Les guerres de demain ne se gagneront pas sans IA : pour l’armée française, tout se joue maintenant

Les guerres de demain ne se gagneront pas sans IA : pour l’armée française, tout se joue maintenant

Emmanuel Macron au Sommet pour l’action sur l’IA, le 11 février 2025.AFP

 

Défense. Le sommet de Paris sur l’intelligence artificielle marque le basculement des programmes militaires français vers cette technologie devenue indispensable.

La guerre en Ukraine n’est pas qu’une confrontation à base d’obus et de drones. C’est aussi une bataille d’IA. Pour détecter plus vite les cibles russes et les neutraliser, les Ukrainiens ont entraîné des IA sur ce qui s’est révélé être un gisement précieux d’informations : les millions d’heures de séquences filmées par leurs drones. De quoi repérer 12 000 équipements russes par semaine, a revendiqué le ministère ukrainien de la Défense, grâce à ce système baptisé « Avengers », comme les superhéros hollywoodiens de l’univers Marvel.

Les guerres actuelles ne se passent plus d’IA. Celles de demain ne se gagneront pas sans elle. C’est ce qu’il ressort du sommet de Paris sur l’IA, au cours duquel le ministre français des Armées a souligné que cette technologie était une « rupture dans la manière de faire la guerre ». Dans la compétition en cours, il serait donc dommageable pour la France d’accumuler du retard, face aux mastodontes américains et chinois. Les succès futurs se jouent maintenant. « Comme l’atome en son temps, la maîtrise de l’IA de défense est un outil indispensable de souveraineté », a insisté Sébastien Lecornu, à l’occasion de la conférence organisée à l’Ecole militaire, en marge de celles du Grand Palais. La même semaine, le ministère a donné accès à sa propre solution d’IA générative, GenIAI, accessible sur son réseau Intradef.

« Ecosystème très dynamique« 

L’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense (Amiad), lancée en mai dernier, est à la pointe de cette ambition. Et, bonne nouvelle, elle est dirigée par un ingénieur mixant le meilleur des deux mondes, celui de l’armement et celui des grandes entreprises de tech. « On a un écosystème très dynamique, avec beaucoup d’entreprises, nous sommes dans les meilleurs mondiaux, affirme Bertrand Rondepierre, auparavant employé au laboratoire d’IA de Google, DeepMind. Tout l’enjeu pour nous c’est de transposer cela dans le domaine militaire« . Et de préciser : « Notre sujet, ce n’est pas la technologie, mais la mise en production et l’utilisation sur le terrain ».

Comme le montre l’exemple ukrainien, les données produites par les armements connectés et tous les capteurs, leur maîtrise et leur exploitation représente le principal défi. L’IA aide à les traiter « dans tout le processus d’état-major : un travail qui prend une journée peut se faire en une heure« , explique l’amiral Pierre Vandier, à la tête du commandement allié pour la transformation (ACT) de l’Otan. Mais l’ancien numéro deux des armées françaises prévient que le changement des usages doit partir d’en haut : « si les grands chefs ne l’adoptent pas, personne ne changera ses habitudes ». La révolution de l’IA n’est pas qu’une question de moyens.

Le chef militaire et l’automatisation du combat (CMF – Dossier 31)

Le chef militaire et l’automatisation du combat (CMF – Dossier 31)


La montée en puissance de l’intelligence artificielle dans les armées semble aujourd’hui inéluctable. Il convient donc de s’y préparer et de s’interroger avec le Général de corps d’armée (2S) Patrick Alabergère sur la capacité du commandement à faire face aux bouleversements qu’elle va générer.

* * *

L’IA peut très schématiquement être définie comme un ensemble d’algorithmes conférant à une machine des capacités d’analyse et de décision, lui permettant de s’adapter intelligemment aux situations réelles en faisant par exemple des prédictions à partir de données déjà acquises.

Le monde de la défense s’est emparé de ce nouvel outil d’avenir aux capacités encore insoupçonnées qui constitue une véritable rupture stratégique dans l’affrontement de puissance. On prête à Vladimir Poutine cette phrase : « Celui qui deviendra leader en ce domaine, deviendra le maître du monde ».

Les armées françaises ont naturellement choisi d’investir dans l’IA pour bénéficier du potentiel prometteur de cette nouvelle technologie. Pourtant il faut dès à présent fixer les limites de son usage et appréhender la révolution que son introduction va générer dans l’exercice du commandement.

L’IA dans les armées est une réalité incontournable

Le général Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre, affirme que « l’IA va irriguer toutes les dimensions de notre travail ». Elle est devenue une réalité tout autant qu’une rupture stratégique dans les conditions d’engagement des armées.

En effet, le déploiement de l’IA sur le champ de bataille doit théoriquement permettre d’acquérir plus facilement la supériorité opérationnelle pour les forces qui en sont dotées, tout en conférant à la Nation qui l’utilise une plus grande autonomie stratégique.

C’est pour cette raison que la France a créé l’Agence Ministérielle de l’Intelligence Artificielle de Défense (AMIAD), dotée de 300 millions d’euros de budget annuel, et confiée à un Ingénieur de l’Armement, polytechnicien. Les ingénieurs de l’AMIAD sont les opérateurs d’un supercalculateur capable de traiter des données classifiées en très grand nombre, le plus puissant d’Europe consacré à l’IA. Avec l’IA de défense, l’idée n’est pas de remplacer les analystes et les officiers de terrain mais de « faire aussi bien et mieux des choses que l’homme fait déjà, et des choses impossibles compte tenu de l’urgence, lorsqu’il n’y a pas assez de temps pour réfléchir face à la multitude de données », expliquait l’amiral Vandier, Major général des armées, lors du récent lancement de l’AMIAD.

« Dans dix à quinze ans, un tiers de l’armée américaine sera robotisé et largement contrôlé par des systèmes dotés de l’IA » déclare le général Mark Milley, ancien chef d’état-major des armées américaines.

Personne ne veut donc passer à côté des évolutions permises par l’IA tellement le champ des possibles est immense, voire infini.

Ainsi, nous sommes passés du drone télépiloté aux essaims de drones aériens, terrestres ou navals gérés par l’IA. Cela permet à un ensemble de dizaines, de centaines, voire de milliers[1] de drones de traiter un objectif de manière coordonnée en les concentrant sur un espace très restreint pour saturer les défenses.

Thalès sait déjà faire voler des essaims d’une dizaine de drones hétérogènes qui accomplissent des missions sous le contrôle d’un opérateur unique.

Des essaims de drones peuvent également servir de camouflage électronique, en émettant des ondes au-dessus d’un poste de commandement.

Les ingénieurs travaillent maintenant sur des algorithmes permettant l’analyse du renseignement, la surveillance automatisée des mouvements ENI, la maintenance prédictive des équipements majeurs.

