Défaire la Russie : comment ?

Défaire la Russie : comment ?

par Olivier Dujardin – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°685 / juin 2025


 

©Agence Pappleweb – 2025

Dépenses militaires : l’Otan “très proche” d’un accord sur l’objectif des 5 % du PIB fixé par Trump

Dépenses militaires : l’Otan “très proche” d’un accord sur l’objectif des 5 % du PIB fixé par Trump

L’Otan est “très proche” d’un accord pour augmenter ses dépenses de défense, a déclaré jeudi le patron du Pentagone, Pete Hegseth, en déplacement à Bruxelles. Le ministre a salué les progrès vers l’objectif fixé par Donald Trump : 5 % du PIB de chaque pays allié consacré à la défense.

Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth (à droite), lors d'une réunion des ministres de la Défense de l'Otan au siège de l'organisation, le 5 juin 2025 à Bruxelles.
Le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth (à droite), lors d’une réunion des ministres de la Défense de l’Otan au siège de l’organisation, le 5 juin 2025 à Bruxelles. © Nicolas Tucat, AFP

Pete Hegseth a affiché son contentement. L’Alliance atlantique est “très proche” d’un accord pour dépenser beaucoup plus pour sa sécurité, s’est félicité jeudi 5 juin le ministre américain de la Défense, venu en mission au siège de l’organisation à Bruxelles pour convaincre ses alliés européens de la nécessité de ne plus dépendre des États-Unis.

La raison pour laquelle je suis ici est de m’assurer que tous les pays de l’Otan comprennent que (…) chaque pays doit contribuer à hauteur de 5 %“, a martelé l’ancien journaliste de Fox News, à trois semaines d’un sommet de l’Otan qui doit en décider.

Le président américain Donald Trump exige des alliés européens et du Canada qu’ils s’engagent à consacrer au moins 5 % de leur produit intérieur brut (PIB) à leur défense, sous peine de ne plus garantir leur sécurité. Et l’objectif semble en voie d’être atteint, a assuré Pete Hegseth devant quelques journalistes.

De la France à l’Allemagne, aux pays Baltes, aux pays nordiques, à la Pologne, à la Grèce, à la Hongrie, et tant d’autres, l’engagement est là : 5 % de dépenses de défense“, a-t-il encore affirmé. Un engagement qu’il juge indispensable au moment où Washington réclame des Européens qu’ils prennent leur sécurité en mains.

Il ne peut s’agir de dépendre de l’Amérique”

Notre message restera clair. Il s’agit de la dissuasion et de la paix par la force, mais pas de la dépendance. Il ne peut s’agir et ne s’agira pas de dépendre de l’Amérique dans un monde où les menaces sont nombreuses“, a ainsi averti le ministre américain.

Inquiet d’un éventuel désengagement américain de leur continent, et face à la menace russe, les Européens se disent prêts à augmenter leurs dépenses militaires. Mais tous n’affichent pas la même volonté.

Le secrétaire général de l'Otan, Mark Rutte, et le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, avant une réunion des ministres de la Défense au siège de l'Otan, à Bruxelles, le 5 juin 2025.
Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, et le ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, avant une réunion des ministres de la Défense au siège de l’Otan, à Bruxelles, le 5 juin 2025. © Nicolas Tucat, AFP

Il y a quelques pays qui ne sont pas encore tout à fait là. Je ne citerai aucun nom, nous ne le faisons pas entre amis dans cette salle. Nous les y amènerons“, a assuré sur ce point Pete Hegseth.

Plusieurs pays de l’Otan, dont l’Espagne, la Belgique ou l’Italie, peinent déjà à atteindre l’objectif de 2 % fixé il y a plus de dix ans lors d’un précédent sommet de l’Alliance. Moins sensibles à la menace russe, ils rechignent à s’engager sur des pourcentages aussi élevés.

La ministre espagnole de la Défense, Margarita Robles, a toutefois assuré jeudi que Madrid n’opposerait pas de veto à cette hausse sans précédent, même si l’Espagne continue à s’opposer aux pourcentages réclamés par Donald Trump.

Le calcul de Mark Rutte

Pour assurer le succès du sommet de La Haye, le secrétaire général de l’Otan Mark Rutte a proposé un chiffre global de 5 %, mais sous la forme d’une addition de deux types de dépenses.

Il a confirmé jeudi vouloir porter le niveau des dépenses militaires stricto sensu à 3,5 % du PIB d’ici 2032, et dans le même temps de porter à 1,5 % du PIB toutes celles liées à la sécurité, au sens large, comme la protection aux frontières, la mobilité militaire ou encore la cybersécurité.

Cet objectif apparaît plus facilement atteignable dans la mesure où il concerne des dépenses duales, civiles et militaires, déjà engagées ou prévues par les États.

L‘objectif de 3,5 % correspond, lui, au financement des capacités indispensables pour assurer la défense de l’Otan au cours des prochaines années, au moment où la Russie ne cesse de renforcer son armée.

Et en dépensant 5 % de leur PIB pour leur sécurité, les Alliés augmenteront de 30 % leurs capacités à se défendre, a assuré un responsable militaire de l’Otan.

Nous vivons dans un monde plus dangereux“, a averti Mark Rutte devant la presse, à l’issue de cette réunion. Et si l’Otan ne fait rien, elle ne sera plus en sécurité, a-t-il mis en garde. Mais “je suis persuadé que nous y arriverons”, a-t-il insisté.

Pete Hegseth, absent mercredi lors d’une session de travail avec l’Ukraine, n’a pas attendu la fin de cette réunion, et a quitté l’Otan jeudi en fin de matinée. Il a également renoncé à participer au déjeuner de travail prévu avec ses collègues de l’Alliance et son homologue ukrainien Roustem Oumerov.

Avec AFP

Warfighter 25 : La 1re Division de l’armée de Terre s’entraîne aux côtés de ses alliés américains

Warfighter 25 : La 1re Division de l’armée de Terre s’entraîne aux côtés de ses alliés américains

Direction : Terre / Publié le : 05 juin 2025

Dans un contexte stratégique mondial marqué par l’instabilité et la compétition entre puissances, l’armée de Terre accélère sa transformation vers le combat de haute intensité. La 1re Division participe à une série d’exercices militaires avec les forces armées américains, britanniques, allemands et belges, dans le cadre du cycle de préparation Warfighter.

