L’influence étatsunienne en Amérique du Sud

L’influence étatsunienne en Amérique du Sud

par Athénaïs Jalabert-Doury  (*) – Esprit Surcouf – publié le 9 août 2024
Stagiaire chez ESPRITSURCOUF

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L’Amérique du Sud a longtemps été considérée comme la « chasse gardée » des États-Unis, tant sur le plan politique qu’économique et culturel. Qu’en est-il désormais ?

Cette influence, consolidée au cours du XIXe siècle avec la doctrine Monroe et accentuée par la politique du « Big Stick » au début du XXe siècle, a continué de se manifester de diverses manières pendant la Guerre froide et même après. Cependant, ces dernières décennies, plusieurs signes indiquent un possible recul de cette domination américaine en Amérique du Sud. La montée en puissance de nouvelles puissances économiques, l’émergence de gouvernements locaux cherchant à s’affranchir de l’influence étasunienne et la diversification des influences culturelles sont autant de facteurs qui suscitent une réflexion sur cette dynamique.

Historique de la présence étatsunienne en Amérique du Sud

Depuis le XIXe siècle, les États-Unis ont toujours été très attentifs à l’Amérique Latine, et cela débute en 1823 avec l’instauration de la « Doctrine Monroe ». Grâce à cette dernière, les États-Unis se déclarent responsables de la protection de l’ensemble du continent américain, ce qui renforce leur force militaire. Au XXe siècle, cette volonté de préserver le continent persiste, mais la menace n’est plus d’Europe, mais émerge de l’Union Soviétique. D’où la réinterprétation de la doctrine Monroe en 1947 pour laisser place à la doctrine Truman. 
Cependant, dès les années 1950 la protection des Etats-Unis, est remise en question, voire contestée dans certains pays d’Amérique Latine.

En fait, les pays d’Amérique latine ne demandent aucune protection et certains y voient une tentative tout à fait voilée des États-Unis d’étendre leur contrôle sur l’ensemble du Nouveau Monde. A vrai dire, les États-Unis sont intervenus dans la politique des pays d’Amérique latine. En réaction, cela a conduit certains pays, comme Cuba, à se tourner vers l’URSS : en 1961, les États-Unis ont planifié l’invasion de la Baie des Cochons pour renverser le régime de Fidel Castro. Un an plus tard, en 1962, la crise des fusées de Cuba éclate.

Légende : La Baie des Cochons 1961 – Cuba / Source :  Creative Common


Avec la fin de la guerre froide et la consolidation de la démocratie en Amérique latine, les relations avec les États-Unis se sont stabilisées et se trouvent aujourd’hui à un carrefour important. Toutefois, l’influence des États-Unis est contestée à différents niveaux. Les pays d’Amérique latine se développent et de nouvelles puissances telles que le Brésil, l’Argentine et le Mexique émergent. Par conséquent, certains pays remettent en question la prétention des États-Unis au leadership régional.

En outre, un anti-américanisme féroce s’est développé, mené en particulier par Hugo Chávez lorsqu’il était au pouvoir. Chef militaire du Venezuela de 1998 à sa mort en 2013, Chavez a fait une série de déclarations enflammées contre Washington et s’est finalement allié au régime de Castro à Cuba. Cela a conduit à la création de l’ALBA (Ariansa Bolivariana Palos Pueblos de Nuestra America) en 2004 dont l’objectif était d’unir les pays signataires d’Amérique latine dans une alliance anti-américaine. Cependant, seuls 10 pays, dont le Venezuela, le Nicaragua et Cuba, ont choisi de rejoindre l’ALBA. La plupart de autres pays souhaitent assouplir leurs relations avec les Etats-Unis et établir un partenariat avec Washington, notamment sur le plan commercial. C’est pourquoi le Mexique a décidé en 1994 de s’allier aux États-Unis par le biais de l’ALENA et de l’accord Canada-États-Unis-Mexique.

Donald Trump et l’offensive sud-américaine

L’Amérique latine a fait face aux vents de Washington à plusieurs reprises dans son histoire contemporaine : l’agressivité ou simplement l’indifférence et le mépris de la diplomatie nord-américaine, symbolisés par la politique de négligence modérée de Kissinger/Nixon entre 1969 et 1974, ont soudé les peuples latino-américains. Le « latino-américanisme » a, un temps, reflété la volonté d’émancipation politique symbolisée par l’accord de Viña del Mar de 1969.

Donald Trump passant en revue les prototypes de son mur dans la lignée de la barrière précédemment érigée entre les États-Unis et le Mexique, avec notamment Kirstjen Nielsen et Kevin McAleenan (San Diego, 13 mars 2018) / Source : Maison Blanche

Dès le lendemain de sa prise de fonction le 20 janvier 2017, Donald Trump passe à l’offensive en lançant directement la construction du mur sur la frontière mexicaine. Il promet que le Mexique en assumera le coût estimé à quinze milliards de dollars. La réaction du président mexicain Peña Nieto est prompte : il annule sa visite à Washington initialement programmée pour le 31 janvier. Soucieux de tenir ses promesses de campagne, Trump fait de la relation avec le Mexique une priorité de son agenda politique.

Le Mexique présente en effet deux caractéristiques qui convergent dans l’esprit des électeurs de Trump : ce pays a largement bénéficié́ des délocalisations industrielles causées par l’ALENA et continue à exercer sur les Etats-Unis une pression migratoire insupportable. Cette double mobilité́, des entreprises vers le sud et des migrants vers le nord, est censée accentuer les pressions à la baisse sur les salaires aux Etats-Unis. La renégociation de l’ALENA et la construction d’un mur doivent permettre aux Etats-Unis de retrouver leur dynamisme économique perdu depuis des décennies, et de compenser les pertes de pouvoir d’achat de la classe ouvrière. De même concernant Cuba, les engagements pris par Trump durant sa campagne n’ont pas non plus été suivis d’effets tangibles en 2017. Le 16 juin, dans un discours prononcé à Miami devant les opposants historiques au régime castriste, Trump a remis en cause l’ensemble de la politique de son prédécesseur. Dans la foulée, il a limité les possibilités de voyager dans l’ile et interdit aux entreprises américaines de faire des affaires avec des partenaires liés à l’armée (très présente dans le secteur du tourisme). Même si ces décisions risquent de freiner sérieusement le boom du tourisme en provenance des Etats-Unis qu’avait enregistré Cuba en 2016, Trump ne revient pas sur le rétablissement des relations diplomatiques ni sur la politique migratoire, et ne retourne pas non plus à l’époque des sanctions économiques sévères. La coopération dans le domaine de la lutte contre le narcotrafic est quant à elle préservée. Face à cette situation, le président Trump a tergiversé et multiplié les maladresses et ces prises de position ont été critiquées dans toute l’Amérique latine. Ses errements ont contrasté avec la détermination de l’Organisation des États Américains (OEA), mais des limites à son action sont vite apparues. Rien que durant la crise politique et les soulèvements au Venezuela, les Etats-Unis sont restés discrets sur la situation mais ont souvent accusé par le gouvernement vénézuélien de s’ingérer dans ses affaires intérieures. Washington est resté silencieux à l’exception de la déclaration en 2017 qui suggérait de nombreuses options pour le Venezuela, y compris « des options militaires si nécessaire ».

Les États membres et associés du Mercosur.


Alors que la volonté des États sud-américains était de développer le libre-échange, Trump s’est tourné vers le

protectionnisme. Quand l’ancien président argentin Mauricio Macri s’était rendu en visite officielle au Brésil, le Mercosur a alors été rétabli. Même le Mexique a été invité à se rapprocher du Mercosur en vue d’annuler l’ALENA. De plus, le secrétaire général de l’Association latino-américaine d’intégration (ARADI) avait proposé un accord économique et commercial global intégrant tous les accords existants, y compris le Système d’intégration centraméricain (SICA). Les déclarations des dirigeants qui s’ensuivirent avaient une portée antiprotectionniste, visant à positionner l’Amérique du Sud contre le président Trump. Cette intense activité diplomatique est le produit de l’isolement des États-Unis sous la présidence Trump et de l’absence de leadership du Brésil, libérant les puissances moyennes (notamment le Mexique et l’Argentine). Elle reflète également le changement politique en Amérique du Sud, qui envisage à nouveau le développement du libre-échange dans la région.

La volonté multilatéraliste de Joe Biden mis à mal par des difficultés d’intégration régionales et des changements socio-économiques fluctuants

Lorsque Joe Biden est arrivé au pouvoir en janvier 2021, de par son expérience en tant qu’ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat (1997-2008) et envoyé permanent du vice-président Barack Obama en Amérique latine (2008-2016), il était jugé comme un fin connaisseur de l’Amérique latine. La « pression maximale » sur Cuba et le Venezuela (et accessoirement le Nicaragua) dans le but d’un changement de régime dans ces pays « socialistes » dont ils font partie, après quatre années de mandat de Donald Trump caractérisées par une indifférence stratégique à l’égard des pays latino-américains, une pression commerciale et une émigration ponctuelle ou constante (Argentine, Brésil, Mexique et les pays du ” Triangle du Nord “) et, selon les termes de l’ancien secrétaire d’État, John Bolton, une « troïka de despotes ».

Le Mexique, l’Amérique centrale et les Caraïbes constituent le cœur de la feuille de route latino-américaine élaborée par Joe Biden et son administration. Cette région du sous-continent est le bénéficiaire le plus direct de l’influence économique et géopolitique traditionnelle des États-Unis. Pour Joe Biden, cette approche est un plan et un moyen de restaurer l’hégémonie américaine. Dans ce contexte, Joe Biden envisage une nouvelle relation avec l’Amérique centrale et les Caraïbes basée sur la résolution conjointe de problèmes directement liés aux priorités locales. Les questions migratoires sont donc un axe central de son projet pour la sous-région.

Conformément à la promesse de Joe Biden de remporter près des deux tiers du vote latino lors des élections du 3 novembre 2020, le nouveau président américain a soumis au Congrès, dès le premier jour de son mandat, un nouveau projet de loi, l’American Citizenship Act of 2021, visant à « moderniser le système d’immigration américain ». En rupture radicale et spectaculaire avec les politiques de son prédécesseur, et notamment celles prônées par le camp républicain et de nombreux sympathisants des puissants mouvements Alt-Right et suprémacistes blancs, cette loi prévoit une nouvelle « voie d’accès à la citoyenneté » ou, à terme, au droit de vote pour les quelque 11 millions d’immigrés clandestins (principalement des Centraméricains comme le Salvador, le Guatemala et le Honduras, des Mexicains et des Caribéens comme Haïti) qui vivent et travaillent aux États-Unis (notamment dans les secteurs de l’agriculture, des travaux publics, des services et de la restauration).

Ces derniers mois encore, l’administration Biden s’est appuyée sur des accords avec le Mexique pour augmenter le nombre de demandes d’asile et de nouvelles restrictions sur le passage des frontières, alors que le président Trump avait cherché à bloquer toute entrée.

Mais la question reste complexe et doit faire face à la propagande médiatique qui s’empare du sujet à chaque élection. Tous les chercheurs, les organisations professionnelles et quatre administrations successives ont appelé le Congrès à adopter une loi. Cependant, le Congrès n’a pas réussi à agir sur cette question en raison de la polarisation politique et de la transformation du Parti républicain par le président Trump.

De plus, cette administration avait confirmé le lancement du « Plan Biden pour construire la sécurité et la prospérité en partenariat avec les peuples d’Amérique centrale ». Ce « Plan Biden » était l’une des pierres angulaires de la stratégie latino-américaine du nouveau président lors de la campagne électorale. Dans la tradition de la diplomatie de Washington, le plan affirme que « l’hémisphère occidental, ou en d’autres termes l’ensemble du continent américain, de la pointe nord du Canada à la pointe sud du Chili, a le potentiel d’être sûr, démocratique et prospère ».

Poursuivant la logique de l’Alliance pour le progrès de 2014, abolie par Donald Trump, le plan prévoit l’allocation de 4 milliards de dollars américains8 sur quatre ans à trois pays du « Triangle du Nord », où a lieu la majeure partie de la migration de la région vers les États-Unis. Conçu pour réduire les migrations en provenance du Salvador, du Guatemala et du Honduras de manière « efficace et durable », le « plan Biden » prétend s’attaquer aux problèmes « sous-jacents » de ces phénomènes : la pauvreté, la violence, le crime organisé, la corruption, le dysfonctionnement des institutions publiques et le changement climatique. Son objectif est de proposer une « stratégie globale » qui permettra à terme à ces pays de se transformer en sociétés de « classe moyenne ». Dans cette optique, le « Plan Biden » organise la mobilisation des fonds américains, l’implication des différentes administrations et agences gouvernementales impliquées sur le terrain, ainsi que la participation du secteur privé américain et des bailleurs de fonds internationaux. En contrepartie, les pays bénéficiaires doivent s’engager à mettre en œuvre, promouvoir et cofinancer les réformes identifiées et exigées par Washington et ses partenaires pour lutter contre la corruption, la pauvreté, le crime organisé et la violence en développant leurs propres ressources (réforme fiscale) ; également en termes de gouvernance d’entreprise et d’attractivité économique pour faciliter l’afflux d’investissements étrangers. Sur ce dernier point, le Président a inclus cet objectif dans la promotion de la « transition vers une énergie propre, l’adaptation au changement climatique et la résilience ».

