Dans l’est de l’Ukraine, une poussée russe mais pas de percée

Dans l’est de l’Ukraine, une poussée russe mais pas de percée

Photo RUSSIAN DEFENCE MINISTRY PRESS SERVICE HANDOUT

Au 890e jour de guerre, les avancées russes dans l’est de l’Ukraine sont d’un kilomètre par jour. Elles ne préfigurent pas un effondrement ukrainien mais témoignent malgré tout de progrès constants. Des détails et des chiffres.

Sur un front long de 980 km, mais en particulier dans l’est de l’Ukraine, les combats se poursuivent depuis une année, sans que l’un ou l’autre des deux camps n’ait encore réussi à réaliser et exploiter une manœuvre décisive. Les Russes y disposent toutefois d’un double avantage : d’abord une indiscutable supériorité aérienne (sauf dans le domaine des drones), ensuite un réservoir humain bien supérieur à celui des Ukrainiens qui peinent toujours à recruter. Ces deux facteurs expliquent la situation périlleuse de certaines unités de l’armée ukrainienne forcées de reculer, pied à pied, dans certains secteurs.

Les récentes brèches russes dans le dispositif défensif ukrainien constituent-elles des « percées », comme l’estimait, il y a trois jours, le compte spécialisé sur X (ex-Twitter) Macette Escortet ? Les chiffres ont effectivement de quoi inquiéter.

Selon des données de l’Institut américain pour l’étude de la guerre (ISW), entre le 1er et le 30 juillet, 198 km2 ont été conquis par Moscou, parmi lesquels 155 km2 l’ont été dans la seule région de Donetsk (contre 129 km2 en juin).

Dans ce secteur, les forces russes poussent en direction des localités de Pokrovsk, Toretsk et Tchassiv Yar pour ensuite pouvoir attaquer les cités de Kramatorsk et Sloviansk, où les Ukrainiens ont leurs bases arrière et par lesquelles ils font transiter leurs renforts. Et les Russes visent également Kostiantynivka et la route qui relie cette agglomération à celle de Pokrovsk.

Poussée violente

Si les Russes sont encore à 18 km de cette dernière localité, ils sont à moins de 3 km des premières rues de Toresk, dont les rares habitants survivent au milieu des ruines, et ils sont entrés dans les quartiers de l’est de Tchassiv Yar (ouest de Bakhmout) où les combats sont intenses.

Au total, depuis le début de l’année 2024, la Russie a conquis 1 246 km², largement plus que sur l’ensemble de 2023 (584 km2). Cette progression reste cependant réduite, puisqu’elle n’a donné lieu à aucune percée décisive malgré de lourdes pertes et ne correspond qu’à 0,2 % du territoire ukrainien d’avant 2014 (c’est-à-dire avant la perte d’une partie du Donbass et de la Crimée).

Les observateurs et experts militaires les plus optimistes parlent de « poussée » russe et non de « percée ». Certains décrivent même un front globalement figé. Il n’en est rien: le champ de bataille du Donbass est extrêmement dynamique avec de violents combats terrestres qui mettent à mal les troupes engagées, vident les stocks de munitions et se soldent par des pertes élevées de part et d’autre.

Aviation : Le ravitailleur KC-46 de Boeing présente un nouveau défaut majeur

Aviation : Le ravitailleur KC-46 de Boeing présente un nouveau défaut majeur

Par Paolo Garoscio – Armées.com –  Publié le 1er août 2024

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L’Armée de l’Air américaine et le géant industrielle Boeing ont dévoilé une nouvelle lacune dans l’avion-citerne KC-46, un composant majeur de la capacité de ravitaillement aérien aux États-Unis.

Cette déficience, qui s’ajoute à une série croissante de problèmes de conception à haut risque, affecte le système de pompe à carburant de l’appareil et provoque par la suite des dommages aux conduits du système d’air.

Cette défaillance a été classée comme une déficience de Catégorie 1, ce qui implique un degré de risque élevé et impose des restrictions opérationnelles à l’aéronef ou à l’opérateur. Le problème a été découvert au début du printemps lorsque Boeing a observé les dommages résultant des vibrations de la pompe à carburant du KC-46 sur les conduits d’air de son système de saignée.

Boeing, chargée de la construction de l’avion-citerne, a pris des mesures immédiates pour réparer les conduits d’air endommagés. L’entreprise teste actuellement une solution temporaire à ce problème, selon Kevin Stamey, le directeur du programme de l’Armée de l’Air pour les aéronefs de mobilité et d’entraînement. En fonction des résultats de ce test, une rectification de conception plus permanente sera probablement mise en œuvre, pouvant entraîner une diminution de la gravité du problème, comme il a été rapporté lors d’une récente conférence de presse à l’occasion de l’événement Life Cycle Industry Day de l’Armée de l’Air à Dayton, Ohio.

Stamey a également indiqué que « La solution est conçue pour minimiser les dommages causés par les vibrations. » À ce jour, sept déficiences de Catégorie 1 ont été enregistrées, dont trois sont sur le point d’être résolues. Parmi celles-ci figure le système de vision à distance (RVS) du ravitailleur, un système de caméra spécialement conçu pour assister les opérateurs du ravitailleur dans le ravitaillement des avions récepteurs. La version redessinée par Boeing, baptisée RVS 2.0, qui résout les problèmes d’imagerie de son prédécesseur, est prévue pour une mise en service en 2026.

Un autre problème de conception significatif concerne l’actionneur à bras du ravitailleur, essentiel pour ravitailler en toute sécurité l’avion A-10. L’entreprise a achevé la fabrication d’un prototype pour le matériel requis et a commencé à le tester en laboratoire en mai dernier.

Boeing a indubitablement payé un lourd prix pour ces défauts de conception – pas moins de 7 milliards de dollars en frais liés aux problèmes de conception et de production du KC-46. Mais l’entreprise reste optimiste. Comme le fait justement remarquer Stamey : « [Boeing] se penche en avant lorsqu’ils ont une échappée de qualité. Ils ont ajouté des inspecteurs sur la ligne et ils y sont très sensibles. »

Cette saga reflète une étape importante dans la vie d’un actif majeur de la défense qui promet de jouer un rôle crucial dans la préservation de la supériorité aérienne des États-Unis dans les décennies à venir. Elle souligne les complexités inhérentes à la construction et à la gestion de la technologie militaire moderne, ainsi que l’engagement de Boeing à corriger les insuffisances pour garantir la fiabilité et la faisabilité de l’avion-citerne KC-46.


Paolo Garoscio
Journaliste chez EconomieMatin. Ex-Chef de Projet chez TEMA (Groupe ATC), Ex-Clubic. Diplômé de Philosophie logique et de sciences du langage (Master LoPhiSC de l’Université Paris IV Sorbonne) et de LLCE Italien.

La guerre éternelle II : Et maintenant le Liban par Michel Goya

La guerre éternelle II : Et maintenant le Liban

 

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 30 juillet 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Le 25 juin 2006, un commando palestinien attaque le poste militaire de Kerem Shalom, près du territoire du Gaza. Le commando tue deux soldats israéliens et en capture un autre, nommé Gilad Shalit. Le 28 juin, Tsahal lance l’opération Pluies d’été pour essayer de le retrouver et punir les auteurs de l’attaque. L’opération commence par une série de frappes aériennes sur des infrastructures du Hamas mais aussi de l’Autorité palestinienne et du Fatah, pourtant étrangers à l’attaque du 25 juin. La centrale électrique du sud du territoire est ainsi détruite. La campagne de frappes est prolongée en juillet par des incursions de forces terrestres au centre de Gaza. Le 12 juillet, sans doute pour montrer sa solidarité avec les organisations palestiniennes et faire libérer des prisonniers en échange d’otages, le Hezbollah organise à son tour un raid de commandos qui parvient à franchir la barrière le long de la frontière nord d’Israël. Le commando intercepte une patrouille israélienne, tue huit soldats et en capture deux autres avant de revenir au Liban. 

Dissuasion instable

Le Premier ministre Ehoud Olmert qui vient de succéder à Ariel Sharon saisit l’occasion pour reprendre l’initiative après le retrait de Gaza, assurer une image d’homme fort soucieux de la sécurité des Israéliens et restaurer la capacité de dissuasion israélienne. L’effort de guerre est déplacé immédiatement de Gaza vers le Liban et Olmert annonce haut et fort la destruction prochaine du Hezbollah, l’organisation chiite qui a contraint l’armée israélienne à quitter le Sud-Liban et menace désormais tout le nord du pays.

On connaît la suite : les forces aériennes israéliennes ravagent le Liban sans empêcher le Hezbollah de tirer une centaine de roquettes chaque jour pendant plus d’un mois sur le nord d’Israël et les forces terrestres, très maladroitement engagées, sont tenues en échec. La résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies qui appelle au désarmement du Hezbollah et au contrôle du Sud-Liban par l’armée libanaise et la FINUL permet à tout le monde de sauver la face et d’arrêter les combats, même si personne ne croit à sa mise en œuvre réelle. Depuis cette époque, Israël et le Hezbollah s’observent avec méfiance, conscients du mal que chacun peut faire à l’autre, ce qu’on appelle aussi de la dissuasion mutuelle.

Les choses ont fondamentalement peu changé depuis cette époque, à part que le Hezbollah est bien plus puissant qu’à l’époque. C’est l’organisation armée qui dispose du plus grand arsenal de projectiles au monde, un arsenal bien supérieur en quantité, avec un total de 130 à 150 000 projectiles en tout genre et en qualité avec des engins à courte portée – drones, missiles – très difficiles à arrêter et des centaines de missiles balistiques capables de frapper toutes les villes d’Israël. Le Hezbollah peut lancer chaque jour autant de projectiles que pendant toute la guerre de 2006 et finir par submerger le très sophistiqué système de défense aérienne israélien.

Une question fondamentale qui se pose du côté israélien est de savoir si cet arsenal peut être suffisamment réduit par une attaque massive préventive pour permettre ensuite au bouclier de contrer le reste et neutraliser ainsi l’ennemi. La tentation est donc très forte de recourir à cette attaque désarmante, mais pour autant son résultat n’est pas certain. Il est fort possible que l’arsenal du Hezbollah soit une force de seconde frappe, c’est-à-dire capable de faire quand même très mal malgré une attaque préalable. Du côté du Hezbollah on se dit sans doute aussi qu’il vaudrait également mieux frapper les premiers.

