Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

En juillet, une économiste américaine a renoncé, face au scandale, à rejoindre un poste clé à la direction de la concurrence de la Commission européenne. Mais dans ce domaine, c’est aussi l’application planétaire du droit américain qui inquiète entreprises, spécialistes et législateurs.

Extraterritorialité du droit : quand le « lawfare » sert la guerre économique

Le 17 juillet, Fiona Scott Morton a renoncé à son poste d’économiste en chef de la puissante Direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Le parcours de cette Américaine auprès de géants technologiques comme Microsoft, Apple ou Amazon, ainsi que dans les services antitrust de l’administration Obama, avait suscité une bronca sur le continent : comment pouvait-elle désormais préconiser des sanctions contre ces mêmes groupes, souvent visés par des enquêtes européennes ?

En creux, cette polémique a mis en lumière la rude concurrence que se livrent les entreprises à l’échelle mondiale, et son intrication avec le droit commercial édicté par les États (ou l’UE, en l’occurrence). Des quatre cercles du périmètre de la défense nationale, le deuxième, celui de la défense nationale, englobe les mesures à prendre pour se protéger des menaces visant notamment l’économie d’un pays. Et parmi celles-ci, l’extraterritorialité du droit prend une ampleur croissante depuis la fin des années 1990.

Les États-Unis sont historiquement la nation la plus proactive en la matière. Dès le début du XIXe siècle, le président Thomas Jefferson promulguait des embargos contre l’ancienne puissance coloniale britannique ou la France de Napoléon. Ses successeurs en ont ensuite régulièrement adopté. À la fin du XXe siècle, des embargos contre le commerce avec Cuba ou l’Iran touchent ainsi de nombreuses entreprises américaines ou étrangères.

LES ÉTATS-UNIS SANCTIONNENT DES ENTREPRISES ÉTRANGÈRES PARTOUT DANS LE MONDE

Mais les textes votés à Washington visent aussi la corruption. « À une époque, les entreprises françaises pouvaient déduire de leurs impôts les pots-de-vin versés pour gagner des marchés », rappelle le consultant Augustin de Colnet, auteur de l’ouvrage « Compétition mondiale et intelligence économique »[1]. « Les États-Unis partaient du constat que les entreprises européennes et autres pratiquaient la corruption, et que donc leurs entreprises perdaient des parts de marché. »

Aujourd’hui, les lois extraterritoriales américaines permettent de sanctionner toute entreprise étrangère pour des délits effectués n’importe où dans le monde, dès lors qu’une seule parmi plusieurs conditions est avérée : des transactions en dollars ; des échanges d’e-mails ou l’hébergement de données sur des serveurs basés aux États-Unis ; la présence d’une filiale dans ce pays ; y être coté sur un marché financier… Le champ est donc très large.

En se basant sur des rapports parlementaires (comme le rapport Gauvain rendu au Premier ministre en 2019), des articles de presse ou d’autres publications, Augustin de Colnet a réalisé une « cartographie des principales sanctions extraterritoriales américaines de plus de 100 millions de dollars » prononcées entre 2008 et fin 2022. La cadence s’est en effet accélérée depuis la présidence de Barack Obama, visant souvent des secteurs stratégiques. Des groupes basés aux États-Unis mais aussi en France, en Allemagne, au Japon, au Royaume-Uni ou au Brésil remplissent le graphique de Colnet. « Mais tous les États ne sont pas concernés au même titre », commente-t-il. « Tout le monde n’a pas des multinationales comme la France. Et la somme des amendes infligées à toutes les entreprises américaines est inférieure au seul montant payé par BNP Paribas. »

8,9 MDS $ D’AMENDE POUR BNP PARIBAS, 3,6 MDS € POUR AIRBUS…

En 2015, la banque française a versé une amende record de 8,9 milliards de dollars pour avoir contourné des sanctions américaines imposées à l’encontre de Cuba, de l’Iran et du Soudan, entre 2004 et 2012. Réagissant à l’affaire Scott Morton dans une interview au Figaro, Frédéric Pierucci estimait, lui, que « les entreprises européennes ont payé depuis 2010 pas moins de 50 milliards de dollars d’amende (dont environ 15 pour les sociétés françaises) au Trésor américain pour clore des enquêtes du DOJ », le ministère de la Justice américain.

Ancien cadre dirigeant d’Alstom, Pierucci a été arrêté en 2013 sur le sol américain et y a passé 25 mois en prison au total. Selon lui, c’est cette procédure enclenchée contre le groupe pour corruption d’agents publics (en Arabie saoudite, en Indonésie, en Égypte, à Taïwan et aux Bahamas) qui a poussé Alstom à vendre en 2015 sa branche énergie à son plus gros concurrent, le groupe américain General Electric (GE). En plus de payer 772 millions de dollars d’amende. PDG de l’énergéticien français à l’époque, Patrick Kron « n’avait plus le choix : s’il souhaitait échapper à la prison pour les vingt prochaines années, il devait vendre Alstom à General Electric ».

C’est ce que déclare Frédéric Pierucci dans un récent documentaire d’Arte intitulé « La bataille d’Airbus », qui explore les effets de l’extraterritorialité juridique américaine. En 2013, l’avionneur européen est lui aussi accusé de corruption par Washington. Cette affaire et d’autres poussent le gouvernement français à réagir. Promulguée en 2016, la loi Sapin II permet à la France de mener des procédures anticorruption conformes aux normes américaines, afin de protéger les entreprises hexagonales de sanctions prononcées outre-Atlantique. L’affaire Airbus s’est soldée par une transaction entre le groupe et les justices française, britannique et américaine. Sur un total d’environ 3,6 milliards d’euros d’amende, la France a reçu un peu plus de 2 milliards, le Royaume-Uni, 984 millions, et les États-Unis, 525 millions.

« COMME POUR UN BUT DE GUERRE, IL Y A UN TRIBUT À PAYER »

« La loi Sapin II transpose à peu de chose près la loi américaine », relève l’avocat Olivier de Maison Rouge, docteur en droit et spécialiste du droit de l’intelligence économique. « Avec ses effets d’extraterritorialité, elle est très clairement une réplique aux textes américains. Mais le nôtre ne frappe que les entreprises françaises, pas les américaines, indiennes ou autres… »

Dans l’affaire BNP Paribas, l’avocat observe que ce sont des embargos décrétés par les États-Unis qui s’appliquent, pas des sanctions de l’ONU : « Indépendamment du droit international, ils s’arrogent le droit d’être le gendarme du monde qui applique le droit, avec deux types de sanction : pour les entreprises américaines, et pour les entreprises étrangères. Dans ce cas, BNP Paribas ne pouvait se priver des transactions en dollar, qui représentent aujourd’hui 44% des transactions mondiales. » Quitte à payer cette amende faramineuse.

Le juriste file une métaphore martiale : « Comme pour un but de guerre, il y a un tribut à payer à la fin, et on affaiblit une cible. » Mais il se refuse à voir une stratégie délibérée dans les poursuites contre Alstom puis la vente d’une branche stratégique du groupe à son principal concurrent : « Oui, le DOJ a été à la manœuvre et a mis l’entreprise sous enquête ; mais l’acquisition répond à un schéma plutôt classique, et nulle part il n’a été démontré que les accusations de corruption ont été mises en place dans le but de cette acquisition. »

« POUR L’INSTANT, NOUS N’AVONS PAS D’ARSENAL AU MÊME NIVEAU »

Augustin de Colnet n’est pas du même avis : « Il y a pour moi une collusion évidente entre GE et le ministère de la Justice américain. Alstom est d’ailleurs la cinquième entreprise rachetée par GE après des sanctions du DOJ. » Pour lui, la « guerre juridique » (lawfare en anglais) est « juste une arme économique comme une autre » dans les rivalités mondiales. Il estime d’ailleurs que l’Union européenne et la France ne s’arment pas suffisamment : « Nous sommes à peine sur la défensive. Parler d’offensive, rien dans l’actualité ne le présage. Mais dans l’UE, nous n’avons pas tous les mêmes intérêts économiques. Tout montre qu’on n’a juste pas envie de froisser notre allié américain, notamment en raison de son poids militaire et commercial. »

En attendant, forts de leurs lois, les États-Unis ne se gênent pas. Citée dans le documentaire d’Arte, une note de la DGSI rédigée au moment de l’affaire Airbus parle d’une « stratégie de conquête » des Américains dans les secteurs « de l’aéronautique, de la santé et de la recherche », les entreprises françaises faisant l’objet d’« attaques ciblées » par le biais de « contentieux juridiques ».  L’ancien député Raphaël Gauvain l’affirme dans le même film : « C’est très clair que les entreprises européennes sont la cible privilégiée des pouvoirs publics américains, et que les plus lourdes condamnations se sont faites à l’encontre des entreprises européennes. »

Pour Olivier de Maison Rouge, tout cela « renvoie à la question de la domination paraéconomique » : « Les Américains eux-mêmes n’ont-ils pas d’autres moyens pour créer des distorsions de concurrence ? Leur soft power, leurs outils d’influence comme les fondations, les programmes de type « Young Leaders »… En Europe, les cerveaux sont formés à l’esprit anglo-saxon, un alignement cognitif s’opère, et il n’est pas nécessaire de rémunérer d’une manière ou d’une autre. Même s’ils ont aussi des paradis fiscaux dont l’opacité permet de dissimuler des règlements financiers, comme l’État du Delaware dont est issu Joe Biden. »

L’avocat en appelle donc, lui aussi, à bâtir une « réciprocité. Pour l’instant, nous n’avons pas d’arsenal au même niveau ».

[1] VA Editions, 2021.

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


KMW Leopard2 factory e1683202464684 Chars de combat MBT | Allemagne | Articles gratuits

 

Selon les prévisions de Krauss-Maffei, le Leopard 2 ne viendra pas entamer le marché du MGCS


Ces derniers mois, de nombreux échos industriels et militaires, venus d’outre-Rhin, donnaient corps à une possible opposition entre la reprise constatée du marché européen du char du combat, en lien avec le conflit en Ukraine, et le calendrier prévu initialement pour le programme franco-allemand MGCS. Ce dernier doit remplacer, à partir de 2035, les chers Leclerc français et Leopard 2 allemands.

La présentation, il y a quelques semaines, de la nouvelle version Leopard 2A8 du char de Krauss-Maffei Wegmann, vint accroitre cette pression sur le programme MGCS. En outre, en moins de huit semaines, le nouveau char allemand est parvenu à séduire la Bundeswehr, la Norvège, la République tchèque et l’Italie, alors que les Pays-Bas semblent également se diriger vers une acquisition prochaine.

De fait, il n’y avait rien de surprenant à ce que les industriels allemands voyaient avec inquiétude le chevauchement probable des deux offres, pouvant potentiellement nuire tant à la vente immédiate de Leopard 2A8, que réduire le marché adressable du MGCS lors de son entrée en service, comme le fit la CEO de l’industriel RENK, Suzanne Weigand, en avril dernier, en appelant à un décalage du programme franco-allemand vers 2040 ou au-delà.

S’il y a quelques jours, les ministres français et allemand Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, maintinrent le calendrier initial à 2035 à la suite d’une rencontre à Berlin, tout indiquait jusque-là que, pour les industriels allemands, celui-ci demeurait contre-productif, même si le principal intéressé, Krauss-Maffei Wegmann produisant le Leopard 2 et partenaire du Français Nexter au sein de la coentreprise KNDS, restait étonnement discret sur le sujet.

