Les 17 et 18 septembre, les services israéliens ont déclenché des attaques non-conventionnelles massives contre les télécommunications du Hezbollah libanais. De ce fait, cette organisation paramilitaire se retrouve très diminuée et dans l’impossibilité – pour l’instant – de conduire des actions d’ensemble cohérentes depuis le Sud-Liban contre l’État hébreu.
C’est un coup très rude porté au Hezbollah dont la chaîne de commandement se retrouve sans possibilité de communiquer rapidement, devant utiliser les vieux systèmes comme le téléphone filaire et les messagers. De plus, à la suite des nombreuses neutralisations de responsables du Hezbollah par les Israéliens depuis le déclenchement de la guerre à Gaza, le secrétaire général du mouvement chiite libanais, Hassan Nasrallah, avait demandé en février de cette année aux membres de son organisation de remplacer leurs smartphones (qui permettaient aux Israéliens de localiser leurs utilisateurs) par des bipeurs jugés plus sûrs.
Al-Qaida et Daech avaient été confrontés dans le passé aux mêmes problèmes mais la différence réside dans le fait que le Hezbollah fonctionne comme une armée qui a un besoin vital de communications rapides et sûres. Pour un mouvement terroriste clandestin, le temps compte beaucoup moins.
Les services israéliens se sont attaqués aux bipeurs, aux talkies-walkies et même à des radios qui avaient été préalablement piégés. Un certain nombre de ces matériels ont explosé provoquant une véritable panique. Les activistes se sont en plus empressés de se débarrasser de leurs appareils – tous genres confondus – craignant d’être atteints à leur tour.
Les bipeurs
Le 17 septembre 2024, vers 15 h 30, heure locale, au moins un millier de bipeurs (« pagers » en anglais) utilisés par des membres du Hezbollah libanais ont explosé en l’espace d’une demi-heure à travers le Liban et la Syrie.
Des informations disent que les bipeurs ont vibré et montré un message d’erreur sur l’écran. Ils n’auraient explosé que lorsque l’utilisateur a appuyé sur un bouton pour éliminer l’erreur augmentant la probabilité que l’opérateur soit vraiment son propriétaire.
Au moins douze personnes ont été tuées et plus de 2 750 ont été blessées dont certaines gravement. Certaines sources parlent de plus de 600 personnes qui auraient perdu la vue – au moins temporairement. Des civils ont également été atteints.
Mojtaba Amani l’ambassadeur d’Iran au Liban, a été grièvement touché à la tête et aurait perdu un œil après l’explosion du bipeur qu’il portait. Plusieurs membres du personnel de l’ambassade d’Iran ont également été blessés.
Les explosions ont retenti dans de nombreux fiefs du Hezbollah à Beyrouth, dans la vallée de la Bekaa et au Sud-Liban, mais aussi en Syrie où des activistes sont déployés depuis des années en soutien du régime de Bachar el-Assad.
Les hôpitaux ont été submergés de patients dont beaucoup souffrent de blessures au visage, aux mains et au ventre. En réponse, le ministère libanais de la Santé a conseillé aux personnes ayant des bipeurs de s’en débarrasser et a donné pour instruction aux hôpitaux de rester en « alerte élevée ». De son côté, Téhéran a rapatrié nombre de blessés en Iran.
Les bipeurs, bien que relevant d’une technologie ancienne (début des années 2000), sont intéressants sur le plan technique. Le Gold Apollo AR-924 choisi par le Hezbollah pour équiper ses cadres a une autonomie bien supérieure à celle des téléphones portables. Alimenté par de petites piles, il peut fonctionner pendant des semaines sans être rechargé. Cette caractéristique est précieuse dans les zones de conflit ou lors d’opérations prolongées où les ressources sont limitées et où l’accès à l’électricité est rare. Sur le plan sécuritaire, leur fonctionnement repose sur des ondes radio à basses fréquences ce qui les rend moins détectables par les moyens d’interception modernes.
Le Hezbollah aurait acquis quelques 5 000 AR-924 de la société taïwanaise Gold Apollo qui ont été importés au Liban depuis 2022. Les dirigeants de cette firme ont déclaré que ce modèle était assemblé en Hongrie par une société nommée BAC Consulting KFT qui avait obtenu la licence de la marque. Chose étrange, cette société « de conseil » hongroise déclare ne pas assembler de bipeurs et son siège n’est qu’une modeste boîte aux lettres…
Pour le moment, aucune unité de production d’AR-924 n’a été découverte… Les premières investigations laissent entendre que les services israéliens se sont servis de sociétés écran (dont la BAC Consulting KFT) pour développer et importer les bipeurs habilement modifiés.
Même la manière dont ces 5 000 bipeurs sont arrivés au Liban n’est pas connue sauf que cela a eu lieu en plusieurs livraisons. Il n’est pas certain que tous les bipeurs étaient piégés – les premiers livrés en 2022 ont dû être inspectés de près par les services de sécurité du Hezbollah. Ce qui est vérifié, c’est qu’ils étaient la propriété du Hezbollah qui les a distribués à ses cadres – particulièrement intermédiaires – et à des alliés.
L’explosif aurait été installé à côté de la batterie de chaque appareil et un commutateur intégré pour les faire exploser à distance. Les Gold Apollo AR-924 étant des dispositifs programmables, il est techniquement possible de les reprogrammer pour répondre à un signal particulier.
Les talkies-walkies
Le lendemain, une nouvelle vague d’explosions a eu lieu impliquant des centaines de talkies-walkies ICOM V82 qui ont fait a fait au moins neuf morts et plus de 300 blessés dans la banlieue sud de Beyrouth ainsi que dans le sud et l’est du Liban. Des postes radio classiques auraient aussi explosé. Les talkies-walkies ICOM V82 parvenaient au Hezbollah via le Power Group – qui représente la société japonaise de télécommunications ICOM au Liban – et Faza Gostrar, qui prétendait être « le représentant officiel de l’ICOM en Iran ».
Le message adressé aux activistes Hezbollah est clair : «nous pouvons vous frapper n’importe où, n’importe quand, au jour et au moment de notre choix et nous pouvons le faire en appuyant sur un bouton ». Il est peu probable que cela va effrayer les activistes dont l’objectif final est de « connaître le martyre ». Mais cela peut décourager une partie de leurs soutiens tout en créant une véritable psychose sécuritaire.
Les questions sont nombreuses
– Comment les bipeurs ont pu être piégés. Le plus probable est que cela se soit passé au moment de la fabrication mais qui les a vraiment assemblés et où ?
– Pourquoi le Hezbollah pourtant très sourcilleux sur sa sécurité n’a pas détecté le piégeage à la réception des appareils ?
– Même questions pour les talkies-walkies (eux fabriqués au Japon).
– Comment les services israéliens (très vraisemblablement le Mossad chargé des opérations secrètes extérieures) ont procédé pour monter cette méga-opération qui fera école dans l’Histoire de l’espionnage ?
La suite
Dès le début de la guerre à Gaza en octobre 2023, le Hezbollah a ouvert un front à la frontière sud du Liban avec Israël pour soutenir le Hamas. Après des affrontements continus mais sporadiques qui ont entraîné le déplacement de dizaines de milliers d’habitants, cette opération non-conventionnelle lancée par Israël marque un changement de stratégie.
Sans l’évoquer, le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a estimé que le «centre de gravité » de la guerre se déplaçait « vers le nord ». Il a précisé : « nous menons nos tâches simultanément » au nord et au sud, et « notre tâche est claire : assurer le retour des habitants du nord sains et saufs chez eux ». Ses propos ont été confirmés par le Premier ministre, Benjamin Netanyahu et le chef d’état-major israélien, le général Herzi Halevi, dans des déclarations séparées. De son côté, le chef de la diplomatie libanaise, Abdallah Bou Habib, a estimé que l’attaque de mardi pourrait être le présage d’une guerre plus large au Moyen-Orient…
Sur le terrain, les bombardements israéliens se sont multipliés au Sud-Liban ciblant des dépôts d’armes et de munitions ainsi que des aires de lancement de missiles et de drones. D’importantes manœuvres terrestre de Tsahal devraient débuter dans le nord d’Israël. C’est une méthode pour dissimuler un déploiement de forces destinées à lancer une offensive mais Israël a des mauvais souvenir de ses interventions précédentes.
À n’en pas douter, le Proche-Orient arrive à un moment clé dont personne ne connaît la suite…
Deux satellites français de guerre seront lancés dans l’espace en 2025
Alors que la compétition spatiale mondiale est plus relevée que jamais, la France ne souhaite pas rester en retrait. Deux satellites de guerre français seront lancés dans quelques mois.
Pour ne pas prendre de retard sur d’autres puissances comme la Chine ou les États-Unis en matière de guerre spatiale, la France a lancé un nouveau projet. En effet, l’armée manœuvre en orbite basse afin de préserver ses intérêts, surveiller les adversaires et ainsi développer des capacités défensives supérieures. Comme le rapporte armée.com, par l’intermédiaire du Commandement de l’Espace (CDE) et de l’Agence pour l’Innovation de Défense (AID), la France a mis en place des initiatives permettant de sécuriser ses infrastructures spatiales stratégiques.
Devenir un leader sur la scène internationale
Ainsi, le projet Toutatis a pour objectif de fournir à l’armée française des capacités avancées de réaction et de surveillance. Ce système est composé d’un satellite pour l’observation appelé Lisa-1, et d’un autre pour l’intervention appelé Splinter. Il doit alors permettre à la France d’être vigilante face aux comportements suspects et de pouvoir intervenir en orbite basse. Splinter sera en capacité d’aveugler les capteurs ennemis sans toutefois les détruire. Néanmoins, ce satellite bénéficie d’un pouvoir de dissuasion important et son laser a la possibilité d’endommager des systèmes ennemis.
Avec le lancement de Toutatis prévu en 2025 ou 2026, la France entend bien devenir un leader sur la scène internationale, en devenant le pays capable de traiter une vingtaine de scénarios potentiels et s’entraîner à les gérer. Ce système sera également utile aux forces armées au sol, qui devraient obtenir de précieuses informations de renseignement.
l’essentiel Pour la troisième fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022, Vladimir Poutine a décidé d’augmenter la taille de l’armée russe. 180 000 hommes supplémentaires vont venir grossir les rangs. La hausse des effectifs entrera en vigueur le 1er décembre.
