Ukraine : Dernier né des chars russes, le T-14 Armata doit revenir en usine pour des « ajustements »

Ukraine : Dernier né des chars russes, le T-14 Armata doit revenir en usine pour des « ajustements »

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Pour rappel, présenté pour la première fois en 2015, le T-14 Armata était censé marquer une rupture par rapport aux autres chars utilisés par les forces russes.

Affichant une masse de 57 tonnes et mû par un groupe motopropulseur de 1500 ch, ce nouveau char est mis en œuvre par trois hommes, logés dans une capsule blindée à couches multiples. Il est doté d’une tourelle téléopérée armée d’un canon de 125 mm, complété par une mitrailleuse de 12,7 mm, d’un canon de 30 mm et de missiles anti-char, et sur laquelle prennent place différents types de capteurs [équipements optroniques, radars, caméras]. Enfin, il dispose du système de protection active Afganit.

Dans l’une de ses évaluations quotidiennes de la situation en Ukraine, le ministère britannique de la Défense [MoD] avait estimé, en janvier, que l’envoi de T-14 au Donbass pourrait être à « haut risque » pour les forces russes étant donné les difficultés auxquelles son constructeur, Uralvagonzavod, fut confronté durant son développement. Et d’en conclure qu’un éventuel déploiement se ferait à des fins de propagande.

En tout cas, en se basant sur l’imagerie satellitaire, le MoD avait dit avoir repéré deux T-14 Armata au camp d’entraînement de Kouzminka qui, situé dans le sud de la Russie, est associé à une « activité de pré-déploiement pour les opérations en Ukraine ».

Cependant, si aucune image le montrant au combat n’a été produite, cela ne veut pas dire que le T-14 Armata n’a pas été envoyé en Ukraine… La raison de cette discrétion a sans doute été donnée par l’agence officielle russe Tass.

Évidemment, on peut toujours soupçonner une tentative de manipulation… Mais toujours est-il que, ce 22 août, et sur la foi de confidences faites par une « source du complexe militaro-industriel », celle-ci a révélé que le « nouveau char T-14 Armata » devra subir des « ajustements » sur « la base des résultats de son utilisation dans le cadre de ‘l’opération spéciale’ en Ukraine.

Le T-14 Armata « a été utilisé à plusieurs reprise dans la zone de combat en Ukraine », a prétendu la source de l’agence Tass. Quant aux modifications en question, elle n’a pas souhaité en préciser la nature par souci de confidentialité.

Selon Tass, le groupe « Sud » des forces russes aurait utilisé plusieurs T-14 « dans le but de les tester et d’observer leur comportement dans des conditions de combat réelles ». Puis ces chars ont ensuite « été retirés de la ligne de front ».

Des Alphajet pour former des pilotes de chasse ukrainiens?

Des Alphajet pour former des pilotes de chasse ukrainiens?

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D’abord, et comme l’avaient fait avant lui Frank Kendall, le secrétaire à l’US Air Force, et le général Mark Milley, le chef d’état-major des forces américaines, il a estimé que les F-16 ne constitueront pas une « solution miracle » devant permettre aux forces ukrainiennes de prendre le dessus sur leurs homologues russes. En revanche, ils faciliteront l’usage de munitions occidentales qui lui ont été fournies, comme par exemple le missile anti-radar AGM-88 HARM ou encore le missile air-air AIM-120 AMRAAM

Quoi qu’il en soit, pour le général Hecker, « maîtriser le F-16 ne se fait pas du jour au lendemain ». Ainsi, « on peut devenir compétent sur certains systèmes d’armes assez rapidement, mais avec ceux comme le F-16, il faut plus de temps. Et aligner quelques escadrons de F-16 avec un état de préparation suffisamment élevé peut prendre quatre ou cinq ans », a-t-il expliqué.

Et pour cause : un pilote de chasse ukrainien, même expérimenté, devra se familiariser avec un système d’armes radicalement différent de ceux dont il a habitude, puisque hérités de la période soviétique. Outre l’obstacle linguistique, il doit s’approprier de nouvelles tactiques en rapport avec les armements qu’il aura à mettre en œuvre et les performances propres au F-16 [ou à un autre avion de facture occidentale]. Et les choses ne sont pas plus simples quand il s’agit de former un « aspirant » pilote.

Or, la force aérienne ukrainienne ne peut pas se permettre de se séparer de ses pilotes les plus chevronnés pour les envoyer se former sur F-16.

« Le groupe de pilotes qui suivent une formation sur F-16 est très jeune et il aura besoin d’acquérir de l’expérience pour maîtriser l’avion », a affirmé le général Hecker.

Sur les 32 pilotes ukrainiens appelés à prendre les commandes d’un F-16, seulement 8 ont une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour entamer leur formation. Quant aux autres, ils « suivent une formation linguistique au Royaume-Uni », a dit le général Hecker, confirmant ainsi les informations du Washington Post et de Politico.

Selon l’officier américain, ces pilotes ukrainiens doivent ensuite s’entraîner sur des avions à hélice, sachant que la Royal Air Force dispose de Tutor Mk1 [Grob G-115], de Prefect Mk1 [Grob G-120TP] et de T-6 Texan II. Puis, a-t-il continué, ils se rendront « en France pour voler un peu sur Alphajet ». Ce qui a de quoi surprendre.

En effet, l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE] n’utilise plus d’Alphajet pour la formation depuis le 16 mars, date à laquelle six élèves pilotes ont reçu leur macaron, après avoir suivi un cursus complet au sein de l’escadron de chasse 3/8 « Côte d’Or », dont la mission principale est de tenir le rôle de « force adverse » pour la préparation opérationnelle.

« En recevant les brevets de pilote de chasse, la promotion composée de six officiers […] a ‘clôturé’ 59 années de formation de la filière chasse sur la base aérienne 120 Cazaux. Elle fut la dernière à recevoir ses ailes sur Alphajet, ainsi que la seule à avoir été formée entièrement au sein de l’escadron de chasse 3/8 ‘Côte d’Or’ à qui la mission de formation avait été attribuée temporairement. La formation sur Alphajet est donc désormais révolue », avait en effet résumé l’AAE, à l’époque.

Ces pilotes ukrainiens iront donc sans doute à Cazaux, au sein du 3/8 « Côte d’Or ». À moins qu’il ne soit fait appel à une Entreprise de services de sécurité et de défense [ESSD], certaines ayant racheté des Alphajet sur le marché de l’occasion, comme la canadienne Top Aces.

Reste que, en février, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait dit ne pas exclure la possibilité de former des pilotes ukrainiens en France. Et, un mois plus tard, le quotidien Le Figaro avait révélé qu’au moins trente aviateurs venus d’Ukraine suivaient une formation « accélérée » à Mont-de-Marsan et à Nancy pour apprendre à piloter des… Mirage 2000. « La France veut se garder toutes latitudes. Si un jour la décision politique est prise, il faudra que les pilotes soient formés », avait confié une source au fait du dossier.

Photo : armée de l’Air & de l’Espace

La guerre aérienne en Ukraine va-t-elle sauver le Su-75 Checkmate russe ?

La guerre aérienne en Ukraine va-t-elle sauver le Su-75 Checkmate russe ?

Su 75 Chekmate drone e1689869687217 Aviation de chasse | Articles gratuits | Conflit Russo-Ukrainien

La guerre aérienne en Ukraine va-t-elle sauver le Su-75 Checkmate russe ?


On le croyait disparu après le retentissant échec de son lancement commercial. Pourtant, le nouveau chasseur monomoteur de 5ᵉ génération Su-75 Checkmate présenté par le groupe Rostec à l’occasion du salon Army 2021, a fait l’objet de plusieurs dépôts de brevets ces dernières semaines en Russie, laissant supposer qu’il puisse être encore actif.

Rappelons que tel qu’il fut présenté, le Su-75 Checkmate est un chasseur monomoteur supersonique de nouvelle génération destiné à prendre le relais du Mig-29, mais également des F-16 et autres MIG-21 encore en service. Il avait, par ailleurs, de quoi séduire, avec une vitesse de Mach 1,8, une confortable capacité d’emport de 7 tonnes, et une autonomie donnée pour atteindre 3000 km.

En outre, l’appareil devait avoir une signature radar et infrarouge réduite, et emporter une avionique parfaitement moderne. Son prix de vente, des plus attractif, était annoncé alors autour de 30 m$, et ses couts de possession l’étaient encore davantage, à 6 000 $ l’heure de vol.

Toutefois, en dépit de ces promesses alléchantes, et d’une impressionnante campagne de communication visant directement l’Inde, les Émirats arabes unis ou encore l’Argentine, le Checkmate n’a pas convaincu.

Présenté au salon army 2021 de Moscou pour la première fois, le Su-75 Checkmate de Rostec se voulait un pari audacieux de l'industrie aéronautique russe pour retrouver sa place sur le marché des chasseurs monomoteurs à hautes performances
Présenté au salon army 2021 de Moscou pour la première fois, le Su-75 Checkmate de Rostec se voulait un pari audacieux de l’industrie aéronautique russe pour retrouver sa place sur le marché des chasseurs monomoteurs à hautes performances

L’échec du lancement du Su-75 Checkmate

Faute de partenaires internationaux pour en financer le développement, et en l’absence du soutien du ministère des Armées russe, focalisé alors sur la production de su-35s et Su-34, ainsi que sur le développement du binôme Su-57, S-70 Okthonik-B, l’enthousiasme retomba rapidement autour de cet appareil prometteur, susceptible d’apporter potentiellement une réponse à de nombreuses forces aériennes incapables de se doter des appareils récents hors de leurs moyens budgétaires.

Qui plus est, avec le début de l’Opération Militaire Spéciale en Ukraine, qui a rapidement tourné au désastre militaire, nécessitant la pleine mobilisation des moyens russes, la question quant au développement et à l’exportation du Su-75 Checkmate semblait ne plus se poser, ni pour l’État russe, ni pour ses armées, et pas davantage pour Rostec, son promoteur.