Lecornu pistorius e1689072732457 Chars de combat MBT | Allemagne | Articles gratuits
Sebastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023

 

La raison de cette discrétion pourrait avoir été dévoilée par le site Stuttgart-Zeitung le 15 juillet. L’article en question annonce en effet être entré en possession de documents internes de KMW concernant la production planifiée de chars Leopard 2 d’ici à 2032, une information évidement cruciale (bien que sans le moindre doute confidentielle), pour évaluer la réalité du chevauchement industriel évoqué depuis plusieurs mois maintenant.

Or, selon ce document, l’industriel allemand ne prévoit de livrer sur les 10 années à venir, entre aujourd’hui et fin 2032, seulement que 648 Leopard 2 à ses futurs clients européens, soit un volume très inférieur à ce qu’il serait nécessaire d’atteindre pour venir éroder significativement le marché adressable du programme MGCS à son lancement en 2035.

Dit autrement, déduction faite des chars allemands, norvégiens, tchèques, italiens et néerlandais déjà évoqués, représentant entre 300 et 350 blindés, l’industriel allemand ne prévoit de livrer que 300 exemplaires supplémentaires aux armées européennes, un nombre très inférieur aux quelque 1850 Leopard 2A4, A5 et A6 actuellement en service sur le vieux continent, et qui devront être remplacés à horizon 2035.

De fait, le marché européen adressable par le programme MGCS à partir de 2035, demeurerait des plus significatifs, entre 1500 et 2000 exemplaires pour un remplacement 1 à 1 (il est vrai très peu probable), ce d’autant que la France, la Grande-Bretagne et l’Italie devront, eux aussi, remplacer leurs Leclerc, Challenger III et Ariette C1, pour un marché s’établissant entre 500 et 800 blindés.

 

germany and france announces main ground combat system mgcs contract Chars de combat MBT | Allemagne | Articles gratuits
Le programme MGCS prévoit de concevoir non seulement un char de combat, mais plusieurs véhicules blindés lourds dédiés à la très haute intensité

Dans ce contexte, la réserve exprimée par plusieurs industriels allemands comme RENK mais également Rheinmetall, appelant à viser 2040 voire 2045 plutôt que 2035, précisément pour libérer des espaces aux modèles actuels Leopard 2A8 et KF-51 Panther, n’est guère convaincante, et rien ne s’oppose, objectivement parlant, à un respect strict du calendrier initial, pour peu que les actions de retardement, à dessein ou fortuites, qui entravent ce programme depuis son lancement, prennent effectivement fins à très court terme.

Car d’une manière ou d’une autre, il est désormais absolument indispensable que Paris et Berlin s’entendent à très court terme sur un calendrier, un cahier des charges et une répartition industrielle stricte ne laissant plus place à l’interprétation ou la révision, faute de quoi, marché ou pas, le programme glissera au plus grand désavantage des armées européennes.

En effet, il convient de garder à l’esprit que si KMW prévoit de produire 648 Leopard 2 d’ici à 2032, auxquels on peut ajouter les 1000 K2 et Abrams polonais, l’industrie russe est, pour sa part, aujourd’hui dimensionnée pour produire entre 450 et 600 chars T-90M, T-80BVM ou T-72B3M par an, soit 3 à 4 fois plus de chars que n’en produiront les industries européennes sur les 10 prochaines années.

 

uralvagonzavod e1675095900956 Chars de combat MBT | Allemagne | Articles gratuits
La production de l’usine russe uralvagonzavod est désormais pleinement consacrée aux chars de combat modernes T-90M, T-80BVM et T-72B3M, avec une production annuelle estimée entre 450 et 600 blindés.

Il sera alors indispensable aux armées européennes, d’aligner des systèmes disposant d’une plus-value opérationnelle et technologique à ce point significative qu’elle permettra de compenser un rapport de force aussi défavorable, ce que ni le Leopard 2A8, ni le Challenger 3, pas même le K2PL ne pourront apporter.

De fait, arbitrer à court terme, que ce soit en faveur du MGCS mais de manière stricte, ou pour y mettre fin et se diriger vers des solutions alternatives, est désormais un impératif sécuritaire bien davantage qu’industriel pour les ministres français et allemands de la défense.

Les scénarios d’un conflit Grèce-Turquie

Les scénarios d’un conflit Grèce-Turquie

https://www.slate.fr/story/250903/grece-turquie-conflit-otan-scenarios-militaire


Si la Turquie a un avantage naval et aérien, la Grèce peut compter sur ses alliances et sa connaissance des îles en mer Égée pour contrer le rapport de force défavorable.

 

Difficile de prévoir quelle serait la réaction de l'OTAN en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. | NASA via Wikimedia Commons
Difficile de prévoir quelle serait la réaction de l’OTAN en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. | NASA via Wikimedia Commons

«Nous pouvons arriver subitement la nuit» (septembre 2022), «La Grèce risque de le regretter, comme il y a un siècle» (juin 2022), «Nous répondrons à la fois légalement et sur le terrain» (février 2023). C’est peu dire que la Turquie du président Recep Tayyip Erdoğan n’entretient pas les meilleures relations avec son voisin grec.

Si les tensions sont anciennes entre les deux pays, qui célèbrent cette année les 100 ans du traité de Lausanne ayant mis fin à trois ans de guerre, force est de constater qu’elles se sont accrues ces dernières années.

Ces tensions résultent d’une triple compétition:

Ces tensions s’ancrent dans un contexte bien particulier: les deux pays sont membres de l’OTAN. Dès lors, difficile de prévoir quelle serait la réaction de l’Alliance en cas de conflit militaire déclaré en mer Égée. Nous proposons ici une étude concrète des forces armées grecques et turques pour tenter d’établir le rapport de force militaire qui s’est installé entre les deux pays.

De l’opportunité stratégique de déclencher un conflit

Quel intérêt la Turquie aurait-elle à déclencher un conflit avec son voisin grec? Trois points saillants peuvent être relevés.

Premièrement, continuer d’affirmer sa place en zone méditerranéenne. Isolée depuis maintenant une dizaine d’années par son interventionnisme unilatéral et croissant en Méditerranée (intervention dans le nord de la Syrie, opération en Libye ayant conduit à «l’illumination» de la frégate française Courbet en 2020), la Turquie a également vu sa relation avec les États-Unis se dégrader progressivement, jusqu’au blocage par le Congrès américain en 2019 de l’exportation d’avions de combat F-16.

Le conflit ukrainien l’ayant remise au centre du jeu diplomatique –par sa capacité à parler aux deux belligérants et l’efficacité démontrée de ses drones de combat– et mobilisant activement l’OTAN, la Turquie pourrait tirer parti du contexte international pour contester activement la souveraineté grecque en mer Égée. Cela irait dans la droite lignée du concept de «Patrie bleue» (Mavi Vatan), repris à son compte par le parti du président, l’AKP, et prônant de doter le pays d’une ZEE élargie, à la hauteur de ses ambitions de puissance affirmée. L’occasion serait aussi belle pour le président Erdoğan de montrer que ses forces armées sont, tout comme ses drones, efficaces, compétentes et opérationnelles.


Ensuite, stabiliser la coalition au pouvoir. Bien que réélu pour un troisième mandat, Erdoğan apparaît fragilisé par un score serré (52% des voix) et une perte de vitesse au Parlement (-26 députés pour l’AKP). Sa politique dépendra de facto encore davantage de son alliance avec le parti nationaliste MHP, qui lui apporte 50 voix nécessaires à la majorité absolue.

Dans ces conditions, voir Erdoğan chercher à instrumentaliser sa politique étrangère en vue de consolider sa politique intérieure est une possibilité. Cela répondrait à la logique bien documentée du «jeu à deux niveaux» théorisé par Robert Putnam, selon lequel chaque gouvernement national se sert de l’échelle internationale pour «maximiser sa propre capacité à satisfaire les pressions domestiques, tout en minimisant les conséquences négatives des développements internationaux».

Du côté grec, la position serait davantage à la stabilisation de la situation qu’à la surenchère militaire.

Enfin, mettre la main sur de nouvelles ressources stratégiques en gaz. Au-delà des aspects politiques et internationaux, la mer Égée abrite des réserves de gaz importantes pour les deux compétiteurs. L’exploitation par la Grèce du champ de Prinos, situé au nord de la mer Égée, a achevé de prouver que la ressource était présente sur zone. Les deux pays étant toujours en compétition dans la définition de leur ZEE, et étant donnée la place stratégique du gaz, remis au goût du jour cet hiver par le conflit ukrainien, l’enjeu est de taille.

Du côté grec, la position serait davantage à la stabilisation de la situation qu’à la surenchère militaire. Rappelons que le pays dispose de près d’un quart de la flotte des tankers de gaz naturel liquéfié, ce qui constitue une manne financière importante qui serait en péril en cas de conflit, et qu’il a enclenché depuis quelques années une remontée en puissance de ses capacités militaires et une diversification de ses alliances sécuritaires.

Cela est passé notamment par la conclusion d’un partenariat franco-grec d’assistance mutuelle en 2021 et du renouvellement la même année de son accord de coopération et de défense mutuelle avec les États-Unis. Comme le résumait le chef d’état-major grec le 8 avril 2022, l’enjeu grec est bien que «nous préférons être à table que figurer au menu».

Forces navales: avantage Turquie

La marine turque a une nette longueur d’avance sur son opposant grec pour trois raisons. Premièrement, sa modernité. La Turquie a lancé en 2019 son premier porte-hélicoptères d’assaut (PHA). Commissionné en avril 2023, il est conçu pour pouvoir transporter, outre des hélicoptères, des avions de combat à décollage vertical, des drones sans pilote, ainsi que des forces amphibies. Il s’agit d’un vecteur majeur de projection de forces pour la Turquie, qui lui confère un avantage colossal sur la Grèce, par sa capacité à interdire l’accès aux forces grecques. En effet, sa mise en service offre la possibilité de constituer un groupe aéronaval autour de ce vaisseau amiral; ce groupe serait doté de l’intégralité du spectre des actions maritimes (contrôle d’espace, antiaérien, anti-sous-marin, amphibie).

En comparaison, le programme le plus important de la Grèce est l’achat de trois (peut-être quatre) destroyers à la France. Même dotés d’une technologie de pointe, ces navires ne seront pas en mesure de contrer un groupe aéronaval. Entièrement construit en Turquie, le PHA est aussi le témoignage d’une volonté politique claire de montrer que la base industrielle de défense turque est capable de mener à bien seule des projets à impact.


Deuxièmement, cette avance s’est faite en vertu du nombre. Bien que les deux pays possèdent un nombre similaire de sous-marins, leur utilisation est limitée dans l’espace réduit des îles de la mer Égée. Les capacités les plus importantes dans cette configuration spatiale sont l’interdiction de zone et la force de frappe. En la matière, la Turquie est bien mieux dotée.

La Grèce est en effet déficitaire en nombre de frégates mais surtout en nombre de corvettes, particulièrement utiles pour occuper, interdire et menacer l’espace. Les corvettes de la classe Ada sont de très bons navires, longs de 100 mètres, dotés de missiles antinavires et récents (mis en service en 2011) alors que la marine grecque équipe des «canonnières» plus petites –environ 50 mètres de long– et toutes ont environ 20 ans d’âge, soit la moitié de leur durée de vie. La supériorité des chasseurs de mines turcs (onze navires contre quatre) pourrait également changer la donne si les deux pays devaient miner la mer Égée pour en interdire l’accès à l’autre, manœuvre constatée au large des côtes ukrainiennes durant l’année passée.

