Monsieur le Président, je vous écris une lettre… Non, trois lettres : EPR (European Pressurized Reactors), que vous lirez peut-être si vous avez le temps. (*)
Trois lettres qui s’inscrivent aujourd’hui comme une épitaphe sur les coupoles de ces réacteurs mastodontes, victimes d’hémorragies technologiques et financières, comme en Finlande, au Royaume Uni, et en France. Trois lettres, fleuron prétendu, affiché, supposé de la technologie nucléaire française qui, en son temps, sut être la plus performante au monde.
Si vous avez, au début de votre premier mandat, affiché votre volonté de sortir du nucléaire, c’est au cours du second que vous avez déclaré exactement le contraire. Il semblerait d’ailleurs que ce deuxième mandat s’affiche de plus en plus en contradiction avec le premier, tous sujets confondus. A l’exception cependant d’un fil conducteur, un fil guerrier caractérisé par l’usage d’un vocabulaire que l’on retrouve dans nombre de vos interventions : jamais nous n’aurons eu, en effet, un président utilisant tant le mot « guerre », cultivant même ce mot qui ne laisse « guère » de place au tort et à travers. Une guerre déclarée, sans retenue, contre les gilets jaunes, les incendies de forêts, le Covid, la Russie, le chômage, la baisse de la natalité nécessitant un réarmement démographique, etc…
Revenons à l’EPR énième génération, programmé en France dans cette perspective de re-nucléarisation et commercialisé dans un monde en quête de décarbonation.
Le catastrophique pédigrée de l’EPR est sans commune mesure, ce qui ne manque pas de nous interpeller sur la capacité d’analyse de nos dirigeants. Trois exemples, aussi singuliers que concrets suffisent à illustrer cette déroute (pour vous faire un clin d’œil belliqueux) : l’EPR de Finlande, du Royaume-Uni et de la France (à Flamanville). Mediapart est revenu dans son édition du 25 janvier en détail sur la catastrophe, « le naufrage de l’EPR ».
Une connaissance plus sommaire mais documentée suffit à pouvoir décrire sans nuance ce désastre : des explosions de budgets, déjà très élevés (5 fois les prévisions), des délais ou plutôt des retards de 5 à 15 ans, enfin une utilisation de 30 à 40 % de béton et acier en plus par rapport à nos concurrents internationaux ; pas étonnant que les Emiratis aient préféré un « new player », les Coréens!
Comment en sommes-nous arrivés à ce déni du bon sens, comment pouvons-nous continuer de croire en notre supériorité technologique et commerciale, pourtant si mise à mal par la (triste) réalité ? Peut-être le résultat d’un cocktail ENA-Polytechnique se mettant au service d’ambitions manquées ?
A la fin de la première décennie de notre siècle, je faisais partie professionnellement de ce dernier carré qui, en Europe, voyait encore un salut dans l’énergie nucléaire. Les principaux acteurs mondiaux s’appelaient Areva, Westinghouse, Mitsubishi, Rosatom ; ni les Coréens du Sud, ni les Chinois n’avaient encore affiché une quelconque compétence à faire partie de la cour des grands. Depuis, Rosatom (le Russe) est devenu le premier constructeur mondial et son uranium sert encore 50% des centrales nucléaires américaines, n’en déplaise aux pourfendeurs de sanctions à tout vent. On est loin de Tchernobyl, et la Russie est désormais à la pointe technologique et sécuritaire dans ce domaine.
A l’époque, les Russes poussent pour des réacteurs de moyenne puissance VVER 800/1200 MGW pour répondre à leurs propres besoins, mais aussi pour leur développement à l’international, qu’ils accompagnent de politiques commerciales séduisantes : des mécanismes de financement qui répondent aux attentes des pays optant pour cette énergie décarbonée. On compte déjà de nouvelles centrales russes en Turquie, au Bangladesh, et en Egypte.
Autour de l’année 2010, la Russie et Rosatom avaient tendu la main à Areva. Malheureusement, Anne Lauvergeon, CEO d’Areva, resta campée sur ses aprioris et son option technologique de méga réacteurs. Pour être plus explicite, l’EPR, c’est comme si vous cherchiez à vendre une Mercedes 600 à une personne souhaitant acquérir une voiture de luxe, non sans faire de sacrifices, sans lui proposer le modèle 300, plus accessible.
Au même moment, des ingénieurs français chez EDF attiraient l’attention sur une technologie russe qui permettait, par induction, de remettre à neuf l’acier fragilisé par le bombardement neutronique de plusieurs décennies de production d’énergie nucléaire. Cela aurait permis de réaliser des économies colossales sur la rénovation du parc nucléaire français. Là encore, l’affaire fut classée sans suite.
Depuis, la Russie perfectionne les mini-centrales en mer, utilisant cette industrie pour ouvrir de nouvelles voies d’approvisionnement dans le cercle polaire, les USA réalisent des projets nucléaires en technologie 3D (sans soudure) et des centrales de moyenne puissance AP 1000, les Coréens et les Chinois sont entrés sur le marché et l’Italie y songe, forte d’un « know how » à l’international et d’une réelle capacité d’innovation, comme par exemple avec New Cleo, « l’énergie d’imaginer ».
La France devrait pouvoir rapidement se remettre en ordre de marche en se positionnant sur le marché mondial et intérieur, forte d’une technologie qui a fait sa gloire avant l’EPR et qui fit d’elle le pays le plus nucléarisé au monde dans son « mix énergétique ». Il faut pour cela que la Présidence ouvre les yeux et écoute ceux qui ont accompagné ces évolutions mondiales, hors des carcans institutionnels. Sinon, après la disparition d’Areva, c’est la disparition d’EDF qui pourrait se profiler. Une société EDF qui tente une dernière sortie avec les SMR (Small Modular Reactors) qui paraissent voués aux mêmes difficultés d’abord, puis à l’échec comme l’EPR, face aux Américains et aux Russes qui tirent déjà les marrons du réacteur!
Cette réaction en chaîne, dans le domaine du nucléaire, ne fut malheureusement qu’un avant-goût de déroulés historiques à vocation manichéenne. On voit désormais les conflits s’accumuler à la surface du globe, alors que les coopérations internationales scientifiques, culturelles et universitaires se sont souvent révélées le meilleur antidote aux antagonismes meurtriers.
« Décidément, l’Ouest a perdu le Nord », comme le rappelait encore récemment la Présidente de Geopragma, Caroline Galacteros. Les paranoïas sont mauvaises conseillères et n’engraissent que les industries de l’armement. Peut être serait-il temps de dépoussiérer, en notre faveur, le « Drang nach Osten » (**) avant que les Allemands ne s’en ressaisissent.
(*) clin d’œil à Boris Vian
(**) option géopolitique allemande du XIXième de poussée vers l’Est de l’Europe.
Alors que la production de sous-marins nucléaires américaine n’atteint, aujourd’hui, que 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia chaque année, elle devra, d’ici à 2028, produire 2 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an, et même 2,3 Virginia à partir de 2030, pour absorber les livraisons à l’Australie.
L’industrie navale militaire américaine va devoir, dans les 5 ans à venir, multiplier par 2,5 leur production de sous-marins nucléaires, ce qui engendrera une transformation aussi radicale qu’après l’attaque de Pearl Harbor, pour cette fois relever le défi chinois.
Sommaire
Longtemps victime d’un biais technologiste lié à la perception d’une baisse des tensions navales dans le monde, l’US Navy est désormais engagée dans un très important effort de modernisation de sa flotte, pour relever le défi posé par la Marine chinoise et l’industrie navale de l’empire du milieu.
En effet, si l’US Navy demeure aujourd’hui la plus imposante force navale par son tonnage et la puissance de ses navires, la Marine de Pékin croit et se modernise, en nombre comme en tonnage et en capacités opérationnelles, bien plus rapidement que la Marine américaine ne parvient à se moderniser.
SeaWolf, Zumwalt, LCS : ces programmes qui ont sabordé la modernisation de l’US Navy pendant 25 ans
Il faut dire qu’entre les échecs des programmes SSN Sea Wolf, DDG Zumwalt et LCS Independance et Freedom, elle a connu des pertes de potentiel importantes avec, par exemple, le retrait des frégates anti-sous-marines de la classe O.H Perry non compensé par des LCS manquant de performances, et des pertes de volume.
