Iran/Arménie : première manœuvre militaire conjointe
par Alain RODIER – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°682 / avril 2025
Le ministère arménien de la Défense et l’Agence de presse de la République islamique d’Iran ont annoncé officiellement avoir organisé les 9 et 10 avril leur première manœuvre militaire conjointe, baptisée « Paix », dans la région frontalière située au point de rencontre du Nakhitchevan (exclave de l’Azerbaïdjan), de l’Arménie et de l’Iran.
Surtout, cet exercice a eu lieu à proximité du corridor arménien de Zangezour qui fait l’objet de revendications de la part de l’Azerbaïdjan. Bakou réclame en effet de créer un passage entre le territoire azéri à l’est et le Nakhitchevan, à l’ouest, ce qui lui permettrait d’établir une liaison directe entre les deux parties de son territoire, et avec la Turquie, sans passer par l’Iran. Téhéran et Erevan rejettent totalement ce projet qui menacerait les liaisons entre leurs deux pays.
A l’occasion de cette manœuvre, la partie iranienne engageait la division Achoura des forces terrestres du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) qui est basée dans les provinces d’Azerbaïdjan[1] oriental, d’Ardebil et de Zandjan, au nord-ouest de l’Iran. Cette division comprendrait trois brigades baptisées Achoura 31, Ansar al-Mahdi 36 et Abbas 37.
Téhéran avait déjà mené en 2022 un exercice militaire de grande envergure de trois jours à la frontière avec l’Arménie, mais sans participation officielle d’Erevan. La division Achoura avait alors construit un pont temporaire sur le fleuve Arax, qui sépare l’Iran de l’Arménie (et de l’Azerbaïdjan.)
Cette année, le ministère arménien de la défense a indiqué que les forces spéciales arméniennes et iraniennes se prêteraient à une simulation d’une opération conjointe contre des « groupes terroristes » fictifs qui attaqueraient les points de passage de la frontière, sans préciser le nombre des effectifs engagés dans cette manœuvre.
Le brigadier-général Valiollah Madani, commandant-adjoint des forces terrestres des pasdarans, a déclaré que l’exercice visait à renforcer la sécurité aux frontières et à préserver « l’intégrité territoriale des pays voisins de l’Iran (…). Cet exercice conjoint reflète l’engagement stratégique de la République islamique d’Iran à renforcer la sécurité aux frontières, à lutter contre le terrorisme et à promouvoir une paix durable dans le Caucase grâce à une coordination militaire avec les pays voisins. »
Le brigadier-général Morteza Mirian, commandant les forces terrestres des pasdarans a précisé : « l’amitié avec toutes les nations et la défense de la souveraineté régionale sont les piliers de notre doctrine stratégique. » Il a souligné la pleine disponibilité des forces terrestres du CGRI et leur parfaite coordination avec l’armée arménienne pour l’organisation de cette manœuvre.
Le soutien de Téhéran à Erevan
Depuis les années 1990, Téhéran soutient l’Arménie pour contrer l’influence de l’Azerbaïdjan considéré comme un danger pour l’unité de la République islamique. En effet, un Azerbaïdjan prospère – ce qui est le cas en raison de ses ressources pétrochimiques – peut être attractif pour les populations iraniennes d’origine azérie (20% des Iraniens) comptant de nombreux représentants au sein des institutions, et provoquer une sécession du nord du pays, voire un effondrement du régime
Le Guide suprême Ali Khamenei avait souligné la sensibilité accrue de l’Iran aux questions frontalières impliquant l’Arménie lors de sa rencontre en mai 2024 avec le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Cette position a ensuite été confirmée par Mohammad Bagher Ghalibaf, membre du CGRI et président du Parlement, qui a assuré son homologue arménien que l’Iran s’opposerait fermement à tout redécoupage des frontières régionales.
Un accord de fourniture d’armements de 500 millions de dollars entre Téhéran et Erevan avait alors été annoncé par la presse. Il portait sur divers équipements militaires, notamment des drones et des systèmes de défense aérienne. Bien que Téhéran et Erevan aient nié la réalité de cet accord, l’Arménie est devenue de plus en plus dépendante de l’Iran après sa prise de distance avec l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) et en l’absence de garanties de la part de l’OTAN.
La manœuvre « Paix » s’est déroulée le jour même où des délégations israélienne et turque se rencontraient en Azerbaïdjan pour discuter de la déconfliction militaire en Syrie où Israël a frappé au moins trois bases aériennes dans le pays afin d’empêcher qu’Ankara ne s’y installe de manière permanente.
