Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

Loi de programmation militaire : chronique d’une étrange défaite

La Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire et sur l’Alliance atlantique.

Une image tirée de Unsplash

Par Romain Delisle – Contrepoints – Publié le 8 octobre 2023

https://www.contrepoints.org/2023/10/08/465045-loi-de-programmation-militaire-chronique-dune-etrange-defaite


Un article de l’IREF

En 1934, le général de Gaulle, alors simple colonel, avait publié un livre visionnaire, intitulé Vers l’armée de métier, sur l’état de l’armée française, et sur la nécessité de constituer une force blindée autonome pour percer les lignes ennemies.

À l’époque, la hiérarchie militaire et les gouvernements successifs avaient préféré parier sur la ligne Maginot pour défendre la frontière nord-est, route de toutes les invasions. Le maréchal Pétain notamment, avait écrit une préface au livre du général Chauvineau[1] pour appuyer l’option défensive de ce qui sera plus tard appelé la « maginotisation » de la France.

Cet exemple est assez révélateur de l’ambiance éthérée et confiante dans une paix perpétuelle, dont l’armée a été la victime, qui a sévi dans notre pays au moins jusqu’aux attentats de 2015, date à laquelle les coupes budgétaires sur la défense ont commencé à être freinées.

En avril 2023, deux mois après son annonce, le projet de loi de programmation militaire a été inscrit à l’ordre du jour du Conseil des ministres, puis voté sans trop d’encombres à la fin de la session parlementaire.

Dans le contexte de tensions internationales consécutives à l’invasion de l’Ukraine, il était très attendu et devait permettre la modernisation de notre outil de défense pour faire face aux fameux « conflits de haute intensité ».

Jusqu’en 2015, la Grande Muette a été la variable d’ajustement budgétaire de l’État

En mars 2023, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient rendu un rapport pointant du doigt la baisse des effectifs et des équipements depuis la suspension du service militaire.

Depuis 2002, c’est-à-dire au moment où les effets de sa professionnalisation se sont dissipés, l’armée a perdu plus de 70 000 équivalents temps plein, l’effectif global n’étant plus que de 270 000 personnels civils et militaires. Aucun autre ministère n’a été capable de réduire ainsi ses effectifs, les autres administrations publiques embauchant même plus de 700 000 agents durant la même période.

À titre d’exemple, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, entre 2009 et 2012, le nombre de postes a diminué de 7,1 %, contre 5,4 % pour le reste de la fonction publique d’État. En fait, l’armée a été sacrifiée parce qu’elle n’est jamais source de troubles sociaux ou de grèves en tous genres qui émaillent l’actualité hexagonale de manière récurrente.

Cette déflation d’effectifs pose de nombreux problèmes de cohérence et engendre un déficit de compétences dans certains domaines comme le déminage d’un champ de bataille, la protection des bases aériennes, ou la mécanique aéronautique.

En vingt ans, les équipements ont également fondu.

L’armée de terre a perdu près de 400 chars de combat (654 contre environ 220 aujourd’hui) et plus de trois quarts de ses canons (231 contre 58 canons CAESAR actuellement) ; la marine est passée de 87 navires à 79, l’armée de l’Air a également perdu près de 200 avions de chasse (387 contre 195), la moitié étant encore constituée de Mirages 2000 en voie d’obsolescence.

Comme nous l’avons déjà souligné, cette situation délétère a été la cause d’impréparation et de ratés dans de nombreux domaines, comme celui des drones ou des stocks de munitions.

Les trous capacitaires de l’armée française ne devraient pas être résorbés en 2030

Partant de ce constat, un arbitrage politique devait être effectué pour moderniser les forces armées tout en augmentant un minimum sa masse.

Or, selon un autre rapport du Sénat, il se susurre dans les travées du pouvoir que « le retour d’expérience de la guerre en Ukraine n’est qu’un élément de réflexion parmi d’autres »…

La Loi de programmation se contente donc de pallier les manques observés depuis 20 ans, sans véritable augmentation de la force de frappe de nos armées, et ce malgré 268 milliards d’euros consacrés aux équipements, contre 172 pendant la période de la précédente loi.

Un chiffre visiblement insuffisant eu égard à la baisse programmée du nombre de Rafales de l’armée de l’Air à 135, contre 185 actuellement, ou encore de celui des A 400 M (35 contre 50) et chars Leclerc (200 à 160). Le nombre de véhicules initialement prévus par le programme SCORPION (synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation) baisse également de 21 % pour le Griffon et le Jaguar, et de 30 % pour le Serval (véhicules blindés de transports de troupes, de reconnaissance et d’appui feu).

Autre exemple : la Marine nationale ne dispose que de 6 bâtiments de lutte anti-mines, soit autant que la Belgique ou les Pays-Bas, alors que notre pays possède la deuxième ZEE (zone économique exclusive) mondiale…

Il est patent que le gouvernement a centré ses choix sur le renseignement (+60 % de budget, soit 5,4 milliards), la cyberdéfense et la dissuasion nucléaire (dont le budget annuel passe de 5,6 à 7 milliards), et ce au détriment du combat direct.

Notons toutefois que, indépendamment des arbitrages financiers opérés ces dernières années, l’armée française a su conserver la majeure partie de ses compétences, dans un format extrêmement réduit mais permettant, le cas échéant, de les recouvrer à moyen terme. L’interopérabilité des armes et des munitions utilisés au sein des pays membres de l’OTAN facilite également la mise sur pied d’une coalition dans des délais relativement brefs, leur supériorité sur le champ de bataille ayant pu être observé lors de la guerre en Ukraine.

En somme, la Loi de programmation militaire adoptée permettra de panser partiellement les plaies de l’armée mais pas d’assurer son développement, la France continuant à faire reposer sa sécurité majoritairement sur sa dissuasion nucléaire, nouvelle ligne Maginot du XXIe siècle.

Dans le cadre d’une potentielle coalition militaire, le risque est de la voir perdre de son influence du fait de la faible ampleur de ses moyens conventionnels, en particulier si nos ennemis n’avaient pas la gentillesse d’attendre la fin de l’exécution de la prochaine Loi de programmation militaire en 2030. Dans un contexte de hausse effrénée de la dépense publique, il est difficile de comprendre que la sécurité des Français n’ait pas été une priorité pour les gouvernants successifs, justifiant la phrase prémonitoire du maréchal de Saxe : « Nous autres, militaires, nous sommes comme des manteaux dont on ne se souvient que quand vient la pluie ».

[1] Dont le titre était : Une invasion est-elle encore possible ?

Défaite !

Défaite !

par Michael BRENNER -CF2R – publié en septembre 2023

https://cf2r.org/tribune/defaite/

Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

 

 

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

Retour sur la LPM (Loi de programmation militaire)

 

par Victor Denis (*)
Etudiant en relations internationales
François Chauvancy (*)
Général de brigade (2s)

Esprit Surcouf – publié le 22 septembre 2023

https://espritsurcouf.fr/defense_retour-sur-la-lpm_par_victor-denis-et-general-francois-chavancy/


Quel regard porter sur les besoins de nos armées ? Quels choix budgétaires avons-nous fait ? Qu’est-ce que cette LPM raconte des relations entre politiques et militaires ? L’auteur nous propose quelques éléments de réponse dans son entretien avec le général François Chauvancy (2S).
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Après 90 heures de débat, l’Assemblée nationale s’est prononcée. A une écrasante majorité, les députés ont voté pour la loi de programmation militaire 2024-2030, désormais transmise au Sénat. Cette LPM alloue 413 milliards d’euros au budget des armées, un chiffre en hausse de 40% par rapport à la précédente. La raison ? Une prise de conscience du monde politique devant la montée des périls : retour de la guerre de haute intensité en Ukraine, menace d’escalade nucléaire, menace chinoise dans l’indopacifique, persistance du djihadisme en Afrique et au Levant…

A quoi notre armée est-elle prête ? Quelles sont ses limites et ses besoins ? Pour répondre à ces questions, l’étudiant trouve vite l’interlocuteur : un ancien militaire étoilé qui vient donner des cours dans son université, le général François Chauvancy, dont beaucoup de journalistes se souviennent pour l’avoir connu comme Off-Com (officier communication) hors normes au Sirpa ou en opérations.

Pour quoi faire

La réponse est claire et concise, le général semble rôdé à l’exercice : « Nos armées sont prêtes à intervenir sous des formats réduits, sous format de corps expéditionnaires. Nous pouvons projeter dans la durée environ une force mécanisée importante, interarmes, environ 5 000 hommes, contre un ennemi asymétrique et sous-équipé par rapport à nous. Au niveau aéro-maritime, nous sommes capables de projeter un groupe aéronaval avec une capacité de frappe au sol ou en mer. Nous pouvons contrôler une zone maritime importante ». « Concernant les forces aériennes, nous sommes sous-équipés. L’armée l’air estime qu’il lui faut 180 Rafales pour assurer ses missions, alors qu’elle n’en a que 130 ».

Le général ajoute : « Contre un ennemi peu équipé, ou équipé d’une manière légère, on est capables de faire. Toutefois, face à un ennemi traditionnel, ou conventionnel, comme en Ukraine, on voit qu’on n’a pas tous les équipements militaires adaptés et suffisants ». Il est vrai que nous avons négligé, en France, le retour des guerres conventionnelles. La fin de la guerre froide semblait abolir à jamais la menace d’un conflit symétrique à haute intensité. 

« La 1ère loi de programmation militaire [du président Macron] a été une LPM de réparation. Le chef d’Etat-major a essayé de préserver autant que possible une armée avec toutes ses capacités, même sous forme échantillonnaire ». Nous avons une armée « bonsaï », capable de faire de tout, mais en petite quantité. Là où d’autres pays créent une interdépendance des savoir-faire, ce qui, dans un contexte de coalition, n’est pas illogique, la France préfère quant à elle conserver ses capacités dans tous les domaines, quitte à produire moins.

