Guerre en Ukraine : Le commandant en chef ukrainien admet l’échec de la contre-offensive

Guerre en Ukraine : Le commandant en chef ukrainien admet l’échec de la contre-offensive

 

https://www.opex360.com/2023/11/02/guerre-en-ukraine-le-commandant-en-chef-ukrainien-admet-lechec-de-la-contre-offensive/


C’est en effet ce qu’a admis le général Valeri Zaloujny, le commandant en chef des forces ukrainiennes, dans les pages de l’hebdomadaire britannique The Economist, ce 2 novembre. « Il n’y aura probablement pas de percée profonde et belle », a-t-il dit, avant de préciser que ses troupes n’avaient gagné que 17 kilomètres depuis le début de cette contre-offensive, pour laquelle l’Ukraine avait reçu des dizaines de chars occidentaux, dont des Leopard 1, des Leopard 2, des Challenger 2 et des AMX-10RC [qui ne sont pas considérés comme des chars au sens strict, ndlr].

Il faut dire que les forces russes, après leurs revers de l’automne 2022, ont eu le temps de se préparer, en mettant en place un solide rideau défensif et en renforçant leurs moyens de guerre électronique le long de la ligne de front.

Cela étant, le général Zaloujny a confessé avoir commis des erreurs. D’abord en pensant que les pertes infligées aux forces russes [dont on ne connaît pas l’ampleur de façon indépendante] allaient avoir des conséquences sur la suite des opérations. « Dans n’importe quel pays, de telles pertes auraient mis fin à la guerre », dit-il.

Ensuite, le commandant en chef ukrainien a reconnu s’être trompé en estimant que les difficultés de la contre-offensive étaient dues à des problèmes de personnes. « Au début, j’ai pensé qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas avec nos commandants, alors j’en ai changé certains. Puis, j’ai pensé que nos soldats n’étaient peut-être pas adaptés à leur mission, alors j’ai transféré des soldats dans certaines brigades », a-t-il expliqué. Or, cela n’a rien changé…

La planification a sans doute été déficiente. « Selon les manuels de l’Otan et les calculs que nous avions faits, quatre mois auraient dû être suffisants pour que nous puissions atteindre la Crimée, y combattre et en revenir », raconte le général Zaloujny. Mais c’était sans compter sur l’efficacité des lignes défensives établies par les forces russes, qui ont aussi fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation.

« Nous voyons tout ce que fait l’ennemi et il voit tout ce que nous faisons », résume l’officier ukrainien. Aussi estime-t-il que la situation est arrivée à une impasse.

« Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, nous avons atteint un niveau technologique qui nous met dans une impasse », affirme en effet le général Zaloujny. Et, pour en sortir, il « faudrait un saut technologique massif », ce qui passe par un effort important en matière d’innovation, que ce soit pour la guerre électronique, les drones, la robotique, l’artillerie, etc.

« Il est important de comprendre que cette guerre ne peut être gagnée avec les armes de la génération passée et des méthodes dépassées. […] Elles entraîneront inévitablement des retards et, par conséquent, une défaite », explique le commandant en chef ukrainien, qui veut éviter de mener une guerre de « tranchées » que ses troupes ne pourraient pas soutenir indéfiniment, faute de pouvoir relever leurs combattants. « Tôt ou tard, nous nous rendrons compte que nous n’avons tout simplement pas assez de monde pour nous battre », souligne-t-il.

L’évaluation du général Zaloujny rejoint celle faite par la Direction du renseignement militaire [DRM] en juillet dernier… Via son « patron », le général Jacques Langlade de Montgros, elle avait estimé que la guerre en Ukraine pourrait s’éterniser en raison de l’absence de « game changer », c’est à dire d’armes [conventionnelles] pouvant inverser le cours des combats.

Par ailleurs, et alors que le soutien à l’Ukraine pourrait perdre de la vigueur en raison de l’évolution de la situation politique chez certaines de ses partenaires, la Russie a noué des accords avec l’Iran et la Corée du Nord pour refaire ses stocks de munitions. Selon l’agence Bloomberg, elle aurait ainsi récemment reçu 1 million d’obus de facture nord-coréenne…

Gaza : combien de morts ? par Michel Goya

Gaza : combien de morts ?

Palestinian News and Information Agency (Wafa)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 02-11-2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Un peu de statistiques macabres aujourd’hui. Le ministère de la santé palestinien de Gaza, contrôlé par le Hamas, annonçait 471 morts et presque autant de blessés lors de la frappe accidentelle sur l’hôpital al-Ahli le 17 octobre dernier. Le simple examen de la photo du lieu de l’explosion et la comparaison avec celles d’explosions ayant fait autant de victimes, à Bagdad ou à Mogadiscio par exemple, montrait pourtant que ce chiffre n’était absolument pas crédible. Pour faire autant de victimes, il aurait fallu au moins un projectile aérien d’une tonne tombant au milieu d’une foule dense ou comme c’était le cas dans les exemples cités et bien d’autres, avec des camions bourrés de plusieurs tonnes d’explosif. Un tel mensonge induit forcément le déclassement de cette source du niveau C-D (assez -pas toujours fiable) au regard des conflits passés à E (peu sûre) pour celui-ci. Aussi quand ce même ministère de la santé annonce 8 300 Palestiniens, dont 3 400 enfants, tués par les Israéliens convient-il d’être extrêmement méfiant et le fait que ce ministère contrôlé par le Hamas soit cité par l’UNICEF sans aucune vérification n’en fait pas un « diseur de vérité ».

L’immense majorité des pertes civiles palestiniennes est le fait de la campagne de frappes aériennes lancée par les Israéliens depuis le 7 octobre, le reste venant de l’artillerie, ou plus marginalement des frappes de drones ou d’hélicoptères, voire désormais des forces terrestres. Or, il se trouve malheureusement qu’à la suite des nombreuses campagnes aériennes passées, et notamment au-dessus de Gaza, il est possible de faire des estimations des dégâts de celle qui est en cours.

On précise qu’on ne prend ici en compte que les campagnes n’utilisant que des munitions guidées et sans intention de toucher délibérément la population, ce qui restreint de fait l’analyse aux campagnes occidentales et israéliennes depuis 1999. Rappelons qu’une frappe, ou strike, est une attaque contre une cible précise et qu’elle peut impliquer l’emploi de plusieurs projectiles.

Reprenons juste ici les quatre dernières grandes campagnes sur Gaza, en tenant compte des différentes sources (l’ONG israélienne B’Tselem, AirWars, ONU, Centre palestinien pour les droits de l’homme et même le ministère de la santé palestinien).

2008 : 2 500 strikes. Entre 895 et 1417 morts de civils palestiniens.

2012 : 1 500 strikes – 68 à 105 morts. L’Office (UN) for the Coordination of the Humanitarian Affairs (OCHA) parle seul de 1400 civils. 

2014 : 5 000 – 1 300 à 1 700 morts.

2021 : 1 500 strikes – 151-191 morts.

Dans les guerres de 2012 et 2021, où Israël n’emploie que la force aérienne, il faut donc environ 10 strikes pour tuer un civil. Ces deux guerres sont par ailleurs courtes, une dizaine de jours, ce qui signifie que les frappes s’effectuent surtout sur des cibles bien identifiées avec un plan de tir bien préparé (certitude sur l’identité de la cible, autorisation de tir, avertissement à la population). Avec le temps, lorsque le plan de ciblage est épuisé, les strikes s’effectuent de plus en plus sur des cibles d’opportunité, ce qui laisse moins de temps à la préparation et plus de place aux erreurs. Au passage, les résultats sur l’ennemi sont également moins efficaces surtout si les Israéliens n’ont pas eu l’initiative des opérations et le bénéfice de la surprise. Avec le temps, la proportion de frappes pouvant tuer des civils peut diminuer jusqu’à 5, voire moins, comme dans les derniers temps de la bataille de Mossoul où les troupes irakiennes n’avançaient plus que derrière un tapis de bombes.

Les deux autres guerres – 2008 et 2014 – ont été plus longues, moins « efficaces » dans les frappes aériennes, et les Israéliens y ont fait également beaucoup appel à l’artillerie, notamment pour appuyer les opérations terrestres. On dispose de moins de données pour déterminer les pertes civiles provoquées par l’artillerie. Si on prend l’exemple du siège de Sarajevo, plus de 300 000 obus ont tué au moins 3 000 civils en quatre ans et les snipers au moins 2 000 autres. On a donc un ratio de 100 obus (par ailleurs tirés avec grande précision à cette époque) pour tuer un habitant. J’ignore combien de dizaines de milliers d’obus israéliens ont été lancés durant les différentes campagnes, mais ils ont certainement contribué à tuer des centaines de civils en plus des frappes aériennes.

Qu’en est-il donc de la guerre actuelle ? Dans les campagnes précédentes, les Israéliens ont difficilement pu tenir une cadence de plus de 150 frappes aériennes par jour. En considérant le caractère exceptionnel de la période, on peut, par une grande libéralité, aller jusqu’à 300 par jour, soit désormais un total de plus de 7 000 strikes. En appliquant les pires barèmes (5 pour 1), cela donne 1 400 morts de civils. Tsahal ayant annoncé avoir touché 12 000 cibles, ce qui est impossible uniquement par des frappes aériennes, on peut donc considérer que la grande majorité des autres ont été traitées par l’artillerie et une petite minorité par hélicoptères ou drones. On ajoutera que ces frappes supplémentaires ont presqu’entièrement été effectuées dans la zone nord de la bande de Gaza, en partie évacuée. Elles ont probablement fait plusieurs centaines de morts, soit un total d’environ 2 000 civils et environ 1 500 combattants si on respecte les ratios des opérations précédentes. 

En résumé, sauf à imaginer qu’Israël a décidé de viser directement la population, on ne voit comment du moins à partir de l’analyse des conflits précédents, on pourrait arriver à ce chiffre de 8 300 il y a quelques jours (et plus de 9 000 aujourd’hui). Si par ailleurs Israël avait décidé, à la manière du Hamas, d’attaquer directement la population, avec 7 000 frappes aériennes le chiffre serait sans doute beaucoup plus important que 8 300. 

Pour autant, même si chiffre de 2 000 morts civils minore largement celui du ministère de la santé contrôlé par le Hamas – et il faudra peut-être que les institutions et les médias prennent en compte que cet organisme ment tout en instrumentalisant la souffrance – c’est 2 000 de trop. Ce chiffre en soi est déjà énorme. Il est bien au delà de la campagne de frappes en Serbie en 1999, de celle des Américains en Afghanistan fin 2001 ou bien encore de celle d’Israël au Liban en 2006. La coalition anti-Daesh ne reconnaît par ailleurs que 1 400 morts civils pour 33 000 frappes en six ans, avec il est vrai des chiffres d’AirWars nettement plus élevés.