La politique latino-américaine de Joe Biden rencontre des difficultés en Amérique latine, en particulier dans le cône sud, en raison du recul des processus d’intégration régionale et de l’absence de leadership politique régional. Les dynamiques de coopération ont eu du mal à voir le jour à cause des divisions géopolitiques du fait des choix économiques, commerciaux, sanitaires, sécuritaires et climatiques faits. C’est dans ce contexte général que Joe Biden a pris position sur deux dossiers sensibles : Cuba et le Venezuela. Ces deux pays ont exprimé le souhait de réfléchir à l’ère Trump et d’avoir un dialogue ouvert.

En ce qui concerne le Venezuela, le nouveau gouvernement, par l’intermédiaire de son nouveau secrétaire d’État Antony Blinken, a clairement indiqué qu’il considérait Nicolás Maduro comme un « dictateur brutal » et que, contrairement à l’Union européenne, il continuerait à reconnaître Juan Guaido comme président intérimaire du Venezuela jusqu’à la tenue d’élections « libres et équitables ». Tant que cet objectif n’est pas atteint, le nouveau gouvernement pourrait modifier sensiblement son approche du Venezuela. Il mettra l’accent non plus sur l’intervention politique directe (comme il l’a fait sous Donald Trump) mais sur l’action humanitaire et permettra aux Vénézuéliens qui se trouvent aux États-Unis en tant qu’immigrés clandestins de bénéficier des nouvelles dispositions du gouvernement en matière d’asile. Les dirigeants vénézuéliens ne sont pas des activistes économiques.

Quant à Cuba, l’ancien secrétaire d’État, Mike Pompeo, a réintégré à la dernière minute le 11 janvier 2021 sur la liste des « États soutenant le terrorisme » (retiré de la liste par le président Barack Obama en 2015), après quatre années de renforcement constant des mesures restrictives unilatérales, y compris extraterritoriales. L’administration Biden, quant à elle, est prête à avancer avec prudence car Joe Biden est revenu à la doctrine Obama de normalisation des relations avec Cuba et a annoncé son intention de lever certaines restrictions imposées par son prédécesseur Donald Trump sur les voyages à Cuba des Américains et sur les envois de fonds à la famille restée au pays par les Cubains vivant aux États-Unis. Toutefois, des partisans d’un changement de régime à Cuba se trouvent aussi bien dans le camp démocrate que dans le camp républicain du président.

Une moindre présence en Amérique latine : de l’interventionnisme intense à l’influence

Les États-Unis continuent de jouer un rôle-clé en Amérique latine à travers la diplomatie et la sécurité : la visite du Secrétaire d’État américain Antony Blinken, en décembre 2023, en Colombie et au Chili illustre cet engagement. En Colombie, Blinken a rencontré le nouveau président de gauche, Gustavo Petro, pour établir un cadre de collaboration sur la sécurité, notamment en ce qui concerne la « paix totale » et la lutte contre le narcotrafic. Cette rencontre vise à harmoniser les objectifs américains avec les priorités locales sous la nouvelle administration. Sur le plan économique, les États-Unis cherchent à renforcer leur influence par le biais de l’Alliance pour la prospérité économique des Amériques, lancée par Joe Biden dès 2022. Cette initiative vise à contrer l’influence croissante de la Chine dans la région et à réduire l’émigration vers les États-Unis en favorisant l’intégration économique régionale. Une stratégie de « nearshoring » est également promue, encourageant la relocalisation de centres de production en Amérique latine, notamment au Mexique, pour diminuer la dépendance envers l’Asie. Les États-Unis maintiennent aussi des relations commerciales solides avec des pays comme la Colombie et le Chili : la Colombie, par exemple, exporte une part importante de ses produits vers les États-Unis, qui restent un partenaire commercial majeur.

Légende : Protestations à Caracas contre la réélection de Nicolas Maduro en 2024 / Source : Creative Common

Les relations entre Washington et le Chili sont importantes surtout avec la montée en puissance du géant asiatique dans le pays andin, et notamment après le retour de Chine du président chilien Gabriel Boric en octobre 2023. L’administration américaine a également rédigé un rapport stratégique indiquant qu’elle souhaite étendre son influence et renforcer ses relations avec le Chili. Mais la complicité des États-Unis dans l’établissement de la dictature de Pinochet dans les années 1970 suscite encore le cynisme chez certains Chiliens et leur méfiance à l’égard de l’agenda américain dans le pays. La crise sociale de 2019 a également donné naissance à une génération d’hommes politiques désireux de changer le modèle hyper-néolibéral du Chili, calqué sur celui des États-Unis, qui crée d’énormes inégalités sociales. Il est vrai que, depuis plusieurs années, le Chili a renforcé son partenariat avec la Chine, notamment au niveau économique. Le géant asiatique est aujourd’hui le premier partenaire commercial du Chili, notamment pour l’exportation de cuivre, la principale ressource du pays. Cependant, les États-Unis conservent toujours une influence non négligeable puisqu’en 20 ans, les exportations du Chili vers les États-Unis ont triplé, notamment grâce à l’accord de libre-échange. Les relations en termes de niveaux académiques, culturels et touristiques sont également très élevées. Pour sa part, le Chili souhaite que ses relations, que ce soit avec les États-Unis ou la Chine, en récoltent le plus grand bénéfice. Le pays a vraiment besoin d’investissements majeurs, notamment dans le secteur énergétique, car il ambitionne de devenir le premier producteur mondial de lithium et mise tout sur l’hydrogène vert. Ce sont ces investissements que Gabriel Boric recherchait en Chine en octobre dernier et désormais aux Etats-Unis avec Joe Biden.

Malgré ces efforts, le leadership américain en Amérique latine montre des signes de déclin. Un exemple marquant est le boycott du Sommet des Amériques par le président mexicain, suite à l’exclusion de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua. À l’origine, les Etats-Unis ont rayé de ce sommet rassemblant tous les pays du continent pour des raisons de violation des principes démocratiques et des droits humains au sein de ces pays. Ce boycott coûte cher aux efforts entrepris par Joe Biden qui souhaitait affirmer, depuis son élection, son leadership régional. Alors que Joe Biden a souhaité concentrer sa politique étrangère dernièrement sur l’Europe avec la guerre en Ukraine et l’Asie, la Chine gagne du terrain et investit massivement en Amérique du Sud. Michael Shifter, chercheur à l’organisme Inter-American Dialogue, souligne notamment que « les Etats-Unis ont encore beaucoup de soft-power, mais leur influence politique et diplomatique décline chaque jour ». Justement, le Président américain avait décidé d’être en rupture avec son prédécesseur Donal Trump et de finalement levé certaines sanctions à l’encontre de Cuba et d’être plus ouvert. Et justement, le Sommet des Amériques venait avancer une nouvelle ambition de Biden pour l’Amérique latine mais certains opposants critiquent que cela « n’est pas la bonne voie ».

En ce sens, la politique américaine de promotion de la démocratie est de plus en plus critiquée. Les États-Unis sont accusés de traiter de manière sélective certains pays, excluant Cuba et le Venezuela tout en maintenant des relations avec des nations comme l’Arabie Saoudite. Cela affaiblit la crédibilité des États-Unis en tant que promoteurs de la démocratie en Amérique latine.

L’influence croissante de nouveaux acteurs dans la région posent problèmes à Washington : la Chine, mais également la Turquie, sans oublier la Russie, notamment au Nicaragua. Les relations avec l’Europe se sont densifiées, mais sont distancées sur le plan économique par le nouveau poids de Beijing. Un nouvel engagement sur des bases contractuelles entre les États-Unis et ses voisins latino-américains semble indispensable pour une relation partagée et plus apaisée, alors même que la pandémie bouscule l’ordre établi. Enfin, les crises sociales récentes, comme celle au Chili en 2019, ont favorisé l’émergence de nouveaux leaders politiques qui remettent en question le modèle néolibéral soutenu par les États-Unis. Cette dynamique sociopolitique entraîne une méfiance accrue à l’égard de l’influence américaine.


Pour aller plus loin ;

  • BERG, Eugène. « Livre – LA politique des Etats-Unis en Amérique latine : interventionnisme ou influence ? », Revue Conflits, 01/08/2020.
  • « Biden poursuit son opération séduction auprès de l’Amérique latine », l’Orient-le Jour, AFP, 03/11/2023.
  • DABÈNE, Olivier. L’effet Trump en Amérique latine: une nouvelle donne régionale?. Les Études du CERI, 2018, 233-234, pp.4 – 8.
  • DROUHAUD, Pascal. « L’Amérique latine : enjeux et perspectives internationales », Revue Défense Nationale, n°855, 10/2022, pp. 103 à 110.
  • FONTAINE, Marion. « Au Sommet des Amériques, l’effritement de l’influence des Etats-Unis sur le continent », Géo, 07/06/2022.
  • KANDEL, Maya. « Le virage sud-américain de Joe Biden met en furie les républicains », Mediapart, 02/05/2023.
  • OVARLEZ, Lola. « Biden-Trump, même combat en Amérique latine », L’Opinion, 23/02/2024.
  • STEELS, Emmanuelle. BENRABAA, Najet. DERROISNÉ, Naïla. « Sommet des Amériques : Joe Biden soigne les relations avec ses voisins », France Info, 03/11/2023.
  • VAGNOUX, Isabelle. « Les Etats-Unis et l’Amérique du Sud : des voisins distants », Politique Etrangère, Institut Français des Relations Internationales, 2013/4, pp. 65 à 76. 
  • VENTURA, Christophe. « Etats-Unis-Amérique latine : quelles perspectives après l’élection de Joe Biden ? », Note d’analyse réalisée par l’IRIS pour le compte de l’Agence française de Développement,02/2021.

 

(*) Athénaïs Jalabert-Doury est actuellement étudiante en relations internationales à l’ILERI et stagiaire au sein de la revue Espritsurcouf. Elle se passionne notamment sur les sujets de sécurité internationale, plus particulièrement dans les zones géographiques des Amériques et de l’Europe.

Comment développer la puissance par l’image ?

Comment développer la puissance par l’image ? Entretien avec Christian Lequesne

Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
Presses de Sciences Po

Par Christian Lequesne, Elena Roney – Diploweb – publié le 6 août 2024  

https://www.diploweb.com/Comment-developper-la-puissance-par-l-image-Entretien-avec-Christian-Lequesne.html


Christian Lequesne, spécialiste des relations internationales, est professeur à Sciences Po. Il est notamment l’auteur d’une remarquable « Ethnographie du Quai d’Orsay » (CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2020). Il dirige un nouvel ouvrage fondateur : « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. Propos recueillis par Eléna Roney, étudiante en 3ème année de Licence à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle) en majeure études internationales, mineure anglais.

La diplomatie publique est-elle aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ? Une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace-t-elle la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ? Comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ? Voici quelques-unes des questions posées par Eléna Roney à Christian Lequesne qui vient de diriger « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po.

Initialement publié sur Diploweb.com en 2021, nous remettons cet entretien à l’honneur dans le contexte des JOP de 2024. Beaucoup conviendront que ces JOP sont aussi un succès d’image.

Eléna Roney (E.R.) : Comment expliquez-vous que vous soyez le premier chercheur en France à consacrer un ouvrage à la diplomatie publique, alors que celle-ci occupe une place très importante dans le champ des relations internationales, et ce depuis plusieurs décennies ?

Christian Lequesne (C.L.) : En France le concept importé des États-Unis de public diplomacy a davantage tendance à se traduire par “diplomatie d’influence” que par diplomatie publique. En effet, en langue française, l’adjectif “public” se rapporte à ce qui a trait à l’État plutôt qu’à la société. De plus, une opinion à mon avis encore majoritaire en France est que la puissance d’un État se fonde plus sur le hard power, sur sa puissance militaire et la diplomatie coercitive que sur une influence culturelle et médiatique. Cela est en partie dû à l’histoire et au passé de puissance de la France, qui au fil des siècles a appuyé son influence sur des interventions militaires et un pouvoir coercitif.


Définition de la diplomatie publique : “ A la différence du soft power, qui décrit un état de fait, la diplomatie publique (appelée diplomatie d’influence en France et au Québec) est la construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Le plus souvent un État, cette autorité peut aussi être une organisation internationale (l’Union européenne ou l’OTAN ont des diplomaties publiques) ou un gouvernement infra-étatique. […] Elle consiste pour une autorité politique (le plus souvent État, comme nous venons de le voir) à demander à ses agents de réduire l’écart, ou l’éloignement, avec une autre autorité politique (le plus souvent un autre État). La diplomatie publique a toutefois ceci de spécifique que l’acte de médiation ne vise pas seulement les représentants de l’autre entité politique, mais la société dans son ensemble. Le principal interlocuteur du diplomate public n’est pas le diplomate de l’autre État, mais l’ensemble des acteurs composant la société.” C. Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. p.14-15


Ainsi, la diplomatie publique a-t-elle été un peu reléguée dans le champ des sciences sociales au rang des accessoires mineurs, car considérée à tort comme moins efficace et moins importante que le hard power.

E. R. : Pensez-vous que la diplomatie publique est aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ?

C.L. : La diplomatie publique appartient complètement à la diplomatie traditionnelle en cherchant à influencer les opinions publiques étrangères. Depuis plusieurs années, elle est de plus en plus développée, car elle permet aux États d’élargir leur influence par rapport à de simples relations inter-gouvernementales, et elle touche le public de plus en plus facilement grâce à l’essor des réseaux sociaux.

Cependant, chaque État développe plus ou moins tel ou tel type de diplomatie en fonction de ses ressources et de ses objectifs. Ainsi, au sein de chaque État existe-t-il une réflexion autour de l’exercice de la puissance. Après analyse, selon ses capacités et ses caractéristiques, l’État choisit de porter ses efforts sur la puissance militaire ou le soft power, et parfois les deux. Ceci est valable aussi bien pour des démocraties que pour des régimes autoritaires.

