Admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin

Admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin


Le jeudi 4 avril 2024, l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, a prononcé l’admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin. Il est le second de la série de six SNA de type Suffren qui remplaceront l’intégralité des SNA de type Rubis à l’horizon 2030.

L’admission au service actif est prononcée après des phases d’essais à la mer débutées en mars 2023. Ces phases de Vérification des caractéristiques militaires (VCM) permettent aux équipages de tester les performances, l’endurance du bâtiment ainsi que la conformité des équipements aux spécifications demandées.

Durant ses essais, le Duguay-Trouin a navigué en eaux froides comme en eaux chaudes, avec une escale à Fort-de-France en mars 2024 ; une première pour un SNA de type Suffren. Il sera désormais déployé en opérations.

Le SNA Duguay-Trouin, à l’instar du premier de série, le SNA Suffren, assurera les mêmes missions que les SNA de type Rubis, avec des capacités supérieures. Il dispose en particulier d’une capacité de frappe contre terre avec le Missile de croisière naval (MdCN) et d’une capacité de mise en œuvre des forces spéciales par un sas nageurs et par son hangar de pont.

Les forces sous-marines et la force océanique stratégique 

  • Les forces sous-marines françaises sont composées de 3 200 marins. Elles disposent de 10 sous-marins nucléaires : 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et 4 sous-marins nucléaires lanceur d’engins (SNLE).
  • Chaque sous-marin est armé par 2 équipages (bleu et rouge) qui se succèdent à bord. Le métier de sous-marinier est un métier hors norme, de haut niveau, nécessitant exigence et une grande rigueur au quotidien.
  • Depuis 1972, au moins un SNLE est en mer pour assurer, n’importe où dans les mers et océans du globe, la permanence à la mer de la dissuasion nucléaire.
  • Les SNA, eux, constituent une composante essentielle des forces armées françaises. Ils sont à la fois des navires de combat et des instruments de puissance. La possession de SNA confère à la Marine nationale des capacités permettant d’appuyer l’efficacité opérationnelle (en termes d’endurance, de discrétion et de performance).
  • Les SNA ont 4 grandes missions : soutien à la dissuasion nucléaire (notamment blanchiment de zone lors des départs des SNLE) ; protection d’une force aéronavale (notamment lors des déploiements du porte-avions) ; connaissance-anticipation et intervention (frappe dans la profondeur et mise en œuvre de forces spéciales).

Les sous-marins constituent une capacité clef de la Défense française.

Marine & Océans

Marine & Océans

La revue trimestrielle « Marine & Océans » a pour objectif de sensibiliser le grand public aux grands enjeux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile. Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu’aux échanges. Les ressources qu’ils recèlent sont à l’origine de nouvelles ambitions et peut-être demain de nouvelles confrontations.

Ukraine : les enjeux cachés d’une guerre prévisible

Ukraine : les enjeux cachés d’une guerre prévisible

Yves Bonnet* – CF2R – publié en mars 2024

https://cf2r.org/tribune/ukraine-les-enjeux-caches-dune-guerre-previsible/

Préfet honoraire, ancien directeur de la DST, ancien député, conseiller régional de Normandie, membre du Conseil stratégique du CF2R

La guerre moderne est moins idéologique qu’économique et les formes qu’elle prend sont plus sécurisées qu’il n’y paraît. Sans qu’on y prenne garde, l’enjeu majeur des derniers conflits réside dans la maitrise de l’énergie sous toutes ses formes. La guerre russo-ukrainienne n’échappe pas à ce prisme. Pour bien comprendre ce qui se passe aujourd’hui sur les bords du Dniepr, il faut revenir aux derniers jours de la Deuxième Guerre mondiale.

Souvenons-nous. Les deux acteurs majeurs du conflit, le couple anglo-américain et l’Union soviétique, se quittent en froid, leur amitié toute neuve n’allant pas au-delà de la dernière bombe tombée, malheureusement atomique, sur Nagasaki. La conférence de Postdam, à laquelle la France n’est pas invitée – le général De Gaulle se rattrapera plus tard – ratifie cette brouille et le partage du monde au profit de l’URSS qui fait glisser sa frontière occidentale et celles de la Pologne d’est en ouest.

L’atome, chacun le pressent sans savoir encore sous quelle forme, représente la formidable source d’énergie de demain : encore faut-il le domestiquer. Le général De Gaulle – encore lui – est le premier à créer un Commissariat à l’Énergie atomique (le CEA) dont il confie le haut-commissariat au gendre de Pierre et Marie Curie, Frédéric Joliot-Curie. Pourtant le bougre, prix Nobel de physique avec son épouse Irène, a dans sa poche la carte du Parti communiste. Le chef du gouvernement sait bien qu’il n’est pas temps d’engager de chasse aux sorcières. Il fait bien : de leur côté, Américains et Soviétiques ont commencé une course à la compétence, celle des savants atomistes allemands qui ont bien failli griller la politesse à Oppenheimer et donner à l’irresponsable chancelier nazi la pierre philosophale du triomphe nucléaire. Les services de renseignement OSS et NKVD fouinent, courtisent, enlèvent. On connaît le cheminement. Mais le nucléaire souffre d’un handicap, on ne sait pas convertir sa puissance démesurée en énergie exploitable. Pour tout dire on ne le voit que militaire.

Pour alimenter la surconsommation d’énergie, dopée par la reconstruction, on en reste aux sources classiques, les énergies fossiles, charbon, hydrocarbures. Faciles à transporter et à stocker, elles sont abondantes, bon marché et bien réparties sur le globe non sans privilégier quelques zones dont la plus généreuse se situe au Proche-Orient. Les Américains le savent qui entendent sécuriser leurs approvisionnements. Le président Roosevelt qui sent la mort venir, veut faire un dernier cadeau à son pays : sur le chemin de retour de la conférence de Yalta, il accueille à bord du croiseur Quincy le roi d’Arabie saoudite, Ibn Saoud. Les deux chefs d’État signent un pacte en forme de marché de soixante ans qui assure aux États-Unis, en échange de leur protection à la famille régnante d’Arabie, la disposition des gisements pétroliers les plus pharamineux au monde.

Les Soviétiques ont déjà à disposition Bakou et les champs pétrolifères du Caucase que lorgnait Hitler, les champs pétrolifères roumains de Transylvanie, mais n’ont pas encore idée des gigantesques ressources que recèle le sous-sol de Sibérie.

Chacun chez soi, les cinq majors mondiaux (Exxon Mobil, Chevron, BP, Shell et la compagnie française qui deviendra Total) battent la campagne et mettent en coupe réglée le monde des hydrocarbures. Les profits tombent, les fortunes s’arrondissent… et les guerres commencent.

Une des premières nous concerne directement puisqu’il s’agit de l’Algérie. Aussi longtemps que la France s’est débattue comme elle le pouvait pour se dépatouiller du problème colonial, en Indochine, au Maroc, en Tunisie, en Algérie, le monde de l’indifférence s’est satisfait de ses ennuis. Les Soviétiques ouvertement ravis, les Anglo-Saxons secrètement réjouis, tous voyaient avec amusement les fruits secs tomber de l’arbre. Et puis, l’annonce éclata, avant l’explosion, en février 1960 à Reggane, de la bombe atomique française : le coq gaulois à force de gratter le sable du désert avait fini par faire jaillir le précieux liquide du côté d’Hassi Messaoud. Du coup, notre présence en Algérie devenait une toute autre histoire.

Comme De Gaulle avait réglé en deux temps trois mouvements le problème de « l’Empire » en donnant l’indépendance à tout ce petit monde africain, il agit de même avec l’Algérie en prenant la précaution de signer des accords, dits d’Evian, qui assuraient la France la disposition du pétrole et du gaz sahariens. Comme il fallait s’y attendre, ledit accord fut dénoncé par Boumediene en 1971, une compagnie algérienne créée – la Sonatrach –, mais une forme adoucie de coopération algéro-française tout de même maintenue. Pour prix de nos renoncements, nous obtenions la « faveur » d’être approvisionnés en gaz à un prix d’ami, c’est-à-dire en le payant au-dessus des cours mondiaux.

 

La domination mondiale du pétrole

Nous entrons alors dans l’ère du pétrole tout-puissant. Les grandes compagnies – qui reprennent sans le savoir la dénomination des « grandes compagnies » du Moyen Age, des troupes de détrousseurs de grands chemins – quadrillent le monde et imposent leurs prix à ceux qui possèdent le sous-sol comme à ceux qui achètent, y compris les États. De ce rackett planétaire, les principaux bénéficiaires sont évidemment les plus grands. Cela se passe sur deux registres comme sur les grandes orgues de Notre-Dame. À la manœuvre, les États-Unis qui jugulent les tentatives auxquelles se livrent les pays possesseurs des gisements. Ainsi, l’Iran du Dr Mossadegh apprend à ses dépens que la CIA ne laissera pas déposséder les majors.

Cela dure ce que cela devait et pouvait durer : l’espace de quelques décades. Puis la révolte vient, sous l’impulsion du shah d‘Iran, le plus intelligent de la bande, qui, parallèlement, entre dans l’ère nucléaire au prix d’un exercice de séduction mutuelle avec le président français, Valéry Giscard d’Estaing. Reza Pahlavi, tombé injustement dans les oubliettes de l‘Histoire ne va pas seulement financer les installations françaises d’enrichissement de l’uranium, il défend la valorisation des hydrocarbures, matière première avant d’être source d’énergie, et convainc ses partenaires de l’OPEP de la nécessité et de la légitimité d’une augmentation du prix des hydrocarbures qui parait alors phénoménale, passant de 4 à 16 dollars le baril. Du jour au lendemain, tous les voyants d’une économie mondiale énergivore passent au rouge, il s’en faut de peu que la fin du monde n’intervienne et … miraculeusement, tout s’apaise. La vie reprend son cours mais l’alerte a été chaude qui ne sera pas oubliée de sitôt.

En tout cas pas en France. Quelques mois auparavant le choc pétrolier, le gouvernement de Pierre Messmer a pris la décision courageuse de lancer le plus ambitieux programme de construction de centrales nucléaires qui ait jamais été entrepris. Il ignore alors qu’il va faire un cadeau inestimable aux générations futures – qui sont les nôtres d’aujourd’hui – et sauver l’économie française des péripéties d’un second choc pétrolier, effectivement intervenu en 1979, et d’autres désagréments dans la gestion du pétrole et du gaz.

Les États-Unis veillent toujours jalousement sur le pétrole, protégeant leurs affidés – les monarchies du Golfe – et persécutant les rebelles en puissance – les régimes arabes laïcs. Le sang du pétrole comme le caractérise malicieusement le général Pierre-Marie Gallois[1] coule dans les veines des majors américaines. Il ne fait pas bon les défier. Saddam Hussein en fait l’expérience. 

Quelle est alors la stratégie des États-Unis en matière d’énergie et de production pétrolière ? Elle est très simple : ils doivent contrôler l’économie mondiale et, pour ce, le marché mondial des hydrocarbures, pétrole et gaz. Le professeur américain Michael Hudson[2] nous l’explique en février 2022 au moment où éclate la guerre russo-ukrainienne.

La ligne de Washington tient en quatre postulats :

– la doctrine Clinton de l’Advocacy Policy qui organise la maitrise américaine sur le commerce mondial ;

– l’interdiction de toute relation commerciale directe entre les Européens d’une part, la Chine et la Russie, d’autre part ;

– la priorité du gaz de schiste américain par rapport au gaz naturel ;

– le contrôle des voies d’approvisionnement de l’Europe en pétrole (oléoducs) et en gaz (gaz naturel liquéfié).

Explicités, ces postulats nous enseignent que :

1- l’Advocacy Policy, organisation intelligente de conquête des grands marchés mondiaux conçue par le président Clinton – probablement sur le modèle de la VPK soviétique – est le premier pilier de l’expansion économique américaine. Le principe en est simple : mettre au service des entreprises américaines tous les moyens de contrôle des marché mondiaux en identifiant les pays-cibles et les domaines d’intervention. Pour y parvenir, l’Advocacy Center (ou War Room) met à contribution toutes les administrations, services et organismes américains, de ceux du commerce extérieur jusqu’aux agences de renseignement comme la CIA et la NSA. Elles reçoivent mission d’accaparer les avancées et les potentialités des économies les plus dynamiques et les plus prometteuses. Le pouvoir politique intervient dans un second temps en détournant, quitte à les faire capoter, au profit des firmes américaines les transactions en cours dans le monde, commerciales ou industrielles ;

2- sous le prétexte d’empêcher une montée en puissance militaire de la Chine et de la Russie, les exportateurs américains ont l’exclusivité des fournitures militaires à leurs alliés. L’industrie française de l’armement en fait l’expérience ;

3- depuis son apparition, dans les années1980, l’extraction du gaz de schiste par fracturation hydraulique est devenue concurrentielle en dépit des atteintes graves qu’elle fait subir à l’environnement. Les Américains sont même redevenus premiers producteurs mondiaux d’énergie fossile gazeuse (devant les Russes) avec une croissance impressionnante de leur production, de 10 Bcf (Billion cubic feet) par jour en 2006 à 42 Bcf en 2015. L’industrie américaine a créé plus de 2 millions d’emplois au sein des énergies lourdes les plus énergivores : sidérurgie, verre, ciment, pétrochimie. Seule avancée à cet égard ; le recul du charbon et la réduction de 13 % des émissions de gaz à effet de serre entre 2007 et 2015. La compétition entre GNL russe et GNL américain se stabilise au bénéfice du premier, moins coûteux à extraire et plus proche de ses lieux de consommation, ce qui induit des frais de transports inférieurs surtout s’ils se font par gazoducs et non par méthaniers. La Russie s’attache à diversifier ses acheteurs en privilégiant la Chine et l’Inde ;

4- conscients du handicap rédhibitoire de l’éloignement, les États-Unis cherchent à bloquer tous les projets de gazoducs européens qu’ils ne contrôleraient pas.