Pour ma part, je pense que ces grandes campagnes de frappes et l’emploi massif de la puissance de feu sont surtout un moyen d’éviter les pertes de ses soldats, mais en reportant le risque sur les civils. C’est comme bombarder pendant des semaines un immeuble où seraient réfugiés des terroristes pour éviter de prendre le risque de s’y engager. Dans un cas comme cela, même si ces terroristes ont commis des atrocités et même si vous savez que les habitants ne vous aiment pas, vous envoyez le GIGN pour éliminer les malfaisants. Gaza est comme cet immeuble. Pour éliminer autant que possible le Hamas, tout en respectant mieux le droit international, de faire moins souffrir la population et donc de recruter pour l’ennemi ou de soulever l’indignation internationale, il faut privilégier à tout prix l’emploi des forces de combat rapproché – l’infanterie en premier lieu – plutôt que la puissance de feu massive à distance qui, au passage n’a pour l’instant au mieux détruit que 10 à 20 % du potentiel ennemi.  

Pour savoir comment il faudrait faire, il suffit de se demander ce que ferait Tsahal si la population de Gaza n’était pas palestinienne mais israélienne et contrôlée par une organisation étrangère de 20 000 terroristes. Il faut quand même rappeler qu’en droit international, toute population est sous la responsabilité d’un État. La population de Gaza, juridiquement toujours un territoire occupé, est donc également toujours sous la responsabilité d’Israël via l’administration de l’Autorité palestinienne (qui n’est pas un État). Le minimum minimorum aurait voulu qu’Israël aide cette dernière à conserver le contrôle de Gaza en 2007 face au Hamas. Cela n’a pas été le cas, car l’occasion était trop belle d’empoisonner la cause palestinienne, mais c’est un autre sujet.

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le le 2 novembre 2023

https://www.diploweb.com/Carte-La-crise-au-Proche-Orient-vue-des-enjeux-maritimes.html


L’institut FMES vient de publier une étude, « La Territorialisation des espaces maritimes » qui présente cette carte p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Cartographie par Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Les 9 et 10 novembre 2023, la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques (FMES) organise à Toulon, en partenariat avec la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), les deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed. Nul doute que l’actualité du Levant y sera abordée lors de certaines des tables rondes proposées aux participants ou par les grands témoins et chefs d’état-major d’armées présents. Pour la FMES, think tank expert des questions géopolitiques et maritimes, ce conflit n’est pas seulement un affrontement aéroterrestre. Un embrasement de la région aurait des conséquences majeures sur le trafic et la sécurité maritimes.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, Diploweb.com est heureux de vous faire connaitre cette carte commentée extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes« , p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Avec un commentaire inédit rédigé le 2 novembre 2023 dans la perspective des deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed.
Carte grand format en pied de page.

CERTAINS des terroristes du Hamas se sont infiltrés en Israël le 7 octobre 2023 à partir de la mer. La modeste marine israélienne pour sa part, habituellement chargée de la surveillance des plateformes gazières off shore, participe aux bombardements et au blocus de Gaza. Cependant, ces opérations à partir de la mer, bien réelles, restent mineures en comparaison des opérations aériennes israéliennes et désormais terrestres. La dimension navale du conflit réside ailleurs, dans les risques d’extension et dans la prévention de ces risques. Alors que leurs bases militaires dans la région subissent déjà des attaques quotidiennes de la part de milices opérant à partir d’Irak et de la Syrie, les États-Unis ne s’y trompent pas en dépêchant deux groupes aéronavals dans la zone. L’USS Gerald R. Ford déjà présent en Méditerranée orientale, à proximité d’Israël, est rejoint par le Dwight D. Eisenhower qui, venu de Norfolk, pourrait rallier la mer d’Arabie et le golfe d’Oman.

 
Carte des détroits du Moyen-Orient
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Cette carte est extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes », p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Orcier/FMES

 

Si cette présence significative vise à protéger si nécessaire Israël et les bases américaines du Moyen-Orient, elle est d’abord un avertissement envers l’Iran et ses proxys : envers le Hezbollah bien sûr, menace directe pour Israël, mais aussi envers d’éventuelles intentions de perturber la navigation. Car alors que les récents événements réveillent un sentiment anti-occidental, l’Iran pourrait en profiter pour multiplier des actions dont il est coutumier aux abords des détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb (voir la carte). Forte de quantités d’embarcations solidement armées, la marine des gardiens de la révolution est capable d’un harcèlement sélectif à l’entrée du Golfe, plus difficile à combattre en ces lieux qu’une flotte de haute mer. Les rebelles Houtis soutenus par la force Al-Qods iranienne ont une capacité de nuisance similaire à la sortie de la mer Rouge. L’interception en Mer Rouge par une frégate américaine de missiles et de drones Houthis à destination d’Israël est l’illustration de cette problématique.

Bloquer ces deux détroits – Ormuz et Bab-el-Mandeb – ou simplement y faire régner une forte insécurité mettrait en péril une partie des approvisionnements stratégiques de l’Europe, sauf à envisager un coûteux contournement de l’Afrique. Pour la France, le lien avec ses Outre-mer de la zone Indo-Pacifique serait largement perturbé. Pendant ce temps, le porte-avions Charles de Gaulle, qui sort d’une période d’entretien, n’est pas immédiatement opérationnel et ce sont les groupes aéronavals américains qui exercent un fort pouvoir dissuasif au Moyen-Orient.

Copyright pour le texte Novembre 2023-Institut FMES/Diploweb.com

Elon Musk, l’Ukraine et Taïwan : les GAFAM sont-ils encore des entreprises comme les autres ?

Elon Musk, l’Ukraine et Taïwan : les GAFAM sont-ils encore des entreprises comme les autres ?

par Cyrille Dalmont – Revue Conflits – publié le 3 novembre 2023

https://www.revueconflits.com/elon-musk-lukraine-et-taiwan-les-gafam-sont-ils-encore-des-entreprises-comme-les-autres/


Elon Musk s’immisce dans les relations internationales. Après avoir reconnu être intervenu en Ukraine pour empêcher l’attaque de la flotte russe en Crimée, le voici qui défend l’intégration de Taïwan par la Chine. Simple souhait de protéger ses affaires ou réelle volonté de peser dans la diplomatie mondiale ?

Après l’Ukraine, où il assume d’avoir empêché l’armée ukrainienne d’attaquer la flotte russe en Crimée en limitant le faisceau de ses satellites Starlink et revendique des « actions diplomatiques » en faveur d’un plan de paix entre Kiev et Moscou (comprenant la tenue de nouveaux référendums sous supervision de l’ONU, l’abandon de la Crimée à la Russie et un « statut neutre » pour l’Ukraine), c’est sur la question de l’île de Taïwan que les ambitions diplomatiques d’Elon Musk se sont tournées. En qualifiant Taïwan de « partie intégrante » de la Chine, il a provoqué un tollé diplomatique. Jeff Liu, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Taïwan déclarant à la presse qu’Elon Musk « flatte aveuglément la Chine et si [ses| commentaires sont influencés par ses intérêts commerciaux », ils ne méritent pas d’être pris en considération.

Ces initiatives et ces échanges, qui peuvent sembler irréels entre un milliardaire de la big tech et les chancelleries, ont de quoi surprendre et appellent une réflexion approfondie. La géopolitique et les relations internationales traditionnelles, même si elles ont connu d’importantes évolutions au cours du vingtième siècle avec l’apparition d’organisations internationales en particulier, vivent leurs dernières heures. De nouveaux acteurs, privés et singuliers, apparaissent.

Un détour par l’histoire

Un rapide détour par l’histoire peut nous aider à comprendre. On pourrait dire que les géants du numérique ont en quelque sorte repris à leur compte le modèle des Zaibatsu japonais démantelés dans les années 1950, leur proximité avec l’armée étant considérée comme dangereuse par les États-Unis : conglomérats formés d’une multitude d’entreprises dans des activités très diverses mais permettant de contrôler l’ensemble de la chaîne économique d’un secteur, liées entre elles par des participations croisées (concentration), des opérations communes et des habitudes de concertation (ententes) tout en entretenant des liens étroits avec l’écosystème militaire (aides d’État). Avec les géants de la tech, ce modèle ne serait plus national mais mondial.

Une autre analogie historique est possible avec les différentes compagnies des Indes fondées par plusieurs États européens aux seizième et dix-septième siècles. Il s’agissait d’entreprises privées se comportant comme des quasi-États. Pour mémoire, l’East India Company britannique, créée en 1600 et dissoute en 1874, fut la première entreprise privée à acquérir des fonctions militaires et administratives, classiquement monopoles d’État. Le chercheur spécialiste de l’Inde, Roland Lardinois, parle d’une « puissante compagnie privée de marchands organisée sur un mode quasi-étatique ».

Chiffres d’affaires gigantesques et ambassadeurs

Ces analogies sont-elles valides pour les GAFAM ? Ces entreprises sont-elles en train de devenir des États, des quasi-États, des organisations internationales ou autre chose encore ? Dans un premier temps, il ne semble pas inutile de souligner que la capitalisation des GAFAM (2 700 milliards de dollars pour Apple, 2 496 milliards pour Microsoft, 1 728 milliards Alphabet (Google), 1 494 milliards pour Amazon et 784 milliards pour Méta) est individuellement supérieure au PIB annuel de plus de 170 pays dans le monde. Et l’on retrouve quasiment le même résultat si l’on compare leur chiffre d’affaires annuel au budget de ces 170 pays. Ensuite, si l’on observe le nombre d’utilisateurs de ces réseaux, Facebook fait aujourd’hui figure de « plus grand territoire numérique du monde », avec trois milliards d’utilisateurs mensuels revendiqués. Bien sûr, la comparaison entre les utilisateurs d’un réseau social et les citoyens d’un pays est assez spécieuse. Allons plus loin dans l’analogie.

Les dirigeants de ces entreprises considérables sont désormais davantage reçus comme des chefs d’États à travers le monde que comme des dirigeants d’entreprises. Et si le Danemark fut le premier pays à disposer d’un « ambassadeur au numérique » auprès des GAFAM en 2017, la France lui emboita le pas quelques mois après en nommant David Martinon au poste d’« ambassadeur pour le numérique ». La Commission européenne a également suivi le mouvement en ouvrant en septembre 2022 une « ambassade de la tech » à San Francisco et en nommant Gerard de Graaf comme ambassadeur pour assurer la promotion de la politique européenne dans le numérique.

