Promulguée le 1er août, après que le Conseil constitutionnel a censuré 11 de ses articles [et notamment les dispositions sur le recours à l’épargne réglementée pour financer la Base industrielle et technologique de défense], la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 ne prévoit pas d’augmenter le nombre de frégates dites de premier rang, la Marine nationale devant se contenter de seulement 15 unités. Ce qui, au regard de son contrat opérationnel, paraît insuffisant. Et lui permettre d’aligner au moins trois navires de plus n’aurait pas été du luxe.
Cependant, une solution pour compenser ce déficit en navires de premier rang consiste à s’inspirer du fonctionnement des sous-marins nucléaires en adoptant le concept de « double équipage », comme l’avait préconisé l’amiral Christophe Prazuck, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] en 2018. À l’époque, il avait surtout mis en avant des considérations ayant trait à la fidélisation des marins, l’idée étant de réduire leur temps passé en mission.
Cela étant, le « double équipage » a d’autres vertus, comme l’a souligné l’amiral Pierre Vandier, l’actuel CEMM, lors d’une audition au Sénat [le compte rendu a été mis en ligne alors que la LPM 2024-30 était sur le point d’être promulguée, ndlr].
« La création de doubles équipages sur certains types de bâtiments de surface est une œuvre de mon prédécesseur. Nous l’avons poursuivie, si bien que quatre FREMM [deux à Toulon et deux à Brest], trois patrouilleurs de service public et plusieurs bâtiments de soutien et d’assistance outre-mer fonctionnent aujourd’hui en double équipage », a d’abord rappelé l’amiral Vandier.
Et celui-ci d’ajouter : « Les bénéfices [de ce concept] sont effectivement importants. Le double équipage permet ainsi de gérer facilement des alertes, notamment outre-mer. Il s’accompagne également d’une augmentation très significative du niveau opérationnel, les équipages dans leur période à terre pouvant se concentrer sur l’analyse poussée du retour d’expérience, sur l’évolution des tactiques et doctrines et sur la préparation de la prochaine mission ».
Qui plus est, une frégate multimissions [FREMM] en double équipage peut effectuer 162 jours de mer par an, contre 123 pour une FREMM à simple équipage.
« La LPM porte l’ambition de mettre deux FREMM supplémentaires en double équipage en zone atlantique. La pression militaire, notamment sous-marine, y est en effet croissante. Le nombre de frégates restant inchangé, nous avons donc besoin de plus de jours de mer », a expliqué le CEMM. Aussi, avec deux FREMM de plus à double équipage, le gain est d’environ 80 jours de mer par an, a-t-il relevé.
En clair, 6 FREMM à double équipage [soit 972 jours de mer] valent 8 FREMM à simple équipage [soit 984 jours de mer]. À condition toutefois que la disponibilité technique opérationnelle [DTO] suive…
Sur ce point, le rapport annuel de performance pour le programme 178 « Préparation et emploi des forces », publié par le ministère de l’Économie et des Finances, indique que, en 2022, la « DTO des frégates est restée globalement conforme à la prévision [57 % pour 59 % prévus] grâce à la très bonne tenue des frégates de défense aérienne compensant les conséquences des avaries rencontrées sur les frégates multi-missions [notamment sonar et système de combat] et sur les frégates de type La Fayette [usine électrique].
Et d’ajouter : « La performance globale est toutefois limitée par la sensibilité des bâtiments aux aléas du domaine des armes-équipements. Un plan d’actions sur la performance du Maintien en condition opérationnelle des armes-équipements, incluant des acquisitions de rechanges critiques, a été lancé ».
Quoi qu’il en soit, a insisté l’amiral Vandier, « le bénéfice du double équipage est avéré » au point que son homologue britannique envisage d’ailleurs de passer l’ensemble de la Royal Navy en double équipage ». Et de noter que l’US Navy a une «vision différente » puisque les déploiements de ses frégates« ont une durée très longue » et que le « surplus de missions » lui sera fourni par le « déploiement d’une flotte de drones de surface ».
Au passage, le CEMM a donné le détail de la « population » de sous-mariniers, en indiquant que celle-ci se compose de 335 officiers et de 850 sous-mariniers. « Les flux entrants dans les forces sous-marines sont de l’ordre de 300 à 350 marins par an. Aujourd’hui, nous ne rencontrons pas de difficultés de recrutement particulières dans ce domaine », a-t-il conclu.
L’arrivée du standard Rafale F5 pour 2030, comme annoncé par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le cadre de la LPM 2024-2030,va non seulement doter le chasseur de Dassault Aviation de nouvelles capacités, elle pourrait également profondément transformer le marché des avions de combat, y compris face à un Lockheed-Martin F-35 qui semble intouchable aujourd’hui.
Après presque une décennie de vaches maigres et de doutes, entre 2005 et 2015, le Rafale s’est imposé comme un des plus importants succès de l’industrie de défense française en matière d’exportation, alors que le nouveau standard Rafale F5 arrivera en 2030.
En effet, depuis la première commande de 24 Rafale F3 par l’Égypte en février 2015, le chasseur français a aligné les succès, au Qatar et Inde dans un premier temps, puis en Grèce, en Croatie, en Indonésie et bien évidemment aux Émirats Arabes Unis, les 80 Rafale F4 commandés par Abu Dhabi pour 14 Md€ étant le plus important contrat à l’exportation jamais signé par la BITD française.
De fait, avec 284 livrés, commandés ou sous engagement pour l’exportation d’une part, et 225 chasseurs devant armer à terme les forces aériennes françaises de l’Armée de l’Air et de l’Espace et de l’aéronautique Navale, le Rafale est aujourd’hui un succès colossal pour Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, ce d’autant que d’autres contrats à l’exportation sont attendus dans les mois à venir, peut-être avec des annonces lors du prochain salon du Bourget.
Il faut dire que le Rafale ne manque pas d’arguments à faire valoir. Très équilibré, offrant une polyvalence rare, et des performances aéronautiques appréciées, l’appareil dispose également d’une électronique embarquée moderne et performante, et d’un ensemble de munitions et autres systèmes embarqués en faisant l’un des meilleurs chasseurs du moment, et ce, dans tous les domaines.
En dépit de ces atouts indiscutables, le Rafale n’est jamais parvenu à s’imposer face au F-35A de l’Américain Lockheed-Martin, que ce soit lors des compétitions européennes (Pays-Bas, Suisse, Finlande, Belgique …) ou asiatiques (Corée du Sud, Singapour).
Il faut dire que le Lightning II dispose de nombreux arguments à faire valoir au-delà du seul soutien du Pentagone et du Département d’État américain, arguments suffisamment différenciés pour justifier, au moins du point de vue du discours, d’une génération d’écart avec ses principaux concurrents européens comme le Gripen E/F suédois, le Typhoon et le Rafale français.
Et de fait, le F-35A (et parfois B) s’est systématiquement imposé partout où l’appareil était proposé, et est même au cœur d’une certaine rupture de ban de la part d’alliés des États-Unis s’étant vus refuser l’appareil, comme l’Arabie Saoudite et la Thaïlande.
Mais les choses pourraient bien changer dans les années, voire dans les mois à venir. En effet, à l’occasion des débats parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le Ministère des Armées a tracé une trajectoire pour l’avion français très ambitieuse, parfois même révolutionnaire vis-à-vis des us français ces dernières années, et susceptible de profondément faire évoluer le positionnement relatif du Rafale sur la scène internationale, en particulier face au F-35 américain.
De fait, d’ici, le Rafale F5, épaulé de drones Neuron et évoluant dans un techno-système international articulé autour du « Club Rafale », aura 5 atouts à mettre en avant pour s’imposer face au chasseur de Lockheed, étudiés dans cet article en deux parties.
1- Le Rafale F5 sera-t-il premier Système de Combat aérien opérationnel sur le marché international ?