Les capacités de la Turquie pourraient s’avérer cruciales si elle décidait de contester activement la souveraineté grecque sur les îles.

Enfin, cette avance est également due à sa capacité amphibie. Il est intéressant pour cela d’étudier le nombre de bateaux de débarquement. Il ne s’agit pas de bateaux autonomes dans le sens où ils ne peuvent pratiquement pas se défendre, mais de plateformes de débarquement destinées à débarquer des troupes et des chars sur la terre ferme. Chacun de ces navires peut transporter entre 150 hommes pour le plus petit et 500 hommes pour le Bayraktar turc.

Là encore, la Turquie est en position de force, avec au moins 26 navires contre 9 pour la Grèce. Ces capacités pourraient s’avérer cruciales si la Turquie décidait de contester activement la souveraineté grecque sur les îles. En effet, débarquer des troupes au sol est le seul moyen efficace d’atteindre cet objectif –une guerre hybride, navale ou aérienne sans occupation physique ne le permettrait pas.

Armée de l’air: fausse équivalence en vue

En ce qui concerne les avions et les hélicoptères de combat de l’armée de l’air, les deux pays disposent de capacités similaires. Cependant, il y a une nette distinction en ce qui concerne les capacités de transport et, encore plus important, les hélicoptères de combat de l’armée. La Turquie a un avantage considérable pour le transport de troupes, avec 50 avions de plus (+ 12 en comptant ceux de l’armée de terre). Cela a deux conséquences.

En cas de blocus naval dû à des mines ou à une interdiction navale, la Turquie dispose d’une alternative crédible pour approvisionner ses troupes par avion –à condition d’avoir détruit la défense antiaérienne grecque préalablement. Cela pourrait avoir son importance si un conflit de longue durée devait survenir entre les deux pays.

En cas de guerre totale avec Athènes (ou Ankara) envahissant la Turquie continentale (ou la Grèce), le seul moyen efficace d’assurer l’approvisionnement serait l’avion ou le bateau, car la frontière terrestre entre les deux pays est située très au nord de leurs territoires et offre une faible possibilité de manœuvre (50 kilomètres de largeur).

Les A400M et CN235 turcs supplémentaires peuvent aussi être utilisés pour le renseignement avec des patrouilles maritimes et surtout le déploiement de forces spéciales. L’A400M a récemment été modernisé pour pouvoir effectuer des infiltrations à basse altitude. Cette capacité offre à la Turquie la possibilité d’agir en profondeur et donc de conquérir plus facilement des objectifs stratégiques. Cela pourrait constituer un avantage certain par rapport à la Grèce.


Enfin, en ce qui concerne les hélicoptères de combat de l’armée, les deux pays disposent de types d’appareils similaires, mais la Turquie surpasse de 130 unités les capacités grecques. Là encore, cela fait une énorme différence, permettant à Ankara davantage de pertes et offrant donc des possibilités supérieures d’engager ses appareils. La collecte de renseignements, les attaques ciblées sur véhicules terrestres et les déploiements de forces spéciales font partie des capacités dont la Grèce pourrait manquer en premier lieu dans une guerre de longue durée.

Avantage Turquie mais opportunités grecques

La Turquie possède donc un avantage matériel global en ce qui concerne la marine et les forces aériennes qu’elle peut déployer. La mise en service récente de son PHA va changer la façon dont la Turquie combat en mer, en permettant à ses forces de se concentrer autour d’un navire amiral. Cela offre au pays davantage de possibilités en matière de projection d’hélicoptères et d’opérations amphibies. L’avantage turc est donc autant quantitatif que qualitatif technologique.

Dans l’espace aérien, sa supériorité est principalement liée au nombre de ses appareils. L’espace aérien serait cependant clairement contesté car les deux nations possèdent le même nombre d’avions de chasse et partagent essentiellement la même technologie américaine F-16 et F-4.

Cette étude n’aborde volontairement pas les forces terrestres des deux pays, principalement pour un argument dimensionnel: à l’exception de l’île de Crète, toutes les îles de la mer Égée sont au moins trois fois plus petites que l’île de Chypre. Cela correspond aux règles d’engagement d’un régiment motorisé (1.000 à 3.000 soldats) en contrôle de zone, rendant tout déploiement terrestre sur les îles peu significatif en envergure.

En sus de l’OTAN, la Grèce appartient à l’Union européenne, lui conférant le bénéfice de l’article 42.7 déclenchant immédiatement une aide des partenaires en cas d’invasion.

La différence pourrait donc se faire sur le long terme entre les deux compétiteurs. Bien que le rapport de force soit à l’avantage de la Turquie, Athènes peut compter sur sa connaissance des îles en mer Égée, actuellement sous sa souveraineté, ainsi que sur les alliances nouées avec ses partenaires extérieurs.

Rappelons ici qu’en sus de l’OTAN, la Grèce appartient à l’Union européenne, lui conférant le bénéfice de l’article 42.7 (équivalent à l’article 5 de l’OTAN) déclenchant immédiatement une aide des partenaires en cas d’invasion. Elle a également noué en 2021 un accord d’assistance mutuelle avec la France, par tous les moyens appropriés si son territoire fait l’objet d’une agression armée. Face au Goliath turc, le David grec sait qu’aucune causalité ne saurait être établie entre rapport de force défavorable et défaite militaire.

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie

La fusée Ariane 5 tire sa révérence… et laisse l’Europe spatiale démunie
(Photo by JODY AMIET/AFP via Getty Images)

C’était anticipé depuis des mois, voilà qui est acté : Ariane 5 a réalisé le dernier vol de sa carrière, alors que la relève se fait encore attendre, mettant en péril les plans européens de conquête spatiale.

Dans l’actu : Ariane 5 a décollé du port spatial européen de Kourou, en Guyane française, dans la nuit de mercredi à jeudi, pour la toute dernière fois.

  • Comme beaucoup de missions Ariane 5, le lancement VA261 a transporté deux satellites de communication vers une orbite de transfert géostationnaire.
    • Un de ces satellites pèse 3.400 kg et sera utilisé pour tester des technologies de communication avancées pour l’Agence spatiale allemande, précise SpaceNews.
    • L’autre satellite, destiné à l’armée française, pèse 3.570 kg et a été développé par un consortium composé d’Airbus Defence and Space et de Thales Alenia Space.
  • « C’est un succès pour ‘Team Europe’ ce soir avec ce dernier (vol) d’Ariane 5 », a déclaré Stéphane Israël, directeur général d’Arianespace, lors de la retransmission du lancement sur le web.
  • « Merci à ArianeGroup, Arianespace et au CNES. C’est un très beau lancement, même si c’est le dernier », a indiqué pour sa part le général Michel Sayegh, directeur des programmes spatiaux de la Direction générale de l’armement, non sans une pointe de nostalgie.

Les détails : Ariane 5 tire sa révérence après 117 lancements et 27 ans de loyaux services

  • Le véhicule a été lancé pour la première fois en juin 1996, mais sans succès jusqu’à son troisième vol en 1998.
  • Au début des années 2000, la fusée était particulièrement appréciée car elle pouvait transporter deux gros satellites de télécommunications géostationnaires en même temps, très demandés sur le marché de l’industrie spatiale commerciale.
  • Elle a sans doute atteint l’apogée de sa célébrité le 25 décembre 2021, lorsqu’elle a lancé avec le plus grand des succès le télescope spatial James Webb, d’une valeur de 10 milliards de dollars.
  • Ce départ à la retraite a pris un peu plus de temps que prévu à se concrétiser : le lancement devait initialement avoir lieu le 16 juin, mais il a été retardé car certains câbles nécessaires pour séparer les boosters de la fusée devaient être remplacés. La société a ensuite prévu de lancer la fusée le 4 juillet, mais a encore dû reporter d’un jour en raison de vents forts en altitude.

Un départ douloureux pour l’Europe

« Ariane 5, c’est maintenant fini, elle a parfaitement terminé son travail et est vraiment devenue un lanceur légendaire. Mais Ariane 6 arrive. »

Stéphane Israël, directeur général d’Arianespace

« Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé » : qui eut crû qu’une citation d’Alphonse de Lamartine pourrait un jour s’appliquer au secteur spatial européen ? Notre continent est pourtant bien démuni, maintenant qu’Ariane 5 a été officiellement mise au placard.

  • Alors que l’arrivée d’Ariane 5 a coïncidé avec la fin de sa prédécesseure, Ariane 4, celle qui doit la remplacer se fait encore désirer.
  • Le premier lancement d’Ariane 6 était prévu pour 2020 mais a connu des retards à répétition.
  • L’ESA prévoyait ensuite que le lancement aurait lieu au quatrième trimestre 2023, mais il est de plus en plus probable qu’il soit reporté à 2024.
  • « Aujourd’hui, il serait spéculatif de mentionner une date de lancement. Nous devons franchir un certain nombre d’étapes techniques au cours de l’été, mais je promets qu’après l’été, en septembre, nous indiquerons une période qui sera la période cible pour Ariane 6″, a déclaré Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA (Agence spatiale européenne), lors d’une conférence de presse le 29 juin.
  • De leur côté, les dirigeants d’OHB, fournisseur du programme Ariane 6, ont indiqué en mai que le lancement aurait lieu début 2024 au plus tard.
  • Différentes étapes techniques doivent encore être franchies, notamment un essai à chaud de l’étage supérieur prévu en juillet et un autre essai à l’automne pour tester les performances dans des conditions difficiles.
  • L’assemblage du premier modèle de vol d’Ariane 6 commencera en novembre en Guyane française, selon une dernière publication de l’ESA datant du 8 juin. En attendant de nouveaux contretemps ?

La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

 

Meta Défense – publié le


La Marine française appelle les flottes européennes à remplir les espaces laissés par les Etats-Unis

 

Meta Défense – publié le


On le sait, les chantiers navals chinois lancent, chaque année, prés d’une dizaine de destroyers et frégates, ainsi que de nombreux autres navires y compris les plus imposants et modernes, destinés à venir grossir la flotte de l’Armée Populaire de Libération.

Pour y faire face, l’US Navy peut encore s’appuyer sur la masse et l’efficacité que lui confère sa flotte, ainsi que sur les moyens renouvelés de ses alliés régionaux comme l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud.

Toutefois, dans les années à venir, et en dépit de l’augmentation de la production navale US, Washington va devoir concentrer toujours plus de ses moyens dans le Pacifique pour faire face à la montée en puissance de l’APL, réduisant de fait sa présence sur d’autres théâtres, non moins exposés.

C’est précisément pour anticiper ce basculement irrémédiable américain face à la Chine, que l‘Amiral Pierre Vandier, Chef d’état-major de la Marine Nationale, a appelé les Marines européennes à s’organiser pour venir combler les espaces libérés par l’US Navy, à l’occasion de la First Sea Lord’s Seapower Conference 2023 qui s’est tenue à Lancaster House les 16 et 17 Mai dernier.

 

Les marines européennes collaborent fréquemment lors de déploiements

Pour l’amiral français, il est non seulement indispensable que les marines européennes accroissent leur présence en Méditerranée comme dans l’Atlantique nord, leurs théâtres d’opération traditionnels, mais également dans le Golfe Persique et dans le nord de l’Océan indien, précisément pour permettre un désengagement de l’US Navy tout en maintenant une présence importante et dissuasive sur ces théâtres critiques pour l’approvisionnement des européens, notamment en hydrocarbures.

