Trois ans pour livrer un embryon de DSA d’accompagnement

Trois ans pour livrer un embryon de DSA d’accompagnement

– Forces opérations Blog – publié le

Le compte à rebours est lancé pour KNDS France, chargé de fournir deux nouvelles variantes du Serval pour permettre à l’armée de Terre de muscler son bouclier anti-drones et de reconstruire une défense sol-air d’accompagnement au profit des forces déployées en opération. L’objectif ? Livrer des plateformes et des munitions abouties dans moins de 36 mois. 

Ces deux véhicules attendus par l’armée de Terre, ce sont les Serval « lutte anti-drones » (LAD) et Serval « défense sol-air » (DSA). Deux membres parmi d’autres d’une nouvelle famille « sol-air basse-couche » (SABC) de ce blindé 4×4 produit par KNDS France et Texelis dans le cadre du programme SCORPION. Et une capacité sur les rails depuis décembre 2024 avec la notification par la Direction générale de l’armement (DGA) d’un contrat majeur à KNDS France.

Fraction majeure des 600 M€ investis fin 2024 pour muscler la DSA française, ce contrat global prévoit non seulement le développement et la qualification des plateformes et des munitions associées mais aussi la livraison de 24 Serval LAD et 30 Serval DSA. Pour l’un comme pour l’autre, ces tranches initiales dépassent déjà les cibles fixées par la loi de programmation à horizon 2030, établies à 12 Serval LAD et 24 Serval DSA.

« C’est vraiment une course contre la montre », résume un représentant de KNDS France. Restent en effet moins de trois ans pour développer et fournir une capacité suffisamment mature que pour entamer le processus de qualification étatique, préliminaire obligatoire aux premières perceptions par les régiments d’artillerie. Celles-ci sont attendues en fin de LPM, potentiellement à compter de 2029. 

Le Serval LAD sera une solution complète intégrant un tourelleau téléopéré ARX30 et son canon de 30 mm, des antennes radio-fréquences, un système de commandement et de contrôle (C2) et un radar de détection et de suivi sur mât télescopique. Complexe, l’objet est aussi nouveau. Pour KNDS, « il faudra donc être excellents sur chacune des briques ». Aller vite suppose notamment de « faire travailler un certain nombre de gens ayant une grande expérience en matière de LAD » en misant sur des briques éprouvées et éventuellement adaptées. 

Le choix du radar embarqué, par exemple, na pas été officialisé mais l’intention serait de pousser la solution proposée par CS Défense, division d’un groupe devenu l’un des maîtres d’œuvre du programme interarmées PARADE (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs). Combiné avec le viseur de l’ARX30, le radar constituera la brique essentielle pour traquer, identifier et suivre efficacement des « objets tout petits, qui vont plutôt vite, volent au ras du sol et dont le spectre est très large ».

Le contrat français vient surtout soutenir le développement de l’ARX30 et de ses munitions, engagé sur fonds propres et poursuivi aujourd’hui autour d’un unique prototype. Conçu à Bourges, ce tourelleau suit en quelque sorte la voie tracée par sa « grande soeur » de Satory, la tourelle de 40 mm RapidFire. « Les équipes échangent beaucoup. Le moment est complexe, car c’est l’heure des choix », nous explique-t-on. Construit autour du canon court 30M781MPG de l’hélicoptère d’attaque Tigre, l’ARX30 sera « redessiné » pour gagner en compacité et descendre en dessous des 850 mm de hauteur. 

Le futur Serval LAD, élément central de la LAD dite « spécialisée »

Autre choix acté, l’ARX30 embarquera un viseur non panoramique, donc doté d’un débattement inférieur à 360° et partiellement asservi au canon. « Un moyen de s’assurer que la ligne de visée reste proche de celle du canon », précise KNDS. Le choix de ce viseur n’est pas affermi à ce jour, mais « quelques perles » ont été identifiées en France. Rien n’est acté, mais la démarche tendrait à première vue vers un duel entre deux candidats ayant des approches différentes : d’un côté une solution très aboutie et directement disponible et de l’autre un produit plus innovant mais exigeant un peu de patience. Léger, l’ARX30 exige cependant de plancher sur un Serval à toit renforcé tant pour augmenter la capacité d’emport que pour compenser l’effort de recul du canon, de l’ordre de 650 kg contre 240 kg pour un armement de 12,7 mm.

D’autres évolutions sont annoncées pour l’ARX30 par un industriel engagé dans une feuille de route à deux vitesses. La double entrée par exemple, cette capacité soutenue par un financement européen mais qui arrivera « plus tard » et pourra être l’objet d’un rétrofit. Son enjeu ? Dédoubler l’approvisionnement en munitions, offrir un choix au tireur et renforcer par là le caractère « multi-cibles » de l’ARX30, dont les 2 km de portée sont également étendus aux menaces de surface.

Les spécificités de la lutte anti-drones exigent par ailleurs de travailler sur une munition dédiée. L’obus airburst conventionnel est aujourd’hui la voie privilégiée pour « envoyer de la ferraille dans les airs » plutôt qu’une solution s’inspirant d’un obus antiaérien A3B conçu pour la tourelle RapidFire et dont la fin du développement était lui aussi notifié en décembre. Cette version airburst bénéficiera d’une quinzaine d’années de travaux entamées avec le calibre 25 mm et suivies avec le 40 mm. Le choix d’une fusée 100% électronique et non plus mécanique amène un challenge de taille pour les équipes munitionnaires : le degré d’utilisation des MEMS, ces composants électromécaniques ultra miniaturisés soumis aux contraintes extrêmes du domaine pyrotechnique. L’objectif sera de tenir a minima six secondes en vol, une performance qui suppose de maîtriser la consommation d’énergie avant l’impact donc de miser sur une électronique à la fois limitée et frugale. « Aujourd’hui, nous savons faire cette munition », assure un industriel pour qui il est « tout à fait jouable » de déboucher sur un produit mature dans le délai imparti. 

Si le Serval LAD est conçu pour opérer en autonomie, il est logiquement prévu de l’intégrer dans la chaîne DSA de l’armée de Terre. Il y rejoindra un Serval DSA que l’armée de Terre a rebaptisé « Tourelle MISTRAL ». Celui-ci reposera principalement sur une tourelle ATLAS RC armée de deux missiles MISTRAL 3 et d’une capacité d’autodéfense rapprochée, en attendant un MISTRAL 3+ espéré d’ici deux à trois ans. Ce véhicule sera complémentaire du Serval SATCP, cette autre version du véhicule de patrouille blindée adaptée pour l’emport d’un lanceur MISTRAL sur trépied et dont les premiers exemplaires sont attendus pour l’an prochain. 

Deux autres versions du Serval – non contractualisées à ce jour – viendront compléter un segment pour l’instant centré sur les effecteurs : l’une, un « PC DSA », pour la coordination des feux et l’autre pour l’emport d’un radar en bande X pour la détection et le suivi de cibles. Le radar Giraffe 1X de Saab, testé avec succès durant les Jeux olympiques et paralympiques de l’été dernier, serait en pôle position. Une nouvelle génération est déjà dans les cartons de l’entreprise suédoise. La commande de ces deux briques manquantes est attendue pour « cette année ou l’année prochaine ».

Sauf écueil majeur, l’armée de Terre disposera d’une première solution nativement conçue pour la LAD à la fin de la décennie. La montée en gamme se poursuit en parallèle en misant entre autres sur l’adaptation de matériels à l’origine non conçus pour cette mission, à l’image du VAB ARLAD Std 2 et du canon de 20 mm PROTEUS. Un premier éventail de moyens qui viendra armer la section LAD créée dans chaque batterie de défense sol-air. Demain, les déclinaisons du Serval permettront de reconstruire une DSABC d’accompagnement perdue depuis le retrait du système Roland. Combiner la mise sous blindage des équipages et la mobilité du porteur, c’est en effet récupérer des capacités de protection de convoi en mouvement ou de suivi de la manœuvre en avant du dispositif et jusqu’au plus près de la FLOT, la ligne de contact. 

L’armée de Terre gagnera aussi en souplesse, ces nouvelles ressources l’autorisant à constituer une bulle anti-aérienne selon la mission, l’adversaire et les systèmes disponibles. Le radar en bande X, le C2 propre à l’armée de Terre et en cours de développement, et les effecteurs seront autant de briques à assembler pour garantir une forme de cohérence dans chaque section et batterie. Rien n’empêcherait, par exemple, de rassembler trois Serval Tourelle MISTRAL et autant de Serval LAD au sein d’une section de circonstance. Bref, une perspective parmi d’autres d’un nouveau chapitre qui ne pourra s’écrire qu’une fois les délais tenus.