Alors, le Checkmate était-il échec et mat ? C’est beaucoup trop tôt pour être affirmatif sur le sujet. En effet, lors derniers jours, selon l’agence Tass, Rostec aurait déposé 3 demandes de brevet pour des appareils apparentés au Su-75 : une version monomoteur monoplace légèrement révisitée pour en accroitre la furtivité d’une part, une version biplace de l’autre, ainsi qu’une version dronisée dépourvue d’équipage, laissant penser les observateurs russes qu’il pourrait s’agir d’une alternative, voire de la forme définitive du programme S-70 Okhotnik-b.

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Le drone de combat S-70 Okhontik-B pourrait avoir une allure définitive très différente de celles des prototypes observés

Un nouveau besoin pour les forces aériennes russes ?

Surtout, il est désormais possible que l’état-major des forces aériennes russes, jusque-là exclusivement tourné vers des chasseurs lourds comme le Su-35s et le Su-57 pour sa modernisation, ait été contraint à réviser ses plans face aux enseignements de la guerre en Ukraine.

En effet, les appareils plus compacts et légers, comme le Su-25 et le Mig-29 continuent d’apporter une grande plus-value, notamment pour les missions de soutien aérien rapproché. Dans le même temps, les chasseurs bombardiers plus lourds, comme le Su-34, se sont montrés à ce point vulnérables aux défenses anti-aériennes adverses qu’ils n’évoluent désormais plus en territoire ukrainien.

Dans ce contexte, l’hypothèse pour les armées russes de se tourner vers un chasseur léger moderne, susceptibles à la fois d’exécuter des missions pilotées et, sur la même plateforme de sorte à en simplifier la maintenance, des missions drossées au profit d’appareils plus lourds comme le Su-57, aurait évidemment un grand intérêt.

Le Su-75 checkmate peut-il sauver l’industrie aéronautique de défense russe ?

Force est de constater que les exportations d’avions de combat russes sont aujourd’hui au point mort. Ainsi, le Su-35s comme le Su-34, qui n’ont toujours pas trouvé de client à l’international. Les Su-30 et MiG-29 ont, quant à eux, vu leur attractivité considérablement se réduire ces derniers mois, y compris auprès de clients traditionnels de l’industrie aéronautique russe comme l’Algérie ou l’Inde. Cette dernière a, à ce titre, récemment préféré le Rafale M français au Mig-29 KUB pour armer son nouveau porte-avions.

Mig29Kub Indian navy Aviation de chasse | Articles gratuits | Conflit Russo-Ukrainien
L’Inde n’a pas même considéré le MIg-29 KUB comme une alternative pour armer son nouveau porte-avions INS Vikrant

Or, de nouveaux acteurs arrivent sur le marché, comme la Corée du Sud avec le FA-50 et surtout le très prometteur KF-21 Boramae, le Pakistan avec le JF-17, l’Inde avec le Tejas. La plus grande menace vient incontestablement de la Chine avec le J-10C ainsi qu’une gamme qui s’enrichit rapidement, notamment concernant les chasseurs lourds avec le J-16 et le J-20.

Quant aux occidentaux, américain, français et européens, ils font mains basses sur la plupart des compétitions qui leur sont ouvertes. Il est donc désormais indispensable à l’industrie russe de se repositionner rapidement, faute de quoi, elle pourrait perdre d’immenses parts de marchés qui lui seraient impossibles de retrouver à l’avenir.

Dans le même temps, les recettes dégagées par les exportations d’équipements militaires russes, et notamment de ses avions et hélicoptères militaires, contribuaient considérablement aux efforts d’équipement des armées russes. Elles leur permettaient surtout d’acquérir leurs propres appareils à des tarifs très inférieurs à ceux pratiqués à l’exportation. comme le chasseur de 5ᵉ génération Su-57, dont un exemplaire coute moins de 35 m$ aux forces aériennes russes.

Conclusion

On le comprend, la résurrection potentielle du Su-75 checkmate, pourrait bien représenter une nécessité tant pour les forces aériennes russes. Elles pourraient ainsi remplacer leurs Su-25 désormais obsolètes et trop vulnérables, mais également pour représenter une alternative efficace et économique au S-70 Okhotnik-B dans sa version drone lourd. C’est aussi le cas de l’industrie aéronautique de défense russe aujourd’hui en mal de solutions attractives sur la scène internationale. Il faudra cependant probablement renoncer, pour cela, à certaines ambitions anté bellum.

J10C Aviation de chasse | Articles gratuits | Conflit Russo-Ukrainien
La Chine propose désormais ses appareils évolués à l’exportation, comme le chasseur monomoteur J-10C acquis par le Pakistan

Reste que, pour l’heure, l’attractivité du Su-75 Checkmate, qu’elle soit opérationnelle ou commerciale, existe uniquement dans les présentations ostentatoires de Rostec. En outre, rien ne permet à ce jour de confirmer les performances ni même le prix annoncé en 2021. Une chose est certaine, en revanche. Il faudra rapidement que l’ensemble des acteurs militaires, industriels et politiques, ainsi que la filière aéronautique défense russe, se mobilisent pour éviter que le trou d’air dans lequel ils se trouvent, ne se transforme en décrochage mortel.

Neuf mois et après par Michel Goya

Neuf mois et après

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 16 août 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Dans la guerre moderne, le succès d’une opération de conquête se mesure aux grandes villes dans lesquelles on plante des drapeaux. Or, qu’il s’agisse de l’offensive d’hiver russe ou de l’offensive d’été ukrainienne, nul nom de ville n’est apparu dans le paysage stratégique depuis la libération de Kherson en novembre dernier à l’exception de Bakhmut, une ville de la taille d’Asnières-sur-Seine prise après dix mois de lutte. On ne parle plus en réalité que de villages, voire de lieux-dits ou de points hauts, en considérant que leur prise ou leur défense constitue des victoires. À l’horizon microtactique, celui des hommes sous le feu aux émotions exacerbées par la présence de la mort, cela est vrai. Une rue défendue pendant des jours peut y constituer l’évènement d’une vie. À l’échelon stratégique, celui des nations en guerre, un village ne peut pas en revanche être considéré en soi comme une victoire.

Bras de fer

On peut donc se féliciter de la prise par les Ukrainiens du village d’Urozhaine dans le secteur de Velika Novosilka ainsi que sans doute de celle prochaine de Robotyne dans le secteur d’Orikhiv, mais ce ne sont toujours pas des victoires stratégiques. Les forces ukrainiennes sont toujours dans la zone de couverture d’un dispositif de défense russe qui reste solide. On reste donc toujours très en dessous de la norme de 50 km2/jour qui, assez grossièrement, indique si on est en train de réussir ou non l’opération offensive selon le critère terrain. Ajoutons que dans les opérations ukrainiennes périphériques : l’encerclement de Bakhmut, la guérilla dans la région de Belgorod ou les coups de main sur la rive est du Dniepr dans la région de Kherson, les choses évoluent également peu. La progression autour de Bakhmut semble même arrêtée par la défense russe sur place, mais aussi peut-être par la nécessité ukrainienne de renforcer la zone de Koupiansk à Kerminna où les 6e, 20e et 41e armées russes, renforcées du 2e corps d’armée LNR, exercent une forte pression avec même une petite progression en direction de Koupiansk. Dans les faits, le transfert de forces du secteur de Bakhmut vers les secteurs menacés plus au nord semble être le seul vrai résultat obtenu par l’opération de revers russe. Comme on ne voit pas comment l’armée russe serait montée en gamme d’un coup, on ne voit pas non plus comment elle obtiendrait maintenant ce grand succès offensif qui lui échappe depuis juillet 2022.

On reste donc sur un bras de fer où les mains des deux adversaires bougent peu, mais ce qui importe dans un bras de fer n’est pas visible. À ce stade, l’hypothèse optimiste pour les Ukrainiens est que les muscles russes perdent leur force plus vite que les leurs et les choses basculent d’un coup. Or, les chiffres de pertes matérielles constatées de manière neutre (Oryx et War Spotter) ne donnent toujours pas une image claire d’un camp qui l’importerait nettement selon le critère des pertes.

Premier combat, celui des unités de mêlée : du 7 juin au 15 août, on constate que les Russes ont eu 10 véhicules de combat majeurs (tanks + AFC + IFV + ACP) russes perdus ou endommagés chaque jour, contre 4 à 5 pour les Ukrainiens. Ce qu’il faut retenir c’est que les Ukrainiens perdent chaque jour l’équivalent d’un bataillon de mêlée (chars de bataille-infanterie) sur les 400 dont ils disposent pour conquérir 7 km2. Les Russes perdent sans doute également un bataillon chaque jour mais plus gros que celui des Ukrainiens. La tendance depuis deux semaines est plus favorable aux Ukrainiens, mais sans que cela puisse être considéré comme un écart décisif.

Deuxième combat, celui de la puissance de feu : avec 231 pièces russes détruites ou endommagées, on est dans un rapport de 2,3 pièces par jour depuis le 8 mai, en baisse donc depuis le pointage il y a deux semaines (2,6), pour 0,7 pièce ukrainienne. La bataille de la contre-batterie semble nettement à l’avantage des Ukrainiens et plutôt plus qu’il y a deux semaines, mais l’intensité des feux russes semble finalement peu affectée selon le site Lookerstudio, très favorable aux Ukrainiens, puisque le nombre moyen de tirs quotidiens ne diminue pas, au moins dans la catégorie des lance-roquettes multiples. Il en est de même pour les frappes aériennes russes et les attaques d’hélicoptères, toujours aussi redoutables.

En dehors des quelques images spectaculaires de frappes dans la profondeur, qui perturbent incontestablement les réseaux logistiques (carburant et obus) et les réseaux de commandement, il n’y a pas d’indice flagrant d’une diminution rapide de la puissance de feu russe. L’introduction d’obus à sous-munitions américains, déjà utilisés semble-t-il, pour la prise d’Urozhaine par les brigades d’infanterie de marine ukrainiennes, peut peut-être changer un peu la donne s’ils arrivent en masse, mais il en est de même si les Russes parviennent à compenser la « famine d’obus » par des aides extérieures.

