Alors qu’il n’a cessé de faire la promotion de son nouveau char de combat KF-51 « Panther » depuis plus d’un an, le groupe allemand Rheinmetall a fait l’impasse sur le salon de l’armement EDEX 23, qui vient d’ouvrir ses portes au Caire. Cette absence peut paraître curieuse au regard des besoins que l’armée égyptienne pourrait bientôt exprimer afin de moderniser sa composante blindée.
Actuellement, l’Égypte aligne environ 1300 chars lourds de combat M1A1 Abrams ainsi que 2700 M60A1/A3 Patton [dont environ 550 auraient été mis sous cocon]. Sans oublier les 500 T-62 de conception soviétique encore en dotation, dont 300 ont été stockés. Aussi, l’armée égyptienne peut représenter un marché significatif… sous réserve, évidemment, de disposer du budget nécessaire pour acquérir de nouveaux chars.
Pour cela, Le Caire pourrait s’appuyer sur l’aide militaire que lui octroient les États-Unis [soit 1,3 milliard de dollars par an] depuis la signature des accords de Camp David avec Israël. Seulement, celle-ci est régulièrement décriée au Congrès. En octobre, le nouveau président du comité des Affaires étrangères du Sénat, Ben Cardin, a bloqué une enveloppe de 235 millions de dollars destinée à l’Égypte, faute de « progrès sur les droits humains ».
Cela étant, une autre possibilité pour l’armée égyptienne serait de se tourner vers Moscou. Même si les deux pays ont de bonnes relations [il a été dit que Le Caire avait eu l’intention de fournir 40’000 obus aux forces russes dans le cadre de la guerre en Ukraine], il faudrait que l’industrie russe soit en mesure de fournir. En outre, le dernier né des chars russes, le T-14 Armata, n’a pas encore fait ses preuves. Enfin, l’Égypte pourrait s’exposer à des sanctions américaines, prises au titre de la loi CAATSA.
Parmi les autres options, le chinois Norinco pourrait être intéressé, avec son char VT4, lequel a été vendu au Pakistan, à la Thaïlande et au Nigeria. De même que le sud-coréen Hanwha Aerospace, avec le K-2 « Black Panther ». Et à vrai dire, il paraît le mieux placé pour décrocher une éventuelle commande égyptienne étant donné qu’il a déjà signé un accord avec Le Caire pour la production [en Égypte] et la livraison d’obusiers automoteurs K-9 Thunder.
Toutefois, KNDS France [Nexter] entend tenter sa chance, avec le char franco-allemand E-MBT [Enhanced Main Battle Tank], présenté comme étant un démonstrateur lors de l’édition 2022 du salon de l’armement aéroterrestre du Bourget. Pour schématiser, il s’agit d’un « Leo-Leclerc », doté d’un châssis de Leopard et d’une tourelle de Leclerc. À noter, au passage, que KNDS Allemagne [Krauss-Maffei Wegmann] n’est pas non plus présent au Caire… alors que le Leopard 2A8 pourrait intéresser l’armée égyptienne…
« Nexter, société de KNDS, développe son partenariat avec l’Égypte au sujet de la modernisation des unités blindés des forces armées égyptiennes », affirme ainsi l’industriel, dans un communiqué diffusé le 4 décembre.
Parmi les blindés présentés à l’occasion d’EDEX 23, le char E-MBT tient ainsi le haut de l’affiche.
« L’E-MBT est le premier char de 4e génération combinant, dans une nouvelle conception, des fonctionnalités telles qu’un chargeur automatique de 22 obus de 120 mm, un châssis à 7 roues et un groupe motopropulseur de 1500 ch », avance Nexter. « Ce démonstrateur », poursuit-il, est doté d’un canon de 120 mm […] et d’un nouvelle architecture numérique.
Enfin, cet E-MBT est équipé d’un tourelleau téléopéré ARX30 [de 30 mm], d’un système de protection active, etc. Cependant, la description est moins étoffée que celle qui avait été faite lors d’EuroSatory. À l’époque, il était par exemple question de coupler la tourelle de 120 mm avec la munition de nouvelle génération Shard.
Reste à donc à voir l’accueil que lui réserveront les officiels égyptiens [voire ceux d’autres pays]… lesquels pourraient aussi être intéressés par le nouveau Véhicule blindé de combat d’infanterie [VBCI] MkII T40, l’Engin blindé de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar ou encore, dans un autre domaine, par les CAESAr 6×6 et 8×8.
En octobre, quelques jours après la signature par le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, et son homologue allemand, le général Alfons Mais, d’une fiche d’expression commune des besoins relative au Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], le ministère des Armées a publié une note pour évoquer les attentes de ce programme, sans toutefois trop entrer dans les détails.
Ainsi, au-delà des efforts en matière d’innovation technologique [hyper connectivité pour le combat collaboratif, armes à énergie dirigée, robotique, intelligence artificielle, matériaux, etc.], ce document a indiqué que le MGCS sera « bien plus qu’un engin blindé lourd traditionnel » dans la mesure où il sera « pensé comme un système multiplateformes », avec un « char proprement dit, équipé d’un canon gros calibre, accompagné d’autres modules complémentaires interconnectés [un blindé lourd équipé de missiles antichars puissants, un véhicule d’appui nativement robotisé doté d’armes laser, des drones et autres armements innovants] ».
En outre, cette note a précisé que ce MGCS devra être capable de « tirer jusqu’à 8000 mètres » et que son « écosystème » permettra une « une observation jusqu’à 10’000 mètres de distance, améliorant ainsi les capacités de repérage d’une cible et d’anticipation ».
Quelques jours après la diffusion de cette note, le général Schill a été interrogé par les députés de la commission de la Défense au sujet du MGCS. C’est ainsi qu’il a livré quelques détails supplémentaires dans la partie à huis clos de cette audition, dont le compte-rendu vient d’être publié.
« D’un point de vue militaire, nous ne devons pas manquer la marche du MGCS. Nous n’avons pas besoin d’un ‘Leclerc en mieux’, mais d’autre chose. Ma priorité porte sur une solution militaire adaptée, tout en prenant en compte les impératifs industriels dans une répartition forcément franco-allemande », a d’abord rappelé le CEMAT.
« Je sais que la solution qui sera finalement retenue aura fait l’objet d’un compromis entre la mobilité, la puissance de feu, la protection et la connectivité. En revanche, le système doit être soutenable dans la durée, en étant partagé avec le plus d’alliés possibles, sans être devancé par nos adversaires », a-t-il ensuite continué. Au passage, ce propos fait écho au débat que le général Schill a récemment dit vouloir ouvrir au sujet du « format » que devra avoir le char de combat issu du MGCS, après avoir évoqué l’AMX-13.
Quoi qu’il en soiut, a poursuivi le CEMAT, le « MGCS rentrera en service en 2040 et il fonctionnera encore en 2080, ce qui implique qu’il soit évolutif dans ses capacités de feu principales mais aussi de défense y compris anti-drones ». Et son homologue allemand, a-t-il dit, « partage » son appréciation sur ce point.
Quant à la portée de ce « système de systèmes », le général Schill a expliqué que le « tir à 8000 mètres en direct implique d’embarquer un missile hyper véloce » et donc « des décisions industrielles, qui n’ont pas été préemptées dans le document commun […] rédigé avec le chef d’état-major de l’armée de Terre allemand ».
