L’armée américaine dit avoir tué 15 combattants de l’EI dans un raid en Irak

L’armée américaine dit avoir tué 15 combattants de l’EI dans un raid en Irak


Washington déploie environ 2500 militaires en Irak et près de 900 en Syrie, au sein de la coalition internationale.

Washington déploie environ 2500 militaires en Irak et près de 900 en Syrie, au sein de la coalition internationale. DELIL SOULEIMAN / AFP

Les autorités irakiennes ont proclamé leur «victoire» contre l’EI fin 2017 mais des cellules djihadistes continuent d’attaquer sporadiquement des soldats et des policiers, particulièrement dans les zones rurales et reculées.

Les armées américaine et irakienne ont mené jeudi un raid contre le groupe djihadiste État islamique (EI) dans l’ouest de l’Irak et tué 15 de ses combattants, a annoncé vendredi le Commandement militaire américain pour le Moyen-Orient (Centcom), faisant état de sept blessés dans les rangs américains.

«Les forces du Centcom et les forces de sécurité irakiennes ont conduit ensemble un raid dans l’ouest de l’Irak aux premières heures du 29 août (jeudi), causant la mort de 15 membres de l’État islamique», a indiqué le Centcom vendredi soir sur X. «Ce groupe de l’EI était doté de nombreuses armes, grenades et ceintures explosives. Il n’y a aucune indication qu’il y a eu des victimes civiles», ajoute cette même source.

L’opération «ciblait des responsables de l’EI afin de désorganiser et saper la capacité de l’EI à préparer, organiser et mener des attaques contre des civils en Irak ainsi qu’à l’encontre de citoyens américains, d’alliés et de partenaires dans la région et au-delà», précise le Commandement militaire américain. Sept soldats américains ont été blessés lors de l’opération mais se trouvent «dans un état stable», a rapporté à l’AFP un responsable du Centcom dans la nuit de vendredi à samedi.

Une menace dans la région

Le Commandement américain affirme que l’armée irakienne «continue d’explorer le lieu du raid», sans donner davantage de détails sur l’opération. L’EI «reste une menace pour la région, nos alliés ainsi que pour notre territoire national», estime encore l’armée américaine. Washington déploie environ 2500 militaires en Irak et près de 900 en Syrie, au sein de la coalition internationale créée pour combattre le groupe État islamique.

Après sa montée en puissance fulgurante en 2014 et la conquête de vastes territoires en Irak et en Syrie voisine, l’EI a vu son «califat» autoproclamé s’écrouler sous le coup d’offensives successives dans ces deux pays. Si les autorités irakiennes ont proclamé leur «victoire» contre l’EI fin 2017, des cellules djihadistes continuent d’attaquer sporadiquement des soldats et des policiers, particulièrement dans les zones rurales et reculées, hors des grandes villes.

L’Irak a annoncé le 15 août le report de la fin de la mission sur son territoire de la coalition internationale antidjihadistes emmenée par Washington, justifiant ce retard par les «derniers développements» dans un contexte régional explosif.

La Chine s’intéresse-t-elle vraiment à la Nouvelle-Calédonie ?

La Chine s’intéresse-t-elle vraiment à la Nouvelle-Calédonie ?

https://www.challenges.fr/monde/la-chine-s-interesse-t-elle-vraiment-a-la-nouvelle-caledonie_903594


Dans un rapport rédigé pour un think tank australien, la chercheuse d’origine néo-zélandaise Anne-Marie Brady s’intéresse aux ingérences chinoises en Nouvelle-Calédonie. Selon elle, le Parti Communiste Chinois se livre à des activités qui visent à influencer les élites politiques et économiques pour servir ses propres intérêts, et à utiliser la diaspora chinoise et les entreprises chinoises comme des instruments. Une étude jugée intéressante mais aussi très extrapolée par certains observateurs.

 

Des indépendantistes dans le quartier de la Vallée du Tir à Nouméa.

Des indépendantistes dans le quartier de la Vallée du Tir à Nouméa.

AFP / DELPHINE MAYEUR

La crise politique et sociale perdure en Nouvelle-Calédonie, où les élus locaux ont récemment présenté une facture de 4 milliards d’euros à l’État français pour reconstruire l’archipel dont les émeutes ont ravagé le tissu économique. L’ensemble des groupes siégeant au Congrès en ont profité pour souligner « l’échec du modèle calédonien » justifiant une « réforme de l’ensemble du système économique et social » du territoire. Au cœur des inquiétudes, l’industrie du nickel, l’une de ses principales ressources, mise à mal par la concurrence étrangère. La filière du « métal du diable », comme est surnommé le nickel sur l’île, est en crise.

Fin juillet, le producteur Koniambo Nickel, l’un des trois implantés en Nouvelle-Calédonie, a annoncé qu’il allait jeter l’éponge. L’usine devrait fermer ses portes et licencier 1 200 salariés en cette fin de mois d’août. Dans ce contexte, la Chine est souvent présentée comme un facteur important de déstabilisation de l’archipel. L’Empire du Milieu qui tisse sa toile dans le Pacifique, lorgnerait ainsi sur les réserves de nickel calédoniennes allant jusqu’à soutenir les mouvements kanaks indépendantistes. C’est notamment une des thèses que développe la chercheuse néo-zélandaise Anne-Marie Brady dans un rapport rédigé pour le think tank Australian Strategic Policy Institute et qui porte sur l’influence chinoise en Nouvelle-Calédonie.

La chercheuse, originaire de Nouvelle-Zélande est la première à s’intéresser à ce sujet. Elle affirme que la Nouvelle-Calédonie « présente un intérêt particulier » pour la Chine car c’est un « territoire stratégiquement important pour la France, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis ». Selon son rapport, « la Nouvelle-Calédonie est désormais dépendante du marché chinois pour ses exportations, ce qui constitue un risque stratégique. Le territoire doit rééquilibrer son économie et revenir à un portefeuille de marchés plus diversifié. »

La Chine veut un monopole sur le nickel

Si la France a dominé au début du XXe siècle le marché stratégique du nickel, les Chinois via l’Indonésie pèsent désormais 75 % de ce marché. Et le meilleur moyen qu’ils ont trouvé pour éliminer la concurrence occidentale, c’est de surproduire pour faire s’écrouler les prix. Djakarta a ainsi « inondé les marchés pour pousser les producteurs calédoniens ou australiens à la faillite et permettrait à l’Indonésie d’acquérir un quasi-monopole sur le nickel et, par extension, un rôle incontournable dans les composants de batteries », indiquait Thibault Michel, chercheur à l’Ifri, dans une tribune du Monde.

Mais si Pékin cherche à renforcer le contrôle qu’il possède sur ce minerai stratégique, il ne faut oublier le rôle des acteurs privés chinois qui ont des intérêts de prédation sur la Nouvelle-Calédonie, et on ne constate pas à ce jour de stratégie de l’Etat chinois derrière ces initiatives.

Une présence militaire française utile mais insuffisante

La chercheuse insiste aussi sur l’importance de la présence militaire française dans cette zone stratégique, au point de faire de la France une véritable puissance de la zone indo-pacifique capable de rivaliser avec la puissance chinoise. Un argument qui plaira sans doute au ministère des Armées dont Sébastien Lecornu avait annoncé en 2022 le renforcement et la modernisation des capacités militaires françaises dans la zone.

Il n’en reste pas moins qu’il convient de relativiser cette présence militaire, de même que la puissance française dans le pacifique. Dans un rapport publié en 2023, des sénateurs parlaient plutôt du « sous-équipement chronique des forces de souveraineté dans le pacifique » à commencer par les forces armées de la Nouvelle-Calédonie. Ils listaient aussi les ruptures temporaires de capacité dans la marine et la nécessité de rénover les bases aériennes, pour optimiser la présence militaire française, jugée largement insuffisante.

Sans oublier que le sujet est politiquement hautement sensible car quand l’armée française annonce le renouvellement de ses capacités militaires, certains groupes politiques locaux ne manquent pas de dénoncer la « remilitarisation » ou la « surmilitarisation » de leur pays. « On ne fera jamais le poids face à la Chine dans cette zone sur le segment militaire même si la présence française est utile compte tenu de la priorité géographique qu’est devenue la zone indo-pacifique autant pour la Chine que pour les États-Unis mais il n’y a pas à ce jour de menace en termes militaires ou de conquête territoriale sur la Nouvelle-Calédonie », estime un chercheur.

Des réseaux chinois peu influents

Anne-Marie Brady cherche aussi à démontrer la proximité du parti communiste chinois avec certains courants indépendantistes calédoniens. Si l’hypothèse d’une indépendance de la Nouvelle-Calédonie – à ce jour encore peu probable — pourrait trouver à long terme un certain intérêt du côté de Pékin, il n’en reste pas moins que le rapport semble surévaluer les velléités réelles d’action sur le territoire calédonien. D’abord parce que si les élites politiques indépendantistes sont ouvertement invitées à Pékin pour des colloques, les actions réelles de lobbying du pouvoir chinois sur le territoire calédonien sont très faibles et beaucoup moins marquées que dans d’autres zones d’intérêts français du Pacifique.

« La Chine a évidemment des réseaux d’influence avec l’association d’amitié sino-calédonienne présidée par l’ancienne directrice de cabinet du leader indépendantiste kanak, Roch Wamytan, mais sans efficacité constatée lors des référendums. Par ailleurs, les acteurs locaux cherchent, eux aussi, à instrumentaliser la Chine. Ils brandissent la carte de la Chine comme alternative compte tenu du contexte mais aussi parce qu’ils savent que Pékin est un repoussoir, confie une source bien informée, qui considère que l’intérêt réel de la Chine pour la Nouvelle-Calédonie est largement exagéré. C’est donc beaucoup plus complexe qu’une instrumentalisation par la Chine qui profiterait évidemment de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Mais pousser à ce scénario par des modes d’action politique concrets sur le territoire aurait un coût politique énorme par rapport à tous les pays de la région : Australie, Nouvelle-Zélande, États-Unis d’abord qui regardent de très près la montée en puissance de la Chine mais aussi toutes les îles indépendantes de la région qui craindraient aussitôt une conquête chinoise. »

Peu d’éléments d’ingérence chinoise sur le territoire calédonien

Docteur en géopolitique des territoires kanaks, le chercheur Pierre-Christophe Pantz relativisait lui-même l’influence chinoise en Nouvelle-Calédonie lors d’une interview donnée récemment à un média local : « il y a assez peu d’éléments sur les ingérences concrètes de la Chine en Nouvelle-Calédonie, ou sur le financement de partis politiques même s’il y a de fortes suspicions » avant de conclure que « le fait qu’aujourd’hui, la Nouvelle-Calédonie soit sous pavillon français empêche toute velléité, que ce soit d’investissement ou d’implantation de la Chine dans les territoires français ».

Une façon de nuancer les perceptions des ambitions chinoises à un moment où la Nouvelle-Calédonie, engagée dans un processus d’autodétermination complexe, se trouve à un carrefour critique, marqué par des émeutes qui menacent la cohésion sociale et la souveraineté française sur le territoire.

