Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ? Editorial de Bernard Lugan

Sur quoi le chantage algérien repose-t-il ?

Editorial de Bernard Lugan – février 2025

Le jusqu’auboutisme algérien se manifeste par des errements diplomatiques apparentés à une fuite en avant. 
En plus de l’état de quasi-guerre que l’Algérie entretient avec le Maroc, de ses provocations à l’égard de la France, de sa rupture avec le Mali et des sanctions commerciales qu’elle vient de décider contre la Colombie et le Panama qui ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, voilà que les gérontes au pouvoir à Alger viennent de provoquer une grave crise avec la Turquie (voir page 17 de ce numéro).
L’amateurisme-fanatisme d’Alger est le reflet d’un régime aux abois qui se raidit et se crispe au lieu de tenter d’acheter sa survie par une profonde remise en cause. La situation de l’Algérie est en effet dramatique à deux grands titres :
– L’État meurt de l’intérieur, écrasé par ses propres contradictions et ruiné par les prévarications de sa nomenklatura.
– Cette agonie de l’État provoque l’isolement de l’Algérie, sa perte de crédibilité et sa marginalisation sur la scène internationale. Ce qui conduit à une crispation débouchant aujourd’hui sur une impasse répressive qui va finir par faire exploser le pays.
Le pire est que les dirigeants algériens semblent se comporter comme des suicidaires cherchant névrotiquement à se rapprocher du pire. 
A y regarder de près le pouvoir en place à Alger parait en effet avoir clairement décidé de s’auto-détruire et de précipiter le pays dans l’abîme. Comme si, seule la politique du pire pouvait lui fournir une ultime bouffée d’oxygène avant de trépasser. Après avoir dilapidé ses ressources humaines et financières, l’Algérie est aujourd’hui exsangue.
Or, au lieu de profiter de la situation pour enfin mettre à plat le contentieux qui oppose la France et l’Algérie, les dirigeants français vont une fois de plus composer. 
Et pourquoi ? 
Ce n’est pas une pression économique que peut exercer l’Algérie puisque le gaz et le pétrole ne représentent respectivement que 8% et 9% de la consommation française. Quant au commerce de la France avec l’Algérie, il ne compte pas puisqu’il n’est en moyenne que de 12 milliards d’euros pour un commerce extérieur français global moyen de 770 milliards d’euros. 
– Ce n’est pas davantage le poids d’une cinquième colonne immigrée dont les éventuels agissements illégaux pourraient être facilement réglés par de fermes mesures de simple police…
Alors ? Là est en effet toute la question…

« La défense nationale, histoire et théorie », par le professeur Philippe Vial

« La défense nationale, histoire et théorie », par le professeur Philippe Vial

La notion de défense nationale, fondamentale pour notre institution, a une histoire riche et mouvementée. L’historien Philippe Vial l’a retracée lors d’une conférence devant les auditeurs de la 4e session nationale de l’IHEDN. Première partie (1870-1940).
 
La bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, par Horace Vernet.

La bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, par Horace Vernet.

 

La « défense nationale » est une notion qui semble parler d’elle-même… Et donc aller de soi ! C’est pourtant une fausse évidence. Si chaque pays possède aujourd’hui son ministère de la Défense, il est loin d’être toujours celui de la « Défense nationale ». On parle ainsi du Ministry of Defence (MOD) au Royaume-Uni et du Department of Defense (DOD) aux États-Unis. Depuis la création de ces ministères à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, le qualificatif de « nationale » n’a jamais été ajouté au nom de « défense », à l’opposé du cas français. Et ce, alors même que le ministère est aujourd’hui celui des Armées, une appellation ressuscitée en mai 2017, mais qui avait été seulement en usage à l’époque du général de Gaulle pour l’essentiel. Il y a ainsi bien une spécificité française, qui est aussi une complexité.

Pour entrer dans notre réflexion sur leur genèse, je vous propose de repartir de ce que déclarait, le 18 octobre 2019, le Premier ministre d’alors devant vos prédécesseurs, dans ce même amphithéâtre Foch. Cette singularité de la notion de la défense nationale, Édouard Philippe l’a en effet évoquée à sa manière, en ouvrant son propos par une citation de l’ouvrage phare de Maurice Genevoix, Ceux de 1914. Une citation qu’il a ensuite longuement commentée, passant de la Grande Guerre aux armées de la Première République, de Verdun à Valmy. C’est en creux une définition de la défense nationale qu’il donne, conçue comme le geste fondateur et fondamental du citoyen qui défend sa patrie.

Édouard Philippe débute donc en reprenant à son compte l’évocation que Genevoix fait des poilus victorieux :

« Ils avaient tous des visages terreux, aux joues creuses envahies de barbe […] ; des reprises grossières marquaient leurs vêtements aux genoux et aux coudes ; de leurs manches râpées sortaient leurs mains durcies et sales […]. Pourtant, c’étaient eux qui venaient de se battre avec une énergie plus qu’humaine […] ; c’étaient eux les vainqueurs ! »

À LA BATAILLE DE VALMY (1792), « LA MÈRE DE TOUTES LES ARMÉES DE LA RÉPUBLIQUE »

Et le Premier ministre d’enchaîner :

« Jamais auparavant dans notre histoire, l’armée française […] ne s’est autant confondue avec la nation. Cette armée de 14, c’est celle du berger, du boucher, du cordonnier, de l’employé, du marin, de l’étudiant et du père de famille. Et cette armée n’avait au fond, rien à envier à celle de Valmy. « À ces grandes légions fraternelles – pour reprendre les mots de Jules Michelet – qui sortirent de terre […] ; ces héros de la patience, soldats du Rhin, de Sambre-et-Meuse, qui ne connurent que le devoir ». Une armée de Valmy qui va demeurer durant de longues années, « la mère de toutes les armées de la République ». »

Valmy marque ainsi la bascule symbolique de l’armée professionnelle à l’armée citoyenne. Présent ce 20 septembre 1792, aux côtés du duc de Saxe-Weimar, l’écrivain allemand Johann Wolfgang von Goethe a sur le champ le sentiment de la nouveauté radicale de la Révolution française. Une vingtaine d’années plus tard, évoquant ce souvenir dans sa Campagne de France, il n’hésitera pas à déclarer : « D’aujourd’hui et de ce lieu date une ère nouvelle dans l’histoire du monde. »

« Dès son origine », poursuivait Édouard Philippe, « notre République s’est conçue comme une « nation en armes » où, toujours pour citer Michelet, « tous jurèrent de défendre tous ». Une République qui dès sa naissance, a dû se battre pour son idéal de liberté et d’égalité. Et la figure mythique du citoyen qui défend sa patrie se trouve au fondement de notre histoire ». Les débuts de la République constituent donc un moment décisif dans la cristallisation de la notion de défense nationale, au sens littéral du terme.

LA BATAILLE DE BOUVINES (1214), PRÉMISSE DE LA DÉFENSE NATIONALE

C’est l’aboutissement d’un processus que l’on peut faire remonter au fameux « dimanche de Bouvines », le 27 juillet 1214, dont Georges Duby a fait le récit dans un ouvrage classique publié au début des années 1970. Ce jour-là, les forces royales de Philippe II Auguste soutenues par Frédéric II de Hohenstaufen affrontent victorieusement une coalition constituée de princes et seigneurs français, menée par Jean sans Terre, duc d’Aquitaine, de Normandie et roi d’Angleterre, et soutenue par Otton IV, souverain du Saint-Empire romain germanique. Le succès français est dû en particulier à la coopération de la chevalerie et des milices communales, ce qui permettra aux historiens du XIXsiècle de voir dans cette bataille l’émergence de la nation et du sentiment national.

Avant Valmy, le système de la milice instauré en 1688 par Louvois, principal ministre de Louis XIV, constitue une première forme de service militaire jusqu’à la fin de l’Ancien régime, en complément du système de l’Inscription maritime pour les gens de mer, institué à partir de 1668 par Colbert, le prédécesseur de Louvois. Cette double organisation permet de compléter le recrutement habituel des forces royales et leur donne une dimension nationale nouvelle. Elle annonce le tournant de la Révolution qui, au-delà de l’épisode symbolique de Valmy, se manifeste à travers la levée en masse de l’an II (septembre 1793 – septembre 1794), puis la loi Jourdan de 1798. Instituant la « conscription universelle et obligatoire » de tous les Français âgés de 20 à 25 ans, elle pose les bases d’une organisation qui va perdurer deux siècles. Elle instaure ainsi, au sens propre, une défense nationale dont elle résume le principe par la célèbre formule : « Tout Français est soldat et se doit à la défense de sa patrie ».

La guerre de 1870 marque une seconde étape importante dans la cristallisation de la notion de défense nationale. Le 2 septembre, à l’issue d’une série de défaites où l’héroïsme des troupes n’a pu compenser la trop fréquente médiocrité du haut commandement, Napoléon III capitule à Sedan et est fait prisonnier. L’annonce de ce désastre, le 4 septembre, entraîne la chute du régime impérial et la proclamation de la IIIRépublique. Un gouvernement de salut est constitué, officiellement dit de « la défense nationale », car il s’agit au sens propre de défendre la nation, comme les combats très durs des mois suivants vont le prouver.

1870 : LA NOTION DE « DÉFENSE NATIONALE » APPARAÎT DANS LE VOCABULAIRE OFFICIEL

Pour la première fois, la notion de « défense nationale » fait son apparition officielle dans le vocabulaire politico-administratif. Pour autant, il n’y a pas encore de ministre de la Défense, seulement les habituels ministres militaires, ministre de la Guerre d’un côté, de la Marine et des Colonies de l’autre. Le ministre de l’Intérieur, Léon Gambetta, va cependant jouer un rôle spécifique, qui en fera à bien des égards un ministre de la Défense de facto.

Proclamation de la République par Gambetta depuis le balcon de l’Hôtel de Ville de Paris, le 4 septembre 1870.

Le bilan de ce « gouvernement de la défense nationale » est paradoxal : un volontarisme et un héroïsme indéniables, mais un échec patent sur le plan militaire. En dépit des sacrifices consentis, la France doit se résigner à traiter et à accepter les conditions humiliantes du traité de Francfort (perte de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, indemnité de 5 milliards de francs or). La nouvelle République va néanmoins rester structurellement marquée par cette volonté originelle de sursaut politique et militaire, donnant naissance à une véritable mystique de la « défense nationale ».

En témoigne, dans les années qui suivent, l’érection de nombreux monuments dédiés, un peu partout en France, en premier lieu à Paris. Installé dans le XIVarrondissement, le Lion de Belfort symbolise la résistance victorieuse de la ville assiégée (3 novembre 1870 – 18 février 1871), sous le commandement du colonel Denfert-Rochereau qui a donné son nom à la place. Inaugurée en 1880, cette statue de Bartholdi est une copie au tiers de l’œuvre monumentale érigée dans la ville franc-comtoise. Elle s’en distingue également par l’inscription figurant sur son socle : « À la Défense nationale ».

Bartholdi est également à l’origine du Monument des aéronautes, inauguré en 1906. Installé porte des Ternes, à Paris, ce groupe statuaire est un hommage aux héros des liaisons aériennes qui permirent à la capitale, assiégée par l’armée prussienne, de communiquer avec le reste de la France. Il sera malheureusement fondu en 1941 sur décision du régime de Vichy.

À L’ORIGINE DU QUARTIER D’AFFAIRES DE LA DÉFENSE

On peut en revanche toujours admirer à Puteaux, à l’ouest de la capitale, le groupe statuaire « La défense de Paris », même si celui-ci est aujourd’hui quelque peu perdu sur l’esplanade de la Défense. Œuvre de Louis-Ernest Barrias, il fut inauguré en 1883 sur ce qui était à l’époque le « carrefour de Courbevoie ». C’est là en effet que passèrent les troupes en route pour Buzenval, lors de ce qui fut la dernière et infructueuse tentative de briser le siège de Paris (19 janvier 1871). De ce fait, le carrefour fut renommé « rond-point de la Défense » : c’est l’origine du nom de l’actuel quartier d’affaires.

Enfin, juste derrière  l’École militaire, place de Fontenoy, se trouve le méconnu « Monument de la Défense nationale », du sculpteur Jules Hallais, érigé par souscription nationale en 1889. Ce modeste obélisque de granit, dont la colonne tronquée peut figurer un glaive brisé, est d’une simplicité qui contraste singulièrement avec sa raison d’être. Comme l’indique l’inscription figurant sur l’une de ses faces, il honore en effet « la mémoire des officiers, sous-officiers et soldats français des armées de terre et de mer tombés au champ d’honneur pour la défense de la patrie », soit environ 140 000 morts en associant ceux tués au combat et par maladie. Le contraste est d’autant plus saisissant si l’on songe que ce monument fut érigé au même moment que la Tour Eiffel de l’autre côté de l’École militaire et du Champ de Mars. Ces monuments parisiens ne doivent pas faire oublier que bien d’autres furent érigés en province dédiés à la défense nationale, en particulier dans les villes de garnison. On pense ainsi à ceux qui existent toujours à Saint-Maixent ou Soissons.

Comme pour signer l’échec de ce gouvernement dont elle était la raison d’être, la notion de défense nationale est absente des lois constitutionnelles de la IIIRépublique, promulguées en février 1875. De même, on ne voit pas davantage apparaître de ministre en charge de ce domaine dans les gouvernements qui se succèdent. Les questions militaires demeurent partagées entre un ministère de nature d’abord fonctionnelle, celui de la Guerre, qui s’occupe de la guerre sur terre, et un ministère inscrit dans une logique de milieu, le ministère de la Marine et des Colonies, en charge des mondes maritime et ultramarin dans la diversité de leurs déclinaisons. Ni les troupes de marine, ni la flotte de guerre ne sont donc la seule raison d’être de ce ministère, en charge également des autres marines (pêche, commerce…). Néanmoins, à la fin du XIXsiècle, la nécessité de prendre en compte la dimension interarmées se fait jour. D’autant que la situation institutionnelle s’est encore compliquée depuis 1884, date à partir de laquelle les Colonies forment un ministère distinct, au détriment de l’efficacité attendue.

« L’ESPRIT PARTICULARISTE DES SERVICES », GRAND ENNEMI DE LA DÉFENSE

Écoutons ce qu’en dit Édouard Lockroy, ministre de la Marine à deux reprises (1895-1896 et 1898-1899), dans La Défense navale, ouvrage publié l’année suivant son dernier séjour rue Royale :

« Un des grands ennemis de la défense, c’est encore l’esprit particulariste des services, l’ignorance où ils vivent les uns des autres, l’hostilité sourde qui les anime les uns contre les autres. Avant l’intérêt général passe souvent l’intérêt du département, de la direction, parfois du bureau. Les Colonies ont pour la Marine une antipathie qu’elles ne cachent pas. La Marine ignore complètement la Guerre et la Guerre ne sait pas, ou ne veut pas savoir ce que c’est que la Marine. Volontiers, elle la considère comme une simple entreprise de transport. Chacun se renferme avec obstination dans sa spécialité. Nul ne tente d’entrer en relation avec le voisin. Les rivalités s’accusent de partout, âpres et violentes, alors que tout le monde devrait collaborer à la même œuvre. »

Édouard Lockroy, ministre de la Marine à la fin du XIXe siècle.

