Mais la nouvelle version du Rafale, désignée F5, qui doit entrer en service à partir de 2030, pourrait bien profondément changer le rapport de force opérationnel et commercial entre ces deux appareils pour les années et décennies à venir. Dans la première partie de cet article, nous avons étudié deux critères de cette évolution, la transformation du Rafale en Système de combat aérien avec la version F5 d’une part, et l’arrivée des drones de combat Neuron et Remote Carrier de l’autre, venant gommer les atouts du F-35A tout en exacerbant ceux du chasseur français.
Dans cette seconde partie, nous aborderons 3 autres domaines majeurs venant infléchir ce rapport de force : les nouvelles capacités et les nouvelles munitions du Rafale F5; l’apparition du Club Rafale et l’émergence d’une nouvelle stratégie commerciale et industrielle française, et enfin l’influence de la hausse des couts de possession du F-35 sur les compétions à venir.
3- Les nouvelles capacités et de nouvelles munitions du Rafale F5
Outre les drones eux-mêmes, le Rafale F5 sera doté de nouvelles munitions et de nouvelles capacités, qui lui permettront de combler certaines faiblesses relatives vis-à-vis du F-35. C’est notamment le cas dans le domaine de la suppression des défenses anti-aériennes adverses, à laquelle il est commun de faire référence par l’acronyme SEAD qui, comme nous nous en étions plusieurs fois fait l’écho depuis 2018, représentait un manque important dans la panoplie opérationnelle du Rafale jusqu’ici.
Si la composition de cette capacité dont sera doté le Rafale F5 n’a pas encore été officiellement présentée, on peut supposer qu’elle reposera sur l’utilisation conjointe de brouilleurs radar venant s’ajouter aux systèmes d’autodéfense de l’appareil, pour lui donner la possibilité d’englober d’autres appareils dans sa bulle de protection, ainsi qu’une ou plusieurs munitions anti-radiations, conçues pour remonter le faisceau radar de l’adversaire pour venir le détruire.
Le FMC doit remplacer le missile croisière SCALP qui équipe les Rafale de l’Armée de l’Air et de l’espace et de l’Aéronautique navale aujourd’hui
Le Rafale F5 sera également conçu pour mettre en oeuvre les nouveaux missiles franco-britanniques FMC (Futur Missile de Croisière) et FMAN (Futur Missile Anti-Navire) qui devront respectivement remplacer les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow d’une part, et AM39 Exocet de l’autre.
Ces deux munitions de précision à longue portée en cours de conception, seront dotées de caractéristiques évoluées, comme la furtivité ou une vitesse hypersonique, pour défier les systèmes de défense anti-aériens modernes comme des systèmes de brouillage et de leurrage, et conféreront à l’appareil des capacités de frappe à longue distance très avancées dans les décennies à venir.
L’appareil se verra également doté d’un pod fusionnant les capacités des nacelles de désignation de cible Talios et de la nacelle de reconnaissance RECO NG en un unique équipement, conférant au chasseur une vision tactique air-sol, air-surface et même air-air d’une grande précision, et ainsi de multiples options opérationnelles tout en restant en mode non-émitif.
Enfin, le Rafale F5 sera conçu pour mettre en œuvre le nouveau missile de croisière hypersonique ASN4G à charge nucléaire, qui doit remplacer l’ASMPA au sein des deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace et des flottilles de la Marine nationale formant la composante aérienne de la dissuasion française. Toutefois, cette capacité, bien que critique pour la défense française, n’aura probablement que très peu d’influence sur le marché international.
La BAT-120LG est une bombe légère planante de précision adaptée aux théâtres de moindre intensité pour éviter les dégâts collatéraux, mais également aux engagements de haute intensité pour saturer les défenses adverses
D’autres munitions et capacités pourraient être intégrées au Rafale F5 d’ici 2030. On pense notamment à des munitions air-sol de précision légères comme la BAT-120 LG de Thales, ainsi que des munitions rôdeuses à moyenne portée, d’autant que ces armes légères trouveraient naturellement leur place à bord des drones de combat épaulant l’appareil, y compris des Remote Carrier. En outre, il bénéficiera de l’arsenal actuel du Rafale F4, à savoir les missiles air-air Meteor et MICA NG, ou encore des bombes planantes propulsées ASSM particulièrement efficaces.
Dès lors, en 2030, le Rafale F5 disposera d’une panoplie opérationnelle globale et très moderne, parfaitement à niveau voire supérieure en certains points de celle proposée par le F-35, privant ce dernier d’un des atouts clés sur lequel il battit son succès commercial.
L’arrivée du standard Rafale F5 pour 2030, comme annoncé par le Ministre des Armées, Sébastien Lecornu, dans le cadre de la LPM 2024-2030,va non seulement doter le chasseur de Dassault Aviation de nouvelles capacités, elle pourrait également profondément transformer le marché des avions de combat, y compris face à un Lockheed-Martin F-35 qui semble intouchable aujourd’hui.
Après presque une décennie de vaches maigres et de doutes, entre 2005 et 2015, le Rafale s’est imposé comme un des plus importants succès de l’industrie de défense française en matière d’exportation, alors que le nouveau standard Rafale F5 arrivera en 2030.
En effet, depuis la première commande de 24 Rafale F3 par l’Égypte en février 2015, le chasseur français a aligné les succès, au Qatar et Inde dans un premier temps, puis en Grèce, en Croatie, en Indonésie et bien évidemment aux Émirats Arabes Unis, les 80 Rafale F4 commandés par Abu Dhabi pour 14 Md€ étant le plus important contrat à l’exportation jamais signé par la BITD française.
De fait, avec 284 livrés, commandés ou sous engagement pour l’exportation d’une part, et 225 chasseurs devant armer à terme les forces aériennes françaises de l’Armée de l’Air et de l’Espace et de l’aéronautique Navale, le Rafale est aujourd’hui un succès colossal pour Dassault Aviation et l’ensemble de la team Rafale, ce d’autant que d’autres contrats à l’exportation sont attendus dans les mois à venir, peut-être avec des annonces lors du prochain salon du Bourget.
Il faut dire que le Rafale ne manque pas d’arguments à faire valoir. Très équilibré, offrant une polyvalence rare, et des performances aéronautiques appréciées, l’appareil dispose également d’une électronique embarquée moderne et performante, et d’un ensemble de munitions et autres systèmes embarqués en faisant l’un des meilleurs chasseurs du moment, et ce, dans tous les domaines.
Le F-35 s’est imposé comme le standard de fait de l’OTAN, aussi bien au sein des forces aériennes américaines qu’Européennes.
En dépit de ces atouts indiscutables, le Rafale n’est jamais parvenu à s’imposer face au F-35A de l’Américain Lockheed-Martin, que ce soit lors des compétitions européennes (Pays-Bas, Suisse, Finlande, Belgique …) ou asiatiques (Corée du Sud, Singapour).
Il faut dire que le Lightning II dispose de nombreux arguments à faire valoir au-delà du seul soutien du Pentagone et du Département d’État américain, arguments suffisamment différenciés pour justifier, au moins du point de vue du discours, d’une génération d’écart avec ses principaux concurrents européens comme le Gripen E/F suédois, le Typhoon et le Rafale français.
Et de fait, le F-35A (et parfois B) s’est systématiquement imposé partout où l’appareil était proposé, et est même au cœur d’une certaine rupture de ban de la part d’alliés des États-Unis s’étant vus refuser l’appareil, comme l’Arabie Saoudite et la Thaïlande.
Mais les choses pourraient bien changer dans les années, voire dans les mois à venir. En effet, à l’occasion des débats parlementaires autour de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le Ministère des Armées a tracé une trajectoire pour l’avion français très ambitieuse, parfois même révolutionnaire vis-à-vis des us français ces dernières années, et susceptible de profondément faire évoluer le positionnement relatif du Rafale sur la scène internationale, en particulier face au F-35 américain.
La Loi de Programmation militaire a été votée par l’Assemblée Nationale par 408 voix contre 87
De fait, d’ici, le Rafale F5, épaulé de drones Neuron et évoluant dans un techno-système international articulé autour du « Club Rafale », aura 5 atouts à mettre en avant pour s’imposer face au chasseur de Lockheed, étudiés dans cet article en deux parties.
1- Le Rafale F5 sera-t-il premier Système de Combat aérien opérationnel sur le marché international ?
Jusqu’à l’arrivée des commandes de vol électriques, la mission principale du pilote était de piloter l’appareil, c’est-à-dire de le garder dans son domaine de vol, tout en effectuant les tâches et remplissant au mieux les missions confiées. Avec l’arrivée des commandes de vol électrique, avec le F-16 ou le Mirage 2000, le pilotage fut confié à l’appareil lui-même, le pilote (ou l’équipage) étant alors en charge de la trajectoire, du combat et de la conduite de mission au sens plus étendu.