Même si le potentiel semble infini, il faut dès à présent réfléchir aux limites qu’il faut fixer au développement de l’IA dans les armées.

Les limites éthiques et juridiques qui sont imposées à nos armées résisteront elles à la réalité des conflits futurs  et à la course aux armements permise par l’IA ? 

Toujours mettre l’homme dans la boucle pour en garder le contrôle est le principe intangible sur le lequel se fonde le développement de l’IA en France pour des raisons éthiques évidentes.

Mais jusqu’à quand ce principe tiendra-t-il face aux développements à venir des capacités de l’IA ?

La France a accepté dans un premier temps de se doter de drones en refusant qu’ils soient armés. Puis très vite, face à la réalité des conflits actuels et du développement de ces armes, elle a fait le choix de s’équiper et d’utiliser des drones armés, tout en refusant les Systèmes d’Armes Létaux Autonomes (SALA).

Face au développement de l’autonomie des systèmes d’armes permis par les progrès de l’IA, la France a choisi de développer les Systèmes d’Armes Létaux Intégrant de l’Autonomie (SALIA), en refusant l’autonomie complète. Le comité d’éthique de la Défense a précisé la notion de SALIA dans son avis du 29 avril 2021 en les définissant comme étant « des systèmes auxquels le commandement consent de déléguer un certain nombre de calculs de décisions, dans un cadre général fixé par l’humain ».

Pourtant, les systèmes d’IA couplés à des robots autonomes sur terre, sur mer et dans les airs seront très vite en mesure d’identifier et détruire des objectifs plus rapidement que jamais, et sur une très vaste échelle. Cette rapidité va modifier l’équilibre entre soldat et software. Aujourd’hui, les armées font intervenir un être humain pour toute décision létale. Dès lors que l’identification et la frappe d’une cible se dérouleront en quelques secondes, l’humain n’aura plus qu’un rôle secondaire. Il ne fera que superviser les opérations sans intervenir dans chaque action. Ainsi, aujourd’hui certains systèmes autonomes ont déjà la capacité de décider de leurs cibles en temps réel en fonction des règles générées par les algorithmes. Ces derniers peuvent même les faire évoluer en cours d’action en fonction des leçons apprises.

Alors quelle attitude adopter face à un adversaire qui ne s’est pas fixé les mêmes règles éthiques que nous, estimant comme Machiavel que « la fin justifie les moyens ». Pourrons-nous toujours préserver l’éthique au détriment de l’efficacité ?

Les armées américaines ont fait le choix d’une IA « adaptative » où, par défaut, ils maintiennent l’homme dans la boucle mais en développant des modes d’autonomie accrue, voire totale, selon les règles éthiques suivies par leurs adversaires potentiels.

Les limites de l’IA découlent aussi du paramétrage des algorithmes qui la régissent.  En matière de SALA, cela revient à décider quel est le prix d’une vie humaine dans l’algorithme pour qu’il puisse déterminer le niveau de dommages collatéraux jugé acceptable par rapport à la valeur de la cible traitée. Il faut également définir quelle distinction doit être faite entre combattants et non combattants. Cela pose clairement la question de la détermination dans un algorithme de la proportion acceptable du nombre de civils qui pourraient être sacrifiés pour atteindre un objectif militaire.

Pour fixer des limites à l’IA encore faut-il pouvoir la contrôler tout au long de son processus de création et d’utilisation, notamment les algorithmes qui la structurent. 

Pour se faire, l’US Air Force a lancé un appel d’offres pour recruter des officiers de sécurité de l’IA qu’elle veut former pour surveiller le comportement des algorithmes et les réorienter si nécessaire. Mais outre le fait que c’est un métier totalement nouveau à créer, le défi s’annonce très difficile. En effet, comprendre le fonctionnement d’une IA est beaucoup plus complexe que la créer car elle évolue en permanence durant son apprentissage et à chaque utilisation. C’est pourtant une nécessité car l’empoisonnement de l’IA devient une menace réelle avec l’introduction de codes malveillants, de fonctionnalités cachées ou de défauts volontaires.

Cela pose la question de fond : l’IA est-elle contrôlable et si oui comment ?

L’exercice du commandement sera-t-il bouleversé par l’usage de l’IA ?

L’implication de l’IA sur le champ de bataille est de plus en plus importante. Elle bouleverse peu à peu les structures traditionnelles de commandement et de contrôle des états-majors avec le risque que d’un simple outil d’aide à la décision, l’IA devienne le preneur de décision.

En effet, l’IA peut améliorer significativement la qualité des décisions en produisant des analyses de données complexes et des prédictions plus précises, tout en automatisant les tâches décisionnelles routinières. La production des ordres, le choix entre deux modes d’actions (MA), leur confrontation avec les modes d’actions de l’ennemi (ME), tout cela peut être confié à la machine en automatisant le travail de nombreuses cellules d’un état-major opérationnel. L’intuition du chef, sa fameuse intention qui constitue souvent l’esprit de la mission auront-elles encore leur place dans le processus décisionnel et la production d’ordres d’opérations ?

Plus que jamais, un équilibre doit être trouvé entre l’apport indéniable de l’IA dans l’analyse et la synthèse rapides et pertinentes de données de plus en plus nombreuses, la présentation de solutions possibles et la prise de la décision finale qui engage la responsabilité du chef militaire et doit lui revenir. Ne serait-ce que parce qu’il est comptable de la vie de ses hommes devant leurs familles et leurs frères d’armes contrairement à la machine et ses concepteurs.

Il faut donc redéfinir la place pour le chef face à la réactivité accrue des machines en réussissant à préserver l’intégrité et surtout la cohérence d’une chaine de commandement mêlant des machines et des hommes.

L’introduction accrue de l’IA dans le processus de décision pose aussi la question de la responsabilisation. En effet, la responsabilité se retrouve diluée dans une chaine de commandement allant de l’ingénieur qui a conçu l’algorithme jusqu’à l’opérateur qui active le mode autonome, en passant par le responsable politique qui a commandé ces armes et par les officiers qui en ont ordonné l’usage. Il sera très difficile de déterminer la part de responsabilités de chacun et il y a fort à parier que, comme souvent, le chef militaire en bout de chaine, à la tête des opérations, soit considéré comme le premier et seul responsable.

Comme l’IA s’impose de manière incontournable dans le processus de décision, dans l’élaboration des ordres, dans la gestion des données et des équipements du champ de bataille, elle doit être enseignée dans toutes les écoles de formation. Elle doit être suffisamment vulgarisée pour que chaque acteur du champ de bataille, du soldat au général, en comprenne, à son niveau de responsabilités, les enjeux, les risques, les forces et les faiblesses.

