La chute de The Mozart Group et le financement des groupes combattants en Ukraine

La chute de The Mozart Group et le financement des groupes combattants en Ukraine

 

NOTE D’ACTUALITÉ N°611 / juin 2023

par Valère Llobet – Centre Français de Recherche sur le renseignement – juin 2023

https://cf2r.org/actualite/la-chute-de-the-mozart-group-et-le-financement-des-groupes-combattants-en-ukraine/


Chercheur, lauréat 2020 du Prix « Jeune chercheur » du CF2R

 


Le 31 janvier 2023, la très médiatique société militaire privée (SMP) The Mozart Group (TMG) fermait officiellement ses portes[1] après une véritable guerre interne. La cause principale : un dépôt de plainte du numéro 2 de l’entreprise. En effet, le 10 janvier dernier, Andrew Bain[2], actionnaire majoritaire et directeur financier de l’entreprise, a entamé des poursuites devant le tribunal du Wyoming[3], État américain où est enregistrée la SMP. Cette action en justice fait suite à de nombreuses polémiques qui ont visé TMG et surtout son très médiatique directeur, Andy Milburn. Citons, par exemple, une plainte pour diffamation déposée contre lui juste au début du conflit[4], ou encore une vidéo du mois de décembre 2023, où ce dernier, semblerait-il sous l’emprise d’alcool[5], accuse des unités ukrainiennes de crime de guerre sur les soldats russes[6], etc.

Précisons qu’en Andy Milburn a, de son côté, réfuté ces accusations, et en a porté d’autres en retour à l’encontre d’Andrew Bain en l’accusant d’entretenir des liens avec Moscou, de harcèlement sexuel ou encore d’avoir voulu vendre ses parts de l’entreprise aux taliban[7].

Outre les accusations de diffamation, d’alcoolisme, de vol[8], de menaces, d’absence de licence ITAR[9] ou encore de harcèlement sexuel[10], la plainte de Andrew Bain porte principalement sur la gestion financière du groupe et son opacité.

Grâce aux éléments fournis par les différentes parties à cette affaire et aux informations révélées depuis la dissolution de TMG, il est aujourd’hui évident que de nombreux autres groupes de combattants ou de soutien aux forces ukrainiennes ont recours, au moins en partie, au même type de financement pour leurs activités. Parmi celles-ci, l’on retrouve d’autres SMP, des bataillons étrangers venant d’anciennes républiques soviétiques, mais également des unités combattantes de taille plus modeste, appelées « teams » au sein des brigades internationales.

 

Un système de financement particulièrement développé

Pour rappel, The Mozart Group a été créée en mars 2022 avec un statut d’entreprise (Limited liability compagny/LLC). La société a opéré pour de nombreux clients comme l’ONG Allied Extract[11], le plus souvent pour effectuer des évacuations de civils. En plus de ces activités rémunérées, TMG recevait des dons par deux canaux distincts : le premier, direct, via le site officiel de la SMP[12] ; le second, via deux entités indirectement connectées à TMG : l’ONG Ukrainian FreedomFund (UFF), dont le fondateur n’est autre que Andrew Bain ; et la Task force Sunflower (TSF)[13] dont Andy Millburn serait le directeur[14]. Il s’agit d’une ONG[15] qui propose des services très similaires à TMG comme de l’extraction humanitaire, du soin aux blessés, de la formation médicale, du déminage, de l’acheminement de matériel[16], etc.

Grâce à l’ensemble de ces revenus, TMG a pu entretenir la confusion et abondamment communiquer sur les réseaux sociaux et auprès des médias en se faisant passer pour une organisation caritative[17]. Andrew Bain, dans son dépôt de plainte, accuse Andy Millburn d’être le seul responsable de cette situation et d’avoir sciemment mélangé ses fonds personnels, ceux de l’entreprise et ceux des entités caritatives[18].

Au total, The Mozart Group aurait réussi à lever presque un total de 1 million de dollars. Parmi ses donateurs, on compte des membres de la diaspora ukrainienne, mais aussi des sociétés comme Obsidian Group, un cabinet de renseignement privé américain[19] qui a donné environ 10 000 dollars, ce qui est étonnant lorsque l’on sait que TMG proposait également des prestations de renseignement à ses clients[20].

Bien que The Mozart Group ait été qualifié d’ONG, de « start-up militaire »[21] ou encore de « smart SMP » par certains auteurs, il n’en est rien ; l’entreprise a toujours été une société commerciale qui a utilisé le contexte ukrainien pour se forger une image d’humanitaire, en profitant des subtilités du droit américain pour récolter des dons, le tout en cherchant à obtenir des contrats avec les autorités ukrainiennes, ainsi que des marchés et des débouchés à l’étranger[22].

Notons que cette utilisation de l’action caritative n’est pas une nouveauté pour les sociétés militaires privées. Déjà, durant les conflits en Irak et en Afghanistan, des entreprises américaines et britanniques avaient développé des structures caritatives. Citons, par exemple, la société américaine Triple Canopy Inc[23],ou encore l’entreprise britannique Aegis, qui avait créé en 2006 une fondation qui intervenait en Irak, notamment dans le domaine de la reconstruction[24]. Mentionnons également Xe[25], qui avait créé un mémorial avec « un site dédié à tous ceux qui sont tombés en défendant les libertés et les valeurs de notre grand pays, les États-Unis » [26]. . Celui-ci fut financé par l’entreprise et des dons privés.  Ces actions de bienfaisance sont, pour ces sociétés, des arguments de communication et de marketing[27] qui permettent de légitimer leur présence et leurs actions.

 

De multiples entités aux modes de financement similaires

Des unités de toute nature composent les forces engagées en Ukraine : SMP, bataillons de volontaire étrangers, voire unités de combattantes intégrées au sein des brigades internationales. Les groupes présentés ci-après utilisent des modes de financement basés, comme TMG, sur des donations. Certains sont déclarés comme LLC, tandis que d’autres ne sont que des unités combattantes sans statut, ce qui ne peut qu’interroger quant à l’origine des dons et leur utilisation[28].

Précisons également que les hommes de la Légion étrangère française sont présents dans bon nombre de ces groupes. D’anciens membres de ce corps sont également engagés dans les forces armées ukrainiennes[29], voire dans les forces spéciales de ce pays[30].

 

La Team Berlioz

Écusson de la Team Berlioz[31]

La Team Berlioz serait une unité de tireurs de précision intégrée au sein des brigades internationales en Ukraine, chargée de missions de renseignement et d’appui. Elle serait composée d’au moins cinq hommes, britannique, américain, canadien et français[32]. Leur porte-parole, appelé « Franck », serait un ancien membre de la Légion étrangère, engagé dans le conflit depuis mars 2022. Le groupe aurait connu plusieurs formes avant janvier 2023 et Franck aurait fondé ce dernier avec des « chiens de guerre »[33], sans que l’on sache s’il s’agit de soldat des brigades internationales ou de mercenaires.

Une cagnotte d’aide à cette unité a été lancée début 2023 et relayée par des chaînes YouTube couvrant le conflit. Pour appuyer cette campagne, le groupe a réalisé des vidéos musicales diffusées sur le réseau social Tik Tok[34], l’objectif étant clair : rendre l’unité combattante sympathique pour engranger des dons. Leur porte-parole, à l’instar d’Andy Millburn, n’hésite pas à communiquer en ligne sur différents réseaux sociaux en déclarant combattre le « fascisme »[35]et en qualifiant les soldats russes de « bipèdes » et « d’orcs »[36].

Grâce à ces dons, les hommes de la Team Berlioz auraient pu acquérir du matériel comme des optiques pour leurs armes, un suppresseur de son ou encore « des systèmes de vision nocturne, des trépieds, (…) un drone » et également fournir du soutien à une autre équipe combattante[37].

Sur un modèle similaire, on peut citer la Task Force Baguette, qui serait composée de Français et d’Américains[38] et qui lancenégalement des appels aux dons via Paypal.[39]

 

Trident Defense Initiative

Logo de Trident Defense Initiative[40]

Il s’agit d’une SMP[41] fondée par Daniel Ridley, un ancien soldat britannique qui a servi dans les rangs de l’armée ukrainienne entre 2018 et 2022. Outre son fondateur, la société compte dans ses rangs plusieurs anciens soldats américains, un britannique et deux traducteurs ukrainiens[42]. Elle propose des formations médicales, des formations de combat aux standards OTAN et du renseignement.

Précisons que la SMP dit se financer par un système de dons et que ses personnels sont des bénévoles[43] ; pourtant la page de dons Paypal de l’entreprise renvoie vers un compte appartenant à une ONG fondée par deux anciens militaires[44] en 2021, nommée Allied Extract[45]. Cette dernière situation interroge en raison des similitudes avec le système de financement de TMG[46], notamment quand l’on se souvient que Allied Extract en fut un des clients réguliers. Depuis peu, les liens avec l’ONG ont été supprimés et Trident recueille ses dons sur les plateformes Donorbox et Buy me a coffee.

 

Ghosts of Liberty

Logo de Ghosts of Liberty[47]

Très similaire à la SMP précédente, Ghosts of Liberty est un groupe privé créé par Lance Zaal, un vétéran et entrepreneur américain spécialiste des circuits touristiques à thème horrifique. La société, composée d’anciens militaires américains, vise « à soutenir les volontaires en Ukraine en finançant des fournitures et du matériel et en dispensant des formations »[48]. L’entreprise dit se financer grâce à des dons, notamment en bitcoins et utilise le logiciel de paiement Stripe[49]

 

Backyard Camp- Skills to Defense

Image promotionnelle de BackYard Camp- Skills to Defense (crédit Wonder Україна[50])

Backyard est une structure de formation militaire installée dans la périphérie de Kiev[51]. L’organisation, que ses dirigeants qualifient de « plateforme d’éducation militaire », a été créée par Dmytro Zubkov et Artem Veselov en mars 2022[52]. Elle fournit à l’attention des civils et des militaires des stages de formation au combat et au maniement des armes.

Les cours seraient dispensés par des formateurs américains, estoniens, israéliens[53] ou encore français[54]. Le centre serait fréquenté par les forces spéciales ukrainiennes, des membres des brigades internationales[55], mais également des combattants du bataillon Azov qui y auraient suivi un stage à l’été 2022.

Bien que l’organisation assure ne pas avoir d’objectif commercial, elle accepte les dons[56] et demanderait une participation financière aux civils. A noter que la structure a disparu des réseaux sociaux dernièrement.

L’entité se veut similaire à « l’Université russe des forces spéciales » ou « l’Université russe des spetsnaz », créée en Tchétchénie, où sont formés les volontaires russes et tchétchènes qui sont envoyés en Ukraine[57].

