titre que des programmes comme FREMM ou Tigre ont vu leurs couts unitaires presque doublés lorsque les quantités furent divisées par deux et plus. Enfin, l’utilisation des acquis de la DVP permettra de mettre en œuvre des solutions originales de coproduction avec certains clients disposant d’une industrie de défense partielle tout en préservant l’efficacité du Solde Budgétaire.

Vers un renforcement et une meilleure intégration de la Supply Chain

La gestion de l’effort d’investissement industriel de défense au travers de la Défense à Valorisation Positive permettra de mieux connaître l’ensemble de la Supply Chain nationale de ce secteur industriel, et doit mener à la révision de certaines pratiques héritées des paradigmes actuels, privilégiant l’utilisation d’équipements et de technologies importées afin de réduire les couts d’acquisition, au détriment de l’efficacité budgétaire finale.

De fait, le Socle Defense permettra de consolider la Supply Chain nationale, au bénéfice premier de l’emploi, donc, du Solde Budgétaire, mais également de la résilience industrielle, de sorte à amener les grands industriels finaux à renforcer et à mieux intégrer leur propre Supply Chain, à l’image de ce qui se pratique, par exemple, outre-rhin. 


Le Socle Défense pour les finances publiques et l’économie

À l’instar de toute grande politique d’investissement sectorisée, le Socle Défense a le potentiel d’induire de nombreux bénéfices pour l’économie nationale, et de manière plus originale, pour les finances publiques. 

Des ressources supplémentaires à court terme

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Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ? 11

La hausse rapide des investissements en matière d’équipements, pour atteindre 25 Md€/ an en 2032, induira la création de 500.000 emplois directs, indirects et induits liés à l’activité industrielle de défense sur la même période, selon les paramètres ayant cours aujourd’hui pour cette activité en France.

Notons que cette estimation ne prend pas en compte le nombre d’emplois créés par la réorientation de certains crédits de défense libérés par l’application du Socle Défense, ni les emplois créés par différents effets d’entrainement probables, mais difficilement quantifiables.

Ces emplois vont engendrer une hausse sensible des recettes fiscales et sociales appliquées au budget de l’État (qui compense les déficits sociaux), engendrant un surplus budgétaire sensible vis-à-vis de la hausse planifiée de l’effort de défense.

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Comment mener l’effort de défense français à 3% du PIB en 7 ans, sans creuser les déficits ? 12

Sur la période 2025-2032 correspondant à la prochaine LPM, si les hausses cumulées de budget des armées atteignent 113 Md€, la hausse des recettes et économies budgétaires pour l’état dépassera les 190 Md€, soit un solde budgétaire global de presque 10 Md€/an hors inflation.

À terme, et en tenant compte d’un retour budgétaire moyen de 50% concernant les crédits non industriels des armées, le surcout annuel liés à la hausse du budget des armées à 3% PIB (75 Md€ 2024) serait alors strictement égal au retour budgétaire global.

Différents effets d’entrainement

Bien qu’ils soient difficiles à modéliser de manière efficace, de nombreux investissements supplémentaires pourraient résulter de la hausse des crédits d’équipements des armées consécutifs de l’application du Socle Défense :

  • Investissements Industriels

Afin de répondre à la hausse des commandes venant des Armées françaises, et, par effet d’entrainement, de l’amélioration de l’attractivité des équipements de défense sur la scène internationale, l’industrie de défense dans son ensemble sera amenée à mettre en œuvre un vaste plan d’investissement, ce d’autant qu’elle disposera alors d’une visibilité étendue quant à l’activité industrielle nationale dans la durée. 

  • Infrastructures et aménagement du territoire

Le déploiement de nouvelles infrastructures industrielles, mais également militaires, ouvre de nombreuses opportunités pour une politique ambitieuse d’aménagement du territoire, y compris dans les territoires ultra-marins, susceptible de mobiliser, au-delà de l’État, des Armées et des Industriels, les acteurs locaux ainsi que les instances européennes, agissant tel un coefficient multiplicateur de l’efficacité économique et sociale du Socle Défense. 

  • Grappes technologiques

La hausse des investissements d’équipement des Armées induit une hausse des crédits consacrés à la Recherche et au Développement des technologies de défense embarquées, engendrant par la suite des grappes technologiques qui stimulent l’économie et la compétitivité industrielle. Une étude menée aux États-Unis avait ainsi montré que 40% du PIB californien résultaient de technologies développées initialement par les Armées américaines. 

  • Effets de la hausse du nombre d’emplois industriels qualifiés

Pour répondre à la hausse de l’activité induite par l’application du Socle Défense, les industriels français de défense, épaulés par l’état et les collectivités territoriales, devront fournir un important effort de recrutement, mais également de formation pour pourvoir les quelque 200 000 emplois industriels directs et les 160 000 emplois industriels indirects ainsi créés.

La hausse du nombre de personnels qualifiés en France ainsi que les infrastructures de formation qui auront été créées à cet effet, renforceront sensiblement l’attractivité française en matière d’implantation industrielle, ce d’autant que les infrastructures auront, elles aussi, évoluées positivement. 

Vers une soutenabilité globale de l’effort de défense

L’application du Socle Défense permet, comme le suggère la DVP, de neutraliser pour les finances publiques l’augmentation progressive, mais indispensable, des crédits de défense jusqu’à 3% du PIB.