Regard sur la LPM

Pour le général, « la 2ème LPM dépasse le niveau de la réparation. On en arrive à une forme de reconstruction pour se donner des capacités d’action ». Il met toutefois en avant des choix budgétaires contestables.

 

La loi de programmation prévoie des budgets conséquents pour la cybersécurité. Photo sgt Moreau Sirpa Terre

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Pour lui, il faut apprendre de la guerre en Ukraine. Il rappelle les chiffres : A Bakhmout, le nombre de morts russes est estimé à 20 000, contre 10 à 15 000 côté ukrainien. En France, nous disposons de 12 000 fantassins, ce qui paraît très peu. Quant aux réservistes : « Ce n’est pas parce qu’on nous promet 90 000 réservistes dans la LPM qu’ils sont utilisables en temps de guerre », ajoutant qu’il faut d’abord s’assurer de leur entrainement et de leur capacité opérationnelle.

Au regard de la vitesse de consommation des équipements militaires sur le terrain ukrainien, la question des équipements militaires se pose également : « L’argent qu’on met dans nos chars, qui sont coûteux, font-ils la différence avec des chars beaucoup moins chers et beaucoup plus nombreux ? Cela vaut-il le coup d’avoir des chars à plusieurs millions d’euros, qui peuvent être détruits par des missiles à quelques milliers d’euros ? ». Avec un constat global : nous manquons de chars et de Rafales, même s’il faut souligner la hausse du budget pour le maintien en condition opérationnelle.

Ces « manques » dans la LPM sont rapidement mis en parallèle avec les 13% des crédits alloués à la dissuasion nucléaire. Le général Chauvancy se questionne : « avons-nous besoin de perfectionner l’arme à ce point-là ? Les équipements qu’on met en place sont-ils totalement justifiés ? ». Qualifiés d’« excessifs », ces 13% signifient beaucoup quant à la place que tient le nucléaire dans notre stratégie. L’objectif affiché est de développer cette dissuasion, notamment par une modernisation des composantes aériennes et océaniques, afin de faire appel à moins de forces conventionnelles. Pourtant, pour le général, « nous ne ferons pas la guerre avec le nucléaire ». Il expose le risque de développer cette dissuasion aux dépends de nos capacités militaires. Pour lui, « il faut que les LPM, dans leur conception, montre notre détermination à être capables de se battre. Le fait d’être capable de se battre et de l’exprimer par la LPM et les moyens financiers qu’on y met, doit être capable de dissuader. Là ça a du sens, au même titre que la dissuasion nucléaire ». Et il émet quelques doutes sur la capacité de cette LPM à répondre à cette approche.

Le politique et le militaire

Le général Chauvancy l’affirme : « Je suis très critique sur les relations entre le politique et le militaire sous la Vème République », évoquant notamment les LPM non respectées. Avant 2015, celles-ci étaient systématiquement bafouées. Il y a, dans l’esprit du politique, l’idée que le budget de la défense serait une forme de réserve permettant d’amortir le choc des conjonctures économiques. Les politiques, pensant que la guerre était devenue impossible depuis la chute du mur de Berlin, n’ont pas suffisamment préparé nos armées aux conflits contemporains. Le général met également en cause le rôle du chef militaire, qui est celui d’exprimer clairement les besoins de l’armée aux politiques.

Il revient alors sur la « séquence De Villiers » : « [Avec la démission du Général De Villiers], Emmanuel Macron découvre que l’armée a son mot à dire, lui qui ne connaissait pas le milieu militaire. L’armée attend que le pouvoir politique écoute […], les militaires savent qu’ils servent l’Etat et la nation, et que le politique n’est que l’expression d’une majorité à un moment donné », qualifiant le président de « locataire », à contrario des militaires qui ont une expérience plus longue. L’armée attend donc une forme d’humilité de la part du pouvoir politique.

Aussi, « le président Macron, qui ne connait pas trop le milieu militaire, profite de l’opportunité du 13 juillet 2017 au soir pour se faire le Général de Villiers. Le problème, c’est que ça ne se fait pas ». Alors, quand le général De Villiers quitte son bureau, après avoir démissionné, il est applaudi par le personnel militaire. Loin d’être anecdotique, cette séquence envoie un message fort au président de la République : « la communauté militaire a un sens global de la mission et du devoir et n’a pas du tout accepté le rôle du politique et son comportement vis-à-vis du CEMA », rappelle le général Chauvancy. Ce n’est qu’à la suite de cet épisode, qui frappe l’opinion publique, que les rapports s’améliorent entre politiques et militaires : la première loi de programmation militaire tient la route, et a globalement été respectée.

Le général Chauvancy revient sur les conséquences de la démission : « Le président Macron a découvert que le miliaire était une communauté particulière, où le sens de l’engagement réel, sans contreparties, est un fait. Il peut compter sur les militaires, puisqu’ils sont là pour les missions qu’on leur donne ». Il poursuit : « Les militaires sont le dernier recours de la République face aux menaces et aux extrémismes, face à la déstabilisation de l’Etat, et je reste convaincu que le président Macron l’a bien intégré. D’où la place des militaires, discrètes mais avec une reconnaissance : la LPM est un témoignage de reconnaissance envers les armées. C’est l’expression politique et financière de la reconnaissance du pouvoir politique envers les armées ».


(*) Victor Denis est actuellement étudiant en Master 2 « Conflictualités et médiation » à l’UCO. Il est diplômé d’une Licence d’Histoire avec pour spécialité les sciences politiques. Après de premières expériences en politique et au sein d’ONG, il choisit de s’orienter vers la géopolitique et la sécurité internationale.
(*) François Chauvancy, général de brigade (2S), est Saint-cyrien, breveté de l’Ecole de guerre et Docteur en sciences de l’information et de la communication. Il a servi en opérations au Liban, en ex-Yougoslavie, en Albanie, au Kosovo et en République de Côte d’Ivoire. De 2002 à 2012, il a été représentant français auprès de l’OTAN pour les opérations militaires d’influence, les opérations sur l’information, la communication stratégique et l’environnement humain des opérations. Il est aujourd’hui enseignant, et consultant en géopolitique, notamment sur LCI. Il anime un blog hebdomadaire « Défense et Sécurité ».

Hydrogène, un Eldorado français  ?

Hydrogène, un Eldorado français  ?

OPINION. Une opportunité majeure d’emplois, de croissance et de rayonnement industriel est-elle en train de se mettre en place dans notre pays ? Quels sont les éléments qui peuvent faire espérer que la France soit en train de se doter d’une nouvelle corde à son arc ? Les technologies de production, et d’emploi, de cet exceptionnel gaz, se situent au confluent de la volonté de l’État, de nos talents scientifiques et industriels d’innovation, et des trésors de notre sous-sol. La France se doit de construire cet alignement d’étoiles. Par Gérard Vespierre (*) président de Strategic Conseils.
Gérard Vespierre.
                                Gérard Vespierre. (Crédits : Valérie Semensatis)

La décision de la NASA d’utiliser l’hydrogène comme carburant hautement énergétique de sa célèbre fusée Saturne V a conduit 27 hommes autour de la lune et 12 à s’y poser. Son emploi dans les piles à combustible des modules habités de ce programme lunaire a fourni l’énergie électrique nécessaire aux équipages et équipements. La course à la lune a mis en lumière, dans le monde industriel, et révélé au grand public, le potentiel de l’hydrogène.

D’autres conditions exceptionnelles, climatiques et géopolitiques, conduisent 60 ans plus tard, les grands pays industriels à considérer la production et l’utilisation de l’hydrogène comme une des alternatives aux combustibles fossiles, carbonés. L’hydrogène est en course, cette fois, pour conquérir la terre…. Etonnant retournement de l’aventure humaine.

La France a pris la décision de jouer un rôle significatif dans cette révolution énergétique et technologique, à l’image de son engagement dans son programme électronucléaire des années 1970.

Une stratégie nationale

La Stratégie Nationale de Développement de l’hydrogène décarboné (SNH) a été annoncée en septembre 2020 et prévoit un soutien public d’un montant de 9 milliards d’euros sur 10 ans. Elle vise à accélérer la transition écologique et à créer une filière industrielle dédiée.

Elle s’articule autour de 3 axes, dont le principal est l’installation d’électrolyseurs en visant une capacité de 6,5 GW d’électrolyse en 2030, ce qui représente la production de 600.000 t/an d’hydrogène décarboné. Un autre axe concerne le développement de mobilité, en particulier pour les véhicules lourds, de fret et de passagers. Le troisième axe vise la construction d’une filière industrielle hydrogène, créatrice d’emplois. Elle pourrait représenter 150.000 emplois en fin de période du plan, et accompagner la baisse du chômage national vers les 5%. L’objectif de ce plan vise l’augmentation des volumes produits, mais également la réduction des coûts de production, pour créer une filière compétitive, tant vis-à-vis des autres pays, que des autres sources d’énergie.

L’avantage de ce plan stratégique est de s’inscrire, à la fois, dans le développement de nouvelles applications de l’hydrogène, et dans un cadre de diversification des technologies de production, décrites dans une codification de couleurs.

L’arc-en-ciel hydrogène

L’hydrogène présente la particularité de pouvoir être produit selon différents procédés codifiés suivant un code de couleurs. La stratégie française est d’être présent dans tous ceux décarbonés, en sortant progressivement des procédés basés issus du charbon et du pétrole.