Avec la modernisation des systèmes embarqués, de plus en plus de tâches ont été confiées à l’avion lui-même. De fait, à bord d’un Rafale F3R, le pilotage et le contrôle de la trajectoire de vol ne représentent qu’une infime partie de la charge de travail dans le cockpit.
Le cockpit full glass du F-35 contribue à donner à l’appareil une stature futuriste très séduisante pour les décideurs occidentaux
C’est dans ce domaine que le F-35 dispose d’un des arguments contre les Rafale, Typhoon ou Gripen aujourd’hui. En effet, l’avion Lockheed-Martin prend non seulement en charge le pilotage, mais aussi une grande partie de la mission de combat, le pilote ayant pour fonction de déterminer la meilleure conduite à tenir pour mener la mission et répondre à l’environnement.
De fait, l’efficacité du F-35 dépend beaucoup moins de l’aguerrissement de l’équipage que pour les autres appareils, ce qui est censé simplifier les procédures et même les exigences de recrutement, formation et entrainement des équipages, tout en améliorant les capacités opérationnelles finales. Cet argument a notamment fait mouche en Suisse, un pays dont la Défense fait face à d’importantes difficultés pour maintenir le niveau d’entrainement de ses équipages.
Le Rafale F5, lui, évoluera à un tout autre niveau. En effet, il sera, à l’instar du programme SCAF rassemblant l’Allemagne, l’Espagne et la France, un Système de Combat Aérien, basé sur un système de systèmes, et non un avion de combat faisant office de vecteur principal de ses moyens mis en œuvre, comme c’est encore le cas du Rafale F4.
Le programme SCAF européen devait être le premier système de combat aérien de 6ᵉ génération sur le vieux continent. Il se pourrait que le Rafale F5 lui vole ce titre.
Pour y parvenir, le Rafale F5 va être doté de drones de combat intégrés à son propre système, Neuron et Remote Carrier, chaque drone ayant un niveau d’autonomie comparable à celui du F35 aujourd’hui, et contrôlé par le Rafale lui-même, l’équipage ayant pour fonction de coordonner et optimiser l’efficacité de ce système de systèmes.
De fait, si le F-35A est, pour ainsi dire, l’archétype de ladite 5ᵉ génération d’avion de combat, le Rafale F5 sera l’un des premiers représentant de la 6ᵉ génération, qui se caractérise précisément par cette nouvelle architecture.
Et si l’US Air Force a effectivement annoncé qu’elle entendait doter 300 de ses F-35A de drones de combat, à l’instar du Rafale F5 épaulé du Neuron et des Remote Carrier, tout indique à ce jour que ces drones de type Loyal Wingam attachés au programme NGAD, ne seront pas, au moins pour un temps, proposés sur la scène internationale.
Même si le F-35 venait à se voir doter de drones de type Loyal Wingman, ses avantages relatifs liés à la 5ᵉ génération, comme la furtivité et la fusion de données, auront été gommés ou amoindris dans l’effort pour intégrer la 6ᵉ génération, alors que le Rafale, lui, pourra s’appuyer sur des exigences beaucoup plus caractéristiques de cette nouvelle génération, notamment en termes de capacité d’emport et d’autonomie.
2- Neuron, Remote Carrier : une gamme complète de drones de combat et d’appui
Car le Rafale F5 ne sera pas qu’un avion, mais en techno-système opérationnel étendu et complet, s’appuyant notamment sur deux types de drones de combat, voire trois en y intégrant le RPAS Mâle européen. Ainsi, dans un amendement présenté lors du vote de la LPM 2024-2030, le Ministère des Armées a précisé que conjointement au Rafale F5 serait développé un drone de combat dérivé du programme de démonstrateur Neuron. Il s’agira, de toute évidence, d’un effort visant à développer un drone ailier, à l’instar de ceux développés aux États-Unis dans le cadre du programme NGAD, en Australie avec le MQ-29 Ghost Bat ou en Russie avec le S-70 Okhotnik-B.
Conçu pour être particulièrement furtif tant sur le spectre électromagnétique qu’infrarouge, le Neuron représente en effet une base de travail particulièrement adaptée pour développer un drone de combat ailier capable d’accompagner et d’étendre les capacités opérationnelles du chasseur, en transportant et mettant en œuvre ses propres senseurs (radar, infrarouge, optronique…) ainsi que ses propres munitions, le démonstrateur disposant à ce titre d’une soute à munition capable d’accueillir 2 bombes de 250 kg.
Dassault va developper un drone de combat dérivé du Neuron pour assurer la fonction d’ailier des Rafale F5
Il est probable que le drone de combat qui sera développé d’ici à 2030, sera relativement différent du démonstrateur Neuron, notamment pour pouvoir accueillir et mettre en œuvre des senseurs et armements plus étendus, mais également pour s’intégrer pleinement et efficacement au système de systèmes du Rafale F5.
On ignore à ce jour si le drone résultant sera développé pour pouvoir être mis en œuvre à bord du PAN Charles de Gaulle et de son successeur, ce qui représenterait un avantage significatif, surtout si, comme le Rafale, le drone est capable d’employer un Skijump.
Si le développement du « Neuron » interviendra dans le cadre du Rafale F5, les industriels français, notamment MBDA, sont également engagés dans le développement d’une autre famille de drones de combat, en l’occurrence les Remote Carrier du programme SCAF.
La version lourde de cette famille de drones de combat aéroportés est développée par Airbus DS. La version légère, pouvant être mise en œuvre à partir d’un chasseur et non d’un appareil lourd de type A400M, est, quant à elle, développée par MBDA France, et trouvera toute sa place au sein du Système de Combat Aérien Rafale, qui mériterait probablement de s’appeler SCAR plutôt que Rafale F5 pour en marquer le caractère disruptif.
Les Remote Carrier du programme SCAF sont, eux aussi, supposés entrer en service en 2030, et pourraient donc très probablement s’inviter bientôt à bord du Rafale F5
Or, selon les informations distillées jusqu’à présent au sujet du pilier Remote Carrier du programme SCAF, les premiers RC devaient justement entrer en service, tant à bord et au profit des Rafale français que des Typhoon allemands et espagnols, au début des années 2030, c’est-à-dire sur la même échéance que celle annoncée par le Ministère pour le Rafale F5 et le Neuron.
En disposant simultanément d’un drone de type Loyal Wingman, très furtif et potentiellement embarqué, ainsi que de drones de combat légers de type Remote Carrier, le Rafale F5 proposera alors un environnement opérationnel et technologique entièrement renouvelé et probablement unique sur la scène internationale.
Bien qu’admis officiellement au service en juin 2022, le sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] Suffren, premier d’une série qui comptera six unités, ne dispose pas encore de toutes les capacités pour lesquelles il a été conçu : il lui manque en effet celle devant lui permettre de déployer des commandos via le Propulseur sous-marin de 3e génération [PSM3G], grâce à un hangar de pont amovible [encore appelé Dry Dock Shelter, ou DDS] placé derrière son kiosque.
Confidentialité des opérations spéciales oblige, les détails sur ce nouveau matériel sont rares. On sait seulement qu’il est produit par Exail [ex-ECA Group], dans le cadre d’une collaboration avec le Commando Hubert, et qu’il peut emporter une dizaine de nageurs de combat. « C’est un véritable outil anti-déni d’accès. […] Il y a très peu de nations qui possédent ce type de vecteur et maîtrisent la capacité globale du triptyque PSM-DDS-SNA. Les capacités opérationnelles du PSM3G sont révolutionnaires par rapport à l’actuel PSM2G », explique seulement la Marine nationale.
Cela étant, pour le moment, le Suffren n’est pas en mesure de mettre en oeuvre ce PSM3G en opération [ni même éventuellement des drones, ndlr] étant donné que son hangar de pont n’a pas encore été qualifié par la Direction générale de l’armement [DGA]. Mais ce ne serait qu’une question de temps.
En effet, selon le dernier numéro du magazine RAIDS, le Suffren a entamé une campagne d’essais avec son hangar de pont amovible en juin dernier. L’un des enjeux est de voir dans quelle mesure sa présence dégrade ses performances.
« Les essais menés sur le Suffren […] doivent permettre d’aboutir à la mise en service du DDS, dont la présence sur le pont du sous-marin dégrade légèrement les performances, dans une mesure qui n’est pas connue », écrit en effet RAIDS.
Au passage, on apprend que le PSM3G a été utilisé par le commando Hubert lors de la phase 4 de l’exercice interarmées et interalliés Orion… mais depuis un navire de surface.
Avec l’épisode de l’annulation du contrat de sous-marins à propulsion conventionnelle Shortfin Barracuda par l’Australie au profit de sous-marins à propulsion nucléaire américano-britanniques, les sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire ont connu, ces derniers mois, une sur-exposition médiatique relativement antinomique avec la mission par nature discrète de ces Léviathans océaniques qui constituent, aujourd’hui encore, parmi les constructions humaines les plus complexes jamais réalisées.