En étendant cette doctrine à l’ensemble du budget des Armées, il serait possible de parvenir à un équilibre global autour de l’activité défense nationale, tenant compte des retours budgétaires spécifiques de chaque type d’activité, de sorte à atteindre un seuil de soutenabilité globale de l’effort de défense.

Sur la base des premières conclusions de la DVP, avec un retour budgétaire industriel de 130%, un retour budgétaire de 100% pour l’activité de soutien, et de 60% pour la dimension RH des armées, il serait possible de ramener le cout effectif annuel des armées pour les finances publiques à moins de 5 Md€ en ventilant les investissements de manière équilibrée entre ces trois grands postes de dépense. 

Limites et Effets de seuil

Si l’efficacité budgétaire de l’investissement industriel de défense en France est établie, elle ne représente cependant pas une martingale socio-économique absolue. En effet, celle-ci est contrainte par plusieurs effets de seuil qui limitent son applicabilité :

  • Marché de l’emploi

Le retour budgétaire de l’investissement dépendant du nombre d’emplois directs, indirects et induits créés, un marché de l’emploi en tension (chômage < 5%) entraverait sa pleine efficacité.

  • Marché export

L’équilibre du solde budgétaire est lié à la performance des exportations, qui doivent se maintenir au même taux qu’au cours de 20 dernières années. Si le modèle est conservatoire (le marché export était réduit durant cette période), il ne peut pas excéder le marché effectivement adressable par les industries de défense françaises. 

  • Déficits sociaux

Enfin, le modèle suppose de l’existence de déficits sociaux compensés par l’état pour atteindre sa pleine efficacité. Si les déficits sociaux venaient à être résorbés, y compris par l’action du Socle défense, l’efficacité budgétaire du modèle serait altérée. En d’autres termes, le Socle Défense ne peut pas être appliqué au-delà de 20 Md€/an et 500.000 emplois dans la conjoncture socio-économique actuelle.  


Le Socle Défense et la coopération internationale et européenne

Bien que conçu sur des bases économiques et industrielles nationales, les effets et l’applicabilité du Socle Défense dépassent largement les frontières, avec une influence positive et de nouvelles opportunités en matière de coopération européenne et internationale. 

Adaptation aux équipements développés en coopération

En premier lieu, rien ne s’oppose à ce que le Socle Défense puisse financer l’acquisition d’équipements conçus et construits dans le cadre d’une coopération européenne ou internationale. Il conviendra toutefois que les dits matériels respectent certaines contraintes de fonctionnement relatives aux mécanismes du modèle : 

  • Contraintes de propriété

Les partenaires contribuant au programme en collaboration devront préalablement accepter que l’équipement puisse être vendu à la société PPP Ad hoc au cœur du modèle. 

  • Contraintes de réexportation

Les partenaires des programmes devront également accepter la notion de réexportation des équipements financés au-delà de la période de location, au seul arbitrage des autorités françaises dans ce domaine. 

  • Contraintes d’efficacité socio-économique

Enfin, afin de garantir l’efficacité budgétaire du modèle dans le cadre de la DVP, il convient que les investissements financés par le Socle Défense correspondent proportionnellement parlant à l’activité industrielle déployée en France par l’ensemble du programme.

Corolaire : Baisse de pression sur les programmes en coopération

En étendant les capacités d’investissement et d’équipements des Armées à court et moyen terme, le Socle Défense permettrait, de manière induite, de réduire la pression qui aujourd’hui entrave les avancées de certains programmes de coopération, comme SCAF ou MGCS.

Ainsi, le Socle Défense permettrait à la France de développer, par exemple, une solution intermédiaire pour succéder au Rafale et au Leclerc, moins ambitieuse que celle visée par les programmes européens, mais sur des calendriers plus réduits.

Ceci permettra de réduire la dépendance des Armées françaises vis-à-vis du calendrier de ces programmes, tout en permettant aux industriels de préserver et de développer les savoir-faire ,qui auraient été perdus dans le cadre de la coopération du fait du partage industriel. 

Modèle transnational : exemple de la Grèce

Le Socle Défense peut également servir de base à des coopérations étendues transnationales. Ainsi, le projet avait été étudié par le parti politique Nouvelle Démocratie en Grèce dans le cadre des élections législatives de 2019, et avait donné lieu à l’élaboration d’une stratégie transnationale pour l’acquisition de Rafale, de FDI et de Gowind dans un partage industriel mutuellement profitable. 

Renforcement de l’autonomie stratégique 

Enfin, par le changement de format des armées et de l’industrie de défense française induit par l’application du Socle Défense, celui-ci contribuera de manière sensible au renforcement de l’autonomie stratégique nationale et par transitivité européenne, notamment en constituant des armées susceptibles de constituer le pilier fédérateur d’une stratégie défensive purement européenne y compris pour faire face à la Russie.

Un tel outil pourrait de fait constituer l’argument le plus efficace pour faire émerger une notion effective d’Europe de la Défense.  


ANNEXE : ANALYSE COMPARATIVE des MODES de FINANCEMENT

Notes : l’analyse initiale ayant été réalisée en 2022, elle portait sur la période 2023-2030. Il convient, aujourd’hui, de la considérer sur la période 2025-2032, avec les mêmes progressions.