D’autre part, ces programmes se sont avérés des d’immenses puits sans fonds budgétaires, ayant chacun couté plus de 20 Md$, soit l’équivalent de 5 sous-marins de la classe Virginia, de 7 destroyers Arleigh Burke, de 15 frégates classe Constellation, et même de presque deux porte-avions de la classe Ford, alors qu’ils n’ont produit que trois sous-marins, trois destroyers et une trentaine de LCS presque inutiles.
De fait, aujourd’hui, l’US Navy doit simultanément absorber les conséquences de ces échecs, renouveler sa flotte, et l’augmenter, pour tenir la ligne face à une Marine chinoise qui accueille chaque année une dizaine de destroyers et frégates, ainsi qu’un à deux grands navires amphibies ou aéronavals, et deux à trois nouveaux sous-marins, il est vrai encore majoritairement à propulsion conventionnelle.
Si, ces dernières années, le Pentagone a obtenu de l’exécutif et du Congrès les crédits nécessaires à cet effort qui n’aura probablement rien à envier à celui entrepris dans les années 80 avec le plan Lehman, du nom du Secrétaire à la Navy de Ronald Reagan, John Lehman qui, en 1982, lança une initiative pour amener l’US Navy à 600 navires pour répondre à la modernisation de la flotte soviétique engagée par l’Amiral Gorshkov dans les années 70.
La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy doit augmenter de 150 % en 5 ans
Pour répondre à ce défi, le Pentagone entend considérablement accroitre la production industrielle navale militaire américaine, en passant de la livraison d’un destroyer classe Arleigh Burke et 2 LCS par an, à celle de plus de deux destroyers Burke et une frégate classe Constellation, des navires autrement plus performants et mieux armés que les LCS dont la production va prochainement cesser.
L’effort le plus important portera, quant à lui, sur le domaine de la production des sous-marins nucléaires américains. En effet, aujourd’hui, l’US Navy reçoit, en moyenne, 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque SSN classe Virginia chaque année, une production pas même suffisante pour remplacer le retrait des SSN classe Los Angeles encore en service.
2,3 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an
L’objectif de production, annoncé par le Secrétariat à la Navy à l’occasion d’un témoignage écrit pour le Congrès, est d’atteindre, d’ici à 2028, un format désigné « 1+2 », soit 1 nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engin classe Columbia, pour remplacer les 12 SSBN classe Ohio en fin de vie, ainsi que deux sous-marins nucléaires d’attaque SSN classe Virginia, pour remplacer les SSN classe Los Angeles, et étendre la flotte de l’US Navy au-delà de 60 SSN d’ici à 2035, contre 44 aujourd’hui.
À cet objectif déjà ambitieux, le vice-amiral Bill Houston, qui commande la flotte sous-marine américaine, a ajouté la production de 0,33 SSN classe Virginia supplémentaires par an, pour absorber et remplacer les deux navires de cette classe qui seront prélevés sur l’inventaire de l’US Navy en 2032 et 2035 pour être transférés à la Marine australienne dans le cadre du programme AUKUS, ainsi que le troisième SSN classe Virginia, qui sera construit neuf et livré directement à Canberra en 2038, au standard Block VII.
Au total, donc, la production annuelle de sous-marins nucléaires par les chantiers navals américains, doit passer de 1,3 SSN aujourd’hui, à 2,3 SSN et un SSBN d’ici à 2028, une hausse considérable de 150 % en 5 années seulement.
Le défi est d’autant plus important, qu’un SSBN de la classe Columbia, ses 171 m et 21 000 tonnes en plongée, est beaucoup plus imposant et complexe à construire qu’un SSN classe Virginia, long de 140 m et déplaçant 10 200 tonnes en plongée.
Des effectifs industriels multipliés par 5 en seulement 5 ans
De fait, le Secrétariat à la Navy estime qu’il sera nécessaire, pour relever ce défi très ambitieux, de multiplier non par 2,5, mais par 5, les effectifs industriels dédiés à la construction de ces navires, pour atteindre ces objectifs, par ailleurs indispensables pour soutenir la compétition avec Pékin.
Ce besoin en matière de ressources humaines, ainsi que la construction des infrastructures nécessaires avec un possible 3ᵉ grand chantier naval à l’étude, sont aujourd’hui les principaux sujets de préoccupation de l’US Navy et de son Secrétaire, alors que les chantiers navals Huntington Ingalls Industries de Newport, et General Dynamics de Groton, peinent déjà à remplir les équipes à charge pourtant réduite.
Sur des délais aussi court, et pour un volume de progression aussi important, il est, en effet, illusoire de ne s’appuyer que sur des recrutements traditionnels, d’autant que l’industrie navale américaine est aujourd’hui presque exclusivement militaire, et qu’il n’existe donc aucun réservoir civil mobilisable, comme c’était encore le cas au début des années 80.
Il va donc, aux industriels américains, simultanément falloir recruter, ainsi que former et encadrer ce flux de nouveaux personnels, pour répondre à l’augmentation de la production de sous-marins, ainsi que de navires de surface, et se montrer particulièrement attractif, alors que le chômage aux Etats-Unis demeure sous la barre des 4 %.
L’échec n’étant pas envisageable considérant les enjeux sécuritaires qui en dépendent, la construction navale militaire américaine s’apprête à une transformation profonde, proche de celle qu’elle a connue en 1942, pour faire face à la Marine nippone.
Une fois le point d’équilibre atteint, que l’on peut estimer de 2040 à 2045, Washington disposera alors d’une flotte sans équivalent de 80 à 90 sous-marins nucléaires, et d’une centaine de grands navires de surface océaniques, mais aussi, et surtout, d’un potentiel industriel capable, une nouvelle fois, d’alimenter rapidement ses alliés.
Le retour prévisible de l’industrie navale militaire américaine sur le marché mondial
Il faudra donc, aux industriels navals européens, mais aussi japonais ou sud-coréens, se préparer à encaisser le choc du retour d’une industrie navale américaine sur le marché mondial, après l’avoir presque quitté dans les années 90 avec la fin de la production des frégates O.H Perry.
Lorsque l’on voit à quel point les États-Unis sont parvenus à imposer leur F-35 aujourd’hui, leurs F-16, F-18 avant cela, dans toute la sphère occidentale, on peut se faire une idée des effets qu’un retour américain sur le marché militaire naval mondial, pourront induire lorsque cela se produira.
L’action cumulée de l’arrivée de la Corée du Sud, du Japon et de la Turquie à court termes, le retour de la Chine et la montée en puissance chinoise dans les années à venir, et le spectre du grand retour des États-Unis sur le marché au-delà de 2035, il sera indispensable, aux groupes navals européens, de finement planifier leur propre activité, pour ne pas être emporté par les lames de fonds que se rapprochent rapidement.
Article du 8 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023
Fabrice Wolf:
Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.
En octobre 2022, et compte tenu de l’évolution du contexte sécuritaire, marqué par la guerre en Ukraine, il fut rapporté que les États-Unis envisageait d’accélérer le déploiement en Europe de la B61-12, c’est à dire la dernière version de la bombe nucléaire B61, dont certains modèles – les B61-3 et B61-4 – sont susceptibles d’être mis en œuvre dans le cadre des plans nucléaires de l’Otan [auxquels sont également associés l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas et la Turquie].
Pouvant être utilisée en mode « guidé », grâce à un kit monté à l’arrière ou en mode « non guidé » [c’est à dire larguée par gravité au-dessus de la cible], la B61-12 a une puissance pouvant aller de 0,3 à 50 kilotonnes… Ce qui est très en-deçà des capacités de la B61-7 [340 kt], de la B61-11 [400 kt] et de la B-61-4 [170 kt].
Pour autant, selon les plans du Pentagone, la B61-12 doit remplacer les B61-3, B61-4 [d’une puissance de 45 kt] et la B61-7. Étant donné sa capacité à détruire les cibles enterrées en profondeur [EPW – Earth-Penetrating Weapon], la B61-11 doit en principe être maintenue en service, d’autant plus que la B83, qui reste la plus puissante de l’arsenal américain [1,2 mégatonne, ndlr], fait l’objet d’une controverse outre-Atlantique, les démocrates voulant s’en débarrasser tandis que les républicains plaident pour la conserver.
Par ailleurs, le développement de la B61-12 avait aussi donné matière au débat. Ainsi, le Pentagone avait fait valoir que la réduction de sa puissance à 50 kt serait compensée par sa précision plus grande.
