Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

Près de 400 ressortissants évacués grâce à l’opération Sagittaire

– Forces opérations Blog – publié le

Déclenchée hier à l’aube, l’opération Sagittaire a déjà permis d’évacuer près de 400 Français et étrangers hors du territoire soudanais, annoncent les ministères des Armées et de l’Europe et des Affaires étrangères ce matin dans un communiqué conjoint. 

Environ 150 militaires français ont été déployés dans la région de Khartoum pour mener une opération aux airs de déjà vu. L’enjeu ? Évacuer au plus vite le personnel diplomatique, les ressortissants français et d’autres nations qui le souhaitent de la capitale soudanaise, en proie depuis 10 jours à d’intenses combats entre forces armées soudanaises et Forces de soutien rapide. 

Deux nouvelles rotations ont été assurées par les avions de transport de l’Armée de l’Air et de l’Espace hier en fin de journée et ce matin, précisent les deux ministères. Chacune des aura permis de rapatrier une centaine de personnes, portant à 388 le nombre de ressortissants accueillis sur la base aérienne 188 de Djibouti, dont « un nombre significatif de citoyens » de 28 pays européens, américains, africains et asiatiques.

D’une « extrême complexité » et conduite en interarmées et en interministériel, l’opération Sagittaire a nécessité, dès le 18 avril, la mise en alerte et l’envoi de renforts à Djibouti et au Tchad grâce à trois avions A400M et un C-130 de l’AdlAE. Les Forces françaises stationnées à Djibouti (FFDj) ont en parallèle oeuvré à la mise en place d’un centre de regroupement et d’évacuation. 

Crédits image : EMA

Les chars légers AMX-10RC cédés par la France à l’Infanterie de marine ukrainienne sont prêts à faire feu

Les chars légers AMX-10RC cédés par la France à l’Infanterie de marine ukrainienne sont prêts à faire feu

https://www.opex360.com/2023/04/18/les-chars-legers-amx-10rc-cedes-par-la-france-a-linfanterie-de-marine-ukrainienne-sont-prets-a-faire-feu/


 

Quoi qu’il en soit, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait alors assuré que les AMX-10RC seraient envoyés en Ukraine dans les deux mois à venir [soit en mars]. Et qu’ils seraient opérationnels une fois achevée la formation des équipages et des techniciens ukrainiens.

Le nombre de chars prélevés dans l’inventaire de l’armée de Terre [qui est en train de les remplacer progressivement par des Engins blindés de reconnaissance et de combat Jaguar] n’a jusqu’à présent jamais été officiellement précisé. Cependant, et sous réserve que les documents présentés comme émanant du Pentagone soient authentiques, au moins 14 exemplaires ont été livrés à la 37e Brigade de l’Infanterie de Marine ukrainienne, qui était encore en cours de création il y a encore peu.

Et, a priori, celle-ci est désormais prête à les utiliser. En effet, ce 18 avril, le ministre ukrainien de la Défense, Oleksii Reznikov, a publié une vidéo montrant des AMX-10RC aux couleurs ukrainiennes en train de manoeuvrer. Et d’après la teneur de son message, ils sont aptes au combat.

« Les Marines ukraniens accueillent leur nouvelle monture de fabrication française : l’AMX-10! Nous l’avons essayé avec nos combattants et sommes convenus de l’appeler le ‘fusil de sniper rapide sur roues », a affirmé M. Reznikov, qui n’a pas manqué de remercier MM. Macron et Lecornu ainsi que [et surtout] « tous les Français » pour leur « soutien indéfectible ».

« Ces engins rapides et modernes, dotés de puissants canons, nous aideront à libérer notre territoire », a-t-il ajouté.

Par ailleurs, il est possible que les techniciens ukrainiens aient apporté quelques modifications à ces AMX-10RC, l’un des interlocuteurs de M. Reznikov ayant assuré qu’ils pouvaient rouler à 120 km/h [contre 85 km/h selon les données techniques] su le « mécanicien peaufine quelque chose ». Propos sérieux ou Galéjade?

Cela étant, l’Ukraine pourrait prochainement recevoir un second lot d’AMX-10RC. « Je suis en train de regarder comment nous pouvons éventuellement faire une deuxième vague de cessions. Je suis en train de préparer un certain nombre de décisions pour le président de la République parce que ces [blindés]commencent à être bien pris en main par le partenaire ukrainien », a en effet récemment déclaré M. Lecornu, lors d’une audition à l’Assemblée nationale.

À cette occasion, le ministre a expliqué la raison pour laquelle la cession de chars Leclerc est exclue. « Je pense que nous n’aurions pas entraîné grand-chose avec des chars Leclerc. Pour cela, il aurait fallu exporter. […] L’exportation du char Leclerc, en revanche, a été timide. Par ailleurs, nous n’en produisons plus », a-t-il dit. Et d’insister : « La décision qui a été prise n’est pas liée à un tabou politique : elle est, au contraire, très opérationnelle ».

Taïwan: l’exercice Joint Sword, tempête dans un verre d’eau ou coup d’épée dans l’eau?

Taïwan: l’exercice Joint Sword, tempête dans un verre d’eau ou coup d’épée dans l’eau?

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 11 avril 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr


L’armée chinoise a déclaré lundi avoir « achevé avec succès » ses manœuvres militaires dont l’objectif était de simuler un « bouclage » du territoire taïwanais et de ses 23 millions d’habitants, avec notamment un « blocus aérien », selon la télévision d’Etat CCTV (photo ci-dessus An Ni/Xinhua). 

Pour un article détaillé sur les activités quotidiennes des forces chinoises depuis le début du mois d’avril, cliquer ici

On lira aussi cet article de Xinhuanet sur le bilan de ces manoeuvres baptisées Joint Sword. Des manoeuvres très médiatisées qui auraient permis de vérifier que « les troupes du commandement Est de l’armée populaire sont tout à fait prêtes et résolues à écraser les velléités sécessionnistes de Taïwan et les interférences étrangères de toutes formes » (photo Liu Mingsong/Xinhua).

 

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Ces exercices ont impliqué, entre autres, des bombardiers H-6 capables d’emporter des missiles nucléaire, des chasseurs J-10 et J-11 de l’armée de l’Air et le porte-avions Shandong dont l’aviation (des chasseurs  J-15 ) aurait mené 80 sorties en trois jours.

Fin de l’exercice Joint Sword donc. Pourtant, ce mardi matin, des navires de guerre et des aéronefs chinois se trouvaient toujours autour de Taïwan. Selon le ministère taïwanais de la Défense, neuf navires de guerre chinois et 26 aéronefs évoluaient encore autour de l’île.

Quelques commentaires:

On peut estimer comme le fait l’analyste militaire Leung Kwok-leung, basé à Hong Kong, que le déploiement du porte-avions Shandong suggère que les exercices étaient moins une démonstration de force symbolique que la répétition d’une guerre réelle. « L’intention est très claire: tester la capacité de combat des forces dans un environnement concret« , explique-t-il, notant que le Shandong a navigué jusque dans l’océan Pacifique, loin du détroit de Taïwan.

Mais on peut aussi penser comme Steve Tsang, de l’université SOAS de Londres, qu' »on ne peut pas être certain que (la Chine) puisse dissuader les Etats-Unis d’intervenir, ni qu’elle puisse imposer un blocus efficace contre Taïwan, ni qu’elle puisse lancer des assauts amphibies et les soutenir pour remporter la victoire« . Selon lui, l’armée chinoise aura encore besoin d’une dizaine d’années pour « renforcer considérablement ces capacités », et pour entraîner les différentes composantes de son armée à des actions coordonnées. C’est ce que démontre quelques données:
1) En quatre jours (de vendredi à mardi), selon le ministère taïwanais de la Défense, 91 aéronefs et 12 bâtiments de la PLAN ont été détectés. Ce n’est pas anodin en termes de volume mais c’est dans l’ordre des choses lorsque Pékin pique un coup de sang:

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Les bâtiments engagés par les chinois constituent pour moitié l’escorte (frégates et destroyers) et le soutien (ravitailleur d’escadre) du porte-avions Shandong. Le reste est un mix de frégates, avec un navire de renseignement et et un porte-hélicoptères amphibie.

2) 80 sorties en trois jours pour les jets du porte-avions: le chiffre n’a rien d’exceptionnel, surtout dans un contexte de bouclage des approches aéromaritimes.

3) New normal: la poursuite des vols chinois ce mardi n’a rien d’exceptionnel non plus, puisque le rythme des sorties en mer de Chine et au-dessus de l’ADIZ augmente régulièrement (voir mon post du 7 avril). 