Il faut éviter que les systèmes embarquant de l’IA à tous les niveaux de la chaine de commandement ne finissent par transformer les officiers conduisant les opérations en de simples opérateurs spécialisés, se reposant aveuglément sur les conclusions de la machine. Les chefs doivent particulièrement être formés à l’utilisation d’outils pilotés par l’IA pour en connaitre les limites et prendre suffisamment de recul pour ne pas être submergés par le flot d’informations qui leur parvient. Pour autant, l’automatisation du traitement de nombreuses données dans le processus d’élaboration des ordres et de la prise de décision en temps extrêmement rapide, constitue une véritable aide au commandement.

Cependant, il faut échapper à la tentation du tout IA car la menace cyber est suffisamment prégnante pour que les armées se retrouvent parfois engagées sans l’aide d’une IA rendue inutilisable ou inaccessible. Le mode dégradé doit plus que jamais continuer d’être enseigné, car il représente la dernière garantie d’efficacité pour les armées de plus en plus dépendantes du numérique, de la technologie et de l’IA.

Demain si les plus fervents partisans de l’IA ont raison et que presque tout peut être géré par l’IA en une fraction de seconde, il faudra s’assurer que le cerveau humain pourra suivre le rythme imposé par la machine et toujours en comprendre le fonctionnement. C’est à ce prix que le chef militaire, peut espérer conserver sa place dans la boucle décisionnelle.


NOTES :

  1. En mai 2024, les Américains ont fait décoller 5 293 drones pour un spectacle nocturne.

CERCLE MARÉCHAL FOCH

CERCLE MARÉCHAL FOCH

Le Cercle Maréchal Foch est une association d’officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre, fidèles à notre volonté de contribuer de manière aussi objective et équilibrée que possible à la réflexion nationale sur les enjeux de sécurité et de défense. Nous proposons de mettre en commun notre expérience et notre expertise des problématiques de Défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, afin de vous faire partager notre vision des perspectives d’évolution souhaitables. Le CMF est partenaire du site THEATRUM BELLI depuis 2017. (Nous contacter : Cercle Maréchal Foch – 1, place Joffre – BP 23 – 75700 Paris SP 07).

Le ministère des Armées déploie sa propre solution d’intelligence artificielle générative

Le ministère des Armées déploie sa propre solution d’intelligence artificielle générative

https://www.opex360.com/2025/02/13/le-ministere-des-armees-deploie-sa-propre-solution-dintelligence-artificielle-generative/


Au regard des importants volumes de données dont elles ont besoin pour fonctionner, les applications d’intelligence artificielle dite générative, comme ChatGPT, peuvent présenter une menace pour la sécurité nationale. Tel est le cas de celle développée par l’éditeur chinois DeepSeek, celle-ci ayant fait l’objet de restrictions dans certains pays, quand elle n’a pas été interdite, comme à Taïwan.

Cela étant, si une application française d’intelligence artificielle générative existe grâce à Mistral AI, le ministère des Armées s’est lancé dans le développement de sa propre solution « sécurisée et souveraine ». Solution qui, appelée GenIAI, est désormais accessible sur son réseau interne « Intradef ».

« Les équipes du Centre d’expertise données et IA [CEDIA] du Secrétariat général pour l’administration [SGA] ont développé depuis 2022 cette plateforme de services IA, portée par l’État-major des armées [EMA]. La Direction générale du numérique [DGNUM], la Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information [DIRISI], l’Agence du numérique de défense [AND] et l’Agence ministérielle pour l’intelligence artificielle de défense [AMIAD] ont permis sa mise en service », a annoncé le ministère des Armées, via un communiqué diffusé le 12 février.

Cette application d’intelligence artificielle générative a fait l’objet d’expérimentations pendant plusieurs mois. Devant être déployée progressivement, elle va permettre aux armées, directions et services d’optimiser certaines de leurs activités quotidiennes et d’alléger les « tâches répétitives » et / ou « chronophages ».

Cette IA générative compte au moins cinq « premières » fonctionnalités, dont un « agent conversationnel » capable de répondre aux questions et d’offrir une aide à la rédaction de textes. Ce qui sera certainement appréciable quand on connaît l’appétence du ministère des Armées pour les sigles et autres acronymes… Elle propose également un « synthétiseur » pour « extraire » les idées et les informations importantes d’un texte ainsi qu’un traducteur. Enfin, elle peut retranscrire automatiquement des contenus audio et convertir « automatiquement des textuels d’une image en un fichier texte ».

D’autres fonctionnalités sont en cours de développement. Elles devraient être disponibles dans le courant de cette année, promet le ministère des Armées.

Pour le chef du C2LAB IA à l’EMA, Olivier Aguillon, cet outil vise « à réallouer le temps économisé au profit des étapes critiques du processus d’état-major qui nécessitent un plus fort investissement en réflexion ».

La mise au point d’un algorithme français d’intelligence artificielle pour le combat aérien se heurte à des réticences

La mise au point d’un algorithme français d’intelligence artificielle pour le combat aérien se heurte à des réticences


En août 2020, dans le cadre du programme ACE [Air Combat Evolution] visant à renforcer l’interface « homme-machine » dans le domaine de l’aviation de chasse, l’agence du Pentagone dédiée à l’innovation [DARPA], avait organisé la compétition « AlphaDogfight » pour mettre à l’épreuve huit algorithmes d’intelligence artificielle censés permettre à une machine de livrer des combats aériens. Le meilleur d’entre eux devait ensuite affronter un pilote expérimenté de l’US Air Force, placé aux commandes d’un simulateur de F-16.

Privé de ses repères habituels, ce dernier fut dominé par la machine, nourrie par un algorithme développé par l’entreprise Heron Systems.

« Que l’humain ou la machine remporte le combat aérien final importe peu étant donné que les essais AlphaDogfight visent à accroître la confiance dans l’intelligence artificielle. Mais si une intelligence artificielle gagne le respect d’un pilote de F-16, nous aurons fait un pas de plus vers la réalisation d’une interface homme-machine efficace pour le combat aérien, ce qui est notre objectif », avait alors commenté le responsable de ce programme.

Le projet ACE a ensuite été complété par un second, appelé AACO [Autonomous Air Combat Operations] et porté par l’Air Force Research Laboratory [AFRL] pour le combat aérien au-delà la portée visuelle [BVR – Beyond Visual Range].

L’un et l’autre sont passés à la vitesse supérieure dès 2022, quand un X-62A VISTA [Variable In-flight Simulation Test Aircraft], c’est-à-dire un F-16 de l’US Air Force Test Pilot School piloté par des algorithmes d’IA, a effectué des vols d’essais au cours desquels il a livré des combats aériens face à un F-16 « habité » en conditions réelles.