Rafale : Dassault va-t-il parvenir à augmenter la cadence de production ? Ce qui se joue pour Dassault derrière le contrat Rafale en Serbie

Rafale : Dassault va-t-il parvenir à augmenter la cadence de production ? Ce qui se joue pour Dassault derrière le contrat Rafale en Serbie

Par Paolo Garoscio – armees.com – Publié le 30 août 2024

Rafale : Dassault va-t-il parvenir à augmenter la cadence de production ? Ce qui se joue pour Dassault derrière le contrat Rafale en Serbie
Rafale : Dassault va-t-il parvenir à augmenter la cadence de production ? Ce qui se joue pour Dassault derrière le contrat Rafale en Serbie – © Armees.com

Dassault Aviation vient d’atteindre une étape déterminante dans son histoire en dépassant le seuil des 500 commandes pour son avion de chasse Rafale, un exploit symbolique qui témoigne de la montée en puissance de l’industrie aéronautique militaire française. Cette prouesse, renforcée par une nouvelle commande en Serbie, illustre non seulement le succès du Rafale à l’international mais aussi l’importance stratégique de la France sur la scène mondiale de la défense.

Un succès mondial confirmé : plus de 500 Rafale commandés

Le Rafale, développé par Dassault Aviation, est aujourd’hui reconnu comme l’un des avions de chasse les plus performants et polyvalents au monde. Depuis son introduction en service en 2002, l’appareil a su séduire de nombreuses armées à travers le globe, rivalisant directement avec le F-35 américain, considéré comme son principal concurrent.

Avec la commande récente de 12 appareils par la Serbie, le nombre total de Rafale commandés s’élève désormais à 507 unités. Parmi ces commandes, 234 sont destinées à l’armée française, tandis que les 273 restantes sont réservées à l’exportation, ce qui démontre la capacité de l’industrie française à répondre aux besoins internationaux.

Les principaux clients de cet avion de chasse incluent des pays stratégiques tels que l’Égypte, qui en a acquis 55 exemplaires, le Qatar (36), l’Inde (36), les Émirats arabes unis (80) et l’Indonésie (42), auxquels s’ajoute désormais la Serbie avec 12 Rafale. Ce portefeuille de commandes garantit à Dassault Aviation une activité soutenue pour les dix prochaines années, assurant ainsi la pérennité de ses sites de production et des emplois associés.

Un contrat stratégique en Serbie : modernisation et renforcement des capacités militaires

La Serbie, dernier acquéreur en date, a signé un contrat avec Dassault Aviation pour l’achat de 12 Rafale, un accord officialisé lors de la visite d’Emmanuel Macron à Belgrade. Ce contrat, d’une valeur de 1,2 milliard d’euros, comprend la livraison de trois biplaces et neuf monoplaces d’ici 2028. Pour la Serbie, cette acquisition s’inscrit dans une stratégie de modernisation de ses forces armées, visant à remplacer des équipements vieillissants datant de l’ère soviétique, notamment les MiG-29 et Soko J-22 Orao.

Le choix du Rafale par la Serbie n’est pas anodin. Il reflète non seulement la qualité technique de l’appareil mais aussi l’influence diplomatique croissante de la France dans les Balkans. La commande serbe s’accompagne d’autres acquisitions militaires, telles que des batteries antimissiles Mistral et des radars Thales, portant la valeur totale des contrats à environ 3 milliards d’euros.

Montée en cadence de la production

Avec l’afflux de commandes, Dassault Aviation doit désormais relever le défi de la montée en cadence de sa production. L’entreprise a déjà annoncé son intention d’augmenter la fabrication des Rafale à trois appareils par mois dès 2025, sur son site de Mérignac en Gironde, avec un objectif encore plus ambitieux de quatre appareils par mois à l’avenir.

Cette augmentation de la production nécessitera une coordination étroite avec les sous-traitants de l’industrie aéronautique, dont bon nombre sont des petites et moyennes entreprises françaises. Ces dernières, soutenues par Dassault, joueront un rôle clé pour atteindre ces nouvelles capacités de production.

Le succès du Rafale dépasse largement le cadre commercial. Il s’agit d’un outil stratégique pour la France, renforçant son influence militaire et diplomatique à travers le monde. Avec plus de 500 unités commandées, l’avionneur français se positionne comme un leader incontournable sur le marché des avions de chasse, capable de rivaliser avec les géants américains et européens. Le Rafale, devenu l’un des symboles du savoir-faire technologique français, contribue à renforcer la position de la France dans le secteur de la défense, tout en offrant une alternative crédible aux appareils américains. Cette réussite est d’autant plus significative dans un contexte où la compétition internationale pour les contrats militaires est particulièrement intense.

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ?

« Il faut amener l’effort de défense pour les armées françaises à 3 % du PIB, comme pendant la guerre froide ! » Cette phrase, vous l’avez certainement entendue ces derniers mois, si vous suivez l’actualité défense française ou européenne.

En effet, les évolutions de la menace, en particulier en Europe, et même concernant la dissuasion nucléaire, jettent le doute sur la pertinence du seuil des 2 % visé par la LPM 2024-2030, qui semble incapable de donner aux armées les moyens nécessaires pour accomplir raisonnablement leurs missions à venir.

Comme c’est souvent le cas, ce type de certitudes s’appuie davantage sur un puissant ressenti, ainsi que sur certains raccourcis historiques, économiques, sociaux et même militaires, que sur une analyse construite de l’hypothèse.

Alors, à quoi pourraient ressembler les Armées françaises, si celles-ci venaient, effectivement, à disposer d’un budget équivalent à 3 % du PIB du pays ? Cette hypothèse est-elle efficace pour répondre aux menaces ? Surtout, est-elle réaliste et applicable, face aux nombreux défis et aux contraintes auxquelles les armées doivent répondre ?

Sommaire

L’évolution de l’effort de défense français de la Guerre Froide aux bénéfices de la Paix

De 1950 à 1970, les dépenses de défense de la France, représentaient, en moyenne, 5 % de la richesse produite chaque année par le pays. Ce taux, très élevé, s’explique par l’action conjuguée de la guerre Froide et de la menace soviétique, particulièrement pressante sur cette période, mais également par les deux guerres coloniales auxquelles elles ont participé, en Indochine puis en Algérie.

Mirage IV
Le Mirage IV a porté la composante aérienne de la Dissuasion frnaçaise de 1964 à 2005

Surtout, sur la même période, le pays s’est reconstruit des conséquences de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande, avec un très important effort de réindustrialisation et dans certains domaines technologiques, dont le nucléaire, ce qui transforma profondément l’économie du pays.

Ainsi, le PIB par habitant en France est passé de 10 500 à presque 16 000 $ sur la décennie 1960-1970. Le PIB du pays, quant à lui, est aussi passé de 15 Md$ en 1950 à 126 Md$ en 1970, pour s’envoler à 1060 Md$ en 1990, et 2650 Md$ en 2022. Même compensé de l’inflation, on comprend les raisons qui obligeaient la France à consacrer de tels pourcentages à son effort de défense jusqu’en 1970, et une partie des raisons ayant entrainé la baisse de cet effort, à partir de 1980.

Difficile, dans ces conditions, de comparer l’effort de défense en 1970 de 3,06 %, et celui qui est consacré aujourd’hui à cette même fonction par le pays, tant les contextes économiques, sociaux, politiques, industriels, technologiques et même internationaux, sont sans comparaison avec ce qu’ils étaient alors.

Les limites du seuil à 2 % du PIB pour l’effort de défense français

Pour autant, les armées en reconstruction, avec un effort de défense autour de 2%, apparaissent bien inadaptées pour répondre aux enjeux sécuritaires qui se dessinent, en particulier depuis la transformation de l’économie et de la société russe, mettant les armées et l’industrie de défense, au cœur de l’action de l’état.

SNLE Triomphant
Le SNLE Triomphant doit rester indétectable pour assurer sa mission de dissuasion

Et pour cause, avec un effort de défense à 2 % PIB, la dissuasion française ne pourra s’appuyer que sur 4 SNLE et deux escadrons de bombardement stratégique, l’Armée de Terre sur une forte opérationnelle terrestre forte de seulement 77 000 militaires d’active, renforcé, il est vrai, par une grande partie des 80 000 gardes nationaux.

Cette force est armée d’uniquement 200 chars de combat, 600 véhicules de combat d’infanterie et à peine plus d’une centaine de systèmes d’artillerie, et 10 à 20 lance-roquettes à longue portée, soit bien moins que ce que produit l’industrie de défense russe en une seule année.

La Marine nationale n’est pas mieux lotie, avec son unique porte-avions, une aberration opérationnelle, ses six sous-marins d’attaque, ses trois porte-hélicoptères dont un servant de navire école, et sa quinzaine de frégates de premier rang, pour un pays dont la métropole a trois façades maritimes, et qui a la plus grande zone économique exclusive repartie sur tous les océans de la planète.

L’Armée de l’Air et de l’Espace, enfin, a dû ramener sa chasse à 185 appareils, dont une trentaine sont consacrées à la seule mission nucléaire, une cinquantaine d’avions de transport tactique et stratégique, une quinzaine d’avions ravitailleurs et quatre Awacs, moins de dix batteries antiaériennes et antimissiles à longue portée. Elle ne dispose même plus d’appareils d’entrainement à hautes performances, pour la formation de ses pilotes de chasse, et l’entrainement des pilotes et abonnés dans les escadrons.

Rafale Armée de l'Air
Avec seulement 185 avions de combat, l’Armée de l’Air et de l’Espace ne dispose pas du format nécessaire pour soutenir, sur la durée, un conflit de haute intensité.

La défense étant un exercice relatif, il convient de comparer ce format des armées françaises à 2 % PIB, fortes de 208 000 hommes, avec les armées russes, disposant d’un budget de 110 Md$ équivalent à 10 % du PIB, fortes de 1,5 million d’hommes, alignant 12 SNLE, plus de 500 missiles stratégiques ICBM, une centaine de bombardiers stratégiques, 2500 à 3500 chars, 5000 véhicules de combat blindés et d’infanterie, plus de 2000 canons automoteur et lance-roquettes, 300 batteries antiaériennes à longue portée, et un millier d’avions de combat.

Certes, la France n’est pas seule pour s’opposer à la menace russe en Europe, et beaucoup de pays produisent d’importants efforts pour rééquilibrer le rapport de force défavorable. Pour autant, les armées françaises disposent, en Europe, de moyens détenus, à part par elles, uniquement par l’allié américain, voire par les britanniques dans certains cas.

Quelles pourraient être les armées françaises si la France consacrait 3 % au budget des armées.

Dans ce contexte, porter l’effort de défense à 3 %, permettrait-il de rétablir un rapport de force favorable, face à la menace russe et mondiale, en Europe et ailleurs ? Ce serait, comme nous le verrons, probablement le cas.

Ainsi, les évolutions de format des armées, en passant de 2 à 3% du PIB, seraient bien plus sensibles qu’elles ne le furent en passant de 1,5 à 2 %, de 2016 à 2024. En effet, à l’issue de cette première hausse, qui permit avant tout de ramener les armées à un point d’équilibre budgétaire sur le format qui est le leur, les forces françaises respectent toujours les volumes visés par le Livre Blanc de 2013, que ce soit en termes d’hommes, de blindés, d’avions et de navires.