Le qualificatif « hyper véloce » interroge puisqu’il est ordinairement réservé aux missiles hypersoniques [pouvant voler à une vitesse supérieure à Mach 5]. Probablement qu’il s’agirait de développer un projectile plus rapide que ceux actuellement en service, l’Akeron MP [ou Missile Moyenne Portée] étant capable de voler à environ 600 km/h, pour une portée de 4 à 5 km.
Par le passé, Nexter [KNDS France] avait planché sur l’obus Polynege, une munition guidée polyvalente de 120 mm pouvant atteindre une cible à 8000 mètres de distance, avec une vitesse intiale de 600 à 700 m/s [soit 2520 km/h]. S’agira-t-il de reprendre les travaux là où ils avaient été arrêtés, dans les années 2000?
Par ailleurs, lors des débats sur la Loi de programmation militaire, le général Cédric Gaudillière, chef de la division « Cohérence capacitaire » de l’État-major des armées [EMA], avait indiqué qu’il allait être question de « travailler simultanément sur un missile différencié à bas coût, répondant à certaines besoins spécifiques, tels que les tirs de char en milieu urbain ». Et d’ajouter : « En utilisant les leçons tirées de l’expérience ukrainienne, nous travaillons à la conception d’un missile abordable et pouvant être acquis en grande quantité, et qui réponde à des besoins opérationnels précis ».
La « mort » du char de combat fut maintes fois prophétisées, souvent pour justifier des réductions budgétaires, avec l’argument qu’un tel équipement ne permettait pas de préparer les « guerres de demain ». La Belgique et les Pays-Bas renoncèrent ainsi à cette capacité… tandis que, en 2008, la France divisa pratiquement par deux le nombre de Leclerc alors alignés par l’armée de Terre. Or, cette prédiction a été démentie par la suite, les États-Unis et le Canada ayant, par exemple, déployé des M1A2 Abrams et des Leopard 2 en Afghanistan.
Mais ce débat sur l’avenir des chars a depuis repris de la vigueur à la faveur de la guerre en Ukraine, notamment au regard des pertes subies par les forces russes durant la première phase de leur offensive. Certes, l’efficacité des missiles antichars fournis à l’armée ukrainienne et l’usage de munitions téléopérées [MTO] expliquent en partie cette attrition… Mais en partie seulement car celle-ci a également été causée par des déficiences en matière de logistique – de nombreux chars ont été abandonnés sur le terrain faute d’un soutien efficace – ainsi que par une doctrine d’emploi inadaptée.
Lors d’une audition parlementaire, en juillet 2022, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, avait expliqué que les chars russes avaient été mis en échec « suite à de mauvaises appréciations tactiques », leur concentration les ayant rendus « vulnérables » aux fantassins, qui purent lancer des « attaques contre les colonnes de blindés à partir des zones forestières et urbaines », alors que les conditions météorologiques [fonte précoce des neiges, ndlr] s’y prêtaient.
Mais « il n’en demeure pas moins que cette capacité est primordiale pour rompre un dispositif et exploiter ensuite l’avantage en profondeur », avait poursuivi le général Schill. En clair, une arme ne vaut que par l’emploi que l’on en fait…
Cependant, le débat n’est pas clos, d’autant plus que, depuis les attaques terroristes menées par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre dernier, plusieurs chars de Tsahal ont été endommagés, si ce n’est détruits.
À Gaza, « dans un milieu urbain très cloisonné où la menace est omnidirectionnelle et très rapprochée, les blindés israéliens comme les Merkava IVM de 72 tonnes peuvent être détruits, en dépit de la qualité de leur blindage ou de leur système de protection active, par des armes bon marché », a d’ailleurs admis le général Schill, dans un commentaire sur une note du Centre français de recherche sur le renseignement [CF2R], via le réseau social LinkedIn.
Aussi, pour le CEMAT, la question qui doit se poser n’est pas « celle de l’inutilité éventuelle du char de combat mais celle du type de char et de son insertion dans un ensemble interarmes ». Et, pour lui, la « masse » est un critère déterminant.
« Les chars très technologiques, à l’arc frontal impénétrable et à la volée de 4 000 mètres, sont coûteux à produire et d’une mobilité réduite par un poids excessif qui complique leur soutien. Leur destruction est également un enjeu de communication, comme on l’a vu avec les ‘Leopard 2’ ou les ‘Challenger 2’ ukrainiens », a en effet souligné le général Schill.
Or, poursuit-il, « ces inconvénients sont moindres pour des chars moins puissants et moins protégés » qui, en étant « plus mobiles et moins onéreux », sont « plus faciles à produire, donc à remplacer, et également à entretenir ou à réparer ».
De telles considérations ont-elles été prises en compte dans la fiche commune d’expression des besoins que le CEMAT a signée avec son homologue allemand pour le Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], lequel doit aboutir à un char de combat de nouvelle génération?
La question se pose au regard de la doctrine allemande en matière de chars de combat, laquelle insiste sur l’armement et, surtout, sur la protection.
Or, rappelle le général Schill, « la tradition industrielle française a mis en valeur des blindés moins protégés mais toujours très bien armés et très mobiles, sans doute l’héritage d’une cavalerie de décision, de vitesse et de surprise qui a marqué les siècles ». Et de prendre l’exemple de… l’AMX-13, un char léger [moins de 15 tonnes], armé d’une tourelle de 90 mm [ou de 105 mm pour certaines versions] et produit à plus de 7700 exemplaires à partir de 1953. Exporté dans 35 pays, il est resté en service au sein de l’armée de Terre jusqu’à la fin des années 1980. À noter qu’une variante pouvait être armée de missiles antichars filoguidés SS 11/AS 11.
« Techniquement abouti avec sa tourelle oscillante, son canon de 90, sa grande mobilité permise par un poids inférieur à 15 tonnes, son équipage ramassé – cette plateforme, déclinée en de multiples versions, a d’ailleurs été un remarquable succès à l’export », a-t-il fait valoir.
En attendant, pour le CEMAT, le Leclerc constitue assurément un bon compromis entre les chars « de conception russo-soviétique et les lourds engins anglo-saxons » dans la mesure où, disposant « d’une volée servie par d’excellentes optiques de tir et d’un chargeur automatique », sa mobilité n’a pas été « sacrifiée » à sa protection, ce qui lui permet d’afficher une masse de « seulement » 56 tonnes.
« Accompagné de véhicules blindés légers formant une escouade d’accompagnement pour améliorer ses capacités d’engagement, il représente donc un compromis équilibré et offre des avantages tactiques certains », fait valoir le général Schill.
Quoi qu’il en soit, s’il se dit toujours convaincu de l’utilité du char, le CEMAT estime que son « format doit susciter le débat ».
Pour rappel, selon les explications récemment livrées par le ministère des Armées, le MGCS sera « bien plus qu’un engin blindé lourd traditionnel » étant donné qu’il sera « pensé comme un système multiplateformes », avec un « char proprement dit, équipé d’un canon gros calibre, accompagné d’autres modules complémentaires interconnectés [un blindé lourd équipé de missiles antichars puissants, un véhicule d’appui nativement robotisé doté d’armes laser, des drones et autres armements innovants] ». Fera-t-il une place à un lointain successeur de l’AMX-13?
Photo : Les Meloures — Archive Les Meloures, CC BY-SA 4.0
Le programme Foreign Military Sales (FMS) des États-Unis a approuvé une importante vente d’équipements militaires à la Roumanie, comprenant 54 chars de combat M1A2 Abrams, une quantité équivalente de châssis M1A1, ainsi que 16 véhicules blindés du génie. Cette décision marque une étape significative dans le projet de modernisation de l’armée roumaine, mais le coût dépasse largement les prévisions initiales des autorités roumaines.