Dans les filières actuelles de productions, on se réfère à l’hydrogène bleu pour désigner des procédés dans lequel il est produit à partir de gaz naturel ou de charbon en utilisant un processus de gazéification couplé à des dispositifs plus ou moins performants de capture de carbone.

L’hydrogène vert, filière du futur, consiste à le produire par électrolyse de l’eau grâce au courant électrique issu de sources renouvelables. La France se doit donc d’encourager vigoureusement la fabrication d’électrolyseurs. Plusieurs projets sont en cours, répartis sur l’ensemble du territoire, pilotés par différentes entreprises, McPhy, John Cockerill, Elogen, Genvia. Cette filière s’inscrit dans un accompagnement financier de près de 2 milliards d’euros.

La Commission européenne a confirmé, en 2022, son approbation des plans français dans le cadre de son Projet important d’intérêt européen commun (Piiec).

Le panorama des couleurs se complète d’un hydrogène rose, produit en utilisant l’électricité issue des centrales nucléaires. EDF est en train de préparer un démonstrateur, certes au Royaume-Uni, mais l’important est l’acquisition de la technologie.

La France est donc présente sur l’ensemble de ces créneaux, et pourra tirer à nouveau avantage de son parc de centrales nucléaires. Cet avantage compétitif de production pourrait même s’amplifier avec une découverte française récente.

L’hydrogène blanc

Jusqu’à présent, l’hydrogène n’était pas une source d’énergie primaire. Il était produit par transformation. Mais des chercheurs de l’université de Lorraine, en prospectant le sous-sol de la région, sont récemment tombés sur un gisement d’hydrogène, potentiellement très important. Selon leurs données, un réservoir estimé à 46 millions de tonnes se trouverait à un peu plus de 1.000m de profondeur, dans des roches très anciennes du carbonifère. Cette découverte d’hydrogène à l’état primaire constitue un bouleversement. Encore plus étonnant serait la pérennité du gisement. L’alimentation continue en eau de ces couches profondes autoriserait la continuité de la transformation en hydrogène par les carbonates de fer.

Cette découverte doit être confirmée par des forages profonds, attendus dès l’an prochain. La validation d’une telle découverte et son industrialisation donnerait à la France un avantage compétitif important en volume et potentiellement en prix. Elle offrirait en outre une grande diversification de production, élément clé d’une stratégie équilibrée d’approvisionnement.

La révolution hydrogène est donc en marche. Les entreprises du secteur pétrolier et gazier ne peuvent l’ignorer, et l’intègrent complètement.

Reconnaissance et implication du secteur pétrolier

Producteur d’hydrogène bleu, les acteurs du secteur gazier et pétrolier tournent leurs regards vers le potentiel de l’hydrogène. Cette dynamique s’illustre dans la part très importante réservée à la décarbonation et à l’hydrogène, au cours des 4 jours de conférence et d’exposition lors d’ADIPEC  2023 qui se déroulera du 2 au 5 octobre à Abu Dhabi, évènement mondial du secteur.

En effet, 40% des conférences concerneront les aspects stratégiques, la décarbonation et l’hydrogène. Le tournant pris par l’industrie pétrolière et gazière est donc très lisible. La thématique de la conférence est à cet égard révélatrice « décarbonation. Plus vite. Ensemble »…

L’hydrogène est ainsi reconnu comme élément central d’une stratégie mondiale ayant comme objectif zéro net émission en 2050. La situation des pays et régions ayant moins de potentiel de production locale y sera abordée, avec les implications dans le domaine des transports. Des corridors d’approvisionnement nécessiteront la mise en place de normes et certification. Un cadre réglementaire à l’image de celui présenté dans la Stratégie Nationale Hydrogène des Émirats Arabes Unis, pourrait servir de référence. Il vise en effet à atteindre l’objectif zéro net émission en 2050.

Le secteur pétrolier et gazier mondial reconnaît donc, dans ses échanges internes professionnels, au plus haut niveau, l’énorme potentiel offert par la filière industrielle hydrogène.

Les opportunités industrielles françaises

Dans un secteur technologique en développement rapide, il est essentiel de faire preuve de réactivité, d’inventivité et de souplesse. Ce profil convient parfaitement à l’esprit « start-up à la française ».

C’est le cas du domaine de la motorisation thermique à hydrogène. Dans un premier temps, l’utilisation de l’hydrogène dans le domaine des transports s’est projeté à travers l’utilisation de piles à combustible dans les véhicules, relevant ainsi d’une technique de moteur électrique. Mais il se fait jour maintenant une autre orientation, celle d’emploi direct d’hydrogène comme carburant dans des moteurs thermiques. L’hydrogène est alors une source d’énergie zéro carbone et zéro émission. Prototypes et essais sont en train d’être mis en place dans une vision mobilité lourde sur un autocar.

Tel est le projet en développement entre la société bretonne EHM et Transdev. La seule région Bretagne est porteuse d’une cinquantaine de projets hydrogène… !

Le développement de la production d’hydrogène posera naturellement la question de son stockage industriel. Dans ce domaine, Engie, dans le cadre d’une première mondiale, est en train d’évaluer la possibilité de stockage d’hydrogène dans des poches creusées dans des couches salines, à grande profondeur.

Une véritable dynamique hydrogène nationale est en train de se mettre en place. Le potentiel économique irriguant l’ensemble du territoire français est à même d’apporter à notre pays un élan économique que l’on espère, et qui pourrait constituer pour la France un « Eldorado hydrogène ». Mais il faut aussi que la société française réponde à cette dynamique. A cet égard, la jeunesse particulièrement motivée et engagée dans la lutte pour un meilleur environnement doit participer à la révolution hydrogène de façon exemplaire, par des choix d’études et des choix de vie zéro émission…

Nous avons depuis quelques semaines le plaisir de découvrir dans la presse étrangère des commentaires très flatteurs et prometteurs sur notre pays. « La France, l’Allemagne en mieux », selon Der Spiegel. Un quotidien britannique n’est pas en reste en évoquant le « silencieux succès français ». Nous savons que les Français ont quelque fois du mal à être optimistes.

Vu de l’extérieur nous avons des encouragements à changer notre regard. Vu de l’intérieur, la révolution hydrogène pourrait nous être très favorable. Il est vrai que nous avons un faible pour les révolutions…

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(*) Gérard Vespierre, analyste géopolitique, chercheur associé à la FEMO, fondateur du média web Le Monde Décrypté www.lemonde-decrypte.com

Afrique et incapacités

Afrique et incapacités

par Pascal Le Pautremat (*) – Esprit Surcouf – publié le 22 septembre 2023
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf

https://espritsurcouf.fr/le-billet_afrique-et-incapacites_par_pascal-el-pautremat/


Par conformisme intellectuel baigné de culpabilisation, on ne cesse de nous dire que les maux actuels de l’Afrique sont les conséquences des politiques d’exploitation coloniale menées par les puissances européennes. Certes, ces dernières ont bien profité des ressources et des populations du continent noir, surtout au XIXème siècle et durant la première moitié du XXème siècle. Des puissances européennes qui, pour certaines, y ont maintenu ensuite un néocolonialisme confiscatoire…

Ce néocolonialisme est une réalité tangible depuis les années 1960, via des rouages combinant multinationales, lobbies et castes politiques corrompus d’Afrique comme de pays occidentaux ou asiatiques. Et aujourd’hui encore, il est loin de disparaitre…hélas…faisant du Continent africain un immense espace de pillages en règle.

Pour le reste, il est clair que les dysfonctionnements des Etats africains, leurs retards systémiques, la frénésie de corruption et de clientélisme, les inerties en matière de prise de conscience collective face aux enjeux environnementaux et climatiques, leur sont directement et strictement imputables

Quelle politique africaine prévaut, de manière concrète, au-delà des belles déclarations, quant à la gestion des ressources en eau, du recyclage des eaux usées ? Face aux lobbies miniers et pétroliers, y a-t-il des actions collectivement partagées et menées avec force, pour porter un coup d’arrêt à la déforestation criminelle et à la destruction des derniers sanctuaires de biodiversité ? Non, en dépit des politiques de communication cyniques autant que mensongères auxquelles s’associent ces mêmes multinationales…

L’Union africaine, elle-même, est bien frileuse face à ces questions majeures, et silencieuse devant l’effroyable problème des vagues de migrations clandestines, composées majoritairement de jeunes hommes, à destination de l’Europe.

Entend-on les dirigeants des pays d’Afrique des Grands Lacs comme de la zone sahélienne reconnaitre que la démographie galopante de leurs populations est antinomique avec les ressources régionales et la réalité socio-économique ? La paupérisation des populations explose littéralement. Depuis des années, des projets de plannings familiaux restent dans les cartons de diverses administrations africaines, de crainte de leur caractère impopulaire.

Par crainte, donc, on se tait…et on laisse tout se déliter. L’Europe est alors vue comme une soupape autant qu’un Eldorado. Nous sommes là en totale affabulation. Et ce ne sont pas les dizaines de millions d’euros offerts notamment à la Tunisie qui vont changer la donne. Les sommes astronomiques versées naïvement ne font qu’alimenter les rouages de la corruption et encourager les réseaux de clandestins à persévérer dans leurs actions criminelles….

Quant aux populations européennes, les sondages et les scrutins montrent que de plus en plus de citoyens sont lassés de ces flux et des difficultés pluridisciplinaires qu’ils engendrent.

Le climat est donc de plus en plus explosif. Et cela ne vient que s’ajouter à un constat global qui est loin d’être réjouissant…

Renard Girard ne manque pas de revenir sur notre époque où les autoritarismes s’affirment avec détermination mais sans imposer définitivement leur pérennité : « Les dictateurs finissent toujours par déraper » (rubrique Humeur).

