PIerre Servent
© Eric Durand / Notre Temps

La nouvelle loi de programmation militaire prévoit 413 milliards€ de crédits d’ici à 2030. Est-ce à la hauteur des défis à relever?

Pierre Servent. C’est tout à fait considérable! Et cela vient après la précédente loi de programmation qui a été respectée (ndlr: 295 milliards€ pour 2019-2025). Une première depuis des années! Des moyens nouveaux vont être fournis: les drones, l’artillerie, le cyber, le spatial, les armes hypersoniques, le renouvellement du nucléaire, le renforcement des forces spéciales et du renseignement. Cela va dans le bon sens et cela correspond certainement au maximum de ce que l’Etat peut faire actuellement. Mais les programmes d’équipement de certaines branches vont encore une fois être étalés dans le temps: les chars lourds, les véhicules blindés de combat d’infanterie, les avions de combat, les bateaux de surface de 1er rang (ndlr: frégates), et les effectifs. Donc, il y a des avancées significatives, mais face à ce qu’impliquerait la guerre de haute intensité, nous continuons d’être un peu « bonzaï »…

Bonzaï? Qu’entendez-vous par là?

Il y a eu une baisse continue du budget de la Défense depuis des décennies, basée sur une analyse selon laquelle la guerre de haute intensité avait disparu en Europe et que la France était sanctuarisée grâce à l’arme nucléaire. Résultat: nous avons certes une armée « complète », totalement équipée: depuis les « rangers » (ndlr: les chaussures militaires) jusqu’au satellite. Nous avons tout… en petit format. C’est une armée « bonzaï ». Mais nous avons aussi des soldats professionnels engagés sur le terrain dans le cadre des Opex (ndlr: Opérations extérieures). Notre armée est donc solide et expérimentée, ça c’est positif. L’aspect négatif, c’est que tout est court et notamment les munitions. Quand vous savez que les Ukrainiens ont consommé en 14 mois 1 million d’obus et de missiles! Je pense qu’à ce rythme-là nous arriverions au bout du stock en 15 jours… Le retour de la guerre de haute intensité sur le continent créé une onde de déstabilisation. Il faut reconstruire notre défense, renforcer celle de l’Europe, en lien avec l’Otan et les Américains. Ce sont des défis majeurs.

Le ministère de l’Armée planche sur un renforcement de la réserve opérationnelle dont les effectifs, 40 000 aujourd’hui, doublerait en 2030. Est-ce un moyen de renforcer les liens entre l’Armée et la Nation?

C’est une très bonne chose! Chez les réservistes, il y a aussi bien un garagiste, qu’un instit, un prof d’université, etc… et c’est formidable! Ces hommes et ces femmes sont des diffuseurs de l’esprit de défense dans la société. Mais une réserve opérationnelle qui double, c’est un changement complet d’organisation, de gestion, de financement! Moi, je suis un réserviste heureux, parce que j’ai servi dans les forces spéciales, mais trop souvent mes camarades réservistes m’ont fait part de leurs difficultés. Combien de fois l’armée d’active, pour boucler ses fins de mois « tapait » dans le budget de la réserve… Réserviste en France, c’est un sacerdoce. Être réserviste aux Etats-Unis ou en Angleterre, c’est complètement intégré dans la société. Cela demande une révolution complète des esprits et de l’organisation. J’espère pour mes jeunes camarades que cela va réussir.