Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?


Depuis quelques mois, en lien à la guerre en Ukraine et à la montée généralisée du risque d’engagement majeur en Europe et ailleurs, la question des capacités des armées à faire face à un conflit dit de « haute intensité » est devenue un thème récurrent tant dans l’hémicycle du parlement que dans la communication gouvernementale, les médias et les réseaux sociaux. Très souvent, la Pologne, qui a annoncé un effort colossale pour moderniser et étendre ses capacités terrestres dans ce domaine dans les années à venir, est citée en référence, faisant de Varsovie l’exemple à suivre. La Loi de Programmation Militaire 2024-2030 en cours de finalisation semble ne pas avoir suivi cette voie, en conservant un format de la Force Opérationnel Terrestre, le bras armé de l’Armée de Terre, sensiblement identique à ce qu’il est aujourd’hui, et en ne procédant qu’à une augmentation sectorielle de certaines capacités, comme dans le domaine du Renseignement, de la défense anti-aérienne ou encore des frappes dans la profondeur et des drones. Pour autant, en 2030, selon ce schéma, l’Armée de terre conservera une force opérationnelle limitée en terme de haute intensité, avec seulement 200 chars lourds modernisés Leclerc, 650 véhicules de combat d’infanterie VBCI sur roues relativement légers et faiblement armés, moins de 120 tubes de 155 mm et une poignée de Lance roquettes unitaires, potentiellement remplacés par des HIMARS américains.

De fait, en 2030, l’Armée de terre sera effectivement plus performante, notamment avec la poursuite du programme SCORPION et la livraison des VBMR Griffon et Serval pour remplacer les VAB, et des EBRC Jaguar pour le remplacement des AMX-10RC et des ERC-90 Sagaie, et disposera de réserves considérablement accrues en terme de munitions, mais aussi de personnels avec la montée en puissance de la Garde nationale. Toutefois, pour ce qui est de la haute intensité, elle sera très loin des 6 divisions lourdes polonaises alignant 1250 chars de combat modernes M1A2 Abrams SEPv3 et K2PL Black Panther, 1400 véhicules de combat d’infanterie Borsuk, 700 canons automoteurs K9 Thunder et 500 lance-roquettes mobiles K239 et HIMARS. Si dans de nombreux domaines, comme en matière de forces aériennes, navales et évidemment en terme de dissuasion, Varsovie devra s’appuyer sur ses alliés, elle disposera incontestablement de la plus importante force terrestre conventionnelle en Europe, sensiblement supérieure à la somme des forces terrestres françaises, allemandes, britanniques, italiennes et espagnoles réunies, soit les 5 économies les plus fortes du vieux continent.

Les premiers chars K-2 Black Panther ont été livrés par la Corée du Sud à la Pologne a la fin de l’année 2022

Si l’on ne peut que se féliciter de voir un allier s’équiper aussi efficacement dans ce domaine, force est de constater que dans de nombreux domaines, les positions et postures polonaises sont loin d’être alignées avec celles des européens de l’Ouest. En outre, Varsovie entend, de toute évidence, prendre une position politique centrale en Europe de l’Est précisément pour contrer l’influence des puissances d’Europe occidentale au sein de l’UE, en s’appuyant sur l’aura que lui conférera cet outil militaire face à la menace russe. Pour équilibrer les rapports de force politiques, que ce soit face aux menaces militaires russes ou autre (Turquie..), ou au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN, il serait naturellement bienvenue, pour la France, de doter son Armée de Terre d’une puissance comparable, comme de nombreux anciens officiers supérieurs et généraux ne cessent de le répéter sur les réseaux sociaux et dans les médias. Toutefois, au delà du besoin lui-même, il convient d’évaluer les couts et les contraintes qu’engendrerait une telle transformation, de sorte à en déterminer la soutenabilité budgétaire mais également sociale. Et comme nous le verrons, l’effort budgétaire d’une telle ambition serait loin d’être hors de portée, puisqu’il serait sous la barre des 0,25% du PIB français aujourd’hui.

L’objectif de cet article n’étant pas de disserter sur l’organigramme optimisé de l’Armée de Terre pour répondre à ces menaces, nous prendrons comme base de travail un format souvent évoqué par les spécialistes du sujet, avec une FOT portée à 90.000 hommes (contre 77.000 aujourd’hui) pour armer 2 divisions lourdes dédiées à la haute intensité, et 1 division de projection de puissance et d’appui rassemblant les multiplicateurs de force et troupes spécialisées que sont les Troupes de Marine, les Troupes de montagne, les forces parachutistes, la composante d’aéromobilité (ALAT) et la Légion Etrangère. En terme de matériels, nous considérerons l’acquisition de 1000 chars de combat modernes, épaulés de 1000 véhicules de combat d’infanterie lourds chenillés, de 500 systèmes d’artillerie automoteurs de 155 et 105 mm, de 300 lance-roquettes à longue portée, ainsi que de 200 EBRC jaguar supplémentaires, 120 systèmes de défense anti-aérienne autotractés SHORAD et 500 véhicules blindés spécialisés (Génie, récupérateurs de blindés, Ravitaillement des systèmes d’artillerie etc..). Les autres programmes en cours, notamment dans le cadre du programme SCORPION, sont considérés inchangés, tout comme le format de l’Aviation légère de l’Armée de terre, qui serait toutefois bien avisée de se pencher sur la possible re-acquisition des Tigre et NH90 TTH australiens pour densifier son format. L’enveloppe budgétaire pour acquérir ces équipements s’établie autour de 50 Md€, en tenant compte des couts de conception et de fabrication.

L’Armée de Terre semble se diriger vers l’acquisition sur étagère de systèmes HMARS américains pour remplacer ses LRU et densifier ses capacités de frappe dans la profondeur

Au delà de ces couts initiaux, il convient d’évaluer les couts récurrents. En premier lieu, le parc matériel couterait 2 Md€ par an pour la maintenance et les pièces détachées, soit 4% du prix d’acquisition par an. Il conviendrait aussi d’augmenter les effectifs professionnels de l’armée de terre de 15.000 hommes et femmes, soit un cout annuel de 1,5 Md€, auxquels il faudrait ajouter 0,5 Md€ pour les quelques 45.000 réservistes supplémentaires qui devront être recrutés pour consolider les forces. Au total, donc, sur une période de 15 ans, la montée en puissance ici envisagée couterait donc 3,2 Md€ par an pour l’acquisition de matériels, alors que l’extension des effectifs couterait en moyenne 2 Md€ par an. L’installation des nouvelles unités, quant à elles, est estimée à 300 m€ pour 3 nouvelles unités par an. Sur les 15 premières années, donc, ce programme couterait aux finances publiques 5,5 Md€, soit 0,22% du PIB 2023. Au delà des 15 années d’acquisition, les couts récurrents s’établiraient à 4 Md€ pour les effectifs et la maintenance, auxquels il conviendra d’ajouter 2,5 Md€ pour le financement des modernisation de parc, soit un total de 6,5 Md€ par an (exprimés en Euro 2023) et 0,26% du PIB 2023. Sur la seule prochaine LPM à venir, il serait donc nécessaire d’augmenter la dotation de 30 Md€ sur 7 ans pour financer la mesure. On notera que pour atteindre un résultat sensiblement équivalent, Varsovie va consacrer plus de 1% de son PIB sur une période équivalente.

Pour autant, et comme à chaque fois qu’il est question d’investissements de défense il convient également de considérer les recettes fiscales et sociales supplémentaires pour l’Etat consécutives à l’investissement. En effet, ce n’est pas tant l’investissement lui-même qui importe dans ce type de planification, mais son impact sur les déficits publics et par conséquent sur la dette souveraine française. En l’occurrence, les investissements industriels génèrent un retour budgétaire supérieur à 50%. En effet, tous les équipements et prestations de service industrielles sont soumis à la TVA immédiatement récupérée par l’État, alors que les industries de défense sont très faiblement exposées à l’importation. De fait, les investissent de l’état se dissipent dans l’économie essentiellement en salaires qui, rappelons le, sont soumis à un taux de prélèvement supérieur à 42%. Dès lors, considérer un retour budgétaire à 50% est une valeur par défaut, prenant en considération la somme des recettes directes et indirectes, sociales et fiscales pour l’état. Pour les investissements salariaux, un retour de 30% sera considéré, la encore par défaut. Appliqués à ce modèle, l’impact effectif du programme sur les équilibres budgétaires serait rapporté à 3,15 Md€ en moyenne sur la phase de montée en puissance, soit 0,125% du PIB, et à 3,4 Md€ au delà, soit 0,136% du PIB exprimé en euro constant 2023. A titre de comparaison, un tel montant est relativement proche de ce que dépenses les français chaque année en abonnements sur les plateforme de streaming.

Il serait bien évidemment possible d’optimiser le modèle pour en réduire l’impact budgétaire, par exemple en appliquant les mesures préconisées dans l’article « Comment l’évolution de la doctrine de possession des équipements peut permettre d’étendre le format des armées ?« , ou en approfondissant les effets potentiels de l’effort industriel notamment en terme d’exportations, ce qui tendrait à en réduire le cout budgétaire effectif, et donc d’en accroitre la soutenabilité. Quoiqu’il en soit, deux questions demeureraient. En premier lieu, il conviendrait d’établir que cet investissement serait le plus à-même de répondre aux besoins de la France et de ses armées aujourd’hui et demain. En effet, avec une Pologne aussi forte militairement, et le renforcement sensible des forces terrestres en Europe de l’Est et du nord, il est évident que la menace militaire russe sur l’OTAN et son flanc oriental sera contenue pour de nombreuses années. Dit autrement, quitte à devoir investir 100 Md€ supplémentaires sur 15 ans, ne serait-il pas plus efficace de renforcer la composante chasse de l’Armée de l’Air, ou la composante sous-marine de la Marine Nationale, sachant que l’une comme l’autre offriraient des caractéristiques de retour budgétaire et donc d’impact budgétaire similaires ?

En second lieu, il convient de prendre en considération l’ensemble des contraintes qui s’appliqueront à la montée en puissance des armées. En l’occurrence, l’une des plus importantes, peut-être au delà des contraintes budgétaires elles-mêmes, n’est autre que la contrainte de recrutement, sachant que même si la situation s’est sensiblement améliorée ces dernières années du fait des évolutions de la condition militaire dans la LPM 2019-2025, il est loin d’être acquis que l’Armée de terre puisse effectivement recruter 15.000 militaires professionnels supplémentaires ainsi que 45.000 garde nationaux, au-delà des trajectoires déjà établies dans la LPM 2024-2030. Certes, la constitution de nouvelles unités de haute intensité équipées de matériels modernes ajoutera à l’attractivité des armées, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette hypothèse de croissance aura sans le moindre doute fait sourciller les officiers s’étant confrontés aux difficultés RH de l’Armée de Terre ces dernières années.