Armées françaises Leclerc
La LPM 2024-2030 ne prévoit ni de remplacer le char Leclerc, ni d’augmenter les 200 exemplaires devant être modernisés, dans l’attente du MGCS qui devrait arriver au delà de 2040.

À l’inverse, passer à 3 %, permettrait de s’appuyer sur l’ensemble des investissements de fonctionnement et de développement déjà couverts par le passage à 2 %, pour consacrer les efforts, précisément, à une évolution de format sensible. Car, avec un PIB 2023 de 2650 Md€, un effort de défense à 3 % permettrait au budget des armées de passer de 47 Md€ à presque 80 Md€, soit une plus-value de 30 Md€.

Une dissuasion française à nouveau dimensionnée pour contenir la menace russe

Face à la menace russe, et la possible réorganisation de la dissuasion européenne, un budget défense à 80 Md€, permettrait d’augmenter sensiblement le potentiel opérationnel de la dissuasion française, en passant notamment de 4 à 6 SNLE.

Avec 6 SNLE, la Marine nationale pourrait, en effet, maintenir en permanence deux navires à la mer, et un troisième en alerte à 24 heures, sur une durée illimitée, contre un navire en patrouille, et un en alerte aujourd’hui.

Or, la montée en puissance de la flotte sous-marine russe, mais également l’arrivée aussi massive qu’inévitable de drones sous-marins de surveillance, augmenteront, dans les années à venir, le risque qu’un SNLE à la mer puisse être compromis, donc incapable d’assurer sa mission de dissuasion.

Or, si un sous-marin nucléaire lanceur d’engins à la mer a, admettons, 1 % de se faire détecter lors de sa patrouille par ces nouveaux moyens, un risque que l’on peut juger relativement faible, cela signifie également que la posture de dissuasion française, donc européenne, serait menacée 3,5 jours par an. Il suffirait à l’adversaire d’être un minimum patient, pour éliminer potentiellement ce risque.

Iskander-M Russe
La dissuasion française doit disposer d’un système équivalent au système balistique sol-sol à courte portée Iskander-M pour disposer de l’ensemble du vocabulaire requis pour le dialogue de dissuasion avec Moscou.

Avec 2 navires à la mer, le risque que les deux navires soient, simultanément, compromis, ne représente plus que 0,01 % du temps, soit à peine 1 jour tous les trente ans. Le rapport au temps, ici, pour une crise qui se déroule sur plusieurs mois, voire une ou deux années, plaide effectivement, dans ce contexte, pour une flotte à 6 SNLE, plutôt que 4.

Au-delà de la flotte océanique stratégique, la posture de dissuasion française pourrait voir sa composante aérienne passer de 2 à 3 escadrons, et de doter à nouveau l’Armée de Terre de régiments dotés de missiles balistiques à courte portée et capacités nucléaires, pour répondre à la menace des Iskander-M russe.

Enfin, il conviendrait de permettre aux missiles de croisière navals, le MdCN et son futur remplaçant, de transporter, au besoin, une tête nucléaire, là encore, pour se doter de capacités en miroir de celles en service en Russie, et ainsi disposer d’un vocabulaire de dissuasion aussi fourni que peut l’être celui de Moscou.

Une nouvelle division blindée pour l’Armée de Terre

L’Armée de terre serait, en bien des domaines, celle qui bénéficierait le plus d’un passage à un effort de défens à 3 % PIB. Elle pourrait, ainsi, se doter d’une troisième division organique qui, pour le coup, serait conçue comme une division blindée, avec une brigade blindée de rupture, deux brigades d’infanterie mécanisée, et une brigade de soutien, soit une force de 40 000 hommes, 350 chars de combat, 700 véhicules de combat d’infanterie et blindés de combat et de reconnaissance, 1500 blindés multirôles Griffon et Serval, une centaine de tubes de 155 mm, autant de mortiers et de pièces de DCA mobiles, ainsi que quarante hélicoptères.

Division blindée france
L’Armée de Terre ne dispose que de deux brigades lourdes, disposant d’un régiment de chars.

Conçue spécifiquement pour être employée en Europe orientale face à un adversaire symétrique, cette division pourrait être très majoritairement constituée de régiments de Garde nationaux, ou de conscrits choisis (ce qui sera abordé plus bas), pour répondre à un risque de très haute intensité, mais dont la probabilité demeure faible.

En outre, une brigade mécanisée supplémentaire, elle aussi composée majoritairement de gardes nationaux et de conscrits choisis, serait intégrée à chaque division existante, avec l’objectif de renforcer la masse de ces divisions, et surtout d’assurer les capacités de rotation des forces et des matériels, au niveau organique de la division, avec des forces déjà intégrées.

En procédant ainsi, la Force Opérationnelle Terrestre serait doublée, pour atteindre 150 000 hommes, mais verrait certains de ses moyens tripler, comme les chars de combat et l’artillerie. Certains nouveaux moyens pourraient également rejoindre les brigades de l’Armée de terre, comme, on peut l’espérer, dans le domaine de la défense antiaérienne et des drones.

Permanence du Groupe aéronaval et des flottilles d’action navale de la Marine nationale

La Marine nationale verrait sensiblement ses moyens augmenter, sans atteindre une évolution aussi importante que celle de l’Armée de Terre. Elle recevrait, ainsi, deux sous-marins nucléaires d’attaque supplémentaires, sans qu’il soit vraiment possible, cependant, d’aller au-delà, eu égard à la difficulté de créer des tranches nucléaires dans les équipages, d’autant que 2 SNLE supplémentaires ont été évoqués précédemment.

PANG Marine Nationale
La Marine nationale n’aura qu’un unique porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ce qui pose de serieux problèmes quant à la disponibilité du groupe aéronaval.

Pour renforcer la flotte sous-marine, face à la trentaine de sous-marins nucléaires russes, et autant de sous-marins conventionnels, celle-ci se verrait dotée d’une flottille de sous-marins conventionnels et/ou de drones sous-marins de grande taille. Ces navires devront assurer la protection des arsenaux, de la base sous-marine stratégique de l’ile-longue, et éventuellement de certains territoires ultramarins, et ainsi libérer la flotte de SNA de ces tâches.

La flotte de surface, elle, verrait ses capacités s’étendre, notamment avec l’entrée en service de deux porte-avions légers, des navires de 40 000 tonnes à propulsion conventionnelle, destinés à assurer la permanence opérationnelle du groupe aéronavale aux côtés du porte-avions nucléaire, sans avoir les couts de ce dernier, et ayant l’immense avantage de pouvoir être potentiellement exportés.

La flottille de frégates serait, elle aussi, étendue, avec deux frégates antiaériennes et cinq frégates anti-sous-marines supplémentaires, ainsi que 11 corvettes lourdes ou frégates légères, pour remplacer les frégates de surveillance et les frégates légères furtives. La flotte de patrouilleurs et d’OPV, elle, demeurerait inchangée.

Doublement de la chasse et de la défense antimissile de l’Armée de l’Air et de l’Espace

L’Armée de l’air et de l’Espace pourrait, enfin, retrouver un format suffisant pour s’engager dans un conflit de haute intensité, avec une douzaine d’escadrons de chasse tactique, en plus des trois escadrons de chasse stratégiques déjà abordés, soit 240 chasseurs tactiques pour un total de 300 avions de combat, contre 185 aujourd’hui.

Rafale Neuron
L’acquisition de drones de combat et de remote carrier est indispensable pour permettre à l’Armée de l’Air et à la MArine nationale d’évoluer dans des espaces contestés.

Ces escadrons pourront, en outre, recevoir le futur drone de combat du Rafale F5, probablement 200 à 300 exemplaires, et plusieurs centaines de drones aéroportés légers Remote Carrier, pour disposer d’une importante capacité de suppression des défenses adverses.

La flotte de transport et de soutien, elle aussi, croitrait conséquemment, avec une flotte de transport amenée à 60 appareils contre 45, 25 avions ravitailleurs contre 15, et 6 avions Awacs contre 4. La flotte d’hélicoptères, notamment pour les missions SAR, évoluerait proportionnellement à la flotte de chasse.

La défense antiaérienne et antimissile pourrait être renforcée, notamment pour pouvoir, le cas échéant, mettre en œuvre un bouclier antimissile sur un large périmètre, alors que les défenses antiaériennes à courte et moyenne portée évolueraient proportionnellement aux besoins, c’est-à-dire à l’évolution de la menace, et du nombre de bases et de sites à protéger.

Enfin, dans le domaine spatial, l’AAE pourrait se voir doter de satellites de reconnaissance et de communication supplémentaires, tant pour en étendre la couverture que pour couvrir le risque d’attrition.

40 000 militaires d’active, 40 000 gardes nationaux et 80 000 conscrits sélectionnés supplémentaires, pour 28 Md€ de surinvestissements par an

la mise en œuvre de l’ensemble de ces évolutions, nécessiteraient un profond changement dans le format des armées. Celles-ci devront, en effet, recruter 40 000 militaires d’active supplémentaires pour atteindre les 250 000 hommes et femmes en 2035. Ces militaires formeront essentiellement les cadres des nouvelles unités, et capacités ainsi créées, en particulier au sein de l’Armée de terre, et permettront de renforcer certaines capacités exclusivement aux mains des militaires d’active, comme en matière de dissuasion.

Recrutement armées françaises
Le recrutement et la fidelisation des effectifs est un défi pour toutes les armées occidentales.

L’essentiel de l’évolution du format, quant à lui, s’appuierait sur une nouvelle augmentation de la réserve opérationnelle, qui passerait des 80 000 visés par la LPM 2024-2030, à 120 000 Gardes nationaux en 2035, mais aussi par la mise en place, comme dans les pays scandinaves, d’une conscription obligatoire sélective, n’intégrant que 10 % d’une classe d’âge, soit 80 000 jeunes par an.

La mise en œuvre de ce format nécessiterait au minimum 10 ans, probablement 15, en particulier pour ne pas venir sur-dimensionner inutilement les capacités de l’industrie de défense française, et que son format de sortie, corresponde effectivement aux besoins de renouvellement des équipements des armées, et du marché international potentiellement adressable.

En matière de surcouts, étalés sur 10 ans, les couts d’acquisition des équipements représentent entre 16 et 18 Md€ annuels linéarisées, les couts de maintenance et d’entrainement 5 à 6 Md€ à termes, et les surcouts concernant les ressources humaines, 7 à 9 Md€, pour un total de 28 Md€ (en euro 2024), à 35 Md€ (en euro 2035 probables), soit dans le périmètre budgétaire libéré par le passage à un effort de défense à 3 % PIB.

Des défis difficiles à relever pour atteindre ces objectifs

On le voit, passer à un effort de défense à 3 % PIB, induirait une évolution de format très sensible des armées françaises, avec parfois des capacités multipliées par deux, comme dans le cas de la FOT, de la flotte de chasse, ou du potentiel aéronaval.