Toujours sur le champ international, Hélène Sénécot fait le point sur le jeu des puissances occidentales en quête de positionnement dans les pays d’Asie centrale riches en matières premières : « Les politiques occidentales en Asie centrale » (Rubrique Géopolitique).

Les questions de défense occupent une place conséquente dans ce nouveau numéro. Vous y trouverez, d’une part, l’interview de François Chauvancy qui nous livre ses réflexions à propos de la nouvelle loi de programmation militaire : « Retour sur la LPM ». Et, d’autre part, les propos d’Hajnalka Vincze qui nous expose la problématique de la France en tant que force militaire majeure en Europe, sur fond de plus en plus improbable de la consolidation d’une Europe de la Défense, autonome face à un certain dirigisme américain : « Défaire la France sans faire l’Europe ».

Enfin, André Dulou, pour sa nouvelle Revue d’actualité, insistera notamment sur la difficulté à recruter de nos armées.

Côté librairie, signalons la parution au format poche de l’étude majeure de Laurent Olivier consacrée aux guerres indiennes, à la politique sciemment pensée d’acculturation et de destruction des Amérindiens par le White power ; déstructuration des nations indiennes dont le massacre de Wounded Knee apparait comme la pierre angulaire de la fin d’une phase d’extermination physique autant que culturelle : Ce qui est arrivé à Wounded Knee. 29 décembre 1890. Editions Flammarion, collection « Champs Histoire », 2023. Une tragédie, une atroce page d’histoire dont on ne parle jamais assez et dont l’écho résonne encore.

Bonne lecture

 

(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF.
Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF.

France : comprendre les émeutes pour en tirer les bonnes leçons

France : comprendre les émeutes pour en tirer les bonnes leçons

par Revue Conflits – publié le 21 septembre 2023

https://www.revueconflits.com/france-comprendre-les-emeutes-pour-en-tirer-les-bonnes-lecons/


Les émeutes de 2023 divergent de celles de 2005 sur au moins trois points : elles durèrent moins longtemps, mais furent beaucoup plus violentes ; elles furent le reflet des évolutions migratoires et des conséquences directes de la loi SRU ; elles trouvèrent, pour la première fois, un relais politique à l’Assemblée nationale (LFI) en s’insérant dans une cartographie du clientélisme électoral.

 Conflits a décidé d’entreprendre une recherche approfondie sur les causes, le déroulement et les conséquences de cet épisode. Dans ce cadre, nous propose ici quelques réflexions préliminaires sur la base de données factuelles, ainsi que des hypothèses qui seront explorées dans un proche avenir.

Étude réalisée par la rédaction de Conflits[1].

Nanterre : un secteur de métropole globale épicentre des émeutes

Pour analyser les émeutes qui se sont produites en France entre le 27 juin (mort de Nahel Merzouk à Nanterre après un refus d’obtempérer) et la première semaine de juillet 2023, il a paru nécessaire de commencer les recherches en se concentrant, par une sorte d’effet de zoom, sur le lieu initial des violences.

Lieu du départ des émeutes et ville principale des affrontements initiaux, Nanterre n’est pas vraiment, aujourd’hui, une ville de banlieue au sens de territoire périphérique et déshérité. Bien au contraire. Située à 7 km de Paris et 10 mn en voiture (hors embouteillage), Nanterre est la préfecture des Hauts-de-Seine (92), département le plus riche de France avec Paris, et voit s’installer sur son territoire de nombreux bureaux et zones d’activités de l’économie mondialisée. C’est un fief du Parti communiste, la mairie étant tenu par le PCF depuis 1944 (le maire actuel, Patrick Jarry, communiste historique, est désormais classé divers gauche). Aux présidentielles de 2022, les résultats électoraux ont été marqués par une très forte abstention qui coïncide avec une très forte adhésion à Jean-Luc Mélenchon. C’est cette situation géographique, économique, sociale et politique qu’il faut avoir à l’esprit pour mieux comprendre le processus des émeutes de juin/juillet 2023.

La cité d’où sont parties les émeutes a été construite par Émile Aillaud entre 1973 et 1981. Elle est aujourd’hui classée comme « Architecture contemporaine remarquable ». Nommée cité Picasso en raison de la rue qui la traverse (par son histoire communiste Nanterre est aussi traversée par l’avenue Lénine et la rue Maurice Thorez), c’est un ensemble de tours disposées dans un espace vert, avec des jeux pour enfants et des terrains de sport. La cité jouxte le parc André Malraux, 25 hectares de verdure, d’espaces herbeux et forestiers, avec de nombreux oiseaux qui en font une réserve ornithologique. Nous sommes donc très loin d’un lieu déshérité et abandonné. Les tours Aillaud sont situées à 500 m à vol d’oiseaux du quartier d’affaires de La Défense, premier quartier d’affaires en Europe. Le Cnit[2] et l’Arena[3] sont accessibles à pied. À quoi s’ajoutent trois gares de RER, trois gares de train et deux stations de métro, qui relient ce quartier à Paris et à l’ouest de l’Île-de-France. D’autant que le quartier de la Défense connait depuis une dizaine d’années une extension vers le sud, si bien que Nanterre est désormais partie intégrante de celui-ci. La nationale qui borde la cité Picasso comprend des immeubles de bureaux et d’habitation, où sont présents de grands groupes internationaux. C’est là aussi que la ville de Puteaux a lancé le réaménagement du quartier des Bergères : les pavillons des années 1930 ont été rasés pour laisser place à des immeubles modernes, spacieux, ouverts, répondant aux dernières normes environnementales. Pour un investissement de 153 millions€.

La ville de Nanterre a annoncé, en février 2023, un réaménagement de la cité Aillaud pour un montant de 230 millions €, soit 70 000 € par appartement. En face d’elle, un théâtre et un complexe culturel sont en train d’être bâtis, pour une somme de 50 millions €. Parler de quartier déshérité ou défavorisé est donc contraire à la réalité de cet espace.

Les émeutes SRU

Peu connue du grand public, la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain, 2000) est pourtant fondamentale pour comprendre la diffusion et l’implantation des émeutes. Petit retour en arrière.

Nous sommes en l’an 2000, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Le communiste Jean-Claude Gayssot est alors ministre de l’Équipement et du Logement. C’est lui qui fait écrire et qui défend la loi SRU, adoptée le 14 décembre 2000. Sous des couverts de solidarité et de mixité sociale, cette loi vise d’abord un objectif politique : s’assurer une masse critique d’électeurs dans des communes où la bascule gauche / droite est possible. La « gauche plurielle » (du nom de la coalition électorale de l’époque) est en effet convaincue que les populations des logements sociaux votent pour elle. Imposer 20% de logements sociaux aux communes de plus de 1 500 habitants en Île-de-France et de plus de 3 500 habitants en province, c’est imposer une population qui vote essentiellement pour la coalition au pouvoir. C’est donc garantir une réserve électorale indispensable pour gagner des communes qui sont tangentes. La loi est adoptée en 2000, avec son fameux article 55 qui impose 20% de logements sociaux. Les communes contrevenantes s’exposant à des amendes, au prorata du nombre de logements manquants. Conscients des enjeux démographiques pour l’équilibre politique de leur commune, beaucoup de maires décident de ne pas respecter ces contraintes urbanistiques, estimant qu’il est préférable de payer l’amende plutôt que de supporter les coûts sociaux et financiers d’un grand nombre de logements sociaux. En 2013, l’écologiste Cécile Duflot, alors ministre du Logement de François Hollande, modifie cette loi pour porter le nombre de logements sociaux à 25% du nombre de logements communaux. Elle modifie également les sanctions : les amendes sont relevées, devenant exorbitantes pour les communes et le pouvoir d’urbanisme est retiré aux maires pour être dévolu aux préfets, qui sont alors chargés des constructions. C’est ainsi supprimer une prérogative fondamentale des maires pour l’attribuer aux préfets et donc déroger au suffrage universel et à la volonté des citoyens des communes concernées, qui ne sont plus souverains sur leur urbanisme.

Cette loi pose plusieurs problèmes. Dans un grand nombre de communes, il est impossible de construire de nouveaux logements par manque de foncier disponible, à moins de raser des forêts ou de transformer des pavillons en immeubles. Pour beaucoup de villes situées en régions déprimées, des logements sociaux sont construits, pour répondre au critère des 25%, mais ils ne sont pas habités, ce qui crée un grand stock de logements vacants. Dans les zones tendues, le manque à gagner des logements sociaux est déporté vers les logements classiques, contribuant à amplifier la hausse des prix de l’immobilier, les propriétaires des logements non sociaux payant la location à perte des logements sociaux. La loi SRU est l’une des causes de la très forte inflation des prix du logement dans les métropoles, notamment à Paris et à Lyon. Cette loi est enfin décorrélée de la demande : en Île-de-France, 80% de la population est éligible au logement social. La loi SRU déséquilibre le marché du logement, détruit le micro-climat des communes, modifie le visage des centres-villes.

En parallèle de cette loi, les lois Borloo (2003 et 2004) prévoient notamment la destruction de grands ensembles, avec relogement des populations. Les personnes délogées sont relogées ailleurs, c’est-à-dire essentiellement dans les immeubles SRU construits dans les villes moyennes de la proche région parisienne. On assiste ainsi à une diffusion des populations dites « sensibles », qui quittent les banlieues de l’Île-de-France pour rejoindre les villes moyennes de province. Ces dispositions satisfont pourtant de nombreux maires. Confrontées à la désindustrialisation, ces villes voient leur population diminuer. L’arrivée des populations SRU est une aubaine car elle permet de maintenir le nombre d’habitants, ce qui conditionne les indemnités des élus, et assure aussi les subventions étatiques et les investissements publics. Raison pour laquelle très peu de maires s’y sont opposés. Cette diffusion spatiale des populations explique pourquoi ces émeutes ont touché des villes jusqu’à présent épargnées : Montargis, Laval, Auxerre, Maubeuge, Beauvais, etc. Une répartition spatiale que le Président Macron a dit vouloir poursuivre, estimant que cela était la solution pour déconcentrer les populations (essentiellement issues de l’immigration) et ainsi parvenir à leur « meilleure » répartition. Ce qui devrait faciliter, selon la pensée présidentielle, leur intégration. Répondant à la fois à un opportunisme politique et à un clientélisme électoral, la loi SRU est l’une des causes et des explications de ces émeutes qui ont ébranlé la France.

