La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (2ème partie)

La question des îles Éparses et l’importance stratégique du canal de Mozambique (2ème partie)

Paul Villatoux (*) – Esprit Surcouf – publié le 29 novembre 2024
https://espritsurcouf.fr/geopolitique_la-question-des-iles-eparses-et-l-importance-strategique-du-canal-de-mozambique_par_paul-villatoux_291124/


Suite et fin de l’étude proposée sur l’espace indopacifique spécifique que constituent les îles Eparses.

La dimension diplomatique et militaire

Pour autant, la question du litige territorial est loin d’être réglée, les îles Éparses comme Mayotte n’étant pas inclus dans le champ de coopération de la COI. Celle-ci renvoie à la période du processus de décolonisation de Madagascar en 1960. À la veille de la prise d’indépendance de la Grande Île, le gouvernement français décide, par le biais d’un simple décret daté du 1er avril 1960, de détacher en toute discrétion les îles Éparses administrativement afin de les placer sous l’autorité du ministre des DOM-TOM, le préfet de La Réunion étant chargé de les administrer. Leur statut est alors incertain, en marge du cadre institutionnel français, ces îles étant considérées comme des domaines privés de l’État à l’accès réglementé. Laissée longtemps dans l’ignorance, la jeune République malgache s’insurge dès les années 1960 contre ce qu’elle considère comme une mesure de captation unilatérale ne respectant pas les frontières héritées de la colonisation. Toutefois, c’est en 1973, au moment du retrait français de Madagascar, que la contestation des autorités malgaches issues de la révolution de mai 1972 se fait plus vigoureuse sous l’impulsion de Didier Ratsiraka qui s’attache à faire amorcer un virage progressiste à la Grande Île. La tension à propos de ces îles monte brusquement d’un cran en novembre 1973, en plein choc pétrolier et quelques semaines après la fin de la guerre du Kippour. Convaincu de l’imminence d’un coup de force malgache sur les îles Glorieuses, le gouvernement français décide la mise en place de garnisons militaires d’une quinzaine de parachutistes et de légionnaires des Forces armées de la zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) assistés d’un gendarme sur les 3 îles d’Europa, de Juan de Nova et des Glorieuses. Ces détachements sont relevés tous les 45 jours suivant un processus logistique relativement lourd : situées à 1 800 km de La Réunion, les îles reçoivent un certain nombre d’aménagements nécessaires à leur ravitaillement (piste d’atterrissage, bâtiments de vie et d’entrepôt, citernes…). Ce dispositif de nature essentiellement dissuasif est complété par le déploiement régulier de moyens maritimes dans la zone du canal de Mozambique, notamment dans le cadre de la surveillance et du contrôle du trafic maritime sur la route du Cap, chapeauté par un commandement opérationnel sous les ordres d’un amiral commandant la zone de l’océan Indien.

Or, si sur le plan militaire la tension s’apaise quelque peu au fil des ans, même si le survol de la Grande Île reste interdit aux avions de l’armée de l’Air, le contentieux franco-malgache se joue, à partir de la fin des années 1970, sur le terrain diplomatique. L’objectif d’Antananarivo est de porter le litige sur la scène internationale et de faire condamner la France qui subit coup sur coup deux revers diplomatiques en décembre 1979 et décembre 1980 par le biais du vote de deux résolutions de l’ONU invitant « le gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles ». C’est incontestablement au cours de la décennie 1979-1989 que le différend franco-malgache sur les îles Éparses connaît son apogée, d’autant que l’exemple de la crise des Malouines au printemps 1982 incite naturellement à la vigilance. Pour autant, la fin de la guerre froide et la reprise des relations militaires franco-malgaches au début des années 1990 permettent aux forces armées des deux pays d’entamer une période de coopération fructueuse qui se concrétise rapidement par l’organisation d’exercices bilatéraux et un très actif programme d’assistance militaire. Des projets de cogestion sur les îles sont même initiés dès 1999 par le président Chirac, mais ne déboucheront jamais sur des mesures concrètes.

À dire vrai, à cette date, la question de la souveraineté des îles Éparses semble avoir perdu une grande partie de sa pertinence, alors même que, côté malgache, les problèmes de politique intérieure de la première moitié des années 1990 – crise institutionnelle, économie sinistrée, autosuffisance alimentaire non assurée, déforestation accélérée – font passer au second plan le traitement de ce dossier. Du côté français, ce climat de détente se traduit par l’automatisation progressive des stations de la météorologie nationale, entre avril 1999 et septembre 2001 et même une velléité de retrait des détachements militaires en 2009. Le projet s’inscrit ainsi dans un continuum de décisions dont l’une des plus spectaculaires est le rattachement – en 2 temps 2005 puis 2007 – des îles Éparses aux Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) en tant que 5e district de cette entité, permettant de leur conférer un statut officiel et définitif.

Plusieurs facteurs vont pourtant bousculer le schéma apaisé qui se dessine à la fin des années 2000. Le premier est avant tout opérationnel dans la mesure où une menace nouvelle fait brusquement son apparition dans la zone du canal de Mozambique : la lutte contre la piraterie – essentiellement somalienne – autour de la Corne de l’Afrique, est en passe de provoquer une déstabilisation de la région. Entreprise en 2008, l’opération militaire maritime européenne « Atalante » dans le golfe d’Aden a pour effet indirect de repousser les pirates dans le sud de l’océan Indien. Aperçus non loin des Seychelles, des groupes de pirates sont même repérés dans les parages de l’archipel des Glorieuses en septembre 2009. Cette menace d’une possible installation de base aérienne par les pirates somaliens n’incite naturellement pas à initier un processus de désengagement. En outre, le canal de Mozambique est de plus en plus en proie à des trafics illicites en tous genres, notamment de drogue : « Le canal du Mozambique fait partie de la route sud de l’héroïne qui relie les zones de production afghanes à l’Afrique australe ». Il en est de même pour la pêche illégale, notamment de concombres de mer, qui attire de nombreuses embarcations agissant pour des commanditaires asiatiques dont certaines n’hésitent pas parfois à narguer les détachements militaires qui ont été dotés de Zodiac pour intervenir au-delà des littoraux afin de lutter plus efficacement contre ce fléau[i].

Zone concurrentielle, le canal de Mozambique demeure enfin un espace profondément instable. La menace djihadiste, avec la montée de l’islamisme dans les pays d’Afrique de l’Est et notamment au Mozambique depuis 2017[ii], constitue ainsi un risque majeur de déstabilisation régionale. La présence militaire française sur les îles Éparses, de par son ancienneté et sa remarquable continuité, apparaît à cet égard comme l’un des rares facteurs de stabilité au sein d’un espace « fragmenté dans son intériorité par les îles qui en font un puzzle de souverainetés » et « écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes »[iii]. Il est ainsi symptomatique de constater que ce sont précisément les orces des FAZSOI, chargées de se relayer sur les Éparses depuis près de 50 ans, qui, en mars 2021, ont été mis en alerte dans le cadre d’une intervention sur le Mozambique voisin, en proie à une insurrection islamique menée par le groupe Al-Shabab (lié à l’État islamique) dans la province de Cabo Delgado. L’intervention est finalement annulée au dernier moment. Un an plus tard, une équipe de cette même unité est finalement projetée au Mozambique dans le cadre d’un déploiement original mêlant engagement opérationnel et formation des forces militaires locales à la lutte anti-terroriste. Annick Girardin, alors ministre de la Mer, ne s’en est pas cachée : les 300 millions d’euros versés au titre de la coopération bilatérale avec le Mozambique vont « permettre de protéger les îles Éparses et les intérêts de notre pays dans le canal ».

Enfin, dernier facteur important dans la décision du maintien des détachements militaires, la crise politique que connaît la Grande Île en 2009 provoque une forte rancœur à l’égard de la France et ravive les vieux souvenirs de la « Françafrique ». La question des îles Éparses devient un thème important de la politique intérieure malgache, sa médiatisation étant en partie assurée sur les réseaux sociaux et par le biais de la diaspora malgache à l’étranger. Or, sans aucun doute, ce retour du « refoulé » sur les Éparses n’est-il pas étranger aux nouvelles convoitises économiques qui se manifestent. Les revendications malgaches pour la restitution des îles Éparses sont d’autant plus vigoureuses que s’affirment d’autant plus que les discussions entre le Royaume-Uni et l’île Maurice sur la restitution de l’archipel des Chagos (57 îles) a débouché sur un accord le 3 octobre 2024, après un demi-siècle de litiges. Le président malgache Andry Rajoelina ne s’y est pas trompé en invitant les autorités françaises à faire de même dans une interview au Figaro datée du 11 octobre 2024.