Depuis février 2022, les opérations offensives d’un camp ou de l’autre n’ont jamais duré plus de quatre mois, et en étant larges, du fait de l’usure des hommes, des machines et des ressources logistiques, mais aussi de la météo et surtout de la réaction de l’ennemi en défense. On peut grossièrement estimer qu’il reste un mois et demi pour que l’hypothèse du bras de fer gagnant, ou de la « percée de la digue » selon l’expression de Guillaume Ancel, se réalise. Plus le temps passe et plus sa probabilité d’occurrence au profit de l’hypothèse du bras de fer diminue.

Ajoutons que plus le temps passe et plus l’ampleur de la victoire éventuelle après une percée ou une pression forte sera également faible. Avant l’opération offensive ukrainienne, on évoquait Mélitopol ou Berdiansk comme objectifs dont l’atteinte pourrait être considérée comme des victoires stratégiques. Plus le temps passe, et plus on a tendance à considérer la prise de Tokmak sur l’axe d’Orikhiv ou celle de Bilmak sur l’axe de Veliky Novosilky comme des victoires de substitution, avant l’épuisement de l’opération. Mais même ainsi, et en considérant la possibilité éventuelle de relancer une nouvelle opération à l’automne-hiver, on serait encore très loin de l’objectif de libération totale du territoire ukrainien.

Et après

Si l’hypothèse du bras de fer permanent se confirme, c’est-à-dire qu’il s’avère impossible avec les moyens disponibles de bouger significativement le front, alors il faudra admettre que perdre un bataillon pour libérer 7 km2 n’est pas viable. On n’est pas obligé d’attaquer partout et tout le temps, si cela ne sert pas à grand-chose pour très cher. Le général Pétain a pris le commandement des forces françaises en mai 1917 après l’échec de la grande offensive organisée par Nivelle contre la ligne Hindenburg. Son premier réflexe a été de tout arrêter et d’édicter une série de directives non plus pour organiser une nième grande percée décisive, mais pour transformer l’armée française afin qu’elle puisse enfin gagner la guerre, non pas dans l’année comme tout le monde pressait les chefs militaires jusque-là, mais un an voire deux plus tard. Sa Directive n°1, qui exprimait sa vision générale, a été résumée par la formule « J’attends les Américains et les chars ». Ce n’était pas évident tant la perspective d’avoir à mener une guerre longue pouvait effrayer une nation en souffrance depuis des années et une armée dont la moitié des divisions venait de se mettre en grève, mais il n’y avait pas d’autre solution et cela s’est avéré gagnant.

On suppose que le comité de guerre ukrainien a déjà sa Directive n°1 en cas d’échec de l’offensive actuelle. Il s’agirait de remplacer un temps les opérations offensives par une posture défensive générale et des « coups » afin de continuer à avoir des victoires afin de maintenir le moral des troupes, de la nation et des soutiens extérieurs tout en affaiblissant celui des Russes, avec toujours le secret espoir que ces coups peuvent par cumul faire chuter le régime russe. En 1917, Pétain a organisé ainsi des victoires « à coup sûr » en réunissant des moyens de feux écrasants sur des objectifs limités à Verdun en août et à la Malmaison en octobre et pour le reste a organisé une grande guerre de « commandos » le long du front.

La France y a peu participé mais Britanniques et Allemands se sont aussi engagés à l’époque dans la bataille des espaces communs afin de frapper directement les forces économiques et morales de la nation, avec les raids de bombardiers, de zeppelins ou de pièces d’artillerie géante sur les capitales ou les centres industriels, ou encore par les blocus maritimes. Dans la guerre actuelle, les raids aériens de machines inanimés, missiles, roquettes et drones, ont encore de beaux jours devant eux. On y constate même un équilibre croissant qui se forme, les Russes ne tirant plus que ce qu’ils produisent en missiles de 1ère catégorie et complétant avec du tout-venant, et les Ukrainiens développant leur propre force de frappe à longue portée. Tout cela n’a pas la masse critique pour obtenir des effets stratégiques par les dégâts causés – il faudrait que les avions de combat puissent être engagés pour cela – mais maintient les esprits, y compris les nôtres, dans la guerre. Il en est sensiblement de même sur les eaux où missiles et drones navals dominent pour l’instant. Il s’y trouve encore beaucoup de coups à donner et de raids amphibies à réaliser. Peut-être verra-t-on aussi les cyberbatailles qui sont plutôt absentes depuis les premiers jours du conflit et à coup sûr, les trolls s’efforceront de convaincre les opinions occidentales qu’il faut cesser d’aider l’Ukraine pour X raisons, la plus hypocrite étant celle de la « paix à tout prix ».

Et derrière cette agitation, il faudra travailler et innover plus que l’ennemi. Dans les six derniers mois de 1917 l’industrie française enfin organisée en « économie de guerre » a produit autant d’équipement militaire que depuis le début de la guerre. L’armée française, qui subit le moins de pertes de toute la guerre en 1917, en profite pour se transformer en armée motorisée, la première du monde. C’est cette mobilité qui a permis ensuite de faire face aux offensives allemandes du printemps 1918 puis de prendre l’initiative à partir de l’été. Je ne sais pas trop en quoi l’armée ukrainienne se transformera, mais il faudra qu’elle le fasse, pour multiplier par trois ou quatre sa puissance de feu opérationnelle et tactique et ses techniques d’assaut. À l’instar de l’opération Tempête en Croatie en août 1995, il sera alors possible, et seulement à ce moment-là, de reprendre soudainement l’offensive et de libérer tout le territoire ukrainien. Vladimir Poutine et ses fidèles tentent de faire croire que le temps joue pour eux, rien n’est plus faux. L’Ukraine et ses alliés Est européens forment la zone du monde qui s’arme et se transforme militairement le plus vite. Quand on se croit une puissance et que l’on veut participer aux affaires du monde comme la France, c’est sans doute là qu’il faut être.

Les mensonges du patron d’Oppenheimer sur les effets de la bombe atomique

Les mensonges du patron d’Oppenheimer sur les effets de la bombe atomique

https://www.slate.fr/story/251749/bombe-atomique-mensonges-leslie-groves-projet-manhattan-oppenheimer-dangerosite-radiations-nucleaires


Des documents fraîchement déclassifiés exposent les fausses déclarations du général Leslie Groves, chef du projet Manhattan, quant à la dangerosité des radiations nucléaires.

 

Le laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique) et le général Leslie Groves (au centre), chef du projet Manhattan, décernent une récompense au physicien Robert Oppenheimer à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. | Ministère de l'Énergie des États-Unis via Wikimedia Commons
Le laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique) et le général Leslie Groves (au centre), chef du projet Manhattan, décernent une récompense au physicien Robert Oppenheimer à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. | Ministère de l’Énergie des États-Unis via Wikimedia Commons

Ces documents montrent également que certains scientifiques impliqués dans le projet, dont le physicien J. Robert Oppenheimer, directeur du laboratoire de Los Alamos (Nouveau-Mexique), où la bombe atomique a été testée pour la première fois, ont passé sous silence le mensonge de Leslie Groves au lieu de le contester ou de l’affronter directement.

Les documents dissimulés –les derniers d’une série de pièces classées secret et top secret sur la bombe A, obtenues au fil des années par la National Security Archive, une association de recherches privée de l’université George-Washington– ont été publiés lundi 7 août, au moment du 78e anniversaire des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et dans le sillage de la sortie d’Oppenheimer, film à l’immense succès (mérité) qui a déjà encaissé 565 millions de dollars depuis son arrivée en salles le 19 juillet.

Déclarations hâtives

Un des nouveaux documents obtenus par les archives est un mémo rédigé par quatre scientifiques, intitulé «Effets biologiques calculés de l’explosion atomique à Hiroshima et Nagasaki», daté du 1er septembre 1945 (les bombes ont été lancées les 6 et 9 août de la même année). Jusqu’à la rédaction de ce mémo, il était admis que les victimes de la bombe A avaient été tuées par son souffle et sa chaleur. Mais ce document conclut qu’au moins un certain nombre des morts ont été causées par des retombées radioactives, des jours ou des semaines après les explosions.

Pourtant, trois jours avant la publication du mémo (le 29 août), lors d’une conférence de presse à Oak Ridge (l’un des sites décisionnels du projet Manhattan, dans le Tennessee), Leslie Groves déclara que les radiations n’avaient tué personne et que les affirmations du contraire –dont certaines avaient été publiées dans des journaux asiatiques– relevaient de la «propagande». Dans un mémo destiné à Robert Oppenheimer, George Kistiakowsky, le scientifique de Los Alamos qui avait coordonné le rapport biologique, écrivit que Leslie Groves «s’était mouillé jusqu’au cou» et qu’il hésitait donc à lui transmettre le document.

Même à ce moment-là, on en savait assez sur la contamination par les radiations pour inciter Leslie Groves à cesser de réfuter si fermement les affirmations à ce sujet. Les documents d’archives montrent que dès avril 1945, soit trois mois avant le premier essai de la bombe atomique au Nouveau-Mexique, les experts médicaux du projet Manhattan avaient mis en garde contre la possibilité d’un «nuage» toxique, susceptible de répandre de la «poussière radioactive» dans un périmètre étendu, «plusieurs heures après la détonation».

Certains avaient pressé Leslie Groves d’évacuer la zone autour du site d’essai, ce à quoi il avait résisté pour ne pas attirer l’attention des médias. Un scientifique se souviendra des années plus tard que Leslie Groves avait «dédaigné» cet avertissement et répondu: «C‘est quoi votre problème, vous faites de la propagande pour Hearst?» À l’époque, Hearst était le principal groupe de journaux, spécialisé dans la presse à sensations.