Aussi rapides que furtifs, les sous-marins nucléaires d’attaque oui SNA, dont les missions passent de la collecte de renseignement à la lutte anti-surface, mais également à la chasse des autres sous-marins, sont aujourd’hui l’apanage des marines des cinq grandes puissances nucléaires mondiales membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui se livrent une compétition féroce pour prendre l’avantage sur les autres dans ce domaine.
Dans cette synthèse, nous étudierons les cinq classes de sous-marins nucléaires d’attaque actuellement en production dans le Monde, pour en comprendre les atouts et les spécificités propres, et ainsi percevoir la lutte que se livrent, sous les océans, les grandes puissances mondiales dans ce domaine de très haute technologie.
Chine : sous-marins nucléaires d’attaque Type 09-IIIG classe Shang
Si la construction navale et sous-marine chinoise a fait des progrès fulgurants ces 30 dernières années, avec l’arrivée de navires très performants comme les croiseurs Type 055 ou les LHD Type 075, Pékin a longtemps eu la réputation de ne produire que des sous-marins de qualité médiocre au regard des standards occidentaux ou russes.
Cette mauvaise réputation a en partie été balayée par l’arrivée des sous-marins à propulsion anaérobie Type 039 des classes Song et Yuan, des navires ayant fait la démonstration de leur discrétion acoustique et de l’efficacité de leur système propulsif.
Toutefois, dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire, la production chinoise reste aujourd’hui encore en retrait vis-à-vis des navires de même type américains, russes ou français, même si les SNA de la classe Shang ont montré de réelles avancées dans le domaine.
Les SNA de la classe Shang sont les premiers sous-marins nucléaires chinoise à atteindre un niveau de qualité proche de celui des autres grandes marines mondiales
Héritiers des premiers Type 09-I de la classe Han, entrés en service au milieu des années 70 et réputés peu performants et particulièrement bruyants, les 3 premiers sous-marins de la classe Shang type 09-III sont entrés en service au début des années 2000, alors que les 3 unités suivantes de la classe Type 09-IIIG améliorée ont, quant à eux, été livrés à la Marine chinoise au cours des années 2010.
Longs de 110 mètres pour un déplacement en submersion de 7.000 tonnes, les Shang et les Shang-G améliorés, ont corrigé une partie des défauts rédhibitoires des Han de première génération, avec notamment deux réacteurs à eau pressurisée de nouvelle génération et une hélice optimisée pour réduire la signature acoustique du navire.
Selon certains spécialistes, les Shang ont désormais une signature acoustique comparable à celle des SNA de la classe Los Angeles ou Akula entrés en service dans les années 80 aux États-Unis et en Union Soviétique, avec un rayonnement sonore inférieur à 110 dB. En outre, le Shang disposerait d’une suite sonar performante en faisant un adversaire parfaitement capable aussi bien dans les missions de lutte anti-sous-marine que dans la lutte anti-surface.
Lancée à partir de 2012, la version modernisée Type 09-IIIG dispose de silos verticaux accueillant 12 missiles de croisière CJ-10 d’une portée estimée à plus de 1.500 km, permettant au navire d’évoluer simultanément dans la classe des sous-marins nucléaires d’attaque et des sous-marins nucléaires lance-missiles de croisière, ou SSGN, à laquelle appartiennent également les Iassen russes et les Virginia de l’US Navy.
La production de Shang est aujourd’hui arrêtée, alors que les chantiers navals chinois semblent se concentrer sur la construction de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Type 09-IV, ainsi que sur la nouvelle classe de SNA désignée Type 09-V, un navire plus imposant, plus discret et mieux armé qui a pour ambition d’être à niveau des productions actuelles en occident et en Russie, avec une signature acoustique largement réduite vis-à-vis des navires de génération précédente.
Toutefois, pour l’heure, aucune information fiable n’a été communiquée concernant cette future classe de SNA chinois, ni sur le calendrier et les performances réelles de ce programme.
États-Unis : SNA classe Virginia
Au début des années 1990, l’US Navy entrepris de développer le remplaçant de l’excellent SNA classe Los Angeles qui joua un rôle déterminant durant la fin de la Guerre froide pour prendre l’ascendant sur les meilleurs submersibles soviétiques comme les Viktor III, les Alpha et les Akula. Initialement, celle-ci développa la classe Sea Wolf, un SNA à hautes performances conçu pour les missions de lutte anti-sous-marine, ou Hunter-Killer.
Mais le prix unitaire de ces navires, 2,8 Md$ au début des années 90, et la disparition de la menace soviétique, amenèrent rapidement les officiels américains à mettre au fin au programme Sea Wolf au bout de seulement 3 unités, pour se tourner vers un sous-marins plus économique et plus polyvalent, la classe Virginia.
Long de 115 mètres pour un déplacement en plongée de 7.900 tonnes, le Virginia est depuis le remplaçant désigné des Los Angeles de l’US Navy, avec 19 navires en service sur les 66 initialement prévus, pour une production finale aujourd’hui visant les 35 exemplaires.
Moins rapide que le Seawolf avec une vitesse de pointe de seulement 25 noeuds contre 35 pour son ainé, le Virginia est cependant bien plus versatile, notamment avec ses 12 silos verticaux embarquant autant de missiles de croisière Tomahawks.
L’US Navy vise à disposer de 66 SNA à horizon 2035 dont 35 navires de la classe Virginia
À l’instar des destroyers Arleigh Burke, les Virginia sont produits par block de version, ou Flight, chacun recevant des améliorations itératives vis-à-vis des précédents, tant en matière d’équipements et de performances que de méthode de construction. Ainsi, les couts de production par navire ont été abaissés de 400 m$ entre les 4 premières unités du block I et les six suivantes du block II.
Les 10 navires du Flight III dont la construction débuta en 2009 reçurent pour leur part une suite sonar améliorée, alors que les besoins de maintenance des navires du block IV furent réduits de 25% vis-à-vis des blocks précédents. La construction des deux premiers navires du block V, le plus moderne, débuta en 2019.
Ces nouvelles unités recevront notamment un nouveau système modulaire d’armement permettant de porter le nombre de missiles BGM-109 à 28 exemplaires, contre 12 pour les versions précédentes, entrainant un accroissement de la longueur des navires à 140 mètres, et du déplacement en plongée à 10.200 tonnes.
Bien que réputés très discrets et efficaces, les Virginia restent des sous-marins polyvalents ne répondant pas aux besoins émergents de l’US Navy pour traiter la menace des nouveaux submersibles chinois et surtout russes, comme les nouveaux 885M Iassen.
De fait, un nouveau programme a été lancé, désigné pour l’heure SSN(x), pour but de concevoir un sous-marin reprenant la spécialisation Hunter-Killer des SeaWolf, et devant prendre le relais de la production de Virginia à partir de 2033, date de la livraison du dernier de ces sous-marins.
Même si, avec une longueur de 99,5 mètres et un déplacement en plongée de 5,300 tonnes, ils sont presque deux fois plus imposants que leurs prédécesseurs, ils restent très en deçà des dimensions des navires russes, chinois, américains ou britanniques.
Pour autant, les Suffren sont des SNA très évolués et performants, capables de rivaliser dans tous les domaines avec les autres sous-marins du moment, que ce soit en discrétion grâce notamment à une hélice carénée de type Pump-Jet permettant au navire d’évoluer à vitesse élevée tout en restant discret, à une suite sonar UMS-3000 de Thales très performante, et à sa capacité de mettre en œuvre de nombreux armements y compris le missile de croisière MdCN, bien que le navire soit dépourvu de systèmes de lancement verticaux.
L’arrivée du Suffren au sein de la Marine Nationale marque une profonde évolution capacitaire
Le Suffren, première unité de la classe éponyme, a été livré à la Marine Nationale en novembre 2020, et devrait rejoindre le service actif au début de l’année 2022. La seconde unité, le Duguay-trouin, entrera en service en 2023, alors que les 4 dernières unités de la classe seront livrées progressivement d’ici à 2030 à la Marine Nationale pour remplacer ses derniers sous-marins de la classe Rubis.
Au-delà des performances et de la discrétion de ces submersibles, la construction de la classe Suffren aura également été particulièrement économique, avec un budget de conception de seulement 5 Md€, et une enveloppe globale de 7,9 Md€ pour la construction des 6 submersibles, moitié moins onéreuse que pour les modèles américains ou britanniques.
Contrairement aux sous-marins américains, britanniques ou russes, les SNA français de la classe Suffren sont propulsés par un réacteur à eau pressurisé K15 employant du combustible nucléaire faiblement enrichi à seulement 6,5%, soit très en deçà du seuil de 20% d’enrichissement employé par la législation internationale pour définir du combustible nucléaire de qualité militaire.