CARTE. Guerre en Ukraine : aide militaire française, accord déjà menacé… Le point du jour

CARTE. Guerre en Ukraine : aide militaire française, accord déjà menacé… Le point du jour

De nouvelles frappes nocturnes poussent Kiev et Moscou à s’accuser de vouloir saboter l’accord annoncé mardi par les États-Unis, ce mercredi 26 mars. Emmanuel Macron, quant à lui, a annoncé une nouvelle aide militaire de 2 milliards d’euros pour l’Ukraine, réclamant également un cessez-le-feu « sans condition préalable ». Voici ce qu’il faut retenir de l’actualité liée à la guerre en Ukraine ce mercredi.

Emmanuel Macron (à droite) et Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse conjointe, à Paris, le 26 mars 2025.
Emmanuel Macron (à droite) et Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse conjointe, à Paris, le 26 mars 2025. | YOAN VALAT / AFP

L’accord annoncé mardi 25 mars 2025 par les États-Unis sur un cessez-le-feu en mer Noire entre Russie et Ukraine apparaît déjà bien fragile, ce mercredi 26 mars. Car les nouvelles frappes menées dans la nuit conduisent Moscou et Kiev à s’accuser mutuellement de vouloir saboter cet accord. Cet enjeu sera sûrement au menu des discussions, jeudi, lors du sommet international sur la sécurité prévu à Paris.

En attendant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est arrivé dès ce mercredi soir dans la capitale française, où il a été reçu par Emmanuel Macron. Le président français en a profité pour annoncer une nouvelle aide militaire de 2 milliards d’euros pour Kiev et réclamer à la Russie d’accepter un cessez-le-feu « sans condition préalable ». On fait le point sur l’actualité liée à la guerre en Ukraine ce mercredi.

Kiev et Moscou s’accusent de faire capoter l’accord conclu en Arabie saoudite

De nouvelles frappes ont eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi, poussant Russie et Ukraine à s’accuser mutuellement de vouloir faire capoter l’accord conclu en Arabie saoudite et annoncé hier par les États-Unis, qui prévoit notamment un cessez-le-feu en mer Noire.

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a indiqué que l’armée russe a lancé « 117 drones » explosifs contre les villes et villages d’Ukraine dans la nuit, « 117 preuves » de « la manière dont la Russie continue de faire traîner cette guerre ».

« Le lancement d’attaques d’une telle ampleur après les négociations de cessez-le-feu est un signal clair envoyé au monde entier que Moscou ne va pas œuvrer à une véritable paix », a-t-il dénoncé sur les réseaux sociaux.

Volodymyr Zelensky a en conséquence appelé ses alliés à faire « pression » sur le Kremlin, en particulier les États-Unis, dont le président, Donald Trump, a entrepris un rapprochement avec Moscou.

Côté russe, les militaires ont accusé l’Ukraine d’avoir lancé des opérations contre des sites énergétiques. « Malgré la déclaration publique de Zelensky acceptant les accords russo-américains […], le régime de Kiev a poursuivi ses attaques », ont-ils affirmé.

Dans un communiqué relayé par l’Agence France-Presse (AFP), l’état-major de l’armée ukrainienne a estimé que « le pays agresseur » portait « des accusations fausses et sans fondement afin de prolonger la guerre » et de « tromper le monde ».

Emmanuel Macron annonce 2 milliards d’euros d’aide supplémentaire pour Kiev

Alors que Volodymyr Zelensky est à Paris, ce mercredi 26 mars 2025, avant un sommet sur la sécurité prévu jeudi, le président français Emmanuel Macron a détaillé le menu de leurs discussions lors d’une conférence de presse conjointe.

Rappelant que « nous avons changé d’ère » face à la menace russe qui « impacte très directement notre sécurité en Europe », le chef de l’État a annoncé une aide militaire supplémentaire de 2 milliards d’euros pour Kiev. L’armée ukrainienne recevra ainsi des missiles antichars Milan, des missiles de défense sol-air, ainsi que des blindés, des chars, des munitions téléopérées et des drones. Ces livraisons seront complétées par la « production d’équipements en Ukraine », a précisé Emmanuel Macron.

Le Président a également indiqué que les moyens qu’un « cessez-le-feu durable » soit « observé et respecté » seraient étudiés ce jeudi lors du sommet à Paris, de même que le format futur de l’armée ukrainienne, un format « crédible » qui permette de « dissuader toute nouvelle agression et résister à toute nouvelle attaque de l’armée russe ».

« À date, la Russie n’apporte aucune réponse solide » pour la paix, et « par ses actes, elle montre sa volonté de continuer la guerre », a regretté Emmanuel Macron, appelant Moscou à accepter un cessez-le-feu « sans condition préalable ». « Vous pourrez compter sur le soutien et l’engagement de la France à vos côtés », a promis le chef de l’État français à Volodymyr Zelensky.

L’Ukraine veut plus qu’une « simple présence » européenne après la guerre

Kiev a besoin de la contribution « sérieuse » de soldats européens prêts à combattre après la guerre et non d’une force de maintien de la paix, a déclaré à l’AFP ce mercredi un responsable ukrainien participant aux négociations pour un cessez-le-feu avec la Russie.

« Nous n’avons pas besoin d’une simple présence pour démontrer que l’Europe est là », a fait valoir Igor Jovkva, un conseiller du président ukrainien Volodymyr Zelensky. « Nous n’avons pas besoin de missions de maintien de la paix », a-t-il insisté. Et « ce n’est pas la quantité qui compte […]. C’est aussi leur disposition à se battre, se défendre, à être équipés et à comprendre que l’Ukraine est une partie incontournable de la sécurité européenne ».

« Chaque soldat doit être prêt à être impliqué dans un combat réel. C’est ce que les Ukrainiens font depuis trois ans, voire plus », a-t-il jugé, en suggérant que des forces européennes contribuent à sécuriser la frontière avec la Biélorussie, afin de libérer des troupes ukrainiennes qui pourraient se déployer dans des zones plus dangereuses.

L’UE pose ses conditions pour une levée des sanctions

« La fin de l’agression russe non provoquée et injustifiée en Ukraine et le retrait inconditionnel de toutes les forces militaires russes de l’ensemble du territoire ukrainien seraient les principales conditions préalables à la modification ou à la levée des sanctions », a déclaré un porte-parole de l’Union européenne.

Cette levée, au moins partielle, est réclamée par la Russie en préalable à toute application des accords obtenus au terme de pourparlers mardi à Ryad conduits par les États-Unis avec des délégations russe et ukrainienne.

Le Kremlin s’est quant à lui dit satisfait « de la manière pragmatique et constructive dont se déroule » le dialogue avec les États-Unis, ajoutant que des contacts « vraiment intensifs » étaient en cours avec Washington. Le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, estime qu’un cessez-le-feu « prendra du temps ».

La ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, a exhorté de son côté la Russie à accepter un cessez-le-feu « sans condition » en Ukraine, appelant également à ne pas « se laisser leurrer » par le président russe Vladimir Poutine. « Il n’y a pas de situation de dialogue où un cessez-le-feu est constamment lié à des concessions et à de nouvelles exigences », a-t-elle affirmé.

Une journaliste russe tuée par une mine dans une région frontalière de l’Ukraine

Une journaliste de la télévision d’État russe est morte dans l’explosion d’une « mine ennemie » dans la région de Belgorod, frontalière de l’Ukraine, a annoncé son employeur ce mercredi sur son site internet.

« Anna Prokofieva, reporter de guerre de Pervy Kanal, a été tuée dans l’exercice de ses fonctions. Cela s’est passé dans la région de Belgorod, à la frontière avec l’Ukraine, où l’équipe de tournage […] a sauté sur une mine ennemie », a expliqué la chaîne de télévision publique, ajoutant qu’un caméraman avait pour sa part été blessé. Ce dernier, Dmitri Volkov, est dans un état « grave », a souligné Alexandre Khinchtein, le gouverneur de la région russe voisine de Koursk, où il est hospitalisé.