Hypothèses Socle Défense : 3% PIB en 15 ans – Invest PEM 25 Md€ – Leasing 2,5% – 15 ans – V0=10% – VR = 35%

Hypothèses Classique : 2,65 % PIB en 9 ans – Invest PEM 15Md€/an/30 ans (==25 Md€/an/15 ans SD)

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À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

Par Fabrice Wolf – Méta Défense – publié le

« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.

En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.

Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.

Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?

Sommaire

L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix

De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.

Mirage IV
Le Mirage IV a porté la composante aérienne de la Dissuasion frnaçaise de 1964 à 2005

Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.

Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.

Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.

Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français

Pour autant, les armées en reconstruction, avec un effort de défense autour de 2%, apparaissent bien inadaptées pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent, en particulier depuis la transformation de l’économie et de la société russe, mettant les armées et l’industrie de défense, au cœur de l’action de l’état.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.

Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.

La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.

Rafale Armée de l'Air
Avec seulment 185 avions de combat, l’Armée de l’Air et de l’Espace ne dispose pas du format necessaire pour soutenir, sur la durée, un conflit de haute intensité.

La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.

Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.

Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.

Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.

Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.

Armées françaises Leclerc
La LPM 2024-2030 ne prévoit ni de remplacer le char Leclerc, ni d’augmenter les 200 exemplaires devant être modernisés, dans l’attente du MGCS qui devrait arriver au delà de 2040.

À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.

Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe

Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.

Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.

Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.

Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 3 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 10 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.

Iskander-M Russe
La dissuasion française doit disposer d’un système équivalent au système balistique sol-sol à courte portée Iskander-M pour disposer de l’ensemble du vocabulaire requis pour le dialogue de dissuasion avec Moscou.

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LPM : Nous défendre, oui, mais avec qui ?

LPM : Nous défendre, oui, mais avec qui ?


 

Si la loi de programmation militaire est précise sur les principaux équipements à acquérir, elle reste moins explicite sur les hommes qui vont les servir. Serons-nous capables de recruter et de conserver les soldats d’active et les réservistes indispensables ? Le GCA (2S) Patrick Alabergère nous invite ici à réfléchir sur le défi de la réalisation des effectifs auquel sont confrontées nos armées. 

***

La LPM 2024-2030 est souvent analysée selon le prisme du budget consenti ou celui des équipements majeurs acquis, mais plus rarement sous l’angle des effectifs.

Pourtant les effectifs autorisés aux armées dimensionnent clairement leurs capacités à remplir leurs missions. C’est un critère d’évaluation avéré pour apprécier la puissance d’une armée et sa place dans la compétition que se livrent les nations majeures.

Cette LPM affiche une augmentation modérée des effectifs consentis aux armées avec 6 300 ETP[1] supplémentaires étalés sur 6 ans, alors qu’il faut répondre à de nombreux besoins, notamment ceux générés par les nouveaux champs de conflictualités (espace, cyber) et être prêt à faire face à une guerre de haute intensité.

Mais au-delà de leur format, c’est bien la réalisation de leurs effectifs qui préoccupe aujourd’hui l’ensemble des armées.

L’atteinte du plafond d’emplois autorisés devient un objectif essentiel dans la conduite de cette nouvelle LPM. Car si ces difficultés perdurent ou s’accentuent, la réalisation des effectifs militaires deviendra l’objectif stratégique majeur qui, s’il n’est pas atteint, peut compromettre la cohérence du modèle d’armée choisi. Il faut mobiliser toutes les énergies pour résoudre cette difficulté, en allant plus loin dans l’effort fait au profit de la condition militaire, tout en développant par tous les moyens l’esprit de défense dans notre société civile qui doit continuer à fournir les futurs militaires dont nos armées ont besoin.

Crédit : SIRPA Terre.

 

Des effectifs comptés, difficiles à réaliser et à fidéliser pour faire face aux défis qui attendent les armées, malgré le doublement des effectifs de la réserve opérationnelle.

Il faut saluer l’effort fait au profit des effectifs des armées, notamment depuis la précédente LPM, mais ce n’est qu’une juste remise en cohérence après la réduction dramatique de format subie en 2008.

À cette date pour toucher d’hypothétiques dividendes de la paix, l’outil de défense a été sacrifié avec la suppression de 54 000 postes. La déflation s’est accentuée en 2012 avec l’annonce de la disparition de 26 000 postes supplémentaires. Il a malheureusement fallu attendre les enseignements tirés des dramatiques attentats de 2015 pour infléchir la tendance déflationniste.

En effet, historiquement les baisses des crédits accordés aux armées depuis la fin de la guerre froide, leur professionnalisation, la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) ont conduit pendant des années à une réduction continue des effectifs. La création des bases de défense, décidée dans la seule logique d’économie d’effectifs et de soutien au moindre coût malgré ses effets désastreux sur la réactivité des unités, est le meilleur exemple du non-sens de cette politique.