Haute intensité Leclerc
Pour accroitre les capacités opérationnelles, il sera indispensable d’accoitre sensiblement les effectifs, donc de relever le défi RH des armées.

Pour autant, la mise en œuvre d’un tel objectif, se heurte à de nombreuses difficultés et obstacles, qui ne peuvent être ignorés, et qui sont loin d’avoir des solutions évidentes.

L’écueil des ressources humaines et le retour à une conscription obligatoire sélective

Le premier, et certainement le plus important, n’est autre que les grandes difficultés que rencontrent les armées, aujourd’hui, pour attirer des candidats satisfaisants, pour armer l’ensemble des postes disponibles, alors que le format est restreint. Dans ce contexte, comment imaginer pouvoir recruter les 40 000 militaires d’actives, et les plus de 100 000 réservistes d’active indispensables à la mise en place du nouveau format ?

L’obstacle est, certes, de taille, mais il n’est pas sans solution. En premier lieu, le passage à 3 % PIB libère davantage de crédits qu’employés par le changement de format. Les crédits supplémentaires, de l’ordre de 3 Md€/an, peuvent être employés pour accroitre l’attractivité de la fonction militaire.

En second lieu, une telle transformation des armées françaises, et les acquisitions de matériels qui seront annoncées, engendreront une attractivité renforcée de la fonction militaire, mais aussi de nombreuses occasions de communiquer sur l’évolution du risque international, et la nécessité de participer à l’effort de défense. Ce type de message, dans ce type de contexte, a souvent fait émerger de nombreuses vocations par le passé.

Recrutement Armée de terre
L’évolution du format des armées permettra de multiplier les supports de communication pour améliorer le recrutement.

Enfin, l’hypothèse retenue, ici, est de s’appuyer sur un retour à la conscription, une mesure probablement indispensable pour répondre aux enjeux. Cependant, il ne s’agirait pas de remettre en œuvre le service militaire tel qu’il était connu, en France, par le passé, mais de s’appuyer sur un service militaire obligatoire, mais sélectif, comme mis en oeuvre, avec succès, dans les pays scandinaves depuis plusieurs années.

Associés à une image sélective extrêmement valorisante pour la future vie professionnelle, les conscrits sélectionnés ne viendraient pas, ainsi, saturer les infrastructures des armées, qui pourront faire évoluer le nombre de conscrits à leurs infrastructures disponibles et besoins existants. En outre, les armées sélectionnant les candidats, les difficultés rencontrés par le Service militaire par le passé, en matière d’encadrement, seraient largement diminuées.

Enfin, le service militaire sélectif, a le potentiel de créer une base très efficace pour améliorer le recrutement des armées, et de la Garde Nationale, permettant d’atteindre bien plus aisément les objectifs préalablement établis dans ces deux domaines.

La transformation de l’outil industriel de défense et le défi de la Supply Chain

Le second défi majeur à relever, pour parvenir à mettre en œuvre une évolution aussi importante, concerne la transformation de l’outil industriel de défense, qui va devoir livrer, sur une période relativement courte, un nombre très élevé d’équipements parfois très complexes, et nécessitant des infrastructures industrielles rares et très onéreuses, ainsi qu’une main d’œuvre qualifiée, tout aussi rare, et tout aussi onéreuse.

Nexter usine
L’industrie de défense française devra évoluer en volume et capacités, mais de manière raisonnée.

Dans le même temps, cette transformation de l’outil industriel, doit aussi se faire de manière raisonnée, afin que l’outil résultant, en sortie de cette phase de croissance rapide, puisse être maintenu en activité, par l’action conjuguée du renouvellement des équipements des armées françaises, ainsi que les commandes à l’exportation.

Enfin, cette évolution raisonnée et contrôlée de l’outil industriel, doit concerner aussi bien les grands groupes de la BITD, tels Nexter, Thales, Dassault ou Naval Group, que l’ensemble de la Supply Chain. Or, si ces grands groupes ne rencontreront certainement aucune difficulté pour financer leur croissance, ce n’est pas le cas de cette Supply Chain, que l’on sait être sévèrement handicapée, aujourd’hui, par le manque de soutien du secteur bancaire.

Pour donner à corps à cet objectif, il sera donc indispensable de résoudre le problème d’accès au crédit des ETI et PME de la BITD auprès du réseau bancaire national, probablement par des voix légales et avec la mise en place d’un système de garantie d’état, sous couvert d’une grande cause nationale.

Comment financer l’effort de défense face à la dette et aux déficits ?

Reste, évidemment, l’écueil du financement qu’une telle augmentation du budget des armées, ne manquera pas de faire émerger, face à la situation socio-économique du pays, et en particulier concernant sa dette souveraine, et son déficit public.

Naval Group Lorient FDI
Le recrutement de la main d’oeuvre sépcialisée par l’indsutrie de défense, sera également un enjeu d’une transformation importante des armées françaises.

Pour autant, en tant que lecteur assidu de Meta-Defense, vous savez que plusieurs solutions peuvent être envisagées, pour que le « Quoiqu’il en coute Défense« , que le passage de l’effort de défense à 3 % entrainerait, ne se solde pas, comme pour le Covid, par l’explosion de la dette et des déficits.

Le principe de la « Défense à Valorisation Positive« , permettrait déjà de sensiblement diminuer le poids budgétaire de cette hausse des investissements engendrerait sur les finances publiques. Il s’agit, ni plus ni moins, que de tenir compte des recettes sociales et fiscales, mais également des économies sociales, que l’augmentation des dépenses d’état va engendrer, par la création d’emplois directs, indirects et induits, dans les armées, la BITD, la Supply Chain et la société civile.

Selon les démonstrations déjà effectuées, ce montant atteint et dépasse les 50 % des sommes investies dans l’industrie de défense, et 30 % concernant les dépenses d’effectifs. En tenant compte de la hausse probable des exportations d’équipements de défense français, consécutives de la hausse des commandes françaises et des capacités industrielles disponibles, le retour budgétaire d’état sur l’investissement industriel peut atteindre, et même dépasser, les 75 %, et venir flirter avec les 100 %, si l’on considère les économies sociales conséquences de la création d’emplois dans la BITD.

Le second axe pour réduire les effets de cette hausse des investissements défense français, sur la dette souveraine et les déficits sociaux, repose sur l’intervention de l’Union européenne sur son propre périmètre. Il serait possible, de cette manière, de sortir du déficit de calcul, la différence d’investissement entre les 2 % visés par la LPM, et les 3 % évoqués ici, du fait du rôle que les armées françaises auraient concernant la sécurité européenne, notamment en termes de dissuasion.

Conclusion

Nous voilà au terme de cette longue analyse. Il apparait, comme évoqué, que si la France a bien connu un effort de défense de 3 % de son PIB, voire davantage, par le passé, la justification de la soutenabilité d’un tel effort, par cette seule référence historique, est bien insuffisante, tant les différences sont nombreuses concernant l’ensemble des données économiques et sociales entre les deux époques.

MMP Akeron Armée de terre
À quoi ressembleraient les armées françaises avec 3 % de PIB ? 17

En revanche, les Armées françaises pourraient, effectivement, avoir un format et des capacités opérationnelles, donc dissuasives, bien plus importantes, y compris proportionnellement parlant, en passant de 2 à 3 % d’effort de défense, alors que l’ensemble des défaillances constatées aujourd’hui, les concernant, y trouveraient leurs solutions.

Pour y parvenir, il sera cependant nécessaire de relever de très nombreux défis, particulièrement complexes. Non que la tâche soit impossible, d’ailleurs. Il existe, en effet, des solutions efficaces tant pour répondre aux difficultés de recrutement, que pour financer la mesure sans creuser les déficits, et pour accompagner l’indispensable changement de format de la BITD.

De fait, amener l’effort de défense français à 3 % du PIB est, effectivement, possible, et certainement plus que souhaitable. Mais il faudra bien plus qu’une simple conviction, exprimée avec passion, pour y parvenir. Comme c’est souvent le cas pour les questions de défense.

Article du 15 février en version intégrale jusqu’au 2 aout 2024.

Le Rafale, l’avion français invendable devenu best-seller

Le Rafale, l’avion français invendable devenu best-seller

La vente prochaine de 12 Rafale à la Serbie porterait à huit le nombre de pays, en dehors de la France, à utiliser l’avion multirôle.

Par Clément Machecourt – Le Point – publié le

https://www.lepoint.fr/economie/le-rafale-l-avion-francais-passe-d-invendable-a-best-seller-des-ventes-29-08-2024-2568910_28.php


 

C‘est la vitrine de l’excellence de la base industrielle et technologique de défense (BITD) française. L’avion de chasse Rafale pourrait de nouveau faire l’objet d’un important contrat de 3 milliards d’euros avec la vente de 12 appareils à la Serbie. L’État des Balkans deviendrait le troisième pays européen à se tourner vers l’avion de Dassault, après la Grèce (2020) et la Croatie (2021). Si la France est passée deuxième exportateur d’armes au monde devant la Russie en 2024, c’est en grande partie grâce au décollage des ventes du Rafale. Pourtant, les débuts commerciaux de l’avion ont été laborieux.

Une longue traversée du désert

Développé dans les années 1980, le Rafale est pensé dès sa conception pour être un avion multirôle, à une époque où les armées de l’air multiplient les modèles. Supériorité aérienne, reconnaissance, dissuasion nucléaire, frappes air-sol… l’avion made in France peut tout faire en adaptant l’armement qu’il transporte. Malgré sa petite dimension, 15,30 m de longueur, 10,90 m d’envergure et 5,30 m de hauteur, il peut emporter jusqu’à 9,5 t d’armement et/ou de carburant sous ses ailes, c’est-à-dire presque autant que son propre poids à vide (10 tonnes). À titre de comparaison, l’avion de chasse furtif F-22 américain développé au même moment est plus grand (18,90 x 17,30 x 5,05), plus lourd (près de 20 tonnes à vide) mais ne peut emporter que 5 tonnes supplémentaires.

Après quelques années de retard, le Rafale intègre la marine en 2004 puis l’armée de l’air en 2006, où il doit progressivement remplacer le Mirage. Reste à vendre l’avion de cinquième génération à l’étranger. Commence alors une longue traversée du désert avec quelques déconvenues, comme le Brésil en 2013, qui choisit finalement le Gripen suédois.

Le Rafale fait face d’un côté à l’hégémonie américaine qui fabrique des milliers d’appareils, baissant ainsi les coûts de production, et de l’autre à des modèles moins avancés technologiquement et donc moins chers, comme les Mig et lesSoukhoï russes. Le Rafale, dont le prix oscille autour de 70 millions d’euros, obtient le surnom d’avion invendable, malgré son engagement réussi au combat en Afghanistan, puis contre Daech en Irak. L’appareil connaît très peu de défaillances ou d’accidents mortels, hormis une éjection en 2020 et plus récemment quand deux appareils sont entrés en collision le 14 août dernier.

Le miracle égyptien

Tout change en février 2015 quand l’Égypte achète 24 appareils à la France pour 5,2 milliards d’euros, avant une nouvelle commande de 31 Rafale en 2021 pour 3,75 milliards d’euros. Au mois de mai de la même année, c’est autour du Qatar de signer un contrat pour 24 avions, puis 12 supplémentaires en 2017, soit un total de 36 Rafale pour 7,4 milliards d’euros. L’Inde suit en 2016, avec l’acquisition de 36 avions français pour 8 milliards d’euros.