L’armée russe va enrôler de nouveaux soldats. Vladimir Poutine a décidé d’augmenter les effectifs des forces armées russes pour la troisième fois depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022. Il est prévu que l’armée russe porte ses effectifs à 2 389 130 hommes au total dont 1,5 million de militaires.
La Russie poursuit son avancée en direction de Pokrovsk et doit faire face à l’opération menée par l’Ukraine sur son territoire dans la région de Koursk. 180 000 personnes supplémentaires vont venir grossir les rangs de l’armée selon le décret signé par Vladimir Poutine. Il entrera en vigueur le 1er décembre 2024.
22 000 dollars pour rejoindre l’armée
Ces hommes supplémentaires seront « des citoyens exprimant le désir de servir sous contrat« , précise le gouvernement russe, qui précise qu’il n’y aura « pas d’augmentation significative de la circonscription ou de la mobilisation« , détaille The Kyiv Post. Pourtant la Russie rencontrerait pourtant des difficultés à recruter de nouveaux soldats volontaires, malgré une somme de 2 millions de roubles (22 000 dollars) pour intégrer l’armée.
Comment expliquer cette nouvelle hausse des effectifs ? Pour l’expert militaire Oleksandr Kovalenko, interrogé par RBC-Ukraine, « la pénurie d’équipements incite la Russie à s’appuyer davantage sur l’augmentation de ses ressources humaines« . Il laisse entendre que l’armée russe pourrait devenir une force basée sur l’infanterie et dotée d’un équipement minimal.
La dernière hausse des effectifs de l’armée russe datait de décembre 2023 et portait sur le recrutement de 170 000 hommes supplémentaires. Le ministère russe de la Défense avait alors justifié la hausse des effectifs par « l’opération militaire spéciale » et l’expansion de l’Otan.
Plus de 600 000 soldats russes morts
Depuis le début de la guerre, les pertes russes se montent à 610 000 hommes selon les services de renseignements britanniques. En août 2024, la Russie a perdu 1187 hommes par jour en moyenne comprenant des soldats morts et blessés.
Avec 1,5 million de militaires, la Russie possèdera la seconde armée au monde derrière la Chine (2,35 millions) et devant l’Inde (1,4 million), les Etats-Unis (1,35 million) et la Corée du Nord (1,35 million), indique le quotidien russe Komsomolskaïa Pravda.
En mai dernier, le Government Accountability Office [GAO, l’équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis] n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de la marine américaine, qu’elle a rendue responsable du retard de trois ans pris dans l’exécution de son programme de frégates de nouvelle génération qui, appelé « Constellation », doit coûter la bagatelle de 22 milliards de dollars.
Pour rappel, ces futurs navires étaient censés être conçu à partir du modèle italien de la frégate multimissions [FREMM]. Seulement, les exigences de l’US Navy ont modifié considérablement la conception initiale, d’où les appréciations peu amènes du GAO à son endroit.
«Des pratiques inadéquates […] et des mesures bâclées sur lesquelles le programme de frégates continue de s’appuyer ont […] contribué à lancer prématurément la construction du premier navire avant que la conception ne soit suffisamment stable pour soutenir cette activité », a-t-il affirmé.
Pour le moment, seulement six frégates de type « Constellation » ont été commandées, l’objectif étant pour l’US Navy de remplacer ses navires de combat littoral [LCS – Littoral Combat Ship] qui ne lui ont jamais donné satisfaction, ce qui leur vaut d’être surnommés « Little Crappy Ships » [petits navires de m…].
Lancé au début des années 2000 pour un montant alors estimé à 37 milliards de dollars, le programme LCS prévoyait de doter l’US Navy de 52 navires rapides et rendus polyvalents grâce à l’ajout de « modules de missions » en fonction des tâches qui devaient leur être assignées [lutte anti-sous-marine et anti-navire, déminage, renseignement, surveillance côtière, opérations spéciales]. Et le tout avec un équipage réduit à 40 marins. Seulement, ce concept, qui reposait sur deux modèles de bateau, ne s’est finalement pas avéré le plus pertinent qui soit. Après avoir réduit sa commande à 35 exemplaires, l’US Navy a déjà désarmé plusieurs unités, dont l’USS Sioux City, qui ne comptait guère plus de cinq ans de service.
Plus généralement, les choix technologiques hasardeux auront coûté très cher à la marine américaine. Le cas de la classe de « destroyers » Zumwalt est emblématique. Ayant la signature radar d’un bateau pêche malgré ses 15’480 tonnes de déplacement pour 185,6 mètres de longueur et 24,4 mètres de large, ce navire peut produire suffisamment d’énergie pour alimenter 78’000 foyers en électricité. D’ailleurs il était pressenti pour mettre en œuvre une canon électromagnétique [depuis mis en veilleuse]. L’US Navy espérait en compter 24… Elle en disposera finalement, au mieux de seulement trois, les coûts ayant atteint le niveau « stratosphérique » de 2,4 milliards de dollars par unité en 2016.
Outre ces impasses technologiques, l’US Navy est aussi aux prises avec les difficultés de l’industrie navale américaine [pénurie de main d’œuvre, problèmes d’approvisionnement, capacités de production insuffisantes, etc.]. Difficultés qui freinent les livraisons de nouveaux navires – comme les sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Virginia – mais aussi le Maintien en condition opérationnelle [MCO] des unités déjà en service.
Ainsi, dernièrement, le porte-avions USS George Washington est resté immobilisé pendant six ans tandis que l’arrêt technique majeur [ATM] de l’USS John C. Stennis devrait se prolonger jusqu’en 2026 [soit pendant un an de plus] alors qu’il a commencé en 2021. Le navire d’assaut amphibie USS Boxer a passé plus de temps en réparations qu’en mer… Et une autre unités du même type, l’USS Iwo Jima, a récemment dû revenir prématurément à sa base en raison d’une grave avarie dont la nature n’a pas été précisée.
Enfin, un autre problème auquel est confrontée l’US Navy est la pénurie de marins. Au début de cette année, il lui en manquait 22’000 [sur environ 348’000].
Dans le même temps, l’activité opérationnelle ne faiblit pas. Que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Indopacifique, les crises s’accumulent et le droit international est de plus en plus souvent remise en cause. Et, pour les États-Unis, une « grande explication » avec la Chine pourrait avoir lieu en 2027, date à laquelle certains observateurs estiment que cette dernière pourrait tenter de mettre la main sur Taïwan. D’ailleurs, elle s’y prépare activement, en développant significativement ses capacités navales… au point, sans doute, de surclasser l’US Navy [c’est déjà le cas, en termes de tonnage…].
Quoi qu’il soit, la cheffe des opérations navales [CNO, l’équivalent de chef d’état-major de la Marine nationale], Mme l’amiral Lisa Franchetti, a repris cette évaluation à son compte. « Le président de la République populaire de Chine [RPC] a demandé à ses forces d’être prêtes à la guerre d’ici 2027. Nous serons encore mieux préparés », a-t-elle en effet lancé, dans le nouveau plan stratégique de l’US Navy.
C’est donc les yeux rivés sur le développement rapide, tant en quantité qu’en qualité, des capacités navales chinoises que l’amiral Franchetti entend remettre sur pied l’US Navy, en se focalisant sur plusieurs domaines clés.
« Le défi est de taille. La flotte chinoise est la plus importante du monde en termes de taille et elle se modernise rapidement. Le plus grand constructeur naval du monde, CSSC, est à la disposition de la marine de l’Armée populaire de libération [APL] » tandis que la base industrielle et technologique de défense chinoise « est sur le pied de guerre », a fait valoir Mme l’amiral Franchetti. Et de souligner que l’APL s’est attachée à intégrer ses différentes composantes [marine, force aérienne, missiles, cyberespace, espace] dans un « écosystème de combat conjoint spécialement conçu pour vaincre » celui des États-Unis.
Faute de pouvoir disposer des moyens budgétaires nécessaires, Mme l’amiral Franchetti estime que l’US Navy doit se concentrer sur les domaines où elle peut obtenir des gains « dans les délais les plus brefs possibles, avec les ressources dont elle dispose ». D’autant plus qu’elle n’a plus le temps pour accroître le nombre de ses navires « traditionnels ».
Parmi ces domaines, le MCO est essentiel. Ainsi, le plan stratégique de l’US Navy insiste sur la réduction des délais de maintenance à « tous les niveaux », l’objectif étant de pouvoir compter sur 80 % de navires de surface, de sous-marins et d’avions disponibles et prêts au combat d’ici 2027. Et ce n’est qu’un « minimum ». Une meilleur disponibilité permettra en outre d’atteindre un autre objectif : celui d’accroître significativement la préparation opérationnelle.
Un autre domaine où l’US Navy devra progresser est celui de la robotisation, en tirant parti des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine [en mer Noire] et des engagements contre les rebelles houthis en mer Rouge. L’objectif est ainsi de disposer de « systèmes robotisés et autonomes », dotés de « capacités matures » et pouvant être intégrés aux groupes aéronavals. Au passage, c’est aussi un moyen de gagner de la masse, ce qui est primordial s’il s’agit de mener un combat d’attrition.
Enfin, il s’agira également de remédier aux problèmes d’effectifs dans les trois ans à venir. Ce qui ne sera pas une mince affaire, déjà que, l’an passé, l’US Navy n’a pas tenu ses objectifs en matière de recrutement, même après avoir réduit ses exigences. Aussi, son plan stratégique prévoit surtout des mesures visant à fidéliser ses marins, en améliorant leurs conditions de vie et de service.