Une telle capacité est susceptible d’intéresser l’armée de l’Air & de l’Espace, surtout au moment où il s’agit de développer un drone de combat [UCAV] censé accompagner le Rafale porté au standard F5. Lors d’une récente audition à l’Assemblée nationale, le rapporteur du programme 178 « Préparation et emploi des forces – Air », Frank Giletti, a demandé à Bertrand Rondepierre, le directeur de l’Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense [AMIAD], si des projets similaires à ceux conduits aux États-Unis pouvaient être envisagés en France.

D’après M. Rondepierre, des solutions existent déjà [comme le projet Centaur, de l’entreprise Helsing IA]. Le problème est qu’il y a « des réticences un peu partout » et la question est de savoir « comment passer à la vitesse supérieure tout de suite », a-t-il dit.

« Il y a des acteurs qui proposent de faire des démonstrations. J’ai voulu savoir si l’on pouvait faire voler quelque chose. Puisque ça fonctionne, allons-y, dès 2025. Là, on tombe dans le ‘oui mais c’est compliqué’ parce qu’il faut faire voler un avion et il y a des questions de sécurité », a poursuivi le directeur de l’AMIAD.

« S’il y a deux ou trois questions qui se posent, je pense que ce n’est pas une excuse. Ce n’est pas ça qui doit nous ralentir. Mais on se heurte à des pratiques qu’on doit traiter en tant que telles », a-t-il déploré.

Cela étant, l’AMIAD n’a pas l’intention de renoncer. Aussi a-t-elle adopté une démarche en deux temps. D’abord, a expliqué M. Rondepierre, il s’agit de mettre l’accent sur la technique de l’apprentissage par renforcement « qui permet, dans un environnement de simulation, d’entraîner une machine à faire voler un avion et à opérer des systèmes d’armes ».

Aussi, a-t-il poursuivi, on « est en train de travailler avec l’armée de l’Air [& de l’Espace] pour qu’il soit mis à la disposition de l’AMIAD » un « environnement de simulation » pour qu’elle « soit capable de faire cet exercice […] d’entraînement et de tests d’IA ». Car, a-t-il souligné, « si on n’est pas capable de faire ça, il ne sera pas envisageable de faire voler un avion ».

Seulement, une fois que ce travail aura été réalisé, l’AMIAD devra franchir un autre obstacle. « En parallèle, on se pose la question suivante : comment faire voler quelque chose ? À ce stade, on n’a pas de plan très concret pour le faire mais c’est un effet qu’on souhaiterait obtenir. Mais on n’a pas horizon », a conclu son directeur.

Photo : Illustration / AlphaDogfight

Les grands acteurs mondiaux de l’intelligence artificielle

Les grands acteurs mondiaux de l’intelligence artificielle

par Revue Conflits avec AFP – publié le 8 février 2025

https://www.revueconflits.com/les-grands-acteurs-mondiaux-de-lintelligence-artificielle/


Partie en retard après que ses cerveaux ont irrigué les principaux centres de recherche américains, la France veut toujours montrer qu’elle est un pionnier de l’IA. Elle organise donc les 10 et 11 février prochain un grand raout mondial en rassemblant les principaux acteurs. 

La France avec l’IA est un peu comme la cavalerie pendant la conquête de l’Ouest. En retard, mais avec style. Elle organise donc les 10 et 11 février prochain un grand raout mondial sur l’IA. Du très beau monde est attendu. Le Premier ministre indien Narendra Modi, coprésident de l’évènement, les patrons d’Open AI, de Google Deepmind et d’Anthropic, le vice-président américain J.D. Vance, seront présents.

C’est l’occasion de passer en revue le monde de l’IA.

L’évènement arrive à un moment clé de l’euphorie autour de l’IA. Après un moment de domination américaine depuis le lancement de Chat GPT auprès du grand public en 2022, la Chine vient d’ébranler la table avec l’arrivée Deepseek.

OpenAI, le pionnier

Leader de l’intelligence artificielle générative, la société américaine OpenAI s’est fait connaître avec ChatGPT, référence des agents conversationnels. Cet outil a démocratisé l’IA et attiré des investissements massifs. Depuis sa création, OpenAI a levé environ 20 milliards de dollars, principalement auprès de Microsoft, son actionnaire principal. Selon le Wall Street Journal, elle négocie actuellement une levée de 40 milliards supplémentaires.

Fondée sous un statut non lucratif par Sam Altman – brièvement évincé avant de retrouver son poste de PDG – OpenAI amorce une transition vers une structure à but lucratif.

Anthropic, la rivale américaine

Créée en 2021 par Dario et Daniela Amodei, anciens cadres d’OpenAI, Anthropic se distingue par des protocoles de sécurité renforcés dans son modèle Claude. Bien que moins financée que son concurrent, elle suscite l’intérêt des géants de la tech. Fin novembre, Amazon a investi 4 milliards de dollars, portant son total à 8 milliards. Depuis sa création, Anthropic a levé 12,9 milliards de dollars, dont plus de 3 milliards de la part d’Alphabet, maison mère de Google.

Google DeepMind et MetaAI, la puissance des géants

L’émergence de ChatGPT a intensifié la compétition entre les grands acteurs technologiques. En février 2023, Meta a lancé son modèle Llama, suivi de Llama 2 et 3, et intégré son assistant MetaAI à ses plateformes (Facebook, Instagram, WhatsApp, Threads), inaccessible en Europe en raison d’un cadre réglementaire incertain. Fin janvier, Mark Zuckerberg a annoncé un investissement annuel de 65 milliards de dollars en IA.

Google a introduit Bard en mars 2023, rebaptisé Gemini en février 2024 pour refléter l’évolution de son modèle. En avril 2024, Demis Hassabis, PDG de Google DeepMind, a indiqué ne pas divulguer les montants investis dans l’IA.

Mistral AI, l’ambition française

Fondée en mai 2023 par Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix, chercheurs passés par les grands laboratoires américains, Mistral AI vise à s’imposer comme une alternative européenne. Dès son lancement, la start-up a levé 100 millions d’euros et en février 2024, elle a dévoilé son assistant conversationnel « Le Chat ». Microsoft y a investi 15 millions d’euros.

Mi-janvier, Mistral a signé un partenariat avec l’AFP pour intégrer ses dépêches à son IA. Quelques jours plus tard, lors du sommet de Davos, l’entreprise a évoqué une introduction en Bourse afin de garantir son indépendance. À ce jour, elle a levé plus d’un milliard d’euros.

Deepseek, le choc chinois

La start-up chinoise Deepseek a bouleversé le marché fin janvier avec son agent conversationnel R1, provoquant une chute des valorisations de géants américains comme Nvidia. Sa singularité réside dans son coût de développement extrêmement faible : seulement 5,6 millions de dollars, bien en deçà des standards américains.