Sommaire
Depuis quelques années, la Roumanie s’est engagée dans un ambitieux programme de modernisation de ses forces armées pour faire face à l’augmentation des tensions avec la Russie en Ukraine, en Moldavie et en mer Noire.
Bucarest investit massivement dans la modernisation des forces armées roumaines
L’investissement dans la défense du pays est passé de 1,2 % du PIB en 2012 à 2 % actuellement, avec un objectif de 2,5 % d’ici à 2030. Le budget de défense de la Roumanie a atteint 7,5 milliards d’euros en 2023, pour un PIB de 285 milliards d’euros en 2022.
Des contrats importants ont été signés récemment, dont l’achat de 7 batteries antiaériennes MIM-104 Patriot et 54 systèmes d’artillerie HIMARS à longue portée. De plus, Bucarest prévoit de commander 48 avions de combat F-35A, avec une première commande de 32 chasseurs prévue pour 2024.
Au printemps 2023, Bucarest a opté pour l’achat de 54 chars M1A2 Abrams américains, dans le cadre d’un plan plus large visant à acquérir 300 nouveaux chars pour remplacer les anciens modèles TR-85 et T-55AM. Initialement, les autorités roumaines prévoyaient d’acquérir ces blindés d’occasion pour un montant estimé à 1 milliard d’euros, soit environ 1,1 milliard de dollars.
Toutefois, la réponse du FMS a récemment été rendue publique, révélant un coût bien plus élevé que prévu. Le FMS a autorisé la vente de 54 chars M1A2 Abrams SEPv3, de 54 châssis M1A1, ainsi que de 16 véhicules du génie, comprenant 4 M88A2 Hercules, 4 ponts mobiles M1110 Joint Assault Bridges, 4 véhicules de bréchage M1110 et 4 ponts d’assaut M1074 Heavy Assault Scissor Bridges. En plus de ces véhicules, divers équipements complémentaires sont inclus, tels que des mitrailleuses M240C et des obus de différents types.
2,53 Md$ pour 54 chars M1A2 Abrams et 16 véhicules blindés de soutien pour le FMS
Généralement, les offres du FMS incluent une gamme d’équipements et de services plus large que celle demandée par le client, ce qui explique souvent que les contrats finaux soient inférieurs aux estimations initiales.
Cependant, même si le prix final peut être réduit, il reste significativement supérieur au budget prévu par la Roumanie. Cette différence notable entre le coût estimé et le coût réel soulève des questions sur l’alignement des attentes entre Bucarest et Washington concernant le prix des chars lourds américains.
Le prix unitaire du M1A2 semble excessif, surtout en comparaison du contrat de Varsovie pour 250 chars M1A2 SEPv3 à 5 milliards de dollars. La Roumanie avait probablement basé son estimation sur ce contrat précédent, espérant des conditions similaires.
Trop cher pour Bucarest ? Quelles sont les autres options de la Roumanie ?
Dans cette situation, il est fort probable que Bucarest envisage de reconsidérer ses options en matière d’armement. Une alternative pourrait être de se tourner vers l’Allemagne et le nouveau Leopard 2A8. Récemment, la Norvège a commandé 54 unités de ce modèle pour un montant de 1,8 milliard d’euros.
Une autre option envisageable pour Bucarest serait de se tourner vers la Corée du Sud et son char K2 Black Panther. Bien que ce dernier soit plus léger que le M1A2 Abrams, son coût est nettement inférieur. À titre d’exemple, Varsovie a passé commande de 180 unités du K2 Black Panther pour seulement 3,4 milliards de dollars, ce qui équivaut à environ 3,2 milliards d’euros.
Dans ces conditions, le K2 Black Panther sud-coréen se révélerait presque deux fois moins onéreux que le M1A2 américain. Le prix unitaire du K2 polonais s’élève, en effet, à approximativement 19 millions de dollars, comparé à plus de 35 millions de dollars pour le M1A2 roumain. Cependant, il est important de considérer ces prix unitaires avec prudence, en attendant d’avoir plus de détails sur le périmètre exact de chaque offre.
La question du différentiel de prix des équipements militaires occidentaux face à la Chine ou la Russie
Cette situation soulève une question fondamentale sur la pertinence et l’adéquation des prix pratiqués par l’industrie de défense occidentale, en particulier américaine, par rapport aux équipements militaires proposés par d’autres pays.
Pour mettre les choses en perspective, le char russe T-90M est vendu à l’exportation pour environ 5 millions de dollars l’unité, tandis que les armées russes l’acquièrent pour environ 3 millions de dollars par char neuf. De son côté, le VT4 chinois, version export du Type 96, est commercialisé à moins de 5 millions de dollars l’unité, bien que le prix exact payé par l’Armée Populaire de Libération chinoise reste inconnu.
Il est communément admis que les chars occidentaux tels que le M1A2 Abrams américain, le Leopard 2A8 allemand et le K2 Black Panther sud-coréen offrent de meilleures performances et une plus grande résilience que leurs homologues russes et chinois, comme le T-90M et le Type 99A.
En particulier, l’expérience ukrainienne a montré que les chars occidentaux, tels que le Leopard 2 et le Challenger 2, offrent une meilleure protection à leurs équipages en cas d’impact de missile, de roquette ou d’obus, comparativement aux modèles russes.
Cependant, cette supériorité technique et cette meilleure protection justifient-elles un écart de prix allant jusqu’à cinq fois plus élevé ? Surtout quand on considère que les armées russe et chinoise semblent avoir moins de difficultés à renouveler leurs équipages, malgré une qualité moindre.
Ce différentiel de coût entre les industries de défense occidentale, russe et chinoise, ne se limite pas aux chars et aux véhicules blindés. Par exemple, un avion de chasse Su-57 coûte environ 35 millions de dollars à l’armée de l’air russe, alors qu’un F-35A ou un Rafale coûte entre 85 et 90 millions de dollars, et un Su-30SM russe environ 22 millions de dollars, contre 60 à 70 millions de dollars pour un F-16V ou un Gripen E.
Dans le domaine naval aussi, cet écart de prix est notable. Le sous-marin nucléaire lance-missiles russe Iassen M coûte environ 800 millions de dollars, contre près de 2 milliards de dollars pour le sous-marin britannique Astute et 2,5 milliards de dollars pour les sous-marins américains de classe Virginia.
Conclusion
La question se pose alors : est-ce que cet écart de prix reflète véritablement des différences de performances, d’efficacité et de capacité de survie proportionnelles, ou bien faut-il reconsidérer ces coûts élevés comme disproportionnés ?
Dans l’affirmative, il serait nécessaire de réévaluer la réalité des efforts de défense de ces pays pour obtenir une vision plus réaliste des rapports de force futurs, surtout à un moment où les tensions internationales continuent de s’intensifier.
Article du 13 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023
Étant donné que le Système principal de combat terrestre [MGCS, pour Main Ground Combat System], développé dans le cadre d’une coopération franco-allemande, ne devrait pas être opérationnel avant 2040 au mieux, la question de l’avenir à moyen terme de la composante « blindés lourds » de l’armée de Terre se pose. Et deux solutions sont évoquées.