Au delà des déploiements eux-mêmes, l’amiral Vandier a également appelé à accroitre et renforcer l’interopérabilité des flottes européennes, tant au niveau technologique qu’opérationnel, de sorte qu’une flotte multinationale européenne puisse agir comme une flotte unifiée.

En améliorant cette interopérabilité et cette expérience commune, les déploiements européens seront dès lors bien plus efficaces et dissuasifs, en agissant comme une force navale unifiée de sorte à priver un adversaire potentiel d’une quelconque opportunité pouvant le convaincre de passer à l’action.

Reste que, si une telle coopération est évidemment souhaitable, elle sera, dans les faits, complexe à mettre en œuvre, tout au moins pour effectivement remplacer l’US Navy.

En effet, les Marines européennes sont avant tout conçues comme des flottes nationales, répondant à des impératifs de protection qui, s’ils prennent également en compte les besoins de l’OTAN, ne sont pas structurées pour la plupart pour les déploiements distants soutenus.


Si les marines européennes disposent de nombreux sous-marins, seuls la Royal Navy et la Marine Nationale alignent des sous-marins nucléaires d’attaque

Ainsi, si les flottes européennes alignent presque une centaine de frégates et destroyers, autant que l’US Navy, elles ne disposent que de 5 porte-aéronefs, dont seulement 3 véritables porte-avions, et moins d’une dizaine de grands navires amphibies, moins de la moitié de la dotation de l’US Navy.

En matière de sous-marins, la situation est encore plus problématique, puisque sur la cinquantaine de sous-marins d’attaque en service, seuls 11 navires, 6 Astute britanniques, 4 Rubis (en comptant la Perle) et 1 Suffren français, sont à propulsion nucléaire donc adaptés à des déploiements distants et à l’escorte de Groupe aéronaval.

Surtout, les flottes européennes manquent cruellement de grands navires logistiques, capables de soutenir une flotte à la mer sur la durée, même si un effort évident est fait dans ce domaine depuis quelques années.

Qui plus est, chaque classe de navire ayant été construite sur des considérations nationales, leur interopérabilité au delà du partage de renseignement et d’engagement, est souvent faible, que ce soit dans le domaine des munitions, des pièces détachées, du parc aérien ou encore de la coopération électronique, par exemple pour mettre en oeuvre des procédures de détection multi-statiques conjointes.

Enfin, et c’est probablement le problème le plus difficile à résoudre, les marines européennes ne répondent pas à un commandement unifié ayant pour fonction d’en organiser les missions et l’allocation des moyens, chaque mission devenant un patchwork de moyens libérés sur des fenêtres de temps différentes par les Marines de chaque état, en fonction de leurs propres impératifs.

On peut ainsi se rappeler l’échec flagrant des marines européennes quant il fut question de déployer des éléments navals dans le Golfe persique en juillet 2019, après que l’Iran ait tenté d’arraisonner un pétrolier britannique, le British Heritage.

Les Marines européennes manquent cruellement de grands navires logistiques pour soutenir des déploiements distants de longue durée

De fait, et comme l’a indiqué l’Amiral Vandier, les Européens doivent désormais s’organiser non seulement du point de vue opérationnel, mais organique et programmatique, s’ils entendent effectivement remplir les espaces qui seront laissés vaquant par l’US Navy dans les années à venir, y compris en s’engageant dans des programmes structurant permettant de déployer efficacement des forces navales sous commandement européen, au delà de leur périmètre opérationnel traditionnel.

On peut, à ce titre, se demander si le rôle des « grandes marines européennes », notamment britanniques et françaises, ne serait pas de renforcer leurs moyens exclusifs, sous-marins nucléaires d’attaque, porte-avions, grands navires amphibies et navires logistiques, plutôt que d’étendre leurs flottes de frégates et corvettes, laissant ces missions à des marines ne disposant pas de telles capacités ?

OTAN, Grande-Bretagne : les voies de la souveraineté de la France (2/2)

OTAN, Grande-Bretagne : les voies de la souveraineté de la France (2/2)

OPINION- Quelles leçons la France devra-t-elle tirer de la guerre en Ukraine au moment où l’étau financier se resserre autour des finances publiques françaises. Plutôt qu’un Frexit, le groupe de réflexions Mars préconise le renforcement de la France dans l’OTAN, d’un axe franco-britannique quand Londres sera en mesure de l’entendre et la refonte de ses alliances. Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 sera examiné en séance publique au Sénat à compter de mardi 27 juin. Par le groupe de réflexions Mars*.

« Nos transferts de compétence vers l'Allemagne en aéronautique et en matière de matériel terrestre depuis vingt ans sont édifiants. Il est d'ailleurs permis de penser que la DGA n'a pas joué tout son rôle en matière de préservation de la BITD française ». (Le groupe de réflexions Mars)
« Nos transferts de compétence vers l’Allemagne en aéronautique et en matière de matériel terrestre depuis vingt ans sont édifiants. Il est d’ailleurs permis de penser que la DGA n’a pas joué tout son rôle en matière de préservation de la BITD française ». (Le groupe de réflexions Mars) (Crédits : DR)


Peu d’observateurs avisés croient que l’offensive ukrainienne en cours emporte la moindre décision opérative. Elle peut connaître des succès tactiques limités, mais un effondrement du front russe reste peu probable, même de l’avis des Américains, qui pourtant ne mégotent pas leur aide à l’Ukraine. L’échec de « la marche sur Moscou » de Wagner le 24 juin envoie des signaux contradictoires, mais la preuve est faite que le pouvoir de Poutine n’est pas près de tomber comme un fruit mûr. Il est d’ailleurs probable que Prigojine, criminel notoire dont Poutine a fait son obligé en le sortant des griffes de la justice et en lui accordant des dérogations légales aussi exorbitantes qu’inconstitutionnelles, ne soit qu’une marionnette du Kremlin.

En revanche, en termes politico-stratégiques, la victoire ukrainienne est certaine et éclatante, au prix de souffrances indicibles pour la population et d’une saignée démographique qui ne se compare qu’aux années trente. Au fond, la seule question qui reste sans réponse est celle de l’étendue des pertes territoriales que l’Ukraine devra finalement consentir pour prix de sa victoire. C’est à cette condition que le Kremlin pourra accepter une défaite stratégique sans perdre la face. En échange de gains territoriaux dans le Donbass et la rive gauche du Dniepr, la Russie devra accepter l’inacceptable : l’intégration de l’Ukraine dans le « bloc occidental », et donc à terme dans l’OTAN et l’UE.

Europe : quelles leçons de la guerre en Ukraine ?

Que signifie la défaite russe et la victoire ukrainienne pour nous, Français ? C’est cela qui aurait dû être discuté en préalable d’une vraie LPM de « transformation ». Au lieu d’une vision stratégique, on nous a infligé une affligeante « revue stratégique » qui se résume à un catalogue de menaces et un slogan inepte (« puissance d’équilibres ») pour surtout ne rien changer à notre défense quand tout est bouleversé autour de nous.

Car l’admission de l’Ukraine dans l’OTAN et dans l’UE sera un bouleversement stratégique comparable à la fin de l’URSS. Savoir si nous, Européens, avons été manipulés à cette fin n’a plus aucune importance. C’est désormais une réalité à laquelle il va falloir s’adapter, voire un « défi » (pour reprendre les termes de la ministre française chargée de l’Europe) auquel il faudra faire face.

En premier lieu, quelle sera l’attitude de la Russie ? Il est impossible de répondre à ce stade, tout dépendra in fine de ses gains territoriaux. Si le Kremlin sort de cette guerre sans perdre la face vis-à-vis de sa population, il sera sans doute possible de négocier avec la Fédération de Russie une nouvelle architecture de sécurité européenne. Notons que, dans leur confrontation géopolitique à venir avec la Chine, les Etats-Unis n’ont aucun intérêt à s’aliéner complètement la Russie. Obtenir sa neutralité dans un futur conflit serait une grande victoire stratégique.

C’est pourquoi les Américains font tout leur possible pour éviter une montée aux extrêmes en Ukraine. Il est significatif à cet égard que c’est dans la presse mainstream (Washington Post, New York Times, Foreign Affairs) que sont publiées des « révélations » ou des tribunes d’opinion (« op ed ») pour le moins embarrassantes pour le pouvoir ukrainien. La moins sensationnelle n’est pas, ces derniers jours, la révélation que la CIA avait été avertie dès juin 2022 par les services néerlandais que les services secrets ukrainiens préparaient la destruction du gazoduc Nordstream, ce que la CIA désapprouvait. Fâcheux en effet de soutenir un État qui pratique ce type d’activités que d’aucuns pourraient qualifier de terroriste, alors qu’il s’agit simplement d’un acte de guerre, comme la destruction par les Russes d’infrastructures civiles utilisées par les forces ukrainiennes. La prudence des occidentaux à la suite de la destruction du barrage de Kakhovka est dans la même logique.

Exigence de justice ou realpolitik ?

Ouvrons une parenthèse à propos de « l’exigence de justice » de certaines belles âmes, dont la faculté d’indignation sélective est inversement proportionnelle au discernement stratégique, comme le montrent tous les jours (par exemple au Soudan) les conséquences de l’intervention occidentale en Libye. Des crimes de guerre sont commis tous les jours en Ukraine, la plupart du temps du fait de la soldatesque russe, voire du haut commandement russe lui-même. Faut-il pour autant poser comme préalable à la paix la traduction en justice de leurs auteurs et commanditaires ? Chacun sait que la paix, dès lors qu’elle résulte d’une négociation et donc d’un compromis, doit prévaloir sur l’exigence de justice.

En dépit de sa responsabilité manifeste dans le déclenchement de la Première guerre mondiale et de la commission de crimes contraires au « droit des gens » dans les territoires occupés, l’Allemagne n’a jamais payé. Et l’on sait à quel point le « Diktat » de Versailles a été le terreau de l’idéologie hitlérienne. Même après la capitulation du 9 mai 1945, une fraction non négligeable des criminels de guerre allemands n’ont jamais été inquiétés (notamment les responsables du massacre d’Oradour), soit qu’ils aient réussi à se faire oublier en Amérique du Sud, soient qu’ils aient été « recyclés » en Amérique du Nord, par exemple dans les réseaux de renseignement comme l’organisation Gehlen. Qui est assez naïf pour croire que la grande Amérique renonce cette fois à la raison d’État au profit de la justice ?

La France veut-elle investir dans l’OTAN ?

En termes de programmation militaire, le pire doit toujours être envisagé. Il est donc parfaitement justifié, pour nous Français, d’investir en priorité dans la crédibilité de notre dissuasion nucléaire. Il est de même parfaitement inutile de prétendre rivaliser avec l’armée polonaise (dont l’équipement est en grande partie financé par le contribuable franco-allemand via la facilité européenne de paix et autres fonds européens), voire l’armée ukrainienne, en termes de capacités d’agression terrestre.

Finalement, face à une Russie aux capacités amoindries mais tentée de prendre sa revanche, une OTAN fragilisée par l’intégration de l’Ukraine devra être capable de défendre chacun de ses quelques 34 ou 35 membres conformément à l’article 5 du traité fondateur (même s’il convient de le relire attentivement pour en saisir toutes les subtilités). Il en résultera nécessairement un nouveau concept stratégique, une organisation plus intégrée (pour être plus réactive), et sans doute un partage des tâches plus poussé. La France y est-elle prête ?