La dimension économique

Avouons-le d’emblée : le facteur économique compte pour très peu dans l’intérêt que suscitent à l’origine les petites îles du canal de Mozambique. Tout bascule au début des années 1970 grâce à l’émergence du nouveau droit de la mer en lien avec la notion de « zone économique exclusive ». Celle-ci repose sur la possibilité de tirer profit des ressources naturelles de toutes sortes dans les eaux et le sous-sol entourant les littoraux sur une zone pouvant s’étendre jusqu’à 200 milles nautiques (environ 370 km). Cette zone est évidemment sans rapport avec la superficie terrestre d’une île et prend une importance qui ne fait que croître à mesure que cette île est éloignée d’autres rivages. C’est précisément suivant ce principe que la France institue des ZEE au large des côtes de chacune des îles Éparses en février 1978. Ces délimitations, aussitôt contestées par Madagascar et donc non officiellement reconnues sur le plan international[iv], offrent ainsi à la France un peu plus 360 000 km² pour seulement 42 km² de terres émergées[v], soit près de la moitié de la surface du canal si l’on ajoute Mayotte (74 000 km²).

Cette initiative ouvre alors de nouvelles perspectives aux autorités françaises sur le plan économique :

  • Celle de faire de ces îles des sentinelles avancées sur la « route du pétrole » en s’offrant même la possibilité d’interdire de passage certains navires (à condition de disposer et d’investir en moyens adéquats en matière de surveillance aéronavale). Pour l’heure, dans l’attente de l’arrivée des nouveaux patrouilleurs outre-mer (POM) de 1 300 tonnes en 2025, deux frégates de surveillance et un patrouilleur basés à La Réunion et le détachement encore insuffisant d’un Falcon 50M sont les principaux moyens déployés, trop limités compte tenu de l’immensité de la zone à couvrir.
  • -Celle de délivrer à des navires français, mais aussi étrangers des licences pour exploiter les ressources halieutiques dans la zone dont on estime, à la fin des années 1970, qu’elle permettrait la pêche d’environ 40 000 tonnes de thon par an. Des licences ont ainsi été accordées au coup par coup à des flottilles japonaises dès 1979, principalement pour des raisons politiques : la reconnaissance implicite d’une grande puissance industrielle de la souveraineté française sur les îlots du canal de Mozambique. En réalité, il n’en reste pas moins que, sur un plan strictement économique, les retombées de l’exploitation de la ressource halieutique demeurent toujours modestes pour différentes raisons parmi lesquelles l’éloignement des installations frigorifiques du port de la Pointe des Galets à La Réunion de la zone de pêche. Une relance de l’activité a cependant été entamée dans la seconde moitié des années 2000 grâce à l’expertise des TAAF, mais suivant un modèle exemplaire de « pêche durable et raisonnée »[vi]. Un modèle qui se veut au fond l’exact contraire de ce qui est aujourd’hui pratiqué dans le canal de Mozambique où la surpêche risque prochainement de mettre en péril le renouvellement des stocks, notamment de thons pour lesquels la demande mondiale est en constante augmentation. Le Mozambique et Madagascar accueillent ainsi chaque année un nombre croissant de navires chinois qui, face à l’épuisement relatif des stocks de poissons près des côtes chinoises, n’hésitent plus désormais à réaliser des campagnes prolongées dans le canal de Mozambique, ce qui motive en partie le soutien de Pékin aux revendications de Madagascar sur les îles Éparses[vii]. L’épuisement des stocks dans le canal du Mozambique, notamment des grands migrateurs comme les thons, risque en effet d’accentuer à l’avenir la pression de pêche illégale dans les ZEE françaises.
  • Enfin, parmi les perspectives nouvelles, la plus prometteuse reste bien évidemment la possibilité d’exploiter le sous-sol marin des ZEE des îles Éparses, potentiellement riche en hydrocarbure (gaz et pétrole) et en nodules polymétalliques (hydroxydes de fer et de manganèse).

Ce dernier aspect est celui qui attire aujourd’hui les plus grandes convoitises dans le canal de Mozambique. C’est ainsi que des gisements offshores ont été découverts entre 2010 et 2013 au large du Mozambique, suscitant l’intérêt des grands groupes pétroliers et gaziers mondiaux, dont Total Energies. C’est d’ailleurs le groupe français qui assure la mise en œuvre du projet d’exploitation de gaz à Cabo Delgado, au nord du Mozambique malgré une situation sécuritaire très dégradée du fait de l’insurrection islamiste en cours. Les réserves seraient estimées à plus de 500 milliards de mètres cubes de gaz et entre 6 milliards et 12 milliards de barils de pétrole, attisant les convoitises chinoises, mais aussi russes. Les Chinois, dont 80 % des importations énergétiques transitent par l’océan Indien et pour lesquels le canal de Mozambique est le prolongement naturel de la « route maritime de la soie », ont tissé des liens économiques importants avec certains États riverains, au premier rang desquels le Mozambique[viii] et surtout Madagascar[ix], qui abrite une diaspora chinoise qui s’élève à 100 000 personnes, et dont elle est devenue le premier partenaire commercial. Elle finance ainsi des infrastructures, notamment portuaires et militaires suivant une approche de type « collier de perles », tout en développant une habile politique d’influence grâce à un activisme diplomatique très actif et une offre de coopération institutionnelle dans des domaines aussi divers que la santé, éducation, agriculture, culture, sécurité, etc. La Russie enfin mène avec doigté, depuis plusieurs années, une politique d’influence ciblée, notamment en direction de Madagascar, en lui apportant son soutien sur le dossier des îles Éparses en 2015 puis en 2022. Ces formes d’ingérence ciblées vont de pair avec un sentiment diffus de déclassement de la France, savamment entretenu par les réseaux d’influence russes, au cœur d’une région faisant pourtant partie de la sphère d’influence traditionnelle de Paris. Couvrant par sa ZEE près de la moitié de la superficie totale du canal, la France apparait comme l’un des principaux bénéficiaires potentiels de la manne pétrolière et gazière dans la zone. En décembre 2008, des licences d’exploration offshore au large de Juan de Nova sont même accordées à des entreprises pétrolières tandis que deux autres demandes de permis de recherches de mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux sont déposées pour la ZEE d’Europa. Les premières campagnes de forages exploratoires sont lancées entre décembre 2012 et mars 2013, les licences étant prolongées en décembre 2015 puis en 2018. Toutefois, en février 2020, le programme, sur lequel subsistent de nombreuses incertitudes (existence, profondeur des gisements), a été brusquement abandonné dans le cadre de la mise en application de la loi du 30 décembre 2017, mettant « fin à la recherche ainsi qu’à l’exploitation des hydrocarbures ».

Cette décision – et c’est ainsi que nous conclurons – répond officiellement à la volonté française de sanctuariser les îles Éparses pour les consacrer à la recherche scientifique ainsi qu’à la préservation de l’environnement et de la biodiversité[x]. Alors même qu’une partie de ces îles bénéficie depuis 2021 d’un classement en réserve nationale naturelle avec l’ambition, à terme, de l’étendre à l’ensemble du district, les autorités françaises s’appuient désormais sur « un droit environnemental » pour justifier de leur occupation. Lors de sa visite aux Glorieuses en 2019 (la première d’un président de la République), le président Macron avait ébauché à cet égard un discours consistant à conférer à la France, sur ces îlots, une forme de devoir vis-à-vis du reste du monde : « On n’est pas là pour s’amuser, mais pour bâtir l’avenir de la planète. » Ce narratif s’inscrit ainsi dans un véritable processus de « Soft Power », fondé sur les principes de développement durable et de gestion raisonnée des ressources halieutiques. Les îles Éparses constituent aujourd’hui l’une des clés de voûte de ce modèle, au cœur d’un espace qui cumule les fragilités et les vulnérabilités, qu’il s’agisse des trafics, de la surpêche, des tensions géopolitiques et sécuritaires ou des convoitises en matière de ressources énergétiques. De par son ancienneté et sa remarquable continuité, la présence française apparaît à cet égard comme l’un des rares facteurs de stabilité au sein d’un espace « fragmenté » par les îles « qui en font un puzzle de souverainetés » et « écartelé entre plusieurs aires d’influence, politiques, culturelles et marchandes »[xi]. Le risque est évidemment celui de l’isolement, d’où la nécessité d’inscrire son discours à destination des autres puissances régionales et territoires insulaires dans une volonté de multiplier les efforts multilatéraux. Le récent projet franco-malgache de réhabilitation de l’ancien port stratégique de Diego-Suarez, au nord du canal de Mozambique, participe de cet effort.