L’extension des effectifs demeure un sujet difficile pour les Armées françaises

Quoiqu’il en soit, il est désormais établi qu’il est loin d’être inconcevable de doter l’Armée de terre d’une capacité d’engagement comparable à celle en constitution en Pologne en matière de Haute Intensité, tout en conservant les capacités exclusives de ses unités en matière de projection et d’appui. D’un point de vue budgétaire, cet effort serait relativement limité en terme d’impact sur les déficits, et pourrait même être sensiblement optimisé vis-à-vis du modèle ici abordé. Une chose est certaine, cependant, un tel effort ferait de la France le pivot central de toute la défense européenne, et donnerait une légitimité incontestable à Paris pour soutenir l’autonomie stratégique européenne, puisqu’avec un tel modèle, le soutien militaire des États-Unis dans le domaine conventionnel face, par exemple, à la Russie, serait tout simplement superfétatoire. Eu égard à la sensibilité de l’exécutif français aujourd’hui, c’est probablement cet argument, conjointement aux couts réels de la mesure détaillés dans cet article, qu’il conviendrait de mettre en avant dans les médias et au parlement pour espérer obtenir une altération positive de la trajectoire.

Le général Schill précise la nouvelle organisation des brigades interarmes de l’armée de Terre

Le général Schill précise la nouvelle organisation des brigades interarmes de l’armée de Terre

https://www.opex360.com/2023/05/05/le-general-schill-precise-la-nouvelle-organisation-des-brigades-interarmes-de-larmee-de-terre/


 

Cependant, lors de son passage devant les députés de la commission de la Défense, le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], a donné une autre justification au report des livraisons de 1200 blindés [Griffon, Jaguar, Serval et autres Leclerc portés au standard XLR].

« Pour ce qui concerne […] le programme SCORPION, les cibles ne sont pas réduites et notre objectif à terminaison reste d’atteindre les volumes précédemment définis. L’atteinte de ces cibles est néanmoins reportée au-delà de 2030. Nous devions faire un choix et je l’assume totalement, même si dans un monde idéal, j’aurais évidemment souhaité à la fois maintenir le rythme prévu et acquérir des capacités supplémentaires qui n’étaient pas prévus que nous avons pu financer », a d’abord expliqué le général Schill.

« J’ai proposé moi-même que les munitions téléopérées, les charges actives cyber, certains blindés destinés à notre défense sol-air, l’accélération de la lutte antidrones et les unités de robots soient financées en contrepartie d’un lissage du programme SCORPION », a-t-il ensuite affirmé.

Plus précisément, ces nouvelles capacités réclamées par le CEMAT se traduiront par la livraison de munitions téléopérées, de 24 Serval équipés d’une tourelle MISTRAL [missile transportable anti-aérien léger] et de 12 Serval de lutte anti-drone qui viendront complérer 12 Véhicules de l’avant blindé [VAB] de type ARLAD. Il est aussi question d’acquérir de nouveaux radars de détection afin de « maitriser l’espace et les menaces aériennes au-dessus des forces terrestres ».

Plus généralement, l’armée de Terre va de nouveau se « transformer », selon le plan « Une armée de Terre de combat« , que le général Schill a succinctement évoqué sur les réseaux sociaux. Et, lors de son audition, il a livré quelques éléments supplémentaires.

« Ma priorité portera sur le commandement : en veillant à ce que chaque échelon soit à sa bonne place, en donnant de l’autonomie, en réintroduisant de la subsidiarité, c’est-à-dire en tendant vers le respect du triptyque ‘une mission, un chef, des moyens’ pour mieux fonctionner. La maîtrise du risque, l’obligation de résultat et le succès de la mission sont la contrepartie à la subsidiarité », a-t-uil fait valoir.

Ainsi, le commandement des forces terrestres [CFT] va être réorganisé, en vue d’obtenur un « gain de cohérence », ce qui passera, a détaillé le CEMAT, par un « poste de commandement de niveau corps – le CRR-FR – et deux PC de division, chaque division possédant en propre son bataillon de commandement et de quartier général, en mesure de préparer le combat et le diriger ».

En outre, a-t-il poursuivi, il y aura « trois commandements pour apporter aux divisions les capacités nécessaires dans les domaines du renseignement, des opérations dans la profondeur, des actions spéciales, de l’hybridité, du cyber, des appuis et de la logistique ». Et le tout reposera sur « des brigades interarmes et spécialisées, plus autonomes ».

Parmi celle-ci, les régiments d’infanterie verront leur format réduit… mais leurs capacités seront « significativement renforcées […] dans tous les champs », a indiqué le général Schill. Ainsi, et comme l’a déjà suggéré M. Lecornu lors de ses récents déplacements, ils compteront une section de mortiers de 120 mm ainsi qu’une section « d’attaque électronique » [et non pas « d’appui électronique]. En outre, ils disposeront d’unités dotés de « munitions téléopérées, de robots terrestres » et de « capacités anti-char » renforcées.

« Bien sûr, les Griffon et les Serval continueront à remplacer les véhicules d’ancienne génération. Demain, la transition de la [Peugeot] ‘205’ à la voiture connectée sera achevée. Cela fait plus de 40 ans que les VAB équipent nos régiments d’infanterie, les GRIFFON et SERVAL arrivent et sont dès à présent déployés en Roumanie et en Estonie », a assuré le CEMAT.

Quant aux régiments de l’Arme Blindée Cavalerie [ABC], leurs « capacités d’agression » seront renforcées, avec, là aussi, des munitions téléopérées. Il en ira de même pour leurs moyens de renseignement [drones, radars]. Enfin, ils diposeront eux aussi e nouvelles unités dédiées à la guerre électronique et/ou au renseignement technique. « Une majeure partie de nos chars Leclerc [160 sur 200, ndlr] sera rénovée autour d’une pérennisation de leur motorisation, d’une meilleure protection, d’une connectivité modernisée et de nouveaux viseurs », a promis le général Schill.

Par ailleurs, l’artillerie pourra remplacer ses 13 LRU [dont au moins deux ont été cédés à l’Ukraine] par autant de lanceurs de nouvelle génération d’ici 2030. Cette dotation pourrait doubler en 2035. Mais, d’après le CEMAT, chacun de ses régiments disposera de 16 CAESAr NG [Camions équipés d’un système d’artillerie de nouvelle génération], de 8 motiers embarqués sur Griffon pour l’appui au contact [MEPAC] et de munitions téléopérées de type LARINAE à l’horizon 2028. Et sans oublier de « nouveaux moyens d’acquisition et de renseignement avec une quinzaine de véhicules d’observation artillerie, des radars de surveillance terrestre, et des drones SDT-L complémentaires aux SMDR [Système de mini-drones de renseignement] déjà livrés et au SDT du 61e régiment d’artillerie ».

Le SDT-L [Système de drones tactiques légers] ne figure pas dans le projet de LPM 2024-30. Cependant, la Direction générale de l’armement [DGA] a émis une demande d’information [RFI] pour un drone à décollage vertical [si possible] de moins de 150 kg et d’une autonomie de 14 heures et capable d’assurer des missions de renseignement image et électronique, voire de désignation laser.

Enfin, le Génie va être réorganisé, tout en bénéficiant d’un renforcement de ses effectifs. Cela « lui permettra de recréer des unités disparues spécialisées dans le minage, le contre-minage et le franchissement » ainsi que « de densifier des capacités échantillonnaires aujourd’hui comme l’ouverture d’itinéraire, le franchissement fluvial », a expliqué le général Schill. Et d’ajouter : « En plus des premiers engins du combat du génie et des 8 premières portières de franchissement SYFRALL, l’arrivée des GRIFFON et SERVAL Génie assurera la mise sous blindage des unités de combat du génie ».

L’objectif de cette réorganisation est « d’accroître l’autonomie » des brigades interarmes, composées pour la plupart de trois régiments d’infanterie, deux de cavalerie, d’un d’artillerie et d’un du génie, en vue de « déployer une unité de combat opérationnelle sur le terrain ». Et cela selon trois axes.

Le premier portera sur le « ciblage tactique », grâce à la mise en réseau des moyens de renseignement » [grâce aux drones et aux radars] ainsi qu’aux capacités d’action afin d’établir « une chaîne de frappe efficace ». Le second se contrera sur l’hybridité, avec « pour objectif de progresser dans l’action spéciale terrestre, l’influence, le partenariat et les actions de déception, pour fournir aux divisions ou aux corps d’armée déployés des capacités accrues et plus cohérentes dans ce domaine ».

Enfin, a expliqué le CEMAT, le troisième axe concernera la logistique « au sens large ». Et c’est une leçon rappelée par la guerre en Ukraine. « Il faut sortir de l’idée que ‘la logistique suivra’ » et il est « primordial que notre capacité d’autonomie et de soutien logistique monte en gamme pour construire une véritable manœuvre », a-t-il soutenu.

La DGA n’exclut par une solution « souveraine » pour la future capacité de feux dans la profondeur de l’armée de Terre

La DGA n’exclut par une solution « souveraine » pour la future capacité de feux dans la profondeur de l’armée de Terre

 

https://www.opex360.com/2023/05/03/la-dga-nexclut-par-une-solution-souveraine-pour-la-future-capacite-de-feux-dans-la-profondeur-de-larmee-de-terre/


 

D’après le rapport mis en annexe du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, les préoccupations exprimées par le général Schill ont été prises en compte puisqu’il y est en effet question de doter l’armée de Terre « d’au moins » treize nouveaux systèmes de frappes dans la profondeur d’ici 2030… et de porter cette dotation à 26 exemplaires à l’horizon 2035.

Cela étant, le sujet du remplacement des LRU n’est pas nouveau. En janvier 2021, dans une réponse à une question écrite d’un député, le ministère des Armées avait expliqué que le renouvellement de cette capacité allait se faire dans le cadre d’un « dialogue » avec l’Allemagne [alors dotée d’un système similaire], tout en soulignant les projets européens FIRES [Future Indirect fiRes European Solutions] et E-COLORSS [European COmmon LOng Range indirect Fire Support System], le second devant permettre de « préparer une solution européenne pour le remplacement du châssis et de la conduite de tir LRU à l’hozizon 2030 ».

La guerre en Ukraine a modifié ces plans… Ainsi, en Allemagne, Krauss-Maffei Wegmann s’est associé à l’israélien Elbit Systems pour proposer un lance-roquette multiple « européen », basé sur le PULS [Multi-Purpose Universal Launching System ou système de lancement universel polyvalent]. Lequel PULS a récemment été choisi par le Danemark et les Pays-Bas. De son côté, Rheinmetall a conclu un accord avec Lockheed-Martin pour produire le M142 HIMARS [High Mobility Artillery Rocket System].

Si autre solution – le K239 Chunmoo sud-coréen, déjà choisi par la Pologne – est sur le marché, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’a évoque que le M142 HIMARS pour remplacer le LRU.

« Le principe est qu’on achète français mais il y a toujours eu des exceptions depuis le début de la Ve République », avait dit le ministre, à l’occasion d’une audition parlementaire, en janvier dernier. Et, citant le LRU, « qui n’est pas de marque française », son « remplaçant est plutôt le HIMARS », avait-il ajouté.

À l’Assemblée nationale, le 2 mai, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, a confirmé l’intérêt pour le M142 HIMARS… tout en esquissant une possible solution « souveraine », qu’elle soit « nationale » ou « européenne ».

« Compte-tenu du retour d’expérience de l’Ukraine, cette modernisation de la capacité de frappe longue portée est évidemment indispensable, d’autant plus que cette capacité LRU française arrive dans les dernières étapes de son cycle de vie et sera bientôt frappée d’obsolescence. Et nous acccentuons cela avec la cession d’un certain nombre de systèmes à l’Ukraine. Donc, bien évidemment, nous avons des travaux en cours sur la détermination du réel besoin opérationnel », a d’abord expliqué M. Chiva.

