Le 29 juillet 2024, des sources non officielles ont indiqué que la Pologne commencera début août les négociations pour l’acquisition de 159 véhicules de combat d’infanterie (IFV) Borsuk. Cette acquisition vise à équiper deux bataillons d’infanterie mécanisée, chacun recevant 58 véhicules, avec des unités supplémentaires pour la formation.
En bref :
La Pologne négocie l’achat de 159 véhicules de combat d’infanterie Borsuk pour équiper deux bataillons d’infanterie mécanisée.
Le Borsuk est un véhicule amphibie équipé d’un canon automatique de 30 mm et d’un lanceur de missiles Spike.
Le développement est mené par un consortium de sociétés polonaises, avec une production prévue de 1 400 unités pour remplacer les BMP-2.
Le véhicule dispose d’une armure modulaire, de systèmes de contrôle de tir avancés et de protections contre les IED et mines.
Les prototypes du Borsuk ont été testés extensivement et le véhicule a été présenté pour la première fois à l’étranger lors du salon Eurosatory 2024.
Un projet ambitieux soutenu par un consortium national
Le projet Borsuk, initié par l’Agence de l’armement polonaise et le consortium de la Polish Armaments Group et de Huta Stalowa Wola, inclut plus de mille IFV Borsuk et environ 400 véhicules spécialisés. Parmi ces derniers figurent des véhicules de reconnaissance Żuk, des véhicules de commandement Oset, la plateforme MEDEVAC Gotem, les véhicules ARV Gekon et la plateforme de reconnaissance CRBN Ares.
Caractéristiques techniques et capacités du Borsuk
Le Borsuk est un véhicule blindé à chenilles conçu pour l’infanterie mécanisée. Il est équipé de la station d’armes téléopérée ZSSW 30 armée d’un canon automatique Bushmaster Mk 44 de 30 mm. Ce véhicule moderne offre une protection optimale à son équipage contre les tirs d’armes légères, les lance-grenades antichars, les engins explosifs improvisés (IED) et les mines. Il est également amphibie, une caractéristique qui le distingue de nombreux autres véhicules similaires, lui permettant de traverser des cours d’eau et d’opérer dans divers environnements. Le Borsuk peut atteindre une vitesse de 65 km/h sur route et 8 km/h dans l’eau, avec un poids de 28 tonnes dans sa variante de base.
Partenaires industriels et collaboration internationale
Le développement du Borsuk est dirigé par HSW S.A. et inclut plusieurs entreprises polonaises telles que OBRUM Sp.z o.o., Wojskowe Zakłady Motoryzacyjne S.A., ROSOMAK S.A., et des institutions académiques comme l’Université des études militaires et l’Université de technologie militaire. Ce projet représente la nouvelle génération de véhicules blindés à chenilles pour l’armée polonaise, remplaçant le BWP-1 de fabrication soviétique. Ces collaborations stratégiques garantissent que le Borsuk bénéficie des dernières innovations technologiques et des meilleures pratiques de fabrication.
Armements et équipements avancés
Le Borsuk est doté d’un canon Bushmaster Mk 44/S de 30 mm, d’une mitrailleuse coaxiale de 7,62 mm et d’un lanceur de missiles antichars double Spike. Le système de contrôle de tir avancé intègre un auto-tracker et des systèmes optroniques pour le tireur et le commandant. Ces systèmes permettent une acquisition rapide des cibles et une grande précision de tir, même en mouvement. Le véhicule est propulsé par un moteur diesel MTU 8V199 TE20 développant 720 chevaux, couplé à une transmission automatique Allison. Les chenilles en caoutchouc composite fournies par Soucy Defense améliorent la mobilité et réduisent les vibrations, offrant ainsi un confort accru pour l’équipage.
Le Borsuk dispose également de deux jets d’eau à l’arrière pour les opérations amphibies, permettant des manœuvres agiles dans l’eau. Le véhicule est équipé de lance-grenades fumigènes pour créer des écrans de fumée protecteurs et d’un système de détection et suppression des incendies pour une sécurité accrue. Un système de protection NBC (nucléaire, biologique et chimique) et une unité de puissance auxiliaire (APU) assurent le fonctionnement des systèmes principaux même lorsque le moteur principal est éteint.
Production et perspectives futures
Lors du salon Eurosatory 2024 à Paris, la Pologne a présenté son dernier modèle de Borsuk, financé par le Centre national de recherche et de développement polonais. Cinq prototypes ont déjà été testés extensivement, prouvant la viabilité du design et la robustesse du véhicule dans des conditions variées. La production de 1 400 unités est prévue en plusieurs tranches pour remplacer les BMP-2 actuellement en service.
Avantages stratégiques
Le Borsuk offre des capacités de survie et de combat améliorées, grâce à une conception modulaire de l’armure qui peut être ajustée selon les besoins de la mission. Le blindage modulaire permet d’ajouter ou de retirer des panneaux d’armure pour adapter la protection du véhicule aux menaces spécifiques rencontrées sur le champ de bataille. Il est également équipé de lance-grenades fumigènes, d’un système de détection/suppression d’incendie et d’un système NBC pour la protection contre les menaces nucléaires, biologiques et chimiques.
La capacité amphibie du Borsuk lui permet de traverser des rivières et d’opérer dans des environnements marécageux, offrant une flexibilité opérationnelle qui peut être décisive dans de nombreux scénarios tactiques. Le système de propulsion et de suspension avancé assure une mobilité exceptionnelle sur des terrains variés, des routes pavées aux terrains accidentés.
Jean-Baptiste Giraud
Journaliste éco, écrivain, entrepreneur. Dir de la Rédac et fondateur d’EconomieMatin.fr. Fondateur de Cvox.fr. Officier (R) de gendarmerie.
Incontestablement, le Leclerc Evolution, présenté par KNDS, aura été l’un des blindés phares du salon Eurosatory 2024, qui ferme ses portes ce vendredi. Ce char réalise, en effet, la synthèse entre le Leclerc EAU (Émirats arabes unis) et la tourelle EMBT, présentée en 2022 lors de la précédente édition de ce salon.
Ainsi, le Leclerc Evolution peut prétendre s’inviter, sans pâlir, dans la nouvelle génération intermédiaire de chars de combat en cours de conception, aux côtés du Leopard 2AX/3, développé par KNDS Allemagne, du KF51 Panther de Rheinmetall, du M1E3 Abrams américain, et du T-14 russe, ce d’autant qu’il est présenté, par ses concepteurs, comme « prêt à produire », sur un marché international en forte demande.
Toutefois, comme la commande des 18 Leopard 2A8 par la Bundeswehr, avait lancé la carrière internationale de ce blindé, commandé, ou bientôt commandé, par quatre autres pays européens en seulement un an, le super-char de KNDS France doit, avant tout, obtenir une commande de l’Armée de terre française, pour se positionner de manière crédible sur la scène internationale.
Malheureusement pour le Leclerc Evolution, et la stratégie de KNDS, l’Armée de terre, comme le ministère des Armées n’ont, pour l’heure, nullement l’intention, ni les moyens, d’acquérir le nouveau char français.
Sommaire
Le char n’est pas la priorité de l’Armée de terre aujourd’hui
Et pour cause. De l’aveu même de l’Armée de terre française, les chars ne sont pas, pour elle, la priorité aujourd’hui. En effet, celle-ci doit, dans le cadre de la LPM 2024-2030, mener à bien de nombreux programmes, qui seront difficiles à financer dans leur intégralité, avec, notamment, le déploiement des Griffon, Serval et Jaguar du programme SCORPION, la conception et la commande des VBAE pour remplacer les VBL, l’acquisition des 109 Caesar MkII qui doivent former la colonne vertébrale de l’artillerie française, ou encore la modernisation des hélicoptères d’attaque Tigre et l’entrée en service du H-160M Guépard, pour l’ALAT.
Cette modernisation à marche forcée, conséquence de 25 ans de sous-investissements dans le remplacement des équipements, et d’une utilisation intensive des moyens en Afghanistan, au Levant et dans la bande sahélienne, ne laisse presque aucune marge de manœuvre à l’état-major de l’Armée de Terre, pour, éventuellement, se saisir d’opportunités apparues lors de cette LPM.
Au-delà de ces contraintes parfaitement claires sur les six années à venir, l’Armée de terre souffre, également, d’un état-major dans lequel les forces légères, Légion, troupes de marine et parachutistes, sont sur-représentées par rapport aux unités de ligne, en particulier les chars de combat.
