Le porte-avions demeure le plus puissant outil d’une marine de guerre moderne, selon le CEMA.

Le porte-avions demeure le plus puissant outil d’une marine de guerre moderne, selon le CEMA.

À l’occasion de la Conférence navale de Paris, qui s’est tenue il y a quelques jours, le Chef d’état-major des Armées français, le général Thierry Burkhard, a défendu la pertinence et l’efficacité du porte-avions dans la guerre navale moderne.

Soutenant la décision de remplacer le Charles de Gaulle par le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, en 2038, le CEMA a ainsi fait une liste non exhaustive des différentes capacités exclusives à ce navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, allant de la rupture d’un déni d’accès à la communication géopolitique, en passant par la transformation de la géométrie d’un espace de crise ou de conflit.

Le fait est, si le porte-avions fait toujours l’objet de nombreuses critiques, il est aussi doté de capacités opérationnelles, technologiques et politiques, qui en font un outil sans équivalent à disposition des états-majors et des autorités politiques, qui peuvent aisément justifier son existence, mais qui, dans le même temps, interrogent sur la nécessité d’un second navire pour assurer la permanence de ces mêmes capacités jugées uniques et indispensables

Sommaire

Trop vulnérable, trop cher… La pertinence du porte-avions remise (à nouveau) en question

Ces dernières années, la pertinence du porte-avions a été fréquemment remise en cause, en France comme aux États-Unis, y compris au sein des armées. Pour ses détracteurs, le porte-avions est désormais un outil obsolète, trop vulnérable pour représenter un atout opérationnel. Cette perception a été accrue avec l’apparition des missiles balistiques antinavires, ou AShBM, comme le DF-21D et le DF-16 chinois, et surtout le missile hypersonique antinavires 3M22 Tzirkon russe.

missile AShBM DF-25 chine
Le missile balistique antinavire AShBM DF-26 chinois a une portée de plus de 4000 km. Son profil de vol le met toutefois à porté des Sm-3 et Sm-6 qui protégent les porte-avions de l’US Navy.

Présentés comme imparables par certains, ces nouveaux missiles seraient, en effet, capables d’atteindre une cible majeure, comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit possible de s’en protéger.

En outre, les investissements nécessaires pour concevoir, construire et mettre en œuvre un porte-avions moderne, son groupe aérien embarqué, et son escorte de frégates, destroyers, navires logistiques et sous-marins, pourraient, toujours selon ses détracteurs, être bien mieux employé dans d’autres domaines, également sous tension.

Les questions concernant l’arbitrage budgétaire ont une évidente légitimité, le porte-avions est avant tout un outil portant une importante dimension politique, et c’est au niveau politique qu’il doit être arbitré, pour décider s’il est préférable d’avoir un GAN opérationnel, ou cinq ou six escadrons de chasse, et les escadrons de soutien qui les accompagnent. La France et la Grande-Bretagne acceptent ce sacrifice. D’autres non.

En revanche, la question de la prétendue vulnérabilité du porte-avions face aux nouvelles menaces, n’est pas un enjeu. Certes, de nouveaux missiles antinavires sont apparus. Toutefois, leurs performances ne constituent, dans les faits, qu’une évolution des performances qu’avaient certains missiles plus anciens, notamment les missiles antinavires supersoniques soviétiques, qui évoluaient au-delà de Mach 1 en transit, et Mach 3 ou 4 en attaque finale.

Tu-22M3 Backfire C
Les bombardiers à long rayon d’action Tu-22M backfire sovéitique représentaient une menace considerable pour les porte-avions de l’US navy pendant la Guerre Froide. Paradoxalement, c’est au sein du Carrier Strike Group (qui s’appelait task Force alors), que la solution a été trouvée, avec le système AEGIS armant les destroyers, d’une part, et le missile AIM-54 Phoenix du F-14 Tomcat de l’autre.

Comme ce fut le cas dans les années 70, avec la conception du système AEGIS et du couple F-14 Tomcat/ AIM-54 Phoenix, pour contrer la menace que représentaient ces nouveaux missiles soviétiques, de nouveaux missiles et systèmes défensifs sont en développement pour contrer ces missiles balistiques, hypersoniques ou non, antinavires.

À ce titre, les destroyers américains ont déjà pu employer, avec succès, le nouveau missile SM-6 pour intercepter les AShBM Houthis en mer Rouge, ce qui tend à indiquer qu’ils seront aussi capables d’intercepter les DF-21D et DF-16, les fameux Tueurs de Porte-Avions chinois, qui avait tant fait couler d’encre il y a quelques années. Il est probable qu’un missile comme l’Aster 30 soit, lui aussi, d’une telle interception. Et il en va de même de la menace hypersonique.