 

Warfighter 25 : La 1re Division de l’armée de Terre s’entraîne aux côtés de ses alliés américains © armée de Terre


Au cœur de ce partenariat stratégique, les exercices CPX IICPX III puis Warfighter 25-4 marquent un jalon essentiel dans la transformation de l’armée de Terre en une force capable de conduire des opérations de grande ampleur, en autonomie comme en coalition. 

Un exercice sous commandement américain

Engagée dans un exercice de poste de commandement (Command Post Exercise – CPX) piloté par le 3e corps d’armée américain, la 1re Division affirme ses savoir-faire tactiques et opérationnels dans un environnement interarmées et interalliés. Suivi de Warfighter 25-4, cet entraînement rassemble plus de 5 000 soldats issus de différentes nationalités, dont 1 050 français. 

Une division prête au combat interarmées et multinational

Dans l’armée de Terre, une division est une unité forte composée de plus de 25 000 soldats, constituée de brigades et d’un état-major. Sur le camp de Mailly-le-Camp et en s’appuyant sur un scénario de guerre de haute intensité, les CPX permettent à l’état-major divisionnaire de renforcer sa capacité de planification, de coordination et de conduite des opérations sur l’ensemble du spectre des conflits. Cette montée en puissance opérationnelle s’inscrit dans la logique de la « Warfighting Division ».

Division « Europe » de l’armée de Terre, la 1re Division incarne l’ambition française de disposer d’une force apte à être déployée en moins de 30 jours, prête à affronter un adversaire de niveau équivalent.  À travers Warfighter 25-4, elle développe ses savoir-faire multi-milieux et multi-champs (M2MC) et s’exerce à coordonner ses actions dans les domaines terrestre, aérien, cyber, spatial, informationnel et électromagnétique face à un adversaire à parité. 

Pour en savoir plus sur les Corps et Divisions de l’armée de Terre 

Lien vers la page

Transformation de l’armée de Terre

Le combat de haute intensité impose une transformation profonde de l’approche opérationnelle de l’armée de Terre. Le rapport de force l’a contraint à changer de perspective, en passant d’une culture centrée sur la manœuvre de contact à une logique d’effets dans la profondeur. L’échelle des engagements évolue également : volumes logistiques, structure des grandes unités, volume des pertes, tout atteint une ampleur inédite. Le rythme des opérations s’accélère sous l’effet de la densité des capteurs et de l’intelligence artificielle, réduisant drastiquement les délais entre détection et frappe. 

Dans ce contexte, l’armée de Terre se doit de relever des défis majeurs : 

  • Soutien logistique sous contrainte ;
  • La protection à 360° ;
  • La coordination interarmées et interalliés ;
  • La résilience du commandement. La conduite des opérations offensives doit désormais s’adapter à ces nouvelles réalités. 

L’engagement de l’armée de Terre au sein du cycle Warfighter illustre le partenariat stratégique avec les forces armées américaines, et plus largement la cohésion entre alliés de l’Otan. La France contribue ainsi à la posture de dissuasion et de défense collective sur le flanc Est et Sud de l’Europe, en renforçant son interopérabilité avec ses alliés.  

 

 

Le Royaume-Uni a l’intention de se doter de douze nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque

Le Royaume-Uni a l’intention de se doter de douze nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque


En juillet, fraîchement nommé à la tête du gouvernement britannique, Keir Starmer confia à George Robertson, secrétaire général de l’Otan entre 1999 et 2003, le soin de diriger une commission chargée d’élaborer une nouvelle revue stratégique de défense [SDR].

Moins d’un an après, celle-ci vient de livrer soixante-deux recommandations, lesquelles visent à renforcer la préparation au combat des forces britanniques.

« Lorsque nous sommes directement menacés par des États dotés de forces militaires avancées, le moyen le plus efficace de les dissuader est d’être prêt. Et, franchement, il s’agit de leur montrer que nous sommes prêts à imposer la paix par la force », a ainsi résumé M. Starmer, ce 2 juin. Il s’agit également de « renforcer la sécurité de la zone euro-atlantique ».

Plus tôt, le secrétaire britannique à la Défense, John Healey, avait expliqué que cette SDR consisterait à « envoyer un message à la Russie », qui incarne un danger « immédiat et urgent ». Mais pas seulement car la Chine y est décrite comme représentant un « défi complexe et persistant » pour les intérêts du Royaume-Uni tandis que l’Iran et la Corée du Nord sont perçus comme des « perturbateurs régionaux potentiellement hostiles ».

Cela étant, quelques recommandations de la SDR ont fait l’objet d’une communication ces derniers jours. Ainsi, le ministère britannique de la Défense [MoD] a déjà annoncé un investissement de 1,5 milliard de livres sterling pour ouvrir six usines dédiées à la production de munitions ainsi que la création, pour 1 milliard de livres sterling, d’un « commandement cybernétique et électromagnétique » [CyberEM] censé mettre en œuvre des « capacités numériques pionnières ».

La SDR insiste sur la nécessité de renforcer les capacités de frappe dans la profondeur, avec l’acquisition de 7 000 armes de longue portée, dont des missiles. D’ailleurs, un partenariat a déjà été scellé à cette fin avec l’Allemagne, l’objectif étant de développer un missile d’une portée de 2 000 km.

Dans le même temps, la dissuasion nucléaire britannique sera renforcée. Selon le Sunday Times, il est question d’acquérir des chasseurs-bombardiers F-35A au profit de la Royal Air Force, cette dernière devant renouer avec la capacité de mener des raids nucléaires, mission qu’elle n’assure plus depuis 1998. Or, cet appareil est certifié pour emporter l’arme nucléaire tactique B61-12 de conception américaine. Reste à voir comment cette mesure sera mise en œuvre.

En outre, le MoD a évoqué un investissement de 15 milliards de livres sterling pour financer « le programme souverain d’ogives nucléaires du Royaume-Uni pour les générations à venir ». Évidemment, la construction de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de type Dreadnought sera confortée.

Mais plus généralement, la Royal Navy devrait être la principale bénéficiaire de cette SDR, dans la mesure où cette dernière prévoit de la doter de vingt-cinq navires de premier rang, alors qu’elle n’en dispose que de quatorze actuellement, après le retrait prématuré de cinq frégates de Type 23 [classe Duke] entre 2021 et 2025. Le détail de ce renforcement n’a pas été précisé.