Anna Prokofieva, âgée de 35 ans, effectuait des reportages « dans la zone de l’opération spéciale », un euphémisme imposé en Russie pour évoquer l’assaut d’ampleur contre l’Ukraine lancé le 24 février 2022. La diplomatie russe a appelé la communauté internationale et les organisations telles que les Nations unies à réagir à ce décès.

Diplomates, corruption et compromission

Diplomates, corruption et compromission

par Jean DASPRY* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°177 / mars 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

 

 

 

A propos du « Mystérieux » Char chinois !

A propos du « Mystérieux » Char chinois !

par Blablachars – publié le 25 mars 2025

https://blablachars.blogspot.com/2025/03/a-propos-du-mysterieux-char-chinois.html#more


Les images relayées par de nombreux internautes, d’un « mystérieux » prototype chinois de char semblent indiquer que la Chine, comme plusieurs autres pays, cherche à réduire le gabarit de ses futurs engins blindés et plus spécialement de son prochain char. Au-delà d’une simple réduction des dimensions, les modifications supposées s’accompagneraient aussi d’une augmentation de certaines performances du futur engin, qui pourrait être synonyme d’une modification de la doctrine de l’Armée Populaire de Libération (APL) dans le domaine. Depuis de longues années, les chars sont systématiquement employés au sein d’ensembles interarmes au sein desquels ils sont le plus souvent utilisés au profit des autres armes et très rarement comme une force de rupture autour de laquelle les autres composantes s’organisent. Cette relative stabilité doctrinale a connu peu d’évolutions, allant de pair avec l’introduction d’une nouvelle génération de chars. Le char mystère, probablement doté de technologies innovantes pourrait bouleverser cet équilibre et entrainer d’importantes modifications doctrinales au sein de l’APL.

L’emploi de chars en grand nombre au sein de dispositifs interarmes dont on peut voir de nombreuses illustrations sur les images diffusées par l’APL, repose sur l’utilisation par cette dernière de chars polyvalents, techniquement simples et dotés d’une puissance de feu conséquente. Le traité sino-soviétique d’amitié, d’alliance et d’assistance mutuelle signé en 1950 permet à Pékin de bénéficier de l’appui soviétique pour le développement de ses chars, avec la construction en 1956 d’une usine destinée à produire le T-54A, qui est mis en service en 1959 sous l’appellation de type-59, armé comme son « cousin » soviétique d’un canon de 100mm. Les productions chinoises qui suivent ce premier engin contiennent peu d’innovations techniques et la faible qualité des chars chinois est compensée par la mise en service de nombreux exemplaires. A la fin des années 1960, l’APL compte jusqu’à 8000 chars dont une majorité de Type 59. Ce choix se traduit par l’adoption au fil des années de versions successives d’un même char sur lesquelles les évolutions techniques sont limitées et souvent liées à l’apport de technologies étrangères comme le canon L7 britannique intégré sur le Type 69 (lui même dérivé du T-62 soviétique) pour donner naissance au Type 79. Le Type 96 mis en service à la fin des années 1980 est la dernière évolution du Type 69 développé à la fin des années 1970.

La mise en service du Type 98 et de son évolution le Type 99, marquent une première inflexion de la doctrine blindée chinoise qui privilégie l’aspect technique des engins au détriment de la masse, qui semble se rapprocher des usages en cours dans les armées occidentales. La mise en service du Type-15 à la fin des années 2010 concrétise la seconde tentative de développement d’un char léger répondant à un besoin spécifique. A la fin des années 1950, le développement par la firme NORINCO d’une version allégée du Type 59 conduit à la mise en service du Type 62 capable de combattre sur des terrains difficilement accessibles au char d’origine. Pour atteindre cet objectif, la firme chinoise diminue le calibre du canon qui passe de 100 à 85mm ainsi que l’épaisseur du blindage et simplifie les systèmes embarqués. Ces différentes solutions permettent au Type-62 d’afficher un poids de 21 tonnes, inférieur de 15 tonnes au poids du Type 59 dont il est dérivé.

En dépit d’une réduction de la puissance du moteur qui passe de 520cv sur le Type 59 à 430cv sur le Type 62, la mobilité du Type 62 est considérablement améliorée par rapport à celle du Type 59, amélioration symbolisée par un rapport poids/puissance de 20.5cv/t, largement supérieur à celui du Type-59 s’établissant à 14.4 cv/t. Le Type 15, qui est aussi le premier char chinois « non inspiré » d’un modèle russe, ne bouleverse cependant pas la doctrine chinoise d’emploi des blindés, mais s’inscrit plutôt dans une démarche identique à celle de la conception du Type 62.  Comme pour ce dernier, la réduction de calibre de l’armement principal, qui passe de 125 à 105mm et le recours à des matériaux composites pour le blindage structurel de l’engin permettent d’arriver à un poids de 33 ou 36 tonnes. Cette variation est liée à l’éventuel montage d’un pack de blindage réactif additionnel. La mobilité est également favorisée par l’installation d’un moteur de 1000 cv associé à une transmission entièrement automatique, tandis que les traditionnelles barres de torsion laissent place à une suspension hydropneumatique. Ces choix permettent au Type 15 d’afficher un rapport poids/puissance de 27.8 ou 30.3 cv/t, en fonction du poids de l’engin, le rendant particulièrement adapté au milieu pour lequel il a été développé. Sa première apparition en 2019, six ans après le retrait des derniers Type 62, précède son déploiement dans la région du Ladakh au sein des unités de l’APL stationnées dans la zone frontalière, objet de tensions entre Pékin et New Delhi. Ce déploiement a été suivi en juin 2021 de la mise en service du Type 15 au sein de l’infanterie de marine chinoise.

 

 

A l’inverse des engins précédents, le mystérieux char aperçu ces derniers mois pourrait marquer une inflexion majeure de la doctrine chinoise en matière d’emploi des blindés. L’engin dont le poids serait inférieur à 40 tonnes et doté d’une tourelle téléopérée pourrait être servi par un équipage réduit à deux hommes. L’armement principal serait constitué d’un canon rayé de 105mm, une solution similaire à celle retenue pour le Type-15 mais aussi aux Etats-Unis pour le M10 Booker. L’appellation « Assault gun » retenue pour cet engin par l’armée américaine illustre parfaitement le rôle pour lequel le Booker a été conçu, tout comme son évaluation par la 82ème Division Aéroportée ! Pourrait-on imaginer la 11ème Brigade Parachutiste évaluant un engin chenillé de 40 tonnes armé d’un canon de 105mm, capable de fournir un appui-feu de proximité aux unités parachutistes ? Le calibre 105mm qui a subi une éclipse de plusieurs années face aux armements de 120 ou 125mm semble redevenir d’actualité grâce à aux améliorations apportées aux munitions utilisées. Ainsi, les informations (non confirmées) concernant l’armement du char chinois font état de la possible utilisation de munitions flèche de nouvelle génération dont l’efficacité serait similaire à celles des obus flèche de 125mm de génération précédente utilisés par le Type 99. Cette réduction de calibre favorise l’emport d’une plus grande quantité de munitions, qui serait de 38 obus sur le Type 15 et de 42 coups sur le M10 Booker, autorisant la conduite de missions d’appui-feu de plus longue durée. Autre possibilité offerte par ces engins et probablement par le futur char chinois, la réalisation de tirs indirects permise grâce aux qualités de l’arme, à l’intégration de dispositifs de visée adéquats et aussi par le débattement en site. Le choix d’une tourelle téléopérée augmente cette possibilité, comme l’illustre l’exemple de la tourelle 3105 de John Cockerill Defense capable d’atteindre une élévation maximale de 42°,  supérieure à celle du M10 Booker de +20° et du Type 15 atteignant +18°. Ces deux engins utilisant une tourelle habitée dont l’intrusion en châssis constitue une limite mécanique au débattement vertical. 

 

 

La conception de l’engin chinois semble privilégier la mobilité et la compacité qui pourraient entrainer une modification de la doctrine au profit d’un emploi privilégiant la mobilité et la « discrétion ». A côté de ces caractéristiques qui contribuent à augmenter la survivabilité du char, la diminution du blindage structurel serait compensée par le recours à un système de protection active, comme le GL-6 dévoilé en février dernier.