Pour répondre à ce besoin, a-t-il poursuivi, « nous aurons deux solutions : une première qui consisterait à prendre sur étagère le HIMARS américain », qui a l’avantage d’être sur le marché mais qui « introduit un risque de dépendance », ou de « développer une solution souveraine nationale ou européenne » puisque « nous avons, dans notre Base industrielle et technologique de défense [BITD] des compétences qui existent dans ce domaine ».

Et M. Chiva de citer « MBDA, Ariane et Safran » avec qui la Direction générale de l’armement [DGA] est « déjà en discussion pour une solution nouvelle », laquelle présenterait « l’avantage de préserver notre souveraineté et également de renforcer notre base industrielle, qu’elle soit française ou européenne ».

Quoi qu’il en soit, selon M. Chiva, la décision se fera en fonction des délais et des coûts. « On va demander à nos industriels de faire leur meilleure proposition en fonction de l’expression des besoins pour une solution souveraine. Et nous aurons un point de passage en 2027 », a-t-il dit.

« En tout état de cause, ce qui est prévu, c’est d’avoir 600 millions d’euros consacrés à ce sujet sur la période de la LPM, avec 13 systèmes disponibles dès 2028 et une cible finale qui pourrait atteindre plusieurs dizaines », a ensuite indiqué le Délégué général pour l’armement. En tout cas, a-t-il conclu, « notre savoir-faire sur les programmes des segments de frappe longue portée ‘air’ et ‘naval’ pourrait nous apporter une technologie souveraine pour la frappe longue portée terrestre ».

LPM 2024-2030 : Audition de Bernard Emié, Directeur de la sécurité extérieure

LPM 2024-2030 : Audition de Bernard Emié, Directeur de la sécurité extérieure

M. le président Thomas Gassilloud. Monsieur le directeur général de la sécurité extérieure, le Président de la République a annoncé une augmentation de près de 60 % des crédits consacrés au renseignement dans le cadre du projet de loi de programmation militaire 2024-2030. Parmi les six services du premier cercle, trois dépendent du ministère des armées : la DGSE, la direction du renseignement militaire (DRM) et la direction du renseignement et de la sécurité de la défense (DRSD). Le rapport annexé au projet de LPM chiffre les besoins programmés pour le renseignement à 5 milliards d’euros sur la période, sans préciser davantage la répartition des crédits.

Les défis que doit relever la DGSE sont nombreux et importants. Vous devriez déménager dans un nouveau siège au Fort-Neuf de Vincennes en 2028 ; vous devez également poursuivre une politique de recrutement ambitieuse. Je pense aussi à la montée en puissance sur la cyberdéfense.

Par ailleurs, quatre articles normatifs contenus dans le projet de LPM sont placés sous le signe du renseignement et de la contre-ingérence. En quoi l’adoption de ces articles devrait-elle faciliter les missions de la DGSE ?

M. Bernard Émié, directeur général de la sécurité extérieure. La DGSE est le seul service secret spécial de la France, l’héritier du combat clandestin de la France libre ; c’est un service républicain et démocratique attaché avant tout à maintenir l’indépendance et la souveraineté nationales. Il est devenu l’une des clés de l’autonomie stratégique de ce pays grâce aux investissements matériels et humains voulus depuis plusieurs années par nos autorités et votés par le Parlement.

Le Président de la République, lors de ses vœux aux armées le 20 janvier 2023, a clairement rappelé que la précédente LPM, pour les années 2019 à 2025, avait été parfaitement exécutée. Elle visait à réparer les armées, à sortir de la logique de pénurie et à leur redonner le souffle, les leviers d’action ainsi que les moyens dont elles ont besoin. La nouvelle loi de programmation militaire devra, elle, transformer les armées.

L’un des axes majeurs de cette transformation, c’est la consolidation du cœur de notre souveraineté. Des capacités accrues de renseignement doivent permettre d’anticiper les crises ou les menaces et ainsi offrir à nos armées une autonomie de décision et d’action. Le Président de la République réaffirme ainsi que le renseignement constitue l’une des grandes fonctions stratégiques de la souveraineté.

Ces capacités sont critiques dans notre équation stratégique internationale. Les livres blancs de la défense et de la sécurité nationale, en 2008 puis en 2013, comme les revues stratégiques nationales de 2017 et de 2022 l’ont tous dit : le renseignement est l’une des clefs de l’autonomie de la France, de sa souveraineté et de son influence dans le monde.

À l’image de ce qui s’est passé chez nos alliés anglo-saxons, c’est une fonction qui s’est professionnalisée et renforcée depuis plusieurs années.

Les capacités très particulières de la DGSE apparaissent depuis plusieurs années comme toujours plus nécessaires à nos décideurs dans un monde marqué par des guerres hybrides. La DGSE peut agir là où les moyens conventionnels de l’État ne peuvent pas opérer, dans un environnement généralement non permissif, souvent hostile et dans la plupart des cas sans autre appui que celui qu’elle peut elle-même fournir à ses agents. Nous sommes le seul service spécial et secret de la communauté du renseignement : certaines de nos actions ne peuvent pas être assumées, ne peuvent pas être revendiquées, ne peuvent pas être imputées à l’État. Cela nous différencie de tous les autres services de renseignement : nous avons la responsabilité de l’action secrète de l’État, ce qui est de plus en plus difficile dans un monde qui promeut la transparence comme une valeur en soi.

Nous disposons pour accomplir ces missions d’une organisation unique, d’un modèle dit « intégré » qui regroupe sous une seule autorité une combinaison de moyens clandestins de recueil de renseignements. Ces moyens sont à la fois humains – la recherche de sources –, techniques – les interceptions sous toutes leurs formes – et opérationnels – les capacités d’entrave. Nous pouvons ainsi agir en fonction des orientations que nous recevons.

Nous sommes aussi prestataires de services pour toute la communauté du renseignement. Nous sommes notamment le chef de file du renseignement d’origine électromagnétique, autrement dit le senior SIGINT de la communauté du renseignement, et c’est dans ce domaine que nos capacités sont principalement utilisées. Cela représente un gros tiers de nos budgets. Si j’étais prétentieux, je dirais que la DGSE est une petite NSA, l’Agence nationale de sécurité des États-Unis, ou une petite GCHQ, son équivalent britannique : depuis les années Chirac et Jospin, la France a choisi un modèle intégré au sein de la DGSE. Quand vous votez des crédits à la DGSE, c’est donc l’ensemble de la communauté du renseignement qui en bénéficie.

Notre place s’est renforcée, ces dernières années, au sein de nos institutions. Nous avons connu une profonde transformation de nos moyens, de nos missions, de notre organisation. L’État a voulu développer ses capacités clandestines uniques de renseignement et d’action pour renforcer notre autonomie stratégique.

Cette transformation a été rendue possible par l’augmentation des moyens votés dans les précédentes lois de programmation militaire. La prochaine LPM poursuivra ces efforts, qui seront ainsi continus et cohérents.

Quatre objectifs nous étaient assignés dans la LPM 2019-2025. Le premier était d’investir davantage dans le cyberespace, front stratégique majeur sur lequel nos capacités restaient très inférieures à celles de nos principaux partenaires étrangers. C’est largement fait, mais il faut poursuivre. Le deuxième était de préserver notre autonomie technique au profit de l’ensemble de la communauté du renseignement, dans un monde où les technologies connaissent un développement exponentiel : c’est une véritable muraille, complexe à appréhender. Nous devons être la locomotive technologique de la communauté du renseignement. Le troisième était de renforcer le renseignement stratégique, particulièrement dans les domaines identifiés comme prioritaires du contre-terrorisme, de l’anticipation géopolitique, de l’économie ou encore de la lutte contre l’immigration irrégulière. Le quatrième était de consolider la résilience du service, ce qui impliquait notamment de nous doter enfin d’infrastructures dignes d’un service de renseignement du XXIe siècle.

Dans cette optique, la DGSE a bénéficié d’une forte augmentation de ses effectifs et a pu renforcer les domaines du traitement des données collectées, de la recherche humaine et du domaine cyberstratégique. La LPM 2019-2025 prévoyait un renfort de 772 emplois équivalents temps plein (ETP), auxquels est venu s’ajouter 360 ETP pour renforcer nos capacités cyber. Ces actualisations de la trajectoire initiale ont ainsi porté l’effort à 1038 effectifs supplémentaires sur l’ensemble de la période.

La DGSE, qui comptait, hors service action, 4 400 agents en 2008, en compte près de 6 000 aujourd’hui. À titre de comparaison, le MI6 britannique et le GCHQ comptent bien davantage d’agents, à périmètre identique. C’est un choix politique, opéré par les gouvernements successifs. Je considère que les moyens dont nous disposons nous permettent d’accomplir nos missions.

La DGSE a bénéficié d’une dotation élevée dans la LPM 2919-2025. La moyenne actuelle des crédits sur cette période a augmenté d’environ 69 % par rapport à la LPM 2014-2018 – je mets pour le moment de côté le projet de nouveau siège. La ressource totale doit s’élever à 3 milliards d’euros pour les années 2019 à 2025 ; le budget de la DGSE est passé de 310 millions par an en moyenne à 420 millions. La loi de programmation toujours en vigueur prévoit un montant de 590 millions en 2025. En 2023, la ressource allouée par la LFI s’élève à 440 millions d’euros en autorisations d’engagement et 417 millions en crédits de paiement (hors projet du nouveau siège).

Ce budget nous a permis d’appliquer une stratégie immobilière exigeante. Nous avons en permanence sur nos implantations des projets de construction de bâtiments tertiaires. Nous avons également anticipé la prise en compte du projet de nouveau siège au Fort-Neuf de Vincennes, annoncé par le chef de l’État le 6 mai 2021 lors d’une visite au Service.

Ce projet vise, je l’ai dit, à nous doter d’infrastructures dignes du XXIe siècle. Il s’agit de construire un ensemble immobilier d’environ 160 000 mètres carrés de surface de plancher, essentiellement des espaces tertiaires. Nous pourrons ainsi accueillir plus de 5 500 postes de travail, ainsi que les équipements nécessaires aux missions du Service et à la vie des agents ; nous accueillerons aussi des collègues des autres services de renseignement, dans le cadre de plateaux techniques. Nous serons de cette façon mieux connectés les uns avec les autres. Ce n’est donc pas seulement un projet immobilier mais un bâtiment qui nous permettra de mieux travailler, selon un nouveau modèle de fonctionnement, mis en place depuis la fin de l’année 2022. J’en dirai un mot tout à l’heure : le service s’est réformé, réorganisé.

Le cahier des charges impose une grande modularité des espaces de travail, qui seront adaptés à l’agilité de notre organisation. Nous pourrons rapprocher les équipes chargées du recueil et de l’exploitation du renseignement humain et de l’analyse ; ces synergies nous permettront de démultiplier notre efficacité.

En ces temps où le contre-espionnage revient au premier plan et où la menace terroriste n’a pas disparu, ce qui fait du service une cible évidente, nous disposerons aussi d’une emprise sécurisée selon les standards les plus exigeants.

Ce projet est structurant pour porter le renseignement français en 2050 au niveau où nous voulons le voir. C’est toute la fonction renseignement qui en sera améliorée, au profit des services relevant du ministère des Armées d’abord, de toute la communauté du renseignement ensuite.