Ainsi aujourd’hui, l’armée de Terre (ADT) s’efforce de recréer des structures de commandement (Brigade d’Artillerie, Brigade du Génie) et des unités opérationnelles (Bataillon de Commandement et de Soutien, unités d’Artillerie) pour répondre aux exigences du combat de haute intensité. Ne bénéficiant que d’environ 700 postes supplémentaires sur la LPM 2024-2030, elle le fait en étant contrainte de redéployer ses effectifs entre les différentes fonctions opérationnelles alors que toutes ces unités à recréer existaient en 2008…

Ainsi à l’horizon 2030, le ministère des Armées disposera de 355 000 ETP, dont 210 000 militaires et 65 000 civils d’une part et 80 000 réservistes opérationnels d’autre part. Cette augmentation de 6 300 postes génère un coût d’environ 890 millions d’euros.

Sur les 6 300 postes créés, 4 500 seulement rejoindront les forces vives des trois armées, les autres étant consacrés à l’environnement et aux services de soutien.

Cette montée en puissance s’étale sur 6 ans pour lisser dans le temps cette hausse de masse salariale, mais surtout pour tenir compte de la difficulté des armées à recruter des volumes importants chaque année.

Le rapport de l’Assemblée nationale fait au nom de la commission de la Défense Nationale et des Forces Armées en mai dernier sur le projet de LPM expose clairement cette difficulté : « Comme tous les employeurs publics et privés, le ministère des Armées fait face à des difficultés conjoncturelles pour atteindre ses cibles d’effectifs compte tenu de la concurrence exacerbée sur le marché de l’emploi et de la situation de quasi plein-emploi. Ainsi, en 2022, le ministère des Armées n’a pas réussi à réaliser son schéma d’emploi. C’est pourquoi, pour la période 2024-2030, le ministère des Armées retient une trajectoire réaliste d’augmentation de ses effectifs avec des paliers de 700 ETP supplémentaires pour les deux premières annuités, avant d’augmenter significativement les années suivantes. Le dernier alinéa de l’article 6 du projet de loi précise à cet égard que le ministère adaptera la réalisation des cibles d’effectifs fixées par le présent article et sa politique salariale en fonction de la situation du marché du travail ».

Il est donc légitime de s’interroger sur le volume de 6 300 postes supplémentaires : a-t-il été calculé en fonction des besoins à satisfaire ou dimensionné en réalité par la capacité estimée des armées à recruter d’ici 2030 ? Sans doute un peu des deux.

Pour autant, il n’existe aucune garantie que l’évolution du marché de l’emploi sur les 6 prochaines années soit favorable au recrutement des armées.

L’autre problématique en termes de réalisation des effectifs concerne la fidélisation qui est le pendant du recrutement. C’est un combat permanent que livrent les armées pour parvenir à conserver leur ressource humaine le plus longtemps possible afin de conserver des militaires entrainés et aguerris, tout en rentabilisant la formation dispensée.

S’il existait une solution simple et efficace pour gagner la bataille de la fidélisation, il y a longtemps qu’elle aurait été trouvée car dans ce domaine rien n’est jamais acquis. L’envie de renouveler un contrat ou de poursuivre une carrière repose sur une alchimie complexe, qui mêle à la fois l’évolution personnelle de l’individu, la condition militaire dans tous ses aspects, les missions réalisées, les conditions de vie et d’entrainement, les matériels servis, le style de commandement, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle.

La fidélisation dans les armées reste intimement liée, d’une part à la façon de vivre de son métier : la condition militaire avec en premier lieu le niveau de rémunération et d’autre part à la façon de vivre son métier : les conditions d’exercice du métier militaire au quartier comme en opérations.

Face à la raréfaction des effectifs d’active, il est mis en avant le doublement des effectifs de la Réserve Opérationnelle sur la même période (40 000 à 80 000 pour les armées dont 24 000 à 40 000 pour l’AdT).

C’est une très bonne chose de pouvoir faire appel à une composante réserve plus nombreuse, sans doute mieux formée et mieux organisée pour renforcer la capacité opérationnelle de nos armées, en complément des unités d’active. Cela peut également permettre de revigorer le lien Armée – Nation, ce qui est bénéfique dans le contexte sociétal actuel.

Mais encore faut-il que cette réserve opérationnelle soit aussi correctement équipée, ainsi que formée et entrainée, avec un référentiel de missions clairement défini dans le temps comme dans l’espace et que la bataille du recrutement soit également gagnée. Il faut imaginer quelles sont les nouvelles interactions active – réserve à mettre en place en service courant comme en période de crise et s’il est pertinent d’aller jusqu’à une hybridation de l’armée professionnelle ?

Le doublement des effectifs de réserve sur la période de la LPM, avec une cible finale à 105 000 en 2035 nécessite un effort colossal en termes de recrutement, concomitamment à celui au profit de l’active. Le défi est bien réel car il mobilise les mêmes structures au sein des armées, notamment les régiments pour l’AdT, et il puise dans des viviers voisins.

Avec de telles cibles d’effectifs, il faut impérativement réussir à simplifier la gestion administrative des réservistes, problème évoqué depuis des années, mais jamais résolu, car il constitue aujourd’hui un lourd fardeau pour les unités d’active.

Cet effort significatif sur la réserve répond également à des considérations économiques, car c’est le meilleur moyen de s’offrir de la masse, en termes d’effectifs, au moindre coût.