Mais cette position a été critiquée par certains, ceux-ci ayant estimé qu’une arme nucléaire plus précise et moins puissante était de nature à rendre les décideurs moins prudents quant à son usage éventuel… Cet argument fut contesté par le général Norton A. Schwartz, ex-chef d’état-major de l’US Air Force, pour qui une telle arme serait au contraire de nature à dissuader davantage de potentiels adversaires.
Quoi qu’il en soit, et alors que le sort de la B83 est toujours en suspens, le Pentagone a fait savoir, le 27 octobre, qu’il a l’intention de développer une nouvelle version plus puissante de la B61, à savoir la B-61-13. Celle-ci associerait la précision de la B61-12 à la puissance de la B61-7 [soit 340 kt].
Cette décision « reflète un environnement de sécurité changeant et des menaces croissantes émanant d’adversaires potentiels. Nous avons la responsabilité de continuer à évaluer et à déployer les capacités dont nous avons besoin pour dissuader de manière crédible et, si nécessaire, répondre aux attaques stratégiques, et rassurer nos alliés », a déclaré John Plumb, le secrétaire américain adjoint à la Défense pour la politique spatiale.
Et d’ajouter : « Bien qu’elle nous offre une flexibilité supplémentaire, la production de B61-13 n’augmentera pas le nombre total d’armes dans notre arsenal nucléaire ».
Ce qui signifie que, selon la fiche explicative accompagnant ce communiqué, les quelques unités de B61-12 qui ne seront pas produites vont être compensées par des B61-13.
En outre, soutient le Pentagone, la B61-13 donnera au président [des États-Unis] des « options supplémentaires » contre certaines « cibles militaires » alors que les bombes B83-1 et B61-7 doivent être retirées du service.
A priori, et si le communiqué assure que cette B61-13 pourra être emportée par les avions « les plus modernes », le chasseur-bombardier F-35A ne sera pas concerné, le Pentagone ayant précisé par la suite que cette nouvelle bombe serait mise en œuvre par le bombardier B-21 Raider, qui vient d’ailleurs d’entamer ses essais au sol.
Les petits réacteurs nucléaires modulaires joueront un rôle central dans la transition énergétique
OPINION. Les petites centrales nucléaires, également connues sous le nom de réacteurs modulaires de petite taille (Small Modular Reactors ou SMR en anglais), sont des installations nucléaires de production d’électricité de taille réduite par rapport aux réacteurs conventionnels. Ils sont conçus pour être plus compacts et plus modulaires, ce qui les rend plus facilement transportables et déployables dans différentes applications et environnements.
Les SMR sont encore en phase de développement et d’évaluation, et différentes approches et conceptions sont explorées par les concepteurs et les fabricants pour répondre aux besoins spécifiques de chaque projet.
Le marché des petits réacteurs modulaires (SMR) devrait connaître une croissance significative dans les années à venir. Les SMR sont plus petits, à la fois en termes de puissance et de taille physique, que les réacteurs nucléaires conventionnels à l’échelle du gigawatt. En règle générale, les SMR ont une puissance de sortie inférieure à 300 mégawatts électriques (MWe), certains pouvant atteindre 1 à 10 MWe.
La technologie SMR en est encore à ses premiers stades de développement, mais elle a le potentiel de révolutionner l’industrie de l’énergie nucléaire. Les SMR offrent un certain nombre d’avantages par rapport aux réacteurs nucléaires traditionnels, notamment :
Le marché mondial des SMR devrait atteindre 18,8 milliards de dollars d’ici 2030, avec une croissance annuelle composée (TCAC) de 15,8 %.
Voici quelques caractéristiques et avantages associés aux petites centrales nucléaires :
Taille et modularité :
Les SMR sont conçus pour être de taille réduite, ce qui facilite leur fabrication en usine et leur transport vers le site d’installation. Leur modularité permet d’ajouter ou de retirer des modules en fonction des besoins de la demande en électricité, offrant une certaine flexibilité.
Coûts de construction réduits :
Étant donné leur taille plus petite et leur construction modulaire, les SMR peuvent potentiellement réduire les coûts de construction comparativement aux réacteurs de grande taille. Les économies d’échelle peuvent être réalisées grâce à la production en série des modules.
Flexibilité d’utilisation :
Les petites centrales nucléaires peuvent être utilisées dans différents contextes, tels que la fourniture d’électricité à des communautés éloignées, des industries spécifiques, des zones côtières, ou pour des applications de désalinisation de l’eau. Elles peuvent également être utilisées comme sources d’énergie pour des projets miniers, des plates-formes offshore ou des missions spatiales.
Sécurité et gestion des déchets :
Les SMR sont conçus avec des mesures de sûreté intégrées pour minimiser les risques liés à la sûreté nucléaire. Certains SMR utilisent des conceptions passives qui ne nécessitent pas d’intervention humaine ou de sources d’alimentation externes pour assurer le refroidissement du réacteur en cas d’incident. De plus, les SMR peuvent être équipés de systèmes de gestion des déchets intégrés pour minimiser l’accumulation de déchets radioactifs.
Durabilité et émissions réduites :
Les SMR peuvent contribuer à la transition énergétique en fournissant une source d’énergie bas-carbone et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux centrales à combustibles fossiles. Ils peuvent être intégrés aux réseaux électriques existants ou utilisés pour fournir une énergie décentralisée et résiliente.
Déploiement dans des environnements divers :
Les SMR sont conçus pour être déployés dans différents environnements, tels que des communautés éloignées, des zones côtières, des sites industriels, des plates-formes offshore ou des installations militaires. Leur taille réduite et leur modularité permettent une plus grande adaptabilité aux conditions locales et une meilleure intégration dans des infrastructures existantes.
Gestion des déchets :
Certains modèles de SMR sont conçus pour réduire la production de déchets nucléaires grâce à une meilleure utilisation du combustible ou à des cycles de retraitement. Ils peuvent également intégrer des systèmes de gestion des déchets avancés pour minimiser les risques liés aux déchets radioactifs et améliorer la sécurité à long terme.
Voici quelques-uns des principaux acteurs du marché SMR :
NuScale Power (États-Unis)
GE Hitachi Nuclear Energy (États-Unis/Japon)
X-énergie (États-Unis)
Natrium (États-Unis)
TerraPower (États-Unis)
Moltex Énergie (Canada)
Oklo (États-Unis)
Rolls-Royce (Royaume-Uni)
CNNC (Chine)
Rosatom (Russie)
Parmi les projets les plus intéressants, il y a le XAMR® de NAAREA est un micro générateur nucléaire de 4e génération à sels fondus et neutrons rapides où se produit une réaction de fission intrinsèquement régulée. De petite taille et produits en série dans des usines industrielles, ces SMR seront transportables pour assurer une production décentralisée d’électricité et de chaleur.
Ces entreprises développent diverses technologies SMR, chacune présentant ses propres avantages et inconvénients. Il est probable que plusieurs technologies SMR seront commercialisées dans les années à venir et que le marché finira par se contenter de quelques conceptions dominantes.
La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes
OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).
Une dénucléarisation française sous pression allemande…
L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.
La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuvede 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.
Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin
Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail EnergyCharts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.
Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.
Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?
De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.
De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.
Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.
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(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.
Si la Marine nationale est généralement très discrète sur les mouvements de ses quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] autour de la base navale de l’Île-Longue [Finistère], la Royal Navy semble avoir des règles plus souples en matière de sécurité opérationnelle [SECOPS], alors que la dissuasion britannique repose exclusivement sur une composante océanique depuis 1998.
Ainsi, le 11 septembre, l’un des quatre SNLE de type Vanguard mis en œuvre par la Royal Navy a pu être photographié quasiment sous toutes ses coutures au moment de son retour à la base navale de Faslane [encore appelée HMNS Clyde], en Écosse. Diffusés sur les réseaux sociaux, notamment X/Twitter, ces clichés sont susceptibles de livrer quelques indices sur la patrouille que vient d’effectuer ce sous-marin.
D’abord, on voit que sa coque est entièrement recouverte d’une teinte brunâtre, due à une accumulation d’organismes marins [balanes, algues, bactéries, etc.]. Si un tel phénomène, appelé « bio-encrassement » [ou biofouling], se manifeste dès qu’une surface est immergée dans l’eau de mer, l’état du bateau suggère que sa mission a été plus longue qu’à l’accoutumé.
Ainsi, le site spécialisé britannique Navy Lookout estime que ce sous-marin a passé au moins six mois en mer… alors que, en moyenne, une patrouille de SNLE dure généralement entre trois et quatre mois.