Et Steve Tsang de conclure que « si Xi pensait que l’Armée populaire de libération pouvait le faire à un coût acceptable, il aurait déjà envahi Taïwan (…). Il ne l’a pas fait parce que l’APL ne le peut pas« .

La marine russe cherche un équipage pour son porte-avions « Amiral Kouznetsov »

La marine russe cherche un équipage pour son porte-avions « Amiral Kouznetsov »

https://www.opex360.com/2023/04/11/la-marine-russe-cherche-un-equipage-pour-son-porte-avions-amiral-kouznetsov/


 

Selon des sources industrielles russes, cités notamment par l’agence TASS, ce navire devrait reprendre son « cycle opérationnel » en 2024… Mais à condition de lui trouver un équipage qualifié. Or, d’après le journal Izvestia, l’exercice s’annonce compliqué dans la mesure où la marine russe doit trouver au moins 1500 marins pour assurer non seulement le bon fonctionnement du porte-avions mais aussi les opérations aériennes.

« La formation de l’équipage d’un tel navire est un processus très complexe. […] Si la marine américaine dispose de nombreux porte-avions et qu’elle transférer des spécialistes d’un bâtiment à un autre, l’Amiral Kouznetsov est le seul du genre [au sein de la marine russe]. […] En plus des officiers et des aspirants, il est nécessaire de recruter des marins contractuels. C’est une tâche très difficile pour les services de ressources humaines », a expliqué l’historien militaire Dmitry Boltenkov, dans les pages d’Izvestia.

Cela étant, en France, qui dispose également d’un seul porte-avions [à propulsion nucléaire, qui plus est], la Marine nationale pourrait être confrontée à des difficultés similaires avant la mise en service du PA NG [porte-avions de nouvelle génération].

« Nous n’avons plus les ressources humaines en propre permettant d’avoir des marins pour armer le noyau d’équipage du porte-avions en 2032 et atteindre 900 personnes en 2035 pour débuter les essais » avait expliqué l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] en 2021. Et d’ajouter : « Soit on désarme un sous-marin nucléaire d’attaque tout neuf pour que ses atomiciens démarrent la chaufferie nucléaire en 2034, soit on recrute et on forme le noyau d’équipage – ce qui prend environ dix ans ».

Cependant, le recrutement est une chose… la formation en est une autre. Or, depuis le temps que le « croiseur lourd porte-avions » [telle est la dénomination officielle de l’Amiral Kouznetsov, ndlr] est en cours de modernisation, des compétences ont été perdues. Et les marins les plus anciens [et donc les plus expérimentés] ont été affectés ailleurs, quand ils n’ont pas été rendus à la vie civile.En outre, le navire ayant reçu de nouveaux systèmes, il faudra aussi du temps à l’équipage pour se les approprier. Et c’est sans compter sur l’entraînement des pilotes de Su-33 et de MiG-29 embarqués. Aussi, la reprise du « cycle opérationnel » en 2024 paraît-il bien ambitieux…

Quoi qu’il en soit, l’activité de l’Amiral Kouznetsov n’a jamais été importante… son premier engagement opérationnel ayant eu lieu en 2016, au large de la Syrie. Et il avait perdu deux de ses chasseurs embarqués. Mais une fois qu’il sera apte à reprendre la mer, il retrouvera la Flotte russe du Nord, dont la zone de responsabilité couvre les régions arctiques.

Pour rappel, évaluée à 300 millions d’euros au début du chantier, la modernisation de l’Amiral Kouznetsov a consisté à lui changer ses chaudières, à remplacer ses installations aéronautiques et à le doter de nouveaux moyens de guerre électronique et de communication ainsi que des systèmes de défense aérienne modernes [dont le Pantsir-M].

La Chine ne considère pas la Commission européenne comme un interlocuteur géopolitique

La Chine ne considère pas la Commission européenne comme un interlocuteur géopolitique

 

par Samuel Furfari – Revue Conflits – publié le 11 avril 2023


Mais pourquoi donc Ursula von der Leyen a-t-elle accepté d’aller avec Emmanuel Macron en Chine ? Cela n’a rien arrangé ni pour l’Ukraine ni pour Taïwan. Mais les émissions de CO₂ de la Chine augmenteront encore et l’UE restera la dernière à rêver à la décarbonation.

Mon directeur général avait l’habitude de dire que pour réussir, il faut savoir s’entourer. C’est ce qu’il a fait de manière extraordinaire. Sans conseillers qui ont des idées originales et sages et qui ne sont pas des « béni-oui-oui », il est difficile de naviguer dans un monde de plus en plus complexe. La récente visite d’Ursula von der Leyen en Chine en est la preuve. Mais qui a conseillé à la présidente de la Commission européenne de se rendre à Pékin pour accompagner Emmanuel Macron lors de sa visite d’État ?

Il est vrai qu’Ursula von der Leyen est une obligée d’Emmanuel Macron, car c’est lui qui, dans un grand marchandage avec Angela Merkel, a permis à ses élus au Parlement européen de voter en faveur de cette Allemande en échange du contrôle de la Banque européenne par la Française Christine Lagarde.

Il est vrai que Macron voulait montrer l’unité de l’UE en accueillant dans son apanage une personnalité aussi importante… dans l’UE. Il avait souhaité se rendre en Chine avec Olaf Scholz pour montrer l’unité de l’UE, mais le chancelier allemand a préféré y aller seul en novembre 2022, ce qui a agacé Paris. Le président français a donc fait preuve d’unité, mais on ne peut pas dire que cela ait amélioré l’image de la Commission européenne. L’institution bruxelloise devra analyser ce qui s’est passé avant d’accepter de poursuivre les visites conjointes.

Des raisons d’espérer

Il est vrai que c’était l’occasion de célébrer le 20e anniversaire du partenariat stratégique global entre la Chine et l’UE. Le développement équilibré des relations commerciales entre la Chine et l’UE devrait profiter aux deux parties et, comme le disait Montesquieu, le commerce est censé contribuer à la paix et à la stabilité dans le monde. Nous avons pris un bon départ, mais la montée en puissance de la Chine et la faiblesse économique croissante de l’UE due à une décarbonisation coûteuse suscitent aujourd’hui plus de doutes que de satisfaction.

Quelques jours après la visite du président de la Commission européenne, les discussions avec l’UE se poursuivront en Chine du 13 au 15 avril avec Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères. M. Macron s’est rendu à Pékin avec une délégation commerciale, comme l’avait fait avant lui le président allemand Olaf Scholz. Le 31 mars, c’était au tour de Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol, qui se réjouissait, entre autres, d’avoir signé un accord pour exporter vers la Chine 50 000 t d’amandes… Puisque, qu’on le veuille ou non, c’est la meilleure façon de faire des affaires avec la Chine, Mme von der Leyen ne peut pas, contrairement à son pays ou à la France, être accompagnée d’industriels.

Il est vrai aussi que dans son premier discours de présidente, Mme von der Leyen a déclaré que « sa Commission » serait géopolitique et qu’il fallait donc s’attendre à ce que la Commission européenne soit de plus en plus visible dans le monde. C’est pourquoi on la voit de plus en plus souvent aux côtés du secrétaire général de l’OTAN, une nouveauté pour Bruxelles-Strasbourg.

Mais aussi parce que, quelques jours avant son voyage, elle a eu des mots forts à l’égard de la Chine, la qualifiant de « répressive » en matière de droits de l’homme (« L’escalade à laquelle nous assistons indique que la Chine devient plus répressive à l’intérieur et plus affirmée à l’extérieur »). Cela expliquerait pourquoi Xi Jinping ne lui a pas accordé les mêmes honneurs que ceux qu’il a réservés au président français. Elle n’a pas été invitée au dîner d’État en l’honneur du prestigieux hôte, elle n’a pas tenu de conférence de presse avec le président chinois, elle a rencontré la presse au bureau de représentation de l’UE à Pékin. Le message clair est que Pékin ne considère pas l’UE comme un interlocuteur géopolitique mondial. C’est regrettable, car la Commission européenne est la principale institution européenne, le cœur de l’UE.

Décarbonation ? Sérieusement ?

À sa descente d’avion à Pékin, Emmanuel Macron a été accueilli sur un tapis rouge par le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, un haut responsable et proche collaborateur de Xi Jinping. Mme Von der Leyen, partisane de la décarbonisation, a été accueillie à la sortie habituelle des passagers par le ministre de l’Écologie Huang Runqiu. Après tout, c’est logique. Dans le discours qu’elle a prononcé avant son départ, la présidente de la Commission européenne a déclaré qu’elle avait l’intention de travailler avec la Chine « dans la perspective de la COP28 ». Pékin montre ainsi à l’UE qu’elle sait que sa raison d’être aujourd’hui n’est pas la géopolitique, mais rien d’autre qu’une volonté de doper les énergies renouvelables intermittentes et variables, d’ostraciser le nucléaire alors que la Chine pousse l’innovation dans de nouveaux réacteurs nucléaires et a construit une centaine de centrales à charbon en 2022.