Un constat qui contribue à expliquer pourquoi, durant les années 1890, émerge, cette fois de manière durable, la notion de défense nationale, en premier lieu dans sa dimension interarmées. Saint-cyrien et officier du corps d’état-major, ancien collaborateur de Gambetta au moment de la Défense nationale, puis chef de cabinet du général Boulanger ministre de la Guerre, le général de division Henri Jung est le premier, en 1890, à envisager un état-major unifié dans son ouvrage Stratégie, tactique et politique :

« Scientifiquement, il n’y a pas deux territoires, comme il n’y a pas deux défenses. Le territoire national est partout où flotte le drapeau tricolore. Par conséquent, au point de vue scientifique, il ne devrait y avoir qu’un état-major général ».

Et de détailler sa composition : « Il comprendrait quatre sections : la première, pour les opérations des armées de terre ; la deuxième, pour la défense du territoire, le gouvernement des places, etc. ; la troisième, pour les opérations des flottes ; la quatrième, pour les colonies et les protectorats. »

EN 1890, « LA NÉCESSITÉ D’UN MINISTRE CIVIL DE LA DÉFENSE NATIONALE »

On le voit, les propositions du général restent très sommaires. Elles ne sont pas détaillées davantage dans La République et l’Armée, paru deux ans plus tard. Mais ce nouvel ouvrage porte le problème au niveau politique, proposant pour la première fois l’institution d’un ministre militaire unique :

« J’ai toujours cru avec Gambetta », écrit Jung « et je crois encore à la possibilité et à la nécessité d’un ministre civil de la Défense nationale, ayant sous sa haute direction deux spécialistes, l’un à la Guerre, l’autre à la Marine, avec un seul état-major de terre et de mer […]. »

Polytechnicien et artilleur, le capitaine Gaston Moch pose le képi en 1894, l’année où il publie La Défense nationale et la défense des côtes. Il inscrit sa réflexion dans une dynamique différente, d’abord militaire et spécialisée avant d’être politique et générale. La défense nationale n’est pas une, constate le capitaine, puisque constituée de l’armée et de la flotte. Or, les deux « diffèrent l’une de l’autre par leur nature et leur mode d’action, mais pas plus que la cavalerie, par exemple, ne diffère du corps des aérostiers ». Ce déni de la spécificité du milieu maritime permet à l’auteur de justifier l’instauration d’« un ministère unique, le ministère de la Défense nationale », dont les structures juxtaposeraient celles des départements de la Guerre et de la Marine.

C’est la première fois que sont posés les principes de ce que pourrait être l’organisation du nouveau ministère puisque Jung n’était pas entré dans ce détail. À l’inverse, Moch se contente de reprendre sa vision de ce que serait l’état-major général unifié. Est ainsi proposé, là encore pour la première fois, un schéma d’organisation global, dont l’auteur souligne qu’il serait source d’une meilleure efficacité, en particulier budgétaire.

Au tournant du siècle, trois crises font franchir un cap important au débat. En premier lieu, celle de Fachoda [incident diplomatique au Soudan entre la France et le Royaume-Uni, NDLR] qui, en 1898, révèle de manière humiliante les conséquences de l’absence d’une politique globale de défense. Elle conduit, deuxièmement, à trancher le vieux débat sur les troupes de Marine, qui traînait depuis la création du ministère des Colonies : la loi du 7 juillet 1900 entérine leur rattachement au département de la Guerre. Enfin, le dénouement de l’affaire Dreyfus clarifie les termes des rapports entre la toge et les armes dans la France républicaine. Les autorités politiques vont avoir à cœur de traduire dans les faits leur prééminence réaffirmée.

1906 : LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA DÉFENSE NATIONALE, ORGANISME HYBRIDE

Il n’est donc pas étonnant de voir le thème d’une institutionnalisation de la défense nationale prendre une nouvelle importance dans le débat public, conduisant à l’institution de la première grande instance politico-militaire, le Conseil supérieur de la défense nationale (CSDN), en avril 1906. Cette nouvelle instance est à l’origine de l’actuel Conseil de défense et de sécurité nationale. Après une interruption de 35 ans, la notion de « défense nationale » fait son retour dans le vocabulaire politico-administratif. Et, cette fois, va s’y installer durablement. La création de la nouvelle instance est le fait du ministre de la Guerre, Eugène Étienne, qui fut lui aussi proche de Gambetta, mais doit également beaucoup à Adolphe Messimy. Ancien officier dreyfusard devenu député radical-socialiste, il a en particulier alerté sur la création en 1902, par le gouvernement britannique, du Committee of Imperial Defence, dont le CSDN va s’inspirer.

Le décret de création de la nouvelle instance est publié le 4 avril, au moment où se dénoue la première crise marocaine [incident diplomatique entre la France et l’Allemagne, NDLR]. Comment ne pas y voir un lien de cause à effet ? Après Fachoda, cette nouvelle grande crise internationale a de nouveau souligné les carences de l’organisation gouvernementale en matière de direction stratégique.

Présidé par le chef de l’État quand il le souhaite, par le président du Conseil le reste du temps, le nouveau Conseil réunit pour la première fois l’ensemble des ministres intéressés par les questions de défense (Guerre, Marine, Colonies), y compris ceux sans compétences militaires (Affaires étrangères, Finances). Les chefs d’état-major généraux de la Guerre et de la Marine, ainsi que le général président du Comité consultatif de défense des Colonies leur sont associés, mais avec voix consultative seulement. Cette précaution est doublée d’une autre, puisque le Conseil n’est pas une instance décisionnelle. Il s’apparente donc aux Conseils supérieurs d’armée, créés à la fin du XIXe siècle, mais s’en distingue par sa dimension interarmées et interministérielle, combinée à la double prédominance que le nombre et le statut confèrent aux politiques. Il s’agit d’un organisme hybride, d’un genre nouveau où les Affaires étrangères et les départements ministériels militaires ont un rôle spécifique.

Conseil Supérieur de la Défense Nationale

Pourtant, la nouvelle instance peine à trouver sa place et se réunit peu. Les réformes apportées à la veille de 1914 par Messimy, devenu ministre de la Guerre, améliorent la situation, mais sans effet décisif. L’absence d’un secrétariat permanent est indéniablement un facteur de faiblesse. De fait, à partir du début du conflit, le CSDN cesse d’être réuni et ne le sera plus jusqu’au retour de la paix… Et, malgré l’avancée indéniable qu’a représentée son institution, il n’y a pas eu de création corollaire d’un ministère et/ou d’un état-major de la défense nationale, bien que ces perspectives soient débattues à la veille du conflit.

PREMIÈRE GUERRE MONDIALE : PAS DE COMMANDEMENT INTERARMÉES UNIFIÉ

Il n’y aura ainsi pas de commandement interarmées unifié pendant toute la guerre, pourtant première guerre « totale » : elle est à nouveau marquée par une bicéphalie entre l’Armée (de terre) et la Marine. Il y aura seulement, sur le plan politique une exception de facto, avec le gouvernement Georges Clemenceau formé à la mi-novembre 1917. Reprenant le choix inédit que Paul Painlevé, son prédécesseur, avait brièvement mis en œuvre à partir de la mi-septembre, le Tigre choisit de prendre le portefeuille de la Guerre quand il est nommé président du Conseil (des ministres). Il est ainsi un quasi-ministre de la Défense et son chef de cabinet militaire à l’hôtel de Brienne, le général de division Henri Mordacq, assure le quotidien ministériel, occupant dans les faits des fonctions de vice-ministre.

À l’issue des hostilités, le besoin de tirer les leçons de ce conflit d’une ampleur inédite conduit à la réactivation rapide du CSDN, à qui est confiée la tâche de préparer une grande loi-cadre sur l’organisation de la nation en temps de guerre. Dans ce contexte, le CSDN est doté d’un secrétariat général permanent, dont le premier titulaire est le général de division Bernard Serrigny, un proche du maréchal Pétain. Ce SG-CSDN deviendra à la fin des années 1920 le SGDN puis, après bien des évolutions, prendra le nom de SGDSN en 2008.

Un nouveau cap est franchi au milieu de l’entre-deux-guerres avec l’institution en février 1932, pour la première fois, d’un « ministre de la Défense nationale », dans le dernier gouvernement Tardieu. Inspecteur général des finances devenu parlementaire, inscrit chez les républicains de gauche, François Piétri est le premier à porter ce titre. Après une quarantaine d’années de débats, la rupture est historique. D’autant qu’elle s’accompagne de la suppression des postes de ministre propres à chaque armée, une première depuis leur instauration pérenne, en 1589 pour la Guerre et en 1669 pour la Marine… Cette rupture a été rendue possible par la réduction graduelle des attributions de la Rue Royale, entérinée en 1927. De ce fait, elle est devenue officiellement, début 1931, le siège du « ministère de la marine militaire ». Rien ne s’opposait plus à son regroupement avec le ministère de la Guerre puisqu’ils relevaient désormais de la même logique fonctionnelle.

À l’œuvre depuis la fin du XIXsiècle, l’exigence de rationalisation administrative, gage d’une meilleure efficacité, l’emporte donc. D’autant que l’institution d’un ministère de l’Air, en 1928, qui annonce la création de l’armée correspondante en 1934, a encore un peu plus compliqué l’organisation du domaine ministériel militaire. Face à cette dynamique centrifuge, son unification s’imposait.

POUR LA 1ère FOIS EN 1932, UN MINISTÈRE COIFFE LES TROIS ARMÉES… PENDANT 3 MOIS ET DEMI

Elle s’inscrit dans le cadre d’une modernisation des structures étatiques et du renforcement du pouvoir exécutif dont André Tardieu, homme de droite, mais ancien proche collaborateur de Clemenceau à la fin de la guerre, a fait son cheval de bataille. Pour autant, cette réforme historique fait long feu. L’instabilité ministérielle emporte le cabinet Tardieu dès le mois de juin 1932, ne laissant pas le temps à la réforme de s’installer, en particulier d’être déclinée dans le cadre de nouvelles structures ministérielles. Une exigence d’autant plus forte que l’on ne balaie pas facilement plus sieurs siècles d’histoire politico-administratives. À l’issue du premier semestre 1932, c’est le retour au statu quo ante.

Néanmoins, la brèche est faite et le besoin – a minima – d’une coordination des ministères militaires est désormais reconnu. Début 1934, une nouvelle combinaison institutionnelle apparaît, qui voit cette mission de coordination officiellement confiée au plus ancien et au plus important des trois ministres d’armée. Jean Fabry, puis Joseph Paul-Boncour, sont ainsi, entre la fin janvier et la fin février 1934, « ministre de la Défense nationale et de la Guerre ». La formule est reprise par le gouvernement de Front populaire, début juin 1936, au profit d’Édouard Daladier.

Dans le même temps, un « Comité permanent de la Défense nationale » (CPDN) est créé, sur les bases du Haut comité militaire (HCM) institué par le gouvernement Tardieu en 1932. Présidé par le ministre de la Défense et composé, pour chaque armée, du vice-président militaire de son conseil supérieur et de son chef d’état-major général, le HCM avait été conçu pour en faire un comité exécutif du nouveau ministère de la Défense. Il venait ainsi pallier les insuffisances du CSDN, dont la composition s’était alourdie jusqu’à l’inefficacité.

Avec la réforme de juin 1936, les ministres dont la participation serait éventuellement utile sont désormais admis au sein du HCM devenu CPDN, tout comme le ministre et le chef d’état-major général des Colonies à partir de mai 1938. Cet élargissement se double d’un renforcement des capacités d’action du comité, qui peut dorénavant s’appuyer sur le SGDN. Au fil des années, cette instance acquiert une véritable capacité décisionnelle, que cristallise la grande loi du 11 juillet 1938 sur « l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre », préparée depuis les lendemains de la guerre.

1936 : CRÉATION DU COLLÈGE DES HAUTES ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE, FUTUR IHEDN

On le voit, les années 1930 sont marquées par une institutionnalisation inédite de la notion de « défense nationale », qui s’accélère nettement dans la seconde moitié de la décennie, au fil de la montée des périls. L’humiliation de la crise rhénane début 1936 [NDLR : le 7 mars, sur ordre du Führer Adolf Hitler, des troupes allemandes investissent la zone démilitarisée de Rhénanie], le choc qu’elle représente, constituent un facteur clé. Quelques semaines plus tard, le gouvernement de Front populaire joue un rôle majeur dans cette prise en compte inédite de la notion de défense nationale. En témoigne la création durant l’été 1936 du Collège des hautes études de défense nationale (CHEDN), dont l’IHEDN est l’héritier direct.

Confiée au vice-amiral Raoul Castex, le grand penseur stratégique français de l’entre-deux-guerres, la création de cet établissement d’un type entièrement nouveau trouve sa plus ancienne origine connue – en l’état de nos connaissances – dans la note du chef de bataillon Charles de Gaulle du 20 avril 1931. Rédigée à l’initiative de son auteur, elle est adressée depuis Beyrouth, où il est alors affecté, au maréchal Pétain, dont il a été « la plume » au milieu de la décennie précédente, et qui l’a ensuite transmise au SGDN, le général de division Louis Colson.

De Gaulle y propose la « création d’un enseignement relatif à la conduite de la guerre », et y prône « un ordre nouveau d’enseignement », permettant « de synthétiser les données constantes du problème de la guerre pour provoquer et orienter sur le sujet les réflexions de chacun » :

« On jettera de cette façon les fondements d’une doctrine de défense nationale parmi ceux qui, par leurs fonctions ou par leurs destinations hors de l’armée, ou dans l’armée, sont susceptibles de la répandre ou d’avoir à l’appliquer. »

Tout autant que sa finalité, c’est le public visé qui fait de la proposition de De Gaulle une offre inédite puisqu’il est envisagé d’accueillir dans cette formation des fonctionnaires civils.

Le projet de CHEDN reprend cette double exigence. Dans la perspective d’une nouvelle guerre totale, il s’agit de doter les futurs cadres dirigeants du pays d’une formation commune destinée à leur donner les moyens d’agir ensemble de manière efficace. Preuve de l’urgence, le CHEDN ouvre ses portes dès l’automne 1936. De manière révélatrice, le deuxième conférencier à y être invité est le colonel de Gaulle, affecté depuis cinq ans au SGDN, qui vient présenter « le projet de loi d’organisation de la nation pour le temps de guerre ».

AMIRAL RAOUL CASTEX : « L’ENSEMBLE SEUL M’INTÉRESSE »

Un an plus tard, ouvrant la 2session du CHEDN, le 3 novembre 1937, l’amiral Castex résumera l’ambition ultime de l’établissement qu’il a fondé en des termes saisissants, qui n’ont rien perdu de leur pertinence : faillite de la défense nationale.