Cette ambition implique donc le maintien d’une contribution appréciable à la stabilité stratégique de la région et, au-delà de son soft power, ce sont avant tout ses capacités militaires qui font de la France encore aujourd’hui un acteur majeur dans le sud de l’océan Indien. Les îles Éparses conservent ainsi leur présence militaire et continuent donc à jouer le rôle de points d’appui au cœur du canal de Mozambique dans le cadre d’un maillage régional permettant à la France de projeter des unités lorsque cela lui paraît nécessaire dans le cadre de crises régionales.


[i] En janvier 2014, un équipage de quinze Malgaches parvient même à débarquer sur Juan de Nova avant d’être rejeté à la mer. Quelques semaines plus tard, le 29 mars, cinq navires et 112 pêcheurs font irruption dans le lagon de Juan de Nova avant d’être arraisonnés par la frégate Nivôse appuyée par le détachement du 2e RPIMa, avec près d’une tonne d’holothuries saisies et rejetées à la mer.

[ii] Le Mozambique fait face depuis octobre 2017 à de violentes attaques de la part d’un groupe militant islamiste appelé Ahlu Sunna Wal-Jamaa (les gens de la tradition du Prophète et du Consensus).

[iii] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/

[iv] Notons que le seul accord passé par la France pour sa ZEE des îles Éparses est celui du 19 février 2001 avec les Seychelles relatif à la délimitation de la frontière maritime de la zone économique exclusive et du plateau continental entre les îles Glorieuses et du Lys et les îles d’Assomption et Astove. Précisons cependant que l’Union européenne a conclu en 2001 un accord de pêche avec Madagascar précisant les limites de la « zone de pêche malgache » qui prend en considération les zones sous juridiction française du canal de Mozambique et de Tromelin, avec toutefois quelques légers chevauchements entre la ligne d’équidistance figurant sur les cartes françaises et cette zone de pêche.

[v] Bassas da India (123 700 km²) + Europa (127 300 km²) + Juan de Nova (61 050 km²) + Glorieuses (48 350 km²) = 360 400 km². 3,27 % des 11 millions de km² de ZEE française.

[vi] Pour la campagne 2020-2021, 18 thoniers senneurs ont été autorisés à pêcher dans ces ZEE, auxquels s’ajoutent trois palangriers français et 6 navires auxiliaires.

[vii] Dans ses « scénarios noirs de l’armée française » élaborés en mars 2023, l’hebdomadaire L’Express imagine la possibilité d’un coup de force sur les îles Glorieuses en août 2028 par le biais d’un « patrouilleur malgache secondé par une frégate chinoise », en réponse à des « tirs de sommation français » faisant suite à la pénétration dans les eaux de la ZEE des Éparses de navires chinois. « Scénario 3 : Madagascar reprend les îles Éparses », in Clément Daniez, Étienne Girard et Alexandra Saviana, « La guerre est déclarée. Les scénarios noirs de l’armée française », L’Express, n° 3739, 2 mars 2023, p. 23. Ce scénario est par la suite développé sous la forme d’une vidéo mise en ligne le 11 août 2023 : https://www.youtube.com/watch?v=6lg0FDAFsaM&t=213s

[viii] On évalue les créances chinoises du Mozambique à environ 2,2 milliards de dollars, soit près de 15 % de la dette extérieure du pays. Voir : « Le canal du Mozambique : luttes d’influence pour un passage stratégique en devenir », Brèves Marines, n° 246, Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM).

[ix] En 2017, la France, troisième fournisseur de la Grande Île, a vu sa part de marché diminuer (6,4 % contre 6,9 % en 2016). Elle est devancée par l’Inde (9,3 %) et reste loin derrière la Chine (18,6 %). Tristan Coloma et Quentin René François Ygorra, Le canal du Mozambique : un espace de compétition crisogène, Notes de l’Ifri, Ifri, juin 2022, p. 27.

[x] D’autres facteurs ont pu jouer, parmi lesquels le risque d’instabilité juridique lié à la contestation non résolue du litige territorial avec Madagascar. Le chercheur magache Johary Ravaloson pointe ainsi le fait que ces investissements, « situés dans un territoire contesté, étaient menacés, d’une part, par les risques de face à face des souverainetés pouvant produire des black swans [effets de surprise] issus de la concurrence de permis, à l’instar de ceux délivrés pour la pêche dans la zone Tromelin et, d’autre part, par la prise en compte d’intérêts jusque-là négligés du droit des investissements internationaux, comme ceux de l’environnement mais également des communautés locales. Les sociétés américaines South Atlantic Petroleum et Marex Petroleum détentrices de permis français d’exploitation auraient pu être acculées devant une juridiction américaine, par exemple, pour atteinte aux intérêts d’une communauté locale, les pêcheurs nomades Vezo qui fréquentent traditionnellement la zone. La Cour Suprême des États Unis reconnaît en effet une voie de recours aux étrangers pour obtenir réparation des préjudices subis à cause de la conduite des entreprises américaines contraire au droit international, coutumier ou conventionnel, où que celles ci se trouvent ; sans que cela soit nécessaire de se prononcer sur une quelconque souveraineté. »

[xi] Olivier Vallée, « Le canal du Mozambique : un espace géocritique », Le Grand Continent, 15 avril 2021, https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/15/le-canal-du-mozambique-un-espace-geocritique/


(*) Paul Villatoux est docteur en histoire des relations internationales et habilité à diriger des recherches. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’études, d’articles et de communications sur l’histoire militaire et le monde contemporain. Il est par ailleurs rédacteur en chef des magazine Gazette des Armes et Action et responsable éditorial des éditions Mémorabilia.

Offensive djihadiste à Alep : la Turquie en arrière plan

Offensive djihadiste à Alep : la Turquie en arrière plan

Opposition forces take control of areas outside Aleppo, Syria, Friday, Nov. 29, 2024. (AP Photo/Ghaith Alsayed) /XSG101/24334687881304//2411292026

 

par Revue Conflits – publié le 30 novembre 2024

https://www.revueconflits.com/offensive-djihadiste-a-alep-manipulations-turques/


Le groupe rebelle Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en Syrie a lancé mercredi une « opération » d’envergure sur les forces de Bachar al-Assad.

Selon le ministère syrien de la Défense, les combattants du HTS et leurs alliés mènent « une vaste attaque sur un large front avec un grand nombre de terroristes qui ont recours aux armes lourdes pour cibler villages et localités et positions militaires ». Le groupe tient le dernier bastion djihadiste à Idleb, au nord-ouest de la Syrie.

Les combats auraient fait plus de 270 morts selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, ONG qui dispose d’un vaste réseau d’informateurs à Alep.

Prise d’Alep

Les rebelles auraient mené des bombardements sur Alep, visant notamment le centre universitaire. Quatre personnes ont été tuées. Les forces armées syriennes ont tellement reculé que les djihadistes ont pu entrer vendredi dans Alep, par les quartiers ouest et sud-ouest, provoquant des mouvements de panique chez les habitants. Il semblerait qu’ils étaient parvenus aux portes de la ville après « deux attentats-suicides avec des voitures piégées », selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Ils contrôleraient aujourd’hui la majeure partie de la ville, dont les bâtiments historiques, gouvernementaux et les prisons.

Les combats se sont également déroulés près de Saraqeb, ville stratégique qui se situe au sud d’Alep, à l’intersection de deux autoroutes reliant Damas à Alep et à Lattaquié. Les djihadistes se sont emparés de la ville et contrôlent désormais cet axe stratégique.

La Russie intensifie ses bombardements et a appelé le régime syrien à « mettre de l’ordre au plus vite » à Alep. De son côté, l’Iran a renouvelé son soutien à la Syrie, pays stratégique pour relier le Hezbollah à Téhéran et acheminer la drogue et les armes.