Ce n’est pas tout. Le Hezbollah dispose aussi d’une infanterie très supérieure en qualité, en armement et en quantité à celle du Hamas, avec entre 40 et 50 000 combattants permanents, dont la force spéciale Radwan, et bien plus de miliciens réservistes. Outre les combats de 2006 et ceux des années 1990 pour les plus anciens, beaucoup de ces combattants ont l’expérience de la guerre en Syrie où ils ont servi de fer de lance du régime d’Assad. Autrement dit le Hezbollah, a non seulement aussi au sol de quoi résister durement à une offensive israélienne mais également sans doute de quoi attaquer le territoire israélien. Même si le Hezbollah n’a plus osé attaquer directement Israël depuis 2006, contrairement au Hamas, il constitue la menace principale pour l’Etat hébreu

Juste en dessous de la guerre totale

Survient le 7 octobre 2023. Alors que les Israéliens ont surtout le regard tourné vers le Liban et la Cisjordanie, l’attaque la plus terrible contre le sol israélien depuis 1949 vient du territoire de Gaza. Tout en combattant l’attaque du Hamas au sud, le gouvernement israélien observe donc avec angoisse la frontière nord avec la crainte d’une offensive similaire de la part du Hezbollah selon un plan coordonné, comme lors de l’offensive commune de l’Égypte et de la Syrie le 6 octobre 1973 ou en décalé comme en 2006. Le risque est majeur et dès la mobilisation trois divisions de réserve israéliennes sont immédiatement envoyées ou renforcées au nord du pays et l’aviation effectue des démonstrations de force.

Rien ne vient pourtant de ce côté le 7 octobre. Il est clair désormais que le Hezbollah n’avait pas été mis au courant de l’attaque du Hamas, ne serait-ce que pour préserver le secret et la surprise. Il est clair aussi que le Parti de Dieu, par peur de la furie israélienne contre lui et un Liban en crise profonde, n’avait pas du tout envie de se lancer dans une guerre totale. Pour autant, il semblait obligatoire de montrer sa solidarité avec le Hamas, même si les relations avec l’organisation palestinienne ont toujours été ambiguës. Il ne faut pas oublier non plus que la plupart des organisations armées palestiniennes, dont le Hamas et le Jihad islamique, sont également présentes au Liban, avec des capacités de frappe et de combat terrestre modestes mais suffisantes pour harceler la frontière avec Israël. Les premiers tirs venant du Liban contre l’État hébreu et les premières ripostes israéliennes surviennent le 8 octobre. Les populations frontalières israéliennes et libanaises commencent à évacuer la région.

La tentation est alors forte au sein du gouvernement israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant en tête, de considérer, comme en 2006, qu’il faut certes châtier le Hamas mais aussi, et peut-être même prioritairement, attaquer préventivement le Hezbollah. L’intervention rapide américaine, avec le déploiement d’une armada très dissuasive vis-à-vis de l’Iran et du Hezbollah (on rappellera au passage que les Américains n’ont jamais oublié les 240 morts du 23 octobre 1983 à Beyrouth ni l’aide de l’Iran à beaucoup de leurs ennemis en Irak) et le déplacement de Joe Biden appelant dès le 10 octobre les Israéliens à la retenue calme en partie les ardeurs. La constitution d’un cabinet de guerre avec Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux anciens chefs d’état-major hostiles à l’aventurisme, finit par convaincre au moins de la dangerosité de se lancer dans deux guerres simultanément.

Les forces aériennes et les divisions d’active 98 et 162, aidées des divisions de réserve les plus solides, sont finalement totalement engagées à Gaza. Les Israéliens saisissent néanmoins toutes les occasions pour frapper au Liban et en Syrie pour interdire l’approvisionnement du front libanais et pour tuer les cadres du Hamas bien sûr, comme Saleh el-Arouri frappé le 2 janvier 2024 au cœur de Beyrouth, du Hezbollah et même de l’organisation Qods dans le consulat iranien à Damas le 1er avril 2024. Ces frappes sont toujours expliquées comme étant en riposte de celles du Hezbollah, qui annonce lui-même que ce sont des réponses aux frappes israéliennes. Le Hezbollah prend soin de ne pas aller trop loin en évitant de toucher les civils. En neuf mois, les 6 400 projectiles du Hezbollah, des roquettes à faible portée et missiles antichars à longue portée comme les Kornet russes pouvant frapper avec précision et sans pouvoir être arrêtés jusqu’à 10 km, provoquent la mort de plus de trente Israéliens, des soldats pour la plupart. Dans la grande majorité des cas, le Hezbollah tire sur des villages vides. Les attaques israéliennes tuent près de 400 personnes au Liban, là encore des combattants du Hezbollah pour la plupart et une centaine de civils.

Même lorsque les Iraniens décident de frapper Israël dans la nuit du 13 au 14 avril en riposte à l’attaque du consulat à Damas et actionnent l’ensemble du « cercle de feu » des organisations armées alliées, la participation du Hezbollah est des plus modestes. La réponse israélienne le 19 avril évite également le Parti de Dieu pour frapper en Iran et en Syrie. La guerre de part et d’autre de la frontière entre Israël reste donc volontairement contenue.

Les choses commencent à bouger à l’été. Le 9 juin, Benny Gantz quitte le cabinet de guerre et la capacité de persuasion de Joe Biden s’effrite au grès de ses difficultés dans la campagne électorale américaine. Les 63 000 réfugiés intérieurs israéliens originaires de la frontière expriment de plus en plus fort leur lassitude. La guerre à Gaza est également en train de changer de phase. Le Hamas a été sévèrement touché et ne constitue plus une menace. Si la guerre continue de ce côté, elle prend de plus en plus l’aspect d’un quadrillage. Cela signifie concrètement qu’une fois le nettoyage de Rafah terminé, les divisions 98 et 162 ainsi que la majorité des forces aériennes seront disponibles pour agir ailleurs. Il faudra certes reconstituer un peu ses forces et recompléter son stock de munitions aériennes avec l’aide américaine, mais on pouvait alors considérer que Tsahal pourrait mener bientôt une campagne aéroterrestre complète au Liban à la fin de l’été ou au début de l’automne, peut-être en profitant de grands évènements internationaux comme les Jeux olympiques ou l’élection présidentielle américaine.

Danse sur un volcan

Le 27 juillet, une roquette de forte puissance Falaq-1 frappe la ville druze de Majdal Shams sur le plateau du Golan, tuant 12 adolescents. C’est le plus grand massacre d’Israéliens depuis l’attaque du 7 octobre et l’émotion est évidemment immense. Le Hezbollah nie, contre toute évidence, son implication dans la tuerie. Il est vrai que ce massacre tranche avec la politique de l’organisation depuis dix mois et que le groupe d’adolescents druzes n’était pas spécialement visé, puisqu’il est impossible de le faire avec une munition aussi imprécise après un vol de plusieurs kilomètres. Toujours est-il que le Hezbollah a lancé 50 kg d’explosif sur une ville. Il avait utilisé pour la première fois une Falaq-1 fin janvier, mais contre des installations militaires et l’avait revendiqué. Peut-être s’agissait-il le 27 juillet de frapper également un objectif militaire ou peut-être un commandant a-t-il voulu réellement frapper une petite ville, on ne sait pas très bien. Toujours est-il que volontairement ou non, un seuil a été franchi qui appelle forcément à une réaction forte israélienne.

Que faire ? Les partisans de la destruction du Hezbollah ou du moins de son expulsion au sud du fleuve Litani peuvent arguer qu’on aurait dû agir plus fortement et plus tôt. Désormais en position de forces, ils prônent donc une offensive « surprenante, rapide et brutale » selon les mots du Yoav Gallant le 17 juillet devant des réservistes gardant la frontière. Les forces terrestres ne sont pas encore prêtes mais il est possible de lancer d’ores et déjà une grande campagne aérienne, même si la consommation considérable de munitions sur Gaza a un peu épuisé les stocks. Les prudents font remarquer que les opérations ne sont pas terminées à Gaza, qu’il y reste encore 116 otages, et qu’il serait hasardeux de se lancer dès à présent dans une nouvelle guerre très incertaine. La communauté internationale craint surtout un embrasement régional si l’Iran et tous ses groupes alliés se mettent de la partie, obligeant sans doute les autres acteurs de la région, occidentaux ou arabes, à s’impliquer également.

L’option la plus probable à ce stade est donc une série de frappes aériennes d’une intensité inédite sur ce front mais encore limitées dans leur volume et leur objectif, le Hezbollah et le Hezbollah seul. Une escalade limitée donc pour se venger mais aussi « pour voir ». Le Hezbollah peut alors céder et accepter un repli (sans aucun doute temporaire) au nord du Litani en signe de volonté de paix, surtout à destination libanaise. Il peut riposter modérément afin de continuer à rester sous le seuil de la guerre totale. Il peut aussi escalader en étendant nettement le volume et la portée de ses tirs sur Israël. On rentrerait alors sans aucun doute dans un engrenage terrible où l’aviation israélienne aurait alors toute justification pour frapper le Hezbollah le plus massivement possible afin de stopper ses tirs et de détruire le plus vite possible son arsenal à longue portée.

Il est fort possible aussi, comme en 2006, que les Israéliens choisissent aussi de frapper le reste du Liban en espérant que le gouvernement libanais (si tant est qu’il y en ait réellement un), l’armée libanaise (idem) et même la population finiront par pousser le Hezbollah à céder. Le général Gadi Eisenkot, membre du cabinet de guerre avait baptisé cela la « doctrine Dahiya », du nom d’un quartier de Beyrouth bombardé dès le début de la guerre de 2006. Le Liban n’a jamais eu besoin d’une campagne de bombardement mais surtout pas en ce moment, et cela a effectivement joué sans aucun doute dans la retenue du Hezbollah, mais on ne sait pas très bien par quel miracle ce concept fonctionnerait maintenant alors qu’il n’a jamais fonctionné dans le passé.

Si le Hezbollah ne cède pas malgré les coups reçus du ciel, il n’y aura pas d’autre solution que de lui donner des coups au sol et donc d’engager les forces terrestres, et notamment les deux divisions d’active venant du sud. L’armée de Terre israélienne n’est plus celle, très maladroite, de 2006 d’autant plus qu’elle s’est largement aguerrie depuis neuf mois. La nouvelle offensive serait infiniment mieux coordonnée et ressemblerait sans doute au rouleau compresseur des colonnes blindées de l’opération Paix en Galilée en 1982. L’armée israélienne avait alors engagé cinq divisions avec 78 000 hommes face à 30 000 Syriens et au maximum 15 000 combattants de l’OLP. L’armée israélienne peut désormais engager moins de troupes qu’à l’époque alors que le Hezbollah, qui a parfaitement organisé le terrain, dispose d’une infanterie très supérieure aux forces syriennes et palestiniennes.