La Chine a vu ses émissions de CO₂ augmenter de 311 % depuis que l’ONU s’est engagée à les réduire. En pénalisant son économie, l’UE a réussi à réduire ses émissions de 23 % au cours de la même période, mais à quel prix ! La Chine représente un cinquième du trafic aérien mondial et connaît une croissance de plus de 5 % par an. Airbus estime que le marché chinois aura besoin de 8 500 avions au cours des 20 prochaines années. Tout cela augmentera encore et encore les émissions mondiales de CO₂ parce que les électro-carburants sont un artifice scientifique inventé par les députés européens. C’est pourquoi c’est un grand succès pour la France d’avoir vendu 292 A320 en 2022 et 40 A320. L’agence publique, qui achète des avions pour le compte des compagnies aériennes locales, s’est engagée à commander 160 avions Airbus (150 A320 et 10 A350). Airbus pourra doubler sa capacité de production d’avions en Chine grâce à la construction d’une deuxième ligne d’assemblage dans son usine de Tianjin, près de Pékin. La France montre ainsi sa confiance dans la coopération avec l’économie chinoise et démontre qu’elle ne suit pas l’approche anti-chinoise des États-Unis.

On est loin des discours sur la réduction des émissions de CO₂.

Taïwan versus Ukraine

Comme on pouvait s’y attendre, M. Macron et Mme von der Leyen ont tous deux appelé Xi Jinping à mettre à profit ses relations avec Vladimir Poutine pour tenter de mettre fin à la guerre. Après la visite très amicale de Xi Jinping à Moscou il y a quelques jours, il aurait été exagéré de s’attendre à une condamnation russe. Au contraire, quelques jours plus tard — le 10 avril — une déclaration de la Chine n’augurait rien de bon : tout en feignant une fermeture de l’île de ce qu’elle considère toujours comme l’une de ses provinces, Pékin a déclaré que « l’indépendance de Taïwan est incompatible avec la paix« . Message à l’OTAN : si vous voulez la paix en Ukraine, je peux discuter avec Vladimir Poutine, mais laissez-moi prendre Taïwan. La géopolitique mondiale est comme un énorme mobile suspendu dans l’Univers : vous lui donnez une chiquenaude et le mobile part dans toutes les directions.

D’un point de vue stratégique, Xi Jinping pourrait profiter de l’implication des États-Unis en Ukraine dans sa guerre par procuration avec la Russie pour tenter d’envahir Taïwan. Mais le coût en vies humaines et en relations diplomatiques serait bien plus élevé que celui payé par la Russie. L’invasion d’une île défendue est déjà compliquée, comme l’ont montré les difficultés de la Russie sur l’île des serpents en mer Noire, mais lorsqu’il s’agit de l’un des pays les plus modernes du monde, la tâche sera encore plus compliquée. Xi Jinping aurait assuré aux visiteurs européens qu’il serait prêt à appeler le président ukrainien Volodymyr Zelensky « lorsque le moment sera venu et que les conditions seront réunies ».

En fait, Pékin n’a aucun intérêt à précipiter l’aventure. La Chine a tout son temps, car tant que la guerre en Ukraine durera, les États-Unis, l’UE et la Russie se détruiront mutuellement. Dans cette gigantesque partie d’échecs pour la recomposition de l’ordre mondial, qui vont-ils mettre en échec ? Le manque de considération de la Chine à l’égard d’Ursula von der Leyen semble indiquer une réponse à cette question. Il est temps que l’UE comprenne qu’elle doit s’occuper du fonctionnement du marché commun et non du fonctionnement du monde, car les États membres ne le lui permettront pas. Nous étions pourtant si bien partis…

Le reste Contre l’ouest

Le reste Contre l’ouest

par Renaud Girard (*) – Esprit Surcouf – publié le 10 avril 2023
Journaliste

https://espritsurcouf.fr/humeurs_le-reste-contre-l-ouest-par-renaud-girard_es-211/


Lorsque Xi Jing Ping serre dans ses bras Vladimir Poutine, c’est pour l’auteur, même s’il ne veut pas employer le mot, un bras d’honneur que le chinois adresse à Joe Biden et aux occidentaux. Mais ce qui l’irrite vraiment, ce n’est pas tant que de plus en plus d’habitants de la planète approuvent ce bras d’honneur, c’est le fait qu’ils n’ont pas tout à fait tort.

 

Fréquents adeptes du wishful thinking, les grands médias occidentaux ont souligné à l’envie que rien d’important, ni contrat de vente d’armes, ni déclaration de soutien à la guerre en Ukraine, n’avait été signé lors de la visite que le président chinois fit à son homologue russe à Moscou, du 21 au 23 mars 2023, et que c’était donc un flop pour Vladimir Poutine.

Mais les occidentaux ne comprennent pas qu’en géopolitique le symbolique prime toujours sur le matériel. Xi Jinping n’est pas un homme qui pratique le tourisme diplomatique. Quand il se rend à Moscou et qu’il étreint un Poutine qui vient tout juste de se faire inculper pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale (CPI), c’est qu’il veut faire passer un message puissant à ses rivaux occidentaux.

C’est un message de défi. De refus d’une quelconque primauté morale que détiendrait l’Occident par rapport au reste de l’humanité. « Vos principes démocratiques et votre justice internationale à géométrie variable, vous pouvez les garder ! », semble vouloir dire aux Occidentaux le dirigeant chinois. Xi Jinping a peu apprécié les menaces à peine voilées exprimées par l’Amérique au cas où il renforcerait son alliance avec la Russie. « Je m’allie avec qui je veux, comme je veux et quand je veux », est la réponse de Pékin à Washington.

C’est une position qui est beaucoup plus répandue sur la planète qu’on ne le croit. Elle est suivie par la plupart des Etats d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Elle permet à la Chine de se présenter comme le héraut d’un monde multipolaire, par opposition au monde unipolaire conduit par les Etats-Unis d’Amérique.

Les leaders de la jeunesse urbanisée des pays qu’on qualifiait naguère du Tiers-Monde sont de plus en plus nombreux à taxer d’hypocrite le catéchisme démocratique venu d’occident. Le Sud-Africain Julius Sello Malema, né en 1981 dans un bantoustan, en est un bon exemple. Après avoir été le président de la ligue de la jeunesse de l’ANC, il a rompu avec le parti au pouvoir, pour créer son propre mouvement, Economic Freedom Fighters, qui ne cesse de grandir. Dans une vidéo qui a beaucoup tourné en Afrique, il dénonce ce qu’il estime être le deux poids, deux mesures, de la Cour internationale de La Haye. La CPI a inculpé le président russe mais ne s’est jamais intéressée aux leaders occidentaux ayant détruit deux Etats, l’Irak et la Libye, par des interventions militaires non autorisées par l’ONU.

Julius  Sello  Mallema, la  nouvelle  voix  de  l’Afrique  du  Sud. Photo EFF

Le président américain s’est réjoui de l’inculpation de Vladimir Poutine par la CPI, et a déclaré : « Nous devons rassembler les informations et avoir un procès pour crimes de guerre ». La jeunesse du reste du monde juge hypocrite cette attitude, dans la mesure où l’Amérique n’a jamais ratifié le Statut de Rome et n’est donc pas partie à la CPI (comme la Russie ou la Chine d’ailleurs). Les crimes de guerre commis à Boutcha, en Ukraine, par l’armée russe, sont avérés. Mais ceux commis à Abou Ghraïb, en Irak, ne le sont pas moins. Or aucun dirigeant de la Coalition occidentale ayant envahi l’Irak en 2003 n’a été pour le moment inquiété par la justice internationale. 

Les occidentaux expliquent que leurs interventions militaires sont désintéressées, et qu’elles se font dans le cadre d’une lutte contre le mal (la dictature) et pour la promotion du bien (la démocratie). Ce mantra manichéen, qui a pu être véhiculé par les médias de masse, passe déjà moyennement auprès de la jeunesse occidentale. Mais il ne passe plus du tout auprès des jeunesses politisées africaines, latino-américaines, asiatiques.

L’Amérique prend conscience de ce phénomène. Voilà pourquoi la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a, le 26 mars 2023, entamé une tournée en Afrique (Ghana, Tanzanie, Zambie). Washington considère que ce continent, où l’âge moyen est de vingt ans, représente l’avenir de l’humanité. Les Américains veulent y contrer la percée de la Chine et de la Russie, ces deux grandes autocraties qui ne cessent de se rapprocher depuis vingt ans.