Par ailleurs, et outre l’encrassement de sa coque, on constate que le sous-marin de la Royal Navy a perdu un nombre assez important de tuiles anéchoïques, lequelles permettent d’absorber les ondes d’un sonar et d’atténuer les sons émis à bord. Et les espaces manquants laissent entrevoir de la rouille.
Évidemment, un revêtement anéchoïque dégradé et une coque encrassée ne peuvent qu’altérer la furtivité d’un sous-marin…
Cela étant, l’état de ce SNLE donne des indications sur sa zone de patrouille. Via X/Twitter, un ancien officier de la Royal Navy a affirmé que le sous-marin avait navigué dans des « eaux chaudes » et « peu profondes » [sans doute près d’un littoral] à « très basse vitesse ».
Quoi qu’il en soit, depuis au moins 2022, la marine britannique a allongé la durée de patrouille de ses SNLE. C’est en effet ce qu’avait révélé la plateforme de journalisme d’investigation The Ferret, en décembre dernier.
En 2022, « les observations effectuées à la base […] de Faslane suggèrent que deux sous-marins armés de missiles Trident ont chacun patrouillé pendant 157 jours, l’un de janvier à juin et l’autre de mai à novembre », avait-elle en effet avancé.
S’il est possible de relever l’équipage d’un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] engagé pour une mission de longue durée, cela semble plus « hasardeux » pour un SNLE, dont rien ne doit trahir la position.
Ancien commandant d’un SNLE de la Royal Navy, le capitaine de vaisseau Rob Forsyth avait confié à The Ferret que des patrouilles aussi longues n’étaient pas sans conséquences sur le moral des sous-mariniers… et qu’elles pouvaient même constituer une « menace directe pour la sécurité nucléaire » à cause d’une « routine immuable » conduisant à une « baisse inévitable des normes ».
Ces dernieres années, et étant donné qu’elle doit maintenir un SNLE en permanence en mer afin de garantir la crédibilité de la dissuasion britannique, la Royal Navy n’a guère eu d’autre choix d’augmenter la durée des patrouilles… puisqu’elle n’a pu récupérer le HMS Vanguard qu’en juillet 2022, au bout d’une Indisponibilité périodique pour entretien et réparation [IPER] de… sept ans.
Pour un rappel, affichant une masse de 15’700 tonnes en plongée, pour une longueur 149,9 mètres et un maître-bau de 12,8 mètres, les SNLE de la classe Vanguard disposent chacun de 16 missiles balistiques stratégiques Trident D5.
Des documents fraîchement déclassifiés exposent les fausses déclarations du général Leslie Groves, chef du projet Manhattan, quant à la dangerosité des radiations nucléaires.
Ces documents montrent également que certains scientifiques impliqués dans le projet, dont le physicien J. Robert Oppenheimer, directeur du laboratoire de Los Alamos (Nouveau-Mexique), où la bombe atomique a été testée pour la première fois, ont passé sous silence le mensonge de Leslie Groves au lieu de le contester ou de l’affronter directement.
Les documents dissimulés –les derniers d’une série de pièces classées secret et top secret sur la bombe A, obtenues au fil des années par la National Security Archive, une association de recherches privée de l’université George-Washington– ont été publiés lundi 7 août, au moment du 78e anniversaire des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et dans le sillage de la sortie d’Oppenheimer, film à l’immense succès (mérité) qui a déjà encaissé 565 millions de dollars depuis son arrivée en salles le 19 juillet.
Déclarations hâtives
Un des nouveaux documents obtenus par les archives est un mémo rédigé par quatre scientifiques, intitulé «Effets biologiques calculés de l’explosion atomique à Hiroshima et Nagasaki», daté du 1er septembre 1945 (les bombes ont été lancées les 6 et 9 août de la même année). Jusqu’à la rédaction de ce mémo, il était admis que les victimes de la bombe A avaient été tuées par son souffle et sa chaleur. Mais ce document conclut qu’au moins un certain nombre des morts ont été causées par des retombées radioactives, des jours ou des semaines après les explosions.
Pourtant, trois jours avant la publication du mémo (le 29 août), lors d’une conférence de presse à Oak Ridge (l’un des sites décisionnels du projet Manhattan, dans le Tennessee), Leslie Groves déclara que les radiations n’avaient tué personne et que les affirmations du contraire –dont certaines avaient été publiées dans des journaux asiatiques– relevaient de la «propagande». Dans un mémo destiné à Robert Oppenheimer, George Kistiakowsky, le scientifique de Los Alamos qui avait coordonné le rapport biologique, écrivit que Leslie Groves «s’était mouillé jusqu’au cou» et qu’il hésitait donc à lui transmettre le document.
Même à ce moment-là, on en savait assez sur la contamination par les radiations pour inciter Leslie Groves à cesser de réfuter si fermement les affirmations à ce sujet. Les documents d’archives montrent que dès avril 1945, soit trois mois avant le premier essai de la bombe atomique au Nouveau-Mexique, les experts médicaux du projet Manhattan avaient mis en garde contre la possibilité d’un «nuage» toxique, susceptible de répandre de la «poussière radioactive» dans un périmètre étendu, «plusieurs heures après la détonation».
Certains avaient pressé Leslie Groves d’évacuer la zone autour du site d’essai, ce à quoi il avait résisté pour ne pas attirer l’attention des médias. Un scientifique se souviendra des années plus tard que Leslie Groves avait «dédaigné» cet avertissement et répondu: «C‘est quoi votre problème, vous faites de la propagande pour Hearst?» À l’époque, Hearst était le principal groupe de journaux, spécialisé dans la presse à sensations.
Sous-estimations et méconnaissance des effets
Le 21 juillet 1945, cinq jours après le premier essai de la bombe atomique (baptisé Trinity), Stafford L. Warren, responsable médical du projet Manhattan, écrivit à Leslie Groves que «les retombées de poussière des diverses parties du nuage présentaient potentiellement un danger très grave sur une bande de presque 45 kilomètres de large qui s’étend à près de 150 kilomètres au nord-est du site», ajoutant qu’il y avait encore «une quantité gigantesque de poussière radioactive qui flotte dans l’air». De récentes études réalisées à l’aide de modèles informatiques suggèrent que la radioactivité de l’essai nucléaire Trinity s’est étendue beaucoup plus loin, qu’elle a affecté quarante-six États et certaines zones du Mexique et du Canada.
Pourtant, Leslie Groves est passé outre les découvertes de Stafford L. Warren. Le 30 juillet 1945, dans un mémo sur les effets probables d’une bombe atomique larguée sur le Japon, il écrit au général George Marshall, chef d’état-major de l’armée américaine: «Aucun effet nuisible par des matériaux radioactifs n’est prévu au sol.» Phrase écrite de façon fallacieuse: à l’époque, peu de gens pensaient qu’il y aurait beaucoup de retombées qui s’attarderaient «au sol», mais il était tout à fait connu qu’elles pourraient tomber en pluie du ciel et se disperser dans l’air potentiellement respiré ou absorbé par les humains.
Il apparaît clairement, dans un extrait de son journal daté du 25 août 1945, que Leslie Groves est conscient de ce risque: il demande s’il est sans danger d’inviter la presse à venir visiter le site de l’essai nucléaire (et ce, plus de deux mois après le premier test). Un des scientifiques lui répond que cela «ne serait pas tellement sûr» si les journalistes se tiennent à trente mètres de l’endroit où la bombe a explosé. Les journalistes viennent le 11 septembre 1945 et reçoivent des «surchaussures blanches» pour se protéger d’éventuelles radiations.
Il est possible que, même à ce stade, Leslie Groves n’ait simplement pas cru au pire concernant les radiations. Le jour même où il évoque dans son journal la possibilité d’inviter des journalistes, il a une conversation téléphonique avec un autre officier d’Oak Ridge au sujet d’émissions de radio japonaises qui signalent des cas de maladies des rayons. Leslie Groves affirme qu’il s’agit de «propagande» et que les maladies sont plus probablement dues à de «bonnes brûlures thermiques».
Pourtant, il envoie une équipe d’inspecteurs dans les deux villes nippones bombardées pour déterminer l’impact de la radioactivité. Il écrit au général George C. Marshall, chef de l’état-major de l’armée de terre des États-Unis, que les victimes de radiations sont «peu probables» mais que les «faits» doivent être établis.