Les mortiers : l’arme prisée de 2023

C’est au mortier d’artifice que policiers et pompiers ont été accueillis par les émeutiers. Ce qui suppose que des stocks importants ont été constitués avant les émeutes, ce qui implique aussi des moyens financiers pour acquérir les pièces, des lieux pour les stocker, des réseaux pour s’approvisionner. Le mortier d’artifice n’est pas uniquement une arme par destination, il est aussi l’indication de réseaux et d’infrastructures rodés capables d’être mobilisés pour déstabiliser l’ordre légitime. Leur usage systématique suppose également un entraînement et une coordination qui sont extrêmement révélateurs d’un climat pré-insurrectionnel.

Entre le 28 juin et le 11 juillet, ce sont ainsi 4 tonnes de mortiers illégaux qui ont été saisies par la police, dans des magasins du 93, dont 2,7 tonnes saisies à Guichen près de Rennes et 54 000 pièces à Besançon. Les cartons viennent de Chine et d’Europe centrale et transitent par la Belgique pour des coûts de revente non négligeables : 500 € pour 10 mortiers pouvant tirer 380 coups et 100 € pour 10 mortiers pouvant tirer 8 coups. L’argent de la drogue est ici mobilisé pour s’équiper en armement.

Le nombre de saisies a d’ailleurs explosé : 146 kg en 2020 ; 354 kg en 2021 ; 1,5 tonne en 2022 ; 4 tonnes au 15 juillet 2023.

L’épuisement des stocks est l’une des causes de l’arrêt des violences. Les émeutiers n’ont pas basculé dans l’usage d’armes plus dangereuses : fusils à pompe et kalachnikovs, certes présents en grand nombre, mais qui ne sont pas encore utilisés de façon systématique dans les attaques des policiers et des pompiers. Jusqu’à quand ? Cette question est d’autant plus pertinente qu’une composante de « répétition générale » est probablement présente dans cet épisode.

Ces données permettent donc d’entamer une démarche indispensable, consistant à caractériser ces émeutes. Car à côté de la composante principalement criminelle de nombreux actes (pillages, dégradations diverses), un certain nombre d’actions revêtent un caractère évidement politique (attaques aux forces de l’ordre, incendies de mairies et de commissariats de police, etc.). Il est donc aussi capital de comprendre ces évènements dans une logique séquentielle qui partant de phénomènes anomiques (de l’ordre de la criminalité) tend à s’inscrire dans un processus insurrectionnel appelé sans doute à gagner en intensité au cours des prochaines années.

Les recherches que la rédaction de Conflits a engagées sur cet ensemble de faits, n’a donc pas un intérêt exclusivement théorique. Car c’est seulement en comprenant mieux la nature et la diffusion des récentes émeutes que l’on se mettra en état d’évaluer la menace concrète qui pèse sur la paix civile en France dans un avenir plus ou moins proche.


[1] Cet article présente les premiers résultats d’une analyse plus large des émeutes de juillet 2023. Recherches et rédaction : Côme de Bisschop, Jean-Baptiste Noé et Daniel Dory.

[2] Construit en 1958, le Cnit est un des fleurons de l’architecture du XXe siècle. C’est à la fois un centre de congrès international, un centre commercial et un espace de bureaux.

[3] Inaugurée en 2017, l’Arena est à la fois le stade de rugby du Racing 92 et une salle de concert d’une capacité de 40 000 places.

Général Jon Cresswell : « Une relation bilatérale nécessite un travail constant »

Général Jon Cresswell : « Une relation bilatérale nécessite un travail constant »

Cet officier britannique sert en ce moment dans l’armée française, dans le cadre d’une coopération de défense unique. A l’occasion de la visite cette semaine du roi Charles III, il en explique les avantages concrets.
Général Jon Cresswell : « Une relation bilatérale nécessite un travail constant »

 

Depuis l’été 2021, le général de brigade Jon Cresswell est général adjoint « opérations » à l’état-major de la 1ère division de l’armée de Terre française, basé à Besançon ; dans le cadre des échanges d’officiers renforcés depuis le traité d’Amiens, en 2016, un général français est en même temps général adjoint de la 1ère division britannique, à York. Après sa formation initiale à l’Académie royale militaire de Sandhurst, Jon Cresswell a surtout servi dans l’artillerie de marine, en Afghanistan, dans les Balkans ou en Norvège, mais aussi dans les blindés en Irak, puis au Sahel dans le cadre de la Force multinationale mixte déployée contre Boko Haram.

C’est en France que ce francophone a suivi sa formation supérieure, à l’École de guerre puis au Collège des hautes études militaires (CHEM), en parallèle de la 72e session de l’IHEDN dont il a été auditeur dans la majeure « politique de défense ». Ce passionné d’histoire, titulaire d’un master dans cette discipline, est aussi président de la Société historique de l’artillerie royale.

– QU’EST-CE QUI VOUS A MOTIVÉ POUR PRENDRE CE COMMANDEMENT ADJOINT DE DIVISION DANS LE PAYS PARTENAIRE ?

Même si j’ai suivi toute ma formation militaire supérieure en France et ai été engagé dans des opérations en Afrique francophone, je n’avais en fait jamais servi en France même. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité faire cet échange au sein des forces armées françaises. En soi, ce poste offrait aussi une excellente opportunité pour exercer au niveau divisionnaire. J’avais auparavant servi au niveau d’une brigade et dans le champ des politiques de défense, mais jamais au niveau d’une division ou d’un corps d’armée. Après mon parcours spécialisé dans le ciblage (effets, renseignement, feux), ce poste de commandant adjoint opérations inclut la responsabilité de la bataille profonde de division, un domaine dans lequel je souhaitais développer mes compétences. Et pour le soldat que je suis, il y a aussi un réel plaisir à me trouver au niveau tactique.

– QUELLES SONT LES DIFFÉRENCES CULTURELLES ENTRE L’ARMÉE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET CELLE DE LA MONARCHIE CONSTITUTIONNELLE BRITANNIQUE ?

Je trouve fascinant de comparer les deux systèmes démocratiques, parce qu’à mon sens, la constitution de votre Ve République est monarchique, avec son exécutif fort mandaté de manière claire par une élection à deux tours. Le Royaume-Uni, lui, est une démocratie parlementaire dans le cadre d’une monarchie constitutionnelle. Dans les deux cas, les armées acceptent leur subordination au pouvoir civil démocratiquement élu, bien que pour la française ce soit au nom de la France, alors que pour la britannique c’est au nom du souverain. On peut considérer que ce dernier système permet efficacement aux armées de montrer leur caractère apolitique.

Plus largement, la question culturelle me fascine parce que nos deux armées sont le résultat de l’histoire de leur nation respective, la France étant un pouvoir à la fois terrestre et maritime, alors que la Grande-Bretagne était avant tout un pouvoir maritime. Par ailleurs, les caractéristiques sociales des deux nations ont aussi modelé leurs relations avec leurs armées respectives. Enfin, il est intéressant de noter les différences entre nos deux formations au haut commandement : au Higher Command and Staff Course (HCSC), les Britanniques préparent leurs officiers supérieurs à commander en opérations, alors qu’au Centre des hautes études militaires (CHEM), la France forme ses futurs généraux à être des acteurs politico-stratégiques au service du gouvernement.

– QUELS SONT SELON VOUS LES AVANTAGES D’UNE TELLE COOPÉRATION D’UN POINT DE VUE OPÉRATIONNEL ?

Il a souvent été dit que le Royaume-Uni et la France ont des vues et intérêts similaires au niveau mondial, ainsi que des responsabilités sécuritaires en Europe. Comme l’a remarqué votre Président dernièrement pendant la visite de notre Premier ministre, nos deux nations sont « dotées » en matière de dissuasion nucléaire. Il y a donc d’utiles synergies à exploiter, sous l’égide de différentes initiatives comme celle de Lancaster House en 2010, qui n’est sans doute pas la dernière. Notre relation bilatérale fonctionne ainsi depuis l’Entente cordiale de 1904, d’ailleurs des officiers britanniques ont commencé à étudier à l’École de guerre peu après, et des rencontres annuelles d’états-majors ont été initiées.

Cependant, pour en revenir à la question culturelle, nous demeurons très différents, et donc travailler ensemble implique une interopérabilité technique, conceptuelle et humaine. Les fonctions comme la mienne permettent d’améliorer cette dernière, tout en soutenant les deux premières. Une relation bilatérale nécessite un travail constant pour atteindre la confiance, assurer la compréhension, et aussi pour trouver des domaines de coopération future.

– EN QUOI CETTE EXPÉRIENCE VOUS SERA-T-ELLE UTILE POUR LA SUITE DE VOTRE CARRIÈRE ?

Elle l’est déjà, puisque mon travail avec la 1ère division à Besançon m’a permis d’améliorer ma formation tactique, particulièrement en termes de bataille profonde, ainsi qu’au niveau opérationnel plus large. Elle m’apporte aussi une réelle profondeur en combat défensif, avec la France évidemment, mais aussi avec les partenaires américains, belges, hollandais et allemands, comme le veut ma fonction. Plus important encore, je pense que des expériences comme celle-ci ouvrent nos horizons intellectuels, en nous permettant de voir les choses sous un angle différent. Et ça, c’est précieux dans n’importe quel domaine professionnel.