Jusqu’à l’arrivée des commandes de vol électriques, la mission principale du pilote était de piloter l’appareil, c’est-à-dire de le garder dans son domaine de vol, tout en effectuant les tâches et remplissant au mieux les missions confiées. Avec l’arrivée des commandes de vol électrique, avec le F-16 ou le Mirage 2000, le pilotage fut confié à l’appareil lui-même, le pilote (ou l’équipage) étant alors en charge de la trajectoire, du combat et de la conduite de mission au sens plus étendu.
Avec la modernisation des systèmes embarqués, de plus en plus de tâches ont été confiées à l’avion lui-même. De fait, à bord d’un Rafale F3R, le pilotage et le contrôle de la trajectoire de vol ne représentent qu’une infime partie de la charge de travail dans le cockpit.
C’est dans ce domaine que le F-35 dispose d’un des arguments contre les Rafale, Typhoon ou Gripen aujourd’hui. En effet, l’avion Lockheed-Martin prend non seulement en charge le pilotage, mais aussi une grande partie de la mission de combat, le pilote ayant pour fonction de déterminer la meilleure conduite à tenir pour mener la mission et répondre à l’environnement.
De fait, l’efficacité du F-35 dépend beaucoup moins de l’aguerrissement de l’équipage que pour les autres appareils, ce qui est censé simplifier les procédures et même les exigences de recrutement, formation et entrainement des équipages, tout en améliorant les capacités opérationnelles finales. Cet argument a notamment fait mouche en Suisse, un pays dont la Défense fait face à d’importantes difficultés pour maintenir le niveau d’entrainement de ses équipages.
Le Rafale F5, lui, évoluera à un tout autre niveau. En effet, il sera, à l’instar du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, un Système de Combat Aérien, basé sur un système de systèmes, et non un avion de combat faisant office de vecteur principal de ses moyens mis en œuvre, comme c’est encore le cas du Rafale F4.
Pour y parvenir, le Rafale F5 va être doté de drones de combat intégrés à son propre système, Neuron et Remote Carrier, chaque drone ayant un niveau d’autonomie comparable à celui du F35 aujourd’hui, et contrôlé par le Rafale lui-même, l’équipage ayant pour fonction de coordonner et optimiser l’efficacité de ce système de systèmes.
De fait, si le F-35A est, pour ainsi dire, l’archétype de ladite 5ᵉ génération d’avion de combat, le Rafale F5 sera l’un des premiers représentant de la 6ᵉ génération, qui se caractérise précisément par cette nouvelle architecture.
Et si l’US Air Force a effectivement annoncé qu’elle entendait doter 300 de ses F-35A de drones de combat, à l’instar du Rafale F5 épaulé du Neuron et des Remote Carrier, tout indique à ce jour que ces drones de type Loyal Wingam attachés au programme NGAD, ne seront pas, au moins pour un temps, proposés sur la scène internationale.
Même si le F-35 venait à se voir doter de drones de type Loyal Wingman, ses avantages relatifs liés à la 5ᵉ génération, comme la furtivité et la fusion de données, auront été gommés ou amoindris dans l’effort pour intégrer la 6ᵉ génération, alors que le Rafale, lui, pourra s’appuyer sur des exigences beaucoup plus caractéristiques de cette nouvelle génération, notamment en termes de capacité d’emport et d’autonomie.
2- Neuron, Remote Carrier : une gamme complète de drones de combat et d’appui
Car le Rafale F5 ne sera pas qu’un avion, mais en techno-système opérationnel étendu et complet, s’appuyant notamment sur deux types de drones de combat, voire trois en y intégrant le RPAS Mâle européen. Ainsi, dans un amendement présenté lors du vote de la LPM 2024-2030, le Ministère des Armées a précisé que conjointement au Rafale F5 serait développé un drone de combat dérivé du programme de démonstrateur Neuron. Il s’agira, de toute évidence, d’un effort visant à développer un drone ailier, à l’instar de ceux développés aux États-Unis dans le cadre du programme NGAD, en Australie avec le MQ-29 Ghost Bat ou en Russie avec le S-70 Okhotnik-B.
Conçu pour être particulièrement furtif tant sur le spectre électromagnétique qu’infrarouge, le Neuron représente en effet une base de travail particulièrement adaptée pour développer un drone de combat ailier capable d’accompagner et d’étendre les capacités opérationnelles du chasseur, en transportant et mettant en œuvre ses propres senseurs (radar, infrarouge, optronique…) ainsi que ses propres munitions, le démonstrateur disposant à ce titre d’une soute à munition capable d’accueillir 2 bombes de 250 kg.
Il est probable que le drone de combat qui sera développé d’ici à 2030, sera relativement différent du démonstrateur Neuron, notamment pour pouvoir accueillir et mettre en œuvre des senseurs et armements plus étendus, mais également pour s’intégrer pleinement et efficacement au système de systèmes du Rafale F5.
On ignore à ce jour si le drone résultant sera développé pour pouvoir être mis en œuvre à bord du PAN Charles de Gaulle et de son successeur, ce qui représenterait un avantage significatif, surtout si, comme le Rafale, le drone est capable d’employer un Skijump.
Si le développement du « Neuron » interviendra dans le cadre du Rafale F5, les industriels français, notamment MBDA, sont également engagés dans le développement d’une autre famille de drones de combat, en l’occurrence les Remote Carrier du programme SCAF.
La version lourde de cette famille de drones de combat aéroportés est développée par Airbus DS. La version légère, pouvant être mise en œuvre à partir d’un chasseur et non d’un appareil lourd de type A400M, est, quant à elle, développée par MBDA France, et trouvera toute sa place au sein du Système de Combat Aérien Rafale, qui mériterait probablement de s’appeler SCAR plutôt que Rafale F5 pour en marquer le caractère disruptif.
Or, selon les informations distillées jusqu’à présent au sujet du pilier Remote Carrier du programme SCAF, les premiers RC devaient justement entrer en service, tant à bord et au profit des Rafale français que des Typhoon allemands et espagnols, au début des années 2030, c’est-à-dire sur la même échéance que celle annoncée par le Ministère pour le Rafale F5 et le Neuron.
En disposant simultanément d’un drone de type Loyal Wingman, très furtif et potentiellement embarqué, ainsi que de drones de combat légers de type Remote Carrier, le Rafale F5 proposera alors un environnement opérationnel et technologique entièrement renouvelé et probablement unique sur la scène internationale.
L’exécution de la Loi de Programmation Militaire française 2019-2025 à ce jour a été, de l’avis de tous les observateurs, exemplaire. En effet, celle-ci a respecté scrupuleusement les hausses budgétaires prévues, constituant une première depuis que l’exercice a été mis en place.
Ainsi, le budget des armées en 2017 n’était que de 32,7 Md€, après une quinzaine d’années de sous-investissements critiques, ayant amené les armées françaises au bord de l’implosion. De fait, les crédits supplémentaires alloués ont permit d’amener le budget des armées à 43,9 Md€ en 2023, soit une hausse de 11,2 Md€ ou 34% vis-à-vis du budget 2017.
Et si la prochaine LPM 2024-2030 respecte les lignes annoncées, le budget 2024 atteindra alors 46,9 Md€, soit 43% de plus qu’il ne l’était lors de l’arrivée du président Macron à l’Elysée.
Pour autant, si le moral des militaires s’est semble-t-il amélioré sur cette période caractérisée par un effort important pour la condition militaire, le format des armées, lui, semble stagner, et même le remplacement de certains matériels ayant déjà largement joué les prolongations, comme les Patrouilleurs hauturiers A69 de la Marine Nationale, les KC-135 de l’Armée de l’Air et de l’espace, ou encore les canons automoteurs AUF1 et hélicoptères gazelles de l’Armée de terre, semblent encore être amenés à rencontrer certaines difficultés lors de la prochaine LPM.