C’est logique. Avant le largage des bombes au Japon, la plupart des scientifiques pensaient que le souffle et la chaleur en seraient les principaux effets. Les radiations seraient de l’ordre du détail; quiconque recevrait une dose mortelle de radiations serait assez proche de l’explosion pour mourir soit à cause du souffle, soit de la chaleur. Cependant, comme il fut découvert plus tard, les «effets secondaires» de la bombe A –radiations, fumée, feu en particulier– pouvaient, dans certaines circonstances, s’étendre encore plus loin que les effets du souffle et de la chaleur.
Dès le rapport des premiers inspecteurs –celui que George Kistiakowsky commence par ne pas montrer à Leslie Groves avant, finalement, de le lui transmettre– on trouve l’évocation de «survivants anormaux» à l’intérieur du rayon de l’explosion, morts ensuite à cause de maladies dues aux radiations.
Mensonges face à une commission sénatoriale
Le 27 novembre 1945, des mois après la rédaction du mémo sur les effets biologiques des explosions atomiques à Hiroshima et Nagasaki, Stafford L. Warren écrit de nouveau à Leslie Groves avec des preuves encore plus irréfutables. Des quelque 4.000 patients admis dans les hôpitaux de Hiroshima et Nagasaki, écrit-il, «1.300, soit 33%, ont montré des effets des radiations et, sur ce nombre, à peu près la moitié sont morts».
Pourtant, trois jours plus tard, dans le cadre d’un témoignage devant la commission spéciale du Sénat sur l’énergie atomique, lorsque l’on demande à Leslie Groves s’il existe des «résidus atomiques» dans les deux villes japonaises bombardées, Leslie Groves répond: «Aucun. Et c’est un “aucun” très positif.» Leslie Groves poursuit et affirme que personne, dans aucune des deux villes, n’a souffert de blessures dues aux radiations, «excepté au moment où la bombe a explosé». Il ajoute qu’«il faudrait vraiment un accident pour que… une personne lambda, à portée de la bombe, soit tuée par les effets radioactifs».
Enfin, dans un commentaire qui achèvera de faire sa réputation auprès de ses détracteurs, Leslie Groves affirmera que les victimes irradiées qui ne sont pas mortes sur le coup, mais après un certain laps de temps, meurent «sans souffrance excessive. En fait, il paraît que c’est une mort très agréable.»
Leslie Groves a écarté, minimisé puis nié les rapports traitant de la maladie des rayons radioactifs, parce qu’à l’instar de nombreuses personnes à l’époque, il pensait que les armes nucléaires seraient la pièce maîtresse de la politique de défense des États-Unis (ce qui sera en effet le cas pendant les décennies suivantes) et que le public américain se retournerait contre elles si elles étaient assimilées à une arme telle que les gaz toxiques, et par conséquent considérées comme inacceptables moralement.
À cette époque, Robert Oppenheimer venait de quitter Los Alamos, mais il siégeait encore dans certains comités consultatifs du gouvernement. Comme beaucoup de scientifiques, il avait sous-estimé les effets des radiations, mais il était désormais tout à fait au courant des études des inspecteurs et des faux commentaires de Leslie Groves.Salué comme «le père de la bombe atomique», il avait l’impression d’avoir du sang sur les mains, comme il l’avoua notoirement au président Harry Truman. Mais il ne pipa mot sur les mensonges de Leslie Groves –en tout cas, pas en public.
D’autres, en revanche, ne tinrent pas leur langue. Le 6 décembre 1945, une semaine après le témoignage de Leslie Groves, Philip Morrison, un scientifique du projet Manhattan membre de l’équipe qui avait supervisé les dégâts de la bombe atomique au Japon, témoigna devant la même commission du Sénat et cita les faits concernant les radiations, contredisant directement les assurances désinvoltes de Leslie Groves.
Philip Morrison deviendra professeur de physique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et activiste dans la communauté de scientifiques –dont un bon nombre étaient des vétérans du projet Manhattan– prônant le contrôle des armes nucléaires et le désarmement. Peut-être, un jour, son histoire fera-t-elle l’objet d’une adaptation au cinéma.
“La France dépend faiblement de l’uranium du Niger”, déclare Étienne Giros, président du Cian
INTERVIEW – Avec le coup d’État au Niger, la France subit un revers important d’un point de vue stratégique et militaire dans la région du Sahel. L’évacuation des ressortissants français va débuter dès le 1er août. Quels sont les intérêts économiques des entreprises tricolores dans le pays ? Entretien avec Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), une organisation patronale qui rassemble les sociétés françaises présentes dans le continent africain.
Capital : Quels sont les intérêts économiques de la France au Niger ?
Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) : L’importance du Niger est très largement stratégique, politique et militaire avant d’être économique. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde. Il est classé 189e sur 191 en indice de développement humain. Mais la présence économique française au Niger n’est pas négligeable. Il y a 50 à 60 entreprises françaises implantées au Niger dans des secteurs variés : BTP, transport et logistique, alimentation, télécoms… On y retrouve des filiales de Vinci, TotalÉnergies et CFAO. Et comme le Niger est un pays enclavé, les marchandises transitent par des ports comme celui de Lomé au Togo ou d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Tout cela représente un trafic important pour l’économie française. À travers AGL (ex-Bolloré Africa Logistics), la France est fortement engagée dans le commerce maritime en Afrique.
À quel point ces activités sont importantes pour la France ?
Le montant des échanges commerciaux entre la France et le Niger s’élève environ à 260 millions d’euros. Mais ce n’est pas parce que le pays est petit qu’il n’y a pas de potentiel. Au moment de son indépendance, en 1958, le Niger comptait 3 millions d’habitants. Aujourd’hui, le pays dispose d’une population très jeune de 25 millions d’habitants en croissance continue. En 2050, elle devrait passer à 70 millions puis à 100 millions à la fin du siècle. C’est l’un des pays du monde qui a la plus grande natalité. Ce sont autant de personnes à nourrir, à vêtir et à éduquer.
Le Niger est le cinquième producteur mondial d’uranium. Ils produisent 5 à 6 % de l’uranium mondial et 20 à 35 % de l’uranium français viennent du Niger. Le groupe français Orano (ex-Areva) exploite des mines sur place. Mais la France dépend faiblement de l’uranium du Niger. Elle dispose de stocks importants et elle peut compter sur une dizaine de pays fournisseurs, notamment l’Australie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Selon certains experts, nous sommes en train d’assister à une érosion du postcolonialisme de la France en Afrique d’un point de vue militaire. Qu’en est-il d’un point de vue économique ?
Contrairement à une idée reçue, la France ne perd pas pied en Afrique sur le plan économique. Les échanges commerciaux sont en croissance tout comme le nombre d’entreprises françaises présentes. Mais depuis 25 ans, l’Afrique s’est ouverte au monde et elle est entrée dans la mondialisation. De nouveaux acteurs importants sont arrivés de Chine, de Turquie, d’Inde et du Moyen-Orient. Donc la France a perdu des parts de marché même si ses activités ont progressé en Afrique. En termes d’investissements directs, la France est deuxième en Afrique derrière le Royaume-Uni. Nous restons devant la Chine et les États-Unis.
Mais l’instabilité politique en Afrique pourrait-elle changer la donner ?
C’est le cinquième coup d’État dans le Sahel en deux ans, après les deux coups au Mali, celui au Burkina Faso et celui en Guinée. Cela s’accompagne parfois d’un sentiment anti-français cultivé par les juntes militaires et alimenté par certains pays étrangers. Mais l’Afrique a une capacité de résilience extraordinaire. Même après des crises profondes, les pays peuvent rebondir très vite. Il faut garder cet espoir.
Avec l’épisode de l’annulation du contrat de sous-marins à propulsion conventionnelle Shortfin Barracuda par l’Australie au profit de sous-marins à propulsion nucléaire américano-britanniques, les sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire ont connu, ces derniers mois, une sur-exposition médiatique relativement antinomique avec la mission par nature discrète de ces Léviathans océaniques qui constituent, aujourd’hui encore, parmi les constructions humaines les plus complexes jamais réalisées.
Aussi rapides que furtifs, les sous-marins nucléaires d’attaque oui SNA, dont les missions passent de la collecte de renseignement à la lutte anti-surface, mais également à la chasse des autres sous-marins, sont aujourd’hui l’apanage des marines des cinq grandes puissances nucléaires mondiales membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui se livrent une compétition féroce pour prendre l’avantage sur les autres dans ce domaine.