« Personnellement, j’ai cessé en entrant ici de me considérer exclusivement comme marin. J’ai dépouillé ma carapace ancienne. J’ai perdu mon sexe, si j’ose dire. La marine ne me paraît ni plus, ni moins importante que les autres branches. L’ensemble seul m’intéresse. ».

« L’ensemble seul m’intéresse », voilà qui pourrait être une devise pour la session nationale de l’IHEDN !

Édouard Daladier a tenu un rôle majeur dans les réformes qui ont accompagné les débuts gouvernementaux du Front populaire et donné une nouvelle place à la notion de défense nationale. Devenu président du Conseil à la mi-janvier 1938, il choisit de conserver le portefeuille qui était le sien. Pour la première fois depuis Clemenceau, le chef du gouvernement est ainsi également le ministre de la Guerre, mais aussi désormais de la Défense nationale… Dans le même temps, Daladier fait du général de division Maurice Gamelin, chef d’état-major général de l’Armée [de terre], le premier « chef d’état-major de la Défense nationale », en miroir du ministre dont il dépend.

Le 11 juillet 1938, est enfin votée la loi « sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre ». Son adoption marque une avancée considérable. Pour la première fois, l’organisation de la défense nationale est pensée globalement en amont du déclenchement d’une guerre. Preuve de cette réussite, des pans entiers de cette loi figurent encore aujourd’hui dans le Code de la défense.

C’est un nouveau cap historique qui est franchi. Mais la cohérence apparente de la nouvelle organisation ne doit pas abuser. La notion de « défense nationale » a beau désormais avoir droit de cité institutionnel, elle ne correspond pas encore à des réalités véritablement efficaces en termes organisationnels. Les réformes intervenues sont en particulier trop récentes pour avoir eu le temps de s’installer et de produire véritablement leurs effets. La nouvelle guerre va être le révélateur impitoyable de cette réalité, que le désastre de 1940 va sanctionner. Il marque la faillite de la défense nationale.

Fin de la première partie, rendez-vous prochainement pour la deuxième et dernière.

Philippe Vial est maître de conférences en histoire contemporaine de l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste du domaine politico-militaire. Détaché au ministère des Armées, il est en poste à la Direction de l’enseignement militaire supérieur, où il occupe les fonctions de conseiller académique du directeur, conseiller académique et professeur d’histoire du Centre des hautes études militaires et responsable du cours d’histoire de l’École de guerre.


POUR ALLER PLUS LOIN

Philippe Vial, « La défense nationale avant 1914, une utopie institutionnelle ? », Revue d’histoire maritime, n° 20, 2015/1, « La Marine et la Première Guerre mondiale, une histoire à redécouvrir », p. 269-293.

Une version raccourcie de cette étude a été publiée sous le même titre dans la Revue Défense Nationale, n° 778, 2015/3, « Balard 2015 : la Défense ensemble », p. 72-79. 

Guillaume Denglos et Philippe Vial, « Le SGDSN, plus d’un siècle d’histoire » : synthèse initialement réalisée à l’occasion du colloque « Le SGDSN, 110 ans au service de la défense et la sécurité de la France », 22 décembre 2016, Maison de la Chimie ; Paris.

Philippe Vial, « 1932-1961. Unifier la défense », Inflexions, n° 21, 2012/3, « La réforme perpétuelle », p. 11-22.

Philippe Vial, « Comment l’Hexagone a pris forme », Armées d’aujourd’hui, n° 397, 2015, « Balard vous ouvre ses portes », p. 46-48.

Philippe Vial, « Le regroupement des armées, ce vieux cheval de bataille », entretien avec Nathalie Guibert, Le Monde, 13 octobre 2015.

Pour approfondir

Philippe Vial et Guillaume Denglos, Histoire de l’IHEDN. Penser la Défense, Paris, Tallandier, 2021, 208 p.

Guillaume Denglos et Philippe Vial, Une Histoire du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (XIXe-XXIe siècles), Paris, Nouveau Monde éditions, 2023, 450 p.

 

Il y a dix ans, neuf aviateurs français périssaient à Albacete, en Espagne, après le crash d’un F-16 grec

Il y a dix ans, neuf aviateurs français périssaient à Albacete, en Espagne, après le crash d’un F-16 grec

Photo MANU/EPA/MAXPPP

Le 26 janvier 2015, un F-16D BLK 50 du 341e escadron de la Force aérienne grecque participant à une mission d’entraînement dans le cadre du Tactical Leadership Programme (TLP) sur la base aérienne espagnole de Los Llanos (Albacete AFB), s’est écrasé, tuant les deux membres d’équipage.

Peu après le décollage, le F-16 a viré sur la droite, perdu de l’altitude, touché terre et s’est embrasé. Il a ensuite a glissé vers la zone où se trouvaient des appareils français et italiens prêts à décoller.
L’impact et l’incendie qui ont suivi le crash du F-16 ont détruit ou endommagé huit autres aéronefs (dont 6 avions français: 2 Mirage 2000D, 2 Alpha Jet, 2 Rafale B). Ils ont aussi fortement endommagé les équipements au sol et les infrastructures de la base aérienne de Los Llanos et du TLP.

Neuf membres de l’armée de l’Air française ont péri:
– le capitaine Mathieu Bigand, 30 ans, originaire de Croix (Nord), sous-chef de patrouille, « pilote de chasse émérite » totalisant près de 1 000 heures de vol, ayant participé notamment aux opérations Epervier puis Serval au Mali.
– le capitaine Gildas Tison, 35 ans, originaire de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), était officier de liaison depuis septembre 2014 avec le centre tactique international qui organisait l’exercice interalliés TLP à Albacete. Il avait été auparavant instructeur sur Alphajet puis expert Mirage 2000.
– le lieutenant Marjorie Kocher, 29 ans, originaire de Metz (Moselle), était sous-chef navigatrice et avait participé notamment aux opérations Pamir en Afghanistan, Unified Protector en Libye et Serval.
– le lieutenant Arnaud Poignant, 26 ans, originaire de Paris, était officier mécanicien, spécialiste des Mirage 2000.
– l’adjudant François Combourieu, 37 ans, était responsable « maintenance vecteur et moteur », spécialiste de la coordination de piste. Il avait été déployé notamment en Afghanistan, au Tadjikistan et au Kirghizistan.
– l’adjudant Thierry Galoux, 41 ans, originaire de Nîmes (Gard), était chef d’équipe « maintenance avionique » et avait été déployé notamment en Côte d’Ivoire.
– le sergent-chef Gilles Meyer, 27 ans, originaire de Colmar (Haut-Rhin), était technicien de maintenance avionique, et avait été déployé notamment en Afghanistan et en Libye.
– le sergent Nicolas Dhez, 25 ans, né à Arcachon (Gironde), était armurier opérationnel sur Mirage 2000.
– le sergent Régis Lefeuvre, 25 ans, originaire de Nogent-sur-Marne (Val-de-Marne), était mécanicien spécialisé dans les systèmes et matériels électroniques de bord.

Une dizaine d’autres militaires français ont été blessés dont 5 grièvement.

Trois années après le drame, a été érigé sur la base aérienne d’Albacete un mémorial, avec un obélisque, « symbole ancestral du souvenir », sur lequel les noms des neuf victimes françaises ont été inscrits. Orné de trois ondes représentant l’Honneur, la Mémoire et la Paix, il symbolise le fait que « ceux qui ont sacrifié leur vie reposent avec Honneur, qu’ils reposent affectueusement dans notre Mémoire, et qu’ils reposent pour toujours en Paix ». La place du mémorial a été baptisée « Place du Commandant Tison ».

Le témoignage d’un survivant.

Parmi les blessés français, le mécanicien Franck Poirot. Dix ans après, il a témoigné dans l’édition de ce jour de Dimanche Ouest-France. L’article est à lire ici, sur ouest-france.fr.

Les disparus d’Algérie

Les disparus d’Algérie

Seules les victimes auraient éventuellement le droit de pardonner. Si elles sont mortes, ou disparues de quelque façon, il n’y a pas de pardon possible”
(Jacques Derrida)

Il y a 62 ans, tel Ponce Pilate, le gouvernement français se lavait les mains et tournait la page. Pays sans nom, sans frontière, sans unité, c’est par la France et dans la France que l’Algérie avait acquis une personnalité, pour la première fois dans l’histoire… C’est par la France qu’elle devint officiellement indépendante, le 5 juillet 1962… et c’est à cette date que le drame des disparus –ayant connu un essor vertigineux dès la signature du « cessez le feu »- atteint son apogée dans le paroxysme de l’horreur…

Le point de départ de la gigantesque entreprise de destruction qui devait s’abattre sur les Français d’Algérie –entreprise de destruction voulue et organisée par le régime gaullien- fut la honteuse signature des accords d’Évian du 18 mars 1962 avec comme symbole de forfaiture, le massacre du 26 mars à Alger… Son aboutissement, le 5 juillet 1962 à Oran. Entre ces tragédies, plusieurs milliers d’Européens (on ne connaîtra jamais le nombre exact) disparaîtront, enlevés parfois même sous les yeux des militaires français qui n’interviendront pas : « Ils n’avaient pas d’ordre », disaient-ils ! En réalité, ils avaient des ordres de « non intervention ». Ainsi, dans toute l’Algérie des camps s’ouvrirent, parfois à proximité même des villes et des cantonnements militaires sous le regard bienveillant des autorités françaises.

La plus élémentaire des missions eût été d’ordonner à notre armée, encore puissante, d’effectuer des opérations de sauvetage en direction de ces camps… sa première motivation étant de sauver ses propres soldats dont près de 400 furent pris vivants au combat. Nul ne recouvrit jamais la liberté… et cela en dépit des accords d’Évian et des conventions de Genève. L’autre motivation était de sauver, d’une part, ces milliers de civils européens menacés de jour en jour d’extermination, d’autre part, ces milliers de Musulmans fidèles à la France à qui l’on avait fait une promesse formelle de protection, à qui l’on avait juré que le drapeau français ne serait jamais amené et que l’on a livré avec une révoltante bonne conscience, pieds et mains liés à la vindicte des bourreaux.

Alors, quand les familles éplorées suppliaient les militaires d’intervenir après l’enlèvement de l’un des leurs ; quand elles en appelaient à nos gouvernants, nos médias, nos associations humanitaires, à la Croix Rouge… quand ce n’était pas au Clergé, on leur rétorquait sans ménagement « qu’ils étaient tous morts » ! Et ainsi, parce qu’ils « étaient tous morts », on a laissé, des années durant, pourrir dans les geôles, les mines de sel, les camps de la mort lente et les bordels, nos proches, nos familiers, nos frères…

Car on ne supprima pas des milliers de personnes du jour au lendemain… Certaines vécurent des années durant dans leur univers concentrationnaire ; déclarations d’hommes politiques et témoignages l’attestent. C’est ainsi que :

– Le 26 janvier 1971 (9 ans après l’indépendance), le Président algérien Boumedienne déclarait : « A Paris, on semble ignorer que nous détenons un grand nombre d’otages français. Quand il le faudra, nous en communiquerons la liste à la presse, d’où une émotion considérable en France. Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il faudra y mettre le prix.« 

– Le couple des enseignants Allard, de Bruyère-le-Châtel (Essonne), d’abord pro-FLN puis expulsés d’Algérie au cours du second trimestre de 1971, révéleront qu’environ sept cent cinquante disparus européens ont été vus et contactés dans les camps de travail situés à proximité des puits de pétrole d’Hassi-Messaoud. A l’automne 1972, quelques-uns de ces hommes ont tenté de s’évader. On les a retrouvés bastonnés à mort sur la rocade sud, avec la main droite coupée.

– Le 23 avril 1982, l’hebdomadaire « SPECIAL DERNIERE » publiait les révélations de Mr Poniatowski qui affirmait qu’en 1975 (il était alors Ministre de l’Intérieur), il y avait encore des centaines de captifs en Algérie.

Ce jour-là, nous fîmes connaissance avec l’incroyable, l’impossible, l’inimaginable. En première page, on pouvait lire : 

        « EXCLUSIF : Les photos des Français détenus sans raison PRISONNIERS EN ALGERIE depuis VINGT ANS. Un vrai camp de concentration installé du côté de Tizi-Ouzou« .

Au total 15 photos sous lesquelles figuraient les noms et prénoms des « disparus ». Or l’une d’elles nous apprenait ainsi que le gardien de la paix, Pelliser Jean Claude, enlevé le 16 mai 1962 à Maison Blanche, Alger, dans l’exercice de ses fonctions, était toujours en vie… alors qu’il avait été déclaré « décédé » le 13 novembre 1970 par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

20 ans après ces tragédies, il y avait encore des survivants dans les camps de concentration algériens. Nous en avions là la preuve. Que firent alors les autorités françaises ?

Le 12 novembre 1964, Le Figaro lançait le chiffre de 6000 à 6500 Européens enlevés entre le 19 mars 1962 et le 31 décembre 1962… preuve qu’après l’indépendance les enlèvements s’étaient poursuivis.

L’accusation était portée et elle était irréfutable. Alors, pourquoi l’armée française –qui était toujours présente ne Algérie- n’intervenait-elle pas pour sauver ces malheureux? Et pourtant ils étaient enfermés dans des camps parfaitement localisés et connus des autorités, attendant dans la souffrance et la déchéance une vaine délivrance. Certains furent libérés, mais sur des initiatives individuelles d’officiers outrepassant les ordres reçus et… immédiatement sanctionnés. Parfois même, ces morts-vivants étaient plongés dans leur univers concentrationnaire à proximité des camps militaires français, tels, la cité du Petit Lac à Oran.

Que de cris déchirants, que d’appels au secours ces militaires français ont-ils dû entendre chaque nuit, eux qui étaient terrés dans leur caserne, l’arme au pied, attendant la quille prochaine…

Que d’horribles, que d’épouvantables hurlements ont dû retentir, des années durant, dans ce pays livré aux écorcheurs ! Mais nul ne pouvait les entendre. Une chape de silence s’était abattue sur ces malheureux ajoutant ainsi à leur calvaire et, engoncé dans son égoïsme, son confort et son indifférence, le peuple français ne répondit pas aux plaintes et aux râles qui s’échappaient de toutes les contrées de l’Algérie et qui venaient s’écraser contre ce mur qu’il avait érigé sur ses côtes. Ces sacrifiés là, dont le nombre s’amenuisait au fil du temps, n’étaient plus que des animaux survivants d’un triste bétail pensant, abandonnés à leur délire, à leurs rêves et à leurs rancœurs. Durant des années, ils ont croupi derrière des barreaux ou dans des camps, à épier leurs geôliers, à écouter les râles des mourants et les cris de ceux que l’on torturait, en suivant de leurs yeux, leurs inoubliables yeux, empreints de crépuscule mental, la marche rêveuse des nuages dans l’immensité du ciel étoilé.