Qui en France se souvient que le premier commandant opérationnel en Centre-Europe fut le Maréchal Juin ? Il disposait alors de la plénitude du commandement en cas de conflit contre l’URSS et ses alliés, à l’exception de l’utilisation des armes nucléaires tactiques qui restaient sous le contrôle de SHAPE, fonction nécessairement tenue pour cette raison par un Américain.

Aujourd’hui, plus modestement, la France va-t-elle finalement armer tous ses postes à l’OTAN ? Après l’augmentation des effectifs de l’organisation qui sera décidée à Vilnius en juillet, on parle d’au moins 150 postes supplémentaires. Où va-t-on les trouver ? En Afrique ? Ne serait-il pas plus raisonnable de retirer nos officiers des instances de l’UE, où ils ne servent à rien, pour travailler notre influence à l’OTAN ? Car, plus que jamais depuis 60 ans, « c’est là que ça se passe ». La France veut-elle s’y investir à la hauteur de son rang et de ses moyens militaires, ou bien laisser la préséance à d’autres alliés (allemands, britanniques, polono-ukrainiens…) ? C’est cela que l’on aurait aimé trouver dans le rapport annexé à la LPM, avec les choix capacitaires et de politique RH (comment fidéliser les cadres qualifiés ?) qui en découlent.

Défense de l’Europe versus Europe de la défense

En même temps, il est parfaitement illusoire de penser que la défense de l’Europe se fasse ailleurs qu’au sein de l’OTAN. Si autonomie stratégique européenne il y a, elle s’exercera dans le cadre de l’OTAN, la seule question étant celle du degré d’implication des Américains. Question cruciale au demeurant, mais une chose est certaine : le renforcement du pilier européen ne se fera ni sans eux, ni contre eux. Sur ce point, nos alliés ont parfaitement raison et la France a tort de porter un discours de « souveraineté européenne » qui ne fait que semer la confusion et nous aliéner nos propres alliés.

De toute façon, le concept même de « souveraineté européenne » est une dangereuse ineptie. Si les Français ont fait la Révolution et transféré à la Nation la souveraineté confiée jusque-là au monarque de droit divin, ce n’est pas pour la donner à une « Sainte Alliance » renouvelée. La souveraineté n’est pas un luxe dont le Prince peut se priver en vue d’un bien prétendu meilleur ; c’est la condition même de la survie de la France, qui s’est constituée autour d’un État dirigé par un monarque qui a créé de toutes pièces sa légitimité en inventant la théorie du « roi empereur en son royaume ».

Revenir sur cet acquis fondamental de l’histoire de France, que la Révolution n’a fait que modifier sans y renoncer, relève d’une idéologie réactionnaire d’autant plus illégitime que la construction européenne se fait, depuis vingt ans, au détriment des intérêts de la France et des Français. Les gouvernements français successifs ont sans doute cru bien faire en transférant de plus en plus de compétences à Bruxelles afin d’imposer des réformes à un pays réputé difficile à réformer.

C’est typiquement le cas de la politique de « l’euro fort », pensée pour améliorer la compétitivité de l’économie française, et qui a finalement précipité sa désindustrialisation. Mais le référendum de 2005 a montré que l’électeur n’était pas dupe. Et l’on voudrait à présent transférer à l’UE la souveraineté, c’est-à-dire non plus certaines compétences, régaliennes ou non, mais « la compétence de la compétence » ? Au moins peut-on en l’occurrence compter sur l’opposition de nos alliés pour nous ramener à la raison.

L’UE pour Berlin est un démultiplicateur de puissance

Reste à mesurer les conséquences pour la France d’une intégration de l’Ukraine dans l’UE (qui finira par se faire, même si ce n’est pas immédiat), y compris si l’Union européenne reste un simple marché intérieur, sans prétentions politiques, ce qui est hautement souhaitable. Le processus de marginalisation de la France en sera accéléré. Le centre de gravité de l’Union, qui était proche du territoire français jusqu’au début des années 2000, s’ancrera désormais au cœur de la Mitteleuropa. Compte tenu des besoins de rattrapage d’une économie ukrainienne dévastée, la saignée financière pour la France sera dramatique, sans contreparties notables dans le marché intérieur, contrairement à l’Allemagne.

En effet, au contraire de l’Allemagne, la France n’a jamais profité de l’élargissement de l’UE vers l’Est. L’Allemagne réunifiée a connu un essor économique en investissant en Europe de l’Est à l’aide des fonds européens payés par les États contributeurs nets pour tous les Européens. Ainsi, l’Allemagne a augmenté sa capacité de production, sans en supporter l’essentiel des coûts d’investissement, au service de sa compétitivité mondiale et d’exports florissants qui n’enrichissent qu’elle. L’UE pour Berlin est un démultiplicateur de puissance. Ce n’est plus le cas pour Paris depuis plus de vingt ans.

Les relations financières avec l’UE étaient quasiment à l’équilibre en 1999, les dépenses de l’UE en France étant équivalentes au montant de la contribution française au budget communautaire. 25 ans plus tard, la saignée financière est de 10 milliards d’euros par an et elle augmente encore chaque année. Dix milliards de moins pour la défense, ou d’autres politiques publiques ! En 25 ans de dégradation continue du solde financier, notamment depuis l’élargissement de 2004, le transfert net de richesses est de 120 milliards d’euros. Dans le même temps, le solde commercial de la France dans le marché intérieur (donc au seul bénéfice de ses partenaires européens) n’a cessé également de se détériorer, pour atteindre aujourd’hui les profondeurs abyssales que nous connaissons.

Mais cela n’empêchera pas Bruxelles de placer Paris sous surveillance pour déficits excessifs. Et quel budget servira de variable d’ajustement d’après vous ?

Repenser les alliances de la France

Politiquement, face à l’absence totale de projet national en Europe, en dehors d’un discours mièvre et creux sur l’UE (pale reprise du projet Mitterrand qui n’a pas survécu faute d’avoir conduit les rapports de force nécessaires avec les Allemands), la tentation du Frexit sera de plus en plus forte. Est-ce cela que nous voulons ? A la base du Brexit, le constat a été fait que les Britanniques ne trouvaient pas dans le marché intérieur assez de contreparties à leur contribution financière nette, en dépit du fameux « chèque britannique ». Les mêmes causes produiront-elles le même effet ? Est-ce que le risque est mesuré ? Est-ce que quelqu’un y réfléchit ? Existe-t-il quelque part un plan B ?

N’est-il pas temps de préparer un rapprochement avec les Britanniques (quand ils seront plus réceptifs) afin de proposer de refonder le projet européen afin d’éviter une partition douloureuse ? Pour convaincre les Britanniques d’un projet avec la France, il nous faudrait aussi retrouver une pensée autonome et une capacité d’actions pour défendre les intérêts de la France. D’autres États, membres ou non de l’UE, ont cessé de porter attention aux attentes de la France tout simplement parce que nos dirigeants n’en n’ont plus. A ce titre, nos transferts de compétence vers l’Allemagne en aéronautique et en matière de matériel terrestre depuis vingt ans sont édifiants. Il est d’ailleurs permis de penser que la DGA n’a pas joué tout son rôle en matière de préservation de la BITD française.

Les conséquences en matière de défense seraient majeures. Alors que la conflictualité multi-milieux et multi-champs impose de repenser l’organisation de la défense nationale (le ministre chargé de la Défense n’étant compétent que dans le cadre de la mise en œuvre des moyens militaires), n’est-il pas temps de repenser nos alliances ? Il ne s’agit évidemment pas de changer d’alliés mais de redéfinir les modes opératoires concrets de nos alliances, bien au-delà de l’interopérabilité otanienne. La défense aérienne et anti-missiles constitue une priorité. Mais dans l’espace extra-aérien, le milieu sous-marin, le cyber, le champ informationnel, comment la sécurité collective s’organise-t-elle ? La LPM actuelle reste peu diserte sur le sujet.

Allié au sein de l’OTAN sans devenir dépendant

Un autre domaine majeur sur lequel la LPM ne propose pas grand-chose est notre politique de voisinage, c’est-à-dire vis-à-vis de nos voisins d’Afrique et du Proche-Orient. On peine à trouver une vision renouvelée apte à surmonter les défis présents et à venir, au-delà du constat que les toutes dernières années ont été désastreuses. On n’ose de même évoquer nos ambitions dans la vaste zone indopacifique, les référendums calédoniens et les élections polynésiennes ayant envoyé au reste du monde un signal pour le moins ambigu que la programmation in extremis de deux petits navires amphibies peine à contrecarrer.

Au lieu d’avancées dans l’utilisation de nos alliances, la coopération européenne sur les programmes d’armement est toujours présentée comme une martingale capacitaire, en dépit des évidences. Mais est-il raisonnable de confier les clés de nos futurs chars aux héritiers de Krupp et celles de nos avions à ceux de Messerschmidt ? On peut rester alliés au sein de l’OTAN sans devenir dépendants. Cela s’appelle la souveraineté.

                     ———————————————————————————–

(*) Le groupe Mars, constitué d’une trentaine de personnalités françaises issues d’horizons différents, des secteurs public et privé et du monde universitaire, se mobilise pour produire des analyses relatives aux enjeux concernant les intérêts stratégiques relatifs à l’industrie de défense et de sécurité et les choix technologiques et industriels qui sont à la base de la souveraineté de la France.

Nexter prend les rênes du projet de canon électromagnétique européen

Nexter prend les rênes du projet de canon électromagnétique européen

par – Forces opérations Blog – publié le

La Commission européenne a validé hier une deuxième tranche de 41 projets de R&D soutenus via le Fonds européen de la défense (FED). L’un d’entre eux acte la poursuite du développement d’un canon électromagnétique européen, projet piloté par Nexter (KNDS). 

Gagner en maturité

Baptisé « Technology for Electromagnetic Artillery » (THEMA), l’effort verra Nexter Systems et ses partenaires s’attacher à faire monter en maturité les composants critiques du système, à commencer par l’apport en énergie, le canon proprement dit et le projectile hypervéloce. À terme, cette arme « offrira un intercepteur hypersonique avec une précision et une létalité améliorées », relève la Commission européenne. 

Pour les instances européennes, il s’agira de plancher en priorité sur une solution moyen calibre opérée dont la mission primaire relèvera de la défense anti-aérienne au profit de forces navales et terrestres. « Le canon électromagnétique devrait compléter d’autres moyens défensifs comme les missiles et les canons, et pourrait être adapté à diverses plateformes navales et systèmes de défense aérienne terrestres ». Les applications contre des cibles de surface ne viennent qu’en second lieu. 

THEMA s’inscrit dans la continuité du projet PILUM, lancé en 2021 via le dispositif d’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (PADR). À supposer que le calendrier annoncé au lancement de PILUM soit respecté, THEMA devrait ouvrir la voie au démonstrateur complet attendu pour 2028. 

Quand PILUM rassemblait sept acteurs de quatre pays pour un budget de 1,5 M€, THEMA est d’un tout autre calibre. Cette fois, 14 entreprises, laboratoires et autres instituts de neuf pays vont se partager près de 15 M€ pour poursuivre les recherches durant quatre ans. L’équipe de PILUM est entièrement reconduite, et si le cabinet de conseil parisien Erdyn n’apparaît plus, il aura néanmoins participé au montage du projet avec Nexter et reste partie prenante au titre de sous-traitant. L’implication majeure de la France n’a rien d’anodin, cette technologie étant l’une de celles inscrites dans le volet innovation de la prochaine loi de programmation militaire pour 2024-2030. 