Le combat sera sans aucun doute très brutal, pour reprendre les termes de Yoav Gallant, certainement pas rapide et effectivement sans doute surprenant mais pas forcément en faveur d’Israël. S’il y avait toujours le moyen de présenter une victoire militaire contre le Hamas, même relative puisque l’organisation est toujours là et tient le terrain, les choses sont beaucoup plus incertaines contre le Hezbollah. Ce qui est sûr c’est que le Liban sera ravagé, une partie d’Israël aussi sans doute, et les pertes et les souffrances très élevées. Cela vaut-il le coup ? Même s’il était vaincu au Sud-Liban le Hezbollah a suffisamment de profondeur stratégique pour survivre, se reconstituer, revenir et redevenir la même menace dans quelques années. A moins de changer radicalement de vision du monde et de politique dans les deux camps, et ce n’est visiblement pas la tendance, l’affrontement est condamné à être éternel.  

Immobilisé pendant six mois, le porte-avions HMS Queen Elizabeth est de nouveau opérationnel

Immobilisé pendant six mois, le porte-avions HMS Queen Elizabeth est de nouveau opérationnel


En août 2022, alors qu’il se préparait à mettre le cap vers l’Amérique du Nord dans le cadre de la mission Westlant 22, le porte-avions britannique HMS Prince of Wales fut victime d’une grave avarie au niveau d’un accouplement SKF de sa ligne d’arbre tribord [qui relie les machines à l’hélice]. Remplacé au pied levé par son « jumeau », le HMS Queen Elizabeth, le navire fut remorqué vers le chantier naval de Rosyth [Écosse] pour y être mis en cale sèche.

Seulement, lors des réparations, il apparut que la ligne d’arbre babord présentait également des signes de faiblesse au niveau de ses accouplements SKF. Aussi, son immobilisation fut prolongée jusqu’en juillet 2023, alors que la Royal Navy espérait le voir reprendre son cycle opérationnel en mai.

Mais celle-ci ne fut pas au bout de ses peines. Début février, alors qu’il devait participer aux manœuvres « Steadfast Defender » organisées par l’Otan, le HMS Queen Elizabeth dut à son tour déclaré forfait… car il risquait de connaître la même avarie qui avait affecté le HMS Prince of Wales.

Initialement, il était question d’immobiliser le porte-avions de 65’000 tonnes pendant « quelques semaines » au chantier naval de Rosyth, étant donné que les réparations devaient se concentrer uniquement sur la ligne d’arbre tribord. Finalement, la Royal Navy décida de remplacer aussi celle de babord, par « précaution ».

Cela étant, après la déconvenue vécue par le HMS Prince of Wales, l’amirauté britannique avait prévu de remplacer les deux lignes d’arbre du HMS Queen Elizabeth lors d’un arrêt technique majeur [ATM] programmé en 2025. Les circonstances en auront donc voulu autrement. Mais d’un mal peut sortir un bien car cela permettra de raccourcir la prochaine période d’indisponibilité technique du porte-avions.

En outre, les réparations du HMS Queen Elizabeth ont été effectuées assez rapidement dans la mesure où le navire ne sera resté que quatre mois en cale sèche. Au total, son immobilisation aura duré six mois… soit trois de moins que celle du HMS Prince of Wales pour les mêmes raisons.

En effet, la Royal Navy a annoncé que le HMS Queen Elizabeth retrouverait la base navale de Portsmouth le 30 juillet, à l’issue d’une campagne d’essais menée peu après sa sortie du chantier naval écossais.

 

« Le navire est sorti des réparations plus tôt que prévu initialement et, après avoir navigué sous les ponts du Forth, il a passé les sept derniers jours en mer à être mis à l’épreuve afin de tester ses systèmes au maximum », a en effet indiqué la marine britannique, via un communiqué diffusé le 29 juillet.

« Un travail énorme a été réalisé au cours des derniers mois pour nous amener à ce point. C’était un projet de grande envergure […]. Il a fallu un effort d’équipe vraiment efficace de la part de nos ingénieurs, du Defence Equipment and Support [DE&S] et de nos partenaires industriels pour que le porte-avions puisse reprendre la mer », a commenté le commandant Alex Davies, chef du département de génie maritime de la Royal Navy.

Photo : Royal Navy

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La SMP Wagner reconnaît de lourdes pertes au Mali sans les détailler

La société paramilitaire russe Wagner a reconnu ce lundi avoir subi de lourdes pertes dans le nord du Mali au cours de violents combats contre des miliciens touaregs. Les mercenaires russes et l’armée malienne (FAMa) auraient subi des attaques « massives » de la part des rebelles anti-gouvernementaux et des combattants djihadistes.

La chaîne Telegram « Razgrouzka Wagnera » a publié une déclaration attribuée au groupe Wagner, qui explique que « du 22 au 27 juillet 2024, les militaires de la FAMa et les combattants du 13e groupe d’assaut de Wagner (…) ont mené de violents combats avec des militants de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et du groupe terroriste interdit en Russie +Al-Qaida au Sahel+ (JNIM) ».

Les combattants de Wagner étaient commandés par Sergueï Chevtchenko, nom de code « Proud », selon cette source. « Le premier jour, le groupe de Proud a éliminé une grande partie des islamistes et a entraîné la fuite des autres. Cependant, une tempête de sable est survenue et a permis aux radicaux de se regrouper et d’augmenter leurs effectifs jusqu’à 1.000 personnes », poursuit la déclaration. Des renforts ont ensuite été envoyés sur place sur décision du chef du détachement de Wagner qui, toujours selon ce communiqué, a repoussé ensuite le 25 juillet une attaque de l’ennemi.

Mais, les 26 et 27 juillet, « les radicaux ont augmenté le nombre d’attaques massives en utilisant des armes lourdes, des drones et des voitures piégées, ce qui a entraîné des pertes au sein de Wagner et des soldats de la FAMa.  » Le dernier message envoyé par les combattants de Wagner à Tinzaouaten a été reçu le 27 juillet et disait : « Nous ne sommes plus que trois. Nous continuons à nous battre. » La SMP russe a même précisé que le chef de son détachement, Sergueï Chevtchenko, avait été tué au combat.

Le mouvement récemment formé par les rebelles nordistes qui luttent contre le pouvoir de Bamako, le Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD), avait affirmé dès samedi avoir tué ou capturé des mercenaires russes et des soldats maliens près de la ville de Tinzaouaten, proche de la frontière avec l’Algérie. Selon les rebelles, qui ont diffusé de nombreuses vidéos montrant les corps de leurs victimes et du matériel capturé, des dizaines de mercenaires russes et soldats maliens ont été tués ou capturés au cours de cette bataille. Les rebelles ont aussi revendiqué la destruction d’un hélicoptère d’attaque Mi-24 de l’armée de Bamako.

Les 4,8 milliards d’euros de contrats militaires de l’armée grecque passent encore sous le nez de l’Europe et particulièrement de la France

Les 4,8 milliards d’euros de contrats militaires de l’armée grecque passent encore sous le nez de l’Europe et particulièrement de la France


Les 4,8 milliards d'euros de contrats militaires de l'armée grecque passent encore sous le nez de l'Europe et particulièrement de la France
Les 4,8 milliards d’euros de contrats militaires de l’armée grecque passent encore sous le nez de l’Europe et particulièrement de la France

L’armée grecque passe à la vitesse supérieure avec un investissement massif dans les F-35 de Lockheed Martin.

La Grèce a marqué un tournant stratégique dans sa politique de défense en signant un contrat colossal de 4,8 milliards de dollars pour l’acquisition de vingt avions de combat F-35 Lightning II. Ce mouvement audacieux est une réponse directe aux tensions montantes en Méditerranée orientale et vise à renforcer significativement les capacités aériennes du pays.

Un Pas de Géant pour la Défense Grecque

L’achat des F-35 par la Grèce symbolise une modernisation profonde de sa flotte aérienne. Ces avions de cinquième génération, connus pour leur furtivité et leur technologie avancée, permettront à la Grèce de solidifier sa défense et de jouer un rôle dissuasif plus significatif dans la région.

Une Alliance Renforcée avec l’Occident

En intégrant la flotte de F-35, la Grèce se joint à un groupe sélect de nations possédant cette technologie de pointe, renforçant ainsi ses liens avec les États-Unis et d’autres membres de l’OTAN. Ce partenariat stratégique promet d’améliorer la coopération militaire et d’accroître la sécurité régionale.

Investissement Technologique et Économique

Le financement alloué par la Grèce ne couvre pas uniquement l’acquisition des avions, mais englobe également des services essentiels tels que la maintenance, la formation du personnel, et l’amélioration des infrastructures. Ce projet devrait dynamiser l’industrie locale grâce aux partenariats avec des entreprises grecques pour la maintenance des avions, favorisant ainsi le transfert de technologie et la création d’emplois qualifiés.

Impact Géopolitique en Méditerranée

L’acquisition des F-35 intervient dans un contexte de tensions accrues avec des voisins comme la Turquie, sur fond de différends territoriaux. La présence de ces avions ultra-modernes est un message clair de la Grèce à ses adversaires, soulignant sa capacité à défendre ses intérêts avec une puissance aérienne supérieure.

Une Course à l’Armement Régionale ?

La montée en puissance de la Grèce pourrait inciter d’autres nations de la région à moderniser leurs propres forces aériennes. Ce phénomène pourrait entraîner une escalade des dépenses militaires et exacerber les tensions régionales, chaque acteur cherchant à ne pas se laisser distancer sur le plan technologique.

Vers une Stabilité ou une Instabilité Accrue ?

Bien que l’augmentation des capacités militaires de la Grèce puisse potentiellement dissuader les conflits, elle pourrait aussi alimenter une course à l’armement et des stratégies militaires plus agressives de la part des pays voisins, posant des questions sur le véritable impact de ces investissements sur la stabilité régionale à long terme.

Un Revers pour l’Industrie de Défense Européenne

Cet achat massif de matériel américain par la Grèce souligne un échec notable pour l’industrie de défense européenne, qui peine à rivaliser avec les géants de l’aéronautique des États-Unis. Malgré la présence de fabricants européens compétents, le choix de la Grèce de se tourner vers Lockheed Martin pour renforcer sa flotte aérienne met en lumière les lacunes perçues dans les options disponibles au sein de l’Europe. Cela pose des questions sur la capacité de l’Europe à s’unir autour d’une politique de défense commune et compétitive sur le marché mondial, et à offrir des solutions qui répondent aux exigences techniques et stratégiques des nations de l’OTAN. Ce scénario incite à une réflexion sur l’intégration et le renforcement de l’industrie de défense européenne pour éviter que de telles préférences pour les équipements non européens ne deviennent une norme.

Cet article explore l’engagement substantiel de la Grèce dans la modernisation de ses forces armées par l’acquisition de F-35, un investissement qui a des implications profondes tant sur le plan militaire que géopolitique. Alors que la Grèce cherche à assurer sa sécurité et à affirmer sa présence sur la scène internationale, les répercussions de ce choix stratégique pourront redéfinir les équilibres de pouvoir en Méditerranée orientale.