Pourquoi, avec une telle hausse budgétaire, les armées peinent-elles encore à engager les programmes permettant de renouveler les équipements obsolètes, et refusent-elles toute notion d’augmentation sensible de format sur la prochaine LPM, qui pourtant devrait permettre, en appliquant une croissance linéaire du budget comme précédemment, d’arriver à un budget annuel de 68 à 69 Md€ en 2030, soit une hausse de presque 108% en 13 ans ?
Comme souvent, il n’y a pas qu’une cause à cet état de fait, celui-ci reposant principalement sur deux facteurs détériorant sensiblement l’efficacité de l’effort fourni pour redonner aux armées les crédits et les moyens nécessaires à leurs missions. Le premier n’est autre que la conséquence directe de 20 années de sous-investissements dans le renouvellement des équipements, en parti compensés, mais en parti seulement, par une sévère révision à la baisse du format des armées.
Le second résulte directement de la façon dont la LPM est conçue, à savoir une programmation pluri-annuelle exprimée en Euro courants, et donc incapable d’absorber des variations économiques sévères, comme le retour de l’inflation observé en 2022 et 2023, celle-ci ayant, pour ainsi dire, neutraliser l’effort budgétaire consenti depuis 2017.
Les conséquences d’un budget en sous-investissement chronique dans les Armées
En moyenne, un équipement militaire d’importance, comme ceux acquis dans le cadre des Programmes à Effets Majeurs, a une durée de vie au sein des armées de 30 à 35 ans. C’est ainsi que tous les navires de la Marine nationale, mais également les aéronefs des 3 armées, ou les blindés de l’Armée de terre, restent en service sur une période dépassant 30 années.
Or, sur la base du format des armées défini par le Livre Blanc de 2013, la valeur totale des équipements en service au sein des 3 armées, en dépit d’un nouveau coup de rabot dans les effectifs, les unités, et par voie de conséquence, dans les équipements requis pour répondre au contrat opérationnel, avoisine les 240 Md€ exprimés en € 2023.
Avec une durée de vie de 30 ans, il s’avère donc nécessaire d’investir chaque année 8 Md€, en moyenne, dans les programmes à effets majeurs et efforts de développement, pour assurer un renouvellement fluide du parc matériel des armées. C’est désormais le cas, mais sur les vingt années ayant précédé, cet effort n’était que de 4 Md€ par an en moyenne, soit un déficit de 40% et 4 Md€ par an, ce pendant une vingtaine d’année de 2000 à 2020, sur l’autel des bénéfices de la paix.
Sur la même période, paradoxalement, les armées furent souvent très sollicitées, avec de nombreuses interventions extérieures les obligeants à sur-consommer le potentiel de leurs équipements. De fait, non seulement les armées ne parvinrent pas à renouveler leurs équipements de manière raisonnée, mais elles durent répondre à une activité opérationnelle importante détériorant encore plus rapidement leur parc.
Au final, il en est résulté un déficit d’investissement de prés de 80 Md€ en 2020, de sorte à renouveler l’ensemble des matériels qui auraient du l’être sur les 20 années passées, ceci expliquant, en grande partie, le manque de résilience des forces notamment dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité, comme l’ont montré plusieurs rapports récents de parlementaires désormais beaucoup plus insistants sur ces manquements du fait du contexte international.
Quant aux militaires, ils n’ont cessé de répéter, depuis le milieu des années 2000, qu’ils étaient dans l’obligation de consommer leurs propres réserves pour répondre à la pression opérationnelle en l’absence d’investissements suffisants, mais ils ne furent effectivement écoutés qu’à partir du moment où les menaces devinrent beaucoup plus pressantes et palpables de l’opinion publique.
Dans ces conditions, on comprend que le surplus budgétaire consenti lors de la LPM 2019-2024, même s’il est effectivement conséquent, n’aura permis à ce jour, que de ramener les investissements en matière de renouvellement des équipements à leur point d’équilibre, soit 8 Md€ par an.
Il ne permet donc, aujourd’hui, que de renouveler les équipements à un rythme normal, c’est à dire sur un rythme de 30 années, ceci expliquant qu’en dépit de son évolution, le budget des armées ne permet aujourd’hui ni d’envisager une augmentation de format, ni même une remise en état des armées sur un échéancier de court ou de moyen terme.
Pour répondre à ce besoin, il serait nécessaire d’augmenter encore sensiblement les efforts budgétaires, tout en gardant à l’esprit que l’essentiel de cet effort serait initialement fléché vers le renouvellement des matériels obsolètes et la réparation des dégâts de la période 2000-2020, ce qui sera probablement en grande partie l’objectif visé par la prochaine LPM, en tout cas par les militaires.
Comment l’inflation handicape très lourdement les investissements des armées ?
Pour autant, en dépit d’une enveloppe budgétaire appelée à évoluer très sensiblement d’ici 2030, cela pourrait bien ne pas suffire, en raison d’un second paramètre d’importance réapparu il y a peu, l’inflation. En effet, traditionnellement, les LPM sont conçues et exprimées en Euro courants, sans prendre en considération d’autres paramètres économiques comme l’évolution de la dette, la croissance économique et, ce qui apparait plus gênant, l’inflation.
Il est vrai que depuis la crise inflationniste des années 80, la France avait été relativement préservée dans ce domaine, avec une inflation annuelle d’autant plus maitrisée que le pays rejoignait la zone Euro sous influence allemande, Berlin ayant historiquement une aversion profonde à l’inflation. De fait, sur les LPM précédentes, l’inflation n’a pas eu d’effets notable, tout du moins ceux-ci ont été largement négligeables face à l’inconstance politique des dirigeants du pays.
La LPM 2019-2025 fut, elle aussi, conçue sur les mêmes paradigmes, avec une hausse budgétaire exprimée en € courant de 1,7 md€ par an pendant 4 ans, puis de 3 Md€ par an pendant 3 ans, de sorte à atteindre un effort de défense de 50 Md€/ an en 2025. Malheureusement pour les armées, la crise Covid d’une part, puis l’agression russe en Ukraine de l’autre, eurent raison de la résilience européenne à l’inflation, avec un taux moyen de 5% en 2022, de 6% en 2023 et une prévision à 3,5% en 2024, contre 1% en moyenne sur la période 2017-2021.
Une telle inflation est venue très largement compromettre l’effectivité de la hausse consentie depuis 2017 du budget des armées, ce d’autant que dans le même temps, et conformément à la planification annoncée, le cout des Opérations Extérieures, soit en moyenne 1,5 md€ par an, était transféré d’un effort interministériel au seul budget des armées. Mis bout-à-bout, ces deux facteurs donnent une vision très différente de la réalité de la hausse budgétaire de 11,2 Md€ et de 34 % sur cette période, comme le montre le tableau ci-dessous.
On le voit, exprimé en euro 2017, les 43,9 Md€ du budget 2023, correspondent à 37,2 Md€ de capacités budgétaires à périmètre constant pour les Armées, soit une hausse de seulement 5 md€ et 13,4%. Ce montant est par ailleurs largement entamé par les hausses de soldes passées, présentes et à venir, celles-ci constituant, d’une certaine manière, le principal bénéfice de la LPM 2019-2025 puisqu’ayant permis d’apaiser un sentiment de démoralisation très palpable au sein des armées en 2017.
En revanche, on comprend que les crédits effectivement disponibles pour renouveler le parc matériel, n’auront que très faiblement progressé en Euro constants, ceci expliquant que les armées peinent encore à simplement renouveler leurs équipements obsolètes.
Il montre également qu’une grande partie des crédits supplémentaires qui seront libérés lors de la prochaine LPM, alors que l’inflation reviendra probablement à des niveaux certes plus élevés qu’en 2017-2021, mais plus accessibles qu’en 2022-2023, permettra seulement revenir à la situation d’investissement visée par la LPM 2019-2025 avant la crise inflationniste.
Ainsi, si l’inflation en 2022, 23 et 24 avait été limitée à 1,5% par an, comme le montre le tableau ci-dessous, la hausse budgétaire compensée de l’inflation en 2024 aurait été de 10% supérieure à aujourd’hui.