Pauvres êtres torturés! Leurs cris déchirants seront restés vains durant toutes ces années, mais ces plaintes ne sont pas perdues. Quelque part dans les cieux elles ont été enregistrées indélébilement et le jour du jugement dernier, elles se feront de nouveau entendre… et les paroles prophétiques du Maréchal Juin remontent à ma mémoire : « La France est en état de péché mortel et elle connaîtra, un jour, le châtiment ».

Pour autant en dépit des renseignements qui lui parvenaient régulièrement, la grandeur gaullienne ne s’abaissa pas à donner les ordres nécessaires pour sauver ces sacrifiés et les cadres de l’armée, les consuls et ambassadeur de France à Alger respectèrent ces ordres de ne pas intervenir, abandonnant ceux qui n’étaient plus que des morts en sursis, oubliant que, pour des raisons similaires, on condamna à la fin de la seconde guerre mondiale, les officiers allemands qui ne s’étaient pas opposés aux ordres d’Hitler.

Ils sauvèrent ainsi leur carrière, certes ! Plus tard, colonels, généraux, députés, ambassadeurs, couverts de titres et de médailles usurpés, ils se prélasseront et se féliciteront de leur « bon choix ». Mais, où est leur honneur ? Que devient une armée sans honneur ?

        « La voix de la conscience et de l’honneur est bien faible quand les boyaux crient », disait Diderot…

Ainsi, la France et l’armée française d’alors sont aujourd’hui éclaboussées d’une honte que le temps ne suffira pas à effacer. Il n’y a pas d’exemple qu’un État ait livré de la sorte ses enfants au bourreau. Et cette tache indélébile ternira à jamais l’honneur de la Vème République.

José CASTANO

La guerre des Malouines : succès et limites d’une comparaison avec la situation française

La guerre des Malouines : succès et limites d’une comparaison avec la situation française

JEANNE ACCORSINI/SIPA/2406101358

par par Swan Dubois Galabrun, Lilian Tassin, Augustin Fille. Officiers de l’armée de Terre – Revue Conflits – publié le 10 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/la-guerre-des-malouines-succes-et-limites-dune-comparaison-avec-la-situation-francaise/


La guerre des Malouines (1982) permet de tirer de nombreux enseignements pour l’armée française aujourd’hui. Que ce soit la communication internationale, le rapport au droit et à la politique et le mode opératoire, c’est un conflit à mieux comprendre pour percevoir les enjeux contemporains.

par Swan Dubois Galabrun, Lilian Tassin, Augustin Fille. Officiers de l’armée de Terre.

Faire de la guerre des Malouines un cas d’école pour la France n’est désormais plus une prise de risque intellectuelle tant les occurrences montrant l’intérêt de cette guerre pour la réflexion française ne manquent pas : les officiers de Marine Corman et Lavernhe exposant la fin du HMS Sheffield dans Vaincre en Mer au XXIe siècle, le député Yannick Chenevard, invoquant l’exemple britannique pour attirer l’attention sur l’intérêt d’une flotte stratégique[1]. La comparaison de l’amiral Vandier dans Mer et Marine en 2021, érige l’événement en un type de guerre déclinable auquel la France serait confrontée. Pourtant, els sont les points communs, mais aussi les divergences afin d’en tirer les justes leçons. Cette analyse est complexe puisque son intérêt n’est pas l’exhaustivité historique ou géopolitique, mais plutôt de dresser une comparaison générale. Cette entreprise possède un fort ancrage historique, mais elle se veut surtout dialectique dans sa capacité à se détacher de l’histoire et de l’actualité.

Situation avant la crise

En 1982, dans un contexte de guerre froide, l’ennemi est à l’Est et le Royaume-Uni ne conçoit une action militaire que dans le cadre de l’OTAN avec comme partenaire minimal les États-Unis. Le temps est à l’austérité et aux coupes budgétaires, dont l’une des premières cibles est les forces armées. Face à l’ennemi soviétique, une flotte de surface solide, principalement anti-sous-marine, semble largement suffisante. Les bâtiments sont conçus et les équipages formés principalement à la lutte contre les submersibles, puis au combat de surface ou anti-aérien, alors que les missions d’appui à un débarquement ou de frappes de cibles terrestres passent largement au second plan.

Sur le plan aéronaval, les porte-avions britanniques sont jugés trop coûteux et inutiles, l’allié américain étant censé fournir l’appui aéronaval dans le cas d’une opération de projection de forces en dehors de l’Europe. Il est décidé que le vieux HMS Hermes, après avoir été proposé à la vente à l’Australie, ne sera pas modernisé et amené vers la retraite, alors que l’Invincible, censé lui succéder, n’est sauvé qu’au prix de la conversion, sur le papier, en porte-aéronefs de lutte anti-sous-marine, et de la vente de la tête de classe à l’Australie. Enfin, les deux navires amphibies de la classe Fearless ne sont plus en mesure de prendre la mer. Dans le paysage institutionnel, seul l’amiral Leach, First Sea Lord, plaide activement pour le maintien d’une capacité à projeter durablement une force conséquente : si son action ne rencontre qu’un succès modéré pour les unités de surface, elle permet au moins de maintenir un volume de force respectable pour les Royal Marines, regroupés au sein de la 3e Commando Brigade. La capacité de combat amphibie qu’ils représentent a été sauvée en l’attribuant à une seule unité, bénéficiant de l’ensemble des moyens nécessaires et des infrastructures d’entraînement. Une comparaison avec la France ne serait pas forcément indiquée puisque cette capacité est répartie entre la 6e Brigade Légère Blindée, la 9e Brigade d’infanterie de Marine, les fusiliers marins et les commandos marine de sorte que la culture amphibie n’est pas le seul pré carré de la marine.

La question capacitaire au cœur de la crise

L’ordre de bataille réduit de la Royal Navy conduit les responsables politiques à n’envisager que des réponses limitées. Lorsque le 20 mars, Margareth Thatcher demande au Foreign Office un mémorandum intitulé Options in the South Atlantic, la partie rédigée par John Nott[2] sur les possibilités d’actions en matière de défense illustre les faibles capacités d’action de la Navy : la seule option considérée sérieusement est l’envoi de Marines tandis que les possibilités d’envoyer des sous-marins ou de mettre sur pied une Task Force sont à peine évoquées.

Pourtant, dès le 29 mars, Margareth Thatcher fera le choix de dépêcher sur place, depuis la Méditerranée, un sous-marin nucléaire d’attaque et un navire ravitailleur puis de faire appareiller un second sous-marin d’Écosse. C’est à ce moment qu’entre en scène l’un des acteurs clefs de la victoire britannique : la Royal Fleet Auxiliary. Cinquième branche de la Navy, la RFA sert depuis 1905 au ravitaillement et aux liaisons entre la Grande-Bretagne et ses dominions, mais aussi au ravitaillement des navires engagés dans des opérations militaires. Cette flotte auxiliaire au statut civilo-militaire permet d’externaliser partiellement les coûts de maintien en condition des navires et de formation de l’équipage, tout en disposant d’une flotte de transport et de ravitaillement sous commandement militaire en temps de crise. C’est aussi elle qui met en place la réquisition des navires de la Merchant Navy, détachant à bord des navires réquisitionnés des officiers spécialistes, dans le cadre du STUFT System[3]. Dès le déclenchement du conflit, un navire de la RFA sera donc en chemin pour les Malouines, premier élément d’une chaîne logistique qui tiendra tout le long de l’engagement britannique.

Lors de la réunion de crise du 30 avril, Sir Leach, seul militaire présent en l’absence de ses supérieurs, insista sur la nécessité de mettre sur pied une flottille complète, couvrant l’ensemble du spectre des menaces, et soutenue par un appareil logistique conséquent.

La constitution de la Task Force s’articula autour de trois types de navires : ceux de combat, de ravitaillement et de transport. Les bâtiments de combat sont dans un premier temps prélevés sur la masse des navires à la mer dont dispose la Royal Navy. Mais très vite, les navires disponibles paraissent insuffisants par rapport aux besoins. Au prix d’un effort remarquable de la part des chantiers navals britanniques, les jumeaux de la classe Fearless sont modernisés et remis en état en un temps record, réussissant ainsi à compenser en quelques semaines des années de sous-investissement. Le HMS Invincible, pourtant annoncé comme vendu à l’Australie par le ministère de la Défense, va en trois jours être équipé pour le combat. Dans les deux cas, les chantiers navals et les équipes de maintenance ont travaillé main dans la main, sous très court préavis, pour des résultats excellents, fruit d’une tradition de coopération civilo-militaire ancienne et entretenue.

Les navires de ravitaillement sont fournis par la RFA, c’est d’ailleurs principalement l’indisponibilité de ceux-ci, bien plus que des navires de lignes, qui compromet partiellement la capacité de la Navy à honorer ses engagements auprès de ses alliés, soulignant leur importance dans le fonctionnement d’une marine au rayonnement mondial. Fort de cet enseignement, la RFA maintient toujours en conditions opérationnelles sept navires ravitailleurs de flotte de trois classes différentes. La Marine Nationale, de son côté, ne dispose que de quatre Bâtiments Ravitailleurs de Flotte de la classe Jacques Chevallier, soit moitié moins que ceux employés dans la Task Force britannique.

Les navires de transport militaires disponibles étant très insuffisants, il est envisagé dès la mise sur pied de la Task Force d’employer des navires civils de la Merchant Navy pour réaliser l’acheminement des troupes nécessaires. C’est ainsi que le SS Canberra acheminera la quasi-totalité du 42 Commando, et que le paquebot Queen Elizabeth 2 servira au transport de la 5e Brigade d’Infanterie. Face aux besoins pressants d’aéronefs supplémentaires, c’est d’ailleurs un porte-conteneurs civil, l’Atlantic Conveyor, qui va être réaménagé afin d’accueillir vingt-cinq appareils. Illustration de la prise de conscience britannique de l’importance de disposer d’au moins deux porte-avions, l’un pour défendre la Task Force et l’autre pour appuyer les opérations à terre. Ce questionnement est largement d’actualité au sein de la Marine Nationale, dans le cadre du programme PANG, qui a été tranché en faveur d’une seule unité de la nouvelle classe, laissant la classe Mistral comme seul élément d’appui aéronaval complémentaire.

Les Britanniques n’hésitent donc pas à agréger des navires civils, parfois employés de manière originale en s’appuyant sur une structure préexistante, à des navires militaires pour combler les trous capacitaires béants dont souffrait la Royal Navy. La démarche de création d’un tel outil en France date de 2016, avec l’article 58 de la Loi pour l’économie bleue, et inscrite dans le Code de la Défense [article L1355-4]. Cependant, si le CESM a souligné la faiblesse des structures et des moyens de ce type à la disposition de la France, les assises de la mer le 19 novembre dernier ont donné un nouvel élan à la réalisation de cette ambition[4].

Une opération amphibie pour la reconquête

L’opération amphibie à proprement parler, n’a été rendue possible que par la très faible résistance argentine sur les lieux du débarquement. Lorsque dans la nuit du 21 au 22 mai la 3 Commando Brigade, précédées d’éléments de reconnaissance du SBS[5] , prend pieds sur le rivage de la baie de San Carlos, suivie des premiers éléments du Parachute Regiment, ses pertes sont négligeables, et seuls deux aéronefs anglais sont abattus. Cela s’explique par la faible présence argentine, mais aussi par la décision quasi immédiate des Argentins de quitter les lieux du débarquement pour établir des défenses plus en profondeur dans l’île, moins exposée aux appuis feux navals directs des navires britanniques.

Ce très faible coût du débarquement britannique est la conséquence d’une série de choix, justifiés par les caractéristiques très originales du territoire à reconquérir. Le commandement britannique a choisi de débarquer loin des objectifs principaux, préférant exposer ses troupes lors de l’approche de l’objectif plutôt que sur la phase de débarquement. Cela a permis de tomber sur des défenses argentines très réduites, sans que les ennemis puissent exploiter la profondeur de leur défense. De plus, le choix de débarquer de nuit a permis de repousser au maximum l’heure de perte de surprise et de débarquer un maximum de personnels avant l’attaque aérienne argentine. Cependant, l’absence d’aérodrome permettant la mise en œuvre d’avions de combat sur l’archipel contraint les Argentins à attaquer depuis le continent, où s’est réfugié le porte-avions Veinticinco de Mayo. Cette contrainte permet aux Britanniques d’espérer mettre en place une bulle A2AD[6] solide sinon hermétique, pour protéger les mises à terre des renforts et de l’échelon de soutien de l’opération à terre.

La réussite du débarquement britannique aux Malouines repose donc avant tout sur l’exploitation à fond de leur supériorité navale locale, rendant toute résistance argentine sur le point de débarquement illusoire. Mais aussi sur le choix de ne pas chercher une action précipitée, de se fondre dans le tempo de la guerre en cours, et d’accepter de construire une victoire sur la durée, en débarquant loin des objectifs à haute valeur politique, de manière à transformer la supériorité navale britannique en une supériorité terrestre, fondée sur la qualité, mais aussi sur le nombre et la résilience de la force débarquée. La persistance d’une structure civilo-militaire britannique permettant la projection de force et les choix opérationnels courageux traduisent une volonté politique de mener et de gagner la guerre.

Le politique doit composer avec l’opinion britannique

À l’hiver 1982, le gouvernement Thatcher était au plus bas dans l’opinion publique. La culture britannique de l’Empire, par-delà les mers, explique que la perte initiale des îles n’ait pas été ignorée, mais ait soulevé de vives critiques et une forme de honte de s’être laissé ainsi prendre. Thatcher, en décidant d’accepter l’épreuve de force avec les Argentins, a donc été largement soutenue par une population mue davantage par l’envie de reprendre les îles que par la détestation de son gouvernement. On relève peu d’oppositions à la guerre, soit des oppositions de principe peu construites contre la guerre en général, soit émanant d’acteurs qui préféreraient la négociation. Elles sont dans tous les cas peu homogènes et marginales. Au cours du conflit, la relation avec les médias incarne dans une certaine mesure le jeu du cabinet avec sa crainte de voir un retournement de l’opinion publique : la diffusion de l’information quant à la perte du Sheffield va soigneusement être préparée et diluée dans le temps afin de ne pas créer un coup de communication susceptible d’embraser les passions. Les photos montrant des cadavres, notamment ceux de soldats britanniques, sont contrôlées, voire interdites. Si certains journalistes se sont plaints, on a surtout vu une franche coopération avec les militaires[7].