En d’autres termes, si, comme l’a reconnu le général Burkhard , il n’est plus possible, aujourd’hui, de revendiquer la supériorité technologique sur un espace de conflictualité, naval ou autre, le porte-avions n’est pas plus exposé ou vulnérable qu’il ne l’était auparavant, tout en conservant des capacités exceptionnelles.

La Groupe d’action naval, un outil d’une polyvalence inégalée

Ces atouts uniques sont au nombre de quatre. Le premier d’entre eux, repose sur la polyvalence sans équivalent, d’un porte-avions et de son Groupe d’Action Navale à la mer. Cette polyvalence a été démontrée, ces dernières semaines, par le déploiement de l’USS Eisenhower en Méditerranée et au Proche-Orient.

USS Eisenhower Golfe d'Aden
Le porte-avions américain USS Eisenhower dans le Golde d’Aden.

Initialement, la mission de Carrier Strike Group de l’Eisenhower, était d’effectuer une démonstration de forces au large des côtes israéliennes, suite à l’attaque du 7 octobre, pour contenir le conflit et empêcher son extension. Après quoi, il fut envoyé dans le golfe d’Aden, d’abord pour protéger les navires commerciaux des frappes Houthis, puis pour mener des frappes contre ces mêmes infrastructures Houthis desquelles les missiles étaient lancés.

De fait, au cours d’un même déploiement, le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, ont effectué plusieurs missions de nature très différentes, aussi bien offensives que défensives, et même purement géopolitiques.

En effet, le groupe aérien du porte-avions, ses moyens propres et ceux de son escorte, confèrent au groupe d’action naval une polyvalence supérieure à celle de n’importe quelle unité navale, et même aérienne, susceptible non seulement de remplir un très vaste panel de missions, mais de les remplir simultanément ou successivement lors d’un même déploiement.

La capacité à durer d’un porte-avions au combat

Non seulement le porte-avions est-il d’une polyvalence inégalable, mais il dispose, en outre, d’un atout remarquable, sa capacité à durer au combat. En effet, contrairement à la plupart des navires militaires, le porte-avions a la possibilité de régénérer, voire de remplacer dynamiquement ses moyens offensifs et défensifs, au cours d’un même déploiement.

USS America CVA-66
L’USS America a maintenu une posture opérationelle pendant 292 jours face au nord vietnam entre 1972 et 1973, et participa activement à l’opération Linebaker II.

Ainsi, si l’Armée de l’Air et de l’Espace était parvenue à effectuer, avec l’ide de frégates de la Marine nationale, l’opération Hamilton contre les infrastructures chimiques syriennes, en avril 2018, celle-ci aurait été incapable de mener des frappes de même type dans la durée.

En effet, chaque mission ayant une durée de plus d’une dizaine d’heures, et mobilisant un grand nombre d’avions de soutien pour accompagner les Rafale et Mirage 2000-5 de la métropole jusqu’à la Méditerranée Orientale, l’Armée de l’Air serait rapidement arrivée à court de son potentiel au bout de quelques missions seulement.

À l’inverse, le porte-avions peut maintenir une posture opérationnelle, beaucoup plus proche des cibles visées, et donc mener des frappes quotidiennes, tout en économisant le potentiel de vol de ses aéronefs, pendant plusieurs mois. Ainsi, l’USS America, CVA-66, a été déployé en mission opérationnelle au large des côtes vietnamienne, durant 292 jours, de juin 1972 à mars 1973.

Faute de disposer d’un allié acceptant l’utilisation de ses bases, comme c’était le cas pour les frappes contre la Syrie, la base aérienne française de Jordanie ne pouvant être employée pour cette mission, le porte-avions est le seul à pouvoir maintenir une pression constante et soutenue, sur le dispositif adverse.

L’adaptabilité intrinsèque du porte-avions pour répondre aux évolutions

Système de systèmes par excellence, le porte-avions et son groupe naval, se caractérise également par une très importante évolutivité, lui conférant de nouvelles capacités qui ne s’imaginaient peut-être pas, lors de son entrée en service.

USS Nimitz Carrier Strike Group
L’USS Nimitz a rejoint l’US Navy en 1975, et quittera celui-ci en 2025, après 50 ans de service à la mer. En 2023, il avait enregisté plus de 350 000 appontages.