Conclusion
On le comprend, l’action cumulée du déficit d’investissements de 2000 à 2020 d’une part, et les crises internationales ayant engendré une inflation importante et non planifiée en 2022 et 2023, ont eu raison d’une grande partie des efforts budgétaires consentis par la France pour recapitaliser ses armées depuis 2017.
Sur la trajectoire qui semble celle qui sera suivie par la LPM à venir, il est probable, sauf nouvel épisode économique non planifié, qu’une grande partie de la hausse des investissements à venir, ne servira qu’à compenser les pertes cumulées d’investissement des années précédentes, et à rattraper le coup de rabot lié à l’inflation en 2022, 2023 et 2024.
On comprend également que la situation budgétaire des armées françaises, aujourd’hui, n’est pas si éloignée de celle qui était la sienne en 2017, l’essentiel de l’effort préservé de l’inflation ayant été capté vers l’amélioration indispensable de la condition militaire, ne laissant que bien peu de moyens pour le renouvellement du parc matériel, et évidement aucune marge de manoeuvre à court ou moyen terme, pour accroitre le format des armées.
Pour répondre à ce besoin, si tant est qu’il devienne véritablement un objectif politique, il serait alors nécessaire soit de s’inscrire dans les pas de Berlin, et de libérer une enveloppe de 80 Md€ pour compenser le sous-investissement des années précédentes et remettre les armées dans un format et un fonctionnement normal, soit d’accroître considérablement, pour un temps, la croissance de l’effort de défense tout en intégrant à la programmation militaire à moyen terme, donc à la LPM, une clause de re-évaluation budgétaire stricte pour compenser une inflation supérieure à 1,5%.
Surtout, il semble indispensable de construire l’envelopper budgétaire allouée aux armées sur la base des couts réels auxquelles elles sont effectivement exposées, en particulier celui visant au renouvellement des équipements de son parc, de sorte à empêcher qu’une situation comme celle à laquelle elles sont exposées aujourd’hui, naturellement alors qu’elles sont le plus sollicitées, ne se reproduise à l’avenir.
C’est par un tweet enthousiaste que le député Renaissance de la deuxième circonscription du Finistère, Jean-Charles Larsonneur, a annoncé hier en soirée l’adoption par une majorité transpartisane d’un amendement à la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, pour qu’une étude approfondie soit menée durant la LPM, au sujet de la construction et mise en œuvre d’un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, alors que la première unité qui doit remplacer le PAN Charles de Gaulle en 2038.
Au delà du fait que le Parlement a joué, dans la conception de cette LPM, un rôle bien plus visible et bienvenu que lors des précédentes, l’annonce d’une étude formelle pour donner une vision claire de ce que pourrait faire, mais également de ce que couterait la construction et la mise en oeuvre d’un second porte-avions pour la France, est incontestablement une avancée notable sur un sujet qui, depuis jacques Chirac, n’a cessé d’être reporté par les président successif à la « prochaine mandature ».
Combien couterait un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération ?
Il est vrai qu’un porte-avions, qui plus est nucléaire, coute cher. Ainsi, l’enveloppe pour la conception et la construction du successeur du PAN Charles de Gaulle est officiellement fixée autour de 5 à 6 Md€, certains échos faisant même état de 8 Md€. En outre, au delà de la construction et de l’équipement du navire lui-même, il convient de lui conférer un équipage expérimenté, qui plus est intégrant une tranche nucléaire, ainsi qu’une escorte efficace et un groupe aérien dimensionné pour en exploiter le potentiel.
Ainsi, pour mettre en œuvre le Charles de Gaulle, la Marine Nationale met en œuvre un équipage de presque 2000 marins, officiers mariniers et officiers sur le navire, auxquels s’ajoutent quelques 500 militaires à bord de son escorte composée d’un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate anti-aérienne, deux frégates anti-sous-marines ainsi qu’un Bâtiment Ravitailleur de la Flotte (ou BRF) dans un déploiement classique.
Le groupe aérien, lui, se compose de 2 des 3 avions de guet aérien E2C Hawkeye, de 16 à 20 Rafale M sur les 40 en service au sein des 3 flottilles de l’aéronautique Navale, de quelques hélicoptères ainsi que du soutien d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2, sur la vingtaine en service aujourd’hui. Au total, donc, le Groupe aéronaval se compose de 6 navires, 25 aéronefs et 3500 militaires, soit l’équivalent de 3 régiments de l’Armée de Terre.
De fait, l’annonce de l’étude qui sera menée au cours de la prochaine LPM, a laissé perplexe de nombreux observateurs : la France aura-t-elle les moyens de financer la construction du navire et de son escorte ? la Marine Nationale pourra-t-elle doter les nouveaux navires et flottilles des personnels requis ? N’y aurait-il pas mieux à faire avec ce montant que de se doter d’un second Groupe Aéronaval ?
Quels atouts un second porte-avions nucléaire apporterait-il ?
Comme souvent, les questions, tout comme les réponses avancées, dépendent du point de vue pris par celui qui les pose, alors que les options sont nombreuses, tant du point de vue budgétaire que RH, pour y répondre dans les années à venir, selon les ambitions affichées.
Comme nous l’avons déjà montré, cette vulnérabilité n’est ni nouvelle, ni même supérieure à ce qu’elle fut dans les décennies passées, alors même que les porte-avions ont joué un rôle décisif dans le contrôle des océans et des conflits depuis la seconde guerre mondiale.
Nous ne reviendrons pas davantage sur le potentiel militaire unique du porte-avions dans le contexte opérationnel moderne, le navire étant le seul à pouvoir tout à la fois imposer une zone d’exclusion aérienne et navale sur un rayon de 1000 km voire au-delà, tout en menant des frappes soutenues dans la durée contre un adversaire ou en soutien de forces alliées. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes marines mondiales, y compris la Chine et la Russie qui pourtant se réclament à la pointe des armes hypersoniques, se dotent ou entendent se doter de cette capacité unique.
De fait, la France dispose déjà de cette capacité, et même d’une capacité partagée uniquement par l’US Navy, à savoir la mise en oeuvre d’un porte-avions doté de catapultes et de brins d’arrêt, permettant aux aéronefs mis en oeuvre de décoller à lourde charge en consommant peu de carburant, et donc de disposer d’une autonomie et d’une puissance de feu supérieures.
En outre, cette configuration autorise un plus grand nombre de manoeuvres aériennes chaque jour, ce qui multiplie de fait le potentiel opérationnel du bâtiment.
Pour autant, avec un unique navire, la Marine Nationale ne peut garantir la présence à la mer du groupe aéronaval que 40% du temps, et une prise d’alerte de l’ordre de 60% du temps, le reste étant nécessaire à la maintenance du navire, et au repos et à l’entrainement de son équipage. On notera que la flotte de chasse embarquée française, avec 40 Rafale Marine et 3 E-2C Hawkeye, est également dimensionnée pour respecter ce contrat opérationnel, sans pouvoir aller au delà.
L’arrivée d’un second porte-avions nucléaire permettrait donc à la France de maintenir à la Mer un de ses deux navires autour de 60% du temps, et d’assurer une prise d’alerte de 100% du temps, tout en réduisant de 30% la pression opérationnelle sur les équipages et les deux navires vis-à-vis du Charles de Gaulle, permettant d’en améliorer l’entrainement, la maintenance et même la qualité de vie.
Surtout, en passant d’une prise d’alerte de 60% à 100%, le Groupe Aéronaval ouvrirait de toutes nouvelles perspectives opérationnelles à l’Etat-major français, y compris dans le domaine de la dissuasion, puisqu’il aurait, à tout moment, la garantie de pouvoir compter sur un Porte-avions et son escorte en cas de crise ou de conflit, et même de 2 porte-avions au besoin environs 30% du temps.