Un de mes tout premiers souvenirs d’images de guerre à la télévision décrivait un raid héliporté israélien sur Ras Gharib, une base au centre du canal de Suez où les Égyptiens venaient d’installer un grand radar d’alerte P12 fourni par les Soviétiques. Dans la nuit du 26 au 27 septembre 1969, un commando porté par trois hélicoptères lourds Super Frelon s’est posé à proximité, s’est emparé de la position par un assaut, puis a démonté le radar en deux parties accrochées à deux hélicoptères lourds CH-65 Sea Stallion. Le radar a ensuite été ramené en Israël et scrupuleusement étudié avec les Américains. Deux semaines plus tôt, les Israéliens avaient réalisé une opération amphibie à travers le canal pour mener un autre raid, terrestre cette fois, sur le sol africain de l’Égypte, avec une unité blindée équipée à l’égyptienne. Encore avant, et jusqu’au mois de juillet 1970, les Israéliens ont ainsi multiplié les opérations spectaculaires, réussissant même une embuscade contre l’aviation soviétique.
J’étais, comme tout le monde, impressionné par l’imagination et l’audace de cette armée, et c’était bien, outre les effets matériels bien réels contre l’armée égyptienne, un des buts de cette campagne de coups d’éclat. L’extraordinaire sert parfois à cacher l’ordinaire. En pleine Guerre d’usure, ces coups d’éclat étaient en effet un moyen de compenser psychologiquement une difficulté réelle à obtenir des résultats décisifs contre l’Égypte. Ils offraient au public israélien des victoires médiatisables dans un conflit qui n’était qu’une multitude de petits coups : frappes d’artillerie et petites attaques d’un côté, frappes aériennes de l’autre, donnant l’impression que la balance penchait du côté d’Israël. Élément important : tous ces coups d’éclat, spectaculaires mais non décisifs, ont précédé et accompagné une vaste campagne aérienne sur le Nil, censée imposer sa volonté à Nasser, mais qui a finalement échoué.
La guerre d’usure en cours entre Israël et le Hezbollah depuis le 8 octobre 2023 présente de nombreuses analogies avec la guerre d’usure de 1969-1970, la frontière libanaise remplaçant le canal de Suez, avec un niveau de violence pour l’instant encore très inférieur. D’un côté, le Hezbollah utilise ses roquettes à courte portée et ses missiles antichars comme artillerie – 7 560 projectiles lancés à ce jour – afin de harceler les positions de l’armée israélienne et de menacer la vie des habitants du nord d’Israël pour les obliger à fuir. Comme les autres groupes armés de la « ceinture de feu » autour d’Israël, le Hezbollah fait acte de solidarité avec le Hamas et répond aux attaques israéliennes qui, elles-mêmes, répondent aux attaques du Hezbollah, mais l’organisation, tout comme l’Iran d’ailleurs, ne veut clairement pas franchir de sa propre initiative le seuil de la guerre ouverte et à grande échelle.
À cet effet, et contrairement à l’armée égyptienne en 1969, le Hezbollah n’a pas engagé son infanterie légère ni ses commandos à l’assaut de la frontière, ni utilisé son arsenal de frappes à longue portée. Il ne veut pas non plus provoquer trop de pertes civiles afin de ne pas donner un prétexte à une offensive israélienne. On est sans doute passé près après la frappe sur le village druze de Majdal Shams le 27 juillet dernier, qui a provoqué la mort de 12 enfants, un résultat que le Hezbollah ne souhaitait pas, et une riposte israélienne douloureuse pour le Hezbollah, avec un ciblage précis au cœur de Beyrouth et la mort de Fouad Chokr, un très haut responsable de l’organisation. Le lendemain, 31 juillet, c’était au tour d’Ismaël Haniyeh, numéro 1 du Hamas, d’être tué, un coup d’éclat encore plus spectaculaire puisqu’il s’est déroulé au cœur de Téhéran. Depuis, l’Iran et le Hezbollah ne cessent d’agiter le spectre de la vengeance, mais ne font rien d’important.
De son côté, comme en 1969, Israël utilise sa force aérienne pour mener des actions de « contre-batterie » et frapper les cibles d’opportunité qui se présentent. Jusqu’à hier, cette « guerre sous la guerre » a provoqué la mort de 50 Israéliens, en grande majorité des soldats, et le départ de 68 500 civils du nord d’Israël (chiffres de l’Institute for National Security Studies, Israël), tandis que 450 membres du Hezbollah et leurs alliés ont été tués, ainsi que 137 civils, et 113 000 Libanais ont été chassés de chez eux.
Hier, les Israéliens, unité 8-200 du renseignement militaire ou, plus probablement, le Mossad, ont prolongé la campagne de coups d’éclat initiée à Téhéran avec une opération inédite : le sabotage simultané de peut-être 4 000 bipeurs, Apollo AR-924 pour être précis, importés de Taïwan afin de constituer le réseau de communications des cadres du Hezbollah. On ignore encore comment les Israéliens, qui n’ont pas revendiqué l’attaque, ont procédé dans ce scénario digne d’un thriller ou d’un film d’espionnage. Les deux hypothèses évoquées donnent le vertige. D’un côté, on pense à un logiciel malveillant (malware) ayant provoqué, après un signal à distance, la surchauffe simultanée de tous les appareils et l’explosion de leur batterie au lithium. Cela signifierait, au bout du compte, que tous les objets électroniques fonctionnant avec ce type de batterie, c’est-à-dire à peu près tous, sont vulnérables à une intrusion. De l’autre, on imagine la manipulation de toute la cargaison destinée au Hezbollah, avec l’introduction d’un petit patch d’explosif stable, et donc non pas le PETN (tétranitrate de pentaérythritol) évoqué par Sky News Arabia, et un flamware provoquant son explosion à partir d’un code. En soi, ce n’est pas très compliqué, et il y a déjà de nombreux exemples de téléphones piégés de la sorte, mais pas à l’échelle de plusieurs milliers d’objets. Il est probable que les Israéliens ont eu le contrôle de toute la cargaison de bipeurs et autres à un moment donné de la chaîne d’approvisionnement, peut-être même dès l’origine via le contrôle d’une entreprise hongroise.
Dans tous les cas, la sophistication de l’attaque est assez bluffante, mais ce qui est important, c’est qu’elle ait réussi, puisque plusieurs milliers de cadres du Hezbollah et ceux qui étaient à proximité de l’explosion ont été blessés, parfois très gravement par les éclats, et même tués pour certains d’entre eux, onze au total dont deux enfants.
Première conséquence : les services de renseignement et clandestins redorent leur blason par une opération magistrale qui fait oublier leur échec indéniable du 7 octobre 2023, une attaque horrible dans ses effets, mais parfaitement organisée par le Hamas. Admiratifs, on tend aussi à oublier toutes les facettes sombres de l’opération Épées de fer, tout comme les raids commandos sur le canal de Suez faisaient oublier que la guerre ne se passait pas très bien.
Seconde conséquence, très concrète cette fois : une partie de la structure de commandement du Hezbollah se trouve paralysée, matériellement avec la disparition de son réseau paradoxalement censé être protégé par sa rusticité, mais surtout humainement. L’organisation se retrouve donc provisoirement en situation de vulnérabilité. On peut donc déjà se demander s’il s’agit d’un coup israélien isolé, profitant d’une opportunité, ou s’il s’agit d’une salve de neutralisation préalable au « changement radical à la frontière nord » annoncé par Benjamin Netanyahu il y a quelques jours.
Dans l’immédiat, tout en pansant ses plaies, le Hezbollah va très certainement lancer une enquête interne de sécurité pour comprendre ce qui a pu se passer et y remédier, ce qui pourrait se traduire par la recherche de traîtres et une purge, doublant ainsi les effets de l’attaque. Surtout, Hassan Nasrallah se retrouve une nouvelle fois devant un triple choix compliqué : céder aux exigences israéliennes en arrêtant toute attaque et même en retirant ses troupes du sud du Litani ; franchir le seuil de la guerre ouverte en lançant son arsenal à longue portée et en attaquant la frontière avec son infanterie ; ou continuer la petite guerre. L’humiliation du premier choix et la folie du second poussent forcément, depuis le début, Hassan Nasrallah à préférer prendre des coups sans trop broncher, mais sans rien céder.
Le gouvernement israélien considère de son côté avoir pratiquement terminé l’opération à Gaza, puisque le Hamas a été détruit tactiquement et que le territoire est désormais verrouillé et cloisonné par deux corridors. Les 98e et 36e divisions sont prêtes à être engagées au nord, ainsi que la totalité des forces aériennes et navales. Tout est prêt pour attaquer au Liban.
Lui aussi est confronté à un choix difficile : soit tout arrêter pour proposer un retour à la situation de paix méfiante d’avant le 7 octobre 2023, soit franchir le seuil de la guerre ouverte pour détruire autant que possible la menace du Hezbollah, soit continuer comme cela. La différence avec le Hezbollah est que tout pousse plutôt à choisir la première ou la dernière solution, mais pas à continuer ainsi. Bien que l’engagement à Gaza n’ait suscité aucune contestation, sinon sur la manière dont il a été conduit, une nouvelle guerre est jugée par beaucoup comme une aventure dangereuse, tandis que la libération des otages de Gaza devrait être la nouvelle priorité. D’un autre côté, la pression des émigrants du nord est très forte pour mettre fin à cette situation, et Benjamin Netanyahu a visiblement envie de continuer à jouer la carte de la tempête sous prétexte qu’il est capitaine à bord. Il bénéficiera de l’appui d’une bonne partie du complexe politico-militaire qui considère qu’il faut saisir l’occasion pour en finir avec la capacité offensive du Hezbollah après avoir détruit celle du Hamas.
Le brillant de l’« opération Bipeurs » masque peut-être un embarras israélien et le souhait de faire sortir le Hezbollah de la ligne du milieu afin soit de clamer victoire, soit de proclamer une nouvelle guerre défensive. Constatant que les spectaculaires coups d’éclat de 1969 n’avaient finalement rien changé à l’attitude égyptienne et refusant évidemment de céder, les Israéliens s’étaient alors lancés dans une campagne de bombardement du Caire. Quelques mois plus tard, ils affrontaient les Soviétiques.
Le corpus de lois que vient de publier le pouvoir des talibans définit de très nombreux interdits, notamment concernant les femmes. Mais au-delà de cette dimension, il s’agit d’un texte dont l’étude permet de mieux appréhender l’univers mental, à la fois ancré dans une vision ancienne de l’islam et imprégnée de modernité technique, qui est celui du régime en place dans le pays depuis l’été 2021.