La première, qui a, semble-t-il, la préférence du général Pierre Schill, le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT] consisterait à lancer un nouveau programme de modernisation du char Leclerc, lequel fait déjà l’objet d’une « rénovation » devant le porter au standard XLR et le rendre compatible avec « l’écosystème » SCORPION.
Quant à la seconde, elle reposerait sur l’acquisition de chars E-MBT, dont un démonstrateur « amélioré » a été présenté par KNDS France [ex-Nexter] et KNDS Allemagne [ex-Krauss-Maffei Wegmann] lors du dernier salon EuroSatory. « Cette option se doit d’être condidérée », a estimé le ministère des Armées, dans une récente réponse à une question posée par le député [LR] Philippe Gosselin.
Cela étant, la prolongation de la durée de vie du char Leclerc pourrait se heurter au problème posé par l’obsolescence de son groupe moto-propulseur [GMP]. En tout cas, c’est un point soulevé par le député François Cormier-Bouligeon, dans son dernier avis budgétaire concernant les crédits alloués à l’armée de Terre dans le cadre du projet de loi de finances 2024.
« Le segment char est concerné par une légère baisse de sa disponibilité, en raison de l’immobilisation d’une partie du parc, liée au programme de rénovation Leclerc, sans toutefois remettre en cause l’accomplissement du contrat opérationnel », souligne d’abord le rapporteur. Et, selon lui, cette disponibilité devrait s’améliorer grâce à la « renégociation des contrats de soutien en service en 2025, du fait notamment de l’intégration de pièces de rechange ».
Cependant, a prévenu M. Cormier-Bouligeon, « le coût du marché de soutien en service du Leclerc, s’il devrait effectivement diminuer grâce à l’opération de rénovation du char qui doit permettre de régler certaines obsolescences, notamment sur les turbomachines, resterait contraint par la problématique du moteur ».
Pour rappel, lors du développement du Leclerc, il fut décidé de le doter d’un moteur Diesel V8X-1500 Hyperbar, développant une puissance de 1500 chevaux à 2500 tours par minute, grâce à l’adjonction d’une turbomachine Turbomeca TM-307B. À l’époque, la production du groupe moto-propulseur avait été confiée à la Société Alsacienne de Construction Mécanique [SACM], rachetée depuis par Cummins Wärtsilä.
Le traitement de l’obsolescence des turbomarchines du Leclerc a été rendu compliqué après la décision de ne pas investir les 4 millions d’euros nécessaires pour le maintien des chaînes industrielles qui les produisaient… Les « petites économies à court terme réalisées hier créent parfois des surcoûts colossaux à long terme », avait souligné l’ex-deputé Sereine Mauborgne, dans un rapport publié en 2020.
Quant au système de propulsion du Leclerc, M. Cormier-Bouligeon explique que le ministère des Armées « n’a pas fait le choix d’une remotorisation » alors que celle-ci, « bien que coûteuse à court terme [puisque le V8X-1500 n’est plus fabriqué, ndlr] permettrait d’économiser ensuite sur le coût de la maintenance du char, compte tenu de [sa] prolongation probable jusqu’en 2040 ».
Pour le rapporteur, une solution passerait par « l’ajout d’un moteur sur le même modèle que celui du char actuellement en dotation dans les forces émiriennes ». En clair, il s’agirait du moteur diesel MT883 KA-500 de l’allemand MTU.
Par ailleurs, le décalage du programme SCORPION implique la prolongation de certains blindés, comme l’AMX-10RC et le Véhicule de l’avant blindé [VAB]. Et cela ne sera pas sans conséquence sur le coût de leur Maintien en condition opérationnelle [MCO].
« Pour la maintenance terrestre, le maintien d’un parc d’ancienne génération oblige à une gestion fine des obsolescences pour des parcs dont les principaux rechanges réparables ne sont souvent plus produits par l’industrie, comme c’est le cas de l’AMX-10 RC en service depuis les années 1970 et devant être remplacé par le Jaguar à terme », souligne M. Cormier-Bouligeon.
Et selon les informations qui lui ont été fournies par le ministère des Armées, la prolongation des VAB jusqu’en 2030 devrait engendrer un surcoût de 80 millions d’euros. Même chose pour l’AMX-10RC, avec un surcoût estimé à 30 millions d’euros.
Depuis plusieurs mois, l’avenir du programme franco-allemand Main Ground Combat System, ou MGCS, était dépeint très sombrement des deux cotés du Rhin. Il ne s’agissait alors pas uniquement d’extrapolations de presse teintées d’une certaine rivalité entre les deux pays et leur industrie de défense, mais également de sérieuses réserves exprimées à mots couverts par des sources industrielles, militaires et politiques, proches du dossier.
Après une première rencontre en juillet entre les deux ministres de tutelle qui n’aboutit qu’à la demande, aux états-majors de l’Armée de terre et de la Bundeswehr, de la rédaction d’un HLCORD (High Level Common Operational Requirements Document), une expression de besoins commune pour encadrer le programme à venir.
Une rencontre critique pour l’avenir de MGCS entre Sébastien Lecornu et Boris Pistorius
De fait, la pression était grande sur Sébastien Lecornu et Boris Pistorius, concernant le succès de leur nouvelle rencontre qui s’est déroulée sur la base aérienne d’Evreux ce 21 septembre.
Il s’agissait, en effet, de sortir le programme MGCS de l’état de stase dans lequel il se trouve depuis son lancement en 2017, et ainsi garantir sa pérennité, avec elle, celle du programme SCAF qui lui est intimement lié.
De nombreuses pistes avaient été évoquées ces dernières semaines à ce sujet, allant de l’abandon pur et simple de la coopération franco-allemande entamée en 2017, à l’arrivée de l’Italie dans le programme imposée par la France.
Reprise en main politique et leadership des agences de l’armement
Comme pour SCAF, le programme MGCS, qui est avant tout un programme d’essence politique visant à consolider les coopérations industrielles et milliaires entre Paris et Berlin, sera donc piloté par le Politique, plus précisément par les agences de l’armement des deux pays, la DGA française et le BWD allemand.
Il s’agit, par cette approche, de mettre fin aux disputes qui ont bloqué le programme depuis 7 ans, notamment depuis l’arrivée de Rheinmetall aux côtés de KNDS en 2019.
On notera que cette reprise en main politique est loin d’être mal reçue par certains industriels. Ainsi, il y a quelques semaines, le CEO de KNDS, Frank Haun, appelait expressément à cela pour sortir le programme de l’ornière dans laquelle il était.
Un programme à parité budgétaire et industrielle, construit sur des piliers, comme SCAF
Bien que relativement concises, les déclarations de Sébastien Lecornu et Boris Pistorius à l’issue de la rencontre d’Evreux, permettent de tracer une cartographique de l’avenir du programme MGCS et de la coopération industrielle en son sein.
Strictement équilibré à son lancement, tant du point de vue industriel que budgétaire, lorsque attribué à la coentreprise KNDS, le programme fut grandement déstabilisé en 2019 avec l’arrivée de Rheinmetall imposée par le Bundestag.
En effet, le groupe de Düsseldorf exigeait d’obtenir un tiers des sous-programmes, notamment pour ce qui concernait l’armement principal avec le canon de 130 mm L/55, jusque-là visé par Nexter au sein de KNDS, avec le canon ASCALON de 140 mm.
Il fallait donc aux pilotes du programme de résoudre une équation sans solution, avec un partage industriel à parité reflétant la parité de l’investissement budgétaire des deux pays et des industriels allemands qui restaient inflexibles sur l’obtention d’un tiers des travaux chacun.