Sous-estimations et méconnaissance des effets

Le 21 juillet 1945, cinq jours après le premier essai de la bombe atomique (baptisé Trinity), Stafford L. Warren, responsable médical du projet Manhattan, écrivit à Leslie Groves que «les retombées de poussière des diverses parties du nuage présentaient potentiellement un danger très grave sur une bande de presque 45 kilomètres de large qui s’étend à près de 150 kilomètres au nord-est du site», ajoutant qu’il y avait encore «une quantité gigantesque de poussière radioactive qui flotte dans l’air». De récentes études réalisées à l’aide de modèles informatiques suggèrent que la radioactivité de l’essai nucléaire Trinity s’est étendue beaucoup plus loin, qu’elle a affecté quarante-six États et certaines zones du Mexique et du Canada.

Pourtant, Leslie Groves est passé outre les découvertes de Stafford L. Warren. Le 30 juillet 1945, dans un mémo sur les effets probables d’une bombe atomique larguée sur le Japon, il écrit au général George Marshall, chef d’état-major de l’armée américaine: «Aucun effet nuisible par des matériaux radioactifs n’est prévu au sol.» Phrase écrite de façon fallacieuse: à l’époque, peu de gens pensaient qu’il y aurait beaucoup de retombées qui s’attarderaient «au sol», mais il était tout à fait connu qu’elles pourraient tomber en pluie du ciel et se disperser dans l’air potentiellement respiré ou absorbé par les humains.

Avant le largage des bombes atomiques au Japon, les scientifiques pensaient que le souffle et la chaleur en seraient les principaux effets.

Il apparaît clairement, dans un extrait de son journal daté du 25 août 1945, que Leslie Groves est conscient de ce risque: il demande s’il est sans danger d’inviter la presse à venir visiter le site de l’essai nucléaire (et ce, plus de deux mois après le premier test). Un des scientifiques lui répond que cela «ne serait pas tellement sûr» si les journalistes se tiennent à trente mètres de l’endroit où la bombe a explosé. Les journalistes viennent le 11 septembre 1945 et reçoivent des «surchaussures blanches» pour se protéger d’éventuelles radiations.

Il est possible que, même à ce stade, Leslie Groves n’ait simplement pas cru au pire concernant les radiations. Le jour même où il évoque dans son journal la possibilité d’inviter des journalistes, il a une conversation téléphonique avec un autre officier d’Oak Ridge au sujet d’émissions de radio japonaises qui signalent des cas de maladies des rayons. Leslie Groves affirme qu’il s’agit de «propagande» et que les maladies sont plus probablement dues à de «bonnes brûlures thermiques».

Pourtant, il envoie une équipe d’inspecteurs dans les deux villes nippones bombardées pour déterminer l’impact de la radioactivité. Il écrit au général George C. Marshall, chef de l’état-major de l’armée de terre des États-Unis, que les victimes de radiations sont «peu probables» mais que les «faits» doivent être établis.

C’est logique. Avant le largage des bombes au Japon, la plupart des scientifiques pensaient que le souffle et la chaleur en seraient les principaux effets. Les radiations seraient de l’ordre du détail; quiconque recevrait une dose mortelle de radiations serait assez proche de l’explosion pour mourir soit à cause du souffle, soit de la chaleur. Cependant, comme il fut découvert plus tard, les «effets secondaires» de la bombe A –radiations, fumée, feu en particulier– pouvaient, dans certaines circonstances, s’étendre encore plus loin que les effets du souffle et de la chaleur.

Dès le rapport des premiers inspecteurs –celui que George Kistiakowsky commence par ne pas montrer à Leslie Groves avant, finalement, de le lui transmettre– on trouve l’évocation de «survivants anormaux» à l’intérieur du rayon de l’explosion, morts ensuite à cause de maladies dues aux radiations.

Mensonges face à une commission sénatoriale

Le 27 novembre 1945, des mois après la rédaction du mémo sur les effets biologiques des explosions atomiques à Hiroshima et Nagasaki, Stafford L. Warren écrit de nouveau à Leslie Groves avec des preuves encore plus irréfutables. Des quelque 4.000 patients admis dans les hôpitaux de Hiroshima et Nagasaki, écrit-il, «1.300, soit 33%, ont montré des effets des radiations et, sur ce nombre, à peu près la moitié sont morts».

Pourtant, trois jours plus tard, dans le cadre d’un témoignage devant la commission spéciale du Sénat sur l’énergie atomique, lorsque l’on demande à Leslie Groves s’il existe des «résidus atomiques» dans les deux villes japonaises bombardées, Leslie Groves répond: «Aucun. Et c’est un “aucun” très positif.» Leslie Groves poursuit et affirme que personne, dans aucune des deux villes, n’a souffert de blessures dues aux radiations, «excepté au moment où la bombe a explosé». Il ajoute qu’«il faudrait vraiment un accident pour que… une personne lambda, à portée de la bombe, soit tuée par les effets radioactifs».

Enfin, dans un commentaire qui achèvera de faire sa réputation auprès de ses détracteurs, Leslie Groves affirmera que les victimes irradiées qui ne sont pas mortes sur le coup, mais après un certain laps de temps, meurent «sans souffrance excessive. En fait, il paraît que c’est une mort très agréable.»

Leslie Groves a écarté, minimisé puis nié les rapports traitant de la maladie des rayons radioactifs, parce qu’à l’instar de nombreuses personnes à l’époque, il pensait que les armes nucléaires seraient la pièce maîtresse de la politique de défense des États-Unis (ce qui sera en effet le cas pendant les décennies suivantes) et que le public américain se retournerait contre elles si elles étaient assimilées à une arme telle que les gaz toxiques, et par conséquent considérées comme inacceptables moralement.

À cette époque, Robert Oppenheimer venait de quitter Los Alamos, mais il siégeait encore dans certains comités consultatifs du gouvernement. Comme beaucoup de scientifiques, il avait sous-estimé les effets des radiations, mais il était désormais tout à fait au courant des études des inspecteurs et des faux commentaires de Leslie Groves. Salué comme «le père de la bombe atomique», il avait l’impression d’avoir du sang sur les mains, comme il l’avoua notoirement au président Harry Truman. Mais il ne pipa mot sur les mensonges de Leslie Groves –en tout cas, pas en public.

D’autres, en revanche, ne tinrent pas leur langue. Le 6 décembre 1945, une semaine après le témoignage de Leslie Groves, Philip Morrison, un scientifique du projet Manhattan membre de l’équipe qui avait supervisé les dégâts de la bombe atomique au Japon, témoigna devant la même commission du Sénat et cita les faits concernant les radiations, contredisant directement les assurances désinvoltes de Leslie Groves.

Philip Morrison deviendra professeur de physique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et activiste dans la communauté de scientifiques –dont un bon nombre étaient des vétérans du projet Manhattan– prônant le contrôle des armes nucléaires et le désarmement. Peut-être, un jour, son histoire fera-t-elle l’objet d’une adaptation au cinéma.

L’insidieuse marche vers la guerre

L’insidieuse marche vers la guerre

 

par Ana Pouvreau* – Revue Conflits – publié le 16 août 2023

https://www.revueconflits.com/linsidieuse-marche-vers-la-guerre/


À la veille des grandes tragédies de son histoire, le peuple français a souvent cru à tort en sa bonne étoile.

En séjour dans la petite station thermale autrichienne de Bad Ischl, j’ai eu l’occasion de visiter la Kaiservilla, cette ancienne résidence d’été du couple impérial formé par François-Joseph et son épouse Elisabeth, ladite « Sissi ».  C’est dans ce cadre bucolique et enchanteur que l’empereur, ayant appris l’assassinat à Sarajevo de son neveu l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’empire austro-hongrois, rédigea entre deux parties de chasse, avec nonchalance et même avec une certaine délectation, le 28 juillet 1914, sa déclaration de guerre à la Serbie qu’il intitula « À mes peuples ». Il fit expédier la fatidique missive du pittoresque bureau de poste de la ville, toujours visible de nos jours, déclenchant ainsi, par le jeu mortifère des alliances (Triple-Alliance, Triple-Entente) et sans en avoir mesuré les conséquences, la première apocalypse du vingtième siècle, impliquant plus de 70 pays belligérants.

Comme des somnambules au bord d’un précipice

Cette année-là, à l’instar des autres peuples européens, les Français, comme l’a souligné l’historien Rémy Cazals, « sont persuadés que tout va se régler dans les Balkans, que tous ces monarques européens apparentés finiront par s’entendre et que nous ne sommes pas menacés. Bien sûr, la relation avec l’Allemagne reste conflictuelle. Mais on fait confiance aux diplomates »[1]. 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est pour la première fois décrété en France. La Première Guerre mondiale se soldera, pour la seule France, par un bilan de 1,4 million de soldats morts, plus de 4 millions de soldats blessés et 300 000 morts au sein de la population civile. Au total, le conflit fera 18,6 millions de morts[2] !

Une génération après la Grande Guerre, en août 1938, 80% des Français pensent que l’entente franco-anglaise va maintenir la paix en Europe, selon un sondage réalisé à l’époque par l’Institut français d’opinion publique (IFOP)[3]. En avril 1939, près de la moitié de la population croit encore à la paix en dépit de la succession inquiétante de graves crises internationales et de la montée des totalitarismes. Au printemps 1939, comme si de rien n’était, les préparatifs vont bon train pour la première édition du Festival du Film de Cannes prévue en septembre 1939 et, au lendemain de la signature du pacte germano-soviétique du 23 août 1939, les Français se passionnent plus que jamais pour l’étape bretonne du Tour de France[4] ! En septembre 1939, cinq millions d’entre eux seront mobilisés. 567 600 Français périront.

En octobre 1940, alors que plus de 3000 soldats français sont déjà tombés au combat pendant la « Drôle de guerre » (3 septembre 1939-10 mai 1940), la population croit encore qu’elle pourra être épargnée grâce au double jeu de Pétain avec les Allemands lors de l’entrevue de Montoire, qui pose les bases de la collaboration après l’armistice du 22 juin 1940. Le peuple de France, désormais placé sous la férule de l’occupant allemand, s’illusionne sur l’avenir de la « zone libre ». Il n’a pas anticipé l’invasion allemande au sud de la ligne de démarcation le 11 novembre 1942 (à la suite du débarquement allié en Afrique du Nord), et le lot d’atrocités supplémentaires qui va en découler.