Ce sont là des signes qui ne trompent pas. Si les États envoient des ambassadeurs auprès des GAFAM, c’est qu’ils ne les considèrent plus comme de simples entreprises. Par parallélisme des formes, les GAFAM envoient leurs ambassadeurs auprès des États en la personne de lobbystes VIP et de haut niveau, ancien ministres ou parlementaires de poids.

Cours suprêmes et cryptomonnaies

Les géants du numérique assurent leur « sécurité » intérieure et le maintien de l’ordre public sur leurs réseaux, rendent la « justice » et l’exécute par des demandes d’informations, de justificatifs d’identités, des préconisations, des suspensions ou des fermetures de comptes. Au travers du règlement DSA, la Commission européenne entend d’ailleurs encore augmenter ces pouvoirs de police en imposant aux plateformes numériques des obligations de censure au motif de mieux lutter contre les incitations à la haine, à la violence, au harcèlement, la pédopornographie, apologie du terrorisme. Facebook et Instagram se sont même dotés d’une « cour suprême » qui décidera en dernier ressort si un message, une photo, une opinion, un compte ou une page a lieu d’exister ou non. Les réseaux sociaux réglementent également les transactions commerciales qui ont lieu sur leur plateforme (les leurs et celles des entreprises tierces qui les utilisent) et envisagent de pouvoir battre monnaie dans un futur proche, même si pour le moment il ne s’agit que de cryptomonnaies.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seuls les États étaient considérés comme sujets de droit international. Mais comme les vieilles nations avaient failli avec deux conflits mondiaux particulièrement meurtriers, certains, intellectuels et responsables politiques, considérèrent qu’il fallait les soumettre à un nouvel idéal commun plus large que celui propre à leur population et à leur territoire : un idéal universel. Pour atteindre cet idéal, de nouveaux modèles apparurent visant à diluer, diminuer, déléguer la souveraineté des États dans le cadre d’organisations internationales à vocation mondiale (SDN, ONU, OMS, UNESCO, OIT, AIEA) mais également régionale, comme l’Union européenne qui en est l’exemple le plus abouti et le plus intégré. Ces organisations sont considérées comme sujets secondaires ou dérivés du droit international procédant de la volonté des États qui ont décidé de les créer et possèdent le plus souvent une personnalité juridique.

Elon Musk devant les médias après le Forum Al Insight. (c) Graeme Sloan/Sipa USA

Des organisations internationales atypiques

Si nous en revenons à notre analogie, il nous semble que les grandes plateformes numériques peuvent de plus en plus s’apparenter à des organisations internationales atypiques telle que l’Union européenne. Même si elle ne lève pas l’impôt et ne possède aucun territoire, l’Union européenne n’en demeure pas moins capable d’attribuer une forme de nationalité et un certain nombre de droits aux citoyens européens, indépendamment et en plus de leur nationalité d’origine. Or aujourd’hui, Elon Musk (Tesla), Marc Zuckerberg (Meta), Satya Nadella (Microsoft), Andy Jassy (Amazon), ou Sundar Pichai (Google) n’hésitent pas à financer des actions de lobbying considérables (plus de 100 millions d’euros rien que pour l’UE), à d’engager des bras de fer avec des gouvernements (Russie, Chine, Inde, etc.) et des actions de « guerre économique » de grande ampleur, et participent activement à la diplomatie mondiale. Ajoutons que leur influence sur la vie concrète de milliards d’individus à travers le monde croît à vitesse grand V quand celle des États-nations et de leurs cadres traditionnels paraît de moins en moins adaptée à nos société liquides et hyperconnectées.

Ce phénomène nouveau est fondamentalement la conséquence de la faiblesse d’États-nations englués dans leurs propres contradictions depuis l’avènement de la mondialisation et le triomphe des théories du « village globale ». Elon Musk est certes un milliardaire fantasque mais qui a pleinement mesuré la puissance que la faiblesse des États a permis aux géants technologiques d’acquérir.

Et peut-être est-il déjà trop tard pour les États pour se réveiller. Joe Biden a certes lancé en janvier dernier un appel au Congrès américain à « demander des comptes » aux géants de la tech et à légiférer pour renforcer le contrôle du gouvernement. On qualifie certes d’historique le procès qui vient de s’ouvrir contre Google pour abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche. Mais imagine-t-on un seul instant les États-Unis se lancer dans un démantèlement des géants numériques alors qu’ils sont engagés dans une guerre technologique intense qui est l’un des fronts majeurs de la guerre pour l’hégémonie mondiale qui les oppose à la Chine ? Ce serait un suicide.

Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? par David Colon

Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Par Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, – dipoweb.com – publié le le 29 octobre 2023 

https://www.diploweb.com/Video-Comment-les-Etats-mettent-ils-en-oeuvre-la-guerre-de-l-information-D-Colon.html


David Colon, professeur à Sciences Po Paris, auteur de « La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits », éd. Tallandier, 2023. David Colon est chercheur au Centre d’histoire de Sciences Po. Il y enseigne l’histoire de la communication, des médias et de la propagande. Membre du Groupement de recherche « Internet, IA et société » du CNRS. Il a précédemment publié « Propagande » (éd. Belin 2019, rééd. Flammarion, Champs histoire 2021) distingué par les prix Akropolis et Jacques Ellul. Il a aussi récemment publié « Les Maitres de la manipulation », éd. Texto, 2023.
Synthèse de la conférence par Marie-Caroline Reynier, diplômée d’un M2 de Sciences Po. Co-organisation de la conférence Pierre Verluise, fondateur du Diploweb et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I. Images et son : Arthur Robin. Montage : Arthur Robin et Pierre Verluise.

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre.

 

Cette vidéo peut être diffusée en amphi pour nourrir un cours et un débat. Voir sur youtube/Diploweb

 

Synthèse par Marie-Caroline Reynier pour Diploweb.com, relue et validée par David Colon

Bien qu’on ne la perçoive pas toujours, la guerre de l’information structure les relations internationales depuis les années 1990. En effet, l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux tels que CNN permet désormais aux États d’interférer plus directement. À partir d’un panorama depuis les années 1990 à aujourd’hui, David Colon s’intéresse aux États-Unis, à la Russie et à la Chine comme acteurs de la guerre de l’information. Voici la vidéo et la synthèse d’une conférence organisée par Diploweb.com et l’ADEA MRIAE de l’Université Paris I, le 12 octobre 2023, en partenariat avec le Centre géopolitique.

Les États-Unis en quête de domination informationnelle mondiale

D. Colon identifie la guerre du Golfe (2 août 1990 – 28 février 1991) comme point de départ de la guerre de l’information. Les États-Unis y manifestent leur puissance militaire, économique mais utilisent également le recours à l’information comme arme. À travers la doctrine de la « guerre en réseaux » (Network-Centric Warfare), ils veulent dominer le champ de l’information. Cette guerre du Golfe est un tournant, précisément car elle est perçue comme telle par la Chine et la Russie.

Par la suite, les États-Unis cherchent à étendre leur domination informationnelle (Information Domination) via les « autoroutes de l’information », l’affirmation de leur soft power et la création de géants du numérique (Google en 1998 notamment). À cette période, comme le souligne le discours du président B. Clinton devant les étudiants de l’Université de Pékin (1998), les États-Unis pensent que l’extension de leur système informationnel au monde entier conduira les derniers régimes autoritaires à disparaître.

D. Colon relate également à quel point le film Les experts/Sneakers (1992), visionné par McConnell, directeur de la National Security Agency (NSA), a produit des effets directs sur la politique de défense américaine. Ce film accélère la prise de conscience du basculement dans une nouvelle ère, celle de l’information électronique. Il met en exergue la nécessité de faire évoluer les outils et les méthodes de la NSA, pour favoriser la pénétration des réseaux ennemis. En ce sens, dès 1992, l’agence fédérale américaine chargée de la collecte des données électromagnétiques (SIGINT) redéfinit ses missions pour se lancer à grande échelle dans des opérations de cyberguerre.

Ensuite, la manipulation massive de l’opinion mondiale pour légitimer l’entrée en guerre des États-Unis contre l’Irak en 2003 apparaît comme un deuxième point de rupture. En effet, le recours à la manipulation de l’information mondiale, doublé d’une entorse au droit international n’est pas sans conséquence sur l’attitude des régimes autoritaires.

Enfin, l’utilisation du virus Stuxnet par les autorités américaines en 2009-2010 [opération conjointe avec les Israéliens mettant hors d’usage des centrifugeuses de l’usine iranienne d’enrichissement de Natanz] constitue un troisième point de rupture. Pensé comme un moyen de détourner les opérations iraniennes, ce virus, utilisé par la suite par des hackers iraniens, constitue le point de départ d’une cyberguerre mondiale.

David Colon, professeur à Sciences Po Paris, auteur de « La Guerre de l’information. Les États à la conquête de nos esprits », éd. Tallandier, 2023. Photo : David Atlan

La riposte russe

Si D. Colon utilise le terme de « riposte », il rappelle que l’action des services de renseignement russes s’inscrit dans la durée. Ainsi, la génération formée à l’art de la désinformation dans les années 1980 est actuellement au pouvoir, au premier rang duquel Vladimir Poutine qui fut agent de liaison du KGB auprès de la Stasi (police politique de la RDA) de 1985 à 1990. Pour les services de renseignement russes, la désinformation ne se définit pas comme l’obtention d’un résultat immédiat mais comme un lent travail de décomposition de la société adverse.

La spécificité russe en la matière tient au fait que ses trois services de renseignement et de sécurité réalisent des activités à l’étranger. Ainsi, le FSB (Service fédéral de sécurité) est chargé de la sécurité intérieure mais mène également des activités cyber offensives. D. Colon souligne que l’articulation faite en Russie entre activités de renseignement intérieur et extérieur est inenvisageable aux États-Unis entre le FBI et la NSA. De son côté, le SVR (Service russe des renseignements extérieurs) s’est lancé depuis les années 1990 dans des activités de renseignement sur Internet. Enfin, le GRU (Service de renseignement militaire), créé en 1918, fusionne des capacités de guerre psychologique acquises durant la Guerre froide avec des outils numériques.

La force des services de renseignement russes tient également dans leur appropriation du mode de pensée occidental. Selon les principes définis par N. Wiener, les Russes envisagent un usage militaire de l’information pour protéger leur sphère informationnelle de l’ennemi. Ils mènent également une guerre de subversion pour conquérir les esprits et semer le chaos partout où ils le peuvent. Leur efficacité tient donc à une conception défensive et offensive du conflit informationnel, tel que défini notamment par I. Panarin et S. Rastorguev.