La BITD française dans 80% des projets

La quarantaine de projets bientôt soutenus représente un coup de pouce de 832 M€. « Le résultat des appels lancés en 2022 montre une fois de plus que le FED contribue à l’autonomie stratégique de l’UE ainsi qu’à la création d’une base industrielle et technologique de défense européenne plus compétitive et plus intégrée », estime la Commission. 

« Les consortiums sélectionnés rassemblent 550 entités de toute l’UE et de Norvège; les PME sont fortement représentées puisqu’elles représentent 39 % des entités participantes », ajoute-t-elle. La Commission va maintenant entamer les négociations avec les différents groupements en vue de parvenir à la signature d’accords avant la fin de l’année. 

La « moisson » est à nouveau impressionnante pour la filière française. Celle-ci prendra part à plus de 80% des projets adoptés et en conduira près du tiers, tant par l’entremise de grands noms qu’au travers de petites structures. 

La filiale française d’Airbus Defense and Space, par exemple, coordonnera une étude de faisabilité en vue du potentiel développement d’un nouvel avion de transport tactique médian. Un projet de 18 mois financé à hauteur de 30 M€, baptisé « Future Air System for European Tactical Transportation » (FASETT) et directement lié au programme FMTC de la Coopération structurée permanente, également sous pilotage français. 

Crédits image : Le canon électromagnétique de l’ISL – Institut franco-allemand de Recherches de Saint-Louis.

Les spécificités de la guerre économique dans le numérique

Les spécificités de la guerre économique dans le numérique

 

par Charlotte Pillard Pouget (MSIE41 de l’EGE) – Ecole de Guerre économique – publié le 21 juin 2023

https://www.ege.fr/infoguerre/les-specificites-de-la-guerre-economique-dans-le-numerique


Le numérique est aujourd’hui une guerre technologique et économique entre les deux puissances mondiales qui s’affrontent sur le terrain de la 5G : les Etats-Unis et la Chine. (1)La Commission européenne affiche son ambition numérique (2). L’Europe cherche à renforcer sa souveraineté numérique à travers l’autodétermination des normes. NextGeneration EU alloue un investissement de 250 milliards d’Euros avec pour stimuler la numérisation(3). En 2022, le gouvernement Macron supprime la taxe imposée aux opérateurs de téléphonie mobile sur chaque nouvelle antenne relais. C’était la seule source de financement destinée à la recherche scientifique publique sur les ondes. Cette taxe de 1 674 euros faisait l’objet d’un fort lobbying de la part des opérateurs depuis de nombreuses années. Le gouvernement lui reprochait de freiner l’implantation de la 5G en France (4) Sans recherche publique indépendante sur les effets des ondes sur notre santé, peut-on vraiment faire confiance aux résultats des études effectués par et pour des opérateurs téléphoniques privés ?

Nos contradictions par rapport au numérique

D’une part, les citoyens souhaitent voir s’étendre la couverture de la téléphonie mobile, jusque dans nos campagnes, à tel point qu’une proposition de loi a été déposée en avril 2022 pour instituer un droit à la connexion opposable et garantissant l’égalité d’accès au numérique dans les territoires (5)

Les citoyens, et c’est tout aussi légitime, expriment des inquiétudes quant aux effets des champs électromagnétiques, et défendent le droit fondamental à la santé. Le principe de prudence et les doutes quant à la nocivité de la quantité croissance de notre exposition aux ondes étaient déjà à l’ordre du jour il y a une douzaine d’années, comme le relate le compte-rendu de l’audition publique organisée par le député Alain Gest le 6 avril 2009 au sujet des « antennes relais à l’épreuve des inquiétudes du public et des données scientifiques » (6). Connaissons-nous l’impact sur notre santé et sur celui de la biodiversité de l’augmentation exponentielle du numérique ?

Tiraillement également entre le « droit vital » d’être connecté, et celui tout aussi « vital » de pouvoir choisir d’être déconnecté pour se reposer ou s’occuper autrement. La société actuelle donne-t-elle ce droit de déconnexion à nos enfants parfois biberonnés au numérique (même passif) ? Combien de temps les gouvernements, les politiques ont-ils prétendu que la fumée du voisin n’était pas toxique, avant de reconnaître la nocivité du tabagisme passif ?

Nos adolescents peuvent-ils suivre une scolarité sans téléphone si l’ensemble de la communauté de leur classe d’âge échange plus en ligne que dans la cour du collège et si les professeurs ne communiquent plus oralement les devoirs mais uniquement sur le site « école directe » ?

Le numérique est devenu l’outil indispensable à notre transition énergétique. Il peut servir très efficacement à améliorer le rendement de nos usines, et à réduire notre consommation notamment par l’effacement des pics énergétiques. Dans le secteur industriel, très gros consommateur d’électricité, la suspension de l’alimentation auprès des entreprises volontaires et bénéficiant d’un meilleur tarif, permet d’éviter le recours aux centrales électriques les plus polluantes (gaz et charbon), tout en optimisant les énergies renouvelables. De fait, cette application du numérique permet de réduire notre empreinte carbone.

Malheureusement, le numérique contribue toujours plus aux émissions de gaz à effet de serre, avec une croissance plus rapide que les gains générés par cette même technologie. Les émissions de CO2 du numérique ont augmenté depuis 2013 d’environ 450 millions de tonnes dans l’OCDE, dont les émissions globales ont diminué de 250MtCO2eq, comme indiqué dans le rapport du Shift project. (7) Le Shift project souligne la nécessité de débattre des usages à privilégier pour éviter l’effet rebond de surconsommation permise par la 5G. La technologie en soit n’est pas perverse, mais certains de ses usages peuvent le devenir. Nous devons donc filtrer les applications nécessaires, tout en visant une sobriété numérique indispensable à nos défis environnements…

Entre aspiration à la « high technologie » pour une industrie plus compétitive, et besoin de revenir sur des « low-tech » pour un société plus résiliente, et plus respectueuse de l’environnement.

Conflit d’usage pour les métaux critiques dont l’Europe est dépendante à près de 50 % de la Chine et de la Russie. Les terres rares et métaux, limités par des facteurs physiques, géopolitiques, économiques, écologiques, sont tout aussi indispensables à la réindustrialisation et numérisation de notre économie, qu’à la décarbonation nécessaire.  Quelles sont nos priorités ? Choisir, c’est renoncer à certains usages, voire imposer des quotas sur certains, pour privilégier ceux que nous considérons comme essentiels et vertueux. Dans tous les scénarios imaginables, la sobriété sera notre choix, ou nous sera très vite imposée.

Le danger serait de se laisser imposer des choix par passivité et manque d’esprit critique par rapport aux politiques qui nous gouvernent…

Guerre informationnelle et manipulation politique

Certaines ordonnances adoptées en toute hâte et sans soumission au préalable au débat public éveillent le soupçon, à tort ou à raison…

  • En juin 2018, l’article 62 de la loi Élan met fin à des dispositifs de la loi Abeille qui tire son nom de Laurence Abeille, députée écologiste à l’origine de la proposition de loi « relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques » adoptée en janvier 2015. La loi abeille permettait un contrôle de l’implantation des antennes-relais, et prévoyait des dispositifs d’information et de concertation en lien avec les élus locaux pour l’implantation ou la modification des antennes relais. Cet article 62 de juin 2018 soit trois ans et demi seulement après la loi abeille est un « cavalier législatif », c’est-à-dire qu’il n’a rien à voir avec le reste de la loi, consacrée aux questions de logement. Nous pouvons légitimement émettre des doutes sur la victoire du lobby des opérateurs de téléphonie mobile qui a maintenu la pression jusqu’à obtenir l’ajout « discret » de cet article.
  • En pleine pandémie covid et pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, l’ordonnance n° 2020-320 du 25 mars 2020 relative à l’adaptation des délais et des procédures applicables à l’implantation ou la modification d’une installation de communications électroniques fût adoptée. « Par dérogation … la décision d’implantation sur le territoire national des stations radioélectriques peut être prise sans accord de l’Agence nationale des fréquences pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire » … (3) De quelle urgence sanitaire parle-t-on ?
  • En 2022, le gouvernement Macron supprime la taxe imposée aux opérateurs de téléphonie mobile sur chaque nouvelle antenne relais. C’était la seule source de financement destinée à la recherche scientifique publique sur les ondes. Cette taxe de 1 674 euros faisait l’objet d’un fort lobbying de la part des opérateurs depuis de nombreuses années. Le gouvernement lui reprochait de freiner l’implantation de la 5G en France. (4) Sans recherche publique indépendante sur les effets des ondes sur notre santé, peut-on vraiment faire confiance aux résultats des études effectués par et pour des opérateurs téléphoniques privés ?

 

Quand l’outil numérique nourrit nos addictions et dirige notre projet de société

Les usages numériques les plus fréquents des particuliers sont Youtube, les réseaux sociaux, la pornographie et Netflix. Or, selon le baromètre numérique 2022, 58% des personnes interrogées ne pourraient pas se passer d’internet plus d’une journée sans ressentir un manque, contre 18% en 2011 (8). Cela ressemble à une addiction perverse, plus qu’à un besoin vital… Les usages cités plus haut ne sont pas liés à la survie d’un être humain, alors même que le besoin vital de contact est hypothéqué à cause du numérique ! Un bébé humain se laisse mourir si aucun autre être humain ne le touche, ne le regarde dans les yeux, ou ne lui adresse la parole. Les périodes de confinement pendant la pandémie de covid ont montré in vivo les impacts psychologiques sur les êtres humains d’un manque de contact physique, que le contact numérique n’a pas su combler.

Et pourtant, nous assistons peut-être à la mutation de l’être humain puisque plusieurs études constatent une réduction des rapports physiques, de manière souhaitée et non subie. 44 % des jeunes français âgés de 18 à 25 ans n’ont eu aucun rapport sexuel durant l’année écoulée. C’est un peu moins que pendant le confinement (57 %), mais nettement plus qu’il y a 8 ans (25 %). La tendance en France est alignée avec ce que l’on constate aux États-Unis.   (9) . Les générations nées au XXème siècle peinent à comprendre le fait que les plus jeunes jugent ce manque lié à une potentielle déconnexion plus effrayant que l’absence de contact physique.

Les GAFAM avec leurs algorithmes ultra efficaces de suggestion de contenus, imposent et influencent notre rythme de marche, pulsions d’achat, convictions politiques, et rencontres amoureuses. (10). L’encerclement cognitif fonctionne parfaitement puisqu’une majorité d’humains publie volontiers et sans contrainte des données personnelles d’une part, et accepte au nom de la sécurité les caméras de surveillance de plus en plus nombreuses d’autre part.

Aucune excentricité ou comportement hors norme ne sort des radars. Nous vivons déjà dans une société où l’intime est réduit, et notre vulnérabilité mise à nue… Le PDG a intérêt à être lisse et dans le moule pour ne pas accroitre la vulnérabilité de son entreprise, faire chuter son cours de bourse ou la précipiter dans les bras d’un potentiel acheteur…

« Il avait remporté la victoire sur lui-même. Il aimait Big Brother ». Ultime phrase de 1984 de George Orwell. La guerre cognitive des GAFAM, et de ses alliés ultra-libéraux (publicitaires, multinationales avides de profit, capitalistes désintéressés des conséquences sociales, écologiques et sanitaires de leurs stratégies, sociétés de surveillance…) est sur le point d’être gagnée. Or, une société surveillée est une société sclérosée, en manque de liberté et de créativité.