Sam Altman (OpenAI) s’est déclaré « impressionné » mais aussi « stimulé » par cette concurrence. Toutefois, il a accusé certaines entreprises chinoises de copier les modèles d’IA américains.

Alibaba, nouvel acteur incontournable

Dernier entrant dans la course aux IA conversationnelles, le géant chinois Alibaba a lancé son modèle avancé Qwen2.5-Max, destiné aux développeurs. Selon le groupe, ce modèle surpasse les performances des outils existants, consolidant ainsi la position d’Alibaba dans l’intelligence artificielle.

La Marine nationale peut commencer à utiliser son premier drone de surface dédié à la guerre des mines

La Marine nationale peut commencer à utiliser son premier drone de surface dédié à la guerre des mines


Confié à Thales en 2015, dans le cadre d’une coopération avec le Royaume-Uni placée sous l’égide de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement [OCCAr], le Maritime Mine Counter Measures [MMCM] doit permettre d’identifier et de neutraliser des mines grâce à un drone de surface [USV] qui, doté d’un sonar remorqué, est associé à un robot téléopéré [ROV] et à trois drones sous-marins [AUV].

Cet ensemble repose sur le système de mission M-CUB ainsi que sur le logiciel MiMap, capable d’analyser en temps réel les données collectées par le sonar grâce à un algorithme d’intelligence artificielle [IA]. Enfin, il est mis en œuvre à partir d’un centre d’opérations léger, appelé e-POC [pour expeditionary-Portable Operations Center], censé permettre de mener des missions de lutte anti-mines avec des USV depuis « n’importe quel théâtre d’opérations ».

En décembre, après la livraison de deux prototypes/démonstrateurs à la France et au Royaume-Uni, l’OCCAr a fait savoir que Thales venait de remettre un premier drone de surface à la Direction générale de l’armement [DGA]. Ce que cette dernière a confirmé, ce 21 janvier.

« La livraison de ce drone constitue une première étape avant l’atteinte d’une véritable capacité opérationnelle en fin d’année 2025. Dans cette perspective, ce drone sera associé à cinq drones de surface supplémentaires, constituant ainsi la première capacité de systèmes autonomes de surface de la Marine nationale », a en effet indiqué la DGA, via un communiqué.

Mais elle a donné une autre précision : ce drone de surface « a passé avec succès sa mise en condition de navigation [MECNAV] le 16 janvier ». En clair, il est autorisé à naviguer en « mode inhabité / téléopéré, et, partant, à débuter sa « première phase de montée en compétence exploratoire ».

Pour rappel, lors de la dernière édition du salon Euronaval, en novembre, la DGA a annoncé l’acquisition de huit drones sous-marins autonomes de nouvelle génération A18-M auprès d’Exail. Une option pour huit exemplaires de plus a été posée. Ces engins doivent être équipés de la dernière version du sonar à ouverture synthétique SAMDIS [Synthetic Aperture Mine Detection and Imaging System] développé par Thales.

Le SAMDIS 600 permet d’obtenir des images à partir d’angles multiples en une seule passe. Associé au logiciel MiMap, il « offre des probabilités de détection et de classification exceptionnellement élevées, avec des performances supérieures qui permettent d’accélérer le tempo et d’augmenter l’efficacité des opérations de la Marine », assure l’industriel.

Le MMCM est l’un des quatre piliers du programme SLAM-F [Système de lutte anti-mines marines futur], qui vise à renouveler l’ensemble des moyens de la Marine nationale dédiés à la lutte contre les mines. Il prévoit l’acquisition de Bâtiments bases des plongeurs démineurs de nouvelle génération [BBPD NG], de Bâtiments de guerre des mines [BGDM] et du Système d’exploitation des données de guerre des mines [SEDGM].

Mistral AI devient un nouvel atout technologique pour l’armée française

Mistral AI devient un nouvel atout technologique pour l’armée française

Après le missile Mistral et le navire Mistral, place à l’IA

Source : James Rhodes + Montage Numerama
L’armée française pourra dorénavant compter sur l’expertise de Mistral AI dans l’intelligence artificielle. Le ministre Sébastien Lecornu a annoncé un rapprochement entre l’agence de défense dédiée à l’IA et la startup. Un mouvement qui reflète une tendance de fond.

Rapprocher l’une des startups en intelligence artificielle les plus en vues dans l’Hexagone avec la défense française. Voilà l’ambition évoquée par Sébastien Lecornu, ministre des Armées, à l’occasion de son passage le 19 janvier 2025 dans l’émission Soft Power, sur France Culture, en mentionnant le partenariat noué avec Mistral AI.

En l’espèce, « Mistral va travailler avec l’Agence ministérielle de l’IA de défense », ou AMIAD, a dévoilé Sébastien Lecornu. Selon lui, il serait « stupide » de « doublonner les éléments de recherche ». Il faut pouvoir compter sur son savoir-faire et par ailleurs renforcer les efforts de l’AMIAD et ses 115 spécialistes.

Sébastien Lecornu
Sébastien Lecornu à l’École Polytechnique, en 2022. // Source : Ecole polytechnique

En somme, il faut s’appuyer sur les entreprises en pointe dans ces domaines de la même manière que le ministère le fait dans l’aviation (avec Dassault), la marine (Naval Group) ou l’électronique et l’aérospatial (Thales), car, a fait savoir le ministre, la souveraineté technologique ne se trouve pas qu’au sein des administrations de l’État.

Face à ces fleurons de la défense, Mistral AI est une entreprise bien jeune — elle a été fondée au printemps 2023 — et surtout beaucoup plus modeste. Elle est bien loin des milliers, voire des dizaines de milliers de collaborateurs chez les géants de la défense. Même chose pour KNDS, Safran, Airbus ou bien MBDA.

La montée en puissance de l’IA dans la défense

Mais ce rapprochement entre Mistral AI et le ministère traduit l’importance croissante de l’intelligence artificielle dans les activités de défense. Les usages ne manquent pas : accélérer l’étude d’une carte prise par un satellite, délester un militaire de certaines tâches, automatiser des processus, traiter des données en grand nombre, etc.

L’enjeu de l’IA a d’ailleurs été souligné par Sébastien Lecornu en mars 2024. Lors d’un discours sur le site de l’École polytechnique, le ministre plaidait pour que les armées prennent « le virage » de l’IA et prévenait que la France se devait de la « maîtriser souverainement ces technologies pour ne pas dépendre des autres puissances ».

« Le saut technologique que représente l’intelligence artificielle est sans doute celui qui révolutionnera la manière de faire la guerre. Ou même, plus important encore, de l’éviter comme l’atome en son temps », avait-il ajouté. Deux mois plus tard, l’AMIAD était lancé, tandis que la commande d’un supercalculateur top secret pour de l’IA militaire était passée.