Le 23 août 2024, le « ministère de la Justice » de l’autoproclamé « Émirat islamique d’Afghanistan » a publié dans son Journal officiel un décret (firmān) intitulé « Loi en vue d’ordonner le bien et d’interdire le mal » (n° 1452). Il a été approuvé par le « très-haut, le commandeur des croyants », le mollah Haibatullah Akhundzada, né en 1961, chef des talibans au moins depuis 2021 et leur victoire contre la coalition internationale menée par les États-Unis.
L’homme, qui a une formation de juriste et s’est spécialisé dans les questions de mœurs, est habitué à publier des avis juridiques sur l’organisation de la vie en Afghanistan. Ce disciple du mollah Omar, mort en 2013, en a récupéré la titulature de type califal, amīr al-muʾminīn, « chef des fidèles », ou « commandeur des croyants », qui recouvre une dimension à la fois politique, religieuse et militaire. Bien que prestigieux et inscrit dans l’histoire de l’islam médiéval, un tel titre n’implique pas la résurrection du califat. En effet, stratégiquement, le califat a laissé des marques trop sanglantes à travers Daech pour être pertinent aujourd’hui. En outre, aucun membre des talibans ne peut y prétendre selon la réglementation rappelée par le juriste chafiite al-Mawardi (972-1058) dans ses Statuts gouvernementaux, texte sur lequel s’appuient les talibans, bien qu’ils se réclament explicitement du maḏhab hanafite, l’une des quatre grandes écoles sunnites (le document utilise l’expression « selon la jurisprudence hanafite », p. 13.).
Cette législation a suscité une émotion légitime dans la communauté internationale, car elle renforce la ségrégation subie par les femmes afghanes. Toutefois, une analyse plus détaillée permet d’élargir le champ de l’étude et d’envisager d’autres aspects, tout aussi essentiels.
Présentation de la source
Le document, qui comporte 114 pages et 35 articles répartis en quatre chapitres, est rédigé en dari et en pachtô, les deux langues officielles d’Afghanistan. Il comporte de nombreux passages en arabe et de vastes justifications et références en notes de bas de page.
Parmi celles-ci on relève une forte place accordée au Coran, aux recueils de hadith, aux dits des grands califes, à al-Mawardi déjà évoqué, aux traités médiévaux du fiqh hanafite ainsi qu’à l’imam Ibn Abidin, le grand juriste ottoman de Damas, mort en 1836.
Il y a là sans doute une manière pour les talibans de se rattacher à une autorité majeure et incontestée du maḏhab hanafite. Cet imam est pourtant connu pour ses solutions juridiques souples et pour avoir été le promoteur d’une adaptation du fiqh aux conditions modernes.
La préface
La préface (p. 5-15) justifie le décret en reprenant une formule classique : « La présente loi a pour but d’organiser les questions relatives à la promotion de la vertu et à la prévention du vice » (p. 6).
En effet, dès la fin du VIIIe siècle, l’élaboration du droit sous contrôle califal devait permettre de rappeler le comportement attendu des musulmans, afin que chacun endosse la « curatelle » de ses frères, c’est-à-dire la correction de leurs fautes, la promotion du bien sur le mal que le Coran attribue à la communauté (la Umma) : « Vous êtes la meilleure Umma qu’on ait fait surgir pour les hommes : vous ordonnez le convenable et interdisez le blâmable » (sourate 3, verset 110). Comme beaucoup d’autres, le célèbre théologien et mystique d’origine persane al-Ghazali (1058-1111) insista sur ce redressement des mœurs, consistant en une censure collective des actes répréhensibles publics, le jugement de la faute intime appartenant à Dieu.
L’essentiel de la préface consiste à donner la terminologie (ou à la redonner pour ceux qui l’ignoreraient, en Afghanistan ou ailleurs) des fonctions islamiques officielles au sein du pays, mais aussi dans tout émirat respectant les règles énoncées par al-Mawardi au XIe siècle (p. 7-11). Sont ainsi définis dix termes classiques, références idéalisées et anachroniques de la plupart des régimes islamistes, dont le muḥtasib, « délégué par le commandeur des croyants », qui est un contrôleur des marchés et du comportement public, dont le but est d’« empêcher toute infraction aux dispositions de la charia » (p. 7) ; le maʿrūf (la vertu ou le bien) ; le munkar (le vice ou le mal) ; le taʿzīr, c’est-à-dire le châtiment prévu dans le droit pénal ancien (« action entreprise en accord avec un règlement de la charia musulmane ou avec une loi en particulier par son exécutant lorsqu’un acte manifeste contrevient à la charia », p. 10) ; ou encore le « ḥijāb légiféré », dont la définition ne se limite pas à la femme : « Vêtement qui couvre tout le corps d’une femme et qui est porté par toute personne qui n’est pas son maḥram [c’est-à-dire un homme qui n’est pas son proche parent] » (p. 11). Notons que ces termes et ces définitions sont d’une grande banalité dans l’éducation historique musulmane, et qu’ils trahissent la naïveté ou l’inculture du public visé, surtout au regard de la nature officielle du texte. D’une certaine manière, ces notions historiques sont aussi courantes dans le monde musulman que ceux de roi, empereur, Église, évêque, dans l’univers européen.
Viennent alors le nom des administrations, des agents et des domaines d’application (pp. 12-16) et, au premier chef, le « ministère de la Promotion de la Vertu, de l’Interdiction du Vice et de l’Audition des Plaintes ». Le but de l’institution est « de promouvoir la paix [ṣulḥ, le compromis ou la réconciliation] et la fraternité au sein de la population et de la dissuader des préjugés ethniques (nationaux, claniques), linguistiques et régionaux ». La précision est sans doute importante en raison du contexte multiculturel afghan, où des oppositions fortes se sont manifestées régulièrement dès l’invasion soviétique en 1979 entre Pachtounes, Tadjiks, Ouzbeks et Hazaras chiites. L’unité du pays dans l’islam ne saurait être menacée par des querelles communautaristes.
Dernier point notable de cette préface : est mentionnée à plusieurs reprises la responsabilité collective face au mal (la « curatelle »), conformément à la tradition sunnite, mais aussitôt réduite dans son champ d’application « à la responsabilité exclusive du muḥtasib » (p. 15), ce qui revient à affirmer prioritairement l’autorité de l’État central sur les velléités personnelles ou claniques de sanction au sein de la société.
Les règles du droit (I)
La première partie (pp. 16-30) énonce une série de règles de droit, et cela en deux temps. Tout d’abord sont mentionnés « les principes relatifs à leur exécution » : respect des conditions sociales et de la dignité humaine ; seuls sont interdits les comportements visibles et publics, et nullement ceux qui relèvent de l’intimité des personnes, qu’il s’agisse du foyer ou du for interne (la niyya) ; exigence pour toute infraction de deux témoins de bonne réputation au minimum ; ne sont poursuivis que les délits qualifiables et constatables, soit par une enquête soit de manière évidente.
Les talibans ne font ici que rappeler des éléments médiévaux, notamment la niyya, qui désigne la conviction intérieure du croyant qui anime ses actes de piété et les rend valides. Or, depuis la crise muʿtazilite du IXe siècle, il est acquis que nul pouvoir ne peut arbitrairement interroger l’intériorité des suspects pour y déceler l’hérésie ou une culpabilité doctrinale, car l’intimité n’appartient qu’à Dieu et lui seul est juge des pensées cachées. Ainsi l’encyclopédiste muʿtazilite al-Jahiz (776-867) fixe des limites à la procédure inquisitoriale : « Soumettre à l’épreuve un suspect ne veut pas dire violer son intimité. Sinon, le cadi le [juge] serait la personne la plus coupable de violer les secrets et de dévoiler ce qui ne doit pas l’être. »
Dans un deuxième temps, la source fait mention des dispositifs vestimentaires touchant les hommes et les femmes (pp. 26-29), point qui a suscité la réprobation internationale :
Réglementation attachée au ḥijāb des femmes :
Une femme est tenue de couvrir tout son corps.
Une femme doit se couvrir le visage afin d’éviter que se produisent certaines fitna [divisions dans la communauté ou troubles sociaux].
Les voix des femmes (dans une chanson, un hymne ou un récital à voix haute lors d’un rassemblement) sont également à recouvrir.
Les vêtements d’une femme ne doivent pas être fins, courts ou serrés.
Il est de la responsabilité des femmes de cacher leur corps et leur visage aux hommes qui ne sont pas leurs maḥram.
Il est obligatoire pour les femmes musulmanes et pieuses de se couvrir devant les femmes non croyantes ou dépravées, afin d’éviter toute fitna.
Il est interdit aux non-maḥram de regarder le corps ou le visage d’une femme. De même, les femmes n’ont pas le droit de regarder des hommes inconnus.
Si une femme adulte quitte la maison en raison d’un besoin urgent, elle a le devoir de dissimuler sa voix, son visage et son corps.
Et les hommes d’être contraints, eux aussi, à couvrir leur corps de la taille aux genoux, notamment dans le cadre de leur profession et aussi de leurs loisirs (p. 29).
Le firmān s’applique à suivre la définition du vêtement « légiféré », c’est-à-dire répondant aux exigences de tenue des femmes selon l’interprétation du droit hanafite médiéval. Il s’inspire des hadiths, mais se garde de rejoindre la tradition hanbalite, maḏhab rigoriste qui n’a quasiment plus de place officielle nulle part, même en Arabie saoudite, ou si ce n’est chez les salafistes. De fait, les gants ne sont pas mentionnés, ni l’interdiction des motifs imprimés, de l’usage de la soie ou d’une couleur particulière. Il n’est pas dit que les femmes doivent sortir de chez elles accompagnées d’un tuteur (wakīl), ce qui est pourtant la norme dans les zones pachtounes d’Afghanistan qui obéissent aussi à un autre code, tribal et coutumier celui-ci, le pachtounwali, lequel impose la claustration des femmes pubères, contrairement au droit hanafite.
Les agents et leurs domaines de compétences (II)
La seconde partie désigne aux agents exécutifs de l’Émirat leurs principaux objets d’attention (pp. 32-72) :
La presse et les organes d’information (pp. 32-34), lesquels ne doivent rien publier allant à l’encontre des « règles vertueuses » (ex. : le vice, la moquerie, les dessins animés).