 

Les enjeux autour de Nord Stream

C’est alors que le gazoduc du Nord Stream apparait au cœur du dossier de la desserte de l’Europe en gaz russe.

La situation est la suivante : au début des années 2000, l’Europe est alimentée par un gazoduc dénommé Brotherhood qui, partant de la Russie, traverse l’Ukraine de part en part, puis la Slovaquie, la République tchèque, et l’Allemagne. Le transit par l’Ukraine a généré de multiples incidents de paiement, le pays traversé étant en droit de prélever à ce titre une taxe mais devant payer ses propres prélèvements à l’opérateur. Des années durant, les deux pays ont eu à régler ces différends. C’est la principale justification de la recherche d’autres dessertes de l’Europe occidentale à partir de la Russie : le gazoduc Yamal à partir de la péninsule de Yamal transite par la Biélorussie et la Pologne en évitant l’Ukraine ; et surtout Nord Stream dont le parcours se fait pour la plus grande partie au fond de la mer Baltique et qui évite les parcours terrestres pour émerger dans les eaux territoriales allemandes. La compagnie russe Rosneft qui l’exploite s’est donné un président de son comité des actionnaires et membre de son conseil de surveillance qui siègera jusqu’en avril 2022 en la personne de Gerhard Schröder, ancien chancelier de la République fédérale.

En 2015, la Russie a produit 55,5 Billion cubic feet par jour dont elle a exporté le tiers, soit 17,5 Bcf, à trois groupes de clients, l’Union européenne, le duo Ukraine et Biélorussie, et enfin la Turquie. Face au GNL américain, le groupe gazier russe est largement compétitif en raison de ses moindres coûts d’exploitation et de la faiblesse du rouble. Bypasser le Brotherhood en doublant North Stream pourrait, à terme, coûter à l’Ukraine jusqu’à 2 milliards de dollars par an. Un tel manque à gagner serait insupportable pour un pays aux finances exsangues. Aussi l’Ukraine, mais aussi les Slovaques, les Tchèques, les Polonais – qui verraient réduire le trafic de Yamal – et enfin les États-Unis s’opposent donc au doublement de Nord Stream qui intéresse en revanche fortement Allemands et Russes. 

Ces mêmes Allemands qui peuvent compter sur l’activisme de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ancienne ministre fédérale de la Défense, font entériner par l’Union européenne la reconnaissance du gaz naturel comme énergie verte, ce qui est refusé, dans un premier temps, au nucléaire, pourtant très faible émetteur de gaz à effet de serre.

On le voit, les ingrédients sont réunis d’une compétition sans concession, entre producteurs d’abord, puis entre le binôme producteur russe et client allemand d’une part, et le bloc producteur américain et autres clients européens d’autre part.

 

Le démantèlement des centrales nucléaires françaises et allemandes

Un pays s’est préservé tout seul de ces menaces, la France et son nucléaire que les décisions absurdes de Lionel Jospin et Dominique Voynet n’ont pas réussi à couler complètement. Œuvre qu’Emmanuel Macron et Nicolas Hulot reprennent à leur compte en s’appliquant à poursuivre la réduction du nombre des réacteurs en fermant près d’une vingtaine de centrales. Ils sont les acteurs du sabotage d’une production qui a porté l’économie française depuis quarante ans.

Ils y ont été fortement aidés par le lobby antinucléaire dont la force ne doit peut-être pas tout au hasard. Contre l’arrivée en force du nucléaire, les grandes compagnies pétrolières ne pouvaient que s’émouvoir. L’apparition sur la scène médiatique d’organisations antinucléaires mystérieusement financées n’est peut-être pas le fait du hasard, alors qu’en toute objectivité la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre et de pollutions de toutes sortes devrait prendre compte parmi ses principaux vecteurs le nucléaire civil fournisseur d’une énergie propre et bon marché.

En France, pays de référence du nucléaire civil – et accessoirement du nucléaire militaire avec la construction de SNLE intégralement français – le nucléaire devenait un enjeu politique avec une gauche antinucléaire, à l’exception notable du Parti communiste, et une droite pronucléaire. Se réclamant d’un apolitisme qui a rapidement volé en éclats, le parti autoqualifié écologiste a fait alliance avec la gauche socialiste pour se porter ensemble au pouvoir.

Le retour des socialistes au gouvernement s’est accompagné d’un brutal virage vers la mise au rancard des projets de développement du nucléaire. Victorieux des législatives de 1997, Lionel Jospin s’est affiché aux côtés de Dominique Voynet comme sauveur de la planète. Comme sauveur on aura connu mieux : l’arrêt de Superphénix, premier réacteur à neutrons rapides (RNR) est le premier mauvais coup porté au secteur le plus compétitif de notre économie. Ce que l’on appelait improprement le lobby nucléaire, centré autour d’EDF et du CEA, n’était pas de force, politique, face aux antinucléaires, surtout quand disparaissaient les grands artisans de l’épopée électrique. Marque et symbole de ce retournement de tendance, EDF et la COGEMA devenaient des fromages pour les « petits copains », Gilles Ménage, François Roussely, Anne Lauvergeon.

Il y avait cependant pire. L’Allemagne dont la chancelière, Angela Merkel confondait tsunami de Fukushima et catastrophe industrielle, décidait de démanteler le parc nucléaire d’un pays fortement industrialisé et d’avoir recours aux énergies dites renouvelables, en réalité intermittentes, et au gaz naturel. Elle se plaçait ainsi sous la dépendance de la Russie, fournisseur le plus proche et le moins cher. A Bruxelles, les Allemands avaient suffisamment d’influence pour faire reconnaître le gaz « naturel » comme « énergie verte », ce qu’il ne peut être dès lors que son utilisation génère des rejets nocifs dans l’atmosphère. Les Verts – die Grünen – parvenus à constituer une coalition avec les sociaux-démocrates pouvaient enchaîner et, sous le prétexte de sauver la planète, se livrer à leur objectif majeur, le démembrement des centrales nucléaires. Pour ne pas être en reste, la France de François Hollande et d’Emmanuel Macron fixait un plafond à la production d’électricité d’origine nucléaire à 50 % pour justifier les aides considérables accordées aux promoteurs des éoliennes. Gage de sa détermination et de l’incohérence européenne, le président de la République le plus jeune de notre histoire fermait la centrale de Fessenheim, pendant que l’Allemagne ouvrait à proximité (à Datteln) une centrale à charbon qui s’ajoutait aux 70 centrales – dont nombre fonctionnant au lignite – qui font de ce pays voisin le principal pollueur de l’Europe, juste derrière la Pologne.

Ce fut l’âge d’or du gaz naturel avec comme plus gros fournisseur, la Russie proche, si proche que les gazoducs pouvaient en acheminer à moindre coût la précieuse production. En 2014, année du Maïdan, 6 % des exportations européennes de gaz russe se faisaient vers l’Europe, 21% vers la Biélorussie et l’Ukraine, 15% vers la Turquie, outre les exportations vers le Japon.  Le réseau russe du nord (la Sibérie) alimentait les îles britanniques et l’Allemagne par l’intermédiaire des Nordstream I et II. Afin de se passer du transit du gaz par l’Ukraine, le projet fut mis à l’étude d’un nouveau gazoduc appelé Nabuco qui relierait le Bluestream, lui aussi dans les cartons, au réseau principal. Il traverserait la mer Noire en évitant l’Ukraine et referait surface en Bulgarie.

Les États-Unis intervenaient alors pour dissuader le gouvernement de Sofia de consentir à cette nouvelle desserte. Ce que constatant, la Russie, à son tour, faisait interdire par la Syrie le passage sur son sol d’un gazoduc reliant la péninsule arabique – et accessoirement l’Iran – à la Turquie.

Pierre-Marie Gallois conseillait en son temps, pas si lointain, de porter attention à la carte des oléoducs et des gazoducs dont il pensait qu’elle était la clef de la plupart des conflits Proche et Moyen Orientaux. Il avait raison. Nous en avons la démonstration.

 

Le glissement de la guerre commerciale vers un conflit armé

Tous les ingrédients d’une nouvelle guerre, commerciale celle-ci, entre l’Amérique et la Russie, sont en effet réunis depuis l’écroulement de l’Union Soviétique, son éclatement en 15 États indépendants correspondant aux anciennes républiques soviétiques aux tracés établis de manière autoritaire, voire fictive, et à la Russie désormais sous la bannière de la Fédération de Russie. Au passage, notons que les premières de ces sécessions, celles intéressant les trois pays baltes, se sont faites unilatéralement, créant, sans le vouloir le précédent dont pourrait se réclamer d’autres territoires comme, dans le cas qui nous intéresse, les républiques autonomistes du Donbass.

Les enjeux en étaient la maîtrise du marché de l’énergie et la remise au goût du jour de la vieille obsession russe de l’accès permanent aux mers chaudes. Encore fallait-il un prétexte pour entraîner Poutine dans une surenchère que la propagande américaine transformerait en agression délibérée et qui permettrait d’abattre, une fois pour toutes, l’ours russe. Phantasme, anticipation ? Encore une fois c’est Victoria Nuland, citée par l’universitaire Michaël Hudson, qui nous donne la réponse. Dans une conférence de presse au Département d’Etat le 27 janvier 2022, elle déclare : « Si la Russie envahit l’Ukraine, d’une manière ou d’une autre, Nord Stream II n’ira pas de l’avant ». Le professeur Hudson poursuit par cette remarque personnelle : « Le problème est de créer un incident suffisamment offensif et de dépeindre la Russie comme l’agresseur[3] ».

Le paradoxe est que Madame Nuland qui vient de quitter l’état-major du président Biden et qui a pour l’Union Européenne des mots d’une vulgarité affirmée, se montre autrement prudente quant à une intervention directe de l’OTAN dans la guerre. Il serait imprudent et malhonnête de lui prêter comme au président Biden des intentions bellicistes à l’encontre de Moscou. Disons plus simplement que tout s’est passé, depuis les promesses inconsidérées de M. Barroso, comme si la reprise par la force des provinces autonomistes de l’est devenait une priorité nationale ukrainienne :

– coup d’État de Maïdan, généreusement financé de l’extérieur selon les déclarations de Victoria Nuland (5 milliards de dollars),

–  fuite du président prorusse Victor Ianoukovitch,

–  venue au pouvoir de Petro Porochenko, chassé en 2019, puis élection de Volodimir Zelensky,

– sécession de la Crimée (16 mars 2014),

–  sécession des oblats de Donetsk et de Louhansk, (avril 2014),

–  protocoles de Minsk (5 septembre 2014), garantis par l’Allemagne et la France « afin de gagner le temps nécessaire » à la reprise des combats contre les républiques autonomistes et la Russie, selon les aveux d’Angela Merkel et François Hollande,

– bombardement pendant sept ans des provinces sécessionnistes de l’est (16 000 morts),

– préparation intensive de l’armée ukrainienne avec assistance américaine (5 000 conseillers américains, et européenne pour la préparation),

– livraison de matériel militaire et d’armes à l’Ukraine,

– implantation de douze bases de la CIA à la demande du service ukrainien,

– reprise des combats en février 2022, chaque partie en rejetant la responsabilité sur l’autre, une augmentation très importante (sic) des bombardements et explosions (ukrainiens) au Donbass étant enregistrée le 17 février, la Russie intervenant le 22 février

En réalité les accords de Minsk n’ont jamais été respectés, l’Ukraine allant jusqu’à interdire la langue russe dans les terres contestées et n’accordant, comme elle s’y était engagée, aucune autonomie au Donetz et à Louhansk. Elle complétait le tableau en bombardant le Donbass, c’est-à-dire ceux qu’elle revendiquait comme étant sa propre population. Pour sa part, la Russie soutenait en sous-main lesdits territoires en leur envoyant des « volontaires ».

Il faut être clair sur ce point. Dans un premier temps qui court jusqu’au protocole de Minsk, les oblasts de Donetz et de Louhansk demandaient leur autonomie et non leur indépendance. L’Ukraine s’est engagée à la leur donner, mais n’a jamais tenu cette promesse. La sécession de la Crimée a changé la donne. Elle constitue la pierre d’achoppement d’un imbroglio juridique insoluble.