Pour répondre à ce blocage, MGCS sera désormais piloté par pilier, à l’instar du programme de SCAF. Chacun d’eux sera lui-même piloté par un industriel, avec la participation d’autres industriels appartenant aux deux pays.
Cette approche propose une plus grande flexibilité en matière de partage industriel. En effet, les piliers sont eux-mêmes scalaires, pour qu’il soit ainsi possible de répartir objectivement les attributions et participations de sorte à respecter une parité industrielle stricte reflétant la parité budgétaire.
Le pilotage ultime étant politique, il sera bien plus difficile aux industriels, et notamment à Rheinmetall, de jouer l’obstruction tactique pour venir handicaper le programme. Il sera donc très probablement bien plus pertinent pour le groupe allemand de rentrer dans le rang afin d’obtenir la meilleure participation industrielle.
Pas d’Italie avant la fin de la première phase
Il s’agit là incontestablement d’une avancée majeure, et d’une certaine manière, d’une victoire de KNDS sur Rheinmetall. C’était d’ailleurs pour parvenir à un résultat similaire que la France avait laissé fuiter l’hypothèse de l’arrivée imposée de l’Italie au sein du programme.
Il s’agissait alors, par cela, d’amener à une réorganisation du programme et de son partage industriel, en venant minimiser mécaniquement la part de Rheinmetall et en forçant à une redéfinition complète de l’organisation industrielle en son sein.
L’accord obtenu entre Paris et Berlin ce 21 septembre rend évidemment cette stratégie, aux fondements en partie contestable par la proximité commerciale et industrielle de l’Allemagne et de l’Italie, obsolète.
Ainsi, à l’issue de la première phase d’organisation et de rédaction du cahier des charges industriel qui demeurera dans les semaines à venir, d’autres pays européens pourront rejoindre le programme courant 2024.
Ils auront d’abord la qualité d’observateur, comme c’est le cas aujourd’hui de la Belgique dans le programme SCAF, et pourront par la suite intégrer le programme industriel lui-même.
Cette approche, raisonnable au demeurant, permet de limiter le nombre d’avis et d’expressions de besoins lors de la phase de conception initiale, pour conserver une trajectoire technologique, industrielle et opérationnelle maitrisée, et ainsi éviter les dérives que l’on a pus observer autour du programme NH90, par exemple, avec presque autant de version de l’appareil qu’il n’y avait de partenaires.
Une échéance ramenée à 2040-2045
Si Berlin a accepté des compromis concernant l’organisation industrielle, c’est aussi le cas de Paris, sur le tout aussi sensible sujet du calendrier. En effet, contrairement à l’Allemagne qui dispose des évolutions du Leopard 2 et, éventuellement, du KF51 Panther, pour assurer l’intérim opérationnel et commercial dans les années à venir, ce n’est pas, pour l’heure tout au moins, le cas de la France avec le Leclerc.
Dès lors, le calendrier initial du programme MGCS, qui visait une entrée en service en 2035, était crucial pour le remplacement des Leclerc de l’Armée de Terre. En revanche, pour les industriels allemands participant au Leopard 2A8, au KF51 ou au futur et mystérieux Leopard 2AX, cette échéance posait d’importants problèmes de chevauchement des marchés.
Dès lors, de nombreuses voix, industrielles, politiques et même militaires, s’étaient élevées outre-Rhin, pour appeler à un glissement de MGCS au-delà de 2040, et même de 2045, afin d’éteindre la période de commercialisation des dernières versions du Léopard 2, et du KF51.
L’échéance de 2035 était aussi remise en cause en France, en particulier par l’État-Major de l’Armée de terre, pour qui les délais nécessaires au développement et à la maturation des technologies clés de MGCS, notamment dans le domaine robotique, de l’intelligence artificielle et de l’engagement coopératif, n’étaient pas suffisants.
De fait, en acceptant publiquement une échéance à 2045 (2040 n’étant citée que pour atténuer l’effet d’échelon perçu), Sébastien Lecornu fait preuve de réalisme. Il donne aussi des gages aux industriels allemands, et particulièrement à Rheinmetall, pour obtenir un changement de posture.
Le problème de l’obsolescence des chars Leclerc français
Pour autant, cette échéance pose un important problème en France. En effet, La modernisation en cours du char Leclerc, est déjà jugée insuffisante par nombre de spécialistes du sujet, en particulier au regard des enseignements de la guerre en Ukraine.
De fait, d’ici à 2030, l’Armée de terre disposera non seulement d’un parc de chars lourds particulièrement réduit avec uniquement 200 blindés, mais également de chars sensiblement dépassés dans certains domaines, pour pouvoir les engager efficacement en zone de combat de haute ou très haute intensité.
En outre, la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, qui vient d’être votée, n’offre à ce jour aucune marge de manœuvre budgétaire pour répondre à ce problème dans les années à venir.
De fait, la situation des capacités blindées lourdes de l’Armée de terre, au-delà de 2030, pourraient être particulièrement problématique, et ce, pendant une quinzaine d’années jusqu’à l’arrivée du MGCS. Il s’agit précisément la période de 2030 à 2045 qui, aujourd’hui, est perçue par les spécialistes du sujet, comme le pic des tensions internationales à venir.
L’hypothèse d’un partenariat avec les EAU pour développer une évolution du Leclerc
La solution pour Paris pourrait venir de l’unique client à l’exportation du char Leclerc, les Émirats arabes unis. En effet, des négociations seraient en cours avec Abu Dhabi, en vue de développer une évolution du char Leclerc dont 354 exemplaires sont en service au sein des armées émirati.
Cette approche permettrait à Paris de participer à ce programme conjoint avec les Émirats, et ainsi développer une version bien plus adaptée aux exigences opérationnelles de 2030, que ne le sera le Leclerc MLU, en le dotant, par exemple, d’un système de défense hard kill APS comme ceux qui équiperont les Leopard 2A8, les Challenger 3 ou encore les M1A2 Abrams.
Ce programme permettrait par ailleurs de renforcer la coopération industrielle militaire entre la France et les Émirats arabes unis, très en demande de ce type de partenariat, et ainsi éviter de perdre ce partenaire clé au profit d’autres acteurs émergents comme la Corée du Sud avec le K2 Black Panther, la Turquie avec l’Altay ou encore la Chine avec le VT4.
Conclusion
On le voit, les arbitrages menés par Paris et Berlin ces derniers jours, et exprimés par Boris Pistorius et Sébastien Lecornu à Evreux, ont le potentiel de sauver et de relancer le programme MGCS, si tant est que « relancer » soit effectivement le bon terme.
La nouvelle trajectoire présentée par les deux ministres est non seulement pertinente, elle est aussi, très probablement, la seule qui permette effectivement de préserver la pérennité de ce programme victime des ambitions industrielles et politiques depuis plusieurs années.
En d’autres termes, MGCS est désormais redevenu le programme politique qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être pour avancer. En effet, ni les industriels, ni les militaires, de part et d’autres du Rhin, n’avaient jusque-là dû collaborer pour avancer, ni n’avaient exprimé le besoin de le faire.
Toutefois, si le programme franco-allemand est dorénavant sur de bons rails et sur un calendrier réaliste, il impose à présent à la France, et au ministère des Armées, de concevoir rapidement une alternative intérimaire au Leclerc MLU pour maintenir les capacités opérationnelles de l’Armée de terre et industrielles de la BITD, jusqu’en 2045.