Ainsi, ces 10 dernières années, l’Armée de terre a été commandée par un parachutiste (Gal Bosser), un légionnaire (Gal Burkhard) et un TdM (Gal Schill), alors que le poste de Major Général a été assumé par deux parachutistes (Gal de La Chesnais et Gomart), un génie (Gal Quevilly), et deux cavaliers (Gal Barrera et Béchon), mais ayant fait leurs armes, pour l’essentiel, dans la cavalerie légère.
Par ce tropisme pour les forces légères et de manœuvre, les impératifs de modernisation touchant l’ensemble des équipements, dont l’omniprésente gamme de blindés médians, l’historique opérationnel récent et les contraintes budgétaires, il n’est guère surprenant que les capacités de ligne françaises, chars de combat, artillerie lourde et infanterie mécanisée, n’ont guère été au centre des préoccupations de l’état-major de l’Armée de terre.
Ainsi, alors que ces moyens sont au cœur du conflit en Ukraine contre la Russie, ils sont les parents pauvres des efforts consentis par l’Armée de terre dans la LPM 2024-2030, avec une modernisation limitée de 160 Leclerc seulement, la commande de 109 Caesar MkII appelés à former la totalité de l’artillerie de 155 mm de l’AT et l’absence de modernisation des VBCI.
La stratégie de KNDS loin des attentes françaises qui lui ont donné naissance
À ces considérations purement militaires et budgétaires, s’ajoutent une probable déception politique, concernant la stratégie, pourtant pertinente, établie par KNDS, autour des Leopard 2A-RC 3.0 et Leclerc Evolution, en préparation du MGCS.
En effet, initialement, la fusion entre Nexter et Krauss-Maffei Wegmann, voulue par Jean-Luc Le Drian et Ursula van der Leyen, avait pour objectif de rapprocher les programmes de R&D et de production dans le domaine des armements terrestres, en particulier pour les armées des deux pays. Le programme MGCS devait servir de pivot entre les deux entreprises, et les deux armées, pour donner naissance à cette dynamique.
Rapidement, cependant, il devint évident que les attentes des deux armées, comme les marchés des deux entreprises nationales, n’avaient qu’une surface de recoupement très faible.
Ces divergences tinrent le rôle de frein concernant le programme MGCS, presque à l’arrêt pendant cinq ans, sur fonds de divergences des attentes des armées des deux pays, et de tensions portant sur le partage industriel, plus précisément entre Nexter et Rheinmetall, après que ce dernier fut imposé au programme par le Bundestag, en 2019.
La réponse de KNDS, à ce constat, aura été pertinente, bien qu’inattendue. En effet, plutôt que de rester chacun chez soi, des deux cotés du Rhin, KMW et Nexter entreprirent de developper une offre globale, complémentaire et structurée, pour couvrir le plus de besoins possibles avec la plus grande valeur ajoutée.
À ce sujet, la présentation du Leclerc Evolution a représenté, en quelque sorte, le coming-out de Nexter, concernant cette stratégie industrielle et commerciale, presque à l’opposée des objectifs politiques initiaux, en revendiquant des développements différenciés, et non commun, au profit d’une offre élargie, et non standardisée.
Une LPM sous contrainte et le flou politique interdisent tout opportunisme industriel
Si les biais de l’état-major de l’Armée de terre, et la possible irritation politique liée à la stratégie révélée de KNDS, jouent certainement un rôle important, dans le refus avancé de se tourner vers le Leclerc Evolution, c’est, sans le moindre doute, les contraintes budgétaires, liées à l’exécution de la LPM 2024-2030, qui constituent le frein le plus important, et le plus efficace, à son encontre.
En effet, bien qu’avec 413 Md€ planifiés pour les armées sur cette période, l’effort de renouvellement et de modernisation est évident et palpable, la LPM est, cependant, à ce point optimisée, que libérer des crédits pour développer et acquérir, ne serait-ce qu’une centaine de nouveaux chars, apparait hors de portée de l’Armée de Terre, comme du ministère des Armées.
Et s’il existe des clauses de revoyures, en particulier en 2026, pour adapter la LPM aux évolutions des besoins des armées, il convient de garder à l’esprit que l’enveloppe globale, elle, est peu susceptible d’évoluer, tout au moins de manières significatives. Pour y parvenir, il serait nécessaire que l’exécutif opère un changement d’objectifs pour la suite de la LPM, et augmente les investissements prévus, dans le cadre de cette LPM.
Or, le flou politique qui s’est abattu sur la France ces dernières semaines, et qui pourrait bien perdurer au-delà des élections législatives anticipées, rend difficile, pour ne pas dire improbable, qu’un changement de trajectoire puisse être opéré, à ce sujet, dans les mois à venir.
L’Armée de terre et KNDS ne doivent pas rater l’opportunité du Leclerc Evolution
Pourtant, le nouveau Leclerc représente une opportunité unique, afin de permettre à KNDS France, de devenir, à nouveau, un acteur majeur, à l’échelle mondiale, dans le domaine des blindés chenillés lourds, et des chars de combat en particulier, et pour l’Armée de terre, de recoller aux capacités d’engagement de ligne en matière de haute intensité.
En effet, comme évoqué précédemment, le char dispose d’atouts significatifs, pour séduire sur la scène internationale, ce d’autant qu’il serait présenté là où le Leopard 3 n’ira pas, et vice-versa. En d’autres termes, le char bénéficierait d’un positionnement concurrentiel particulièrement attractif, face au K-2 Black Panther sud-coréen, au T-90MS russe, au VT-4 chinois, et même face au M1E3 américain.
Plus performant que les modèles russes, chinois et sud-coréens, il sera, en revanche, sensiblement moins cher que le nouvel Abrams américain, tout en arrivant, sur le marché, avec plusieurs années d’avance, pour peu que la France réagisse suffisamment vite.
Qui plus est, cela permettrait à KNDS de recoller au tempo de la demande, après avoir subi les affres de la contre-programmation avec le Leclerc, arrivé sur un marché atone avec la fin du bloc soviétique, et qui, par ailleurs, s’interrogeait sur l’intérêt du char, après la guerre du Golfe et surtout la première guerre de Tchétchénie.
Cela mettrait, par ailleurs, KNDS France sur un pied d’égalité avec KNDS Deutschland dans le cadre du programme MGCS, en jouant un rôle similaire sur le marché mondial du char de combat, et en maturant effectivement certaines technologies clés, comme l’équipage à quatre membres et le canon Ascalon.
Quant à l’Armée de terre, elle disposerait d’un char de combat, même en petite quantité, particulièrement adapté au combat moderne de haute intensité, susceptible d’évoluer dans les environnements difficiles, comme le long d’une ligne d’engagement figée ou en zone urbaine.
Par ailleurs, l’arrivée de 100 ou 120 Leclerc Evolution, un nombre suffisant pour lancer la production, donc la carrière internationale du blindé, permettrait de décaler autant de Leclerc MLU, par exemple, pour armer des régiments de réservistes, et ainsi, disposer d’une réelle capacité de rotation.
Le Leclerc Evolution permettrait, enfin, à l’Armée de terre comme à la BITD française, d’obtenir de nombreux retours d’expérience, pouvant influencer de manière pertinente le programme MGCS, tant pour le dérisquer que pour le doter de nouvelles capacités optimisées.
Dans le cas contraire, l’armée de terre devra aller jusqu’en 2045 avec ses Leclerc actuels, qui n’auront plus de potentiel opérationnel significatif d’ici à quelques années, et l’arrivée des premiers chars de génération intermédiaire. Elle sera, ainsi, tout autant privée de moyens opérationnels que de la possibilité de faire évoluer son expertise et sa doctrine, dans un monde dans lequel les tempos technologiques et tactiques évoluent très rapidement.
Quant à KNDS France, l’industriel aura perdu, en grande partie, son expertise et sa crédibilité dans le domaine des blindés lourds, pour n’avoir plus vendu de chars, ou de blindés chenillés, depuis les Leclerc émiratis. Dans le même temps, KNDS Deutschland fera, sans le moindre doute, de son Leopard 3 un succès, avec le risque de déclasser la BITD terrestre française, y compris face à Rheinmetall, si le KF51 trouvait preneur.
Changer les paradigmes du programme Leclerc Evolution pour pouvoir lui donner naissance
Que faire, lorsque s’impose la nécessité de développer et de mettre en œuvre le Leclerc Evolution en France, alors que les contraintes budgétaires et politiques l’interdisent ? En effet, il apparait de ce qui précède, que le char de KNDS France, se trouve dans une impasse, en dépit d’un potentiel industriel et opérationnel indéniable.