Au terme de ce déchaînement de forces infernales, le pays sortira non seulement exsangue de la Deuxième Guerre mondiale, le conflit le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité, mais sa réputation se trouvera durablement entachée par l’expérience de la collaboration et de la déportation massive des Juifs vers les camps de la mort. Et ce, en dépit du martyre de la Résistance et du comportement héroïque du général de Gaulle et de ses camarades – « les clochards de la gloire », selon l’expression du combattant de la France libre, Alexis Le Gall (1922-2019), dont l’obsession fut, à compter de juin 1940, d’effacer l’humiliation de la défaite[5].

Les grandes illusions de l’après guerre froide

C’est pourtant encore avec ce même optimisme à toute épreuve que les Français aborderont le début de la Guerre froide, une période marquée par le spectre de l’apocalypse nucléaire. L’effondrement de l’Union soviétique les poussera à réclamer les « dividendes de la paix » et à entamer le XXIe siècle gonflés d’espoir.Le rêve d’une mondialisation heureuse mis en avant par ses élites dirigeantes, les progrès technologiques incontestables, les sirènes de l’intégration européenne, le confort ramollissant de l’américanisation de leur mode de vie, les a progressivement conduits à écarter la guerre du champ des possibles. Et comme ne cessent de le faire remarquer les tenants de la droite souverainiste (Nicolas Dupont-Aignant, Florian Philippot, François Asselineau), les Français ont, sans même s’en apercevoir, remis leur pouvoir de décision et la souveraineté de leur État-nation millénaire entre les mains d’instances supranationales dirigées par des personnalités non-élues.

Pourtant, depuis 1991, les conflits s’enchaînent : Bosnie, Kosovo, Afghanistan, Irak, Syrie, Libye, Ukraine, alimentant une crise migratoire aiguë qui déstabilise les Européens. L’irrésistible montée de l’islamisme, la succession d’attentats terroristes sanglants, l’extension des violences urbaines, l’enracinement des squatters, l’obscène prospérité des réseaux criminels, l’impunité des bandes de pillards et des émeutiers, ne les incite toujours pas à se départir d’un certain optimisme.

Le spectre de la mobilisation générale

Le scénario d’une mobilisation générale de la population française pour aller combattre un nouvel ennemi sur le front de l’Est devrait cependant nous interroger. Comme le pressentait en 2022 Henri Guaino, »les Français s’acheminent lentement vers la guerre comme des somnambules »[6]. Dominique de Villepin s’est montré lui aussi inquiet vis-à-vis de cette folle escalade [7].

L’escalade en Ukraine n’a en effet jamais cessé de s’emballer. Les décisions prises au dernier sommet de l’OTAN à Vilnius des 11 et 12 juillet 2023 semblent verrouiller toute possibilité de négociation de paix. Lors de ce sommet, le président polonais a évoqué ouvertement la possibilité d’une entrée en guerre contre la Russie. Le président français a, quant à lui, annoncé la livraison de missiles à longue portée à l’Ukraine permettant des frappes dans la profondeur et la possibilité de toucher le territoire russe. Cette annonce a provoqué une réaction lourde de menaces de la part de la Russie, d’autant plus que la France s’est jointe aux États baltes et à la Pologne en faveur d’une adhésion rapide de l’Ukraine à l’OTAN. En vertu de l’article 5 de l’Alliance atlantique, une telle adhésion pourrait inévitablement entraîner la France et les autres Alliés dans la guerre.  L’Administration Biden, pour sa part, vient d’annoncer une nouvelle aide militaire, qui s’ajoute aux milliards de dollars d’aide déjà versés à l’Ukraine depuis 2022.

La préparation des esprits à une guerre longue et de haute intensité

Les Français ont été rassurés en 1996 par la suspension du service militaire et par la professionnalisation des armées, ce qui écartait a priori le rappel sous les drapeaux des anciens conscrits en cas de guerre. Un dispositif de rappel des réservistes a été prévu en soutien des militaires d’active. Viendraient donc en premier tableau, la réserve opérationnelle militaire, la réserve civile de la Police nationale, la réserve sanitaire, la réserve civile pénitentiaire et la réserve de Sécurité civile. Le problème tient au faible nombre de ces effectifs, car, selon le colonel Jean de Monicault : « Pour les armées, c’est environ 140 000 personnes qui sont théoriquement mobilisables, dont 40 000 volontaires de la réserve opérationnelle de 1er niveau. Mais aucun exercice n’a jamais permis de valider ce potentiel. On est donc loin de la mobilisation de 5 millions de citoyens dans la France de 1939, qui était pourtant bien moins peuplée que celle d’aujourd’hui » [8].

Pour rappel, dans un tel cas de figure, les articles L2141-2 et -3 du code de la défense indiquent que la mise en garde et la mobilisation générale de la population sont décidées par décrets pris en Conseil des ministres. Ces décrets ouvrent notamment au Gouvernement « le droit de requérir les personnes, les biens et les services » en cas de menace majeure pour le pays[9]. La loi de programmation militaire (LPM) a été définitivement adoptée le 13 juillet 2023 par le parlement[10]. Son objectif est de « bâtir l’avenir des armées françaises dans un environnement stratégique de plus en plus menaçant, comme illustré par la guerre en Ukraine »[11]. 413 milliards d’euros sont ainsi prévus pour le ministère des Armées sur la période 2024-2030.

Cette LPM prévoit l’extension des réquisitions, tandis que l’âge des réservistes a été repoussé d’une dizaine d’années et pourrait s’étendre désormais jusqu’à 72 ans pour certaines spécialités. Les effectifs de la réserve vont être multipliés par deux. Le service national universel va être renforcé. Aux États-Unis, l’Administration Biden a d’ores et déjà décidé d’envoyer 3000 réservistes en renfort sur le flanc Est de l’OTAN en Europe dans le cadre l’opération Atlantic Resolve. Le candidat démocrate à la présidentielle Robert Kennedy Junior a indiqué que cette décision visait à préparer les forces armées américaines à une intervention terrestre contre la Russie. Le sénateur républicain Ted Cruz, quant à lui, s’est dit particulièrement inquiet de la tournure qu’était en train de prendre l’escalade en Ukraine[12].

En conclusion, il serait salutaire que, dans un éclair de lucidité, les Français daignent en cette période-charnière où l’Histoire peut rapidement basculer, s’interroger individuellement et sans détours sur l’avenir de leur pays et sur leur propre sort. En ces temps troubles, il paraît désormais évident qu’ils ne peuvent plus se permettre de se reposer complètement sur leurs élites dirigeantes, dont le rôle dans l’Histoire pourrait en quelque sorte se révéler un jour semblable à celui de l’empereur François-Joseph.


[1] https://www.vosgesmatin.fr/actualite/2014/01/05/le-1er-janvier-1914-l-opinion-en-france-n-est-pas-prete-a-la-guerre

[2] https://www.lefigaro.fr/histoire/centenaire-14-18/2018/11/09/26002-20181109ARTFIG00123-la-premiere-guerre-mondiale-en-chiffres.php

[3] https://atlantico.fr/article/decryptage/-etes-vous-prets-a-mourir-pour-dantzig—ce-que-pensaient-les-francais-a-l-aube-de-la-seconde-guerre-mondiale-ifop

[4] http://enenvor.fr/eeo_revue/numero_2/du_cliquetis_des_pedales_au_bruit_des_bottes.html

[5] https://www.amazon.fr/clochards-Gloire-Alexis-Gall/dp/2914417519

[6] https://www.lefigaro.fr/vox/monde/henri-guaino-nous-marchons-vers-la-guerre-comme-des-somnambules-20220512

[7] https://www.youtube.com/watch?v=JJ58cIhWRH8

[8] https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article-cahier.php?carticle=387

[9]https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071307/LEGISCTA000006151488/

[10] https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-loi-de-programmation-militaire-definitivement-adoptee-au-parlement-1961916

[11] https://www.lefigaro.fr/international/l-armee-prepare-les-esprits-a-la-possibilite-de-la-

guerre-20221108

[12] https://www.youtube.com/watch?v=zvAeNIm5flU

*Spécialiste des mondes russe et turc, docteure ès lettres de l’université de Paris IV-Sorbonne et diplômée de Boston University en relations internationales et études stratégiques. Éditorialiste à l’Institut FMES (Toulon). Auteure de plusieurs ouvrages de géostratégie. Auditrice de l’IHEDN.

La France veut faire former des soldats ukrainiens par des privés

La France veut faire former des soldats ukrainiens par des privés

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 14 août 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Voici un article paru sur ouest-france.fr ce week-end. Il revient sur le sujet de mon post de vendredi soir qui traitait de l’externalisation d’une partie de la formation dispensée par la France au profit des forces ukrainiennes. 

 

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En matière d’externalisation, les responsables de la Défense française ont tendance à adopter la posture des trois singes de la fable qui ne veulent ni dire, ni voir, ni entendre ce qu’ils savent exister. Mais quand la dure réalité des sous-capacités s’impose, il faut bien admettre que le recours au secteur privé et aux entreprises de services de sécurité et de défense est incontournable.

C’est exactement ce qui va se passer dans le cadre de l’effort français au profit des forces armées ukrainiennes dont les militaires sont formés et entraînés par plusieurs pays occidentaux. Dont la France (photos AFP).

Un effort qui dure

La France participe à cet effort depuis les premiers mois de la guerre.