Pour donner des exemples de spécialisation, la Suisse, pays neutre sur le plan militaire, donne l’avantage à la diplomatie publique. L’État suisse participe ainsi à l’aide au développement ou encore, pour choisir un exemple très concret, à la rénovation en Albanie d’une ancienne prison datant de la dictature d’Enver Hoxha pour en faire un lieu de mémoire sur les crimes du communisme. En participant à ce travail de mémoire, la Suisse donne d’elle l’image d’une nation démocratique responsable, aussi bien en Albanie que dans la communauté internationale. La Norvège privilégie également la diplomatie publique, ce qui a pu notamment se traduire par sa participation à la rénovation du fort millénaire de Lahore au Pakistan. Participer aux travaux de rénovation permet à Oslo de montrer qu’elle s’intéresse à la culture et qu’elle cherche à la préserver. La Russie quant à elle à une inclinaison naturelle pour le hard power, intervenant dans de nombreux conflits armés, mais elle se sert de plus en plus des réseaux sociaux afin de diffuser ses messages politiques dans les opinions publiques étrangères, comme cela a pu se voir lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 ou française de 2017.

E.R. : Quelles sont les idées reçues qui circulent dans le débat public sur la diplomatie publique, et plus généralement sur la diplomatie ? Lesquelles vous irritent le plus ?

C.L. : L’idée reçue principale qui circule au sein de la société sur la diplomatie est une affaire de secrets et de connivences entre responsables politiques au plus haut niveau. Il est certain qu’il reste une part de secret indispensable dans la diplomatie. Cette part de secret par exemple se manifeste lors des échanges d’otages ou de la préparation des interventions militaires. Cependant, la diplomatie se limite de moins en moins à ce que Richelieu appelait le « cabinet noir ». La diplomatie se doit de concevoir de plus en plus des actions ouvertes aux sociétés. Les ambassadeurs parlent de plus en plus dans les universités, se rendent dans les foires commerciales, visitent les collectivités locales dans le but de donner une « bonne » image de leur pays. Parler aux publics autres que les gouvernements est devenu une part essentielle de la diplomatie contrairement à l’idée reçue qui a tendance encore à ne voir que l’ambassadeur enfermé dans sa salle de négociation.

E.R. : La télévision utilisée à des fins de diplomatie publique est-elle véritablement efficace pour changer l’opinion publique ? Les téléspectateurs des chaînes implantées à l’étranger ne sont-ils pas déjà d’accord avec la ligne idéologique de la chaîne qu’ils regardent ?

C.L. : Les effets de la diplomatie publique sur l’opinion publique font partie des choses les plus difficiles à mesurer. Simplement, s’il existe un tel déploiement de moyens financiers, matériels, et humains pour faire exister des chaînes de télévision à portée internationale, c’est que les États y trouvent un intérêt. Un sondage datant d’il y a quelques années a par exemple montré que l’électeur classique du Rassemblement national trouvait très justes les informations sur Russia Today, et que de nombreux téléspectateurs réguliers de la chaîne en France se sentaient une certaine proximité avec les idées de l’extrême droite. L’idéologie du gouvernement de Vladimir Poutine parvient ainsi à toucher une partie de l’opinion publique française et à influencer les résultats d’élections. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine a affiché en 2017 son soutien à Marine Le Pen, et Russia Today a fait de cette dernière un portrait souvent complaisant dans ses émissions diffusées en France.

E.R. : Estimez-vous qu’aujourd’hui il y a un changement de paradigme dans les relations internationales, et qu’une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ?

C.L. : Tout d’abord, il faut distinguer les médias ayant une indépendance rédactionnelle des médias sans aucune indépendance, comme Russia Today ou Sputnik. Mais le véritable enjeu communicationnel aujourd’hui pour la diplomatie publique se joue autour des médias sociaux. Les régimes non démocratiques l’ont parfaitement compris. Ces derniers se servent des réseaux sociaux comme un outil de propagation de leur modèle, voire de conflit. C’est ce qu’il s’est passé en 2016 aux États-Unis où la Russie a propagé de nombreuses fake news sur Facebook et a instrumentalisé le réseau social afin d’influer sur les élections présidentielles américaines et de pousser les Américains à voter pour Donald Trump. Il s’est passé la même chose lors des élections présidentielles en France en 2017 où la Russie a lancé une large campagne en faveur de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, et a diffusé des contenus complotistes contre le candidat Emmanuel Macron.

Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un véritable enjeu, car il est difficile d’identifier qui est derrière la diffusion de messages, les traces pouvant même être brouillées afin de faire accuser ses ennemis politiques, comme la Russie l’a beaucoup fait avec l’Ukraine. En effet, la Russie a partagé de nombreux messages depuis une adresse IP située en Ukraine, afin de faire désigner cette dernière coupable.

Contre la multiplication des fake news, des politiques d’État sont nées. En effet, les États ont dû mettre en place une vérification régulière des informations publiées et échangées sur les réseaux sociaux. Désormais, dès qu’une fake news est identifiée, il est publié des contre-messages. Ces derniers doivent être publiés au plus vite, afin d’empêcher l’opinion publique de croire aux fausses informations diffusées et donc éviter un éventuel changement d’opinion.

E.R. : Dans quelle mesure la diplomatie publique des États reflète-t-elle les inégalités entre les pays, notamment au niveau de la représentation médiatique internationale, ainsi qu’une forme de néocolonialisme de la part des anciens pays colonisateurs sur les anciens pays colonisés ?

C.L. : Pour avoir une diplomatie publique efficace, un État doit en effet disposer de moyens financiers, humains et matériels. Une diplomatie publique efficace n’est pas possible sans ressource. A partir de ce constat, il est certain que les grandes puissances, ou les États possédant un certain niveau de développement ont plus de facilités à avoir une diplomatie publique. La diplomatie publique reflète donc des inégalités de richesse. Elle peut également prendre la forme d’un certain néo-colonialisme, lorsque les anciens pays colonisateurs tentent d’avoir une certaine influence sur les anciens pays colonisés. Ceci est d’autant plus facile lorsque, dans les anciens pays colonisés, la langue de l’ancien pays colonisateur est parlée par une grande partie de la population. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’audience de France 24 est très élevée et la chaîne est très connue, alors qu’en France métropolitaine cette chaîne est très peu regardée. Les anciens pays colonisateurs cherchent à conserver une influence sur les anciens pays colonisés, ainsi qu’une relation privilégiée. Cela se fait à travers la télévision, mais aussi par l’implantation des lycées français ouverts aux enfants des élites locales, comme au Maroc, au Liban ou à Madagascar. Il existe parfois une concurrence autour de ces formes de néo-colonialisme. Il existe des chaînes de télévision émettant uniquement dans les langues locales qui, au travers du choix de cette langue, s’oppose au néo-colonialisme. C’est par exemple le cas au Sénégal de la chaîne 2STV dont les programmes sont majoritairement diffusés en wolof.

Screenshot
 Comment développer la puissance par l'image ? Entretien avec Christian Lequesne
Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
Presses de Sciences Po

Dans quelle mesure existe-t-il une réciprocité d’influence entre les acteurs de la diplomatie publique et les acteurs visés par la diplomatie publique ? Par exemple, dans quelle mesure les ONG ont- elles une forte influence sur la diplomatie publique et vice-versa ?

L’influence de la diplomatie publique est à double sens. L’époque où l’État pouvait contrôler l’ensemble des flux d’informations est complètement dépassée. Même au sein des États autoritaires il existe des moyens de contourner les informations officielles, diffusées et transmises par le gouvernement. Les habitants peuvent s’informer en consultant des sites étrangers apportant les informations censurées par le régime en place. En Turquie, la population grâce à quelques manœuvres informatiques peut par exemple consulter Wikipedia, normalement indisponible dans le pays. Beaucoup de Turcs ont donc la possibilité de contourner le verrouillage internet de certains sites.

Certains acteurs, comme les ONG internationales, en faisant pression sur les États, peuvent également redéfinir leur diplomatie publique. Ceci est particulièrement flagrant aujourd’hui pour les ONG environnementalistes qui font pression sur les gouvernements, afin que ceux-ci changent leur politique et poussent d’autres gouvernements à faire de même.

E.R. : Selon vous, comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ?

En France, la diplomatie publique est le fruit d’une longue tradition. Elle n’est pas apparue récemment. Le réseau d’influence du pays existe depuis plus d’un siècle au moins. Néanmoins, depuis les années 1990, des coupures sont intervenues dans les budgets alloués à la diplomatie. Ainsi la France ne se donne-t-elle plus les mêmes moyens de rayonner à l’étranger par la diplomatie publique. Les réseaux existent toujours à l’étranger, notamment les lycées, mais les ressources ne suffisent plus toujours pour les faire fonctionner. Il y a donc un problème de choix budgétaire. Les parlementaires qui votent le budget ont besoin d’une représentation plus juste de ce qu’est la diplomatie publique moderne, de son efficacité et de son apport à la puissance de la France. La représentation de ce qu’est la diplomatie en 2021-2022 a également besoin de changer dans la société. En effet, elle apparaît encore trop aux yeux du public comme un monde éloigné, vivant entre soi, et mangeant des petits fours. Il y a un véritable besoin de pédagogie, d’instruction et d’éducation sur ce qu’est véritablement la diplomatie, sur son rôle et sur ce qu’elle représente pour le pays. La diplomatie publique doit aussi être mieux coordonnée entre les États membres de l’Union européenne, pour mieux peser sur le reste des acteurs mondiaux. Entre les pays de l’UE, il existe une collaboration efficace dans le domaine culturel qui passe par les instituts culturels, comme l’Institut Français et le Goethe Institut. Il faut renforcer ces collaborations et faire en sorte qu’elles concernent d’autres pays que les seules France et Allemagne, afin de montrer en dehors de l’Europe qu’il existe une influence européenne alliant culture et démocratie.

Copyright Novembre 2021-Lequesne-Roney/Diploweb.com

Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 21 novembre 2021


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. Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » Presses de Sciences Po, 2021. Sur Amazon


4e de couverture

On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. Il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande. Voici le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales.

Séduire l’opinion mondiale : démocraties ou dictatures, tous les États s’efforcent de soigner leur image en s’adressant directement et à voix haute aux citoyens. Les moyens sont multiples pour se rendre attractif aux yeux de l’opinion mondiale : récits portés par les médias et les réseaux sociaux, implantations d’instituts culturels et d’écoles, échanges universitaires, distributions de matériel médical et de vaccins, etc. On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. S’ajoutant aux canaux feutrés de la diplomatie classique, il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande.

Dans le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales, une série d’analyses transversales et de focus sur des cas concrets, illustrés de cartes et de graphiques, donnent à voir ses usages et ses effets ainsi que les nouveaux modèles qu’il propose.

Avec Maxime Audinet, Sylvain Beck, Pierre Buhler, Rhys Crilley, Etienne Dignat, Alice Ekman, Béatrice Garapon, Caterina Garcia Segura, Auriane Guilbaud, Ilan Manor, Tristan Mattelart, Benjamin Oudet, Stéphane Paquin, Elena Sirorova, Virginie Troit, Earl Wang

Une mission universelle pour la France ? par Michel Pinton

Une mission universelle pour la France ?

par Michel Pinton* – CF2R – Tribune libre N°157 / août 2024

https://cf2r.org/tribune/une-mission-universelle-pour-la-france/


*Ancien élève de l’École Polytechnique et de l’université Princeton, il fut l’un des collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing au ministère de l’Économie et des Finances puis à la présidence de la République. Membre fondateur puis délégué général de l’UDF (1978-1983), Michel Pinton a été également député européen et maire de Felletin (Creuse).

 

 

Le peuple français, s’il veut survivre, a besoin d’une politique étrangère de portée mondiale. Ce n’est pas moi qui ose une idée aussi bizarre : je reprends les paroles du meilleur connaisseur de la France à notre époque, Charles De Gaulle. Sur quel argument appuie-t-il son affirmation ? Observant que notre nation est « par nature, perpétuellement portée aux divisions et aux chimères », il rejoint l’historien Braudel pour qui « l’identité de la France » est faite de « divisions physiques, culturelles, religieuses, politiques, économiques, sociales qui s’ajoutent les unes aux autres ». L’unité française n’est pas naturelle ; elle doit toujours être construite ou reconstruite par un effort de volonté raisonnée dont la responsabilité incombe à l’Etat. Mais effort vers quel but ? De Gaulle conclut d’une expérience bimillénaire que le seul moyen de rassembler le peuple français, c’est « une grande mission internationale, faute de laquelle il se désintéresserait de lui-même et irait à la dislocation ».

Cette exigence capitale pour la survie de la France, revient me hanter au moment où des élections législatives soudaines nous montrent un peuple profondément divisé, incertain de son avenir et menacé de dislocation interne. Les zones rurales, appauvries et humiliées, s’opposent par leur vote, aux métropoles, lesquelles sont partagées entre centres prospères et banlieues d’immigrés en état de sécession larvée. Encore cette description générale occulte-t-elle une réalité plus confuse : la France est éclatée en petits morceaux disparates en fonction de conditions physiques, religieuses, économiques et sociales qui varient à l’infini. Au point de divisions auquel notre nation est tombée, l’unité est devenue un rêve auquel le chef de l’État lui-même a renoncé : il limite son ambition à un vague consensus du « centre républicain » contre les « extrêmes » de toute sorte, même si ces derniers pèsent électoralement plus lourd que le premier.