La solution la plus évidente serait une décision politique en faveur d’une hausse des crédits de défense à relativement courts termes, pour financer la conception du char et sa commande pour les armées françaises. Cependant, celle-ci est peu probable, puisqu’aucun des programmes des trois formations politiques, en tête des sondages pour les législatives anticipées, envisage une telle hypothèse.
Une coproduction, sous la forme d’un marché conjoint signé entre plusieurs pays européens, pourrait, en revanche, en faciliter l’émergence. Ainsi, à l’image de l’accord signé entre Paris, Zagreb et Tallinn, au sujet des Caesar ; entre la France, la Belgique, Chypre, l’Estonie et la Hongrie, pour les missiles Mistral 3 ; ou avec la Grèce, pour les frégates FDI, Paris peut tenter de trouver des partenaires susceptibles d’étendre l’assiette du programme, et de porter une part des couts de développements.
En Europe, la Grèce, qui doit remplacer un grand nombre de ses blindés, y compris ses chars, et qui dispose d’une industrie de défense terrestre, et la Belgique, partenaire de la France dans le cadre du programme CaMo, pourraient rejoindre un tel programme.
Rappelons que si le retour budgétaire, sur les dépenses d’état, dans le domaine de l’industrie de l’armement, s’établit autour de 50 % pour un char comme le Leclerc Evolution, qui repose sur certains composants importés (Moteur MTU, APS Trophy), celui-ci atteint 85 à 90 % lorsque les montants exportés sont équivalents à ceux investis.
En d’autres termes, si Paris commandait 200 Leclerc Evolution, et parvenait, par l’intermédiaire des nouveaux modèles de coopération industriel de défense, à exporter 200 exemplaires, le cout final, sur le budget de l’État, ne dépasserait pas les 15 % des montants investis par la France, dans ce programme, soit moins de 500 m€, pour entièrement renouveler la composante chars lourds de l’Armée de terre, tout en libérant les moyens matériels pour trois régiments de chars de réserve.
Conclusion
On le voit, il ne fait guère de doutes que le char Leclerc Evolution, présenté par KNDS lors du salon Eurosatory 2024, représente une réelle opportunité, tant pour l’industriel et l’ensemble de la BITD terre française, que pour l’Armée de terre, fut-elle quelque peu rétive à franchir le pas.
Toutefois, pour se saisir de ces opportunités, il serait, très certainement, indispensable de faire évoluer plusieurs des paradigmes clés concernant l’acquisition des équipements de défense, et surtout, l’anticipation de la soutenabilité budgétaire de la démarche.
En effet, pour peu qu’il soit possible de sécuriser un volume de commandes à l’export, équivalent au montant des investissements français dans ce programme, il s’avère que le mur qui semble se dresser entre l’Armée de terre, le Leclerc Evolution et sa carrière internationale, pourrait être en grande partie contourné, au point d’être soutenable, y compris pour les caisses de l’État sous tension.
Reste que pour faire de ce programme un véritable succès, un dernier paramètre, celui du temps, doit être pris en considération. En effet, lancer la production du nouveau Leclerc, pour l’Armée de terre, comme pour le marché export, n’a d’intérêt que si elle intervient dans les quelques années à venir, concomitamment au Leopard 2AX/3 allemand, et avant le M1E3 américain.
Faute de quoi, le marché se sera rapidement restructuré autour des nouveaux chars allemands et américains, ainsi que des modèles sud-coréens, turcs, russes ou chinois, ne laissant, comme ce fut le cas pour le Leclerc, qu’un marché saturé en perspective.
La question est donc de savoir si le ministère des Armées, comme le ministère du Budget et de l’économie, sauront faire preuve de la souplesse comme de la vélocité suffisante, pour effectivement permettre à l’industrie de défense française, KNDS France en particulier, de réinvestir le marché des chars de combat et des blindés lourds chenillés, dans un marché plus porteur que jamais ?
Article du 21 juin en version intégrale jusqu’au 3 aout 2024.
Alors que le conflit en Ukraine s’enlise dans sa troisième année, les tensions entre l’Occident et la Russie ne cessent de s’intensifier. Le président français Emmanuel Macron a récemment évoqué la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine, une déclaration qui a suscité de vives réactions sur la scène internationale. Cependant, ces propos belliqueux semblent en décalage avec la réalité de l’armée française, si l’on en croit les révélations d’un ancien officier supérieur.
Guillaume Ancel, ancien lieutenant-colonel formé à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr, a accordé une interview explosive au journal lunion.fr. Ses déclarations jettent une lumière crue sur l’état actuel des forces armées françaises et leur capacité à faire face à un conflit de haute intensité comme celui qui se déroule en Ukraine.
« Nous n’avons pas aujourd’hui une armée capable de se battre dans les conditions de l’Ukraine« , affirme sans détour Ancel. Cette assertion choc repose sur plusieurs facteurs qu’il détaille au fil de l’entretien. Selon lui, l’armée française s’est progressivement transformée en un « super corps expéditionnaire léger », adapté à des interventions ponctuelles sur des théâtres d’opérations lointains, mais mal équipé pour un conflit prolongé et intense aux portes de l’Europe.
L’ancien officier pointe du doigt le manque criant de matériel lourd et de munitions. Il rapporte les propos alarmants du chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, qui aurait déclaré devant des parlementaires : « Si on voulait s’impliquer dans une guerre comme celle de l’Ukraine, nous aurions 15 jours de munitions« . Cette pénurie s’explique, selon Ancel, par des choix stratégiques erronés faits après la fin de la Guerre froide.
La professionnalisation de l’armée, avec la fin du service militaire en 1997, a certes permis de constituer une force d’élite, mais au prix d’une réduction drastique des effectifs et d’une spécialisation excessive. « On a formé une armée d’élite, en passant de 600 000 hommes à 200 000 militaires« , explique Ancel. Ce choix a conduit à la fermeture de nombreuses bases et à l’abandon de certaines capacités, notamment dans le domaine du combat blindé mécanisé.
L’ancien lieutenant-colonel critique également le manque de débat public sur ces questions cruciales. Il déplore une tradition de silence imposée aux militaires, remontant selon lui à Napoléon Bonaparte. Cette « grande muette« , comme on surnomme l’armée française, peine à communiquer avec la société civile et à faire entendre ses besoins.
Face à la résurgence de la menace russe, Ancel plaide pour un changement radical de paradigme. Il préconise notamment l’acquisition de chars de combat modernes, comme le Léopard II, utilisé par plusieurs pays européens. Pour lui, une défense européenne coordonnée et bien équipée est nécessaire pour faire face aux défis géopolitiques actuels, bien que le leader russe ait nié toute envie de s’étendre vers l’Europe.
Ces révélations soulèvent de nombreuses questions sur la pertinence de la politique de défense française et sur sa capacité à répondre aux défis géopolitiques actuels. Alors que le président Macron a annoncé une augmentation significative du budget de la Défense, Ancel estime que ces investissements ne suffiront pas s’ils ne s’accompagnent pas d’une refonte en profondeur du modèle d’armée.
L’interview d’Ancel à lunion.fr agit comme un signal d’alarme. Elle met en lumière le décalage entre les ambitions affichées par le pouvoir politique et les réalités du terrain. À l’heure où les tensions internationales s’exacerbent, la France se trouve face à un défi de taille : moderniser rapidement ses forces armées pour les adapter à un monde où la guerre conventionnelle, loin d’avoir disparu, semble malheureusement redevenir une option.
On a appris cette semaine quelques détails intéressants sur le choix norvégien en faveur du Leopard 2A8, annoncé en février 2023. Alors que les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen après plusieurs mois d’évaluation, les militaires norvégiens avaient choisi le K2 sud-coréen, c’est finalement son concurrent allemand qui a été sélectionné par les responsables politiques du pays. Derrière cette distorsion, se cacherait un certain nombre d’arguments allemands visant à favoriser le blindé allemand.
On ne connait pas les détails exacts de ces tractations au cours desquels plusieurs sujets sensibles auraient été abordés comme le pétrole et le gaz ou le coût des programmes associés et la présence de la marine allemande au large des côtes norvégiennes.