Doctrine et couts sont liés
C’est précisément le contrat opérationnel qui sera donné à ce Groupe Aéronaval qui déterminera grandement les couts de mise en œuvre d’un second porte-avions. Certes, les couts de la construction du navire, eux, seront fixes, même si le navire devait rester à quai faute d’équipage et d’avions.
Ils représentent, aujourd’hui, entre 4 et 5 Md€,dont 1 Md€ pour les seules systèmes de catapultes et brins d’arrêt électromagnétiques acquis auprès des États-Unis. Tout le reste, c’est à dire l’escorte, le groupe aérien embarqué, et même l’équipage, dépendra des choix opérationnels et politiques qui encadreront la mise en oeuvre de ce navire.
Ainsi, si la France veut se doter pleinement et de manière autonome d’un second groupe aéronaval, il conviendra non seulement de constituer un second équipage nucléaire de 2000 hommes et femmes pour armer le navire, mais également d’acquérir et d’armer 1 SNA, 3 frégates dont une anti-aérienne et d’un BRF supplémentaires, soit un surcout de construction d’environ 4 Md€, et un millier de marins supplémentaires pour armer les bâtiments, souvent en double équipage.
Il serait également indispensable de constituer deux flottilles de chasse embarquée supplémentaires, et donc d’acquérir environs 30 appareils, ainsi que 2 avions de guet aériens E-2D en plus des 3 delà commandés pour remplacer les Hawkeye du Charles de Gaulle.
Au total donc, une telle hypothèse devrait revenir à 13 ou 14 Md€ en acquisition, et à 400 m€ par an en couts de personnels. Et de rappeler qu’un tel montant permettrait à l’Armée de l’Air de constituer 3 escadrons de chasse supplémentaires et leurs appareils de soutien, ou à l’Armée de terre de se doter de 400 chars lourds et autant de véhicules de combat d’infanterie chenillés.
Il ne revient pas à cette analyse de déterminer quels investissements seraient les plus performants pour renforcer la défense et le rôle de la France sur la scène internationale. En revanche, il est indispensable de prendre en considération que cette approche ne représente qu’une hypothèse parmi d’autres quant à l’utilisation et donc au dimensionnement du second PANG.
Ainsi, il serait également possible de considérer que le second navire n’aurait pour seule fonction que de suppléer le premier lors de ses indisponibilités, ou d’en partager la charge. Présenté ainsi, les besoins en matière d’escorte supplémentaire seraient fortement réduits, voire inexistants, alors que les besoins concernant le dimensionnement du groupe aérien embarqué serait plus ou moins divisés par deux, ce qui en ramènerait les couts d’acquisition autour de 6,5 à 7 Md€, et les surcouts de fonctionnement à seulement 250 m€ par an.
Il serait même possible de réduire encore davantage ces couts, tout en augmentant la présence à la mer du second groupe aéronaval, en bâtissant une alliance opérationnelle pour sa mise en oeuvre avec d’autres pays européens susceptibles d’en fournir tout ou partie de l’escorte, une partie du groupe aérien embarqué, voire une partie de l’équipage. Des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique pourraient y voir un intérêt évident, et se laisser séduire par une telle approche.
Conclusion
On le comprend, dès lors, la construction d’un second porte-avions de nouvelle génération, ne doit en aucun cas être exclusivement considérée comme la reproduction à l’identique de la capacité et donc des couts engagés autours du remplaçant du Charles de Gaulle, mais plutôt comme un champs riche de possibilités et d’options, qui permettrait à la France et à l’Europe de se doter d’une capacité qui ne sera détenue, au delà de 2040, que par les Etats-Unis et la Chine, à savoir de disposer en permanence d’un groupe aéronaval avec en son centre un porte-avions nucléaire lourd doté de catapultes.
L’étude qui sera menée dans les années à venir, et qui ne manquera probablement d’explorer toutes ces options, permettra précisément d’y voir clair dans ce domaine, et donc donnera aux dirigeants comme aux parlementaires, les outils pour prendre une décision plus rationnelle que dogmatique.
La prochaine loi de programmation militaire n’est pas encore promulguée que, déjà, ses effets sont visibles dans les premiers travaux budgétaires pour 2024. Ceux-ci annoncent une hausse de 3,3 Md€ du budget des armées, conformément au plan mais sur fond d’austérité.
Chose promise, chose due : le gouvernement propose de porter les dépenses militaires à 47,2 Md€ en 2024, première marche d’une nouvelle LPM à peine adoptée. Soit une hausse de 3,3 Md€ par rapport à l’exercice en cours que les parlementaires et dont 300 M€ sont venus s’ajouter grâce aux initiatives parlementaires.
La mission Défense en ressort gagnante, situation récurrente depuis près d’une décennie. Elle n’est dépassée que par l’enseignement (+ 3,9 Md€) et précède l’écologie (+ 2,3 Md€). Ces plafonds proposés « poursuivent le réarmement des fonctions régaliennes engagé dès 2017, dans le respect des lois de programmation », souligne un rapport publié ce matin par Bercy.
Ces crédits supplémentaires permettront de financer le soutien des équipements, le lancement de nouveau programmes d’armement ainsi que la poursuite de « l’investissement en faveur de la défense spatiale, du renseignement et de la cybersécurité », trois « patchs » majeurs de la LPM 2024-2030.
Enfin, cette marche en hausse contribuera à l’effort d’augmentation des effectifs, fixé à 700 équivalents temps plein pour l’an prochain. La déclinaison exacte entre grands programmes et autres ajustements et nouveautés capacitaires ne sera connue que courant octobre avec la publication des bleus budgétaires.
L’effort en faveur des armées est d’autant plus considérable qu’il s’inscrit « dans un contexte de sortie des crises sanitaire, énergétique et de l’inflation ». Exit le « quoi qu’il en coûte », les dispositifs exceptionnels et autres mesures de soutien, l’État tente désormais de rétablir la barre des finances publiques en revenant au format pré-crises et en mettant en oeuvre des mesures d’économies. Les crédits diminueront ainsi de près de 5 Md€ par rapport à ceux octroyés pour 2023.
La nouvelle Loi de programmation militaire 2024-2030 engage résolument les armées françaises dans la voie de la haute intensité. Ce terme continue cependant d’être sujet à débat et source de confusion au sein de la communauté de défense.
Une définition stricte de la notion est donc nécessaire afin de mieux en comprendre la portée et les implications pour la France. Sur le plan militaire, la haute intensité renvoie d’abord à un type d’engagement déployant un haut niveau d’énergie cinétique dans un espace et une durée limités. À ce facteur énergétique, s’ajoutent le niveau de sophistication technologique des équipements (intensité en capital) et la létalité qui résulte de ces deux éléments. Émerge ainsi une notion de haute intensité capacitaire qui s’articule autour du triptyque énergie-technologielétalité.
Cette intensité capacitaire doit être distinguée de l’intensité politique, ou virulence d’un conflit armé, laquelle dépend avant tout des intérêts en jeu. Lorsque ceux-ci sont très élevés pour un belligérant, le conflit prend pour ce de rnier les aspects d’une guerre majeure, mettant en jeu sa survie. À l’inverse, la mise en jeu d’intérêts réels mais non existentiels se traduit par des formes de guerre limitée. Si l’histoire militaire offre des exemples de conflits où haute intensité politique et militaire se combinent, elle montre aussi des cas de guerres limitées à haute intensité capacitaire. C’est cette configuration qui paraît la plus pertinente pour la France où la dissuasion nucléaire prémunit en principe de toute menace contre les intérêts vitaux de la nation.
Il existe donc une large gamme de scénarios situés en deçà des intérêts vitaux mais au-delà de l’horizon capacitaire et opérationnel des trois dernières décennies, marquées avant tout par la gestion de crise et dans la perspective desquelles s’est construit le format des armées françaises. Solidarité stratégique dans le cadre de l’alliance atlantique ou d’accords de défense, confrontation avec une puissance grande ou moyenne sur des espaces périphériques, affrontement avec un « proxy », acteur tiers soutenu par un État-puissance ou encore confrontation dans des espaces communs isolés (haute mer, espace exo atmosphérique, cyber, fonds marins, etc.) sont autant d’hypothèses à prendre en compte qui relèveraient de la haute intensité capacitaire.