Le poids de la culture stratégique aux sources des choix politiques

Le paradigme continental de la France la porte vers la mer, en dépit d’une grande tradition et d’aménités incontestables qui font d’elle une nation maritime. Les affaires d’outre-mer et les guerres coloniales n’ont jamais suscité l’enthousiasme profond des Français, elles ont même provoqué leur ire lorsque le contingent est envoyé, ce que les Britanniques n’ont jamais fait en créant un modèle d’armée professionnelle à but expéditionnaire. La population ne comprendrait sans doute pas l’acharnement à guerroyer pour ces territoires lointains s’ils étaient envahis, quand déjà en temps de paix, on souligne qu’ils sont coûteux et hétérogènes par rapport à la métropole. À l’inverse, rien n’interdit d’imaginer qu’en cas de conflit limité et d’envoi de professionnels, une large part de la population, si son patriotisme est éveillé, pourrait soutenir une telle entreprise par fierté nationale. Éveil qui doit autant à la culture qu’à la participation des vecteurs d’expression et d’influence que sont les médias. Suivant la trinité clausewitzienne, c’est eux qui représentent le plus la population en portant l’opinion publique. Les considérer comme des ennemis et non comme des alliés dans un même but serait donc une mécompréhension certaine. Même si la naissance des réseaux sociaux et d’internet limite la comparaison entre nos deux époques, l’adhésion de la population reste suspendue aux médias et à leur volonté de soutenir le projet. Soulignons alors la nécessité que les journalistes soient sensibilisés à ces enjeux pour mieux éclairer l’opinion publique tout en portant sa voix.

La tension existant d’ailleurs entre le politique et la population à travers la pression que l’opinion publique exerce du second sur le premier, met en lumière le jeu existant en démocratie pour les cabinets entre l’impératif de se maintenir et celui de diriger le pays. Les deux ne sont pas contradictoires puisque l’envoi immédiat de la flotte a répondu à un souci de maintien pour Thatcher comme à des enjeux de grande stratégie de la Grande-Bretagne. La France fait face à des enjeux similaires : en dépit de mécompréhensions marginales, on observe au parlement un consensus global sur les thématiques de défense par un effort des parlementaires pour aider les militaires en donnant une voix politique à leurs demandes. Pas de clivage comme on s’y attendrait, mais un travail commun, car fondé sur des éléments tangibles incontestables : Malouines, comme Éparses par exemple, présentent des ressources du sol et de la mer, et des points d’appui sur les routes commerciales en cas de fermeture de canaux comme Panama et Suez. Les événements en mer Rouge à l’hiver 2024 ont d’ailleurs renvoyé ces hypothèses du monde de la fiction à celui de la réalité. Ressources, positions stratégiques, diversité de populations et de cultures constituent une profondeur stratégique pour la France comme pour le Royaume-Uni. Ce sont autant d’atouts qui font d’elles des puissances, et symbolisent leur rang de Grande Nation. Leur perte est à la fois celle des constituants réels de la puissance, mais aussi de son symbole. La possession de ces terres est d’ailleurs consacrée par la sanctuarisation de la dissuasion même si l’absence de continuité physique avec la métropole crée des opportunités de contestation sous le seuil du conflit. L’importance est dissymétrique dans les opinions entre ces territoires et la métropole, de sorte que le vecteur nucléaire est disproportionné. Les Anglais l’ont envisagé sans l’utiliser pour cette raison, même si leur doctrine diffère. Considérant l’arme atomique dans une architecture plus vaste de défense, la riposte, même par des moyens conventionnels, est nécessaire pour conserver la crédibilité.

Au cœur de la conduite de la guerre, la culture du commandement et sa relation au politique est facteur de succès

Cette question de la pertinence du vecteur employé selon la crise relève du dialogue entre politique et militaire, qui commence dès le 2 avril au matin, quand l’amiral Sir Leach propose d’envoyer la flotte de Woodward, sachant à la fois qu’il faut réagir au plus vite, mais aussi qu’il obtiendra en cas de succès la fin des coupes budgétaires. Pour la durée du conflit, Downing Street dialogue avec l’état-major situé non pas à Whitehall, mais à Northwood, à 30 km, et dirigé par l’amiral Fieldhouse, afin d’éviter les interférences. La Grande Bretagne possède un atout culturel puisque les grands généraux britanniques, rompus à ce genre de guerres, ont la réputation d’avoir une très fine compréhension de leur milieu politique. Le haut commandement jouit d’une certaine autonomie grâce à la confiance du politique, en dépit de quelques interférences réelles, où le cabinet rappelle son existence de façon très insistante auprès des commandants de terrain en raison de son besoin de résultats afin de ne pas avoir à négocier en position de faiblesse. Les Français jouissent de structures de commandement tout aussi adaptées à ce genre d’opérations grâce à une longue expérience dans le domaine, même si ces guerres avaient lieu contre des adversaires asymétriques. L’invasion d’un territoire d’outre-mer marquerait un défi plus élevé pour ces structures qui devraient affronter un ennemi de même envergure. Cette question de l’ennemi renvoie à celle du contexte international puisque c’est ce dernier qui va conditionner les forces en présence pour l’affrontement.

L’ONU, un acteur incontournable

La Guerre des Malouines est riche d’enseignements si on analyse le comportement de chacun de ses acteurs. D’abord, il faut mentionner l’ONU, puisqu’elle est l’institution incontournable en cas de contentieux entre deux pays. Il est un préjugé tenace selon lequel cette dernière est une organisation qui génère des résolutions stériles n’améliorant jamais la situation. Pourtant, Anthony Parsons, représentant le Royaume-Uni à l’ONU durant le conflit, explique le contraire[8] : selon lui, il était essentiel de gagner à New York avant de gagner aux Malouines. En tant que nation membre du bloc de l’ouest, les Anglais étaient attachés à faire valoir leurs droits statués dans l’article 51 de la Charte onusienne autorisant la légitime défense. Face aux Argentins qui semblaient sûrs d’eux grâce au narratif qu’ils avançaient, autrement dit une nation non alignée qui reprenait son territoire légitime à une nation impérialiste, les Anglais ont réussi à faire voter une résolution adoptée par la grande majorité du conseil du moment[9].

Pour les Argentins, le plan était de faire durer la guerre, en montrant qu’ils étaient les prétendues victimes d’une nation coloniale, et non les agresseurs. Les tractations infinies à New York devaient épuiser le Royaume-Uni qui aurait dû composer avec une opinion internationale et intérieure hostile. Au lieu de cela, les Anglais ont fait adopter la résolution légitimant leur réponse militaire, en brisant deux mythes. Le premier est que l’Occident, et plus particulièrement les ex-puissances coloniales, n’était pas seul à croire au droit international face à un tiers-monde prétendument obsédé par la décolonisation. Le deuxième concerne l’ONU. Parsons y souligne la qualité des débats malgré le préjugé d’impuissance de l’institution, ceux-ci étaient écoutés avec attention par la communauté diplomatique internationale. Il conclut en qualifiant la victoire à New York « d’essentielle» pour la Royal Navy en route pour l’Atlantique Sud. Et ce serait sans oublier le prestige obtenu qui a permis de rassurer les alliés du Royaume comme impressionner ses rivaux.

Il est évident de mentionner que la France ne saurait se passer de l’ONU et d’une résolution. Néanmoins, force est de constater que cette institution n’a jamais été aussi peu écoutée. De plus, les Malouines se considéraient anglaises à 98%, affaiblissant le narratif argentin. Un sondage mettant en difficulté la France dans un de ses territoires ultra-marins fragiliserait au contraire sa posture aux Nations-Unies. La question du sentiment d’appartenance à la métropole semble alors cruciale aux yeux de l’ONU dans ses arbitrages. Sommes-nous donc sûrs, à moyenne échéance comme dans le long terme, d’être capables de maintenir ce sentiment au vu des troubles sociaux actuels dans nos outre-mer ?

Le poids des grands compétiteurs

Ensuite, cette guerre ne saurait être abordée sans évoquer le rôle des superpuissances de l’époque. Dans ce monde bipolaire, les Anglais ont habilement manœuvré en raccordant les Américains à leurs côtés, tout en impressionnant les Soviétiques avec un show of force habile en pleine reprise de la Guerre froide avec le mandat Reagan.

Pour les Falklands, les États-Unis ont sacrifié leur politique sud-américaine afin de conserver l’intégrité du bloc occidental face à l’URSS. À ce titre, le sénateur du Delaware en 1982, Joe Biden[10], déclare que les États-Unis soutiendront leur allié, au prix du traité de Rio signé en 1947 avec l’Amérique du Sud qui constituait la clé de voûte de leur stratégie régionale. Les Américains fournissent ainsi un appui économique, logistique, et militaire par le biais de renseignements offerts aux Anglais, mais s’aliènent une bonne partie du continent par la même occasion en trahissant leurs engagements.

À l’heure du pivot vers l’Asie de l’administration américaine, et de l’élection de Trump, il faut rappeler qu’un soutien étasunien n’est jamais désintéressé. Les conséquences d’un déclin français dans l’Indo-Pacifique seraient dommageables et enverraient un signal clair aux Chinois qui lorgnent sur Taïwan. En somme, les Américains n’ont aucun intérêt à ce qu’une des rares puissances otaniennes en mesure de projeter de la puissance dans la région soit fragilisée.

Quant à l’URSS, son implication dans le conflit est restée marginale. Les Soviétiques furent très impressionnés par la capacité de la Grande-Bretagne à projeter sa puissance à des milliers de kilomètres, impression à rapprocher de la fascination des Russes pour le domaine naval depuis des siècles[11]. La superpuissance de l’époque en vint même à questionner sa relation avec son plus grand « allié », la Pologne, qu’elle venait de placer sous loi martiale à cause de la gronde générée par le syndicat Solidarność. La « relation spéciale » entre le Royaume-Uni et les États-Unis renforça donc la dissuasion otanienne et fut utile à la reprise de la guerre froide sous Reagan.

Le signalement stratégique n’est donc pas un concept stérile. En s’affirmant auprès de ses alliés, notamment par la conduite d’exercices impliquant l’arme nucléaire, la France participe également à démontrer sa force auprès de ses compétiteurs. L’opération Serval a par exemple suscité un certain émoi outre-Atlantique, les Américains y reconnaissant un savoir-faire expéditionnaire unique[12]. Autrement dit, il ne faut pas sous-estimer l’impression créée par nos armées auprès de nos compétiteurs.

Mais si le signalement stratégique est important pour notre pays, savoir décrypter le comportement de nos alliés, compétiteurs et rivaux l’est tout autant. Comment alors interpréter les propos du président malgache, Andry Rajoelina, qui déclarait que les îles Éparses faisaient partie de Madagascar[13] ? La France étant chassée du Mali et du Niger par des juntes appuyées par Moscou, il ne fait aucun doute que le tempo semble opportun pour revendiquer les Éparses de manière plus active.

Nouer des alliances avec des pays aux enjeux similaires

Enfin, la France fut un point essentiel de la stratégie de riposte britannique. Les deux pays partageaient un certain nombre de points communs : ex-puissances coloniales, les deux nations comptaient encore de nombreux territoires à travers le monde, en étant à la fois dans l’OTAN et soucieuses de préserver leur autonomie stratégique. Paris fut d’une grande aide pour Londres. En bloquant l’approvisionnement d’Exocet à l’Argentine d’abord, puis en faisant pression sur le Pérou pour empêcher le don des leurs. François Mitterrand proposa à la Navy d’utiliser Dakar comme point d’appui, fourni du renseignement, et assura par des gestes forts Margaret Thatcher de son soutien diplomatique. Les pilotes anglais s’entrainèrent même contre les Super-Étendard français aussi en service dans l’armée argentine.

Quelle leçon pour la diplomatie française ? Cultiver des relations cordiales avec des pays aux mêmes affinités stratégiques paraît être essentiel. Au moment où le Zeitenwende fait regarder l’Allemagne à l’est, est-il envisageable de penser à un soutien européen fort sur la question de nos outre-mer, spécificité nationale rare à l’échelle du continent ? L’article 42 du traité de l’Union ne statue même pas sur la forme que doit revêtir l’aide des pays européens en cas d’agression d’un membre. Les alliances bilatérales, et surtout celle avec le Royaume-Uni qui possède toujours des intérêts similaires, doivent être fructifiées par un renforcement de notre culture opérationnelle commune : c’est le sens des accords de Lancaster House, signés en 2010.

Pour finir, il est important de noter que le scénario d’une puissance étrangère déstabilisant nos outre-mer a fait les gros titres avec l’ingérence azerbaïdjanaise en Nouvelle-Calédonie. La place que cet épisode a occupée dans les médias témoigne d’une progressive prise de conscience collective de la vulnérabilité de nos territoires. Ces scenarii, hypothèses soutenues depuis longtemps par Conflits[14], ou issus de la Red Team, intéressent désormais des médias grand public, comme le témoigne l’enquête[15] réalisée par Alexandra Saviana. Elle y détaille notamment une offensive malgache pour récupérer à son compte la ZEE des îles Éparses, revendiquées de longue date. Appuyé par la Chine et ses capacités hybrides (cyberattaques, soutien logistique et économique), ce scénario présente de nombreuses similitudes avec l’attaque des Malouines quarante-deux ans auparavant.

Maintenant que les États-Unis se tournent résolument vers le Pacifique, ils n’iront pas contre la France si, en agissant pour ses intérêts, elle œuvre pour conserver une crédibilité sur le théâtre européen. Paradoxalement, la crédibilité des acteurs de ce théâtre est testée par des stratégies indirectes et périphériques sur nos outre-mer, comme le montre l’implication de l’Azerbaïdjan. Chez nos alliés, la solidarité officielle sera nécessaire à défaut d’enjeux conduisant à leur implication active à nos côtés. Les Malouines proposent à ce titre un dernier enseignement : les alliés soutiennent volontiers, mais l’action de guerre se fait seul, de sorte que conserver les capacités d’intervenir est la garantie de nos souverainetés. C’est ce qui s’est passé pour les Français au Sahel, et la capacité à agir seul devra être éprouvée. Pour cela, la triade clausewitzienne politique/armée/peuple devra être entretenue dans une même culture de la profondeur stratégique française à travers ses territoires ultra-marins. Profondeur qui est la source de sa puissance, et qui, associée à l’arme nucléaire, permet de conserver ce statut de pays puissant parmi ses pairs.


[1] Voir la MISSION GOUVERNEMENTALE – redéfinition du dispositif de flotte stratégique – juillet 2023, par le Député Yannick Chenevard.

[2] Alors secrétaire d’État à la Défense.

[3] Ships Taken Up From Trade, Navires Réquisitionnés Dans la Flotte Commerciale.

[4] Forces et faiblesses de la France maritime, Académie de marine, septembre 2024.

[5] Special Boat Service, pendant naval du SAS.

[6] Anti-Access Area Denial ou Dénie d’accès et interdiction de zone.

[7] Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, thèse de doctorat, 1996 dir. Prof. Alfred Wahl, 1996, p. 180.

[8] A. Parsons, « The Falklands Crisis in the United Nations, 31 March-14 June 1982 », International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-), vol. 59, no 2, p. 169‑178, 1983.

[9]  Résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en 1982 | Conseil de sécurité https://main.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1982

[10]  https://www.youtube.com/watch?v=3C9hxsRO7pI

[11] V. Mastny, « The Soviet Union and the Falklands War », Naval War College Review, vol. 36, no 3, p. 46‑55, 1983.