Cela étant, la mesure sans doute la plus forte est celle qui vise à faire passer de sept à douze le nombre de sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] mis en œuvre par la Royal Navy. Et cela en misant sur le pacte AUKUS [Australie, Royaume-Uni et États-Unis] car il s’agira de remplacer les actuels Astute par ceux de la future classe SSN-AUKUS, qui, pour le moment, n’existe que sur le papier.

Dans les faits, il s’agit de doubler la flotte de SNA britannique étant donné que, actuellement, seulement cinq sous-marin de la classe Astute sont censés être opérationnels : le sixième, le HMS Agamemnon, a été lancé en octobre tandis que le septième, le HMS Achilles [ex-HMS Agincourt] est encore en construction. En outre, le HMS Triumph, dernier SNA de la classe Trafalgar, est en passe d’être désarmé.

En août dernier, il a été rapporté qu’aucun des SNA de type Astute n’était en mesure de prendre la mer, notamment à cause de difficultés récurrentes pour assurer leur maintien en condition opérationnelle, faute de disposer de suffisamment de cales sèches.

Les nouveaux sous-marins SSN-AUKUS ne seront admis au service actif qu’à partir de la prochaine décennie. Selon le MoD, il est question de construire une unité tous les dix-huit mois, ce qui semble très ambitieux quand on sait que le HMS Astute, premier de la série, a été déclaré opérationnel il y a près de seize ans… et que le dernier n’a pas encore quitté son chantier naval.

« Afin de répondre aux exigences de ce programme élargi, le gouvernement travaille en étroite collaboration avec ses partenaires industriels pour élargir rapidement les possibilités de formation et de développement, avec l’objectif de doubler le nombre d’apprentis et de diplômés dans les secteurs de la défense et du nucléaire civil. Cela se traduira par la création de 30 000 postes d’apprentis et de 14 000 emplois au cours des dix prochaines années », fait valoir le MoD.

Mais construire des SNA est une chose : encore faut-il qu’ils aient un équipage. Or, la Royal Navy peine à recruter des sous-mariniers et, plus encore, à les fidéliser.

Sur ce point, la SDR n’a pas oublié la nécessité d’améliorer la condition militaire : celle-ci devrait bénéficier d’un bonus de 1,5 milliard de livres sterling dans les prochaines années. Ce qui peut sembler relativement modeste au regard des enjeux en matière de recrutement et de fidélisation.

Reste à voir si l’ambition affichée par le gouvernement britannique pourra être financée. A priori, il n’est pas question de porter les dépenses militaires à 5 % du PIB, comme l’envisage l’Otan, M. Healey s’étant contenté d’affirmer qu’il n’avait « aucun doute » sur le fait que l’objectif des 3 % du PIB serait atteint… d’ici 2034.

Photo : SSN-AUKUS

Pologne: États-Unis et Russie réconcilient les finalistes de la présidentielle

Pologne: États-Unis et Russie réconcilient les finalistes de la présidentielle

Des chars K2GF de l’armée polonaise  (Photo by Beata Zawrzel / NurPhoto / NurPhoto via AFP).

La Rand Corporation vient de diffuser un rapport sur la militarisation polonaise intitulé « Polish Armed Forces Modernization. A New Cornerstone of European Security?« , par Krystyna Marcinek et Scott Boston.

La posture militaire polonaise a fait porter la part du PIB consacré à la défense à 4,7% et ce blog s’en est souvent fait l’écho.

Cette inflexion stratégique s’est traduite par:
– la création de deux nouvelles divisions lourdes – portant le total à six – au sein des forces terrestres et leur dotation en véhicules blindés, artillerie et systèmes de défense aérienne avancés ;
– la création du Bouclier oriental, une fortification de la frontière polonaise face à la Biélorussie et au territoire russe de Kaliningrad ;
– le déploiement d’au moins 32 chasseurs F-35A, la modernisation de la flotte actuelle de chasseurs F-16, le déploiement d’un nouvel avion de chasse léger de fabrication coréenne et le réarmement complet de sa flotte d’hélicoptères d’attaque avec des hélicoptères AH-64E Apache ;
– l’acquisition de trois frégates modernes et l’étude de la possibilité de créer une petite force sous-marine ;
l’augmentation des effectifs militaires d’active de 100 000 en 2015 à 300 000 d’ici 2035, dont 150 000 en réserve d’ici 2039.

Présidentielle: convergence des candidats

L’issue du scrutin présidentiel polonais va-t-il provoquer une inflexion de cette politique volontariste de renforcement militaire?

Lors du 2e tour de la présidentielle qui a lieu ce dimanche, Karol Nawrocki, qui est soutenu par le principal parti d’opposition nationaliste Droit et Justice (PiS), affrontera le maire pro-européen de Varsovie Rafal Trzaskowski, le candidat des centristes au pouvoir dirigés par l’ancien responsable européen Donald Tusk.

Le résultat de ce 2e tour ne devrait pas provoquer de changement majeur en terme de politique étrangère et de défense.

Les positions des différents partis politiques sur ces questions sont convergentes, notamment avec le souhait partagé de maintenir des liens forts avec l’allié américain. Karol Nawrocki affirme ainsi que la Pologne « a besoin de la certitude qu’un futur président se préoccupera des relations polono-américaines ». Rafal Trzaskowski, le candidat du PO, a quant à lui déclaré que la Pologne devrait « s’efforcer d’établir la coopération la plus étroite possible entre les États-Unis, l’Union européenne et la Pologne, car ensemble, nous sommes une puissance ».

Face à la Russie, les deux finalistes polonais, en phase avec l’opinion publique, partagent la même hostilité vis-à-vis de Moscou. L’aversion envers Poutine transcende presque tous les clivages dans ce pays où la règle veut qu’un bon Polonais se méfie profondément de la Russie.

On se souviendra enfin que, selon le sondage Eurobazooka de mars dernier, 71% des Polonais estiment qu’une guerre éclatera, dans les prochaines années, en Europe. Et que 62% d’entre eux sont favorables à de forts investissements dans la défense.

Le char Leopard 2 face au feu : quand la réalité rattrape la légende

Le char Leopard 2 face au feu : quand la réalité rattrape la légende

par Elie Avot – armees.com – Publié le

leopard-2 | Armees.com

Depuis plus de quatre décennies, le char de combat principal Leopard 2 incarne l’excellence blindée allemande sur les théâtres d’opérations internationaux. Pourtant, la réalité de la guerre moderne, notamment en Ukraine, bouleverse les certitudes. Analyse stratégique d’un géant mécanique devenu symbole autant que sujet de controverse.