Haute intensité : quels défis pour les armées françaises ?
Le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 ne dit pas un mot sur le programme TITAN de l’armée de Terre, qui doit prendre, à l’horizon 2040, le relai de SCORPION [qui n’est évoqué qu’indirectement dans le texte] pour « étendre l’ambition de combat collaboratif aéroterrestre au niveau interarmées et interalliés ». Mais pas seulement puisqu’il vise également à renouveler le segment « lourd » des blindés actuellement en service, notamment avec le projet MGCS [Main Ground Combat System – Système principal de combat terrestre], mené en coopération avec l’Allemagne.
Mais il sera également question de remplacer, à terme, le Véhicule blindé de combat d’infanterie [VBCI], dont 628 exemplaires sont en dotation au sein de l’armée de Terre. Et la Direction des études et de la prospective de l’Infanterie a d’ores et déjà avancé quelques pistes de réflexions au sujet des capacités que devront posséder les fantassins à l’horizon 2040.
« 2040 peut paraître loin, et réfléchir à l’équipement du fantassin à cet horizon peut être considéré comme une contingence alors que l’arme a déjà plusieurs besoins immédiats et urgents, et que certains des principaux changements attendus sont déjà là. Cependant, la temporalité a son importance : la recherche a besoin d’en moyenne vingt ans pour mener une technologie à maturité et l’intégrer à un projet d’armement. Dès lors, réfléchir au fantassin de 2040 n’est plus un exercice de l’esprit mais un impératif pratique », explique cette structure qui relève de l’École de l’Infanterie, dans le dernier numéro de revue Fantassins
Les besoins de l’infanterie se résument en cinq impératifs : survivre, se protéger, manœuvrer, combattre et vaincre. Et si le renouvellement des blindés du segment médian est en cours, avec le véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon et Serval, le VBCI devra être impérativement mis à niveau dans les années à venir… Et la question de son remplacement peut d’ores et déjà se poser. Et la direction de la prospective a des idées bien arrêtées à ce sujet.
D’abord, il n’est pas question de revenir à un blindé doté de chenilles. Si celles-ci « permettent un meilleur franchissement et une meilleure mobilité tactique », notamment en milieu dégradé, elles exigent un entretien plus important, souligne la Direction des études et de la prospective de l’Infanterie. D’où sa préférence pour la roue, qui fait des « progrès spectaculaires depuis plusieurs années », au point d’égaler, ou presque, les performances de la chenille.
« Le fantassin pourrait donc se déplacer sur roues, d’autant plus que dans les milieux dégradés, il sera principalement débarqué. Afin de gagner en mobilité tactique, il pourra aussi compter sur les robots, lesquels pourraient être chenillés et donc aptes à lui apporter au plus près tout l’appui [logistique, appui-feu…] dont il aura besoin, y compris dans les milieux destructurés », explique la Direction des études et de la prospective.
Quant à la question du blindage, celle-ci souligne que les véhicules actuels sont toujours de plus en plus lourds, au point d’arriver « aux limites de qu’un sol peut supporter en poids avant de se dégrader et pénaliser les mouvements futurs ».
D’où l’idée de regarder ce qui a pu être imaginé dans le passé… Et de ressortir des tiroirs un projet qui avait été lancé il y près de trente ans, c’est à dire avant le développement de l’actuel VBCI.
« L’une des pistes les plus prometteuses est la reprise d’un programme de véhicules modulaires comme le projet VBTT des années 1990 et l’idée originelle derrière le VBCI », avance la Direction des études et de la prospective. Et d’ajouter : « Le blindage ici serait donc limité aux compartiments du groupe de combat embarqué et aux pilotes, ce qui permettrait de réduire le poids total ».
A priori, il s’agirait donc de reprendre le concept de Véhicule Blindé Modulaire [VBM] à huit roues motrices, pour lequel Giats Industries [Nexter/KDNS aujourd’hui] et Renault Véhicules Industriels [devenu Arquus] développèrent respectivement le VEXTRA [pouvant être doté d’une tourelle modulaire légère de 105 mm] et le X8A [voir photo ci-dessus}. Les travaux menés à l’époque permirent de mettre au point le VBCI.
Quel sera l’avenir du missile Akeron LP [ou « missile haut de trame » – MHT], qui, en 2020, devait être commandé à 500 exemplaires auprès de MBDA par le ministère des Armées dans le cadre du développement du standard Mk3 de l’hélicoptère d’attaque Tigre? Le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 du gouvernement n’en faisait pas mention. Ce que le Sénat a corrigé à l’issue de l’examen de ce texte, lequel prévoit un investissement de 16 milliards d’euros pour consolider les stocks de munitions. Reste à voir ce qu’en fera la commission mixte paritaire [CMP]…
En attendant, le flou demeure… Car, le 7 juillet, la Defense Security Cooperation Agency [DSCA], chargé des exportations d’équipements militaires américains, a donné un avis favorable à la vente de 1515 missiles antichars AGM-114R2 à la France par Lockheed-Martin, pour un montant évalué à 203 millions de dollars [soit environ 195 millions d’euros au taux de change actuel].
Étant donné que les Tigre de l’Aviation légère de l’armée de Terre [ALAT] et les drones MALE [Moyenne Altitude Longue Endurance] MQ-9 Reaper block 5 de l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] utilisent déjà des missiles Hellfire, l’avis de la DSCA n’est pas surprenant.
D’ailleurs, la loi de finances 2023 avait prévu une nouvelle commande de tels missiles pour les besoins de l’AAE, comme l’avait indiqué son chef d’état-major, le général Stéphane Mille, lors d’une audition parlementaire, l’objectif étant de faire remonter le niveau des stocks de munitions.
En revanche, l’ampleur de la commande envisagée interroge étant donné que, jusqu’à présent, les achats français de missiles Hellfire se limitaient à une centaine d’exemplaires pour environ 20 millions d’euros. D’autant plus que, avec la fin de l’opération Barkhane, les MQ-9 Reaper sont beaucoup moins sollicités pour réaliser des frappes… Et cela vaut aussi pour les Tigre de l’ALAT… mais pas encore pour les drones tactiques Patroller, qui devraient pouvoir être armés d’ici 2027.
La « vente proposée soutiendra les objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale des États-Unis en contribuant à améliorer la sécurité d’un allié de l’Otan, qui est une force importante pour la stabilité politique et le progrès économique en Europe », fait valoir la DSCA. Et d’ajouter : elle « améliorera la capacité de la France à faire face aux menaces actuelles et futures en renforçant sa capacité de défense à long terme pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale ».
Pour rappel, mis en service à partir de 2012, l’AGM-114R2 Hellfire II, encore appelé « Hellfire Romeo », est un missile à guidage laser semi-actif qui, doté d’une charge IBFS [Integrated Blast Frag Sleeve] censée limiter les dommages collatéraux, a une portée comprise entre 8 et 11 km. D’une masse de 49 kg, il peut voler à la vitesse supersonique de Mach 1,3.
En l’absence d’un nouveau Livre Blanc, et après une Revue Stratégique en certains aspects bâclée, le nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030 qui encadrera la trajectoire des armées françaises pour les 7 ans à venir, pouvait apparaitre terne et sans ambition.
Force est de constater que les choses ont considérablement évolué au cours du processus parlementaire, tant du fait des députés et sénateurs, que d’un ministère remarquablement proactif pour s’emparer des sujets et amener des éclaircissements.
C’est ainsi qu’au delà des aspects budgétaires qui doivent encore faire l’objet d’une dernière négociation en début de semaine prochaine lors de la commission paritaire mixte entre le Sénat et l’Assemblée Nationale, de nombreux objectifs des plus stratégiques pour l’avenir des armées et de l’industrie de défense ont été clairement tracés.