[12] M. Shurkin, « France’s War in Mali : Lessons for an Expeditionary Army », 2014.

[13] https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/iles-eparses-0/madagascar-les-iles-eparses-sont-malgaches-1528034.html

[14] Voir par exemple « Les îles Eparses, un enjeu stratégique pour la France » par Paul VILLATOUX, 6 juillet 2021

[15] A. Saviana, Les Scénarios noirs de l’armée française. Groupe Robert Laffont, 2024.

IN MEMORIAM – Lieutenant-colonel Huynh BAX XUAN (décédé le 1er décembre 2018)

IN MEMORIAM – Lieutenant-colonel Huynh BAX XUAN (décédé le 1er décembre 2018)


Né le 23 décembre 1929 en Cochinchine, Huynh Bax Xuan et décédé le 1er décembre 2018, est sorti des Ecoles de Saumur et de Saint-Cyr-Coëtquidan en 1950.

Aide de camp du général de Lattre en 1951 en Indochine, Chef de poste à Nasan en 1952 puis commandant de sous-secteur en 1953. Il est capturé au combat en avril 1953. Interné dans un camp de prisonniers et de déserteurs de l’armée française, il est soumis à la surveillance et aux brimades de ces derniers. Il monte en novembre 1953 un audacieux plan de soulèvement du camp, qui échoue. Repris après son évasion, il est mis au pilori par le commandant du camp devant tous les prisonniers rassemblés.

Il avait été capturé le 10 avril 1953, à la tête du bataillon qu’il commandait dans le delta tonkinois, au nord de l’actuel Vietnam. Transféré de camp en camp de sûreté, il va connaître l’enfer : les pieds cadenassés dans un carcan ou entravés par de lourdes chaînes, le cachot noir de lm70 de long, dont il ne sort que 10 minutes par jour, la demi-ration de riz, le camp de prisonniers où la mortalité dépasse 80% en 10 ans, les pénibles séances de rééducation politique où il est traité de criminel de guerre et de traître. Il ne sera pas de ceux qui seront libéré à la fin de la guerre.

La rigueur s’atténue en 1975 à la chute de Saigon, au moment où près de 500.000 soldats sud-vietnamiens sont placés en camp de rééducation. Avec trois survivants, il est mis en résidence surveillée près d’Hanoï. Libéré en mai 1976, il retrouve sa mère à Ho-Chi-Minh-Ville et récupère ses papiers militaires. Mais le Consulat de France reste sourd à ses démarches. Lors de deux tentatives d’évasion par la mer, il échappe à la police et se réfugie à Bien Hoa, où il se marie. Il réussit en 1980 à joindre un ancien officier du maréchal de Lattre qui obtient son rapatriement.

A Paris en juillet 1984, ses ennuis ne sont pas terminés. Étant en prison en 1955, il n’a pas pu demander son maintien dans la nationalité française. Le Tribunal de Grande Instance de Rennes reconnaît sa nationalité en janvier 1986 après 2 ans d’action judiciaire. Le ministère de la Défense le promeut alors lieutenant-colonel. Commandeur de la Légion d’honneur, il avait reçu la médaille des évadés, en 2016, à Rennes, dans le cadre des cérémonies du 71e anniversaire du 8-Mai 1945.

Le soldat qui a souffert 20 ans pour la France est bien « un Français à part entière » La France l’avait oublié depuis 1953, dans les camps du Vietminh, le lieutenant-Colonel Huynh Ba Xuan est décédé samedi 1er décembre 2018, à Rennes, dans sa 89e année.

Un hommage particulier à été demandé par l’Amicale des anciens prisonniers internés, déportés, d’Indochine, et le Souvenir français. Il nous laisse un livre pour raconter son histoire extraordinaire « Oublié 23 ans dans les goulags viet-minh, 1953-1976 », éditions L’Harmattan.

A nous le souvenir, à lui l’immortalité !


Jean-Baptiste TOMACHEVSKY

Jean-Baptiste Tomachevsky

Mon grand-oncle paternel s’est engagé dans la Légion étrangère, parti combattre pendant la guerre d’Algérie. Il est mort pour la France en 1962. C’est lui qui m’a donné l’amour de la Patrie et l’envie de la servir. Appelé sous les drapeaux en février 95, j’ai servi dans 6 régiments et dans 5 armes différentes (le Train, le Génie travaux, l’artillerie sol-air, les Troupes de marine et l’infanterie). J’ai participé à 4 opérations extérieures et à une MCD (ex-Yougoslavie, Kosovo, Côte d’Ivoire, Guyane). Terminant ma carrière au grade de caporal-chef de 1ère classe, j’ai basculé dans la fonction publique hospitalière en 2013 en devenant Responsable des ressources humaines au centre hospitalier de Dieuze. J’ai décidé ensuite de servir la Patrie différemment en devenant Vice-président du Souvenir Français (Comité de Lorquin-57) où je suis amené à participer à une cinquantaine de cérémonies mémorielles par an. Je participe également à des actions mémorielles auprès de notre jeunesse. Je suis également porte-drapeau au sein de l’Union nationale des combattants (UNC) de Lorquin (57) et membre du conseil départemental de l’ONaCVG de la Moselle, collège 2 et 3. J’ai également créé sur un réseau social professionnel un compte qui regroupe près de 16 000 personnes dédié au Devoir de mémoire. Je transmets et partage les destinées de ceux qui ont fait le sacrifice de leur vie pour la France. J’ai rejoint THEATRUM BELLI en novembre 2024 pour animer la rubrique « Mémoires combattantes ».

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

Sénégal : la commémoration du massacre de Thiaroye, un dossier aux forts enjeux mémoriels et diplomatiques

80 ans après le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye, le Sénégal commémore ce drame historique. Entre hommage et quête de vérité, des zones d’ombre demeurent.

Par Clémence Cluzel – Le Point –

https://www.lepoint.fr/afrique/senegal-la-commemoration-du-massacre-de-thiaroye-un-dossier-aux-forts-enjeux-memoriels-et-diplomatiques-01-12-2024-2576813_3826.php

 

L'affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024. 
L’affiche annonçant les commémorations du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, au Sénégal, le dimanche 1er décembre 2024.  © Sylvain Cherkaoui/AP/SIPA

Le moment est historique et solennel pour le Sénégal en ce 1er décembre. Pour la première fois, à l’occasion des quatre-vingts ans de cette tuerie, l’État sénégalais commémore le massacre de Thiaroye, survenu au camp militaire du lieutenant Amadou Lindor Fall de Thiaroye, en banlieue de Dakar, le 1er décembre 1944. Ce jour-là, les tirailleurs sénégalais (des soldats originaires des colonies françaises d’Afrique subsaharienne ayant combattu pour la France lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale) sont massacrés sur ordre d’officiers français. Le tort de ces anciens prisonniers de guerre détenus dans des camps allemands sur le sol français, en attente depuis le 21 novembre au camp de Thiaroye de pouvoir rentrer chez eux ? Avoir réclamé leur prime ainsi que leurs arriérés de solde. Selon la version officielle, cette « mutinerie » aurait causé 35 décès. Un chiffre largement remis en cause par des historiens qui l’estiment plutôt à des centaines de morts.

C’est devant les 103 tombes in memoriam du cimetière du camp, entouré de plusieurs dirigeants (notamment africains à l’instar du président mauritanien également président de l’Union africaine), que le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye rend un hommage appuyé à ces tirailleurs. Une commémoration à laquelle assiste également le ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, représentant de la France. Le 28 novembre, le président Emmanuel Macron, dans une lettre adressée au président sénégalais, avait reconnu un « massacre », un mot auparavant jamais officiellement prononcé, les autorités françaises préférant parler de « mutinerie », au mieux de « répression sanglante » pour évoquer ce crime colonial. Une avancée considérable sur ce dossier sensible, mais est-ce pour autant la fin d’une bataille mémorielle entre les deux pays et l’assurance de faire la lumière sur cette journée du 1er décembre 1944 ?

Mémoire entravée et confisquée

« C’est un grand pas », s’est félicité Bassirou Diomaye Faye, sans omettre de pointer « la chappe de plomb » imposée par la France pendant des décennies sur ce pan de l’Histoire. Pendant quatre-vingts ans, c’est cette version officielle d’une mutinerie qui sera défendue et relayée par l’État français, quitte à modifier les documents pour tenter de masquer les preuves du massacre et corroborer le récit national. « Un mensonge d’État sur une ignominie », dénonce l’historienne Armelle Mabon*, qui travaille depuis plus de vingt ans sur le sujet et réclame la fin de l’omerta. Au-delà du nombre de victimes sous-estimé, qui oscillerait entre 300 et 400, trente-quatre tirailleurs ont également été condamnés, accusés d’être les instigateurs de cette révolte, avant d’être amnistiés deux ans plus tard (deux d’entre eux sont décédés en prison) sans indemnités. Pour avoir remis en cause l’histoire officielle, le film Camp de Thiaroye (1988) du cinéaste Ousmane Sembene sera longtemps censuré et interdit de diffusion, en France comme au Sénégal. « C’est une reconnaissance bien tardive. La mémoire a été entravée pendant des années », réagit Mamadou Diouf à cette lettre. L’historien, professeur à l’université de Columbia (New York), est aussi le président du comité chargé de l’organisation de la commémoration du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye.

Depuis 2004, la célébration d’un hommage aux tirailleurs massacrés était portée par des associations ou les familles des victimes, avec peu de retentissement dans la population et sans aucun soutien de l’État. « Il est très clair que les politiciens qui se sont succédé depuis l’indépendance ont subi une pression qui a fait qu’ils étaient plus ou moins indifférents à Thiaroye et qu’ils n’ont pas essayé de commémorer ou rendre hommage aux tirailleurs », exception faite d’Abdoulaye Wade qui a instauré la journée du tirailleur (le 23 août), explique l’historien. Le nouveau pouvoir amorce donc un virage et une rupture nette avec l’attitude conciliante des prédécesseurs qui cherchaient à éviter toute remise en cause pour ne pas froisser la France. Le président sénégalais et son Premier ministre, Ousmane Sonko, défendant un programme souverainiste, veulent inscrire cet épisode tragique dans l’histoire nationale. « Le pouvoir a choisi Thiaroye pour signaler la nature de son engagement au souverainisme, mais aussi comme un engagement pour partager une histoire à venir, celle de la solidarité et de l’unité africaine », développe M. Diouf.

Le massacre est en effet une tragédie partagée par plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée). Dans cette vision panafricaniste, les prochaines commémorations du massacre de Thiaroye doivent ainsi être des co-organisations africaines. Les problématiques continuent cependant de faire obstacle à cette recherche de vérité. Il a fallu attendre dix ans après la remise de la copie des archives françaises au Sénégal en 2014 à la suite du discours de François Hollande, pour que ces dernières puissent être consultées par le comité de commémoration du massacre de Thiaroye… Mais surtout, l’obstruction délibérée de la France dans l’accès à ses archives persiste de nos jours.

Des zones d’ombre et histoire réappropriée

« Il y a eu la volonté délibérée de la France de dissimuler les archives. François Hollande n’a pas remis toutes celles disponibles », déplore Mamadou Diouf. Et parmi celles manquantes figurent les informations essentielles telles que le nombre de victimes, les lieux où elles ont été enterrées… autant de manques qui entretiennent des zones d’ombre. Car sans informations sur les lieux d’inhumation, impossible par exemple de lancer des travaux de fouille… « Ce que nous voulons, c’est la vérité et toute la vérité sur ce qu’il s’est passé ce matin-là. Le Sénégal demande tout simplement d’avoir accès à toute la documentation pour pouvoir engager une recherche et éclairer l’événement afin d’établir les faits », insiste-t-il. Du côté de l’administration française, on assure que tous les documents ont été transmis et que ceux manquants sont soit perdus soit brûlés.

En attendant, le comité a dressé une liste des archives identifiées comme étant en possession de la France et y a envoyé une délégation du 18 au 28 novembre pour faire un état des lieux. Passée par Morlaix, Aix-en-Provence ou encore Rennes, elle a déniché plusieurs actes de décès de tirailleurs sénégalais à l’hôpital de Dakar entre 1944 et 1945. Des découvertes qui font avancer le travail de recherche scientifique et de collecte des données entrepris par le comité de commémoration dont la deuxième mission consiste à établir les faits. Le comité doit remettre un livre blanc, qui recensera les conclusions de ses travaux ainsi que des recommandations, en avril 2025. Une sous-commission sera également chargée de collecter les demandes de révision et de réparation. « Les réparations ne sont pas seulement financières, mais aussi morales », souligne Mamadou Diouf.

Ces obstacles pour accéder aux archives relancent le débat sur le récit historique des événements et la bataille mémorielle qui en découle. « Ce travail nous permet de reprendre le contrôle de notre récit historique, de se le réapproprier pour produire le nôtre et ne plus avoir un récit exclusivement contrôlé par les vainqueurs. On aura un récit qui permettra d’éclairer de manière plurielle un événement », plaide-t-il. Un colloque scientifique est ainsi organisé du 2 au 3 décembre à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar avec comme thème « Enjeux historiographiques, fictions et imaginaires » pour poursuivre cette réflexion. Axe également central pour l’inscription dans le récit national, le volet transmission est en chantier. Le programme scolaire sénégalais ne fait pas mention du massacre de Thiaroye. « Il est capital que les populations puissent s’approprier cette histoire, il faut investir dans la jeunesse. Les jeunes sont engagés pour faire reconnaître cette histoire, cela donne de l’espoir », se félicite Dieynaba Sarr, professeur de français au lycée de Thiaroye, qui sur son temps libre mène des ateliers d’information sur cet événement avec des élèves de son établissement.

Vers une refonte des relations franco-africaines

Ces dernières années, la pression s’était accentuée sur la France pour demander des actes forts dans la reconnaissance du massacre à travers plusieurs mesures, dont en dernier lieu l’octroi en juin dernier de la mention « morts pour la France » à six tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye. Une avancée notable comme une brèche dans le mensonge d’État français qui avait relancé le débat, après la vive critique d’Ousmane Sonko à l’encontre de la France. Un grain de sable qui a continué d’enrayer un peu plus le mécanisme de la version officielle, toujours autant décriée. En France, une demande pour la création d’une commission d’enquête parlementaire a été proposée et devrait prochainement être déposée auprès de l’Assemblée nationale. Le but de cette commission, que les signataires désirent nommer « Ousmane Sembene », est d’obtenir la reconnaissance pleine et entière du massacre, l’accès à l’ensemble des archives pour le Sénégal et permettrait également la poursuite des personnes ayant fait obstruction aux faits. « Cela fait huit décennies que ce massacre pèse sur la mémoire sénégalaise, française et les relations entre les deux pays. Le temps est venu, il faut en finir avec ce silence beaucoup trop lourd », rapportait le député LFI Aurélien Taché, parmi les initiateurs de la proposition. La reconnaissance du massacre souligne plus encore les incohérences et manquements du dossier. « Si la France parle de massacre, c’est qu’elle n’a plus le choix. Elle se trouve dans une situation où elle est obligée d’engager la discussion. Il y a une évolution contrainte, mais il ne faut pas lire cela comme le Sénégal en train de faire pression sur la France ou contre la France », précise Mamadou Diouf. La reconnaissance par Emmanuel Macron fait espérer à Bassirou Diomaye Faye un engagement « franc, collaboratif et entier » de la France.