La vie économique (pp. 35-45). Tous les travailleurs doivent prier en commun aux heures légales, payer la zakāt (l’aumône), suivre le_ maḏhab h_anafite dans leurs affaires, éviter l’usure, la duperie dans le commerce, etc.
Le tourisme (pp. 46-48), chaque site devant avoir une mosquée.
La circulation routière (pp. 49-51). La drogue, la contrebande et la musique sont interdites au volant, de même que les femmes ne peuvent voyager seules ni découvertes.
Les bains publics (p. 52).
Suit une longue liste d’infractions morales individuelles (pp. 53-72), dont : l’adultère, le lesbianisme (l’homosexualité masculine n’est pas explicitement nommée), la sodomie (même conjugale), la pédophilie, les jeux de hasard (pourtant très prisés dans certaines provinces afghanes), les combats d’animaux (même remarque), l’usage abusif d’appareils audio et vidéo, les retards à la prière, les refus de jeûne, les barbes trop courtes, les relations amicales avec des non-musulmans, les fêtes persanes, la désobéissance envers les parents, la sévérité envers les orphelins, la possession de croix ou de cravates.
Sont ici mélangés pêle-mêle des usages de bon comportement, des coutumes et des délits qui relèvent pourtant des mêmes agents publics, lesquels ne peuvent évidemment pas intervenir systématiquement sans le soutien du voisinage (et donc de la dénonciation – on ne parle pas de délation, car les dénonciations ne peuvent être anonymes). L’idéal est d’obéir à des coutumes qui soient à la fois locales et musulmanes, et plus encore non occidentales, car les talibans associent le culturel et le religieux.
Le droit hanafite médiéval ne condamne pas les relations avec les chrétiens et les Juifs. En revanche, le wahhabisme a popularisé depuis le XVIIIe siècle le double concept « d’allégeance et de désaveu » (al-walāʾ wa l-barāʾ), lequel impose à tout musulman de se détacher des infidèles, des apostats, des soufis, des chiites, des Juifs, des « croisés » (les chrétiens européens), et même de les haïr, sous peine d’être excommunié.
Or, les talibans ont été marqués par l’influence wahhabite – liée au maḏhab hanbalite –, notamment lors de la guerre contre l’URSS (1979-1989), lorsque plusieurs millions d’Aghfans trouvèrent refuge au Pakistan, où les madrasa saoudiennes se mobilisèrent pour les scolariser. Le décret se trouve ici dans une position intermédiaire, ni totalement hanafite, ni parfaitement hanbalite, mais cherche un compromis pour mieux dénoncer ceux qui ont pactisé avec les États-Unis. Il n’est pas sans contradiction avec la réalité géopolitique du gouvernement taliban, qui mène une diplomatie active avec la Chine, « amitié » qui pourrait être condamnée au regard de ce firmān.
Les sanctions (III)
Enfin, la troisième partie s’attache aux sanctions elles-mêmes (pp. 73-79) et insiste sur la responsabilité des agents de l’État dans ce domaine. Aucun taʿzīr ne s’applique automatiquement, car il faut d’abord exhorter le pécheur, le menacer des sévérités de la loi avant de le punir par une amende, puis par la prison, et enfin par d’autres sanctions (sous-entendu : corporelles), si son crime le nécessite. On tiendra compte alors de la réputation (religieuse et morale) du prévenu et de son comportement devant l’autorité judiciaire, ce qui est une manière de dire, conformément au droit classique, que des accommodements (ḥiyal) sont toujours possibles.
En revanche, les peines corporelles ne sont pas évoquées, alors qu’elles auraient pu l’être si le décret prétendait restaurer la législation hanafite abbasside ou ottomane.
La source se termine par une quatrième partie (« Injonctions diverses », pp. 80-87), mais répétitive par rapport au contenu des trois autres).
La législation d’un pays fantasmé
La lecture du décret n° 1452 de l’Émirat d’Afghanistan démontre qu’il n’est pas d’abord une loi contre les femmes, ou du moins que ce n’est pas sa nature profonde. Il s’agit d’un acte législatif de souveraineté et d’autojustification au regard de la norme islamique hanafite, celle des IXe-XIe siècles, revivifiée au XIXe siècle par Ibn Abidin dans le contexte précolonial.
Il vise à démontrer combien la vie quotidienne afghane depuis 2021 suit une tradition historique sûre, éprouvée, validée par les plus grands imams sunnites au-delà du cercle hanafite, et par les références incontournables du Coran et de la Sunna. Grâce à ces autorités prestigieuses, les talibans entendent non pas renforcer, car c’est inutile, mais légitimer leur contrôle social, limiter les tensions ethnico-provinciales au nom d’une unité théorique et détourner la curatelle sociale au profit de l’État.
Cet État singe de manière pathétique le califat médiéval – sans calife en titre – et pour cela exhume des fonctions anciennes qui ne peuvent être efficaces sans un appareil administratif moderne, lequel existe bel et bien dans le pays, mais dont la source ne parle pas. De même qu’il évacue la référence aux coutumes tribales, aux chiites du pays, au soufisme parfaitement accepté dans le pays (contrairement au hanbalisme), au pachtounwali, qui semblent ici inexistants.
L’Émirat devient un pays irréel, coupé de toute histoire, de toute géopolitique, même si son État a des prétentions de contrôle très modernes (la presse, l’économie, le tourisme, le comportement individuel, etc.). Le citoyen – qu’il soit homme ou femme – apparaît ici comme un être télétransporté au Xe siècle pour sa vie morale, et enraciné dans le XXIe siècle pour ce qui relève de l’obéissance à l’État.
De toute évidence, un tel décret ne changera rien à la situation quotidienne des habitants, mais pourrait avoir une fonction de communication ou de propagande religieuse vers l’extérieur (la Daʿwa), vers ceux qui rêvaient d’un système islamiste idéalisé et que Daech (ou sa défaite) a déçus.
Olivier Hanne, Chercheur associé au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale (CESCM), Université de Poitiers
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Olivier Hanne
Docteur en histoire, agrégé, Olivier Hanne est chercheur associé à l’Université Aix-Marseille et professeur à l’ESM Saint-Cyr. Il est spécialiste du monde musulman et a publié de nombreux livres sur ce sujet.
Les microprocesseurs sont omniprésents dans l’armée moderne. Cependant, produire ces composants électroniques demeure sous pression constante. Pour sécuriser le stock américain, le Pentagone lance un vaste programme de sécurisation.
Aux États-Unis, le Pentagone entend sécuriser des microprocesseurs
Le Pentagone vient de débloquer 3 milliards de dollars pour un programme stratégique visant à sécuriser l’approvisionnement en microprocesseurs. Cette initiative est perçue comme vitale pour renforcer la sécurité nationale des États-Unis. En s’appuyant sur le CHIPS and Science Act, une législation clé adoptée en 2022, ce financement massif met en lumière l’importance croissante de la microélectronique dans le domaine de la défense. L’objectif est clair : réduire la dépendance américaine envers les pays étrangers, notamment la Chine et Taïwan. Mais surtout, établir une base industrielle solide pour produire des semi-conducteurs de pointe sur le territoire américain.
Ce plan, supervisé par le département du Commerce en collaboration avec le département de la Défense (DoD), fait partie d’une série d’initiatives du programme Secure Enclave. Ce programme, en lien avec la loi CHIPS, s’inscrit dans un contexte de tensions internationales croissantes, notamment avec la Chine, principal fournisseur de microprocesseurs pour les États-Unis. Il reflète également la volonté de l’administration Biden de relocaliser la production de ces composants critiques pour la sécurité nationale et économique.
Une initiative portée par Intel
Sous la direction du Pentagone, Intel Corp, l’un des leaders mondiaux dans le domaine des microprocesseurs, a été choisi pour jouer un rôle clé dans ce projet. La firme américaine, qui possède des sites de production en Arizona, au Nouveau-Mexique, en Ohio et en Oregon, bénéficiera d’une partie de ce financement pour améliorer ses capacités de production et répondre aux besoins militaires spécifiques en microélectronique.
En effet, les microprocesseurs ne sont pas seulement utilisés dans les produits de consommation courante comme les smartphones ou les véhicules électriques. Mais ils jouent également un rôle crucial dans les systèmes de défense, notamment dans les avions de combat comme les F-35. En relocalisant la production et en investissant massivement dans des installations nationales, le gouvernement américain cherche à atténuer ce risque et à garantir que les forces armées auront toujours accès à ces technologies critiques.
Cédric Bonnefoy est journaliste en local à la radio. À côté, il collabore depuis 2022 avec Économie Matin.
Israël a réussi à cacher des explosifs dans les bipeurs du Hezbollah, selon le «New York Times»
Les bipeurs qui ont explosé mardi 17 septembre au Liban ont été piégés en amont par l’État hébreu qui a réussi à les intercepter avant leur livraison au mouvement chiite libanais, affirme le quotidien américain en s’appuyant sur plusieurs sources. L’attaque sans précédent a fait neuf morts et près de 2 800 blessés.
Des responsables américains et de plusieurs autres nationalités affirment au New York Times qu’Israël est parvenu à cacher des petits explosifs dans des bipeurs achetés par le Hezbollah à Taïwan et les a déclenchés à distance mardi 17 septembre, tuant 9 personnes et faisant près de 2 800 blessés. Ces sources, qui s’expriment sous le couvert de l’anonymat, ont donné au quotidien américain des détails sur cette opération sans précédent, attribuée par le mouvement islamiste libanais à Israël.
Les petits appareils, du fabricant Gold Apollo à Taïwan, ont été interceptés par les services israéliens avant leur arrivée au Liban, selon ces responsables dont les nationalités ne sont pas détaillées. Quelques dizaines de grammes de matériel explosif ont été insérés à côté de la batterie avec un déclencheur, précise le quotidien.