Rafale
Aujourd’hui, le développement des prochaines évolutions du Rafale se pense aussi à travers l’IA. // Source : Bernardo Fernandez copado

Ce supercalculateur, attendu pour septembre 2025, est construit par le tandem Orange / Hewlett-Packard, et bardé de processeurs graphiques fournis par Nvidia — « pratiquement mille GPU de dernière génération », a fait valoir le ministre sur France Culture. Le tout, sur des installations qui seront classifiées.

Selon Sébastien Lecornu, ces infrastructures vont aussi offrir aux sociétés un espace plus sécurisé, ce qui éviterait les serveurs mal ou pas protégés, et, par ailleurs, limiterait les risques d’espionnage industriel. Et pour l’armée, il y a aussi un petit gain financier, le ministre évoquant des recettes obtenues grâce à un accès payant à cette solution.

Les détails du rapprochement entre Mistral et le ministère restent toutefois très vagues. Jusqu’à présent, la startup s’est surtout illustrée en matière d’IA générative, en fabriquant ses propres grands modèles de langage ainsi qu’un chatbot — Le Chat — pour répondre par écrit à des questions qu’on lui pose

Désinformation : comment les récits étrangers pénètrent en France

Désinformation : comment les récits étrangers pénètrent en France

Dans une étude dévoilée fin novembre en partenariat avec l’IHEDN, la Fondation Descartes s’intéresse aux effets en France de la désinformation étrangère concernant les conflits. Une démarche inédite et riche d’enseignements, notamment sur la crise Chine-Taïwan et les tensions entre la France et le Mali.

« Aujourd’hui, on en sait beaucoup sur les mécanismes des ingérences informationnelles, mais on en sait beaucoup moins sur leurs effets » : cette réflexion de Laurent Cordonier, docteur en sciences sociales et directeur de la recherche de la Fondation Descartes, au début de son intervention à l’École militaire le 26 novembre, pointe une zone grise du débat actuel sur la désinformation.

C’est donc ce qui a présidé à l’étude annuelle de cette fondation vouée à l’analyse de la désinformation, intitulée « Pénétration en France des récits étrangers sur les conflits contemporains » et présentée ce jour-là lors d’un colloque en partenariat avec l’IHEDN.

Le choix du sujet vient d’un constat simple : « Les parties prenantes à un conflit international élaborent systématiquement un récit visant à légitimer leur implication dans le conflit ainsi que les actions qu’elles y conduisent. » Partant de là, « quels facteurs influencent la sensibilité aux différents récits ? », demande Laurent Cordonier.

Pour répondre à cette question, le chercheur s’est d’abord entretenu avec « des acteurs de l’information internationale ainsi qu’avec des spécialistes des relations internationales et des phénomènes de désinformation et d’ingérences informationnelles étrangères : journalistes, membres de services de l’État chargés de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères, officiers généraux des forces armées françaises, diplomates français, chercheurs au sein d’instituts de recherche stratégiques et géopolitiques français et européens ».

LES 18-49 ANS PLUS SENSIBLES AUX RÉCITS RUSSE, DU HAMAS, MALIEN ET CHINOIS

Après ce travail préparatoire, il a choisi de se focaliser sur les perceptions par l’opinion publique française des différents récits concernant quatre conflits ou tensions contemporains : guerre Russie-Ukraine, conflit Hamas-Israël, « tensions entre la junte malienne et la France concernant les opérations Serval et Barkhane » et crise Chine-Taïwan. Il a ensuite élaboré un questionnaire reprenant « trois éléments centraux » des récits des deux protagonistes de chaque conflit ou tension, auquel ont répondu en août dernier 4000 personnes « composant un panel représentatif de la population française métropolitaine majeure ».

Ces « éléments centraux » (les affirmations principales) des différents récits ont été identifiés en collaboration avec des chercheurs de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) et du centre Géopolitique de la Datasphère de l’Université Paris 8 (GEODE). L’étude d’opinion datant du mois d’août, Laurent Cordonier précise qu’il n’est « pas exclu que la manière dont les Français perçoivent certains de ces récits ait pu quelque peu évoluer depuis ».

Sur une centaine de pages, l’étude montre que la sensibilité à l’un ou l’autre des récits est « en moyenne » liée à différents facteurs, comme l’opinion politique ou l’âge : « Les 65 ans et plus (et plus largement, les retraités) se montrent en moyenne plus sensibles que le reste de la population aux récits ukrainien, israélien, français et taïwanais, tandis qu’ils sont globalement moins sensibles que les autres aux récits russe, du Hamas, malien et chinois. L’inverse est vrai pour toutes les tranches d’âge de 18 à 49 ans. »

MÉDIAS PROFESSIONNELS OU RÉSEAUX SOCIAUX : INFLUENCE INVERSE

Un facteur précis semble « particulièrement influencer la sensibilité des Français » : le fait qu’ils s’informent auprès de médias professionnels ou, à l’inverse, sur les réseaux sociaux :

« À profil identique, une fréquence élevée d’information sur l’actualité internationale et géopolitique via les médias nationaux ou régionaux constitue un facteur de sensibilité accrue aux récits ukrainien, israélien, français et taïwanais, alors que c’est un facteur de moindre sensibilité aux récits russe, du Hamas, malien et chinois. À l’inverse, toujours à profil identique, des fréquences élevées d’information sur l’actualité internationale et géopolitique via les réseaux sociaux, YouTube et les messageries instantanées sont des facteurs de sensibilité accrue aux récits russe, du Hamas, malien et chinois. »

En revanche, aucun profil sociodémographique n’a pu être « clairement » associé à une sensibilité ou à une autre. Cependant, « plus le niveau de revenus du foyer des répondants est élevé plus, en moyenne, ces derniers se révèlent sensibles aux récits ukrainien, israélien, français et taïwanais, et moins ils le sont aux récits russe, du Hamas, malien et chinois ». La corrélation avec d’autres facteurs a aussi été étudiée, comme la culture géopolitique, la confiance en l’État et en la communauté scientifique ou la perception du changement climatique et des vaccins.

Selon l’étude, « une majorité de la population (62,1%) estime que les attaques informationnelles russes et chinoises qui ciblent la France représentent un danger pour notre pays et sa démocratie. » Mais ces récits ont peu d’effet, et « les manipulations de l’information russes et chinoises échouent (jusqu’ici, du moins) à faire basculer l’opinion publique française en faveur des récits qu’elles promeuvent sur la guerre en Ukraine et sur le statut de Taïwan ». 