« Elle est obligée de coopérer avec les peuples africains et de les aider dans l’accès à la vérité. Il y a une revendication à la justice et à la souveraineté, les rapports ont changé. Pour le bien des échanges entre nos deux pays, elle doit revoir sa considération et son rapport », appuie Dieynaba Sarr. Derrière l’aspect mémoriel de ce dossier, ce sont en effet des enjeux diplomatiques qui sont en ligne de mire. Il s’agit des rapports Sénégal-Afrique, mais aussi des relations Afrique-France. La jeunesse africaine, désireuse d’un changement de paradigme, rejette la politique française et désire rompre avec la Françafrique. Et dans un contexte où la France entretient des relations très orageuses avec ses anciennes colonies, particulièrement dans les pays du Sahel, le massacre de Thiaroye pourrait s’ajouter aux griefs en cas d’immobilisme des autorités françaises. « Les enjeux aujourd’hui sont liés à la mondialisation et à ses conséquences en termes de relations économiques, politiques, culturelles, mais aussi des relations produites par toutes les questions qui sont liées à la migration, à l’intensification du racisme et de la xénophobie. Dans le recentrage de ces pays se joue toute la question de la souveraineté, politique et économique, avec des relations qui se distendent et sont en train d’être révisées pour se repositionner dans un monde en pleine transformation », analyse Mamadou Diouf.

Défense de la mémoire du Général Bigeard

Défense de la mémoire du Général Bigeard

Billet d’humeur de la rédaction – ASAF – publié le 8 novembre 2024

https://www.asafrance.fr/defense-de-la-memoire-du-general-bigeard/


En démocratie, donc en France, tout le monde a le droit de s’exprimer et de faire part de ses opinions. Encore faudrait-il qu’elles soient valablement étayées et émises par des associations relativement objectives ou des personnalités au-dessus de tout soupçon.

Dans le cas présent, il s’agit d’un mouvement d’humeur émis par des associations de gauche voire d’extrême-gauche et de personnes de même tendance et bien peu connues du grand public d’ailleurs et qui s’insurgent contre l’érection de la statue du général Marcel Bigeard à Toul, sa ville natale. Une affaire amorcée par une pétition lancée le 10 mars 2024 et relancée par une manifestation le 25 mai dernier demandant d’interdire la présence de cette statue sur le domaine public.

En effet, la statue ayant été financée exclusivement par des fonds privés, les contestataires n’avaient plus d’argument à critiquer autre que le lieu d’édification. C’est bien léger comme argumentaire.

Mais que reprochent-ils donc au Général Marcel Bigeard ?

D’être un fils du peuple qui a commencé comme soldat de seconde classe et qui a terminé Général de Corps d’Armée ?

D’avoir été prisonnier des Allemands en 1940 et de s’être évadé pour entrer dans la Résistance ? D’avoir effectué 3 séjours en Indochine avant d’être fait prisonnier par le Vietminh après Dien Bien Phu ?

D’avoir fait deux séjours en Algérie où il a été gravement blessé deux fois ? Cela n’a pas empêché Bigeard de reconnaître le courage de ses adversaires qu’ils appartiennent au Vietminh ou au FLN. En particulier lorsqu’il évoquait le commandant Azzedine, en disant « On ne se déshonore pas en rendant hommage à l’adversaire ».

Un parcours militaire aussi exceptionnel au service de la France lui a valu d’être décoré de la plaque de Grand-Croix de la Légion d’Honneur par le Président Coty, le 14 juillet 1956.

Puis comme si cela ne suffisait pas, il a servi sa Patrie en s’engageant en politique. Nommé Secrétaire d’État à la Défense par Valéry Giscard d’Estaing, il a été ensuite deux fois élu député de la 5ème circonscription de Meurthe et Moselle chaque fois contre des adversaires de gauche.

Après son décès, pour lui rendre hommage, la 50ième promotion de l’École Militaire Interarmes (EMIA) a pris comme nom de baptême « Général Bigeard ».

Que reprochent donc à Marcel Bigeard ces associations plus ou moins confidentielles et ces soi-disant personnalités irréprochables.

Une accusation de torture en Algérie que le général Bigeard a toujours nié ?

Si cela avait été le cas, aurait-il été nommé au Gouvernement de Giscard d’Estaing ? Aurait-il été élu député comme ces deux députés LFI-NUPES qui le critiquent et dont pourtant l’un des leurs est fiché S ? Pour le bien et la grandeur de la France, naturellement !

Pour critiquer de tels états de service, il faut en avoir quelques-uns soi-même pour être crédible. Sous peine d’être ridicule.

Cette contestation n’est donc que politique, simplement pour permettre aux contestataires d’exister et de critiquer les valeurs de la République en général et de l’Armée en particulier.

Ce n’est pas nouveau.

Déjà en 1978, Mr Yvon Bourges, Ministre de la Défense, a obligé le Colonel Érulin alors en pleine opération à Kolwezi, en Afrique australe avec le 2ème REP, de recevoir Alain Ménargues, journaliste à France Inter, pour répondre à la question de tortures qu’il aurait infligées en Algérie 15 années auparavant. Tout ceci sous la pression d’une gauche qui voulait décrédibiliser une opération de sauvetage en vies humaines réussie, mais lancée par un gouvernement de droite. Cette opération « Bonite » aura coûté quand même la vie à 5 légionnaires, mais pour sauver plusieurs centaines d’autres vies.

Hélas certains contestataires n’ont que faire de la vérité.

On peut alors leur conseiller d’aller voir la stèle en marbre de 3,65m de haut et pesant 8 tonnes avec le profil sculpté du général Bigeard érigée devant la caserne Laperrine à Carcassonne. Et s’ils ont le courage d’aller frapper au poste de garde du 3ème RPIMa, son ancien régiment, pour faire valoir leur point de vue, nul doute qu’ils y recevront le meilleur accueil !

En conclusion, s’il y a bien un domaine où les Armées en général et Marcel Bigeard en particulier n’ont pas de leçon à recevoir des politiques et autres affidés, c’est bien celui de la morale.


Colonel (h) Christian Châtillon
Délégué National de l’ASAF

Les Forces aériennes stratégiques : 60 ans de dissuasion nucléaire

par AASSDN – publié le 20 octobre 2024

http://AASSDN.org/


Découvrez les 6 choses à retenir sur la dissuasion nucléaire grâce au dossier mis à votre disposition par l’armée de l’Air et de l’Espace.

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar

Beyrouth, 23 octobre 1983 : Souvenons-nous des paras du Drakkar



Voici 41 ans, le 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin : un double attentat frappe la Force multinationale de sécurité à Beyrouth. En quelques secondes, 241 marines américains et 58 parachutistes français sont tués (55 du 1er RCP et 3 du 9e RCP). Le poste Drakkar, occupé par les paras français, vient de subir la frappe la plus terrible contre l’armée française depuis les affrontements de la décolonisation. 

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Bruno Racouchot était alors officier au 6e RPIMa. Il nous a aimablement autorisé à reproduire le texte d’hommage en annexe, initialement paru dans le cadre du très confidentiel « Club des chefs de section paras au feu ». 

23 octobre 1983, Beyrouth, 6 h 30 du matin, Drakkar est rayé de la carte 

Le 23 octobre 1983, les parachutistes français présents à Beyrouth dans le cadre de la Force Multinationale de Sécurité, étaient victimes d’un attentat. 58 d’entre eux devaient trouver la mort dans l’explosion du poste « Drakkar ». Le texte d’hommage qui suit a été publié dans le cadre du Club des chefs de section paras au feu, qui compte quelques anciens de cette mission sanglante, depuis le Général François Cann, alors à la tête de la force française, et le Général Paul Urwald, qui commandait alors le 6e RIP, jusqu’au benjamin du Club, Bruno Racouchot, officier-adjoint d’une des quatre compagnies déployées à Beyrouth-Ouest. Plus particulièrement en charge de la section de protection du PC du 6e RIP, Bruno Racouchot décrit la configuration extrêmement délicate et sanglante dans laquelle furent alors plongés les parachutistes français.

Rappel du contexte historique 

En juin 1982, Israël lance l’opération « Paix en Galilée », envahit le Sud-Liban et entreprend fin juin-début juillet l’assaut de Beyrouth-Ouest où les Palestiniens sont encerclés dans une nasse, les Syriens refusant de les accueillir sur leur territoire. Un cessez-le-feu est appliqué début août. La communauté internationale, soucieuse d’éviter des affrontements sanglants, décide d’intervenir. Sous la protection des parachutistes français, soutenus par les soldats américains et italiens, les forces palestiniennes sont exfiltrées en douceur. De 500.000 à 600.000 Palestiniens restent dans les camps.

Le 23 août, Béchir Gemayel est élu Président du Liban. Le 15 septembre, il est assassiné. Israël investit Beyrouth-Ouest. Du 16 au 18 septembre ont lieu les massacres de populations civiles dans les camps de Sabra et Chatila, où des centaines de civils palestiniens sont tués. Le 21 septembre, Amine Gemayel, frère aîné de Béchir, est élu président. Le 24 septembre, pour répondre à une opinion internationale scandalisée par les tueries dont les Palestiniens ont été victimes, une Force Multinationale de Sécurité à Beyrouth est créée, intégrant des contingents français, américains, italiens et une poignée d’Anglais.

Dès lors, au Liban, la situation ne cesse de se dégrader. Massacres de populations civiles et attentats se multiplient. Les soldats de la Force Multinationale sont victimes d’innombrables attaques et de bombardements. Si les Américains sont cantonnés à l’aéroport et les Italiens en périphérie de la ville, si les Anglais se contentent de mener des missions de renseignement avec un escadron spécialisé, les Français, eux, reçoivent la mission la plus délicate, au cœur même de Beyrouth.

Tous les quatre mois, les contingents sont relevés, souvent avec des pertes sévères. En septembre 1983 a lieu la relève pour les légionnaires français installés à Beyrouth, remplacés par les parachutistes de la 11e Division parachutiste. C’est l’opération Diodon IV, qui deviendra l’engagement le plus sanglant pour l’armée française depuis les guerres coloniales. Le 3e RPIMa s’installe en secteur chrétien, dans la perspective d’une offensive face au « Chouf », pour pacifier la montagne où les Druzes s’en prennent violemment aux chrétiens. Des éléments du GAP, 1er RHP, 17e RGP, 12e RA, 35e RAP, 7e RPCS et le commando marine Montfort sont également à pied d’œuvre.

Le secteur le plus dangereux, celui de Beyrouth-Ouest, est dévolu à un régiment de marche, le 6e RIP, Régiment d’Infanterie Parachutiste, qui a pour mission principale la protection des populations civiles palestiniennes traumatisées des camps de Sabra et Chatila. Ce régiment, placé sous le commandement du colonel Urwald, a été formé spécialement pour cette opération, et est constitué de quatre compagnies de parachutistes : deux compagnies du 6e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine basé à Mont-de-Marsan, une compagnie du 1er Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pau, une compagnie du 9e Régiment de Chasseurs Parachutistes basé à Pamiers.

Le quotidien d’un chef de section para au feu

C’est une vraie leçon de vie dont vont bénéficier les jeunes chefs de section plongés dans la fournaise de Beyrouth. Les Américains sont à l’époque encore sous le coup de la chute de Saïgon survenue à peine huit ans plus tôt. Ils sont repliés sur l’aéroport, ne sortant quasiment pas de leurs abris, usant de blindés M113 pour traverser le tarmac de l’aéroport. Sous des tirs d’artillerie incessants, en septembre 1983, nos jeunes paras ont remplacé les légionnaires. A la différence des professionnels du 3e RPIMa, d’où viennent-ils ces jeunes du 6e RIP ? Ce sont pour la plupart des appelés, d’un genre un peu particulier cependant. Volontaires TAP, volontaires outre-mer, volontaires service long, pour beaucoup d’entre eux, ils ont déjà bénéficié d’une solide formation et ont effectué des « tournantes » hors métropole.

Mentalement et physiquement préparés, ils pressentent cependant dès leur arrivée que cela va être dur, très dur même. Mais ils vont faire front et s’adapter. Avec modestie, calme, détermination. Certes, en débarquant, chacun d’entre eux éprouve l’étrange picotement qui monte le long de la colonne vertébrale. Heureusement, ils ont à leurs côtés les « anciens », à peine plus âgés qu’eux, qui ont « fait » le Tchad, la Mauritanie, le Zaïre, Djibouti, et pour certains déjà, le Liban… Tous ces noms de TOE lointains les ont fait rêver à l’instruction, quand ils n’avaient déjà qu’un souhait, se montrer à la hauteur de ceux qui les avaient précédés sous le béret rouge. Aujourd’hui, le rêve se trouve enfin confronté brutalement à la réalité.

Beyrouth est un piège monumental. On a beau avoir bourlingué, on a beau avoir entendu tirer à ses oreilles, quand on est un jeune chef de section, débarquer dans un tel univers constitue une épreuve d’ordre quasiment initiatique. On n’ose pas le dire, mais on le ressent d’emblée jusqu’au tréfonds de soi. Avec la secrète question qui taraude et que l’on n’ose pas exprimer : saurai-je me montrer digne de mon grade et de mon arme ? Ce sont d’abord les missions ordinaires, protection des postes, ravitaillement, reconnaissance, tâches d’entretien peu glorieuses mais tellement nécessaires, que l’on accomplit sereinement parce que même si le contexte est moche, on leur a appris à être beaux. Les jeunes paras mûrissent vite. Les visages se creusent, le manque de sommeil se fait vite sentir. Paradoxalement, les relations soudent les esprits et les corps. De secrètes complicités se nouent. Plus besoin de longs discours, les ordres s’exécutent machinalement, avec un professionnalisme qui prouve que, par la force des choses, le métier des armes entre dans la peau de chacun.