Dans cette guerre cognitive de grande intensité, la riposte tente de se préparer. La commission européenne interdit Tik Tok aux fonctionnaires de l’institution au nom de la protection des données et face aux risques de cyberattaques. (11) Plus largement, l’union européenne appliquera le digital service act (DSA) dès septembre 2023. Cette nouvelle législation exige la modération des contenus illicites ou délétères et la transparence du service à toutes les applications, sous peine d’interdiction et de sanction.

Les forces en présence dans cette guerre cognitive ont beaucoup d’intérêts en jeu : financiers et idéologiques, enjeux démocratiques et climatiques entre autres…


Sources

1) https://www.arte.tv/fr/videos/091146-027-A/le-dessous-des-cartes/

2) https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/priorities-2019-2024/europe-fit-digital-age_fr

3) Les principaux défis sont :

. Législation sur les services numériques : garantir un environnement en ligne sûr et responsable ;

. Renforcer la compétitivité et la résilience de l’Europe dans le domaine des technologies des semi-conducteurs.

. Identité numérique européenne : contrôle des informations partagées avec des tiers

. Intelligence artificielle : parvenir à de meilleurs soins de santé, à des transports plus sûrs et plus propres, à des procédés de fabrication plus efficaces et à une énergie moins chère et plus durable grâce à l’IA ;

. Gouvernance européenne des données pour faciliter le partage des données entre les secteurs d’activité et entre les États membres (données sur la santé, la mobilité, les données environnementales, agricoles, données de l’administration publique) ;

. Stratégie industrielle européenne pour une souveraineté numérique et la neutralité carbone 2050 ;

. Renforcement de la coopération européenne en matière de défense.

4) https://www.lagazettedescommunes.com/758789/fiscalite-locale-le-gouvernement-envisage-une-reforme-de-lifer-mobile/

5) Proposition de loi n°5192 instituant un droit à la connexion opposable et garantissant l’égalité d’accès au numérique dans les territoires (assemblee-nationale.fr)

6) https://www.assemblee-nationale.fr/opecst/CR%20Antennes%20relais.pdf

7) « Pour une sobriété numérique » : le nouveau rapport du Shift publié (theshiftproject.org)

8) Barometre numérique.pdf

9) https://www.ladn.eu/nouveaux-usages/sexe-jeunes-nont-eu-aucune-relation-en-2021/#:~:text=L’%C3%A9tude%20indique%20que%2044,on%20constate%20aux%20%C3%89tats%2DUnis.

10)  5G : LE GÂCHIS ÉNERGÉTIQUE – YouTube Nicolas Bérard, journaliste « 5G, mon amour »

11) https://www.liberation.fr/international/europe/protection-des-donnees-la-commission-europeenne-interdit-tiktok-a-son-personnel-20230223_D2AA5VEM3RD5ZJROOZBIGX4ETU/

La bataille pour la première position par Michel Goya

La bataille pour la première position

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 19 juin 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Partons d’un chiffre : 42. C’est le nombre de véhicules de combat (chars de bataille, véhicules de combat d’infanterie et en comptant cette fois aussi les Léopard 2R équipés de dispositif de bréchage) ukrainiens détruits comptabilisés par le site Oryx du 7 au 14 juin 2023, pour 75 russes. On connaît les grandes limites de l’exercice, le décalage forcé de la mise en ligne par rapport aux évènements et surtout le fait de ne pas comptabiliser ce qui n’a pas été rendu visible. On rappellera aussi que ces chiffres concernent l’ensemble du théâtre ukrainien et non pas seulement l’opération X même si on se doute que c’est là que se situent les plus lourdes pertes.

Ce que l’on peut dire cependant est qu’il s’agit d’un chiffre plus élevé que la moyenne et il faut revenir aux premières semaines de guerre pour trouver des équivalents. En même temps, dans l’absolu ce ne sont pas des chiffres très élevés non plus. On peut considérer que les douze brigades de manœuvre engagées en premier échelon par les Ukrainiens, neuf déjà en place et trois en renfort, comptent environ 1200 véhicules de combat en ordre de marche (autour de 1 400 en théorie). À ce titre, même en doublant l’estimation d’Oryx et en considérant qu’une brigade est neutralisée lorsqu’elle atteint 40 % de ses équipements majeurs, cela donne un potentiel de quatre mois de combats à ce rythme de pertes. Les hommes qui servent ces matériels auront craqué bien avant. Retenons à ce stade que malgré les vidéos servis abondamment par le camp russe, les pertes matérielles ukrainiennes globales semblent plutôt modérées. Montrer cent fois une vidéo d’un char détruit donne toujours un seul char réellement détruit.

Ces pertes matérielles sont en revanche assez inégalement réparties, en qualité d’abord avec sans doute une part non négligeable du parc des précieux engins de génie. Une armée moderne à l’attaque est une horlogerie délicate. Il lui faut engager simultanément des moyens qui protègent les troupes d’assaut des menaces du ciel, drones, obus, avions et hélicoptères d’attaque, d’autres qui neutralisent les points d’appui ennemis par le feu et d’autres enfin qui permettent de s’emparer de ces points d’appui ou de les contourner en franchissant des obstacles de toute sorte. Qu’il manque une pièce essentielle dans cet ensemble et tout s’enraye. La force ukrainienne dispose à peu près de tout ce qu’il faut mais présente quelques points faibles comme la lutte anti-drones, les moyens de franchissement ou la quantité d’obus d’artillerie, qui reflètent d’ailleurs nos propres faiblesses. Il reste à déterminer si l’ensemble sera encore complètement cohérent après la conquête de la première position russe, la désorganisation de la force d’assaut ukrainienne était justement la mission cette première position. Il est intéressant de noter surtout que ces pertes sont inégales selon les unités. Sur 42 véhicules de combat vus comme détruits en une semaine, on trouve en effet 4 Léopard 2A4 et A6, 3 Léopard 2R et 16 VCI Bradley. En considérant que tous ces véhicules occidentaux appartiennent à la même brigade, le 47e mécanisée, cela fait d’un seul coup aussi beaucoup pour une seule unité.

Pour les hommes (94 % des pertes ukrainiennes civiles et militaires sont des hommes), les choses sont plus compliquées à déterminer. Si on reprend une nouvelle fois les chiffres des pertes de véhicules de combat d’Oryx depuis le début de la guerre et si on les compare avec les pertes humaines totales estimées dans les deux camps, on obtient une moyenne de 120 tués et blessés ukrainiens pour un char/véhicule d’infanterie constaté perdu et 60 du côté russe. Il ne s’agit évidemment pas des pertes dans ces véhicules, mais juste d’une estimation grossière par l’application d’un coefficient de corrélation. Cela donnerait donc pour cette semaine un ordre de grandeur de près de 5 000 soldats ukrainiens touchés, donc 2 500 définitivement hors de combat (tués, blessés graves, prisonniers) en une semaine et 2500 qui peuvent revenir rapidement en ligne. En considérant que 3 à 4 000 de ces hommes sont dans l’opération X, cela donne à ce rythme une capacité de combat de trois mois pour les 12 brigades de premier échelon avant d’être réduit à 30 % des effectifs. Là encore les relèves seront, normalement, effectuées avant.

Car derrière ces douze brigades de manœuvre ukrainiennes de premier échelon, et ces six brigades territoriales ou de garde nationale qui tiennent les positions, on trouve au sud de la ville de Zaporijia un deuxième échelon de dix brigades de manœuvre prêt à relever celles de l’avant ou de venir attaquer elles-mêmes la ligne. Entre Zaporijia et Dnipro, on trouve même une réserve stratégique de cinq brigades susceptibles d’être engagées partout. Bref, la ressource ukrainienne est à peine entamée.

Mais il en est sensiblement de même du côté russe. Oryx comptabilise donc 75 véhicules de combat détruits sur l’ensemble du théâtre cette semaine. Là encore, on ne sait trop ce qui relève de l’opération X mais cela représente sans doute la majorité de pertes. C’est, là encore, un peu plus que la moyenne des semaines précédentes, mais pas autant que les 238 véhicules de combat perdus chaque semaine entre le 24 février et le 1er avril 2022, en grande partie dans la bataille de Kiev (le fameux « leurre » cher aux influenceurs prorusses). Cela représenterait aussi environ 4 500 hommes en appliquant le ratio de 60 pour 1 véhicule, dont une majorité face à l’opération X. Ce sont dans les deux cas des taux de pertes encore largement soutenables pour les 28 brigades/régiments identifiés dans ce secteur.

On notera au passage que les pertes des défenseurs russes semblent équivalentes en homme ou supérieures en matériel (on note aussi 14 pièces d’artillerie russes perdues contre quatre ukrainiennes depuis le 1er juin) à celles des attaquants. Cela peut paraître paradoxal, les attaquants étant censés se découvrir plus au feu que les défenseurs, cela ne l’est pas en réalité. Rappelons que les unités engagées de part et d’autre doivent faire face à deux menaces. Elles peuvent s’affronter directement en combat « rapproché », en fait souvent de manière lointaine où il est bien plus fait usage de mitrailleuses lourdes, canons-mitrailleurs et tubes de chars que de fusils d’assaut. Dans ces conditions, l’affaire est bien plus une affaire de qualité que de nombre. 

Le principe est simple en cas de rencontre entre deux unités, l’unité de plus haut niveau tactique sur une échelle de 1 à 10 l’emporte systématiquement et l’ampleur de sa victoire sera plus que proportionnelle à l’écart de niveau entre les deux forces ennemies. La position défensive sur une position retranchée apporte un bonus d’un échelon ainsi que, en attaque comme en défense, l’appui d’un puissant complexe de reconnaissance-frappes. Au bout du compte, à niveau équivalent le combat est indécis et soumis aux aléas du hasard ; avec un niveau de plus on gagne de manière limitée ; avec deux niveaux d’écart, on l’emporte nettement avec beaucoup moins de pertes que l’autre : avec trois niveaux, on écrase l’ennemi. 

Rappelons aussi avant d’aller plus loin que la notion d’un rapport de forces de « 3 pour 1 » à réunir pour pouvoir l’emporter une attaque a du sens au niveau stratégique (l’armée de Terre française de 1990 l’emporterait sans doute sur celle de 2023 car elle était trois fois plus nombreuse) mais pas au niveau tactique, disons au niveau de la brigade et en dessous. Dans ce monde là très dangereux, à partir d’un certain seuil, ajouter des hommes c’est faire monter légèrement le M de l’équation mais c’est surtout ajouter des pertes. C’est donc possible si on se moque des pertes, comme le faisait Wagner à Bakhmut, mais ce n’est pas du tout la norme. Depuis presque cent ans les rapports de force des combats terrestres ne dépassent que très rarement le 2 contre 1 et bien souvent les attaquants sont inférieurs en nombre aux défenseurs. On y revient donc, au niveau tactique la taille ne compte pas beaucoup. Seule compte la différence de niveau tactique. 