La dislocation française qui se fait sous nos yeux a-t-elle pour cause l’absence d’une mission internationale propre à notre pays ? Notre classe dirigeante, Président de la République en tête, le réfute avec indignation. Elle affirme nous proposer une politique étrangère, à la fois raisonnable et ambitieuse, qu’elle poursuit avec une ardeur inébranlable. Cette mission naît d’un constat : la France est désormais trop petite pour agir seule dans le monde. Mais elle a la chance d’appartenir à deux ensembles qui sont à l’avant-garde de l’humanité contemporaine : l’Europe et l’Occident. Elle doit « s’intégrer » dans les institutions qui donnent forme à ces deux ensembles et qui s’appellent l’Union européenne et l’OTAN. Notre souveraineté se manifeste par des propositions d’action collective que notre gouvernement fait à ses partenaires dans ces deux organisations. Qu’elles soient acceptées ou refusées, la France se plie librement à l’exécution des choix décidés en commun.

Nous voici devant un dilemme : ou bien De Gaulle s’est trompé sur la France et le remède à nos divisions est à chercher ailleurs ; ou bien la mission internationale que notre classe dirigeante nous assigne, est un faux-semblant dont le peuple français devine l’imposture. C’est pourquoi elle ne le rassemble pas.

Examinons pour commencer ce qu’est réellement l’OTAN, que nos dirigeants nous présentent comme la protectrice indispensable des nations démocratiques d’Europe et d’Amérique de Nord contre les assauts d’États ennemis de la liberté. L’OTAN se flatte d’être « l’alliance la plus puissante et la plus durable de l’histoire universelle ». Elle vient de célébrer son soixante-quinzième anniversaire dans une grande cérémonie à Washington. Ses 32 États membres, dont les dépenses militaires additionnées constituent plus de la moitié du total mondial, étaient représentés par leurs responsables suprêmes. Ils ont tous signé le communiqué final qui proclame leur volonté d’accroître encore leurs armements et les effectifs de leurs armées. Ils ont tous réaffirmé leur « soutien inébranlable » au gouvernement « démocratique » de l’Ukraine, victime d’une attaque injustifiée menée par la Russie « autocratique ». Ils ont tous dénoncé l’aide qu’apportent à l’agresseur, deux États, eux aussi dictatoriaux : la Chine et la Corée du nord. C’est une manière de signifier au reste du monde que l’alliance ne baisse pas sa garde et qu’elle est prête à relever tous les défis à venir.

Cet optimisme de façade dissimule quelques réalités moins brillantes. La sénilité de Biden est de plus en plus difficile à cacher. Les Polonais et les Baltes s’impatientent de sa prudence excessive en Ukraine. Erdogan et Orban, trublions permanents, jouent leurs propres partitions. Mais toutes les chancelleries savent que, dans les décisions de l’OTAN, la volonté américaine finit toujours par l’emporter. Dans son discours conclusif, le Président des Etats-Unis l’a rappelé fermement à ses invités en décrivant son pays comme le « leader » nécessaire du « monde libre », les autres devant se contenter de suivre « la seule nation indispensable » à l’ordre universel.

Autrement dit, l’OTAN assigne à la politique internationale de la France une place subalterne, dans le sillage de l’Amérique. Nous voici loin de la mission propre recommandée par Charles De Gaulle.

Si encore la politique mondiale des États-Unis répondait à des objectifs de paix et de progrès pour l’humanité entière, le peuple français pourrait y reconnaître sa propre vocation et la soutenir librement. Mais il n’en est rien. L’Amérique a une autre préoccupation : elle sent avec inquiétude que la prééminence universelle lui échappe. Elle accepte mal que la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie et d’autres contestent son « leadership ». Alors elle se crispe sur le maintien de l’ordre mondial établi il y a un quart de siècle, quand sa suprématie politique, sociale, militaire et morale était indiscutée. La politique mondiale que Biden incarne, est toute entière inspirée par la volonté d’immobiliser l’histoire à cet âge d’or.

Rien ne l’illustre mieux que l’affreuse guerre en Ukraine. Je m’honore d’être de ceux qui ont discerné, dès le début, que la sollicitude empressée du gouvernement de Washington pour « la démocratie ukrainienne brutalement agressée », cachait mal la volonté américaine de maintenir la Russie dans l’état de faiblesse où elle était reléguée depuis un quart de siècle.  C’est la même croyance dépassée de toute-puissance militaire, financière et technique qui a fait croire à Biden et ses conseillers que l’Ukraine gagnerait aisément la guerre, dès lors qu’elle recevrait le soutien de l’OTAN. La liste des « mesures décisives » prises par les États-Unis et ses alliés pour vaincre la Russie, est longue : expulsion du système SWIFT, « arme atomique financière » qui devait ruiner l’agresseur ; arrêt des achats de gaz, « source vitale de revenus » pour le Kremlin ; embargo « paralysant » sur les exportations occidentales de produits utilisés pour fabriquer des armes modernes ; transmission « en temps réel » à l’état-major ukrainien d’informations « exclusives » sur les mouvements des troupes russes ; don à l’armée kiévienne de canons, puis de chars, puis de missiles, puis d’avions dont la supériorité devait à chaque fois assurer la victoire. Aucune de ces prédictions ne s’est réalisée. L’ennemi a trouvé des parades à toutes les mesures que l’OTAN pensait insurmontables. La raison en est simple : les États-Unis n’ont plus, sur le reste du monde, l’avance technique ni le monopole financier qui était les leurs il y a encore vingt ans. Des États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud, s’en sont affranchis.

Il est triste, le crépuscule de la domination américaine sur le monde. Depuis près de quatre ans, il s’incarne dans le vieillard entêté qui siège à la Maison-Blanche. Il agit dans l’illusion de ressusciter une époque disparue. Inévitablement, il va d’échec en échec. Il s’est fait le champion universel des valeurs démocratiques mais n’a pas su éviter qu’elles soient rejetées dans le monde, minées en Occident et jusque dans son propre pays par le « populisme ». Il laisse à son successeur l’héritage de deux guerres qui traînent en longueur parce qu’il ne sait pas comment les terminer. Il assiste, impuissant, à la détérioration des relations de son pays avec les puissances montantes d’autres continents. Et, plus redoutable encore pour l’avenir de sa nation, il a étourdiment provoqué l’alliance du géant chinois et du géant russe contre les États-Unis.

C’est à cette suprématie moribonde que notre classe dirigeante accroche la politique étrangère de notre pays. Le peuple français sent bien qu’une telle mission internationale est indigne de sa vocation. Alors il s’en désintéresse et ses divisions ne rencontrent plus de force unificatrice qui les contrarie.

Il est vrai que nous ne sommes pas seuls à suivre le « leadership » américain. Presque tous les États-membres de l’Union européenne s’y sont aujourd’hui ralliés, y compris ceux qui, tels la Suède et la Finlande, avaient longtemps gardé leur distance avec l’OTAN. La guerre d’Ukraine en est la cause. Jusqu’à ce qu’elle éclate, les dirigeants de l’Union communiaient dans la conviction d’être les acteurs d’une « fin de l’histoire » en Europe, le système « d’union toujours plus étroite » organisé par Bruxelles garantissant définitivement «la paix et le bien-être de ses peuples ». Désemparés par un évènement qui démentait brutalement leur certitude, nos gouvernements ont cru l’avertissement que Biden ne cessait de leur marteler : « Si quelqu’un en Europe pense que Poutine s’arrêtera à la conquête de l’Ukraine, je peux vous certifier qu’il ne le fera pas ». Contre cette « menace existentielle » soudain révélée, la protection de la grande puissance d’outre-Atlantique a paru indispensable aux dirigeants alarmés de l’Union. Quelques responsables plus réfléchis ont fait observer que Poutine n’avait ni les moyens, ni le motif d’envahir l’Europe ; en semant la peur, Biden voulait en réalité renforcer la tutelle américaine sur notre continent dans l’espoir de maintenir sa suprématie universelle. Leurs voix n’ont pas été écoutées. L’Union européenne, presque unanime, a offert au Président des Etats-Unis un de ses rares succès de politique étrangère.

Mais la tutelle de Washington sur l’Union européenne, entraîne cette dernière dans un engrenage redoutable. Elle la détourne de sa mission constitutive, « la paix et le bien-être de ses peuples », pour la transformer en appareil de guerre et d’appauvrissement collectif. Elle la contraint à épouser les autres querelles américaines, au Proche Orient et en mer de Chine notamment, contre son intérêt évident. Elle arrache les peuples qui la composent, Allemagne et France en premier lieu, à leur indispensable complémentarité culturelle, économique et politique avec la Russie. Les tragiques enseignements de l’histoire européenne sont oubliés.

Depuis qu’a commencé cette funeste guerre, l’Union présente un visage plus lugubre encore que celui de l’Amérique. Agissant contre ses principes et ses intérêts, elle s’enfonce dans l’impuissance. Son action en Ukraine l’illustre cruellement. Les décisions communes des « vingt-sept » s’obstinent à associer des buts inaccessibles (l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris la Crimée) et un soutien dérisoire à l’armée de Kiev (des chars et des avions déclassés).  Empêtrée dans ses contradictions, elle ne pèse pas sur le cours des évènements.

Est-ce avec cette Union européenne dont la politique étrangère est tombée dans l’insignifiance, que notre classe dirigeante compte offrir au peuple français, une mission d’envergure mondiale ?

Pourtant, il ne tient qu’à nous de renouer avec ce que De Gaulle appelait « la grandeur de la France ». Arrachons-nous aux facilités de la tutelle américaine dont l’OTAN est l’outil. Cessons de nous illusionner sur la chimère d’une « souveraineté européenne » dont aucun de nos vingt-six partenaires n’est capable. Il n’y a là que tentatives stériles pour retenir l’histoire à ce qu’elle était au seuil de notre millénaire. Le présent du monde, ce n’est pas de maintenir l’ordre qu’avait établi la suprématie de l’Occident mais d’organiser de façon pacifique une humanité « multipolaire ». Les États-Unis ne le feront pas parce qu’ils ont beaucoup de mal à comprendre ce concept. Leur courte expérience historique se limite à des périodes « d’isolationnisme » farouche suivies de poussées vers l’autre extrême, un « interventionnisme » quasi universel. Nous, Français, avons appris de notre longue histoire de relations incessantes avec des États nombreux, tantôt plus puissants que nous, tantôt moins forts, que la sagesse de la politique internationale se trouve dans le « concert des nations » ou, à défaut, « l’équilibre des grandes puissances ».  Ce que Saint Louis, Richelieu et De Gaulle ont réussi pour la paix de l’Europe, n’est-il pas temps de le transposer maintenant pour la paix du monde ? Voilà, sans aucun doute, la grande mission internationale à laquelle notre vocation nous appelle. C’est elle, et elle seule, qui peut à nouveau rassembler les Français.

Dossier géopolitique : La France d’outre-mer (FOM)

Dossier géopolitique : La France d’outre-mer (FOM)

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 27 juillet 2024  

 https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-France-d-outre-mer-FOM.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Professeur en CPGE à Blomet (Paris). Chercheur associé à la FRS. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

Le Diploweb n’a pas attendu la crise de 2023 à Mayotte ou de 2024 en Nouvelle-Calédonie pour s’intéresser collectivités territoriales d’outre-mer françaises. Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. Et il y aurait encore tant à écrire sur cet « non-dit géopolitique français ».

. Damien Gautreau, Le bras de fer franco-comorien au sujet de Mayotte

Les relations entre les Comores et la France ne sont pas au beau fixe et la question de Mayotte est loin d’être réglée. Les dirigeants comoriens se servent de la situation pour maintenir leur autorité.

. Florentin Brocheton, Mayotte, les décasages : expulsions d’étrangers proches dans le monde rural

Les perceptions sociales des habitants des villages mahorais changent avec la crise profonde que traverse Mayotte. Des familles intégrées dans la vie collective des villages, intégrées dans le tissu social, perçues comme membres du village se retrouvent ainsi expulsées par les Mahorais. Des communautés rurales aux relations et rapports complexes se mettent à expulser illégalement des populations dorénavant considérées comme exogènes, étrangères, porteuses de la responsabilité des crises que traverse Mayotte. F. Brocheton nous fait découvrir un visage souvent méconnu en métropole d’un territoire de la République française. Illustré d’une carte sous deux formats JPEG et PDF.

. Gérard-François Dumont, Découvrir Mayotte, une géopolitique singulière

Mayotte est presque un « impensé » du discours public en métropole, sauf en cas de crise, mais dans ce cas la méconnaissance de la géopolitique de ce territoire du sud-ouest de l’océan Indien pénalise la compréhension de l’actualité. Le Recteur Gérard-François Dumont offre ici une ample mise en perspective avec des données actualisées. Un texte qui fera référence, accompagné d’une carte de localisation.

. Jean-Christophe Gay, Pierre Verluise, Mieux connaître la France d’outre-mer. Entretien avec Jean-Christophe Gay

Jean-Christophe Gay, vient de publier « La France d’outre-mer. Terres éparses, sociétés vivantes », Armand Colin. Ce remarquable ouvrage présente des éléments localisés et chiffrés qui mis en relation forment une clé de lecture d’ensemble des caractéristiques de ces territoires trop souvent méconnus voire méprisés en métropole. J-C Gay passe d’un territoire à l’autre avec une aisance impressionnante, autant pour pointer des traits communs que des différences. Il répond aux questions de Pierre Verluise pour le Diploweb.com.

. Pierre Verluise, Comment la France d’outre-mer vote-t-elle lors de l’élection présidentielle de 2022 ?

L’élection présidentielle française de 2022 confirme à la fois la diversité des outre-mer et l’attrait d’une majorité des collectivités d’outre-mer pour les candidats « protestataires », avec souvent la capacité de voter successivement pour l’extrême gauche puis l’extrême droite. De plus, la très faible participation des inscrits d’outre-mer à ce scrutin témoigne à tout le moins d’un malaise, voire d’une faible implication dans les enjeux électoraux nationaux. D’une certaine manière, ce scrutin illustre une fois de plus le caractère à la fois ultrapériphérique et contestataire de ces territoires. Illustré de plusieurs figures.