Un blindé né de la Guerre froide : naissance et développement du Leopard 2

Le Leopard 2 est le fruit d’un développement amorcé en 1965 par la firme Krauss-Maffei Wegmann (KMW) pour succéder au Leopard 1, jugé trop léger face aux chars soviétiques. Le premier prototype opérationnel voit le jour en 1976, et l’entrée en service s’effectue en 1979 dans la Bundeswehr.

Conçu pour l’engagement rapide, la puissance de feu et la survivabilité, le Leopard 2 s’impose rapidement comme une référence en matière de char de bataille principal (MBT – Main Battle Tank). Il est équipé d’un canon Rheinmetall de 120 mm lisse, de deux mitrailleuses de 7,62 mm, d’un blindage composite modulaire et d’un moteur V12 turbodiesel MTU capable de lui assurer une vitesse de 72 km/h sur route (Strategic Bureau).

Modèles et évolutions : une famille en constante mutation

Depuis sa version initiale Leopard 2A0, le char a connu de multiples modernisations : 2A1 à 2A8. Chacune a apporté des améliorations sur l’électronique de bord, la conduite de tir, la protection balistique ou la mobilité.

Le Leopard 2A4, largement exporté, demeure l’un des plus répandus. Le modèle 2A6 intègre un canon allongé L/55, tandis que le récent 2A7+ vise les conflits asymétriques, avec un renforcement de la protection contre les mines et les engins explosifs improvisés (IED). Un projet Leopard 2A8, plus furtif, axé sur les capteurs actifs et la guerre en réseau, est actuellement en développement (The Canadian Encyclopedia).

Un char de projection : utilisations et déploiements

Le Leopard 2 n’est pas resté cantonné aux casernes. Il a été engagé dans des missions de l’OTAN, notamment :

  • En Kosovo, dans le cadre de la KFOR (Forces pour le Kosovo),
  • En Afghanistan, par les forces canadiennes à partir de 2007, où il a démontré sa puissance mais aussi les limites de son poids et de sa consommation logistique,
  • Dans des exercices conjoints en Pologne, en Lituanie ou en Norvège dans le cadre de la dissuasion sur le flanc Est de l’Alliance atlantique.

Plus de 18 pays ont intégré ce char à leur arsenal, dont le Canada, la Suède, la Finlande, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, la Grèce ou encore le Qatar.

Front de l’Est : la rude épreuve de la guerre en Ukraine

En 2023, face à l’escalade de la guerre en Ukraine, l’Allemagne décide de livrer 18 Leopard 2 à Kiev, en parallèle des chars Abrams américains et Challenger 2 britanniques. Un geste politique fort, mais une efficacité opérationnelle rapidement mise en question.

Sur le terrain, les retours sont amers. Dans une réunion confidentielle rapportée par The Telegraph, un diplomate allemand révèle les difficultés rencontrées : « les Ukrainiens peinent à utiliser ces armes lourdes », du fait de leur complexité mécanique et de l’absence de chaînes de maintenance de proximité (L’Indépendant).

Les Leopard 2 sont jugés « vulnérables aux drones », « difficiles à réparer », et surtout « inadaptés au terrain sans appui aérien », selon l’analyste Sergej Sumlenny. Il évoque un design trop complexe, issu de bureaux d’études « n’ayant jamais connu le champ de bataille ».

Le coût logistique est tel que certaines unités doivent être renvoyées jusqu’en Pologne pour réparation. L’expression qui revient sur le front : « un fardeau trop lourd à porter ».

Un futur à redéfinir : entre modernisation et redimensionnement

Face aux limites exposées en Ukraine, les concepteurs de Rheinmetall et KMW s’attèlent à repenser les capacités du Leopard 2. Plusieurs pistes sont évoquées :

  • Allègement de la structure et renforcement des systèmes anti-drones.
  • Intégration de technologies issues de la robotique militaire et de l’IA.
  • Mutualisation des chaînes logistiques avec d’autres plateformes de l’OTAN.

Par ailleurs, l’Eurotank, projet franco-allemand, envisage une fusion technologique entre le Leopard 2 et le futur char MGCS (Main Ground Combat System). Cette alliance stratégique pourrait redéfinir la prochaine génération de blindés européens d’ici 2035 (NATO Review, 14 avril 2025).

Le Leopard 2, longtemps vu comme un standard du char de bataille moderne, traverse une zone de turbulence. Si ses performances en terrain ouvert restent redoutables, son adaptation aux conflits asymétriques et aux nouvelles menaces technologiques est remise en cause. L’avenir du Leopard passera soit par une réinvention profonde, soit par sa fusion dans un programme européen de rupture.

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones.

par Adélaïde Motte – armees.com – Publié le
parade, drone
Les capacités anti-drones de l’armée française : état des lieux et perspectives | Armees.com

Alors que les drones s’imposent comme des armes majeures dans les conflits modernes, l’armée française renforce discrètement mais résolument ses capacités de lutte anti-drones. De la guerre en Ukraine aux tensions en zone sahélienne, les microdrones armés ou kamikazes redéfinissent les menaces. Où en est la France ? Quels moyens déploie-t-elle pour y faire face ? Et quelles sont les pistes explorées pour rester dans la course technologique ?
drones

Avec les drones, la menace change d’échelle

L’ère du drone est bel et bien entrée dans sa phase de généralisation. Longtemps cantonnés à des missions de surveillance stratégique ou à des frappes ponctuelles dans des zones à haut risque, les drones sont devenus des armes omniprésentes sur le champ de bataille. Leur utilisation massive dans la guerre russo-ukrainienne a bouleversé les doctrines militaires. Qu’ils soient de simples quadricoptères commerciaux équipés de grenades ou des munitions rôdeuses complexes, les drones représentent une menace à bas coût et à fort impact.

Cette prolifération de drones, notamment dans les conflits asymétriques, oblige les armées modernes à repenser en profondeur leur défense. L’armée française n’échappe pas à cette exigence. Des unités conventionnelles aux postes avancés dans la bande sahélo-saharienne, les forces françaises sont confrontées à des incursions de drones bon marché mais redoutables, capables de perturber des opérations, de désorganiser des convois ou de cibler des personnels. La maîtrise de l’espace aérien à basse altitude est devenue un enjeu vital.