Le jeu turc

La région bénéficiait d’une certaine accalmie depuis un accord de cessez-le-feu conclu entre le gouvernement syrien et les rebelles, en mars 2020. Dans cet épisode, l’action de la Turquie semble être centrale. Ankara soutient plusieurs groupes rebelles de longue date, et l’offensive menée depuis mercredi pourrait bien être un nouveau message du sultan Erdogan adressé pour deux raisons : la première, se réconcilier avec Bachar al-Assad – argumentation orientale –, la deuxième, presser l’Occident de délivrer plus facilement des visas aux Turcs et d’accroître les échanges commerciaux afin de libérer la Turquie du marasme économique dans lequel elle est plongée. Malgré une lourde inflation, le pays enregistrait une croissance de 4 à 5% par an depuis le Covid. Mais au trimestre dernier, la croissance s’est contractée à 0,4% et la hausse des taux d’intérêt a plongé le pays dans la récession.

Exercice Yellow Guardian : construire l’interopérabilité entre unités de reconnaissance et de renseignement

Exercice Yellow Guardian : construire l’interopérabilité entre unités de reconnaissance et de renseignement

par – Forces opérations Blog – publié le

Environ 600 militaires et véhicules belges, français, luxembourgeois et néerlandais sont à pied d’oeuvre depuis ce lundi dans le sud-est de la Belgique. Le double objectif de cet exercice baptisé « Yellow Guardian » ? Réaliser une mission de reconnaissance au contact tout en renforçant l’interopérabilité et le partage de connaissances entre unités de renseignement alliées. 

Après un temps de préparation, l’essentiel de ce contingent conduit par les chasseurs à cheval belges a entamé sa progression au travers du massif ardennais. En trois jours, 350 à 400 spécialistes du renseignement auront parcouru une centaine de kilomètres pour parvenir au plus près de la première ligne ennemie. Leur mission principale ? Récolter de l’information sur la force adverse présente dans la zone et sur la praticabilité d’un terrain ardennais capricieux. Un travail essentiel d’observation pour permettre aux analystes du bataillon de générer un renseignement exploitable au profit, dans ce scénario, de la brigade. 

Exercice multinational, Yellow Guardian repose pour moitié sur des détachements en provenance de pays alliés. Ce sont tout d’abord des éléments français du 1er régiment de spahis, du 61e régiment d’artillerie, du 2e régiment de hussards et du 54e régiment de transmissions. Voisin et partenaire régulier, le Grand-Duché de Luxembourg a envoyé un escadron au complet. Un peloton du 42e escadron de reconnaissance de la 13 brigade légère est venu des Pays-Bas pour compléter le dispositif. Face à eux, un adversaire « intelligent, flexible et très mobile » simulé par un escadron belge. 

« C’est une première depuis longtemps », souligne le chef de corps du bataillon de Chasseurs à Cheval, le lieutenant-colonel BEM Jean-François Verheust. Traditionnellement proche du 1er RS, il l’a aussi été avec l’ex-commandement du renseignement (COM RENS). L’avènement de son successeur, le commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), permet d’étendre un lien centré sur l’analyse vers des capteurs inexistants dans l’arsenal belge. C’est le cas de systèmes de guerre électronique propres au 54e RT, par exemple, qui permettront de caractériser l’empreinte électromagnétique de la force amie, de relever les éventuels écueils et erreurs et de contribuer à disparaitre des radars. 

Crédits image : Jérémy Smolders – Bataillon de Chasseurs à Cheval

Organiser un exercice comme Yellow Guardian allait de soi, « parce que cela fait plusieurs années que nous n’avons plus eu l’occasion de nous entraîner ensemble dans un contexte qui a quelque peu changé ces dernières années », rappelle le LCL Verheust. De fait, les missions de maintien de la paix en théâtre sahélien ont laissé place aux opérations de réassurance sur flanc oriental de l’Europe, avec tout ce que la résurgence d’un adversaire à parité comporte comme menaces nouvelles ou à redécouvrir. 

Il devenait impératif pour ceux qui sont « vos yeux et vos oreilles sur le champ de bataille » de travailler les métiers spécifiques dans un environnement plus transparent donc moins permissif. Sans doute moins prégnante auparavant, la discrétion redevient la norme. « Avant, on disait souvent que, quand une force de reconnaissance tire, c’est qu’elle a raté son objectif principal », rappelle le LCL Verheust. Pour des troupes légères dotées d’armement tout aussi légers, se dissimuler est donc la meilleure option pour éviter tout contact direct avec un ennemi souvent plus « musclé » et le désengagement dare-dare qu’il nécessiterait. 

« Nous allons tester différents procédés tactiques. Les Français ne travaillent pas comme les Luxembourgeois et ne travaillent pas comme nous. Cela permettra de voir comme nous pouvons intégrer tout cela étant donné que, de plus en plus, nous travaillons dans un contexte multinational », observe le LCL Verheust. Les challenges ne manquent pas, des liaisons entre systèmes d’information nationaux aux différences entre capteurs et processus d’analyse de l’information. « Les senseurs que les Français amènent sont différents des nôtres, cela ajoute un peu de complexité ». Et le spectre s’étend à des sujets qui regagnent en substance, dont celui d’un volet logistique assuré par la Belgique. Le temps des retours d’expérience viendra, mais le commandant des chasseurs se veut confiant : « Nous verrons vers quoi cela évolue, mais je crois qu’il y a de belles choses à faire ensemble ». 

L’escadron Alpha du bataillon belge va progressivement « calquer » sa structure et ses méthodes sur celles appliquées côté français (Crédits image : Jérémy Smolders – Bataillon de Chasseurs à Cheval)

Yellow Guardian intervient sur fond de transformation pour les chasseurs à cheval. S’il n’est pas le premier concerné par le partenariat franco-belge « Capacité Motorisée » (CaMo), sa structure, son matériel et ses savoir-faire seront partiellement adaptés pour renforcer l’interopérabilité avec l’armée de Terre. Le rapprochement concerne l’ensemble du bataillon mais à des degrés variables afin de permettre au bataillon de continuer à oeuvrer tant en appui de la brigade motorisée que du régiment des opérations spéciales (SORegt). 

L’effort principal relève de la transformation de l’escadron Alpha en escadron de renseignement au contact (ERC). Une bascule dans laquelle les liens construits avec le 1er RS s’avèrent précieux « car ils ont des capacités que nous devons développer ici en Belgique ». Pour l’instant, il s’agit de faire comme les Spahis mais à partir d’équipements différents, à l’image des blindés légers Falcon perçus en remplacement des véhicules 6×6 Pandur. La perspective d’un contact plus « musclé » demande par ailleurs de revoir l’armement des pelotons, notamment par l’ajout d’une arme antichar débarquée. 

Demain, les chasseurs à cheval entreront eux aussi dans la bulle SCORPION par l’entremise du système d’information associé (SICS), mais pas uniquement. Véhicule de transition, le Falcon doit à terme s’effacer au profit d’un véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE) développé en franco-belge. Les autres escadrons conserveront le Dingo et le Pandur rénové. Si rien n’est aujourd’hui prévu pour remplacer ce dernier, un virage vers le Serval ne serait pas exclu pour renouveler une partie du parc. De fait, plusieurs versions potentiellement utiles à cette unité spécialisée se profilent à l’horizon, à l’instar du Serval SA2R (surveillance, appui, renseignement et reconnaissance). Voire, si le budget le permet, sa variante de guerre électronique. 

Crédits image : Jérémy Smolders – Bataillon de Chasseurs à Cheval

Carte – Tensions à la frontière maritime coréenne

Carte – Tensions à la frontière maritime coréenne

par Revue Conflits avec AFP – publié le 29 novembre 2024


Cette carte illustre un point chaud géopolitique majeur : la frontière maritime ouest entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. La ligne de limite du Nord (Northern Limit Line, ou NLL), tracée unilatéralement en 1953, reste l’un des points les plus sensibles de la péninsule coréenne. Pyongyang conteste régulièrement cette démarcation, tandis que Séoul maintient une présence militaire renforcée autour d’îles stratégiques. Les îles sud-coréennes proches de cette ligne, telles que Baengnyeong et Yeonpyeong, sont en effet régulièrement le théâtre d’incidents militaires. En juin 2024, des soldats nord-coréens ont brièvement franchi la frontière terrestre, provoquant des tirs de sommation de la part de l’armée sud-coréenne. Entre manœuvres navales et échanges diplomatiques tendus, cette région reste un baromètre des dynamiques intercoréennes.