L’année 2020 marque un autre tournant pour Dassault, qui obtient son premier contrat européen avec la Grèce. Face au regain de tensions avec la Turquie en Méditerranée, Athènes va acheter 18 appareils, dont 12 prélevés dans l’armée de l’air. Deux ans plus tard, 6 appareils neufs sont achetés, portant à 24 le nombre de Rafale dans l’armée hellène. Comme avec la Grèce, la Croatie achète 12 Rafale d’occasion en novembre 2021.

Un mois plus tard, l’avionneur français décroche le jackpot avec un contrat à 16 milliards d’euros avec les Émirats arabes unis, qui souhaitent acquérir 80 Rafale. L’Indonésie est le dernier pays client en date, avec un contrat de 8,1 milliards d’euros signé en février 2022 pour 42 avions. Outre la Serbie, l’Irak serait aussi intéressé par l’appareil tricolore. Au total, 285 Rafale ont été vendus à l’étranger, dont certains sont déjà livrés. L’armée de l’air et de l’espace et la marine nationale alignent eux 234 appareils. Trois Rafale sortent tous les mois de la chaîne d’assemblage de Mérignac de Dassault, mais ce sont en tout 7 000 personnes réparties dans 400 entreprises qui fournissent les quelque 300 000 pièces du Rafale.

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Donald Trump exigera un effort de défense de 3% PIB aux européens s’il est élu

Pour Donald Trump, l’effort de défense des pays européens constitue, depuis de nombreuses années, l’un de ses thèmes de campagne préférés. Flattant l’ego de son électorat, il dénonce le trop faible niveau des investissements défense en Europe, obligeant les États-Unis à protéger ces pays, et aux contribuables américains, de payer pour la sécurité des allemands, belges et roumains.

Le candidat Républicain pour la campagne présidentielle 2024, avait déjà menacé les européens de cesser de les protéger, s’ils ne « payaient pas ce qu’ils devaient aux États-Unis ». Il est revenu sur ce thème, à l’occasion de son intervention devant la national Guard Association.

Pour l’occasion, il a promis d’exiger, rien de moins, des européens, qu’ils dépensent au moins 3 % de leur PIB dans le cadre de l’OTAN. Il est donc utile de revenir sur le fonctionnement de l’Alliance Atlantique, et sur le pouvoir dont disposent effectivement les États-Unis, vis-à-vis des états-membres, pour comprendre la portée de ces menaces, bien plus réelles qu’il n’y parait de prime abord.

Sommaire

Le sous-investissement des européens au sein de l’OTAN : un thème récurrent pour Donald Trump depuis 2016

Le thème du sous-investissement chronique des pays européens membres de l’OTAN, est un sujet récurrent pour Donald Trump. Déjà, lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2016, il avait mené plusieurs charges contre les capitales européennes, accusées de faire reposer leur sécurité sur la protection américaine, sans jamais les payer en retour.

Donald Trump Merkel 2020
Les relations entre Donald Trump et Angela Merkel ont longtemps été difficiles.

Lors de son mandat présidentiel, il s’était à plusieurs reprises montré particulièrement véhément vis-à-vis de ses homologues européens, provoquant notamment une sourde colère de la part de la chancelière allemande, Angela Merkel.

C’est suite à cet épisode que celle-ci s’engagea, aux côtés d’Emmanuel Macron nouvellement élu, dans plusieurs grands programmes de défense franco-allemands, comme SCAF, MGCS ou CIFS, tout en soutenant l’émergence d’une Europe de la Défense, et même d’une armée européenne.

Comme souvent avec Donald Trump, ces agressions ne durèrent qu’un temps. Et une fois les relations germano-américaines apaisées, à partir de 2018, A. Merkel prit certaines distances avec les positions exprimées peu de temps avant cela, ceci menant à l’abandon de plusieurs des programmes lancés peu de temps auparavant, comme MAWS et Tigre 3, parfois au profit d’équipements américains.

Cependant, si, en 2020, seuls 5 pays européens avaient effectivement atteint, ou dépassé, un effort de défense représentant 2 % du PIB, imposé lors du sommet de l’OTAN de Londres de 2014, la situation est très différente aujourd’hui. Ainsi, en 2023, 10 pays européens atteignaient ou dépassaient ce seuil, alors qu’ils seront, selon l’OTAN, 23 en 2024.

À l’exception de certains pays, comme la Belgique, l’Espagne ou l’Italie, qui n’ont pas produit de trajectoire budgétaire pour respecter cet objectif pour 2025, l’effort de défense européen a augmenté, en moyenne, de plus de 40 % depuis 2017, la moyenne européenne s’établissant à 2,15 % du PIB pour 2024.

L’Europe ne sera plus en situation de faiblesse militaire d’ici à 2030

Au-delà de cette progression remarquable depuis 2017, beaucoup de pays se sont engagés dans une trajectoire visant à encore davantage augmenter leur effort de défense d’ici à 2030, pour atteindre alors, en Europe, un effort de défense moyen de 2,4 % de PIB.

OTAN effort de défense par pays 2024
En 2024, 23 pays européens auront atteint l’objectif d’un effort de défense supérieur ou égal à 2% PIB exprimés en $ 2015 (source OTAN).

Ce faisant, l’Europe, ou plutôt les pays européens membres de l’OTAN, disposeront d’un budget annuel défense entre 550 et 600 Md$, soit 65 % du budget des États-Unis, pour un écart de seulement 0,45 % du PIB, si l’effort de défense US restait à 2,9 % PIB comme aujourd’hui.

En outre, il serait quatre fois plus important que le budget de la défense russe, de quoi compenser l’écart d’efficacité d’investissement entre les deux blocs. En d’autres termes, sur la simple trajectoire actuellement suivie, les Européens seront parvenus, d’ici à 2030, à neutraliser la menace militaire conventionnelle Russe, ne dépendant plus des États-Unis que pour la dissuasion, et certaines capacités de renseignement, de commandement et de communication.

Il faudra, évidemment, plusieurs années avant que les hausses d’investissements en Europe, permettent de faire évoluer sensiblement le rapport de force. Toutefois, cette trajectoire est largement suffisante pour permettre, au besoin, aux forces américaines de réduire sensiblement leur empreinte sur le sol européen, dans les années à venir.

S’il retourne à la Maison-Blanche, Donald Trump promet d’imposer aux européens un effort de défense à 3 % PIB

Logiquement, donc, Donald Trump devrait avoir toutes les raisons d’être satisfait de cette trajectoire européenne, d’autant que parallèlement, dans le Pacifique, l’Australie, la Corée du Sud et le Japon ont, eux aussi, sensiblement accrus leurs moyens dans ce domaine.

Pourtant, à l’occasion de son intervention devant la National Guard Association, lors de sa conférence annuelle qui se tenait, cette année, à Detroit, l’ancien président, et candidat républicain aux élections présidentielles de novembre 2024, s’en est à nouveau pris vivement aux Européens, et à leur effort de défense.

OTAN Sommet de Bruxelles 2019
Sommet de Bruxelles de l’OTAN en 2019.

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L’École militaire de haute montagne compte une nouvelle unité dédiée à l’aguerrissement

L’École militaire de haute montagne compte une nouvelle unité dédiée à l’aguerrissement


Jusqu’à la fin des années 2000, afin d’acclimater ses unités au milieu montagnard, l’armée de Terre disposait de deux centres d’aguerrissement implantés dans les Alpes. Ainsi, héritier du 159e Régiment d’Infanterie Alpine [RIA], le Centre national d’aguerrissement en montagne [CNAM] tenait garnison à Briançon tandis que, ayant repris les traditions du 24e Bataillon de Chasseurs Alpins [BCA], le Centre d’instruction et d’entraînement au combat en montagne [CIECM] était établi à Barcelonnette.

En 2008, il fut décidé de fusionner ces deux entités, le CIECM prenant alors l’appellation « CNAM – Détachement de Barcelonnette ». Pour l’armée de Terre, il n’était pas question de se passer des zones d’entraînements – uniques – qu’elle possédait alors dans les Alpes de Haute-Provence. Seulement, la Révision générale des politiques publiques [RGPP], avec la réforme de la carte militaire qu’elle portait, l’obligea à revoir ses plans.

Un an après, le CNAM fut dissous pour ensuite être remplacé par le Groupement d’aguerrissement montagne [GAM], établi à Modane [Savoie]. Seulement, au moment où la préparation au combat de haute intensité est l’une des priorités de l’armée de Terre, il peine à répondre à la demande, faute de capacités d’accueil suffisantes. Du moins était-ce le cas il y a deux ans.

« Le GAM accueille douze fois par an un groupe de stagiaires pour une durée de 3 semaines. Depuis plusieurs années, le nombre de stagiaires que souhaite aguerrir l’armée de terre au sein du GAM dépasse sa capacité d’accueil », avait en effet relevé un député, dans une question écrite adressée au ministère des Armées, en février 2022.

« Le site militaire de Modane constitue l’une des clés de voûte de la politique d’aguerrissement au combat des unités de l’armée de Terre et fait donc l’objet d’une attention particulière s’agissant de l’adaptation des conditions d’accueil des stagiaires, notamment en matière d’hébergement », lui avait répondu ce dernier, en précisant qu’une étude de faisabilité était en cours afin d’augmenter [sa] capacité d’accueil totale. Cependant, avait-il admis, « aucune nouvelle opération » n’était alors « inscrite au titre du plan hébergement ».

Quoi qu’il en soit, le GAM vient de connaître une nouvelle évolution, avec son rattachement à l’École militaire de haute montagne [EMHM], laquelle relève de la 27e Brigade d’Infanterie de Montagne [BIM].

Dans le cadre de sa transformation et « afin de renforcer l’excellence de la 27e BIM dans les opérations en montagne et dans le grand froid, l’École militaire de haute montagne s’est étoffée d’une 4e unité en intégrant le Groupement d’aguerrissement montagne de Modane et ses 35 militaires, aux côtés des divisions formation montagne et grand froid, formation tactique et du groupe militaire de haute montagne », a en effet indiqué l’armée de Terre, le 26 août.

Si elle paraît logique, cette intégration du GAM au sein de l’EMHM est cependant « l’aboutissement de travaux initiés depuis plusieurs années », précise l’armée de Terre. Et celle-ci d’ajouter : « En apportant ses capacités et ses compétences sur l’aguerrissement des unités non spécialistes du milieu, sur la survie et la mobilité motorisée en montagne et dans le grand froid, le GAM vient élargir les missions de l’EMHM et renforcer sa légitimité de pôle d’expertise militaire unique, de référence mondiale ».

Par ailleurs, les installations de Barcelonnette reprendront prochainement du service pour des exercices d’entraînement et d’aguerrissement, a rapporté Haute-Provence Infos, en avril dernier. Et cela, a priori, au profit du 4e Régiment de Chasseurs de Gap.