Ce projet a bénéficié de l’inscription de 1,1 milliard d’euros en loi de finances pour 2021. Le projet de LPM 2024-2030 devrait permettre de sanctuariser ce projet de nouveau siège, qui est un signal majeur de la confiance que nous accorde la nation.

Nous serons, naturellement, très vigilants sur l’évolution des coûts, car les intrants augmentent et l’inflation est là. Le moment venu, nous devrons négocier de façon très dure avec les entreprises concernées pour faire en sorte que « l’édredon rentre dans la valise », pour reprendre l’expression de notre ministre.

L’exécution de la LPM actualisée nous a permis de poursuivre la transformation du service ; l’ensemble des crédits accordés annuellement ont été parfaitement et strictement consommés, hormis le report des crédits du nouveau siège.

Nous menons une politique active de recrutement, en nous adaptant constamment au marché de l’emploi. Nous obtenons de bons résultats : j’ai dix candidats pour un poste ouvert au concours d’attaché de la DGSE. Le niveau des agents qui présentent ce concours est en outre très élevé.

Nous menons pour cela une politique active de communication, bien au-delà du Bureau des légendes – même si j’admets que Malotru est pour nous un VRP extraordinaire. Nous disposons enfin d’un site internet moderne et attractif, qui n’est plus figé dans une image institutionnelle anachronique. Nous menons des campagnes de recrutement sur des réseaux sociaux professionnels, là où vont les jeunes et pas les vieux. Le directeur technique et de l’innovation passe beaucoup de temps dans les écoles d’ingénieur et les salons, pour créer de l’attractivité. Ces efforts portent : nous réussissons à recruter ceux que nous voulons attirer, notamment des spécialistes cyber, des jeunes, des geeks.

Pour faire face à la concurrence sur le marché de l’emploi, une campagne d’augmentation des salaires des contractuels, notamment dans les domaines techniques et cyber, a été réalisée en 2022. Je rends hommage à Florence Parly, qui s’est engagée sur ce sujet. Je rends hommage aussi à Sébastien Lecornu, qui entend amplifier cette politique pour fidéliser nos agents. Le ministère des armées appliquera au recrutement la grille des salaires établie par la direction interministérielle du numérique (Dinum). Nous aurons une seconde phase d’augmentation en 2023 pour le domaine du numérique.

Eu égard à la spécificité des postes concernés, les recrutements de civils se font après des recherches ciblées. Nous prenons des stagiaires uniquement dans le domaine technique, nous les choisissons de façon très précise. Nous recrutons une centaine d’étudiants en école d’ingénieur par an. Je l’ai dit, nous allons dans les écoles – et dans les salons – Vivatech, La Fabrique défense, European Cyberweek. Nous recrutons aussi beaucoup en ligne, sur LinkedIn, JobTeaser, Welcome to the Jungle

En matière militaire, nous nous sommes adaptés aux fortes tensions sur certaines spécialités. Dans le domaine de l’imagerie ou de la cyber, c’est la jungle ! Nous recrutons aussi des profils aguerris et des spécialistes de langues étrangères. Nous devons nous battre pour une ressource qui est malheureusement de plus en plus rare car très complexe à fournir.

La LPM 2019-2025, qui s’applique encore, prévoit un bond capacitaire majeur pour le Service ; nous sommes en train de réussir. C’est une obsession pour moi : ne pas décrocher du peloton de tête, rester dans la course des grands services de renseignement de la planète et ainsi préserver notre autonomie. Ce doit être notre ambition.

Je ne peux pas détailler ici le bilan opérationnel du service. Certains d’entre vous le connaissent néanmoins et savent tout ce que permettent les moyens que vous votez.

Je salue la mobilisation sans relâche des hommes et des femmes du Service pour protéger la souveraineté de la France, pour lutter contre le terrorisme, en particulier au Sahel et au Levant, pour nous protéger des menaces qui pourraient revenir sur notre territoire. Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024 constitueront une priorité pour toute la communauté du renseignement. Nous contribuons également à la contre-prolifération ; notre expertise nationale est confirmée. Nous agissons aussi en matière de sécurité économique, afin de nous défendre contre les agressions, contre un espionnage de plus en plus agressif et contre les pillages technologiques dans nos laboratoires. C’est un travail mené la main dans la main avec nos cousins de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et de la DRSD.

Nous nous intéressons à l’Afrique, au monde arabe, à l’Europe, et de plus en plus à la zone indo-pacifique, où se trouvent certains de nos départements et collectivités d’outre-mer : le Gouvernement en fait une priorité.

Dans le domaine cyber, la maturité a été atteinte ces cinq dernières années. Grâce à une montée en puissance spectaculaire, nous avons remporté des succès majeurs.

Je pourrais mentionner le contre-espionnage. Le lien avec la DGSI est permanent. Nous avons là aussi remporté des succès majeurs.

Nous luttons aussi contre l’immigration clandestine. La DGSE s’est vu confier la coordination de l’action des services de renseignement pour repérer ces activités à l’extérieur du territoire. Nous identifions réseaux et trafiquants.

Il faut mesurer l’importance du bond en avant réalisé dans le domaine de la cyber, en parfaite coordination avec les armées. Nous avons vraiment changé de monde ! Nous sommes montés en puissance dans ce domaine, en soutien à l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) et au Centre de coordination des crises cyber (C4) qui, sous l’égide du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, assure la protection de notre pays. Nous avons également développé une capacité souveraine d’imputation de l’attaque informatique. C’est nous, DGSE, qui au sein de l’État repérons d’où viennent les attaques cyber. L’attribution publique est en revanche une décision d’ordre politique. Nous caractérisons ; le politique décide.

Au service de toute la communauté du renseignement, nous assurons le maintien de l’état de l’art technologique, et nous développons trois grands programmes mutualisés historiques. Cela concerne d’abord toutes les installations destinées à la cryptologie, qui ont fait l’objet d’investissements importants S. Nous développons ensuite les installations destinées au traitement des données. Nous élaborons enfin le dispositif technique de surveillance internationale.

Des travaux innovants et exploratoires dans plusieurs domaines de rupture ont été lancés pour préparer la DGSE à exploiter pleinement les nouvelles technologies au profit de ses missions, le tout en partenariat avec l’Agence de l’innovation de défense (AID).

Cette croissance a nécessité des adaptations et une réorganisation. Le Service a été réformé par les textes signés à l’été 2022, et entrés en vigueur le 2 novembre 2022. Du modèle en silos mis en place par Claude Silberzahn en 1989, nous sommes passés à une organisation dans laquelle les capacités sont au service des missions. Cette réforme fonctionne bien. Cette réforme donnera sa pleine mesure grâce au nouveau siège du Fort-Neuf.

Face à l’accumulation des menaces, la future LPM doit permettre la poursuite de la montée en puissance des capacités de la DGSE pour affirmer l’autonomie stratégique de notre pays dans l’évaluation des crises comme pour protéger et renforcer notre souveraineté politique – nos jugements doivent être indépendants – économique – nous devons lutter contre les pillages et promouvoir nos intérêts –, technique et technologique.

Le Service connaît des évolutions majeures de ses missions historiques. Nous allons continuer de nous investir dans les nouvelles zones de rivalité stratégique : l’Europe continentale, notamment la Russie et l’Europe orientale où nous devons réinvestir ; l’Indo-Pacifique, zones d’intérêt majeur. Nous n’oublions pas nos « clients traditionnels », car nous sommes très attendus sur l’Afrique du Nord, sur l’Afrique subsaharienne, sur le Proche et le Moyen-Orient. Nous ne laissons pas de côté nos thématiques traditionnelles, comme le contre-terrorisme – ce que vous attendez d’abord des services de renseignement, c’est qu’il n’y ait pas d’attentat sur le territoire français – ou la contre-prolifération.

Ces défis imposent au Service de maintenir à niveau nos capacités de renseignement actuelles, et d’abord les grands programmes techniques mutualisés, mais aussi de renforcer nos équipes et nos ressources en matière de systèmes d’information et de communication, de renforcer notre souplesse pour réorienter nos capteurs et nos ressources en fonction des priorités qui nous sont fixées par les autorités.

Nous devrons également diversifier nos accès humains et techniques. Dans le domaine du renseignement humain, nous devons préserver la capacité de clandestinité de la DGSE. Mon métier, c’est de recruter des sources : cela ne peut se faire que de manière clandestine. Face à la généralisation de la biométrie et des technologies de surveillance, c’est de plus en plus compliqué. Nous devons continuer à diversifier nos accès techniques, et contourner les murailles numériques mises en place par la Russie et la Chine qui investissent des moyens gigantesques dans la protection de leurs systèmes. En Chine, le service homologue de la DGSE emploie plusieurs centaines de milliers de personnes… Je ne souhaite rien de tel pour la France, mais je cite ce chiffre pour vous donner une idée des capacités dont se dotent certains pays.

Nous devons enfin renforcer nos capacités d’action et d’influence. Nous sommes attendus pour entraver les adversaires de la France et pour déjouer les manœuvres hybrides, les attaques informatiques, les manœuvres d’influence. La manipulation de l’information, en particulier, et les opérations de déstabilisation menées en ce domaine par des structures comme Wagner, constituent un sujet de plus en plus brûlant. Nous devons donc industrialiser nos capacités d’action clandestine, en particulier dans l’espace numérique.

Le projet de LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit des dépenses élevées. Le chef de l’État a indiqué vouloir perfectionner nos capacités de renseignement pour mieux identifier, comprendre, analyser et attribuer des activités déstabilisatrices. Lorsque vous l’avez entendu le 5 avril, le ministre des armées l’a dit : « Cette stratégie de souveraineté est clé pour garantir l’autonomie de notre compréhension du monde, nécessaire à une diplomatie éclairée. » C’est pourquoi le Gouvernement prévoit une augmentation de près de 60 % des crédits alloués au renseignement ; les crédits de la DGSE devraient en particulier augmenter de manière significative, puisque les crédits alloués s’élèvent à environ 5 milliards d’euros – contre 3,5 milliards pour la précédente LPM. C’est là un sérieux bond capacitaire.

Grâce à ces ressources, nous pourrons disposer de capacités d’exploitation renouvelées et industrialiser nos outils d’investigation numérique. Nous entendons également poursuivre la transformation des services, en travaillant sur les projets d’infrastructures ambitieux dont je vous ai parlé, sur le fonctionnement interne et sur le dispositif de traitement des données de masse. Nous devons renforcer la mutualisation des outils et des ressources. Enfin, les capacités humaines de recherche technique et de traitement des sources, d’exploitation du renseignement ou d’action nécessitent une ressource qualifiée, avec le problème du recrutement et de la fidélisation.

Le Président de la République a également souligné l’importance vitale de l’aspect cyber, dans la continuité du discours de Toulon du 9 novembre 2022, qui rendait publique la revue nationale stratégique et annonçait la volonté de la France de disposer, dans les cinq ans, d’une cyberdéfense « de tout premier rang mondial ».

Le service bénéficiera aussi des montants prévus pour certains autres budgets que vous a présentés M. Lecornu, dans le cadre des synergies internes et des coopérations permanentes au sein du ministère des armées. Nous allons ainsi participer aux objectifs cyber, pour lesquels le budget prévu s’élève à 4 milliards d’euros : nous voulons une cyberdéfense de premier plan, robuste, crédible face à nos compétiteurs stratégiques, et apte à assurer dans la durée la résilience des activités critiques du ministère et l’interopérabilité avec nos alliés. La diversification des modes d’action permettra aussi de s’adapter aux évolutions technologiques.