Quelques chiffres intéressants

Quelques chiffres intéressants

 

par Blablachars – publié le 28 novembre 2024

https://blablachars.blogspot.com/2024/11/quelques-chiffres-interessants.html#more


La Direction technologique et logistique de l’armée israélienne a publié ces derniers jours de nouvelles données relatives aux opérations menées par Tsahal dans la bande de Gaza et au Sud-Liban. Parmi les nombreux éléments communiqués, Blablachars s’est intéressé aux chiffres concernant les véhicules blindés et les chars. On apprend que 90% des engins atteints par des projectiles antichars ou des Engins Explosifs Improvisés (EEI) de forte puissance ont été réparés et remis en service. Le délai moyen pour la réparation des engins est de 20 jours selon les services de maintenance de l’armée israélienne, même si les plus endommagés ont nécessité des durées d’immobilisation supérieures aux 2 jours mentionnés. 90% des problèmes 90% des problèmes mineurs ayant affecté les engins blindés de Tsahal ont tous été réglés sur la zone des opérations dans des bases d’opérations avancées ou dans des centres logistiques dédiés situés à proximité de le zone des combats, sans qu’il soit nécessaire de procéder à leur évacuation. Enfin on apprend que la capacité opérationnelle  est de 88% pour les engins blindés engagés à Gaza et au Sud-Liban et pour certains depuis quatorze mois.

Sur le plan humain, Tsahal indique que 5300 soldats ont été blessés et soignés durant l’offensive terrestre dans la Bande de Gaza, alors que 709 soldats avaient été traités en 2014 lors des opérations dans cette zone. Concernant le Sud-Liban, 700 soldats ont été blessés et soignés alors qu’en 2006 ce chiffre était de 833. Le taux de létalité s’établit à 6.9% des blessés traités à Gaza et à 7.1% au Liban, ce taux était de 9.2% à Gaza en 2014 et de 14.8% au Liban en 2006. Le Corps médical de Tsahal indique que cette baisse du taux de létalité est liée à l’amélioration de la prise en charge et du traitement des soldats blessés sur le champ de bataille, avec pour la première fois la réalisation de transfusions de sang total sur la zone, dont 300 soldats auraient bénéficié. La présence d’officiers médicaux supérieurs au sein de chaque unité élémentaire a également contribué à améliorer la prise en charge des soldats blessés, avec un temps moyen inférieur à 4 minutes entre la blessure et l’arrivée du médecin, ce délai est de 10 à 25 minutes au Liban en 2006. 

Enfin en termes de transport, il faut en moyenne 66 minutes à un blessé évacué par hélicoptère depuis Gaza pour rejoindre un hôpital et 84 minutes depuis le Liban. Par voie terrestre ces durées sont respectivement de 91 et 111 minutes. Ces chiffres indiquent que les opérations de Tsahal à Gaza et au Sud-Liban sont bien des opérations de haute intensité conduites face à des adversaires déterminés et bien équipés.Selon les autorités israéliennes 12000 soldats blessés ont suivi des programmes de réhabilitation physique depuis le début des opérations de Tsahal dans la bande de Gaza soit un peu moins de 1000 par mois. Sur ces 12000 soldats 66% sont des réservistes, 93% sont des hommes et 51% ont entre 18 et 30 ans. Le nombre de blessés a augmenté dans la zone Nord de 150% entre septembre et octobre dernier en raison de l’engagement de Tsahal au Sud-Liban avec plus de 900 blessés évacués vers les hôpitaux de la région en un mois. Enfin on apprend qu’au moins 1500 soldats ont été blessés au moins deux fois depuis le début des opérations. Même si les élongations logistiques restent relativement réduites, les chiffres communiqués montrent une véritable progression depuis les derniers engagements majeurs de Tsahal, tant dans le domaine de la maintenance que dans celui du traitement des blessés, permettant à l’armée israélienne de mener ses opérations dans de meilleures conditions. 

Ci-dessous les clichés du premier Merkava IV Barak détruit par un Engin Explosif Improvisé de forte puissance.

Les effectifs de l’armée russe après deux ans et demi de guerre en Ukraine

Les effectifs de l’armée russe après deux ans et demi de guerre en Ukraine


En plus d’une victoire militaire en Ukraine, les dirigeants russes souhaitent constituer d’importants effectifs militaires en vue d’un éventuel conflit avec l’OTAN dans l’espace Baltique et la péninsule de Kola. Les prévisions actuelles comptent sur une augmentation des effectifs militaires russes d’environ 350 000 hommes, pour atteindre un total de 1,5 million de soldats et d’officiers. Dans le contexte du conflit qui se déroule actuellement en Ukraine, cet objectif ne peut être atteint sans une nouvelle vague de mobilisation massive.

Soldats de l'assaut russe au combat. 11 juin 2023
Soldats de l’assaut russe au combat. 11 juin 2023 © Dmitriy Kandinskiy/Shutterstock.com

En 2024, les pertes humaines irréversibles d’environ 30 000 soldats par mois sont à peu près équivalentes à l’afflux de soldats sous contrat et de volontaires, qui constituent l’essentiel de l’effectif militaire russe apte au combat au cours de la même période. Cette nouvelle vague de mobilisation a été reportée car le Kremlin se méfie des conséquences politiques potentiellement négatives qu’elle pourrait avoir dans le pays. En outre, l’armée russe souffre d’un déficit de personnel de commandement et d’armes pour les nouvelles unités qu’il est prévu de créer. D’une manière générale, plus la guerre en Ukraine se prolonge, plus la machine militaire russe se détériore. Par conséquent, en fournissant à l’Ukraine l’aide nécessaire pour poursuivre la guerre, l’Occident affaiblit le potentiel militaire de la Russie et augmente le temps qu’il faudra à Moscou pour reconstituer ses forces armées une fois que la guerre sera terminée. Cependant, la pression exercée par la guerre sur la société et le système politique ukrainiens pourrait provoquer une crise politique dont l’issue serait imprévisible, tant sur le plan national qu’international.

Yuri Fedorov est titulaire d’un doctorat et spécialiste des questions politiques et militaires russes. Il a travaillé à l’Institut d’études américaines et canadiennes et à l’Institut de l’économie mondiale et des affaires internationales, tous deux basés à Moscou. Il a enseigné pendant plusieurs années à l’Institut des relations internationales de Moscou. Après avoir quitté la Russie en 2006, Yuri Fedorov a vécu en Europe, où il a d’abord occupé le poste de chercheur à la Chatham House, au Royaume-Uni. Depuis 2008, il travaille comme journaliste en République tchèque. Il est membre du syndicat des journalistes de la République tchèque et auteur sur la branche Russie de Radio Svoboda. Son dernier ouvrage, publié en 2024, s’intitule The Ukrainian Front of the Third World War.


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Les effectifs de l’armée russe après deux ans et demi de guerre en Ukraine

Protection du combattant et résilience des transmissions, deux impératifs capacitaires pour l’infanterie de demain

Protection du combattant et résilience des transmissions, deux impératifs capacitaires pour l’infanterie de demain

– Forces opérations Blog – publié le

Quels équipements pour le fantassin de demain ? C’est à cette question qu’ont cherché à répondre des Journées nationales de l’infanterie placées sous le prisme de « la technologie au centre, le fantassin au coeur ». Deux impératifs sont désormais dans le collimateur de l’armée de Terre, l’un portant sur la protection du combattant et l’autre sur la résilience des systèmes d’information.

Intercepteur i-X, robot HE441, brouilleur SPART ou encore munition téléopérée ORQA. Ces noms n’évoqueront sans doute rien et ce ne sera pas surprenant, car aucun de ces systèmes n’est en service dans l’armée de Terre. Du moins, pour l’instant, car chacun représente néanmoins une piste de réflexion pour adapter l’équipement de l’infanterie française à l’heure où celle-ci se transforme en profondeur. C’est avec cet enjeu d’adaptation capacitaire en tête que l’armée de Terre et une soixantaine d’industriels français et étrangers se sont prêtés au jeu de la prospective lors d’une démonstration sur le camp de Bergerol des Écoles militaires de Draguignan (Var). Temps fort des JNI, trois tableaux ont exploré ce que pourrait être la mission de reconnaissance offensive d’un groupement tactique interarmes à dominante infanterie dans un futur proche. L’occasion de revenir sur plusieurs dizaines de matériels novateurs susceptibles d’accroître l’efficacité opérationnelle de l’infanterie. 

« Il y a des opportunités d’innovation et d’évolution qui sont très importantes. Il y a un intérêt à saisir l’esprit de ces évolutions, de cette innovation pour distinguer celles qui seront vraiment utiles et qu’on pourra intégrer pour qu’il y ait ensuite une évolution tactique », constatait le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, en marge de cette démonstration. Deux priorités se démarquent selon lui pour l’infanterie : la protection du combattant et la résilience des systèmes d’information opérationnelle et de commandement (SIOC). 