« Les zones de conflit nous amènent à poursuivre les entraînements en conditions extrêmes. Il se trouve que la configuration géographique de l’Ubaye correspond parfaitement aux caractéristiques qui nous sont nécessaires. La verticalité du relief permet les exercices d’entraînement au combat en montagne, avec la possibilité de manœuvres à pied. […] Le site sera réinvesti à partir de l’hiver 2024/2025 », avait justifié le général Thierry Laval, gouverneur militaire de Marseille, officier général de zone de défense Sud.

Photo : armée de Terre / archive

Frappes du Hezbollah sur Israël : un embrasement évité ?

Frappes du Hezbollah sur Israël : un embrasement évité ?

Interview Le point de vue de Didier Billion – IRIS – publié le 27 août 2024

 

Si les relations entre Israël et le Hezbollah libanais ont toujours été marquées par une importante conflictualité, un nouveau chapitre particulièrement tendu s’est ouvert à la suite des attentats du 7 octobre et des bombardements massifs sur Gaza. Plus proche allié de l’Iran au sein de l’« axe de la résistance » dirigé contre l’État hébreu comprenant également les Houthis au Yémen, le Hamas, la Syrie et divers groupes chiites en Irak, le Hezbollah dirigé par Hassan Nasrallah s’est montré particulièrement actif ces derniers mois. Alors que le meurtre du chef du Hamas Ismaël Haniyeh au cœur de Téhéran a ajouté de l’huile sur le feu dans une région déjà au bord de l’implosion, le Hezbollah a en effet lancé le 25 août une attaque d’envergure visant des structures militaires israéliennes. Une escalade pouvant mener à un embrasement régional est-elle envisageable dans ce contexte ? Entretien avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS en charge du Programme Moyen-Orient/Afrique du Nord de l’IRIS.

Dans quel contexte s’inscrit l’attaque du Hezbollah du 25 août 2024 ? Quels étaient les objectifs poursuivis par le Hezbollah ?

Il y a en réalité un double contexte pour comprendre les opérations militaires croisées du dimanche 25 août. Le contexte général, tout d’abord, qui réside bien sûr dans la montée des tensions régionales depuis l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et qui n’a cessé de s’accroître depuis lors en raison de la politique à caractère génocidaire menée par l’État d’Israël contre la bande de Gaza. Le massacre méthodique organisé par les autorités israéliennes à l’encontre de la population gazaouie s’élève à ce jour à près de 40 000 morts – en réalité beaucoup plus sans qu’il soit possible de fournir un chiffre précis au vu de l’ampleur du désastre – dont une immense majorité de civils, et par la destruction de toute vie sociale possible pour de nombreuses années.

Le contexte plus conjoncturel est en rapport avec l’assassinat de Fouad Chokr – un des principaux responsables militaires du Hezbollah et bras droit de Hassan Nasrallah – le 30 juillet dernier à Beyrouth. Considérant l’importance politique de cette perte ainsi que le lieu où l’assassinat s’est produit, le Hezbollah ne pouvait le laisser impuni et avait fait des déclarations en ce sens à plusieurs reprises. Mais c’est en réalité Israël qui a lancé, dans la nuit de samedi à dimanche, une opération préventive de destruction des lances rampements de roquettes du Hezbollah pour empêcher l’opération d’envergure promise par ce dernier de se concrétiser.

Au lendemain de cette attaque, quelle a été la réponse d’Israël ? Quel bilan peut-on dresser de ces attaques pour chacune des parties ?

Le Hezbollah, par la voix de son secrétaire général Hassan Nasrallah, a précisé lors d’une conférence de presse organisée le soir même des opérations que les objectifs des tirs de roquettes Katioucha – dont les experts considèrent qu’ils s’avèrent peu précis et facilement interceptables – et de drones se concentraient sur onze bases militaires dont notamment celle de Glilot, près de Tel-Aviv, qui serait une base du renseignement militaire israélien et du Mossad, le service de renseignement extérieur. Aucune frappe du Hezbollah n’a visé de villes israéliennes ce qui indique assez bien les limites que le groupe militaire libanais s’est fixé lui-même.

Comme évoqué précédemment, la partie israélienne a, pour sa part, indiqué que les frappes effectuées par son aviation – une centaine d’avions mobilisés semble-t-il – avaient visé des milliers de rampes de lancement du Hezbollah. Chiffre immédiatement démenti par ce dernier.

Le bilan exact est quasi impossible à connaitre puisque, comme toujours dans ce type de situation, on peut considérer que les déclarations triomphalistes formulées de part et d’autre sont très largement exagérées et qu’en réalité les tirs croisés massifs n’ont en rien modifié les rapports de force militaires entre les deux belligérants.

Il est enfin à noter que si les États-Unis ont réaffirmé leur soutien sans faille à Israël ils n’ont visiblement pas participé aux interceptions des roquettes lancées par le Hezbollah.

Ce bref épisode indique à la fois la volatilité de la situation régionale mais aussi les limites que se posent chacune des parties. En tout cas dès la journée de dimanche chacun des protagonistes déclarait explicitement qu’il désirait en rester là à ce stade. Le Hezbollah ne peut certes laisser impuni les assassinats à répétition de ses responsables, au risque de se décrédibiliser, mais il a parfaitement conscience qu’il n’a aucun intérêt à lancer une offensive militaire d’ampleur contre Israël. Celle-ci, risquerait en retour non seulement d’être très préjudiciable à un Liban déjà extrêmement affaibli mais surtout amoindrirait le rôle politique de premier plan acquis dans le pays par le Hezbollah.

Israël pour sa part est dans une logique radicalement différente mais non exempte de contradictions. On comprend depuis des semaines que Benyamin Netanyahou cherche à régionaliser le conflit de façon à ressouder ses soutiens occidentaux, principalement états-uniens, qui sont verbalement de plus en plus critiques quant à la fuite en avant dont fait preuve chaque jour le gouvernement israélien. Pour autant, ce dessein de régionalisation ne reçoit pas l’agrément des puissances occidentales qui craignent plus que tout un risque d’embrasement susceptible de rapidement devenir incontrôlable.

Quel est à ce jour l’état des capacités militaires de l’« axe de la résistance » face à celle d’Israël ? Doit-on s’attendre à une escalade régionale du conflit après près d’un an de guerre à Gaza ?

Il faut prendre garde à ne pas raisonner principalement en termes de rapports de forces militaires, mais avant tout en termes politiques. Néanmoins, chacune des composantes dudit « axe de la résistance » possède des capacités opérationnelles qu’il est à la fois difficile à évaluer précisément mais qu’il serait vain de nier ou de sous-estimer. Rappelons tout d’abord quelles sont les principales forces de cet ensemble finalement composite.

Le Hamas et le Jihad islamique, bien que non éradiqués contrairement aux objectifs maintes fois réaffirmés de Benyamin Netanyahou, sont considérablement affaiblis et ne sont pas en situation d’une quelconque offensive.

Les milices chiites irakiennes proches de l’Iran, possèdent des capacités opérationnelles réelles, qui se déclinent notamment par des attaques contre des intérêts états-uniens sur le sol irakien, mais ne sont pas en situation de lancer une offensive à l’extérieur, justement en raison de leur caractère milicien.

Les houthis yéménites ont a contrario étonnamment démontré une aptitude opérationnelle qui induit de réels effets sur le trafic maritime en mer Rouge et son prolongement septentrional qu’est le canal de Suez. Pour autant s’ils possèdent un réel savoir-faire militaire, leur force réside surtout sur leur capacité à perturber le commerce international, ce qui n’est pas négligeable, convenons-en.

Passons rapidement sur la Syrie dont les capacités de l’armée à mener des opérations extérieures sont quasi nulles en raison des conséquences dévastatrices de la guerre civile.

Comme déjà mentionné, le Hezbollah possède un impressionnant potentiel militaire, particulièrement déployé à la frontière septentrionale de l’État hébreu, mais nous savons qu’il ne peut s’en servir véritablement pour les raisons politiques déjà évoquées.

Enfin l’Iran qui à la différence de tous les acteurs mentionnés est un acteur étatique possédant une variété de moyens militaires opérationnels et pouvant indéniablement causer pertes et dégâts en Israël, mais qui craint plus que tout d’être engagé dans un engrenage qu’il ne maitriserait pas dans le cas d’un conflit frontal avec Israël.

Pour une raison évidente, ce serait une erreur de perspective complète que de simplement additionner ces forces militaires. Chacune des composantes de l’axe de la résistance partage certes la même rhétorique sur l’« ennemi sioniste » – et plus généralement contre l’impérialisme états-unien – mais chacune possède de facto son propre agenda politique national qui rend quasi impossible une attaque concertée contre Israël. D’autant que chacune de ces forces comprend aussi parfaitement que dans le cas d’une telle attaque, la réaction de Washington serait foudroyante et ferait alors entrer les opérations militaires dans une autre dimension dans laquelle cet « axe de la résistance » n’aurait probablement rien à gagner.

L’Occident doit « se préparer à des temps très durs » : l’alerte du chef d’état-major des armées françaises

L’Occident doit « se préparer à des temps très durs » : l’alerte du chef d’état-major des armées françaises

Thierry Burkhard, le 26 juin 2024, à Paris ( AFP / BERTRAND GUAY )
 
information fournie par Boursorama avec Media Services 28/08/2024

Le général Thierry Burkhard a mis en garde les dirigeants de grands groupes français face à la « récusation du modèle occidental » qui gagne le monde.

« On va devoir vivre avec ». Devant un parterre de dirigeants d’entreprises, le chef d’état-major des armées françaises a prévenu face à la remise en cause inexorable du « modèle occidental » à travers le monde, appelant à « se préparer à des temps assez durs, sinon très durs, pour l’Occident ».

« On entre résolument dans une nouvelle ère, un Occident qui est contesté (…) et une fragmentation de l’ordre international extrêmement forte« , a averti le général Thierry Burkhard devant les responsables du Medef et de dix grands groupes français, mardi 27 août.

Cet ordre international « a été fondé sur le droit, construit par le monde occidental et on nous reproche de l’avoir construit pour le monde occidental », a-t-il ajouté, décrivant « en parallèle la montée d’un ordre alternatif (…) qui veut nous pousser dehors ».

Garnir les effectifs

Le général intervenait à Paris lors d’une cérémonie de lancement du partenariat ProMilès entre ces groupes et l’armée, visant notamment la reconversion des soldats blessés dans le secteur privé, le renforcement de la réserve et l’emploi des conjoints de militaires. En avril, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait indiqué vouloir moderniser le recensement pour identifier « en continu » les compétences de volontaires susceptibles de renforcer la réserve militaire. Le président de la République, Emmanuel Macron, veut doubler le nombre de réservistes, actuellement de 40.000, qui viennent en appui des plus de 200.000 militaires de l’armée française.

« Le recours à la force est désinhibé et apparaît comme la manière la plus forte d’imposer sa volonté et de résoudre les différends », a poursuivi le général Burkhard.  » Ne croyons pas qu’on va revenir au monde d’avant. Ce qui se met en place, on va devoir vivre avec ».