Cependant, les jeunesses politisées du reste du monde s’intéressent moins à la pureté proclamée des intentions de l’Occident qu’au résultat final de ses interventions militaires. Elles constatent qu’il a détruit, puis abandonné, deux Etats pétroliers du tiers monde qui fonctionnaient, à savoir l’Irak et la Libye.

Le jour où un armistice entre Moscou et Kiev sera en vue, l’Occident demandera aux Russes de présenter leurs excuses pour leur agression militaire du 24 février 2022. Mais s’il veut être appuyé par le reste du monde dans cette démarche, l’Occident serait bien avisé de balayer d’abord devant sa porte. Et de présenter auparavant ses excuses pour les graves déstabilisations du Moyen-Orient et du Sahel, qu’il a provoquées par ses guerres d’Irak (2003) et de Libye (2011).     

(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po.

La Chine face au conflit en Ukraine et au-delà

La Chine face au conflit en Ukraine et au-delà

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 6 avril 2023

https://www.revueconflits.com/la-chine-face-au-conflit-en-ukraine-et-au-dela/


La Chine tire-t-elle profit de la guerre en Ukraine en se rapprochant de la Russie ? Profite-t-elle de cette guerre pour rompre avec l’Occident et établir son propre ordre mondial ? Analyse de la position particulière de Pékin.

La réaction de la Chine face au conflit en Ukraine est complexe. Sa réprobation, à sa manière, de la guerre déclenchée par la Russie, est en ligne avec le principe du respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de chaque pays. La Chine agit en faveur d’une solution pacifique acceptable par tous. Le dégel récent, sous son égide, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran montre qu’elle a la volonté et la capacité pour jouer le rôle du médiateur crédible.

En parallèle et en s’adaptant au nouveau contexte géopolitique, la Chine continue, voire accélère la mise en place de sa stratégie globale avec tous ses partenaires dans le cadre bilatéral et multilatéral.

La guerre en Ukraine a créé une situation stratégique difficile pour la Chine. Elle a perturbé le commerce mondial, exacerbé les tensions en Asie de l’Est et accentué la polarisation politique en Chine en divisant les gens en camps pro et antirusses jusqu’au sein des familles. Tout en réprouvant, à sa manière, les agissements de la Russie, la Chine reproche aux États-Unis de provoquer la Russie avec son soutien à l’élargissement de l’OTAN et craint que Washington ne cherche à prolonger le conflit en Ukraine afin d’embourber la Russie1.

La position de la Chine face au conflit en Ukraine

Vladimir Poutine était présent à Pékin lors de l’ouverture des Jeux olympiques d’Hiver. À cette occasion il s’est entretenu longuement avec Xi Jinping. Lui a fait il part explicitement de son plan des « opérations militaires » ? On n’est sûr de rien, mais on est tenté par une réponse plutôt négative.

La réaction de la Chine au conflit en Ukraine est complexe. C’est un sujet hautement prioritaire et extrêmement délicat pour elle.

Coincée entre deux amis

Étant partenaire avec les deux belligérants directs et en tenant compte de sa stratégie globale de long terme, la Chine a adopté une position qui lui permet d’être en retrait2 tout en continuant ses relations avec l’Ukraine et la Russie.

La coopération avancée avec la Russie sur un large spectre de domaines notamment pour la fourniture des énergies est un fait. Les deux pays partagent bien des points dans leur analyse de la situation et de l’évolution de ce monde, qui sont traduits dans les projets concrets.

On n’oublie pas en même temps la longue histoire commerciale entre l’Ukraine et la Chine notamment dans les domaines militaires, aérospatiales et agricoles. Mentionnons juste l’origine ukrainienne du premier porte-avion Liaoning du navy chinois.

La Chine ne souhaiterait pas se fâcher avec les deux « amis » de longue date d’autant plus qu’il y ait maintenant en Chine deux camps qui s’opposent violemment dans les réunions d’amis, dans les groupes d’échanges sur le WeChat voire à table dans la salle à manger familiale. Beaucoup d’amis de longue date ne se parlent plus en raison de leur prise de position respective.

Sa réprobation d’un tel acte de la part de la Russie est évidente. C’est pourquoi le respect de la souveraineté de chaque pays est en tête de la liste des 12 points dans sa proposition de paix.

La part de responsabilité des US et ses alliés

En même temps, la Chine dit explicitement que les US ont indéniablement sa part de responsabilités dans le déclenchement de ce conflit via l’extension successive de l’OTAN vers l’Est, jusqu’à la porte de la Russie et ce malgré les promesses faites à Gorbatchev au moment de la réunification de l’Allemagne3. Elle pense que nous devrions également voir et comprendre le besoin de sécurité de la Russie.

Une prise de position fondée sur ses intérêts stratégiques

La position prise par la Chine s’analyse aussi par ses réflexions stratégiques basant sur ses intérêts de long terme.

Elle est sûre que les US et l’Occident continueraient à critiquer la Chine identifiée comme un pays autoritaire même si elle condamne et critique ouvertement le comportement russe. Car le conflit a été déjà nommé comme une lutte entre deux camps : les démocraties contre les autoritaires. Et la Chine est dans le camp de ces derniers. Quoi que la Chine fasse, les US et l’occident continueront leurs critiques et blâmes à son adresse. Donc, aucune appréciation positive à attendre de leur part. La Chine est et restera la cible prioritaire.

Bien qu’affaiblie par la guerre, la Russie reste un partenaire stratégique pour la Chine. Basant sur ses considérations stratégiques, Pékin va garder et développer cette relation dans autant de domaines possibles tout en aidant à résoudre le conflit en Ukraine qui est une énorme épine dans ses pieds. Et en tant que voisin le plus grand et, militairement, le plus capable, la Russie n’est pas une puissance que Pékin souhaite contrarier. Les décideurs chinois ont donc cherché à éviter de provoquer inutilement l’une ou l’autre des puissances rivales, en s’abstenant de voter pour condamner la Russie à l’Assemblée générale des Nations Unies et en préparant avec soin ses déclarations officielles sur la guerre.

Cette stratégie d’équilibrage est très couteuse. Le refus de condamner la Russie a tendu les relations de la Chine avec certains de ses voisins et l’a éloigné de nombreux pays en développement qui se sont alignés contre la guerre de la Russie en Ukraine. Il a également encouru des coûts économiques à cause de la guerre. Néanmoins, afin de minimiser ses pertes stratégiques, la Chine maintiendra probablement cette position médiane jusqu’à la fin de la guerre en Ukraine4. Mais l’enlisement du conflit gêne la Chine, car il déstabilise l’économie internationale. Pékin pousse pour une solution négociée en Ukraine. Il faut en sortir pour que le commerce redémarre5 .

En faveur d’une solution pacifique

La Chine a adopté une position de neutralité en faveur d’une solution pacifique.

Ainsi la Chine n’a pas participé, comme un certain nombre de pays, aux sanctions à l’encontre de la Russie.

Il n’y a aucune évidence que la Chine livre des armes à la Russie, malgré les allusions faites à la légère par Antony Blinken. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a indiqué que son homologue chinois, Wang Yi, lui avait assuré que la Chine ne fournissait pas d’armes à la Russie et ne prévoyait pas de le faire6 . Sauf si les US poussent réellement l’indépendance de Taiwan à l’encontre de sa politique de « One China » qui est la base de ses relations diplomatiques avec la Chine continentale.

La proposition en 12 points en vue d’une paix acceptable par tous

Le jour d’anniversaire du conflit en Ukraine, la Chine a publié une liste de 12 points qui matérialise sa position pour l’arrêt de cette guerre et une paix acceptable par tous7 .  Ce n’est pas un plan de paix détaillé qui reste à venir à la suite des pourparlers avec toutes les parties directement impliquées.

Les points essentiels de cette annonce concernent trois principes chers à la Chine : l’intégrité du territoire, la non-interférence et le respect absolu de la « souveraineté » de toutes les parties impliquées dans le conflit, et donc de l’Ukraine également8. La Chine appelle aussi à ne pas cibler les populations ou les infrastructures civiles, et demande de ne pas recourir à l’arme nucléaire.

La rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine a eu lieu lors de la visite du Président chinois au mois de mars. Cette proposition a dû être figurée en haut de la liste des sujets traités. Vladimir Poutine a salué la position « équilibrée » de Xi Jinping sur la guerre en Ukraine et dit considérer « avec respect » le plan de paix de Pékin9 .