Dans ce domaine, la solution la prometteuse réside incontestablement dans un partenariat industriel et technologique avec les Émirats arabes unis, pour le développement d’une évolution du Leclerc, peut-être à partir de la tourelle EMBT, comme évoquée dans un précédent article.
Il faudra cependant faire preuve, avec Abu Dhabi qui sait désormais à quel point le sujet est critique pour Paris, d’une bonne dose de persuasion et d’une souplesse industrielle bien plus importante que celle dont ont fait preuve les négociateurs d’Airbus Helicopters, pour y parvenir.
La montée en puissance de l’armée allemande rebat les cartes en Europe, explique Léo Péria-Peigné, qui vient de publier une étude sur le sujet pour l’Ifri.
Laissée en déshérence pendant des années, l’armée allemande, la Bundeswehr, remonte en puissance. La décision a été prise juste après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un événement menant, pour l’Allemagne, à un nécessaire « changement d’époque » (« Zeitenwende »), comme l’a qualifié le chancelier Olaf Scholz. Grâce à un fonds de 100 milliards d’euros, Berlin multiplie les commandes, dans le cadre d’un programme de rééquipement destiné à en faire la « première armée d’Europe ».
Dans un rapport invitant la France à mieux appréhender la révolution en cours de l’autre côté du Rhin – « La Bundeswehr face au Zeitenwende » –, Elie Tenenbaum et Léo Péria-Peigné, du centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), auscultent la transformation de l’outil militaire allemand. « L’Allemagne a un but stratégique unique et clair, quand la France, elle, court trois lièvres à la fois : être une alliée crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présente dans l’espace indo-pacifique », explique Léo Péria-Peigné à L’Express. Entretien.
L’Express : Le gouvernement allemand a annoncé qu’il disposerait bientôt de la première armée d’Europe. En prend-elle vraiment le chemin ?
Oui, mais pas de la façon dont on l’imagine d’un premier abord. La Pologne est l’autre pays qui a l’ambition d’être la première armée de terre d’Europe. Mais elle pense d’abord à elle-même, alors que l’Allemagne ambitionne cela de manière européenne. Elle se dote de moyens de commandements, de communications, de supports logistiques, qui vont permettre à d’autres nations de brancher leur armée sur ce système, pour amplifier les synergies dans le cadre de l’Otan. L’Allemagne pourrait ainsi devenir la première, en devenant la base d’une « armée européenne », pas forcément en nombre de chars.
Beaucoup d’experts, en Allemagne, soulignent que les 100 milliards du fonds spécial serviront surtout à combler les retards accumulés…
Oui, un peu comme l’augmentation du budget pour la France selon sa loi de programmation militaire (LPM, 413 milliards d’euros de 2024 à 2030). Le fonds de 100 milliards est un plan de restauration, pour faire fonctionner ce qui existe et redensifier certaines capacités perdues. Ils ne dureront que quelques années, mais permettront d’atteindre l’objectif de l’équivalent de 2% du PIB consacré à la défense, comme le préconise l’OTAN. L’idée est ensuite qu’en 2027, les 2% seront assurés par le seul budget, sans un fonds complémentaire. Pour le prochain gouvernement allemand, il faudra cependant que ce soit politiquement acceptable. Pour cela, il faudra que le « Zeitenwende » atteigne les consciences.
Jusqu’à quand la Bundeswehr va-t-elle rester « à sec », avec très peu de disponibilité de matériel, comme la dit le chef de son armée de terre ?
La situation s’améliore déjà et cela devrait continuer. Par exemple, il y avait un gros problème de disponibilité dans la marine allemande, lié à l’encombrement des chantiers navals civils. En 2017, aucun des six sous-marins allemands n’était disponible. La marine a acheté des infrastructures existantes qui lui sont maintenant dédiées pour résoudre ce problème. Les améliorations vont s’amplifier, mais jusqu’à un certain seuil. Car il faut que les ressources humaines suivent. Il faut des spécialistes et des volontaires pour utiliser les nouveaux équipements.
L’Allemagne n’ayant plus le service militaire, elle doit attirer des talents, des jeunes, avec des compétences de plus en plus pointues. Dans un pays plus vieillissant – bien plus que la France –, c’est déjà un problème. A cela s’ajoute le fait que le marché du travail civil est plus attractif. Si les Allemands n’arrivent pas attirer de nouveaux soldats, l’effet de la revitalisation restera limité. Il y a un travail à mener pour rendre la fonction militaire plus attirante pour les jeunes.
Pourquoi ce Zeitenwende renforcent-ils plus le partenariat de l’Allemagne avec les Etats-Unis qu’avec la France ?
Le Zeitenwende va servir à renforcer non seulement le partenariat avec les USA, très important pour l’Allemagne [achat de nombreux appareils américains, en particulier des avions et des hélicoptères], très attachée à l’Otan. Mais il va aussi lui servir à renforcer son partenariat avec l’Europe, plus qu’avec la France. Pour une raison très importante : si, en Europe, l’Allemagne est le principal partenaire de la France, l’inverse n’est pas vrai. Son principal partenaire, ce sont les Pays-Bas. A l’heure actuelle, les trois brigades qui composent l’armée de terre néerlandaise sont intégrées dans les trois divisions de l’armée allemande.
L’Allemagne développe des partenariats avec d’autre pays européens pour les intégrer dans son modèle de force et constituer une plateforme commune. D’autres pourraient se monter avec la Hongrie, ou au niveau des différentes armées de la Baltique, en particulier les marines. Celui lui vaut certaines critiques, à Paris, comme quoi l’Allemagne fournit les fonctions non-combattantes pour envoyer les autres Européens sur le front à leur place. Mais la France pourrait tenter de faire la même chose avec la Belgique, comme elle a commencé à le faire avec son partenariat stratégique sur les capacités motorisées CaMo. Une unité luxembourgeoise pourrait aussi être intégré au sein des divisions françaises.
En quoi, les deux pays veulent se constituer deux armées différentes ?
L’armée française se perçoit comme une armée d’emploi, qui peut faire la guerre et intervenir là où on a besoin d’elle, même loin. Après la fin de l’URSS et la réunification, l’Allemagne s’est lancée elle aussi dans une logique d’interventions internationales, comme en Afghanistan, mais cela n’a pas vraiment bien marché. Depuis, elle est revenue à sa culture d’armée d’avant la chute du mur : une armée conventionnelle, qui doit maintenir un niveau de puissance suffisant pour dissuader tout agresseur potentiel, axé sur la haute intensité.La France, elle court trois lièvres à la fois : être un allié crédible en Europe, ne pas lâcher sa présence en Afrique et être présent en Indopacifique, avec un budget en grande partie consacré à la dissuasion nucléaire. La LPM a acté cette absence de choix.
Peut-on être sûr que les deux grands programmes franco-allemands phare, le SCAF (l’avion du futur) et le MGCS (le char du futur), se feront ?
Ces projets ont été lancés pour des raisons politiques et avancent lentement et de manière chaotique. Mais ils ont du mal à avancer sur le plan militaire et industriel. Les armées ne veulent pas la même chose. Concernant le SCAF, les Français veulent qu’il puisse atterrir sur un porte-avion et porter les futurs missiles nucléaires ASM4G. Les Allemands ne sont pas forcément prêts à payer pour ces capacités-là, dont ils se fichent. Sur le plan industriel, Airbus et Dassault, en plus d’être rivaux, se détestent, car Airbus a essayé de racheter Dassault au début des années 2000.