Le caractère encore incertain des informations disponibles à propos de ce nouvel engin, laisse subsister de nombreuses inconnues sur son niveau de développement. La présence de différents modèles sur les images disponibles permet de penser que les travaux sur le futur engin se poursuivent et que plusieurs solutions sont probablement explorées. Cependant, la récente mise en service du Type 15 ainsi que son emploi spécifique empêchent de considérer ce char mystère comme son remplaçant mais plutôt comme un nouveau char. On sait que la Chine travaille sur un char de nouvelle génération, dont l’engin entrevu présente apparemment de nombreuses caractéristiques telles qu’une tourelle téléopérée, le positionnement de l’équipage dans le châssis, un gabarit réduit ou encore une mobilité accrue. L’hypothèse d’un équipage de deux hommes laisse entrevoir un recours à des solutions technologiques comme l’intelligence artificielle pour l’accomplissement de certaines tâches, normalement dévolues à un équipier humain. L’apparition de nouvelles images permettra de préciser certaines informations et de dissiper les doutes existant sur ses caractéristiques mais aussi sur son possible emploi au sein de l’APL. De façon plus générale, il est probable que le degré de sophistication des futurs engins imposera de profonds changements doctrinaux qui permettront aux équipages de tirer le meilleur parti des technologies embarquées parmi lesquelles figurera probablement l’intelligence artificielle. Plus compact, plus mobile, mieux protégé, plus puissant et versatile, le char médian a tout pour devenir le standard des futurs plateformes blindées.

 

A méditer en cas d’embrouille avec Trump: la France aussi est dépendante aux armes et technologies militaires américaines

A méditer en cas d’embrouille avec Trump: la France aussi est dépendante aux armes et technologies militaires américaines

Un Reaper français au Niger en 2021. Photo P. Chapleau

Les tensions croissantes avec l’administration Trump doivent-elles inquiéter les pays de l’Union européenne dont la dépendance en matière d’armement d’origine américaine constitue une fragilité stratégique? L’Europe est effectivement lourdement dépendante des États-Unis en matériel militaire, comme l’a admis la Commission européenne dont le récent livre blanc prône la préférence européenne en matière d’acquisition d’armement.

Si les deux tiers des armements achetés par les pays de l’Union européenne sont acquis auprès des États-Unis, ce n’est pas le cas de la France dont l’industrie de défense, globalement florissante, permet au ministère des Armées de s’équiper sur le marché français.

Il reste toutefois un certain nombre de domaines où Paris doit se tourner vers l’allié américain et son complexe militaro-industriel pour acquérir des technologies ou des équipements (certains avec des restrictions). Ces achats se font dans le cadre de Foreign Military Sales (FMS) dont le montant récent est chiffré à 6,2 milliards de dollars par le Département d’Etat.

Petite revue de détail des technologies ou des armements en cours de livraison ou fournis au cours des quinze dernières années par les équipementiers US avec la bénédiction du Pentagone. Cet état des lieux, qui ne prend pas en compte la multitude des composants et autres hardware/software américains intégrés aux armements français, montre qu’une éventuelle brouille avec les Etats-Unis aurait des conséquences néfastes dans au moins trois domaines regardant la défense.

Des lance-roquettes unitaires

En 2016, selon la DSCA (la Defense Security Cooperation Agency), la France a acheté aux Etats-Unis 13 Guided Multiple Launch Rocket System (GMLRS) pour un coût de 90 millions de dollars. Ces lance roquettes unitaires équipent le 1er régiment d’artillerie mais quatre pièces ont été fournies à l’armée ukrainienne. Le reste, vieillissant, mériterait d’être remplacé.

C’est ce que prévoit la LPM 2024-30. Avec une solution souveraine dans le cadre du programme « Frappe longue portée terrestre » (FLP-T) sur lequel travaillent deux consortiums, l’un formé par MBDA et Safran, l’autre par Thales et Ariane Group. A moins que l’urgence opérationnelle ne pousse à acheter des M142 HIMARS américains (un matériel éprouvé) proposés par l’américain Lockheed-Martin ou des PULS du groupe israélien Elbit Systems. A moins encore que le programme ELSA (European Long Range Strike Approach), qui rassemble la France, l’Italie, l’Allemagne, la Pologne et le Royaume-Uni, ne soit choisi à cause de son actuelle pertinence politique.

Des missiles 

Des commandes ad hoc de bombes Paveway (5 000 à partir de 1999, selon le SIPRI) et de missiles ont été faites par Paris dans le cadre de besoins ponctuels liés aux activités opérationnelles lors des opex. Selon les chiffres de la DSCA, Washington a ainsi livré 260 missiles antichars Javelin après un feu vert du Congrès en 2010.

Pour armer ses hélicoptères Tigre et ses drones MQ-9 (lire ci-dessous), Paris a acheté des missiles AGM-114R2 Hellfire (200 en 2015, 260 en 2016, 1 515 en 2023).

Plus récemment, en 2023, la France a été destinataire d’un lot de munitions rôdeuses Switchblade 300 dans le cadre d’un contrat passé entre l’US Army et la firme américaine AeroVironment, Inc. Un premier contrat d’une valeur initiale de 231 millions de dollars au profit de l’armée de Terre US a été augmenté de 64,5 millions de dollars en mars 2023 de façon à permettre la fourniture de systèmes au profit de deux armées étrangères, dont les armées françaises.

Des drones MQ-9

Après une décision prise en 2013 par Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, l’armée de l’Air a été équipée en drones Reaper construits par la société américaine General Atomics Aeronautical Systems, Inc. Le Congrès avait donné son feu vert pour 16 drones mais 12 seulement ont été achetés. Le marché d’une valeur de 1,5 milliard de dollars incluait les drones, des pièces détachées, les software, la formation des personnels français et un soutien technique américain (le contractor logistics support). Pour les douze drones Reaper MQ-9 de l’armée de l’Air et de l’Espace qui dépendent de la 33e escadre Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque (ESRA), installée sur la base aérienne 709 de Cognac, ce CLS coûtera en 2025 48,5 millions de dollars.

Cette dépense annuelle somme toute limitée s’inscrit toutefois dans une vraie dépendance de l’AAE. Pour Cédric Perrin, sénateur et président de la commission défense du Sénat, cette dépendance envers les États-Unis est vraiment forte. Cité par mon confrère Pascal Samama, il a rappelé que « nous ne sommes pas propriétaire des images. Si les Américains récupèrent la boite à images qui est dans le Reaper, ils peuvent le faire, nous priver de ces images et même nous empêcher de survoler tel ou tel territoire. Les Américains peuvent décider de l’usage que l’on fait de nos drones ».

Des catapultes électromagnétiques

2025 sera l’année du « dossier de lancement et réalisation » (DLR) avant la commande effective du futur porte-avions, le PA-Ng. Je rappelle que Naval Group et les Chantiers de l’Atlantique réaliseront la plateforme et TechnicAtome les chaufferies nucléaires.

Les catapultes seront fournies par le groupe américain General Atomics qui fournira trois « Electromagnetic Aircraft Launch Systems » (EMALS), pour un coût estimé à plus de 1,3 milliard de dollars. Ces trois catapultes électromagnétiques de nouvelle génération ont été développées par General Atomics pour les porte-avions de la classe Gerald R. Ford de l’US Navy.

Comme l’a bien résumé Guillaume Aigron dans le blog Secret Défense, « la France se trouve dans une position délicate car ces systèmes sont actuellement produits uniquement par les États-Unis. Le constructeur américain General Atomics est le seul à maîtriser ces technologies, déjà déployées sur le porte-avions USS Gerald R. Ford. Cette situation place la France dans une position de dépendance technologique vis-à-vis de son allié transatlantique»

Les catapultes électromagnétiques qui équiperont le PA-Ng reposent sur le principe de l’induction magnétique. Des circuits électriques, situés de part et d’autre des rails de catapultage, génèrent un champ magnétique mettant en mouvement un chariot mobile sur lequel est fixé l’aéronef. L’alimentation de ce moteur linéaire est contrôlée de manière à être ajustée à la masse de l’avion ou du drone à catapulter et à la vitesse finale nécessaire à son catapultage. Des systèmes de stockage et de restitution d’énergie, situés en amont des moteurs, permettent de lisser les appels de puissance vis-à-vis de l’installation de production électrique du navire lors de l’utilisation des EMALS.

Guet et transport aériens

Restons dans le domaine aéronautique avec un trio de contrats. D’abord celui des avions de guet aérien AWACS (Airborne Warning and Control Systems) qui date des années 1990. L’armée de l’Air et de l’Espace dispose de quatre E-3F (des Boeing 707 modifiés de 35 ans d’âge) basés à Avord, sur la base aérienne 702 où ils sont exploités au sein de la 36e escadre de commandement et de conduite aéroportés. Eux aussi vieillissants, ils pourraient être remplacés par des E-7A Wedgetail, développés par l’Américain Boeing (et retenus par l’Otan), ou par le système GlobalEye du Suédois Saab.