Parade : le programme central du ministère des Armées

Face à cette évolution, la France a lancé dès 2021 le programme PARADE (Protection déployAble modulaiRe Anti-DronEs), piloté par la Direction générale de l’armement (DGA). Il s’agit du premier programme anti-drones industriel et modulaire à grande échelle adopté par les armées françaises.
Attribué au tandem Thales–CS Group, PARADE vise à équiper les bases militaires, les emprises sensibles et les événements majeurs (Jeux Olympiques 2024, notamment) d’une solution complète de lutte anti-drones. Il combine plusieurs briques technologiques :

  • Détection : radar, capteurs acoustiques, optroniques et radiofréquences pour identifier des objets volants de petite taille dans un rayon d’environ 3 à 5 km.
  • Identification : capacité à discriminer le type de drone, son comportement, sa trajectoire, sa charge éventuelle.
  • Neutralisation : utilisation de brouilleurs (jamming), de leurrage GNSS, et à terme, de lasers ou d’intercepteurs physiques (drones chasseurs ou projectiles dédiés).

PARADE est conçu pour être déployable en moins de 15 minutes, transportable par véhicule léger, et interopérable avec les systèmes de commandement existants. L’objectif est clair : sécuriser les forces et les installations dans un environnement saturé de menaces aériennes de très basse altitude.

Des solutions portatives pour les forces déployées

En complément des dispositifs fixes comme PARADE, les forces françaises disposent aussi d’équipements portatifs ou tactiques, adaptés aux opérations de terrain.

Parmi eux, le Brouilleur NEROD-F5 (développé par MC2 Technologies) s’impose comme une référence. Cet appareil, ressemblant à un fusil, permet de brouiller à distance les liaisons entre un drone et son opérateur, ou de bloquer son GPS. Il est déjà utilisé dans des unités comme le GIGN, certaines forces spéciales, ou des groupes en mission Sentinelle.

Plusieurs unités conventionnelles, y compris en régiments d’infanterie, sont désormais dotées de versions allégées de ce type de brouilleur, faciles à transporter et à déployer rapidement. L’efficacité de ces armes électroniques dépend toutefois fortement du type de drone et de son niveau d’autonomie : les drones préprogrammés ou fonctionnant en mode GPS-free sont plus difficiles à neutraliser. La quantité de matériels reste cependant très limitée et l’entrainement à la lutte anti-drone reste embryonnaire hors unités spécialisées.

Des menaces asymétriques en constante mutation

La principale difficulté pour les armées réside dans l’imprévisibilité de la menace. Les adversaires non étatiques — groupes armés terroristes ou insurgés — n’ont ni doctrine, ni modèle fixe. Ils adaptent en permanence leur usage des drones :

  • Commercialisation de masse : des quadricoptères DJI achetés en ligne peuvent être modifiés pour larguer des charges ou se transformer en projectiles.
  • Munitions artisanales : en Ukraine ou en Syrie, on a vu des drones porter des obus de mortier, des grenades thermobariques, voire des charges creuses.
  • Approches suicides : de plus en plus de groupes utilisent des drones kamikazes, agissant comme des missiles de croisière low-cost.

Ces évolutions posent de redoutables défis techniques. Un drone de 250 g en fibre plastique, volant à 50 km/h, à 15 m d’altitude, est difficile à détecter au radar. Le risque ne concerne plus seulement les installations stratégiques, mais chaque patrouille, chaque checkpoint, chaque base avancée.

Vers une panoplie technologique complète : laser, IA, drones intercepteurs

Le ministère des Armées prépare déjà l’étape suivante. L’objectif est de disposer à l’horizon 2025-2030 d’un système multi-couches intégrant plusieurs technologies complémentaires.

Le laser, arme silencieuse du futur ?

Le programme HELMA-P (High Energy Laser for Multiple Applications – Prototype), développé par Cilas (groupe Ariane), vise à doter l’armée d’un laser de puissance capable de détruire en vol des mini-drones. Testé avec succès sur des cibles mobiles, il a été déployé en expérimentation pendant les JO 2024. Ses avantages :

  • Neutralisation rapide (moins d’une seconde sur un petit drone),
  • Aucune munition à transporter,
  • Faible coût à l’usage.
    Ses limites restent la portée (quelques centaines de mètres) et la dépendance aux conditions météo. Cependant, son efficacité a conduit la DGA (Direction Générale de l’Armement) à commander des systèmes supplémentaires pour équiper les 3 armées françaises.

L’intelligence artificielle, aide à la détection

La DGA mise également sur des solutions d’intelligence artificielle embarquée, capables de reconnaître automatiquement un comportement suspect (trajectoire d’approche, survol anormal, etc.) et de signaler une alerte en moins d’une seconde. Plusieurs start-ups françaises travaillent sur ces algorithmes, avec un effort particulier sur le traitement d’images en temps réel.

Drones contre drones

Enfin, les intercepteurs autonomes suscitent un intérêt croissant. Ces « drones chasseurs » sont conçus pour localiser, poursuivre, puis neutraliser un drone hostile, soit par collision, soit par filet. Plusieurs prototypes sont en cours d’évaluation en France. Ils permettraient une riposte dynamique, mobile, et réutilisable.

Une coopération européenne et OTAN essentielle

La lutte anti-drones dépasse les capacités nationales. En 2023, la France a intégré le programme européen JEY-CUAS (Joint European sYstem for Countering Unmanned Aerial Systems), aux côtés de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Espagne. Objectif : développer une doctrine commune, tester des briques technologiques, et mutualiser les retours d’expérience.

Au sein de l’OTAN, la France participe aussi à la définition des standards de détection, de brouillage, de couverture radar basse altitude, et à l’intégration des moyens anti-drones dans les réseaux C2 interalliés.

L’enjeu : ne pas rater la “prochaine guerre”

Comme l’a récemment rappelé le chef d’état-major des armées, le général Thierry Burkhard, lors d’une audition au Sénat : « Celui qui dominera l’espace aérien à basse altitude dominera le champ tactique. »

La guerre en Ukraine en est la preuve vivante : les drones ont inversé des rapports de force, détecté des unités d’élite, précipité des pertes massives. Une guerre de haute intensité demain, avec des essaims de drones en première vague, exigerait une défense très en amont. Ne pas posséder cette capacité reviendrait à exposer ses troupes et à renoncer à l’initiative.

La France, avec ses choix industriels (PARADE, HELMA-P, drones intercepteurs), avance vite — mais ses adversaires aussi. La compétition est permanente, agile, low cost. La lutte anti-drones est donc bien plus qu’un sujet technique : c’est une question stratégique, de souveraineté, et de survie tactique.