Dans cette synthèse, nous étudierons les cinq classes de sous-marins nucléaires d’attaque actuellement en production dans le Monde, pour en comprendre les atouts et les spécificités propres, et ainsi percevoir la lutte que se livrent, sous les océans, les grandes puissances mondiales dans ce domaine de très haute technologie.
Chine : sous-marins nucléaires d’attaque Type 09-IIIG classe Shang
Si la construction navale et sous-marine chinoise a fait des progrès fulgurants ces 30 dernières années, avec l’arrivée de navires très performants comme les croiseurs Type 055 ou les LHD Type 075, Pékin a longtemps eu la réputation de ne produire que des sous-marins de qualité médiocre au regard des standards occidentaux ou russes.
Cette mauvaise réputation a en partie été balayée par l’arrivée des sous-marins à propulsion anaérobie Type 039 des classes Song et Yuan, des navires ayant fait la démonstration de leur discrétion acoustique et de l’efficacité de leur système propulsif.
Toutefois, dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire, la production chinoise reste aujourd’hui encore en retrait vis-à-vis des navires de même type américains, russes ou français, même si les SNA de la classe Shang ont montré de réelles avancées dans le domaine.
Héritiers des premiers Type 09-I de la classe Han, entrés en service au milieu des années 70 et réputés peu performants et particulièrement bruyants, les 3 premiers sous-marins de la classe Shang type 09-III sont entrés en service au début des années 2000, alors que les 3 unités suivantes de la classe Type 09-IIIG améliorée ont, quant à eux, été livrés à la Marine chinoise au cours des années 2010.
Longs de 110 mètres pour un déplacement en submersion de 7.000 tonnes, les Shang et les Shang-G améliorés, ont corrigé une partie des défauts rédhibitoires des Han de première génération, avec notamment deux réacteurs à eau pressurisée de nouvelle génération et une hélice optimisée pour réduire la signature acoustique du navire.
Selon certains spécialistes, les Shang ont désormais une signature acoustique comparable à celle des SNA de la classe Los Angeles ou Akula entrés en service dans les années 80 aux États-Unis et en Union Soviétique, avec un rayonnement sonore inférieur à 110 dB. En outre, le Shang disposerait d’une suite sonar performante en faisant un adversaire parfaitement capable aussi bien dans les missions de lutte anti-sous-marine que dans la lutte anti-surface.
Lancée à partir de 2012, la version modernisée Type 09-IIIG dispose de silos verticaux accueillant 12 missiles de croisière CJ-10 d’une portée estimée à plus de 1.500 km, permettant au navire d’évoluer simultanément dans la classe des sous-marins nucléaires d’attaque et des sous-marins nucléaires lance-missiles de croisière, ou SSGN, à laquelle appartiennent également les Iassen russes et les Virginia de l’US Navy.
La production de Shang est aujourd’hui arrêtée, alors que les chantiers navals chinois semblent se concentrer sur la construction de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Type 09-IV, ainsi que sur la nouvelle classe de SNA désignée Type 09-V, un navire plus imposant, plus discret et mieux armé qui a pour ambition d’être à niveau des productions actuelles en occident et en Russie, avec une signature acoustique largement réduite vis-à-vis des navires de génération précédente.
Toutefois, pour l’heure, aucune information fiable n’a été communiquée concernant cette future classe de SNA chinois, ni sur le calendrier et les performances réelles de ce programme.
États-Unis : SNA classe Virginia
Au début des années 1990, l’US Navy entrepris de développer le remplaçant de l’excellent SNA classe Los Angeles qui joua un rôle déterminant durant la fin de la Guerre froide pour prendre l’ascendant sur les meilleurs submersibles soviétiques comme les Viktor III, les Alpha et les Akula. Initialement, celle-ci développa la classe Sea Wolf, un SNA à hautes performances conçu pour les missions de lutte anti-sous-marine, ou Hunter-Killer.
Mais le prix unitaire de ces navires, 2,8 Md$ au début des années 90, et la disparition de la menace soviétique, amenèrent rapidement les officiels américains à mettre au fin au programme Sea Wolf au bout de seulement 3 unités, pour se tourner vers un sous-marins plus économique et plus polyvalent, la classe Virginia.
Long de 115 mètres pour un déplacement en plongée de 7.900 tonnes, le Virginia est depuis le remplaçant désigné des Los Angeles de l’US Navy, avec 19 navires en service sur les 66 initialement prévus, pour une production finale aujourd’hui visant les 35 exemplaires.
Moins rapide que le Seawolf avec une vitesse de pointe de seulement 25 noeuds contre 35 pour son ainé, le Virginia est cependant bien plus versatile, notamment avec ses 12 silos verticaux embarquant autant de missiles de croisière Tomahawks.
À l’instar des destroyers Arleigh Burke, les Virginia sont produits par block de version, ou Flight, chacun recevant des améliorations itératives vis-à-vis des précédents, tant en matière d’équipements et de performances que de méthode de construction. Ainsi, les couts de production par navire ont été abaissés de 400 m$ entre les 4 premières unités du block I et les six suivantes du block II.
Les 10 navires du Flight III dont la construction débuta en 2009 reçurent pour leur part une suite sonar améliorée, alors que les besoins de maintenance des navires du block IV furent réduits de 25% vis-à-vis des blocks précédents. La construction des deux premiers navires du block V, le plus moderne, débuta en 2019.
Ces nouvelles unités recevront notamment un nouveau système modulaire d’armement permettant de porter le nombre de missiles BGM-109 à 28 exemplaires, contre 12 pour les versions précédentes, entrainant un accroissement de la longueur des navires à 140 mètres, et du déplacement en plongée à 10.200 tonnes.
Bien que réputés très discrets et efficaces, les Virginia restent des sous-marins polyvalents ne répondant pas aux besoins émergents de l’US Navy pour traiter la menace des nouveaux submersibles chinois et surtout russes, comme les nouveaux 885M Iassen.
De fait, un nouveau programme a été lancé, désigné pour l’heure SSN(x), pour but de concevoir un sous-marin reprenant la spécialisation Hunter-Killer des SeaWolf, et devant prendre le relais de la production de Virginia à partir de 2033, date de la livraison du dernier de ces sous-marins.
Même si, avec une longueur de 99,5 mètres et un déplacement en plongée de 5,300 tonnes, ils sont presque deux fois plus imposants que leurs prédécesseurs, ils restent très en deçà des dimensions des navires russes, chinois, américains ou britanniques.
Pour autant, les Suffren sont des SNA très évolués et performants, capables de rivaliser dans tous les domaines avec les autres sous-marins du moment, que ce soit en discrétion grâce notamment à une hélice carénée de type Pump-Jet permettant au navire d’évoluer à vitesse élevée tout en restant discret, à une suite sonar UMS-3000 de Thales très performante, et à sa capacité de mettre en œuvre de nombreux armements y compris le missile de croisière MdCN, bien que le navire soit dépourvu de systèmes de lancement verticaux.
Le Suffren, première unité de la classe éponyme, a été livré à la Marine Nationale en novembre 2020, et devrait rejoindre le service actif au début de l’année 2022. La seconde unité, le Duguay-trouin, entrera en service en 2023, alors que les 4 dernières unités de la classe seront livrées progressivement d’ici à 2030 à la Marine Nationale pour remplacer ses derniers sous-marins de la classe Rubis.
Au-delà des performances et de la discrétion de ces submersibles, la construction de la classe Suffren aura également été particulièrement économique, avec un budget de conception de seulement 5 Md€, et une enveloppe globale de 7,9 Md€ pour la construction des 6 submersibles, moitié moins onéreuse que pour les modèles américains ou britanniques.
Contrairement aux sous-marins américains, britanniques ou russes, les SNA français de la classe Suffren sont propulsés par un réacteur à eau pressurisé K15 employant du combustible nucléaire faiblement enrichi à seulement 6,5%, soit très en deçà du seuil de 20% d’enrichissement employé par la législation internationale pour définir du combustible nucléaire de qualité militaire.
À titre de comparaison, les Virginia américains comme les Astute britanniques emploient, pour leur part, du combustible enrichi à 97%, soit le même que celui utilisé par les bombes nucléaires de très forte puissance. De fait, les Suffren sont aujourd’hui des navires pouvant plus aisément être exportés que leurs homologues américains et britanniques dans le respect de la législation internationale, raison pour laquelle plusieurs pays s’intéressent à cette possibilité.