Volodymyr Zelensky a eu également une réaction positive jugeant « nécessaire » de « travailler » avec la Chine pour une résolution du conflit et étant prête à rencontrer Xi Jinping10. Il était question d’une visioconférence entre les deux chefs d’État. L’invitation pour une visite à Kiev a également été lancée par Volodymyr Zelensky lors de son interview dans un train avec Associated Press fin mars11.

Bien que les US et un certain nombre de pays occidentaux aient réagi négativement, il est clair que le processus de paix a été enclenché. Compte tenu de son importance et de ses longues relations avec les deux belligérants, la Chine pourrait jouer utilement le rôle de médiateur comme dans le cas du dégel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Certains suggèrent que la fin de ce conflit serait pour cet été12. La situation sur le terrain nous le dirait. La route est semée d’embuches et serait longue avant qu’une solution pacifique implémentable soit trouvée et acceptée par tous.

Le dégel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran : un exemple

Conclu sous l’égide de la Chine, le 10 mars, l’accord signé par Téhéran et Riyad prévoit la réouverture des ambassades saoudienne et iranienne d’ici deux mois, la relance de discussions en matière de sécurité, ainsi qu’une coopération économique13.

Les relations entre les deux pays ont été rompues depuis 7 ans. Le dégel a valeur d’exemple. Cet heureux dénouement grâce aux efforts de la Chine nous aide à mieux comprendre les manières de faire de ce médiateur peu habituel en renforçant sa crédibilité en tant qu’artisan de la paix dans le cas du conflit en Ukraine.

La poursuite de la stratégie globale de la Chine

Le conflit en Ukraine a forcé la Chine à jouer un jeu d’équilibriste. En même temps, il voit également des opportunités pour poursuivre et pousser la mise en place de sa stratégie globale en faveur d’un nouvel ordre multipolaire. La Chine n’a pas été détournée de cet objectif de long terme.

Le projet BRI

Il y a d’abord le projet BRI bien connu qui se poursuit. À ce jour, 147 pays, représentant les deux tiers de la population mondiale et 40 % du PIB mondial, ont adhéré à des projets ou ont manifesté leur intérêt à le faire14. Les financements et les investissements de la BRI étaient stables en 2022 à 67,8 milliards de dollars, contre 68,7 milliards de dollars en 2021. Un rebond de l’engagement de la BRI est attendu en 2023.

La dédollarisation et l’internationalisation du Renminbi s’accélèrent

Il est indéniable que le conflit en Ukraine et surtout les sanctions financières imposées à la Russie a renforcé la prise de conscience de la Chine concernant sa gestion des dettes américaines ainsi que les réservés de change principalement composé de US dollars.

La Chine a poursuivi et accentué ses mouvements de réduction des dettes américains15. Les avoirs de la Chine en titres du Trésor américain ont chuté pendant six mois consécutifs pour atteindre 859,4 milliards de dollars fin janvier, contre 867,1 milliards de dollars en décembre. Cette réduction a ramené les avoirs de la dette publique américaine possédés par la Chine à son plus bas niveau depuis 12 ans16.

La composition de ses réserves de change suit le même mouvement. Sur une base annuelle, les réserves de change de la Chine ont diminué de 81 milliards de dollars en février dernier, contre 3 214 milliards de dollars au mois correspondant de 202217.

L’utilisation du RMB en tant que devise dans les transactions commerciales entre les pays s’accentue, notamment dans le cadre des organisations de coopérations par exemple au sein du RCEP (The Regional Comprehensive Economic Partnership), de l’OCS (Shanghai Cooperation Organisation) et du BRICS sans parler de son usage dans les échanges bilatéraux. Pour ce dernier, citons les règlements en monnaies nationales sans passer par USD entre la Chine et la Russie, l’Inde, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Brésil, etc. Le contrat LNG que Total a signé avec la Chine mérite d’être mentionné, bien que le montant soit symbolique19.

La confiscation brutale et illégale des avoirs russes par les US et ses alliés a créé une sorte de panique chez les clients importants possesseurs des comptes en US dollars (pays ou individus). Ces richesses partent ailleurs (par exemple vers Singapour, Hongkong…) ou sont transformées en d’autres formes d’avoir (Or, autres devises, ressources naturelles, commodités en vrac …).

Comme tendance, l’utilisation du RMB sous forme de swap, réserves de change, moyen de paiement se développe avec tous les partenaires possibles du Sud global ainsi que l’emploi des systèmes de paiement alternatifs tel que CIPS.

Les organisations alternatives se développent et se renforcent

Nous allons connaître une vague d’adhésion pour les BRICS18  et l’OCS (Shanghai Cooperation Organisation).

Concernant le BRICS, l’Arabie Saoudite serait bientôt acceptée comme nouveau membre. La liste des candidats s’allonge. À ce jour, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Algérie, l’Argentine, le Mexique et le Nigéria sont candidats à l’adhésion20.

Un fil d’attente s’est également formé devant la porte de l’OCS. L’Égypte et la Syrie ont déposé une demande de statut d’observateur, tandis que l’Égypte, Israël, les Maldives et l’Ukraine ont demandé le statut de partenaire de dialogue. L’Arabie saoudite, Bahreïn et le Qatar ont officiellement demandé à rejoindre l’OCS. En 2022, Erdogan a annoncé que la Turquie demanderait le statut de membre à part entière de l’OCS21.

La sécurisation de la fourniture des énergies

La Chine est hautement dépendante de l’import pour la fourniture des énergies, notamment en pétrole et gaz. Le conflit en Ukraine a souligné cette faiblesse.

Le renforcement des échanges avec la Russie se poursuit.

Plus de la moitié de ces achats est faite en Moyen-Orient (L’Arabie Saoudite, Oman, Koweït, etc.) et doivent être transitée via l’océan Indien. Cette route maritime est extrêmement fragile. Les détroits de Malacca, de Taiwan, etc. sont autant de gorges exposées aux forces hostiles. Les conflits possibles avec les acteurs de cette région ou avec les acteurs venus de l’extérieur devraient être anticipés et jugulés. Cette situation met en évidence l’urgence d’une solution terrestre alternative, notamment dans le cadre du BRI. Citons le corridor en Pakistan, le projet de la ligne de fret ferroviaire aboutissant au bord de l’océan indien (Sri Lanka, Myanmar, etc.). Bloqués depuis 25 ans, les travaux pour la ligne ferroviaire Chine, Kyrgyzstan, Uzbekistan vont bientôt commencer après le feu vert de la Russie22.

L’indépendance et l’autosuffisance technologiques

Le conflit en Ukraine a renforcé le sentiment d’urgence de la Chine pour accélérer son autosuffisance / indépendance technologique vis-à-vis des US dans tous les domaines clés, notamment en termes de chipsets23.

Un début de dégel entre les rives du détroit de Taiwan ?

Le conflit en Ukraine a suscité beaucoup de réflexion et commentaires sur la situation entre les deux rives du détroit de Taiwan. La pertinence des analyses mise à part, la comparaison a été nombreuse entre les deux situations. Concernant la Chine continentale, bien que le « recours à la force » comme dernière option ne soit pas exclu, l’accent a été largement mis sur la volonté d’une « réunification pacifique ». Un certain nombre de déclarations et de gestes en provenance des deux rives font voir une sorte d’assoupissements24.

La route de passagers Quanzhou-Jinmen (泉州金门) « trois liaisons mineures » (小三通) a été réouverte. En répondant aux suggestions venant d’en face, Taïwan a ajouté 10 destinations en Chine aux cinq déjà desservies par des vols réguliers. La première délégation chinoise à visiter Taïwan depuis le début de la pandémie de Covid a reçu un « accueil chaleureux ».

L’ancien Président de la République de Chine M. Ma est en Chine continentale depuis le 27 mars pour une visite de plusieurs jours. C’est la première visite d’un ancien ou actuel dirigeant taïwanais depuis la fuite du gouvernement déchu de la République de Chine vers l’île en 1949. Malgré le caractère « privé » de son déplacement, il a été accueilli par des responsables gouvernementaux importants. L’accent est mis sur le passé de « la République de Chine » en continent et la perspective des efforts en commun à venir pour revitaliser la Chine (和平奋斗, 振兴中华 lutter pour la paix, revitaliser la Chine). Cette visite pourrait être le début d’un dégel dans la direction d’une solution pacifique.

Conclusion

Le conflit en Ukraine n’a pas été pris à la légère par la Chine. Sa réponse est complexe. Tenant au principe du respect absolu de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de chaque pays et réprouvant, à sa manière, le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, elle agit en faveur d’une solution pacifique acceptable par tous.

Bien que le conflit ait bousculé son agenda, la Chine s’adapte et accélère la mise en place de sa stratégie globale sur le long terme dans tous les domaines clés pour elle.