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

3,5+1,5= 5: les pays de l’Otan condamnés à augmenter leurs dépenses militaires

Des paras du 503rd Infantry Regiment, de la 173rd Airborne Brigade, à Pabradė Training Area, Lituanie, en mai, lors de  Swift Response 2025. (U.S. Army photo by Sgt. Jose Lora)


Depuis la présidence de Barack Obama, les États-Unis exigent de leurs alliés de l’Alliance atlantique des efforts financiers conséquents. Actuellement, ces efforts visant à renforcer les engagements budgétaires sont soumis à l’intense pression de l’administration Trump, qui se plaint que les États-Unis assument une part trop importante du coût de la sécurité européenne.

Mark Rutte, le secrétaire général de l’Otan, était à Dayton (USA), lundi, pour la réunion de printemps de l’assemblée parlementaire de l’Otan. « Nous finalisons un plan pour augmenter dramatiquement les dépenses de défense de l’Alliance », a-t-il confirmé, précisant qu’au prochain sommet de l’Otan, en juin, à La Hague, les responsables politiques devront « prendre des décisions pour rendre l’Alliance atlantique plus forte, plus équilibrée et plus létale. « Nous devons agir maintenant et renforcer nos défenses. Reporter ces décisions serait dangereux ».

Les dirigeants de l’Otan doivent effectivement se réunir les 24 et 25 juin. Il s’agira de fixer de nouveaux objectifs en matière de capacités militaires et surtout de répondre à la question du montant que les membres doivent consacrer à la défense. Washington exige que les Etats membres consacrent au moins 5% de leur Produit intérieur brut (PIB) à leur défense d’ici 2032 et menace ses alliés d’un possible désengagement, une menace brandie régulièrement comme une épée de Damoclès. L’ambassadeur américain auprès de l’Otan, Matthew Whitaker, a récemment laissé entendre qu’après le sommet de juin (auquel Trump n’a pas confirmé sa présence), des discussions pourraient s’ouvrir sur le maintien ou l’adaptation du dispositif US en Europe.

Pete Hegseth et Mark Rutte au Pentagone, Washington, D.C., en avril. (DoD photo by U.S. Navy Petty Officer 1st Class Alexander Kubitza)


Mark Rutte est soutenu par des chefs d’Etat et de gouvernement des pays de l’Otan, comme l’Allemand Friedrich Merz qui a déclaré récemment que « les capacités de défense européennes doivent être renforcées à long terme et notre industrie de défense doit accroître ses capacités ».

Mais atteindre la cible des 5% n’est pas à la hauteur de tous les pays européens membres de l’Alliance. Seule la Pologne est proche de l’objectif de 5% exigé par Washington avec 4,7%, et elle a promis de l’atteindre dès l’an prochain, à l’instar des pays baltes. Encore faut-il que le résultat du 2e tour de la présidentielle polonaise du 1er juin soit favorable au  maire pro-européen de Varsovie.

Un pour cent de PIB en plus représente 200 milliards d’euros pour l’ensemble des pays de l’UE, dont 23 sont membres de l’Otan, selon le commissaire européen à la Défense Andrius Kubilius.

D’où le plan hybride concocté à Bruxelles.

3,5% ou 5%?

Le secrétaire général de l’Otan propose en effet que les pays membres acceptent de porter la part de leur PIB consacrée à la défense à 5%.

Mais ce niveau de 5% serait atteint en faisant l’addition de deux types de dépenses:
– d’abord des dépenses militaires stricto sensu à 3,5% du PIB d’ici 2032,
– ensuite, au-delà de cet objectif – déjà ambitieux – de 3,5%, Mark Rutte souhaite que les pays de l’Otan portent à 1,5% de leur PIB leurs dépenses liées à la sécurité au sens large, comme la protection des frontières, la mobilité militaire, la sécurité maritime ou encore la cybersécurité.

Quid de la France?

Avec un PIB à 2 600 milliards d’euros en 2024, un budget militaire à 5 % représenterait au bas mot quelque 130 milliards d’euros, soit un budget des Armées en hausse de 80 milliards d’euros.

Actuellement, le président Macron s’en tient donc aux 3,5% de dépenses militaires stricto sensu et au 1,5% financé par des dépenses annexes (cyber, infrastructures, etc.). Avec ses 2,1 % actuels, la France devrait quand même faire passer le budget de ses armées de 50,5 milliards (pour 2025) à 100 milliards d’euros pour être à 3% et à 122 milliards pour être à 3,5% du PIB.

« Nous continuons d’augmenter, nous allons augmenter, et j’annoncerai dans les semaines à venir, des décisions pour l’année en cours et l’année prochaine », a indiqué Emmanuel Macron, le 17 mai.

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

L’Arctique, « miroir des tensions internationales »

par Virginie Saliou – IHEDN – Interview – mai 2025

Nouvelles routes maritimes, militarisation, statut des navires et exploitation des ressources : Virginie Saliou, chercheuse en sécurité maritime à l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), nous éclaire sur l’Arctique, un territoire stratégique devenu le théâtre de rivalités croissantes entre grandes puissances.

Virginie Saliou, chercheuse en sciences politiques spécialisée en gouvernance maritime, est titulaire d’un doctorat sur le gouvernement de la mer. Elle combine un parcours académique de haut niveau et une expérience de conseillère stratégique auprès de ministères. Titulaire de la chaire « Mers, Maritimités et Maritimisations du Monde » de Sciences Po Rennes, elle enseigne la géopolitique des espaces maritimes et le droit de la mer à l’ENSTA Brest et à l’Ecole navale.

Pour l’IHEDN, elle décrypte les impacts géopolitiques de la fonte des glaces en Arctique, une région désormais au cœur des rivalités internationales. Elle analyse notamment les nouvelles dynamiques de compétition entre grandes puissances, et le rôle clé des acteurs comme l’Union européenne, l’OTAN, la Russie et la Chine dans cette course aux ressources et à l’influence.

© Sciences Po Rennes
© Sciences Po Rennes

Comment la fonte des glaces en Arctique alimente-t-elle la compétition géopolitique entre grandes puissances ?