La guerre en Ukraine a mis en évidence la difficulté de conquérir la supériorité opérationnelle pour des armées qui souffrent d’un déficit de masse et de résilience alors que les conflits peuvent durer. L’augmentation significative de format étant hors d’atteinte financièrement pour de nombreuses armées occidentales, le débat sur la conscription pour accroitre la masse des armées fait son retour. En France, certaines voix politiques prônent même le retour du service militaire.

L’autre débat porte sur la nature de la composante réserve, certains défendent un concept de Garde nationale calqué sur le modèle américain alors qu’il reste une exception[2] hors d’atteinte pour les armées françaises.

S’agissant du retour à la conscription, l’avis de GAR (2S) Lecointre, ancien chef d’état-major des armées (CEMA), est très clair : « Le service national serait impossible à rétablir aujourd’hui. La Nation n’est pas consciente d’un danger à ce point existentiel qui justifierait un tel effort, avec tout ce que cela implique sur le plan budgétaire. De ce point de vue, augmenter la réserve est pertinent. Il s’agit de donner aux armées la possibilité d’accroître assez rapidement leurs capacités par une ressource humaine compétente, venant soit de la réserve initiale, avec des jeunes qui s’engagent, soit de la réserve d’anciens militaires ».

Une fois les effectifs de la réserve opérationnelle atteints, il faut réussir à organiser sa montée en puissance, en termes d’équipement, d’infrastructures et remettre en place les processus et les structures permettant sa mobilisation en temps et en heure. Autant de compétences et de savoir-faire que nos armées possédaient, mais qui ont disparu avec la suspension du service militaire. Pour les retrouver, il faudra du temps, de l’énergie et des effectifs dédiés.

Crédit : 13e BCA.

 

Des difficultés de recrutement avérées et explicables qui ont été prises en compte, mais qui menacent la cohérence du modèle d’armée.    

Il devient plus que jamais crucial pour les armées de gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation pour pouvoir disposer des effectifs qui leur ont été consentis par la LPM.

Le système de ressources humaines de nos armées repose sur une logique spécifique de flux importants pour préserver la jeunesse des effectifs. Cela nécessite des volumes annuels de recrutement conséquents[3] pour compenser les départs volontaires et ceux, statutaires, liés à l’atteinte des limites d’âge.

Ces difficultés de recrutement inquiètent légitimement les états-majors. Par exemple pour la première fois depuis dix ans, l’ADT n’atteindra pas ses objectifs de recrutement à la fin de l’année puisqu’il manquera entre 2 000 et 2 500 militaires. Alors qu’elle bénéficie d’un certain élan positif depuis 2015 et que les attentats ont généré un attrait pour les métiers militaires, la dynamique favorable semble terminée.

Nos armées doivent affronter une très forte concurrence dans un marché de l’emploi défavorable avec un taux de chômage en baisse. Comme l’indique le Directeur des Ressources Humaines du ministère des Armées, il existe une forte corrélation entre l’état du marché de l’emploi et la capacité du ministère à réaliser ses objectifs de recrutement. Ainsi, selon la situation conjoncturelle et concurrentielle du marché du travail, il est possible que le ministère adapte la programmation annuelle des effectifs pour chaque annuité de la LPM. Autrement dit, si les armées n’arrivent pas à recruter, leurs objectifs peuvent être revus à la baisse au détriment de l’atteinte de leur format et donc de leur capacité à remplir leurs missions.

Les armées se heurtent à une forte concurrence dans certains métiers, éprouvant des difficultés à recruter des spécialistes dans le numérique, la maintenance ou les langues, pour remplir des missions de renseignement. Dans la cyberdéfense, les employeurs civils offrent des conditions salariales bien plus attractives que les armées pour attirer les jeunes talents.

Elles subissent aussi de plein fouet la concurrence du secteur privé dans un contexte de marché du travail en tension. Ainsi, l’armée de l’Air et de l’Espace (AAE) doit faire sa place face au secteur privé aéronautique qui embauche massivement (13 000 recrutements pour Thales et 10 000 recrutements pour Airbus en 2023). L’AAE doit trouver des « gentlemen agreement » avec la DGAC et les industriels de défense pour limiter le « débauchage massif et non coordonné » des aviateurs et mécaniciens.

De plus, les données démographiques européennes ne sont pas favorables au recrutement. Avec un taux de fécondité moyen sous la barre des 1,5 enfant par femme, un vieillissement de la population européenne, les politiques de recrutement des armées européennes sont fragilisées.

En effet, le nombre relatif de candidats va diminuer, du fait d’un nombre plus réduit d’enfants et donc de jeunes éligibles aux fonctions militaires. Tous ces éléments font peser une menace sur le format des principales armées européennes notamment celles qui, comme la France, ont fait le choix de la professionnalisation.

Mais surtout les armées recrutent dans un vivier restreint par nature en raison des exigences découlant de la singularité du métier militaire où le collectif prime sur l’individu, l’intérêt général sur l’intérêt particulier. Comme il n’est pas envisageable de revoir à la baisse ces exigences, sauf à perdre la réactivité, la disponibilité et l’esprit de corps qui font la force des armées, c’est le candidat à l’engagement qui doit s’adapter à son futur environnement.