. Vidéo. Yan Giron. Les outre-mers français et les nouveaux risques maritimes

La France ne se résume pas l’Hexagone. Les outre-mers français sont aussi des composantes de la France… et lui offrent un immense espace maritime, avec la deuxième Zone économique exclusive du monde. Pourtant, les outre-mers et la ZEE française sont deux « vides » du discours commun au sujet de la France dans le monde. Yan Giron met donc ici en relation deux sujets méconnus mais stratégiques : les outre-mers et leur dimension maritime. Il y a ajoute sa signature : les nouveaux risques maritimes. Illustré par plusieurs cartes.

. Vidéo. Emilie Richard Les villes des outre-mers français face aux risques

L’outre-mer français est soumis à des climats difficiles. La plupart des terres ultramarines sont situées dans des zones tropicales ou équatoriales (Caraïbes, Amérique du Sud, Océan Indien, Polynésie…) ; les autres relèvent de climats froids rigoureux. En outre, du fait de sa situation géographique, la France d’outre-mer est davantage exposée que la métropole à des risques naturels, cycloniques, sismiques ou volcaniques. Les inégalités qui sous-tendent la vulnérabilité de ces territoires soulignent l’idée essentielle que le risque est un objet politique.

. Yvette Veyret, Une catastrophe inévitable : Saint-Martin (Antilles), une île à risques majeurs

Au terme d’une étude géographique rigoureuse, Y. Veyret pose les questions éludées par la couverture médiatique de la catastrophe de Saint-Martin.

. Stéphane Granger, La Guyane, collectivité française et européenne d’outre-mer entre plusieurs mondes

Toujours en quête d’une plus grande affirmation politique et identitaire et d’un développement permettant d’assurer un débouché aux dizaines de milliers de jeunes sous-employés et une meilleure insertion régionale, les Guyanais sont tiraillés entre leurs multiples appartenances et contradictions.

Cette exceptionnelle étude présente successivement l’affirmation politique et statutaire de la Guyane (I), de l’affirmation identitaire à l’insertion continentale progressive (II), les contradictions d’un territoire français en Amérique du Sud (III), et les perspectives, entre isolement, protection et ouverture (IV). Illustré de trois documents réalisés par Charlotte Bezamat-Mantes. Enrichi postérieurement à la publication d’une chronologie du mouvement social de mars-avril 2017 en Guyane, en pied de page.

. François-Michel Le Tourneau, Découvrez la vie des chercheurs d’or qui pratiquent l’orpaillage clandestin en Guyane française. Entretien avec F.-M. Le Tourneau

Cet entretien avec François-Michel Le Tourneau éclaire la vie des chercheurs d’or qui pratiquent l’orpaillage clandestin en Guyane française, en Amérique latine. L’exploitation illégale de cette ressource révèle combien un monde parallèle se joue ici des frontières et de la souveraineté françaises sur certaines parties de ce territoire situé au Nord du Brésil et à l’Est du Surinam. En Guyane française, les « garimpeiros » acteurs à l’origine du système de l’orpaillage clandestin ou qui en profitent directement ne sont pas des acteurs guyanais. Le terme « garimpeiros », sous-entend en effet un vrai système aux composantes multiples, à la fois économiques, sociales et culturelles, créé au Brésil et qui étend ses ramifications dans l’Amazonie brésilienne, en Guyane française, au Suriname, et jusqu’en Bolivie.

. Maelig Terrien, Quelle direction stratégique pour la politique française contre l’orpaillage illégal en Guyane ?

Construit sur une enquête de terrain, cet article fait un bilan critique de la politique française contre l’orpaillage clandestin en Guyane. L’auteur s’interroge sur la politique publique mise en oeuvre et ses contradictions. Avec deux cartes et un assemblage de deux photos.

. Hervé Théry, France-Brésil : un pont géopolitique

Pourquoi construire un pont aussi grandiose sur l’Oyapock alors que l’on n’attend qu’un trafic très limité, qui aurait très probablement pu être absorbé sans difficulté – à un coût infiniment moindre – en renforçant le service des bacs qui assuraient déjà la traversée ? Cela ne s’explique que dans une perspective géopolitique régionale. (3 illustrations dont 1 carte de situation)

. Population & Avenir, Schéma de la Guyane, territoire ultramarin de l’Union européenne

Un schéma pour comprendre l’organisation spatiale de la Guyane française. Sortez vos crayons et vos feutres…

. Vidéo. La France une puissance de l’Indo-Pacifique ? P. Milhiet

Les problématiques géopolitiques dans l’Indo-Pacifique français sont à la fois différenciées et imbriquées à toutes les échelles d’analyses : internationales, régionales, nationales, locales. Depuis le Brexit (2020), la France reste le dernier interlocuteur membre de l’Union européenne (UE) souverain dans la zone, une occasion unique de réaffirmer son rôle de grande puissance européenne.

La stratégie promue par l’État place de facto les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique à la confluence de projets géopolitiques concurrents. Pourquoi ? Cette passionnante conférence l’explique clairement, à plusieurs échelles.

. Vidéo. Christian Lechervy La Nouvelle-Calédonie

Ambassadeur et Secrétaire permanent pour le Pacifique à la date de cette conférence, Christian Lechervy présente la situation géopolitique de la Nouvelle-Calédonie, de façon à la fois claire et précise. Une présentation documentée particulièrement bienvenue dans le contexte de la consultation référendaire fixée au 4 novembre 2018. L’occasion de découvrir comment s’organise déjà une souveraineté partagée.

. Paco Mihliet, Géopolitique de l’outre-mer. Quelle concurrence France / Chine en Polynésie française ?

« On ne peut être Français le lundi, et Chinois le mardi » a récemment déclaré le président de la République française à l’occasion d’un déplacement en Polynésie française. Paco Milhet présente un décalage entre la stratégie nationale et le contexte géopolitique local. Il décode les contradictions des jeux d’acteurs à plusieurs échelles.

. Aline Amodru-Dervillez, Quelles sont les chances de la France dans la bataille numérique en Océanie ?

Dans un environnement géopolitique mouvant, les collectivités françaises du Pacifique développent une stratégie pour devenir des acteurs majeurs de l’Océanie et créer un « Pacific French Tech ». Les enjeux sont considérables, et les difficultés restent présentes. Cette étude solidement documentée est à la fois un éclairage des collectivités françaises d’outre-mer en Océanie, et une présentation d’une dimension méconnue des enjeux numériques présents et à venir. Quatre cartes inédites.

. Paco Milhiet, L’Indo-Pacifique français en 2022, retour sur une année charnière

Stratégie nationale et réalités locales ne se superposent pas systématiquement dans l’Indo-Pacifique français. Si les collectivités françaises de l’Indo-Pacifique sont amenées à devenir une composante importante des relations internationales françaises, celles-ci doivent être considérés dans leurs spécificités, pas seulement pour leur intérêt géostratégique. Les organismes, institutions et think tanks français doivent en conséquence se spécialiser sur ces problématiques par un travail de formation et de sensibilisation indispensable, mais aussi en valorisant les compétences existantes notamment dans chaque collectivité d’outre-mer. Un tableau inédit par Paco Milhiet, auteur de « Géopolitique de l’Indo-Pacifique. Enjeux internationaux, perspectives françaises », préface de Christian Lechervy, éditions Le Cavalier bleu.

. François Guilbert, France. Outre-Mer. La Polynésie française se dote d’une nouvelle diplomatie parlementaire

Cette étude approfondie présente comment la Polynésie française met le cap sur la francophonie régionale et institutionnelle et ouvre des coopérations parlementaires polynésiennes à la Mélanésie. L’auteur explique enfin comment la diplomatie parlementaire polynésienne s’élargit à l’ensemble Pacifique insulaire. Accompagné d’une carte.

. François Guilbert, Wallis-et-Futuna dans l’arène internationale

Le Président de la République visite Wallis-et-Futuna les 21 et 22 février 2016, un territoire de la République française qui n’est pas aussi isolé du reste du monde que peut le laisser penser un regard trop rapidement jeté sur une mappemonde et les immensités de l’Océanie. L’insertion de Wallis-et-Futuna sur la scène internationale prend comme chez ses voisins des chemins institutionnels, économiques mais aussi culturels, éducatifs, environnementaux, religieux, sanitaires ou encore sportifs. Même les plus petits territoires de la République trouvent leur place dans l’ordonnancement du monde et ses segments (sous)-régionaux, encore faut-il s’y montrer attentif. Partons à la découverte. Illustré de nombreux documents.

. François Guilbert, Le Pacifique insulaire face au COVID-19 : quelles solidarités et compétitions stratégiques ?

Voici une étude remarquablement documentée pour connaître les solidarités et compétitions stratégiques dans le Pacifique insulaire face au COVID-19. Tous les États et territoires du Pacifique ne sont pas atteints cliniquement par le COVID-19 ; Une gestion de crise mettant en première ligne les ex-puissances tutélaires ; Un coût économique élevé pour le Pacifique insulaire ; Faire face à la montée de la puissance chinoise dans le Pacifique. Illustré d’une carte et quatre tableaux.

. Charlotte Bezamat-Mantes, Pierre Verluise, Carte. Les États-Unis dans la zone Indo-Pacifique en 2021 : accords de coopération, de défense et alliances militaires

Une forte tension survient mi-septembre 2021 entre Paris et Washington DC lorsque l’annonce de la création d’un pacte de sécurité trilatéral appelé AUKUS est fatal à la vente à l’Australie de sous-marins français (Naval Group). Cette carte inédite offre une vision d’ensemble des accords de coopération, de défense et alliances militaires des États-Unis dans une zone d’importance stratégique croissante… où la France espérait bien marquer des points. Carte grand format en pied de page.

. Michel Foucher, Pierre Verluise, Pourquoi des mondes francophones ? Entretien avec Michel Foucher

A propos de francophonie, pourquoi parler de pluralité ? Comment caractériser les présences francophones en Europe, en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique ? Peut-on distinguer des francophonies du Nord et du Sud ? Pourquoi la France est-elle, paradoxalement, le premier chantier de la francophonie ? Et demain, quelle place pour les francophonies dans un monde globalisé post-covid19 ?

. Olivier Kempf, Quelle puissance – relative – de la France ?
Comment caractériser la puissance française ? Quelle est la fonction de la thématique du déclin ? Comment exprimer son rêve de puissance ? Quelle stratégie ? Le général (2S) O. Kempf apporte des réponses stimulantes particulièrement bienvenues dans le contexte présent. Avec en bonus un résumé par Anna Monti, validé par O. Kempf.

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La société paramilitaire russe Wagner a reconnu ce lundi avoir subi de lourdes pertes dans le nord du Mali au cours de violents combats contre des miliciens touaregs. Les mercenaires russes et l’armée malienne (FAMa) auraient subi des attaques « massives » de la part des rebelles anti-gouvernementaux et des combattants djihadistes.

La chaîne Telegram « Razgrouzka Wagnera » a publié une déclaration attribuée au groupe Wagner, qui explique que « du 22 au 27 juillet 2024, les militaires de la FAMa et les combattants du 13e groupe d’assaut de Wagner (…) ont mené de violents combats avec des militants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et du groupe terroriste interdit en Russie +Al-Qaida au Sahel+ (JNIM) ».

Les combattants de Wagner étaient commandés par Sergueï Chevtchenko, nom de code « Proud », selon cette source. « Le premier jour, le groupe de Proud a éliminé une grande partie des islamistes et a entraîné la fuite des autres. Cependant, une tempête de sable est survenue et a permis aux radicaux de se regrouper et d’augmenter leurs effectifs jusqu’à 1.000 personnes », poursuit la déclaration. Des renforts ont ensuite été envoyés sur place sur décision du chef du détachement de Wagner qui, toujours selon ce communiqué, a repoussé ensuite le 25 juillet une attaque de l’ennemi.

Mais, les 26 et 27 juillet, « les radicaux ont augmenté le nombre d’attaques massives en utilisant des armes lourdes, des drones et des voitures piégées, ce qui a entraîné des pertes au sein de Wagner et des soldats de la FAMa.  » Le dernier message envoyé par les combattants de Wagner à Tinzaouaten a été reçu le 27 juillet et disait : « Nous ne sommes plus que trois. Nous continuons à nous battre. » La SMP russe a même précisé que le chef de son détachement, Sergueï Chevtchenko, avait été tué au combat.

Le mouvement récemment formé par les rebelles nordistes qui luttent contre le pouvoir de Bamako, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), avait affirmé dès samedi avoir tué ou capturé des mercenaires russes et des soldats maliens près de la ville de Tinzaouaten, proche de la frontière avec l’Algérie. Selon les rebelles, qui ont diffusé de nombreuses vidéos montrant les corps de leurs victimes et du matériel capturé, des dizaines de mercenaires russes et soldats maliens ont été tués ou capturés au cours de cette bataille. Les rebelles ont aussi revendiqué la destruction d’un hélicoptère d’attaque Mi-24 de l’armée de Bamako.

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

par Michael BRENNER* – TRIBUNE LIBRE N°156 / juillet 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/etats-unis-lhegemonie-ou-lechec/


*Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

La nouveauté amène les observateurs à fouiller dans leur inventaire d’idées et de concepts pour en trouver un qui corresponde à la situation internationale que nous connaissons. Son application est censée donner un peu de sens aux nouveaux phénomènes qui apparaissent. Nombreux sont ceux qui se contentent de cela, même si leur description comporte des dénominations inappropriées ou des connotations ambiguës. Il en va ainsi de concepts tels que « populisme », « fascisme » et « hégémonie ». Tous sont en vogue ; tous sont employés à toutes les sauces si bien que ces termes ont perdu toute capacité de clarification pour expliquer les phénomènes en question.