Ainsi, le groupe aérien de l’USS Nimitz, entré en service en 1975, se composait initialement de F-4 Phantom 2, A-6 Intruder et A-7 Corsair II, à la sortie de la guerre du Vietnam. Il se compose, dorénavant, de F/A-18 E/F Super Hornet et C Hornet, de EA-18G Growler et de E-2C Hawkeye, lui conférant des possibilités sans commune mesure avec son groupe aérien initial. Ses sisterships emportent, quant à eux, le nouveau F-35C, et certains pourraient même accueillir le futur NGAD.

Son escorte, quant à elle, est passée des croiseurs Longbeach ou California, destroyers Spruance, frégates Knox et sous-marins Los Angeles, aux destroyers Arleigh Burke et croiseurs Ticonderoga armés du système antiaérien et antibalistique AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk, et sous-marins Virginia. En outre, par son volume et sa capacité énergétique, le porte-avions lui-même est une plate-forme nativement conçue pour être évolutive.

Ainsi, le Charles de Gaulle français s’est vu doté, au fil des années, de nombreuses capacités nouvelles, alors qu’à l’occasion de sa prochaine phase de modernisation, il recevra le nouveau radar AESA à face plane Sea Fire 500 de Thales, lui permettant de contrôler un espace aérien sur 350 km de rayon, étendues par les capacités de détection des nouvelles frégates FDI, elles aussi, équipées du même radar, et du nouvel avion radar E-2D Hawkeye.

Cette capacité à évoluer, et à intégrer de nouveaux moyens pour répondre à l’évolution de la menace sur les différents espaces de conflictualité, est, à ce titre, présentée comme l’un des enjeux clés du développement du nouveau porte-avions nucléaire PANG de la Marine nationale, par le CEMA lui-même.

La visibilité du porte-avions, un atout majeur dans la guerre de communication et la communication de guerre

Enfin, le porte-avions peut se parer d’une dernière vertu, que très peu de moyens militaires peuvent égaler, tout au moins dans le domaine conventionnel. En effet, au-delà de son potentiel offensif et défensif global, et de sa capacité à faire peser une menace constante sur l’adversaire, le porte-avions a un atout majeur dans la guerre moderne : il dispose d’une visibilité aussi importante que modulable.

CV-18 Fujian
Le Fujian, le nouveau porte-avions chinois de pr§s de 80 000 tonnes, montre incontestablement que la confiance dans le potentiel opérationnel du porte-avions, n’est pas un iais occidental.

Ainsi, l’envoi d’un porte-avions et de son escorte, à proximité d’un espace de crise, constitue aujourd’hui un message politique et diplomatique d’une immense portée, qui ne peut, objectivement, être dépassée que par le déploiement de missiles à capacités nucléaires, ou d’une force armée conventionnelle considérable.

Il s’agit, pour les pays qui disposent de cet outil, souvent du dernier avertissement précédant une frappe massive, qui d’ailleurs a fréquemment eu les effets escomptés, y compris contre des pays vindicatifs, comme l’Iran, la Syrie, la Libye, ou la Corée du Nord. Dans la même temps, par sa grande mobilité, le porte-avions sait aussi se faire discret, lorsque cela est nécessaire.

Conclusion

Bien que remis en cause par certains, le porte-avions demeure, aujourd’hui, un outil sans équivalent en matière de guerre navale, et ce, dans de nombreux domaines. Par sa polyvalence, sa capacité à durer, son évolutivité et sa visibilité, il confère aux pays qui en disposent, et à leur marine, un potentiel opérationnel et politique unique pour agir sur une crise, ou un conflit ayant une dimension navale.

PANG
Si l’avenir du Porte-avions de Nouvelle Génération, ou PANG, est dorénavant assuré, celui d’un éventuel sister-ship, ou d’un second navire d’une classe différente, semble des plus éloigné.

Reste qu’il s’agit d’un outil onéreux, que l’on peut aisément comparer, à l’autre bout du spectre naval, avec les sous-marins à propulsion nucléaire, aussi discrets, invisibles et spécialisés que le porte-avions est ostentatoire, visible et polyvalent. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont les pays qui disposent, également, de ce type de sous-marins qui, par ailleurs, alignent les porte-avions les plus importants.

Reste qu’en France, si la question du remplacement du Charles de Gaulle par le PANG, ne semble plus se poser, celle de la construction d’un second navire, de même type, ou de dimensions plus réduites, et doté d’une propulsion conventionnelle, pour en optimiser les couts et le potentiel export, ne semblent pas, non plus, sérieusement considérée, alors qu’un unique navire ne permet d’en avoir la jouissance opérationnelle que 40 à 50% du temps, dans le meilleur des cas.

Pourtant, si le porte-avions est paré effectivement de toutes les vertus énumérées par le général Burkhard, il y a quelques jours, la question d’en disposer en permanence, et donc de la construction d’un second navire, semble avoir une réponse positive évidente.