159 véhicules Borsuk : la Pologne entame des négociations décisives

159 véhicules Borsuk : la Pologne entame des négociations décisives

Par Jean-Baptiste Giraud – armees.com –  Publié le 29 juillet 2024

159 Vehicules Borsuk La Pologne Entame Des Negociations Decisives

Le 29 juillet 2024, des sources non officielles ont indiqué que la Pologne commencera début août les négociations pour l’acquisition de 159 véhicules de combat d’infanterie (IFV) Borsuk. Cette acquisition vise à équiper deux bataillons d’infanterie mécanisée, chacun recevant 58 véhicules, avec des unités supplémentaires pour la formation.

En bref :

  • La Pologne négocie l’achat de 159 véhicules de combat d’infanterie Borsuk pour équiper deux bataillons d’infanterie mécanisée.
  • Le Borsuk est un véhicule amphibie équipé d’un canon automatique de 30 mm et d’un lanceur de missiles Spike.
  • Le développement est mené par un consortium de sociétés polonaises, avec une production prévue de 1 400 unités pour remplacer les BMP-2.
  • Le véhicule dispose d’une armure modulaire, de systèmes de contrôle de tir avancés et de protections contre les IED et mines.
  • Les prototypes du Borsuk ont été testés extensivement et le véhicule a été présenté pour la première fois à l’étranger lors du salon Eurosatory 2024.

Un projet ambitieux soutenu par un consortium national

Le projet Borsuk, initié par l’Agence de l’armement polonaise et le consortium de la Polish Armaments Group et de Huta Stalowa Wola, inclut plus de mille IFV Borsuk et environ 400 véhicules spécialisés. Parmi ces derniers figurent des véhicules de reconnaissance Żuk, des véhicules de commandement Oset, la plateforme MEDEVAC Gotem, les véhicules ARV Gekon et la plateforme de reconnaissance CRBN Ares.

Caractéristiques techniques et capacités du Borsuk

Le Borsuk est un véhicule blindé à chenilles conçu pour l’infanterie mécanisée. Il est équipé de la station d’armes téléopérée ZSSW 30 armée d’un canon automatique Bushmaster Mk 44 de 30 mm. Ce véhicule moderne offre une protection optimale à son équipage contre les tirs d’armes légères, les lance-grenades antichars, les engins explosifs improvisés (IED) et les mines. Il est également amphibie, une caractéristique qui le distingue de nombreux autres véhicules similaires, lui permettant de traverser des cours d’eau et d’opérer dans divers environnements. Le Borsuk peut atteindre une vitesse de 65 km/h sur route et 8 km/h dans l’eau, avec un poids de 28 tonnes dans sa variante de base.

Partenaires industriels et collaboration internationale

Le développement du Borsuk est dirigé par HSW S.A. et inclut plusieurs entreprises polonaises telles que OBRUM Sp.z o.o., Wojskowe Zakłady Motoryzacyjne S.A., ROSOMAK S.A., et des institutions académiques comme l’Université des études militaires et l’Université de technologie militaire. Ce projet représente la nouvelle génération de véhicules blindés à chenilles pour l’armée polonaise, remplaçant le BWP-1 de fabrication soviétique. Ces collaborations stratégiques garantissent que le Borsuk bénéficie des dernières innovations technologiques et des meilleures pratiques de fabrication.

Armements et équipements avancés

Le Borsuk est doté d’un canon Bushmaster Mk 44/S de 30 mm, d’une mitrailleuse coaxiale de 7,62 mm et d’un lanceur de missiles antichars double Spike. Le système de contrôle de tir avancé intègre un auto-tracker et des systèmes optroniques pour le tireur et le commandant. Ces systèmes permettent une acquisition rapide des cibles et une grande précision de tir, même en mouvement. Le véhicule est propulsé par un moteur diesel MTU 8V199 TE20 développant 720 chevaux, couplé à une transmission automatique Allison. Les chenilles en caoutchouc composite fournies par Soucy Defense améliorent la mobilité et réduisent les vibrations, offrant ainsi un confort accru pour l’équipage.

Le Borsuk dispose également de deux jets d’eau à l’arrière pour les opérations amphibies, permettant des manœuvres agiles dans l’eau. Le véhicule est équipé de lance-grenades fumigènes pour créer des écrans de fumée protecteurs et d’un système de détection et suppression des incendies pour une sécurité accrue. Un système de protection NBC (nucléaire, biologique et chimique) et une unité de puissance auxiliaire (APU) assurent le fonctionnement des systèmes principaux même lorsque le moteur principal est éteint.

Production et perspectives futures

Lors du salon Eurosatory 2024 à Paris, la Pologne a présenté son dernier modèle de Borsuk, financé par le Centre national de recherche et de développement polonais. Cinq prototypes ont déjà été testés extensivement, prouvant la viabilité du design et la robustesse du véhicule dans des conditions variées. La production de 1 400 unités est prévue en plusieurs tranches pour remplacer les BMP-2 actuellement en service.

Avantages stratégiques

Le Borsuk offre des capacités de survie et de combat améliorées, grâce à une conception modulaire de l’armure qui peut être ajustée selon les besoins de la mission. Le blindage modulaire permet d’ajouter ou de retirer des panneaux d’armure pour adapter la protection du véhicule aux menaces spécifiques rencontrées sur le champ de bataille. Il est également équipé de lance-grenades fumigènes, d’un système de détection/suppression d’incendie et d’un système NBC pour la protection contre les menaces nucléaires, biologiques et chimiques.

La capacité amphibie du Borsuk lui permet de traverser des rivières et d’opérer dans des environnements marécageux, offrant une flexibilité opérationnelle qui peut être décisive dans de nombreux scénarios tactiques. Le système de propulsion et de suspension avancé assure une mobilité exceptionnelle sur des terrains variés, des routes pavées aux terrains accidentés.


Jean-Baptiste Giraud

Journaliste éco, écrivain, entrepreneur. Dir de la Rédac et fondateur d’EconomieMatin.fr. Fondateur de Cvox.fr. Officier (R) de gendarmerie.

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

États-Unis : l’hégémonie ou l’échec

par Michael BRENNER* – TRIBUNE LIBRE N°156 / juillet 2024 – CF2R

https://cf2r.org/tribune/etats-unis-lhegemonie-ou-lechec/


*Professeur émérite d’affaires internationales à l’Université de Pittsburgh et membre du Center for Transatlantic Relations à SAIS/Johns Hopkins. Michael Brenner a été directeur du programme de relations internationales et d’études mondiales à l’université du Texas. Il a également travaillé au Foreign Service Institute, au ministère américain de la Défense et à Westinghouse. Il est l’auteur de nombreux livres et articles portant sur la politique étrangère américaine, la théorie des relations internationales, l’économie politique internationale et la sécurité nationale.

La nouveauté amène les observateurs à fouiller dans leur inventaire d’idées et de concepts pour en trouver un qui corresponde à la situation internationale que nous connaissons. Son application est censée donner un peu de sens aux nouveaux phénomènes qui apparaissent. Nombreux sont ceux qui se contentent de cela, même si leur description comporte des dénominations inappropriées ou des connotations ambiguës. Il en va ainsi de concepts tels que « populisme », « fascisme » et « hégémonie ». Tous sont en vogue ; tous sont employés à toutes les sauces si bien que ces termes ont perdu toute capacité de clarification pour expliquer les phénomènes en question.

Examinons le dernier en date : l’hégémonie. Ce terme occupe une place centrale dans le discours actuel sur la place des États-Unis dans le monde : ce qu’elle a été, sa durabilité et la manière qu’ils ont de formuler les intérêts nationaux du pays.

 

Hégémonie 

L’hégémonie est la domination sur des lieux, des élites politiques, des institutions de manière à contrôler ce qu’un État fait dans son propre intérêt. Cette domination peut varier en termes de portée, de méthodes et de degrés de contrôle. L’hégémonie américaine, dont on a beaucoup parlé après la Seconde Guerre mondiale, était géographiquement délimitée par le bloc communiste qui se trouvait en dehors de son champ d’action. Après 1991, elle a pris une dimension mondiale, l’objectif étant de consolider la primauté et la domination des États-Unis. C’est toujours le cas aujourd’hui. (Elle a été énoncée pour la première fois dans le fameux mémorandum Wolfowitz en février 1992, qui est devenu depuis lors le modèle de la politique étrangère américaine[1]). Pendant la Guerre froide, la préoccupation des États-Unis était la sécurité, leurs moyens étant principalement militaires – bien qu’étayés par un réseau dense de relations économiques favorables partiellement institutionnalisées. Au cours des trente années qui ont suivi (1992-2022), l’accent s’est progressivement déplacé vers la stratégie politico-économique à multiples facettes du néolibéralisme. Ce changement dans l’équilibre entre puissance « dure » et « semi-douce » n’a jamais éclipsé les considérations purement militaires, comme en témoignent :

  1. a) l’engagement publiquement déclaré du Pentagone en faveur d’une supériorité militaire à large spectre afin d’assurer une domination par escalade dans chaque région contre tout ennemi imaginable,
  2. b) les interventions dispersées menées au nom de la guerre mondiale contre la terreur,
  3. c) l’expansion incessante de l’OTAN.

La volonté de Washington d’utiliser la force pour imposer sa volonté, qui s’exprime aujourd’hui par une attitude agressive à l’égard de la Russie et de la Chine, n’a pas éteint la croyance idéaliste kantienne selon laquelle la propagation de la démocratie constitutionnelle, accompagnée des récompenses tangibles promises par l’indépendance économique mondiale, est la garantie la plus sûre de la stabilité internationale. Une stabilité supervisée par une Amérique bienveillante. L’accomplissement de cette téléologie présumée, cependant, a dicté l’utilisation de la puissance dure pour contrecarrer ou subjuguer ceux qui pourraient la défier.

Aujourd’hui, les élites politiques américaines se trouvent dans une position où l’objectif de l’hégémonie mondiale est devenu inaccessible – selon toute norme raisonnable, pour des raisons objectives. Pourtant, elles ne veulent pas – ou ne peuvent pas – accepter cette conclusion logique. Cette réticence est à la fois intellectuelle, idéologique et émotionnelle. La psychologie complexe d’une grande puissance en déclin qui jouissait d’un respect sans précédent au-delà de ses frontières, fondée sur la croyance en une exception innée la destinant à être le point de mire d’idées qui allaient remodeler le monde, rend l’analyse de ce comportement déconcertante. Ce que nous pouvons dire, c’est que la perspective d’un statut réduit est intolérable, même si la sécurité et le bien-être du pays ne sont pas directement menacés. La quête compulsive d’une sécurité absolue et d’une supériorité naturelle imaginaires ne permet pas aux Américains de se contenter de ce qu’ils ont accompli chez eux et à l’étranger. En effet, ce à quoi le pays aspirait et qu’il se sentait sur le point d’accomplir est en train de lui échapper. Le fossé entre les aspirations et la réalité se creuse d’année en année. C’est là que le bât blesse.