Les éléments en sont les suivants : lors de la dislocation de l’URSS, un référendum est organisé en Crimée le 12 février 1991 sur la question de savoir si cette république entend redevenir une République socialiste soviétique autonome de l’URSS : le résultat en est sans équivoque avec 94,3% de « oui » et 81,37% de participation. La RSSA de Crimée est pourtant dissoute le 26 février 1992 et reçoit la qualification de République autonome. On oublie, du côté de Kiev, que c’est d’une décision personnelle de Nikita Khrouchtchev qu’est résulté le rattachement de la Crimée à l’Ukraine.

Deux ans plus tard, un nouveau référendum est organisé par la République autonome de Crimée portant sur son éventuel rattachement à la Fédération de Russie. Une fois encore, le résultat en est sans équivoque ave 96,6 % de « oui ». Le caractère majoritaire du vote est indéniable. Pourtant, le gouvernement ukrainien dénie aux Criméens le droit de disposer d’eux-mêmes alors qu’il le reconnait aux Bosniens ou aux Kosovars. Le président de la Serbie, Aleksandar Vucic, ne s’est pas fait faute de dénoncer l’hypocrisie de l‘Occident à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2023.

La querelle juridique n’est pas près de s’éteindre dans l’incapacité des instances internationales à trancher entre le principe de l’intangibilité des frontières et celui du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. A tout le moins conviendrait-il de garder la mesure dans un conflit où rien de probant ne ressort du débat de fond.

Ces données, incontestables, posent clairement l’équation que les parties au conflit doivent résoudre, ou par la force, ou par la négociation, ou par leur combinaison. Avant de poursuivre une guerre fratricide, les protagonistes ont recherché les voies du dialogue. Nous savons aujourd’hui que des pourparlers ont effectivement eu lieu en Turquie en avril 2022 et que Russes et Ukrainiens étaient proches d’un accord. Mais les pressions américaines ont été suffisamment fortes et convaincantes pour dissuader Kiev de signer quelque document que ce soit. Cela se comprend : les États-Unis avaient besoin d’un conflit qui affaiblisse durablement la Russie. Une issue rapide ne faisait pas leurs affaires. Les déclarations du ministre Lemaire promettant « de mettre à genoux » la Russie en quelques mois corroborent cette thèse. Effectivement, les troupes russes, (135 000 hommes dont 60 000 pour la première vague d’assaut) insuffisantes pour occuper un territoire comme l’Ukraine, se sont repliées dès les premiers affrontements afin de sauvegarder ce qui leur paraissait essentiel, la sécurité des républiques devenues sécessionnistes, puis leur intégration au sein de la Fédération de Russie. Leur avancée vers l’ouest ne visait qu’à faire diversion afin de réduire la pression du pouvoir central de Kiev sur le Donbass.

Les belligérants ont alors mis en place deux stratégies opposées :

Ayant reconstitué sa puissance de feu grâce à l’artillerie et l’aviation, le commandement russe a choisi la défensive et ancré ses positions au sol par trois lignes de défense successives qui sont devenues très difficilement délogeables. Le choix a été fait d’user les forces ukrainiennes, sachant que les pertes de l’adversaire seraient de plus en plus difficiles à combler. C’est la stratégie de l’usure, dans laquelle les Russes, dont l’armée est conçue pour la défensive, sont passés maîtres.

Les Ukrainiens, au contraire, ont engagé leurs meilleures troupes dans l’offensive, suivant les ordres donnés par le président Zelensky, contre l’avis des militaires, d’avancer à tout prix. Il en est résulté des combats inutiles et coûteux en vies humaines. La bataille de Bakhmout est emblématique de ce choix. Perdue ou gagnée, elle a surtout été meurtrière pour les deux camps. L’offensive dite « de printemps » – en réalité en juin 2023 – n’a pas dérogé à ce schéma. En partie au moins pour convaincre ses partenaires occidentaux de l’aider puissamment, Volodimir Zelensky a engagé son corps de bataille dans des assauts visant à conquérir ou reconquérir la ville de Bakhmout. Les Russes se sont contentés d’envoyer au casse-pipe les mercenaires bien entraînés de la société Wagner. Les pertes se sont avérées insupportables pour les Ukrainiens et leurs meilleures unités y ont laissé beaucoup de plumes. Etendue à l’ensemble d’un front de plus de deux mille kilomètres, la stratégie Zelensky n’a pas pleinement convaincu. L’annonce de l’offensive de printemps, des mois à l’avance, a sonné l’alarme dans le camp d’en face qui a fait un gros effort de renseignement, sachant que 260 satellites du dispositif otanien surveillait ses forces, déployées en profondeur sur trois lignes de défense. Dans une interview donnée le 20 février 2024 à l’agence Tass[4], le ministre russe de la Défense, le général Choïgou a expliqué que tout l’art de la guerre avait été dans le conflit ukrainien de se montrer patient et de minimiser les pertes russes tout en maximisant celles des Ukrainiens. Il a donné des chiffres impossibles à vérifier et probablement exagérés. L’agence Tass donne quotidiennement l’état des pertes ennemies en matériel et en personnel mais aucune donnée relative aux forces russes.  De l’avis des experts indépendants comme le colonel Jacques Baud, ancien responsable du renseignement suisse, ou Alain Juillet, ancien directeur du renseignement de la DGSE et initiateur de la sécurité économique en France, et en l’absence de comptage contradictoire, il semble acceptable de dire que le rapport des pertes serait d’environ 1 à 5 en faveur des Russes, ce qui situerait le chiffre des morts ukrainiens aux environs de 500 000 et celui des Russes à 100 000. Ce qui en revanche est avéré, c’est la minoration incroyable de ses pertes faite par le président Zelensky qui les situe à 31 000 à ce jour.

Pendant que se déroulent les combats sur le terrain, une attaque, maritime et même sous-marine contre des objectifs civils intervient en septembre 2022. Ce sont les deux attentats commis en mer Baltique contre les gazoducs Nord Stream I et II, le premier le 26 septembre 2022, le second quelques jours plus tard. Facilement imputables, ces actes terroristes (c’est le mot qui convient) ont fait l’objet d’enquêtes allemande, danoise et suédoise dont les résultats n’ont pas été publiés. Preuve évidente d’un embarras général. Des sources occidentales en ont rejeté la commission sur les Ukrainiens, mais il parait peu probable que la marine ukrainienne dispose des équipements et des personnels pour mener à bien pareille mission par une centaine de mètres de fond nécessitant de grosses quantités d’explosifs.

On a tenté d’accréditer la thèse que les Russes eux-mêmes auraient commandité l’attentat : cette accusation ne résiste pas à l’analyse, pour trois raisons : l’ampleur des dommages ; l’identification très claire du premier bénéficiaire de l’interruption de tout ou partie du trafic gazier entre l’Allemagne et la Russie ;  enfin et surtout la localisation des attentats, à proximité de l’île danoise de Bornholm où sont localisés des moyen de détection américains très puissants qui surveillent les entrées et sorties des sous-marins russes dans la mer Baltique. Ce qui peut être affirmé sans risque d’erreur, c’est que rien n’a pu se faire sans le contrôle des Américains. Ce qui induit leur aval. Peut-être ne saura-t-on jamais avec certitude qui a fait quoi, mais cela n’a plus tellement d’importance face à l‘immense défi qui attend la communauté internationale : celui d’une guerre mondiale totale qui rayerait de la carte l’Europe et les États-Unis, fortement urbanisés, moins durement la Russie des immensités, encore moins la Chine et le reste du monde.

Pour les bellicistes déclarés, la solution serait de combattre jusqu’au dernier soldat… ukrainien. Leur camp peut compter sur l’appui de la quasi-totalité des médias, la propagande officielle et l’argent. Dans les débuts de la guerre, l’opinion s’est ralliée presqu’unanimement à leurs thèses, d’autant plus facilement que les médias russes ont été purement et simplement interdits au niveau européen. Cette même opinion a évolué au fur et à mesure de la prolongation des combats, de l’insensible retrait américain et des dissensions européennes.

 

La fin annoncée de la suprématie occidentale

Qui dit OTAN dit États-Unis. Les bons petits soldats de l’organisation de l’Atlantique Nord suivent aveuglément les injonctions venues de Washington. Ils ont réagi à propos de l’Ukraine comme ils l’avaient fait au sujet de l’Irak, de la Libye ou de l’Afghanistan. Ils ont plus de mal à propos de la Chine qui s’installe désormais comme seule rivale de la puissance la plus riche, mais aussi la plus endettée au monde. Cette lente modification des sphères d’influence dans le monde fait les affaires de la Russie, pas mécontente de sortir du halo américain. Car cela signifie que Washington ne mettra pas autant de hargne à défendre Kiev qu’il l’eût accepté voici quarante ans. Jusqu’alors assurés d’imposer la pax americana au reste du monde, Asie, Afrique, Amérique latine, et d’installer le dollar – accessoirement l’euro – comme les monnaies universelles, les alliés de l’OTAN ont perdu leurs certitudes. Quant à leurs positions géostratégiques, ils comprennent qu’ils doivent désormais compter avec les BRICS – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud –, auxquels se sont ajoutés depuis le 1er janvier l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, qui conjuguent leurs moyens pour affaiblir l’Occident confondu avec l’OTAN, a fortiori depuis que les pays scandinaves ont rallié cette dernière. Leur alliance, d’économique tend à devenir politique et vise à faire contrepoids au G7. Forts de leurs trois milliards six cent onze millions d’habitants, contre 783 millions d’Occidentaux, les BRICS contrôlent l’essentiel du marché pétrolier surtout depuis qu’ils accueillent les deux principaux fournisseurs de la péninsule arabique et détiennent une bonne partie de la dette américaine et européenne.

Les premiers effets de cette inversion des rapports de force se constatent en Afrique et dans la péninsule arabique. La France s’est vu chasser sans ménagement de l’Afrique subsaharienne en une décade et deux présidences. Celles de François Hollande et d’Emmanuel Macron. Il suffit de regarder une de ces cartes Vidal de La Blache qui illustraient sur tous les murs de classe l’œuvre coloniale de la Troisième République pour mesurer ce qu’est devenu l’influence de la France, désormais ramenée à l’hexagone. En moins de temps qu’il n’en faut pour passer du CM 1 à la classe de philosophie, le président de tous les abandons – ENA, corps préfectoral, corps diplomatique – aura réduit à néant l’œuvre de tant d’administrateurs, métropolitains ou ultramarins, que De Gaulle ne s’en retournera même pas dans sa tombe. Car « sa » France, celle de Charles De Gaulle, indépendante – ou souveraine si l’on préfère – politiquement, économiquement, militairement, énergétiquement – ne représente plus qu’une ligne sur le grand livre de l’Histoire. Le sentiment européen d’appartenance à une entité considérable – au sens premier du terme – ne suffirait pas à effacer la conscience du déclin. L’Europe coloniale a vécu, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose mais l’idée gaullienne d’une Communauté, dont il fut le premier Président, n’a pas davantage prospéré. Faute de s’être montrés solidaires de leurs amis français, les pays de l’UE ont perdu eux aussi leur crédibilité pendant que les États-Unis jouaient le grand air de la décolonisation.

Qui le leur reprocherait ? Les Américains n’ont guère changé depuis que Tocqueville soulignait leur vibrant patriotisme. De la doctrine Monroe à leurs interventions tardives mais décisives dans les deux guerres mondiales, les États Unis ont su garder le cap d’une rectitude et d’une honnêteté morale héritées de leurs origines WASP[5], tout en cultivant leur appétence pour les affaires :  business is business. Simplement, ils ont adopté depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale ce que l’on pourrait appeler la « doctrine Patton ». Ce général, champion de l’offensive à la tête de son unité blindée, a préconisé, alors que les opérations militaires n’étaient pas encore terminées, de se retourner contre l’Armée Rouge qui venait de porter les coups les plus sévères à la Wehrmacht. Harry Truman, à peine installé à la Maison Blanche, a repris cette doctrine qui allait enfanter le maccarthysme et figer les relations entre les États Unis et l’URSS dans des postures de mutuelle méfiance. Il est clair que la personnalité de Staline et la nature dictatoriale du régime communiste ont joué un rôle décisif dans la venue de la guerre froide et le bouclage du rideau de fer.

Quarante- cinq ans plus tard, le 25 décembre 1991, la dislocation de l’URSS actée à Minsk (!) par la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine aurait pu et dû ouvrir une nouvelle ère, celle d’une coexistence pacifique que la Russie de Gorbatchev puis de Boris Eltsine, appelait de ses vœux. La réponse américaine fut la doctrine Wolfowitz qui prenait acte de la suprématie américaine et en posait les conditions du maintien. Qui commençaient par le démembrement cette fois de la Fédération de Russie en quinze entités indépendantes. Dans les faits, ce fut la Russie moribonde, moquée, humiliée.