Il est cependant nécessaire, du fait de cette technologie, de recharger tous les dix ans le combustible nucléaire à bord de ces sous-marins, contrairement aux navires britanniques et US qui eux sont conçus pour durer 30 à 35 ans avec une seule charge de carburant.
Jusqu’à l’entrée en service du Suffren, les sous-marins nucléaires d’attaque britanniques de la classe Astute étaient universellement reconnus comme les plus discrets des SNA de la planète, et en bien des aspects, les plus performants.
Longs de 97,5 mètres pour un tonnage en plongée de 7.800 tonnes, les Astute ont été conçus avant tout pour la même mission que les Seawolf, à savoir la chasse aux sous-marins adverses, et disposent de performances adaptées pour cette mission, notamment une vitesse maximale en plongée de plus de 30 nœuds.
À l’instar des Suffren français, l’Astute ne dispose pas de VLS pour lancer des missiles de croisière, mais il peut mettre en œuvre le missile BGM-109 Tomahawks par ses tubes lance-torpille. Il dispose en outre d’une vaste soute d’armement permettant d’accueillir 38 torpilles lourdes Spearfish et missiles de croisière Tomahawk, soit 13 de plus que ne peut accueillir son homologue français. Enfin, il dispose d’une suite sonar très évoluée, et d’un pump-jet pour les déplacements rapides et discrets.
Si les Astute sont incontestablement des navires de hautes performances, et des Hunter-killer très capables, leur mise au point connut de nombreuses difficultés et délais nécessitant même l’intervention de l’industrie américaine pour résoudre certains points techniques bloquant outre-manche. Ces délais ont par ailleurs engendré d’importants surcouts dans le programme, les trois premiers navires ayant vu l’enveloppe budgétaire initialement prévue croitre de plus de 50%.
Au final, chaque Astute aura couté 35% de plus aux contribuables britanniques que les Suffren aux contribuables français. Le programme se sera lui étalé sur plus de 26 ans entre la découpe de la première tôle en 2001 et l’entrée en service du dernier des 7 navires prévue pour 2026. Il n’en demeure pas moins que les Astute ont montré de grandes capacités opérationnelles lors des exercices auxquels ils ont participé depuis leur entrée en service en 2014, prenant même l’ascendant sur le Virginia américain.
Russie : SNA projet 885/M Iassen
En de nombreux aspects, les sous-marins de la classe Iassen et leur évolution Iassen-M sont des navires de tous les records. Ce sont notamment les plus imposants des submersibles de ce panel, avec une longueur de 130 mètres et un déplacement de 13.800 tonnes en plongée, ainsi que ceux qui emportent la plus grande puissance de feu, avec 32 missiles antinavires supersoniques P800 onyx ou de missiles de croisière Kalibr mis en œuvre par autant de silos verticaux, en plus des torpilles lourdes mises en œuvre par les 4 tubes lance-torpilles du navire.
C’est enfin le navire dont la construction initiale aura pris le plus de temps, puisqu’il fallut pas moins de 20 ans de décembre 1993 à décembre 2013 pour livrer la première unité de la classe, le Severodvinsk.
Il est vrai que les chantiers navals russes avaient fortement soufferts de l’effondrement du bloc soviétique, et que l’immense majorité des programmes navals du pays connurent des allongements de délais très importants jusqu’à ce que les investissements d’état ne reprennent à partir de 2008, puis ne s’accélèrent en 2012.
Et s’il fallut 20 ans pour terminer le Severodvinsk, il n’aura fallu que 8 ans de 2014 à 2022 pour livrer le Krasnodar, 4ᵉ unité de la classe et 3ᵉ navire de la version modernisée 885-M apparue avec le Kazan livré en 2021.
En effet, non seulement les Iassen-M sont-ils dotés d’une grande puissance de feu, mais ils sont également très discrets, à niveau des meilleurs sous-marins occidentaux comme le Virginia selon l’US Navy, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes aux marines occidentales et européennes qui devront potentiellement y faire face.
En outre, au-delà des missiles de croisière Kalibr et des missiles antinavires supersoniques P800 Onyx déjà susceptibles de poser d’importantes difficultés aux escorteurs de l’OTAN, les Iassen pourront, selon les dires des ingénieurs russes, mettre en œuvre le nouveau missile hypersonique 3M22 Tzirkon, renforçant la menace que chacun de ces navires peut faire peser sur la flotte occidentale, et ce, d’autant qu’ils peuvent soutenir une vitesse élevée tout en restant discret.
À mi-chemin entre la classification de SNA (sous-marin nucléaire d’attaque) et de SSGN (sous-marin nucléaire lance-missiles de croisière), le Severodvinsk et les 9 Iassen-M qui le suivent et qui seront entrés en service avant la fin de la décennie, modifient profondément le rapport de force existant dans l’Atlantique Nord ainsi que dans le Pacifique, et offrent un puissant outil de contrôle naval à Moscou, alors que les tensions avec l’Europe et les États-Unis ne cessent de croitre.
Une nouvelle classe de sous-marins, la classe Laïka, serait en conception dans les bureaux d’étude Sevmash de Saint-Petersbourg, mais pour l’heure, bien peu d’informations fiables ont pu filtrer quant au devenir de cette classe destinée à remplacer la dizaine de SNA classe Akula encore en service.
Conclusion
Par leur discrétion, leur capacité à se déplacer à grande vitesse sur de très longue distance, et leur puissance de feu, les SNA modernes sont aujourd’hui incontestablement parmi les pièces maitresses que l’échiquier naval des grandes puissances mondiales, au même titre que les porte-avions. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que les cinq grandes puissances nucléaires mondiales ont toutes investi dans ce type de navire, et se livrent à une âpre compétition dans ce domaine en matière de capacités et de performances.
Pour certains d’entre elles, comme les États-Unis, le développement de cette composante est même jugé prioritaire à celui de la flotte de surface, tant elle offre des capacités propres à très forte valeur ajoutée. Rien d’étonnant non plus que plusieurs puissances navales en devenir, comme le Brésil, la Corée du Sud, l’Australie ou l’Inde, s’intéressent de près à cette technologie, et ce, en dépit des contraintes internationales et budgétaires qui entourent de tels programmes.
Pour autant, la suprématie du SNA dans le combat naval est aujourd’hui de plus en plus menacée par plusieurs programmes de recherche visant précisément à supprimer la cape de furtivité conférée à ces navires par l’océan. Ainsi, des équipes américaines comme chinoises développent aujourd’hui activement des détecteurs à Neutrino de plus en plus miniaturisés, susceptibles de capter les particules émises sous l’océan par un réacteur de sous-marin nucléaire fortement sollicité, comme c’est le cas d’un SNA à haute vitesse.
Les avancées enregistrées ces dernières années dans ce domaine, ainsi que dans d’autres technologies visant la détection de submersible, laissent envisager que dans un espace de temps inférieur à 20 ans, de tels dispositifs de détection pourraient effectivement embarquer à bord des navires de combat, et donc neutraliser le principal avantage du SNA, et même réduire l’invulnérabilité supposée des SNLE en charge de la dissuasion nucléaire.
On ne peut exclure, dans ces conditions, que les navires suprêmes que sont les sous-marins nucléaires d’attaque ne deviennent, d’ici à une à deux décennies, si pas obsolètes, en tout cas beaucoup moins performants qu’ils ne sont aujourd’hui.
Ce n’était pas complètement nouveau, mais après la Première Guerre mondiale, on a commencé à s’interroger sur la manière d’obtenir des gains stratégiques face à des puissances adverses sans déclencher la catastrophe d’une nouvelle Grande guerre. Le problème est même devenu encore plus aigu dès lors que cette nouvelle guerre mondiale pouvait être nucléaire. On a ainsi inventé la stratégie du « piéton imprudent » qui s’engage d’un coup sur la chaussée et bloque la circulation ou encore celle de l’« artichaut » où on s’empare de la cible feuille à feuille, souvent par des piétons imprudents. L’Allemagne nazie a pratiqué les deux dans les années 1930 en arrachant chaque feuille – rétablissement du service militaire, remilitarisation de la Rhénanie, Anschluss, annexion de la Bohême et de la Moravie – par des opérations-éclair, jusqu’à la tentative de trop en Pologne. L’Union soviétique-Russie a souvent pratiqué la chose, l’annexion-éclair de la Crimée en février 2014 par exemple.