Examinons le dernier en date : l’hégémonie. Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel sur la place des États-Unis dans le monde : ce qu’elle a été, sa durabilité et la manière qu’ils ont de formuler les intérêts nationaux du pays.

 

Hégémonie 

L’hégémonie est la domination sur des lieux, des élites politiques, des institutions de manière à contrôler ce qu’un État fait dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes de portée, de méthodes et de degrés de contrôle. L’hégémonie américaine, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son champ d’action. Après 1991, elle a pris une dimension mondiale, l’objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C’est toujours le cas aujourd’hui. (Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui est devenu depuis lors le modèle de la politique étrangère américaine[1]). Pendant la Guerre froide, la préoccupation des États-Unis était la sécurité, leurs moyens étant principalement militaires – bien qu’étayés par un réseau dense de relations économiques favorables partiellement institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi (1992-2022), l’accent s’est progressivement déplacé vers la stratégie politico-économique à multiples facettes du néolibéralisme. Ce changement dans l’équilibre entre puissance « dure » et « semi-douce » n’a jamais éclipsé les considérations purement militaires, comme en témoignent :

  1. a) l’engagement publiquement déclaré du Pentagone en faveur d’une supériorité militaire à large spectre afin d’assurer une domination par escalade dans chaque région contre tout ennemi imaginable,
  2. b) les interventions dispersées menées au nom de la guerre mondiale contre la terreur,
  3. c) l’expansion incessante de l’OTAN.

La volonté de Washington d’utiliser la force pour imposer sa volonté, qui s’exprime aujourd’hui par une attitude agressive à l’égard de la Russie et de la Chine, n’a pas éteint la croyance idéaliste kantienne selon laquelle la propagation de la démocratie constitutionnelle, accompagnée des récompenses tangibles promises par l’indépendance économique mondiale, est la garantie la plus sûre de la stabilité internationale. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. L’accomplissement de cette téléologie présumée, cependant, a dicté l’utilisation de la puissance dure pour contrecarrer ou subjuguer ceux qui pourraient la défier.

Aujourd’hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une position où l’objectif de l’hégémonie mondiale est devenu inaccessible – selon toute norme raisonnable, pour des raisons objectives. Pourtant, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas – accepter cette conclusion logique. Cette réticence est à la fois intellectuelle, idéologique et émotionnelle. La psychologie complexe d’une grande puissance en déclin qui jouissait d’un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la croyance en une exception innée la destinant à être le point de mire d’idées qui allaient remodeler le monde, rend l’analyse de ce comportement déconcertante. Ce que nous pouvons dire, c’est que la perspective d’un statut réduit est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d’une sécurité absolue et d’une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu’ils ont accompli chez eux et à l’étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu’il se sentait sur le point d’accomplir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d’année en année. C’est là que le bât blesse.

L’affaiblissement des performances est l’une des choses les plus difficiles à gérer pour l’être humain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation.  Par nature, nous apprécions notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et ses signes d’extinction. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l’individu et la personnalité collective sont inséparables. Aucun autre pays n’essaie aussi inlassablement de vivre sa légende que les États-Unis. Pour de nombreux Américains – à l’ère de l’anxiété et de l’insécurité – le sentiment d’estime de soi et de valeur personnelle est fondé sur leur association intime avec l’appartenance à une nation vertueuse et dotée d’un pouvoir unique. Aujourd’hui, des événements se produisent qui contredisent le récit américain d’une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise[2].

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d’affronter ce dilemme de front. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux sur les objectifs et les moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux couloirs du pouvoir décisionnel. Tous observent la même écriture sainte et chantent le même cantique. Résultat : une pensée de groupe profondément ancrée, imperméable aux preuves contradictoires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues. Cela soulève une question troublante : la conduite des États-Unis sur la scène internationale doit-elle être comprise comme une détermination raisonnée à suivre la voie choisie, quelles que soient les chances d’atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien observons-nous des actions compulsives enracinées dans des émotions et des états d’esprit profondément ancrés, réifiés dans l’hégémonie doctrinale ?

 

Pourquoi l’hégémonie ?

La préoccupation première de tout État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n’y a pas d’autorité supérieure qui fixe et applique des règles de comportement. D’où l’omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C’est la caractéristique des relations internationales. Ce truisme soulève toutefois des questions fondamentales. La situation dans laquelle se trouve un État n’est pas figée ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu’un État pourrait suivre pour se protéger dans l’une ou l’autre de ces conditions.

Évidemment, ces options théoriques sont limitées par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d’autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est limité par des conditions objectives.

La détermination de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l’histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche de la sécurité absolue – ou d’une certaine approximation de celle-ci. Même dans ce cas, il convient d’évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? Pour cette génération ? Jusqu’à ce qu’un changement envisagé dans l’équilibre des forces se produise ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C’est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était le danger planant posé dans les premières années par une Grande-Bretagne qui nourrissait l’espoir d’un châtiment et d’une restauration, comme cela s’est manifesté lors de la guerre de 1812. Au cours du siècle suivant, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d’autres États qu’en raison de leurs propres ambitions d’étendre leurs territoires. (contre l’Espagne en 1819 et 1898 ; contre le Mexique en 1848). Il s’agissait de choix, en aucun cas d’une nécessité. Il en va de même pour l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l’aise avec le statu quo d’avant-guerre qu’avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Néanmoins, l’évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle qu’elle était – ne pouvait pas être réalisée dans un avenir proche. C’est donc à juste titre qu’elle a été qualifiée de « guerre de choix » plutôt que de guerre de nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prédestiné, que les États-Unis reviennent au néo-isolationnisme pendant l’entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour leur sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor ; l’explosion d’une bombe nucléaire par l’Union soviétique ; et le 11 septembre 2001. Ce dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace de l’URSS. Au cours de la décennie écoulée, les élites politiques des États-Unis se sont senties rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à exploiter les conditions favorables à l’échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante dans laquelle aucune menace ne pourrait se matérialiser. Une stratégie multiforme était nécessaire pour étendre et approfondir l’influence américaine, pour affirmer l’allégeance et la déférence des autres États, et pour se préparer à l’utilisation de la force si nécessaire pour prévenir l’émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l’heure actuelle, son enracinement dans l’esprit des dirigeants du pays est illustré par notre attitude de confrontation à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’une série d’États moins redoutables que Washington considère comme hostiles ou antagonistes, d’une manière ou d’une autre. Comme l’a déclaré Joe Biden le 5 juillet 2024 : « non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde ». Cela peut sembler une hyperbole, mais nous sommes la nation essentielle du monde. Interpolation : Nous devrions diriger le monde entier – pour le bien du monde et pour le nôtre.

L’expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s’agit pas d’un besoin de sécurité manifeste puisqu’il n’existe pas de menace manifeste pour l’intégrité territoriale ou l’intégrité politique des États-Unis. Il ne s’agit pas non plus d’une menace pour nos principaux alliés ou partenaires, même si l’on s’imagine que Poutine est un autre Hitler et qu’il existe un complot diabolique de la Chine pour nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c’est l’hégémonie américaine telle que la conçoit Wolfowitz. Cette hégémonie est nécessaire non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l’exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l’état des lieux lorsque l’équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont ressenti un sentiment d’urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d’une batterie de sanctions. Pendant qu’il « tergiversait », la Chine et la Russie se sont renforcées, ce qui exigeait une réaction rapide de peur que leur progression n’échappe à tout contrôle. Ces deux nations avaient le couteau entre les dents ; elles avaient un plan. Les principaux acteurs internationaux partageaient alors une carte cognitive claire – bien qu’unidimensionnelle – de l’environnement mondial : l’objectif était gravé dans le granit et leur croyance en l’efficacité de la puissance américaine était sans réserve. Les principaux éléments étaient les suivants. La Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l’incitant à s’abriter sous l’aile de l’Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en l’affaiblissant gravement par une combinaison d’expansion de l’OTAN et de sanctions économiques, dans l’espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden en mars 2022 : « Cet homme doit partir« . La Chine devait être contenue par la formation d’une ceinture d’alliances dirigées par les Américains en Asie, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l’Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l’indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. Les « Bidens » s’attendaient à ce qu’une telle stratégie entraîne une stagnation de l’économie chinoise et une diminution proportionnelle de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, elles pourraient être traitées en mobilisant l’arsenal  de coercition militaire de l’Amérique contre elles.

Cette stratégie de grande envergure impliquait un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Pendant la Guerre froide avec l’URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un historien de l’Antiquité caractérisait ainsi les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes : « Chaque empire devait respecter les sensibilités de l’autre. Pousser trop loin risquait d’entraîner une guerre bien plus grave qu’aucune des deux parties ne souhaitait »[3]. Les dirigeants américains d’aujourd’hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme un souvenir désuet d’une époque révolue.

Ces plans de Washington à l’égard de la Russie et de la Chine ont eu en commun 1) d’être fondés sur une profonde méconnaissance des deux pays ; et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l’Occident par rapport à ses rivaux présumés. La démonstration brutale, par la débâcle de l’Ukraine et la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient fausses n’a pas encore été assimilée par la communauté américaine des affaires étrangères.

La vérité évidente est que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible la réalisation de l’objectif hégémonique. En effet, la trajectoire actuelle indique un changement inexorable des lieux de pouvoir et d’interaction internationaux vers un système mondial différent (bien que toujours interdépendant), multinodal – pour reprendre le terme approprié de Chas Freeman.

Le sentiment exalté qu’a l’Amérique d’elle-même est le principal obstacle qui l’empêche d’accepter cette réalité inconfortable. Elle a suscité l’envie de se prouver à elle-même (et au reste du monde) qu’elle reste le paladin mondial en lançant une série d’entreprises destinées à repousser ses ennemis et ses rivaux tout en revigorant les liens avec ses vassaux et ses fidèles. Cette ambition audacieuse et vouée à l’échec de s’assurer une domination mondiale n’est pas le fruit d’un jugement stratégique froid. Il s’agit plutôt de la matérialisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C’est la stratégie de la fuite en avant d’un pays souffrant d’une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d’identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une voie qui ne permet aucune déviation, aucune adaptation, aucune décélération.  Tout ou rien : l’hégémonie ou l’Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux développements qui modifient les chances de cette issue. Ces évolutions ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La performance honteuse de l’Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a dissous la position des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé d’intentions décentes. C’est la fin du soft power tel qu’il existait. Bien sûr, les souhaits de Washington sont toujours considérés comme des ordres autoritaires par sa coterie de vassaux dénaturés dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires, ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain.

 

Une alternative est possible

Il existe une autre alternative, radicale, fondée sur la conviction qu’il est possible d’élaborer une stratégie à long terme visant à entretenir des liens cordiaux avec la Russie et la Chine et à favoriser les domaines de coopération. Cette stratégie reposerait sur la reconnaissance commune qu’un engagement mutuel en faveur du maintien de la stabilité politique et de l’élaboration de mécanismes de prévention des conflits sert au mieux leurs intérêts à long terme. Cette idée n’est pas aussi farfelue qu’on pourrait le croire à première vue.

L’idée d’un concert des grandes puissances vient à l’esprit. Toutefois, nous devrions envisager un arrangement assez différent du concert historique de l’Europe qui a vu le jour à la Conférence de Vienne au lendemain des guerres napoléoniennes (1815). D’une part, l’objectif ne serait pas de renforcer le statu quo par la double stratégie consistant à s’abstenir de tout conflit armé entre les États signataires et à réprimer les mouvements révolutionnaires susceptibles de mettre en péril les régimes en place. Les caractéristiques de ce concert étaient les suivantes : la concentration du pouvoir entre les cinq grands cogestionnaires du système, l’étouffement des réformes politiques dans toute l’Europe et le mépris des forces apparaissant en dehors de leur champ d’action.

En revanche, un concert contemporain entre les grandes puissances assumerait la responsabilité de prendre la tête de la conception d’un système mondial fondé sur les principes complémentaires d’ouverture, d’égalité souveraine et de promotion de politiques qui produisent des résultats à somme positive. Plutôt que d’être dirigées par un directoire, les affaires internationales seraient structurées par :

  1. a) des institutions internationales dont la philosophie serait modifiée, ouvertes à la prise de décision multilatérale et adoptant des mesures de déconcentration qui donneraient des pouvoirs aux organismes régionaux ;
  2. b) un modèle de consultation entre les gouvernements qui, par leur poids économique et leurs capacités militaires, devraient tout naturellement jouer un rôle informel dans le fonctionnement du système ;
  3. c) des mesures visant à régulariser la participation d’autres États.

Quid de la légitimité ? Elle doit être établie par la conduite et la performance. La chute drastique du respect pour le leadership mondial américain facilitera ce processus – comme le démontrent déjà les succès des BRICS.

Le point de départ crucial d’un tel projet est une rencontre des esprits entre Washington, Pékin et Moscou – accompagnée d’un dialogue avec New Delhi, Brasilia, etc. Il y a des raisons de croire que les conditions, objectivement parlant, sont propices à une entreprise de cet ordre depuis plusieurs années. Cependant, l’Occident ne l’a jamais reconnu et l’a encore moins sérieusement envisagé – une occasion historique perdue.