Du côté du MGCS, le projet devait associer le français Nexter, très bon dans la fabrication de canons, et KMW, le concepteur de la caisse du Leopard 2. Mais le Bundestag a exigé qu’on ajoute Rheinmetall, une entreprise de défense beaucoup plus grosse que les deux autres. Or KMW craint de se faire racheter par Rheinmetall, dont le canon de 130 est en concurrence avec celui de 140 de Nexter pour équiper le MGCS….
Que faudrait-il faire pour relancer un partenariat franco-allemand dans la défense ?
Il faudrait que les structures qui existent soient revitalisées et qu’on leur redonne une pertinence. Qu’on sache ce qu’on pourrait faire de la brigade franco-allemande. Pour la Marine, il y avait la Force navale Franco-Allemande (FNFA), une structure d’entrainement commun, tombée en désuétude.
[…]
> Lire l’interview intégrale sur le site de L’Express (réservé aux abonnés)
En juillet, le groupement momentané d’entreprises [GME] « Engin blindé multi-rôles » [EBMR], constitué par Nexter, Arquus et Thales, fit savoir qu’il venait de remettre à la Direction générale de l’armement [DGA] le cinquantième Engin blindé de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar, sur les 300 devant être mis en service au sein de l’armée de Terre à l’horizon 2035, dans le cadre du programme SCORPION [Synergie du contact renforcée par la polyvalence et l’infovalorisation].
Pourtant, quelques semaines plutôt, lors de l’examen de la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 à l’Assemblée nationale, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, avait confié être « inquiet pour la livraisons des Jaguar », après avoir évoqué, sans donner de détails, des aléas affectant ce programme. « Ce n’est pas une critique, c’est la réalité : il va falloir qu’on mette les bouts pour tenir les délais », avait-il dit.
Cela étant, le magazine spécialisé DSI avait expliqué, en mars, que la tourelle du Jaguar n’était « pas stabilisée ». D’où des « retards importants » pour équiper le Régiment d’Infanterie Chars de Marine [RICM] afin de lui permettre de remplacer ses AMX-10RC, à l’instar du 1er Régiment Étranger de Cavalerie [REC].
Mais lors d’une audition au Sénat [dont le compte rendu s’est fait attendre durant plus de trois mois], le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, a livré quelques détails sur ces « aléas » évoqués par le ministre.
« Concernant le Jaguar, je suis convaincu qu’il est un très bon équipement. […] Des ajustements sont encore nécessaires pour qu’il soit pleinement opérationnel. Les industriels ont bien intégré cet aspect », a fit le général Schill. Et d’annoncer qu’un « nouveau standard du Jaguar, doté d’un nouveau logiciel, sera livré par l’industriel mi-2024 ».
Pour rappel, le Jaguar est équipé d’une tourelle dotée d’un canon de 40 mm télescopé, d’une mitrailleuse téléopérée de 7,62 mm et de missiles Akeron MP [ex-MMP, fournis par MBDA, ndlr] qui, actuellement associés au viseur PASEO d’Optrolead, sont susceptibles de lui donner une capacité de tir au-delà de la vue directe, leur portée pouvant atteindre les 5 km. Mais celle-ci ne sera pas encore disponible sur le prochain standard de cet engin.
« Il ne fera pas encore du tir au-delà de la vue directe, mais il fera du tir en mouvement sur des cibles en mouvement. Si cette conduite de tir est performante, nous poursuivrons la transformation des régiments », a en effet expliqué le CEMAT.
Plutôt que de développer un nouveau char de combat, l’US Army a annoncé, il y a quelques semaines, se tourner vers une évolution radicale de son M1 Abrams, pour donner naissance au M1E3 Abrams d’ici à la fin de la décennie.
À l’instar de l’Allemagne et de son Leopard 2AX, il s’agit pour les États-Unis de répondre au mieux, face aux contraintes de temps et de technologies, aux enseignements de la guerre en Ukraine, et notamment à l’arrivée massive des drones à tous les échelons du combat.
Cette approche, qui s’oppose aux objectifs d’un programme MGCS menacé de toutes parts, se veut pragmatique pour répondre aux enjeux opérationnels, mais aussi commerciaux, qui se présentent aujourd’hui.
Dans ce contexte, la France, sur la base d’une évolution radicale du char Leclerc basée sur la tourelle EMBT, doit-elle, elle aussi, s’inviter dans cette course contre-la-montre qui s’est engagée des deux cotés de l’Atlantique ?
La transformation robotique du champ de bataille est en marche
S’il est un enseignement crucial à retenir des 19 mois de guerre en Ukraine, c’est incontestablement le rôle désormais central que les technologies robotisées, plus particulièrement les drones, ont pris sur le champ de bataille.
Ceux-ci interviennent dans la presque totalité des espaces de conflictualité, qu’il s’agisse de frapper les unités sur la ligne de front, de diriger le tir de l’artillerie à longue et très longue portée, de mener des raids aériens ou navals contre les bases arrière de l’adversaire, et même pour mener des campagnes de terreur contre les populations civiles.
L’arrivée de ces drones et autres munitions rôdeuses, influence à présent la réflexion opérationnelle des stratèges militaires, au point de modeler, avec d’autres facteurs souvent connexes, la conception même des nouveaux équipements militaires.
C’est ainsi que les Loyal Wingmen et autres Remote Carrier sont aujourd’hui au cœur de la conception des avions de combat de nouvelle génération comme les NGAD aux Etats-Unis, le GCAP britannique (Italie/Japon), et le SCAF européen.
Ils influencent aussi la conception des nouveaux navires militaires, qu’il s’agisse des unités de surface combattantes comme les destroyers et frégates, les grands navires aéronavals et d’assaut, les bâtiments de guerre des mines et même les sous-marins.
C’est aussi le cas dans le domaine des armements terrestres, qu’il s’agisse de l’artillerie, des blindés de combat et de soutien, et désormais du seigneur du champ de bataille, le char de combat.
En effet, les programmes de chars de combat de nouvelle génération, ou devons-nous dire plutôt de génération intermédiaire, comme le K2 Black Panther, le T14 Armata, le Leopard 2A8 ou le récemment annoncé, Abrams M1E3, sont conçus autour de cette révolution robotique.
Ils intègrent ainsi des drones de reconnaissance pour une perception étendue de leur environnement, des systèmes antidrone et APS pour engager et détruire les drones de reconnaissance et les munitions rôdeuses,
La robotique entre aussi dans l’habitacle, pour remplacer le poste de chargeur par un système automatisé, même au sein des armées attachées à l’équipage à quatre traditionnels jusqu’ici.
Cette influence dépasse même ce cadre direct, en imposant, par exemple, des chars plus légers et plus mobiles, avec une empreinte logistique plus faible, de sorte à préserver les flux logistiques des frappes indirectes menées, là encore, avec l’aide ou par des drones.
Avions, hélicoptères, chars : leur rôle va évoluer dans les années à venir
Au-delà de ces aspects déjà appliqués au combat aujourd’hui, notamment en Ukraine, il apparait surtout que la révolution robotique des armées en cours, va considérablement influencer le rôle même des piliers de l’action militaire.