Face à la transparence du champ de bataille, mieux se protéger « serait, pour l’infanterie, la priorité absolue aujourd’hui ». Se protéger en leurrant ou en brouillant l’adversaire, en se dispersant, en privilégiant le mouvement, en se cachant autrement, en exploitant l’environnement : qu’importe la carapace, blindage et camouflage ne suffisent plus pour contrer « cette menace aérienne qui est de plus en plus prégnante, qui fait que des drones démultiplient la façon de voir le champ de bataille ».

Ainsi, la section d’infanterie motorisée montrée aux JNI agissait sous la protection d’un boîtier individuel HADDES que MC2 Technologies a conçu pour détecter et discriminer les drones jusqu’à une portée de 3 km. Une fois détectée, la menace 3D doit ensuite être neutralisée selon « le critère du moindre coûts financier ». Hormis l’arme laser HELMA-P de Cilas et son tir à « quelques euros », l’auto-protection du groupe de combat pourrait s’élargir à quelques idées simples, immédiatement disponibles et souvent à usage multiple. C’est le cas d’un fusil semi-automatique de calibre 12 ETD. Tirant de la grenaille de plomb, sa portée en lutte anti-drones limitée à une cinquantaine de mètres est contrebalancée par  un panel d’effets allant du combat en localité à la neutralisation d’individus par l’utilisation de munitions non létales.

La grenaille de plomb, autre solution pour protéger le fantassin face à la menace des drones

Se pose en parallèle la problématique de la survie des SIOC, la réactivité du commandement étant intimement liée à leur résilience et à leur efficacité. D’autres voies sont à l’étude pour compléter un socle constitué, à l’échelon du GTIA, de la radio CONTACT et du système d’information du combat SCORPION. Illustration avec cette section d’aide à l’engagement débarqué (SAED) équipée du système radio SILVUS commercialisé par FGH. Ce réseau multidomaine permet d’interconnecter tous les intervenants, jusqu’aux équipements cynotechniques. Son réseau maillé haut débit transmet autant la phonie que les données, les flux vidéo et la géolocalisation amie (Blue Force Tracking). Ce BFT était pour l’occasion amené par les balises individuelles AGENA-M de SYANS. Chiffrée, cette capacité est générée de manières autonome et furtive par l’émission d’un signal court et très faible à une échéance pré-déterminée en amont. Les réseaux civils offrent une opportunité indéniable pour transmettre des données mais représentent aussi un risque, notamment en matière d’interception. C’est pourquoi Thales a planché sur un kit d’hybridation intégré sur véhicule et permettant d’utiliser les infrastructures existantes en sécurisant les communications pour diminuer ce risque tout en conservant une capacité militaire durcie. 

Derrière les unités connues, les JNI revenaient également sur l’émergence de la section de renseignement et de guerre électronique (SRGE), cette « section des effets spécialisés » préfiguratrice de ce que pourrait être l’unité robotisée d’infanterie de demain et dont le volet capacitaire plus spécialisé demeure embryonnaire. Agile et discrète, cette SRGE à double visage requiert de se pencher autant sur sa dotation en munitions téléopérées et robots terrestres qu’en outils de brouillage local, de leurrage et de localisation. Des systèmes dont l’infanterie est dépourvue, mais pour lesquels des solutions existent. En témoigne ce module de déception conçu par Spherea. Monté sur un drone, il reproduit à l’identique les signaux électromagnétiques et autres communications amies. De quoi, par exemple, faire croire à l’ennemi qu’un sous-GTIA blindé manoeuvre en deuxième échelon de la force qui s’infiltre dans son dispositif. Il devra donc mobiliser des moyens et perdra du temps à infirmer l’information. 

Contre les drones, la SRGE pourrait bénéficier d’un capteur STM4000 de Flying Eye capable de discriminer les drones amis des ennemis jusqu’à 10 km en analysant les gammes de fréquence utilisées. Une fois détecté, le système adverse pourra être brouillé par le système SPART de MC2 Technologies. Le tout, doté d’une réelle agilité par l’emport sur un 4×4 léger Masstech S4 de Technamm ou sur le HUTP de Haulotte, deux véhicules non protégés mais peu onéreux, rapides et rustiques. 

Le Masstech S4 de Technamm, l’un des véhicules susceptibles de répondre à l’exigence de légèreté et de discrétion des SRGE

« Ce qui m’intéresse dans certains aspects de cette démonstration, ce sont justement des technologies qui sont peu chers, accessibles mais qui vont démultiplier l’efficacité », résumait le CEMAT. Ce dernier en est cependant conscient : la technologie ne s’oppose pas à la masse et va de pair avec la rusticité. Il s’agit dès lors de construire « des unités qui soient capables d’utiliser au maximum la technologie tout en gardant la capacité de se replier vers des capacités plus traditionnelles et rustiques, mais avec lesquelles elles iront moins vite ». L’exemple type, c’est celui du GPS et de la boussole.

« Il y a aujourd’hui un bouillonnement technologique absolument extraordinaire, qui est poussé notamment parce que, malheureusement, il y a une guerre », poursuivait le CEMAT. Ce bouillonnement, l’armée de Terre cherche à l’exploiter au mieux en privilégiant davantage les achats en boucle courte. Une logique de « patchs successifs » matérialisée à partir de solutions disponibles sur étagère pour répondre aux besoins urgents sans pour autant éluder la conduite de grands programmes structurants. Ce rééquilibrage entre l’immédiat et le futur, l’armée de Terre l’a déjà matérialisée par l’acquisition de drones DT-46 et d’engins de bréchage mécaniques de zone minée avec le soutien de la force d’acquisition réactive de la Direction générale de l’armement. L’expérience pourrait tout à fait être reproduite pour « saisir les innovations qui permettraient de démultiplier ce que nous avons », indique le CEMAT. 

Exploratoire, la démonstration des JNI n’aboutira sans doute pas à l’adoption de l’ensemble des moyens présentés à Draguignan. Plusieurs questions restent en effet en suspens face à un panorama technologique « très intéressant mais à sédimenter, à réfléchir ». « Est-ce que cela fonctionne vraiment et en quoi cela apporte quelque chose aux unités ? », souligne un chef d’état-major pour qui se pose aussi la problématique du volume. « J’ai une armée de 77 000 hommes et femmes. Comment passe-t-on, le cas échéant, à l’échelle ? ». Sans oublier « l’importance de combiner un socle cohérent et complet » et d’ « utiliser au mieux les moyens octroyés dans un contexte budgétaire difficile », rappelait le général Schill jeudi dernier lors de la Présentation de l’armée de Terre. Autant d’enjeux dont s’emparent désormais les acteurs concernés, l’École de l’infanterie et la STAT en tête.

De 2300 à 600: le rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique présenté à Macron

De 2300 à 600: le rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique présenté à Macron

A Gao, au Mali en novembre 2021. Photo P. CHAPLEAU

 

Personne n’a oublié qu’en février 2023, le président français Emmanuel Macron a annoncé une prochaine « diminution visible » des effectifs militaires français en Afrique. Un an plus tard, on apprenait que Jean-Marie Bockel, éphémère ministre de la Coopération de l’ancien président Nicolas Sarkozy en 2007, était chargé d’une mission sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique.

Il était alors prévu qu’un rapport serait remis au Président à la mi-juillet 2024.

Lundi, Jean-Marie Bockel a remis au président français son rapport sur la reconfiguration du dispositif militaire français en Afrique, a annoncé l’Elysée. Ce rapport prône un partenariat « renouvelé » et « coconstruit ».

« Les recommandations s’inscrivent dans la volonté de mise en œuvre d’un partenariat de défense renouvelé, répondant aux besoins exprimés par nos partenaires, et coconstruit avec eux, dans le plein respect de leur souveraineté », a ajouté la présidence sans commenter les constats et les recommandations. L’AFP précise d’ailleurs en ce 26 novembre que le plan de réduction « ne devrait pas faire l’objet d’annonces formelles ».

La mission de l’ancien secrétaire d’Etat à la Coopération sous l’ancien président Nicolas Sarkozy concernait les quatre pays où sont implantées des bases militaires françaises sur le continent, hors celle de Djibouti. Ces quatre pays sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Tchad et le Gabon. Au début de l’été dernier, deux sources proches de l’exécutif et une source militaire avaient confié à l’AFP que le projet visait à conserver une centaine de militaires au Gabon (contre 350 alors), autant au Sénégal (contre 350) et en Côte d’Ivoire (600 auparavant) ainsi que quelque 300 au Tchad (contre 1000). Soit un passage de 2300 militaires des forces prépositionnées à 600, volume qui constituera peut-être le « dispositif socle » dont parlait Jean-Marie Bockel, il y a quelques jours sur France24.