Nos grandes priorités, vous l’avez compris, sont simples : éviter le décrochage et rester dans la course des meilleurs services de renseignement, ce que nous permettent les budgets prévus dans le projet de LPM ; accroître nos capacités au profit de la communauté du renseignement ; poursuivre l’évolution de notre organisation et déménager à Vincennes.

Je n’ai pas le temps de revenir sur les grands programmes techniques, mais j’insiste sur l’importance des investissements techniques, et notamment cyber.

Je terminerai par quelques mots sur le volet normatif. À la demande du service, le projet de LPM prévoit une modification du code de procédure pénale afin de permettre la communication par l’autorité judiciaire aux services spécialisés de renseignement des éléments d’une procédure recueillis dans le cadre d’une enquête ouverte pour crime de guerre ou crime contre l’humanité. Nous pouvons participer à la caractérisation de tels crimes. Nous pourrons aussi, sur ces sujets, échanger avec les services étrangers. Nous pourrons ainsi unifier le régime applicable à la communication d’informations par le parquet national antiterroriste – des possibilités sont déjà ouvertes en matière de terrorisme, et ce mécanisme fonctionne très bien.

D’autres mesures plus transversales sont également importantes pour le Service, notamment la disposition qui garantit la prise en compte des intérêts fondamentaux de la nation en cas d’activité privée en rapport avec une puissance étrangère, ce qui nous permettra d’empêcher des sociétés étrangères de recruter des anciens militaires français, grâce à un système d’autorisation préalable par le ministère des armées.

L’article 19 du projet de loi autorise les services de renseignement à accéder au casier judiciaire au titre des enquêtes administratives de sécurité.

L’article 22 protège l’anonymat des anciens agents des services de renseignement dans le cadre des procédures judiciaires.

Nos objectifs sont donc clairs : être les meilleurs possible pour renseigner au mieux nos autorités, et demeurer au premier rang des grands services occidentaux. Je le dis sans forfanterie : la DGSE est pour des services comme la CIA, le MI6, le BND ou le Mossad le partenaire stratégique évident dans l’Union européenne. Nous devons aussi contribuer à détecter des menaces qui pourraient peser sur notre pays avant la Coupe du monde de rugby et les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. La future loi de programmation doit enfin nous permettre d’affirmer notre souveraineté dans tous les domaines et de compter d’abord sur nos propres forces, dans un monde où nous avons des alliés et des partenaires, mais pas d’amis. Il nous faut donc être autonomes. La réforme du Service, qui nous permet d’être plus efficaces, et la perspective de s’installer dans de nouveaux locaux modernes et adaptés nous permettront, j’en suis convaincu, d’exécuter les missions exigeantes et exaltantes qui nous sont confiées par nos plus hautes autorités.

M. le président Thomas Gassilloud. Avant d’en venir aux orateurs des groupes, je cède la parole à M. Jean-Michel Jacques qui est rapporteur du projet de LPM.

M. Jean-Michel Jacques, rapporteur. Le projet de LPM consacre 5 milliards d’euros au renseignement, mais aussi 4 milliards au cyber, 6 milliards à l’espace, 8 milliards au numérique et 10 milliards à l’innovation, autant de moyens dont bénéficieront indirectement les services pour rester parmi les meilleurs. Héritière de Jean Moulin mais aussi du général de Gaulle, la DGSE, par sa liberté d’action et d’analyse, garantit l’autonomie de notre pays.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le projet de transformation des métiers qu’accompagne le déménagement au Fort-Neuf de Vincennes en 2028 ?

M. Bernard Émié. En effet, dans le cadre de la coopération avec le ministère des armées, nous profiterons d’autres crédits que ceux dédiés spécifiquement au renseignement.

Aujourd’hui, nos locaux sont situés, d’un côté du boulevard Mortier, dans ceux du premier régiment du train, de l’autre, dans un camp d’internement qui a accueilli des femmes juives mais aussi des Républicains espagnols pendant la seconde guerre mondiale. Malgré les efforts pour les optimiser au fil des ans, ils ne sont pas du tout fonctionnels. Ils ne sont pas adaptés au travail en synergie et ne sont guère attractifs pour les jeunes générations. Les effectifs étant passés de 3 000 à 6 000 et bientôt 7 000, nous sommes particulièrement à l’étroit. Il était indispensable de trouver de nouveaux locaux pour améliorer nos capacités d’accueil pour les nouvelles générations ainsi que pour optimiser le travail avec les autres services – en particulier avec la DRM, la DRSD, la DGSI, Tracfin et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) qui ont des agents sur le terrain – mais aussi entre les services à l’intérieur de la maison.

À ces mêmes fins, nous avons procédé à une réorganisation : les directions en silos – direction du renseignement, direction des opérations, direction de la stratégie – ont été transformées en centres de missions, à la fois thématiques et géographiques.

M. Lionel Royer-Perreaut (RE). Je vous remercie d’avoir confirmé que le projet de LPM représente un bond capacitaire pour les services de renseignement.

Les crédits dédiés aux personnels dans le projet de LPM sont-ils à la hauteur de l’ambition de la DGSE ?

Le projet de LPM vise à renforcer notre résilience et à faciliter les activités de contre-ingérence de nos services. Vous paraît-il de nature à répondre à la menace de guerre hybride ?

M. Bernard Émié. L’arbitrage sur les effectifs n’ayant pas encore eu lieu, je ne suis pas en mesure de vous donner des chiffres. Au sein du ministère des armées, la DGSE est le Petit Poucet… Je suis confiant dans notre capacité à obtenir des effectifs supplémentaires au terme des négociations internes. Ils sont indispensables pour poursuivre la montée en puissance, en particulier dans le domaine cyber. De même, puisque nos ambitions mondiales ont été rehaussées, j’ai besoin de redéployer des postes et d’en ouvrir dans le monde entier pour répondre aux sollicitations.

En matière de contre-ingérence, sujet majeur, nous optimisons l’effort de l’État à travers ses différentes agences. Le contre-espionnage est une fonction essentielle de la DGSE en France comme dans les postes à l’étranger. C’est à elle qu’il appartient d’identifier les tentatives d’ingérences dans nos services publics à l’étranger, nos implantations ou nos grandes entreprises. Les moyens envisagés nous permettront d’accomplir notre mission. Je suis un haut fonctionnaire réaliste ; je n’ignore pas que des arbitrages doivent être faits. Les moyens alloués au renseignement que vous voterez le moment venu, je l’espère, nous permettront de rester dans la course.

M. Laurent Jacobelli (RN). Vous avez fait état des nouvelles menaces dans le domaine cyber et des moyens humains et financiers que prévoit le projet de LPM pour l’endiguer. S’agissant de deux autres modes de renseignement – ce que j’appellerai le renseignement « à la papa », qui privilégie les actions sur le terrain, d’une part, et les opérations spéciales, d’autre part –, quelle est votre stratégie ?

M. Bernard Émié. Le cyber est une menace majeure. La riposte est une arme essentielle à la disposition de l’exécutif. Mais le cyber est aussi un objectif stratégique du renseignement.

Le renseignement « à la papa » est fondamental. Nous devons continuer à recruter des sources en plus grand nombre : la source humaine reste essentielle, tout ne procède pas de la technique. Pour cela, il faut jouer sur les ressorts basiques et immuables de l’individu. Nous devons aussi faire évoluer nos méthodes et investir les réseaux sociaux Ma stratégie consiste donc à renouveler et à élargir le vivier des sources du service.

Les opérations spéciales, par construction, je n’en parle pas beaucoup, mais elles existent. Les moyens qui nous sont donnés sont importants. Il est crucial pour moi que, dans le cadre du budget des armées, les vecteurs qui intéressent notre service soient entretenus, adaptés et renouvelés – je le fais valoir dans les discussions internes J’ai besoin de C-130, d’hélicoptères, de bateaux, etc. d’autant que la zone grise dans laquelle j’opère ne cesse de s’étendre.

Nous serons en mesure de répondre aux commandes, nombreuses, de l’exécutif.

M. Aurélien Saintoul (LFI-NUPES). Dans quelle mesure le trou d’air que nous connaissons dans notre accès souverain à l’espace affecte-t-il votre service ?

Les 5 milliards de crédits pour le renseignement n’iront pas intégralement à la DGSE. Pouvez-vous préciser la ventilation des crédits ?

Pouvez-vous nous indiquer le nombre de postes que vous demandez dans les arbitrages à venir ? L’Assemblée nationale pourra peut-être vous soutenir.

Plusieurs affaires portant atteinte à la souveraineté économique de notre pays ont émaillé l’actualité, la dernière en date concernant la société Segault. Leur nombre a-t-il augmenté d’après vos informations ?

Quel regard portez-vous sur le grand banditisme et la criminalité financière, et sur la menace qu’ils font peser sur la souveraineté de certains États ? Je pense aux Pays-Bas et à la Belgique qui ont pris conscience récemment de la gravité de leur situation.

M. Bernard Émié. Je cède la parole au directeur technique pour plus de précisions sur l’espace.

M. le directeur technique et de l’innovation. Le trou d’air dans le lancement des satellites n’affecte pas encore les capacités de renseignement. Il est indispensable de conserver une souveraineté, française ou européenne, sur les lanceurs dont nous aurons besoin pour déployer, sans risque de manipulation, de nouvelles constellations satellitaires.

M. Bernard Émié. Je reste flou sur les crédits car les arbitrages ne sont pas tout à fait finalisés. Toutefois, j’ai des raisons de penser que je peux obtenir un budget tangentant les 5 milliards d’euros. Je n’oublie pas mes cousins de la DRM et de la DRSD dont le budget a augmenté de 60 %. La DGSE profitera aussi des crédits alloués par le projet de LPM dans d’autres domaines.

Le charme de la DGSE, c’est qu’elle recrute avec beaucoup de professionnalisme. Lorsque j’annonce au ministre le recrutement de 500 personnes, je tiens parole, donc je suis crédible. Je demande car je saurai faire grâce aux équipes. Il me reste des personnels à recruter au titre de 2023 dans le cadre de la queue de comète de la précédente LPM. Nous le faisons en suivant des procédures lourdes : on n’entre pas à la DGSE comme à la sécurité sociale. Les vérifications de sécurité prennent des mois.

Je n’ai pas d’éléments spécifiques sur le cas de la société Ségault.

La délinquance financière n’est pas le terrain de chasse de la DGSE. C’est celui de Tracfin, un service qui est monté en puissance remarquablement au cours des dernières années et avec lequel nous travaillons très bien. La DGSE intervient aussi dans la lutte contre le trafic de drogue ou le trafic d’êtres humains dans la mesure où elle dispose de renseignements importants sur les filières et les passeurs. Elle contribue à nombre d’arrestations.

M. Jean-Louis Thiériot (LR). Pour éviter un décrochage par rapport à nos partenaires, l’une des clés est la capacité à recruter les meilleurs. Hélas, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Même si on ne rejoint pas la DGSE pour l’argent, cela contribue aussi à la sérénité et à l’attractivité… Comment se situent les salaires de nos agents par rapport à nos partenaires ? Outre les rémunérations, disposez-vous des outils juridiques pour vous attacher les meilleurs ? Des ajustements législatifs sont-ils nécessaires dans ce domaine ?