1 Yan Xuetong, China’s Ukraine Conundrum, Why the War Necessitates a Balancing Act, Foreign Affairs, May 2, 2022

2 Pierre Breteau, Résolution sur la Russie à l’ONU : quels pays ont changé de position depuis mars 2022 ? Le monde, le 24 février, 2023

3 Cf. National Security Archive: NATO Expansion : What Gorbachev Heard, Declassified documents show security assurances against NATO expansion to Soviet leaders from Baker, Bush, Genscher, Kohl, Gates, Mitterrand, Thatcher, Hurd, Major, and Woerner, Slavic Studies Panel Addresses “Who Promised What to Whom on NATO Expansion?” ( https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early )

4 Yan Xuetong, China’s Ukraine Conundrum, Why the War Necessitates a Balancing Act, Foreign Affairs, May 2, 2022

5 Jean-Marc Four, Franck Ballanger, La Chine est embarrassée face à la guerre en Ukraine, publié le dimanche 9 octobre 2022

6 Josep Borrell, cité in Guerre en Ukraine : le jeu d’équilibriste de la Chine avec la Russie, Sophie Cazaux, BFM TV, le 23/02/2023

7 POSITION DE LA CHINE SUR LE RÈGLEMENT POLITIQUE DE LA CRISE UKRAINIENNE, Ambassade de Chine en France (http://fr.china-embassy.gov.cn/fra/zgyw/202302/t20230224_11031091.htm)

8 David Teurtrie cité in Guerre en Ukraine : le jeu d’équilibriste de la Chine avec la Russie, Sophie Cazaux, BFM TV, le 23/02/2023

9 Ouest France, le 21 mars, 2023.

10 Luc Chagnon, Guerre en Ukraine : les Occidentaux critiquent le plan de paix proposé par la Chine, le 25/02/2023

11 Cf. https//youtube.be/f7pGAeTn8PI

12 Jade, La Chine prévoit la fin de la guerre en Ukraine cet été : Rapport, Aube Digitale, Publié le 11 mars 2023

13 Quels sont les enjeux du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite ? franceinfo, publié le 21/03/2023

14 James McBride, Noah Berman, and Andrew Chatzky, China’s Massive Belt and Road Initiative, February 2, 2023

15 Alex Wang, La gestion des réservés de change : la Chine es prépare-t-elle à faire sa mue ? Revue Conflits, le 6 octobre 2022.

16 Les avoirs de la Chine dans la dette américaine au plus bas depuis plus de 12 ans, French.china.org.cn, le 18. 03. 2023

17 Anadulu Agency, le 7 mars 2023

18 Alex Wang, l’internationalisation du Renminbi (2/3) : le bilan d’étape encourageant, Revue Conflits, le 24 décembre 2022.

19 Liao Shumin, CNOOC, TotalEnergies Complete First Cross-Border Yuan Settlement of LNG Trade, Yicai, Mar 28 2023.

20 Le groupe des BRICS statuera sur l’admission de nouveaux membres d’ici fin 2023, Agence ecofin, 13 janvier 2023

21 Mustapha Dalaa, Organisation de coopération de Shanghai… Les géants d’Asie font front commun contre l’Occident, Anadolu, 26.09.2022

22 China, Kyrgyzstan, Uzbekistan sign landmark railroad deal | Eurasianet. eurasianet.org. [2022-09-16].

23 Alex Wang, La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ? Revue Conflits, le 17 août 2022.

24 Alex Wang, Un dégel de printemps pourrait-il arriver entre les deux rives du détroit de Taiwan ? Revue Conflits, le 22 mars 2023.

In $ We Trust

In $ We Trust

Geopragma – Billet du Lundi de Jean-Philippe Duranthon, membre du CA de Géopragma – publié le 3 avril 2023

https://geopragma.fr/in-we-trust/


Nota : Certains sujets abordés mériteraient de plus amples développements ou suscitent des questions qu’il n’était pas possible de traiter dans la présente note.

1/ Le dollar US est de loin la devise la plus utilisée dans les transactions internationales. Il est actuellement impliqué dans 88 % des transactions de change, contre seulement 31 % pour l’Euro et 7 % pour le Yuan[1]. Il représente 60 % des réserves de change au niveau mondial. C’est la devise utilisée pour la quasi-totalité des mécanismes financiers internationaux, en particulier le système de règlement de paiements internationaux SWIFT[2]. C’est vers le dollar que les investisseurs inquiets de la fragilité des établissements bancaires se sont récemment tournés, ce qui a obligé la banque centrale américaine à accélérer et amplifier ses procédures de swap de devises. Les cours mondiaux des matières premières sont évaluées en dollars. La liste n’est pas exhaustive.

Cette prépondérance a historiquement deux causes principales : l’écrasante supériorité économique de l’économie américaine après la seconde guerre mondiale et l’accord conclu entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite en 1979[3], après les chocs pétroliers de 1973 et1979 : l’Arabie s’est en effet engagée alors à ne vendre son pétrole qu’en dollars US – d’où le concept de « pétrodollars » – et à réinvestir ses dollars excédentaires en titres du Trésor américain ou d’entreprises américaines, en échange de quoi les Etats-Unis s’engageaient à protéger militairement le pays.

 

2/ Utiliser le dollar US pour ses transactions avec l’étranger[4] présente, pour un pays dont ce n’est pas la monnaie nationale, l’avantage essentiel de pouvoir participer facilement aux échanges internationaux, puisque le dollar est actuellement accepté par tous les pays, et de disposer de liquidités extrêmement abondantes et d’éviter ainsi quasiment tout risque de crise de liquidité. En contrepartie de ces avantages considérables cette façon de procéder présente des inconvénients non négligeables :

  • elle fait supporter par les agents économiques du pays utilisateur le risque de change entraîné par la conversion, dans les deux sens, entre le dollar et la monnaie nationale, ce qui les rend dépendants de la politique économique et financière menée par le gouvernement américain et peut déstabiliser le pays dans son ensemble ;
  • elle soumet, en raison de l’extraterritorialité du droit américain[5], les entreprises de ces pays aux décisions américaines restreignant ou interdisant le commerce avec certains pays (sanctions) ; elle permet aux juridictions américaines de juger les violations, réelles ou supposées, du droit américain commises par ces entreprises et, en cas de condamnation, de les obliger à accepter la présence en leur sein d’un représentant des institutions américaines chargé de contrôler le respect de ce droit.

L’utilisation du dollar US restreint donc fortement la souveraineté de l’utilisateur étranger et influe fortement sur le rapport de forces géopolitique.

A l’inverse, le mécanisme libère les Américains de la contrainte des déficits puisque ceux-ci sont pris en charge par les pays tiers qui ont besoin de placer les dollars que le mécanisme les oblige à détenir. Aussi ne faut-il pas s’étonner que le déficit du budget des Etats-Unis ait toujours été important (le projet de budget pour 2024 affiche une prévision de 6,8 %), que le déficit de la balance des paiements américaine soit sans douleur passé de 7,5 Md$ en 1973 à 948 Md$ en 2022 ni que la dette publique américaine ait connu une croissance exponentielle, atteigne aujourd’hui 30 000 Md$ et trouve malgré cela sans difficulté sur les marchés mondiaux le financement nécessaire :

[1] Une même transaction impliquant par définition deux monnaies, le total est de 200 %.

[2] Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication. Ce réseau de télécommunication permet aux institutions financières de tous les pays d’envoyer et de recevoir des ordres de paiement. L’essentiel des transactions est fait en dollar.

[3] Il serait même possible de faire remonter l’origine de ces liens au pacte scellé en février 1945 entre le président Roosevelt et Abdelaziz Ibn Saoud sur le cuirassé Quincy.

[4] On exclut de la présente analyse les pays qui, parce que leur économie s’effondre ou qu’ils sont la proie d’une inflation non maîtrisée, recourent au dollar pour leurs transactions internes afin de rétablir un élément de stabilité.

[5] Les lois américaines prévoient que tout agent économique, américain ou étranger, relève des juridictions américaines s’il a utilisé le dollar américain pour tout ou partie des actes contestés.

Dette fédérale américaine de 1940 à 2015 – wikipedia

 

3/ Il est donc logique que des pays expriment régulièrement leur souhait de sortir de leur dépendance au dollar. La revendication n’est pas récente[1] mais s’est renforcée ces dernières années pour trois principales raisons :

  • – la crise des subprimes de 2008 a montré qu’une crise financière américaine pouvait se transformer en crise mondiale ;
  • – le nombre croissant de mesures de sanction décidées par les Etats-Unis et s’imposant de fait aux autres pays comme on l’a vu, perturbe de plus en plus l’activité économique ;
  • – la formalisation des liens que les BRICS[2] veulent nouer entre eux et la fragmentation géopolitique du monde poussent à la constitution d’entités revendiquant des intérêts communs ; la guerre en Ukraine a amplifié et accéléré ce phénomène.