 

Le relèvement de la Russie

C’était préjuger de la capacité de rebond d’un pays aux ressources gigantesques et au patriotisme indéracinable. Un homme l’incarna, choisi par Boris Eltsine, dont ce fut sans doute le coup de génie, le kgbiste Vladimir Poutine.

On a tout dit de cet homme secret mais moderne dans son appréhension du pouvoir, et il n’est pas indispensable d’y revenir. Sauf pour souligner qu’il a rendu au peuple russe sa fierté.

La Russie de Vladimir Poutine est très éloignée du modèle soviétique, quand bien même elle présenterait des aspects contestables au regard des droits de l’homme. Toutefois son évolution s’est opérée dans le sens d’une certaine libéralisation, alors que les États-Unis, seuls maîtres du monde et inconscients de l’éveil de la Chine, suivaient le chemin inverse et écrasaient les obstacles réels ou supposés à leur toute puissance avec le lourd passif d’agressions contre des États souverains – Irak, Viêt-Nam, Grenade, Panama, Somalie, Afghanistan–, les activités douteuses de la CIA et l’ouverture de camps de détention hors de leur territoire, Pendant que la Russie se reconstruisait.

En ce début de troisième millénaire, l’image que renvoient l’un de l’autre les anciens alliés contre l’hitlérisme est, de ce fait, plus nuancée qu’on ne la présente communément. La guerre d’Ukraine, dont il est de bon ton d’imputer le déclenchement à la seule Russie et forcément à Poutine, n’a pas éclaté par hasard pas plus que ses protagonistes ne sont à ranger tous dans le même camp. En particulier, il n’est nullement assuré que la stature de Poutine entre dans le costume que lui taillent sans vergogne les médias occidentaux. Le manichéisme s’applique malaisément aux péripéties des relations internationales surtout quand s’y ajoute une inculture consternante telle celle qui fait dire à la tête de liste Renaissance aux européennes qu’Edouard Daladier était un défaitiste, assertion rigoureusement fausse à l’égard du seul politique de la Troisième République qui ait fait du réarmement son crédo invariable. De même, qu’il est devenu périlleux d’oser nuancer les jugements sur le conflit en cours.

Pour les supposés pro-ukrainiens (sic), l’entièreté de la responsabilité revient à Vladimir Poutine. Les comparaisons – peu flatteuses – n’ont pas manqué : Hitler, Staline, mais pas Napoléon pourtant peu chiche en déclarations de guerre. Faisant litière de la parole non tenue des dirigeants américains, Poutine a effectivement lancé ses troupes contre un adversaire qui bombardait depuis sept ans deux provinces de son propre territoire, au prix modique de 16 000 morts. L’avancée des forces russes, condamnable au regard du droit international – mais pas davantage que les interventions américaines sur quatre continents – pose paradoxalement plus de problèmes que de satisfactions aux Russes. Ils sont en effet pris pour cibles des va-t-en guerre de salon, l’énoncé de toute réserve à la perfection démocratique de l’Ukraine rejeté comme un crime, le moindre commencement de compréhension de la politique russe tenu pour une apologie honteuse. Les voix autorisées d’Alain Juillet, de Caroline Galactéros, d’Éric Denécé ou du colonel Jacques Baud ne sont plus écoutées mais stigmatisées. En attendant mieux.

On aura rarement connu pareil déchaînement de propagande contre un pays qui n’est certes pas un allié traditionnel de la France, mais dont il serait léger d’oublier le rôle décisif qui fut le sien pour abattre le nazisme. Les dix millions de soldats porteurs de l’étoile rouge pèsent moins que les quatre centaines de milliers de GI.  Il y a donc fort à parier que, pour commémorer le 80e anniversaire du débarquement en Normandie, l’Allemagne sera invitée, qui était alors notre ennemie, mais pas la Russie qui était notre alliée, que sera également de la fête l’Ukraine qui fournissait des SS par dizaines de milliers et des gardiens de camps de la mort par centaines ou milliers, mais pas la Yougoslavie, essentiellement la Serbie, qui eut plus de morts que les États-Unis.

Sans aucun doute, les autorités russes ne sont pas davantage respectueuses du droit à la contestation ou, tout simplement à l’information. Il n’est nullement question d’absoudre Vladimir Poutine des crimes qu’il aurait commis. A une condition toutefois : que ces crimes soient avérés et qu’il ait pu s’en expliquer.

Les accusations ne sont pas des verdicts. Celles portées contre les dirigeants russes nommément désignés ne vaudraient que confirmées par une juridiction qui ne soit pas de circonstance. Mais rappelons que les États-Unis, la Russie, Israël, la Chine et l’Inde n’ont pas ratifié la création de la CPI. Convenons que le décès en détention d’un opposant peut exiger des explications. Mais rappelons à ce sujet que la mort dans la prison de La Haye du président de la Serbie, Slobodan Milosevic, en 2006, n’a suscité aucune interrogation, encore moins d’indignation. Pour ma part, je peux modestement attester de ce que, quelques semaines avant cette issue fatale, le président serbe qui n’avait pas été condamné, rappelons-le, paraissait en bonne forme.

En tant que démocrates, nous avons le devoir de l’exemplarité et de l’honnêteté. Entendre toutes les versions, cesser de bâillonner les adversaires, faire valoir nos appréciations sans exclusive.

Il y a plus important encore.

Au nom de la simple humanité, il faut cesser le feu le plus vite qu’il se peut. Il faut mettre un terme aux pertes terribles que subissent les Ukrainiens et dont ils mettront des dizaines d’années à se remettre. Tant pis pour les Russes s’ils doivent faire taire les canons. Tant mieux pour les soldats qui reverront leurs familles. La porte des négociations n’est pas ouverte, mais elle n’est pas non plus fermée à double tour. A nous de tourner la poignée et de rendre un sens au mot de diplomatie.

Jean-Pierre Chevènement et Hubert Védrine, tous deux grands serviteurs de l’État, appellent à la discussion. Quel qu’en soit le déroulement, la négociation vaudra toujours mieux que la poursuite de la guerre. Ce constat qui n’a rien d’original s’avère d’autant plus impératif que les torts ne sont l’exclusivité de personne, que nous devons à la Russie au moins partie de la reconnaissance dont nous ne sommes pas chiches envers les États-Unis et à l’Ukraine le respect de ses droits, rien que ses droits mais tous ses droits.


[1] https://www.lagedhomme.com/ouvrages/pierre-marie+gallois/le+sang+du+petrole+%3A+irak/1886

[2] https://cf2r.org/tribune/les-veritables-adversaires-de-lamerique-sont-ses-allies-europeens-et-autres/

[3] https://cf2r.org/tribune/les-veritables-adversaires-de-lamerique-sont-ses-allies-europeens-et-autres/

[4] https://reseauinternational.net/linterview-de-serguei-choigou-par-mikhail-petrov/

[5] White Anglo-Saxon Protestant.

La Corée du Nord – l’obsession nucléaire. Entretien avec Juliette Morillot 

La Corée du Nord – l’obsession nucléaire. Entretien avec Juliette Morillot 

 

par Juliette Morillot* – Revue Conflits – publié le 1er avril

https://www.revueconflits.com/la-coree-du-nord-lobsession-nucleaire-entretien-avec-juliette-morillot/


Journaliste, auteur de nombreux ouvrages sur la Corée du Nord, Juliette Morillot explore les évolutions culturelles et politiques des Corées et de l’Asie du Sud-Est. Elle vient de publier La Corée du Nord en 100 questions (Tallandier).

Propos recueillis par Alban de Soos.

La Corée du Nord : L’obsession nucléaire en 100 questions, Taillandier, 2024, 19,90€. 

Au début de votre ouvrage, vous expliquez l’histoire de la Corée, colonie japonaise de 1910 à 1945. Une histoire marquée par les guerres, les pillages et les invasions, ce qui a conduit la Corée à fermer ses frontières, devenant un « royaume ermite ». Peut-on dire ainsi que la Corée, et en l’occurrence la Corée du Nord, tient dans son ADN ce renfermement sur elle-même ?

Je pense que l’expression « royaume ermite » utilisée par les médias étrangers pour parler de la Corée du Nord est une manière pratique de décrire un pays qui est fermé. Cependant, cette expression fait référence aux siècles passés, remontant à l’époque avant la partition de la Corée. J’explique dans le livre que jusqu’au XVIIe siècle, la Corée était du fait de sa volonté face aux invasions et destructions récurrentes un royaume totalement fermé, bien avant la colonisation japonaise. Cette tendance s’explique en partie par la position géopolitique de la Corée, prise en tenaille historiquement par deux puissants empires, la Chine et le Japon. Cette méfiance envers le monde extérieur est profondément enracinée dans l’identité coréenne, tant au Nord qu’au Sud.

Bien que la Corée du Sud soit aujourd’hui ouverte à l’Occident et accepte désormais l’immigration, cette transition reste complexe. En revanche, la Corée du Nord, en raison de sa nature fermée, accentuée davantage depuis la pandémie de COVID-19, est effectivement isolée de la communauté internationale. Cependant, ce n’est pas nécessairement une volonté d’isolement de sa part, mais plutôt une tentative de se protéger, conforme à sa doctrine du juche.

Pour résumer, cette caractéristique est commune aux deux Corées et est profondément enracinée dans leur histoire. La pandémie de COVID-19 l’a accentuée en Corée du Nord, mais il est important de noter que le pays entretient des liens avec de nombreux pays à l’étranger, en Asie du Sud-Est, en Afrique, au Moyen-Orient, avec les anciens pays du bloc soviétique et bien sûr la Russie… Malgré son image d’isolement, la Corée du Nord cherche à rayonner à l’étranger et à établir aussi des relations à l’international, y compris avec les États-Unis, comme en témoignent les rencontres avec Trump en 2018 et 2019.

On parle souvent de l’arme nucléaire comme l’assurance-vie de la Corée du Nord contre une invasion américaine. Au-delà de cette méfiance vis-à-vis du monde occidental, j’imagine qu’il y a un caractère historique à cette volonté de garantir une indépendance longtemps mise à l’épreuve.

C’est une continuation de ma réponse précédente, qui se résume par un proverbe coréen : « Quand les baleines se battent, les crevettes ont le dos rompu ». Les baleines représentent les grandes puissances, autrefois la Chine et le Japon, après ça a été la guerre froide, et aujourd’hui la Chine et les États-Unis. Le destin du pays, ainsi que sa partition en 1945, a été décidé par les dernières grandes puissances sans que les Coréens n’aient leur mot à dire, ce qui explique ce sentiment de menace extérieure permanente.

En discutant avec les Nord-Coréens, on perçoit aussitôt cette peur d’être à nouveau écrasé, c’est un sentiment profondément ancré. Les destructions majeures du pays pendant la guerre de Corée, notamment l’utilisation massive du napalm, ont marqué les esprits. C’est pourquoi le développement de l’arme nucléaire est une priorité. Les menaces américaines d’utiliser l’arme atomique pendant la guerre de Corée ont été un catalyseur majeur dans la décision de Kim Il Sung de doter le pays de cette arme. À Pyongyang, on me rappelle, quand j’y vais, les déclarations de Charles de Gaulle sur la dissuasion nucléaire. Cette volonté d’une défense indépendante est au cœur de l’identité actuelle de la Corée du Nord, malgré sa taille modeste en comparaison avec les grandes puissances. En effet, la péninsule coréenne, dans son ensemble, fait approximativement la taille de la Grande-Bretagne, avec une grande partie de son territoire recouverte de montagnes (80 % au Nord et 70 % au Sud), ce qui souligne le contraste entre la petite Corée et les grandes puissances mondiales.

À la question 27, « Qui est vraiment Kim Jong Un ? », vous décrivez un homme qui a eu une enfance à l’occidentale : il a grandi à Berne en Suisse ; passionné de basket et de ski, il joue à la PlayStation, il voyage en Europe, dont à Paris, et se rend à Disneyland au Japon. Comment expliquer cet endoctrinement, cette fermeture sur le monde, et ce rejet de la culture occidentale, alors que Kim Jong Un a grandi en Europe ?

Il n’y a pas de rejet de la culture occidentale en Corée du Nord ; au contraire, il existe des liens étroits entre l’élite nord-coréenne et la France dont l’image est bonne. Kim Jong Un s’est rendu à Paris, Kim Jong Nam, qui a été assassiné, y allait, la femme de Kim Jong Il a été soignée d’un cancer à Paris et Kim Jong Il, mais aussi Kim Jong Un ont tous les deux fait appel à des chirurgiens français qui se sont rendus à Pyongyang !  Des liens anciens existent donc entre les deux pays. Les années d’études de Kim Jong Un en Suisse ont été significatives, il a même suivi des cours sur la démocratie, ce qui lui a donné une certaine connaissance du monde occidental. Cependant, il ne faut pas leur donner trop d’importance : Kim Jong Un n’était qu’un adolescent et vivait dans un milieu totalement coréen.

Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, Kim Jong Un a sincèrement eu l’intention de provoquer des changements et d’ouvrir un peu le pays et l’économie. Ses premières années à la tête du pays ont été marquées par des réformes économiques visant à permettre une certaine liberté d’entreprise en Corée du Nord, des réformes qui avaient déjà commencé sous Kim Jong Il après la grande famine. Il y avait donc une volonté réelle de moderniser le pays, et lorsque Kim Jong Un disait qu’il ne voulait pas que son peuple souffre, cela semblait sincère.

Cependant, les sanctions internationales se sont multipliées avec les essais nucléaires et balistiques et c’est la population qui en souffre le plus. Elles n’ont aucun effet sur les programmes qu’elles sont censées limiter. Aujourd’hui, la Corée du Nord est étouffée par ces sanctions. Son économie souffre d’autant que, pendant la pandémie, elle a refermé ses frontières, devenant pour le coup un vrai royaume ermite. En refermant ses frontières avec la Chine pour se protéger, elle s’est par la même occasion coupée d’un commerce vital.

Cet isolement accru, combiné aux sanctions internationales et à l’échec des pourparlers avec Donald Trump, a marqué un tournant dans la politique nord-coréenne, renforçant sa détermination. Après cela, les orientations ont changé et Kim Jong Un est revenu sur les réformes initiales qu’il avait entreprises à son arrivée au pouvoir. Le temps des réformes et de l’ouverture, même timide, est passé. Beaucoup ont voulu croire en un adoucissement de la situation avec l’émergence de Kim Yo Jong, la sœur de Kim Jong Un, peut-être parce que c’est une femme, mais non, cela n’a pas été le cas.

Vous évoquez dans votre ouvrage le rôle prépondérant de la Suède en Corée du Nord. Vous soulignez à ce titre le rôle de médiateur dans la diplomatie officieuse qu’a joué la Suède, notamment pour préparer la rencontre en Mongolie entre la fille de Megumi Yokota, une kidnappée japonaise, avec ses grands-parents, ainsi que pour obtenir la libération d’Otto Warmbier, étudiant américain emprisonné à Pyongyang.

Comment la Suède a réussi à développer des liens diplomatiques avec Pyongyang. Est-elle le seul pays occidental à entretenir ce genre de relations avec la Corée du Nord ?

Cette question est complexe : il s’agit d’une diplomatie souterraine, mais en effet, elle revêt une grande importance, notamment pour ce qui est de la libération des Occidentaux retenus en Corée du Nord. Elle a permis aussi l’organisation de rencontres sensibles sur le nucléaire entre les États-Unis et la Corée du Nord. Les canaux de communication alternatifs jouent un rôle crucial dans ce contexte. Bien que l’on ait espéré que les Suisses pourraient également avoir un impact sur le terrain, puisqu’ils accueillent une ambassade nord-coréenne, Genève ne semble pas être centrale dans ce processus de diplomatie officieuse.

Je n’ai pas grand-chose d’autre à vous dire là-dessus, car cette diplomatie se fait par des réseaux parallèles, dont on ne parle pas, mais qui sont pour autant très solides et très anciens. Quand on en parle ouvertement dans les médias, c’est à l’occasion de situations extraordinaires liées à des Occidentaux, comme lorsque la Suède a joué un rôle d’intermédiaire pour la libération de Kenneth Bae, missionnaire américain détenu en Corée du Nord pour prosélytisme. Ou lorsqu’elle a organisé la rencontre en Mongolie des parents de Megumi Yokota, japonaise kidnappée par la Corée du Nord et depuis décédée, avec leur petite fille.

Comme vous l’écrivez dans votre ouvrage, en avril 2022, lors de la parade militaire célébrant les 70 ans de la fondation de l’armée, Kim Jong Un a pris ses distances vis-à-vis de la doctrine de persuasion. En effet, il explique que l’arme nucléaire ne peut se limiter à une simple dissuasion, mais pourrait être utilisée dans le cas ou la Corée du Nord serait face à une situation non souhaitée.

Peut-on dire que la menace nucléaire nord-coréenne a augmenté avec ce changement de direction dans la doctrine nucléaire de Pyongyang, où cela relève simplement d’une volonté d’affirmation de puissance, la Corée du Nord étant déjà prête à faire usage du nucléaire, au-delà de la dissuasion ?

Non, la Corée du Nord n’était pas prête à faire usage du nucléaire au-delà de la dissuasion. Cependant, le contexte mondial a évolué, et la décision de Kim Jong Un de passer à une arme qui dépasse le simple aspect dissuasif et de durcir sa position découle probablement de l’échec du sommet de Hanoï. À ce moment-là, les Américains n’ont pas pleinement pris la mesure de ce que la Corée du Nord leur proposait comme concessions. En 2018, Kim Jong Un avait proposé de fermer l’Institut national sur le nucléaire dans une lettre adressée à Donald Trump, ce qui constituait une offre significative, mais qui n’a pas été prise en compte. À Hanoï, il a proposé de démanteler la centrale nucléaire de Yongbyon, mais cette proposition n’a pas été retenue non plus. Je pense qu’à ce stade, les Nord-Coréens en ont eu assez et ont décidé que cela ne se reproduirait pas. Je pense que les Américains n’ont pas saisi l’importance du geste de la Corée du Nord, car le dialogue aurait pu continuer avec peut-être des avancées à la clé. En rentrant à Pyongyang, il était clair que Kim Jong Un considérait que c’était fini. Il recherchait la levée des sanctions ou au moins la poursuite du dialogue sur ces bases, mais ses efforts ont été balayés. Le sommet de Hanoï s’est terminé par un échec.

Ensuite, il y a eu la pandémie de Covid, suivie par une déclaration en avril 2022, puis en septembre de la même année, avec une nouvelle doctrine nucléaire. Comparée à la précédente, cette nouvelle doctrine est plus directe, les termes ont changé et les références historiques ont disparu. Elle justifie désormais l’utilisation de l’arme nucléaire en cas d’estimation d’une menace ou d’un danger, ce qui représente un changement significatif, car il ne s’agit plus de dissuasion, mais de frappes préventives, revendiquant ainsi le droit de le faire. Le ton de cette nouvelle doctrine est beaucoup plus technique, moins idéologique, avec la possibilité de frapper en dehors du cadre de la dissuasion.

Les discours ultérieurs de Kim Jong Un confirment cette tendance, et le deuxième point majeur est le fait que la Corée du Sud ait été désignée comme ennemi numéro un, même avant les États-Unis. De plus, il n’y a plus non plus de perspective de réunification, ce qui marque un changement majeur. En janvier dernier, Kim Jong Un a déclaré que la réunification n’était plus un objectif de la Corée du Nord. Il s’éloigne ainsi radicalement de la politique de Kim Il Sung et de Kim Jong Il, dont l’objectif officiel était de réunifier la péninsule. Désormais, Kim Jong Un considère cela comme une erreur et a abandonné toute référence à la Corée du Sud et à la réunification.

Tout cela se produit dans un monde en mutation, comme en témoignent les événements à Gaza et en Ukraine avec la Russie. Les cartes sont en train d’être redistribuées, et Kim Jong Un prend position pour se défendre, notamment en se rapprochant de la Russie. Donc oui, la doctrine nucléaire nord-coréenne est plus dangereuse, au même titre que le monde est devenu plus dangereux.

« Le rêve commun de réunification était un mythe, il est aujourd’hui une utopie. Et « une erreur », ainsi que Kim Jong Un l’a affirmé à la fin de l’année 2023, excluant dès lors toute réconciliation ou réunification avec la Corée du Sud.

Face à ces propos, une réunification semble très compliquée, comme vous l’évoquiez dans votre réponse précédente, tant le fossé entre le Nord et le Sud s’est creusé. Est-ce que les États-Unis et l’Europe ont compris et se rendent à l’évidence qu’une fusion des deux Corées est à exclure, et que jamais la Corée du Nord ne sera prête à se dénucléariser ?

Le fossé entre les deux Corées est indéniable, mais il semble plus évident du côté sud-coréen. Les Sud-Coréens ne peuvent ignorer l’impact économique d’une Corée du Nord affaiblie, si une réunification était effectuée. De plus, dans la jeune génération sud-coréenne, le lien avec les ancêtres nord-coréens est dépassé. Pour eux, c’est une histoire de grands-parents. En Corée du Nord, la question est davantage idéologique. Comme je l’ai mentionné précédemment, la réunification était autrefois un objectif officiel, mais elle est désormais considérée comme une erreur.

Il est difficile de comprendre pourquoi Kim Jong Un a pris cette direction. Peut-être cherche-t-il à mobiliser son peuple en désignant un ennemi commun, ce qui pourrait renforcer l’unité autour d’une nouvelle idéologie et accroître son propre pouvoir en tant que dirigeant. À ce stade, il est difficile d’en être certain.

Après avril 2022, le langage utilisé a changé. Alors qu’auparavant, on parlait d’exercices d’entraînement en Corée du Nord, désormais, il est question d’exercices de préparation à la guerre. Les mots ont de l’importance et trahissent un changement radical.

Il y a eu un semblant d’ouverture sur le monde en 2018, notamment avec la rencontre du président Donald Trump, qui a été un échec. Malgré cet échec, j’imagine que cela a quand même été bénéfique pour Kim Jong Un, qui a obtenu le statut de chef d’État respectable.

Cela a été largement bénéfique, et ce n’est pas perçu comme un échec en Corée du Nord. Cette rencontre a considérablement amélioré l’image de Kim Jong Un, car dans la philosophie du juche, l’idéologie nationale, il y a cette aspiration à négocier d’égal à égal avec les grandes puissances, notamment les États-Unis. Jusqu’en 2018, 2019, la Corée du Nord était largement ignorée et raillée par les Occidentaux, dans les médias et sur la scène internationale. Par exemple, pendant longtemps, les Occidentaux ont nié que la Corée du Nord possédait des armes nucléaires. Même récemment, j’ai encore été interrogée sur ce point sur un plateau de télévision. Combien de fois faudra-t-il le répéter ? Oui ils ont l’arme nucléaire ! On a trop longtemps voulu nier cela ; un peu la méthode Coué ! Maintenant, en outre, avec le soutien russe, ils pourront développer les aspects balistiques qu’ils ne maîtrisent pas ou qui sont à perfectionner. Aujourd’hui, les cartes dans les médias représentent enfin la Corée du Nord avec 50 têtes nucléaires, et maintenant, Pyongyang est au centre des discussions dans les journaux.

Cette rencontre a donc permis de donner une visibilité et de changer l’image de Kim Jong Un. Auparavant, il était souvent dépeint comme un fou avec des missiles, complètement instable, selon des articles datant d’il y a une dizaine d’années dans des médias tels que L’Express ou Le Point. Désormais, il est reconnu qu’il dirige un régime dictatorial, avec des objectifs clairs d’indépendance et de survie, mais qu’il faut prendre au sérieux. Certes il inquiète, nous savons que son programme s’est développé, et que technologiquement, les Nord-Coréens sont au point, mais il est maintenant pris au sérieux en Occident.

Cela a totalement transformé son image en Occident, ce qui constitue un succès pour la Corée du Nord, même s’il n’y a pas eu une levée concrète des sanctions internationales. Aujourd’hui, Kim Jong Un attend avec impatience les élections américaines. En attendant, il teste ses capacités balistiques et renforce sa puissance militaire, peut-être dans l’optique de relancer une offensive diplomatique si Trump était réélu, mais cela reste une supposition.

Spécialiste de la Corée du Nord comme du Sud, j’imagine que vous avez eu l’occasion d’aller en Corée du Nord. Si demain, je souhaite moi aussi visiter ce pays, quelles seront les démarches à faire, et dans quel climat s’effectuera une visite en Corée du Nord ?

Cela fait des années que je visite la Corée du Nord, j’ai commencé à y aller il y a très longtemps. Pour voyager en Corée du Nord, vous serez bien accueilli, car les Nord-Coréens apprécient les Français, et une fois dans le pays, le fait d’avoir franchi toutes les formalités signifie que vous êtes accepté. Cependant, il est important de se comporter correctement. Si l’on prend l’exemple de l’étudiant américain emprisonné et décédé juste après sa libération, Otto Warmbier, on voit bien qu’il ne faut pas jouer avec le feu. Il est essentiel d’être respectueux, de se rendre là-bas pour apprendre quelque chose, tout en gardant à l’esprit que ce que l’on ne voit pas, ce qui n’est pas montré, est tout aussi intéressant que ce qui est visible, mais il faut être intelligent et éviter de provoquer des situations dangereuses. Warmbier est entré dans une zone interdite dans son hôtel et cela était clairement indiqué. Son arrestation et sa mort sont démesurées par rapport à son présumé « crime ». Mais, il faut bien comprendre que la Corée du Nord n’est pas un jeu vidéo ! Il est important de respecter les règles.

Si l’on agit de manière appropriée, il n’y a absolument aucun danger en Corée du Nord, d’autant plus que les gens y sont très gentils et accueillants. C’est un pays magnifique où l’on peut voir des choses que l’on ne trouve nulle part ailleurs.