À titre de comparaison, les Virginia américains comme les Astute britanniques emploient, pour leur part, du combustible enrichi à 97%, soit le même que celui utilisé par les bombes nucléaires de très forte puissance. De fait, les Suffren sont aujourd’hui des navires pouvant plus aisément être exportés que leurs homologues américains et britanniques dans le respect de la législation internationale, raison pour laquelle plusieurs pays s’intéressent à cette possibilité.
Il est cependant nécessaire, du fait de cette technologie, de recharger tous les dix ans le combustible nucléaire à bord de ces sous-marins, contrairement aux navires britanniques et US qui eux sont conçus pour durer 30 à 35 ans avec une seule charge de carburant.
Jusqu’à l’entrée en service du Suffren, les sous-marins nucléaires d’attaque britanniques de la classe Astute étaient universellement reconnus comme les plus discrets des SNA de la planète, et en bien des aspects, les plus performants.
Longs de 97,5 mètres pour un tonnage en plongée de 7.800 tonnes, les Astute ont été conçus avant tout pour la même mission que les Seawolf, à savoir la chasse aux sous-marins adverses, et disposent de performances adaptées pour cette mission, notamment une vitesse maximale en plongée de plus de 30 nœuds.
À l’instar des Suffren français, l’Astute ne dispose pas de VLS pour lancer des missiles de croisière, mais il peut mettre en œuvre le missile BGM-109 Tomahawks par ses tubes lance-torpille. Il dispose en outre d’une vaste soute d’armement permettant d’accueillir 38 torpilles lourdes Spearfish et missiles de croisière Tomahawk, soit 13 de plus que ne peut accueillir son homologue français. Enfin, il dispose d’une suite sonar très évoluée, et d’un pump-jet pour les déplacements rapides et discrets.
Jusqu’à l’entrée en service du Suffren, les SNA de la classe Astute étaient incontestablement considérés comme les navires de ce type les plus performants du moment
Si les Astute sont incontestablement des navires de hautes performances, et des Hunter-killer très capables, leur mise au point connut de nombreuses difficultés et délais nécessitant même l’intervention de l’industrie américaine pour résoudre certains points techniques bloquant outre-manche. Ces délais ont par ailleurs engendré d’importants surcouts dans le programme, les trois premiers navires ayant vu l’enveloppe budgétaire initialement prévue croitre de plus de 50%.
Au final, chaque Astute aura couté 35% de plus aux contribuables britanniques que les Suffren aux contribuables français. Le programme se sera lui étalé sur plus de 26 ans entre la découpe de la première tôle en 2001 et l’entrée en service du dernier des 7 navires prévue pour 2026. Il n’en demeure pas moins que les Astute ont montré de grandes capacités opérationnelles lors des exercices auxquels ils ont participé depuis leur entrée en service en 2014, prenant même l’ascendant sur le Virginia américain.
Russie : SNA projet 885/M Iassen
En de nombreux aspects, les sous-marins de la classe Iassen et leur évolution Iassen-M sont des navires de tous les records. Ce sont notamment les plus imposants des submersibles de ce panel, avec une longueur de 130 mètres et un déplacement de 13.800 tonnes en plongée, ainsi que ceux qui emportent la plus grande puissance de feu, avec 32 missiles antinavires supersoniques P800 onyx ou de missiles de croisière Kalibr mis en œuvre par autant de silos verticaux, en plus des torpilles lourdes mises en œuvre par les 4 tubes lance-torpilles du navire.
C’est enfin le navire dont la construction initiale aura pris le plus de temps, puisqu’il fallut pas moins de 20 ans de décembre 1993 à décembre 2013 pour livrer la première unité de la classe, le Severodvinsk.
Il est vrai que les chantiers navals russes avaient fortement soufferts de l’effondrement du bloc soviétique, et que l’immense majorité des programmes navals du pays connurent des allongements de délais très importants jusqu’à ce que les investissements d’état ne reprennent à partir de 2008, puis ne s’accélèrent en 2012.
Et s’il fallut 20 ans pour terminer le Severodvinsk, il n’aura fallu que 8 ans de 2014 à 2022 pour livrer le Krasnodar, 4ᵉ unité de la classe et 3ᵉ navire de la version modernisée 885-M apparue avec le Kazan livré en 2021.
alliant une grande puissance de feu, des performances élevées et une importante discrétion, les Iassen-M russes posent une réelle menace aux flottes occidentales.
En effet, non seulement les Iassen-M sont-ils dotés d’une grande puissance de feu, mais ils sont également très discrets, à niveau des meilleurs sous-marins occidentaux comme le Virginia selon l’US Navy, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes aux marines occidentales et européennes qui devront potentiellement y faire face.
En outre, au-delà des missiles de croisière Kalibr et des missiles antinavires supersoniques P800 Onyx déjà susceptibles de poser d’importantes difficultés aux escorteurs de l’OTAN, les Iassen pourront, selon les dires des ingénieurs russes, mettre en œuvre le nouveau missile hypersonique 3M22 Tzirkon, renforçant la menace que chacun de ces navires peut faire peser sur la flotte occidentale, et ce, d’autant qu’ils peuvent soutenir une vitesse élevée tout en restant discret.
À mi-chemin entre la classification de SNA (sous-marin nucléaire d’attaque) et de SSGN (sous-marin nucléaire lance-missiles de croisière), le Severodvinsk et les 9 Iassen-M qui le suivent et qui seront entrés en service avant la fin de la décennie, modifient profondément le rapport de force existant dans l’Atlantique Nord ainsi que dans le Pacifique, et offrent un puissant outil de contrôle naval à Moscou, alors que les tensions avec l’Europe et les États-Unis ne cessent de croitre.
Une nouvelle classe de sous-marins, la classe Laïka, serait en conception dans les bureaux d’étude Sevmash de Saint-Petersbourg, mais pour l’heure, bien peu d’informations fiables ont pu filtrer quant au devenir de cette classe destinée à remplacer la dizaine de SNA classe Akula encore en service.
Conclusion
Par leur discrétion, leur capacité à se déplacer à grande vitesse sur de très longue distance, et leur puissance de feu, les SNA modernes sont aujourd’hui incontestablement parmi les pièces maitresses que l’échiquier naval des grandes puissances mondiales, au même titre que les porte-avions. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que les cinq grandes puissances nucléaires mondiales ont toutes investi dans ce type de navire, et se livrent à une âpre compétition dans ce domaine en matière de capacités et de performances.
Pour certains d’entre elles, comme les États-Unis, le développement de cette composante est même jugé prioritaire à celui de la flotte de surface, tant elle offre des capacités propres à très forte valeur ajoutée. Rien d’étonnant non plus que plusieurs puissances navales en devenir, comme le Brésil, la Corée du Sud, l’Australie ou l’Inde, s’intéressent de près à cette technologie, et ce, en dépit des contraintes internationales et budgétaires qui entourent de tels programmes.
Pour autant, la suprématie du SNA dans le combat naval est aujourd’hui de plus en plus menacée par plusieurs programmes de recherche visant précisément à supprimer la cape de furtivité conférée à ces navires par l’océan. Ainsi, des équipes américaines comme chinoises développent aujourd’hui activement des détecteurs à Neutrino de plus en plus miniaturisés, susceptibles de capter les particules émises sous l’océan par un réacteur de sous-marin nucléaire fortement sollicité, comme c’est le cas d’un SNA à haute vitesse.
Les avancées enregistrées ces dernières années dans ce domaine, ainsi que dans d’autres technologies visant la détection de submersible, laissent envisager que dans un espace de temps inférieur à 20 ans, de tels dispositifs de détection pourraient effectivement embarquer à bord des navires de combat, et donc neutraliser le principal avantage du SNA, et même réduire l’invulnérabilité supposée des SNLE en charge de la dissuasion nucléaire.
On ne peut exclure, dans ces conditions, que les navires suprêmes que sont les sous-marins nucléaires d’attaque ne deviennent, d’ici à une à deux décennies, si pas obsolètes, en tout cas beaucoup moins performants qu’ils ne sont aujourd’hui.
C’est par un tweet enthousiaste que le député Renaissance de la deuxième circonscription du Finistère, Jean-Charles Larsonneur, a annoncé hier en soirée l’adoption par une majorité transpartisane d’un amendement à la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, pour qu’une étude approfondie soit menée durant la LPM, au sujet de la construction et mise en œuvre d’un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, alors que la première unité qui doit remplacer le PAN Charles de Gaulle en 2038.
Au delà du fait que le Parlement a joué, dans la conception de cette LPM, un rôle bien plus visible et bienvenu que lors des précédentes, l’annonce d’une étude formelle pour donner une vision claire de ce que pourrait faire, mais également de ce que couterait la construction et la mise en oeuvre d’un second porte-avions pour la France, est incontestablement une avancée notable sur un sujet qui, depuis jacques Chirac, n’a cessé d’être reporté par les président successif à la « prochaine mandature ».