L’affaiblissement des performances est l’une des choses les plus difficiles à gérer pour l’être humain, qu’il s’agisse d’un individu ou d’une nation.  Par nature, nous apprécions notre force et notre compétence ; nous redoutons le déclin et ses signes d’extinction. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où, pour beaucoup, l’individu et la personnalité collective sont inséparables. Aucun autre pays n’essaie aussi inlassablement de vivre sa légende que les États-Unis. Pour de nombreux Américains – à l’ère de l’anxiété et de l’insécurité – le sentiment d’estime de soi et de valeur personnelle est fondé sur leur association intime avec l’appartenance à une nation vertueuse et dotée d’un pouvoir unique. Aujourd’hui, des événements se produisent qui contredisent le récit américain d’une nation au destin exceptionnel. Cela crée une dissonance cognitive et un malaise[2].

La remarquable uniformité de pensée parmi les membres influents de la classe politique empêche d’affronter ce dilemme de front. Il n’y a pratiquement aucun débat sérieux sur les objectifs et les moyens de la politique étrangère – du moins, parmi ceux qui ont accès aux couloirs du pouvoir décisionnel. Tous observent la même écriture sainte et chantent le même cantique. Résultat : une pensée de groupe profondément ancrée, imperméable aux preuves contradictoires qui sont ignorées, rejetées ou déformées pour correspondre aux idées préconçues. Cela soulève une question troublante : la conduite des États-Unis sur la scène internationale doit-elle être comprise comme une détermination raisonnée à suivre la voie choisie, quelles que soient les chances d’atteindre son objectif ambitieux ? Ou bien observons-nous des actions compulsives enracinées dans des émotions et des états d’esprit profondément ancrés, réifiés dans l’hégémonie doctrinale ?

 

Pourquoi l’hégémonie ?

La préoccupation première de tout État est sa sécurité. Cela découle de la nature intrinsèque des affaires internationales. La caractéristique distinctive de cet environnement est que chaque entité détermine quand et comment elle peut utiliser la force pour atteindre ses objectifs – il n’y a pas d’autorité supérieure qui fixe et applique des règles de comportement. D’où l’omniprésence de situations de conflit potentiel auxquelles les États doivent se préparer. C’est la caractéristique des relations internationales. Ce truisme soulève toutefois des questions fondamentales. La situation dans laquelle se trouve un État n’est pas figée ; il existe une multitude de configurations stratégiques, chacune ayant ses caractéristiques propres. De même, il existe un éventail de politiques qu’un État pourrait suivre pour se protéger dans l’une ou l’autre de ces conditions.

Évidemment, ces options théoriques sont limitées par la force relative des parties concernées, les ressources nationales, les degrés de cohésion interne, les idéologies dominantes, etc. Néanmoins, il existe d’autres façons de définir ses besoins en matière de sécurité et de formuler des stratégies pour y répondre. Cela vaut même lorsque le « potentiel de réponse discrétionnaire » est limité par des conditions objectives.

La détermination de ce qui constitue une situation de sécurité satisfaisante est fonction des jugements portés par les principaux décideurs dans le contexte et l’histoire propres à leur pays. À une extrémité du continuum se trouve la recherche de la sécurité absolue – ou d’une certaine approximation de celle-ci. Même dans ce cas, il convient d’évaluer le calendrier réalisable/préférable. Une sécurité absolue à perte de vue stratégique ? Pour cette génération ? Jusqu’à ce qu’un changement envisagé dans l’équilibre des forces se produise ?

La pensée dominante aux États-Unis se situe vers ce point absolutiste du continuum. En outre, elle penche fortement vers le long terme, voire la permanence. C’est compréhensible. Pendant les quelque 130 premières années de leur existence, les États-Unis ont été protégés par la géographie contre les menaces pesant sur leur intégrité physique et politique. La seule exception était le danger planant posé dans les premières années par une Grande-Bretagne qui nourrissait l’espoir d’un châtiment et d’une restauration, comme cela s’est manifesté lors de la guerre de 1812. Au cours du siècle suivant, les Américains ne se sont engagés dans des conflits avec d’autres États qu’en raison de leurs propres ambitions d’étendre leurs territoires. (contre l’Espagne en 1819 et 1898 ; contre le Mexique en 1848). Il s’agissait de choix, en aucun cas d’une nécessité. Il en va de même pour l’entrée dans la Première Guerre mondiale. Les dirigeants de Washington étaient manifestement plus à l’aise avec le statu quo d’avant-guerre qu’avec une Europe dominée par une Allemagne triomphante. Néanmoins, l’évaluation de la menace était plus abstraite que concrète et – telle qu’elle était – ne pouvait pas être réalisée dans un avenir proche. C’est donc à juste titre qu’elle a été qualifiée de « guerre de choix » plutôt que de guerre de nécessité sécuritaire. Il était naturel, sinon prédestiné, que les États-Unis reviennent au néo-isolationnisme pendant l’entre-deux-guerres.

La confiance des Américains dans leur insularité face à des menaces tangibles pour leur sécurité a ensuite été ébranlée par trois événements : Pearl Harbor ; l’explosion d’une bombe nucléaire par l’Union soviétique ; et le 11 septembre 2001. Ce dernier événement est survenu dix ans après la disparition de la menace de l’URSS. Au cours de la décennie écoulée, les élites politiques des États-Unis se sont senties rassurées par le fait que la sécurité quasi absolue du pays pouvait être rétablie. Le défi consistait à exploiter les conditions favorables à l’échelle mondiale pour établir une hégémonie américaine bienveillante dans laquelle aucune menace ne pourrait se matérialiser. Une stratégie multiforme était nécessaire pour étendre et approfondir l’influence américaine, pour affirmer l’allégeance et la déférence des autres États, et pour se préparer à l’utilisation de la force si nécessaire pour prévenir l’émergence de tout rival militaire potentiel. Telle est la logique sous-jacente de la doctrine Wolfowitz.

À l’heure actuelle, son enracinement dans l’esprit des dirigeants du pays est illustré par notre attitude de confrontation à l’égard de la Russie, de la Chine, de l’Iran et d’une série d’États moins redoutables que Washington considère comme hostiles ou antagonistes, d’une manière ou d’une autre. Comme l’a déclaré Joe Biden le 5 juillet 2024 : « non seulement je fais campagne, mais je dirige le monde ». Cela peut sembler une hyperbole, mais nous sommes la nation essentielle du monde. Interpolation : Nous devrions diriger le monde entier – pour le bien du monde et pour le nôtre.

L’expression « notre intérêt » implique un besoin. Quelle sorte de besoin ? Il ne s’agit pas d’un besoin de sécurité manifeste puisqu’il n’existe pas de menace manifeste pour l’intégrité territoriale ou l’intégrité politique des États-Unis. Il ne s’agit pas non plus d’une menace pour nos principaux alliés ou partenaires, même si l’on s’imagine que Poutine est un autre Hitler et qu’il existe un complot diabolique de la Chine pour nous remplacer en tant que suprématie mondiale. Ce qui est menacé, c’est l’hégémonie américaine telle que la conçoit Wolfowitz. Cette hégémonie est nécessaire non pas pour des raisons de sécurité, mais plutôt pour confirmer le droit des États-Unis à l’exceptionnalisme et à la suprématie, ancrés dans la psyché et le credo nationaux.

Tel était l’état des lieux lorsque l’équipe Biden, composée de néo-conservateurs et de nationalistes purs et durs, est arrivée au pouvoir. Ils ont ressenti un sentiment d’urgence. Trump avait été trop erratique dans ses relations avec Moscou et Pékin, en dépit d’une batterie de sanctions. Pendant qu’il « tergiversait », la Chine et la Russie se sont renforcées, ce qui exigeait une réaction rapide de peur que leur progression n’échappe à tout contrôle. Ces deux nations avaient le couteau entre les dents ; elles avaient un plan. Les principaux acteurs internationaux partageaient alors une carte cognitive claire – bien qu’unidimensionnelle – de l’environnement mondial : l’objectif était gravé dans le granit et leur croyance en l’efficacité de la puissance américaine était sans réserve. Les principaux éléments étaient les suivants. La Russie devait être neutralisée en tant que grande puissance, soit en l’incitant à s’abriter sous l’aile de l’Occident afin de se protéger du vorace « péril jaune » à sa frontière, soit en l’affaiblissant gravement par une combinaison d’expansion de l’OTAN et de sanctions économiques, dans l’espoir que cela conduise au remplacement de Poutine par un dirigeant plus conciliant. Joe Biden en mars 2022 : « Cet homme doit partir« . La Chine devait être contenue par la formation d’une ceinture d’alliances dirigées par les Américains en Asie, associée à des mesures destinées à restreindre son accès aux marchés, aux technologies et aux finances de l’Occident. En outre, des mesures concrètes seraient prises pour promouvoir l’indépendance de Taïwan tout en renforçant ses défenses. Les « Bidens » s’attendaient à ce qu’une telle stratégie entraîne une stagnation de l’économie chinoise et une diminution proportionnelle de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Quant aux autres parties hostiles, elles pourraient être traitées en mobilisant l’arsenal  de coercition militaire de l’Amérique contre elles.

Cette stratégie de grande envergure impliquait un changement fondamental non seulement dans les objectifs, mais aussi dans le calcul des risques. Pendant la Guerre froide avec l’URSS, les calculs de Washington étaient tempérés par la prudence. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Un historien de l’Antiquité caractérisait ainsi les relations entre les deux grands empires de Rome et des Parthes : « Chaque empire devait respecter les sensibilités de l’autre. Pousser trop loin risquait d’entraîner une guerre bien plus grave qu’aucune des deux parties ne souhaitait »[3]. Les dirigeants américains d’aujourd’hui, qui ne ménagent pas leurs efforts, considèrent cette attitude comme un souvenir désuet d’une époque révolue.

Ces plans de Washington à l’égard de la Russie et de la Chine ont eu en commun 1) d’être fondés sur une profonde méconnaissance des deux pays ; et 2) de surestimer grossièrement la puissance de l’Occident par rapport à ses rivaux présumés. La démonstration brutale, par la débâcle de l’Ukraine et la résistance économique de la Chine, que toutes les hypothèses de Washington étaient fausses n’a pas encore été assimilée par la communauté américaine des affaires étrangères.

La vérité évidente est que la force croissante du bloc sino-russe rend impossible la réalisation de l’objectif hégémonique. En effet, la trajectoire actuelle indique un changement inexorable des lieux de pouvoir et d’interaction internationaux vers un système mondial différent (bien que toujours interdépendant), multinodal – pour reprendre le terme approprié de Chas Freeman.