*Juliette Morillot est rédactrice en chef adjointe d’Asialyst, Juliette Morillot travaille et voyage en Asie depuis plusieurs décennies. Elle a publié de nombreux ouvrages dont, avec Dorian Malovic, La Corée du Nord en 100 questions (Tallandier, 2016), prix du meilleur livre géopolitique Axyntis/Conflits 2018.

La fusion IRSN-ASN pour plus d’efficacité ou plus de sûreté  ?

La fusion IRSN-ASN pour plus d’efficacité ou plus de sûreté  ?

ANALYSE. La fusion entre l’autorité de sûreté nucléaire (ASN) et son bras armé, l’IRSN, en charge du travail de terrain aborde sa dernière ligne droite. Le projet avait été recalé à l’été 2023. La nouvelle mouture a-t-elle résolu les craintes (de perte d’indépendance). Il faut trancher. Le texte sera examiné en séance publique les 7, 8 et 13 février 2024. Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles

(Crédits : DR)

Une structure duale est un avantage pour l’indépendance des décisions : l’ASN peut, en cas de pression du gouvernement dont il dépend, s’appuyer sur l’autorité scientifique et technique de l’IRSN comme contrepoids. Au sein d’une même entité, l’ASRN, qui verra le jour au 1er janvier 2025, ce bras de levier disparaît. L’organisation devra compenser en séparant le processus d’instruction des dossiers de sûreté nucléaire de l’expertise qui y est apportée, en bref, tenter de recapturer l’indépendance… dans un règlement d’ordre intérieur.

À lire les rapporteurs, les avantages de la réforme ne sont pas négligeables : il s’agit d’éviter la dispersion des compétences scientifiques et techniques rares, les différences de priorisation entre ISRN et ASN qui génèrent des délais dans la prise de décision, un facteur important avec le flux à venir de demandes. Il y a un foisonnement technologique inédit dans le secteur avec des startups qui ne doivent pas être que régulées et supervisées, mais d’abord accompagnées pour élaborer un nouveau référentiel de sûreté à appliquer.

C’est vrai aussi qu’en cas de crise, cela ferait désordre que l’IRSN et l’ASN activent leurs propres centres de crise alors qu’il faudrait un interlocuteur unique. Parler d’une voix commune éviterait des confusions préjudiciables, nous disent les travaux parlementaires. Avec cette fusion, on pourrait être recruté sous différents statuts, d’en changer ce qui renforce la mobilité professionnelle et géographique, des critères plaisants de nos jours.

Plus de sûreté ?

Mais cette fusion ASN-IRSN renforcera-t-elle ou a minima maintiendra-t-elle le niveau de sûreté qu’on attend. Il y a le risque de placer l’expertise sous l’influence de la décision comme le dit un rapporteur ou inversement. Démontrer la sûreté, c’est douter, pas être assertif. Bien séparer l’expertise de la décision, quand l’IRSN et l’ASN sont séparées, cela va de soi. Une fois ensemble, c’est plus qu’un règlement d’ordre intérieur qu’il faut. Et d’imaginer la séparation des fonctions, comme on le voit souvent dans le secteur financier ou dans certaines autorités administratives : la personne responsable de l’expertise doit être distincte de la personne responsable de l’élaboration de la décision. Il y a moyen de mettre plus d’accent sur les groupes permanents d’experts avec une assise juridique plus forte, des experts nommés pour leur compétence et expérience. Plusieurs pays mettent en place cette expertise tierce (USA, Finlande, Royaume-Uni).

La transparence est un autre objectif à préserver : chaque crise récente a vu la mise en avant d’organismes amenés à la gérer et des soupçons de complotisme. L’éviter, c’est leur imposer une transparence absolue et l’obligation de rendre des comptes. Il faudra plus qu’un règlement d’ordre intérieur.

L’ASN a comme missions : la réglementation, les décisions ou autorisations individuelles, le contrôle du respect des normes par les exploitants, l’information du public et l’assistance au gouvernement en plan d’urgence. Elle compte 516 agents et un budget annuel de 68,30 millions d’euros (2022). L’IRSN fait office d’expert et a une mission de recherche en sûreté nucléaire et radioprotection. Elle est placée sous la tutelle des ministres de l’environnement, de la défense, de l’énergie, de la recherche et de la santé, avec quatre missions : l’expertise technique, la recherche, l’information du public et l’assistance aux pouvoirs publics en cas d’accident. L’IRSN dispose d’un effectif de 1744 personnes et d’un budget annuel de 285 millions d’euros (2022).

Il y a un dialogue continu et régulier et une convention qui lient aujourd’hui IRSN et ASN. Le président de l’ASN est membre du conseil d’administration de l’IRSN et la direction de l’ASN est membre du comité d’orientation des recherches de cet établissement.

La structure duale IRSN-ASN revient de loin. Tout a commencé avec un service central de sûreté des installations nucléaires (SCIN) en 1973, et la création, au CEA, d’un département de la sûreté nucléaire (DSN) en 1970. Un Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN) a vu le jour en 1976. Après Tchernobyl, le SCIN devient une Direction de la sûreté des installations nucléaires (DSIN) et le SCPRI est transformé en un Office de protection contre les rayonnements ionisants (OPRI). En 2002, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) est créé, en regroupant l’IPSN et l’OPRI, et la DSIN est remplacée par une Direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSN) devenue ensuite l’ASN.

Fusionner l’ASN et l’IRSN semble alors la dernière étape : cela signifie le passage d’un système où l’expertise est « externalisée » à un système où elle est « intégrée ». Selon le pays, les deux formules existent.

Aux USA, le contrôle et l’expertise reposent sur la Regulatory Commission (NRC), créée en 1974. La NRC est dirigée par un collège de cinq commissaires L’expertise technique y est internalisée, mais fait écho à l’IRSN.

Au Japon, le contrôle repose sur une autorité de sûreté, la Nuclear Regulation Authority (NRA), créée en 2012 après Fukushima avec cinq commissaires. La NRA a à sa disposition à la fois une expertise technique interne, assurée par un département dédié, la Regulatory Standard and Research Department (RSRD), et deux organismes externes à la NRA : le Japan Atomic Energy Agency (JAEA) et le National Institute for Quantum and Radiological Science and Technology (QST).

La gouvernance de la sûreté nucléaire au Canada suit un modèle pleinement intégré.

Au Royaume-Uni, la gouvernance de la sûreté nucléaire s’appuie sur l’Office for Nuclear Regulation (ONR), créé en 2011, pour relancer le nucléaire civil. L’ONR a le statut de société indépendante avec des compétences d’expertise internes, assurées par sa Technical Division (TD), qui s’appuie sur des organismes externes, notamment privés.

La Belgique repose sur un modèle externalisé. Il y a une autorité de sûreté nucléaire, l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), rattachée au ministère de l’intérieur. Les missions techniques de l’AFCN sont confiées via un contrat de gestion à un organisme externe, Bel V, fondation de droit privé placée sous la tutelle de l’AFCN

Les mauvaises langues (qui ont peut-être raison) voient surtout dans la fusion ASN-IRSN une volonté de limiter l’indépendance un peu trop visible de l’IRSN. Ces dernières années, elle a pu imposer à l’exploitant d’aller plus loin que ce dernier n’aurait accepté. Les défauts de soudure ont été la dernier exemple en date avec EDF pensant pouvoir procéder aux inspections en fonctionnement, l’IRSN émettant de grands doutes à ce sujet. Il faut dire que l’IRSN dispose du pouvoir de publier ses avis indépendamment de l’ASN. Redoutable. Et si on préservait la liberté de parole de l’IRSN, même au sein de l’ASN ? Car l’ASRN dépend d’un état qui est le seul actionnaire d’EDF.

_____

Pour en savoir plus

Projet de loi relatif à l’organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire, Rapport No 300 de M. Pascal MARTIN, fait au nom de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable (31.01.2024), Avis No 296 de M. Patrick CHAIZE, fait au nom de la commission des affaires économiques (30.01.2024)

Rapport au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifique et technologiques sur les conséquences d’une éventuelle réorganisation de l’ASN et de l’IRSN sur les plans scientifiques et technologiques  ainsi que sur la sûreté nucléaire et la radioprotection ; M. Jean-Luc FUGIT, député, et M. Stéphane PIEDNOIR, sénateur, Juillet 2023

Carte. La République islamique d’Iran

Carte. La République islamique d’Iran

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le  le 7 février 2024.

https://www.diploweb.com/Carte-La-Republique-islamique-d-Iran.html


L’institut FMES propose à travers son « Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient » une lecture claire et synthétique des grands enjeux du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient et passe en revue l’ensemble des forces en présence. Cet ouvrage accessible, novateur et original présente en 50 cartes inédites des problématiques complexes et des informations utiles et synthétiques. Il illustre les capacités des forces armées et des scénarios de crises possibles. Disponible en version numérique gratuite à télécharger sur le site de l’institut FMES. Cet Atlas a été publié grâce au soutien de la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie (DGRIS) du Ministère des Armées. Cartographie par Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Avec une population de 85 millions d’habitants, l’Iran est le second pays le plus peuplé de la zone Afrique du Nord–Moyen-Orient (ANMO), derrière l’Egypte. C’est aussi un acteur géopolitique volontiers perturbateur, avec des caractéristiques singulières. Découvrez le nombre et la répartition de ses forces armées, ses matériels… mais aussi ses ressources, bases aériennes et navales, centrales nucléaires civiles et sites nucléaires.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, Diploweb.com est heureux de vous faire connaitre cette carte de l’Iran commentée extraite de l’« Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient » publié par l’institut FMES.
Carte grand format en pied de page.

LA RÉPUBLIQUE islamique d’Iran est un pays dont le système politique est régi par une théocratie de fait. Avec une population de 85 millions d’habitants, l’Iran est le second pays le plus peuplé de la zone Afrique du Nord–Moyen-Orient (ANMO) derrière l’Egypte.

 
Carte de la République islamique d’Iran
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte de la République islamique d’Iran. Cette carte est extraite de la publication de l’institut FMES, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, téléchargeable sur le site de l’institut FMES
Orcier/FMES

Sur le plan économique, l’Iran dispose d’un PIB de 389 milliards de dollars. Les principales sources de richesse du pays proviennent de l’industrie pétrolière, de la production de pistaches, de l’industrie du tapis ainsi que de l’industrie locale. Le budget de la défense s’élève à hauteur de 1 034 000 milliards de rials iraniens soit 158 % d’augmentation en comparaison des 400 200 rials budgétisés pour l’exercice 2022/2023. Les forces armées iraniennes comptent un effectif de 630 000 soldats. Si la République islamique d’Iran reste très fragile sur le front intérieur, elle a su renforcer sa posture et son influence à l’extérieur, puisqu’elle s’impose désormais comme un acteur incontournable reconnu tel par ses voisins et ses rivaux. Son souci majeur consiste à demeurer indépendante (tant des Occidentaux que de la Chine et de la Russie, avec lesquelles elle coopère étroitement) et à tenir à distance tous ses rivaux via une stratégie de dissuasion efficace. Pour l’instant, l’Iran y parvient grâce à une dissuasion conventionnelle asymétrique fondée sur l’influence régionale, un réseau de proxies à sa main (milices chiites en Irak, Syrie, Liban et Yémen) et un arsenal de missiles balistiques et de drones suffisamment précis pour exercer, le cas échéant, des représailles massives. Faute de pouvoir maintenir cette forme de dissuasion, ou s’il était attaqué, l’Iran pourrait accéder rapidement à la capacité nucléaire militaire que certains dirigeants iraniens perçoivent comme la seule manière de négocier efficacement avec Washington, a fortiori en cas de victoire des Républicains en novembre 2024. En attendant, la poursuite de son programme nucléaire lui permet de faire monter les enchères.

Sur le plan militaire, la République islamique s’est dotée de deux armées parallèles et complémentaires. D’une part, le Corps des gardiens de la révolution (Pasdaran), chargé de garantir la survie du régime (d’où son éparpillement dans les provinces et les principales villes du pays) tout en défendant ses intérêts à l’extérieur (notamment via la Force Al-Qods). Cette garde prétorienne, responsable de la défense des sites les plus sensibles (nucléaires, balistiques et liés au pouvoir), capte l’essentiel du budget militaire, des conscrits les mieux éduqués, l’intégralité des missiles balistiques ainsi que des armements les moins anciens ; elle dispose en outre d’un vaste réservoir de forces à travers les Corps des bassidjis. D’autre part, l’Armée régulière est chargée d’assurer la défense des frontières, de l’espace aérien et des approches maritimes, notamment face à l’Irak, l’Afghanistan et l’Azerbaïdjan avec lesquels les relations sont tendues. Ses matériels sont très largement obsolètes, limitant ses capacités offensives. L’Iran s’est doté d’une industrie d’armement efficace pour copier et améliorer les matériels existants, mais qui ne lui permet pas encore de concevoir des armements radicalement nouveaux, sauf dans le domaine des missiles et des drones. La coexistence des deux forces armées parallèles peut être source de friction. Au bilan, les forces armées iraniennes peuvent interdire le golfe Persique, mener des frappes de rétorsion contre tous leurs rivaux et mener des raids limités (y compris aéroterrestres) en Irak, en Afghanistan et en Azerbaïdjan, tout en envoyant si nécessaire un petit corps expéditionnaire en Syrie ou au Liban. Elles misent davantage sur leurs milices et leurs proxies pour faire pression sur leurs adversaires. L’Iran milite désormais pour la liberté de circulation maritime pour accéder plus aisément à la Syrie, au Venezuela et aux puissances asiatiques à commencer par la Chine. La normalisation récente avec l’Arabie Saoudite sous égide de Pékin contribue à atténuer sensiblement les tensions entre Téhéran et les monarchies du Golfe, isolant davantage Israël.