Combien couterait un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération ?
Il est vrai qu’un porte-avions, qui plus est nucléaire, coute cher. Ainsi, l’enveloppe pour la conception et la construction du successeur du PAN Charles de Gaulle est officiellement fixée autour de 5 à 6 Md€, certains échos faisant même état de 8 Md€. En outre, au delà de la construction et de l’équipement du navire lui-même, il convient de lui conférer un équipage expérimenté, qui plus est intégrant une tranche nucléaire, ainsi qu’une escorte efficace et un groupe aérien dimensionné pour en exploiter le potentiel.
Ainsi, pour mettre en œuvre le Charles de Gaulle, la Marine Nationale met en œuvre un équipage de presque 2000 marins, officiers mariniers et officiers sur le navire, auxquels s’ajoutent quelques 500 militaires à bord de son escorte composée d’un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate anti-aérienne, deux frégates anti-sous-marines ainsi qu’un Bâtiment Ravitailleur de la Flotte (ou BRF) dans un déploiement classique.
Le groupe aérien, lui, se compose de 2 des 3 avions de guet aérien E2C Hawkeye, de 16 à 20 Rafale M sur les 40 en service au sein des 3 flottilles de l’aéronautique Navale, de quelques hélicoptères ainsi que du soutien d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2, sur la vingtaine en service aujourd’hui. Au total, donc, le Groupe aéronaval se compose de 6 navires, 25 aéronefs et 3500 militaires, soit l’équivalent de 3 régiments de l’Armée de Terre.
Le PAN Charles de Gaulle est en général accompagné d’une frégate anti-aérienne, de deux frégates anti-sous-marines, d’un bâtiment logistique ainsi que d’un Sous-marin nucléaire d’attaque et d’un avion de patrouille maritime
De fait, l’annonce de l’étude qui sera menée au cours de la prochaine LPM, a laissé perplexe de nombreux observateurs : la France aura-t-elle les moyens de financer la construction du navire et de son escorte ? la Marine Nationale pourra-t-elle doter les nouveaux navires et flottilles des personnels requis ? N’y aurait-il pas mieux à faire avec ce montant que de se doter d’un second Groupe Aéronaval ?
Quels atouts un second porte-avions nucléaire apporterait-il ?
Comme souvent, les questions, tout comme les réponses avancées, dépendent du point de vue pris par celui qui les pose, alors que les options sont nombreuses, tant du point de vue budgétaire que RH, pour y répondre dans les années à venir, selon les ambitions affichées.
Comme nous l’avons déjà montré, cette vulnérabilité n’est ni nouvelle, ni même supérieure à ce qu’elle fut dans les décennies passées, alors même que les porte-avions ont joué un rôle décisif dans le contrôle des océans et des conflits depuis la seconde guerre mondiale.
Nous ne reviendrons pas davantage sur le potentiel militaire unique du porte-avions dans le contexte opérationnel moderne, le navire étant le seul à pouvoir tout à la fois imposer une zone d’exclusion aérienne et navale sur un rayon de 1000 km voire au-delà, tout en menant des frappes soutenues dans la durée contre un adversaire ou en soutien de forces alliées. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes marines mondiales, y compris la Chine et la Russie qui pourtant se réclament à la pointe des armes hypersoniques, se dotent ou entendent se doter de cette capacité unique.
De fait, la France dispose déjà de cette capacité, et même d’une capacité partagée uniquement par l’US Navy, à savoir la mise en oeuvre d’un porte-avions doté de catapultes et de brins d’arrêt, permettant aux aéronefs mis en oeuvre de décoller à lourde charge en consommant peu de carburant, et donc de disposer d’une autonomie et d’une puissance de feu supérieures.
En outre, cette configuration autorise un plus grand nombre de manoeuvres aériennes chaque jour, ce qui multiplie de fait le potentiel opérationnel du bâtiment.
Le porte-avions chinois Type 003 de plus de 80.000 Fujian a été lancé le 17 juin 2022. C’est le premier porte-avions chinois à être doté de catapultes électromagnétiques, ici protégées par des infrastructures sur le pont)
Pour autant, avec un unique navire, la Marine Nationale ne peut garantir la présence à la mer du groupe aéronaval que 40% du temps, et une prise d’alerte de l’ordre de 60% du temps, le reste étant nécessaire à la maintenance du navire, et au repos et à l’entrainement de son équipage. On notera que la flotte de chasse embarquée française, avec 40 Rafale Marine et 3 E-2C Hawkeye, est également dimensionnée pour respecter ce contrat opérationnel, sans pouvoir aller au delà.
L’arrivée d’un second porte-avions nucléaire permettrait donc à la France de maintenir à la Mer un de ses deux navires autour de 60% du temps, et d’assurer une prise d’alerte de 100% du temps, tout en réduisant de 30% la pression opérationnelle sur les équipages et les deux navires vis-à-vis du Charles de Gaulle, permettant d’en améliorer l’entrainement, la maintenance et même la qualité de vie.
Surtout, en passant d’une prise d’alerte de 60% à 100%, le Groupe Aéronaval ouvrirait de toutes nouvelles perspectives opérationnelles à l’Etat-major français, y compris dans le domaine de la dissuasion, puisqu’il aurait, à tout moment, la garantie de pouvoir compter sur un Porte-avions et son escorte en cas de crise ou de conflit, et même de 2 porte-avions au besoin environs 30% du temps.
Doctrine et couts sont liés
C’est précisément le contrat opérationnel qui sera donné à ce Groupe Aéronaval qui déterminera grandement les couts de mise en œuvre d’un second porte-avions. Certes, les couts de la construction du navire, eux, seront fixes, même si le navire devait rester à quai faute d’équipage et d’avions.
Ils représentent, aujourd’hui, entre 4 et 5 Md€,dont 1 Md€ pour les seules systèmes de catapultes et brins d’arrêt électromagnétiques acquis auprès des États-Unis. Tout le reste, c’est à dire l’escorte, le groupe aérien embarqué, et même l’équipage, dépendra des choix opérationnels et politiques qui encadreront la mise en oeuvre de ce navire.
Le Groupe aérien du Charles de Gaulle se compose d’une vingtaine de Rafale M, de deux E-2C Hawkeye et de plusieurs hélicoptères dont les fameux « Pedro » en charge de repêcher les pilotes en cas d’accident
Ainsi, si la France veut se doter pleinement et de manière autonome d’un second groupe aéronaval, il conviendra non seulement de constituer un second équipage nucléaire de 2000 hommes et femmes pour armer le navire, mais également d’acquérir et d’armer 1 SNA, 3 frégates dont une anti-aérienne et d’un BRF supplémentaires, soit un surcout de construction d’environ 4 Md€, et un millier de marins supplémentaires pour armer les bâtiments, souvent en double équipage.
Il serait également indispensable de constituer deux flottilles de chasse embarquée supplémentaires, et donc d’acquérir environs 30 appareils, ainsi que 2 avions de guet aériens E-2D en plus des 3 delà commandés pour remplacer les Hawkeye du Charles de Gaulle.
Au total donc, une telle hypothèse devrait revenir à 13 ou 14 Md€ en acquisition, et à 400 m€ par an en couts de personnels. Et de rappeler qu’un tel montant permettrait à l’Armée de l’Air de constituer 3 escadrons de chasse supplémentaires et leurs appareils de soutien, ou à l’Armée de terre de se doter de 400 chars lourds et autant de véhicules de combat d’infanterie chenillés.
Il ne revient pas à cette analyse de déterminer quels investissements seraient les plus performants pour renforcer la défense et le rôle de la France sur la scène internationale. En revanche, il est indispensable de prendre en considération que cette approche ne représente qu’une hypothèse parmi d’autres quant à l’utilisation et donc au dimensionnement du second PANG.
Un second porte-avions permettrait de faire baisser la pression opérationnelle sur les équipage, tout en augmentant la disponibilité de la capacité aéronavale tant à la mer qu’à l’alerte.
Ainsi, il serait également possible de considérer que le second navire n’aurait pour seule fonction que de suppléer le premier lors de ses indisponibilités, ou d’en partager la charge. Présenté ainsi, les besoins en matière d’escorte supplémentaire seraient fortement réduits, voire inexistants, alors que les besoins concernant le dimensionnement du groupe aérien embarqué serait plus ou moins divisés par deux, ce qui en ramènerait les couts d’acquisition autour de 6,5 à 7 Md€, et les surcouts de fonctionnement à seulement 250 m€ par an.
Il serait même possible de réduire encore davantage ces couts, tout en augmentant la présence à la mer du second groupe aéronaval, en bâtissant une alliance opérationnelle pour sa mise en oeuvre avec d’autres pays européens susceptibles d’en fournir tout ou partie de l’escorte, une partie du groupe aérien embarqué, voire une partie de l’équipage. Des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique pourraient y voir un intérêt évident, et se laisser séduire par une telle approche.