Le facteur suffisant le plus important est le tempérament des dirigeants chinois et russes. Xi et Poutine sont des dirigeants rares. Ils sont sobres, rationnels, intelligents, très bien informés, capables d’une vision large et, tout en se consacrant à la défense de leurs intérêts nationaux – avant tout le bien-être de leurs peuples -, ils ne nourrissent pas d’ambitions impériales. En outre, ils sont chefs d’État depuis longtemps. Ils disposent du capital politique nécessaire pour investir dans un projet d’une telle ampleur et d’une telle perspective. Malheureusement, Washington n’a pas eu de dirigeants au caractère et aux talents similaires.

Les réunions au sommet de Bush, Obama, Trump ou Biden se sont toujours concentrées sur des questions de détail ou sur des instructions concernant ce que leur homologue devrait faire pour se conformer à la vision américaine du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’une perte de temps précieux par rapport à l’impératif de promouvoir une perspective mondiale commune à long terme. Pour entamer un dialogue sérieux, il serait judicieux qu’un président doté de qualités d’homme d’État s’assoie seul avec Poutine et Xi et leur pose la question suivante : « Que voulez-vous, président Poutine/président Xi ? Comment voyez-vous le monde dans 20 ans et la place de votre pays dans ce monde ? » Seraient-ils prêts à donner une réponse articulée ? Poutine, certainement. C’est exactement ce qu’il a proposé depuis 2007, à de nombreuses reprises, de vive voix ou dans ses écrits. Au lieu de cela, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, depuis 2014, a été traité comme un paria menaçant qu’il faut diffamer et insulter personnellement. 

Voici le point de vue de Barack Obama : Le président russe est un homme « physiquement banal« , comparé aux « patrons de quartier durs et rusés qui dirigeaient la machine de Chicago« . Ce commentaire, tiré du premier volume des mémoires publiées par Obama[4], en dit plus long sur son propre ego, à la fois gonflé et vulnérable, que sur le caractère de Poutine. En fait, c’est la machine de Chicago, ainsi que l’argent et les encouragements du réseau Pritzker[5], qui ont fait d’Obama ce qu’il est devenu. Contraste : lorsque Bismarck a rencontré Disraeli lors de la conférence de Berlin de 1878 – allant même jusqu’à l’inviter deux fois à manger chez lui, alors qu’il était juif – il n’a pas harcelé le Premier ministre britannique au sujet des restrictions commerciales imposées aux exportations allemandes de textiles et de produits métallurgiques, ni au sujet des mauvais traitements systématiques infligés par les Britanniques aux travailleurs des plantations de thé dans l’Assam. Il n’a pas non plus commenté son physique. Bismarck était un homme d’État sérieux, contrairement aux personnes à qui nous confions la sécurité et le bien-être de nos nations. 

Le résultat est que Poutine et Xi semblent perplexes quant à la manière de traiter avec leurs homologues occidentaux incapables qui ignorent les préceptes élémentaires de la diplomatie. Cela devrait également nous préoccuper – à moins, bien sûr, que nous n’ayons l’intention de mener notre « guerre » de manière linéaire, en faisant peu de cas de la réflexion des autres parties

Le vitriol que ses homologues occidentaux jettent sur Poutine avec une telle véhémence a quelque chose d’énigmatique. Cette attitude est manifestement disproportionnée par rapport à ce qu’il a fait ou dit, même si l’on déforme l’histoire sous-jacente de l’Ukraine. La condescendance d’Obama suggère une réponse. Au fond, son attitude reflète l’envie dans le sens où il a inconsciemment reconnu en Poutine quelqu’un qui lui est clairement supérieur en termes d’intelligence, de connaissance des questions contemporaines et de l’histoire, d’éloquence, de sens politique et – très certainement – d’habileté diplomatique. Essayez d’imaginer l’un de nos dirigeants imitant la performance de Poutine en organisant des séances de questions-réponses de trois heures avec la presse internationale ou avec des citoyens de tous bords, répondant directement, en détail, de manière cohérente et de bonne grâce. Biden ? Trudeau ? Scholz ? Sunak ? Starmer ? Macron ? Von der Leyen ? Kaja Kallis ? Même pas Barack Obama qui nous servirait des sermons en conserve dans un langage de haute voltige n’ayant pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est pourquoi la classe politique occidentale évite assidûment de prêter attention aux discours et aux conférences de presse de Poutine – loin des yeux, loin du cœur. Elle préfère agir en se référant à la caricature plutôt qu’à l’homme réel.

Aujourd’hui, à l’ère de l’Ukraine, le consensus rigide de Washington est que Vladimir Poutine est la quintessence du dictateur brutal – fou de pouvoir, impitoyable et n’ayant qu’une prise ténue sur la réalité. En effet, il est devenu courant de l’assimiler à Hitler, comme l’ont fait des figures de proue de l’élite du pouvoir américain telles que Hillary Clinton et Nancy Pelosi, ainsi que des « faiseurs d’opinion » à foison. 203 titulaires du prix Nobel ont mêm prêté leur cerveau collectif et leur notoriété à une « lettre ouverte » dont la première phrase associe l’attaque de la Russie contre l’Ukraine à l’assaut d’Hitler contre la Pologne en septembre 1939. 

Malheureusement, l’argument selon lequel ceux qui prennent des décisions cruciales en matière de politique étrangère devraient se donner la peine de savoir de quoi ils parlent est largement considéré comme radical, voire subversif. En ce qui concerne Poutine, il n’y a absolument aucune excuse pour une telle ignorance à son égard. Il a présenté son point de vue sur la manière dont la Russie envisage sa place dans le monde, ses relations avec l’Occident et les règles d’un système international souhaité. Il a fait cela  de manière complète, éclairée par l’histoire et plus cohérente que n’importe quel autre dirigeant national que je connaisse. Les déclarations à l’emporte-pièce « nous sommes le numéro un et nous le serons toujours – vous feriez mieux de le croire » (Obama) ne sont pas son style. Le fait est que l’on peut être troublé par ses conclusions, mettre en doute sa sincérité, soupçonner des courants de pensée cachés ou dénoncer certaines actions. Mais cela n’a de crédibilité que si l’on s’est intéressé à l’homme en se basant sur les éléments disponibles et non sur des caricatures de dessins animés. De même, nous devrions reconnaître que l’attitude de la Russie n’est pas du spectacle et qu’il nous incombe de prendre en compte la réalité plus complexe de la gouvernance et de la politique russes.

Le président chinois Xi a échappé à la diffamation personnelle dont Poutine a fait l’objet – jusqu’à présent. Mais Washington n’a pas fait plus d’efforts pour engager avec lui une discussion sur la forme future des relations sino-américaines et sur le système mondial dont ils sont destinés à être ensemble les principaux gardiens. Xi est plus insaisissable que Poutine. Il est beaucoup moins direct, plus réservé et incarne une culture politique très différente de celle des États-Unis ou de l’Europe. Pourtant, ce n’est pas un idéologue dogmatique ni un impérialiste avide de pouvoir. Les différences culturelles peuvent trop facilement devenir une excuse pour éviter l’étude, la réflexion et l’exercice d’imagination stratégique qui s’imposent.

L’approche décrite ci-dessus vaut les efforts – et les faibles coûts – qu’elle entraine. En effet, ce sont les accords entre les trois dirigeants (et leurs collègues de haut rang) qui sont de la plus haute importance. En d’autres termes, il s’agit de s’entendre sur la manière dont ils perçoivent la forme et la structure des affaires mondiales, sur les points où leurs intérêts s’opposent ou convergent, et sur la manière de relever le double défi consistant à : 1) gérer les points de friction qui peuvent surgir ; et 2) travailler ensemble pour assurer les fonctions de « maintenance du système » dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

À l’heure actuelle, il n’y a aucune chance que les dirigeants américains aient le courage ou la vision nécessaire pour s’engager dans cette voie. Ni Biden et son équipe, ni leurs rivaux républicains ne sont à la hauteur. En vérité, les dirigeants américains sont psychologiquement et intellectuellement incapables de réfléchir sérieusement aux conditions d’un partage du pouvoir avec la Chine, avec la Russie ou avec n’importe qui d’autre – et de développer des mécanismes pour y parvenir à différentes échéances. Washington est trop préoccupé par l’équilibre naval en Asie de l’Est pour réfléchir à des stratégies générales. Ses dirigeants sont trop complaisants à l’égard des failles profondes de nos structures économiques, et trop gaspilleurs en dissipant des billions dans des entreprises chimériques visant à exorciser un ennemi mythique pour se préparer à une entreprise diplomatique du type de celle à laquelle une Amérique égocentrique n’a jamais été confrontée auparavant.

Nous sommes proches d’un état qui se rapproche de ce que les psychologues appellent la « dissociation ».  Elle se caractérise par une incapacité à voir et à accepter les réalités telles qu’elles sont pour des raisons émotionnelles profondes. La tension générée pour une nation ainsi constituée lorsqu’elle est confrontée à la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est constituée par les attitudes et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes.


[1] Le credo de Wolfowitz anime presque tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes bruts. Les quelques non-croyants n’ont rien à voir avec le discours de politique étrangère de l’Amérique. Si vous préconisez un engagement avec Téhéran et un dialogue avec Poutine, vous êtes rejeté comme hérétique – comme les gnostiques, puis les Cathares, sauf que ces derniers ont au moins reconnu le Christ (l’exceptionnalisme américain) et Satan (Poutine/Khamenei) avant qu’on ne leur administre leur juste châtiment.

Ce récit historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables du consensus actuel des élites, qui porte l’empreinte du modèle Néo-Con/Wolfowitz :

– premièrement, sa conquête presque totale de l’esprit américain a réussi malgré un record inégalé d’échecs – dans l’analyse et dans l’action : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout couronné par la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (erreur fatale de lecture de la Russie) ;

– deuxièmement, l’administration Biden a presque officiellement annoncé que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride globale contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était concevable pour l’encourager. Pourtant, l’élite de la politique étrangère, la classe politique et le public ont accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans broncher. Le pays s’est engagé sur une voie funeste dans un état d’inconscience induit par une coterie volontaire de vrais croyants inspirés par un dogme enveloppé d’ignorance et poursuivis dans une incompétence stupéfiante.

[2] Sur le plan psychologique, cette approche est compréhensible, car elle joue sur la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une force matérielle – perpétuant ainsi les mythes nationaux d’être destiné à rester le numéro un mondial pour toujours, et d’être en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains. Le président Obama s’est exclamé : « Laissez-moi vous dire quelque chose.  Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la planète.  Un point c’est tout. Cette période est loin d’être finie [répété trois fois !]« .  Et alors ?  S’agit-il d’une révélation ? Quel est le message ? À qui s’adresse-t-il ?  Est-ce différent de quelqu’un qui crierait : Allah Akbar ! Les mots qui ne sont ni un prélude à l’action, ni une incitation à l’action, ni même une information, ne sont que du vent.  En tant que telles, elles constituent un autre moyen d’évitement – une fuite de la réalité. Elles ne trouvent pas d’oreilles attentives à Londres, Bruxelles, Berlin et Canberra. Lors des sommets de l’OTAN et du G7, on entend la récitation en chœur de la Shahada : « Il n’y a qu’un seul Dieu – l’Oncle Sam – et Wolfowitz est son prophète ». Pourtant, aucun président n’ose répéter l’exclamation d’Obama à Moscou, Pékin, New Delhi, Brasilia, Riyad, Brasilia, Jakarta ….

La tension associée à la rencontre d’une nation ainsi constituée avec la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est l’attitude et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes. Ce phénomène s’accompagne d’une appréhension croissante dans le pays que la suprématie des États-Unis dans le monde est en train de s’évanouir, de la sensation de perdre ses prouesses nationales, de voir sa maîtrise menacée. Cela génère une préférence pour la recherche de résultats clairs dans un délai relativement court, qui rassurent en confirmant la croyance optimiste en l’exceptionnalisme américain.

[3] Adrian Goldsworthy Rome and Persia : The Seven Hundred Year Rivalry, Basic Books, 2023.

[4] Une terre promise, Fayard, 2020.

[5] Famille de milliardaires américains qui joue un rôle majeur dans la vie politique des Etats-Unis depuis plusieurs générations.

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais

L’armée israélienne prépare une «offensive décisive» contre le Hezbollah libanais


La fumée s'élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d'Israël, le 25 juillet 2024

La fumée s’élève au-dessus du Liban, au milieu des hostilités transfrontalières entre le Hezbollah et les forces israéliennes, vue depuis le nord d’Israël, le 25 juillet 2024 Avi Ohayon / REUTERS

Après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers entre les deux forces armées, le général israélien Ori Gordin a déclaré avoir déjà éliminé «plus de 500 terroristes au Liban» et «préparer la transition vers l’offensive».

Un commandant de l’armée israélienne a indiqué ce vendredi 26 juillet que les troupes dans le nord du pays, où Israël partage une frontière avec le Liban, se préparaient à une «offensive décisive» contre le Hezbollah, après des mois d’échanges de tirs transfrontaliers. Le mouvement islamiste libanais Hezbollah et l’armée israélienne échangent des tirs quasi quotidiennement depuis l’attaque le 7 octobre du mouvement islamiste palestinien Hamas en Israël, qui a déclenché la guerre dans la bande de Gaza.

Dans un discours prononcé lors d’un déplacement dans le Nord, le général israélien Ori Gordin, a déclaré aux soldats: «nous avons déjà éliminé plus de 500 terroristes au Liban, la grande majorité d’entre eux appartenant au Hezbollah», selon un communiqué de l’armée. Les troupes israéliennes dans le Nord sont actuellement en opération pour protéger les habitants de cette partie du pays et «préparer la transition vers l’offensive», a ajouté le général Gordin, commandant les forces israéliennes. «Quand le moment viendra et que nous passerons à l’offensive, ce sera une offensive décisive», a-t-il encore dit.