D’abord, en 2022, sur les 15 000 soldats ukrainiens formés par l’UE dans le cadre de l’opération PSDC EUMAM3 (European military assistance mission), la France en a formé 2 000 en métropole. Dont par exemple, dès avril 2022, des artilleurs allant servir les canons Caesar fournis par Paris. D’autres formations ont été dispensées : reconnaissance blindée (AMX 10 RC), combat en zone urbaine niveau compagnie, défense sol-air, sauvetage au combat, formation tactique niveau chef de section (30 hommes) et commandant de compagnie (150 hommes)… 

Ensuite, Paris a décidé de former des Ukrainiens en Pologne où les camps et terrains de manœuvres hérités de la Guerre froide ne manquent pas. « 150 à 200 formateurs français », selon l’État-Major des Armées (EMA), ont commencé à y former depuis avril 2023 des soldats ukrainiens. Après les formations spécifiques (artillerie, reconnaissance, sauvetage au combat) dispensées en France l’année précédente, les Ukrainiens sont, cette fois, formés au combat interarmes. Chaque mois environ, un bataillon de 500 soldats ukrainiens passe entre les mains des formateurs français, avant de rejoindre les nouvelles brigades de combat que Kiev engage sans tarder dans ses opérations offensives. 

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Un effort renforcé

Mais Paris entend faire mieux en multipliant le nombre de soldats ukrainiens qui bénéficient des formations françaises.

Or, le nombre d’instructeurs disponibles au sein de l’institution militaire française est jugé insuffisant par l’EMA. Le ministère des Armées a donc décidé d’externaliser une partie de la formation des militaires ukrainiens que la France entraîne depuis plusieurs mois.

Un appel d’offres qui sera clos le 15 septembre prochain a ainsi été publié le vendredi 11 août pour préciser les objectifs de cette externalisation portant sur l’appui à la formation des forces armées ukrainiennes.

Actuellement, selon le ministère des Armées, un bataillon ukrainien est formé chaque mois ; ce nombre devrait augmenter sensiblement, ce qui oblige à mobiliser plus de formateurs/instructeurs et plus d’interprètes que ce que les armées françaises peuvent mettre à disposition.

En complément des formations déjà réalisées en régie, la France souhaite donc faire réaliser par un prestataire extérieur (une ESSD, pour « entreprise de services de sécurité et de défense ») trois types de formation qui seront dispensés en France, en Pologne et/ou en Roumanie.

Il s’agit d’abord de la formation technique à la mise en œuvre des systèmes d’armes (on pense aux blindés AMX-10 RC et à certains systèmes sol-air), ensuite de la formation des postes de commandement tactiques des unités de mêlée de l’infanterie et de la cavalerie (pendant 3 à 4 semaines, avec des personnels civils anciennement diplômés d’état-major) et enfin de l’appui aux formations collectives des unités ukrainiens via des interprètes, l’objectif étant d’avoir un interprète pour dix soldats ukrainiens en formation.

 

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Ces formations seront dispensées par des personnels civils recrutés par le prestataire retenu ou par ses sous-traitants.

Le ministère des Armées prévoit de conclure un accord-cadre pour une durée d’environ 15 mois, soit jusqu’au 31 décembre 2024. Il pourra être reconduit deux fois pour une durée d’un an.

Le coût maximal de l’opération est estimé à 39 M€ (reconductions comprises).

Le petit monde des ESSD françaises

L’appel d’offres ne stipule pas que « l’opérateur économique » retenu soit français. Il pourrait être européen, voire américain. L’appel d’offres stipule en revanche que les prestations ne peuvent pas être fournies en dehors de l’UE.

Toutefois plusieurs opérateurs tricolores devraient répondre à cet appel d’offres.

Parmi eux : DCI, « l’opérateur du ministère des Armées » comme se présente Défense Conseil International dirigé par Samuel Fringant. DCI ne cache pas ses ambitions dans le domaine critique de l’Enseignement Militaire Supérieur. Le 4 mai dernier, DCI est monté, à hauteur de 60 %, au capital d’IFESO (Institut Français d’Enseignement Stratégique et Opératif) spécialisée dans les domaines de l’Enseignement Militaire Supérieur, la planification et la conduite des opérations militaires.

DCI est actuellement l’objet de convoitises. En effet, l’ADIT (dont le fonds canadien Sagard est actionnaire de référence) souhaiterait prendre le contrôle de DCI. L’opération, soutenue par l’État français, vise à créer un géant tricolore du soft power, avec un chiffre d’affaires de 450 millions d’euros.

Parmi les autres acteurs français figure la société Themiis spécialisée dans la formation des cadres militaires de haut niveau. Themiis, dirigé par Camille Roux et le général Gilles Rouby, pourrait s’allier à d’autres opérateurs qui se chargeraient des formations techniques et de l’interprétariat, pour se concentrer sur la formation des cadres des états-majors.

La France descend à la 9e place des puissances militaires mondiales en 2023

La France descend à la 9e place des puissances militaires mondiales en 2023

Voici les 20 plus grandes puissances militaires du monde. (Getty Images/iStockphoto)

La France perd deux places par rapport à l’an dernier. Dans le classement annuel dévoilé par Global Fire Power, l’armée française tombe à la neuvième place des grandes puissances en 2023. Budget consacré à la défense, effectif, diversité des armements, forces terrestres… Pas moins de 50 facteurs différents sont analysés pour établir cette hiérarchie. Une fois les scores attribués, chaque pays obtient un score entre 0 et 1. Plus l’indice se rapproche de 0, plus une nation se révèle puissante militairement. Septième en 2022 avec un score de 0.1283, la France obtient cette année la note de 0.1848.

Sans surprise, les États-Unis confirment leur statut de première puissance militaire mondiale. L’US Army, qui compte 1,39 millions de soldats dans ses rangs, peut compter sur un budget s’élevant 858 milliards d’euros cette année. Selon le site Defense News, cette hausse du budget des forces américaines (+8 par rapport à 2022) vise avant tout à contrer l’influence chinoise. « La Chine essaie activement de saper les intérêts et les partenariats américains partout en Asie, au Moyen-Orient, en Afrique et au-delà », a indiqué le chef de la majorité au Sénat, Chuck Schumer, avant de poursuivre : « Ce nouveau budget va renforcer notre position. Il donnera la priorité à des partenariats économiques et militaires cruciaux dans la région indo-pacifique. »

Comme en 2022, l’armée russe reste deuxième du classement mais se rapproche des États-Unis. En raison de la guerre qui l’oppose à l’Ukraine, les députés de la Douma viennent de voter une loi permettant d’augmenter l’âge du service militaire de 27 à 30 ans, une mesure qui va permettre de gonfler ses effectifs. Première en nombre d’hommes, avec quelque 2 millions de soldats sur une population totale de 1,4 milliard d’habitants, la Chine se classe troisième juste devant l’Inde.Onzième en 2022, l’Italie gagne une place et s’invite dans le top 10.

États-Unis / Indice : 0.0712

États-Unis
États-Unis

Russie / Indice : 0.0714

Russie
Russie

Chine / Indice : 0.0722

Chine
Chine

Inde / Indice : 0.1025

Inde
Inde

Royaume-Uni / Indice : 0.1435

Royaume-Uni (Crédit : Jens Schlueter/Pool via REUTERS)
Royaume-Uni (Crédit : Jens Schlueter/Pool via REUTERS)

Corée du Sud / Indice : 0.1505

Corée du Sud
Corée du Sud

Pakistan / Indice : 0.1694

Pakistan
Pakistan

Japon / Indice : 0.1711

Japon
Japon

France / Indice : 0.1848

France
France

Italie / Indice : 0.1973

Italie
Italie

La guerre d’usure par Michel Oya

La guerre d’usure

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 8 août 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


C’est l’histoire d’une guerre d’usure et cela se passe de mars 1969 jusqu’au mois d’août 1970 de part et d’autre du canal de Suez. S’il y a quelques prémices durant les deux années précédentes, les choses importantes commencent le 9 mars 1969 sur décision de l’Égypte de Nasser. L’objectif pour les Égyptiens est au mieux d’obtenir le repli du Sinaï, occupé depuis la fin de la guerre des Six Jours par les Israéliens, notamment par une ligne de fortins le long du canal (la « ligne Bar Lev »). Au pire, l’Égypte pourra restaurer son image après le désastre de la guerre des Six Jours et préparer le grand assaut sur le Sinaï. Pour les Israéliens, en défensive, il s’agit simplement de tenir la position au moindre coût et de faire renoncer les Égyptiens à leurs attaques.

Guérillas d’État.

La méthode utilisée par les Égyptiens est celle d’une guérilla d’État à grande échelle et permanente contre la ligne Bar Lev. Les Égyptiens veulent ainsi imposer un rythme lent et une usure constante à des Israéliens très supérieurs dans l’art de la manœuvre mais incapables, croit-on, de mobiliser longtemps la nation sur un effort important et beaucoup plus sensibles aux pertes humaines.

Tous les jours ou presque à partir du 9 mars le long de la centaine de de kilomètres de Port-Saïd à Suez, l’artillerie égyptienne lance des milliers d’obus sur la quarantaine de fortins et leurs abords le long de la ligne Bar Lev. En avril, les Égyptiens combinent ces tirs avec des infiltrations de sections d’infanterie légère qui franchissent le canal pour attaquer les fortins, sans espoir de les prendre, et surtout harceler les convois de ravitaillement et les patrouilles. Nulle recherche de conquête de terrain dans tout cela mais simplement le souci d’infliger des pertes aux Israéliens tout en se moquant d’en subir soi-même. Cela réussit. Tsahal perd environ 50 morts et blessés chaque mois dans une société où leurs noms et leurs visages sont dans les journaux quotidiens. La méthode est quantitative, mais il y a l’espoir pour les Égyptiens de pouvoir provoquer aussi de temps en temps des évènements qui infléchiront directement la politique adverse. C’est chose faite le 10 juillet 1969 lorsque les Égyptiens parviennent à tuer sept soldats israéliens et détruire deux chars Centurion lors d’une embuscade. C’est un choc en Israël, mais contrairement aux espoirs égyptiens cela provoque une réaction forte.