Conclusion
On le comprend, dès lors, la construction d’un second porte-avions de nouvelle génération, ne doit en aucun cas être exclusivement considérée comme la reproduction à l’identique de la capacité et donc des couts engagés autours du remplaçant du Charles de Gaulle, mais plutôt comme un champs riche de possibilités et d’options, qui permettrait à la France et à l’Europe de se doter d’une capacité qui ne sera détenue, au delà de 2040, que par les Etats-Unis et la Chine, à savoir de disposer en permanence d’un groupe aéronaval avec en son centre un porte-avions nucléaire lourd doté de catapultes.
L’étude qui sera menée dans les années à venir, et qui ne manquera probablement d’explorer toutes ces options, permettra précisément d’y voir clair dans ce domaine, et donc donnera aux dirigeants comme aux parlementaires, les outils pour prendre une décision plus rationnelle que dogmatique.
La vice-amiral Nicolas Vaujour a été nommé chef d’état-major de la marine – Minarm
Le vice-amiral d’escadre Nicolas Vaujour a été nommé chef d’état-major de la marine. Il succède à l’amiral Pierre Vandier qui sera dès le 1er septembre major général des armées.
En parallèle du remaniement ministériel, l’état-major de la Marine (CEMM) change de tête. Vendredi, lors du conseil des ministres, la nomination du vice-amiral Nicolas Vaujour a été nommé chef d’état-major de la marine. Il succède à l’amiral Pierre Vandier qui a été nommé major général des armées (MGA).
La carrière militaire du vice-amiral Vaujour a démarré en 1989 avec son entrée à l’Ecole Navale. Elle s’est poursuivie sur le porte-hélicoptères Jeanne d’Arc, les frégates Ventose, De Grasse, Jean Bart et Cassard. En 2004 il prend le commandement de l’aviso Commandant Biro puis deux ans plus tard il rejoint le Collège interarmées de défense.
L’amiral Vandier devient numéro 2 des Armées
En 2011, il prend les fonctions d’adjoint de l’amiral commandant la force d’action navale puis prend le commandement de la frégate de défense aérienne Chevalier Paul en 2012.
Il est nommé en août 2017 adjoint au commandant de la Force aéromaritime de réaction rapide française. Promu vice-amiral en 2020, il est nommé en 2021 chef d’état-major « opérations » de l’état-major des armées, avec rang de vice-amiral d’escadre. Il sera élevé au grade d’amiral le 1er septembre 2023 date à laquelle il prendra sces nouvelles fonctions.
Son prédecesseur, l’amiral Vandier, a occupé le poste de CEMM durant trois ans. A compter du 1er septembre, il deviendra major général des armées, succédant au général d’armée aérienne Eric Autellet. Le MGA est l’adjoint du chef d’État-Major des armées, poste occupé par le général Thierry Burkhard (ancien chef d’État-Major de l’armée de Terre). C’est le deuxième militaire le plus gradé de l’armée française.
L’amirale Lisa Franchetti à la tête de l’US Navy
Hasard des calendriers militaires, l’amirale Lisa Franchetti a été proposée par Joe Biden vendredi pour prendre la tête des opérations navales, le plus haut poste au sein de la marine américaine. Cette nomination qui doit être confirmée par le Sénat est historique pour l’US Navy qui aura pour la première fois par une femme à sa tête. À ce titre, elle siégera également à l’état-major interarmées, ce qui sera là aussi une première.
L’amirale Lisa Franchetti est « la deuxième femme aux Etats-Unis à obtenir le rang d’amiral quatre étoiles », a fait valoir le président Biden dans un communiqué, en saluant son parcours. Elle qui a commandé un destroyer à missiles guidés, une escadrille de destroyers et deux groupes d’intervention de porte-avions.
Lors d’une cérémonie organisée le 18 juillet 2023 à Toulon, son port d’attache, le Jacques Chevallier, premier des quatre bâtiments ravitailleurs de force (BRF) du programme « Flotte Logistique » (FlotLog), a été réceptionné par la Direction générale de l’armement (DGA) pour être livré à la Marine nationale.
Lancé en 2019 et construit à Saint-Nazaire par Naval Group et Chantiers de l’Atlantique, le Jacques Chevallier avait rejoint son port d’attache à Toulon en mars 2023 pour y effectuer une campagne d’essais en mer dédiée au système de ravitaillement à la mer (fourni par Chantiers de l’Atlantique), et au système de combat et de communication (fourni par Naval Group).
Le bâtiment a terminé une première phase d’essais en mer avec succès et rejoint désormais la force d’action navale de la Marine nationale.
L’assemblage final du deuxième BRF, Jacques Stosskopf, va débuter à Saint-Nazaire en début d’année 2024, pour une livraison en 2025.
Dotés d’une plus grande capacité d’emport de fret et de carburant que leurs prédécesseurs, mais également de meilleures capacités tactiques, les BRF sont destinés à remplacer les pétroliers ravitailleurs actuels et soutiendront le groupe aéronaval, articulé autour du porte-avions, et les groupes d’action navals.
Un partenariat industriel européen stratégique au service de la Marine nationale
Le BRF Jacques Chevallier est le premier d’une série de quatre navires du programme FlotLog, dont la commande a été notifiée en janvier 2019 au Groupement Momentané d’Entreprises constitué par Chantiers de l’Atlantique et Naval Group. Le programme FlotLog est piloté par la DGA, en coopération avec l’Italie, dans le cadre d’un contrat porté par l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAR)
Naval Group et Chantiers de l’Atlantique conjuguent et démultiplient leurs compétences afin d’offrir le meilleur de chacune des deux sociétés dans la construction de ces nouveaux ravitailleurs. Chantiers de l’Atlantique assure l’ensemble de la conception et de la construction des quatre navires et est responsable de l’intégration et du montage des systèmes embarqués. Naval Group est chargé de concevoir, de développer, d’intégrer et de maintenir opérationnels les systèmes militaires du navire dont le système de combat et les systèmes concourant à la capacité d’accueil des aéronefs et d’embarquement des munitions. Le système de combat des quatre bâtiments permet notamment aux navires de se déployer en autonomie vers leur zone d’opérations, d’assurer la protection contre les menaces rapprochées et de mener la lutte contre les menaces asymétriques.
Caractéristiques techniques :
Déplacement à pleine charge : 31 000 tonnes ;
Longueur hors tout : 194 m ;
Largeur hors tout : 27,60 m ;
Logements : 200 personnes, dont 140 membres d’équipage et 60 passagers ;
Capacité d’emport de carburant : 13 000 m3 ;
Puissance totale installée : 24 MW.
Qui était Jacques Chevallier ?
Né le à Vendôme et mort le dans cette même ville, Jacques Chevallier était un ingénieur militaire du génie maritime et haut fonctionnaire de défense et de sécurité français. Spécialisé dans l’architecture navale et la technologie nucléaire, il a été l’une des figures importantes du développement de la propulsion nucléaire navale en France, avec la conception des moteurs des sous-marins de classe Le Redoutable.
Pendant sa carrière professionnelle, il a exercé successivement les fonctions suivantes :
Ingénieur à l’arsenal de Bizerte (1945-47), à l’arsenal de Toulon (1947-51) ;
Ingénieur puis chef du service des appareils moteurs à l’établissement des constructions et armes navales d’Indret (1951-59) ;
Chef du groupe (puis département) de propulsion nucléaire du commissariat à l’énergie atomique (1959-68) ;
Président-directeur général (1969-72) puis administrateur et président d’honneur de la Compagnie centrale d’études industrielles (Cocei) ;
Directeur des applications militaires au Commissariat à l’énergie atomique (1972-86) ;
Membre du Comité à l’énergie atomique (1986) ;
Chargé de mission auprès du ministre de la Défense André Giraud (1986-1988) ;
Alors que la Commission Défense de l’Assemblée Nationale a amendé et validé le projet de Loi de Programmation Militaire 2024-2030, y ajoutant notamment l’obligation pour l’Etat de garantir les 13 Md€ de recettes exceptionnelles dans le plan de financement, le Ministre des Armées, en parti excédé par les nombreuses critiques sur le « manque d’ambitions » de cette LPM qui pourtant verra, et de beaucoup, la plus importante croissance budgétaire pour les Armées depuis 30 ans, a tenu a précisé quels étaient les objectifs visés, notamment en terme de contrat opérationnel.
C’est ainsi que dans un Tweet sur son compte, Sebastien Lecornu a tenu à détailler le contrat opérationnel principal confié aux 3 armées. Pour l’Armée de Terre, il s’agira d’être en mesure de déployer une division composée notamment de 2 brigades de combat, ainsi que l’ensemble des capacités de commandement pour encadrer un Corps d’Armée, conformément aux attributions de la France sur le front sud européen au sein de l’OTAN.