Il doit pour cela accepter les contraintes liées à son statut de militaire, les fameuses sujétions du métier militaire, de plus en plus en décalage avec l’évolution des valeurs partagées par la société civile et diffusées par le système éducatif et social.

Pour autant, les militaires ne sont pas imperméables à ces évolutions sociétales. En effet, il existe aujourd’hui une plus grande convergence entre les comportements sociaux et familiaux des militaires avec ceux constatés dans l’ensemble de la société. Les modes de vie du militaire et de sa famille tendent à rejoindre ceux du reste de la population française.

« Il y a un éloignement croissant entre le style de vie moyen et celui que nous proposons », explique le Chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT). Les contraintes de disponibilité, de mobilité territoriale ou encore de vie familiale deviennent des freins à l’embauche.

Ce vivier, restreint au départ par construction, est en plus partagé avec la gendarmerie, la police, les pompiers, voire les douanes et l’administration pénitentiaire, sans oublier les sociétés privées de sécurité qui recrutent énormément dans l’objectif des Jeux Olympiques de 2024.

Il faut noter que toutes ces administrations sont confrontées, comme les armées, à de sérieuses difficultés de recrutement. Pour la première fois, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris est en sous-effectif de 300 postes, recrutant mensuellement 70 jeunes sapeurs-pompiers au lieu de la centaine nécessaire pour faire vivre son modèle RH et remplir ses missions.

Cette tendance est partagée par nos alliés puisque la Bundeswehr et l’US Army rencontrent des difficultés pour recruter. Les enrôlements allemands sont en recul de 7 %, selon une information du Spiegel, alors que les États-Unis n’ont pas atteint leurs objectifs de recrutement puisque 15 000 postes restaient vacants en 2022.

L’AdT est parfaitement consciente des enjeux du recrutement. Elle est sans doute encore plus sensibilisée que d’autres à l’importance cruciale de ses effectifs, car ce sont ses hommes qui constituent son système d’armes. Elle peut se définir par des hommes servant des systèmes d’armes, alors que la Marine et l’AAE se caractérisent d’abord par des systèmes d’armes (bâtiments et aéronefs) servis par des hommes.

Ainsi l’AdT prévoit d’optimiser la fidélisation des personnels au-delà de cinq ans de service, de développer la gestion individualisée des parcours, d’améliorer les conditions de vie et de travail, tout en mettant en place des efforts financiers sur les métiers en tension. Pour le recrutement, elle compte également investir davantage les zones urbaines, en premier lieu l’Île-de-France, qui ne contribue pour l’instant qu’à hauteur de 15 % du contingent, soit l’équivalent de l’Outremer.

Pour compléter les efforts déjà demandés à sa chaine recrutement, elle a demandé aux régiments de s’impliquer encore plus dans ce défi en les autorisant pour la première fois à recruter directement, sans intermédiaire, dans la société civile.

En termes de fidélisation, il faut s’interroger sur la pertinence de conserver un volume de recrutement ab initio dans les services interarmées aussi important. En effet, ce mode de recrutement initial rend bien plus difficile le reclassement des plus anciens engagés des forces en deuxième partie de carrière dans des métiers de soutien, moins exigeants physiquement. D’autant plus que ce type de recrutement sollicite le vivier des jeunes recrues dont les forces ont cruellement besoin.

Le ministère des Armées est conscient que le défi du recrutement nécessite d’améliorer la condition militaire pour mieux répondre aux sujétions du métier militaire. En termes de salaire, la Nouvelle Politique de Rémunération des Militaires (NPRM) mise en place dans la précédente LPM et poursuivie dans la LPM 2024-2030 va dans le bon sens, à condition qu’elle ne fasse pas trop de déçus ou de perdants. De même, la poursuite du plan famille est une réponse positive aux contraintes subies par les familles de militaires.

Mais ces mesures en cours d’application seront-elles suffisantes pour faciliter la résolution de la crise du recrutement, surtout si cette dernière perdure, voire s’aggrave ?

La réalisation des effectifs devient un enjeu stratégique qui nécessite d’aller encore plus loin en termes de condition militaire et de mener des actions en direction de la société civile pour promouvoir et développer l’esprit de défense.

En privilégiant la cohérence de notre modèle d’armée par rapport à sa masse, considérée pourtant comme un facteur de supériorité opérationnelle, cette LPM résulte d’un choix politique et économique compréhensible. En effet, dans un pays qui consacre près de 40 % de son PIB à ses dépenses de protection sociale, dont la dette publique s’élève à plus de 110% du PIB, avec une balance commerciale déficitaire depuis plus de 25 ans et un environnement social de plus en plus tendu, les arbitrages financiers sont lourds de responsabilités.

Mais le minimum d’effectifs consenti à nos armées ne doit pas être remis en cause par un recrutement et une fidélisation défaillants, car c’est la cohérence du modèle d’armée qui n’existerait plus.

Pour devenir un facteur de supériorité opérationnelle, le critère de masse exige un niveau minimal d’effectifs pour mener un combat de haute intensité dans la durée. Il semble déjà illusoire d’y parvenir avec les effectifs annoncés en fin de LPM et encore moins si la défaillance du recrutement les remet en cause. Il faut être conscient qu’un conflit de haute intensité, même limité dans le temps et dans l’espace, engendrera des pertes massives que la réserve opérationnelle ne palliera pas.