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).

                                                                                                      (Crédits : DR)

Une dénucléarisation française sous pression allemande…

L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.

La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuve de 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.

Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin

Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail Energy Charts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.

Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.

Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?

De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.

De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.

Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.

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(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.

No time to die par Caroline Galactéros


Billet du lundi 11 septembre 2023 rédigé par Caroline Galactéros Présidente de Geopragma.

L’été s’achève sur la confirmation d’un fiasco militaire ukrainien que même les parrains anglo-saxons de Kiev commencent à admettre via leur presse de commande. Malheureusement, l’émergence de la lucidité n’entraine pas forcément celle de la sagesse.

En France pourtant, nul n’a cure de ces alertes… Nul n’en profite pour prendre la main et siffler les arrêts de jeu au nom de l’humanité et de la sécurité du Vieux continent. Nous vivons plus que jamais dans une bulle hors sol de réalité alternative et de pensée magique, et la propagande médiatique outrancière qui s’est abattue sur la population française depuis fin février 2022 pour lui laver le cerveau et lui faire croire qu’elle plonge dans la crise pour soutenir rien moins que Le Bien contre Le Mal ne faiblit pas.

Nos journalistes mainstream poursuivent sans scrupule aucun leur « Storytelling » de conte de fées qui est en train de se transformer en film d’horreur et menace de dévoiler l’ampleur de leur cynisme. Il est vrai qu’ils ne sont que des porte-voix, responsables mais de second rang. Ils ne font plus d’information, ils expriment des opinions du haut de leur ignorance et de leur arrogance sidérantes. Les rares qui voudraient encore se souvenir qu’il faut aller de chaque côté du front pour espérer comprendre quelque chose sont de toute façon coincés. S’ils veulent réaliser un reportage côté russe, ils perdent leur visa pour l’Ukraine. Ça a le mérite d’être clair et le choix de la rédaction est vite fait. La vérité n’a pas bonne presse et elle est de plus en plus mal portée. En fait elle n’a plus d’importance. Un peu comme l’état général du pays, celui de son économie, de sa dette, de son industrie, de sa sécurité générale, de sa médecine ou de son école. Quant à l’Europe, elle n’a plus le choix non plus. Au prétexte de cette « unprovoked war of agression » de la Russie contre l’Ukraine qui prétendument la menacerait elle-aussi aussi d’invasion, l’Union européenne, les yeux bandés, les mains dans le dos et une joie malsaine au cœur, a sauté à pieds joints dans un piège mortel pour elle, tout en croyant le tendre au Yeti russe ! Le piège ultime de l’asservissement sous prétexte moral, qui va faire d’elle à jamais un appendice américain en décomposition progressive, promis à tous les dépècements industriels et technologiques et à l’appauvrissement général. Un appendice reconnaissant en plus, qui paye sans sourciller son gaz américain 3 ou 4 fois plus cher que le russe, sans faire le moindre lien avec la guerre en Europe qu’elle nourrit de ses armes et vociférations anti russes primitives… tout en poursuivant à bas bruit ses achats de GNL russe. De petits arrangements avec la morale dont on voit une fois de plus combien elle reste profondément étrangère à la marche véritable des relations internationales.

Nombreux sont ceux, au sein des « élites » qui administrent ce pays, qui peuvent s’accoutumer à l’insignifiance nationale ou même collective. Pas moi. Mais en ce cas, pourquoi poursuivre le mensonge de l’incantation sur la souveraineté européenne ? Cette permanente invocation devient tragi-comique. Ce n’est pas un amas d’États ayant renoncé à leur singularité, leur prospérité et leur souveraineté (cf l’Allemagne face aux attaques sur NS 1 et 2) qui peut constituer une masse géopolitique et même économique crédible. D’ailleurs les chiffres sont là. L’Union européenne connait désormais une inflation double de celle des Etats-Unis. En 2008, la zone euro et les USA avaient un PIB équivalent à prix courants (14 200/14 800 milliards de dollars). En 2023, on est à 15 000 milliards versus 26 900 milliards, soit un écart de 80% (A. Leparmentier dans Le Monde du 5 septembre dernier). L’appauvrissement inexorable des Européens, et notamment de la zone euro, n’est plus une prophétie mais une réalité en marche dont les effets vont se faire sentir de plus en plus cruellement pour nos concitoyens. La situation est si grave qu’il vaut mieux faire dériver l’attention populaire vers un combat épique que l’on va gagner naturellement du haut de notre « moralité » collective face à la sauvagerie et l’arriération russes…. Nous vivons donc dans un film de Walt Disney qui s’apparente d’ailleurs de plus en plus à un village Potemkine. Ironie de l’histoire… Il y a juste un tout petit problème. Les films de Walt Disney sont des films pour enfants. Dans la vraie vie, les bons et les méchants changent de rôle selon les circonstances et le point de vue des acteurs comme des observateurs rigoureux. Sans même parler de la profondeur du champ. Et là, l’Europe, c’est un peu Bambi sur la glace sur le point de perdre sa maman. To be continued…

Pour revenir au drame ukrainien, sans entrer dans de trop longs développements, on peut retenir à ce stade quelques éléments d’analyse et enseignements peu contestables sauf pour ceux qui font profession d’idéologues.