Depuis l’été dernier, les Ukrainiens sont sans doute en train de tester un nouveau mode opératoire justement pour reconquérir cette même Crimée : l’ébouillantement progressif de la grenouille. Le problème est complexe pour eux puisqu’il s’agit de reprendre à terme un territoire considéré comme faisant partie du territoire national par une puissance nucléaire. Le 17 juillet 2022, le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité de Russie et ancien président russe, Dmitri Medvedev,déclarait que l’attaque de la Crimée serait considérée comme une attaque contre le cœur du territoire russe et que toucher à ses deux sites stratégiques : le pont de Kertch qui relie la presqu’île à la Russie ou la base navale de Sébastopol provoquerait le « jour du jugement dernier » en Ukraine, autrement dit des frappes nucléaires. Même si on est alors déjà habitué aux déclarations outrancières de Dimitri Medvedev, la menace nucléaire, portée depuis le début de la guerre par Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov son ministre des Affaires étrangères, est malgré tout prise au sérieux par de nombreux experts. La possibilité d’une attaque ukrainienne aérienne et encore moins terrestre en Crimée paraît alors lointaine mais beaucoup pensent que dans un contexte où l’Ukraine n’a aucun moyen de riposter de la même manière, une frappe nucléaire serait possible afin de dissuader de toute autre agression sur le sol russe ou prétendument tel. Selon le principe de l’« escalade pour la désescalade », cette frappe, éventuellement purement démonstrative pour en réduire le coût politique, effraierait aussi les Ukrainiens et peut-être surtout les Occidentaux et imposerait une paix russe.
Et pourtant, quelques jours seulement après la déclaration de Medvedev, le 9 août, deux explosions ravagent la base aérienne de Saki en Crimée avec au moins neuf avions détruits. Sept jours plus tard, c’est un grand dépôt de munitions qui explose à son tour dans le nord de la Crimée dans le district de Djankoï accompagné de sabotages. On ne sait toujours pas très bien comment ces attaques ont pu être réalisées d’autant plus qu’elles ne sont pas revendiquées. Cela permet aux Russes de sauver un peu la face et de minimiser les évènements en parlant, contre toute évidence, d’accidents. Néanmoins, ces premières attaques ont démontré que l’on pouvait attaquer la Crimée sans susciter de riposte de grande ampleur. Elles continuent donc. Le 1er octobre, c’est l’aéroport militaire de Belbek, près de Sébastopol, qui est frappé à son tour, là encore sans provoquer de réaction sérieuse. Toutes ces attaques ont un intérêt opérationnel évident à court terme, la Crimée constituant la base arrière du groupe d’armée russes occupant une partie de provinces ukrainiennes de Kherson, Zaporijjia et Donetsk. Leur logistique et leurs appuis aériens se trouvent évidemment entravés par toutes les attaques sur les axes et les bases de la péninsule de Crimée. Mais ces actions doivent aussi se comprendre dans le cadre d’une stratégie à plus long terme de banalisation de la guerre en Crimée.
Les Ukrainiens effectuent alors le test ultime. Le 8 octobre 2022, le pont de Kertch est très sévèrement touché par une énorme explosion provoquée probablement par un camion rempli d’explosifs. Cette attaque constitue alors une élévation de la température autour de la grenouille mais l’eau est déjà chaude et l’élévation est amoindrie par l’absence de revendication et l’ambiguïté d’une attaque a priori réalisée à l’aide d’un camion rempli d’explosif venant de Russie. L’affront n’est donc pas aussi grand qu’une attaque directe revendiquée et réalisée par surprise, mais la claque est violente et quasi personnelle envers Vladimir Poutine, dont le nom est souvent attaché à se pont qu’il a inauguré en personne au volant d’un camion en 2018. Ce n’est pas cependant pas assez, ou plus assez, pour braver l’opinion des nations et notamment celle de la Chine – très sensible sur le sujet – ou des Etats-Unis – qui ont clairement annoncé une riposte conventionnelle à un tel évènement. Il n’y a donc pas de frappe nucléaire russe et on ne sait même pas en réalité si cette option a été sérieusement envisagée par le collectif de décision russe. Mais les Russes disposent alors d’une force de frappe conventionnelle. Le 10 octobre, plus de 80 missiles balistiques ou de croisière s’abattent sur l’intérieur de l’Ukraine. C’est la première d’une longue série de salves hebdomadaires sur le réseau énergétique. Cette opération n’a pas été organisée en deux jours, mais le lien est immédiatement fait par effet de proximité entre l’attaque du pont le 8 et cette réponse.
Le problème est que l’ « escalade pour la désescalade » fonctionne rarement. Non seulement les attaques contre la Crimée ne cessent pas mais elles prennent même de l’ampleur, en nombre par le harcèlement de petits drones aériens et en qualité avec des attaques plus complexes. Quelques jours seulement après l’attaque du pont de Kertch, le 29 octobre, c’est la base navale de Sébastopol, l’autre grand site stratégique de la Crimée, qui est attaquée par une combinaison de drones aériens et de drones navals. Trois navires au moins, dont la frégate Amiral Makarov, sont endommagés. Que faire pour marquer le coup alors que l’on fait déjà le maximum ? Pour qu’on puisse malgré tout faire un lien avec l’attaque de Sébastopol, l’effort est porté sur les ports ukrainiens, bases de départ des drones navals. Cela ne suffit pas pour autant pour arrêter les attaques d’autant plus que les Occidentaux, accoutumés aussi à l’idée que la guerre peut se porter en Crimée sans susciter de réaction nucléaire, commencent à fournir des armes à longue portée.
Le 29 avril 2023, un énorme dépôt de carburant est détruit près de Sébastopol. Le 6 et le 7 mai, la base de Sébastopol est attaquée une nouvelle fois par drones aériens. Le 22 juin, c’est la route de Chongar, une des deux routes reliant la Crimée au reste de l’Ukraine, qui est frappée par quatre missiles aéroportés Storm Shadow, une première. Surtout, le lundi 17 juillet au matin, le pont de Kertch est à nouveau attaqué, par drone naval cette fois. Cette nouvelle attaque sur une cible stratégique est pleinement revendiquée cette fois par les Ukrainiens dans une déclaration officielle qui assume aussi rétrospectivement toutes les actions précédentes. Deux jours plus tard, c’est un grand dépôt de munitions à Kirovski, non loin de Kertch, qui explose, puis un autre le 22 juillet à Krasnogvardeysk, au centre de la péninsule.
Mais alors que les attaques se multiplient sur la Crimée, la capacité de riposte russe hors nucléaire est désormais réduite puisque le stock de missiles modernes est désormais au plus bas. Les Russes ratissent les fonds de tiroir en mélangeant les quelques dizaines de missiles de croisière moderne qu’ils fabriquent encore chaque mois avec des drones et des missiles antinavires, dont les très anciens et très imprécis KH22/32. Pour établir un lien avec l’attaque par drone naval, ces projectiles disparates sont lancés pendant plusieurs jours sur les ports ukrainiens, Odessa en particulier. Ces frappes n’ont aucun intérêt militaire et dégradent encore l’image de la Russie en frappant notamment des sites culturels. On est surtout très loin des possibilités d’écrasement, même simplement conventionnelles, que l’on imaginait avant-guerre ou même des salves d’Iskander ou de Kalibr du début de la guerre. Les frappes sur Odessa sont aussi une démonstration d’impuissance.
Le pouvoir russe a aussi perdu beaucoup de crédibilité dans sa capacité à dépasser cette impuissance pour aller plus haut. Michel Debré expliquait qu’on pouvait difficilement être crédible dans la menace d’emploi de l’arme nucléaire si on se montrait faible par ailleurs. Il n’est pas évident à cet égard que le traitement de la mutinerie d’Evgueny Prigojine et de Wagner le 24 juin, du terrible châtiment annoncé le matin à l’arrangement le soir, ait renforcé la crédibilité nucléaire de Vladimir Poutine. Pour être dissuasif, il faut faire peur et à force de menaces vaines, le pouvoir russe fait de moins en moins peur. Bref, la Crimée est désormais pleinement dans la guerre et si un jour des forces ukrainiennes y débarquent, d’abord ponctuellement lors de raids, puis en force – perspective pour l’instant très hypothétique et lointaine – on sait déjà, ou du moins on croit désormais, que cela ne provoquera pas de guerre nucléaire. C’est déjà beaucoup.