Deuxième contrat, celui deux C-130J et des deux KC-130J désormais installés à Evreux avec des appareils similaires de l’armée de l’Air allemande. Soit cinq aéronefs C-130J-30 et cinq aéronefs KC-130J achetés aux États-Unis en 2015 et livrés à partir de septembre 2018. A noter que le soutien technique de la flotte des C-130 français a un coût annuel d’une cinquantaine de millions de dollars versée à l’entreprise américaine Lockheed Martin Aeronautics Co.

Un Rafale Marine et un E-2 Hawkeye sur le pont du Charles de Gaulle, à Subic Bay, le 23 février 2025. (Photo by TED ALJIBE / AFP)

Enfin, un autre contrat, lui en cours depuis 2020, concerne la livraison à la Marine nationale de trois avions de guet aérien E-2D Advanced Hawkeye Aircraft pour remplacer l’actuelle flotte française d’E-2C Hawkeye 2000 entrés en service dans la Marine nationale en 1998. Le premier des E-2D est en construction aux USA depuis décembre dernier. Livraison prévue en 2027. La valeur initiale du marché était estimée à deux milliards de dollars mais l’addition s’est déjà alourdie de quelques 450 millions de dollars.

La DGSI à Saint-Ouen, c’est parti !

TRIBUNE LIBRE N°176 / mars 2025

La DGSI à Saint-Ouen, c’est parti !

par Jean Daspry* – CF2R – TRIBUNE LIBRE N°176 / mars 2025

*Pseudonyme d’un haut fonctionnaire français, docteur en sciences politiques

« L’espionnage serait peut-être tolérable s’il pouvait être exercé par d’honnêtes gens, mais l’infamie de la personne peut faire juger de l’infamie de la chose »  (Charles de la Brède et de Montesquieu, 1748).

Heureusement, les choses ont bien changé depuis cette époque lointaine. La communauté du renseignement a gagné toutes ses lettres de noblesse. Et cela en particulier depuis que le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 reconnait la fonction « connaissance et anticipation » (en réalité le renseignement largo sensu) comme une fonction stratégique à part entière[1]. Qui plus est, le monde du renseignement n’est plus entouré de ce halo de suspicion, voire de mépris qui en faisait la marque de fabrique !

Entouré d’une palette de ministres, de hauts fonctionnaires et d’élus locaux, Emmanuel Macron pose, le 11 mars 2025, à Saint-Ouen la première pierre des futurs locaux de la DGSI (Direction générale de la sécurité intérieure), actuellement implantée à Levallois-Perret. Rappelons qu’elle succède à la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) qui, elle-même, est le fruit de la fusion entre DST (Direction de la surveillance du territoire) et DCRG (direction centrale des renseignements généraux) dont le siège fut successivement place Beauvau dans le VIIIe arrondissement, puis rue Nélaton dans le XVe arrondissement, sur le site de l’ancien Vel d’hiv de sinistre mémoire. Rappelons que la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), plus connue sous son appellation de « piscine » (elle est proche de la piscine des Tourelles), sise boulevard Mortier dans le XXe arrondissement de Paris, attend son déménagement à Vincennes. Le chef de l’État évoque également ce chantier dans son discours. C’est peu dire que nos deux services de renseignement sont dans l’attente de locaux plus spacieux, plus fonctionnels permettant d’accueillir les recrutements en nombre de nouveaux agents effectués ces dernières années pour faire face à la montée des menaces en particulier, celle du terrorisme islamiste. L’on peut regretter que le président de la République ait privilégié un discours convenu à un discours stratégique.

Un discours très convenu

Loin de ses envolées lyriques habituelles, Emmanuel Macron égrène, de manière fastidieuse, la liste de tous les intervenants sur ce dossier de grande envergure : ministères, structures publiques, élus locaux, entreprises et architectes en charge de mener à bien ce chantier. L’impression prévaut que la plume du chef de l’État a procédé à un copier-coller de fiches techniques rédigées par les ministères concernés, ministère de l’Intérieur en priorité, sans chercher à prendre de la hauteur sur un sujet qui le méritait. Le président de la République salue le « combat singulier » des services, soulignant que « la sécurité des Français est la priorité absolue ». Évacuant de manière préventive toute polémique sur ses récentes déclarations (la Russie, « menace existentielle »), Emmanuel Macron conclut qu’il n’effectue pas de priorité entre menaces de nature géopolitiques et menaces intérieures. Elles sont traitées conjointement. Dont acte !

Ce discours de trente minutes environ tourne rapidement à un exercice d’autosatisfaction de toutes les mesures concernant la sécurité et les services adoptées sous ses deux mandats successifs : législatives, règlementaires, financières, ressources humaines, aménagement du territoire, coopération intérieure et internationale entre services… L’énumération s’apparente à bien des égards à un inventaire à la Prévert.

Un discours peu (pas) stratégique

Au moment où les décisions de la nouvelle administration américaine poussent les Européens à prendre en main leur sécurité et à imaginer les voies et moyens de la mise en place d’une nouvelle architecture de sécurité[2], il est regrettable que le Président de la République n’ait pas choisi de prendre de la hauteur par rapport au sujet strictement immobilier. Une sorte d’actualisation de son discours de la Sorbonne de 2017. Un appel lancé aux Européens pour qu’ils sortent de leur torpeur, de leur sidération afin de dessiner une « Europe post-Amérique ». Un appel pour un grand dessillement afin de faire face au grand ensauvagement de notre Douce France et d’un monde en perpétuel bouleversement.

Comme la fonction essentielle de la communauté du renseignement consiste à anticiper (connaître le passé pour comprendre le passé et anticiper le futur), l’essentiel, pour le chef des Armées, n’aurait-il pas été d’aller voir derrière l’horizon ? Curiosité des premières images diffusés avant qu’Emmanuel Macron ne prenne place derrière son pupitre, le champ de ruines à perte de vue d’un immense chantier, d’une terre en friches. Certains mauvais esprits auraient pu y voir une allégorie de la situation actuelle de la sécurité intérieure telle que la perçoivent bon nombre de compatriotes. Peut-être le sujet était-il trop glissant pour un président incapable de se faire respecter de l’Algérie pour le renvoi des OQTF et qui cherche à masquer ses revers internes par une hyperactivité sur la scène internationale et européenne ? Faible avec l’Algérie, fort avec la Russie.

Le renseignement à l’épreuve du monde de demain

« De même que le XVIIIe siècle a pu voir dans la guerre la poursuite de la diplomatie par d’autres moyens, le XXe a fait du renseignement la poursuite de la concurrence par d’autres moyens » (Alain Chouet, 2011).

Confessons notre immense regret de n’avoir pas vu Jupiter enfiler sa tenue de passeur d’idées dans laquelle il brille parfois ! L’occasion était toute trouvée. Le Président de la République aurait été particulièrement bien inspiré de se remettre en tête la fameuse citation du général de Gaulle pour qui « l’essentiel pour jouer un rôle international, c’est d’exister par soi-même, en soi-même, chez soi. Il n’y a pas de réalité internationale qui ne soit d’abord une réalité nationale ». Cette omission est peut-être un acte symbolique qui dissimule mal l’embarras d’un homme en perte de repères après huit années passées au 55 rue du Faubourg Saint-Honoré. L’homme se serait grandi en saisissant la balle au bond en affichant « son ambition d’écrire une page totalement nouvelle dans l’histoire des relations internationales »[3] à un moment où la réalité reprend ses droits après une période de somnolence stratégique des Européens. Pour ce faire, Emmanuel Macron aurait dû bannir les phrases longues et creuses pour leur préférer des faits et des perspectives d’avenir. Et, après tout, c’est cela la diplomatie : négocier, convaincre, remettre sans cesse le travail sur le métier. Un travail de longue haleine. Un travail de Sisyphe.

Une chose est au moins certaine aujourd’hui, la DGSI à Saint-Ouen, c’est parti !


[1] Nicolas Sarkozy, président de la République (préface de), Défense et sécurité nationale, Odile Jacob/La Documentation française, 2008.

[2] Jenny Raflik, « L’OTAN est devenue un bouc émissaire facile des échecs de la défense européenne », Le Monde, 12 mars 2025, p. 28.