A noter qu’en avril 2024, la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale a tenu à prendre part à la réflexion sur l’avenir de la politique française de défense en Afrique en organisant, à partir du mois de novembre 2023, un large cycle d’auditions sur les mutations stratégiques du continent. Son Rapport d’information n°2461 est à lire ici.

Photographies et dessins : Afghanistan. No Woman’s Land

Photographies et dessins : Afghanistan. No Woman’s Land

Par Mélissa Cornet, Pierre Verluise – Diploweb – publié le 24 novembre 2024

https://www.diploweb.com/Photographies-et-dessins-Afghanistan-No-Woman-s-Land.html  


Mélissa Cornet effectue des travaux de recherche en Afghanistan depuis janvier 2018 pour des think tanks locaux ou internationaux. Entre janvier et juin 2024, elle réalise un reportage sur les droits des femmes afghanes avec la photographe irano-canadienne Kiana Hayeri. Ce reportage, « No Woman’s Land », est exposé jusqu’au 18 décembre 2024 à Paris, sur le Port de Solférino, face au Musée d’Orsay. Exposition extérieure, accès libre, ouverte au public 24 h / 24 h, 7 jours sur 7. En partenariat avec la Ville de Paris.
Propos recueillis par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com.

En 2024, l’Afghanistan se trouve plongé dans une combinaison de crises interconnectées. La crise humanitaire est sans précédent, avec un effondrement économique qui entraîne des niveaux de pauvreté et de malnutrition catastrophiques. Les droits humains sont également dans une situation critique, avec des groupes vulnérables, notamment les femmes et les minorités, qui font face à des restrictions sévères et à une exclusion croissante. L’exposition présentée documente la condition actuelle des femmes et des filles afghanes sous le régime taliban. A ne pas manquer, actuellement à Paris, bientôt aux Pays-Bas, à La Haye

Pierre Verluise (P. V. ) : Vous présentez à Paris, Port de Solférino, une exposition «  No Woman’s Land  », consacrée à la situation des droits des femmes en Afghanistan réalisée en 2024 avec Kiana Hayeri dans le cadre de la 14e édition du Prix Carmignac. Nous en présentons ci-dessous trois photos, mais pouvez-vous nous en dire plus sur cette exposition, son accueil et ses suites possibles ?

Mélissa Cornet (M. C. ) : L’exposition « No Woman’s Land » est le fruit d’un travail de terrain mené sur six mois en collaboration avec Kiana Hayeri, qui se consacre à illustrer la condition actuelle des femmes et des filles afghanes sous le régime taliban. L’objectif central de l’exposition est de montrer le contraste poignant entre la résilience des femmes afghanes et la répression systématique à laquelle elles sont confrontées dans leur quotidien. À travers des portraits intimes et des récits personnels, nous avons cherché à révéler les aspects souvent invisibles de leur lutte pour l’autonomie, la dignité et la liberté de choix.

 
Afghanistan. 2024. No Woman’s Land
Une affiche déchirée montre comment les femmes sont censées se couvrir le visage : avec une burqa, ou chadari, qui couvre tout le visage, ou avec un niqab, qui ne laisse que les yeux découverts. © Kiana Hayeri pour la Fondation Carmignac
Kiana Hayeri / Fondation Carmignac

L’accueil de l’exposition a été profondément significatif : les visiteurs ont réagi non seulement par une profonde empathie envers ces femmes, mais aussi avec un sentiment d’injustice qui dépasse les frontières. Ce que nous espérons désormais, c’est que « No Woman’s Land » continue de voyager pour sensibiliser un public international, avec une deuxième étape confirmée aux Pays-Bas, à La Haye, en décembre 2024 et un site interactif en construction. Nous envisageons également des publications qui approfondiraient ces récits et des débats autour des mécanismes de soutien aux droits humains. Par ailleurs, cette exposition est un appel à l’action pour la communauté internationale, en soulignant le besoin urgent d’interventions concrètes pour protéger les droits fondamentaux des femmes afghanes.

P. V. : Au vu de vos expériences de terrain en Afghanistan de 2018 à 2024, comment ont évolué les droits des femmes, en particulier après le retour des taliban [1] au pouvoir le 31 août 2021 ?

M. C. : Avant 2021, les femmes en Afghanistan bénéficiaient d’une fragile, mais réelle, expansion de leurs droits, dans les domaines de l’éducation, de la participation politique, et de l’accès à l’emploi. Si ces acquis demeuraient limités et souvent précaires, ils représentaient néanmoins une avancée significative. Depuis le retour au pouvoir des taliban en 2021, c’est la trajectoire inverse, et les femmes ont vu leurs libertés réduites à un point critique : interdiction d’accéder à l’éducation secondaire et universitaire, restrictions draconiennes de leurs déplacements sans accompagnement masculin, et exclusion systématique des espaces publics, économiques et sociaux.

 
Gardi, district de Ghos, Nangarhar, Afghanistan, 13 février 2024.
© Kiana Hayeri pour la Fondation Carmignac.
Kiana Hayeri / Fondation Carmignac

Légende de la photo ci-dessus : Gardi, district de Ghos, Nangarhar, Afghanistan, 13 février 2024. En l’absence de bâtiments scolaires dans le district de Gardi Ghos, des classes sont installées pour les élèves, entre deux routes principales, sous le soleil et sur un sol en terre battue. Alors que les garçons peuvent suivre leur scolarité jusqu’à la douzième année, les filles n’ont accès à l’école que jusqu’à la sixième année. Aujourd’hui, les filles ne sont autorisées à étudier que jusqu’à la sixième année et sont exclues des écoles secondaires et des universités. Dans certains districts, sur décision locale des autorités, les filles n’ont pas le droit d’aller à l’école au-delà de la 3e année. Cependant, des écoles clandestines installées dans des maisons, des mosquées ou des espaces alternatifs continuent d’éduquer les filles, au prix d’un risque élevé. © Kiana Hayeri pour la Fondation Carmignac.

Le régime actuel cherche non seulement à restreindre leurs droits, mais aussi à effacer leur présence visible de la sphère publique. Cette régression est structurelle, visant à établir une société où les femmes sont entièrement marginalisées et invisibilisées. Les effets psychologiques et sociaux de cette situation sont dévastateurs, non seulement pour les femmes elles-mêmes mais pour la société afghane dans son ensemble, qui se trouve ainsi privée de la contribution active de la moitié de sa population.

P. V. : Quelles sont les différentes crises qui affectent fin 2024 l’Afghanistan ? En admettant qu’elle existe, la « communauté internationale » a-t-elle directement ou indirectement des parts de responsabilité dans ces crises ?

M. C. : En 2024, l’Afghanistan se trouve plongé dans une combinaison de crises interconnectées. La crise humanitaire est sans précédent, avec un effondrement économique qui entraîne des niveaux de pauvreté et de malnutrition catastrophiques. Les droits humains sont également dans une situation critique, avec des groupes vulnérables, notamment les femmes et les minorités, qui font face à des restrictions sévères et à une exclusion croissante. Par ailleurs, l’isolement politique et économique du pays exacerbe cette crise multidimensionnelle, les sanctions et le gel des avoirs ayant contribué à l’effondrement des systèmes de services publics essentiels.

En ce qui concerne la responsabilité de la communauté internationale, elle est complexe et ambivalente. Le retrait militaire chaotique de 2021 a laissé un vide que les taliban ont rapidement rempli, sans pour autant que des solutions durables soient mises en place pour stabiliser le pays. Par ailleurs, l’approche punitive adoptée par certains pays en matière d’aide humanitaire et au développement a accentué l’isolement du régime mais a surtout privé le peuple afghan de ressources vitales. Il y a donc une part de responsabilité dans l’échec de l’établissement de conditions propices à une stabilité durable, qui aurait pu permettre une meilleure transition pour les afghans.

P. V. : Les récents décrets des Taliban ont encore restreint les libertés des femmes, y compris l’interdiction de chanter et de lire en public. Comment ces mesures affectent-elles la manière dont les États occidentaux peuvent répondre à la situation en Afghanistan ?