Les entreprises concernées, du domaine militaire (KNDS, Thalès, Dassault Aviation…) ou non (Société Générale, Michelin, Schneider Electric…) s’engagent via ce partenariat à « conforter ou initier » leurs relations avec la formation militaire pour une durée renouvelable de cinq ans. Parmi les facteurs stratégiques essentiels des années à venir, le militaire a aussi cité la guerre informationnelle, dans laquelle « nos compétiteurs agissent de manière extrêmement forte ».

Il a également cité le changement climatique comme « catalyseur de chaos, en termes de guerre d’accès aux ressources, de déplacement de population ou de famine ».

Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Par Laurent Chamontin – Diploweb – publié le 27 août 2024  

https://www.diploweb.com/7-Les-opinions-europeenne-et.html


Laurent Chamontin (1964-2020), était diplômé de l’École Polytechnique. Il a vécu et voyagé dans le monde russe. Il est l’auteur de « L’empire sans limites – pouvoir et société dans le monde russe » (préface d’isabelle Facon – Éditions de l’Aube – 2014), et de « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016.

Longtemps avant la relance de la guerre d’agression russe le 24 février 2022, Laurent Chamontin (1964-2020) a vu juste sur la Russie de Poutine et ses ambitions impériales à l’encontre de l’Ukraine. Il fait partie des quelques experts qui ont mis à disposition des faits à considérer et des analyses à intégrer pour ne pas être surpris. En accès gratuit, le Diploweb a publié dès août 2016 son ouvrage « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol ». L. Chamontin alertait non seulement sur les visions impériales de Moscou mais aussi sur les dangers de la désinformation russe, (Cf. Chapitre 6. « La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre »). Créé en 2021, le Service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum) ne cesse depuis de mettre à jour des actions de désinformation russes à l’encontre de la France. Chapitre par chapitre, la publication numérique de l’ouvrage de L. Chamontin a été achevée en février 2017 par le chapitre « Le rôle crucial de l’Europe dans la résolution de la crise ukrainienne ». Après la publication numérique gratuite, le Diploweb en assuré la publication aux formats Kindle et livre papier, par Amazon. Sous ces trois formats, le livre « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol » a reçu un bel accueil. Ce dont témoigne d’ailleurs en creux sur Amazon la hargne de quelques trolls pro-russes aux commentaires pathétiques, hommages involontaires à la pertinence d’une pensée critique argumentée et toujours nuancée. Ce qui les gêne, c’est la mise à disposition d’éléments de connaissance qui réduisent l’efficacité de leurs manipulations mentales.

Laurent Chamontin est décédé le 15 avril 2020 de la combinaison d’un cancer et du Covid-19. Il nous manque humainement et intellectuellement tant sa lucidité aurait été la bienvenue pour éclairer la relance de la guerre russe en Ukraine. Cette dernière exerce des effets de long terme sur la reconfiguration stratégique de l’Europe géographique. C’est pourquoi il est utile de (re)lire un auteur qui avait su en distinguer les signes annonciateurs. La grâce de l’écriture et les possibilités de la publication internet permettent de remettre en avant son analyse contextualisée, puisque chaque page HTML porte en pied la date de publication initiale. Chacun saura trouver dans ces lignes rédigées en 2016 des réflexions pour aujourd’hui.

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

Une opinion prise à froid par les évènements

LE MONDE CHANGE, et il change vite. Le public découvre avec stupeur que la mondialisation heureuse, celle des plages de l’île Maurice, a aussi sa face noire. Cette prise de conscience est spécialement pénible pour les Européens, qui ont la malchance stratégique d’être entourés de deux zones où la modernisation est particulièrement laborieuse – nous aurons l’occasion d’y revenir en conclusion.
Depuis en fait le début des printemps arabes en 2011, les habitants de notre continent sont quotidiennement confrontés à des crises qui les concernent mais se déroulent dans des pays qu’ils connaissent mal, dont il faut apprendre à toute vitesse la géographie, la composition ethnique et la culture.

En ce qui concerne l’espace anciennement soviétique, il faut de plus tenir compte d’une réalité qui a évolué brusquement au début des années quatre-vingt-dix, mettant le public, ou du moins sa part la plus âgée, face à des pays nouveaux, qu’il a du mal à se représenter.
Parmi ceux-ci, la Russie fait bien sûr ici exception, du fait de la continuité qu’elle a maintenue avec l’Empire via l’URSS sur le plan des perceptions, et aussi du fait qu’elle conserve bon nombre des attributs soviétiques de la puissance – une taille encore suffisante pour être le plus vaste pays du Monde, l’arme nucléaire, et un siège au conseil de sécurité de l’ONU, pour ne citer que les principaux.
Comme nous l’avons détaillé au chapitre précédent, face à ce contexte complexe et angoissant, l’opinion est de plus soumise au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, avec une dissymétrie fondamentale, puisqu’une action en sens inverse se heurte à des difficultés considérables du fait du verrouillage autoritaire de la société russe ; et elle doit faire face à ses propres démons, ceux qui par haine d’eux-mêmes font de l’Occident la source de tous les maux.
Cependant, le désarroi du citoyen provient aussi d’une difficulté importante à comprendre le point de vue de l’autre ; pour le dire schématiquement, l’idée que Moscou puisse choisir la voie de l’aventurisme militaire au détriment de la croissance et de la stabilité à ses frontières, qui est pourtant un fait patent, est rarement menée jusqu’à ses ultimes conséquences, dans la mesure où il est difficile de se représenter la forme de rationalité qui la sous-tend.
D’où par exemple la floraison de propositions [1] qui prônent la reconnaissance du fait accompli en Crimée, au nom du « réalisme ». Passons sur le fait que ces propositions font bon marché du fait inouï qu’un membre permanent du conseil de sécurité ait bafoué un accord lié à la non-prolifération (la Russie ayant garanti les frontières de l’Ukraine en échange de la dénucléarisation de cette dernière) ; au-delà de cette désinvolture, elles signalent aussi une incapacité complète à comprendre la nature de la menace.

Encore une fois, l’option d’une fuite en avant mettant Moscou aux prises avec l’OTAN ou une déstabilisation complète de la zone ne peuvent pas être aujourd’hui complètement exclues, compte tenu de ce que nous avons appris des blocages de la société russe et de l’instabilité intrinsèque qui en découle. Le fait de donner une prime au premier pas, sans de très solides contreparties qui ne sont jamais mentionnées, ne fait dans un tel contexte qu’augmenter la sensation d’impunité et donc le danger.
Au fond, le Narcisse postmoderne, l’hédoniste de la guerre à zéro mort imaginait paresseusement que les États post-soviétiques s’aligneraient à plus ou moins long terme sur son mode de vie, d’autant que ses dépenses militaires étaient au plus bas et que l’OTAN s’était judicieusement abstenue d’installer des bases aux frontières de la Russie. Au-delà d’une résistance à la réalité pénible de l’augmentation du risque, certes compréhensible après les dévastations de la Seconde Guerre mondiale, les conflits qui surviennent à ses portes ont de la peine à se frayer un chemin dans une psychologie qui favorise le relativisme des opinions, la psychologie de ceux qui pratiquent «  la fuite devant l’épreuve de la coexistence conflictuelle  » selon Marcel Gauchet [2].

Quand on est dépolitisé aussi profondément que notre Narcisse, et fermement convaincu que rien ne justifie de mourir pour des idées, qu’on ignore les réalités consternantes de l’État friable post-soviétique, les martyrs de l’Euromaïdan comme l’idolâtrie dont Vladimir Poutine est l’objet en Russie sont des réalités difficilement appréhendables.
Cela n’empêche pas d’ailleurs la résurgence périodique du mythe de l’homme fort, ou providentiel, dont le maître du Kremlin est soudain censé représenter l’archétype ; il faut y voir la réaction d’une opinion, confrontée aux lenteurs d’une société aux processus complexes, et soudain tentée par les vertus du court-circuit.
L’enthousiasme soudain pour un sauveur, plus doué pour mettre en scène sa résolution à la télévision que pour se soucier des conséquences de ses actes, dont le président George W. Bush est un exemple aussi emblématique que déplorable, est un phénomène indéniable.
Il est clair qu’il est difficile de construire un nouvel aéroport (ou de décider d’abandonner ce projet) avec des procédures de concertation exhaustives comme nous en avons en France ; mais il est également assuré que la mise en scène de la pacification de la Tchétchénie par Vladimir Poutine, pour totale qu’elle soit, a fait des victimes par dizaines de milliers. En d’autres termes, le récit du héros pliant la réalité à ses désirs est tout à fait incompatible avec l’exercice des valeurs démocratiques d’écoute et de concertation.
Malgré cet argument de bon sens, il est à craindre que le spectre de G. W. Bush ne vienne encore longtemps polluer le jeu démocratique, y compris dans les sociétés libérales ; c’est en particulier vrai dans le cas français où subsiste dans une partie de l’opinion une nostalgie bonapartiste, que les conditions de la prise de décision dans le Monde moderne rendent de plus en plus surannée.


Un livre également édité par Diploweb.com via Amazon, format papier et format Kindle

7 - Les opinions européenne et française dans la guerre hybride
L. Chamontin. Ukraine et Russie. Pour comprendre.
Laurent Chamontin, « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016. Un classique également disponible sur Amazon format papier et format Kindle

Laurent Chamontin, « Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol », éditions Diploweb 2016. Un classique également disponible sur Amazon format papier et format Kindle


Le cas de la France

Cela sort de notre propos, mais il faut quand même le rappeler en préambule : les États-Unis, pour n’être pas exempts de toute critique, par exemple au sujet de l’intervention en Irak, cultivent des valeurs de démocratie et de liberté ; ils garantissent la libre circulation sur les mers, la sécurité de l’Europe et jouent un rôle crucial dans la lutte contre la prolifération nucléaire.
L’antiaméricanisme français, qui prend sans doute sa source dans le recul de la puissance nationale au XXème siècle et dans le deuil laborieux auquel il contraint, a cependant le privilège inégalable d’être dans certains milieux érigé en dogme ; comme nous l’avons évoqué plus haut, la guerre en Ukraine, dans cette optique, est surtout vue comme une occasion de régler des comptes avec l’oncle Sam, ce qui a pour effet déplorable de détourner de la compréhension de ce qui se passe en réalité.

Il faut cependant mentionner, à côté de cet antiaméricanisme pathologique, une certaine tradition de russophilie française, transférée de l’Empire à l’URSS puis à la Fédération de Russie, qui a pour elle le poids de la géopolitique et de l’Histoire, conserve sa force jusqu’à aujourd’hui, et n’a rien de répréhensible en soi.
De fait, l’éloignement entre les deux pays permet aux Français d’attribuer spontanément à leur contrepartie un statut de puissance lointaine, et leur évite donc de se confronter aux inconvénients de leur voisinage, ce qui n’est pas le cas des Baltes ou des Polonais. Dans les faits, de l’alliance franco-russe de 1894 jusqu’en 1945, Moscou a joué pour Paris le rôle d’une puissance de contrepoids face à l’Allemagne ; et, dans les années soixante, la relation entretenue avec le Kremlin a permis au général De Gaulle de cultiver sa différence par rapport aux États-Unis, dans un contexte où ceux-ci tendaient un peu trop à considérer l’Europe comme quantité négligeable.
Dans la mesure où certains « gaullistes » d’aujourd’hui se laissent attirer par les sirènes du culte de Vladimir Poutine, il importe au passage de préciser quelques points à ce sujet, et en premier lieu, que l’homme du 18 juin est l’auteur de la déclaration définitive selon laquelle «  un État digne de ce nom n’a pas d’amis  » ; ensuite, qu’il était un lecteur averti de Custine [3], et qu’à ce titre il n’avait aucune illusion sur l’Union Soviétique, ni sur l’ouverture de la civilisation russe à la démocratie libérale ; et enfin, qu’il était porteur d’une vision et d’un sens de l’honneur dont l’ensemble de notre propos suggère qu’ils pourraient ne pas être le lot de l’homme du Kremlin.