C’est notamment le cas dans le domaine des drones et de la lutte anti-drones, de la pérennisation pleine et entière du porte-avions de nouvelle génération, ou encore au sujet du très ambitieux programme Rafale F5 et de son drone de combat dérivé du programme Neuron, pour ne citer que les plus médiatisés.
La trajectoire en matière de ressources humaines pour les années à venir était, quant à elle, tracée dans les grandes lignes dès la première mouture du projet de loi. Ainsi, les effectifs des armées n’évolueront que peu dans les années à venir, si ce n’est dans certains domaines comme le renseignement ou le cyber.
Pour faire face à la montée des tensions et des risques de conflit, le Ministère des Armées va en effet concentrer ses efforts d’ici 2030 autour de deux objectifs. D’une part, il s’agira de consolider les effectifs professionnels des armées, notamment pour faire face aux nombreuses difficultés que rencontrent toutes les armées occidentales dans le domaine des ressources humaines, de sorte à éviter la déflation des effectifs.
Dans le même temps, la montée en puissance sera assurée par le recrutement de plus de 40.000 réservistes opérationnels supplémentaires, soit le doublement de la réserve opérationnelle comme aujourd’hui, au travers d’une vaste de campagne déjà débutée pour amener les français à s’investir dans la Défense et la Sécurité nationale, que ce soit au travers de la Réserve Opérationnelle ou de la Réserve Citoyenne, selon les profils.
Jusqu’à présent, on ignorait comment ces nouveaux effectifs allaient être ventilés, et l’on pouvait craindre qu’à l’instar de ce qui se pratique aujourd’hui, l’essentiel des nouveaux réservistes viendraient renforcer la résilience des unités professionnelles existantes, au travers d’une ou plusieurs compagnies formées de réservistes évoluant au contact de leurs homologues professionnelles.
Si cette solution répondait bien aux besoins il y a quelques années, en conférant aux régiments des moyens humains supplémentaires mobilisables au besoin pour absorber une certaine attrition (de fatigue ou de combat), elle ne permet cependant pas d’accroitre la masse des armées à proprement parler, et donc leur caractère dissuasif.
Aujourd’hui, il n’existe qu’un unique régiment entièrement constitué de réservistes, le 24ème régiment d’infanterie basé à Vincennes et Versailles en région parisienne. Celui-ci fut recréé en 2013, précisément pour expérimenter la possibilité de mettre en œuvre des unités de la taille et de la fonction d’un régiment, entièrement constituées de réservistes, et pour en évaluer les performances et la capacité à s’intégrer dans un dispositif composé d’unités professionnelles.
Si dans ses premières années, le 24ème RI fut cantonné à des missions intérieures, il commença à participer à des opérations extérieures à partir de 2020, au travers de déploiements de courtes durées conformément à la nature de ses effectifs. Il participa également activement à la mission résilience en Ile de France lors de la crise Covid.
De toute évidence, l’expérience du 24ème RI s’est montrée satisfaisante, puisque le Ministère des Armées a annoncé que d’autres régiments de ce type allaient être créés lors de la LPM 2024-2030, sans toutefois en préciser le nombre ou la localisation.
Toutefois, de part leurs besoins importants en matière d’effectifs, on peut supposer que chacun d’eux sera déployé à proximité d’une grande agglomération comme Marseille, Lyon, Nantes, Lille, Toulouse, Bordeaux et Strasbourg.
Reste que, pour l’heure, l’expérience du 24ème RI n’est pas aboutie à ce jour. En effet, si celui-ci dispose des effectifs, et d’une certaine manière de l’entrainement requis, il est particulièrement faiblement équipé, n’ayant ni armement lourd ni véhicules blindés, loin de l’inventaire des régiments d’infanterie professionnels.
De fait, pour aller au bout du raisonnement en matière de masse, il sera nécessaire que ces nouveaux régiments soient équipés à l’instar des régiments professionnels, de sorte à pouvoir être projetés totalement ou partiellement à l’identique de ‘n’importe quelle unité de même arme.
En outre, il serait probablement souhaitable que ces nouveaux régiments couvrent l’ensemble des besoins, plus spécifiquement en matière d’engagement de haute intensité, et donc disposer des équipements et de l’entrainement nécessaire pour cela. Jusqu’à présent, certaines réticences au sein même de l’Etat-major entravaient cette approche.
On peut espérer que la démonstration de force réalisée par les armées ukrainiennes, presque entièrement constituées de conscrits et de réservistes, aura permis de faire évoluer les opinions à ce sujet, et qu’effectivement, ces nouveaux régiments composés de réservistes seront les répliques des régiments professionnels en tous points, comme c’est notamment le cas des bataillons de la garde nationale américaine.
Reste que la plus grande difficulté qui devra être surmontée par le Ministère des Armées dans ce dossier, sera incontestablement de parvenir à convaincre et fidéliser 40.000 réservistes opérationnels supplémentaires, de sorte à donner corps à cette ambition.
Alors que la Commission Défense de l’Assemblée Nationale a amendé et validé le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030, y ajoutant notamment l’obligation pour l’Etat de garantir les 13 Md€ de recettes exceptionnelles dans le plan de financement, le Ministre des Armées, en parti excédé par les nombreuses critiques sur le « manque d’ambitions » de cette LPM qui pourtant verra, et de beaucoup, la plus importante croissance budgétaire pour les Armées depuis 30 ans, a tenu a précisé quels étaient les objectifs visés, notamment en terme de contrat opérationnel.
C’est ainsi que dans un Tweet sur son compte, Sebastien Lecornu a tenu à détailler le contrat opérationnel principal confié aux 3 armées. Pour l’Armée de Terre, il s’agira d’être en mesure de déployer une division composée notamment de 2 brigades de combat, ainsi que l’ensemble des capacités de commandement pour encadrer un Corps d’Armée, conformément aux attributions de la France sur le front sud européen au sein de l’OTAN.
La Marine nationale, quant à elle, devra être mesure de déployer son groupe aéronaval organisé autour du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle puis de son successeur. Enfin, l’Armée de l’Air et de l’Espace, pour sa part, devra être en mesure de déployer une escadre composée notamment de 40 avions de combat.
Les objectifs ainsi définis semblent parfaitement en adéquation avec les engagements de la France notamment vis-à-vis de l’OTAN, et correspondent au positionnement de la France en tant qu’allié majeur et puissance d’équilibre tel qu’avancé par l’exécutif.
Toutefois, ils s’avèrent également très supérieurs à ceux qui ont permis de définir le format des armées françaises dans le cadre du Livre Blanc de 2013, alors que la LPM 2024-2030 reste basée, en de nombreux aspects, sur ce même format, et ce concernant les 3 armées.
Se pose donc la question de la cohérence entre la trajectoire définie par la LPM à venir, et le contrat opérationnel tel que présenté par le Ministre des Armées.
Armée de Terre : Déployer une division de 2 brigades
Les engagements concernant l’Armée de Terre française restent, peu ou prou, identiques à ce qu’ils étaient jusque là. En effet, la France assure déjà l’encadrement du front sud-européen de l’OTAN, et doit dès lors assumer non seulement le commandement d’un Corps d’Armée composé des divisions et brigades des forces locales et des alliés dédiés à ce front (comme la Belgique), mais également d’y contribuer à hauteur d’une division composée de 2 brigades de combat.
Pour y parvenir, l’Armée de Terre peut s’appuyer sur 6 brigades organiques réparties en 2 divisions. Selon les engagements français au sein de l’OTAN, celle-ci doit être en mesure de déployer une première brigade de combat en une semaine, ainsi qu’une seconde brigade à une échéance de 30 jours.