[3] François Hollande, « Donald Trump n’est plus notre allié », Le Monde, 1er mars 2025, p. 15.

Le sous-marin nucléaire d’attaque Tourville met à l’épreuve sa capacité à naviguer « dans les glaces »

Le sous-marin nucléaire d’attaque Tourville met à l’épreuve sa capacité à naviguer « dans les glaces »

https://www.opex360.com/2025/03/13/le-sous-marin-nucleaire-dattaque-tourville-met-a-lepreuve-sa-capacite-a-naviguer-dans-les-glaces/


En novembre 1987, alors que le Canada envisageait de se procurer jusqu’à douze sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] dans le cadre du programme CASAP [Canadian Submarine Acquisition Program], la Marine nationale envoya un SNA de type Rubis en « mission commerciale » à Halifax [Nouvelle-Écosse].

Comme l’a relaté l’ingénieur général de l’armement [IGA] Louis Le Pivain, alors impliqué dans cette affaire, la Marine royale canadienne avait exigé un modèle de SNA « capable de faire surface en perçant un mètre d’épaisseur de glace arctique de première année. Ce qui s’annonçait compliqué pour les sous-marins de la classe Rubis, leurs barres de plongée étant situées sur leur kiosque. Aussi, a révélé l’IGA Le Pivain, un « dispositif ingénieux de mât perceur de banquise », intégré au niveau du massif pour ne pas endommager les barres de plongées, avait été mis au point. Cependant, ces efforts se révélèrent vains… puisque Ottawa renonça à mener le programme CASAP jusqu’à son terme et décida, à la place, d’acquérir quatre sous-marins à propulsion diesel électrique d’occasion [classe Victoria] auprès du Royaume-Uni.

Trente-huit ans plus tard, le Canada a lancé une procédure en vue de se procurer jusqu’à douze nouveaux sous-marins « à propulsion classique » et « capables de naviguer sous la glace ». Et cela afin de renforcer ses capacités à « détecter et à dissuader les menaces maritimes, à contrôler ses approches maritimes et à projeter sa puissance et ses capacités de frappe plus loin de ses côtes ». Au regard des sommes en jeu, ce marché s’annonce très disputé.

Hasard du calendrier, dans le cadre de son déploiement de longue durée [DLD] visant vérifier ses capacités militaires avant son admission au service actif, le SNA Tourville, de type Barracuda [ou Suffren], fait actuellement une escale à Halifax qui n’est pas passée inaperçue.

Étant donné qu’un DLD est planifié relativement longtemps à l’avance, la présence du Tourville à Halifax n’est pas liée au projet d’Ottawa d’acquérir de nouveaux sous-marins, lancé en septembre dernier. D’ailleurs, après avoir longuement hésité, Naval Group n’a confirmé son intention de participer à l’appel d’offres canadien qu’en février dernier, avec une proposition reposant sur une version à propulsion classique du Barracuda.

Cela étant, il ne s’agit pas non plus de perdre une occasion de « faire l’article » au profit des savoir-faire français en la matière. Comme cela a pu être le cas lors des expérimentations menées avec l’avion de transport A400M « Atlas » dans le grand nord canadien. C’est d’ailleurs ce que n’a pas manquer de rappeler le colonel Bruno Heluin, l’attaché de défense près l’ambassade de France au Canada, via le réseau social LinkedIn.

« Après les expérimentations de posés terrains sommaires dans l’extrême nord canadien et la navigation dans les glaces, la coopération franco-canadienne se renforce avec l’escale du SNA Tourville, dernier né des sous-marins d’attaque », a en effet commenté le colonel Heluin.

Et d’ajouter : « Ce bâtiment de la Marine nationale vient d’effectuer sa première traversée transatlantique. C’est une excellente occasion pour partager une expertise opérationnelle, humaine et industrielle. À l’heure où le Canada annonce vouloir relancer sa capacité sous-marine, la France peut indéniablement apporter un savoir-faire unique ».

Reste à voir si le Tourville va « briser la glace », comme le font les SNA américains, russes et britanniques. Contrairement à ses prédécesseurs de la classe Rubis, dont, a priori, aucun n’a réalisé une telle manœuvre, ses barres de plongée sont situées au niveau inférieur de sa proue, ce qui réduit considérablement le risque d’une avarie au moment de faire surface dans un tel environnement.

Pour rappel, affichant un déplacement de 5 300 tonnes en plongée pour une longueur de 99 mètres et un diamètre de 8,8 mètres, les SNA de la classe Suffren possèdent des capteurs dix à quinze fois plus performants que ceux de la classe Rubis. Encore plus discrets, ils emportent des missiles antinavires Exocet SM39 modernisés, des torpilles lourdes filoguidées F-21, des mines et, surtout, des missiles de croisière navals [MdCN]. Le Tourville est le troisième d’une série qui doit compter six exemplaires.

Quoi qu’il en soit, l’intérêt de la Marine nationale pour les glaces de l’Arctique n’est pas nouveau, les sous-marins Espadon et Marsouin ayant effectué une patrouille polaire en mer de Norvège,  » jusqu’au parallèle 70°N en 1964. Celle-ci avait permis de préparer l’opération « Sauna », menée l’année suivante par le « Dauphin » et le « Narval », lesquels naviguèrent ponctuellement sous la banquise.

Photo : SNA Tourville / Marine nationale – archive

La marine chinoise étoffe sa présence dans le Pacifique Sud

La marine chinoise étoffe sa présence dans le Pacifique Sud

Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2212201721

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 13 mars 2025

https://www.revueconflits.com/la-marine-chinoise-etoffe-sa-presence-dans-le-pacifique-sud/


La Chine déploie sa flotte dans le Pacifique Sud, ce qui inquiète l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette rivalité maritime témoigne de la volonté de la Chine d’être de plus en plus présente sur les mers.

Face aux Quad et Aucus, la Chine renforce progressivement sa présence maritime dans le Pacifique Sud, une région clé pour le commerce mondial et la sécurité stratégique. La zone située entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne fait pas exception, notamment en raison de son importance géopolitique et des liens historiques de ces deux pays avec les États-Unis et leurs alliés.

Une présence inhabituelle

La flottille chinoise, comprenant le navire de ravitaillement Weishanhu, la frégate de type 054A Hengyang et, surtout, le croiseur de type 055 Zunyi, se trouvait dans les eaux internationales entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande .
Le Zunyi, navire phare de cette formation, est équipé de 112 tubes de lancement vertical pouvant tirer une large gamme de missiles : surface-air HHQ-9 et HHQ-16, antinavires YJ-18A et de croisière CJ-10. Il dispose également de capteurs avancés, dont un radar AESA multifonction de type 346B et deux sonars de haute technologie. Cette puissance de feu dépasse de beaucoup celle de la marine australienne.

Une présence aux multiples significations

En déployant ses navires dans les eaux internationales entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande, la Chine revendique le droit de naviguer en haute mer conformément au droit international. Face aux opérations de Freedom of Navigation menées depuis des années par les États-Unis, l’Australie et leurs alliés, cette initiative s’inscrit dans une logique de réciprocité.

Une marine hauturière en pleine ascension

Au-delà de cette réciprocité, dans un contexte de tensions croissantes entre la Chine, les États-Unis et l’Australie, Pékin envoie également un message stratégique : sa marine a désormais la capacité d’opérer dans ce qui fut longtemps considéré comme l’arrière-cour de l’Occident.
Avec 340 navires contre 290 pour la marine américaine, la Chine s’impose comme la première flotte mondiale en nombre d’unités . Sa capacité de construction navale, plus de 200 fois supérieure à celle des États-Unis, lui permet de mettre rapidement à l’eau de nouveaux bâtiments modernes tels que les destroyers Type 052D, les frégates Type 054A, les croiseurs Type 055, les navires amphibies Type 071, 075 et 076 sans oublier les sous-marins nucléaires d’attaque Type 093 et les sous-marins lanceur d’engins Type 094 .
Loin d’être limitée à ses eaux territoriales, la marine chinoise est désormais une force hauturière capable d’opérer à l’échelle mondiale, loin de ses bases et sur de longues durées, prête à remplir une large gamme de missions.

Pour l’Asie, c’est un monde qui change

L’apparition de navires de la marine chinoise dans des eaux où l’on a longtemps vu évoluer exclusivement les forces des États-Unis et de leurs alliés, dont la France, constitue un véritable choc pour le monde.