Parmi les coups d’éclat des services de renseignement russes, la cyberattaque menée en 2007 en Estonie à l’encontre de sites web d’organisations gouvernementales fait date. D. Colon relève que ces opérations cyber sont systématiquement accompagnées d’opérations médiatiques, souvent plus fortes après l’attaque qu’avant. Par exemple, après l’élection de Trump en 2016, les Russes organisent des manifestations en faveur et à l’encontre de D. Trump. L’objectif n’était pas seulement de le faire élire mais également d’affaiblir toute confiance des citoyens américains dans la démocratie.

L’avènement du numérique et des médias sociaux est perçu comme un tournant par les services de renseignement russes. Ils y voient l’expression d’une guerre en réseaux. À cet égard, la mise en évidence de méthodes de prédiction de la personnalité à partir de la récupération de données Facebook par des chercheurs (M. Kosinski, D. Stillwell) n’a pas échappé aux services de renseignement russe. Le travail d’Alexandr Kogan, chercheur en psychométrie recruté par la société Cambridge Analytica, a tout particulièrement intéressé le GRU. Ces modèles prédictifs permettent également de cibler des individus fragiles, de les appâter avec des contenus relevant de la théorie du complot, comme l’illustre le succès de la mouvance QAnon aux États-Unis mais aussi en Europe.

L’action chinoise

Suite à la guerre d’Irak (2003), perçue comme une guerre totale, la Chine élabore une nouvelle stratégie en 2003 : « la doctrine des trois guerres », composée de la « guerre de l’opinion publique », « la guerre psychologique » et « la guerre du droit ». Ce faisant, la Chine se dote de capacités cyber lui permettant d’opérer des cyberattaques massives, profite des failles législatives américaines (si le rachat d’entreprises de la Silicon Valley est interdit, la Chine exploite la possibilité d’y prendre des participations) et joue la carte de l’influence.

Le réseau social TikTok, en ce qu’il affecte toutes les couches du cyberespace, constitue un exemple significatif de l’influence chinoise. En effet, la plateforme, qui réunit 1,7 milliard d’utilisateurs, a des incidences infrastructurelles et peut perturber le système d’information à sa source. Ainsi, en Norvège, l’un des plus grands fabricants de munition d’Europe n’a pas pu augmenter sa production en raison de la présence à proximité d’un centre de données saturé de vidéos TikTok qui accaparent la consommation d’électricité. Le réseau social interfère également sur la couche cognitive, et peut être utilisé comme un outil de subversion. En effet, l’utilisateur voit son attention captée et ne choisit pas les contenus qu’il regarde. Cette plateforme montre également les dangers de l’Intelligence Artificielle (IA) lorsqu’elle est intégrée à des opérations de grande échelle. La société NewsGuard a ainsi identifié qu’un réseau de 17 comptes TikTok utilisant un logiciel de synthèse vocale pouvait générer 5000 vidéos conspirationnistes visionnées 336 millions de fois et en mesure de recevoir 14,5 millions de mentions « j’aime » en 8 semaines.

En outre, D. Colon analyse la combinaison des intérêts chinois et russes sur le plan informationnel. Ainsi, en 2015, les deux pays ont signé un accord de cybersécurité, prenant la forme d’un pacte de non-agression dans le cyberespace. Leurs actions vont au-delà puisque la Chine et la Russie font également converger leurs opérations d’information et de désinformation.

Enfin, D. Colon met l’accent sur l’ampleur de la menace chinoise. Ainsi, les services de renseignement britanniques ont indiqué dans un rapport de 2023 que la Chine possède « presque certainement » le plus grand appareil de renseignement au monde, avec des dizaines de milliers d’agents. Un rapport de 2023 du GEC, cellule consacrée à la lutte contre la désinformation au sein du Département d’Etat américain, souligne la recrudescence de la désinformation chinoise, ce à quoi la Chine a répondu que les États-Unis sont « un empire de mensonges » ayant « inventé la militarisation de l’espace mondial de l’information ».

Que faire face aux défis informationnels ?

D. Colon insiste sur la nécessité de « renforcer notre système immunitaire face aux virus médiatiques ». Selon lui, une plus grande transparence doit être encouragée, notamment en imposant une déclaration de leurs activités à ceux qui mènent des activités d’influence. La création d’un Observatoire international sur l’information et la démocratie en 2022 est également à souligner dans cette perspective. Face aux menaces posées par Twitter, TikTok et l’IA générative, D. Colon propose de créer un réseau social européen de service public.

Il alerte également sur le besoin de « renforcer nos anticorps ». En effet, il constate que le nombre de personnels français en charge de la veille informationnelle est inférieur à 100 personnes. Il note l’urgence du renforcement des effectifs de la Sous-direction de la veille et de la stratégie (Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères) et de VIGINUM (service de l’Etat chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, rattaché au Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale). Enfin, le soutien au journalisme de qualité, à la manière du projet de certification de médias lancé par RSF, lui apparaît également central.

NB : La synthèse a été relue et validée par D. Colon.
Copyright pour la synthèse Octobre 2023-Reynier/Diploweb.com

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

 

par Emmanuel Dupuy (Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) – Revue Conflits – publié le 30 octobre 2023

https://www.revueconflits.com/une-paix-juste-est-elle-encore-possible-au-moyen-orient/


L’attaque brutale menée par le Hamas et le Djihad islamique le 7 octobre dernier en territoire israélien n’en finit pas de diviser les 194 États composant l’ONU, notamment quant à la juste réponse à apporter aux massacres et atrocités commises par les deux organisations terroristes.

Le récent vote aux Nations unies de la résolution appelant à un cessez-le-feu « humanitaire » immédiat, le 17 octobre dernier, soit dix jours après les effroyables massacres dont ont été victimes près de 1 400 ressortissants israéliens et étrangers, ont fait voler en éclat, une fois de plus le frêle concept de « communauté internationale ».

Un vote qui divise

120 États ont voté pour, 14 contre, 45 se sont abstenus. La division est encore plus criante et inquiétante au niveau de l’UE, où sept pays (dont la France et l’Espagne, qui préside pourtant le Conseil de l’UE, jusqu’au 31 décembre prochain) ont voté en faveur de la résolution proposée par la Jordanie, tandis que quatre votaient contre (Hongrie, Autriche, Croatie et la République tchèque) rejoignant ainsi la position américaine et que 16 autres s’abstenaient (dont l’Allemagne et l’Italie) à l’instar, du reste, de l’Inde, du Japon et du Canada…

À cet égard, comme les 44 vétos américains brandis par les États-Unis (sur les 83 utilisés par Washington au sein du Conseil de Sécurité depuis 1946) en attestent, quand il s’agit de défendre l’État d’Israël, les polarités diplomatiques l’emportent sur la solidarité euro-atlantique et enterrent l’idée même d’une politique étrangère et de sécurité commune aux 27 États de l’UE.

Désormais, à la sidération qui prit de court les forces armées de Tsahal, ses services de renseignement, la société israélienne et l’opinion publique mondiale, ce sont avant tout les graves conséquences induites par l’attaque des terroristes palestiniens sur le plan de la stabilité régionale qui sont devenus les principaux sujets de mobilisation inquiète planétaire.

Comme en mai 1948, juin 1967 et  octobre 1973, les préoccupations des pays arabes voisins, tout comme la légitimité palestinienne à un État, sont venues réveiller une certaine forme d’unité, notamment dans les « rues arabes »,  alors même que certains de ses mêmes États étaient engagés dans un processus de normalisation avec Tel-Aviv, à l’instar de l’Égypte, depuis les accords de Camp David, en 1978 ;  la Jordanie, depuis les accords de Wadi Araba, en 1994 ; et, par le biais des Accords d’Abraham, depuis l’automne 2020, le Maroc, le Soudan, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Failles de sécurité

Sur le plan opérationnel, les failles sécuritaires sont accablantes quant à la prise à défaut de l’inviolabilité des frontières d’Israël. Celles-ci, supposément sanctuarisées par le truchement de son système de défense sol-air « Iron Dome Air Defence Missile System » – prétendument infaillible depuis sa mise en service en 2011 – n’a pu détruire la totalité des quelque 5 000 roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Avec un taux de réussite – déjà exceptionnel – de 90% d’interception, quelque 400-500 roquettes ont pu ravager les principales localités du sud d’Israël, à l’aune, sinistre, du nom de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas et le Djihad islamiste.

Par ailleurs, près de 2 500 terroristes du Hamas, notamment ses brigades Izz al-Din-al-Qassam et du Djihad islamique ont pu réduire à néant, en quelques heures, le mur protecteur érigé par Israël et provoquer la mort de 1 400 Israéliens, dont près de 300 militaires et 35 binationaux franco-israéliens, et ce à la stupeur générale mondiale.

Le sort tragique des 222 otages – dont vraisemblablement 9 sont franco-israéliens – encore retenus par l’organisation terroriste palestinienne dans la bande de Gaza est aussi un sujet de vive préoccupation, mobilisant acteurs régionaux (Égypte, Qatar, Turquie, Arabie Saoudite, Irak, EAU) et internationaux (USA, France, Allemagne, Italie, Canada, Vatican, Chine) dans des approches et objectifs radicalement différents.

Cette réalité vient d’ailleurs confirmer le profond fossé que la question israélo-palestinienne n’a cessé de mettre en exergue depuis la création de l’État d’Israël en mai 1948 et la première des centaines de vaines résolutions onusiennes ; à l’instar de la résolution 181 de 1947 ou encore, la résolution 242 de 1967, actant le plan de partage de la Palestine en deux États.

La question des civils

Sans oublier, bien sûr, les trop nombreuses victimes civiles et terroristes, à la suite des bombardements de Tsahal sur une bande de Gaza, prenant au piège 2,3 millions de Gazaouis, ayant provoqué le décès de plus de 6 500 Palestiniens et occasionné plus de 13 000 blessés (selon les chiffres « officiels » quoique interrogeables du ministère de la santé palestinien), en dépit de l’appel insistant à l’ouverture de corridors humanitaires et le déplacement des Palestiniens vers le sud de l’enclave. Sur ce dernier point, force est de constater néanmoins que c’est bel et bien le Hamas qui empêche les habitants de Gaza de fuir les zones qu’Israël a prévenu de frapper, voire d’envahir, dans le cadre de son opération « Épées de fer » dont la dimension terrestre a débuté, visant à « éradiquer » le mouvement islamiste.