Copyright pour le texte et la carte 2022-institut FMES

Titre du document :
Carte de la République islamique d’Iran
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte de la République islamique d’Iran. Cette carte est extraite de la publication de l’institut FMES, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, téléchargeable sur le site de l’institut FMES

Document ajouté le 6 février 2024
Document JPEG ; 681528 ko
Taille : 1200 x 1204 px

Visualiser le document

Avec une population de 85 millions d’habitants, l’Iran est le deuxième pays le plus peuplé de la zone Afrique du Nord–Moyen-Orient, derrière l’Egypte. Quels sont les effectifs de ses forces armées ? Combien de chars, d’avions de combats, de missiles balistiques et frégates ?

Nucléaire : une nouvelle Macronite ?

Nucléaire : une nouvelle Macronite ?

Billet du lundi 5 février rédigé par Emmanuel GoûtGeopragma. 

membre du Conseil d’Orientation Stratégique de Geopragma

https://geopragma.fr/nucleaire-une-nouvelle-macronite/


Monsieur le Président, je vous écris une lettre… Non, trois lettres : EPR (European Pressurized Reactors), que vous lirez peut-être si vous avez le temps. (*)

Trois lettres qui s’inscrivent aujourd’hui comme une épitaphe sur les coupoles de ces réacteurs mastodontes, victimes d’hémorragies technologiques et financières, comme en Finlande, au Royaume Uni, et en France. Trois lettres, fleuron prétendu, affiché, supposé de la technologie nucléaire française qui, en son temps, sut être la plus performante au monde.

Si vous avez, au début de votre premier mandat, affiché votre volonté de sortir du nucléaire, c’est au cours du second que vous avez déclaré exactement le contraire. Il semblerait d’ailleurs que ce deuxième mandat s’affiche de plus en plus en contradiction avec le premier, tous sujets confondus. A l’exception cependant d’un fil conducteur, un fil guerrier caractérisé par l’usage d’un vocabulaire que l’on retrouve dans nombre de vos interventions : jamais nous n’aurons eu, en effet, un président utilisant tant le mot « guerre », cultivant même ce mot qui ne laisse  « guère » de place au tort et à travers. Une guerre déclarée, sans retenue, contre les gilets jaunes, les incendies de forêts, le Covid, la Russie, le chômage, la baisse de la natalité nécessitant un réarmement démographique, etc…

Revenons à l’EPR énième génération, programmé en France dans cette perspective de re-nucléarisation et commercialisé dans un monde en quête de décarbonation.

Le catastrophique pédigrée de l’EPR est sans commune mesure, ce qui ne manque pas de nous interpeller sur la capacité d’analyse de nos dirigeants. Trois exemples, aussi singuliers que concrets suffisent à illustrer cette déroute (pour vous faire un clin d’œil belliqueux) : l’EPR de Finlande, du Royaume-Uni et de la France (à Flamanville). Mediapart est revenu dans son édition du 25 janvier en détail sur la catastrophe, « le naufrage de l’EPR ». 

Une connaissance plus sommaire mais documentée suffit à pouvoir décrire sans nuance ce désastre : des explosions de budgets, déjà très élevés (5 fois les prévisions), des délais ou plutôt des retards de 5 à 15 ans, enfin une utilisation de 30 à 40 % de béton et acier en plus par rapport à nos concurrents internationaux ; pas étonnant que les Emiratis aient préféré un « new player », les Coréens! 

Comment en sommes-nous arrivés à ce déni du bon sens, comment pouvons-nous continuer de croire en notre supériorité technologique et commerciale, pourtant si mise à mal par la (triste) réalité ? Peut-être le résultat d’un cocktail ENA-Polytechnique se mettant au service d’ambitions manquées ?

A la fin de la première décennie de notre siècle, je faisais partie professionnellement de ce dernier carré qui, en Europe, voyait encore un salut dans l’énergie nucléaire. Les principaux acteurs mondiaux s’appelaient Areva, Westinghouse, Mitsubishi, Rosatom ; ni les Coréens du Sud, ni les Chinois n’avaient encore affiché une quelconque compétence à faire partie de la cour des grands. Depuis, Rosatom (le Russe) est devenu le premier constructeur mondial et son uranium sert encore 50% des centrales nucléaires américaines, n’en déplaise aux pourfendeurs de sanctions à tout vent. On est loin de Tchernobyl, et la Russie est désormais à la pointe technologique et sécuritaire dans ce domaine.

A l’époque, les Russes poussent pour des réacteurs de moyenne puissance VVER 800/1200 MGW pour répondre à leurs propres besoins, mais aussi pour leur développement à l’international, qu’ils accompagnent de politiques commerciales séduisantes : des mécanismes de financement qui répondent aux attentes des pays optant pour cette énergie décarbonée. On compte déjà de nouvelles centrales russes en Turquie, au Bangladesh, et en Egypte.

Autour de l’année 2010, la Russie et Rosatom avaient tendu la main à Areva. Malheureusement, Anne Lauvergeon, CEO d’Areva, resta campée sur ses aprioris et son option technologique de méga réacteurs. Pour être plus explicite, l’EPR, c’est comme si vous cherchiez à vendre une Mercedes 600 à une personne souhaitant acquérir une voiture de luxe, non sans faire de sacrifices, sans lui proposer le modèle 300, plus accessible.

Au même moment, des ingénieurs français chez EDF attiraient l’attention sur une technologie russe qui permettait, par induction, de remettre à neuf l’acier fragilisé par le bombardement neutronique de plusieurs décennies de production d’énergie nucléaire. Cela aurait permis de réaliser des économies colossales sur la rénovation du parc nucléaire français. Là encore, l’affaire fut classée sans suite. 

Depuis, la Russie perfectionne les mini-centrales en mer, utilisant cette industrie pour ouvrir de nouvelles voies d’approvisionnement dans le cercle polaire, les USA réalisent des projets nucléaires en technologie 3D (sans soudure) et des centrales de moyenne puissance AP 1000, les Coréens et les Chinois sont entrés sur le marché et l’Italie y songe, forte d’un « know how » à l’international et d’une réelle capacité d’innovation, comme par exemple avec New Cleo, « l’énergie d’imaginer ».

La France devrait pouvoir rapidement se remettre en ordre de marche en se positionnant sur le marché mondial et intérieur, forte d’une technologie qui a fait sa gloire avant l’EPR et qui fit d’elle le pays le plus nucléarisé au monde dans son « mix énergétique ». Il faut pour cela que la Présidence ouvre les yeux et écoute ceux qui ont accompagné ces évolutions mondiales, hors des carcans institutionnels. Sinon, après la disparition d’Areva, c’est la disparition d’EDF qui pourrait se profiler. Une société EDF qui tente une dernière sortie avec les SMR (Small Modular Reactors) qui paraissent voués aux mêmes difficultés d’abord, puis à l’échec comme l’EPR, face aux Américains et aux Russes qui tirent déjà les marrons du réacteur!

Cette réaction en chaîne, dans le domaine du nucléaire, ne fut malheureusement qu’un avant-goût de déroulés historiques à vocation manichéenne. On voit désormais les conflits s’accumuler à la surface du globe, alors que les coopérations internationales scientifiques, culturelles et universitaires se sont souvent révélées le meilleur antidote aux antagonismes meurtriers.

« Décidément, l’Ouest a perdu le Nord », comme le rappelait encore récemment la Présidente de Geopragma, Caroline Galacteros. Les paranoïas sont mauvaises conseillères et n’engraissent que les industries de l’armement. Peut être serait-il temps de dépoussiérer, en notre faveur, le « Drang nach Osten » (**) avant que les Allemands ne s’en ressaisissent.

(*) clin d’œil à Boris Vian

(**) option géopolitique allemande du XIXième de poussée vers l’Est de l’Europe.

 

La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy va augmenter de 150% d’ici à 2028

La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy va augmenter de 150% d’ici à 2028


 

Alors que la production de sous-marins nucléaires américaine n’atteint, aujourd’hui, que 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia chaque année, elle devra, d’ici à 2028, produire 2 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an, et même 2,3 Virginia à partir de 2030, pour absorber les livraisons à l’Australie.

L’industrie navale militaire américaine va devoir, dans les 5 ans à venir, multiplier par 2,5 leur production de sous-marins nucléaires, ce qui engendrera une transformation aussi radicale qu’après l’attaque de Pearl Harbor, pour cette fois relever le défi chinois.

Sommaire

Longtemps victime d’un biais technologiste lié à la perception d’une baisse des tensions navales dans le monde, l’US Navy est désormais engagée dans un très important effort de modernisation de sa flotte, pour relever le défi posé par la Marine chinoise et l’industrie navale de l’empire du milieu.

En effet, si l’US Navy demeure aujourd’hui la plus imposante force navale par son tonnage et la puissance de ses navires, la Marine de Pékin croit et se modernise, en nombre comme en tonnage et en capacités opérationnelles, bien plus rapidement que la Marine américaine ne parvient à se moderniser.

SeaWolf, Zumwalt, LCS : ces programmes qui ont sabordé la modernisation de l’US Navy pendant 25 ans

Il faut dire qu’entre les échecs des programmes SSN Sea Wolf, DDG Zumwalt et LCS Independance et Freedom, elle a connu des pertes de potentiel importantes avec, par exemple, le retrait des frégates anti-sous-marines de la classe O.H Perry non compensé par des LCS manquant de performances, et des pertes de volume.

D’autre part, ces programmes se sont avérés des d’immenses puits sans fonds budgétaires, ayant chacun couté plus de 20 Md$, soit l’équivalent de 5 sous-marins de la classe Virginia, de 7 destroyers Arleigh Burke, de 15 frégates classe Constellation, et même de presque deux porte-avions de la classe Ford, alors qu’ils n’ont produit que trois sous-marins, trois destroyers et une trentaine de LCS presque inutiles.

De fait, aujourd’hui, l’US Navy doit simultanément absorber les conséquences de ces échecs, renouveler sa flotte, et l’augmenter, pour tenir la ligne face à une Marine chinoise qui accueille chaque année une dizaine de destroyers et frégates, ainsi qu’un à deux grands navires amphibies ou aéronavals, et deux à trois nouveaux sous-marins, il est vrai encore majoritairement à propulsion conventionnelle.

Si, ces dernières années, le Pentagone a obtenu de l’exécutif et du Congrès les crédits nécessaires à cet effort qui n’aura probablement rien à envier à celui entrepris dans les années 80 avec le plan Lehman, du nom du Secrétaire à la Navy de Ronald Reagan, John Lehman qui, en 1982, lança une initiative pour amener l’US Navy à 600 navires pour répondre à la modernisation de la flotte soviétique engagée par l’Amiral Gorshkov dans les années 70.

La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy doit augmenter de 150 % en 5 ans

Pour répondre à ce défi, le Pentagone entend considérablement accroitre la production industrielle navale militaire américaine, en passant de la livraison d’un destroyer classe Arleigh Burke et 2 LCS par an, à celle de plus de deux destroyers Burke et une frégate classe Constellation, des navires autrement plus performants et mieux armés que les LCS dont la production va prochainement cesser.

L’effort le plus important portera, quant à lui, sur le domaine de la production des sous-marins nucléaires américains. En effet, aujourd’hui, l’US Navy reçoit, en moyenne, 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque SSN classe Virginia chaque année, une production pas même suffisante pour remplacer le retrait des SSN classe Los Angeles encore en service.

2,3 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an

L’objectif de production, annoncé par le Secrétariat à la Navy à l’occasion d’un témoignage écrit pour le Congrès, est d’atteindre, d’ici à 2028, un format désigné « 1+2 », soit 1 nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engin classe Columbia, pour remplacer les 12 SSBN classe Ohio en fin de vie, ainsi que deux sous-marins nucléaires d’attaque SSN classe Virginia, pour remplacer les SSN classe Los Angeles, et étendre la flotte de l’US Navy au-delà de 60 SSN d’ici à 2035, contre 44 aujourd’hui.

À cet objectif déjà ambitieux, le vice-amiral Bill Houston, qui commande la flotte sous-marine américaine, a ajouté la production de 0,33 SSN classe Virginia supplémentaires par an, pour absorber et remplacer les deux navires de cette classe qui seront prélevés sur l’inventaire de l’US Navy en 2032 et 2035 pour être transférés à la Marine australienne dans le cadre du programme AUKUS, ainsi que le troisième SSN classe Virginia, qui sera construit neuf et livré directement à Canberra en 2038, au standard Block VII.