ÉVALUER L’IMPACT DE LA DÉSINFORMATION, « UNE QUESTION DE PREMIÈRE IMPORTANCE »

En conclusion, la Fondation Descartes appelle à une meilleure étude des effets de la désinformation, comme l’écrit Laurent Cordonier :

« L’évaluation de la nature et de l’ampleur des conséquences des ingérences informationnelles étrangères sur la population française est une question de première importance. En effet, sans disposer d’une telle évaluation, qui fait aujourd’hui largement défaut, il est impossible de calibrer correctement la réponse des pouvoirs publics et des acteurs de l’information à ces opérations de manipulation. Sous-réagir exposerait le pays à un risque de déstabilisation.

Surréagir, par exemple en adoptant des mesures restreignant trop sévèrement la liberté d’expression en ligne ou en invisibilisant totalement dans les médias certains points de vue sur l’actualité internationale, reviendrait à abîmer la vie démocratique en cherchant à la protéger. Il appartient donc aux autorités et aux acteurs concernés de la société civile d’encourager et de soutenir la recherche scientifique sur les effets des ingérences informationnelles étrangères. »

Alors que les conflits Russie-Ukraine et Israël-Hamas sont très médiatisés, l’IHEDN a sélectionné quelques enseignements de l’étude concernant les deux autres, moins traités dans le débat public. Pour chaque conflit, « les éléments de récit des deux camps étaient présentés aux répondants dans un même bloc de questions comportant six items (à savoir, les trois éléments de récit de l’un des camps et les trois éléments de récit de l’autre camp). Au sein d’un bloc, les éléments de récit des deux camps étaient soumis aux répondants dans un ordre aléatoire ».

CHINE-TAÏWAN : LES FRANÇAIS « PEU SENSIBLES AU RÉCIT CHINOIS »

Cette partie de l’étude analyse la pénétration en France des récits élaborés par les protagonistes de la crise entre la Chine et Taïwan au sujet du statut de Taïwan.

Les questions étaient précédées de cette introduction : « Aujourd’hui, Taïwan est de fait un État séparé de la Chine continentale, doté de ses propres institutions. La Chine revendique cependant Taïwan comme l’une de ses provinces et n’exclut pas de recourir à la force pour y affirmer son autorité.

Nous allons vous présenter des affirmations qui reflètent différents points de vue sur cette crise. Merci d’indiquer à quel point, personnellement, vous êtes d’accord ou non avec chacune de ces affirmations. »

Les trois éléments centraux du récit chinois sont :

  • En soutenant le gouvernement de Taïwan, les États-Unis et d’autres puissances occidentales interviennent de manière illégitime dans les affaires intérieures chinoises.
  • Taïwan est historiquement chinoise et constitue une partie intégrante du territoire chinois.
  • Seul le gouvernement chinois est légitime pour décider de l’avenir de Taïwan.

Pour le récit taïwanais, ce sont :

  • C’est au peuple taïwanais, et non pas au gouvernement chinois, de décider librement et démocratiquement de l’avenir de Taïwan.
  • Taïwan étant une démocratie, son autonomie face à la Chine est essentielle pour la défense des valeurs démocratiques en Asie et dans le monde.
  • Taïwan n’ayant jamais été sous l’autorité du Parti communiste chinois, lorsque la Chine parle de « réunification » entre Taïwan et la Chine, c’est en réalité une unification par la force qu’elle envisage.

Comme pour chacun des autres conflits, les résultats varient selon les éléments de récit soumis aux répondants. Mais, en moyenne, les Français se montrent « peu sensibles au récit chinois » et « très sensibles au récit taïwanais ».

En matière d’opinion politique, « les répondants proches de l’extrême gauche et, dans une moindre mesure, de l’extrême droite sont en moyenne plus sensibles au récit chinois sur le statut de Taïwan que le reste du panel. Les répondants proches des écologistes, de la gauche, de la droite et, surtout, du centre se montrent au contraire plus sensibles que les autres au récit taïwanais ».

FRANCE-MALI : LES FRANÇAIS « DE PEU À MOYENNEMENT SENSIBLES » AU RÉCIT MALIEN

Dans cette partie, il s’agit d’évaluer la pénétration chez les Français des récits élaborés par les protagonistes des tensions entre la junte malienne et la France au sujet de l’interprétation des buts et résultats des opérations Serval et Barkhane (opérations militaires conduites par la France dans la région du Sahel de 2013 à 2022).

Voici comment les questions ont été introduites : « La région du Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) est depuis longtemps touchée par une crise sécuritaire causée par des terroristes djihadistes. De 2013 à 2022, la France, ainsi que d’autres pays étrangers, interviennent militairement dans la région. Depuis, la France a progressivement retiré ses troupes du Sahel.

Nous allons vous présenter des affirmations qui reflètent différents points de vue sur cette crise. Merci d’indiquer à quel point, personnellement, vous êtes d’accord ou non avec chacune de ces affirmations. »

Les trois éléments centraux du récit de la junte malienne sont :

  • Les interventions militaires françaises au Sahel de 2013 à 2022 n’ont jamais permis de faire reculer le terrorisme djihadiste dans la région.
  • Les interventions militaires françaises au Sahel constituent une forme de néocolonialisme : leur vrai objectif était de préserver les intérêts et l’influence de la France dans la région du Sahel, sans se soucier de l’intérêt des populations locales.
  • En 2021, la France a abandonné le Mali à son sort, sans concertation préalable, ce qui a contraint le Mali à se tourner vers la Russie pour assurer sa sécurité.

Ceux du récit français sont :

  • Le but des interventions militaires françaises au Sahel qui ont débuté en 2013-2014 était d’aider les pays de la région dans leur lutte contre le terrorisme djihadiste.
  • Les interventions militaires françaises au Sahel qui ont débuté en 2013-2014 ont été réalisées en appui des armées légitimes des pays du Sahel.
  • Les interventions militaires françaises au Sahel qui ont débuté en 2013-2014 ont été réalisées à la demande des chefs d’État des pays du Sahel.

Là encore, les résultats varient pour chaque élément, mais en moyenne, les Français se montrent « de peu à moyennement sensibles au récit de la junte malienne » et « assez sensibles au récit français ».

Concernant leurs opinions politiques, « les répondants proches de l’extrême gauche se montrent en moyenne plus sensibles au récit malien que le reste des personnes interrogées. À l’inverse, les répondants proches de la gauche, de la droite et, plus encore, du centre sont en moyenne davantage sensibles que les autres au récit français ».

L’Allemagne fait la découverte de l’année dans l’informatique quantique qui va lui donner une longueur d’avance sur ses concurrents

L’Allemagne fait la découverte de l’année dans l’informatique quantique qui va lui donner une longueur d’avance sur ses concurrents


L'Allemagne fait la découverte de l'année dans l'informatique quantique qui va lui donner une longueur d'avance sur ses concurrents
L’Allemagne fait la découverte de l’année dans l’informatique quantique qui va lui donner une longueur d’avance sur ses concurrents

 

Des chercheurs allemands mettent à jour l’entrelacement de la lumière et du son dans le monde quantique.