Ce déploiement n’est pas que militaire : c’est aussi un acte politique

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une telle présence chinoise à ces latitudes restait extrêmement rare. Il s’agit presque d’une première depuis la guerre de l’Opium de 1840. Autrefois sous contrôle des puissances anglo-saxonnes qui avaient colonisé l’Asie-Pacifique, cet espace maritime voit désormais la marine chinoise y faire son entrée, marquant un tournant historique.
Ce déploiement ne saurait être interprété comme un simple exercice militaire. Il symbolise un changement profond : le monde d’hier n’existe plus.
Si cette dimension historique et symbolique échappe peut-être à certains lecteurs occidentaux, elle résonne profondément en Asie. Les réactions passionnées observées en Chine continentale, à Taïwan, à Hong Kong et dans plusieurs pays d’Asie du Sud-Est témoignent d’une mémoire encore vive, d’une plaie coloniale qui reste ouverte. Les réactions sont mitigées. Dans de nombreux pays, cette présence de la marine chinoise est perçue comme une victoire contre les anciennes puissances coloniales. Pour d’autres, notamment Taïwan, cela est perçu comme une menace. Cet événement qui a été très peu commenté en Occident est à l’inverse perçu comme un événement majeur en Asie.

Peu commenté en Occident, cet événement est perçu comme un acte majeur en Asie

L’avenir des opérations de liberté de navigation

Les opérations de Freedom of Navigation vont-elles se poursuivre ? Il est fort probable que la Chine aille continuer ses démonstrations, non seulement dans le Pacifique Sud, mais aussi dans l’Atlantique Nord et d’autres régions , afin d’affirmer son droit à naviguer librement sur les mers. De leur côté, les puissances occidentales ne renonceront pas facilement à cette pratique. Une extrême prudence sera nécessaire pour éviter tout incident susceptible de dégénérer en conflit majeur.

Le positionnement de l’Australie dans le Pacifique Sud

Jusqu’à présent, l’Australie exerçait une influence prépondérante dans le Pacifique Sud. Cependant, l’entrée en scène de la Chine remet en question cet équilibre. Comment Canberra envisage-t-elle l’évolution de son rôle face à cette nouvelle donne géopolitique ?

Vers une base navale chinoise dans le Pacifique Sud ?
La présence croissante de la marine chinoise dans la région pourrait bientôt nécessiter l’établissement d’une base d’approvisionnement permanente. Il est probable que la Chine ait déjà inscrit ce projet à son agenda stratégique.

L’évolution des budgets militaires australien et néo-zélandais

Face à ces évolutions, l’Australie et la Nouvelle-Zélande pourraient accroître symboliquement leurs budgets militaires dans les années à venir. Une réévaluation des priorités stratégiques pourrait même relancer le projet de sous-marins classiques franco-australiens, perçus comme mieux adaptés aux besoins régionaux que les sous-marins nucléaires imposés, dans une certaine mesure, par les États-Unis.

Un acteur clé face à une influence grandissante

Grâce à ses territoires d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Wallis-et-Futuna), la France est un acteur majeur du Pacifique Sud. Ces possessions lui confèrent une zone économique exclusive (ZEE) de plusieurs millions de kilomètres carrés, où elle maintient une présence militaire et politique significative.
De son côté, la Chine a renforcé son influence dans la région par des investissements massifs, des accords de coopération et une présence diplomatique accrue. Elle a signé des partenariats avec plusieurs États insulaires (Îles Salomon, Vanuatu, Kiribati, etc.), suscitant des préoccupations en Australie, en Nouvelle-Zélande et parmi les puissances occidentales, y compris la France.

Entre dialogue et tensions géopolitiques

Lors de la visite d’Emmanuel Macron en Chine en avril 2023, la déclaration conjointe franco-chinoise a évoqué la possibilité d’une coopération dans le Pacifique Sud, notamment sur des enjeux tels que le changement climatique, le développement durable, les infrastructures et la sécurité maritime. Cependant, cette coopération demeure largement théorique et soumise aux tensions stratégiques régionales.
L’envoi du porte-avions Charles-de-Gaulle pour participer à des exercices dans la mer de Chine méridionale illustre cette complexité. Cela a été perçu en Chine comme un acte de défiance.

Loin de l’Ukraine, ce sont donc d’autres tensions qui se déroulent dans le monde et la mer est devenue le lieu de ces affrontements diplomatiques, militaires et symboliques.

Quelle stratégie nucléaire européenne ?

Quelle stratégie nucléaire européenne ?

Par François Gere* -Diploweb – publié le12 mars 2025

https://www.diploweb.com/Quelle-strategie-nucleaire-europeenne.html

*Agrégé et docteur habilité en histoire (Paris 3 Sorbonne nouvelle). Président du Cercle des amis du général Lucien Poirier (2019 – ). F. Géré a présenté l’ouvrage posthume du Général Lucien Poirier, « Éléments de stratégique ». , éd. Economica, Ministère des Armées, 2023. François Géré a consigné avec Lars Wedin, L’Homme, la Politique et la Guerre, éd. Nuvis, 2018. François Géré a publié, « La pensée stratégique française contemporaine », Paris, Economica, 2017.


Française ou européenne, la stratégie de dissuasion nucléaire n’échappe pas à une règle absolue : elle n’est pas une fin en soi mais un moyen de la politique en sorte que l’on ne saurait mettre la charrue atomique avant les bœufs politiques.

POUR éviter un unième enlisement en de vaines palabres sur une dissuasion nucléaire européenne, rappelons les principes fondamentaux de cette stratégie.

La dissuasion est un mode d’action à but négatif aussi ancien que la guerre. Visant à interdire les velléités offensives d’un adversaire, il a été pratiqué avec plus ou moins de succès en raison de son caractère aléatoire. Il repose sur le calcul des probabilités. Ordinairement si un agresseur prenait le risque de transgresser la dissuasion fondée sur des forces conventionnelles et que son entreprise tournait mal, il avait joué et perdu subissant au pire l’humiliation d’une défaite. Avec les armes nucléaires, la dissuasion revêt désormais une toute autre dimension car la probabilité d’occurrence de la riposte nucléaire comporte le risque d’une perte exorbitante, dite insupportable, dépassant la valeur de l’enjeu.

La stratégie de dissuasion nucléaire n’est pas la paix. Elle ne saurait éviter ni les conflits régionaux limités ni supprimer l’action terroriste. Elle ne peut en effet s’exercer que dans le cas d’une attaque massive, quelle qu’en soit la nature, contre les intérêts vitaux du pays attaqué.

La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur cinq principes identifiés.

Ce « périmètre du vital » ne doit pas être défini précisément, restant à l’appréciation du chef de l’État de manière à placer le candidat agresseur dans l’incertitude. La stratégie de dissuasion nucléaire repose sur cinq principes identifiés, théorisés en France par les généraux Gallois [1] et Poirier. [2]

. Principe de crédibilité : la dissuasion nucléaire exige la création et la démonstration de capacités techniques. C’était le rôle des essais suspendus pour une durée indéterminée en 1994 et interdits par un traité (TICE).

. Principe de permanence : la SDN est assurée par le chef de l’État, seul décideur, disposant 24h/24 des codes électroniques et des moyens de transmission aux forces stratégiques aériennes en veille et aux sous-marins en patrouille.

. Principe d’incertitude : « l’effet dissuasif résulte de la combinaison d’une certitude et d’incertitudes dans le champ mental d’un candidat agresseur : certitude quant à l’existence d’un risque inacceptable… incertitudes sur les conditions exactes d’application du modèle en cas d’ouverture des hostilités. »

. Principe de suffisance : pour une puissance moyenne comme la France en quantité et en qualité ni trop, ni trop sophistiqué.

C’est ce que l’on nommait durant la Guerre froide « dissuasion du faible au fort » (le Fort était l’Union Soviétique que les dirigeants français eurent la sagesse de ne jamais nommer explicitement). Pour éviter de se lancer dans une ruineuse course aux armements, il faut et il suffit de satisfaire à deux conditions

. a. Détenir une force nucléaire invulnérable capable de riposter en cas d’agression (les sous-marin nucléaires lanceurs d’engins – SNLE – sont durablement indétectables). Il est indispensable de prévoir une redondance en cas de défaillance humaine ou technique.

. b. Avoir la capacité à traverser les défenses adverses.