Ainsi, la teneur des frappes aériennes israéliennes sur une bande de Gaza de 365 km2 mais qui, avec une population de 2,1 millions, est une des plus fortes densités démographiques au monde (13 000 habitants/km2) interroge, aussi, les règles mêmes du droit international des conflits armés et du droit international humanitaire, dans sa déclinaison des quatre conventions de Genève d’août 1949 et ses protocoles additionnels de 1977, notamment dans la dimension de la protection des populations civiles dans le cadre de conflits armés.

Ces tragiques événements viennent confirmer, en outre, la fragilité du système multinational onusien et mettre en exergue un hiatus aggravant entre les pays, reconnaissant la légitimité d’Israël d’exciper de l’article 51 – autorisant la légitime défense d’un État face à une attaque contre son intégrité territoriale – de la Charte de San Francisco, créant les Nations Unies, en juin 1945. Par ailleurs, les autres États qui, en défendant, le droit des Palestiniens à la création d’un État internationalement reconnu et, en appelant à une forme de « désescalade », n’en joue pas moins – le plus souvent à leur corps défendant –  le jeu pervers du Hamas, qui use et abuse de cette légitime cause pour mener à bien son objectif de destruction de l’État d’Israël, depuis sa création en 1987 – nonobstant le retrait, quelque peu factice, depuis 2017, de l’article demandant spécifiquement la destruction d’Israël.

Il convient aussi de rappeler que cet objectif nihiliste va à contrario du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui en avait définitivement abandonné l’objectif, en avril 1996, en abrogeant sa charte fondatrice, datant de 1964.

Certes, l’instabilité politique chronique, née des réformes judiciaires et constitutionnelles impopulaires, induite par le 6e gouvernement de Benyamin Netanyahou, depuis décembre 2022 – principalement sous la coupe des partis juifs nationalistes orthodoxes – semblerait fournir une première explication aisée. Il convient de rappeler que ces derniers étaient plus prompts à défendre les colonisations illégales de Cisjordanie que soucieux de réengager le dialogue avec l’Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, même si ce dernier pâtit négativement de l’impossibilité à organiser une élection depuis 2006, à Ramallah.

Ce n’est, cependant, pas la seule raison explicative du grave fiasco sécuritaire et du drame que vivent les familles israéliennes endeuillées, même si indéniablement la responsabilité politique du Premier ministre israélien est ouvertement posée. Il en est de même pour celle de son ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, multi-inculpé, que même le président de la République, Isaac Herzog qualifiait « d’inquiétude » pour Israël. Il en va aussi avec le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a déclaré vouloir « éradiquer » le Hamas et le Djihad islamique et qui semble se placer dans les pas de son mentor en politique et au sein de Tsahal, Ariel Sharon.

Pour rappel, une grande majorité des Israéliens souhaitent que Benyamin Netanyahou démissionne et reconnaisse la légitimité du Cabinet de guerre mis en place le 11 octobre dernier, dans la grave période de crise que traverse Israël, associant le principal opposant de l’actuel Premier ministre, l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz. La perspective d’un gouvernement d’union nationale, réunissant les anciens Premiers ministres, Naftali Bennett et Yaïr Lapid, recueille aussi l’adhésion d’une large frange de l’opinion publique israélienne.

Par ailleurs, la pusillanimité des États européens – au premier titre desquels la France – qui s’étaient pourtant démenés en faveur de la « solution à deux États », de la Déclaration du Sommet de Venise en 1980, reconnaissant le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; la Conférence de Madrid, en 1991 ; les Accords d’Oslo en 1993, jusqu’au Plan de paix proposé par Riyad en 2002, n’en apparais que plus criante.

Une paix lointaine

La réunion du « Sommet de la paix » convoquée par l’Égypte, réunissant les États de la Ligue arabe, du Conseil de Coopération des États arabes du Golfe (CCG) de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, n’aura ainsi, logiquement, débouché que sur un narratif récurrent appelant à la solution – presque devenue mécanique – à deux États, un vague appel à la désescalade, ainsi que l’ouverture de corridors humanitaires que viennent, fort heureusement confirmer l’entrée à Gaza, par le terminal égyptien de Karm Abou Salem – Kerem Shalom et de Rafah de 28 camions d’aide humanitaire.

L’on en viendrait presque à se demander si ce « mantra » ou figure de style diplomatique des deux États, pourtant répétée inlassablement depuis 1947, le plus souvent dans le vide, au profit de deux populations devenues de plus en rétives à cohabiter dans un même État ou dans deux États séparés, même reconnus internationalement, reste encore possible ?

Le piège irrémédiablement tendu par la coalition hétéroclite des ennemis d’Israël se referme.

Qu’il s’agisse des mouvements terroristes réputés proches de l’idéologie radicale des Frères musulmans, tels que le Hamas et le Djihad islamique ; Daesh, et sa déclinaison égyptienne du mouvement Ansar Beït al-Maqdess, pour qui la libération de Jérusalem – Al Qods est consubstantielle de sa création ; ou encore, les « proxies » chiites, tels que le Hezbollah libanais, les milices Hachd al-Chaabi irakienne, les Houthis zaïdites yéménites, répondant ainsi aux injonctions de l’Iran, qui menace ainsi logiquement Tel-Aviv d’une réponse si Tsahal entrait dans Gaza.

Le Hamas, le Djihad islamique et ses promoteurs – parrains qu’ils soient à Ankara, Téhéran et Doha, ont d’emblée obtenus ce qu’ils cherchaient : démontrer la faillibilité du dispositif sécuritaire d’Israël d’une part et remettre en cause par ailleurs les acquis du processus de normalisation avec Israël.

Les Accords d’Abraham du 15 septembre et 20 décembre 2020 ne devraient ainsi pas voir aboutir le rêve d’un dialogue approfondi entre l’Arabie Saoudite et Israël, du moins dans les prochains mois, comme le confirme la fin de non-recevoir à cet effet, du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane.

Pire, l’initiative de sécurité et paix proposée par la Chine, qui avait vu Téhéran et Riyad reprendre à nos dépens et à notre surprise stratégique, leur dialogue diplomatique en mars dernier, risque de confirmer la « dé-occidentalisation » d’une éventuelle solution de stabilité régionale.

Le Président américain Joe Biden, en se déplaçant à Tel-Aviv et Jérusalem la semaine dernière, et en tenant de faire voter, au plus vite, dans un contexte politique tendu à la Chambre des Représentants, une aide exceptionnelle de 105 milliards de dollars (dont 14 milliards de dollars pour Israël, qui viendront s’ajouter aux 38 milliards de dollars d’aide militaire engagée par Barack Obama depuis 2017 jusque 2028, soit 3,8 milliards de dollars annuels) en a bien saisi le risque potentiel quoique bien réel.

Pour rappel, les États-Unis auraient le plus à perdre en cas de conflit régional, fragilisant le fragile statu quo militaire et diplomatique actuel, eu égard aux quelque 260 milliards de dollars octroyés par Washington à Tel-Aviv depuis 1948, dont 124 milliards de dollars, rien que sur le plan militaire !

Le risque d’un conflit régional est ainsi dans tous les esprits

Le Charles-de-Gaulle va ainsi rejoindre en Méditerranée orientale les deux porte-avions américains (USS Eisenhower et USS Ford) et ainsi « prévenir » le risque d’une escalade dont Téhéran et les groupes armés qu’il contrôle au Liban, Syrie, Irak et Yémen détiennent indiscutablement la clé. Téhéran est ainsi pointé d’un doigt accusateur, tant par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que le président américain Joe Biden. Ce dernier se veut de plus en déterminé à démontrer la responsabilité iranienne derrière les attaques menées très récemment et de plus fréquemment par les milices chiites irakiennes Kataeb Hezbollah contre les bases américaines dans le nord-est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak.

Dans ce contexte hautement crisogène, la tournée d’Emmanuel Macron, effectuée entre Tel-Aviv, Ramallah et Le Caire n’aura, hélas, permis de retrouver les accents gaulliens de 1967, quand la France imposait sa voix au Conseil de sécurité pour la reconnaissance des deux États autour de la résolution 242. Emmanuel Macron n’aura ainsi pu retrouver, non plus, la verve chiraquienne de 1996, quand le Président de la République rappelait, avec force et vigueur, le rôle protecteur de la France sur les lieux saints dans la ville de Jérusalem.

Pire, notre Président de la République, en proposant une singulière coalition anti-Hamas, liée ou copiée sur la coalition mondiale contre l’État islamique (The Global Coalition Against Daesh, regroupant 86 États et organisations intergouvernementales et institutions) n’aura guère plus convaincu nos alliés arabes (Jordanie, Égypte, Liban, EAU, Arabie Saoudite) a contrario de l’épique prise de parole de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, le 14 février 2003, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quand la politique arabe de la France faisait les riches heures de notre diplomatie de prévention et de résolution des conflits. Il est vrai que l’accusation formulée par le roi de Jordanie, Abdallah II et son épouse Rania, quant aux « doubles standards » qui motiveraient le regard biaisé de « l’Occident » vis-à-vis de la question palestinienne, n’était pas formulée ni ressentie avec autant de prégnance, à Amman, à Beyrouth, à Rabat ou au Caire, il y a vingt ans.

Sans remonter jusqu’à Michel Jobert, qui comme ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, dans les années 1970, portait haut une approche d’équilibre unanimement saluée par les capitales arabes comme par l’État d’Israël, force est hélas de constater que la politique arabe de la France ne fait plus écho, aujourd’hui, avec les doléances des principales capitales arabes et levantines. Pourtant, c’est dès 1974 que Valéry Giscard d’Estaing reconnaît l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), contribuant ainsi, le premier, à lui garantir son statut de membre observateur au sein de l’ONU.

Faut-il y ainsi voir dans l’incapacité française à imposer un cessez-le-feu, tout en reconnaissant le droit légitime d’Israël de se défendre ; en se réjouissant, malgré tout, des timides avancées sur le plan humanitaire que le déplacement présidentiel aura néanmoins permis d’obtenir, un assourdissant effet collatéral de l’effacement diplomatique occidental ?

Prodromes d’acier par Michel Goya

Prodromes d’acier

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 octobre 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Quelques considérations sommaires sur une opération terrestre.

Modelage de la force

On parle beaucoup de la mobilisation des réservistes, inédite depuis 1973, mais ce ne sont pas eux, à l’exception des renforts individuels des brigades d’active, qui porteront l’assaut sur Gaza. Les brigades de réserve servent surtout à tenir les autres fronts, tout en contribuant à dissuader d’autres adversaires potentiels. Certaines brigades interviendront sans doute à Gaza, peut-être en 2e échelon des brigades d’active afin de tenir le terrain conquis ou lorsqu’il s’agira de contrôler la zone, une fois la conquête terminée.