Cependant les excès de la russophilie française ne se limitent pas au culte de Vladimir Poutine, qui ne concerne au fond que les bonapartistes que nous évoquions plus haut.
Tout au long du XXème siècle, le public français aura ainsi été abreuvé de thèses progressistes sur la révolution russe, censée être une étape majeure sur le chemin de la société sans classes. Cette grille explicative s’appuyait sur une vision abstraite du développement des sociétés humaines, supposé suivre les mêmes étapes dans toutes les aires culturelles.
Sans doute faut-il attribuer à ce contexte particulier le fait que l’Histoire de la Russie des tsars de l’Américain Richard Pipes [4], dont l’approche est complètement différente, ait dû attendre pendant près de quarante ans une traduction dans notre langue, même si bien sûr l’antipathie déclarée de Pipes pour l’expérience soviétique a aussi joué son rôle. Il ne faisait pas bon, dans les années soixante-dix, être qualifié de « réactionnaire ».
Quoi qu’il en soit, l’un des mérites de cet ouvrage fondamental est de mettre en évidence les continuités essentielles qui existent entre la Russie impériale et l’URSS en matière de développement étatique – en d’autres termes, il souligne de manière convaincante le caractère très russe de la révolution de 1917 et de l’expérience soviétique qui s’en est ensuivie, ainsi que la continuité du développement de l’État policier…
Dans une société française dont l’un des travers est de s’accrocher à des vérités supposées sacrées (l’Algérie française, les Ardennes infranchissables…) au prix de démentis cinglants, une thèse de ce type se heurte à la conviction rarement interrogée selon laquelle la Russie est un pays européen.

Il est pourtant utile, pour comprendre la Russie telle qu’elle est, de se pénétrer du fait suivant, difficilement contestable : que la construction de l’État russe, dans sa logique, n’a rien à voir avec l’État de droit, des origines à nos jours – un fait qui suffit à en faire une civilisation sui generis, certes influencée par l’Europe, mais tout à fait inassimilable à celle-ci.
De même, il faut sans doute soupçonner l’existence d’une inavouée nostalgie pour le modèle soviétique de l’emploi à vie dans une partie de la société française, pour expliquer un certain manque de curiosité à l’égard des causes et des conséquences de la chute de l’URSS – lesquelles, comme nous l’avons rappelé, brossent un tableau très éloigné des lendemains qui chantent de la propagande communiste…

Tout ceci explique l’acceptation aisée par l’opinion des discours de certains intellectuels français qui ont pour caractéristiques de mettre en avant une hypothétique «  marche de la Russie vers l’Europe  », à laquelle nous n’aurions pas suffisamment prêté attention, d’ignorer complètement le fait national ukrainien, pourtant difficilement contestable d’après les données que nous avons présentées, et de rester d’une discrétion de violette sur les logiques de prédation qui font l’instabilité fondamentale de l’État russe. On a connu Hélène Carrère d’Encausse, chef de file de ce courant d’interprétation [5], plus inspirée à d’autres époques…

Le public français est ainsi maintenu dans une ignorance regrettable d’intérêts nationaux qui ne s’arrêtent plus depuis longtemps à la frontière du Rhin : quand la Russie, en juillet 2015, déplace de quelques centaines de mètres la ligne de démarcation entre l’Ossétie du sud et la Géorgie, elle met la main sur un tronçon d’oléoduc qui approvisionne l’Occident en pétrole de la mer Caspienne. A-t-on prêté ici à cet incident l’attention qu’il méritait ?…
Ce que nous avons passé ici en revue, c’est un ensemble de facteurs pesants, qu’il ne faut pas ignorer et qui ne pourront évoluer que sur le long terme ; cependant, encore une fois, les opinions n’ont pas trop mal résisté au choc, ce qui est à mettre au crédit de la démocratie en tant que système. C’est un point sur lequel il va falloir maintenant bâtir, tant le rôle de l’Europe sera déterminant dans la suite de la crise, comme nous allons le voir maintenant.


Encadré 8

Que nous apprend sur la France l’affaire des « Mistral » ? par Bernard Grua, porte-parole du collectif « No mistrals for Putin »

En 2008, peu de temps après la guerre menée par le Kremlin contre la Géorgie, certains membres de l’État-Major russe font part de leur souhait d’acquérir des BPC (Bâtiments de Projection et Commandement) Mistral. Concrètement il s’agit d’acheter le nec plus ultra des navires d’invasion, ceux-ci étant construits par la France au chantier STX de Saint Nazaire. L’amiral Vyssotsky, chef d’Etat-Major de la Marine, déclare, que, dotées d’un navire de la trempe du Mistral, les troupes russes auraient gagné la guerre éclair menée contre la Géorgie « en quarante minutes au lieu de vingt-six heures »…
En dépit de l’opposition de nos partenaires de l’OTAN, et plus particulièrement des voisins de la Russie, devant la matérialisation de la menace stratégique qu’elle représente, en dépit de la désapprobation de nombres d’officiers généraux français, malgré la réprobation du syndicat CFDT de STX, le Président Nicolas Sarkozy finit par céder à toutes les exigences russes, y compris le système « Senit-9 » de pilotage tactique.
Le 25 janvier 2011, le gouvernement Fillon signe un contrat de 1,2 milliards d’Euros prévoyant la livraison de deux navires d’invasion Mistral (Vladivostok – automne 2014 et Sébastopol – automne 2015) équipés du « Senit-9 » ainsi que d’une flottille d’engins de débarquement.

Ce contrat militaire, le plus gros signé par une puissance occidentale depuis la fin de la Deuxième mondiale avec l’ex-URSS permet au constructeur, le chantier STX de Saint Nazaire, de garnir son carnet de commandes, désespérément vide à cette époque, fournissant ainsi du travail à environ 2 000 employés et sous-traitants.
Trois ans plus tard, la situation a bien changé : la Russie de Vladimir Poutine ayant annexé la Crimée, le gouvernement français se retrouve dans une situation de plus en plus inconfortable, avec la perspective de la livraison prochaine du premier BPC. Quant au chantier STX, ses perspectives économiques se sont considérablement redressées depuis 2011 ; il bénéfice d’un carnet de commande pléthorique et se trouve dans une situation de plein emploi.
Sur le plan international, au fur et à mesure que l’échéance approche, un seul pays, la Russie, se montre ouvertement favorable à la livraison. La plupart des États occidentaux et le Japon font connaître leur opposition, d’autant plus vivement qu’ils sont proches géographiquement de la Russie. Les autres pays sont neutres. À moins de se rapprocher encore plus clairement du régime de Poutine, la France est donc très isolée.

Il faut également compter avec l’émergence en mai 2014 du collectif « No Mistrals for Putin« , mouvement démocratique et décentralisé, lancé par une poignée de Français, qui lutte seul contre la livraison des Mistral. On peut y voir un exemple particulièrement encourageant d’une mobilisation endogène de la société civile ayant su rassembler par-delà les frontières un groupe de citoyens qui partagent les mêmes valeurs et une même vision consciente de l’Histoire en train de s’écrire, Histoire dans laquelle ils décident d’être acteurs.
Cependant, au sein de ce collectif créé en France, la part des Français reste faible : l’analyse des sympathisants de la communauté Facebook montre que ceux-ci ne constituent que 8 % du total, et qu’en termes de nombre de fans rapporté à la population totale, notre pays ne se trouve qu’à la 7ème place…

Bien plus, à de très rares exceptions près, aucune ONG, aucun homme politique, aucune association ne participent au mouvement contre la livraison des Mistral dans la patrie des droits de l’Homme. Le PS et le Gouvernement, après quelques mois cacophoniques, se voient imposer un mutisme absolu. Le Front National, le reste de l’extrême droite, les communistes, une bonne partie de l’extrême gauche et la plupart des hommes politiques de droite sont ouvertement pour la livraison, quand ils ne relayaient pas directement et consciemment la propagande du Moscou.

Entre juillet 2014 et septembre 2015, la presse du Kremlin, notamment par l’intermédiaire de « Sputnik« , paraissant en de nombreuses langues dont le français, se déchaîne littéralement en cherchant à affoler la population sur les conséquences d’une non-livraison. Ce pilonnage est repris par tous les médias ou blogs favorables au Kremlin avant de finir comme une vérité établie dans la pensée commune, reprise par les médias « mainstream ».
Quant au gouvernement, certes dans une position délicate, il met fort longtemps à sortir d’une position très ambiguë, illustrée par deux faits caractéristiques entre tant d’autres : l’annonce par François Hollande le 22 juillet 2014, 5 jours après la destruction du vol MH17 par un missile russe, de la décision ferme de livrer le Vladivostok en octobre de la même année ; et le 14 novembre 2014, le passage sous pavillon russe du Vladivostok, brutalement désactivé sans qu’on connaisse le fin mot de l’histoire quand « No Mistrals for Putin » a levé le lièvre.

Bien loin des explications par l’assujettissement à l’impérialisme américain, on peut raisonnablement penser que ce sont les représentants des pays européens à l’OTAN et au sein de l’UE qui font véritablement fait pencher la balance en faveur de l’abandon de la livraison, de même que les marchés polonais. La destruction du vol MH17, en juillet 2014 et l’implication du Kremlin dans la boucherie de la bataille d’Ilovaïsk, Donbass, en août 2014 y tiennent, de plus, une part considérable.
La victoire que représente l’abandon de la livraison sans préjudice financier majeur nous montre que, pour les grands défis internationaux, l’Etat français doit sortir de son mutisme et de ses « éléments de langage » afin de communiquer, à la population, les observations tangibles et prouvées dont il a connaissance. Elle nous force à reconnaître qu’il est inacceptable de laisser une puissance hostile occuper le champ médiatique français, déserté par ceux qui ont la charge de notre pays.


Copyright 2016-Chamontin/Diploweb.com


Table des matières

Introduction. Ukraine et Russie : pour comprendre. Retour de Marioupol

1 – Aux racines du conflit : la décomposition de l’URSS

2 – Géopolitique de l’ »Etranger proche »

3 – L’Ukraine : émergence d’un nouvel État-nation

4 – « Euromaïdan » : une lame de fond

5 – Russie : les risques d’une puissance instable

6 – La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

7 – Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

Conclusion. Le rôle crucial de l’Europe dans la résolution de la crise ukrainienne