Le général Sharon propose une grande opération de franchissement du canal afin de détruire le dispositif militaire égyptien en Afrique, puis d’y établir une tête de pont qu’il sera possible de négocier ensuite contre la paix. Le gouvernement de Golda Meir refuse en considérant les difficultés matérielles d’une telle opération à ce moment-là, son caractère aléatoire – pourquoi les Égyptiens demanderaient-ils la paix ? – et la possibilité que l’URSS, principal allié d’une Égypte considérée de plus en plus comme un membre officieux du Pacte de Varsovie, saisisse l’occasion d’intervenir directement selon la Doctrine Brejnev. Ni Israël, ni les États-Unis, son principal et presque unique soutien, ne veulent de cette escalade alors que les Israéliens sont en train de constituer une force de frappe nucléaire.

Le 19 juillet, le gouvernement israélien décide donc de se contenter d’une contre-guérilla limitée à la région du canal, mais suffisamment violente pour dissuader les Égyptiens de poursuivre le combat. C’est fondamentalement le principe de la riposte disproportionnée censée calmer les ardeurs hostiles et détruire les moyens de nuire, au moins pour un temps.

Pour cela, les Israéliens qui ne disposent pas d’une artillerie aussi puissante que celle des Égyptiens et ne veulent pas renforcer la ligne Bar Lev de troupes de mêlée qui seraient surtout des cibles, disposent de deux atouts pour donner de grands coups depuis l’arrière.

Tsahal a d’abord la possibilité d’organiser des coups de main spectaculaires : assaut sur la base égyptienne de l’île verte à l’entrée du canal de Suez en juillet 1969, raid d’une compagnie blindée le long de la rive ouest pendant une journée entière (« la guerre des Dix Heures ») en septembre, capture d’un grand radar d’alerte soviétique P-12 en décembre, occupation de l’île Sheduan dans la mer Rouge en janvier 1970. Outre l’intérêt matériel de chacune de ces opérations, celles-ci sont suffisamment audacieuses pour faire la une des journaux et obtenir ainsi des effets psychologiques importants, y compris en provoquant une crise cardiaque chez Nasser. Derrière ces grands coups, les parachutistes mènent aussi des opérations héliportées plus discrètes, mais efficaces, comme les raids d’artillerie consistant à installer des bases de feux temporaires de mortiers jusqu’à 30 km au-delà du canal, ravager une position d’artillerie sol-air ou sol-sol égyptienne et se replier.

Mais l’atout israélien le plus important est la force de frappe aérienne, un capital jusque-là plutôt préservé pour faire face à des conflits de plus haute intensité et de plus d’enjeu, mais qui est contraint désormais de jouer le rôle d’artillerie volante. Pendant cinq mois à partir du 20 juillet 1969, l’aviation israélienne multiplie les raids contre les forces égyptiennes et lance plusieurs milliers de tonnes d’explosifs (sensiblement le même ordre de grandeur que tous les missiles russes lancés sur l’Ukraine) puis du napalm sur un rectangle de 100 km de long et 20 km de large. Les pertes égyptiennes sont très importantes. Le système de défense aérienne est brisé. L’aviation égyptienne, qui s’était essayée aussi à lancer des raids et à contester ceux des Israéliens, a perdu une cinquantaine d’appareils, dont plus de 30 en combat aérien, contre 8-10 israéliens, dont deux ou trois en combat aérien).

Et pourtant, la guérilla égyptienne continue et s’adapte. Au lieu des moyens de frappe – avions d’attaque et obusiers – les plus puissants mais aussi les plus vulnérables, les Égyptiens privilégient désormais l’emploi de centaines de mortiers, trop petits et mobiles pour constituer des cibles faciles à la force de frappe adverse. Mais surtout, ils multiplient les attaques d’une infanterie qui prend de plus en plus d’assurance. Commandos et parachutistes égyptiens mènent à leur tour des raids héliportés dans le Sinaï afin d’organiser des embuscades et surtout de miner les voies de passage. Les Israéliens continuent donc à subir des pertes. Ils déplorent ainsi plus de 160 morts et plusieurs centaines de blessés à la fin de l’année 1969. L’Égypte s’essaie aussi aux opérations spectaculaires. En novembre, deux destroyers mènent un raid de bombardement le long des côtes du Sinaï en toute impunité et des nageurs de combat sabotent des barges dans le port d’Eilat. Ces nageurs rééditeront l’exploit en février 1970.

Floraison

À la fin du mois de décembre, les deux adversaires constatent à leur grand étonnement qu’ils se trouvent toujours au même point. L’usure est un poison lent dont on peine à déterminer à quel moment il pourra, sans certitude d’ailleurs, faire émerger une décision stratégique. D’une manière comme de l’autre, on néglige la capacité d’encaisse de l’autre. Hors des coups-évènements, la souffrance quotidienne à absorber est finalement faible à l’échelle d’une nation et tant que le sacrifice du lendemain – marginal au sens économique – est accompagné de l’espoir qu’il peut servir à quelque chose, on continue. Cela peut durer ainsi des années, jour après jour.

À la fin du mois de décembre 1969, le gouvernement israélien décide d’« escalader pour désescalader » en allant frapper à l’intérieur même du territoire égyptien. Derrière les attaques de cibles militaires, l’objectif est d’atteindre des esprits maintenus à distance de la guerre par la politique de silence du gouvernement et l’évacuation des villes le long du canal. Les Israéliens s’étaient bien essayés à frapper des infrastructures – ponts, petits barrages, centrales – le long du Nil en 1968 et 1969, mais les moyens manquaient pour lancer de grandes charges explosives dans la grande profondeur du territoire. Il fallait, soit héliporter un commando à proximité avec les charges, soit larguer des futs d’explosifs depuis des avions de transport Noratlas, deux méthodes très incertaines, peu réalisables à grande échelle et surtout de faible effet psychologique. Le passage en vitesse supersonique au-dessus du Caire de deux Mirage III le 17 juin 1969 avait finalement eu plus d’effet, en montrant à tous y compris aux journalistes étrangers que l’Égypte n’était pas vraiment protégée.

Et puis surtout, les États-Unis viennent de livrer une trentaine chasseurs-bombardiers F-4E Phantom, capables de larguer 7 tonnes de bombes tout en étant capables de se défendre contre n’importe quoi. Les États-Unis les ont livré pour accroître les moyens israéliens face à l’armée égyptienne sur le canal de Suez et ils sont très mécontents d’apprendre que les Israéliens ont décidé de les utiliser pour frapper sur le Nil.

L’opération Floraison est lancée le 7 janvier. Pendant trois mois, un raid de deux à huit A-4 ou surtout F-4E est organisé en moyenne tous les quatre jours (118 sorties au total et environ 600 tonnes de bombes) sur des objectifs militaires dans la région du delta du Nil et du Caire, où la population peut ainsi constater de visu l’impuissance de son gouvernement et de son armée. On espère ainsi qu’elle poussera son gouvernement à arrêter la guerre pour arrêter ces frappes. On imagine même que Nasser pourrait être renversé et remplacé par quelqu’un de plus conciliant. Cela ne fonctionne pas du tout. Les dégâts militaires sont réels mais pas essentiels et surtout ils n’aboutissent pas à l’érosion du soutien à Nasser, bien au contraire. Lorsque deux frappes accidentelles très meurtrières frappent des civils, dont une école, la population égyptienne réclame surtout vengeance. L’opération Floraison permet en revanche aux Soviétiques et comme le craignait les Américains de justifier une intervention directe.

À la frontière de la guerre ouverte soviéto-israélienne

Cette intervention directe, baptisée opération Caucase, est annoncée le 31 janvier 1970 alors qu’elle est déjà lancée, selon la méthode du « piéton imprudent ». La 18e division de défense aérienne débarque à Alexandrie en février et place tout le monde devant le fait accompli. À partir d’avril, le dispositif – dizaines de batteries de SA-2B et de SA-3, plus modernes, accompagnées d’un millier de canons-mitrailleurs ZSU 23-4 et de centaines de missiles SA-7 portables – est en place le long du Nil. Il y a au printemps 55 bataillons antiaériens (AA) soviétiques en Égypte. Le système d’écoute israélien repère aussi en avril des intercepteurs Mig-21, il y en a alors 70 et leur nombre augmente, dont les pilotes parlent russe. L’ensemble représente 12 000 soldats soviétiques, 19 000 à la fin de l’année, tous en uniformes égyptiens et présentés comme conseillers.

Soucieux d’éviter une confrontation, les Israéliens abandonnent mi-avril 1970 l’opération Floraison, tout en suggérant en échange aux Soviétiques de ne pas s’approcher à moins de 50 kilomètres du canal de Suez. L’effort aérien israélien redouble en revanche dans la région du canal où les combats atteignent un niveau de violence inégalé.

Au mois de juin et alors que des négociations sont en cours pour un cessez-le-feu, les Egypto-Soviétiques entreprennent de déplacer le bouclier de défense aérienne depuis le Nil jusqu’aux abords du canal. Les Égyptiens construisent un échiquier d’une multitude de positions vides qui sont ensuite occupées progressivement et aléatoirement (elles bougent toutes les nuits) par les batteries AA égyptiennes et soviétiques. L’aviation israélienne tente de freiner cette opération, en lançant plusieurs centaines de bombes et bidons de napalm par jour mais y perd cinq appareils. Dans la nuit du 11 au 12 juin, le général Sharon, désormais commandant du Secteur Sud, organise une opération de franchissement du canal par un bataillon entre Port-Saïd et Qantara, mais la tentative tourne court.

Parvenus au contact, les accrochages entre Israéliens et Soviétiques sont de plus en plus fréquents, avec les batteries au sol d’abord puis avec les Mig-21 qui ont également été rapprochés du front. Le 22 juin, on assiste à une première tentative d’interception soviétique. Le 29, les Israéliens organisent en réponse une opération héliportée sur une base aérienne occupée par les Soviétiques. En juillet, les choses s’accélèrent. Le 18, une batterie S-3 soviétique est détruite mais abat un F-4E Phantom. Le 25 juillet, après plusieurs tentatives infructueuses, un Mig-21 parvient à endommager un Skyhawk israélien. Tous ces combats sont cachés au public.