L’attaque sera donc portée à Gaza, comme en 2006, 2008, 2009 et 2014, par les brigades d’active, qui, faut-il le rappeler, ne sont pas professionnelles en Israël. Elles sont armées par des hommes (pas de femmes dans les unités de combat) qui effectuent 32 mois de service et plus pour certains cadres et spécialistes. C’est suffisant pour apprendre un métier, mais insuffisant pour acquérir de l’expérience. La moyenne d’âge d’un bataillon d’infanterie israélien doit être aux alentours de 21 ans, celle d’un régiment d’infanterie en France est à peut-être 30 ans, sinon plus. Cela fait une énorme différence. Un officier israélien me disait : « Ce que l’on vous envie, ce sont vos vieux caporaux-chefs et sergents. Ils ne vont pas forcément défourailler tous azimuts s’ils prennent des cailloux sur la tronche, alors que chez nous cela arrive ». C’est une des raisons pour laquelle les Israéliens préfèrent souvent utiliser les réservistes, plus pondérés, dans les missions de contrôle en Cisjordanie. Cela a pour inconvénient de « désentrainer » les unités de réserve, par ailleurs moins bien équipées que l’active, des missions de combat à grande échelle et haute-intensité (GE-HI) mais permet en revanche aux brigades d’active de s’y consacrer. Cela est par ailleurs nécessaire car cette armée de très jeunes a de l’énergie mais pas de mémoire. Les derniers combats GE-HI datent de 2014, à Gaza justement, et il n’y a plus aucun soldat et cadres subalternes qui y a participé, au contraire de nombreux combattants du Hamas. D’où la nécessité de s’entraîner et se réentraîner y compris dans les jours qui précèdent une opération offensive.

Tsahal peut compter sur 4 brigades blindées (BB) en comptant la 460e brigade « école » et 5 brigades d’infanterie blindée (BI). Ce sont plutôt des brigades de petites dimensions (guère plus de 2000 hommes) et monochromes avec seulement des bataillons (3 parfois 4) d’infanterie ou de chars de bataille. A la mobilisation, ces brigades sont complétées de quelques réservistes (compter 2 jours), puis déplacées sur la zone d’action, ce qui compte tenu du poids moyen énorme des véhicules de combat israéliens impose l’emploi de rares porte-chars et donc là aussi quelques délais même si le pays est petit.

Une fois réunies dans la zone d’action, les brigades se reconfigurent en sous-groupements tactiques interarmes, en jargon militaire français. En clair, elles forment des groupements tactiques (GT) de la taille d’une compagnie avec 100 à 200 hommes sur environ une vingtaine de véhicules blindés, avec un savant dosage de génie pour l’ouverture d’itinéraire et le déminage, de chars de bataille Merkava IV pour le tir au canon et d’infanterie blindée, autant que possible sur véhicules lourds Namer et Achzarit, ou sinon sur les plus vulnérables M113. En fonction des missions, ces GT peuvent recevoir le renfort d’équipes de guidage de tirs (artillerie, hélicoptères, drones et chasseurs-bombardiers), d’équipes de génie spécial Yahalom et du bataillon cynophile Oketz, notamment pour le combat souterrain. Ils peuvent recevoir aussi le renfort de sections de la 89e brigade commando qui réunit les bataillons Duvdevan (popularisé par la série Fauda), Maglan et Egoz, qui peuvent agir aussi en autonome, comme les unités « stratégiques » Matkal (Terre), 13 (Marine), 669 et Shaldag (Air), avec cette difficulté de la pénétration isolée dans l’espace urbain hostile de Gaza.

En résumé, Tsahal a réuni un échelon d’assaut environ 80-100 groupements tactiques de compositions diverses. Notons qu’alors que l’on décrit le rapport de forces Israel-Hamas de manière globale, avec notamment plus de 600 000 hommes et femmes côté Tsahal, cela ne fait au maximum que 20 000 soldats en premier échelon à l’assaut, soit à peu près autant que le nombre de combattants ennemis en face, une situation en fait habituelle dans le combat moderne. Le 3 hommes contre 1 décrit comme absolument nécessaire pour attaquer quoi que ce soit est un mythe. Ce qui est important n’est pas le nombre de soldats mais la masse et la précision de la puissance de feu en tir direct, et là bien sûr les Israéliens sont très supérieurs.

Bien entendu, cet échelon d’assaut est appuyé par un puissant échelon d’artillerie, avec pour les seules trois brigades d’active deux fois plus de pièces que l’armée française avec une mention spéciale pour les mortiers, les plus utiles en combat urbain. Il y a également un échelon d’appui volant drones et d’hélicoptères, qui avec la portée de leurs armes n’ont même pas besoin de survoler Gaza pour prendre tout le territoire sous leur feu. Cet échelon aérien à surtout pour fonction d’interdire les toits, les hauteurs des bâtiments les plus élevés et parfois les grands axes à coups de missiles. Outre les missions autonomes sur des cibles d’opportunité dans la profondeur, obusiers et frappes aériennes servent à encager les zones 100 à 200 mètres au moins devant les troupes d’assaut. C’est une arme puissante mais à manier avec précaution, une seule erreur de frappe pouvant provoquer une catastrophe sur un groupement tactique en tir fratricide mais aussi bien sûr sur la population.

Bien entendu également, en arrière des brigades d’assaut et d’artillerie, on trouve les « montagnes de fer » de la logistique avec tout ce qu’il faut pour alimenter la bataille pendant des semaines, avec cette difficulté de l’acheminement ou du repli, des blessés en particulier, en zone très hostile. Petit aparté : l’armée israélienne s’était organisée en bases de soutien zonales en 2006, ce qui c’était avéré catastrophique dans la guerre contre le Hezbollah, plus personne ne sachant qui soutenait qui dès lors que l’opération avait pris une certaine ampleur. Ils se sont réorganisés depuis de manière plus classique, c’est-à-dire organiquement, et plus intelligente.

Phalanges et essaims

Un petit mot de la défense. On parle donc de 30 000 combattants pour le Hamas et les groupes alliés. On peut logiquement estimer à 20-25 000 le nombre de réels fantassins dans le lot, dont au moins 7 000 professionnels (beaucoup ont été perdus dans l’attaque du 7 octobre) et environ 15 000 « réservistes » miliciens. Ils sont plutôt bien équipés sur le modèle classique léger AK-RPG (7 et 29), avec un nombre inconnu de pièces collectives modernes : fusils de snipers lourds à grande portée, postes de tir de missiles et, surtout, mitrailleuses lourdes et canons-mitrailleurs de 23 mm.

Avec 25 000 fantassins pour défendre une frontière de 65 km, on a une densité de 300 à 400 hommes par km2 de frontière, ce qui est assez peu. La défense est donc zonale. Le secteur est découpé en six secteurs de brigade et eux-mêmes en quartiers de défense. Normalement un quartier de défense bien organisé est découpé en quatre espaces : les zones piégées et vides, les grands axes bourrés d’obstacles et de mines et dans l’axe de tirs d’armes à longue portée et de mortiers de 60 mm, des espaces de tir individuel dans les hauteurs –tireurs RPG pour tirer sur les toits des véhicules en haut, snipers un peu plus bas pour des tirs plus rasants et enfin des espaces de manœuvre. Ces espaces de manœuvre sont occupés par des sections de 10 à 30 hommes qui vont s’efforcer d’harceler autant qu’ils peuvent les Israéliens avant leur abordage des zones urbanisées avec des tirs lointains s’ils en ont les moyens, puis à l’intérieur des blocs en trois dimensions avec des caches, des passages à travers les murs ou les tunnels. On peut même des combattants-kamikazes isolés et cachés qui attendront, peut-être pendant des jours, de pouvoir attaquer des soldats israéliens. Tout cela, c’est un peu l’organisation optimale, à la manière de ce que faisaient les rebelles à Falloujah en Irak ou novembre 2003 (moins bien équipés que le Hamas) ou le Hezbollah à Bint Jbeil en juillet 2006, sans parler des combats de l’État islamique dans les villes d’Irak et de Syrie.

Point particulier : avoir quelques centaines de combattants par km2 dans des espaces d’une densité de plusieurs milliers d’habitants (9000 à Gaza-ville) implique que, même si une grande partie des habitants ont fui, la plupart des gens que les soldats israéliens vont rencontrer dans leur espace de combat seront des civils totalement innocents ou sympathisants du Hamas ou encore des combattants masqués. C’est après les murs, le deuxième bouclier des combattants du Hamas, peut-être encore plus contraignant pour les Israéliens que le premier. À cet égard, si les choses sont bien faites, Tsahal devrait avoir prévu dans ses plans la manière dont elle va gérer, en fait aider, immédiatement cette population dans les zones conquises.

Le combat qui s’annonce sera donc, comme dans les expériences précédentes à Gaza et à plus grande échelle, ou dans les combats similaires à Nadjaf et Falloujah en Irak en 2004, un combat de phalanges contre des essaims. Seule l’expérience de la bataille de Sadr City en 2008 pourrait constituer un autre modèle, à condition pour les Israéliens de vouloir in fine négocier et accepter la survie du Hamas, ce qui semble peu probable.

Pour l’instant Tsahal utilise ses groupements tactiques pour mener des raids aux abords. Le but est d’abord de tester l’ennemi, évaluer ses défenses et provoquer des tirs afin de détruire leurs auteurs, notamment les équipes de tir de missiles antichars. Secondairement, on prépare des itinéraires pour des engagements ultérieurs et on continue à poursuivre l’entraînement des troupes. On peut continuer ainsi un certain temps. Si les Israéliens ne font que cela, on sera effectivement sur le mode Sadr City ou même celui de la « tonte de gazon » des guerres précédentes contre le Hamas. Il n’est évidemment pas possible de casser le Hamas de cette façon, ce qui est le but stratégique affiché. Deuxième difficulté, Israël ne peut être en situation de mobilisation totale très longtemps car le pays est paralysé pendant ce temps. Le créneau GE-HI maximum est dont d’environ deux mois. Après il faudra passer à moyenne ou faible ampleur et faible intensité, au moins au sol, pour pouvoir durer à la manière de la guerre d’usure contre l’Égypte en 1969-1970, en espérant que cela ne débouche pas sur une extension du conflit (la guerre d’usure s’est terminée par une petite guerre entre Israël et l’URSS).