Le résultat de ce qui ressemble à une vaste tambouille dans laquelle l’avis des militaires n’a pas été pris en compte, a débouché sur la sélection du Leopard 2, qui serait trop lourd pour être déployé dans les zones les plus septentrionales du pays, où se trouvent les frontières finlandaises et russes, objets des mesures de surveillance des états de la région et de l’OTAN. En dépit de leur caractère très surprenant, ces informations si elles étaient confirmées, démontrent que le choix d’un char de combat est un acte éminemment politique, caractéristique qui peut paraître choquante pour les utilisateurs. Cet aspect politique demeure néanmoins essentiel pour une opération liant deux pays pour plusieurs décennies comme on a pu déjà avec la décision allemande du 24 janvier 2023.
Ayant occupé le poste « stratégique » de sous-chef d’état-major « plans et programmes » de l’armée de Terre avant ses adieux aux armes, en 2020, le général [2S] Charles Beaudouin assure désormais la présidence de Coge Events ainsi que la fonction de commissaire général du salon d’EuroSatory. Aussi est-il un observateur averti des tendances et des évolutions en matière d’armement terrestre.
Sollicité par La Tribune pour faire le bilan de l’édition 2024 d’EuroSatory, le général Beaudouin a dressé un constat sévère sur l’état de l’armée de Terre qui, « en trente ans continus d’engagement en opérations extérieures, est passée insensiblement mais inéluctablement d’un corps blindé mécanisé au spectre complet à un corps expéditionnaire légèrement blindé à roue, à la mobilité très opérative ».
Évidemment, les fameux « dividendes de la paix » évoqués après la fin de la Guerre froide ne sont pas étrangers à cette évolution, l’armée de Terre ayant dû faire « des impasses capacitaires majeures », au point de devenir « échantillonnaire », a déploré le général Beaudouin. Ce qui, a-t-il continué, n’est pas sans conséquence sur le stock de munitions et la préparation opérationnelle qui, selon lui, s’est « effondrée ».
«A Lorsque j’étais lieutenant en 1988, […] face au Pacte de Varsovie, nous manœuvrions 150 heures par an avec nos AMX-30B2 et tirions une cinquantaine d’obus.Aujourd’hui, nos équipages d’engagés réalisent 60 heures de Leclerc et tirent une vingtaine d’obus par an. On peut parler de simulation pour remplacer ce manque, mais nous avions déjà la simulation à l’époque », a-t-il rappelé. Et d’ajouter : « Certes, nos soldats sont aptes à la rusticité et expérimentés mais la masse en hommes, en matériels, surtout sur le haut du spectre, et l’entrainement à haut niveau manquent ».
Entre 1990 et 2017, les armées ont perdu « une à deux annuités d’un effort déjà insuffisant [c’est-à-dire inférieur aux 2 % du PIB], prélevées au profit d’autres budgets de l’État », a poursuivi le général Beaudouin. Aussi, selon lui, et à cause de cette contrainte budgétaire, l’armée de Terre « n’a eu d’autre alternative que de devenir une armée d’emploi en combat asymétrique » et si, « facialement », elle est une « armée de haute intensité », elle « n’en a que le squelette » étant donné qu’on « lui a enlevé une grande partie de ses muscles ».
Or, actuellement, l’armée de Terre « n’est pas taillée en termes de caractéristiques militaires, d’entraînement des forces, d’évacuation des blessés et de complétude pour affronter, dans une action centrale, le combat de haute intensité », a jugé le général Beaudouin, qui a cependant adouci son constat en rappelant que « l’armée française interviendra en coalition » et que « l’ultima ratio du président restera toujours le nucléaire si véritablement la France est acculée à certaines situations ».
Sans aller jusqu’à remettre en cause le programme SCORPION, dont il a été un promoteur, le général Beaudouin considère que les Griffon, Serval et autres Jaguar auraient toute leur place dans un conflit de haute intensité… mais qu’ils ne pourraient pas « encaisser le choc central », comme cela fut le cas pour les VAB [véhicules de l’avant blindé] et les AMX-10RC lors de l’opération Tempête du Désert, menée en Irak, en 1991.
« Ce ne sont ni des chars ni des véhicules de combat d’infanterie. De surcroît leur conception à roue limite leur aptitude à être surblindés et à évoluer avec une mobilité tactique pleine et entière dans l’environnement d’un théâtre d’opération centre européen où la chenille est reine. Le choc sera concentré sur les [chars] Leclerc et les VBCI [Véhicules Blindés de Combat d’Infanterie] », a-t-il fait valoir. Aussi recommande-t-il de « reconstruire une force Leclerc plus importante à partir des chars retirés du service et ‘upgrader’ [mettre à niveau, ndlr] le VBCI ». Sauf que, s’agissant des Leclerc, on n’en prend pas le chemin…
Pour rappel, l’armée de Terre compte 200 chars Leclerc. Selon le dossier de presse sur EuroSatory 2024 publié par le ministère des Armées, 130 [au lieu de 160] seront portés au nouveau standard XLR d’ici 2030 et 40 autres le seront avant 2035.
Seulement, pour que l’armée de Terre puisse faire cette transformation, il faudrait consentir un effort budgétaire supplémentaire… qui n’est pas d’actualité au regard de l’état des finances publiques. D’autant plus que d’autres priorités doivent être financées [dissuasion, nouveaux champs de conflictualité, etc.]. Un autre obstacle identifié par le général Beaudouin serait la réticence à s’écarter du modèle tel qu’il a été défini.
« L’armée de Terre n’a pas de système de supériorité unique. Elle fonctionne par combinaison des effets et génération de forces en fonction de la nature du conflit. Or certains effets ont été réduits aux acquêts. Trente ans de corps expéditionnaire impriment les mentalités à tous les échelons. […] Il faut changer d’état d’esprit et prendre résolument le virage du retour, équilibré, à un corps blindé mécanisé complet. Même si l’action sera très longue », a-t-il conclu.
Selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, l’armée de Terre devrait compter 160 chars « rénovés », c’est-à-dire portés au standard XLR, à l’horizon 2030. Il est prévu que les quarante derniers soient modernisés d’ici 2035, ce qui portera la dotation totale à 200 exemplaires à cette échéance. Soit cinq ans après l’objectif qui avait été fixé par la LPM 2019-25.
En outre, le texte indique également que des « travaux de rénovation et de pérennisation du char Leclerc seront complétés par ceux portant sur un démonstrateur de char, dans le cadre plus global du système de combat terrestre du futur » [ou MGCS].
Pour rappel, s’inscrivant dans le cadre du programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation], la modernisation du char Leclerc consiste à le doter des capacités nécessaires pour le combat collaboratif, ce qui passe par l’intégration du Système d’information du combat SCORPION [SICS] et celle de la radio CONTACT. Il s’agit aussi de renforcer sa protection contre les mines et d’améliorer sa conduite de tir. Enfin, il recevra un tourelleau téléopéré de 7,62 mm, de nouveaux capteurs optroniques et un viseur PASEO.
Pour le moment, la Direction générale de l’armement [DGA] a commandé 100 Leclerc XLR en deux temps, avec un premier contrat portant sur les 50 premières unités notifié à KNDS France [ex-Nexter] en juin 2021, suivi d’un second, confirmé en janvier 2022. Le premier char « rénovés » a été remis à l’armée de Terre en novembre dernier. Depuis, 19 autres ont suivi, à en croire le dossier de presse [.pdf] diffusé par le ministère des Armées à l’occasion de l’édition 2024 du salon de l’armement aéroterrestre EuroSatory.
Mais ce document recèle une surprise. « Conformément à la Loi de programmation militaire 2024-2030, 130 chars Leclerc seront rénovés d’ici la fin 2030 et quarante autres le seront fin 2035 », y lit-on. Sauf que la LPM en question donne d’autres chiffres et si l’on se fie à ceux donnés de ce document, il en manque 30… Erreur de transcription ou changement dans les plans initiaux de l’armée de Terre ?
Par ailleurs, le dossier de presse précise également que les « dix premières collections de kit de surprotection ventrale contre les mines et les engins explosifs improvisés et de kit de surprotection latérale contre les roquettes [anti RPG] ont été livrées mi-avril [soit un taux d’équipement prévu à 50 %] ».
En attendant, KNDS France a dévoilé, comme annoncé, le Leclerc Évolution [ou EVO] lors du salon EuroSatory. Ce char est doté d’une tourelle armée du canon ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], pouvant tirer des obus de 120 ou de 140 mm, d’un tourelleau ARX30, d’un viseur PASEO couplé à une mitrailleuse de 7,62 mm, d’un système de protection active Trophy et d’une capacité à mettre en œuvre des munitions téléopérées.