Les chercheurs de l’Institut Max-Planck pour la Science de la Lumière (MPL) ont mis au point une méthode novatrice permettant d’entrelacer des photons optiques (particules de lumière) avec des phonons (quasi-particules représentant des ondes sonores). Cette réalisation ouvre de nouvelles perspectives pour l’élaboration de systèmes hybrides en communication et en calcul quantique, marquant un tournant potentiel dans la façon dont nous pourrions manipuler et utiliser les informations quantiques.

Les allemands écrivent un nouveau chapitre dans l’histoire de l’entrelacement quantique

L’entrelacement quantique, ce lien étrange qui permet à des particules de rester connectées quelles que soient les distances les séparant, a traditionnellement été réalisé entre des particules de même nature, comme des photons avec des photons. Toutefois, l’innovation de MPL introduit la possibilité d’entrelacer des types de particules fondamentalement différents, une avancée qui pourrait transformer les technologies de l’information quantique.

Mécanisme de l’entrelacement optoacoustique

Le processus proposé par l’équipe du MPL repose sur la diffusion Brillouin, un phénomène où les photons interagissent avec les vibrations des atomes ou molécules dans un matériau, générant des phonons. Cette interaction entraîne un changement de fréquence de la lumière, qui varie en fonction du mouvement des phonons. Contrairement aux systèmes optomécaniques classiques, cette méthode offre une nouvelle façon de coupler la lumière et le son à un niveau fondamental, permettant de créer des paires entrelacées stables, moins sensibles aux fluctuations de température.

Avantages et potentiel de l’entrelacement hybride

L’entrelacement de photons et de phonons présente plusieurs avantages significatifs. D’une part, il est résilient et adapté pour fonctionner à des températures beaucoup plus élevées que celles requises par les méthodes traditionnelles, réduisant ainsi la dépendance à des équipements coûteux et complexes comme les réfrigérateurs à dilution. D’autre part, cette approche hybride ouvre la porte à des applications dans des domaines variés allant de la communication quantique sécurisée à la computation, en passant par la métrologie quantique et la téléportation quantique.

Implications et applications futures

Les capacités de cette nouvelle technique à manipuler et à contrôler les interactions entre la lumière et le son à un niveau quantique ont le potentiel de révolutionner notre compréhension et notre exploitation des propriétés quantiques des matériaux. En particulier, cela pourrait significativement avancer notre capacité à stocker, à traiter et à transmettre des informations de manière plus efficace et plus sécurisée.

Cet article explore les implications profondes de la nouvelle technique d’entrelacement de la lumière et du son via la diffusion Brillouin, en soulignant son potentiel révolutionnaire pour avancer dans la compréhension et l’utilisation des phénomènes quantiques. En connectant des mondes aussi différents que ceux des photons et des phonons, cette percée scientifique ouvre des portes vers des applications innovantes qui pourraient un jour redéfinir notre approche des technologies de l’information et de la communication, tout en renforçant les bases de la télécommunication quantique et du traitement de l’information.

Source : Max Planck Institute

La France construit le plus puissant supercalculateur classifié dédié à l’IA en Europe

La France construit le plus puissant supercalculateur classifié dédié à l’IA en Europe

Big data top secret

Les choses se précisent en France pour ce qui est de l’IA militaire. Le ministère des Armées a choisi le tandem Hewlett-Packard Entreprise/Orange pour fabriquer un supercalculateur de pointe. Celui-ci devra posséder la plus importante capacité de calcul classifiée dédiée à l’intelligence artificielle d’Europe.

Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, l’avait souligné ce printemps : la France ne doit « pas dépendre des autres puissances » pour l’accès à certaines technologies de pointe ayant des perspectives militaires. Cela inclut le calcul de haute performance que les superordinateurs effectuent, et l’intelligence artificielle (IA), en plein boom.

Opérationnel fin 2025

À l’époque, il était question de commander un supercalculateur pour une livraison en 2025. La machine, était-il alors indiqué, serait en mesure de traiter des données classifiées (secret défense) et sur de l’IA militaire. Mais, sécurité nationale oblige, les caractéristiques exactes du projet demeurent confidentielles.

Si les contours restent encore globalement flous, le ministère des Armées en a dit un peu plus le 24 octobre. Il a confirmé d’abord le calendrier de mise en place de ce superordinateur, qui débutera son travail à l’automne 2025, et sera pleinement opérationnel avant 2026. Quant à son constructeur, il s’agira du binôme Hewlett Packard Enterprise/Orange.

armée supercalculateur IA
Une IA qui aidera à structurer la défense française de demain. // Source : Numerama avec Midjourney

Surtout, on sait désormais que cette future machine a l’ambition d’être « le plus puissant supercalculateur classifié dédié à l’IA en Europe ». Un podium que l’appareil revendique, bien que le domaine dans lequel il évolue est par nature opaque. Les superordinateurs de ce type sont aussi sous le sceau du secret, ce qui limite les comparaisons.

Actuellement, le superordinateur le plus puissant en Europe se trouve en Finlande — pour ce qui est, en tout cas, de la plus puissante machine dont les caractéristiques sont publiques. Il se trouve dans le top 5 mondial, a plus de 2,7 millions de cœurs. Le plus puissant du top atteint environ quatre fois sa puissance réelle maximale.

Une machine qui sera toujours hors ligne

Compte tenu de la sensibilité de l’installation, il est prévu de ne jamais le connecter à Internet, afin d’éviter tout risque de compromission à distance, par une opération de piratage. Il est aussi prévu de n’autoriser que des citoyens français habilités au secret de la défense nationale pour assurer sa maintenance, là aussi pour éviter une compromission interne.

Une fois en place, l’armée française pourra y accéder afin de traiter des données confidentielles de manière souveraine. Il est aussi prévu que des entreprises de défense puissent y accéder. On peut imaginer que des groupes spécialisés comme MBDA, Thales, Naval Group, Safran et Dassault Aviation aient un intérêt pour ce matériel.

Rafale 2
L’évolution future du Rafale pourrait bénéfiicer de cette installation. // Source : NATO

Le succès de Hewlett Packard Enterprise/Orange fait toutefois une victime : Atos. Le géant français de l’informatique de service, qui traverse une grave crise depuis quelques années, était aussi en lice pour ce marché. Mais, dans une phrase, et sans le citer nommément, M. Lecornu a laissé entendre que sa proposition était « anormalement faible ».

Reste, enfin, une dernière réalité : si le tandem HPE/Orange implique au moins une société française, pour un projet de souveraineté, les composants clés qui seront dans ce supercalculateur seront, eux, américains. Il est prévu d’équiper l’appareil de puces Nvidia. Cruel rappel que sur certains secteurs critiques, l’Europe n’est pas au rendez-vous.