M. C. : Les restrictions imposées aux femmes par le régime taliban placent les pays occidentaux dans une position diplomatique extrêmement délicate. D’une part, collaborer avec les taliban pour garantir un accès humanitaire et une stabilité minimale n’est pas populaire avec les opinions publiques occidentales. D’autre part, refuser tout dialogue empêche tout levier d’influence directe et, par conséquent, toute possibilité d’exercer une pression pour des changements même minimes.

 
Afghanistan, Jalalabad, province de Nangarhar, 12 février 2024
Muska, 14 ans, est récemment rentrée du Pakistan et rêve de poursuivre ses études, permises là-bas et limitées en Afghanistan. « Je préférerais vivre au Pakistan, où je pourrais au moins m’éduquer ». Récemment, ses parents ont accepter de la marier au fils de leur propriétaire, en échange d’un puit et de panneaux solaires. © Kiana Hayeri pour la Fondation Carmignac
Kiana Hayeri / Fondation Carmignac

Ces décisions génèrent un effet boomerang aux niveaux social et politique. En tolérant l’oppression en Afghanistan, certains États risquent de banaliser la répression de genre dans le discours international, voire de légitimer indirectement d’autres régimes autoritaires. Cela pourrait également alimenter une dynamique de repli dans les politiques migratoires et de sécurité en Occident, alors que des milliers d’Afghans, et surtout des Afghanes, cherchent à quitter leur pays.

P. V. : Quelles actions vous semblent les plus efficaces pour soutenir les droits des femmes Afghanes ?

M. C. : Les actions les plus efficaces pour soutenir les droits des femmes afghanes passent par un engagement de terrain et une coopération internationale qui privilégie la sécurité et l’autonomisation des femmes afghanes. Le soutien aux ONG locales, l’établissement de fonds sécurisés pour les femmes afghanes, et un plaidoyer constant dans les instances internationales sont des leviers cruciaux. Il est aussi essentiel que les voix des femmes afghanes soient mises au premier plan dans les forums et débats, afin que leurs revendications soient intégrées dans les processus de prise de décision.

Quant au rôle des féministes occidentales, leur solidarité est indispensable et doit s’incarner par des actions concrètes, au-delà des simples déclarations , par exemple en collaborant directement avec les associations afghanes et en amplifiant les récits des femmes sur le terrain, ou en soutenant les voies de migration légales pour les femmes afghanes, et en les accueillant à bras ouverts en Europe et lors de leur processus d’intégration.

P. V. : Tournons-nous vers l’avenir. Quels sont vos espoirs pour l’évolution des droits des femmes afghanes et comment envisagez-vous de continuer à plaider pour leur autonomisation ?
M. C. : Nos espoirs pour les femmes afghanes sont indissociables d’une vision de long terme qui mise sur l’éducation, le soutien psychologique et l’autonomisation économique comme leviers de transformation.

Dans un avenir idéal, nous espérons une évolution vers un meilleur respect des droits humains, notamment ceux des femmes, de manière pacifique. Après des décennies de conflit, personne ne veut aujourd’hui d’une transition violente. Pour notre part, nous poursuivrons nos efforts par des expositions, des publications, et des partenariats tel que celui que nous avons actuellement avec Amnesty International.

L’exposition « No Woman’s Land » est actuellement exposée à Paris, port de Solférino, en contrebas du Quai Anatole France, jusqu’au 18 décembre 2024. Ce reportage a été réalisé grâce au soutien du Prix de Photojournalisme de la Fondation Carmignac.

Copyright Novembre 2024-Cornet-Verluise/Diploweb.com


[1] NDLR : Taliban : cette appellation est le pluriel de « taleb » (instruit, dans le sens coranique) et ne prend donc jamais de « s ».

La dimension aéroterrestre, un enjeu stratégique pour l’armée de Terre

La dimension aéroterrestre, un enjeu stratégique pour l’armée de Terre

IHEDN – publié le 25/11/2024

https://ihedn.fr/lundis-de-lihedn/la-dimension-aeroterrestre-un-enjeu-strategique-pour-larmee-de-terre/


Mis en valeur lors de la présentation de l’armée de Terre la semaine dernière à l’École militaire, l’espace aéroterrestre est de plus en plus essentiel pour la mobilité tactique et stratégique. Décryptage.

Pour son édition 2024, la présentation de l’armée de Terre (PAT) mettait en avant les « Enjeux et finalités du milieu aéroterrestre » à l’École militaire. Un profane pourrait s’étonner : quel lien entre le milieu aérien et une armée terrestre ? La réponse est que ces liens sont très nombreux, et prennent une importance croissante dans l’évolution contemporaine des conflits.

Sur des théâtres de plus en plus complexes, la dimension aéroterrestre vise à accroître l’efficacité opérationnelle. Selon les opérations, il y a bien évidemment une coordination stratégique entre l’armée de Terre et l’armée de l’Air et de l’Espace. Mais en son sein même, l’armée de Terre recèle aussi des capacités aériennes, qui composent la dimension aéroterrestre avec les forces au sol.

Les principaux usages aéroterrestres sont les suivants : renseignement et surveillance par drones et capteurs aériens, appui feu aérien pour les forces terrestres, transport tactique et logistique, opérations aéromobiles et parachutistes, et enfin défense sol-air contre les menaces aériennes.

La plus connue des capacités aéroterrestres est sans doute l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT). Disposant d’environ 300 aéronefs (surtout des hélicoptères), elle sert au repérage des cibles, au combat antichars ou au transport de soldats, apportant à l’armée une mobilité rapide et un appui feu crucial pour les unités déployées.

L’ALAT inclut des hélicoptères de combat (comme le Tigre), d’assaut (NH90 Caïman), et un modèle multitâches, le Guépard (Airbus H160M).

Aboutissement d’un programme lancé en 2017, le Guépard brille par sa polyvalence, puisqu’il remplace 5 modèles précédemment utilisés au sein de l’ALAT : les Fennec, Gazelle, Panther, Alouette III et Dauphin.

Le Guépard (Airbus H160M)
Le Guépard (Airbus H160M).

L’autre composante majeure de la dimension aéroterrestre est la large flotte de drones de l’armée de Terre. Il peut s’agir de drones tactiques, de renseignement, de contact… Plusieurs étaient la semaine dernière à la PAT.

Drone à voilure fixe, le SQ20 est utilisé comme cible aérienne pour l’entraînement au tir antiaérien à l’arme légère d’infanterie, à la mitrailleuse ou au canon mitrailleur. Le RQ-11 Raven, lui, est un drone de combat léger de conception américaine.

Le drone SQ20.
Le drone SQ20.
Le drone RQ-11B-RAVEN.
Le drone RQ-11B-RAVEN.

Les sapeurs-sauveteurs (militaires de la sécurité civile) utilisent aussi des drones, par exemple pour avoir un soutien visuel en intervention, notamment sur des sites inaccessibles ou dangereux. C’est les cas des différentes variantes des drones DJI Matrice ou Mavic.

Les drone DJI matrice 300 / drone DJI matrice 30T / drone DJI Mavic 3T.
Les drone DJI matrice 300 / drone DJI matrice 30T / drone DJI Mavic 3T.

Autre appareil présent à l’École militaire, le mini-drone AVATAR, développé par DGA Techniques terrestres et l’Agence innovation défense, sera un drone de combat embarquant des capteurs et un fusil d’assaut HK-416 à tir laser.

Le projet AVATAR.
Le projet AVATAR.

Dernière fonction cruciale de la dimension aéroterrestre, la préparation d’artillerie, avec la gestion de l’espace aérien pour des tirs longue portée (avec des canons Caesar ou des lance-roquettes unitaires par exemple).

Le programme Scorpion de modernisation des capacités de combat, qui fête cette année ses 10 ans, est crucial pour la dimension aéroterrestre, puisque son système d’information du combat unique facilite les communications sol-air entre tous types d’appareils : par exemple, les véhicules blindés nouvelle génération comme le Griffon, le Serval ou le Jaguar sont équipés de capteurs et de systèmes d’information avancés qui leur permettent de recevoir et partager en temps réel des données tactiques, en lien notamment avec les moyens aériens d’observation.

La miniaturisation et les nouvelles technologies permettent ainsi une intégration de plus en plus poussée des capteurs, des systèmes d’armes et des centres de décision. Combinant puissance aérienne et expertise terrestre, la dimension aéroterrestre constitue une réponse efficace aux menaces modernes. Grâce à ses moyens avancés et à une coordination étroite entre les forces, elle offre une capacité unique d’intervention, de protection et de projection de puissance, essentielle pour les conflits d’aujourd’hui et de demain.