Quant à sa motorisation, elle repose sur le groupe motopropulseur MT883 KA-500 de l’allemand MTU, qui équipe le Leclerc « tropicalisé » utilisé par les forces émiriennes. Un avis budgétaire publié en octobre dernier recommandait justement d’intégrer ce dernier sur les Leclerc de l’armée de Terre afin de pouvoir les maintenir en service jusqu’en 2040.
Selon BFMTV, ce « nouveau Leclerc sera opérationnel en 2030 » et KNDS France aurait des discussions avec « plusieurs pays ». En outre, les actuels Leclerc « pourraient même être modernisés pour se transformer en modèle Évolution ».
Selon les informations en sources ouvertes, plus de 3 500 chars de combat russes et ukrainiens ont été perdus de part et d’autres, depuis le début du conflit en Ukraine, soit plus qu’il n’y en avait engagés au début du conflit.
De telles pertes ont des conséquences importantes, notamment sur le déroulement des combats et la stagnation de la ligne d’engagement. Elles ont même amené les deux camps à s’éloigner des doctrines classiques d’utilisation du char de combat, héritées de la Seconde Guerre mondiale, qui faisaient de ces derniers, les piliers de la rupture et de la décision.
On peut, dans ce contexte, s’interroger sur l’avenir du char lourd, dans un environnement saturé de drones, de mines, et de missiles, le privant de ses capacités de manœuvre, et donc, d’une grande partie de son intérêt au combat. Ce serait, pourtant, des conclusions certainement bien trop hâtives…
Sommaire
Des pertes terrifiantes pour les unités de chars russes et ukrainiens
Si l’on en croit le site Oryx, les armées russes auraient perdu, en Ukraine, autour de 2 900 chars de combat, depuis le début du conflit en Ukraine, parmi lesquels presque 2 000 sont identifiés détruits, 500 capturés, et le reste étant abandonnés ou endommagés.
À l’entame de l’offensive russe, en février 2022, les analystes estimaient que Moscou avait massé autour de 1 200 à 1 400 chars aux frontières de l’Ukraine, alors que l’ensemble de la flotte de chars en service, au sein des armées russes, était évalué de 3 200 à 3 400 blindés.
Côté ukrainien, la situation n’est guère meilleure. Sur les 1 300 chars en service parmi les unités d’active ukrainienne en février 2022, 800 auraient été perdus, dont 550 identifiés comme détruits, 130 capturés et le reste, abandonnés ou endommagés.
La précision de ces chiffres doit, évidemment, être prise avec certaines réserves. D’une part, il ne s’agit, ici, que des blindés ayant été photographiés, puis diffusés en sources ouvertes. Si l’exercice pouvait se révéler efficace, lorsque les lignes bougeaient rapidement, au début du conflit, c’est beaucoup moins le cas, aujourd’hui, alors que les lignes sont relativement figées, même si les drones apportent certaines informations dans ce domaine.
D’autre part, la méthode d’analyse appliquée par le site Oryx, et les moyens dont dispose cette petite équipe bénévole, se prête davantage à l’analyse d’un conflit limité, avec des pertes de quelques dizaines, peut-être quelques centaines de blindés, plutôt que pour un conflit de cette ampleur. Enfin, on ignore le nombre de chars et de blindés identifiés, détruits, abandonnés ou endommagés, qui ont été récupérés par les forces, pour être transportés vers des centres de remise en état.
En dépit de ces réserves, il ne fait aucun doute que les flottes de chars, russes comme ukrainiennes, ont connu des taux d’attrition tout à fait considérables. L’analyse des attritions identifiées ces derniers mois, montre d’ailleurs, que les armées russes n’alignent presque plus les modèles qu’elles avaient initialement déployé autour de l’Ukraine, laissant supposer qu’effectivement, l’essentiel de cette flotte a été éradiquée.
Les chars occidentaux aussi vulnérables que les modèles soviétiques ou russes dans le conflit Ukrainien
Si les chars de conception russe ou soviétique, comme les T-72, T-80 et T-90 russes, ou les T-64 ukrainiens, ont payé le prix fort dans ces combats, ils n’ont pas été les seuls à enregistrer des taux d’attrition catastrophiques.
Ainsi, sur les 130+ Leopard 2, toute version confondue, livrés à l’Ukraine à ce jour, le site oryx a identifié 37 blindés perdus, dont 16 détruits, et 21 endommagés, capturés ou abandonnés, alors que ces chars n’ont été livrés que progressivement, à partir de février 2023.
Le premier M1A1 Abrams américain, lui, est arrivé en Ukraine à la fin du mois de septembre 2023. Sur les 31 exemplaires livrés au 26 avril 2024, quatre sont identifiés perdus, dont deux détruits, et deux endommagés et abandonnés.
Quant aux 14 Challenger 2 livrés à Kyiv par la Grande-Bretagne, un seul aurait été perdu. Si l’excellent blindage de ce char peut expliquer cette attrition plus faible, sa cause doit probablement être recherchée davantage dans une utilisation moindre, de ce modèle particulièrement lourd, et qui s’embourbe facilement, par les forces ukrainiennes.
En d’autres termes, même s’ils se sont montrés sensiblement plus performants et résistants, en particulier pour ce qui concerne la protection des équipages, que les modèles russes et soviétiques majoritairement mis en œuvre dans ce conflit, les chars occidentaux, transférés à l’Ukraine, n’ont pas dérogé à l’importante attrition constatée.
D’ailleurs, une fois rapportés à la durée de leur présence, et au nombre d’exemplaires livrés aux armées ukrainiennes, ces chars présentent des taux d’attrition assez proches de ceux constatés pour les modèles les plus évolués des armées russes, comme le T-90M, le T-72B3M ou le T-80BV.
La fin des paradigmes hérités de la Seconde Guerre mondiale, pour le char de combat
On comprend, face à ces pertes, que les ukrainiens, et dans une moindre mesure, les russes, moins « sensibles » aux pertes humaines et matériels, aient fait évoluer leurs doctrines de mise en œuvre des chars lourds.
Alors que le front s’est stabilisé depuis un an et demi, autour de la ligne Sourovikine, ces blindés sont, désormais, majoritairement employés sous la forme de canon d’assaut, pour ajouter une composante tir tendu à l’artillerie, en soutien de l’infanterie, qui mène ou repousse les assauts.
De fait, la doctrine d’emploi du char héritée de la Seconde Guerre mondiale, fondée sur la rupture des lignes, l’exploitation des percées, mais également sur la défense dynamique, a cédé le pas à une mise en œuvre plus parcimonieuse et isolée, au profit de l’infanterie.
D’ailleurs, tout semble indiquer que la plupart des destructions de chars documentées, résulte de l’utilisation de mines, de tirs indirects d’artillerie, et surtout de missiles et roquettes antichars, ainsi que de munitions rôdeuses et drones. Les destructions par tir direct venant d’un autre char, en revanche, apparaissent minoritaires. L’époque où le char était le pire ennemi du char, parait bien révolue.
Le contexte opérationnel ukrainien ne doit pas être généralisé en matière d’engagement de haute intensité
Ce Retour d’Expérience, au sujet du plus important conflit de haute intensité depuis la guerre de Corée, pourrait amener à conclure que le char de combat est appelé à disparaitre, trop exposé qu’il est sur le champ de bataille, et n’apportant pas, avec son canon principal, une puissance de feu décisive.
Ce serait probablement une erreur, que ne font pas, d’ailleurs, les états-majors, à en juger par l’augmentation massive des commandes de chars lourds ces dernières années, en Europe, comme ailleurs. En effet, le contexte ukrainien n’est sans doute pas représentatif de ce que pourront être, à l’avenir, les engagements de haute intensité.
En premier lieu, l’essentiel des armées russes et ukrainiennes, est composée de militaires mobilisés, n’ayant pas l’entrainement, par exemple, des militaires américains, britanniques ou français, et ce, dans de nombreux domaines.
L’une des conséquences de ce manque de formation, ne pouvant être compensé par l’aguerrissement incomparable de ces troupes, s’observe dans l’incapacité des deux armées à mettre en œuvre des doctrines articulées autour des unités interarmes, susceptibles d’apporter la plus-value requise pour débloquer une situation figée.
À ce titre, les deux armées qui s’opposent, sont encore fortement influencées par les doctrines soviétiques, ce qui rend le conflit peu représentatif d’un engagement, par exemple, qui opposerait des membres de l’OTAN, appliquant une doctrine occidentale, à la Russie.