 

Ukraine Defense Support Group (UDSG)

Logo de UDSG[58]

Il s’agit d’une entreprise ukrainienne, plus précisément d’une LLC. Composée en partie d’anciens membres de TMG[59], elle a été fondée par deux anciens militaires ayant été déployés en Afghanistan, Paul Schneider[60] et David Holdsworth[61]. Le premier aurait appartenu aux Bérets verts américains et le second à l’armée britannique. Le groupe dispense des formations à l’attention des forces militaires et une assistance aux ONG, médias et populations civiles impliquées en Ukraine. Malgré son statut de société, le groupe dit se financer par des dons PayPal[62].

 

Les bataillons de combattants étrangers

Un grand nombre de bataillons étranger sont engagés dans le conflit[63]. Certains d’entre eux utilisent également des systèmes de financement reposant sur les donations. Citons, par exemple : Kastuś Kalinoŭski Regiment[64], un groupe biélorusse ; la Georgian National Legion[65], qui intervient en Ukraine depuis 2014 ; ou encore la Norman Brigade, un groupe canadien, composé d’un ancien membre de la Légion étrangère française, de Néo-zélandais, de Sud-africains, d’Américains et de Canadiens. Le bataillon serait dirigé par un vétéran surnommé « Hrulf ». Ce dernier est accusé par les anciens membres de son groupe de sympathie néo-nazie[66] et d’emploi du groupe combattant à des fins personnelles[67].

Les deux premières organisations se financent grâce à des dons Paypal, en cryptomonnaie – Bitcoin ou Etherum[68]. La troisième a recours à la vente de produits divers (merchandising)[69].

Bien que les actions caritatives en faveur de l’Ukraine soient massivement relayées sur les réseaux sociaux et dans les médias, il semble clair qu’une partie de cet argent et des biens qui sont acheminés ne soit pas utilisée correctement. Ces derniers peuvent être mal gérés[70] ou détournés, car les contrôles sont presque inexistants[71]. Bon nombre de structures se sont d’ailleurs créées avec le conflit et sont dirigées par d’anciens militaires qui ne sont pas forcément des spécialistes de la gestion d’entreprise ou d’ONG en zone de guerre.

Concernant The Mozart Group, bien qu’il ait officiellement fermé ses portes, les activités initiées par TMG perdurent indirectement dans le pays, soit au travers de l’activité de son ancien directeur Andrew Milburn – qui, après avoir repris de nouveaux bureaux à Kiev[72], a recommencé une activité en ligne sur les réseaux sociaux, – soit par les structures qu’ont développé d’anciens membres de la SMP[73] en Ukraine, proposant des formations militaires à l’attention de forces classiques et des unités spéciales du pays[74].

Cette liste n’est pas exhaustive : de nombreuses autres structures interviennent dans le pays. Citons l’ESSD française Stratégie, qui y a effectué des évacuations de réfugiés en 2022[75], mais également des SMP britanniques, israéliennes, allemandes – comme Global.AG Security & Communication – ou estonienne- Iron Navy[76] -, etc.

Rappelons également qu’en 2014 déjà, des SMP étrangères étaient impliquées en Ukraine, à l’image d’Academi qui y avait déployé 400 contractors pour coordonner et diriger « des opérations de guérilla contre les séparatistes pro-russes autour de l’enclave de Sloviansk »[77].


[1] https://twitter.com/andymilburn8/status/1620509157370769408?cxt=HHwWgMDRhcWfmv0sAAAA

[2] Gris Mauricio, « Shadowy groups of Western military veterans are operating on the ground in Ukraine, largely unregulated », The Telegraph, 23 janvier 2023 (https://www.telegraph.co.uk/world-news/2023/01/23/ukraine-russia-invasion-private-military-wagner-mozart/).

[3] Andy Bain suit against Andy Milburn of Mozart Group 10 janvier 2023

(https://www.documentcloud.org/documents/23580905-andy-bain-suit-against-andy-milburn-of-mozart-group).

[4] Michael Ryan Burke suit against Task & Purpose, Recurrent Ventures, Inc., Andrew Milburn and The Mozart Group, LLC, 4 octobre 2022 (https://dockets.justia.com/docket/missouri/mowdce/2:2022cv04147/166137).

[5] Gettleman Jeffrey, « Hard Drinking and Murky Finances : How an American Veterans Group Imploded in Ukraine », The New York Times, 1 février 2023

(https://www.nytimes.com/2023/02/01/world/europe/american-veterans-ukraine-mozart.html).

[6] En réponse à la diffusion d’extraits, Andrew Milburn a accusé l’émission, où il était interviewé, d’être un relais de la propagande russe et d’avoir réalisé un deep fake.

(https://www.linkedin.com/posts/andrewmilburn2023_manipulation-the-subtle-art-of-taking-things-activity-7021478925742542848-MGp8?utm_source=share&utm_medium=member_desktop).

[7] Gris Mauricio, op. cit.

[8] Orizio Pietro, « Ascesa, declino e requiem del Gruppo Mozart », Analisidifesa, 22 février 2023 (https://www.analisidifesa.it/2023/02/ascesa-declino-e-requiem-del-gruppo-mozart/).

[9] L’International Trafic in Arms Regulations est une règlementation américaine qui encadre, entres autres, la vente, la fabrication ou encore l’exportation de matériel miliaire (cf. Intelligence Online, 27 janvier 2023).

[10] Mass Peter, « U.S. Military Vets in Ukraine Are Fighting Each Other in Court », The Intercept, 20 janvier 2023 (https://theintercept.com/2023/01/20/ukraine-mozart-group-us-veterans/).

[11] Orizio Pietro, op. cit.

[12] Dons privés via Paypal ou Venmo, en bitcoins et en équipement, « du crowdfunding ou encore de la vente de produits divers (merchandising) » (cf. Llobet Valère et Auret Nicolas, « The Mozart Group et l’action des sociétés militaires privées américaines en Ukraine », CF2R, Note d’actualité n°604, janvier 2023 (https://cf2r.org/actualite/the-mozart-group-et-laction-des-societes-militaires-privees-americaines-en-ukraine/).

[13] Ces deux structures récoltent des dons sur Donorbox, un logiciel de de collecte de fonds en ligne ; cf. « Donate », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/donate/)

[14] Andy Bain suit against Andy Milburn of Mozart Group, part n°15, point O, op. cit.

[15] « About », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/#about).

[16] « Services », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/).

[17] Régis par l’article 501 paragraphe c alinéa 3 de l’Internal Revenue Code des États-Unis. Ce statut permet aux organisations caritatives de recevoir des donations défiscalisées ; cf. Isenberg David, « The rise and fall of the Mozart Group », Responsible Statecraft, 8 février 2023 (https://responsiblestatecraft.org/2023/02/08/the-rise-and-fall-of-the-mozart-group/)

[18] Orizio Pietro, op. cit.

[19] « About », Obsidian solutions group, (https://obsidiansg.com/about/).

[20] Llobet Valère, et Auret Nicolas, op. cit.

[21] Gettleman Jeffrey, « An American in Ukraine Finds the War he’s Been Searching for », The New York Times, 9 octobre 2022 (https://www.nytimes.com/2022/10/09/world/europe/ukraine-war-americans.html).

[22] Notamment sur d’autres théâtres de conflit comme l’Arménie (cf. Mass Peter, op. cit.).

[23] Bricet des Vallons, Georges-Henri, « Irak, terre mercenaire – Les armées privées remplacent les troupes américaines », éditions Favre, 2010.

[24] « Philanthropy & Campaigns », Private Military.org, 22 mai 2021

(http://www.privatemilitary.org/foundations.html).

[25] Rappelons que Xe fut le nom adopté par l’entreprise Blackwater en 2009, avant de devenir, en décembre 2011, Academi (cf. Cole August, « Blackwater Puts on a New Public Face », The Wall Street Journal, 14 février 2019 )

(https://www.wsj.com/articles/SB123454232273983709).

[26] « Philanthropy & Campaigns », op. cit.

[27] Bricet des Vallons G-H, op. cit.

[28] Dans de nombreux cas, l’argent des donations est gaspillé ou simplement utilisé pour fournir du matériel de piètre qualité (cf. Scheck Justin, Gibbons-Neff Thomas, « Stolen Valor: The U.S. Volunteers in Ukraine Who Lie, Waste and Bicker », The New York Times, 25 mars 2023.

(https://www.nytimes.com/2023/03/25/world/europe/volunteers-us-ukraine-lies.html).

[29] Souriau Vincent, « Guerre en Ukraine : des combattants français témoignent de la férocité des combats et du déficit de matériel », RFI, 9 mars 2023 (https://www.rfi.fr/fr/europe/20230309-guerre-en-ukraine-des-combattants-fran%C3%A7ais-t%C3%A9moignent-de-la-f%C3%A9rocit%C3%A9-des-combats-et-du-d%C3%A9ficit-de-mat%C3%A9riel).

[30] « [Ukraine] Franck, sniper dans la Légion des volontaires internationaux. Témoignage », Xavier Tytelman, 3 février 2023, (https://www.youtube.com/watch?v=vaHgCXShR1c).

[31] Extrait de la page de donation de la Team Berlioz

(https://www.paypal.com/donate/?hosted_button_id=PXN986BAF7XY2).

[32] https://www.youtube.com/shorts/zRhVAmpTcJw

[33] « [Ukraine] Franck, sniper dans la Légion des volontaires internationaux. Témoignage », op. cit.

[34] https://www.tiktok.com/@berliozteam

[35] https://www.paypal.com/donate/?hosted_button_id=PXN986BAF7XY2

[36] Comparaison régulièrement utilisée sur les forums internet depuis le début du conflit en Ukraine, pour parler des troupes russes. Il s’agit d’une référence aux orcs de la saga littéraire et filmique du Seigneur des anneaux.

[37] « Franck et la team vont bien, ils vous remercient pour les dons qui les ont bien aidés !», Xavier Tytelman, 13 mars 2023, (https://www.youtube.com/shorts/Z36ft5B5ozs).

[38] Parmi ces combattants américains, deux ont été fait prisonniers par les forces russes avant d’être relâchés à l’automne 2022 (Toropin Konstantin, « ‘Ambushed’: Former Marine Is Latest Veteran Killed in Ukraine War », Military.com, 1er mai 2023 (https://www.military.com/daily-news/2023/05/01/marine-veteran-killed-helping-evacuees-besieged-ukrainian-city.html)

[39] https://twitter.com/TFBaguette/status/1624070312856805376?cxt=HHwWgICzgYnW7YktAAAA

[40] Extrait de la page principale Trident Defense Initiative (https://tridentdefenseinitiative.com/).

[41] « Home », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/tdi-tactical).

[42] « TDIstaff », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/tdi-staff).

[43] « Donate », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/donate).

[44] L’un est Américain et l’autre Britannique (cf. «Our team», Allied Extract) (https://alliedextract.org/our-team/).

[45] https://www.paypal.com/donate?token=cGL0HczhcDpUrihK0wMLjtbykEGa06WYmDVQ54rzZNpwDwmZm42kX7oWnLPTB6ilpxSZPNexhDOBMXZY

[46] Notons que l’ONG intervient en Ukraine et en Afghanistan. (cf. «About our organisation », Allied Extrac)(https://alliedextract.org/about-us/).