Réagissant à ces informations, l’entreprise taïwanaise Gold Apollo a démenti mercredi avoir fabriqué les bipeurs. « Ce ne sont pas nos produits (…) Ce ne sont pas nos produits du début à la fin », a affirmé le directeur de l’entreprise, Hsu Chin-kuang, à des journalistes à Taipei. Gold Apollo a assuré que les bipeurs portant sa marque ont été produits et vendus par son partenaire hongrois BAC. « En vertu d’un accord de coopération, nous autorisons BAC à utiliser notre marque pour la vente de produits dans certaines régions, mais la conception et la fabrication des produits sont de l’unique responsabilité de BAC », a indiqué l’entreprise dans un communiqué Gold Apollo, démentant les informations du New York Times selon lesquelles le groupe taïwanais avait lui-même fabriqué les bipeurs.
Des appareils « piratés à la source »
À 15h30 mardi au Liban, un message apparaissant comme venant de la direction du Hezbollah a fait biper l’appareil pendant plusieurs secondes avant de déclencher l’explosif, selon le quotidien américain, citant toujours plusieurs sources anonymes. Plus de 3 000 exemplaires, essentiellement du modèle AP924, ont été commandés par le Hezbollah à l’entreprise Gold Apollo de Taïwan, affirment ces sources. Les informations du quotidien américain vont dans le sens de la théorie, avancée mardi par plusieurs experts, selon laquelle les services israéliens seraient parvenus à infiltrer la chaîne logistique du Hezbollah pour planifier cette attaque.
Une source proche du mouvement avait indiqué plus tôt à l’AFP que « les bipeurs qui ont explosé concernent une cargaisonde 1 000 appareils récemment importée par le Hezbollah», qui semblaient selon lui avoir été « piratés à la source ».
François-Xavier Nérard, maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, est spécialiste d’histoire sociale de l’Union soviétique. Depuis juin 2024, Directeur du MRIAE – Magistère/Masters Relations Internationales et Action à l’Étranger de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. François-Xavier Nérard co-signe avec Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 2024. Marie-Pierre Rey, est co-auteure de cet atlas, ancienne élève de l’ENS, professeure d’histoire russe et soviétique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et directrice du Centre de recherches en histoire des Slaves. Cyrille Suss, cartographe indépendant, a réalisé les plus de 90 cartes et infographies de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », éd. Autrement, 2024.
Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ? Les programmes de l’enseignement secondaire sont-ils à la hauteur des besoins pour permettre à un bachelier de saisir les singularités du pays le plus étendu du monde ? Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ? Depuis l’accession au pouvoir de V. Poutine (2000), quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ? François-Xavier Nérard apporte des réponses claires et précises aux questions de Pierre Verluise pour Diploweb.com.
François-Xavier Nérard est co-auteur, avec Marie-Pierre Rey, de l’« Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine », cartographe Cyrille Suss, édition Autrement. Cet entretien est illustré par une carte extraite de l’atlas : Russie. Un interventionisme tous azimuts. Disponible en deux formats JPG et PDF pour impression haute qualité.
Pierre Verluise (P. V.) : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) embrasse à la fois la profondeur historique et l’étendue spatiale de Russie, du XVe siècle à aujourd’hui. Au terme de cet exercice, quels sont les traits — éventuellement contradictoires ou en tension — qui caractérisent la construction de l’empire russe ? Comment les cartes réalisées par Cyrille Suss aident-elles à le comprendre ?
François-Xavier Nérard (F.-X. N.) : La construction de l’espace impérial russe se fait par continuité géographique. À la différence des grands empires européens qui conquièrent des territoires outre-mer, loin de la métropole, les Russes soumettent des terres immédiatement contiguës à celles qu’ils dominent déjà. Cela a permis pendant longtemps à la Russie de s’exclure de toute histoire coloniale en refusant l’idée même d’avoir possédé des « colonies ». Et ce, alors qu’on retrouve pourtant dans l’expansion russe bien des traits de l’expansion européenne : violence, racisme, modernisation proclamée…
Cette continuité géographique, donc cet empire d’un seul tenant, se double d’une hétérogénéité ethnique et culturelle dès la conquête des khanats de Kazan et d’Astrakhan au milieu du XVIe siècle. En 1897, les Russes ethniques ne représentent que 44 % des 123 millions d’habitants de l’Empire. La mosaïque des peuples, des religions et des cultures est extrêmement complexe. Si la religion orthodoxe domine, on trouve au sein de l’Empire aussi bien des protestants, des juifs, des catholiques, des musulmans que des peuples qui pratiquent le chamanisme. La réponse politique à cette diversité a changé au fil des régimes et du temps. Le modèle impérial insistait sur le lien personnel entre tous les sujets, quelles que soient leurs particularités, et l’Empereur, mais au cours du XIXe siècle se développe aussi un récit national qui tend à penser l’empire comme spécifiquement russe. Les Soviétiques tentent eux aussi de concilier l’unité du pays et la diversité de ses peuples et de ses cultures, alternant périodes d’autonomies culturelles et périodes de russification plus marquées. Il faut d’ailleurs attendre 1977 pour que la Constitution du pays parle explicitement de peuple soviétique.
Parmi tant d’autres thèmes possibles, j’insisterai enfin sur la difficile maîtrise du territoire conquis. Se déplacer dans cet espace russe a longtemps été chose complexe. Les routes, que le marquis A. de Custine [1] décrit au XIX e s. avec beaucoup d’effroi, ont longtemps été négligées et le sont encore dans bien des endroits de la Russie contemporaine. Les fleuves ont certes permis des déplacements, mais il faut surtout attendre le chemin de fer, qui se développe réellement à compter du dernier tiers du XIXe siècle, pour que l’empire dispose d’un moyen de transport efficace. Le train permet de façon d’abord imparfaite des déplacements facilités dans cet espace immense. Les zones couvertes restent pour autant limitées tant les conditions physiques et climatiques rendent l’accès à de nombreux espaces difficiles. L’avion, grâce à un réseau d’aéroports relativement dense, a permis à la fin de la période soviétique de compléter cet arsenal.
P. V. : Venons-en à une période plus proche et parfois délicate à dater, localiser et conceptualiser pour les personnes nées post-Guerre froide. Comment s’est constitué le « bloc socialiste » et quelles étaient les relations entre les « satellites » et l’URSS ? Au sein même de l’URSS, comment s’organisaient les relations entre la Fédération de Russie et les quatorze autres Républiques socialistes soviétiques ?
F.-X. N. : Le « bloc » socialiste se met progressivement en place entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et la fin des années 1940. L’autonomie politique des territoires libérés par l’Armée rouge est d’abord limitée par la présence même des troupes soviétiques. Ce contrôle se fait de plus en plus strict au fur et à mesure que les relations entre les anciens alliés se détériorent. Les communistes, souvent dirigés par des responsables réfugiés à Moscou pendant la guerre, jouent un rôle de plus en plus central dans les gouvernements. À partir de 1947, marquée par la conférence de Sklarszka Poreba, la mise au pas est nette. Le coup de Prague, en février 1948, à l’occasion duquel les communistes confisquent la totalité du pouvoir en Tchécoslovaquie en est le meilleur exemple.
Le bloc socialiste se structure à compter de 1949 grâce à plusieurs outils.
Le bloc se structure alors grâce à plusieurs outils : un contrôle politique strict, fondé sur la répression et l’organisation de grands procès qui rappellent ceux des années 1930 à Moscou ; de multiples traités bilatéraux d’assistance et d’amitié ainsi que la mise en place du Conseil d’assistance économique mutuelle, le CAEM en 1949 (l’ensemble sera complété, plus tard en 1955, par le Pacte de Varsovie) ; la présence enfin dans chacun des pays du bloc de conseillers soviétiques qui assurent contrôle politique et contribuent à la « soviétisation ».
On peut considérer que ce « bloc » socialiste est ainsi structuré en 1949. Pour autant, il ne faut pas en faire un tout homogène, ni dans l’espace ni dans le temps. La déstalinisation entraîne des évolutions nettes, mais hétérogènes, qui s’accompagnent parfois de violences. La Hongrie de Janos Kadar a ainsi peu à voir avec la RDA ou la Pologne. La Roumanie de N. Ceausescu qui refuse de participer à la répression du Printemps de Prague promeut une voie spécifique qui en fait un pays à part puisque, seul parmi les pays du bloc, il rejoint la Banque mondiale et le Fonds monétaire international en 1972. Les évolutions possibles restent néanmoins étroitement contrôlées par Moscou comme en témoignent les moments répressifs majeurs de 1953 à Berlin-Est, de 1956 à Budapest, de 1968 à Prague ou de 1981 en Pologne (sans intervention soviétique dans ce cas précis).
En URSS, le centre du pouvoir est à Moscou ce qui ne signifie pas que ce pouvoir est nécessairement « russe », même s’il est souvent perçu comme tel. Les évolutions au cours du XXe siècle sont marquées. Une période qui va de la fin de la guerre civile au début des années 1930 promeut « l’indigénisation » (korennizatsia) de la direction des Républiques, on assiste alors à ce que l’historien états-unien Terry Martin appelle une floraison nationale. Le pouvoir moscovite est lui-même ethniquement très divers, sans se limiter au seul Staline. Mais la « russification » du pouvoir commence dès la famine ukrainienne et se renforce avec la marche vers la guerre, à partir de la Grande terreur. L’histoire soviétique en vient à rimer avec l’histoire russe. Dans les faits, c’est donc Moscou qui décide. Mais l’autonomie locale ne doit jamais être négligée du fait des dysfonctionnements du système et de l’impossibilité de tout contrôler. Ce n’est d’ailleurs pas la Fédération de Russie en tant que telle qui joue un rôle central. La russification de l’échelon soviétique mériterait une étude approfondie. Elle passe par des acteurs situés aussi bien à Moscou que localement, par la langue (le russe est la lingua franca imposée en URSS), par la diffusion d’une culture unifiée marquée par les productions du centre moscovite. Mais le système soviétique ne peut se réduire à un système russe, comme on pourrait avoir tendance à le penser rétrospectivement.
P. V. : Aujourd’hui, comment caractériser les relations entre la Russie et les quatorze autres ex-Républiques socialistes soviétiques ? Vu de Moscou, que signifient les expressions : « étranger proche » et « monde russe » ?