Sommes-nous équipés en technologies souveraines ? Comment faire en sorte que les pépites technologiques restent dans notre giron ?

M. Bernard Émié. Oui, nous disposons des outils juridiques mais nous devons faire avec les contraintes propres à l’écosystème français que sont notamment les règles de la fonction publique ou l’encadrement des rémunérations. Florence Parly et Sébastien Lecornu ont fait beaucoup d’efforts pour améliorer notre attractivité mais vous avez raison, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre.

Je peux compter sur une batterie impressionnante de spécialistes des mathématiques, de normaliens, de polytechniciens. Le niveau des officiers de la DGSE est supérieur à la moyenne, comme l’illustre leur taux de réussite à l’École de guerre. La qualité des agents du service est exceptionnelle.

S’agissant des rémunérations, les agents français sont moins bien payés que les Britanniques ou les Américains.

Nous réussissons à recruter les techniciens en début de carrière parce que nous sommes encore compétitifs. Mais dès qu’ils ont cinq ans d’expérience, dès qu’ils se fiancent et veulent acheter un appartement, cela devient très compliqué. Nous sommes confrontés à l’érosion de notre attractivité, en particulier en région parisienne où le coût de la vie est horriblement élevé, et nous ne sommes pas en mesure de proposer une offre alternative en province. C’est un motif d’inquiétude très sérieux.

En ce qui concerne d’éventuels ajustements législatifs, je laisserai la parole au directeur de l’administration. Sachez que nous manœuvrons au mieux pour garder une main-d’œuvre rare.

M. le directeur de l’administration. Nous disposons des outils juridiques nécessaires. Nous parvenons à transposer à nos corps les textes régissant la fonction publique. Pour les contractuels, nous nous appuyons sur des dispositifs réglementaires propres. Notre souci n’est donc pas juridique, il concerne les rémunérations et notre capacité à suivre l’évolution du marché.

M. le directeur technique et de l’innovation. Nous réussissons à conserver des capacités souveraines, soit en interne, soit en faisant appel à des industriels français voire européens, mais c’est un défi quotidien.

Je prends l’exemple de l’intelligence artificielle : si nous voulons rester maîtres des briques technologiques et garantir notre autonomie, nous devons investir et nous appuyer sur des start-up françaises et soutenir leur croissance.

M. Bernard Émié. La difficulté pour la DGSE est de conserver une part suffisante de militaires dans ses rangs. Lorsque j’ai pris mes fonctions, les militaires représentaient 25 % des effectifs, ils ne sont plus que 20 % aujourd’hui car les armées ne parviennent pas à mettre à notre disposition des personnels, non par manque de volonté mais par absence de ressources. Compte tenu de la hausse des effectifs, même si l’armée a maintenu son effort en valeur absolue, la composante militaire de la DGSE baisse. C’est un sujet de préoccupation car le service fait partie du ministère des armées. Nous devons absolument veiller collectivement à ne pas passer sous la barre des 20 % de militaires.

M. Vincent Bru (Dem). Le projet de LPM accorde 2 milliards d’euros aux forces spéciales. En opérations extérieures (Opex), les échanges entre les forces spéciales et la DGSE permettent de faire progresser nos forces grâce aux échanges de renseignements. Compte tenu de la multiplication des espaces de conflictualité, quelles relations envisagez-vous avec les forces spéciales ?

M. Bernard Émié. Les forces spéciales assument leurs actions, elles ne sont pas clandestines, donc c’est un autre monde. Que nous formions un nageur de combat de manière coordonnée, cela se conçoit mais ce sont bien deux mondes complètement différents. En zone de guerre cependant, les forces spéciales interviennent sur la base du renseignement que fournit la DGSE. La relation est forte et intime – souvent d’anciens membres des forces spéciales intègrent la DGSE –, la coordination est optimisée, les métiers et les savoir-faire sont cousins mais il y a une ligne de séparation très claire entre les missions des forces spéciales et celles de la DGSE. Les unes peuvent être assumées, les autres non et elles ont lieu sur des théâtres totalement différents.

Mme Mélanie Thomin (SOC). La réforme annoncée a pour but de décloisonner le Service et d’accroître son efficacité dans l’anticipation et le traitement des menaces. Comment se traduit-elle dans le projet de LPM ? Comment assurer le décloisonnement entre les différentes directions chargées du renseignement ? Il semble que l’effort budgétaire profite principalement à la DRM et à la DRSD et soit alloué plus à leurs moyens techniques qu’aux carrières et au recrutement en leur sein.

Le projet de LPM réduit de huit à trois l’ambition capacitaire pour les avions légers de surveillance et de renseignement (ALSR). Quel est le rôle de ces équipements pour les armées et la DGSE, sachant que cette dernière est dotée de capacités propres ?

M. Bernard Émié. La DRM et la DRSD sont des services de renseignement du premier cercle mais les ordres de grandeurs de leurs moyens n’ont rien à voir avec ceux de la DGSE. Ils bénéficient d’une hausse justifiée de leur budget mais les crédits pour le renseignement profiteront d’abord à la DGSE. Le service n’est pas mis de côté, bien au contraire. Je redis mon espoir de tangenter les 5 milliards d’euros.

Les ALSR relèvent de la DRM. Je ne peux donc pas vous répondre sur ce point. Le Service dispose de ses propres avions qu’il loue, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. À ce stade, il possède les capacités et l’autonomie nécessaires pour répondre aux sollicitations. De temps en temps, nous pouvons faire appel à des appareils des forces spéciales pour observer un théâtre tactique dans une zone où nous agissons de manière coordonnée.

M. Loïc Kervran (HOR). Le groupe Horizons note avec satisfaction l’effort en faveur du renseignement car celui-ci est particulièrement adapté aux menaces actuelles – évolutives, sournoises, hybrides. C’est l’arme du XXIe siècle. Cet outil incarne aussi la souveraineté car sa mission est fondée sur la connaissance, l’anticipation ainsi que l’autonomie de décision et d’action. L’excellence de son renseignement, et singulièrement de son service secret spécial, est l’une des raisons d’espérer pour la France, pour reprendre le titre d’un livre qui vous est cher.

Vous avez évoqué les modifications normatives prévues par le projet de LPM. D’autres modifications législatives sont-elles nécessaires à vos yeux pour faire face aux nouvelles menaces ?

M. Bernard Émié. En tant que président de la commission de vérification des fonds spéciaux et membre de la délégation parlementaire au renseignement, vous avez joué un rôle éminent dans l’appropriation, ô combien importante, du monde du renseignement par le Parlement sous la précédente législature. La visite du président de la commission très rapidement après son élection s’inscrit dans la même logique d’interaction bienvenue.

Oui, le renseignement est l’arme du XXIe siècle. Le retour sur investissement est gigantesque et immédiat. Faute d’exposition, la DGSE souffre d’un manque de valorisation de son travail dans la protection de nos compatriotes et de l’État.

Il est en effet des domaines dans lesquels j’aurais souhaité d’autres aménagements normatifs. Je pense en particulier aux algorithmes mais le mot fait peur – je le comprends. La décision a été prise de ne pas élargir leur champ d’application, et je la respecte. Mon but est de faire fonctionner ce que j’ai à ma disposition mais je serai heureux si on venait demain à m’en donner davantage. Oui, il y a des marges de progression pour les prochaines LPM.

Ces jalons capacitaires qui n’ont pu être franchis en 2022

Ces jalons capacitaires qui n’ont pu être franchis en 2022

 – Forces opérations Blog – publié le 

Le bilan de l’exercice budgétaire 2022 est sorti, et avec lui un état des lieux des principales concrétisations ministère par ministère. Ainsi, si l’année dernière aura permis la « poursuite de l’effort de réalisation de la LPM [loi de programmation militaire 2019-2025] », certains jalons n’auront pu être franchis dans le domaine des équipements militaires. 

Le ministère des Armées aura consacré 16 Md€ d’engagements et 14,6 Md€ de paiements au profit de ses équipements. De quoi progresser dans « un calendrier de commandes/livraisons qui tient ses objectifs majeurs dans un contexte de durcissement de la compétition ». De fait, « les effets de la crise sanitaire sont absorbés », estime le document, mais de nouveaux paramètres « ont motivé l’amorce de nouveaux axes d’effort » : le soutien à l’Ukraine et les perspectives d’une économie de guerre. 

La progression dans la réalisation des programmes d’équipements atteignait 73,8% l’an dernier. En hausse par rapport à 2021 et 2020, le résultat reste cependant en deçà de l’objectif de 85% fixé. Idem pour les livraisons, 24 points en dessous de la cible et en forte baisse par rapport aux deux exercices précédents. 

Plusieurs jalons n’ont pas été atteints en 2022, un phénomène qui n’a rien d’exceptionnel et qui, depuis lors, a peut-être déjà été partiellement résorbé. Ce sont, entre autres, les commandes de trois hélicoptères à usage gouvernemental (HUG), quatre hélicoptères de manoeuvre de nouvelle génération en remplacement des Puma de l’armée de l’Air et de l’Espace, 36 véhicules Serval, ou encore de 1250 équipements radio portatifs CONTACT. De même, la commande de 80 PLFS et est reportée à 2023 « du fait de la révision en cours du planning de livraison des véhicules commandés au lancement de la réalisation ».

Ce sont en outre les livraisons de deux hélicoptères Caïman, 10 postes de tir MMP, 10 drones Patroller ou de 65 postes portatifs CONTACT. Le dossier des fardiers accusait lui aussi un léger décalage. Seuls cinq ont été perçus sur les 60 attendus. Aucune remorque pour fardier n’a pu être livrée en raison de « besoins d’évolution mis au jour lors des essais de qualification ».

Parmi les principales causes avancées, des retards, des non-conformités ou des « négociations complexes », mais aussi des tensions parmi les chaînes d’approvisionnement. La pénurie de composants électroniques aura empêché la réception d’un lot de 100 VLTP NP en décembre dernier. Un écueil qui explique également le décalage touchant CONTACT et influe sur le programme de système d’information des armées (SIA), pour lequel la livraison de neuf modules projetables a été décalée à cette année. 

Plusieurs phénomènes viennent parfois se superposer. L’opération d’intégration de la radio CONTACT (PIC) sur des véhicules non-SCORPION, entre autres, est autant affectée par la crise des composants que par « des priorités de mise à disposition des véhicules pour leur modification ». Même logique pour le VBL Ultima, dont seuls 45 ont pu être fournis sur les 120 attendus suite à « des retards de mise à disposition de véhicules à régénérer et des difficultés avérées d’Arquus à produire à la cadence prévue ». Pas de quoi contrecarrer la notification, l’an dernier, d’une nouvelle tranche pour 120 exemplaires. 

Ce bilan annonce par ailleurs au moins un renoncement potentiel. Les cibles de PLFS et VLFS semblent bel bien réduites respectivement de 51 et 35 exemplaires, confirmant un scénario évoqué plus tôt

L’éventail de reports ne doit pas complètement occulter les bonnes nouvelles. C’est le cas notamment pour la trame missiles-roquettes de l’armée de Terre. Côté MMP, la livraison du 1750e exemplaire est désormais prévue pour 2024 et non plus 2025, « conformément à la commande réalisée en 2022 ». Les opérationnels profiteront aussi de l’investissement consenti pour le développement et la qualification de l’interfaçage du système d’information du combat SCORPION (SICS) avec le poste de tir MMP. À l’autre bout de la trame, le budget 2022 aura permis d’enfin acter la commande de 4226 roquettes AT4 F2. 