  • La Russie est en position de force militaire. Elle n’a plus intérêt à s’arrêter militairement et pourrait bien repasser à l’offensive. Pour reprendre la région de Kharkhov ? Si l’on peut penser que Vladimir Poutine préfèrerait probablement encore, essentiellement pour des raisons de politique intérieure (les présidentielles de mars prochain et les aléas d’une mobilisation nouvelle si elle devenait nécessaire), trouver la voie d’une reprise de pourparlers avec les USA qui restent pour lui le donneur d’ordre véritable de Kiev, il lui est devenu impossible d’accorder la moindre confiance aux dires américains sans risquer sa crédibilité politique interne et même internationale. Sa seule option est donc de renforcer sa main militairement pour le jour où Washington comprendra enfin qu’il faut transiger. Il lui faut donc poursuivre les objectifs initiaux de « l’opération militaire spéciale » : démilitarisation, neutralisation et « dénazification » de l’Ukraine, pour que celle-ci ne puisse plus constituer la moindre menace pour la sécurité de la Russie. Moscou doit profiter de son avantage actuel pour avancer, tout en préservant ses forces humaines au maximum et en augmentant encore le rythme de sa production d’armements afin de maintenir sa capacité d’attrition de l’ennemi dans le temps. Car la guerre n’est pas finie. Washington ne veut pas la paix et Moscou ne peut plus se la permettre dans les circonstances actuelles. Le sabordage des accords obtenus en mars 2022 après les pourparlers d’Istanbul doit aujourd’hui paraitre au président Zelenski bien regrettable. Il n’obtiendra plus jamais ce qui lui avait été alors offert par Moscou. Tout a changé depuis 18 mois dans le rapport de force, et même ces objectifs russes initiaux semblent désormais s’inscrire dans une ambition plus large consistant à donner une leçon décisive à Washington et à l’OTAN et à rendre manifeste la victoire militaire, économique, mais aussi géopolitique et militaire de la Russie sur l’Alliance atlantique comme sur son ancien Peer competitor américain. Le problème est que plus on attend, plus l’accord ressemblera à une capitulation totale de Kiev. Les Etats-Unis commencent d’ailleurs, depuis le milieu de l’été et l’évidence de l’échec de la contre-offensive, à en rejeter la responsabilité sur Kiev et – le cynisme étant sans limites- à lui transférer aussi, sous couvert de respect de la « souveraineté » ukrainienne, celle d’entamer des négociations. Ponce Pilate est de la partie, comme d’habitude. Les « alliés » américains sont faits pour servir puis être lâchés quand cela commence à sentir le roussi.
  • Dans ce contexte, l’accord finalement donné par la Maison Blanche d’une livraison d’ATACMS voire indirectement de l’envoi de F16, répond à la nécessité, à l’orée d’une campagne électorale qui s’annonce très difficile avec un Donald Trump combatif et ultrapopulaire en embuscade, de donner à Kiev de nouveaux mais peut-être ultimes « cadeaux » (après avoir dit qu’ils ne changeraient pas la donne militaire) et de poursuivre l’affichage d’un soutien militaire tout en le tarissant de fait. Le soutien des Américains au conflit est en chute libre, les arsenaux ont des trous, et le rythme des livraisons d’armes comme d’argent doit faiblir. D’autant que même les plus forcenés des néo-cons ont probablement compris que leur pari était perdu. La Russie n’est pas tombée, elle est même bien plus ferme sur ses assises propres comme sur la projection de son influence mondiale qu’au début du conflit. Elle tiendra la distance. Les limites du Regime change sont atteintes. Certains espèrent sans doute encore qu’en faisant durer la pression militaire et économique sur Moscou, l’étoile du chef du Kremlin finira par pâlir. Là c’est la méthode Coué qui est hors limites…. Pour Washington, le mieux serait en fait de pouvoir geler le conflit pour repartir à l’assaut plus tard. Pour Moscou, cela ne présente aucun intérêt. Un gel des positions ne fera que maintenir en tension le système russe et divertir des ressources nécessaires à l’affermissement de l’économie nationale et des positions de la Russie face à l’allié chinois notamment.
  • Rationnellement, si l’on recherchait la fin de cette impasse, la seule possibilité d’inciter Moscou à stopper son avance serait que Washington prenne la mesure du danger, se saisisse résolument de la déconfiture présente des Ukrainiens sur le terrain pour cesser tous crédits et fournitures d’armements, invoquant la sauvegarde de ce qu’il reste de territoire et de forces vives à l’Ukraine pour donner à Moscou l’assurance formelle que le pays ne sera jamais membre de l’OTAN. Washington pourrait dire qu’il a fait tout son possible pour aider l’Ukraine, en vain, et que pour des raisons humanitaires, l’arrêt des combats est désormais indispensable. Ce qui est vrai. Approche froide mais in fine préservatrice de dizaines de milliers de vies ukrainiennes. Les idéologues malades qui éructent de haine et de rage devant la supériorité militaire russe ne le reconnaitront jamais : C’est de fait la Russie qui tient le sort de l’Ukraine entre ses mains et donc est à même de lui fournir, si elle y trouve son intérêt, des garanties de sécurité, non l’OTAN qui ne lui offre que l’assurance d’une destruction accélérée. Encore une fois, seule sa neutralité et son statut d’État tampon peuvent protéger l’Ukraine. Son alignement, quel qu’il soit, la condamne à servir de terrain d’affrontement. Sécurité=neutralité. Mais ça c’est la raison, l’humanité, l’intelligence de situation, toutes choses quasi introuvables de l’autre côté de l’Atlantique excepté chez certains du Pentagone et chez les géopoliticiens réalistes américains qui connaissent leur histoire et leur géographie et ont depuis longtemps ont prévenu du désastre si l’on persistait à faire avancer l’OTAN vers les frontières russes ! Bref, on ne peut que rêver secrètement d’un tel scénario. Pour l’heure, on continue à Washington à espérer faire souffrir l’économie et le pouvoir russes dans la perspective des présidentielles de mars… tout en entretenant des contacts entre chefs des services extérieurs de renseignement, ce dont personne ne se plaindra, tout au contraire. L’anathème, l’insulte, l’escalade… mais pas trop. La stupidité du « raisonnement » occidental initial, perverti par un biais idéologique massif a produit un désastre à onde de choc géopolitique majeure en défaveur de l’Occident. Le mantra des cercles Washingtoniens était le suivant : la Russie est un État illégitime, une dictature sans assise populaire, une nation disparate, économiquement et militairement faible ; Vladimir Poutine veut prendre toute l’Ukraine sans en avoir les moyens ; Il va forcément s’épuiser et peut donc être provoqué dans un conflit par proxy, préparé depuis 2014 et qui est un affrontement structurellement inégal, de ceux que préfère l’Amérique. Cette lourde erreur de jugement nourrie d’arrogance et d’ignorance a conduit les Occidentaux, maîtres comme vassaux, dans une fuite en avant qu’ils ne maitrisent désormais plus que du bout des doigts. Et qui nous met tous en danger.
  • Moscou ne voulait ni ne veut d’une guerre directe avec l’OTAN, mais ne peut perdre cet affrontement qui est bel et bien vital en termes sécuritaires comme pour la préservation de la cohésion en tant que Nation d’une Russie immense, dépeuplée, multiconfessionnelle et multiethnique. Que l’Occident croie ou non cette analyse est finalement sans importance. Ce qui compte est la perception du pouvoir et du peuple russes et la façon dont celle-ci détermine leurs décisions. Or, cette « menace existentielle » n’est pas une abstraction ni un subterfuge. C’est une perception profonde qui structure la pensée et l’action du pouvoir russe et nourrit la popularité d’un président vu comme responsable et protecteur de son pays. Cette ligne rouge n’est pas négociable et ne sera pas négociée. Cela fait 15 ans que la Russie l’explique et prévient. Le danger vient de ce que l’on continue à nier cette réalité pour pousser au maximum le président russe, sans vouloir comprendre que sa marge de manœuvre est limitée. La lenteur des opérations, qu’il a voulue essentiellement pour préserver le peuple ukrainien frère et pour éviter de devoir mobiliser plus de forces, est désormais ouvertement contestée par certains dans son entourage qui considèrent qu’il faut aller plus vite, exploiter l’avantage actuel, et ne plus donner de temps aux Etats-Unis pour préparer les étapes futures d’un harcèlement sécuritaire du pays. Si la modération du tempo des opérations venait à être considérée comme une faiblesse politique du président, on peut craindre que celui-ci ne soit conduit à changer de vitesse. Est-ce là le génial calcul occidental ? L’escalade jusqu’à l’acculement, l’échec de la dissuasion nucléaire (que l’on appelle désormais chantage) et le passage à l’acte pour réveiller Washington dont les maitres ne savent plus ce qu’est la guerre, la vraie ? Peut-on imaginer les USA prêts à laisser se produire une frappe nucléaire russe d’ultime avertissement sur le sol ukrainien ou européen ? Ne comprennent-ils pas que le bluff n’est pas une pratique russe ? Jusqu’au dernier Ukrainien donc. L’Amérique après tout ne perd quasiment pas d’hommes et la guerre rapporte beaucoup. Mais à quel prix symbolique ? la destruction complète de l’Ukraine et de son armée ? L’étranglement de l’Europe qui pourrait finir par ouvrir les yeux sur le rôle et le sort que lui assigne son prétendu « protecteur » américain ? La déconfiture totale de sa crédibilité internationale ? le déclenchement d’une haine inexpiable d’une grande partie du monde qui fait ses comptes et désormais a le choix…
  • Il est très probable que la guerre va se poursuivre, au moins durant l’automne et l’hiver. Si l’option retenue à Londres et Washington est de « faire saigner la Russie » au maximum, pourquoi ne pas poursuivre ce soutien en demi-teinte aux Ukrainiens en 2024 ?  Pourtant, notre calcul est faux, archi faux. Chaque jour qui passe est plus meurtrier pour les malheureux Ukrainiens jetés dans cette tourmente sanglante, mais aussi pour le crédit de l’Occident et celui de l’Amérique. Il y a longtemps que le reste du monde a compris que l’Europe n’était pas un acteur autonome mais un sous-traitant zélé des desiderata washingtoniens.
  • La désolation, la mort, l’épuisement moral sont partout en Ukraine. Et c’est compréhensible. Quel que soit l’héroïsme de l’immense majorité des soldats et officiers ukrainiens (je mets ici hors-jeu les bataillons nationalistes intégraux de sinistre allégeance que nous soutenons avec une légèreté incompréhensible, faisant mine d’ignorer la faute morale lourde et le contresens historique impardonnable que cette absolution active constitue, oublis que nous paierons sans doute cher dans le temps), l’équation militaire est sans appel. Les forces humaines, les équipements et armements russes sont sans commune mesure avec ceux des Ukrainiens. Le ratio des pertes en hommes, mais aussi en équipements, double tabou qui commence lui aussi à sauter épisodiquement dans les médias, est terrifiant. L’armée ukrainienne est en train de consommer ses dernières réserves stratégiques dans des batailles dérisoires. On ne peut pas gagner une guerre d’attrition quand on n’a pas de réserves humaines pour remplacer celles détruites et moins encore les forces pour exploiter une éventuelle percée et renverser même localement le rapport de force. Idem pour les munitions. Cet affrontement est au demeurant d’une nature nouvelle. L’intégration redoutable des systèmes satellitaires et aériens russes, sans même parler de l’emploi massif de drones, permet de détecter très en amont TOUT ce qui bouge sur le territoire ukrainien et d’annihiler chars, véhicules blindés et hommes de façon quasi imparable.
  • L’Ukraine, dont le pouvoir massivement téleguidé et stipendié, a fait le pari (comme l’avait avoué dès 2019 le conseiller Arestovitch de Zelinsky) de se battre pour le compte de l’Amérique contre la Russie en échange d’une intégration à l’OTAN, a tout perdu. C’est un pays en cours de dépècement, dont un tiers de la population s’est exilé et ne reviendra pas, dont les actifs sont aux mains de fonds américains, dont la corruption désormais élevée au rang de mal national nécessaire en temps de guerre, reste endémique (au-delà de quelques « exemples » cosmétiques faits par Zelenski, cf. son ministre de la défense somptueusement placardisé à Londres). Les miasmes de tout cet énorme mensonge empestent. Cette guerre était ingagnable. Pourtant, les parrains américain et britannique de Kiev, qui l’ont tant souhaitée et ont armé et entrainé les forces ukrainiennes dans cet objectif ultime depuis au moins 2015, se sont mépris, par hubris et méconnaissance des objectifs russes initiaux, et ont tout fait pour que les forces ukrainiennes se jettent en pure perte dans cet affrontement inégal, convaincues que l’entrée dans l’OTAN était possible et les protègerait de leur ennemi. Ces marionnettistes anglosaxons n’ont probablement jamais voulu la victoire militaire de l’Ukraine sur la Russie, qu’ils savaient impossible, encore moins une quelconque paix, juste que ce malheureux pays use leur ennemi juré, quitte à en mourir elle- même. Un jeu de dupes sinistre à la main de Londres et Washington ? Un sommet de cynisme de la part du président Zelenski et de sa clique ? Un calcul d’argent et de bénéfices personnels au mépris du sort tragique infligé à leur peuple ? Une pure folie en tout cas. Quelle logique ultime à un tel massacre ? Nourrir les politiciens de Washington et le Complexe militaro-industriel américain ne suffit pas à répondre. C’est un peu comme si Washington avait joué et perdu à la roulette (non russe), mais avait relancé et encore relancé le jeu, augmentant la mise pour, à un moment donné, chercher tranquillement une sortie, abandonnant son pion ukrainien sur le tapis en lui transférant la responsabilité de l’échec et celui d’une négociation inéluctable ne pouvant être que léonine.
  • Comment arrêter ce bain de sang et la détérioration grandissante de la sécurité européenne ? Il faudrait en fait que Vladimir Poutine ait le triomphe modeste, et permette à Washington de sauver la face et de se tirer rapidement de ce guêpier. Ce n’est pas impossible. Odessa pourrait être un point d’application important de cette manœuvre salutaire. Si le port et sa région venaient à être sous la menace directe et décisive des forces russes, alors la quête d’un statut neutre pour cette ville (sans laquelle l’Ukraine n’aurait plus d’accès à la mer) pourrait être un élément du marchandage général auquel il va bien falloir parvenir. On sait combien sont irréalistes et extravagantes les prétentions ukrainiennes à la reconquête des oblasts perdus et évidemment de la Crimée. Il fallait y penser avant. Avant le coup d’État de 2014.