Certains économistes considèrent que l’ampleur de la dette américaine et la succession des crises financières à dimension mondiale depuis une vingtaine d’années font désormais peser sur l’économie américaine et sur le dollar une menace non négligeable qui doit être prise en compte par ceux qui détiennent cette devise. Aussi considèrent-ils que « le dollar joue un rôle beaucoup trop important dans la finance mondiale » et appellent-ils les pays à diversifier leurs réserves. Un affaiblissement du rôle international du dollar répond donc à une logique technique de prudence financière.

La contestation de la suprématie du dollar s’est accompagnée d’une contestation du faible poids des économies émergentes dans les mécanismes financiers internationaux. Ainsi, les Etats-Unis disposent de 16,75 % des droits de vote au Fonds monétaire international (FMI)[3] mais la Chine de seulement 3,81 %. A la Banque asiatique de développement, le poids de la Chine (6,47 %) est très inférieur à celui du Japon (15,67 %).

La Chine, qui a pris la place du Japon comme premier détenteur de bons du Trésor américains, est logiquement à la pointe de cette contestation et cherche à développer les transactions en Renminbi (aussi appelé Yuan), qui n’est aujourd’hui utilisé que dans 2,7 % des transactions mondiales alors que le PIB chinois représente 14 % du PIB mondial.

Dès mars 2009 le gouverneur de la banque centrale chinoise a préconisé la création d’une monnaie souveraine pour remplacer le dollar et, dans son discours d’ouverture du 14ème sommet des BRICS qui s’est tenu en juin 2022, Xi Jinping a rappelé son souhait de développer la coopération en matière de paiements transfrontaliers.

La Chine a également pris l’initiative de créer en 2014 la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII ou AIIB), dont l’objectif est de renforcer la coopération financière entre les pays membres et de constituer une instance financière internationale contournant celles, créées après la seconde guerre mondiale (FMI, Banque mondiale…), qui sont sous domination américaine. A l’exception du Japon, tous les pays de la zone et tous les BRICS ont adhéré à cette organisation[4]. Le projet de monnaie numérique que la Chine cherche à développer et qui faciliterait les échanges financiers internationaux peut aussi être analysé dans cette perspective.

La Chine a trouvé des alliés – au sein des BRICS, mais pas seulement – pour mener cette stratégie, que renforcent les nouvelles fragmentations nées du conflit en Ukraine. Les « routes de la soie », qui placent les pays bénéficiaires de l’aide chinoise dans la dépendance financière de Pékin, sont un autre moyen d’accroître le rôle du Renminbi, des lignes de swap ayant été créées par la banque centrale chinoise pour faciliter le règlement en Renminbi des opérations effectuées en exécution des contrats signés.

        La Russie, soucieuse, dans le contexte ukrainien, de consolider son alliance géopolitique avec la Chine et qui, dès 2018, a limité les paiements à l’étranger et accentué ses paiements en monnaies alternatives, soutient bien sûr ces initiatives. Se substituant aux pays européens, la Chine a accru fortement ses achats d’hydrocarbures russes, qu’elle règle en Renminbis. Vladimir Poutine s’est clairement prononcé, lors du dernier sommet des BRICS, en faveur de la création d’une monnaie de réserve et, lors de la visite que Xi Jinping a faite à Moscou la semaine dernière, s’est engagé à adopter le Renminbi pour les « paiements entre la Russie et les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine ».

Désireux de renforcer son influence au Moyen-Orient, Xi Jinping a effectué en décembre 2022 un déplacement de trois jours en Arabie saoudite au cours duquel il a déclaré que la Chine s’efforcera d’acheter davantage de pétrole[5] au Moyen Orient et qu’elle souhaitait régler ce pétrole en Renminbis, ce à quoi le gouvernement saoudien a répondu qu’il allait commencer à facturer certaines exportations de pétrole vers la Chine en cette devise.

La Chine a franchi un nouveau pas important au Moyen-Orient en parrainant le 10 mars 2023 à Pékin la réconciliation de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Le contenu de l’accord conclu à cette occasion n’est pas connu mais il serait étonnant que la Chine, qui soutient l’économie iranienne pénalisée par les sanctions américaines, n’en profite pas pour inclure l’Iran dans sa stratégie de promotion du Renminbi, d’autant que, compte tenu des sanctions américaines, ce pays n’aurait pas grand-chose à y perdre.

        L’Inde – dont environ 85 % des importations et des exportations sont aujourd’hui facturées en dollars US – partage le même souci mais aimerait développer le rôle international de sa propre monnaie : ses achats de pétrole russe – qui, comme ceux de la Chine, ont fortement cru en 2022, les deux pays assurant à eux deux 70 % des exportations de pétrole russe – sont réglés en Roupies et le gouvernement indien a mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir aux pays avec lesquels l’Inde pourrait commercer en Roupies.

         L’Afrique du Sud utilise de plus en plus le Renminbi et l’a incorporé dans ses réserves de change. L’Argentine et le Brésil (dont 90 % des exportations sont libellées en dollar) ont récemment annoncé leur intention de créer une monnaie unifiée destinée à être utilisée dans les transactions commerciales bilatérales en Amérique latine et le Brésil a dès à présent adopté le Renminbi pour une partie de ses échanges avec la Chine. La situation économique et financière de ces pays rend ces initiatives anecdotiques mais celles-ci n’en sont pas moins significatives d’un état d’esprit qui se répand.

La volonté de diminuer l’influence du dollar et de « dédollariser » les échanges internationaux est donc claire et le processus engagé par la Chine est sans doute irrémédiable et susceptible de modifier sensiblement les relations financières internationales.

 

4/ Mais la réalisation de ce processus demandera du temps. Si la volonté ne fait pas doute, le processus se heurtera à de nombreuses contraintes.

La supériorité du dollar US est tellement écrasante que la réduire oblige à modifier fondamentalement l’organisation d’une économie mondialisée, ce qui ne peut pas être fait rapidement. Le « détricotage » des liens financiers et bancaires dont dépendent les échanges physiques ou financiers internationaux ne peut être que progressif.

Le système actuel a jusqu’ici présenté bien des avantages pour les États-Unis et pour la Chine puisqu’il permet aux Chinois de vendre aux Américains les produits de leurs usines, en récupérant au passage des dollars bien utiles pour investir en Europe, et aux Américains d’acheter ces produits sans avoir à se soucier de leur balance des paiements. Mais cet avantage va diminuer peu à peu pour la Chine avec le développement du marché intérieur chinois, corollaire de l’augmentation du niveau de vie de la population.

La difficulté vient surtout de ce que le Renminbi/Yuan ne présente pas les caractéristiques d’une monnaie internationale. Alors que les parités du dollar et de l’Euro sont fixées par le marché, c’est-à-dire dépendent le l’efficacité des différents agents économiques et de celle de leurs politiques publiques, le Renminbi/Yuan demeure une devise administrée, dont le cours est fixé par le gouvernement chinois et dépend donc davantage de considérations politiques que de constats économiques. De surcroît, en Chine les prix des biens ne sont pas tous fixés librement par le marché, la sécurité juridique des investissements est aléatoire et les conversions entre devises sont incertaines. Pour un pays tiers, abandonner le dollar au profit du Renminbi signifie donc se mettre entre les mains des dirigeants de Pékin.

En outre, le dollar constitue l’essentiel des réserves détenues par les banques centrales de tous les pays, si bien qu’aucun d’eux n’a intérêt à provoquer une chute de la devise qui diminuerait la valeur de ses propres actifs.

Il est d’ailleurs frappant de constater que, si la part du dollar dans les réserves des banques centrales a baissé ces dernières années – elle est passée d’environ 70 % dans les années 2000 à environ 60 % aujourd’hui -, elle demeure sans commune mesure avec celle de toutes les autres devises :

[1] Voir les critiques exprimées lors de la crise financière asiatique de 1997 par le gouverneur de la Banque populaire de Chine (PBoC).

[2] Groupe de cinq pays qui se réunissent depuis 2011 en sommets annuels : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Ils représentent 41 % de la population mondiale, 24 % du PIB mondial et 16 % du commerce mondial.

[3] Les pourcentages sont respectivement de 16,21 et 4,85 à la Banque Mondiale. Un projet de réforme du FMI avait été signé par Barack Obama en 2010 mais le Congrès a refusé de ratifier en 2014.