Enfin, et surtout, ce conflit se caractérise par la quasi-absence de l’aviation tactique sur la ligne de front, et par l’utilisation massive de drones, sans que ni l’une, ni l’autre des armées, dispose de systèmes de commandement et d’information numérisés permettant, justement, la mise en œuvre de capacités interarmes.
Là encore, on peut anticiper que l’un comme l’autre de ces aspects, seraient très différents, s’il s’agissait de forces occidentales, qui font de l’aviation tactique la composante clé de la puissance de feu opérationnelle, et de la communication et du partage d’information, le pilier des systèmes en cours de déploiement, comme SCORPION en France.
Une nouvelle génération de chars, plus spécialisés, différemment protégés, est à l’étude
L’ensemble de ces aspects peuvent suffire à transformer le rôle du char de combat, pour en faire, à nouveau, un moyen de rupture destiné à détruire et déborder les lignes adverses, à exploiter les brèches créées pour pénétrer la profondeur de l’ennemi, et ainsi, de refaire du char de combat, le pilier de la guerre de mouvement.
L’arrivée des systèmes de protection actifs et passifs pour redonner de la survivabiltié aux chars
Toutefois, l’arrivée de nouvelles technologies, destinées précisément à accroitre la survivabilité des chars au combat, va très certainement rétablir ceux-ci, dans leur fonction première. D’abord, les systèmes de protection passifs, comme les détecteurs de visée laser, les brouilleurs électromagnétiques, les leurres infrarouges, et les fumigènes d’obfuscation, qui équipent déjà les chars les plus modernes en occident, ont le potentiel de diminuer sensiblement la vulnérabilité de ces blindés, en particulier face aux missiles antichars.
Les systèmes hard kill, comme le désormais célèbre Trophy israélien, permettront, quant à eux, d’étendre cette capacité de protection contre les roquettes antichars, tout en renforçant la défense antimissile. Les systèmes les plus modernes, comme l’ADS de Rheinmetall, permettront également de protéger les chars contre des menaces plongeantes, comme certains missiles antichars, ainsi que contre les munitions rôdeuses.
En diminuant sensiblement la vulnérabilité des chars à ces menaces, ces systèmes devraient aider à en accroitre la survivabilité, suffisamment pour leur redonner le rôle qui était le leur, pour empêcher, précisément, qu’un conflit ne s’enlise, comme c’est le cas en Ukraine.
Il n’est donc pas surprenant que la conception des chars à venir étudie ces constats, qu’ils soient de génération intermédiaire, comme le K2, le M1E3 ou le Leopard 2A8, et surtout celle des chars de la génération à venir, dont le programme MGCS est aujourd’hui le principal représentant.
Plus légers, plus mobiles et avec un armement spécialisé, les chars nouvelle génération retrouveront leur prédominance dur le champ de bataille.
Ainsi, tous ces chars seront équipés de ces systèmes de protection actifs et passifs. Ils seront, de plus, plus légers que les chars actuels, visant pour la plupart une masse au combat autour de 50 tonnes, pour préserver leur mobilité, même en terrain difficile. Cette évolution est, d’ailleurs, rendue possible par l’arrivée de ces mêmes Active Protection Systems, Soft ou Hard-kill.
Paradoxalement, l’arrivée de ces APS, tendra, enfin, à remettre l’armement principal du char, son canon lourd, au cœur du système. En effet, si les APS s’avèrent efficaces contre les roquettes et missiles, ils le sont beaucoup moins contre un obus flèche filant à 1 700 m/s.
Pour autant, on observe dans le programme MGCS, qu’un char spécialisé, mettant en œuvre non plus un canon lourd, mais une batterie de missiles, est également à l’étude. En effet, au-delà des capacités antichars du canon, le char doit aussi se doter, pour être efficace, de capacités de feu à plus longue portée, y compris en tir indirect, pour lequel le missile à l’avantage sur l’obus.
Conclusion
On le voit, il est probablement très prématuré, comme c’est pourtant souvent le cas, d’annoncer la fin du char de combat, sur la base des pertes enregistrées par les armées ukrainiennes et russes, depuis février 2022. Même les changements de doctrines appliqués par ces deux armées, consécutifs des pertes enregistrées, sont davantage liés à des éléments spécifiques à ce conflit, qu’à une évolution profonde de la guerre de haute intensité.
Toutefois, tous les enseignements, venant d’Ukraine, ne doivent pas être ignorés, sur la seule base des spécificités de ce conflit. On voit, ainsi, que les industriels, en particulier en Europe et aux États-Unis, s’en inspirent pour conserver le potentiel opérationnel du char, et ainsi, éviter qu’un conflit ne s’enlise, comme c’est le cas, en Ukraine.
À ce titre, on peut se demander s’il ne serait pas pertinent, justement, d’équiper tout ou partie des nouveaux chars lourds occidentaux qui seront transférés à l’Ukraine dans les mois à venir, de certaines de ces évolutions, comme les systèmes hard kill et soft kill, susceptibles de leur redonner cette survivabiltié indispensable à la manœuvre, pour en valider le potentiel ?
Si cela impose des délais et des couts initiaux supplémentaires, pour les en équiper, cette initiative pourrait s’avérer bien plus économique et efficace, à terme, que le transfert de chars classiques, connaissant leurs vulnérabilités.
À l’instar des Caesar français, qui consomment, semble-t-il, dix fois moins d’obus que les systèmes soviétiques, et qui ont une survivabilité considérablement plus élevée, un tel calcul peut s’avérer déterminant, dans une guerre qui se veut, aujourd’hui, structurée autour de l’attrition comparée, des matériels comme des hommes.
Article du 25 avril en version intégrale jusqu’au 1 juin 2024
Tsahal a diffusé ces derniers jours des images de blindés se préparant à entrer en action dans la région de Rafah, au sud de la Bande de Gaza. Cette vidéo permet de voir que le dispositif adopté repose sur le triptyque déjà utilisé par Tsahal dans ses opérations en zone urbaine, à savoir Génie, Infanterie et chars de bataille. Ces composantes sont représentées par des bulldozer D-9 et des engins du Génie Puma, des Namer et des Merkava.
Concernant ces derniers, il est possible que les chars engagés par Tsahal soient des Merkava V. Le premier bataillon équipé de ces engins a été le 52ème Bataillon blindé appartenant à la 401ème Brigade blindée, placée sous le commandement de la 162ème Division, unité visible sur ces images.
La Brigade qui a déjà été engagée dans la partie nord de la Bande de Gaza a été désengagée il y a quelques semaines, en vue de son déploiement dans le sud. A noter que la majorité des engins blindés sont protégés par le système de protection active Trophy qui a fait une démonstration de son efficacité dans les combats menés.
Selon les médias israéliens, le taux d’interception du système aurait été de 85%, face aux différentes menaces présentes dans la bande de Gaza, y compris à courte et très courte portée. Grâce à ce système, seuls deux engins blindés auraient été totalement détruits sur les mille engagés et 86% des engins atteints auraient été réparés et remis en service. Ces chiffres devraient faire réfléchir tous ceux qui doutent (encore) de la pertinence de disposer de ce type d’équipement sur un blindé. Les engins visibles sur la vidéo sont pour certains équipés de cages de protection, la concentration des engins laisse cependant penser que la menace drone n’est pas considérée comme prégnante pas Tsahal, qui n’hésite pas à concentrer ses engins en phase statique et en déplacement.
Cette situation diffère de celle observée dans les premières opérations de Tsahal, après l’utilisation de ce type d’engins par le Hamas le 7 octobre.
Vendredi dernier, les ministres concernés ont signé l’accord d’engagement de la phase 1A du programme MGCS. Cette « véritable étape » selon Boris Pistorius dans le développement de cet engin qui ne sera pas « le char du futur, mais le futur du char » selon Sébastien Lecornu a entrainé la publication de nombreux commentaires et vues d’artiste, qui ont permis à l’imagination de chacun de se faire une idée de la « gueule » ce futur système de systèmes. L’accord de vendredi a également livré de nombreuses informations sur ce programme. Fidèle à ses habitudes, c’est après quelques jours de réflexion que Blablachars vous livre aujourd’hui ses commentaires sur le sujet, ajoutant ce nouveau post aux nombreuses publications du blog complétement blindé consacrées à cet engin.