Toute la difficulté d’une armée sera de concilier masse et niveau tactique car ce ne sont pas des critères parfaitement compatibles. Le point clé est de disposer et conserver une grande quantité de cadres – officiers et sous-officiers – de bonne qualité, malgré l’intensité des combats et l’ampleur des pertes.

Que constate-t-on maintenant sur le terrain ? Les Ukrainiens ont lancé tout ou presque de leur premier échelon à l’attaque de la première position russe, chaque brigade agissant par colonnes de bataillons interarmes.

D’Ouest en Est, près du Dniepr à Lobkove la 128e brigade de montagne a progressé et a été stoppée par les éléments avancés russes sans subir trop de pertes. La 65e brigade mécanisée à fait de même plus à l’Est dans la zone de Nesterianka. L’engagement des 33e et 47e brigades mécanisées depuis Orikhiv en direction respectivement de Robotyne et Verbove a été en revanche plus intense. La 33e brigade a bien progressé avant d’être stoppée. Elle a même subi une contre-attaque depuis la ligne principale du 291e régiment de la 42e division motorisée mais celle-ci a été stoppée à son tour. Les pertes ont été assez sensibles de part et d’autre. L’échec le plus important est venu de la 47e brigade dont les quatre colonnes d’assaut ont été sévèrement étrillées devant le groupement russe de la 22e brigade Spetsnaz et de la 45e brigade de Forces spéciales, utilisées en formation d’infanterie. Dans le secteur central de Houliaipole, la 46e brigade aéromobile ukrainienne (équipée notamment de véhicules VAB français) a légèrement progressé. On a donc globalement eu à l’Ouest et au centre des combats de niveau équilibré qui n’ont pas donné grand-chose et un combat déséquilibré qui a abouti à un grave échec. La 47e brigade étant censée avoir été formée par les Occidentaux, il faudra peut-être se poser quelques questions.

Si les Ukrainiens ont clairement été contenus dans la partie Ouest du front, ils ont été beaucoup plus victorieux dans la zone de Velika Novosilka. Ils y ont bénéficié de la forme en saillant du front, qui leur permettait de coordonner l’action de flanc de plusieurs brigades (si on forme des poches sur les flancs, les unités russes à l’avant sont menacées d’encerclement et doivent se replier), là où les brigades à l’Ouest devaient attaquer en parallèle en ligne droite sans avoir beaucoup de possibilité de s’aider mutuellement. Les Ukrainiens disposaient d’unités pas forcément parmi les plus lourdement équipées mais de bonne qualité tactique, comme la 37e brigade d’infanterie de marine (avec des AMX-10RC français) venue du secteur de Vuhledar et qui a attaqué avec succès le flanc Est de la poche. La 35e brigade d’infanterie de marine au nord et la 68e brigade de chasseurs ainsi que la 31e Mécanisée  à l’Est ont également martelé la première position jusqu’à imposer le repli russe. Les Ukrainiens ont ainsi conquis la première position russe des deux côtés de la rivière Mokri Yali, repoussé une contre-attaque de la 127e division motorisée depuis la ligne principale et continuent désormais leur progression méthodique vers le Sud. Plus de 75 % du terrain conquis par les Ukrainiens en une semaine l’a été dans ce seul secteur, et il est probable qu’il est de même pour les pertes infligées aux Russes.

En résumé, comme on pouvait s’y attendre, le combat est difficile et ressemble évidemment bien plus aux longs mois nécessaires pour la conquête de la tête de pont de Kherson, où le dispositif russe était moins profond et trois fois plus faible que dans la zone de Zaporijia-Donetsk, qu’à la percée de Kharkiv en septembre 2022, qui était en fait une anomalie tant les Russes y étaient anormalement faibles. Ces combats sont également assez conformes aux attentes. Les brigades expérimentées sont meilleures que les jeunes brigades, et ce quel que soit le matériel de même gamme utilisé et même si bien sûr ce serait encore mieux si les meilleurs avaient le meilleur matériel. Mais même les brigades d’élite ne réussissent pas si elles ne se coordonnent pas bien avec un complexe de reconnaissance-frappes susceptible de leur offrir une protection contre ce qui tombe du ciel et un appui contre ce qui vient du sol.

Cette première semaine de combat ne constitue sans doute qu’un demi-succès par rapport à ce qui était espéré par le commandement ukrainien, mais il ne s’agit justement que de la première semaine. Beaucoup d’autres viendront et il n’y a encore à ce stade aucun moyen de savoir qui l’emportera dans ce bras de fer. 

La bataille d’Airbus : le droit comme arme dans la guerre économique

La bataille d’Airbus : le droit comme arme dans la guerre économique

par Revue Conflits – publié le 19 juin 2023

En 2013, Airbus est soupçonné par la justice américaine de conduire des pratiques de corruption. Alertée par le précédent d’Alstom, la direction comprend qu’il s’agit d’une nouvelle bataille de la guerre économique que les États-Unis livrent aux entreprises européennes. La bataille d’Airbus est lancée. Un documentaire de David Gendreau et Alexandre Leraître, à retrouver le 27 juin sur Arte.

Le documentaire est à retrouver ici.

En 1969, sous la présidence du général de Gaulle, s’affirme le projet de la création d’un groupe aéronautique pour faire face à la domination américaine sur le marché aéronautique mondial, incarné par Boeing. Airbus naît alors d’un accord franco-allemand. L’ascension du groupe est fulgurante. Dès 1972, Airbus fait voler son premier avion, l’A300. La rivalité franco-américaine sur le marché économique aérien se fait de plus en plus vive. Airbus, de 1993 à 2013, voit son chiffre d’affaires augmenter de manière continue. En 2008, Airbus fait un chiffre record de 45 milliards d’euros ; les commandes et les clients affluent. Lion Air, une compagnie indonésienne fait en 2010 une commande record d’A320, estimée à plus de 175 milliards d’euros.

Todd Tiahrt, sénateur du Kansas de 1995 à 2008, pointe alors du doigt cette phénoménale ascension. En effet, Airbus s’empare de 50% du commerce mondial en 2010. Corruption ? Espionnage ? Autant d’éventualités étudiées par la CIA et le FBI, et de doutes mis à la lumière du grand public. Trois ans plus tard, en 2013, Ian Foxley, ancien cadre d’Airbus, dénonce des faits de corruption chez EADS, filiale d’Airbus, évoquant des paiements secrets qui auraient été faits en juin 2010 concernant des contrats de vente d’avion dans plusieurs pays.  En juin 2015, Tom Enders, président d’Airbus, charge alors John Harrison, directeur juridique d’Airbus de « l’opération mains propre », pour remettre de l’ordre dans les pratiques commerciales. Mais cela ne suffit pas, car l’enjeu est gigantesque : ces turbulences judiciaires pourraient faire s’écraser tout le marché aéronautique européen et faire décoller Boeing.

Extraterritorialité du droit américain : lutte contre la corruption ou arme de guerre économique ?

L’extraterritorialité du droit américain est le nom donné à l’ensemble des dispositions du droit américain qui peuvent être appliquées à des personnes physiques ou morales d’un pays tiers. Celle-ci vise principalement à lutter contre la corruption et la violation des embargos. C’est-à-dire que des entreprises étrangères peuvent être mises sous la tutelle de la juridiction américaine lorsque le pays est effectivement lié que ce soit par l’usage du dollar, de composants ou de serveurs américains. En l’occurrence, le Département de justice américain (DOJ) est alors directement concerné par les faits de corruption d’Airbus. En principe indépendant de tout pouvoir ou influence politique, comme le rappelle Tom Fox, le DOJ a pour mission de lutter contre la criminalité et la corruption dans le monde.

Cependant, certaines mesures ou peines abusives font alors penser que cette lutte contre la corruption ne serait qu’une arme de guerre économique. Par le biais de contentieux juridiques comme condamnation et amendes, le DOJ semble servir les intérêts commerciaux américains en déstabilisant les rivaux. La moralité ne serait alors qu’un prétexte pour servir des intérêts commerciaux. Qu’on prenne pour exemple Siemens en 2008, Alstom vendue à General Electric.

Des amendes colossales déstabilisent les entreprises européennes, qui sont alors prises pour cibles par des compagnies américaines rivales. De plus, si l’entreprise en question est effectivement sanctionnée, alors la justice américaine mandate un agent spécial, appelé un moniteur, chargé de vérifier au sein même des services, au détriment des éléments confidentiels, que les pratiques ont bel et bien changé. « Cherchez à qui le crime profite » souligne Alain Juillet, alors haut-responsable chargé de l’intelligence économique en France. Protéger la souveraineté du groupe européen Airbus, et maintenir une rivalité sur le marché mondial de l’aéronautique en échappant à la justice américaine devient la priorité, et pousse John Harrison à réinventer la tradition juridique en Europe.

L’auto-incrimination et la révolution de la tradition du droit en Europe

La justice pénale reposait traditionnellement dans le droit romano-germanique sur un principe vertical et unilatéral. La justice est rendue par un juge, saisie par le procureur de la République et repose sur un débat contradictoire. Le prévenu doit alors utiliser les moyens mis à sa disposition pour exprimer son désaccord (justice inquisitoriale).

Dans le système judiciaire anglo-saxon, la justice repose sur un système horizontal (justice accusatoriale). Le prévenu et le ministère public engagent alors une discussion, afin de trouver un accord qui est ensuite soumis à un juge. D’un système pénal autoritaire, les prévenus deviennent alors acteurs de la décision.

Le droit international dispose qu’on ne peut pas être incriminé deux fois pour des mêmes faits. La seule piste de salut pour Airbus, si étroite soit-elle, pour éviter d’être condamnées par le DOJ, donc de subir des amendes estimées à plusieurs milliards d’euros et de faire fuiter nombre de documents confidentiels en Amérique, avec le risque de passer sous le joug américain est, dans un premier temps, d’arrêter toute pratique douteuse. Mais la première purge de Harrison ne suffit pas. Il faut alors pour Airbus s’incriminer complètement pour trouver des accords financiers possibles dans un système horizontal de coopération.  La France ou l’Allemagne ne possède pas encore ce type de loi qui prévoit de lutter contre la corruption. En 2016, Harison part alors à Londres devant la Serious Fraud Office (SFO) dans une perspective de collaboration.

Réponse européenne

La première conséquence est la loi Sapin 2, votée en 2016, une loi anti-corruption extraterritoriale en réaction à l’extra-territorialité du droit américain. En France, le Parquet National Financier (PNF) est créé en 2013. Désormais, les affaires de corruption peuvent être réglées directement en France, qui retrouve alors sa souveraineté judiciaire. De la même manière, le moniteur américain chargé de surveiller les moindres faits et gestes de l’entreprise est remplacé par un Français, qui rend ses comptes en France. Le DOJ, le PNF, et la SFO enquêtent alors conjointement, et les premiers soupçons soulevés par Ian Foxley se trouvent confirmés. Les risques d’amende pour Airbus, qui avaient été estimés à 18 milliards d’euros, se retrouvent abaissés à “seulement” 3,6 milliards d’euros, payés en France, aux États-Unis et au Royaume-Uni. « La plus grosse affaire de corruption que l’Europe ait connue », montre déjà comment le droit devient petit à petit un enjeu majeur en géopolitique.

Le documentaire réalisé par David Gendreau et Alexandre Leraître retrace le déroulé de cette bataille d’Airbus, les actions menées par les différents acteurs et la façon dont l’entreprise a réussi à éviter le piège américain. Il est à voir le 27 juin sur Arte et en rediffusion sur leur site.