[4] Taiwan a demandé à adhérer mais sa candidature a été refusée. Presque tous les pays européens ont fini par adhérer à la BAII mais pas les Etats-Unis, le Canada ni le Mexique.

[5] La Chine est le premier acheteur mondial de pétrole avec 204 Md$ et l’Arabie Saoudite le premier exportateur mondial de pétrole avec 145 Md$ (données de 2019).

En fait la diversification des réserves des banques centrales ne s’est pas faite par recours à des devises autres que le dollar mais par un recours accru à l’or : le changement de politique date de 2010 mais s’est accru en 2022, année pendant laquelle les banques centrales ont acquis 1 136 tonnes d’or contre environ 500 tonnes les années précédentes :

Divers éléments laissent penser que la Chine et la Russie, dont les réserves en or sont déjà d’un niveau notable, sont responsables d’une partie très importante des achats effectués en 2022 :

Les 30 premières banques centrales détentrices d’or en juillet 2018 (en tonnes) – Source : World Gold Council.

 

5/ La « dédollarisation » du système financier européen serait particulièrement malaisée. L’existence d’une monnaie commune constitue un atout indéniable car l’Euro est l’expression d’une économie jusqu’ici puissante et prospère. Mais l’espoir de voir l’Euro jouer un rôle important au niveau mondial a été largement déçu puisque la part de l’Euro dans les transactions internationales n’est pas plus élevée que celle que les devises qui le constituent avaient avant sa création et que sa part dans les réserves des banques centrales n’augmente pas. L’Euro n’est donc ni une monnaie d’échange, ni une monnaie de réserve du même niveau que le dollar et ne semble pas pouvoir le devenir.

C’est que le système financier européen est très imbriqué dans le système financier américain, comme l’ont montré la crise des subprimes et tout récemment les incidents bancaires aux Etats-Unis et en Suisse, et sa « désimbrification », à supposer qu’elle soit souhaitable, serait longue à réaliser et difficile à maîtriser. Les incertitudes en résultant conduiraient les investisseurs internationaux à s’écarter de l’Euro, donc à l’affaiblir.

S’ils se détournaient du dollar au profit de l’Euro, les pays tiers ne se « débrancheraient » pas pour autant du dollar et des risques économiques et politiques qu’il représente.

Il est peu probable que cette situation change à brève échéance et les évolutions récentes ne vont pas dans le sens d’une autonomisation de l’Euro, qu’il s’agisse du fait que les Européens ont remplacé le gaz russe par du gaz américain ou des transferts aux Etats-Unis d’entités industrielles européennes que la loi américaine dite IRA va entraîner.

 

6/ L’affaiblissement du rôle du dollar dans la vie financière internationale est donc enclenché. Le contexte actuel favorise une telle évolution : le conflit en Ukraine entraîne la rupture des liens financiers existant entre les deux camps antagonistes ; la dégradation des relations entre la Chine et les États-Unis et les obstacles mis à l’expansion des entreprises chinoises perturbent les relations économiques entre les deux pays ; les difficultés économiques résultant des tensions inflationnistes et de l’abondance des liquidités créées par la politique de quantitative easing[1] des banques centrales fragilisent le système financier occidental et incitent à moins lui faire confiance. La fracturation géopolitique du monde se traduira certainement par une fracturation de l’usage des devises.

Mais il n’existe pas aujourd’hui de véritable alternative au dollar US qui, avec l’or, reste l’actif refuge en cas de crise. La remise en cause de la place du dollar sera un élément de la fragmentation du monde mais ne sera vraisemblablement significative qu’au sein des entités qui, pour des raisons géopolitiques, souhaitent ou doivent limiter leurs interactions économiques avec le bloc occidental : Chine/Russie, zones du Pacifique passées sous obédience chinoise, pays du Moyen-Orient voulant résister aux influences américaines ou israélienne, etc. Il est au contraire probable que le dollar US maintiendra, voire accentuera sa place dans les pays dominés politiquement et économiquement aux Etats-Unis : Europe, Amérique du Nord et, en grande partie, Amérique centrale et du Sud. Les autres pays chercheront à conserver un équilibre entre les différents blocs.

Pour l’instant le dollar se porte bien et investir en dollar demeure une bonne affaire financière :

[1] Achat par les banques centrales de créances que détenaient les établissements financiers, en particulier d’emprunts d’Etat, afin que ces établissements disposent de davantage de liquidités.

Ainsi qu’un journaliste du Financial Times l’a écrit récemment[1] : « le dollar ne mérite peut-être pas de gagner un concours de beauté en ce moment… mais de nombreux investisseurs le considèrent toujours comme l’option la moins laide dans un monde très laid ». Les propos que John Connally, alors secrétaire au Trésor américain, avait tenus aux Européens en 1972 demeureront donc valables encore longtemps : « le dollar c’est notre monnaie et votre problème ».

[1] Gillian Tett – FT – 30 mars 2023.

La Russie lance un important programme pour densifier la défense anti-aérienne et anti-missile du pays

La Russie lance un important programme pour densifier la défense anti-aérienne et anti-missile du pays


En amont de l’agression russe contre l’Ukraine, une majorité d’analystes considéraient, non sans de nombreuses raisons objectives, que la défense anti-aériennes et anti-missiles multicouche russe était l’une des plus performantes, si pas la plus performante de la planète. Celle-ci associait en effet plusieurs types de systèmes spécialisés et complémentaires, comme le S-400 dédié à la défense anti-aérienne et anti-missile à moyenne et haute altitude, le S-300PMU pour la défense antibalistique, le Buk pour la défense tactique à moyenne et basse altitude, ainsi que les systèmes TOR et Pantsir pour la défense rapprochée. Cette défense, complétée par les systèmes antibalistiques lourds A-135 positionnés autour de Moscou et de Saint-Petersbourg, couvrait un très large périmètre le long des frontières russes et assurait également la protection des sites sensibles, tout en étant présentée comme parfaitement intégrée avec la défense aérienne composée d’appareils de veille aérienne A-50, d’intercepteur Mig-31 et d’appareils de supériorité aérienne Su-35 et Su-27.

La guerre en Ukraine, et notamment les frappes attribuées à l’Ukraine contre plusieurs sites sensibles russes, qu’il s’agisse de la base aérienne de Rostov et les dépôts de carburant de Belgorod au début du conflit, de la base aérienne stratégique d’Engels il y a quelques mois, ou de la frappe à moins de 200 km de Moscou cette semaine, en employant des missiles balistiques Toshka, des hélicoptères de combat Mi-24 ou des drones Tu-141, ont sensiblement taillé en brèche l’image d’opacité absolue que voulait donner Moscou à sa défense aérienne jusqu’ici, au point que même la Turquie semble vouloir se détourner du S-400 pour développer son propre système anti-aérien à longue portée. Mais si le problème est déjà sensible sur la scène internationale pour les futures éventuelles exportations d’armement russe, il est également important sur la scène intérieure, l’opinion publique comme les commentateurs russes étant de plus en plus perplexes quant au manque de performances apparent de la défense aérienne du pays sensée être impossible à prendre en défaut, y compris par l’OTAN.

Le système S-350 est plus léger et mobile que le S-300 qu’il remplace

C’est dans ce contexte que Sergei Shoigu, le ministre de la défense russe considéré comme le dauphin désigné de Vladimir Poutine avant la guerre en Ukraine et à la limite de la disgrâce depuis, a annoncé un vaste programme visant à moderniser et renforcer la défense anti-aérienne et anti-missile du territoire russe, et notamment considérablement durcir la protection de Moscou. Pour cela, le Ministère de la défense entend réorganiser organiquement la défense moscovite, en créant une division de défense anti-aérienne et anti-missile composée de brigades de défense anti-aériennes et anti-missiles équipées de systèmes S-400 et S-500, ainsi que de régiments de défense aérienne qui recevront les nouveaux S-350 pour cette mission. En outre, une centaine de bataillon à ce jour équipés de S-300 vont être transformés sur S-350, alors qu’un grand nombre de systèmes de protection rapprochée Pantsir, plus de 500 pour 2023, seront livrés aux unités de défense locale à travers le pays. Quant aux A-135, il seront remplacés, d’ici 2025, par le nouveau A-235 Nudol qui dispose de capacités anti-balistiques mais également anti-satellites étendues car pouvant atteindre des cibles jusqu’à 700 km d’altitude.

Atlas stratégique des armées françaises (Institut d’études de géopolitique appliquée – DGRIS, mars 2023)

Atlas stratégique des armées françaises (Institut d’études de géopolitique appliquée – DGRIS, mars 2023)

par Theatrum Belli – publié le