[47] Extrait de la page principale de Ghost of Liberty (https://ghostsofliberty.com/).

[48] «US Ghost Adventures’ Founder and Marine Corp Veteran Launches ‘Ghosts of Liberty’ to Provide Training, Equipment and Supplies to Ukraine », PR Newswire, 30 juin 2022 (https://www.prnewswire.com/news-releases/us-ghost-adventures-founder-and-marine-corp-veteran-launches-ghosts-of-liberty-to-provide-training-equipment-and-supplies-to-ukraine-301579288.html).

[49] « Home », Ghosts of Liberty (https://ghostsofliberty.com/).

[50] Extrait de « Стрільба, медицина та самозахист. 11 навчальних курсів, які можна пройти у воєнний час », Wonder Україна, 16 septembre 2022 (https://www.wonderzine.com.ua/wonderzine/life/life/12539-strilba-meditsina-ta-samozahist-11-navchalnih-kursiv-yaki-mozhna-proyti-u-voenniy-chas).

[51] Ibid.

[52] « Дмитро Зубков про те, де можна отримати кваліфікаційну військову підготовку », KyivFM, 15 décembre 2022 (https://www.youtube.com/watch?v=w_fe37w1ynM).

[53] Ibid.

[54] Il s’agirait d’un ancien caporal de la Légion étrangère (cf. « Стрільба, медицина та самозахист. 11 навчальних курсів, які можна пройти у воєнний час », op. cit.

[55] Ibid.

[56] Gris Mauricio, op. cit.

[57] Barluet Alain, « En Tchétchénie, à l’Université des forces spéciales de Kadyrov : le récit de l’envoyé spécial » du Figaro », Le Figaro, 5 avril 2023 (https://www.lefigaro.fr/international/en-tchetchenie-a-l-universite-des-forces-speciales-de-kadyrov-le-recit-de-l-envoye-special-du-figaro-20230405).

[58] Extrait de UDSG, « About US », (https://ukrainedsg.com/).

[59] Brennan David, « How Russian Forces in Ukraine Are Learning to Fight: U.S. Veteran Trainer », News Week, 3 mars 2023 (https://www.newsweek.com/how-russian-forces-ukraine-learning-fight-american-veteran-trainer-1787239).

[60] https://www.linkedin.com/in/paul-schneider-863272159/

[61] https://www.linkedin.com/in/david-holdsworth-52630062/

[62] « Help our cause », UDSG (https://ukrainedsg.com/).

[63] Gaüzere David, « Le bataillon Touran, un nouveau venu en Ukraine », Note d’Actualité n°605, CF2R, janvier 2023 (https://cf2r.org/actualite/le-bataillon-touran-un-nouveau-venu-en-ukraine/).

[64], « Help », Kastuś Kalinoŭski Regiment (https://kalinouski.org/en/help/).

[65] « Help », Georgian National Legion (https://georgianlegion.com.ua/en/).

[66] Blackwell Tom, « Incompetence or the realities of war? Turmoil for Canadian-led foreign battalion in Ukraine », National Post, 6 mai 2022 (https://nationalpost.com/news/canada/turmoil-for-norman-brigade-canadian-led-foreign-battalion-in-ukraine).

[67] Le groupe basé dans le sud-est de l’Ukraine se cantonnerait à défendre un seul village où vivrait la femme et les enfants ukrainiens de « Hrulf » (cf. Blackwell Tom, op. cit.).

[68] « Help », Kastuś Kalinoŭski Regiment, op. cit.

[69] https://www.bonfire.com/store/norman-brigadebrigade-normande/

[70] Scheck Justin et Gibbons-Neff Thomas, op. cit.

[71] Timson Jamie, « Why are private military companies playing such a major role in Ukraine ? », The Week, 24 janvier 2023 (https://www.theweek.co.uk/news/world-news/russia/959374/why-are-private-military-companies-playing-a-such-a-large-role-in).

[72] Gettleman Jeffrey, « Hard Drinking and Murky Finances : How an American Veterans Group Imploded in Ukraine », The New York Times, 1 février 2023

(https://www.nytimes.com/2023/02/01/world/europe/american-veterans-ukraine-mozart.html).

[73] Brennan David, « How Russian Forces in Ukraine Are Learning to Fight: U.S. Veteran Trainer », News Week, 3 mars 2023 (https://www.newsweek.com/how-russian-forces-ukraine-learning-fight-american-veteran-trainer-1787239).

[74] Ibid.

[75] « Ukraine2022-Ykpaïha », Stratégie, 8 mars 2023 (https://www.youtube.com/watch?v=lPJ4w6Wa4Fg).

[76] Intelligence Online, 3 mars 2023.

[77] « Des mercenaires américains en Ukraine », Le Figaro, 11 mai 2014, (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/05/11/97001-20140511FILWWW00036-des-mercenaires-americains-presents-en-ukraine.php).

Les SMP « Sociétés Militaires Privées»

Les SMP « Sociétés Militaires Privées»

David Hornus (*) – Esprit Surcouf – publié le 30 juin 2023
Expert en sécurité et défense
https://espritsurcouf.fr/defense_les-smp-societes-militaires-privees_par_david-hornus/


Le putsch avorté des miliciens russes de « Wagner » a propulsé de manière spectaculaire la question des sociétés militaires privées sur le devant de la scène. L’auteur, un professionnel de la sécurité, constate la multiplication rapide de ces sociétés et s’étonne de l’absence presque totale de la France dans ce secteur, face à un contexte géopolitique en pleine mutation.
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Si l’appellation SMP (Société militaire privée) est entrée dans le langage courant, cette terminologie ne saurait plus être utilisée aujourd’hui. Tout d’abord, elle entretient une confusion et un amalgame dans l’esprit du grand public en mettant en confrontation deux termes que tout oppose : militaire et privé. Ensuite, elle ne correspond à aucune réalité juridique. Enfin, elle nie les mécanismes de régulation de cette activité de services, jetant qui plus est l’opprobre sur tout un secteur économique.

Aujourd’hui, la France a adopté le terme d’ESSD (Entreprise de Sécurité et de Service de Défense), qui semble plus en adéquation avec la réalité des services proposés par les quelques acteurs français revendiquant cette appellation. Elle permet de comprendre que des sociétés privées font aujourd’hui commerce de l’expertise d’anciens « militaires » dans le cadre de prestations de service de sécurité ou de sûreté, qui peuvent parfois intervenir dans un contexte « chaud » ou en zones de combat. C’est le cas des ESSD françaises en charge de la sécurité des emprises diplomatiques en Irak, en Afghanistan ou Libye par exemple, tels Amarante International et Geos. D’autres, comme Themiis ou Corpguard, ont pu, dans le cadre de relations contractuelles privé/public, assurer des formations militaires très encadrées sur les plan juridique et législatif (autorisation d’export auprès de la DGA, demande de classement, fiscalisation du contrat en France, paiement des collaborateurs en France via des contrats de droit français …).

Une émergence exponentielle
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En septembre 2021, on pouvait lire dans u article de référence : « …À part le cas de Wagner group, il ne semble pas aujourd’hui se profiler, contrairement à certains phantasmes, une émergence exponentielle de « SMP » actives sur les champs de batailles. Cette déclaration est désormais caduque, contredite par l’apparition de plusieurs « milices » ou armées privées, telle l’éphémère « Groupe Mozart » américain, ou l’entité russe « Groupe Patriot » du ministre de la défense Serguei Choigu.

Selon Jean-Marc Four, de France info, ce sont au moins 27 armées privées qui auraient vu le jour en Russie. En plus du groupe Wagner et de ses quelque 50 000 hommes sous la houlette d’Evgueni Prigojine, il faut désormais compter avec le groupe du tchétchène Ramzan Kadyrov estimé à 12 000 hommes. Le patriarche orthodoxe Kirill a, quant à lui, donné sa bénédiction à une unité religieuse : « la Croix de Saint-André ». On peut également citer « le bataillon Sparta », « le corps slave », « l’unité cosaque », avec à chaque fois quelques milliers d’hommes. Près de 11 de ces 27 milices combattent en Ukraine.

Début février 2023, Gazprom annonçait qu’elle était autorisée à se doter de sa « Compagnie Militaire Privée ». L’apparition d’acteurs de guerre non-étatiques, intervenant en zones complexes ou post-conflictuelles, semble un phénomène qui tend à se généraliser … et pas seulement à « l’Est ». L’action de la société turque SADAT, dont la présence a été observée en Syrie, en Libye et au Kahraba, vient confirmer le processus. On a aussi vu la société de sécurité privée « Dyck Advisoty Group », de l’ancien colonel sud-africain Lionel Dyck, intervenir lors des évènements au Cabo Delgado en avril 2021.

L’analyse du phénomène doit aussi adapter sa grille de lecture au cas particulier des sociétés de sécurité « privées » chinoises et de la très forte influence, pour ne pas dire plus, du gouvernement dans leur activités.

Au large des côtes somaliennes ou dans le golfe de Guinée, les armateurs embarquent volontiers quelques mercenaires armés sur leurs bateaux, pour faire échec aux actes de piraterie. Photo Ministère belge de la Défense.

Des « ESSD » françaises   
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Si la culture anglo-saxonne, et notamment américaine, est particulièrement favorable à la dynamique libérale d’externalisation (outsourcing) de services de défense, il n’en est pas de même dans la vieille Europe et en France. Il n’est qu’à comparer le nombre d’entreprises de sécurité privée anglo-saxonnes et françaises accomplissant des prestations de défense en zone complexe pour s’en rendre compte.

Selon le colonel Peer de Jong, le corporatisme des ministères de la Défense et de l’Intérieur est le principal obstacle à l’émergence d’ESSD françaises. Ceux-ci considèrent que les ESSD mordent sur leurs prérogatives régaliennes…

L’argument est recevable, mais reste faible tant que le domaine d’intervention des ESSD ne concerne que des prestations de formation, d’appui et de soutien (en particulier logistique).

Ce corporatisme est également présent au travers de Défense Conseil international (DCI), opérateur parapublic, qui intervient en appui des contrats de vente d’arme et assure depuis plusieurs années la formation des Forces Spéciales saoudiennes à Tabouk et pourrait être considéré comme l’unique ESSD française. DCI occupe certes une partie du spectre des ESSD dans le domaine de la formation, mais uniquement vers des pays considérés comme des partenaires de la France et plutôt en accompagnement de grands contrats d’armement.

Ainsi, depuis plus de 20 ans, la France n’a pas su se doter d’un écosystème d’Entreprises de Sécurité et de Services de Défense capable de contribuer à la défense et à la promotion de ses intérêts régaliens, de participer à la reconversion de ses anciens militaires et de rivaliser avec les entreprises anglo-saxonnes du secteur.

Pourtant, nos entreprises ont du talent et peuvent faire des choses dans le respect du cadre légal et des standards internationaux. Nous en voulons pour preuve qu’entre 2015 et fin 2017, la société Corpguard a obtenu consécutivement deux contrats dans le cadre d’un partenariat public/privé avec le ministère de la Défense de la République de Côte d’Ivoire.

