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Capital : Quels sont les intérêts économiques de la France au Niger ?

Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) : L’importance du Niger est très largement stratégique, politique et militaire avant d’être économique. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde. Il est classé 189e sur 191 en indice de développement humain. Mais la présence économique française au Niger n’est pas négligeable. Il y a 50 à 60 entreprises françaises implantées au Niger dans des secteurs variés : BTP, transport et logistique, alimentation, télécoms… On y retrouve des filiales de Vinci, TotalÉnergies et CFAO. Et comme le Niger est un pays enclavé, les marchandises transitent par des ports comme celui de Lomé au Togo ou d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Tout cela représente un trafic important pour l’économie française. À travers AGL (ex-Bolloré Africa Logistics), la France est fortement engagée dans le commerce maritime en Afrique.

À quel point ces activités sont importantes pour la France ?

Le montant des échanges commerciaux entre la France et le Niger s’élève environ à 260 millions d’euros. Mais ce n’est pas parce que le pays est petit qu’il n’y a pas de potentiel. Au moment de son indépendance, en 1958, le Niger comptait 3 millions d’habitants. Aujourd’hui, le pays dispose d’une population très jeune de 25 millions d’habitants en croissance continue. En 2050, elle devrait passer à 70 millions puis à 100 millions à la fin du siècle. C’est l’un des pays du monde qui a la plus grande natalité. Ce sont autant de personnes à nourrir, à vêtir et à éduquer.

Le Niger fait partie des plus gros producteurs mondiaux d’uranium. À quel point la France dépend du Niger pour faire fonctionner ses centrales nucléaires ?

Le Niger est le cinquième producteur mondial d’uranium. Ils produisent 5 à 6 % de l’uranium mondial et 20 à 35 % de l’uranium français viennent du Niger. Le groupe français Orano (ex-Areva) exploite des mines sur place. Mais la France dépend faiblement de l’uranium du Niger. Elle dispose de stocks importants et elle peut compter sur une dizaine de pays fournisseurs, notamment l’Australie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.

Selon certains experts, nous sommes en train d’assister à une érosion du postcolonialisme de la France en Afrique d’un point de vue militaire. Qu’en est-il d’un point de vue économique ?

Contrairement à une idée reçue, la France ne perd pas pied en Afrique sur le plan économique. Les échanges commerciaux sont en croissance tout comme le nombre d’entreprises françaises présentes. Mais depuis 25 ans, l’Afrique s’est ouverte au monde et elle est entrée dans la mondialisation. De nouveaux acteurs importants sont arrivés de Chine, de Turquie, d’Inde et du Moyen-Orient. Donc la France a perdu des parts de marché même si ses activités ont progressé en Afrique. En termes d’investissements directs, la France est deuxième en Afrique derrière le Royaume-Uni. Nous restons devant la Chine et les États-Unis.

Mais l’instabilité politique en Afrique pourrait-elle changer la donner ?

C’est le cinquième coup d’État dans le Sahel en deux ans, après les deux coups au Mali, celui au Burkina Faso et celui en Guinée. Cela s’accompagne parfois d’un sentiment anti-français cultivé par les juntes militaires et alimenté par certains pays étrangers. Mais l’Afrique a une capacité de résilience extraordinaire. Même après des crises profondes, les pays peuvent rebondir très vite. Il faut garder cet espoir.