La Marine nationale, quant à elle, devra être mesure de déployer son groupe aéronaval organisé autour du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle puis de son successeur. Enfin, l’Armée de l’Air et de l’Espace, pour sa part, devra être en mesure de déployer une escadre composée notamment de 40 avions de combat.
Les objectifs ainsi définis semblent parfaitement en adéquation avec les engagements de la France notamment vis-à-vis de l’OTAN, et correspondent au positionnement de la France en tant qu’allié majeur et puissance d’équilibre tel qu’avancé par l’exécutif.
Toutefois, ils s’avèrent également très supérieurs à ceux qui ont permis de définir le format des armées françaises dans le cadre du Livre Blanc de 2013, alors que la LPM 2024-2030 reste basée, en de nombreux aspects, sur ce même format, et ce concernant les 3 armées.
Se pose donc la question de la cohérence entre la trajectoire définie par la LPM à venir, et le contrat opérationnel tel que présenté par le Ministre des Armées.
Armée de Terre : Déployer une division de 2 brigades
Les engagements concernant l’Armée de Terre française restent, peu ou prou, identiques à ce qu’ils étaient jusque là. En effet, la France assure déjà l’encadrement du front sud-européen de l’OTAN, et doit dès lors assumer non seulement le commandement d’un Corps d’Armée composé des divisions et brigades des forces locales et des alliés dédiés à ce front (comme la Belgique), mais également d’y contribuer à hauteur d’une division composée de 2 brigades de combat.
Pour y parvenir, l’Armée de Terre peut s’appuyer sur 6 brigades organiques réparties en 2 divisions. Selon les engagements français au sein de l’OTAN, celle-ci doit être en mesure de déployer une première brigade de combat en une semaine, ainsi qu’une seconde brigade à une échéance de 30 jours.
Pour y parvenir, les brigades françaises assurent une rotation opérationnelle, avec une brigade assurant l’alerte, comme ce fut le cas pour la brigade Serval déployée au Mali en 2013 sur des délais très courts. Une seconde brigade, qui elle est à l’entrainement, assure une alerte à 30 jours, alors qu’une troisième brigade est également à l’entrainement, pour pouvoir prendre à terme l’Alerte à son tour.
Les 3 dernières brigades sont au repos et à la régénération, en particulier après des déploiements, et participent également à d’autres déploiements en dehors du cadre de l’OTAN. Malheureusement, cette organisation s’avère plus théorique que pratique, et l’OTAN elle même considérait il y a peu encore, que l’Armée de Terre ne pouvait assurer que le déploiement d’une brigade renforcée à 30 jours, et éventuellement d’une seconde brigade à 90 jours.
Le fait est, pour assumer une telle posture opérationnelle, il serait nécessaire de créer 2 nouvelles brigades pour l’Armée de Terre, de sorte à disposer effectivement des moyens de rotations suffisants pour assumer le déploiement soutenu dans la durée de 2 brigades à la demande de l’OTAN (sans même parler d’engagement).
En outre, il convient de garder à l’esprit qu’une partie non négligeable des régiments français sont spécialisés, comme les unités d’infanterie de Marine pour l’assaut amphibie, les unités parachutistes pour l’aérocombat, et les troupes de montagnes.
Or, en intégrant ces unités dans la rotation des unités dédiées à l’OTAN, la France se priverait, de fait, d’une part non négligeable de ses moyens dits d’opportunités, alors même qu’en dépit de leur professionnalisme, ces unités ne sont pas les plus adaptées pour un engagement de type haute intensité en Europe centrale.
Enfin, une partie des moyens sensés assurer la rotation de la prise d’alerte, sont régulièrement déployés dans d’autres missions hors OTAN, notamment en Afrique. Dans ce contexte, il est probable que si l’Armée de Terre sera effectivement en mesure de déployer à la demande de l’OTAN 2 brigades à 30 jours sous couvert d’une réorganisation organique et opérationnelle dans les années à venir, elle sera dans l’incapacité de soutenir dans la durée un telle dispositif au delà de quelques semaines ou quelques mois.
Marine Nationale : Déployer un groupe aéronaval
La situation n’est pas très différente pour la Marine Nationale. En effet, avec un unique porte-avions, celle-ci ne peut garantir la mise en œuvre d’un groupe aéronaval qu’à hauteur de 40 à 50% du temps, et ce en considérant que le Charles de Gaulle, les flottilles de l’aéronautique navale armant son groupe aérien embarqué et le SNA assurant sa protection sous-marine, assument à plein temps cette seule posture d’alerte, sans aller participer à une quelconque autre opération militaire venant éroder leur potentiel d’utilisation.
La situation est différente concernant les frégates et destroyers d’escorte, ainsi que les navires logistiques, ceux-ci pouvant être fournis par les alliés de l’OTAN. En revanche, concernant ces capacités précises, seule la Marine Nationale dispose effectivement des capacités concernées en Europe.
Par ailleurs, une posture comme celle-ci viendra très probablement handicaper les autres moyens de la Marine Nationale, notamment son groupe d’assaut amphibie, celui-ci ne disposant pas de la même priorisation de moyens que le groupe aéronaval.
Pour assumer une capacité de réponse à hauteur de 80%, il serait donc indispensable de doter la Marine Nationale d’un second groupe aéronaval, c’est à dire un porte-avions ainsi qu’une vingtaine de chasseurs embarqués supplémentaires, comme c’était le cas dans les années 70 et 80 avec les porte-avions Foch et Clémenceau, ainsi que deux flottilles de chasse supplémentaires.
Bien évidemment, dans le cadre de l’OTAN, cette limite est prise en compte, et assumée conjointement par l’alliance avec la rotation des moyens européens, notamment les deux porte-avions britanniques HMS Queen Elizabeth et HMS Prince of Wales, les deux porte-aéronefs italiens Cavour et Trieste, et le porte-aéronefs espagnol Juan Carlos I.
Toutefois, la prise d’alerte effectuée par le Charles de Gaulle dans ce cadre, va consommer la presque totalité du potentiel opérationnel du navire et de son groupe aérien embarqué, ne laissant presque aucune latitude à la France d’employer ces moyens pourtant exceptionnels en dehors de ce cadre stricte.
Armée de l’Air et de l’Espace : Déployer une escadre de 40 chasseurs
Si l’Armée de Terre et la Marine Nationale vont rencontrer d’immenses difficultés pour soutenir le contrat opérationnel défini par Sebastien Lecornu au delà d’un déploiement initial déjà sous conditions, les objectifs assignés à l’Armée de l’Air et de l’espace, quant à eux, semblent inaccessibles même en première intention.
Rappelons en effet que la LPM 2024-2030 entérine un format à 185 avions de chasse pour cette force, avec le retrait programmé des Mirage 2000-5 et d’une partie des Mirage 2000D, et une trajectoire ne permettant pas de maintenir le format actuel de 210 appareils par la livraison de Rafale B et C.
Or, ce format de 185 chasseur, avait été défini dans le Livre Blanc Défense de 2013, de sorte à garantir la posture de la composante aérienne de la dissuasion forte de deux escadrilles, la permanence opérationnelle pour assurer la protection du ciel français, la maintenance et la modernisation des aéronefs, ainsi que l’entraînement des équipages, tout en garantissant la possibilité à l’État-major de déployer de manière soutenue dans le temps, 15 chasseurs en opérations extérieures.
En effet, la maintenance et les phases de modernisation immobilisent en moyenne un tiers du parc de sorte à maintenir les performances de la flotte et de régénérer son potentiel de vol, alors que les appareils déployés en opération extérieure tendent à consommer leur potentiel 3 fois plus rapidement que les appareils employés pour l’entrainement et la formation.
Ceci posé, l’objectif de déployer 40 avions de combat à la demande de l’OTAN, semble parfaitement inaccessible à l’Armée de l’Air et de l’Espace, qui devrait dès lors non seulement stopper toutes les missions non indispensables, notamment de formation et l’entraînement des équipages, mais également employer pour ce déploiement des appareils au potentiel de vol partiellement consommé, et donc ne disposer d’une flotte n’ayant qu’un potentiel moitié moins élevé que celui des appareils déployés en Opex jusque là.
En outre, le potentiel de rotation des appareils, notamment ceux ayant consommé le précieux potentiel de vol, restera identique à précédemment, c’est à dire à hauteur de 15 appareils tous les 4 mois.
Dit autrement, en déployant 40 appareils à la demande, l’Armée de l’Air ne pourra assumer un tel format que 2 mois pour une activité comparable à celle constatée en opération extérieure, et ce sans prendre en considération la réalité d’une utilisation opérationnelle au combat face à un adversaire comme la Russie.