Cet accord succède à une longue série de rencontres, de réunions et d’étapes décisives qui ont émaillé la vie de ce programme depuis son lancement en 2017. A cette occasion, la rhétorique employée de part et d’autre du Rhin a été quelque peu différente. Pour Sébastien Lecornu, c’est donc « le futur du char » que les deux pays veulent construire ensemble, précisant que « les Américains n’ont toujours pas commencé à réfléchir » au successeur de leur char Abrams, oubliant au passage le développement de l’Abrams X ou du M1E3, dont la mise en service précédera certainement celle du futur engin franco-allemand. Autre victime de la parole ministérielle, le T-14 avec lequel les Russes « ont essuyé des échecs » qui, en dépit de ses réelles difficultés représente une synthèse intéressante des avancées en matière de char, pour qui veut bien le considérer de façon objective, c’est à dire indépendamment de l’action des forces armées russes en Ukraine. Du côté allemand, le ton employé par Boris Pistorius est quelque peu différent, rappelant que le document signé devra passer par le comité des Finances du Bundestag et que « ce projet dépend du soutien des parlementaires« , comme tous les projets d’un montant supérieur à 25 millions, avant de rassurer son auditoire en précisant qu’il n’avait « aucun doute » sur le fait qu’il sera approuvé. Pour le ministre allemand, « il reste un long chemin à parcourir avant la mise en oeuvre, mais une étape importante a maintenant été franchie » même s’il reconnait qu’elle a été « précédée de plusieurs mois de négociations. » La différence de ton entre les deux ministres résume à elle seule la différence d’appréciation entre les deux partenaires et le futur du programme. Du côté français, on insiste sur le caractère disruptif et novateur du futur engin qui devra renvoyer dans les méandres des bureaux d’étude ses concurrents potentiels. Du côté allemand, le côté technologique est occulté au profit de l’aspect politique du programme, soumis à une indispensable approbation parlementaire.
La signature de l’accord franco-allemand le 26 avril dernier
A côté de cette différence de commentaires, l’accord de vendredi nous apprend également que le ménage franco-allemand commencé à deux, puis élargi à trois est désormais un quatuor avec l’arrivée annoncée de Thales. La participation du géant français de la défense au programme MGCS avait déjà été évoquée il y a un an, à l’occasion des négociations sur la mise en place de la MILSA (MGCS Industrial Lead System Architecture). Pour cette étape la firme française présentait une double candidature, l’une sous son propre nom et l’autre au sein de la société TNS Mars créée en 2007 pour le programme Scorpion et au sein de laquelle on retrouvait Thales, Nexter et Safran. L’annonce de la prochaine étape du programme par le DGA (Délégué Général pour l’Armement) qui devrait intervenir dans les prochains mois nous apprend la création d’une structure chargée de conduire les activités industrielles. Si on connait la constitution de cette future entité baptisée « Project Company » qui doit réunir KNDS France et Allemagne, Rheinmetall et Thales SIX GTS, la création de cette société laisse en suspens de nombreuses interrogations relatives à la part des industriels concernés dans la réalisation des huit piliers et de l’élargissement éventuel du programme à un pays supplémentaire. Ce dernier point a d’ailleurs été évoqué par Boris Pistorius qui a indiqué que l’ouverture de MGCS à d’autres partenaires européens pourrait intervenir « sans doute plus tôt que prévu« , et « [qu’] il faut aller chercher d’autres partenaires« . On peut faire confiance à Berlin dont le leadership sur le programme a été officiellement reconnu, pour admettre dans ce projet des partenaires ad hoc, de préférence utilisateurs actuels ou futurs du Leopard et clients potentiels du futur engin, fidèle à la logique commerciale dans laquelle le MGCS doit s’inscrire. En dépit de ces interrogations, l’arrivée d’un quatrième partenaire français reste une bonne nouvelle et donne à ce projet un aspect plus équilibré, au moins sur le papier.
Les huit piliers du programme MGCS
La communication qui a suivi la signature du MoU (Memorandum of Understanding) vendredi a permis de découvrir les huit piliers de ce programme et leur répartition entre les deux pays. Outre, le sursis accordé au règlement de l’épineuse question de de la fonction feu, la répartition présentée permet de constater que ce partage, mathématiquement équilibré recèle une importante dissymétrie dans la répartition. On s’aperçoit que les Allemands se sont appropriés deux des trois fonctions au coeur de la conception d’un char, à a savoir la mobilité et la protection, la troisième étant la fonction feu. Tous les chars sont le résultat d’un arbitrage entre ces trois fonctions effectué par les bureaux d’étude en fonction des demandes des militaires. Cette « attribution » à l’Allemagne de deux des trois fonctions essentielles du futur char n’augure rien de bon pour les arbitrages futurs, dans lesquels la partie allemande aura la primauté et pourrait ainsi imposer sa vision de la fonction feu.
RH-130 / 52 de Rheinmetall
Concernant cette dernière, il serait ici trop long de se lancer dans un comparatif entre les deux solutions proposées, Il suffit juste de se replonger dans l’histoire, pour (re)découvrir que le dernier projet de char franco-allemand avait échoué sur la question de la fonction feu, et plus précisément celle du canon. Dans ce projet initié à partir en 1956, les deux pays avaient chacun une solution, à savoir le canon de 105mm Cn-105-F1 pour la France et le canon L7 britannique pour l’Allemagne. A l’automne 1963, des évaluations placées sous la présidence d’un colonel de l’armée blindée italienne se déroulent pour la partie tactique sur le camp de Mailly et à Bourges et Satory pour le volet technique. Le résultat de ces évaluations est résumé par le directeur de la Section technique de l’armée : « Sila supériorité du char AMX 30 a éténette et incontestable sur le plan de l’armement, il convient d’être plus prudent sur le plan du châssis, le char allemand ayant fait preuve de qualités de mobilité au moins égales à celles de son concurrent français ». En dépit de ce résultat, les Allemands accordent d’importants financements au développement du Standardpanzer (futur Leopard 1) armé du canon L7 et enterrent de facto le projet franco-allemand ! Cet éclairage « historique » doit amener à envisager avec beaucoup de prudence et de circonspection les futurs essais comparatifs annoncés pour l’armement principal du MGCS.
Le canon Ascalon de KNDS France
Dans ce domaine, les premiers « coups » portés au canon français l’ont été par l’Office fédéral des équipements, des technologies de l’information et du soutien en service de la Bundeswehr [BAAINBw] pour qui « le canon de 120 millimètres qui a la cote aujourd’hui n’a plus aucun potentiel de croissance« . Cet argument est exactement le même que celui présenté par Rheinmetall lors de la présentation du canon de 130mm en 2016 et repris lors de la dernière édition du salon Eurosatory, à l’occasion de la présentation du KF-51. L’organisme allemand souligne également la nécessité de » trouver une arme puissante pour donner à des projectiles plus lourds une vitesse initiale plus élevée » reprenant sans les mentionner les arguments de la firme de Düsseldorf selon laquelle une augmentation de calibre de 8% représente une augmentation de 50% des performances. La future compétition entre le Rh-130 allemand et l’Ascalon français pourrait être en outre être impactée par la très probable arrivée d’une ultime version du Leopard 2, évidemment équipée du canon de 130mm. Le développement de cette dernière déclinaison du best-seller allemand permettrait de combler le vide séparant le Leopard 2A8 de la mise en service du MGCS, dont les premiers exemplaires de série devraient apparaitre en 2045, soit dans une vingtaine d’années. Le développement de ce « char intermédiaire » permettrait également de démontrer les possibilités d’intégration du canon de 130mm sur les engins existants, pourrait entrainer une « généralisation » de ce calibre dans les armées européennes. Précédée par une commande de la Bundeswehr, elle permettrait d’inscrire cet engin et son canon dans le paysage blindé européen et faciliter la commercialisation du MGCS. Les seules interrogations subsistant autour de ce futur char résident dans la répartition des tâches entre les deux industriels allemands. En effet, s’il est quasiment certain que ce futur Leopard sera équipé d’une tourelle Rheinmetall, l’origine de son châssis reste plus incertaine. Pour celui-ci deux équipements sont envisageables : celui du Leopard 2 (propriété de KNDS Allemagne) et celui du Buffalo ARV (Armoured Recovery Vehicle) sur lequel Rheinmetall possède les droits de propriété intellectuelle et qui devrait servir de base au KF-51 EVO. En dépit du recul de l’échéance, le choix de l’armement principal du MGCS risque bien d’être un sujet de discorde entre les deux partenaires, à moins que l’un des deux ne capitule pour sauver le projet !