L’année 2024 sera donc celle de tous les dangers. L’agenda électoral (non exhaustif) est lourd :

  • Élections présidentielles et législatives à Taiwan en janvier
  • Présidentielles le 31 mars en Ukraine et législatives prévues en octobre (probablement annulées)
  • Présidentielle à l’automne 2024 en Moldavie
  • Présidentielle russe 17 mars-7 avril
  • Élections américaines : présidentielle, 50% renouvellement du Sénat et 50% du Congres le 5 novembre en 2024

Le focus médiatique sur le conflit en Ukraine est beaucoup trop systématiquement envisagé en lui-même, sans relier les prises de positions et décisions des acteurs à l’aune de ces échéances. Or, nous avons là un florilège d’occasions rêvées pour des provocations, ingérences, et déstabilisations en tous genres.

Il faut pourtant faire la paix, sortir de la rage et de la haine, reprendre langue et rapidement recréer les bases d’une sécurité européenne viable. Jusqu’au sommet de Bucarest de 2008, quand l’OTAN « invita » l’Ukraine et la Géorgie à la rejoindre, cette sécurité existait encore, malgré les premières vagues d’élargissement, malgré le bouclier anti-missiles américain, malgré même la première « Révolution orange » fomentée en Ukraine déjà. La Russie, alors toujours convalescente après la descente aux enfers de la décennie 90, était encore trop faible économiquement et militairement pour avoir son mot à dire, être écoutée, moins encore crainte ou respectée. Tout a changé désormais, pour Moscou, pour Pékin, pour ce « contre monde » qui jour après jour se consolide autour des BRICS, mais aussi de l’Organisation de Shangaï et de l’Union Économique eurasiatique. L’intégration de ces ensembles se précise et semble puiser sa force d’attraction et sa crédibilité même dans les abus américains (extraterritorialité, chantage, politique de regime change…) devenus insupportables à un nombre grandissant de pays.

Seule l’Europe n’a rien compris aux conditions de sa propre sécurité. Cela me reste incompréhensible. La vanité et la bêtise des élites européennes ne peuvent seules expliquer une telle déroute de la pensée stratégique comme d’ailleurs de la pratique diplomatique. Comment sortir notre continent de cette nasse qui le dissout ? L’Europe, mais aussi notre pays, qui garde des atouts considérables et pourrait jouer aujourd’hui encore, s’il osait seulement recouvrer ses esprits et sortir de l’alignement, un rôle constructif dans la recherche d’un compromis viable dans ce conflit ouvert et restaurer son influence internationale en miettes ? La sécurité européenne est une et indivisible. Elle n’existera pas sans la prise en compte des préoccupations sécuritaires de la Russie, ne nous en déplaise. Ce n’est pas une menace pour Washington, mais bien une plaie béante et purulente pour nous. La haine, fille de l’ignorance, est mauvaise conseillère. Nous devons en finir avec cette approche cynique des relations internationales et préférer à la morale contingente l’inspiration d’une éthique immanente qui permette de renouer un dialogue salutaire.

Le Niger…et après

Le Niger…et après

 

par Vincent Gourvil (*) – Esprit Surcouf – publié le 8 septembre 2023
Docteur en Sciences Politiques

https://espritsurcouf.fr/humeurs_le-niger-et-apres_par_vicent-gourvil/


« Le respect de la souveraineté signifie ne pas autoriser les actions anticonstitutionnelles et les coups d’État, la destitution du pouvoir légitime ». Cette allégation de Vladimir Poutine ne manque pas de sel à la lumière des derniers développements au Sahel. Après les coups d’état au Mali, en Guinée, au Burkina Faso et en République centrafricaine, c’est au tour du Niger de s’éloigner de la France et de l’Occident… et de se rapprocher de la Russie.

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Rares étaient les experts ayant envisagé l’hypothèse d’un renversement par une junte militaire (le 27 juillet) du président nigérien Mohamed Mazoum, élu en mars 2021. Le pays paraissait stable, à l’abri des spasmes traversant l’Afrique de l’Ouest. Et pourtant !

Deux questions méritent d’être posées. Pourquoi le Niger aujourd’hui ? Et, par effet domino, pourquoi d’autres demain ?

Niger : l’étrange surprise;

Lors du conseil de défense du 29 juillet, Emmanuel Macron aurait reproché à Bernard Émié de n’avoir rien vu du putsch du général Abdourahmane Tchiani, au Niger. Il aurait ainsi apostrophé le DGSE (Directeur Général de la Sécurité Extérieure) : « Le Niger, après le Mali, cela fait beaucoup ». Ce reproche pourrait être retourné contre le chef de l’État tant sa politique africaine repose sur une conjugaison d’erreurs d’appréciation et de certitudes infondées (lire son discours devant les ambassadeurs du 18 août 2023). Il ne semble pas avoir pris la mesure du sentiment anti-France qui se développe sur le continent, se renforce à la faveur de la guerre russo-ukrainienne. Ne nous étonnons pas de voir la RCA, le Mali, le Burkina Faso et d’autres se tourner vers Moscou. Nos discours sur la démocratie et ses valeurs …. agacent.

Le Niger n’échappe pas à ce tsunami qui balaie notre présence en Afrique. La population nous reproche notre présence militaire, l’association du pays à notre lutte contre le djihadisme, notre acceptation des dérives démocratiques du président déchu. Nous négligeons l’exercice de la prévision, si risqué et si aléatoire soit-il dans le monde aussi incertain et complexe d’aujourd’hui. Envisageons-nous encore que la seule réponse sécuritaire puisse résoudre des problèmes aux causes plurifactorielles dépassant la seule problématique de la lutte contre le terrorisme ?

Réalisons-nous que le temps joue en faveur des putschistes nigériens ? Réalisons-nous que l’option d’une intervention militaire de la CEDEAO ne fait pas consensus en Afrique ? Réalisons-nous que la junte joue la division entre Paris et Washington ? Elle n’a signifié aucun « avis d’expulsion » aux 1 100 soldats américains présents sur place. Toutes ces questions sont-elles posées alors que l’avenir semble problématique pour notre pays au Sahel, voire au-delà ?

 

Après l’attaque par la foule de l’ambassade française à Niamey, tous les ressortissants français et européens qui le souhaitaient ont été évacués par avions A 400M français et belges.  Photo d’archives.


L’effet domino :

Le moins que l’on puisse dire est que notre politique étrangère souffre d’un défaut d’approche globale spatio-temporelle des grandes problématiques internationales du moment. La récente réforme du corps diplomatique n’est pas faite pour pallier ce lourd handicap. Aujourd’hui, plusieurs questions incontournables se posent au sujet de l’Afrique. Avons-nous pris conscience que l’Afrique change ? A-t-on lancé une vaste réflexion sans tabou sur notre politique africaine pour anticiper et nous préparer à l’impensable ? Quid si tous les États du Sahel (Sénégal dont le président réduit l’opposition au silence, Côte d’Ivoire, Tchad …) rejoignaient, par effet domino, le groupe des contempteurs de la France dans un avenir rapproché à la suite de coups d’État militaires ? À son tour, après 50 ans de dictature, le Gabon connaît un renversement du régime d’Ali Bongo le 30 août 2023.

Quid de la présence de nos bases en Afrique alors que les Américains y sont de plus en plus présents ? Quid de la pérennité de nos intérêts économiques menacés par d’autres ? Quid de l’analyse du sentiment croissant de rejet de la France par une jeunesse désemparée ? Quid de la stratégie française future au Niger et sur le continent ? Cette liste de questions n’est pas exhaustive.

Il y a fort à parier que la dimension prospective de notre politique étrangère est limitée. Pourtant, l’adage rappelle que gouverner, c’est prévoir. Or, dans les allées du pouvoir, on privilégie la communication et la tactique. On en mesure les résultats concrets. Où sont donc les passeurs d’idées, les fonctionnaires clairvoyants, les conseillers courageux qui osent écrire le contraire de ce que l’on attend d’eux en haut lieu alors que le coup d’État au Niger, sans oublier celui du Gabon, n’annonce rien de bon pour notre présence en Afrique ?

La pensée stratégique en crise;

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Nous sommes les témoins de l’évolution d’un monde d’où émergent de nouveaux acteurs, de nouvelles règles du jeu. Ce tournant nous aveugle sur la complexité du temps. Souhaitons-nous en tirer les conséquences qui s’imposent, la remise à plat de notre politique étrangère ?

Ce qui vaut pour l’ensemble de la planète (nos échecs en Afghanistan, en Syrie…dans la guerre contre le terrorisme), vaut également pour l’Afrique (notre échec en Libye). Nous pensons au Sahel après le coup d’état au Niger, voire au Gabon plus au Sud. Faute d’un changement complet de logiciel, nous courons le risque d’aller de mauvaise surprise en mauvaise surprise pour les autres pays de la zone qui entretiennent – mais pour combien de temps encore ? – de « bonnes » relations avec la France. Un sursaut salutaire s’impose de toute urgence.

Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.


(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en Sciences Politiques.