Corpguard en Côte d’Ivoire
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Le premier contrat consistait à diligenter un audit de sécurité sur l’ensemble de sites sensibles, soit les armureries et soutes à munitions de la moitié sud du pays. Le deuxième, de bien plus grande envergure (6,8 M€) visait à doter la République de Côte d’Ivoire, d’un outil militaire lui permettant d’agir comme élément stabilisateur dans la sous-Région et de devenir un pays contributeur aux opérations de maintien de la Paix.

À cet effet, une proposition d’accompagnement destinée à la formation de trois bataillons « projetable » fut présentée aux autorités qui, en 2016, ont validé la formation d’un premier bataillon pilote. La société Corpguard obtint même une autorisation de la DGA pour former sur place, pendant plus de 10 mois, ce bataillon (soit environ un millier d’hommes) aux opérations de maintien de la paix. Jusqu’à 21 consultants, tous anciens officiers ou sous-officiers, se sont ainsi déployés afin d’assurer la formation des quatre unités élémentaires du bataillon.

À l’issue de cette formation, le bataillon a bien été projeté au Mali dans le cadre de la MINUSMA (Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali). Le contrat relevait du droit français. Il était fiscalisé en France. Les consultants ont tous eu un contrat de prestataire de droit français et ont été payés en France.

Remise de diplôme à l’issue de la formation d’un bataillon Ivoirien par la société Corpguard, dans le cadre d’un mandat de l’ONU pour le maintien de la paix (2016-2017). Photo DH

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Avant sa mise en œuvre et dans le cadre de nos processus internes, une étude de faisabilité et une étude du risque avaient été diligentées. Les prestataires étaient formés et sensibilisés aux risques d’atteintes au droit de l’homme et au droit humanitaire, aux abus et violences sexuels, à l’esclavagisme moderne … Tous ont signé une charte d’éthique rappelant les règles de bon comportement et rappelant les sanctions auxquelles ils s’exposaient en cas de manquement.

Par ailleurs, en bonne intelligence et dans un esprit de coopération, des contacts avaient été pris avec les autorités françaises afin de s’assurer qu’il n’existait aucune contre-indication à la mise en œuvre de cette prestation qui s’inscrivait dans une démarche de patriotisme économique et de promotion des intérêts français.

En mars 2017, un deuxième contrat portant sur la formation d’un deuxième bataillon était signé par le ministre de l’époque. Malheureusement, à ce jour, et pour des raisons qui restent inconnues, ce contrat ne s’est jamais concrétisé. Selon la lettre confidentiel « Africaintelligence », il semblerait que les autorités militaires françaises voyaient d’un mauvais œil l’intervention de la société Corpguard au profit de la République de la Côte d’Ivoire.

Il apparaît, cependant, qu’un deuxième bataillon « maintien de la Paix » a bien été formé par la société américaine Engility, une société du groupe Sincerus global.

En mai 2020, l’action de formation de Corpguard au profit de la RCI était citée en référence dans le rapport « Évolutions et défis du maintien de la paix dans l’espace francophone » de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix.

Régulation et gouvernance
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Alors que différentes entités internationales occupent désormais le théâtre des opérations de guerre ou de post-conflit, les entreprises françaises, capables, dans le respect des normes et des standards internationaux d’offrir des prestations de sécurité et de défense non combattantes, sont absentes. Ce qui laisse ainsi le champ libre à d’autres acteurs dont le niveau d’éthique et de gouvernance n’est pas au niveau de celui que l’on est en droit d’attendre, et que nos entreprises françaises sont en mesure de proposer.

Nous laissons ainsi l’opportunité à d’autres acteurs étatiques d’intervenir. Dans un contexte de guerre économique, ceux-ci n’ont aucun scrupule à promouvoir leurs intérêts de puissance au détriment des nôtres.

Depuis plus de 20 ans, la France tergiverse sur l’externalisation de certaines prérogatives régaliennes au profit de structures privées. Cela permettrait pourtant à l’État de se concentrer sur les questions majeures et de laisser à d’autres des prestations « secondaires » loin du champ de bataille.

Le cadre de gouvernance internationale existe, même s’il est, certes, perfectible. Malheureusement, la France n’a pas rejoint l’initiative du Code de Conduite international créé en 2009 par les acteurs de l’industrie de sécurité privée, à l’initiative de cette démarche de gouvernance et de régulation. Sept pays contributeurs sont aujourd’hui en soutien de cette initiative portée par la Fédération Helvétique : Suisse, Suède, Norvège, USA, Canada, Australie, Royaume Uni).

Seules, deux entreprises françaises (sur 249) revendiquent la mise en conformité de leur gouvernance aux standards internationaux. Elles sont ainsi titulaires de la certification ISO 18788 et membres certifiés : il s’agit d’Amarante international et de Corpguard. Une troisième, Géos, est membre affiliée.

En ne s’inscrivant pas dans cette dynamique initiée par le gouvernement suisse, la France laisse le champ libre à d’autres intérêts qui vont bâtir le cadre d’une gouvernance sans que nous puissions avoir notre mot à dire. C’est à l’évidence très dommageable et une erreur stratégique majeure. 

En 2003, il y a 20 ans, on pouvait lire sur le site infoguerre.com : « dans le but de se concentrer uniquement sur leurs missions opérationnelles … les forces armées françaises vont devoir privatiser un certain nombre de fonctions de défense non combattantes (à l’image de ce qui se passe aux Etats-Unis et en Grande Bretagne). À terme, des Sociétés Militaires Privées pourraient soulager les forces armées françaises de certaines missions vitales mais non combattantes et garantir, grâce à l’emploi d’anciens militaires ou policiers, la continuité dans la qualité des prestations fournies »

Depuis 20 ans, rien n’a bougé. Face à nous, pourtant, de Wagner à Mozart, un orchestre symphonique fourbit ses instruments, ses armes et grignote notre pré-carré dans une guerre militaire, économique et de l’information, dont nous subissons sans cesse les effets.

Alors que la guerre de haute intensité est à nos portes, que nous avons subi sur notre sol, en dix ans, les pires attentats terroristes, qu’une guerre perlée du faible ou fort nous est livrée presque quotidiennement, que nous approchons de la Coupe du monde de rugby, des JO de Paris 2024 (il manque d’ailleurs 20 000 agents de sécurité privée), que nos zones d’influence et d’échanges traditionnelles sont remises en question et se réduisent comme peau de chagrin ; qu’attendons-nous pour réagir ?

Confrontés aux enjeux sécuritaires (séparatisme, crime organisé, trafics, crise migratoire, énergétique, sanitaire, climatique, sociale…), et à l’aube de grands évènements sportifs, il est urgent de mettre en œuvre le continuum de sécurité qui permettra, en bonne gouvernance, à tous les acteurs d’assurer, conjointement, sur notre territoire et dans nos zones de développement économiques, notre sécurité globale.

Nous avons, je le crains, beaucoup de retard à rattraper. Nous réfléchissons comme Gamelin, alors que c’est la pensée de Foch qui devrait nous inspirer.

(*) David HORNUS, membre fondateur de Secopex (2003/2006), a fondé Corpguard en 2006. Il dirige aujourd’hui Vigilantis, un cabinet spécialisé dans la sécurité économique. Pendant trois ans (2019/2022), il a été élu au poste Directeur Europe-UK pour l’industrie de sécurité privé de ICoCA qu’il a rejoint dès sa création en 2009. La société Corpguard a été la 4ème société française certifiée ISO 18788 en 2018. Il est l’auteur de Danger Zone (présenté dans le numéro 197 du 23 septembre 2022), un ouvrage dans lequel il revient sur son parcours et sur les missions de sécurité et de défense auxquelles il a contribué.

Exercice purement fictionnel : Et si le sort de l’Ukraine se jouait sur un futur front à l’ouest ?

Exercice purement fictionnel : Et si le sort de l’Ukraine se jouait sur un futur front à l’ouest ?


 

L’Ukraine tient. L’Occident global ne ménage pas ses efforts pour alimenter Kyiv en argent, en armes, en munitions, en formation, en renseignements et en fournitures énergétiques, médicales et techniques. Si les ports de la mer Noire, et en premier lieu Odessa, permettent aux Ukrainiens d’exporter des matières premières agricoles, grâce à un accord signé sous l’égide de la Turquie, ils ne permettent pas d’importer les armes occidentales. De sorte que tout passe par les frontières avec la Pologne, la Roumanie, la Hongrie ou la Slovaquie, et ce par voie terrestre, route et voie ferrée essentiellement, même si la voie aérienne reste importante. Si le front à l’est est alimenté, il le doit à la liberté de passage à l’ouest. Si la guerre dure, c’est que rien n’entrave pour le moment les chaînes logistiques venant d’Europe.

Depuis le reflux russe d’août 2022, nous avons les yeux rivés sur le Donbass, la Crimée, Kherson et la centrale de Zaporijjia. Les médias se passionnent pour des villages inconnus, pris et repris. Le niveau des eaux du bassin du Dniepr devient l’indicateur de crise. Or il est rare que nous ouvrions la focale pour embrasser du regard la zone de crise dans sa globalité et qui s’étend bien au-delà. L’histoire qui s’écrit chaque jour devant nos yeux stupéfaits a connu un développement médiatiquement spectaculaire les 24 et 25 juin derniers avec, comme résultat pour le moins inattendu, le mouvement de Wagner vers la Biélorussie. Une crise crée toujours des opportunités. Un petit affolement s’en est suivi dans les pays baltes et en Pologne. Des experts militaires, à grand renfort de cartes, ont doctement conjecturé sur les menaces que pourrait faire peser les quelque 8 000 mercenaires sur les frontières des pays de l’Otan limitrophes, mais aussi en direction de Kyiv. L’intérêt pour la Russie de voir les articles 4 et 5 du traité de l’Atlantique nord être mis en œuvre est nul. Quant à prendre Kyiv pour cible, la noix est dure à casser pour quelques milliers d’hommes et cela gâcherait des ressources pour un résultat connu d’avance. En février 2022 l’offensive sur la capitale ukrainienne s’est soldée par une retraite piteuse et des pertes colossales. D’autres rappellent avec justesse que le rêve de Poutine est d’annexer purement et simplement la Biélorussie au sein d’une alliance cosmétique russo-biélorusse. Wagner, véritable loup dans la bergerie, pourrait être l’exécuteur de ces basses œuvres.

Wagner, le U-Boot du Kremlin ?