Celui-ci est utilisé à la suite de la chute de l’URSS par Andrei Kozyrev, qui était alors ministre des Affaires étrangères de Boris Eltsine. Progressivement, le mot en vient à désigner une sorte de pré carré russe, dans le cadre d’une sorte de doctrine Monroe russifiée, une zone dans laquelle seule Moscou aurait son mot à dire. Toute ingérence extérieure, réelle ou supposée, étant interprétée comme une menace. C’est le cas notamment au moment des deux révolutions ukrainiennes en 2004 et en 2013-2014. Cette conception de l’étranger proche débouche même sur des interventions armées comme en Géorgie en 2008.
Le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. L’Eglise orthodoxe russe vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.
Au-delà de cet étranger proche, les penseurs du Kremlin développent l’idée de « monde russe » qui vise l’ensemble de la diaspora russe, estimée à plus de 20 millions de personnes, que Moscou cherche à mobiliser comme relais d’influence. Différentes structures sont alors mises en place pour atteindre ce but, comme, en 2007, la fondation « Russkij mir » ou « Rossotroudnitchestvo » qui développe ici ou là des « maisons russes de la science et de la culture. » Cette stratégie de Soft Power, assez classique, se fonde d’abord sur la langue et la culture russes et de plus en plus sur la religion orthodoxe, car le concept de monde russe est activement soutenu par le Patriarcat de Moscou. Elle vient donner une pseudo-légitimité et un appui à une politique étrangère désormais belliqueuse et agressive.
P. V. : Votre « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine » (éd. Autrement) s’achève sur la Russie actuelle que nous pourrions appeler « poutinienne ». Quid de la promesse de la restauration d’un État centralisé ? Quelles réformes économiques et sociales ? Quelle politique extérieure ?
F.-X. N. : L’ambition de V. Poutine, depuis son accession au pouvoir, est de renouer avec la puissance. Son modèle a probablement été celui, plus ou moins mythifié, de l’URSS brejnevienne de la fin des années 1960 et du début des années 1970 quand le pays était une puissance mondiale, présent sur la plupart des continents, bénéficiant des contacts économiques, politiques et culturels renouvelés avec le monde dans le cadre de la détente. Et, sur le plan intérieur, jouissant d’une stabilité relative après des décennies de bouleversements et de crises, avant les difficultés de la fin des années 1970.
Les années 1990, celle de la crise économique, sociale et politique, servent, elles, de repoussoir. V. Poutine a donc cherché à restaurer une autorité qui manquait, à son sens, via une centralisation accrue et la construction d’une « verticale du pouvoir » visant à limiter au maximum l’autonomie régionale. Cette « centralisation » est aussi, et même plutôt, une concentration du pouvoir. Toute source alternative de pouvoir ou de contre-pouvoir a progressivement disparu. La mise au pas des gouverneurs, sortes de barons régionaux, s’est accompagnée de l’assujettissement des riches acteurs économiques, les oligarques, qui ont dû renoncer, de gré ou de force, à jouer tout rôle politique alors que c’était pourtant leur objectif revendiqué à l’époque de la présidence de Boris Eltsine. Les médias enfin sont étroitement contrôlés avec la disparition de la diversité médiatique, à l’image de la chaîne NTV rachetée par Gazprom en 2001.
Sur le plan économique et social, les premières années du pouvoir de V. Poutine, et cela explique en large partie sa popularité durable, correspondent à un mieux-être économique, largement favorisé par la hausse des prix des hydrocarbures qui a permis d’assurer d’importants revenus, en partie redistribués, à l’État. L’inflation maîtrisée, une croissance économique de 5 à 6 % jusqu’à 2014, ont assuré à la population russe de meilleures conditions de vie : le pays s’est transformé, le souvenir de la pauvreté endémique s’est éloigné.
La politique extérieure, elle aussi, a alors renoué avec cette ambition de puissance. La Russie aspire à redevenir un acteur majeur des relations internationales. Mais peu à peu, le pouvoir russe interprète l’élargissement de l’OTAN comme une menace à ses intérêts, les révolutions dites de couleur en Géorgie ou en Ukraine sont perçues comme des ingérences insupportables et entraînent la crispation d’un pays qui critique de plus en plus un « Occident » présenté comme un danger et un contre-modèle en termes politiques et sociaux. La crise de 2014 en Ukraine et l’annexion, au mépris du droit international, de la Crimée marquent une nouvelle étape. La Russie intervient désormais hors de ses frontières, notamment en Syrie ou au Mali, au moyen de groupes de mercenaires comme Wagner.
P. V. : Depuis le XVe siècle jusqu’à aujourd’hui, quelles sont les grandes ruptures et les continuités qu’il faut avoir l’esprit pour mieux comprendre la Russie ?
F.-X. N. : C’est une question qui nous a semblé essentielle quand nous avons réfléchi avec Marie-Pierre Rey à cet atlas et son architecture. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas choisi un plan strictement chronologique. Nous consacrons une première partie de l’ouvrage précisément à cette question de la longue durée qui permet de prendre un véritable recul.
Bien des continuités se situent dans la logique de la construction de l’espace que nous avons abordée au début de cet entretien.
De manière caractéristique, la quête d’un immense espace est accompagnée d’un sentiment de fragilité.
L’un des traits fondamentaux est celui du sentiment de fragilité, ressenti ou proclamé par les dirigeants russes et que l’on retrouve dans la longue durée. Il s’explique en partie par l’espace russe, fruit de l’expansion commencée sur la base de la principauté de Moscou au XVe siècle. Après le XIXe siècle qui voit une poussée majeure vers le Sud notamment avec la très difficile conquête du Caucase et celle de l’Asie centrale qui pour être plus simple n’en est pas moins violente, le territoire des empereurs Romanov mesure près de 22 millions de km2.
Ce vaste territoire, qui à son apogée, va de la Pologne au Pacifique, de l’Océan glacial arctique aux confins de l’Afghanistan, n’est que mal protégé sur ses marges par des barrières naturelles. Ce qui a facilité les conquêtes est alors perçu comme une source de faiblesse, qui à son tour justifie de nouvelles conquêtes pour se « protéger », assurer des glacis protecteurs comme c’est le cas après la Seconde Guerre mondiale. Les invasions répétées, de Napoléon à Hitler, en passant par les interventions étrangères pendant la guerre civile, donnent d’ailleurs du grain à moudre aux dirigeants du pays.
La rupture la plus évidente et qui mérite réflexion est celle de 1917. Si la tendance historiographique de ces dernières années vise à replacer 1917 dans le continuum de la guerre de huit ans (1914-1922), il serait bien entendu erroné de faire abstraction de cette année qui a vu la fin de la monarchie et la mise en place d’un régime inédit fondé sur des aspirations politiques et sociales d’un genre nouveau. Pour autant, si l’on réfléchit sur le long terme, cette période soviétique close depuis plus de trente ans désormais apparaît à sa façon comme une sorte de parenthèse.
La centralisation du pouvoir, qui n’est pas incompatible avec l’existence de poches d’autonomie, ou de richesses culturelles locales, reste également un trait majeur du pouvoir en Russie. Elle s’accompagne, chez les dirigeants, de la perception d’une maîtrise difficile du territoire, d’un doute permanent sur la fiabilité des dirigeants locaux, particulièrement nette chez Staline, et donc du risque d’insubordination qui, à son tour, justifie une violence politique récurrente.
Depuis quelques temps, la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe.
La place du peuple, de son consentement au pouvoir et de ses révoltes me semble enfin un thème transversal, crucial, que nous avons abordé dans plusieurs cartes de l’atlas. La forme particulière du pouvoir autocratique qui supposait que le lien était direct entre le souverain et Dieu rendait toute forme de révolte complexe en rendant impossible le questionnement de la légitimité d’un monarque, émanation divine. Certains historiens, comme Claudio Ingerflom, l’ont bien montré. Il reste, au long de l’histoire russe, de nombreuses révoltes populaires souvent menées par des autonommés, des imposteurs comme Pougatchev qui prétendent être le véritable tsar. À la période soviétique, une fois la guerre civile achevée, les révoltes sont relativement rares, mais méritent toute notre attention : on peut penser à la quasi-guerre civile des paysans qui s’opposent à la collectivisation, aux révoltes sporadiques dans les camps du Goulag, aux manifestations, certes rares et réprimées dans le sang, comme à Novotcherkassk en 1962. Dès lors, peut-on dire que le peuple a été un acteur majeur de l’histoire russe ? Ce fut bien le cas en 1905 ou en février 1917. Mais depuis ? Les immenses manifestations contre le rôle dirigeant du parti organisées à Moscou en février 1990 semblent lointaines. On en trouve un écho affaibli lors des protestations contre les fraudes sur la place Bolotnaya en 2011. Mais la protestation de masse semble avoir disparu de la grammaire politique russe, y compris depuis le début de la guerre contre l’Ukraine.
P. V. : Enfin, que pensez-vous de la place de la Russie dans l’enseignement secondaire général en France ? Avez-vous l’impression que les programmes et les enseignements sont à la hauteur du challenge intellectuel que ce pays représente pour qui veut le comprendre dans le temps et dans l’espace ?
F.-X. N. : La place des mondes étrangers dans l’enseignement secondaire est toujours difficile à appréhender dans un volume horaire contraint, c’est certain. J’imagine que bien des collègues spécialistes d’autres zones pourraient porter des critiques identiques. Pour autant, il faut bien constater que la Russie, son histoire et sa géographie ne sont que très imparfaitement abordées dans l’enseignement secondaire général français. On peut le regretter. La clé d’entrée principale reste celle du « totalitarisme » et de la guerre froide (en classe de troisième et de terminale). Au-delà même des critiques que l’on peut adresser à un concept qui ne me semble guère pertinent, les éléments qui permettent de comprendre le XXe siècle soviétique sont difficilement accessibles aux élèves. [2] L’évolution du régime après Staline n’est pas, ou peu, enseignée. On évoque en classe de Terminale l’effondrement du bloc soviétique, mais comment l’appréhender sans comprendre la déstalinisation ou le brejnevisme ? Comment dans ces conditions comprendre le régime poutinien, sans en faire, comme on l’entend trop souvent, une sorte d’écho du stalinisme ?
La Révolution de 1917 n’est ainsi plus étudiée en tant que telle, alors que c’est pourtant un moment essentiel du XXe siècle qu’il est nécessaire de comprendre autant dans son surgissement que pour ses conséquences.