Conclusion
On le voit, il existe une grande différence entre le contrat opérationnel présenté par Sebastien Lecornu, et la réalité de ce que les Armées françaises seront en mesure de soutenir au delà d’un premier déploiement, par ailleurs probablement optimiste.
Pour respecter ces engagements, il serait probablement nécessaire à l’Armée de Terre de se doter de 2 ou 3 brigades supplémentaires, idéalement mécanisées et spécialisées pour un emploi dans un engagement de haute intensité; à la Marine de constituer un second groupe aéronaval et notamment de se doter d’un second porte-avions; et à l’Armée de l’Air et de l’Espace de disposer d’au mois 260 à 280 avions de chasse, ou éventuellement de 220 avions de chasse et 60 à 80 drones de combat.
Pour autant, tout indique que les objectifs présentés par le Ministre des Armées ne reflètent pas la réalité des capacités opérationnelles des armées françaises en devenir, et ce en dépit de l’effort consenti par la prochaine Loi de Programmation Militaire. La question est donc de savoir quel sera l’objectif prioritaire pour la France, entre respecter ses engagements en matière de défense, et produire les efforts nécessaires, et probablement douloureux, pour y parvenir ?
Dans un focus stratégique publié en février 2020, l’Institut français des relations internationales [IFRI] avait plaidé en faveur d’un renforcement des capacités mises en oeuvre par les forces françaises de souveraineté, notamment celles présentes dans la région Indo-Pacifique, afin de prendre la mesure des mutations de l’ordre international [affirmation de puissance de la part de certains pays, remise en cause du droit international et du multilatéralisme] ainsi que l’évolution des enjeux économiques, démographiques et climatiques.
Aussi, pour l’IFRI, il était donc nécessaire de faire monter en gamme les forces françaises de souveraineté afin de prendre en compte la « prolifération » des capacités de déni et d’interdicition d’accès ainsi que le « développement des capacités de projection de forces adverses ».
«Des zones jusqu’alors hors de portée de toute menace conventionnelle, comme la Polynésie française, par exemple, ne seront à l’avenir plus aussi isolées qu’auparavant. Cet enjeu pose à terme la question des moyens français de protection de l’ensemble du territoire, y compris ultra-marin, et le cas échéant de l’émergence d’une propre stratégie nationale de déni d’accès », avait alors prévenu l’IFRI, tout en mettant aussi en garde contre les stratégies « hybrides », qui se situent entre la compétition « pacifique » et la « confrontation indirecte ». Ce qui serait un moyen de contourner la dissuasion nucléaire, qui garantit les intérêts vitaux de la France.
La Revue stratégique actualisée en 2021 était allée dans le sens de l’IFRI, en affirmant que la crise sanitaire liée au covid-19 avait « montré la réalité de la continuité stratégique entre la métropole et les territoires ultramarins » ainsi que « le besoin de réassurance face aux prédations et à la manipulation d’informations ». Et de suggérer en conséquence de reconfigurer les forces de présence et de souveraineté pour « pouvoir accueillir dans la durée et sous faible préavis, des détachements déployés en renfort depuis la métropole ».
Plus tard, dans un entretien accordé à Mer&Marine, l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] avait dit ne pas écarter un scénario identique à celui de la guerre des Malouines/Falklands [1982]. « L’Argentine a cru pouvoir s’emparer des possessions britanniques dans l’Atlantique sud », ce qui s’est réglé de « façon conventionnelle », avait-il rappelé. Et d’ajouter : « De la même manière, on pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives ».
Cela étant, le 30 mai, lors d’une audition au Sénat [son compte-rendu vient d’être publié, ndlr], le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées [CEMA] a souligné que l’Indo-Pacifique était en train de devenir « de plus en plus le centre de gravité du monde » et que la « France y a des intérêts et des atouts importants ». Aussi, a-t-il poursuivi, « notre capacité d’action doit être conçue en prenant en compte la tyrannie des distances, et donc les délais d’action ».
Pour autant, l’accent est surtout mis sur les opérations humanitaires « à la suite d’une catastrophe humanitaire », comme l’a montré le récent exercice « Croix du Sud ». Pour le CEMA, ce « type de mission est sans doute celui qui répond le mieux aux attentes des différents pays de la zone », ceux-ci, « déjà soumis à la pression chinoise » et devant faire face « aux conséquences du changement climatique », étant « demandeurs d’une aide en la matière ».
Les interrogations sur les moyens nécessaires pour assurer la défense des intérêts français dans la zone Indo-Pacifique ont fait dévier le fil de l’audition du général Burkhard sur la question d’un second porte-avions pour la Marine nationale.
Un sujet pour lequel le CEMA a visiblement quelques réserves… « Plus que le coût d’un porte-avions, c’est le coût d’un groupe aéronaval qu’il faut considérer, avec ses matériels et ses hommes : groupe aérien, frégates d’escorte, ravitailleurs, sous-marins, etc. C’est tout cela qu’il faut considérer pour estimer si un 2ème porte-avions est ou non ‘à notre portée’ », a-t-il répondu aux sénateurs. Et il n’a pas non plus semblé favorable à la création de nouvelles bases dans le Pacifique.
« Nous disposons déjà de bases sur place. La question est de déterminer la menace. Il n’y a pas selon moi de menace militaire contre la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie Française », a en effet soutenu le général Burkhard. « En revanche, une menace visant l’exercice de notre souveraineté est plus d’actualité », a-t-il ajouté.
« Cette question a une dimension locale. Il faut savoir comment enraciner le sentiment d’appartenance à la France. Il y a aussi la menace liée à l’influence chinoise : ce n’est pas seulement en construisant des bases qu’on la contrecarrera. Il faut pour cela répondre aux besoins des populations et des pays de la zone », a ensuite enchaîné le CEMA, notant, au passage, que les « pays riverains ne sont pas focalisés sur l’aspect militaire, car ils ne veulent pas avoir à choisir un camp ou un autre ».
« En revanche, a-t-il conclu, ils sont préoccupés à juste titre par le changement climatique, les conséquences des catastrophes naturelles. Nous devons leur apporter une aide en ces domaines, les aider à contrôler leur ZEE [zone économique exclusive], etc. C’est dans cette voie que nous devons avancer ».
Quoi qu’il en soit, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 prévoit un investissement de 13 milliards d’euros au profit des forces de souverenaité. Il s’agira notamment de les doter de « capacités de surveillance-anticipation développées qui amélioreront la couverture de nos territoires Outre-mer et de leurs zones économiques exclusives ».
« Nos forces de souveraineté bénéficieront d’un effort généralisé sur le plan capacitaire [protection, intervention et appuis, infrastructure] et constitueront un premier échelon renforcé immédiatement disponible [présence, protection et action humanitaire] afin de décourager toute tentative de déstabilisation ou de prédation », est-il annoncé dans ce texte.
La Forfusco (Force maritime des fusiliers marins et commandos) indique n’avoir pas «vent de ce genre d’action au sein de nos jeunes ou moins jeunes».
Non, «aucune milice n’est à l’œuvre aux côtés ou à la place de la police», s’est défendu Fabrice Loher, maire de Lorient sur Facebook. Pourtant, vendredi 30 au soir, une trentaine de jeunes encapuchonnés, cagoulés et vêtus d’habits sportifs ont bel et bien interpellé des émeutiers à Lorient, base navale où stationnent des fusiliers marins et des commandos marines. « Qui nous sommes? Je ne peux pas vous le dire. Mais nous sommes du bon côté, nous… », ont-ils expliqué à nos confrères d’Ouest-France, qui les décrivent comme «taillés en V, très mobiles et se déplaçant en groupe compact».
Plusieurs vidéos, visionnées par Le Figaro, attestent d’interpellations musclées d’émeutiers, menottés avec des serres-flex, et qui s’égosillent en criant leur innocence. Vitupérations qui ne semblent pas convaincre les «anti-casseurs» qui les remettent aux forces de l’ordre. Lorsque les gaz lacrymogènes permettent le reflux d’une cinquantaine de pillards, deux des membres de ce groupe éteignent un feu naissant, rapporte à nouveau nos confrères.
« On a laissé faire en début de soirée, parce que ça nous a soulagés», a expliqué une source policière anonyme au Télégramme. Les forces de l’ordre, interrogées par nos confrères, ont expliqué ne pas connaître ces «anti-casseurs» qui se sont présentés spontanément pour les aider. Une aide qui n’est d’ailleurs pas illégale. «Dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche», précise l’article 73 du code de procédure pénale.
La Forfusco (Force maritime des fusiliers marins et commandos), a répondu au Télégramme n’avoir pas «eu vent de ce genre d’action au sein de nos jeunes ou moins jeunes», rappelant qu’il «ne s’agit pas du périmètre d’intervention des armées ni de notre force». Bien qu’un sondage indique que 70% des Français demandent l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre, l’armée n’est pas conçue pour le maintien de l’ordre.