Les violences depuis le 8 octobre entre l’armée israélienne et le Hezbollah ont fait au moins 523 morts au Liban, en majorité des combattants, selon un bilan établi par l’AFP à partir de différentes sources. La plupart d’entre eux, 342 personnes, ont été confirmés comme étant des combattants du Hezbollah, mais le bilan comprend également 104 civils. Orin Gordin n’a pas mentionné de victimes civiles. Dans le nord d’Israël, au moins 18 soldats israéliens et 13 civils ont été tués, selon l’armée.

Le Hezbollah, soutenu par l’Iran, affirme que ses attaques contre Israël depuis le 8 octobre ont pour objectif de soutenir son allié du Hamas. Des dizaines de milliers d’habitants ont depuis été déplacés au Liban et en Israël en raison de cette flambée de violence transfrontalière.

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les Bombardiers Chinois H 6 Saventurent En Alaska Quelles Consequences Pour Les Etats Unis

Le 24 juillet, un événement sans précédent a été révélé par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Pour la première fois, les bombardiers stratégiques H-6 de l’Armée populaire de libération de la Chine, opérant en conjonction avec les forces aérospatiales russes, ont été détectés dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) de l’Alaska. Cet incident marque une escalade significative dans les démonstrations de force militaire entre les grandes puissances mondiales.

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Une interception spectaculaire

La formation de quatre bombardiers chinois a été rapidement interceptée par des chasseurs F-16, F/A-18 Hornet et F-35A des forces aériennes américaines et canadiennes. Des photos et vidéos de l’événement ont circulé rapidement, notamment grâce au ministère russe de la Défense, illustrant l’importance de cet événement pour les observateurs internationaux.

L’interception a été effectuée alors que les bombardiers chinois, accompagnés d’avions russes, survolaient une zone stratégique sensible pour les États-Unis. Les avions de chasse américains et canadiens ont été dépêchés pour surveiller et escorter les avions chinois hors de l’ADIZ, démontrant la vigilance constante des forces de défense nord-américaines face aux incursions étrangères.

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Une collaboration sino-russe renforcée

Bien que ce ne soit pas la première patrouille conjointe sino-russe, c’est la première fois que des H-6 chinois sont déployés dans l’ADIZ de l’Alaska, une zone habituellement fréquentée par des avions de combat russes, américains et canadiens. Cette manœuvre indique un renforcement de la coopération militaire entre la Chine et la Russie, ainsi qu’une augmentation de leur capacité de réponse combinée face à des adversaires régionaux comme les États-Unis.

Les patrouilles conjointes sino-russes ont jusqu’à présent été limitées aux zones comme la mer de Chine orientale et le Pacifique occidental, avec des formations incluant des bombardiers H-6 et Tu-95MS, escortés par des chasseurs Su-35S et Su-30SM. L’extension de ces opérations à l’ADIZ de l’Alaska reflète une volonté stratégique de démontrer la capacité des deux nations à projeter leur puissance loin de leurs bases traditionnelles.

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Les implications stratégiques

Les bombardiers H-6, notamment dans leur variante H-6K, sont capables de lancer des missiles de croisière et potentiellement des missiles hypersoniques, comme le 2PZD-21 (KD-21) ALBM. Cette capacité, combinée à l’allongement de leur rayon d’action grâce à des ravitaillements en vol ou à des bases avancées, rend ces avions particulièrement redoutables.

La variante H-6K est équipée de moteurs D-30KP-2, offrant une meilleure performance et une plus grande portée que les versions précédentes. De plus, l’intégration de systèmes électroniques modernes et d’avionique avancée permet à ces appareils de réaliser des missions complexes avec une précision accrue.

Si ces avions ont effectivement décollé de bases en Russie, cela pourrait signifier une nouvelle dimension dans l’aviation de combat stratégique de la Chine, avec une portée étendue jusqu’aux zones territoriales américaines. Cette capacité de frappe à longue distance permettrait à la Chine de projeter sa puissance jusqu’aux côtes nord-américaines, une perspective qui inquiète les stratèges militaires américains.

Le futur de l’Arctique en jeu

Les analystes militaires ont souligné que l’Arctique, en raison du changement climatique et de l’ouverture de nouvelles voies maritimes, pourrait devenir un nouveau théâtre de confrontation entre les États-Unis et la Chine. La présence de ces bombardiers dans l’ADIZ de l’Alaska est un signal clair de l’intérêt croissant de la Chine pour cette région stratégique.

L’Arctique est riche en ressources naturelles, notamment en hydrocarbures, et l’ouverture de nouvelles routes maritimes pourrait réduire considérablement les temps de transport entre l’Asie et l’Europe. Cette nouvelle dynamique géopolitique pousse les grandes puissances à renforcer leur présence militaire et économique dans la région, accentuant les risques de tensions.

L’incident du 24 juillet dans l’ADIZ de l’Alaska est un rappel puissant de la dynamique géopolitique en évolution rapide et de l’importance stratégique croissante de l’Arctique. Alors que la compétition pour la suprématie mondiale s’intensifie, des démonstrations de force comme celle-ci deviendront probablement plus fréquentes, redéfinissant les alliances et les rivalités mondiales.

Cet événement historique souligne la nécessité pour les observateurs internationaux de rester vigilants face aux manœuvres militaires et aux développements stratégiques dans cette région clé du globe. La vigilance et la préparation resteront essentielles pour les forces armées nord-américaines afin de répondre efficacement à ces nouvelles menaces et de protéger les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés.


*Rédactrice spécialisée dans la défense, les armées, et l’industrie aéronautique et spatiale. Expertise en aviation civile et militaire, je couvre également les domaines de la défense, des drones, et des enjeux industriels, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense

La France et Djibouti ont trouvé un accord pour rénover et renforcer leur coopération de défense


Occupant une position stratégique aux abords du détroit de Bab el-Mandeb [mer Rouge], Djibouti intéresse plusieurs pays, dont les États-Unis, la Chine, le Japon ou encore l’Italie. Pays qui ont été autorisés à y implanter des emprises militaires. Mais, depuis son indépendance, en 1977, ce petit État de la corne de l’Afrique cultive des relations étroites avec la France pour assurer sa défense.

En 2011, le traité de coopération militaire entre Djibouti et Paris [TCMD] fut reconduit, la France ayant ainsi renouvelé, selon les termes du président Sarkozy, son « soutien ferme et indéfectible à la République de Djibouti ».

Pour autant, les Forces françaises stationnées à Djibouti [FFDj] n’échappèrent pas aux coupes budgétaires, leur format ayant été réduit… Au point que, en 2014, un rapport remis par les députés Gwendal Rouillard et Yves Fromion s’inquiéta pour leur avenir, des plans visant à réduire leur effectif à seulement 950 hommes ayant circulé à l’époque. Et cela alors que le traité reconduit trois ans plus tôt allait entrer en vigueur pour une période de dix ans.

Finalement, après que l’État-major des armées [EMA] fit valoir qu’il fallait garder « au moins » 1350 militaires à Djibouti pour permettre aux FFDj d’honorer leurs contrats opérationnels et de rester « crédibles », le plan évoqué par les deux parlementaires ne fut pas appliqué.

En 2017, lors d’une audition parlementaire, le général François Lecointre, alors fraîchement nommé chef d’état-major des armées [CEMA], fut très clair. « Je n’ai pas l’intention de lâcher un pouce de terrain à Djibouti. La zone, où nous sommes implantés, est extrêmement sensible et je ne pense pas que nous devrons nous en désengager dans les décennies qui viennent », avait-il affirmé.

Le TCMD devant arriver à échéance le 30 avril 2024, le président Macron et son homologue djiboutien, Ismaïl Omar Guelleh, lancèrent des discussions non seulement pour le reconduire mais aussi pour le renforcer. Il était alors question de signer un nouvel accord dans le courant de l’année 2023.

Seulement, les négociations auront été plus compliquées que prévu. A priori, celles-ci ont buté sur des considérations financières, le gouvernement djiboutien ayant réclamé une hausse importante du loyer payé par la France pour ses emprises militaires dans le pays. Loyer d’une trentaine de millions d’euros par an, dont Paris a commencé à s’acquitter en 2003, soit après l’arrivée des forces américaines au Camp Lemonnier…

La partie française a-t-elle cédé devant les exigences djiboutiennes ? En tout cas, comme l’avait souligné l’ex-député Jean-Charles Larsonneur, dans un avis budgétaire rendu en octobre 2023, le « positionnement des FFDj est stratégique, » car « il offre aux armées un avantage opérationnel conséquent avec une capacité de projection vers différentes zones [détroit de Bab-el-Mandeb, mer Rouge, océan Indien]. Et d’insister : « La France est ainsi le seul pays de l’Union européenne à posséder de telles capacités militaires dans cette zone dont toute l’Europe dépend pour son approvisionnement [flux économiques, énergétiques, numériques, métaux rares].

Quoi qu’il en soit, un accord a fini par être trouvé. Les président Macron et Guelleh « sont convenus de l’aboutissement des discussions autour de la réforme ambitieuse du traité de coopération en matière de défense [TCMD] qui unit la France et Djibouti », a fait savoir l’Élysée, le 24 juillet.

« La version rénovée du TCMD reflète l’excellence de la relation qui prévaut entre nos deux pays ainsi que la convergence de nos intérêts stratégiques », a ajouté la présidence française qui n’a cependant pas évoqué la signature d’un accord à ce stade.

Pour rappel, la France assure la protection de l’espace aérien de Djibouti, avec notamment 4 Mirage 2000-5 mis à la disposition de l’Escadron de chasse 3/11 Corse. Ces appareils sont régulièrement relevés afin de ménager leur potentiel… Aussi, la question de leur remplacement par un « plot » Rafale pourrait bientôt se poser si le projet de M. Macron de céder des Mirage 2000-5 à l’Ukraine se concrétise.

Reste que l’arrivée de Rafale à Djibouti n’est qu’une question de temps. De même que le renouvellement capacitaire des FFDj, ces dernières devant être progressivement dotées d’hélicoptères NH-90 Caïman TTH [à partir de 2025, ndlr], de véhicules blindés multirôles [VBMR] Griffon, d’engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar et d’engins de débarquement amphibie standard [EDAS]. Et cela nécessitera de réaliser des travaux d’infrastructure pour les accueillir.

Note : Les FFDj englobent le 5e Régiment interarmes d’outre-mer [5e RIAOM], un détachement de l’Aviation légère de l’armée de Terre [DETALAT] , la base aérienne 188 « colonel Massart », une base navale et le Centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement au désert de Djibouti [CECAD].

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

Japon. Les exercices entre forces armées japonaises et françaises se développent

La mission française Pégase 2024 a fait escale au Japon ce week-end. De nouveaux exercices entre les forces armées japonaises et françaises sont à prévoir dans le but de « protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région ».

L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon.
L’armée de l’air française arrive sur la base de Hyakuri au Japon. | JOHANN FLEURI

 Si les intérêts du Japon sont menacés, ceux de la France le sont aussi , indique le Général de brigade aérienne Guillaume Thomas et commandant de la mission Pégase 2024. Cette mission diplomatique qui cherche à appuyer la stratégie de défense de la France en Indopacifique a fait escale sur la base de la Force aérienne d’autodéfense japonaise de Hyakuri, dans la préfecture d’Ibaraki au Nord-Est de Tokyo. L’armée de l’Air et de l’Espace (AEE) était au Japon vendredi et samedi dernier avant de repartir vers l’Australie.

C’est la seconde année consécutive que l’AEE vient au Japon. Cette fois, l’effectif est plus important (220 personnes) et l’AEE est arrivée avec deux Rafale (A400M, A330MRTT).  D’autres exercices sont à prévoir dans le but de protéger les intérêts des Français qui vivent dans cette région, notamment en Nouvelle-Calédonie, a précisé le Général de division aérienne Philippe Adam. Il s’agit d’améliorer nos capacités à agir ensemble. 

Cet exercice intervient deux mois après la rencontre d’Emmanuel Macron et du Premier ministre japonais Fumio Kishida ; à Paris ; durant laquelle ont démarré les négociations d’un accord qui ouvrirait la voie à davantage d’exercices et d’entraînements entre les forces armées des deux pays. La France est le quatrième pays avec lequel le Japon cherche à conclure l’un de ces accords.  Nous espérons accueillir prochainement des avions japonais en France , s’enthousiasme le Général Thomas.

Tokyo booste son arsenal

Le gouvernement japonais continue de booster son arsenal militaire. À Okinawa, une nouvelle base de forces d’autodéfense a ouvert en mars 2023 sur la petite île d’Ishigaki, malgré la protestation locale. En mai, le Japon a annoncé une nouvelle hausse de 20 % de son budget Défense pour l’année fiscale 2024 soit un total d’1, 6 % de son PIB avec la volonté de passer à 2 % d’ici quelques années.

Jeudi dernier, Fumio Kishida a rappelé, lors du discours d’ouverture du Palm10 qu’il copréside, que,  dans l’environnement de plus en plus complexe qui entoure la région, le Japon élèverait ses relations avec les pays insulaires du Pacifique à un nouveau niveau  et qu’ils devraient  avancer ensemble  vers l’avenir, soulignant le soutien ferme de l’archipel à la  stratégie 2050  du Forum des îles des Pacifiques.

L’archipel japonais qui vient de signer un accord de défense avec les Philippines, met également la dernière main à son projet d’exportation de missiles Patriot produits dans le pays vers les États-Unis : il s’agira de la première exportation japonaise d’équipements de défense depuis l’assouplissement des restrictions sur les exportations d’armes.

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