Pour y parvenir, les brigades françaises assurent une rotation opérationnelle, avec une brigade assurant l’alerte, comme ce fut le cas pour la brigade Serval déployée au Mali en 2013 sur des délais très courts. Une seconde brigade, qui elle est à l’entrainement, assure une alerte à 30 jours, alors qu’une troisième brigade est également à l’entrainement, pour pouvoir prendre à terme l’Alerte à son tour.
Les 3 dernières brigades sont au repos et à la régénération, en particulier après des déploiements, et participent également à d’autres déploiements en dehors du cadre de l’OTAN. Malheureusement, cette organisation s’avère plus théorique que pratique, et l’OTAN elle même considérait il y a peu encore, que l’Armée de Terre ne pouvait assurer que le déploiement d’une brigade renforcée à 30 jours, et éventuellement d’une seconde brigade à 90 jours.
Le fait est, pour assumer une telle posture opérationnelle, il serait nécessaire de créer 2 nouvelles brigades pour l’Armée de Terre, de sorte à disposer effectivement des moyens de rotations suffisants pour assumer le déploiement soutenu dans la durée de 2 brigades à la demande de l’OTAN (sans même parler d’engagement).
En outre, il convient de garder à l’esprit qu’une partie non négligeable des régiments français sont spécialisés, comme les unités d’infanterie de Marine pour l’assaut amphibie, les unités parachutistes pour l’aérocombat, et les troupes de montagnes.
Or, en intégrant ces unités dans la rotation des unités dédiées à l’OTAN, la France se priverait, de fait, d’une part non négligeable de ses moyens dits d’opportunités, alors même qu’en dépit de leur professionnalisme, ces unités ne sont pas les plus adaptées pour un engagement de type haute intensité en Europe centrale.
Enfin, une partie des moyens sensés assurer la rotation de la prise d’alerte, sont régulièrement déployés dans d’autres missions hors OTAN, notamment en Afrique. Dans ce contexte, il est probable que si l’Armée de Terre sera effectivement en mesure de déployer à la demande de l’OTAN 2 brigades à 30 jours sous couvert d’une réorganisation organique et opérationnelle dans les années à venir, elle sera dans l’incapacité de soutenir dans la durée un telle dispositif au delà de quelques semaines ou quelques mois.
Marine Nationale : Déployer un groupe aéronaval
La situation n’est pas très différente pour la Marine Nationale. En effet, avec un unique porte-avions, celle-ci ne peut garantir la mise en œuvre d’un groupe aéronaval qu’à hauteur de 40 à 50% du temps, et ce en considérant que le Charles de Gaulle, les flottilles de l’aéronautique navale armant son groupe aérien embarqué et le SNA assurant sa protection sous-marine, assument à plein temps cette seule posture d’alerte, sans aller participer à une quelconque autre opération militaire venant éroder leur potentiel d’utilisation.
La situation est différente concernant les frégates et destroyers d’escorte, ainsi que les navires logistiques, ceux-ci pouvant être fournis par les alliés de l’OTAN. En revanche, concernant ces capacités précises, seule la Marine Nationale dispose effectivement des capacités concernées en Europe.
Par ailleurs, une posture comme celle-ci viendra très probablement handicaper les autres moyens de la Marine Nationale, notamment son groupe d’assaut amphibie, celui-ci ne disposant pas de la même priorisation de moyens que le groupe aéronaval.
Pour assumer une capacité de réponse à hauteur de 80%, il serait donc indispensable de doter la Marine Nationale d’un second groupe aéronaval, c’est à dire un porte-avions ainsi qu’une vingtaine de chasseurs embarqués supplémentaires, comme c’était le cas dans les années 70 et 80 avec les porte-avions Foch et Clémenceau, ainsi que deux flottilles de chasse supplémentaires.
Bien évidemment, dans le cadre de l’OTAN, cette limite est prise en compte, et assumée conjointement par l’alliance avec la rotation des moyens européens, notamment les deux porte-avions britanniques HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales, les deux porte-aéronefs italiens Cavour et Trieste, et le porte-aéronefs espagnol Juan Carlos I.
Toutefois, la prise d’alerte effectuée par le Charles de Gaulle dans ce cadre, va consommer la presque totalité du potentiel opérationnel du navire et de son groupe aérien embarqué, ne laissant presque aucune latitude à la France d’employer ces moyens pourtant exceptionnels en dehors de ce cadre stricte.
Armée de l’Air et de l’Espace : Déployer une escadre de 40 chasseurs
Si l’Armée de Terre et la Marine Nationale vont rencontrer d’immenses difficultés pour soutenir le contrat opérationnel défini par Sebastien Lecornu au delà d’un déploiement initial déjà sous conditions, les objectifs assignés à l’Armée de l’Air et de l’espace, quant à eux, semblent inaccessibles même en première intention.
Rappelons en effet que la LPM 2024-2030 entérine un format à 185 avions de chasse pour cette force, avec le retrait programmé des Mirage 2000-5 et d’une partie des Mirage 2000D, et une trajectoire ne permettant pas de maintenir le format actuel de 210 appareils par la livraison de Rafale B et C.
Or, ce format de 185 chasseur, avait été défini dans le Livre Blanc Défense de 2013, de sorte à garantir la posture de la composante aérienne de la dissuasion forte de deux escadrilles, la permanence opérationnelle pour assurer la protection du ciel français, la maintenance et la modernisation des aéronefs, ainsi que l’entraînement des équipages, tout en garantissant la possibilité à l’État-major de déployer de manière soutenue dans le temps, 15 chasseurs en opérations extérieures.
En effet, la maintenance et les phases de modernisation immobilisent en moyenne un tiers du parc de sorte à maintenir les performances de la flotte et de régénérer son potentiel de vol, alors que les appareils déployés en opération extérieure tendent à consommer leur potentiel 3 fois plus rapidement que les appareils employés pour l’entrainement et la formation.
Ceci posé, l’objectif de déployer 40 avions de combat à la demande de l’OTAN, semble parfaitement inaccessible à l’Armée de l’Air et de l’Espace, qui devrait dès lors non seulement stopper toutes les missions non indispensables, notamment de formation et l’entraînement des équipages, mais également employer pour ce déploiement des appareils au potentiel de vol partiellement consommé, et donc ne disposer d’une flotte n’ayant qu’un potentiel moitié moins élevé que celui des appareils déployés en Opex jusque là.
En outre, le potentiel de rotation des appareils, notamment ceux ayant consommé le précieux potentiel de vol, restera identique à précédemment, c’est à dire à hauteur de 15 appareils tous les 4 mois.
Dit autrement, en déployant 40 appareils à la demande, l’Armée de l’Air ne pourra assumer un tel format que 2 mois pour une activité comparable à celle constatée en opération extérieure, et ce sans prendre en considération la réalité d’une utilisation opérationnelle au combat face à un adversaire comme la Russie.
Conclusion
On le voit, il existe une grande différence entre le contrat opérationnel présenté par Sebastien Lecornu, et la réalité de ce que les Armées françaises seront en mesure de soutenir au delà d’un premier déploiement, par ailleurs probablement optimiste.
Pour respecter ces engagements, il serait probablement nécessaire à l’Armée de Terre de se doter de 2 ou 3 brigades supplémentaires, idéalement mécanisées et spécialisées pour un emploi dans un engagement de haute intensité; à la Marine de constituer un second groupe aéronaval et notamment de se doter d’un second porte-avions; et à l’Armée de l’Air et de l’Espace de disposer d’au mois 260 à 280 avions de chasse, ou éventuellement de 220 avions de chasse et 60 à 80 drones de combat.
Pour autant, tout indique que les objectifs présentés par le Ministre des Armées ne reflètent pas la réalité des capacités opérationnelles des armées françaises en devenir, et ce en dépit de l’effort consenti par la prochaine Loi de Programmation Militaire. La question est donc de savoir quel sera l’objectif prioritaire pour la France, entre respecter ses engagements en matière de défense, et produire les efforts nécessaires, et probablement douloureux, pour y parvenir ?