KF-51 EVO
Toutes ces informations relatives à « ce futur du char » ont eu le mérite de remettre (brièvement) cet engin et sono évolution sur le devant de la scène. Quelque soit l’avenir de ce programme, il est désormais urgent pour la France de réintroduire le char dans le débat et la pensée militaire. Au moment où la France s’engage de plus plus fortement dans le programme MGCS, il serait hautement souhaitable de recréer les conditions favorables à l’émergence d’une véritable réflexion « pluridisciplinaire » sur la chose blindée, qui puisse permettre à notre pays de se doter d’un « char employable » selon les termes de Marc Chassillan. L’urgence à faire émerger une telle structure est à la hauteur des défis qui se posent à notre armée et des investissement que la France se prépare à consentir pour le développement du MGCS. Celui-ci impose une véritable modernisation du Leclerc, rendue indispensable par le calendrier du programme franco-allemand et le retard que le char français est en train de prendre, malgré ses qualités fondamentales et ses performances initiales. La mise sur pied d’une telle structure répondrait également aux voeux du CEMAT pour qui ce « processus à l’œuvre derrière tout projet capacitaire : celui d’une maturation […] où ce temps consacré à préparer le projet est un gage de stabilité et de réussite, […] à l’abri du tempo et du fracas médiatique » sans oublier les rigidités culturelles qui ont empêché l’émergence de toute réflexion depuis plusieurs décennies.
Pile à l’heure, ou presque. Conformément à l’engagement pris à Berlin un mois plus tôt, les ministres de la Défense français et allemand ont signé hier matin l’accord de lancement de la première phase du programme de système de combat terrestre principal (SCTP, ou MGCS).
Trancher un noeud gordien
Signe de l’éclaircie constatée depuis juillet dernier, le soleil lui-même s’est invité à la cérémonie de signature. Exit les scénarios d’impasse et autres bisbilles par presses ou parlementaires interposés, place au changement de logiciel et à la signature d’un Memorandum of Understanding (MoU) actant l’entrée dans la phase dite 1A de MGCS, celle du développement de démonstrateurs technologiques.
C’est, selon le ministre des Armées Sébastien Lecornu, « un moment important » dans le chemin vers la succession des chars Leclerc et Leopard 2 à l’horizon 2040. Paris et Berlin sont désormais alignés, résultat d’un processus centré non plus sur les solutions techniques mais sur l’identification du besoin opérationnel et l’harmonisation de la demande entre armées partenaires.
« Nous ne discutons pas là d’un programme trivial mais du système de combat terrestre appelé à remplacer des ‘vedettes’ nationales que les guerres de demain rendront obsolètes, le Leclerc côté français et le Leopard 2 côté allemand », soulignait pour sa part le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Pierre Schill, sur les réseaux sociaux.
Le document règle, entre autres, l’épineuse question du partage de la charge. « Nous avons tranché le noeud gordien sur la répartition des responsabilités industrielles», s’est félicité le ministre de la Défense allemand, Boris Pistorius. En résulte un partage à 50/50 des coûts et de la charge entre les deux filières qui se maintiendra tout au long des différentes phases.
Calqué sur le référentiel du SCAF, MGCS se structure désormais selon deux niveaux et huit piliers. Ce sont le niveau 0 du système de systèmes et le niveau 1 relevant des plateformes de combat (canon, missile et appui). À chaque niveau correspondent des études conceptuelles et d’architecture qui serviront à définir progressivement les futurs systèmes.
Les huit piliers englobent les activités de R&D et de démonstration. Conduits en national ou en binational, ils relèvent des plateformes (Allemagne), des feux classiques (France-Allemagne), des feux innovants (Fr), de la connectivité (Fr-Al), de la simulation (Fr-Al), des capteurs (Fr), de la protection au sens large dont la protection active et la lutte anti-drones (Al), et des infrastructures et du soutien (Fr-Al).
Un contrat notifié d’ici 2025
Chaque pilier ayant désormais son ou ses drapeau(x), reste à y associer des champions industriels. S’ouvre une nouvelle phase, celle de la négociation et de la notification d’un premier contrat d’une durée de trois ou quatre ans par l’Allemagne, pilote du programme. Il s’agira d’aboutir d’ici début 2025, « un objectif très ambitieux », concède le ministre de la Défense allemand.
Ce futur contrat sera confié à une «Project Company » constituée par KNDS France, KNDS Deutschland, Rheinmetall et Thales SIX GTS. Évolution de la coentreprise déjà constituée ou nouvelle structure, ce quatuor aura la charge de conduire l’ensemble des activités réalisées au niveau industriel.
À l’exception de KNDS et de Rheinmetall, tant les industriels concernés que leur répartition parmi les piliers restent des secrets bien gardés qui ne seront dévoilés qu’ « en temps utile », indique l’entourage de Sébastien Lecornu. Une once de logique permet cependant d’éclaircir le tableau. Difficile, en effet, d’imaginer un pilier des feux classiques conduit sans KNDS France, relève par exemple le cabinet ministériel. Idem pour Thales, que l’on imagine mal être écarté du pilier de la connectivité, et pour MBDA, candidat naturel au pilier des feux innovants.
La France investira 500 M€ d’ici à 2030, l’Allemagne plusieurs centaines de millions d’euros d’ici à 2027. « Un demi-milliard d’euros, c’est beaucoup d’argent », soulignait Sébastien Lecornu. Les deux ministres ont donc donné le « la » : « vous avez en face de vous deux ministres clients ». Deux donneurs d’ordre dont la mission reste de garantir la fourniture de l’équipement demandé par leurs armées respectives. Dès lors, hors de question de dévier de l’objectif fixé, celui de parvenir à un char identique pour les deux armées en 2040.
Ce jalon désormais franchi, l’ouverture de MGCS à d’autres partenaires européens pourrait intervenir « sans doute plus tôt qu’on ne le croit », indique Boris Pistorius. « Il faut aller chercher d’autres partenaires », ajoutait-il, mentionnant au passage l’Italie, officiellement observateur, mais aussi la Pologne, membre d’un triangle de Weimar récemment ravivé et dont le nouveau gouvernement se veut davantage pro-européen.
Une copie qui s’affine
La vision franco-allemande est connue dans ses grandes lignes. Arrivé à terme, MGCS débouchera sur un système de systèmes interconnectés et en partie robotisés. Des plateformes dotées de briques d’intelligence artificielle, de capteurs, armements et de protections de nouvelle génération. Bref, un « char du futur » qui se conçoit « en surplomb des crises, à l’abri du tempo et du fracas médiatiques », relevait le CEMAT.
D’annonce en annonce, la copie se précise mais reste à prendre avec du recul au vu de l’horizon fixé et des obstacles potentiels à surmonter. Après les armées françaises, la Bundeswher s’est à son tour essayée au jeu de la prospective. Exemple avec la mobilité, dont les performances pourraient être augmentées en privilégiant la réduction de la masse, estime l’armée allemande dans un article publié en marge de la cérémonie.
La masse maximale du MGCS « doit être réduite par rapport aux plateformes actuelles – une exigence qui a été formulée compte tenu de l’augmentation significative du poids lors des récentes revalorisations des chars de combat principaux de l’OTAN », pointe la Bundeswehr. Cette mobilité, les deux armées la conçoivent autour d’un châssis commun à tous les systèmes et d’une motorisation innovante. « Les diesels hybrides seront très probablement utilisés pour la propulsion, un moteur électrique étant alors chargé par le diesel. Le moteur électrique silencieux peut alors être utilisé dans certaines situations tactiques », note l’article.
Autre exemple avec l’équipage, réduit à deux ou trois membres et opérant dans un compartiment protégé placé au sein du châssis. Selon le BAAINBw, pendant allemand de la Direction générale de l’armement, «il est maintenant assumé que la tourelle du MGCS sera inhabitée». L’avantage ? Une tourelle plus compacte malgré un système d’arme plus volumineux, mais mieux protégée et participant à réduire la silhouette.
Quant à la fonction feu principale, aucune piste n’est pour l’instant privilégiée. Seule certitude : «le canon de 120 mm, largement utilisé aujourd’hui, n’a plus aucun potentiel de croissance », explique un expert du BAAINBw. Si le 130 mm de Rheinmetall et le 140 mm de KNDS sont tous deux dans les starting blocks, un scénario à deux voies parallèles semble maintenant exclu, une seule solution devant être sélectionnée à l’issue de tests comparatifs.