Il existe cependant une utilisation plus rentable de la présence de Wagner au nord de l’Ukraine, celle de U-Boot terrestres destiné à entraver l’approvisionnement venant de l’ouest, comme les loups gris de Dönitz l’ont fait dans l’Atlantique pour priver le Royaume Uni et l’URSS des équipements, armes, et matières premières vitaux à l’effort de guerre. En s’infiltrant depuis le nord le long des frontières polonaises, slovaques et hongroises vers Kovel, Lutsk, Lviv et Khust, des groupes commandos de Wagner créeraient un climat d’insécurité en sabotant les axes de communication, en s’attaquant au trafic routier et ferroviaire, en abattant avions et hélicoptères à l‘aide de MANPADS. Il s’agirait de ne surtout pas de tenir le terrain, cela demanderait deux cent mille hommes que la Russie n’a pas, mais d’évoluer de manière fluide en se fondant dans le territoire afin d’interrompre momentanément ou plus durablement le soutien matériel vital pour les Ukrainiens. Ces derniers devraient consacrer des ressources importantes pour chasser et détruire ces groupes de combat qui utiliseraient tous les moyens de dé-caractérisation, de clandestinité et de vie sur le pays à la manière des armées du moyen-âge. Autant de précieux soldats et équipements qui feraient défaut sur le front de l’est. Il est essentiel que l’action de ces commandos restent cantonnées à l’intérieur des frontières ukrainiennes pour ne pas s’exposer à des réactions d’acteurs extérieurs au conflit ou supposés tels.

Une telle action ne peut évidemment pas s’inscrire dans la durée. Il s’agit d’impulser un Dirac dans une zone de tranquillité. Aussi devrait-elle être soigneusement préparée, en particulier les phases infiltration et soutien, et lancée à un moment critique des évènements militaires à l’est pour obtenir un effet de bascule ou du moins d’inflexion. On a jusqu’à aujourd’hui considéré que le cordon ombilical qui maintient en vie l’Ukraine était hors de portée des actions russes, sauf tirs de missiles de croisière sur quelques cibles d’importance comme les camps d’entraînement de l’Otan au début de la guerre. Créer un climat d’insécurité sur les flux d’approvisionnement, à la manière des partisans de la seconde guerre mondiale, est de nature à bouleverser le déroulement de la guerre. Le temps est du côté russe alors que l’Ukraine et ses soutiens sont pressés.

Russie: la révolte des mercenaires de Prigojine tourne du drame à la farce

Russie: la révolte des mercenaires de Prigojine tourne du drame à la farce

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 25 juin 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Rien dans Lignes de défense sur la crise russe de samedi… C’est vrai. Tous mes sujets ont été publiés sur le site ouest-france.fr et dans notre édition dominicale (voir ci-dessous).

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Le blog a fait les frais de cette journée un peu folle que je devais passer au soleil et non pas les doigts rivés au clavier pour fournir de la copie à d’autres supports. 

Avant de poursuivre le travail sur les suites de cette crise, d’en analyser les répercussions (sur la RCA et le Mali par exemple), de revenir sur le jeu de roulette russe du pouvoir moscovite, je reviens sur le déroulement de cette mutinerie des mercenaires avec un texte qui s’ouvre sur un extrait du Prince de Machiavel. J’aurais pu aussi citer quelques lignes du Salammbô de Flaubert sur la révolte des mercenaires.

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Voici ce que j’écrivais samedi soir et qui a été publié dans Dimanche Ouest-France:

Vladimir Poutine aurait dû lire Le Prince de Machiavel avant de lâcher la bride aux mercenaires de la société militaire privée (SMP) Wagner. « Le prince dont le pouvoir n’a pour appui que des troupes mercenaires, ne sera jamais ni assuré ni tranquille ; car de telles troupes sont désunies, ambitieuses, sans discipline, infidèles, hardies envers les amis, lâches contre les ennemis », avertissait l’écrivain florentin en 1532.
Samedi soir, les Moscovites ont appris, avec soulagement, que l’entrée dans la capitale des mercenaires de Wagner était annulée. Venus du sud du pays, comme promis par leur chef plus tôt dans la journée, les miliciens avaient superbement ignoré le conseil de Vladimir Poutine : « Le seul bon choix est de déposer les armes. »
Mais d’intenses négociations ont permis d’enrayer, au moins temporairement, la crise. Les mercenaires sont donc rentrés dans leurs camps pour éviter un bain de sang.
Comment la Russie en est-elle arrivée là ?
Samedi matin, Evgueni Prigojine, fondateur et chef de Wagner, a averti : « Nous marcherons sur Moscou. » Sa décision n’était que l’aboutissement d’une rivalité puis d’un désaccord irrévocable entre les chefs de l’appareil militaire russe et Prigojine, le protégé de Vladimir Poutine devenu chef de guerre en Ukraine, auréolé de ses succès à Soledar et Bakhmout.
Début mai, dans une vidéo macabre, le chef des mercenaires avait accusé l’état-major russe de ne pas lui fournir suffisamment de munitions pour le priver d’une victoire à Bakhmout. Cette vidéo, filmée de nuit devant un monceau de cadavres de mercenaires, était d’une rare violence. Elle allait beaucoup plus loin que les vidéos précédentes de Prigojine filmées dans des cimetières militaires, avec des drapeaux et des couronnes mortuaires. Certes, il y apostrophait déjà les chefs militaires russes. Mais la mise en scène macabre de la vidéo de mai tranchait dramatiquement avec le ton et le décorum des vidéos diffusées jusqu’à présent.
Sans remontrance de Vladimir Poutine, Prigojine s’est enhardi et a multiplié les invectives contre le ministre de la Défense Sergueï Choïgou et le chef d’état-major de l’armée russe Valery Gerasimov, dénonçant leurs errements tactiques.
Vendredi, le Service fédéral de sécurité russe (FSB) a ouvert une enquête contre Evgueni Prigojine, pour appel à la mutinerie armée. Prigojine venait d’accuser l’armée russe d’avoir tué 2 000 de ses combattants. « Ceux qui ont détruit nos hommes, qui ont détruit la vie de dizaines de milliers de soldats russes, seront punis. Je demande que personne n’oppose de résistance » , avait-il déclaré dans une série de messages audio diffusés sur sa chaîne officielle du réseau Telegram. « Nous sommes 25 000 et nous allons comprendre pourquoi le chaos règne dans le pays » , avait-il prévenu.
Piqué au vif par sa mise en cause, Prigojine a déployé ses troupes à Rostov, dans le sud de la Russie. Hier matin, elles ont pris le contrôle des bases militaires locales et du quartier général de la zone sud d’où sont coordonnées les opérations militaires en Ukraine. Les unités de Wagner, équipées en chars et en missiles sol-air, ont ensuite entamé leur progression en direction de Moscou.
Au nombre de 5 000 hommes, selon des dirigeants russes, elles ont traversé sans rencontrer de résistance deux autres régions, celles de Lipetsk et Voronej, les forces de sécurité fédérales ayant organisé leur principale ligne d’arrêt sur la rivière Oka, à la hauteur de Serpukov, à 100 km au sud de la capitale.
C’était sans compter sur une médiation de la Biélorussie : « Evgueni Prigojine a accepté la proposition du président Alexandre Louka-chenko d’arrêter les mouvements des hommes armés de la société Wagner et les mesures pour une désescalade des tensions » , a indiqué le canal Telegram officieux de la présidence biélorusse. Vers 21 h, les mesures de sécurité commençaient à être levées et les hommes de Wagner rebroussaient chemin.
Dans la soirée, le porte-parole du Kremlin remerciait le président biélorusse pour son rôle de médiateur, assurant que les combattants de Wagner ne seraient pas poursuivis pénalement et que l’enquête visant Prigojine – attendu en Biélorussie – serait abandonnée.

Le patron de Wagner insulte les chefs de l’armée russe et menace de retirer ses forces

Le patron de Wagner insulte les chefs de l’armée russe et menace de retirer ses forces

 

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 5 mai 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Dans une vidéo mise en lignes par les services de communication de Concord, le patron de la SMP russe Wagner, Evguéni Prigojine, accuse l’état-major russe de ne pas fournir suffisamment de munitions à Wagner pour le priver d’une victoire à Bakhmout qui ferait de l’ombre à l’armée régulière.

Dans cette vidéo, Prigojine se met en scène devant un groupe de ses soldats. Il y menace de retirer ses forces du front de Bakhmout d’ici au 10 mai, « parce que sans munitions, nous sommes condamnées à une mort insensée ».

Voici un extrait de son message:

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Dans une autre vidéo particulièrement virulente publiée un peu plus tôt dans la nuit de jeudi à vendredi, Prigojine s’en prend nommément au ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou et au chef de l’état-major Valéri Guerassimov. « Shoigu ! Gerasimov ! Où sont ces putains de munitions ! », hurle-t-il, entre deux jurons et en montrant du doigt des rangs de corps criblés de balles et de shrapnels.

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Cette vidéo est d’une rare violence ; elle va beaucoup plus loin que les vidéos précédentes de Prigojine filmées dans des cimetières militaires avec des drapeaux et des couronnes mortuaires. Certes, il y apostrophait déjà les chefs militaires russes qui, selon lui, refuseraient de livrer des munitions à Wagner et condamneraient ainsi à mort les miliciens de la société militaire privée. Mais la mise en scène macabre de la vidéo mise en ligne la nuit dernière tranche dramatiquement avec le ton et le decorum des vidéos diffusées jusqu’à présent.

Dans une autre vidéo, visiblement prise quelques heures auparavant la macabre mise en scène nocturne, Evgueni Prigojine parle de 116 tués dans les rangs de Wagner lors d’une opération offensive dans Bakhmout. Opération qui aurait permis « une avancée de 230 m » dans la ville en ruines. Ce succès a été enregistré, au prix de lourdes pertes, mais aussi en dépit d’un manque de munitions critique. Wagner ne disposerait plus que d’ »un stock pour quelques jours « .

Toutes ces vidéos, dont celle de Prigojine hurlant des insultes envers Choïgou et Guerassimov, ont de quoi surprendre par leur virulence et leur mise en scène. Elles suscitent aussi au moins une question sur l’autonomie, voire l’impunité, de Prigojine. Si le fondateur et patron de Wagner se permet une telle intervention virulente, cela signifie qu’il en a les moyens et qu’il se sent politiquement suffisamment puissant.

Serait-il devenu l’aboyeur de Vladimir Poutine ? Le président russe garde un silence total sur le rôle de Wagner en Ukraine. Un rôle qui se limite, il ne faut pas l’oublier, à une participation directe au combat de la région de Bakhmout.

Guerre en Ukraine : étude des opérations non conventionnelles

Guerre en Ukraine : étude des opérations non conventionnelles

 

par Maximilien Nagy – Revue Conflits – publié le 17 avril 2023


Dans un rapport de mars 2023, le RUSI (Royal United Services Institute) analyse avec finesse les opérations non conventionnelles menées par la Russie en Ukraine des années 2000 à l’attaque de février. Usage de Wagner, maitrise des espions et des renseignements, la Russie avait préparé de longue date son intervention.   

Le rapport a été réalisé par Dr Jack Watling, Oleksandr Danylyuk et Nick Reynolds. Il est disponible ici. 