Alors que le cessez-le-feu se profile, le gouvernement israélien accepte l’idée d’infliger une défaite aux Soviétiques. Le 30 juillet, un faux raid israélien attire 16 Mig-21 au-dessus du Sinaï où les attendent 12 Mirage III aux mains des meilleurs pilotes israéliens. C’est le plus grand combat aérien du Moyen-Orient, là encore caché de tous. Cinq Mig-21 sont abattus et un endommagé, pour un Mirage III endommagé. Deux pilotes soviétiques sont tués. Le lendemain et une semaine après Nasser, le gouvernement israélien accepte le cessez-le-feu.

Le plan américain Rogers, à l’origine de ce cessez-le-feu, prévoyait une démilitarisation du canal de Suez d’armes lourdes. Égyptiens et Soviétiques ne le respectent en rien puisqu’au lieu du retrait, ils renforcent encore plus le dispositif de défense sur le canal. Trois frégates armées de missiles SA-N-6 sont mises en place également à Port-Saïd. Les Israéliens sont tentés un moment de reprendre les hostilités mais ils y renoncent, soulagés d’en finir après dix-huit mois et 500 tués et 2 000 blessés.

La guerre laboratoire

Au bout du compte, les deux parties, épuisées, ont accepté de cesser le combat en s’accordant sur leurs objectifs minimaux. C’est le « point de selle » de la théorie des jeux. Israël obtient l’arrêt des attaques et le maintien des Égyptiens à l’ouest du canal de Suez. Du côté égyptien, si le Sinaï n’a pas été évacué, l’armée égyptienne a montré qu’elle pouvait résister aux Israéliens. Ses pertes sont six fois plus importantes que celles des Israéliens, mais c’est sa meilleure performance en quatre guerres. C’est sur cette base qu’elle fonde la préparation de la guerre du Kippour en 1973.

Quant aux deux superpuissances, l’Union soviétique fait preuve de sa détermination à aller jusqu’au bord du gouffre en poussant jusqu’à la frontière de la guerre ouverte avec une puissance en cours de nucléarisation. Elle fait alors de même, à bien plus grande échelle, au même moment avec la Chine avec qui les combats sont violents depuis 1969 et contre qui les Soviétiques envisagent sérieusement une attaque nucléaire préventive. L’URSS utilise pour la première fois agressivement sa capacité de dissuasion nucléaire pour lancer des opérations offensives alors que les États-Unis sont encore empêtrés dans la guerre au Vietnam. En intervenant directement en appui de l’Égypte et face à Israël soutenu par les États-Unis, on se retrouve dans un scénario inverse de celui des guerres en Corée ou au Vietnam. Ils vont au maximum de ce que peuvent leur permettre les règles du jeu de la guerre froide. Après l’Égypte, l’Union soviétique interviendra à nouveau en Afrique, en liaison avec Cuba qui fournira cette fois le gros des troupes et des pertes humaines du bloc communiste, en Éthiopie et en Angola. Ils affronteront dans ce dernier cas l’Afrique du Sud, autre allié des États-Unis et petite puissance nucléaire en devenir. Avec l’engagement en Afghanistan, ils cloront l’époque des grandes interventions qui a sans doute plus contribué à leur perte qu’à leur gloire.

L’étude complète est disponible ici en version Kindle ou en version pdf sur demande.  

Russie : les dépenses militaires s’envolent, pour peser un tiers du budget de l’Etat

Russie : les dépenses militaires s’envolent, pour peser un tiers du budget de l’Etat

Sur les six premiers mois de l’année 2023, les dépenses budgétaires ont augmenté de 2.440 milliards de roubles (23 milliards d’euros) par rapport à la même période de 2022. Selon le document consulté par l’agence Reuters, 97,1% de cette somme supplémentaire a été consacrée au secteur de la défense. Sur l’ensemble de l’année, le poids du budget de la défense atteindra ainsi des niveaux jamais connus depuis dix ans. En contrepartie, le financement des écoles, des hôpitaux et des routes a déjà été réduit, et d’autres domaines pourraient subir des coupes.

Depuis le début de l'année, la Russie a déjà dépensé 57,4% du nouvel objectif budgétaire de dépenses de défense, selon un document consulté par Reuters.
Depuis le début de l’année, la Russie a déjà dépensé 57,4% du nouvel objectif budgétaire de dépenses de défense, selon un document consulté par Reuters. (Crédits : SPUTNIK)

La Russie de Vladimir Poutine est officiellement pleinement engagée dans une économie de guerre. Pour 2023, le Kremlin a doublé son objectif de dépenses de défense, à plus de 90 milliards d’euros, selon un document du gouvernement examiné par Reuters. Désormais, les dépenses militaires représenteront cette année un tiers de toutes les dépenses publiques. Cette politique n’est pas sans conséquences, tandis que le déficit public se creuse et que la guerre en Ukraine pèse dans les finances de Moscou.

Soumis à des sanctions occidentales depuis l’annexion de la Crimée en 2014, le Kremlin n’administre plus seulement une économie protectionniste qui vise à protéger les intérêts russes. Désormais, les investissements se portent sur son appareil militaro-industriel, à l’image des cadences de production que Moscou annoncent faire tourner à plein régime.

Les chiffres montrent que sur le premier semestre 2023, la Russie a ainsi dépensé 12% de plus pour la défense que ce qu’elle avait initialement prévu de dépenser sur l’ensemble de l’année, le surcoût atteignant 600 milliards de roubles (5,80 milliards d’euros) sur 4.980 milliards de roubles prévus.

Sur les six premiers mois de 2023, les dépenses de défense se sont élevées à 5.590 milliards de roubles, soit 37,3% des dépenses budgétaires totales qui atteignent 14.970 milliards de roubles sur la période, selon le document.

Or, le plan budgétaire de la Russie prévoyait de consacrer 17,1% du budget à la défense.

Pour l’armée seulement, en janvier et février les dernières données accessibles au public montrent que Moscou a dépensé 2.000 milliards de roubles . Au cours du premier semestre de cette année, les dépenses budgétaires ont augmenté de 2.440 milliards de roubles par rapport à la même période de 2022, et selon le document, 97,1% de cette somme supplémentaire a été consacrée au secteur de la défense.

L’augmentation du budget pour les salaires des militaires

Le financement de la défense fait partie des dépenses classifiées, mais certaines données, bien qu’elles ne soient plus publiques, sont diffusées. Le document montre par exemple que la Russie a dépensé près de 1.000 milliards de roubles pour les salaires des militaires au cours du premier semestre, soit 543 milliards de roubles de plus qu’au cours de la même période l’année dernière.

Aussi, le document fournit une nouvelle estimation des dépenses annuelles de défense, qui atteindraient désormais 9.700 milliards de roubles, soit un tiers des dépenses budgétaires totales prévues pour 2023, qui s’élèvent à 29.050 milliards de roubles. Il s’agirait de la part la plus élevée depuis au moins la dernière décennie.

Depuis le début de l’année, la Russie a déjà dépensé 57,4% du nouvel objectif budgétaire de dépenses de défense, selon le document.

Le déficit va s’alourdir

Ce fléchage de l’argent public assumé risque de fragiliser l’économie russe qui doit composer avec la forte dépréciation du rouble. Les Russes risquent de voir le coût de la vie se renchérir. A cela s’ajoute la baisse des rentrées issues des hydrocarbures depuis les embargos décidés par les Occidentaux suite à l’invasion de l’Ukraine en février 2022.

Résultat, après avoir pesé 2,2% du PIB en 2022, le déficit public risque de se creuser encore en 2023. Selon les prévisions du Fonds monétaire international (FMI), publiées le 11 avril dernier, il devrait atteindre 6,2%, un niveau « très important, selon les standards russe ». L’augmentation du coût de la guerre soutient certes la modeste reprise économique de la Russie cette année grâce à une production industrielle plus élevée, mais a poussé le budget vers le déficit d’environ 26 milliards d’euros, un chiffre aggravé par la baisse des recettes d’exportation.

La Russie, exportatrice nette, affiche généralement des excédents budgétaires, mais elle fera état d’un déficit pour la deuxième année consécutive, la valeur des exportations d’énergie ayant chuté de 47% en glissement annuel au cours du premier semestre.

Quelles conséquences pour les Russes ?

Surtout, l’augmentation des dépenses budgétaires accroît les risques d’inflation, et la banque centrale a relevé ses taux à 8,5% en juillet. Les analystes s’attendent à ce que le taux directeur augmente encore.

Evguéni Souvorov, économiste de CentroCreditBank, explique les conséquences de cette accélération de l’industrie militaire.

« Nous ne savons pas jusqu’à quel point il est possible d’augmenter la production de chars et de missiles », a déclaré Evguéni Souvorov sur son canal MMI Telegram. « Mais nous savons que l’augmentation de cette production n’est possible qu’au prix d’une hémorragie de personnel dans d’autres secteurs de l’économie. »

Le financement des écoles, des hôpitaux et des routes a déjà été réduit cette année au profit de la défense, et d’autres domaines pourraient subir des coupes.

« Le complexe militaro-industriel soutient la croissance industrielle, tandis que les industries civiles ralentissent à nouveau », a déclaré Dmitri Polevoy, responsable des investissements chez Locko-Invest, après la publication, la semaine dernière, des données relatives à la production industrielle pour le mois de juin.

« Les aides fiscales abondantes ont un assez bon impact pour le moment, mais n’améliorent guère la position de l’économie à moyen ou à long terme », souligne Dmitri Polevoy. « Dès que l’assainissement budgétaire deviendra inévitable, l’économie ralentira rapidement.»

La Banque de Russie prévoit une croissance du PIB de 1,5% à 2,5% cette année, conformément aux prévisions des analystes interrogés par Reuters la semaine dernière. Le gouvernement russe et le ministère des Finances n’ont pas répondu aux demandes de commentaires.

(Avec Reuters).