Pour gagner la guerre avant la guerre, encore faut-il montrer ses muscles pour être respecté, craint si possible, et surtout être dissuasif dans des affrontements en dessous du seuil nucléaire. Pour éviter un contournement de la dissuasion par le bas, il faut de la masse, donc des hommes et des équipements en quantité suffisante.

Le défaut de recrutement peut constituer un danger mortel car dans le modèle d’armée professionnalisée, les effectifs sont la seule chose qui ne s’achète pas.

Les équipements sont conçus dans des bureaux d’étude, commandés par les armées et fabriqués dans des usines par les industriels. Puis ils sont livrés aux unités, au rythme des chaines de production et des capacités annuelles de financement des armées.

En revanche pour nos soldats, pas de bureaux d’études pour les concevoir, pas de chaine de fabrication et de livraison régulière selon la masse salariale disponible. Il faut extraire de la société civile chaque futur militaire, au rythme de la capacité des recruteurs à le convaincre de rejoindre les armées. Il faut qu’il soit convaincu du bien-fondé de son engagement, puis gagner la bataille de la fidélisation pour le conserver le plus longtemps possible.

Avec le budget nécessaire et les capacités de la Base Industrielle et Technologique de Défense (BITD) française, les équipements seront globalement toujours au rendez-vous, en revanche rien ne garantit que nos soldats soient en nombre suffisant pour les servir.

Pour gagner la bataille du recrutement et de la fidélisation qui se dessine, le levier de la condition militaire doit être prioritairement utilisé pour améliorer nettement l’attractivité du métier militaire en termes de rémunération notamment, en allant plus loin que ne le prévoit la LPM. Améliorer la condition militaire devient donc une nécessité stratégique pour faire face à la crise de recrutement et de fidélisation qui s’annonce.

Pour illustrer cette nécessité, il suffit de consulter le dernier rapport du Haut Comité d’évaluation de la Condition Militaire (HCECM) en prenant l’exemple des officiers qui est le sujet de l’étude. Il fait plusieurs constats qui fragilisent la fidélisation :

  • Un écrasement des grilles indiciaires de l’ensemble des militaires entre 2011 et 2023 ;
  • Un décrochage des rémunérations des officiers supérieurs des 3 armées vis-à-vis des fonctionnaires de catégorie A+ et en particulier des commissaires de police ;
  • Cette situation défavorable rejaillit mécaniquement sur le montant de la pension de retraite des officiers, calculé en fonction de la part indiciaire de la rémunération en fin de carrière.

Ces situations fragilisent la fidélisation, car elles détériorent l’attractivité des fonctions d’officier, dans le cadre du recrutement interne, et leur fidélisation. Or les armées ne peuvent plus se permettre de perdre leurs talents.

Pour remédier à cet état de fait, le HCECM propose plusieurs mesures, non prises en compte dans la LPM 2024-2030, qui méritent pourtant une attention particulière si les armées veulent réussir à conquérir et préserver leurs effectifs :

  • Revoir les grilles indiciaires de l’ensemble des militaires et, en cas de séquençage dans la mise en œuvre des nouvelles grilles, de commencer par les officiers, sauf à prendre le risque d’altérer davantage l’attractivité de la fonction d’officier et d’affecter leur moral ;
  • Intégrer l’indemnité d’état militaire (IEM) dans le calcul de la pension militaire de retraite dans la mesure où elle compense les sujétions inhérentes au statut militaire ;
  • Assurer une cohérence de la politique indiciaire entre toutes les catégories de militaires pour préserver l’escalier social ;
  • Revaloriser le positionnement indiciaire des officiers au regard de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’État et des limites de la compensation purement indemnitaire des conséquences de la mobilité géographique, notamment sur l’emploi du conjoint et le niveau de vie des ménages.

Ce constat est corroboré par un rapport du Sénat, établi en 2019 au nom de la commission des finances sur la gestion des ressources humaines dans les armées, qui estime qu’en dépit des mesures spécifiques de revalorisation, le niveau général de rémunération des militaires apparaît faible, en comparaison des armées alliées et des autres emplois de la fonction publique.

La condition militaire ne se réduit pas aux seules rémunérations, même si elles en sont la traduction la plus visible. Les attentes en termes de réduction de la mobilité et d’accès au logement sont maintenant devenues des enjeux cruciaux de condition militaire sur lesquels des efforts supplémentaires doivent être faits pour ne pas diminuer encore l’attractivité du métier militaire.

Bien entendu la condition militaire n’est pas le seul levier à utiliser, car en matière de recrutement il faut prendre en compte de nombreux facteurs sociétaux : l’esprit de défense, le sentiment national, le niveau de résilience de la Nation, l’éducation.

En effet, le militaire est toujours un produit de la société civile qui l’a éduqué et façonné en tant que citoyen. Il rejoint les armées parce qu’il est volontaire, qu’il en a envie et qu’il y trouve un intérêt, avant de retourner au terme de sa carrière dans le monde civil, entre 3 et 40 ans plus tard selon son parcours.

Il existe donc un lien direct entre la nature et les caractéristiques de la société civile d’une nation, la vivacité de l’esprit de défense qui y règne et l’existence d’un vivier potentiel permettant aux armées de recruter les soldats dont elles ont besoin.