La guerre en Ukraine, abondamment étudiée du point de vue de la stratégie militaire et des fausses informations, commence aussi à être abordée du point de vue des opérations non conventionnelles. Dans son rapport, le RUSI analyse à l’aide d’archives de presse et d’interviews avec des sources ukrainiennes, les différents outils non conventionnels utilisés par les services de renseignement russes et l’armée pour mener le conflit. Des infiltrations au recrutement de hauts fonctionnaires ukrainiens ou encore l’usage de groupes paramilitaires, dont Wagner, tous les procédés informels sont bons. 

Infiltrations et retournements

La guerre en Ukraine est le fruit d’une longue préparation par la Russie. Avant de mener une lutte armée, Vladimir Poutine et le service de renseignement russe, le FSB, se sont attelés à orienter les politiques ukrainiennes vers les intérêts russes, dès les années 2000. Des services de renseignement ukrainiens aux entreprises de gestion du nucléaire, le FSB a procédé entre 2000 et 2022 à une stratégie de recrutements massifs en Ukraine à tous les niveaux. 

Par exemple Andriy Derkach. Fils d’un officier du KBG, il se rend en Ukraine en 1993 après ses études et devient député du peuple au parlement de Kiev en 1998. En parallèle, il gère Energoatom, en charge du nucléaire en Ukraine et fait signer de nombreux contrats favorables à Rosatom, l’équivalent russe d’Energoatom. Dès la fin des années 2000, le SBU – l’agence de renseignement ukrainienne – avertit le président ukrainien des activités de l’individu. Il faut attendre juin 2022 pour qu’il soit sérieusement mis en cause par les Américains, qui l’accusent d’être un espion russe. Une des preuves apportées consiste en des documents révélant qu’il aurait été chargé d’établir un réseau d’entreprises de sécurité privée, destinées à contrôler plusieurs villes en Ukraine dans le but de préparer l’invasion russe. 

L’autre taupe du FSB serait le général Oleg Kulinich, un des chefs régionaux du SBU, également associé à Derkarch chez Energoatom. Jusque-là, il était chargé de l’affaiblissement des services du SBU et sa capacité à détecter des agents russes. Il aurait aussi reçu l’ordre d’influencer le pouvoir ukrainien pour qu’il renonce à rejoindre l’OTAN. Il est limogé et détenu par le SBU en juillet 2022. Le FSB a donc fait preuve d’une haute compétence pour espionner et influencer l’Etat ukrainien, tout en évitant de s’impliquer directement dans les opérations grâce à son recrutement efficace d’agents. 

 

Forces et faiblesses de « la politique des agents »

Le système de flag recruitement du FSB possède bien sûr des faiblesses, démontrées dès l’invasion de février 2022. Au début du conflit, le FSB pensait qu’il aurait un réseau fidèle à ses ordres et il s’était montré très optimiste sur sa capacité d’influence sur les institutions ukrainiennes. Toutefois, le maintien en place des institutions ukrainiennes au lendemain de l’invasion russe a démontré l’exagération complète des services du FSB. De plus, nombre d’informateurs ont quitté les services dès le début du conflit, démontrant une autre limite :  l’absence d’idéologie chez les agents ukrainiens. Motivée avant tout par les rémunérations proposées par le FSB, la volonté de protéger leurs vies et celles de leurs proches a certainement primé sur les promesses de rémunération. Une fois la situation devenue trop risquée, la mission n’en valait sans doute plus la peine. « Le criminel qui voyait précédemment peu de problèmes à agir comme un coursier à la frontière russo-ukrainienne pourrait […] sentir qu’il devrait [plutôt] protéger sa famille si elle était attaquée »1 analyse le RUSI. Mal informée sur la véritable situation en Ukraine, affaiblie par les désertions d’une partie de ses informateurs, l’armée russe fut prise de court à son arrivée. Le lieutenant général Reshetnikov du SVR (services de renseignement extérieurs russes), résume bien la situation : « Les erreurs de calcul furent essentiellement politiques et militaires : sous-estimation de l’ennemi, mécompréhension de l’état d’esprit et du fonctionnement de ce pays. Il y avait très certainement des espérances injustifiées : nous allions entrer dans Kiev et Kharkov, pour porter au pouvoir des représentants ukrainiens raisonnables. Mais ce n’est pas cela qui s’est produit2. »Mais dans les territoires que l’armée russe est parvenue à conquérir, un régime d’occupation efficace est mis en place, toujours grâce à l’usage d’agents recrutés par le FSB. 

Les régimes de contrespionnage dans les territoires occupés

Comme les Russes l’ont montré en Crimée en 2014, leur capacité à s’implanter durablement dans un territoire et à le contrôler est remarquable. Dès leur arrivée dans les villes conquises, ils se sont assurés qu’ils auraient des hommes fidèles à Moscou pour les administrer. Une procédure menée par exemple dans l’oblast de Kharkiv : interrogatoires, fouilles de maisons, remplacement des maires ou encore coupure des communications avec Kiev, tout est mis en œuvre pour permettre une « russification » des populations de l’oblast. En complément de cela, le FSB se constitue un bon réseau d’informateurs parmi la population. Dans l’oblast de Kharkiv, 800 agents russes furent identifiés. L’objectif premier du FSB n’est pas tant d’obtenir un soutien de la population, mais de s’en assurer le contrôle, comme elle le fit durant la guerre de Tchétchénie de 1994, où 8% de la population en moyenne collaborait avec les services de renseignement du Kremlin. 

Mercenaires et troupes irrégulières 

L’usage des pratiques non conventionnelles s’étend aussi à l’armée, ou pour contrôler les territoires ou pour assurer des interventions. Les nombreuses pertes au sein de l’armée régulière russe et l’installation de plusieurs de ses membres dans les villes ou oblasts conquis en Ukraine pour en assurer l’administration ont causé une pénurie d’hommes ces derniers mois. Pour pallier ce phénomène, les Russes ont accru le recours aux mercenaires, dont le groupe Wagner et le régiment tchétchène du colonel général Ramzan Kadyrov. Le groupe Wagner, fondé en 2014 par l’influent Yevgeny Prigozhin, est dépendant officiellement de la direction générale des renseignements russes, le GRU, mais recevrait ses ordres directement de Poutine. Au départ absente d’Ukraine, du fait de sa présence en Syrie et au Mali, elle a vu son rôle s’accroître ces derniers mois. Son action est venue s’ajouter à celle des hommes de Kadyrov, chargés d’assister le FSB du contrôle des territoires conquis. Fournie en armements et en hommes par le GRU, sans faire partie pour autant de l’organigramme de l’armée russe, la participation de Wagner au conflit devrait s’accroître dans les mois à venir, tout comme le développement d’autres armées privées. L’utilisation de l’armée privée PWC Redut, fondée par des anciens du GRU en est un exemple.  

Des renseignements déficients ?  

L’échec des Russes durant les premiers mois de la guerre en Ukraine a souligné les problèmes de culture de travail au sein du FSB, hérités de la période soviétique, en particulier la communication déficiente entre les autorités et les agents sur le terrain. Les « services spéciaux russes souligne le rapport, avaient reçu l’ordre de faciliter une occupation avec un calendrier précis et non pas d’évaluer sa viabilité3. » L’armée russe en a subi les conséquences… L’obéissance aux ordres plutôt que la fourniture de « conseils honnêtes aux services spéciaux russes à l’exécutif 4 » et la peur de déplaire au chef et à Vladimir Poutine empêche le système de fonctionner efficacement, malgré le dynamisme incontestable des services. L’autre problème est l’incapacité des services russes à se renouveler dans leurs méthodes, restées identiques depuis la période soviétique, quels que soient les terrains d’action. « Bien que cela permette aux opérations russes de réagir rapidement face à une cible qui ne se doute de rien, il y a aussi une véritable vulnérabilité lorsque la cible est en état d’alerte, parce que les opérations risquent de s’exposer mutuellement5. » L’exemple ukrainien est relativement parlant : face à une situation imprévue, la capacité d’adaptation des services de renseignement a fait défaut.

Le FSB dispose encore de nombreux atouts, dont sa capacité à récolter des informations, grâce à son réseau d’agents, qui lui a permis de situer et de détruire plusieurs sites stratégiques en Ukraine, notamment énergétiques et militaires. La compétence technique des services russes demeure donc, malgré des défauts aux lourdes conséquences dans ce type de conflit.  

Les mercenaires ne sont pas près de disparaître

Les mercenaires ne sont pas près de disparaître

 

par Tatiana Smirnova, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Jalel Harchaoui, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH) –  Revue Conflits  – publié le 9 janvier 2023

https://www.revueconflits.com/les-mercenaires-ne-sont-pas-pres-de-disparaitre/


L’histoire de la compagnie militaire privée (CMP) « Wagner » reste aujourd’hui un domaine exploré d’abord et avant tout par les journalistes. En termes d’études de terrain et d’observations empiriques, les chercheurs universitaires ne consacrent pas suffisamment de recherches à ce phénomène. Il est impératif de remédier à cet angle mort académique en étudiant les mercenaires russes avec la même rigueur que les autres acteurs de la vie politique et militaire internationale.

Un cadre d’analyse tronqué

Aujourd’hui, le récit médiatique tournant autour de Wagner, une compagne militaire privée connue depuis 2014 pour ses liens étroits avec l’État russe, ne cesse d’être recyclé, parfois enrichi de personnages supplémentaires ou d’une anecdote nouvelle – mais sans percée analytique, travail que seul le monde universitaire peut réaliser.

Par exemple, le businessman russe Evguéni Prigojine, connu pour sa proximité avec Vladimir Poutine, a récemment reconnu être le fondateur et patron de Wagner, ce qui a donné lieu dans les médias à une avalanche d’articles qui ne nous ont finalement rien appris de substantiellement nouveau sur le fonctionnement ou l’organisation du groupe.

Les divers articles de presse consacrés à Wagner donnent également peu d’éléments sur les effets, pourtant profonds et complexes, qu’a la présence des mercenaires sur le tissu social et sur la gouvernance locale dans les territoires en guerre. On ne sait presque rien de la façon dont le groupe est perçu par les communautés résidant dans les zones où il agit.

De plus, la situation géopolitique actuelle, qui encourage une prise de parti « pour ou contre les Russes », déforme les cadres d’analyse et engendre des narrations unidimensionnelles. L’un des résultats de cette polarisation simpliste mais amère est l’illusion que la Russie finira bientôt par quitter l’Afrique, puisqu’elle aurait besoin de redéployer ses hommes, y compris ceux de Wagner, pour les besoins de sa guerre en Ukraine.

Or la fragilité sociale croissante et les crises de légitimité politique qui se succèdent dans les pays africains où opère actuellement Wagner – par exemple, la RCA, le Mali, la Libye, le Soudan – créent un terreau favorable à l’expansion durable d’une nouvelle forme de CMP. Dans tous les cas, la « demande » à laquelle Wagner répond – celle des élites militaires locales pour des services sécuritaires sans contraintes vis-à-vis des droits humains – n’est pas près de s’estomper. En effet, une tendance générale vers un autoritarisme plus dur et moins contesté par les démocraties occidentales semble persister.