Le sentiment exalté qu’a l’Amérique d’elle-même est le principal obstacle qui l’empêche d’accepter cette réalité inconfortable. Elle a suscité l’envie de se prouver à elle-même (et au reste du monde) qu’elle reste le paladin mondial en lançant une série d’entreprises destinées à repousser ses ennemis et ses rivaux tout en revigorant les liens avec ses vassaux et ses fidèles. Cette ambition audacieuse et vouée à l’échec de s’assurer une domination mondiale n’est pas le fruit d’un jugement stratégique froid. Il s’agit plutôt de la matérialisation de fantasmes nés au plus profond de la psyché collective américaine. C’est la stratégie de la fuite en avant d’un pays souffrant d’une profonde dissonance cognitive aggravée par une crise d’identité collective.

Les États-Unis se sont enfermés dans une voie qui ne permet aucune déviation, aucune adaptation, aucune décélération.  Tout ou rien : l’hégémonie ou l’Armageddon. Cette détermination sans faille les rend aveugles aux développements qui modifient les chances de cette issue. Ces évolutions ne se produisent pas seulement dans la partie du monde où se trouvent les BRICS. La performance honteuse de l’Amérique en tant que complice des crimes odieux commis contre les Palestiniens a dissous la position des États-Unis dans le monde en tant que force morale, en tant que pays intègre et animé d’intentions décentes. C’est la fin du soft power tel qu’il existait. Bien sûr, les souhaits de Washington sont toujours considérés comme des ordres autoritaires par sa coterie de vassaux dénaturés dont le degré collectif de contrôle sur leurs propres affaires, ainsi que sur les mots, se réduit encore plus vite que celui de leur suzerain.

 

Une alternative est possible

Il existe une autre alternative, radicale, fondée sur la conviction qu’il est possible d’élaborer une stratégie à long terme visant à entretenir des liens cordiaux avec la Russie et la Chine et à favoriser les domaines de coopération. Cette stratégie reposerait sur la reconnaissance commune qu’un engagement mutuel en faveur du maintien de la stabilité politique et de l’élaboration de mécanismes de prévention des conflits sert au mieux leurs intérêts à long terme. Cette idée n’est pas aussi farfelue qu’on pourrait le croire à première vue.

L’idée d’un concert des grandes puissances vient à l’esprit. Toutefois, nous devrions envisager un arrangement assez différent du concert historique de l’Europe qui a vu le jour à la Conférence de Vienne au lendemain des guerres napoléoniennes (1815). D’une part, l’objectif ne serait pas de renforcer le statu quo par la double stratégie consistant à s’abstenir de tout conflit armé entre les États signataires et à réprimer les mouvements révolutionnaires susceptibles de mettre en péril les régimes en place. Les caractéristiques de ce concert étaient les suivantes : la concentration du pouvoir entre les cinq grands cogestionnaires du système, l’étouffement des réformes politiques dans toute l’Europe et le mépris des forces apparaissant en dehors de leur champ d’action.

En revanche, un concert contemporain entre les grandes puissances assumerait la responsabilité de prendre la tête de la conception d’un système mondial fondé sur les principes complémentaires d’ouverture, d’égalité souveraine et de promotion de politiques qui produisent des résultats à somme positive. Plutôt que d’être dirigées par un directoire, les affaires internationales seraient structurées par :

  1. a) des institutions internationales dont la philosophie serait modifiée, ouvertes à la prise de décision multilatérale et adoptant des mesures de déconcentration qui donneraient des pouvoirs aux organismes régionaux ;
  2. b) un modèle de consultation entre les gouvernements qui, par leur poids économique et leurs capacités militaires, devraient tout naturellement jouer un rôle informel dans le fonctionnement du système ;
  3. c) des mesures visant à régulariser la participation d’autres États.

Quid de la légitimité ? Elle doit être établie par la conduite et la performance. La chute drastique du respect pour le leadership mondial américain facilitera ce processus – comme le démontrent déjà les succès des BRICS.

Le point de départ crucial d’un tel projet est une rencontre des esprits entre Washington, Pékin et Moscou – accompagnée d’un dialogue avec New Delhi, Brasilia, etc. Il y a des raisons de croire que les conditions, objectivement parlant, sont propices à une entreprise de cet ordre depuis plusieurs années. Cependant, l’Occident ne l’a jamais reconnu et l’a encore moins sérieusement envisagé – une occasion historique perdue.

Le facteur suffisant le plus important est le tempérament des dirigeants chinois et russes. Xi et Poutine sont des dirigeants rares. Ils sont sobres, rationnels, intelligents, très bien informés, capables d’une vision large et, tout en se consacrant à la défense de leurs intérêts nationaux – avant tout le bien-être de leurs peuples -, ils ne nourrissent pas d’ambitions impériales. En outre, ils sont chefs d’État depuis longtemps. Ils disposent du capital politique nécessaire pour investir dans un projet d’une telle ampleur et d’une telle perspective. Malheureusement, Washington n’a pas eu de dirigeants au caractère et aux talents similaires.

Les réunions au sommet de Bush, Obama, Trump ou Biden se sont toujours concentrées sur des questions de détail ou sur des instructions concernant ce que leur homologue devrait faire pour se conformer à la vision américaine du monde. Dans les deux cas, il s’agit d’une perte de temps précieux par rapport à l’impératif de promouvoir une perspective mondiale commune à long terme. Pour entamer un dialogue sérieux, il serait judicieux qu’un président doté de qualités d’homme d’État s’assoie seul avec Poutine et Xi et leur pose la question suivante : « Que voulez-vous, président Poutine/président Xi ? Comment voyez-vous le monde dans 20 ans et la place de votre pays dans ce monde ? » Seraient-ils prêts à donner une réponse articulée ? Poutine, certainement. C’est exactement ce qu’il a proposé depuis 2007, à de nombreuses reprises, de vive voix ou dans ses écrits. Au lieu de cela, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir et, depuis 2014, a été traité comme un paria menaçant qu’il faut diffamer et insulter personnellement. 

Voici le point de vue de Barack Obama : Le président russe est un homme « physiquement banal« , comparé aux « patrons de quartier durs et rusés qui dirigeaient la machine de Chicago« . Ce commentaire, tiré du premier volume des mémoires publiées par Obama[4], en dit plus long sur son propre ego, à la fois gonflé et vulnérable, que sur le caractère de Poutine. En fait, c’est la machine de Chicago, ainsi que l’argent et les encouragements du réseau Pritzker[5], qui ont fait d’Obama ce qu’il est devenu. Contraste : lorsque Bismarck a rencontré Disraeli lors de la conférence de Berlin de 1878 – allant même jusqu’à l’inviter deux fois à manger chez lui, alors qu’il était juif – il n’a pas harcelé le Premier ministre britannique au sujet des restrictions commerciales imposées aux exportations allemandes de textiles et de produits métallurgiques, ni au sujet des mauvais traitements systématiques infligés par les Britanniques aux travailleurs des plantations de thé dans l’Assam. Il n’a pas non plus commenté son physique. Bismarck était un homme d’État sérieux, contrairement aux personnes à qui nous confions la sécurité et le bien-être de nos nations. 

Le résultat est que Poutine et Xi semblent perplexes quant à la manière de traiter avec leurs homologues occidentaux incapables qui ignorent les préceptes élémentaires de la diplomatie. Cela devrait également nous préoccuper – à moins, bien sûr, que nous n’ayons l’intention de mener notre « guerre » de manière linéaire, en faisant peu de cas de la réflexion des autres parties

Le vitriol que ses homologues occidentaux jettent sur Poutine avec une telle véhémence a quelque chose d’énigmatique. Cette attitude est manifestement disproportionnée par rapport à ce qu’il a fait ou dit, même si l’on déforme l’histoire sous-jacente de l’Ukraine. La condescendance d’Obama suggère une réponse. Au fond, son attitude reflète l’envie dans le sens où il a inconsciemment reconnu en Poutine quelqu’un qui lui est clairement supérieur en termes d’intelligence, de connaissance des questions contemporaines et de l’histoire, d’éloquence, de sens politique et – très certainement – d’habileté diplomatique. Essayez d’imaginer l’un de nos dirigeants imitant la performance de Poutine en organisant des séances de questions-réponses de trois heures avec la presse internationale ou avec des citoyens de tous bords, répondant directement, en détail, de manière cohérente et de bonne grâce. Biden ? Trudeau ? Scholz ? Sunak ? Starmer ? Macron ? Von der Leyen ? Kaja Kallis ? Même pas Barack Obama qui nous servirait des sermons en conserve dans un langage de haute voltige n’ayant pas grand-chose à voir avec la réalité. C’est pourquoi la classe politique occidentale évite assidûment de prêter attention aux discours et aux conférences de presse de Poutine – loin des yeux, loin du cœur. Elle préfère agir en se référant à la caricature plutôt qu’à l’homme réel.

Aujourd’hui, à l’ère de l’Ukraine, le consensus rigide de Washington est que Vladimir Poutine est la quintessence du dictateur brutal – fou de pouvoir, impitoyable et n’ayant qu’une prise ténue sur la réalité. En effet, il est devenu courant de l’assimiler à Hitler, comme l’ont fait des figures de proue de l’élite du pouvoir américain telles que Hillary Clinton et Nancy Pelosi, ainsi que des « faiseurs d’opinion » à foison. 203 titulaires du prix Nobel ont mêm prêté leur cerveau collectif et leur notoriété à une « lettre ouverte » dont la première phrase associe l’attaque de la Russie contre l’Ukraine à l’assaut d’Hitler contre la Pologne en septembre 1939. 

Malheureusement, l’argument selon lequel ceux qui prennent des décisions cruciales en matière de politique étrangère devraient se donner la peine de savoir de quoi ils parlent est largement considéré comme radical, voire subversif. En ce qui concerne Poutine, il n’y a absolument aucune excuse pour une telle ignorance à son égard. Il a présenté son point de vue sur la manière dont la Russie envisage sa place dans le monde, ses relations avec l’Occident et les règles d’un système international souhaité. Il a fait cela  de manière complète, éclairée par l’histoire et plus cohérente que n’importe quel autre dirigeant national que je connaisse. Les déclarations à l’emporte-pièce « nous sommes le numéro un et nous le serons toujours – vous feriez mieux de le croire » (Obama) ne sont pas son style. Le fait est que l’on peut être troublé par ses conclusions, mettre en doute sa sincérité, soupçonner des courants de pensée cachés ou dénoncer certaines actions. Mais cela n’a de crédibilité que si l’on s’est intéressé à l’homme en se basant sur les éléments disponibles et non sur des caricatures de dessins animés. De même, nous devrions reconnaître que l’attitude de la Russie n’est pas du spectacle et qu’il nous incombe de prendre en compte la réalité plus complexe de la gouvernance et de la politique russes.