Le conseiller à la Sécurité nationale Tzachi Hanegbi dirigeait la délégation israélienne. Le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, a confirmé ensuite que les discussions devaient conduire à mettre en place d’un mécanisme de communication similaire à ceux qu’Ankara entretient avec les États-Unis et la Russie. Par ailleurs, des efforts sont en cours pour établir une ligne militaire directe entre la Turquie et Israël pour éviter tout « incident » au-dessus de la Syrie, calquée sur le modèle du canal de coordination israélo-russe existant.
Les négociations entre Erevan et Bakou
L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont annoncé en mars 2025 s’être entendus sur le texte d’un traité de paix pour mettre fin à leur conflit qui dure depuis plus de quarante ans. Mais depuis les deux parties se sont mutuellement accusées d’être responsables de plusieurs incidents le long de leur frontière.
Afin de finaliser cet accord, les diplomates azéri et arménien, Ceyhun Bayramov et Ararat Mirzoyan, se sont rencontrés en Turquie en marge du Forum diplomatique d’Antalya (ADF 2025) qui s’est tenu du 11 au 15 avril. Ils ont tenu une réunion bilatérale le 12 avril après avoir discuté des derniers développements concernant les négociations Bakou-Erevan, ainsi que du processus de normalisation entre la Turquie et l’Arménie. Mirzoyan a précisé : « nous sommes tous deux d’accord sur le fait que l’objectif final est une normalisation complète des relations, notamment par l’établissement de relations diplomatiques et l’ouverture de la frontière (…). Notre dialogue ne porte pas uniquement sur l’établissement de relations diplomatiques et l’ouverture officielle de la frontière. Il porte sur les échanges commerciaux considérables qui peuvent avoir lieu entre nos deux pays. Nous avons également évoqué des projets énergétiques communs et des possibilités de transit. Par ailleurs, nous avons également abordé la question de la coopération au sein des enceintes internationales. Car la réalité montre que, sur les questions du Moyen-Orient, par exemple, nos points de vue et nos perceptions sont parfois plus proches qu’on ne pourrait le croire. » Il a toutefois reconnu que les progrès étaient au point mort sur certains sujets.
Concernant les négociations de paix avec l’Azerbaïdjan, Mirzoyan a déclaré qu’un accord « historique et sans précédent » était prêt à être signé. Commentant la condition posée par l’Azerbaïdjan de dissoudre le Groupe de Minsk de l’OSCE dans le cadre d’un accord de paix, il a déclaré : « s’il n’y a pas de conflit, alors ce Groupe de Minsk n’est pas nécessaire. ». Le ministre a souligné qu’Erevan souhaitait signer l’accord de paix avec l’Azerbaïdjan et le document de dissolution du Groupe de Minsk le même jour.
Répondant à la demande de l’Azerbaïdjan d’un amendement constitutionnel en Arménie comme condition aux garanties d’intégrité territoriale, Mirzoyan a affirmé que des garanties suffisantes étaient déjà en place.
Par ailleurs, le ministre azéri des Affaires étrangères, Bayramov, a souligné la nécessité pour l’Arménie de modifier sa Constitution, qui contient des revendications territoriales sur l’Azerbaïdjan. « Il y a des facteurs critiques qui doivent être résolus. Le plus important concerne les revendications constitutionnelles de l’Arménie concernant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan ». Il a ajouté que le Groupe de Minsk, coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie, n’avait obtenu aucun résultat depuis trois décennies. « La question du Karabakh est résolue. Le Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. L’Arménie le reconnaît. Alors pourquoi s’obstiner à maintenir le Groupe de Minsk en vie ? Nous exigeons sa dissolution officielle ».
Il a aussi critiqué les pays occidentaux, en particulier la France, pour leur prétendue pratique du deux poids, deux mesures. « Pendant 30 ans, ils n’ont rien dit à l’occupant. Lorsque l’Azerbaïdjan a rétabli son intégrité territoriale, ils ont tenté de nous punir. Mais leurs plans ont échoué grâce à notre politique étrangère indépendante et au soutien indéfectible de la Turquie et de nos États amis ». Les relations détestables entretenues entre Paris et Bakou ne devraient pas s’améliorer dans un proche avenir…
[1] Région iranienne, voisine de l’État du même nom.