Crédits image : armée de Terre

« Un hiatus de 13,3 milliards d’euros » dans la LPM 2024-2030

« Un hiatus de 13,3 milliards d’euros » dans la LPM 2024-2030

 – Forces opérations Blog – publié le 

Le flou persiste quant à la provenance des 13,3 Md€ de ressources supplémentaires qui permettront à la prochaine loi de programmation militaire de répondre à l’ensemble des besoins. Un point d’attention parmi d’autres relevés hier au Sénat par le président du Haut Conseil des finances publiques (HCFP) et de la Cour des comptes, Pierre Moscovici. 

Si les 400 Md€ de ressources budgétaires demandés pour 2024-2030 ne suscitent pas d’objection, l’impact des besoins programmés, rehaussée à 413,3 Md€, reste « affecté d’incertitudes ». En cause, le flou subsistant sur l’origine des 13,3 Md€ de dépenses supplémentaires, un sujet en grande partie éludé dans le projet de LPM 2024-2030. 

Il ressort, selon le président du HCFP, que le ministère des Armées envisage d’abonder cette enveloppe de quatre manières. L’une a été détaillée depuis longtemps. Ce sont les ressources issues des cessions immobilières et de matériels et des recettes du Service de santé des armées. Total pour la période : 5,9 Md€. S’appuyer sur les seules cessions immobilières « n’est pas réaliste » selon le HCFP, celles-ci n’ayant représenté que 101 M€ en 2022. À première vue, l’essentiel de l’effort proviendrait du SSA, « ce qui, compte tenu de la taille du service, n’est pas négligeable », relève l’ancien ministre de l’Économie. Et même si ce service génère en moyenne 500 M€ par an, cet objectif « ne nous paraît pas inatteignable », complète-t-il.

Derrière, 7,4 Md€ ne sont jusqu’à présent pas documentés. Ils seraient, toujours d’après le ministère des Armées, financés la par solidarité interministérielle, par les moindres dépenses observées dans le budget des armées et par le report de charges. Bien que réaffirmée dans la précédente LPM, la solidarité interministérielle n’est jamais parvenue à s’imposer lorsqu’il a fallu régler les factures des surcoûts occasionnés par les OPEX et MISSINT. 

Quant aux moindres dépenses et au report de charges, la seconde option ne rendrait que plus difficile l’atteinte des objectifs fixés. L’inflation fera grimper le seuil établi pour 2023 de trois points, soit 15% des crédits hors masse salariale. L’enjeu de maîtrise de cette courbe et d’un retour au niveau incompressible de 10% est cependant absent du rapport annexé à la future LPM.

Ce « hiatus de 13,3 Md€ », équivalent à deux porte-avions de nouvelle génération et demi, n’est pas sans susciter des craintes dans les rangs parlementaires. « Cette loi de programmation militaire ne va pas être un long fleuve tranquille », soulignait le sénateur LR Dominique de Legge. « Peut-être que le budget ne peut pas être qualifié d’insincère, mais c’est une incertitude quand même très forte », complète le rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de défense. 

Même son de cloche du côté du sénateur LR Cédric Perrin, selon qui « il y a une vraie question à poser ». « Est-il normal de compter dès à présent sur la solidarité interministérielle ou sur de supposées marche frictionnelles ? », questionnait-il. Bien que minime, cette tranche « n’est pas une paille compte tenu de l’augmentation annuelle du budget jusqu’en 2030, puisqu’on est quasiment à 2 Md€ par an ». Un bas de laine incertain mais dont les armées ne peuvent se passer pour poursuivre leur transformation. 

Crédits image : EMA

A Limoges, l’usine de blindés d’Arquus dans le brouillard de l’économie de guerre

A Limoges, l’usine de blindés d’Arquus dans le brouillard de l’économie de guerre

Malgré la volonté de produire plus et plus vite imposée à l’industrie de l’armement, l’usine limougeaude du fabricant de véhicules blindés Arquus tourne en sous-régime. Des cadences au ralenti qui tiennent également à la faiblesse de l’activité à destination des clients exports.

A Limoges, l’usine de blindés d’Arquus dans le brouillard de l’économie de guerre

L’usine de Limoges d’Arquus est spécialisée dans la fabrication des véhicules blindés. Elle produit également les châssis-porteurs des canons Caesar ainsi que les pièces de la chaîne cinématique des véhicules Scorpion de l’armée de Terre.

Les armées connaissent le «brouillard de la guerre», le flou dans lequel elles sont plongées quand elles manquent d’informations concernant la situation sur le front ou leurs objectifs à atteindre. Depuis le conflit en Ukraine, les industriels de l’armement expérimentent le brouillard… de l’économie de guerre. C’est le cas du site d’Arquus (ex-Renault Trucks Defense), implanté à Limoges (Haute-Vienne), et qui fabrique des véhicules blindés, les châssis porteurs du canon Caesar ainsi que la chaîne cinématique des nouveaux engins de l’armée de Terre.

Quelques mois après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, Emmanuel Macron avait exhorté les industriels de l’armement à basculer dans «l’économie de guerre». En clair: produire plus, plus vite et moins cher. La réalité du site du Limoges est tout autre. «Nous ne sommes pas dans une mobilisation totale du fait de commandes qui restent encore extrêmement limitées. Mais s’il fallait y aller, nous sommes prêts à nous mobiliser», indique Emmanuel Levacher, le PDG d’Arquus.

L’usine tourne largement en dessous de ses capacités. Le site ne compte plus que 250 salariés, contre 400 en 2021. En 2022, Arquus Limoges a comptabilisé 69 000 heures d’activités, soit un niveau nettement inférieur de son record de 2019, de 175 000 heures de travail. «On a le potentiel de faire deux fois que ce qu’on a fait l’an dernier, avec les effectifs et les moyens actuels. S’il fallait aller au-delà, c’est encore possible», souligne le responsable, décidé à voir le verre à moitié plein.

Ralentissement du programme Scorpion

Pour le site limougeaud, les derniers arbitrages du ministère des armées ne vont pas dissiper ce brouillard, au contraire. Le 4 avril, les grandes orientations du projet de loi de programmation militaire pour la période 2024-2030 ont été rendues publiques. Verdict: le programme Scorpion de renouvellement des véhicules blindés de l’armée de Terre, pour lequel Arquus est l’un des fournisseurs cruciaux avec Nexter et Thales, va être ralenti. Si la cible des véhicules à produire est maintenue, les livraisons vont être étalées dans le temps. Soit plusieurs centaines de véhicules de transport de troupe Griffon, ainsi qu’une centaine d’engins de combat Jaguar en moins à livrer d’ici à 2030. «Cela représente une baisse de charge industrielle de l’ordre de 20% à 25% sur les prochaines années», calcule Emmanuel Levacher.

Une mauvaise nouvelle pour cette filiale du groupe Volvo, fournisseur historique des armées françaises sous ses anciennes marques (Renault Trucks Défense, ACMAT, Panhard…), et qui ont été regroupées sous la marque Arquus en 2018. La société concentre tous ses moyens industriels en France. Outre Limoges, les 1 500 collaborateurs d’Arquus se répartissent sur les usines de Marolles-en-Hurepoix (Essonne), de Saint-Nazaire (Loire-Atlantique) et de Garchizy (Nièvre). La société a livré 1 277 véhicules neufs en 2022, pour un chiffre d’affaires de 550 millions d’euros.

Un camion Caesar produit tous les quatre jours

A l’intérieur de l’usine, les trois lignes d’assemblage de véhicules neufs (véhicules légers, véhicules de l’avant blindé, camions) tournent à cadence réduite, sur un seul shift de 8 heures. Conséquence directe de la guerre en Ukraine, la ligne qui fabrique le châssis porteur du canon Caesar a repris son activité. Arquus a reçu commande pour produire deux lots de 18 équipements à Nexter, qui assemble le canon. Le châssis est assemblé au fur et à mesure qu’il progresse à travers une dizaine d’étapes successives dans la chaîne. Sur une chaîne parallèle, les cabines des camions sont montées. «Nous sortons un véhicule Caesar tous les quatre jours» précise Christophe Bouny, responsable méthodes et industrialisation. Si nécessaire, la ligne pourrait tourner plus vite et produire jusqu’à deux véhicules par jour.

A quelques mètres de là, la seconde ligne de production est loin également de tourner à pleine capacité. Les techniciens travaillent sur les VAB (véhicules de l’avant-blindé) de l’armée de Terre française. Ils installent des protections destinées à protéger les soldats contre les engins explosifs improvisés, les fameux IED. Sur les huit emplacements disponibles de la chaîne, cinq seulement sont occupés. Et pour cause: il s’agit des derniers exemplaires à réaliser et aucune nouvelle production ne devrait prendre le relais à court terme.

Dans l’atelier voisin, l’usine produit la chaîne cinématique des véhicules du programme Scorpion pour l’armée de Terre, soit tous les éléments mécaniques de mobilité situés entre le volant et le pot d’échappement (moteur, embrayage, transmission, essieux, système de freinage…). L’étalement des commandes Scorpion pour l’armée de Terre va nécessiter de ralentir des cadences à environ la moitié de ses possibilités.

Limoges en manque de contrats pour l’export

Or, l’usine de Limoges a déjà démontré qu’elle pouvait «turbiner» et sortir jusqu’à six véhicules par jour. Une nécessité, car les clients exigent d’être livrés rapidement. «C’est devenu un impératif. Sinon vous risquez de perdre l’affaire», explique Michel Brun, directeur des opérations. Quand il s’est agi de livrer il y a deux ans 300 véhicules pour les forces armées marocaines, le site limougeaud a su mobiliser les ressources et exploiter sa troisième ligne de fabrication opérationnelle depuis 2021. «Le ramp-up industriel a été très rapide. Nous sortions jusqu’à six véhicules par jour alors qu’auparavant les cadences étaient limitées auparavant à deux véhicules par jour sur les lignes traditionnelles», précise le responsable.

Ce type de contrat pour des armées étrangères fait aujourd’hui cruellement défaut pour alimenter les chaînes de Limoges. Arquus n’a pas réussi à décrocher un volume significatif de contrats à l’export en 2022, subissant une concurrence de plus en plus forte de la part d’acteurs turcs, sud-coréens, israéliens, ainsi qu’une baisse de ses contrats auprès de ses clients en Afrique… «Le challenge principal aujourd’hui, c’est de reconquérir des marchés exports et d’obtenir des commandes rapidement. L’usine est capable de fabriquer beaucoup plus y compris des blindés pour l’export», reconnaît Emmanuel Levacher.

Une modernisation globale des sites français

Malgré cette sous-charge, Arquus a activé plusieurs leviers pour renforcer la compétitivité de ces sites afin d’être prêt à rebondir. Le site de Limoges a investi 8,5 millions d’euros dans une nouvelle plateforme logistique de 6 300 m2 au plus près de l’atelier de production. Sur la période 2020-2023, Arquus aura réalisé pour 15 millions d’euros d’investissement industriels pour spécialiser ses établissements. Le site de Saint-Nazaire s’est concentré dans la réparation des véhicules, Marolles-en-Hurepoix dans la fabrication des organes mécaniques et des tourelleaux téléopérés, Garchizy dans la logistique de pièce rechange et fabrication des caisses blindées.