Ainsi, les avions de chasse, mais aussi, les frégates, destroyers et sous-marins, les hélicoptères et les chars, voient leur rôle opérationnel évolué d’une mission de type vecteur/effecteur, c’est-à-dire de transport et de mise en œuvre des munitions et des systèmes d’armes, à celui de coordinateur de drones jouant précisément ce rôle de vecteur/effecteur.
Dit autrement, là où aujourd’hui un avion de combat comme le Rafale transporte lui-même ses bombes et ses missiles, ou un char comme le Leclerc emploie son canon de 120 mm, les équipements qui devront les remplacer s’appuieront avant tout sur les munitions et capacités de leurs drones, pour frapper l’adversaire.
En effet, les systèmes d’armes sont désormais à ce point efficaces et précis, et les moyens de communication performants et réactifs, qu’exposer un avion de combat de 100 m€ ou un char lourd de 20 m€, ainsi que leurs précieux et rares équipages, ne peut se faire que parcimonieusement, avec un temps d’exposition le plus réduit possible.
Quelle influence sur les nouveaux chars de combat ?
Si la révolution drone et robotique s’était déjà invitée depuis plusieurs années dans la conception des systèmes de combat aériens de nouvelle génération, et dans la guerre navale, son intégration aux véhicules blindés, et notamment aux chars de combat, était en revanche plus timide (en dehors des systèmes de chargement automatique en Russie, France ou encore Corée du Sud).
Ainsi, à l’occasion de la Defense Warfighter Conference, le général de brigade Geoffrey Norman, directeur de la Next-Generation Combat Vehicle Cross Functional Team de l’US Army, a donné des précisions sur le nouveau char à l’étude, dont l’existence fut dévoilée il y a tout juste une semaine.
Comme anticipé, le nouveau char sera conçu sur la base des avancées développées dans le cadre de la version SEPv4 du M1A2 Abrams, finalement annulée au profit du nouveau programme.
Il intégrera de fait de nouveaux équipements de vetronique, comme un système infrarouge de nouvelle génération 3GEN FLIR, un détecteur de menace laser, un système de gestion thermique et d’autres nouvelles capacités.
En revanche, celui-ci sera entièrement repensé pour absorber les enseignements de la guerre en Ukraine, et intégrer la révolution robotique en cours. Il disposera de cette manière d’un système de protection actif passif, soft et hard-kill intégré nativement, et non ajouté comme c’est le cas du Trophy sur le M1A2 SEPv3.
Son équipage sera, lui, ramené à trois membres, avec la suppression du poste de chargeur, et l’intégration d’un système de chargement automatique du canon principal.
Surtout, le char sera considérablement allégé, de sorte à en réduire l’empreinte logistique et doté d’une propulsion hybride, tant pour réduire sa consommation que pour en améliorer au besoin la furtivité.
Si la masse au combat du M1E3 n’est pas encore révélée, le General Norman a toutefois précisé qu’il s’agissait notamment de lui permettre d’employer certaines infrastructures de transport civiles, comme les ponts, aujourd’hui interdits au M1A2 et à ses 73 tonnes.
Abrams M1E3, Leopard 2AX : Pourquoi l’option du reboot générationnel a beaucoup d’intérêt ?
Il est toutefois intéressant de remarquer qu’à l’instar du Leopard 2AX allemand, l’US Army privilégie dans ce programme une évolution de l’Abrams, même si celle-ci est radicale, au développement d’un nouveau char, comme envisagé par le désormais moribond MGCS franco-allemand. Ce choix s’explique par plusieurs facteurs concomitants.
La pression du calendrier géopolitique et commercial
Alors que l’Allemagne aurait décidé de lancer le développement d’un nouveau char dans le cadre d’une coopération avec la Suède, l’Italie et l’Espagne, ce qui promet de prochaines rencontres animées entre responsables français et allemands étant donné que l’avenir du programme MGCS [Système principal de combat terrestre] est en jeu, l’armée américaine a fait savoir qu’elle allait lancer un programme de modernisation ambitieux de son M1A2 Abrams.
Actuellement, celle-ci aligne 6612 chars de combat de ce type, dont 500 portés au standard SEPv3, qui est le dernier à avoir été développé par General Dynamics Land Systems [GDLS]. C’est d’ailleurs cette version qui est proposée à l’exportation par Washington [la Pologne en attend 250 exemplaires et la Roumanie envisage d’en commander 54].
Cependant, l’US Army avait jusqu’alors le projet d’un nouveau standard, appelé SEPv4, dans ses cartons. Finalement, elle a décidé de l’annuler, au profit d’un chantier de modernisation de l’Abrams encore plus ambitieux.
Il sera mis un terme « à l’effort concernant la version SEPv4 du M1A2 afin de développer le M1E3 Abrams, qui visera à améliorer les capacités nécessaires pour contrer les menaces futures sur le champ de bataille de 2040 et au-delà », a en effet annoncé l’US Army, via un communiqué publié le 6 septembre.
« Nous comprenons que les futurs champs de bataille poseront de nouveaux défis au char alors que nous étudions les conflits récents et en cours », a commenté le général Geoffrey Norman, directeur des projets de véhicule de combat de nouvelle génération au sein de l’armée américaine. « Nous devons optimiser la mobilité et la capacité de survie de l’Abrams afin de lui permettre de se rapprocher de l’ennemi et de le détruire et d’en faire le ‘roi’ des futurs champs de bataille », a-t-il ajouté.
Le communiqué de l’US Army ne livre que très peu de détails sur cette modernisation de l’Abrams… Si ce n’est qu’elle reprendra certaines fonctionnalités qui étaient prévues pour la version SEPv4 afin de les associer « avec les dernières normes d’architecture de systèmes ouverts modulaires », ce qui permettra de « concevoir un char plus léger et plus résistant, plus efficace sur le champ de bataille lors de sa mise en service initiale [attendue d’ici 2030, ndlr et plus facile à mettre à niveau à l’avenir. »
Le général Glenn Dean, responsable des systèmes de combat terrestres, a sans doute donné quelques indices supplémentaires. « Le char Abrams ne peut plus accroître ses capacités sans prendre de poids » alors que « nous devons réduire son empreinte logistique », a-t-il dit. « La guerre en Ukraine a mis en évidence un besoin critique pour des protections intégrées », c’est à dire installées à l’intérieur du char « au lieu d’être ajoutées ».
Selon l’US Army, des « années de tests, d’analyses, de commentaires des soldats et de technologies en phase de maturation ont abouti à cette décision stratégique ». Et d’ajouter que cette nouvelle approche permettra d’équilibrer les « coûts avec les besoins » et d’investir dans la base industrielle de défense américaine.
Probablement que ce M1E3 Abrams s’appuiera sur les travaux menés par GDLS pour l’Abrams X, un démonstrateur de char de combat de nouvelle génération dévoilé en octobre 2022. À l’époque, l’industriel avait assuré que ce dernier aurait une masse réduite [et donc une meilleure mobilité] et qu’il serait équipé d’un groupe motopropulseur [GMP] hybride, reposant probablement sur l’Advanced Combat Engine [ACE] fourni par Cummins.
L’appellation M1E3 Abrams est un « retour à la nomenclature type pour notre flotte de véhicules de combat », a souligné le général Dean. Le « E » signifie que la modification devant être apportée à une plate-forme existante sera « plus importante qu’une modification mineure ». Et il sert « à désigner un prototype et la configuration de développement jusqu’à ce que le véhicule soit officiellement classé par type et reçoive une désignation ‘A’ », a-t-il expliqué.