Wagner, une manifestation de la privatisation de la sécurité au niveau mondial

Par défaut d’approfondissement académique, la lecture actuelle reste focalisée sur les relations entre les États et, par conséquent, passe à côté de deux dynamiques importantes : la position des CMP russes dans un contexte marqué par la privatisation mondiale des services sécuritaires ; et les effets locaux de leurs opérations.

Or ces deux éléments ont une forte incidence sur la dynamique des conflits. Concernant Wagner, donc, il est urgent de se distancier du récit sur la compétition entre grandes puissances. La principale difficulté d’analyse ici réside dans le fait que les CMP russes, dont Wagner, mais aussi Patriot, Sewa Security Services, ou encore Shchit sont un produit de la politique intérieure du pays. Bien que protéiformes, elles restent toutes liées au Kremlin. La présence de ces forces semi-étatiques dans des pays en guerre, notamment l’Ukraine, la Syrie et la Libye, va de pair avec les intérêts militaires, politiques et économiques de la Russie.

Pourtant, en considérant Wagner du point de vue de la tendance générale de la privatisation de la sécurité, on se rend compte que le groupe n’est pas un phénomène isolé. Bien avant Wagner, en effet, deux autres compagnies avaient déjà transformé la privatisation de la guerre : Executive Outcomes (EO) et Blackwater.

Wagner dans la foulée d’Executive Outcomes et de Blackwater

En 1989, Eeben Barlow, un ancien lieutenant-colonel des forces de défense d’Afrique du Sud, a fondé Executive Outcomes en recrutant les militaires à partir des membres des unités dissoutes suite à la fin de l’apartheid. Barlow présentait sa compagnie comme une alternative aux Casques bleus. Les interventions de EO en Angola et en Sierra Leone en 1992 et en 1995-1997 respectivement ont contribué à la mise en œuvre de cessez-le-feu dans ces deux pays. En 1996, les forces gouvernementales en Sierra Leone, soutenues par EO, ont maîtrisé les rebelles du Front révolutionnaire uni (RUF) (Executive Outcomes s’y fera payer en partie avec des concessions diamantifères). En Angola, cette compagnie militaire a combattu au nom du gouvernement angolais contre l’UNITA après le refus de cette dernière d’accepter les résultats des élections en 1992. Dans les deux cas, la « réussite » des opérations pourrait s’expliquer par l’usage de la force sans les contraintes traditionnellement rattachées aux États. Cependant, l’attribution à EO de droits miniers a suscité l’inquiétude des diplomates et été critiquée par les médias.

La « guerre mondiale contre le terrorisme » déclenchée en 2001 a fait passer à la vitesse supérieure la privatisation de la guerre par les États-Unis. En 2010, les effectifs des compagnies militaires privées dépassaient ceux des troupes américaines en Irak et en Afghanistan. Les grandes CMP, dont la plus connue est Blackwater, ont présenté leurs services comme faisant partie de la « force totale » de l’armée américaine. Elles recrutaient au sein de l’armée, embauchaient des hauts fonctionnaires pour obtenir leurs entrées dans les réseaux gouvernementaux, recrutaient des militaires en Amérique latine pour les opérations en Irak et s’engageaient dans les combat directs contre les insurgés.

Dans son livre de 2014, The Modern Mercenary, le spécialiste des questions de sécurité Sean McFate a divisé les CMP en deux types : d’une part, les sociétés mercenaires ; de l’autre, les entrepreneurs militaires.

Les sociétés mercenaires, comme EO, sont des armées privées qui « mènent des campagnes militaires autonomes ». Les entrepreneurs militaires, tels que Blackwater, « renforcent les forces armées régulières » d’un État puissant. McFate estimait que ces deux types de CMP pouvaient fusionner en une nouvelle catégorie, qui offrirait des « services orientés vers le combat » et en accordant encore moins d’attention aux droits humains.

Le groupe Wagner pourrait bien représenter cette nouvelle catégorie de CMP : à la fois société mercenaire et entreprise militaire. Le groupe présente son entreprise comme se trouvant au cœur de l’intérêt national russe, et recrute au sein de l’armée russe ainsi que dans des pays tiers.

L’Afrique, Eldorado des mercenaires

Il n’y a rien de surprenant à ce que les CMP russes soient actives en Afrique. Le continent est un marché important pour toutes les CMP.

Les CMP russes ne sont pas d’ailleurs les seuls mercenaires à y opérer. En octobre 2020 les représentants des deux camps libyens rivaux ont signé un accord soutenu par les Nations unies, qui engageait le deux parties à cesser de faire appel aux mercenaires étrangers. L’accord s’était concentré sur le rôle des CMP russes, c’est-à dire le groupe Wagner et les mercenaires syriens embauchés par la Turquie.

Le conflit libyen met en présence de nombreux hommes payés à se battre : rebelles soudanais et tchadiens, combattants venant du sud libyen recrutés au nord et jeunes hommes à travers le pays qui prêtent leurs services à un camp comme à l’autre. On retrouve donc en Libye bien des individus correspondant à la définition ambiguë du terme de « mercenaire » que donne le droit international, mais les narratifs stratégiques circulant dans les capitales occidentales tendent à effacer les distinctions qui existent entre eux.

En Republique centrafricaine, l’ex-président François Bozizé arrive au pouvoir en 2003 avec le soutien de mercenaires tchadiens. En 2013, il est renversé par la rébellion Séléka, comprenant de nombreux mercenaires du Soudan et du Tchad. Pour revenir au pouvoir, Bozizé il mobilise des groupes d’autodéfense à prédominance chrétienne, les anti-Balaka, pour combattre la Séléka, à prédominance musulmane. Une guerre civile éclate en 2013 ; surgissent alors de nombreux groupes armés dont les alliances dépassent fréquemment des divisions à connotation religieuse.

Wagner apparaît en 2017 en tant que soutien des forces armées centrafricaines combattant plusieurs groupes, notamment les six groupes armés (3R, UPC, FPRC, MPC, et deux groupes anti-Balaka) réunis par Bozizé en 2020 pour renverser le gouvernement. Le groupe le plus fort, l’UPC, tout comme d’autres groupes armés qui combattent Wagner, recrute ses combattants à l’extérieur de la RCA. L’un des principaux responsables des opérations de Wagner en RCA a passé des années au sein de la Légion étrangère française, qui a une longue histoire en RCA.

Un contexte favorable aux CMP

Les chercheurs doivent apprendre comment les dynamiques des conflits locaux influent sur les opérations des CMP. Les CMP russes sont accusées de violations des droits de l’homme en Libye, en RCA, au Soudan et au Mali. Mais le type, l’ampleur et la portée de ces violations diffèrent selon les conflits et reflètent souvent des modèles préexistants à leur arrivée.

L’essor des CMP de nouvelle génération est en partie lié à la crise de légitimité des opérations de paix onusiennes. Les interventions de maintien de la paix ont souvent échoué à protéger les civils, encouragé la violence et renforcé le pouvoir de dirigeants autoritaires. L’attrait des « solutions militaires » comme alternative est de retour. Mais aujourd’hui, les missions onusiennes et celles déployées par des mercenaires se déroulent sur les mêmes théâtres – c’est le cas au Mali, en RCA ou en Libye –, ce qui engendre des tensions croissantes.

Les définitions usuelles des mercenaires ne rendent pas compte du rôle considérable qu’ils jouent aujourd’hui dans les conflits. Les CMP russes mènent leurs opérations dans des régions ou une proportion significative de la population porte les armes et où la violence est de plus en plus banalisée. Le nouveau type de CMP peut agir comme des mercenaires régionaux dans un conflit, et comme des forces professionnelles soutenues par l’État dans un autre.

Le domaine de la résolution des conflits doit prendre pleinement en compte le phénomène des mercenaires. Malgré les théories selon lesquelles les processus de paix devraient inclure toutes les parties armées à un conflit, les normes d’inclusion sont souvent arbitraires. Les mercenaires et ceux considérés comme « terroristes » y sont généralement exclus. Il a fallu des années après le 11 Septembre pour voir une plus grande ouverture au dialogue avec les djihadistes au Sahel.

Ne pas tenir compte des effets locaux de l’enracinement des djihadistes s’est révélé une erreur. La même erreur doit être évitée avec les CMP, car les répercussions de leur action sur les communautés locales et sur les processus de paix sont importantes. Dans le cadre de leur mission visant à faciliter les corridors humanitaires et à contribuer à la protection des vies civiles, les organisations internationales ont le devoir de trouver des moyens de comprendre le fonctionnement des mercenaires, y compris les CMP russes, et de les inclure dans les processus de paix. Prendre ces acteurs en considération est urgent d’un point de vue empirique, et cela nécessite de nouveaux efforts de recherche indépendante.

Wagner est le produit de changements structurels qui affectent de manière sensible la gouvernance locale, le maintien de la paix, les mécanismes de résolution de conflits et les opérations humanitaires. La prestation offerte par la Russie s’est avérée si attrayante que d’autres nations chercheront inévitablement à imiter son modèle caractérisé par une forte adaptabilité concernant le financement de la mission en fonction des opportunités locales.


Cet article a été co-écrit avec John Lechner, journaliste et chercheur indépendant.

Tatiana Smirnova, Chercheuse, Centre FrancoPaix en résolution des conflits et missions de paix, Universitité de Québec à Montréal, Université du Québec à Montréal (UQAM) et Jalel Harchaoui, Senior Fellow, Global Initiative against Transnational Organized Crime, Fondation Maison des Sciences de l’Homme (FMSH)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Wagner, la société militaire privée Kleenex

Wagner, la société militaire privée Kleenex

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 20 septembre 2022

http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Dans un rapport du CRS américain intitulé « Russia’s War in Ukraine: Military and Intelligence Aspects » (version du 14 septembre 2022), le nom Wagner est cité à 7 reprises. A la référence à « Wagner », cette société militaire privée russe dont l’existence à la différence de celle du monstre du loch Ness est attestée, est souvent associé le mot « reportedly » (que l’on peut traduire par « on rapporte que… » ou bien que l’on rend par un conditionnel journalistique »).

C’est bien là la première caractéristique de Wagner, l’opacité. Cette opacité que cultivent ceux qui pilotent cette société militaire privée (SMP) qui a tout d’un épiphénomène hybride, d’une anomalie dans l’actuelle trajectoire des SMP/ESSD. Ces entreprises recherchent en effet la reconnaissance, la légitimité et affichent résolument un désir de transparence.

 

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Certes, les pratiques de certaines de ces entreprises sont critiquables (on pense à certaines dérives éthiques, à des cas de surfacturation et de corruption, à des prestations de piètre qualité etc.); mais Wagner marche résolument à contre-courant de la volonté des sociétés militaires privées ou des entreprises de services de sécurité et de défense d’être des acteurs connus et reconnus dans les domaines de l’externalisation militaire et sécuritaire.