Le président chinois Xi a échappé à la diffamation personnelle dont Poutine a fait l’objet – jusqu’à présent. Mais Washington n’a pas fait plus d’efforts pour engager avec lui une discussion sur la forme future des relations sino-américaines et sur le système mondial dont ils sont destinés à être ensemble les principaux gardiens. Xi est plus insaisissable que Poutine. Il est beaucoup moins direct, plus réservé et incarne une culture politique très différente de celle des États-Unis ou de l’Europe. Pourtant, ce n’est pas un idéologue dogmatique ni un impérialiste avide de pouvoir. Les différences culturelles peuvent trop facilement devenir une excuse pour éviter l’étude, la réflexion et l’exercice d’imagination stratégique qui s’imposent.

L’approche décrite ci-dessus vaut les efforts – et les faibles coûts – qu’elle entraine. En effet, ce sont les accords entre les trois dirigeants (et leurs collègues de haut rang) qui sont de la plus haute importance. En d’autres termes, il s’agit de s’entendre sur la manière dont ils perçoivent la forme et la structure des affaires mondiales, sur les points où leurs intérêts s’opposent ou convergent, et sur la manière de relever le double défi consistant à : 1) gérer les points de friction qui peuvent surgir ; et 2) travailler ensemble pour assurer les fonctions de « maintenance du système » dans les domaines de l’économie et de la sécurité.

À l’heure actuelle, il n’y a aucune chance que les dirigeants américains aient le courage ou la vision nécessaire pour s’engager dans cette voie. Ni Biden et son équipe, ni leurs rivaux républicains ne sont à la hauteur. En vérité, les dirigeants américains sont psychologiquement et intellectuellement incapables de réfléchir sérieusement aux conditions d’un partage du pouvoir avec la Chine, avec la Russie ou avec n’importe qui d’autre – et de développer des mécanismes pour y parvenir à différentes échéances. Washington est trop préoccupé par l’équilibre naval en Asie de l’Est pour réfléchir à des stratégies générales. Ses dirigeants sont trop complaisants à l’égard des failles profondes de nos structures économiques, et trop gaspilleurs en dissipant des billions dans des entreprises chimériques visant à exorciser un ennemi mythique pour se préparer à une entreprise diplomatique du type de celle à laquelle une Amérique égocentrique n’a jamais été confrontée auparavant.

Nous sommes proches d’un état qui se rapproche de ce que les psychologues appellent la « dissociation ».  Elle se caractérise par une incapacité à voir et à accepter les réalités telles qu’elles sont pour des raisons émotionnelles profondes. La tension générée pour une nation ainsi constituée lorsqu’elle est confrontée à la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est constituée par les attitudes et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes.


[1] Le credo de Wolfowitz anime presque tout le monde : les néo-cons classiques, les néo-cons machistes et les néo-impérialistes bruts. Les quelques non-croyants n’ont rien à voir avec le discours de politique étrangère de l’Amérique. Si vous préconisez un engagement avec Téhéran et un dialogue avec Poutine, vous êtes rejeté comme hérétique – comme les gnostiques, puis les Cathares, sauf que ces derniers ont au moins reconnu le Christ (l’exceptionnalisme américain) et Satan (Poutine/Khamenei) avant qu’on ne leur administre leur juste châtiment.

Ce récit historique met en évidence deux caractéristiques tout à fait remarquables du consensus actuel des élites, qui porte l’empreinte du modèle Néo-Con/Wolfowitz :

– premièrement, sa conquête presque totale de l’esprit américain a réussi malgré un record inégalé d’échecs – dans l’analyse et dans l’action : Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Iran, Yémen, Somalie, Mali, Biélorussie, Venezuela, Bolivie – le tout couronné par la catastrophe en Ukraine que nous avons chorégraphiée (erreur fatale de lecture de la Russie) ;

– deuxièmement, l’administration Biden a presque officiellement annoncé que nous étions désormais engagés dans une guerre hybride globale contre un bloc sino-russe – un rival puissant qui a vu le jour parce que nous avons fait tout ce qui était concevable pour l’encourager. Pourtant, l’élite de la politique étrangère, la classe politique et le public ont accueilli la nouvelle de ce combat titanesque sans broncher. Le pays s’est engagé sur une voie funeste dans un état d’inconscience induit par une coterie volontaire de vrais croyants inspirés par un dogme enveloppé d’ignorance et poursuivis dans une incompétence stupéfiante.

[2] Sur le plan psychologique, cette approche est compréhensible, car elle joue sur la force des États-Unis : une confiance en soi démesurée associée à une force matérielle – perpétuant ainsi les mythes nationaux d’être destiné à rester le numéro un mondial pour toujours, et d’être en position de façonner le système mondial selon les principes et les intérêts américains. Le président Obama s’est exclamé : « Laissez-moi vous dire quelque chose.  Les États-Unis d’Amérique sont la nation la plus puissante de la planète.  Un point c’est tout. Cette période est loin d’être finie [répété trois fois !]« .  Et alors ?  S’agit-il d’une révélation ? Quel est le message ? À qui s’adresse-t-il ?  Est-ce différent de quelqu’un qui crierait : Allah Akbar ! Les mots qui ne sont ni un prélude à l’action, ni une incitation à l’action, ni même une information, ne sont que du vent.  En tant que telles, elles constituent un autre moyen d’évitement – une fuite de la réalité. Elles ne trouvent pas d’oreilles attentives à Londres, Bruxelles, Berlin et Canberra. Lors des sommets de l’OTAN et du G7, on entend la récitation en chœur de la Shahada : « Il n’y a qu’un seul Dieu – l’Oncle Sam – et Wolfowitz est son prophète ». Pourtant, aucun président n’ose répéter l’exclamation d’Obama à Moscou, Pékin, New Delhi, Brasilia, Riyad, Brasilia, Jakarta ….

La tension associée à la rencontre d’une nation ainsi constituée avec la réalité objective n’oblige pas à une prise de conscience accrue ou à un changement de comportement si la caractéristique dominante de cette réalité est l’attitude et les opinions exprimées par d’autres personnes qui partagent les illusions sous-jacentes. Ce phénomène s’accompagne d’une appréhension croissante dans le pays que la suprématie des États-Unis dans le monde est en train de s’évanouir, de la sensation de perdre ses prouesses nationales, de voir sa maîtrise menacée. Cela génère une préférence pour la recherche de résultats clairs dans un délai relativement court, qui rassurent en confirmant la croyance optimiste en l’exceptionnalisme américain.

[3] Adrian Goldsworthy Rome and Persia : The Seven Hundred Year Rivalry, Basic Books, 2023.

[4] Une terre promise, Fayard, 2020.

[5] Famille de milliardaires américains qui joue un rôle majeur dans la vie politique des Etats-Unis depuis plusieurs générations.

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les bombardiers chinois H-6 s’aventurent en Alaska : Quelles conséquences pour les États-Unis ?

Les Bombardiers Chinois H 6 Saventurent En Alaska Quelles Consequences Pour Les Etats Unis

Le 24 juillet, un événement sans précédent a été révélé par le Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD). Pour la première fois, les bombardiers stratégiques H-6 de l’Armée populaire de libération de la Chine, opérant en conjonction avec les forces aérospatiales russes, ont été détectés dans la zone d’identification de défense aérienne (ADIZ) de l’Alaska. Cet incident marque une escalade significative dans les démonstrations de force militaire entre les grandes puissances mondiales.

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Une interception spectaculaire

La formation de quatre bombardiers chinois a été rapidement interceptée par des chasseurs F-16, F/A-18 Hornet et F-35A des forces aériennes américaines et canadiennes. Des photos et vidéos de l’événement ont circulé rapidement, notamment grâce au ministère russe de la Défense, illustrant l’importance de cet événement pour les observateurs internationaux.

L’interception a été effectuée alors que les bombardiers chinois, accompagnés d’avions russes, survolaient une zone stratégique sensible pour les États-Unis. Les avions de chasse américains et canadiens ont été dépêchés pour surveiller et escorter les avions chinois hors de l’ADIZ, démontrant la vigilance constante des forces de défense nord-américaines face aux incursions étrangères.

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Une collaboration sino-russe renforcée

Bien que ce ne soit pas la première patrouille conjointe sino-russe, c’est la première fois que des H-6 chinois sont déployés dans l’ADIZ de l’Alaska, une zone habituellement fréquentée par des avions de combat russes, américains et canadiens. Cette manœuvre indique un renforcement de la coopération militaire entre la Chine et la Russie, ainsi qu’une augmentation de leur capacité de réponse combinée face à des adversaires régionaux comme les États-Unis.

Les patrouilles conjointes sino-russes ont jusqu’à présent été limitées aux zones comme la mer de Chine orientale et le Pacifique occidental, avec des formations incluant des bombardiers H-6 et Tu-95MS, escortés par des chasseurs Su-35S et Su-30SM. L’extension de ces opérations à l’ADIZ de l’Alaska reflète une volonté stratégique de démontrer la capacité des deux nations à projeter leur puissance loin de leurs bases traditionnelles.

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Les implications stratégiques

Les bombardiers H-6, notamment dans leur variante H-6K, sont capables de lancer des missiles de croisière et potentiellement des missiles hypersoniques, comme le 2PZD-21 (KD-21) ALBM. Cette capacité, combinée à l’allongement de leur rayon d’action grâce à des ravitaillements en vol ou à des bases avancées, rend ces avions particulièrement redoutables.

La variante H-6K est équipée de moteurs D-30KP-2, offrant une meilleure performance et une plus grande portée que les versions précédentes. De plus, l’intégration de systèmes électroniques modernes et d’avionique avancée permet à ces appareils de réaliser des missions complexes avec une précision accrue.

Si ces avions ont effectivement décollé de bases en Russie, cela pourrait signifier une nouvelle dimension dans l’aviation de combat stratégique de la Chine, avec une portée étendue jusqu’aux zones territoriales américaines. Cette capacité de frappe à longue distance permettrait à la Chine de projeter sa puissance jusqu’aux côtes nord-américaines, une perspective qui inquiète les stratèges militaires américains.

Le futur de l’Arctique en jeu

Les analystes militaires ont souligné que l’Arctique, en raison du changement climatique et de l’ouverture de nouvelles voies maritimes, pourrait devenir un nouveau théâtre de confrontation entre les États-Unis et la Chine. La présence de ces bombardiers dans l’ADIZ de l’Alaska est un signal clair de l’intérêt croissant de la Chine pour cette région stratégique.

L’Arctique est riche en ressources naturelles, notamment en hydrocarbures, et l’ouverture de nouvelles routes maritimes pourrait réduire considérablement les temps de transport entre l’Asie et l’Europe. Cette nouvelle dynamique géopolitique pousse les grandes puissances à renforcer leur présence militaire et économique dans la région, accentuant les risques de tensions.

L’incident du 24 juillet dans l’ADIZ de l’Alaska est un rappel puissant de la dynamique géopolitique en évolution rapide et de l’importance stratégique croissante de l’Arctique. Alors que la compétition pour la suprématie mondiale s’intensifie, des démonstrations de force comme celle-ci deviendront probablement plus fréquentes, redéfinissant les alliances et les rivalités mondiales.