Malheureusement l’esprit de défense ne se décrète pas, il découle d’abord du sentiment d’appartenance à une Nation dont les valeurs, l’histoire, le fonctionnement démocratique sont partagés et enseignés. En faisant renaitre ce sentiment national, l’esprit de défense sera naturellement conforté, car il se construit dans le temps long par l’action conjuguée de la famille, de l’école, de la société, de décisions politiques. Mais il relève aussi d’éléments d’ordre psychologique, moral, politique et social, d’une conscience collective, du rapport à la patrie et, surtout, d’une compréhension collective des enjeux de sécurité. Autant d’éléments qu’il est parfois difficile de percevoir concrètement aujourd’hui en France.

L’esprit de défense est d’autant plus difficile à développer lorsque la sécurité d’une Nation est confiée à un nombre de plus en plus restreint de ses citoyens, qualifiés aujourd’hui de « professionnels ». La défense du pays, de ses intérêts, de sa culture et de son influence devient alors l’affaire d’une minorité d’experts spécialistes, dont le reste de la société peut facilement se dessaisir.

Plus l’esprit de défense sera développé au sein de la société civile, plus le nombre de jeunes citoyens conscients de l’importance de défendre leur pays sera important et plus le vivier potentiel de recrutement pour les armées sera intéressant.

Il faut donc chercher par tous les moyens à développer cet esprit de défense dans notre société. Les armées ont certes un rôle important à jouer en se faisant encore mieux connaitre, mais il faut au préalable une véritable volonté politique. Elle doit se traduire par des actions concrètes allant au-delà des déclarations d’intention, pour ensuite être relayée par l’éducation, la famille, l’entreprise, les acteurs sociaux qui concourent tous dans leur domaine à transmettre les valeurs sur lesquelles se construit la résilience d’un pays.

On ne détruit pas impunément dans une société la valeur travail, la fierté d’appartenance à une Nation démocratique, la primauté de l’intérêt général sur l’intérêt individuel et des devoirs sur les droits, sans fragiliser l’esprit de défense et la capacité d’un pays à se défendre face au retour de la guerre.

Le CEMAT formule cette interrogation centrale : « Nos sociétés occidentales, dont les dernières générations n’envisageaient jusqu’à récemment la guerre qu’au travers des livres d’Histoire, sont-elles prêtes à voir leurs fils et filles mourir en nombre pour un plus grand bien ? ».

À l’heure des réseaux sociaux mondiaux, des communautarismes d’appartenance et des individualismes exacerbés, se pose donc la question de savoir quel esprit de défense irrigue la France et si nous sommes prêts, en tant que nation, à faire face aux menaces grandissantes qui se profilent.

Cet effort crucial pour développer l’esprit de défense est donc l’affaire de toutes les composantes de la société, il conditionne par relation de cause à effet la capacité à recruter des armées et il devient à ce titre un enjeu stratégique.

Tout est en place pour que la conquête de la ressource humaine devienne le défi majeur pour les armées durant les prochaines années et bien au-delà de l’horizon de la LPM. La condition militaire, autour du triptyque rémunération-mobilité-logement et les différentes compensations des sujétions du métier militaire constituent un levier stratégique pour espérer remporter la bataille du recrutement et de la fidélisation.

Ce combat ne peut être remporté qu’avec le développement d’un esprit de défense bien plus vivace dans notre société. Cette prise de conscience est indispensable pour faire comprendre à nos concitoyens que la défense nationale n’est pas qu’une affaire exclusivement militaire.

Mais attention, le temps RH n’est pas celui de l’immédiateté, ni celui du temps politique. Pourtant les décisions d’aujourd’hui engagent l’avenir de nos armées, de la même façon que celles d’hier ont généré les difficultés d’aujourd’hui.

Dans une société française où le sens du devoir est de moins en moins enseigné et cultivé, il faut absolument se donner les moyens de redynamiser l’esprit de défense, sans attendre une évolution géopolitique dramatique qui engendrerait un sursaut trop tardif. Concomitamment, il est indispensable d’améliorer encore la condition militaire pour trouver suffisamment de jeunes hommes et femmes qui aient encore l’audace de servir leur pays au sein des armées. C’est le véritable défi d’aujourd’hui pour espérer gagner la bataille de la réalisation des effectifs demain.


NOTES :

  1. Postes exprimés en ETP : Équivalent Temps Plein.
  2. La Garde nationale américaine est une force de réserve opérationnelle dirigée directement par les états américains, et coordonnée par les armées fédérales. C’est l’une des plus importantes forces militaires au monde, avec presque 500 000 hommes, 8 divisions d’infanterie, 62 brigades de soutien ou spécialisées, et des dizaines de milliers de véhicules blindés, hélicoptères et avions de combat.
  3. 15 à 16 000 recrutements par an pour l’AdT, tous grades confondus.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le G2S change de nom pour prendre celui de Cercle Maréchal Foch, tout en demeurant une association d’anciens officiers généraux fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. En effet, plutôt qu’un acronyme pas toujours compréhensible par un large public, nous souhaitons inscrire nos réflexions sous le parrainage de ce glorieux chef militaire, artisan de la victoire de 1918 et penseur militaire à l’origine des armées modernes. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).