L’ennemi est partout et nulle part

Le jeune chef de section apprend très vite à connaître son secteur. Il a la chance d’avoir à ses côtés des hommes décidés encadrés par des sous-officiers d’élite, totalement dévoués à leur tâche. Il rôde, de jour comme de nuit, pour imprimer dans ses neurones les itinéraires, les habitudes, les changements de comportements. Rien n’est anodin. Il sait qu’il lui faut lier connaissance, observer, échanger, parler, surveiller, lire, écouter… Pas de place pour la routine. Plus que jamais, il faut faire preuve d’initiative, agir à l’improviste, sortir des postes, aérer les périmètres de sécurité, ne pas céder à la tentation mortelle de se recroqueviller dans les postes, derrière les sacs de sable et les merlons de terre. Des milliers d’yeux observent les paras français depuis les tours qui encerclent les positions. Ici, l’aspect psychologique est capital. On est en Orient. Il n’est pas permis de perdre la face. Les Français ont des moyens dérisoires en regard de leurs adversaires potentiels ou des grands frères américains, qui peuvent d’un simple appel radio, déclencher la venue de norias d’hélicoptères. En revanche, les Français savent s’immerger dans la population. Ils mangent comme le Libanais de la rue, se mélangent aux civils qui déambulent dans des marchés grouillants. Savoir se faire apprécier, c’est se faire respecter. Un sourire généreux sur une face de guerrier, c’est rassurant. Ça prouve la force plus que les armes. C’est cette stature des paras français qui fait très vite leur réputation dans la population.

Ce profil si particulier des soldats français, ce sont les chefs de section et les sous-officiers qui l’impriment à leurs hommes. Quels que puissent être les risques, ils ne changeraient leur place pour rien au monde. Ils savent qu’ils vivent une aventure inouïe, où chacun va pouvoir aller à l’extrême limite de ses possibilités. Le chef de section para a beau n’avoir que vingt-cinq ou trente ans, il sait qu’il passe là une épreuve pour laquelle il s’est préparé depuis des années ou depuis toujours, celle du feu. Il devine intuitivement qu’il va peut-être lui être donné d’accéder à une autre forme de connaissance de la vie, qu’il va opérer une mue intérieure subtile que seuls « ceux qui savent » et les anciens comprendront. Il sait qu’il reviendra de Beyrouth, « pareil sauf tout »… Ceux qui ont lu Ernst Jünger savent ce qu’il entend quand il parle de « La Guerre, Notre Mère »…. Drakkar va littéralement « sublimer » cet état d’esprit.

L’épreuve

Deux jours avant Drakkar, le 21 octobre 1983, je suis désigné pour conduire, avec le capitaine Lhuilier, officier opération du 6e RIP, un entraînement commun de la Compagnie Thomas du 1er RCP avec les marines américains à l’aéroport. Il faut bien que la connaissance de la langue de Shakespeare serve à quelque chose… Lhuilier est une figure des paras-colos. Il a eu son heure de gloire avec le 3e RIMa au Tchad quelques années avant, où coincé dans une embuscade, il a fait monter sa compagnie à l’assaut des rebelles, baïonnette au canon, en chantant « La Marie »… Dans l’épreuve qui se profile à l’horizon, il va se révéler un roc inébranlable.

Marines et paras français au coude à coude à l’entraînement… Comment imaginer en voyant tous ces grands gaillards crapahuter dans la poussière et se livrer à des exercices de tir rapide, que la plupart d’entre eux reposeront bientôt dans un linceul de béton ?… Mis en alerte le samedi soir, nous dormons tout équipés sur nos lits de camp, l’arme à portée de main. On entend bien des explosions, des tirs d’artillerie sporadiques. Des rafales d’armes automatiques titillent les postes. Mais va-t-on s’inquiéter pour si peu ?

Dimanche 23 octobre 1983, 6 h 30 du matin. L’aube se lève. D’un coup, une explosion terrible, une lourde colonne de fumée qui s’élève plein sud dans le silence du dimanche matin. L’aéroport et les Américains sont mortellement touchés. Puis une minute après, encore une autre, plus proche cette fois, d’une puissance tout aussi ahurissante. On entend en direct sur la radio régimentaire que Drakkar a été rayé de la carte. Ce poste était occupé par la compagnie du 1er RCP commandée par le capitaine Thomas, dont heureusement un détachement était de garde à la Résidence des Pins, le QG français. Bilan des deux attentats : 241 marines et 58 paras français sont tués, sans compter d’innombrables soldats grièvement blessés, évacués en urgence en Europe.

Dès la première explosion, chacun a bondi à son poste. On comprend d’emblée que c’est terrible. Les ordres fusent à toute vitesse. Des équipes partent pour le lieu de l’attentat, les autres sécurisent les postes. Chacun sait ce qu’il a à faire. On est sous le choc, mais le professionnalisme l’emporte. La mécanique parachutiste, répétée inlassablement à l’entraînement, montre ses vertus en grandeur réelle. On va faire l’impossible pour sauver les camarades. Malheureusement, beaucoup sont déjà morts, déchiquetés, en lambeaux, que l’on ramasse jour après jour, nuit après nuit. On a entendu certains d’entre eux râler sous les ruines, alors que nous étions impuissants à les dégager des amas de gravats. Ils sont là, pris dans l’étreinte mortelle de l’acier et du béton, ceux pour lesquels nous sommes arrivés trop tard, ceux avec lesquels hier on riait, on plaisantait, on rivalisait. Aucun des paras qui va relever ses camarades en cette semaine d’octobre n’oubliera ces pauvres corps, « tués par personne », nobles et dignes jusque dans la mort, magnifiques soldats équipés et prêts pour le combat, parfois la main crispée sur leur Famas. Sans doute est-ce parce qu’ils ont rejoint les légions de Saint-Michel que leur souvenir semble éternel. Le mythe para en tous cas l’est. Maintenant plus que jamais. Et tous, nous communions alors dans une espèce de rêve étrange et éveillé, où la mort étonnamment proche se mêle inextricablement à la vie, en un jeu dont les règles nous échappent. Un nouveau jalon funèbre est posé après les combats des paras de la Seconde Guerre mondiale et bien sûr ceux des grands anciens d’Indochine et d’Algérie.

Le piège fatal

En signe de solidarité avec nos hommes, le Président de la République, François Mitterrand, vient rendre un hommage aux morts le 24 octobre. Les paras savent déjà qu’ils sont pris dans un traquenard monstrueux. Jour après jour, ils sont victimes de nouveaux attentats, dans un secteur totalement incontrôlable, où pullulent les milices, les mafias et les « services ». Personne ne sait réellement qui fait quoi, les informations sont sous influence, rien n’est sûr, tout est mouvant. Sans ordres ni moyens légaux, les paras sont contraints de se battre au quotidien pour assurer la survie de leurs postes et continuer à protéger les populations. Aucun renfort notable n’est envoyé de métropole, hormis une compagnie de courageux volontaires du 1er RCP venus prendre la place de leurs prédécesseurs. En dépit des nombreux morts et blessés qu’ils vont relever dans leurs rangs, les paras ne doivent compter que sur leur savoir-faire, leur calme et leur professionnalisme pour se défendre tout en évitant de répondre aux provocations, refusant parfois de tirer pour préserver les civils. À ce titre, la mission aura certes été remplie, mais nombreux sont les soldats français qui reviendront avec l’amer sentiment d’avoir perdu leurs camarades sans les avoir vengés.

Chacun sait alors que nous vivons un moment unique de notre vie, dont l’intensité et la profondeur nous bouleversent. L’aumônier, le père Lallemand, a le don de savoir parler aux soldats. Que l’on soit croyant pratiquant ou athée, agnostique ou païen, il sait trouver les mots qui apaisent et réconfortent. Paradoxalement, Drakkar ne va pas briser les paras, mais les souder. Les semaines à venir vont être infernales. Et cependant, tous font face avec une abnégation sublime. Le plus humble des parachutistes joue consciencieusement son rôle dans un chaudron où se multiplient les attentats. Bien des nôtres vont encore tomber, assassinés lâchement la plupart du temps. Mais tous accomplissent leur devoir avec fierté et discrétion. Nous recevons des mots et des cadeaux de métropole, comme ces Landais qui nous envoient du foie gras à foison pour Noël, ou encore ces enfants qui nous dédient des dessins touchants. Les paras sont soudés, et même la mort ne peut les séparer.

Dans la nuit du 25 décembre, les postes de Beyrouth-Ouest devenus indéfendables dans la configuration géopolitique de l’époque sont évacués. Fin janvier-début février, les paras  exténués sont rapatriés sur la France. Le contingent de « Marsouins » qui les remplace ne restera pas longtemps. Américains et Italiens quittent le Liban fin février. En mars, le contingent français rembarque, ne laissant sur place que des observateurs.

Les enseignements à tirer

Jeune ORSA à l’époque, ayant la volonté de préparer l’EMIA, je décide cependant de quitter l’armée. Cinq années de boxe intensive et à bon niveau m’ont appris qu’un coup encaissé doit toujours être rendu, au centuple si possible. Déphasage. Je ne me sens pas l’âme d’un « soldat de la paix ». Mais les paras vont rester ma vraie famille. Depuis, j’ai fait le tour du monde, connu d’autres aventures. J’ai passé des diplômes, « fait la Sorbonne », créé une entreprise. Mais rien n’a été oublié. Mes chefs d’alors sont devenus des amis. Nous avons eu des patrons magnifiques, Cann, Urwald, Roudeillac, des commandants de compagnie qui étaient des meneurs d’hommes, de vrais pirates pour lesquels on aurait volontiers donné sa vie, des sous-officiers et des soldats avec des gueules sublimes. Tout cela, mon ami le journaliste Frédéric Pons l’a mis en relief avec brio dans son livre « Les Paras sacrifiés » publié en 1993 et réimprimé en 2007 sous le titre « Mourir pour le Liban ». Il faut dire qu’à la différence de bien d’autres, Pons sait de quoi il parle. Ancien ORSA du 8e RPIMa, il a vécu l’une des premières missions de la FINUL au sud-Liban au tout début des années 80.

En novembre 2007,  j’ai été invité à prononcer une courte allocution à Coëtquidan, devant les élèves de l’EMIA qui avaient choisi pour parrain de leur promotion le Lieutenant de La Batie. J’avais connu Antoine quand il était à Henri IV, je l’avais ensuite revu lors de l’entraînement commun à l’aéroport le 21 octobre 1983… puis mort quelques jours après. Ayant quitté l’armée française comme lieutenant, j’ai donc souhaité parler à ces élèves officiers comme un vieux lieutenant à de jeunes lieutenants. Il faut savoir tirer le meilleur de toute expérience, surtout quand elle s’est révélée tragique. Bref, savoir transformer le plomb en or. Il fallait leur dire ce qu’une OPEX comme celle-là nous avait appris concrètement, nous fournissant des enseignements qui nous servent au quotidien dans la guerre économique.

Avec le recul, ce qui demeure certain, c’est que, sans en avoir eu alors une pleine conscience, Beyrouth anticipait le destin de l’Occident. Le terrorisme est devenu une menace permanente, y compris au cœur de notre vieille Europe. Mais en ce temps-là, nous autres, modestes chefs de section, n’étions pas à même d’analyser les basculements géopolitiques en gestation. Plus modestement, Beyrouth nous a révélé la valeur des hommes. Beyrouth nous a enseigné bien des sagesses. Pour ceux qui surent le vivre avec intelligence, Beyrouth fut une épreuve initiatique au sens premier du terme, qui nous a décillé les yeux sur nous-mêmes et sur le monde. Ce que les uns et les autres avons appris dans ce volcan, aucune école de management, aucun diplôme d’université, ne nous l’aurait apporté, ni même l’argent ou les honneurs. Nous avons appris le dépassement de soi pour les autres, la valeur de la camaraderie, la puissance des relations d’homme à homme fondées sur la fidélité, la capacité à transcender sa peur, la reconnaissance mutuelle, l’estime des paras pour leur chef et l’amour fraternel du chef pour ses paras… Des mots qui semblent désuets dans  l’univers qui est le nôtre, mais qui reflètent cependant un ordre supérieur de connaissance des choses de la vie. Cette richesse intérieure acquise, nous en ferons l’hommage discret à tous nos camarades tombés en OPEX le 23 octobre, lorsque, à 6 h 30 du matin, nous penserons à ceux du Drakkar. Comme nos grands anciens, montera alors de nos lèvres vers le ciel la vieille chanson : « j’avais un camarade… »

Bruno Racouchot, ancien lieutenant au 6e RPIMa

L’auteur : DEA de Relations internationales et Défense de Paris-Sorbonne, maîtrise de droit et de sciences politiques, Bruno RACOUCHOT, est aujourd’hui le directeur de la société Comes Communication, créée en 1999, spécialisée dans la mise en œuvre de stratégies et communication d’influence.


Le 27 septembre 2024, Tsahal élimine le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui avait été impliqué dans les attentats terroristes de Beyrouth de 1983, ainsi que son cousin et potentiel successeur en la personne de Hachem Safieddine.


IN MEMORIAM Drakkar

Capitaine THOMAS Jacky
Capitaine OSPITAL Guy
Lieutenant DEJEAN DE LA BÂTIE Antoine
Sous-lieutenant RIGAUD Alain
Adjudant BAGNIS Antoine
Adjudant MORETTO Michel
Sergent DALLEAU Christian
Sergent DAUBE Vincent
Sergent LEBRIS Jean-Pierre
Sergent LONGLE Yves
Sergent OLLIVIER Gilles
Caporal-chef BENSAIDANE Djamel
Caporal-chef BERIOT Laurent
Caporal-chef CARRARA Vincent
Caporal-chef DUTHILLEUL Louis
Caporal-chef GRELIER Xavier
Caporal-chef LOITRON Olivier
Caporal-chef MARGOT Franck
Caporal-chef SERIAT Patrice
Caporal-chef VIEILLE Hervé
Caporal GIRARDEAU Patrice
Caporal HAU Jacques
Caporal JACQUET Laurent
Caporal LAMOTHE Patrick
Caporal LEPRETRE Dominique
Caporal LEROUX Olivier
Caporal MUZEAU Franck
Caporal THOTEL Laurent
Parachutiste de 1ère classe GASSEAU Guy
Parachutiste de 1ère classe GAUTRET Rémy
Parachutiste de 1ère classe JULIO François
Parachutiste de 1ère classe PRADIER Gilles
Parachutiste de 1ère classe TARI Patrick
Parachutiste de 1ère classe THÉOPHILE Sylvestre
Parachutiste BACHELERIE Yannick
Parachutiste BARDINE Richard
Parachutiste CALAND Franck
Parachutiste CHAISE Jean-François
Parachutiste CORVELLEC Jean
Parachutiste DELAITRE Jean Yves
Parachutiste DEPARIS Thierry
Parachutiste DI-MASSO Thierry
Parachutiste DURAND Hervé
Parachutiste GUILLEMET Romuald
Parachutiste KORDEC Jacques
Parachutiste LASTELLA Victor
Parachutiste LEDRU Christian
Parachutiste LEVAAST Patrick
Parachutiste LEVERGER Hervé
Parachutiste MEYER Jean-Pierre
Parachutiste PORTE Pascal
Parachutiste POTENCIER Philippe
Parachutiste RAOUX François
Parachutiste RENAUD Raymond
Parachutiste RENOU Thierry
Parachutiste RIGHI Bernard
Parachutiste SCHMITT Denis
Parachutiste SENDRA Jean

Lire aussi : Déroute à Beyrouth, de Michel GOYA

Crédit : DR.
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