Il est essentiel de souligner que la compétition en Arctique est souvent surévaluée. Bien que la fonte des glaces soit réelle et s’accélère, cette évolution est fréquemment exagérée, notamment en ce qui concerne l’ouverture des routes maritimes et la rivalité dans la région. Certaines routes s’ouvrent partiellement, mais elles n’entraînent pas nécessairement un gain de temps significatif ni une transformation majeure du commerce maritime international. Cela n’empêche cependant pas les acteurs régionaux et extra-régionaux de s’y intéresser. Par exemple, la Russie souhaite développer ces routes, en particulier pour le commerce de ses hydrocarbures, principalement destinés à la Chine et à l’Asie. Toutefois, ces routes ne sont pas destinées à devenir des axes de transit pour le commerce international, mais plutôt des voies de destination spécifiques.

Par ailleurs, les États riverains de l’océan Arctique respectent la Convention de Montego Bay et se sont officiellement engagés à la mettre en œuvre en Arctique depuis 2008, avec pour effet une répartition claire des ressources maritimes. Il n’y a donc pas de véritable conflit sur les zones économiques exclusives (ZEE), chaque État ayant des droits sur les ressources situées dans sa propre ZEE.

Quant à l’extension du plateau continental, les États peuvent demander des droits supplémentaires sur les ressources si la continuité géologique de leur plateau terrestre vers la mer est prouvée. Ces demandes sont souvent simultanées, et un accord bilatéral est nécessaire pour valider l’extension, ce qui a conduit à des coopérations plutôt qu’à des conflits, comme le montrent les accords entre la Norvège et la Russie ou le Danemark et le Canada. La seule réelle dispute qui demeure concerne la délimitation maritime entre les États-Unis et le Canada. En 2024, les États-Unis ont annoncé leur demande d’extension du plateau continental en Arctique, chevauchant les prétentions des voisins, ce qui pourrait devenir un sujet de discorde.

Certains États « souhaitent limiter la liberté de passage »

L’ouverture des routes maritimes a aussi créé un litige sur le statut des navires qui les emprunteraient : faut-il accorder une liberté totale de navigation, comme le réclament les États-Unis et l’Union européenne (UE), ou bien un contrôle strict, comme le préfèrent le Canada et la Russie ? Les préoccupations environnementales, notamment les risques accrus d’accidents liés aux conditions difficiles de navigation, poussent ces derniers à vouloir limiter le passage et à exercer un contrôle.

Selon les lois internationales, la responsabilité des zones de recherche et de sauvetage incombe aux États côtiers, ce qui confère un rôle central à la Russie et au Canada. Étant les États directement concernés par tout accident maritime sur leurs littoraux, ce sont eux qui devraient déployer les moyens nécessaires pour les opérations de secours. Dans ce contexte, le Canada et la Russie souhaitent limiter la liberté de passage dans ces zones et exercer un certain contrôle sur les routes maritimes, afin de mieux gérer les risques et protéger leurs intérêts. Par ailleurs, l’article 243 de la Convention de Montego Bay permet d’imposer des restrictions de navigation dans les zones polaires pour des motifs environnementaux, soutenant ainsi les préoccupations de ces pays.

« Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie »

Sur le plan militaire, l’Arctique est crucial pour la Russie, non seulement pour ses exportations d’hydrocarbures, mais aussi pour ses objectifs stratégiques. Environ 12 % du PIB russe provient de cette région, et 80 % de ses hydrocarbures y sont extraits. Cela justifie la nécessité, selon la Russie, de sécuriser cet espace. L’Arctique est également le seul point de passage stratégique pour la flotte russe, lui permettant d’accéder à l’océan mondial sans négocier avec d’autres États. Sa flotte du Nord est donc d’une importance capitale, notamment pour les sous-marins et la dissuasion nucléaire. La stratégie russe en Arctique repose sur une défense renforcée, l’utilisation de la dissuasion et un contrôle strict des accès. Depuis les années 2000, Vladimir Poutine a engagé une remilitarisation progressive de la région, renforcée par la mise en place de bases militaires et de zones de brouillage.

Dans quelle mesure la reconfiguration des rapports de force dans la région accroît-elle les risques d’escalade, et quels défis cela soulève-t-il ?

La Russie a souhaité réinvestir l’Arctique à des fins économiques et militaires, ce qui a entraîné des réactions des autres acteurs. Cela a mené à des initiatives telles que la réactivation de la 2e flotte des États-Unis et la multiplication des déclarations politiques américaines, faisant de l’Arctique une zone stratégique à réinvestir. Le Canada, de son côté, a annoncé le renforcement de sa flotte de brise-glaces, bien que cet engagement soit resté plutôt symbolique, sans suivi concret. Une escalade verbale a eu lieu, certains acteurs affirmant l’importance stratégique de la région, mais l’impact opérationnel de ces déclarations reste incertain.

En Russie, bien que des annonces aient été faites pour réinvestir la flotte du Nord, ces promesses n’ont pas été pleinement concrétisées, en grande partie à cause de la guerre en Ukraine. Les acteurs voisins observent qu’un engrenage défensif semble se mettre en place : l’armement de l’un entraîne celui des autres. Cependant, cette dynamique reste contenue pour l’instant. L’Arctique est un miroir des tensions internationales, sans engendrer une véritable compétition pour la région elle-même.

« Un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine »

Un autre acteur a émergé dans cet espace : la Chine, qui suscite de plus en plus de préoccupations. Au début des années 2000, la Chine considérait l’Arctique comme un espace international, sans droits particuliers pour les États riverains. Mais au fil du temps, elle a signé des accords économiques et scientifiques, en particulier avec la Russie dans le secteur des hydrocarbures.

En 2013, la Chine devient Observateur au Conseil de l’Arctique et annonce les « routes polaires de la soie » en 2018. Elle se déclare ensuite « État proche de l’Arctique » et plus récemment « État partie prenante », renforçant ses intérêts dans la région. Bien que la Chine déploie sa présence militaire de manière limitée, son intérêt économique est perçu comme une menace par les États-Unis, transformant l’Arctique en un terrain d’affrontement indirect dans la compétition sino-américaine, notamment autour du Groenland.

« L’OTAN continue d’y mener des exercices réguliers »

L’OTAN, quant à elle, continue de mener des exercices réguliers en Arctique depuis la fin de la guerre froide, impliquant principalement les États riverains, notamment la Norvège. Ces exercices, de mise en condition opérationnelle extrême mais aussi de démonstration de force, montrent à la Russie l’intérêt pour cette zone. La Russie y répond également par des exercices similaires. Les récentes tensions politiques, comme celles générées sous l’administration Trump, n’ont d’ailleurs pas eu de répercussions sur les activités opérationnelles dans la région.