Au-delà même de ce que nous appelons, tout en interrogeant le concept, la « parenthèse soviétique », les élèves ne peuvent pas appréhender une Russie qui ne surgirait pas en octobre 1917 et il faut le regretter. La construction de l’Empire, sa difficile compréhension des limites, ses hésitations permanentes entre l’attirance pour le modèle occidental, ce que Marie-Pierre Rey a appelé la « tentation de l’Occident » et son rejet radical mériteraient une étude plus précise.
Des éclairages, partiels, ne suffisent pas, à appréhender la Russie dans sa complexité.
La Russie n’est pour autant pas absente des programmes. Elle est bien une option des programmes de géographie en seconde (Développement et inégalités en Russie), en terminale (La Russie, un pays dans la mondialisation). Les élèves qui suivent la spécialité HGGSP en classe de Première travaillent sur la Russie après 1991 et sur les services de renseignements pendant la guerre froide. Mais ces éclairages, partiels, ne suffisent pas, à mon sens, à appréhender la Russie dans sa complexité.
Tout ceci a des conséquences. Notre société, à tous les niveaux, a du mal à penser la Russie en dehors de bien des stéréotypes. Or, connaître ce pays s’avère crucial en temps de crises, qui plus est dans les moments tragiques que nous connaissons.
Copyright Septembre 2024-Nérard-Verluise/Diploweb.com
Plus
. François-Xavier Nérard, Marie-Pierre Rey, « Atlas historique de la Russie. D’Ivan III à Vladimir Poutine ». Cartographe : Cyrille Suss. Coll. Atlas Mémoires, éd. Autrement, 3e éd. 2024, 95 p.
4e de couverture
Plus de 90 cartes et infographies présentent l’histoire de la Russie, mettant l’accent sur les différentes régions d’un territoire immense et sur les modalités de son contrôle par l’État.
. La Russie impériale, puissance en expansion depuis le XVᵉ siècle, est fragilisée par une modernisation tardive et la guerre ; elle est mise à terre par la Révolution de février 1917.
. La Russie soviétique se forge dans une immense violence politique et sociale tout en donnant naissance à un monde nouveau, urbain et industriel.
. La période postsoviétique voit la Russie, après un temps de repli et d’incertitudes, tenter de renouer avec sa grandeur passée.
D’Ivan III, « grand-prince de Moscou et de toute la Russie » au XVᵉ siècle, à Vladimir Poutine, président d’un pouvoir central qui ébranle la scène internationale, cette nouvelle édition dresse le bilan actualisé des transformations que continue de connaître la Russie.
[1] NDLR : Astolphe de Custine « La Russie en 1839 » éd. Amyot, 1843 ou 1846 selon les sources. « La Russie en 1839 » a été rédigé par Custine entre 1840 et 1842.
[2] NDLR : Cette insuffisance de l’enseignement secondaire français au sujet de l’histoire et de la géographie de la Russie facilite le travail de manipulation et désinformation par la Russie elle-même auprès de larges pans des opinions. Des faits historiques comme le caractère colonial de l’empire russe puis de l’URSS et de la Russie post-soviétique ne sont pas intégrés par un bachelier. Ce qui permet à la Russie de se faire encore passer comme un soutien aux forces anti-colonialistes, par exemple en Afrique.
À l’image des opérations de liberté de navigation menées depuis des années près de ses côtes, la Chine commence à afficher sa présence militaire à proximité de ces mêmes pays, parfois en collaboration avec la Russie. Cela suscite des réactions de surprise de la part des nations qui en étaient à l’origine. Avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.
Freedom of Navigation Operations (FONOPs)
Bien que les États-Unis ne soient pas signataires de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS :United Nations Convention on the Law of the Sea), [1] qui définit le cadre juridique des opérations dites de « Liberté de navigation » (Freedom of Navigation Operations, ou FONOPs), ils mènent régulièrement de telles opérations, avec une intensification notable ces dernières années, notamment à proximité de la Chine, en mer de Chine méridionale. D’autres membres du G7 suivent de près l’exemple américain. Selon eux, ces opérations ont pour objectif de réaffirmer le droit de passage inoffensif dans les eaux internationales, même si les routes maritimes commerciales de cette zone n’ont jamais été entravées.
Les FONOPs se sont intensifiées, avec une augmentation notable depuis 2015 sous l’administration Obama. Cette politique a été maintenue et renforcée sous les administrations suivantes de Trump et Biden. Les opérations ont été menées régulièrement, souvent plusieurs fois par an.Durant la période 2020 – 2023, les États-Unis ont mené environ 8 à 12 FONOPs par an en mer de Chine méridionale. Ces opérations impliquent souvent des destroyers ou des croiseurs américains. Les opérations sont également parfois soutenues par des survols d’avions de reconnaissance ou de bombardiers américains.
La Chine réagit régulièrement aux FONOPs en dénonçant ces opérations comme des provocations et des violations de sa souveraineté. Les forces armées chinoises (notamment la marine et les garde-côtes) suivent souvent de près les navires américains et ceux de ses alliés, et il y a eu des incidents de quasi-collision ou de tensions accrues entre les parties.
Pour les Chinois, ces opérations menées par les États-Unis et leurs alliés sont perçues comme du sel sur des plaies encore ouvertes. Ils considèrent que ces passages de navires et d’avions de guerre ne sont pas innocents, d’autant plus que les pays qui les réalisent sont les mêmes qui ont tenté de coloniser la Chine par la force durant le « siècle des humiliations ». L’histoire laisse des traces et suscite des réactions actuelles. La Chine estime qu’elle dispose désormais de la puissance nécessaire pour faire entendre sa voix et considère qu’il est temps de le faire dans le cadre du droit international.
Des silhouettes inhabituelles dans des zones inhabituelles
Récemment, des rapports ont signalé la présence accrue de navires et d’avions militaires chinois à proximité des côtes américaines, anglaises et françaises. Les silhouettes inhabituelles ont été aperçues dans les zones inhabituelles. Examinons quelques cas.
Cas 1 et 2 : Le 8 juillet, peu avant le sommet de l’OTAN à Washington, la Chine a envoyé des troupes de l’Armée populaire de libération pour participer à des exercices militaires en Biélorussie, près de la Pologne, ce qui peut être interprété comme un message stratégique montrant la capacité de la Chine à projeter des forces loin de ses frontières et sa proximité avec Minsk et Moscou. Peu après, le 10 juillet, la garde côtière américaine a signalé la présence de quatre navires militaires chinois près des îles Aléoutiennes, en Alaska, déclarant que cette présence respectait les normes internationales. Ces événements illustrent l’expansion des activités militaires chinoises en dehors de ses zones traditionnelles.[2]
Cas 3 : Le 24 juillet 2024, des avions militaires chinois et russes ont survolé la mer de Béring près de l’Alaska, mais sont restés dans l’espace aérien international sans pénétrer dans l’espace souverain des États-Unis ou du Canada. Le NORAD a intercepté deux bombardiers russes TU-95 et deux avions chinois H-6 dans la zone d’identification de défense aérienne de l’Alaska (ADIZ).[3]
Cas 4 : Le 28 juillet, deux navires chinois, le destroyer CNS « Jiaozuo » et le pétrolier-ravitailleur CNS « Honghu », ont participé à la Journée de la marine russe à Saint-Pétersbourg, puis ont effectué un exercice avec une corvette russe dans le golfe de Finlande avant de retourner en Chine. Les navires chinois, lourdement armés et équipés de radars sophistiqués, ont été surveillés tout au long de leur voyage par diverses marines européennes, notamment lors de leur passage près des côtes portugaises, françaises, britanniques, et belges. La Royal Navy a coordonné la surveillance avec plusieurs autres navires et un hélicoptère pour suivre le duo chinois, démontrant ainsi l’attention portée par les forces occidentales à la présence militaire chinoise en Europe.[4]
Cas 5 : Le mois dernier, le destroyer américain USS Rafael Peralta a rencontré des navires de la marine chinoise lors d’une patrouille dans le Pacifique occidental, signalant que les forces chinoises opèrent de plus en plus loin de leurs côtes. Les interactions entre les navires américains et chinois ont été qualifiées de « sûres et professionnelles » par un porte-parole de la Septième Flotte des États-Unis. Le Rafael Peralta, basé au Japon et armé de missiles et d’un canon principal, a également été impliqué dans la protection de Guam lors des déploiements chinois et russes dans la région, bien que cette mention ait ensuite été retirée d’une publication officielle.[5]
Une plus grande prudence est nécessaire
La Chine commence, donc, à pratiquer la liberté de navigation comme d’autres pays. Ces passages ont été conformes au droit international, ils reflètent l’influence croissante de ce pays réémergé dans les affaires maritimes mondiales et ont servi de rappel de la complexité des relations internationales actuelles. C’est un fait à accepter comme les opérations de liberté de navigation effectuées par d’autres pays. Cela ne signifie pas que la Chine soit un ennemi systémique des États-Unis ou de l’OTAN. Notre analyse ne devrait pas tomber dans la logique du double standard.
En même temps, avec l’augmentation des tensions et des rencontres plus fréquentes, il devient crucial que tous les acteurs fassent preuve de plus grande prudence afin de réduire les risques de malentendus ou d’incidents militaires.
[1] Convention de Montego Bay (CNUDM) et droit de la mer, GéoConfluence, Texte original : (ST et MCD). Dernières modifications (JBB), novembre 2022, mars 2023, mai 2024
[2] Laurent Lagneau, Au moins quatre navires de guerre chinois sont surveillés par l’US Coast Guard au large de l’Alaska, Zone militaire Open360.com, 11 juillet 2024
[3] Paolo Garoscio, Sécurité aérienne : des bombardiers russes et chinois au-dessus de l’Alaska, Armée, le 26 juillet 2024
[4] Laurent Lagneau, Le patrouilleur « Commandant Blaison » a surveillé deux navires de guerre chinois près des côtes françaises, Zone militaire Open360.com, 10 août 2024
[5] Newsweek, U.S. Warship Encountered Chinese Vessels on Pacific Patrol, Navy Says, Aug 12, 2024