Pour ne pas être pénalisé par des délais d’approvisionnement trop longs, l’industriel a aussi revu sa politique de stock. «Nous avons décidé d’avoir au minimum de quoi produire 20 véhicules en stocks au niveau de la matière première de chaque gamme importante de véhicule», souligne Miche Brun, le directeur des opérations. Malgré le brouillard de l’économie de guerre, Arquus s’est mis en ordre de bataille industriel.

Le nouveau plan de transformation de l’armée de Terre a désormais son logo

Le nouveau plan de transformation de l’armée de Terre a désormais son logo

 

https://www.opex360.com/2023/04/10/le-nouveau-plan-de-transformation-de-larmee-de-terre-a-desormais-son-logo/


Alors qu’une nouvelle LPM sera prochainement examinée par le Parlement, l’armée de Terre va de nouveau connaître une « transformation profonde », conformément à ce qu’avait annoncé Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, en février dernier.

« L’armée de l’Air et de l’Espace comme la Marine ont déjà connu ces dernières décennies des modifications importantes liées notamment aux sauts de technologie. L’armée de terre va elle aussi connaître ce mouvement dans la période à venir et nous allons lui en donner les moyens. Elle va prodigieusement se numériser, se digitaliser tout en se dotant de nouveaux moyens capacitaires », avait en effet affirmé le ministre. Et de souligner que 10’000 de ses soldats allaient en conséquence voir leur « mission évoluer » et donc « être formés pour des compétences nouvelles à forte valeur ajoutée ».

D’où le décalage du programme SCORPION, avec plus de 1200 véhicules blindés [Griffon, Serval, Jaguar et Leclerc modernisés] qui devraient finalement être livrés après 2030. Ce que le chef d’état-major des armées [et ancien CEMAT], le général Thierry Burkhard, a justifié par un souci de « cohérence ».

Reste que ces évolutions justifient l’élaboration d’un nouveau plan de transformation. Celui a été présénté par l’actuel CEMAT, le général Pierre Schill, aux chefs de l’armée de Terre, la semaine passée. Ayant reçu l’appellation [tautologique] « Une armée de Terre de combat », il vise, d’après ce qui en a été dit jusqu’à présent, « à vaincre du coin de la rue jusqu’au métavers » [comprendre : dans le cyberespace, nldr]. Et il se déclinera selon quatre axes, dont la « puissance », la « polyvalence », la « réactivité » et les « forces morales ».

Dans l’attente de sa présentation publique, le général Schill a dévoilé le logo de ce plan de transformation. Celui-ci est censé représenter les « caractéristiques fortes d’une armée de Terre de combat », avec un soldat à la proue, « garant de la continuité des forces morales‘ » et dont la posture « en garde » suggère qu’il est prêt à agir [montrant ainsi « détermination, humanité et sérénité »], un anneau aux couleurs françaises incarnant le « mouvement vers l’avant et la protection de la Nation », un planisphère représentant les « espaces stratégiques, en métropole comme outre-Mer » et un code binaire pour évoquer « l’omniprésence du numérique » de ses équipements jusqu’aux champs d’affrontement ».

« Ma vision : une ‘Armée de Terre de combat’ dont le style de commandement, l’organisation, le fonctionnement, l’entraînement sont le plus proche d’un fonctionnement opérationnel », résume le général Schill. « Cette philosophie des finalités, nous la maîtrisons déjà en opérations : elle doit également irriguer notre quotidien. Nous allons retrouver une culture de la responsabilisation et du commandement par intention », insiste-t-il.

Selon le projet de LPM 2024-30, l’armée de Terre devra être en mesure, en cas d’engagement de « haute intensité », de « projeter » un état-major de niveau corps d’armée, une division [soit deux brigades interarmes, BIA] avec ses appuis et ses soutiens, une brigade d’aérocombat [hélicoptères, ndlr] et un groupement de forces spéciales. Quant à l’hypothèse d’une réaction « immédiate », elle devra pouvoir déployer une brigade interarmes à 4 groupes tactiques interarmes [GTIA], dont deux blindés, un groupement d’aérocombat ainsi que des soutiens et des appuis.

Outre-Mer, d’après le livret de présentation du projet de LPM, l’armée de Terre y verra ses « moyens renforcés », avec notamment un « durcissement des équipements et une densification des forces
prépositionnées [génie]. Enfin, le document précise qu’elle sera dotée, dès 2025, de « 1200 systèmes de drones », et qu’elle bénéficiera d’un « d’un plan d’équipement accéléré et de l’armement du Système de drone tactique avec charge de renseignement d’origine électromagnétique [SDT ROEM].

Le retard pris par le futur char franco-allemand inquiète le ministère des Armées

Le retard pris par le futur char franco-allemand inquiète le ministère des Armées

 

https://www.opex360.com/2023/04/05/le-retard-pris-par-le-futur-char-franco-allemand-inquiete-le-ministere-des-armees/


« Ce serait une faute terrible à l’égard de nos armées de réduire l’entraînement et l’activité des forces. Et entre l’activité et lisser le pogramme SCORPION sur deux années de plus, mon choix est fait, même si, politiquement, c’est nettement plus facile de l’inverse », a en effet affirmé M. Lecornu.

Ce décalage du programme SCORPION devrait aussi permettre à l’armée de Terre de renforcer sa capacité de feux à longue portée, avec l’acquisition de 26 lance-roquettes multiples [LRM], soit 17 de plus qu’actuellement [il ne resterait plus que 9 Lance-roquettes unitaires sur 13 dans son inventaire, ce qui suggère que deux autres exemplaires ont été livrés à l’Ukraine…].

Toujours est-il que, en 2030, avec ce décalage, l’armée de Terre comptera 200 engins blindés de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar sur 300 et 1345 véhicules blindés multi-rôles [VBMR] Griffon sur 1818. La situation du blindé Serval est particulière puisque si l’on considère le programme « Véhicule léger tactique polyvalent protégé », 1060 exemplaires doivent être livrés, en plus des 978 prévus au titre de Scorpion.

Enfin, et selon le rapport annexé, 160 chars Leclerc seront portés au standard XLR en 2030, sur les 200 annoncés. Normalement, et si l’on s’en tient aux prévisions faites il y a près de six ans, son successeur, issu du programme franco-allemand MGCS [Main Ground Combat System ou Système principal de combat terrestre], devrait être mis en service en 2035.

Or, si le Système de combat aérien du futur [SCAF], également mené dans le cadre d’une coopération avec l’Allemagne [et aussi avec l’Espagne], a enfin pu passer à l’étape suivante après des mois de discussions entre Dassault Aviation et Airbus, ce n’est pas le cas du MGCS, qui n’a pas encore dépassé la phase d’étude d’achitecture dite « SADS Part 1 ».

Initialement, la conduite de ce projet, assurée par Berlin, n’aurait pas dû poser de problème dans la mesure où le français Nexter et l’allemand Krauss-Maffei Wegmann [KMW] s’était associés à cette fin en créant la co-entreprise KNDS. Mais l’arrivé d’un troisième acteur, en l’occurrence Rheinmetall, a bousculé les équilibres.

Si les relations entre KMW et Rheinmetall sont plutôt fraîches, le quotidien Les Échos a récemment expliqué que l’industrie d’outre-Rhin est convaincue « d’avoir toutes les compétences nécessaires » pour réaliser le MGCS seule. Et la « guerre en Ukraine a conforté le sentiment que le français Nexter serait finalement le loup entré dans la bergerie allemande pour s’arroger son savoir-faire », écrit-il dans son édition du 20 mars dernier.

Enfin, cela vaut plutôt pour Rheinmetall qui, avec son nouveau char KF-51 « Panther », tente de torpiller le programme franco-allemand.

Reste que, même si les études se pousuivent dans le cadre de la phase SADS Part 1, le MGCS est embourbé et que l’horloge tourne. Et, à Paris, on commence à s’en inquiéter, comme l’a confié M. Lecornu aux députés.

« Je vois le programme [MGCS] prendre du retard et ça m’inquiéte. Je le dis devant vous avec beaucoup d’humilité, a-t-il dit, en répondant au député [RN] Christian Girard, lequel venait d’affirmer que l’industrie allemande cherchait à tirer de ces coopérations un « maximum d’avantages commerciaux ». « Ce que vous avez dit sur le MGCS, je ne le réfute pas complétement », a ajouté le ministre.

La semaine passée, dans les pages des Échos, M. Lecornu a indiqué qu’il rencontrerait prochainement son homologue allemand, Boris Pistorius, puour tenter de débloquer ce dossier. « Nous aurons besoin temporellement de la capacité qui succédera au char Leclerc […] entre 2035 et 2040. Il y a des enjeux de convergence technologique : je souhaite que le besoin militaire soit la base du cahier des charges industrielles, et non l’inverse. KNDS, entreprise franco-allemande, doit jouer un rôle central dans l’avenir du char de combat », a-t-il ajouté.

LPM: l’art de la glisse et du glissement, en dépit d’un budget en hausse de 40%

LPM: l’art de la glisse et du glissement, en dépit d’un budget en hausse de 40%

 

par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 6 avril 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/


Suite de mon post sur la LPM que j’avais titré « La Loi de programmation militaire aura du mal à suivre la cadence » et qui constatait les glissements annoncés sur certains programmes alors que, paradoxalement, le budget a pris 40% de hausse.

Le projet de loi et le rapport annexe permettent de mieux mesurer l’ampleur de ces glissements qui laissent la France au rang de « puissance échantillonnaire ». 

En particulier, le rapport annexe (dont les tableaux pages 6 et 7) permet de mesurer l’impact des décalages qui affectent les trois armées (cliquer sur les tableaux pour les agrandir):

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Quelques exemples de glissement:
200 chars Leclerc seront bien rénovés, dont 160 avant 2030. Mais la modernisation des 40 derniers exemplaires sera effectuée à l’horizon 2035,
– l’échéancier des livraisons des véhicules blindés (Jaguar, Griffon, Serval) a été revu. La mise en service des derniers blindés, qui sera reportée au-delà de 2030, concerne précisément 100 Jaguar (sur 300), 473 Griffon (sur 1827) ainsi que 633 Serval (sur 2038). Ce report de la livraison de 1206 véhicules blindés implique que la production va être étalée aussi,
mêmes glissements du côté de la Marine. La cible 2030 de FDI passe de 5 à 3, celle des drones SDAM passe de 15 à 8 et celle des avions de surveillance et d’intervention maritime Albatros passe de 13 à 8.
– en l’air, la situation n’est guère plus favorable. Pour le Rafale Air, la cible est réduite de 185 à 137 à l’horizon 2030. Pour les A400M et C130, la cible est réduite de 49 avions (35 A400M et 14 C-130 H et J) pour 2030 à 39 en 2035 (plus des ATASM, avion de transport d’assaut du segment médian).
Pour les drones MALE, la cible 2030 est réduite de 8 systèmes (24 drones) à 6 systèmes (18 drones), dont 5 systèmes Reaper et un système Eurodrone. Pour les avions de renseignement ALSR, la cible 2030 est réduite de 8 à 3 avions.
Enfin, seulement 20 hélicoptères Guépard/HIL sont annoncés pour 2030, et 70 en 2035. La cible de 169 machines ne figure même plus dans les documents.