Dans ce contexte, quel rôle l’Union européenne et la France peuvent-elles jouer pour promouvoir un ordre multilatéral et durable en Arctique ?

L’Union européenne, bien qu’elle ne soit pas membre observateur du Conseil de l’Arctique, a exprimé plusieurs fois son désir de rejoindre cette instance. Cela limite néanmoins sa capacité d’influence directe. L’UE cherche à investir la question arctique et dispose notamment d’un ambassadeur pour l’Arctique, mais sa position sur l’Arctique tarde à être précisément définie et son rôle demeure limité. Certains de ses États membres sont pourtant impliqués dans les instances de gouvernance pour cette région. L’UE a cependant pris position sur des enjeux environnementaux et de sécurité maritime, puis plus récemment à travers sa « Boussole stratégique », où ces sujets sont abordés. Sa position reste toutefois en évolution.

La France, quant à elle, est plus clairement engagée en Arctique. Observateur du Conseil de l’Arctique depuis les années 2000, elle participe activement aux travaux de cette instance. En matière de défense, la France pratique la navigation dans la région pour maintenir l’Arctique comme une zone de liberté de circulation. Elle entend également contribuer à la coopération internationale dans cette région, en mettant en avant sa stratégie polaire et grâce à son ambassadeur dédié. En soutenant les initiatives régionales et en défendant l’application de la Convention de Montego Bay, la France pourrait renforcer son rôle dans cette zone.

Le ministre allemand de la Défense n’exclut pas de rétablir le service militaire obligatoire

Le ministre allemand de la Défense n’exclut pas de rétablir le service militaire obligatoire


En juin 2022, ayant annoncé la création d’un fonds de soutien doté de 100 milliards d’euros pour combler les lacunes capacitaires de la Bundeswehr, Olaf Scholz, alors chef du gouvernement allemand, affirma que l’Allemagne allait créer la « plus grande armée conventionnelle dans le cadre de l’Otan en Europe ».

Quelques semaines plus tard, lors d’un discours prononcé devant les cadres de la Bundeswehr, M. Scholz justifia cette intention. « En tant que nation la plus peuplée, dotée de la plus grande puissance économique et située au centre du continent, notre armée doit devenir le pilier de la défense conventionnelle en Europe, la force armée la mieux équipée d’Europe », avait-il expliqué.

Cela étant, dépenser d’importantes sommes d’argent pour réparer un outil militaire longtemps négligé ne suffit pas : encore faut-il que cela soit accompagné par des efforts en matière de préparation opérationnelle, de soutien, de recrutement et de formation.

Or, en matière de recrutement et de fidélisation, la Bundeswehr est à la peine, avec seulement 180 000 militaires alors qu’il lui en faudrait au moins 75 000 de plus pour lui permettre de tenir ses engagements à l’égard de l’Otan. D’où l’idée d’instaurer un service militaire volontaire, en s’inspirant, dans les grandes lignes, du modèle en vigueur en Suède.

Cette mesure, défendue par Boris Pistorius, reconduit à la tête du ministère allemand de la Défense par le nouveau chancelier, Friedrich Merz, sera-t-elle suffisante ? Rien n’est moins sûr…

Comme son prédécesseur, M. Merz a dit vouloir doter l’Allemagne de « l’armée conventionnelle la plus puissante d’Europe »… et être prêt à y mettre beaucoup de moyens pour atteindre cet objectif. « Compte tenu des dangers qui menacent notre liberté et la paix sur notre continent, le mot d’ordre pour notre défense doit être : quoi qu’il en coûte ! », a-t-il pu dire.

Le débat sur le rétablissement de la conscription, suspendue en 2011 [une « erreur » pour M. Pistorius, ndlr], est récurrent outre-Rhin. Mais, depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il a pris une tout autre ampleur.

« La suspension de la conscription ne correspond plus à la situation de menace actuelle », a ainsi récemment estimé Florian Hahn, le porte-parole de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne [CDU/CSU]pour les affaires de défense. « Sans une sorte de nouvelle obligation de servir, nous ne parviendrons pas à recruter et à fidéliser le personnel dont nous avons besoin », a abondé le colonel André Wüstner, le président de l’Association de la Bundeswehr. Ex-commissaire parlementaire aux forces armées, Eva Högl, du Parti social-démocrate [SPD] ne dit pas autre chose…

Aussi, l’idée de rétablir le service militaire obligatoire en Allemagne fait son chemin… En tout cas, M. Pistorius ne l’exclut pas.

Pour le moment, le service militaire volontaire que ce dernier défend n’est pas encore entré en vigueur, alors qu’il était censé permettre de recruter 5 000 soldats de plus dès cette année. Cependant, a prévenu M. Pistorius dans les pages de la Frankfurter Allgemeine Zeitung, s’il ne permet pas à la Bundeswehr de disposer des effectifs dont elle a besoin, alors « il sera peut-être décidé que nous passerons à une conscription obligatoire ».

En attendant, le ministre espère que la loi sur le service militaire volontaire soit adoptée « rapidement », afin qu’elle puisse entrer en vigueur dès janvier 2026.

Même s’il est basé sur le volontariat, ce service suppose cependant quelques obligations, les hommes étant ainsi tenus de remplir un questionnaire dès l’âge de dix-huit ans afin de déterminer leurs capacités à servir au sein de la Bundeswehr. Cette démarche est facultative pour les femmes. Ceux qui se disent prêts à effectuer une période militaire sont ensuite contactés en vue de leur éventuel recrutement.

Quoi qu’il en soit, si, en France, les principaux responsables militaires ne sont pas favorables à un retour de la conscription car attachés à une armée de métier, le chef d’état-major de la Bundeswehr, le général Carsten Breuer, est sur une tout autre ligne.

S’il estime possible que la Bundeswehr atteigne ses objectifs en matière de recrutement avec le service militaire volontaire, le général Breuer n’a pas écarté l’idée de rétablir la conscription dans le cas où la situation l’exigerait.

« Le service militaire obligatoire est une sorte de réassurance. Il pourrait être activé rapidement si la solution basée sur le volontariat n’était pas suffisante », a-t-il en effet déclaré auprès de Deutschlandfunk. « Si nous manquons de personnel et que la menace continue d’augmenter, alors une autre décision politique devra être prise », a-t-il insisté.