Cet événement historique souligne la nécessité pour les observateurs internationaux de rester vigilants face aux manœuvres militaires et aux développements stratégiques dans cette région clé du globe. La vigilance et la préparation resteront essentielles pour les forces armées nord-américaines afin de répondre efficacement à ces nouvelles menaces et de protéger les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés.


*Rédactrice spécialisée dans la défense, les armées, et l’industrie aéronautique et spatiale. Expertise en aviation civile et militaire, je couvre également les domaines de la défense, des drones, et des enjeux industriels, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

L’Otan en Asie-Pacifique, la montée des tensions

L’Otan en Asie-Pacifique, la montée des tensions

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par Alex Wang* – Revue Conflits – publié le 25 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/lotan-en-asie-pacifique-un-reve-eveille-delirant-et-dangereux/


Lors du sommet de l’Otan à Washington, le communiqué final a ciblé à plusieurs reprises la Chine. Une dégradation des relations qui marque la hausse des tensions entre l’Otan et l’Asie.

Les déclarations contradictoires de l’Otan, à l’issue du Sommet de Washington, rappellent les cinq étapes de Kübler-Ross, en particulier la première étape : le déni de la réalité. [1] Le monde a changé, nous ne sommes plus dans la guerre froide ni dans l’unipolarité post-guerre froide. Refusant de l’accepter, l’Otan s’enlise dans des mensonges, inventant une réalité alternative pour lutter contre son angoisse grandissante, par exemple en rêvant d’établir son pendant en Asie-Pacifique. Cela ne manquera pas de créer plus de troubles et de conflits.

L’Otan (Organisation du Traité de l’Atlantique Nord) a été créée en 1949 pour la défense de l’Atlantique Nord. Après la dissolution de l’Union soviétique, elle est devenue une organisation obsolète mais ne veut pas reconnaître et accepter cette réalité, cherchant (inventant) désespérément par tous les moyens sa nouvelle mission et devenant un faiseur de troubles (trouble maker).

Que dit l’Otan ?[2]

L’Otan a récemment célébré ses 75 ans en grande pompe à Washington. Cependant, la lecture de la déclaration issue du Sommet nous a laissés complètement stupéfaits. Nous ne savons pas si nous devons la considérer comme un document géopolitique ou comme un résumé de symptômes psychiatriques.

L’Otan est intimement convaincue qu’elle est une alliance défensive

Curieusement, pendant la guerre froide, l’Otan a largué très peu de bombes sur les pays étrangers. Depuis la fin de la guerre froide, l’Otan a largué une quantité massive de bombes sur de nombreux pays. Entre mars et juin 1999, les bombardements de l’Otan auraient tué 500 civils dans l’ex-Yougoslavie. Les frappes aériennes de l’Otan en Libye en 2011 ont entraîné le largage de 7 700 bombes et tué environ 70 civils.[3]

Malgré ses agissements offensifs et agressifs, l’Otan continue à s’apercevoir et se dire une alliance défensive. Certain résume tout cela en « 75 ans d’OTAN, 75 ans de déni » (75 years of Nato, 75 years of denial ».[4] L’Otan n’est pas une alliance défensive et nie la nature de ses comportements agressive racontant inlassablement ce mensonge à soi-même et créant un hiatus gigantesque psychique entre la réalité et la perception.

L’Otan désigne, contre toute évidence, la Chine comme « decisive enabler » (catalyseur décisif) dans la guerre en Ukraine

L’Otan est persuadée que la Chine « joue désormais un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine » en soutenant « matériellement et politiquement l’effort de guerre russe », notamment via le transfert « des biens à double usage, tels que des composants d’armes, des équipements et des matières premières, qui sont ensuite utilisés par le secteur de la défense russe ».

La Chine n’est pas à l’origine de cette guerre. Elle ne soutient pas ce conflit et prône la paix. Son commerce avec la Russie s’inscrit dans le cadre des échanges normaux entre les deux pays. En ce qui concerne les armes russes, il est important de noter que 95 % de leurs composants électroniques proviennent de l’Occident.[5] La Russie reste un fournisseur majeur d’uranium pour les États-Unis.[6] Il est également pertinent de mentionner le rôle de l’Inde en tant que grossiste de pétrole et de gaz russes, notamment pour les pays européens.[7] Ces accusations à l’adresse de la Chine apparaissent donc infondées.

L’Otan imagine, à sa guise, la Chine en tant que l’ennemi principal, prétendant qu’elle fait « peser des défis systémiques sur la sécurité euro-atlantique »

Selon elle, la Chine « affiche des ambitions et mène des politiques coercitives » contraires aux intérêts, à la sécurité et aux valeurs de l’Otan. Cette projection de ses propres caractéristiques sert de fondement à son dangereux rêve éveillé. Cet ennemi imaginaire justifie pleinement, à ses yeux, la création d’une Otan Asie-Pacifique.

Elle refuse de reconnaître les résultats des efforts de la Chine comme faiseur de paix dans le monde, tels que la médiation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, entre les 14 factions palestiniennes, entre l’Israël et la Palestine, ainsi qu’entre l’Ukraine et la Russie.

L’Otan veut globaliser l’Otan notamment en Asie Pacifique en s’alliant avec le Japon, la Corée du sud, les Philippines, l’Australie et la Nouvelle Zélande

L’Otan est convaincu qu’elle vit encore dans un univers unipolaire, le monde obéit à sa baguette de chef d’orchestre. Peu importe que l’Otan se trouve en Atlantique Nord, il suffit qu’elle déclare que la Chine est l’ennemi principal, elle peut en toute légitimité amener la confrontation en Asie et en Indopacifique. Elle peut réunir les dirigeants de l’Australie, du Japon, de la Nouvelle-Zélande et de la Corée du sud et ceux de l’Union européenne pour parler des défis de sécurité communs et des domaines de coopération. Voilà son raisonnement soutenu par le sentiment de la toute-puissance.

Où est l’Otan ?

Les déclarations et les agissements contradictoires de l’Otan nous font penser aux 5 étapes de Kübler-Ross, notamment à la première étape qui est le déni de la réalité.

Le monde a changé, nous ne sommes plus dans une ère unipolaire. La Chine est également de retour. Mais l’OTAN refuse de reconnaître et d’accepter cette réalité. Elle reste plongée dans une mentalité de guerre froide et des constructions paranoïaques. Incapable d’accepter la réalité, elle a inventé une réalité alternative, une sorte de délire, pour éviter une destruction psychique totale.

Ce comportement de déni peut être dangereux. Le refus et la panique amènent des comportements désordonnés et paranoïaques qui provoqueraient, à leur tour, des réactions politico-militaires des puissances en présence, par exemple de la part de la Corée du Nord, la Chine et la Russie qui pivote activement vers l’Est.

Que veut l’Asie ?

Quelles sont les réactions des pays en Asie ? Les pays invités par l’Otan ne manifestent pas l’unanimité, par exemple, l’Australie n’pas envoyé son premier Ministre pour le 75e sommet.

La plupart des pays de l’Asean (la Malaisie, l’Indonésie, le Vietnam, le Thaïlande, etc.) sont contre la perspective de l’Otan en Asie, percevant son éventuelle présence comme une source de problèmes et de complications.

Citons Kishore Mahbubani qui reflète le sentiment général des pays asiatique, notamment celui de l’Asean. Dans son article intitulé « Asie, dites non à l’Otan » (Asia, Say no to Nato), republié le 12 juillet, il a très clairement affirmé que « C’est (…) le plus grand danger auquel nous sommes confrontés si l’Otan étend ses tentacules de l’Atlantique au Pacifique : elle pourrait finir par exporter sa culture militariste désastreuse vers l’environnement relativement pacifique que nous avons développé en Asie de l’Est. (…) Compte tenu des risques que fait peser sur l’Asie de l’Est l’expansion potentielle de la culture de l’Otan, toute l’Asie de l’Est devrait parler d’une seule voix et dire non à l’Otan ».[8]

A reality check

Les conséquences d’amener l’Otan en Asie pourraient ne faire qu’aggraver les spirales d’escalade existantes avec la Chine / la Russie et de les rapprocher davantage.

D’un autre côté, bien que les États-Unis aient déployé des centaines de bases militaires autour de la Chine[9]  et des missiles à moyenne portée aux Philippines, l’Otan ne peut pas rivaliser avec la puissance terrestre et maritime chinoise. Les États-Unis ne sortiraient pas victorieux d’une guerre contre la Chine, qui mobiliserait tous ses moyens pour défendre sa patrie, y compris les missiles hypersoniques de la série DF (DF17, DF21, DF26, DF41…),[10]  éléments clés de la stratégie A2AD (Anti-Access/Area-Denial). Il est également possible que la Russie ne reste pas passive en cas de conflit.

En parallèle, nous avons observé que certains membres de l’Otan conservent une certaine lucidité, comme la Hongrie, la Turquie et la France, qui s’était opposée en 2023 à l’ouverture d’un bureau de liaison de l’Otan au Japon. Il est probable que ce réveil se propage progressivement parmi d’autres pays membres de l’Otan, à l’instar de la Turquie, qui, refusant la logique de bloc, a exprimé son souhait de rejoindre les BRICS et l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS).


[1] Wikipedia : Elisabeth Kübler-Ross

[2] Otan : Déclaration du Sommet de Washington, le 10 juillet 2024.

[3] Kishore Mahbubani, Asia, say no to Nato, The Pacific has no need of the destructive militaristic culture of the Atlantic alliance, Straits Times, 25 June 2021 republié July 12, 2024

[4] Sevim Dagdelen, 75 years of Nato, 75 years of denial, Consortium News, July 9, 2024.

[5] La Tribune, Guerre en Ukraine : 95% des composants électroniques des armes russes proviennent d’Occident, dénonce Kiev, le 19 janvier, 2024

[6] Thomas DESZPOT, Uranium russe : les États-Unis ont-ils doublé leurs importations cette année ? TF1 Info, le 30 août 2023

[7] Clément Perruche, L’Inde importe toujours plus de pétrole russe, à prix bradé, Les Echos, le 3 juin 2023

[8] Kishore Mahbubani, Asia, say no to Nato, The Pacific has no need of the destructive militaristic culture of the Atlantic alliance, Straits Times, 25 June 2021 (July 12, 2024).

[9] Cécile Marin & Fanny Privat,  Présence américaine dans le voisinage chinois, « Manière de voir » #170, Avril-Mai 2020

[10] Fabian-Lucas Romero Meraner, China’s Anti-Access/Area-Denial Strategy, February 9, 2023


*Titulaire de deux doctorats (philosophie et ingénierie) et familier des domaines clés de la NTIC, Alex Wang est ancien cadre dirigeant d’une entreprise high tech du CAC 40. Il est également un observateur attentif des évolutions géopolitiques et écologiques.