À un moment donné, peut-être après avoir eu la certitude qu’il n’y aura pas d’extension du conflit et peut-être épuisé toutes les possibilités de libération rapides d’otages, il faudra sans aucun doute lancer les 80 phalanges à l’assaut. Dans les guerres 1956 et 1967, les conquêtes de Gaza n’avaient pris qu’une journée face aux forces égyptiennes et à la division palestinienne. Cette fois, il faudra des jours et des semaines, mais sauf énorme surprise comme en juillet-août 2006 face au Hezbollah, les phalanges atteindront la mer. Ce sera néanmoins coûteux. Les combats similaires en 2014, limités à 3 kilomètres de la bordure et à une durée de trois semaines, avaient fait 66 morts parmi les soldats de Tsahal. Le « devis du sang » qui a dû être présenté par l’état-major à l’exécutif politique pour cette nouvelle opération doit être beaucoup plus élevé.

Hamas-Israël : quelles conséquences diplomatiques et sécuritaires au Moyen-Orient ?

Hamas-Israël : quelles conséquences diplomatiques et sécuritaires au Moyen-Orient ?

Interview
Le point de vue de Didier Billion – IRIS –  publié le 26 octobre 2023

Le 7 octobre 2023, les attaques du Hamas contre Israël et la réponse israélienne qui a suivi ont replacé la question palestinienne au cœur du contexte sécuritaire au Moyen-Orient, faisant craindre une escalade régionale du conflit. Quelle est la position des États arabes face au conflit et à quelles réactions doit-on s’attendre en cas d’intervention terrestre israélienne à Gaza et de prolongation du conflit ? Le conflit Hamas-Israël pourrait-il affecter le processus de rapprochement entre Israël et certains États arabes ? Alors que l’Égypte a décidé de ne pas ouvrir ses frontières, quel rôle le pays tient-il dans ce conflit ? Une médiation du conflit par les pays arabes est-elle possible ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie.

Des milliers de personnes ont manifesté à travers le monde arabe, notamment en Jordanie ou au Liban, pour exprimer leur indignation après la destruction d’un hôpital de Gaza par Israël et dénoncer le sort des civils palestiniens à Gaza. Quelle est la position des États arabes et à quelles réactions doit-on s’attendre en cas d’intervention terrestre israélienne à Gaza et de prolongation du conflit ?

Il y a en effet eu, en Jordanie et au Liban, des manifestations assez spectaculaires, notamment celle qui s’est tenue à Amman où des dizaines de milliers de manifestants ont réclamé l’ouverture des frontières. Cela a un sens très particulier dans ce pays lorsque l’on sait que plus de la moitié de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Outre ces deux pays, de nombreuses manifestations se sont tenues dans des pays comme la Tunisie, l’Algérie, l’Irak ou la Syrie, ainsi que dans des pays non arabes de la région du Moyen-Orient, comme la Turquie et l’Iran – même si l’on peut émettre quelques doutes sur le caractère spontané des manifestations en Iran. La totalité de ces manifestations de soutien au peuple palestinien est une nouvelle preuve, si besoin en était, de la centralité de la question palestinienne pour les opinions publiques dans les mondes arabes et au Moyen-Orient.

La question palestinienne a été largement ignorée depuis des années au niveau des exécutifs des pays de la région. Mais dans la conjoncture politique actuelle, ouverte par le 7 octobre, de nombreux gouvernements sont obligés de tenir compte des sentiments, ou ressentiments, de leurs opinions publiques, ce qui a amené à une forme de radicalisation de l’expression des exécutifs.

Quant à la question de l’intervention terrestre, la visite du président étatsunien Joe Biden du 18 octobre dernier semble avoir marqué, en tendance, un point d’inflexion. Alors que les dirigeants israéliens insistaient continuellement sur la préparation de l’opération terrestre qui ne manquerait pas d’avoir lieu, les positions des responsables israéliens semblent s’être partiellement modifiées. L’état-major israélien, mesurant la difficulté d’une telle opération, semblait moins enclin à intervenir militairement au sol dans la bande de Gaza. On ne peut néanmoins pas exclure l’éventualité d’une opération terrestre risquant d’aboutir à une radicalisation des positions anti-israéliennes et une escalade régionale du conflit, notamment au Liban, pays de la ligne de front, puisqu’une partie de la frontière nord d’Israël est mitoyenne de ce pays. Le Hezbollah, particulièrement implanté dans la partie sud du Liban et qui contrôle méticuleusement la zone frontière avec Israël, a déclaré après le 7 octobre qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires en cas d’invasion terrestre d’Israël à Gaza et agirait en conséquence.

Dans quelle mesure le conflit Hamas-Israël pourrait-il affecter le processus de rapprochement entre Israël et certains États arabes, entamé avec les accords d’Abraham, auxquels devait s’ajouter l’Arabie saoudite qui négociait, avant les évènements tragiques du 7 octobre, avec Tel-Aviv une normalisation de leurs relations ?

En réalité, les accords d’Abraham sont en partie dévitalisés de leur contenu depuis bien avant le 7 octobre. Ces accords ont, à tort, été qualifiés d’accords de paix puisqu’il n’y avait pas de guerre entre les pays signataires (le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Soudan, le Maroc et Israël). Ces derniers, à l’exception du Maroc, se posaient de nombreuses questions, notamment depuis le 1er janvier 2023, date de mise en place du nouveau gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou, dont le centre de gravité est clairement situé à l’extrême-droite. Ce gouvernement comprend en effet des ministres suprémacistes juifs et ultra-orthodoxes qui ne cachaient pas leur intention d’annexer purement et simplement la Cisjordanie, mettant en porte à faux les pays signataires des accords.

En revanche, le Maroc a, pour sa part, continué à entretenir des relations de plus en plus étroites avec Israël, y compris depuis le 1er janvier dernier, cela en raison d’une configuration particulière. Les Israéliens, en contrepartie du soutien du Maroc, ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, ce qui pour la diplomatie marocaine constituait une victoire considérable. C’est principalement pour cette raison que le Maroc a accepté de continuer à coopérer étroitement avec Israël depuis le début de l’année. Cependant, eu égard à plusieurs manifestations de protestation en soutien aux Palestiniens au Maroc même, le roi et l’exécutif marocain vont probablement être obligés de tenir compte de ce nouveau paramètre et relativiser leur active coopération avec l’État hébreu.

Les autres États arabes qui avaient signé les accords d’Abraham et qui considéraient que la question palestinienne se serait réglée de facto se sont trompés et sont obligés d’en tenir compte, car l’actualité a ramené la question palestinienne au centre de la situation régionale. Ces accords d’Abraham ne peuvent aujourd’hui être considérés comme caducs, dans le sens où ils n’ont pas été dénoncés juridiquement parlant, mais sont en partie politiquement dévitalisés.

Pour Israël, il s’avérait important d’approfondir le processus et de contracter des accords de normalisation avec l’Arabie saoudite, s’agissant du pays arabe le plus important de la région du fait de sa taille, de sa population, de sa richesse et de la présence des lieux les plus sacrés de l’islam. Le processus de négociation était compliqué, car Mohamed ben Salmane exigeait des contreparties, même s’il avait déclaré, à la fin du mois de septembre, que le processus avançait substantiellement. Néanmoins, immédiatement après les premières réactions de l’État d’Israël et le début des bombardements massifs contre Gaza, l’Arabie saoudite a pris la décision de geler immédiatement le processus de discussion et de normalisation. Cela signifie que la configuration régionale de la relation des États arabes avec Tel-Aviv s’est modifiée. Processus déjà perceptible depuis le début de l’année avec la mise en place du gouvernement d’extrême droite à Tel-Aviv et qui s’est accéléré et cristallisé depuis le 7 octobre.

Alors que l’Égypte a décidé de ne pas ouvrir ses frontières, quel rôle le pays tient-il dans ce conflit, notamment du fait de la situation sécuritaire complexe au Sinaï ? Alors que le Qatar et l’Égypte sont aujourd’hui perçus, chacun à leur manière, comme des acteurs clés dans le conflit Hamas-Israël, et face à un camp occidental en perte de crédibilité dans la région, dans quelle mesure peut-on envisager une médiation du conflit de la part des pays arabes ?

Si on parle toujours de blocus israélien à l’encontre de la bande de Gaza, il s’agit en réalité d’un blocus israélo-égyptien puisque la frontière sud de Gaza est sous le contrôle hermétique des autorités égyptiennes. Il y a plusieurs raisons à ce maintien du blocus par ces dernières depuis les attaques du 7 octobre sur le territoire israélien, indépendamment du niveau d’alerte humanitaire qui touche la population gazaouie. Avec environ 2,3 millions de personnes à Gaza, aucun État au monde n’accepterait sereinement la perspective du passage de plusieurs centaines de milliers de réfugiés à la frontière, car celui-ci entraînerait un problème de logistique considérable dans un pays qui connait une situation économique préoccupante. Par ailleurs, la sortie par le sud de la bande de Gaza débouche sur la péninsule du Sinaï. Or, si dans le reste de l’Égypte la situation sécuritaire est désormais à peu près assurée, le Sinaï est une région non sécurisée et gangrénée par des reliquats de groupes djihadistes et des mafias qui s’adonnent à des trafics de marchandises et d’êtres humains. Les autorités égyptiennes craignent donc qu’un afflux de Palestiniens dans le Sinaï n’aggrave davantage les déséquilibres de cette région. De plus, les responsables du Caire raisonnent sur le long terme, ayant conscience des points de fixation que constitueraient les camps de réfugiés palestiniens installés sur le sol égyptien. Ils tirent les enseignements de l’expérience des transferts massifs de populations palestiniennes au Liban, en Syrie, ou en Jordanie et de la constitution de camps de réfugiés. L’Égypte ne tient donc pas à ce qu’un processus similaire se reproduise dans leur pays en cas d’exode massif des Palestiniens de Gaza. Enfin, les autorités égyptiennes voudraient des garanties d’aides effectives de l’Organisation des nations unies (ONU), de ladite communauté internationale et des puissances occidentales, garanties qu’ils n’ont pas obtenues à ce jour. Plusieurs éléments se conjuguent et permettent ainsi de comprendre la position ferme de l’Égypte, que l’on peut certes critiquer, mais qui s’explique par une série de raisons politiques.