Wagner, d’abord, évolue dans les limbes: il n’existe pas d’entreprises immatriculée en Russie sous ce nom. D’ailleurs, les SMP sont interdites en Russie. Même si Vladimir Poutine avait reconnu en 2012 tout l’intérêt de légiférer et donc d’autoriser de telles entreprises, le législateur russe ne s’est jamais emparé du sujet et n’a jamais présenté de sérieux projets de loi pour encadrer la création et les activités de telles structures. Si de telles entreprises existent en Russie, elles sont donc clandestines et hors la loi.

Puisqu’il existe malgré tout des SMP russes (en tout cas au moins une actuellement; pour le reste, on a des sociétés de sécurité reconnues par l’Etat russe et même par l’Onu), elles se positionnent clairement à contre-courant des ambitions actuelles des prestataires de services militaires et sécuritaires anglo-saxons et européens: professionnalisme et légitimité. Depuis les années 1990, ce secteur des services de défense et de sécurité s’est considérablement réorganisé, avec la disparition de nombreuses PME et leur absorption par de grands groupes. Ces entreprises et ces fonds d’investissement ont vu l’intérêt de se positionner sur le créneau des services militaires et sécuritaires qu’utilisent massivement les forces armées nationales pour palier leurs sous-capacités et renforcer temporairement, et parfois durablement, leurs moyens insuffisants et même parfois inexistants. Les créateurs de Wagner n’ont que faire de leur image, de l’officialisation de leur créature: il s’agit d’évoluer dans le flou le plus total et de contribuer à l’opacité.

Autre différence notable avec les SMP/ESSD actuelles: la participation directe de Wagner à la mise en œuvre de la létalité. En clair, les « contractors » de Wagner font le coup de feu sur le champ de bataille (et commettent des exactions que l’Onu et des ONG ont documenté). Ce que ne font pas les personnels des SMP. Même les entreprises de sécurité US comme Blackwater, Triple Canopy, Dyncorp n’ont pas pris par à des actions létales offensives, que ce soit en Irak et en Afghanistan. Or, Wagner lâche ses hommes sur le terrain, pas seulement pour former des troupes nationales des pays qui font appel à ses services, pas seulement pour encadrer les soldats locaux en opérations, mais bien pour assurer des missions offensives en RCA, au Mali etc. A ce titre, le déploiement de Wagner en Ukraine n’a rien d’un « coming out » mercenarial: il s’inscrit dans une pratique éprouvée et assumée tant par les cadres de Wagner que par le Kremlin qui juge utile de recourir en sous main à de tels supplétifs tout en conservant la capacité de nier tout lien avec une telle structure illégale et toute responsabilité en cas d’exactions.

Le mode de rémunération constitue également une rupture. Les SMP/ESSD travaillent, et c’est leur fonds de commerce, pour des gouvernements établis et parfois pour des organisations internationales qui ont besoin de leurs capacités (sécurité, logistique, renseignement, formation…). Le CA de Dyncorp provient à 98% de marchés fédéraux par exemple. Ces contrats sont publics (il suffit d’aller consulter les appels d’offres US par exemple ou d’éplucher chaque jour les avis d’attribution de marchés du DoD américain ou du MoD britannique). Pour Wagner, ni appels d’offres russes ni avis d’attribution de marchés par les instances militaires ou sécuritaires moscovites. Wagner traite directement avec des États étrangers qui rétribuent les services rendus. Or, ces États s’avèrent souvent incapables de payer les sommes dues. D’où un paiement en nature à coups de concessions minières par exemple; d’où une mise à l’encan des ressources nationales (voir en RCA et au Mali pour citer deux exemples parlant). Ce type de prédation n’est pas sans rappeler les pratiques de la SMP sud-africaine Executive Outcomes (EO) en Angola et en Sierra Leone. En fait, Wagner est beaucoup plus proche d’EO que de Blackwater! EO et Wagner font le coup de feu et se paient en nature avant de rétrocéder les concessions, mines et autres sites d’extraction à des sociétés spécialisées qui gravitent dans leur orbite floue. Pour Wagner, c’est la nébuleuse d’Evgueni Viktorovitch Prigojine, homme d’affaires russe proche du Kremlin.

Wagner est donc bien un épiphénomène (en marge du mouvement de structuration et de légitimisation actuel des SMP/ESSD) hybride (il relève à la fois de la définition large du mercenariat comme norme militaire ancestrale et de la définition plus restrictive du mercenariat barbouzard de l’époque post-coloniale telle que décrite par des lois nationales et des conventions internationales).

Quel est l’avenir de Wagner?

Wagner ne serait-il qu’un « démonstrateur », un produit développé mais inachevé et dont on ne sait pas s’il sera pérennisé par le législateur russe. Certes, une fois testé et éprouvé, le modèle Wagner pourrait être validé par le Kremlin et devenir un instrument officiel de la politique extérieure russe et outil d’influence.

Toutefois, à mon sens, une telle création ad hoc n’a guère d’avenir. Wagner est le faux nez de cet impérialisme russe qui n’a rien à envier aux pratiques occidentales qu’il dénonce. Wagner est un instrument de prédation économique qui ira brouter l’herbe plus verte de la prairie d’à côté, une fois épuisées les ressources de ses actuels champs d’action.

L’implication de Wagner en Ukraine, dans un conflit de haute intensité, est quasiment contre-nature: une telle société, réduite à recruter dans les prisons, n’a pas vocation à se substituer aux forces armées nationales mais tout au plus à les épauler, à les soutenir, comme l’ont fait les SMP US en Irak et en Afghanistan au profit du Pentagone et de l’Otan sans empiéter sur le fameux coeur de métier militaire (la mise en oeuvre directe de la létalité).

Wagner sur le champ de bataille, au-delà de ses capacités avérées ou non au combat et de ses éventuelles réussites, c’est avant tout la preuve d’un renoncement de l’Etat russe à sa souveraineté et un affaiblissement de ses pouvoirs régaliens. En ce sens, il serait funeste de légiférer sur des SMP à la Wagner et de les autoriser: ce serait ainsi officialiser une incapacité de l’Etat à mener à bien seul une de ses missions essentielles: sa défense. Wagner doit rester un Kleenex, une SMP jetable.

 

 

Partir ou rester? Les forces françaises placées devant un dilemme avec l’arrivée au Mali du groupe russe Wagner

Partir ou rester? Les forces françaises placées devant un dilemme avec l’arrivée au Mali du groupe russe Wagner

http://www.opex360.com/2021/12/24/partir-ou-rester-les-forces-francaises-placees-devant-un-dilemme-avec-larrivee-au-mali-du-groupe-russe-wagner/

 

Les mises en garde de la France et de ses partenaires européens engagés avec elle au Sahel, ainsi que celles des États-Unis et de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest [Cédéao] n’auront eu aucun effet sur les autorités de transition maliennes. En effet, celles-ci ont, semble-t-il, donné leur accord à l’arrivée au Mali de la société militaire privée [SMP] russe Wagner, proche du Kremlin.

Dans un communiqué conjoint publié le 23 décembre, soit environ une semaine après la force française Barkhane a rétrocédé son emprise de Tombouctou aux Forces armées maliennes [FAMa] dans le cadre de la réorganisation de son dipositif au Sahel, quinze pays [*], dont la France, ont « condamné fermement le déploiement de mercenaires sur le territoire malien ».

Et d’estimer que ce déploiement « ne peut qu’accentuer la dégradation de la situation sécuritaire en Afrique occidentale, mener à une aggravation de la situation des droits de l’homme au Mali, menacer l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger et entraver les efforts de la communauté internationale pour assurer la protection des civils et apporter un soutien aux forces armées maliennes ».

Ces quinze pays ont également dit regretter « profondément » la « décision des autorités de transition maliennes d’utiliser des fonds publics déjà limités pour rétribuer des mercenaires étrangers au lieu de soutenir les forces armées maliennes et les services publics au bénéfice du peuple malien ». Les États-Unis, qui ne font pas partie des signataire de ce communiqué, n’avaient pas dit autre chose dans une mise en garde adressée à Bamako, le 15 décembre dernier.

En outre, le communique souligne « l’implication » du gouvernement russe dans le soutien matériel à ce déploiement du groupe Wagner au Mali, avant d’en appeler la Russie à « adopter un comportement responsable et constructif dans la région ».

Le rapprochement entre Bamako et Moscou a commencé un avant l’arrivée de la junte actuellement au pouvoir, notamment avec le don de deux hélicoptères aux FAMa, en 2016, puis, trois ans plus tard, avec la signature d’un accord de coopération militaire. Entre-temps, des associations, comme le « Groupe des patriotes au Mali », ont demandé l’implication militaire de la Russie au Mali, tandis qu’une campagne de dénigrement des forces françaises commençait à prendre de l’ampleur.

Quoi qu’il en soit, selon une source gouvernementale française citée par l’AFP, il a été constaté « des rotations aériennes répétées avec des avions de transport militaire appartenant à l’armée russe, des installations sur l’aéroport de Bamako permettant l’accueil d’un chiffre significatif de mercenaires, des visites fréquentes de cadres de Wagner à Bamako et des activités de géologues russes connus pour leur proximité avec Wagner ». Ce que semble accréditer les données de suivi du trafic aérien.

 

Probablement que ces développements sont à l’origine de l’annulation du déplacement que devait faire le président Macron à Bamako, le 20 décembre [officiellement, la raison serait liée à la pandémie de covid-19…].

En attendant, n’ayant pas vu venir le double coup d’État [août 2020 et mai 2021] du colonel Assimi Goïta et su trouver la parade à lutte d’influence menée depuis Moscou, la France se trouve devant un dilemme. Retirer ses troupes du Mali, comme elle avait menacé de le faire? Cela laisserait le champ libre au groupe Wagner, donc à la Russie, et compliquerait les opérations de contre-terrorisme au Sahel, en particulier dans la région dite des trois frontières [car située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso]. Les maintenir? Cela les placerait dans des situations impossibles, avec le risque d’être accusées des exactions que les mercenaires russes pourraient commettre.

En outre, l’arrivée du groupe Wagner au Mali est de nature à remettre en cause tous les efforts consentis jusqu’ici pour « européaniser » l’action militaire au Sahel que ce soit via le groupement de forces spéciales Takuba ou la mission européenne de formation des FAMa [EUTM Mali]. À noter que l’Allemagne a déjà fait connaître son intention de relocaliser ses instructeurs engagés dans cette dernière dans un autre pays de la région en avançant des impératifs de sécurité.

Pour autant, le communiqué des quinze pays ne va pas dans le sens d’un désengagement du Mali.

« Nous ne renoncerons pas à nos efforts pour répondre aux besoins de la population malienne. Conformément aux objectifs de la Coalition internationale pour le Sahel, nous réaffirmons notre détermination à poursuivre notre action en vue de protéger les civils, de soutenir la lutte contre le terrorisme au Sahel et de contribuer à instaurer la stabilité à long terme en appuyant le développement durable, le respect des droits de l’homme et le déploiement des services publics », y est-il en effet écrit.

[*] Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Estonie, France, Italie, Lituanie, Norvège, Pays Bas, Portugal, République Tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Suède