Au total, donc, la production annuelle de sous-marins nucléaires par les chantiers navals américains, doit passer de 1,3 SSN aujourd’hui, à 2,3 SSN et un SSBN d’ici à 2028, une hausse considérable de 150 % en 5 années seulement.

Le défi est d’autant plus important, qu’un SSBN de la classe Columbia, ses 171 m et 21 000 tonnes en plongée, est beaucoup plus imposant et complexe à construire qu’un SSN classe Virginia, long de 140 m et déplaçant 10 200 tonnes en plongée.

Des effectifs industriels multipliés par 5 en seulement 5 ans

De fait, le Secrétariat à la Navy estime qu’il sera nécessaire, pour relever ce défi très ambitieux, de multiplier non par 2,5, mais par 5, les effectifs industriels dédiés à la construction de ces navires, pour atteindre ces objectifs, par ailleurs indispensables pour soutenir la compétition avec Pékin.

Classe Arleigh Burke
Outre la production de sous-marins, les chantiers navals militaires américains vont aussi devoir accroitre leur production en matière de navire de surface, avec les destroyers Arleigh Burke, les frégates Constellation et les futurs DD(x).

Ce besoin en matière de ressources humaines, ainsi que la construction des infrastructures nécessaires avec un possible 3ᵉ grand chantier naval à l’étude, sont aujourd’hui les principaux sujets de préoccupation de l’US Navy et de son Secrétaire, alors que les chantiers navals Huntington Ingalls Industries de Newport, et General Dynamics de Groton, peinent déjà à remplir les équipes à charge pourtant réduite.

Sur des délais aussi court, et pour un volume de progression aussi important, il est, en effet, illusoire de ne s’appuyer que sur des recrutements traditionnels, d’autant que l’industrie navale américaine est aujourd’hui presque exclusivement militaire, et qu’il n’existe donc aucun réservoir civil mobilisable, comme c’était encore le cas au début des années 80.

Il va donc, aux industriels américains, simultanément falloir recruter, ainsi que former et encadrer ce flux de nouveaux personnels, pour répondre à l’augmentation de la production de sous-marins, ainsi que de navires de surface, et se montrer particulièrement attractif, alors que le chômage aux Etats-Unis demeure sous la barre des 4 %.

L’échec n’étant pas envisageable considérant les enjeux sécuritaires qui en dépendent, la construction navale militaire américaine s’apprête à une transformation profonde, proche de celle qu’elle a connue en 1942, pour faire face à la Marine nippone.

Une fois le point d’équilibre atteint, que l’on peut estimer de 2040 à 2045, Washington disposera alors d’une flotte sans équivalent de 80 à 90 sous-marins nucléaires, et d’une centaine de grands navires de surface océaniques, mais aussi, et surtout, d’un potentiel industriel capable, une nouvelle fois, d’alimenter rapidement ses alliés.

Le retour prévisible de l’industrie navale militaire américaine sur le marché mondial

Il faudra donc, aux industriels navals européens, mais aussi japonais ou sud-coréens, se préparer à encaisser le choc du retour d’une industrie navale américaine sur le marché mondial, après l’avoir presque quitté dans les années 90 avec la fin de la production des frégates O.H Perry.

O.H Perry class Adelaide Australia
Les frégates anti-sous-marines américaines de la classe O.H Perry ont été exportées vers 10 Marines mondiales pour 42 exemplaires, bien davantage que n’importe lequel des modèles européens.

Lorsque l’on voit à quel point les États-Unis sont parvenus à imposer leur F-35 aujourd’hui, leurs F-16, F-18 avant cela, dans toute la sphère occidentale, on peut se faire une idée des effets qu’un retour américain sur le marché militaire naval mondial, pourront induire lorsque cela se produira.

L’action cumulée de l’arrivée de la Corée du Sud, du Japon et de la Turquie à court termes, le retour de la Chine et la montée en puissance chinoise dans les années à venir, et le spectre du grand retour des États-Unis sur le marché au-delà de 2035, il sera indispensable, aux groupes navals européens, de finement planifier leur propre activité, pour ne pas être emporté par les lames de fonds que se rapprochent rapidement.

Article du 8 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023

Fabrice Wolf:

Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.

Le Pentagone veut une nouvelle bombe nucléaire tactique à la fois précise et plus puissante

Le Pentagone veut une nouvelle bombe nucléaire tactique à la fois précise et plus puissante

https://www.opex360.com/2023/10/28/le-pentagone-veut-une-nouvelle-bombe-nucleaire-tactique-a-la-fois-precise-et-plus-puissante/


Pouvant être utilisée en mode « guidé », grâce à un kit monté à l’arrière ou en mode « non guidé » [c’est à dire larguée par gravité au-dessus de la cible], la B61-12 a une puissance pouvant aller de 0,3 à 50 kilotonnes… Ce qui est très en-deçà des capacités de la B61-7 [340 kt], de la B61-11 [400 kt] et de la B-61-4 [170 kt].

Pour autant, selon les plans du Pentagone, la B61-12 doit remplacer les B61-3, B61-4 [d’une puissance de 45 kt] et la B61-7. Étant donné sa capacité à détruire les cibles enterrées en profondeur [EPW – Earth-Penetrating Weapon], la B61-11 doit en principe être maintenue en service, d’autant plus que la B83, qui reste la plus puissante de l’arsenal américain [1,2 mégatonne, ndlr], fait l’objet d’une controverse outre-Atlantique, les démocrates voulant s’en débarrasser tandis que les républicains plaident pour la conserver.

Par ailleurs, le développement de la B61-12 avait aussi donné matière au débat. Ainsi, le Pentagone avait fait valoir que la réduction de sa puissance à 50 kt serait compensée par sa précision plus grande.

Mais cette position a été critiquée par certains, ceux-ci ayant estimé qu’une arme nucléaire plus précise et moins puissante était de nature à rendre les décideurs moins prudents quant à son usage éventuel… Cet argument fut contesté par le général Norton A. Schwartz, ex-chef d’état-major de l’US Air Force, pour qui une telle arme serait au contraire de nature à dissuader davantage de potentiels adversaires.

Quoi qu’il en soit, et alors que le sort de la B83 est toujours en suspens, le Pentagone a fait savoir, le 27 octobre, qu’il a l’intention de développer une nouvelle version plus puissante de la B61, à savoir la B-61-13. Celle-ci associerait la précision de la B61-12 à la puissance de la B61-7 [soit 340 kt].

Cette décision « reflète un environnement de sécurité changeant et des menaces croissantes émanant d’adversaires potentiels. Nous avons la responsabilité de continuer à évaluer et à déployer les capacités dont nous avons besoin pour dissuader de manière crédible et, si nécessaire, répondre aux attaques stratégiques, et rassurer nos alliés », a déclaré John Plumb, le secrétaire américain adjoint à la Défense pour la politique spatiale.

Et d’ajouter : « Bien qu’elle nous offre une flexibilité supplémentaire, la production de B61-13 n’augmentera pas le nombre total d’armes dans notre arsenal nucléaire ».

Ce qui signifie que, selon la fiche explicative accompagnant ce communiqué, les quelques unités de B61-12 qui ne seront pas produites vont être compensées par des B61-13.

En outre, soutient le Pentagone, la B61-13 donnera au président [des États-Unis] des « options supplémentaires » contre certaines « cibles militaires » alors que les bombes B83-1 et B61-7 doivent être retirées du service.

A priori, et si le communiqué assure que cette B61-13 pourra être emportée par les avions « les plus modernes », le chasseur-bombardier F-35A ne sera pas concerné, le Pentagone ayant précisé par la suite que cette nouvelle bombe serait mise en œuvre par le bombardier B-21 Raider, qui vient d’ailleurs d’entamer ses essais au sol.

Les petits réacteurs nucléaires modulaires joueront un rôle central dans la transition énergétique

Les petits réacteurs nucléaires modulaires joueront un rôle central dans la transition énergétique

OPINION. Les petites centrales nucléaires, également connues sous le nom de réacteurs modulaires de petite taille (Small Modular Reactors ou SMR en anglais), sont des installations nucléaires de production d’électricité de taille réduite par rapport aux réacteurs conventionnels. Ils sont conçus pour être plus compacts et plus modulaires, ce qui les rend plus facilement transportables et déployables dans différentes applications et environnements.

(Crédits : DR)

Les SMR sont encore en phase de développement et d’évaluation, et différentes approches et conceptions sont explorées par les concepteurs et les fabricants pour répondre aux besoins spécifiques de chaque projet.

Le marché des petits réacteurs modulaires (SMR) devrait connaître une croissance significative dans les années à venir. Les SMR sont plus petits, à la fois en termes de puissance et de taille physique, que les réacteurs nucléaires conventionnels à l’échelle du gigawatt. En règle générale, les SMR ont une puissance de sortie inférieure à 300 mégawatts électriques (MWe), certains pouvant atteindre 1 à 10 MWe.

La technologie SMR en est encore à ses premiers stades de développement, mais elle a le potentiel de révolutionner l’industrie de l’énergie nucléaire. Les SMR offrent un certain nombre d’avantages par rapport aux réacteurs nucléaires traditionnels, notamment :

Le marché mondial des SMR devrait atteindre 18,8 milliards de dollars d’ici 2030, avec une croissance annuelle composée (TCAC) de 15,8 %.

Voici quelques caractéristiques et avantages associés aux petites centrales nucléaires :

  • Taille et modularité :
    • Les SMR sont conçus pour être de taille réduite, ce qui facilite leur fabrication en usine et leur transport vers le site d’installation. Leur modularité permet d’ajouter ou de retirer des modules en fonction des besoins de la demande en électricité, offrant une certaine flexibilité.
  • Coûts de construction réduits :
    • Étant donné leur taille plus petite et leur construction modulaire, les SMR peuvent potentiellement réduire les coûts de construction comparativement aux réacteurs de grande taille. Les économies d’échelle peuvent être réalisées grâce à la production en série des modules.
  • Flexibilité d’utilisation :
    • Les petites centrales nucléaires peuvent être utilisées dans différents contextes, tels que la fourniture d’électricité à des communautés éloignées, des industries spécifiques, des zones côtières, ou pour des applications de désalinisation de l’eau. Elles peuvent également être utilisées comme sources d’énergie pour des projets miniers, des plates-formes offshore ou des missions spatiales.
  • Sécurité et gestion des déchets :
    • Les SMR sont conçus avec des mesures de sûreté intégrées pour minimiser les risques liés à la sûreté nucléaire. Certains SMR utilisent des conceptions passives qui ne nécessitent pas d’intervention humaine ou de sources d’alimentation externes pour assurer le refroidissement du réacteur en cas d’incident. De plus, les SMR peuvent être équipés de systèmes de gestion des déchets intégrés pour minimiser l’accumulation de déchets radioactifs.
  • Durabilité et émissions réduites :
    • Les SMR peuvent contribuer à la transition énergétique en fournissant une source d’énergie bas-carbone et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux centrales à combustibles fossiles. Ils peuvent être intégrés aux réseaux électriques existants ou utilisés pour fournir une énergie décentralisée et résiliente.
  • Déploiement dans des environnements divers :
    • Les SMR sont conçus pour être déployés dans différents environnements, tels que des communautés éloignées, des zones côtières, des sites industriels, des plates-formes offshore ou des installations militaires. Leur taille réduite et leur modularité permettent une plus grande adaptabilité aux conditions locales et une meilleure intégration dans des infrastructures existantes.
  • Gestion des déchets :
    • Certains modèles de SMR sont conçus pour réduire la production de déchets nucléaires grâce à une meilleure utilisation du combustible ou à des cycles de retraitement. Ils peuvent également intégrer des systèmes de gestion des déchets avancés pour minimiser les risques liés aux déchets radioactifs et améliorer la sécurité à long terme.

Voici quelques-uns des principaux acteurs du marché SMR :

  • NuScale Power (États-Unis)
  • GE Hitachi Nuclear Energy (États-Unis/Japon)
  • X-énergie (États-Unis)
  • Natrium (États-Unis)
  • TerraPower (États-Unis)
  • Moltex Énergie (Canada)
  • Oklo (États-Unis)
  • Rolls-Royce (Royaume-Uni)
  • CNNC (Chine)
  • Rosatom (Russie)

Parmi les projets les plus intéressants, il y a le XAMR® de NAAREA est un micro générateur nucléaire de 4e génération à sels fondus et neutrons rapides où se produit une réaction de fission intrinsèquement régulée. De petite taille et produits en série dans des usines industrielles, ces SMR seront transportables pour assurer une production décentralisée d’électricité et de chaleur.

Ces entreprises développent diverses technologies SMR, chacune présentant ses propres avantages et inconvénients. Il est probable que plusieurs technologies SMR seront commercialisées dans les années à venir et que le marché finira par se contenter de quelques conceptions dominantes.

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).

                                                                                                      (Crédits : DR)

Une dénucléarisation française sous pression allemande…

L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.

La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuve de 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.

Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin

Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail Energy Charts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.

Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.

Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?

De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.

De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.

Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.

____

(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.