Le Qatar est un État central dans une hypothétique médiation, visant à un cessez-le-feu et un hypothétique début de négociation politique. Cela, car il possède une véritable expérience en termes de médiation, notamment par exemple entre les talibans afghans et les États-Unis. Il entretient par ailleurs des relations étroites avec Gaza. Une partie de la direction du Hamas est en effet basée à Doha et le Qatar verse environ 30 millions de dollars par mois à la bande de Gaza. Doha maintient également des contacts avec les autorités israéliennes, sans que le Qatar n’ait jamais été partie aux accords d’Abraham. Cependant, malgré ces atouts, le pays n’a pas à lui seul la possibilité d’avancer un réel processus de négociation, bien qu’il y prendra certainement part. La question des partenariats est donc primordiale.

Une médiation du conflit de la part des États arabes pris dans leur globalité n’est pas envisageable dans la mesure où leurs intérêts nationaux divergent et même s’ils doivent tenir compte de leurs opinions publiques comme nous l’avons évoqué précédemment. La Ligue des États arabes se fait par ailleurs remarquer par son assourdissant silence.

Enfin, phénomène préoccupant, l’ONU se trouve en situation d’apesanteur politique. Cela signifie en d’autres termes que ce qui devrait constituer la première instance de régulation internationale n’est pas actuellement en situation de peser sur le conflit actuel de façon efficiente.

Le PHA Tonnerre va « soutenir » les hôpitaux de Gaza avec des hélicoptères Tigre et NH-90 à bord

Le PHA Tonnerre va « soutenir » les hôpitaux de Gaza avec des hélicoptères Tigre et NH-90 à bord

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Vingt-quatre heures plus tard, à l’issue de sa tournée diplomatique au Proche-Orient, au cours de laquelle il s’est tenu sur une ligne de crête en affirmant qu’Israël avait le droit de se défendre après les attaques du 7 octobre tout en cherchant une solution politique à la question palestinienne, M. Macron est revenu sur son idée de forger une coalition contre le Hamas. « Ce que je suis venu dire, c’est que la lutte contre le terrorisme n’est pas l’affaire d’un seul pays. Elle implique des coopérations », a-t-il dit, selon le quotidien L’Opinion [26/10].

Quoi qu’il en soit, le 25 octobre, au Caire, où il s’est entretenu avec le président Abdel Fattah al-Sissi, M. Macron a réaffirmé qu’il fallait « collectivement tout faire pour éviter l’escalade, bâtir une initiative de paix et de sécurité et traiter les causes de ce que nous vivons ».

Et, dans le droit fil des propos qu’il avait tenus, la veille, en Cisjordanie, devant Mahmoud Abbas [alias Abou Mazen] le président de l’autorité palestinienne [« Une vie palestinienne vaut une vie française qui vaut une vie israélienne », avait-il dit], M. Macron a salué la mobilisation de l’Égypte pour « les populations de Gaza » et annoncé l’engagement de la France sur le terrain humanitaire, avec l’envoi d’un « navire de la Marine nationale » en Méditerranée orientale « pour soutenir les hôpitaux » de l’enclave, visée par des frappes aériennes israéliennes et soumise à blocus depuis les attaques terroristes du 7 octobre.

Le bâtiment « partira de Toulon dans les 48 prochaines heures », a précisé M. Macron, avant d’annoncer l’arrivée prochaine en Égypte d’un avion chargé de matériel médical. « D’autres suivront », a-t-il assuré… alors que l’aide humanitaire est acheminée au compte-gouttes depuis le sol égyptien vers Gaza.

Cela étant, à peine M. Macron venait-il de faire cette annonce que l’on appris que le porte-hélicoptères amphibie [PHA] Tonnerre avait déjà appareillé pour rejoindre la Méditerranée orientale, où il retrouvera la frégate multi-missions à capacités de défense aérienne renforcée [FREMM DA] « Alsace » et la frégate de type La Fayette [FLF] Surcouf.

À noter que d’autres pays ont également déployé des moyens navals dans la région, à commencer par les États-Unis, qui ont annoncé l’envoi de deux porte-avions [les USS Gerald R. Ford et USS Dwight D. Eisenhower], d’un groupe constitué par l’USS Bataan avec 2500 soldats de l’US Marine Corps et du navire de commandement et de contrôle USS Mount Whitney.

Selon les Nations unies, dans vingt-quatre ou quarante-huit heures, les hôpitaux gazaouis seront privés d’électricité, faute de carburant pour alimenter leurs générateurs. D’où la mission du PHA Tonnerre qui, pour rappel, dispose à son bord d’un hôpital de rôle 3, équivalent à celui d’une ville de 20’000 habitants. D’une surface de 950 mètres carrés, il est constitué par une vingtaine de locaux, dont un plateau technique, un scanner et deux blocs opératoires. Il a une capacité de 69 lits, dont 50 dédiés aux soins intensifs.

Cela étant, le PHA Tonnerre n’aura eu que très peu de temps pour se préparer à sa nouvelle mission… puisqu’il vient de participer à l’exercice de l’Union européenne [UE] MILEX, qui s’est terminé le 22 octobre, au large de Rota [Espagne].

Pour ces manœuvres, le PHA Tonnerre avait embarqué un sous-groupement tactique, doté de 55 véhicules dont six chars légers AMX-10RC, une section de fusiliers marins et un détachement de six hélicoptères [trois Gazelle, deux Cougar et un Puma].

Pour le moment, le ministère des Armées n’a fait aucune communication sur les capacités embarquées à bord du PHA Tonnerre. Mais selon une photographie prise au moment de son départ de Toulon, on constate la présence de cinq hélicoptères sur son pont d’envol, dont un Tigre et deux NH-90 [TTH?] et, sans doute, deux Cougar.

Par ailleurs, on ignore également la forme que prendra ce soutien aux hôpitaux de Gaza. Si le PHA Tonnerre doit accueillir des malades, comment seront-ils transportés à bord? Via hélicoptère? Ou via ses Engins de débarquement amphibie rapide [EDAR]?

En outre, il n’est pas impossible que le porte-hélicoptères amphibie soit aussi sollicité pour évacuer les ressortissants étrangers [dont beaucoup de travailleurs humanitaires] présents à Gaza, où, pour rappel, au moins neuf autres Français sont retenus en otage par le Hamas.

La quadrature du cercle pour Tsahal

par le Général (2s) Jean-Bernard Pinatel, membre du Conseil d’administration de Geopragma- Geopragma – publié le 24 octobre 2023

https://geopragma.fr/la-quadrature-du-cercle-pour-tsahal/


Pour avoir sous-estimé les capacités d’action du Hamas, les autorités israéliennes sont aujourd’hui devant une situation qui ressemble à la quadrature du cercle. Cette métaphore rappelle la recherche depuis l’Antiquité d’une solution à un problème dont l’insolubilité a été démontrée seulement en 1882 par Ferdinand von Lindemann. Malheureusement pour Tsahal, l’équation à résoudre doit prendre en compte des variables qui ne sont pas indépendantes. Quelles sont-elles ?

Israël doit agir le plus tôt possible s’il veut atteindre son objectif affiché la destruction du Hamas. Car plus il attend, plus l’effet de sidération mondiale devant la barbarie du Hamas va s’estomper et les voix de tous ceux qui soutiennent le Hamas et qui mettent en avant les pertes des civils palestiniens seront audibles et tendront à renvoyer dos à dos Israël et le Hamas en parlant de crimes de guerre des deux côtés, comme l’ont fait honteusement dès le premier jour certains responsables de LFI en France.

Plus le temps passe, plus le Hamas, surpris lui-même par l’ampleur de sa victoire, aura le temps de s’organiser et plus le prix à payer pour les soldats de Tsahal sera grand s’ils veulent épargner les vies des civils dont le Hamas se servira comme boucliers, puisqu’il a interdit à une partie de la population d’évacuer le Nord de la bande de Gaza comme l’ont demandé les Israéliens soucieux d’épargner les populations civiles.

Mais agir rapidement, c’est le faire sans se soucier de la vie des otages dont la recherche de la localisation dans les souterrains qui truffent Gaza demandera du temps aux forces spéciales infiltrées. Par ailleurs, mener une opération terrestre d’occupation de la bande Gaza requiert une planification minutieuse qui doit ensuite être mise en œuvre par des dizaines de milliers de soldats dont beaucoup sont des réservistes

Et, de son côté, le Hamas qui souhaite retarder voire interdire cette opération terrestre se sert de la double nationalité des otages et de leur âge qui va d’un bébé de quelques mois à une personne âgée en fin de vie, dans un goutte-à-goutte savamment dosé pour affaiblir les soutiens internationaux d’Israël et maintenir l’espoir de toutes les familles israéliennes des otages qui commencent à réclamer une solution politique. La libération des deux otages américains est à cet égard exemplaire. 

Si Tsahal se lance dans une opération terrestre d’envergure où des milliers de civils sont tués, cela risque d’enflammer la rue des États arabes et fragiliser les chefs d’Etat qui ont rétabli des relations diplomatiques ou qui se rapprochaient d’Israël et rendre très difficile aux dirigeants du Hezbollah et à l’Iran de se cantonner à une participation qui reste pour l’instant symbolique. Or Israël sait que le Hezbollah est sorti considérablement renforcé (100 000 combattants ?) et aguerri par 10 ans de guerre en Syrie dans le domaine du renseignement, du combat en milieu urbain et des opérations militaires entre leurs forces et le contingent aéroterrestre d’un acteur mondial, la Russie.

Compte tenu de la dépendance de toutes ces variables, croire que l’on a trouvé la solution est se comporter comme tous ceux qui se sont essayé à résoudre la quadrature du cercle. Aussi, c’est avec une humilité totale et la quasi-certitude que ma prévision n’a qu’une chance limitée d’être le choix de Tsahal et des autorités israéliennes que je donne mon avis sur un choix possible.

En effet, compte tenu de toutes les pressions diplomatiques des alliés inconditionnels d’Israël, comme les USA et aussi des pays du Moyen-Orient qui ont établi des relations diplomatiques avec Israël — et en premier lieu l’Egypte —, qui veulent éviter toute action qui élargirait le conflit et, en particulier qui amènerait le Hezbollah à s’engager complètement si la mort de milliers de Palestiniens était avérée  ; de la pression intérieure en Israël pour prioriser la libération des otages et pour limiter les pertes des soldats de Tsahal, je pense que la solution retenue ne peut être qu’une opération terrestre limitée dans des zones où les civils ont été majoritairement évacués dans un but essentiellement de communication intérieure et d’appui aux commandos infiltrés. Et l’effort, à mon avis, sera porté dans une longue guerre de l’ombre qui durera jusqu’à ce que tous les chefs du Hamas et la majorité des islamistes qui ont pénétré en Israël et accompli ces massacres barbares soient éliminés.

Général (2s) Jean-Bernard Pinatel