Quelle stratégie nucléaire européenne ?
La force océanique stratégique, l’une des deux composantes de la force de frappe nucléaire française
Avec l’autorisation de l’auteur, Ewan Lebourdais, photographe maritime. Crédit photo Ewan Lebourdais www.ewan-photo.fr
Ewan-Lebourdais
 

L’interception à 100% n’existe pas. Le dommage reste tolérable si les charges explosives sont classiques mais si elles sont nucléaires le problème change complètement. Une salve de SNLE envoie 96 charges pouvant « vitrifier » potentiellement autant de cibles. Aucune défense ne parviendrait à les intercepter quels que soient les progrès réalisés. D’autant plus que ces têtes sont environnées de leurres, manoeuvrantes (changement de trajectoire) et furtives (faible signature radar). Cette supériorité durable de l’agression sur la protection fait donc de la SDN l’unique parade.

.Principe de proportionnalité  : le volume des destructions dites « insupportables » est rapporté à la valeur de l’enjeu ; en l’occurrence l’invasion et la conquête de la France valent-elles l’anéantissement d’un ou plusieurs centres vitaux de l’agresseur ?

Dès lors que cibler ? Anticités (les hommes) ou antiforces (les armes) ? Les progrès de la précision permettent un ciblage plus fin sur des surfaces réduites. Le discours officiel affiche que la France ne vise plus les villes mais les centres de commandement des forces nucléaires et les centres politiques décisionnels. Toutefois, on relèvera que de telles cibles se situent rarement au cœur des déserts mais ont le mauvais goût de se trouver profondément enfouies au beau milieu de zones densément peuplées.
La création d’une dissuasion stratégique nucléaire européenne devra donc souscrire à l’ensemble de ces principes. Comment et avec quels aménagements ?
La valeur de l’enjeu pour l’agresseur changerait de dimension. Des intérêts vitaux de la France seule, on passerait à ceux de l’ensemble des États membres de l’Union européenne ou, à tout le moins, de ceux qui consentiraient à se joindre.

Le calcul de la proportionnalité s’en trouverait affecté se répercutant ipso facto sur le principe de suffisance. En raison de sa souplesse et de sa visibilité La composante aérienne doit-elle être développée ? En conséquence, la quantité d’armes nucléaires devra-t-elle augmenter ? Le positionnement territorial doit-il s’étendre, où et jusqu’où ?
La France pourrait-elle étendre une dissuasion nucléaire élargie aux intérêts de ses partenaires européens ? Le « parapluie » nucléaire déclaré par les dirigeants des États-Unis depuis Mc Namara, ministre de la défense de Kennedy a fait souvent l’objet d’un scepticisme sur sa crédibilité, à commencer par celui du général de Gaulle. Donald Trump expose ouvertement le caractère éminemment égoïste de l’arme nucléaire. Qui peut encore croire aujourd’hui que ce Président et ses successeurs sacrifieraient New York pour Varsovie, Berlin ou Paris ? A fortiori les citoyens des pays de l’Europe sont-ils prêts à faire dépendre leur existence de la décision du seul président français ? Qui pourrait croire qu’il sacrifierait Paris pour Tallin ? En vérité si les alliés (européens et asiatiques) ont pensé pouvoir se fier à l’engagement des États-Unis c’est en raison de la puissance grandissante des forces conventionnelles américaines capables de s’opposer efficacement à des agressions non-nucléaires.

Toute comparaison avec les États-Unis relève donc de l’absurde. Ensemble, les États de l’UE disposent-ils de 11 porte-avions ? De 14 sous-marins-nucléaires stratégiques ? Leurs marines verrouillent-elles les voies du commerce mondial ? Contrôlent-ils l’Espace ? La petite grenouille européenne n’atteindra pas l’énormité du bœuf américain. Mais serait-ce bien nécessaire dès lors que leurs gouvernements procèderaient à une évaluation objective de la menace réelle, exempte de préjugés idéologiques et d’intérêts corporatistes ?

Venons-en au nerf de la dissuasion à savoir le coût : ce « partage du fardeau », tracas permanent de l’OTAN. Des États comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne sont-ils disposés à payer pour l’édification d’une dissuasion nucléaire dite européenne sans pour autant disposer de l’accès à l’ultime décision ?

L’argent c’est aussi du temps.

Une stratégie nucléaire unique multi-étatique ne s’improvise pas du jour au lendemain. Oublie-t-on que certains membres de l’UE ne perçoivent pas la Russie comme une menace ; que d’autres, comme l’Autriche, sont leaders en faveur de l’interdiction des armes nucléaires ? Enfin, et ce n’est pas peu, où viendrait se loger le Royaume-Uni post-Brexit dans ce dispositif ?

Quand bien même la volonté serait forte et largement partagée, de mettre sur pied politiquement, financièrement et techniquement une dissuasion nucléaire rassemblant certains États européens cette entreprise prendra du temps, de l’ordre de plusieurs années. A quoi ressemblera la Fédération de Russie, comment aura évolué la compétition américano-chinoise d’ici cinq à dix ans ?

C’est au pied de la guerre que l’on voit le véritable allié, quand le réalisme égoïste reprend ses droits glacés.

Les déclarations (franco-allemandes, franco-britanniques) du temps de paix n’expriment souvent que de grandes illusions ou des vœux pieux qui ne coûtent rien. C’est au pied de la guerre que l’on voit le véritable allié, quand le réalisme égoïste reprend ses droits glacés. Or depuis vingt ans, à chaque crise (financière, migratoire, sanitaire – Covid- et militaire – Ukraine-) l’UE a exhibé son impréparation, sa lenteur de réaction et surtout ses divisions. La création d’une DNE crédible entre en donc en flagrante contradiction avec l’existence même de l’UE sous sa forme et son fonctionnement actuels.

Il faut donc revenir aux fondements du projet communautaire.
Ceux des pays de l’Europe qui partageraient une conception rigoureusement identique de leur situation mondiale au point de fusionner leurs intérêts vitaux auront à s’accorder sur un cadre politique durable définissant des buts communs, dans une sorte de Charte ; à se doter en conséquence d’une alliance militaire telle qu’une Société européenne de Défense aussi longtemps que jugé nécessaire ; à se garantir par une Communauté européenne de Renseignement.

Française ou européenne, la stratégie de dissuasion nucléaire n’échappe pas à une règle absolue : elle n’est pas une fin en soi mais un moyen de la politique en sorte que l’on ne saurait mettre la charrue atomique avant les bœufs politiques.

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Dossier géopolitique et stratégique : Le nucléaire

La bascule stratégique en cours depuis février 2025 replace la dissuasion nucléaire au coeur de la garantie de sécurité française, voire européenne.

Le nucléaire, civil et plus encore militaire, est un sujet stratégique par excellence. Raison pour laquelle il s’agit d’un tabou ? Ce dossier aide à saisir toute la mesure de la rupture stratégique amorcée en 1945. Conçu par Pierre Verluise, ce dossier du Diploweb.com vous présente plus de 30 documents de référence : études, articles, vidéos, cartes et même une émission de radio pour vous permettre de croiser des opinions d’experts.


[1] NDLR : Voir aussi Vidéo. Un stratège français d’envergure : P.-M. Gallois et le nucléaire, Diploweb.com, 2017 https://www.diploweb.com/Un-stratege-francais-d-envergure-P-M-Gallois-et-le-nucleaire.html

[2] NDLR : Voir aussi Vidéo. Lucien Poirier, stratège français de la dissuasion nucléaire, Diploweb.com, 2017 https://www.diploweb.com/Video-Lucien-Poirier-stratege-francais-de-la-dissuasion-nucleaire.html

Quelle est la puissance militaire des cinq plus grandes armées européennes et peuvent-elles rivaliser ensemble avec la Russie?

Quelle est la puissance militaire des cinq plus grandes armées européennes et peuvent-elles rivaliser ensemble avec la Russie?

© Fotomontage HLN, Belga, ELVIRA URQUIJO A., Adobe Stock

Alors que le grand plan de réarmement de l’Europe a obtenu son premier feu vert, l’idée d’une “coalition des volontaires fait également son chemin, parallèlement. Une solution défensive envisagée pour contenir la Russie et la contraindre à respecter un (toujours hypothétique) traité de paix avec l’Ukraine. Mais de quels moyens militaires disposeraient les cinq plus puissantes forces européennes et seraient-elles capables de rivaliser ensemble avec l’armée russe?