Porte-avions américains, français et britannique
Les porte-avions américains USS JOHN C. STENNIS et USS Kennedy, le Charles de Gaulle français, et le porte-hélicoptères britanniques HMS Ocean lors d’une parade navale.

En outre, en dépit des surcouts engendrés par une telle décision, des solutions existent précisément pour en réduire les effets de captation sur les autres budgets des armées, comme la coopération internationale européenne, avec des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, dont les frégates escortent fréquemment le Charles de Gaulle ces dernières années.

Il faudra donc, dans un avenir proche, mettre en cohérence les positions et les besoins opérationnels, avec les ambitions politiques, et surtout avec les moyens conférés aux armées, en particulier dans ce domaine.

Article du 2 février en version intégrale jusqu’au 21 aout 2024

« L’initiative des trois mers », la nouvelle barrière de l’Est

« L’initiative des trois mers », la nouvelle barrière de l’Est

par Michel Chevillé – Revue Conflits – publié le 16 août 2024

https://www.revueconflits.com/linitiative-des-trois-mers-la-nouvelle-barriere-de-lest/


À Vilnius, le 11 avril 2024, le neuvième sommet annuel de « l’initiative des trois mers » avait des allures de nouveau pacte de Varsovie. Depuis février 2022 et l’invasion de l’Ukraine, les anciennes nations du bloc soviétique redoublent leurs efforts économiques pour refouler la puissance russe.

Article paru dans la Revue Conflits n°51.

« L’initiative des trois mers change l’axe de circulation en Europe » annonçait fièrement le président lituanien Gitanas Nauseda, le 17 janvier 2024 au forum économique mondial de Davos. À ses côtés, le président polonais Andrzej Duda, le président letton Edgars Rinkevics, et le Premier ministre croate Andrej Plenkovic. C’est en 2016 que la Croatie, la Roumanie et la Pologne, trois pays de trois mers différentes, ont regroupé pour la première fois, et dans une relative discrétion, leurs neuf voisins à Dubrovnik. Cette initiative des trois mers (ITM) avait pour simple objectif d’opérer une meilleure jonction économique entre les mers Baltique, Adriatique et Noire. L’initiative évitait de désigner ouvertement Moscou comme adversaire et ouvrait les bras aux capitaux américains et chinois, espérant capter quelques retombées des nouvelles routes de la soie (OBOR). Les communiqués officiels louaient l’esprit de partenariat, d’unité, de cohésion et de collaboration. Un vocabulaire qui semble aujourd’hui démodé.

La grande Pologne

Ce nouvel isthme stratégique européen, reliant les mers intérieures de l’Europe, est historiquement un vieux rêve polonais du maréchal Józef Piłsudski, premier chef d’État de la Pologne moderne. Il devait ressusciter, en plus grand, l’ancienne République des deux nations lituanienne et polonaise (1569-1795), laquelle englobait une grande partie de l’Ukraine et de la Biélorussie actuelle. Au début du XXe siècle, ce rêve de restauration et d’expansion nationale prit le nom de « Fédération entre-mers » (Miedzymorze en polonais). Il avait déjà pour ambition de contenir l’empire russe mais fut brisé net par les armées nazies et soviétiques en 1939. L’ITM est précisément une promesse de campagne d’Andrezj Duda, l’actuel président polonais (PIS), lequel a ensuite convaincu son homologue croate Kolinda Grabar-Kitarovic de lancer ce projet à travers l’Europe. La banque de développement polonaise, Gospodarstwa Krajowego (BGK), est toujours au cœur du dispositif. À Vilnius, les rêves de grande Pologne ou de grande Lituanie, remparts à la barbarie russe, ont sans doute trotté dans les esprits, car l’ambition géopolitique de cette nouvelle alliance de l’Europe orientale s’affiche désormais sans scrupule. Il s’agit de bâtir un mur économique étanche à l’Est. Elle exploite la nouvelle donne stratégique et les sanctions économiques échangées depuis deux ans entre la Russie et le reste de l’Europe.

Ces grands sommets internationaux, qui se teintent parfois de nostalgies impériales, peuvent accoucher d’une souris. Déjà dans l’entre-deux-guerres, « la petite entente », cette barrière de l’Est voulue par la France pour faire tampon entre l’Allemagne et l’URSS s’était effondrée comme un château de cartes. Plus récemment, on se souvient de l’inauguration en grande pompe de l’Union pour la Méditerranée au Grand Palais à Paris, laquelle a sombré dans les méandres des printemps arabes avant de revenir à quelques projets économiques plus réalistes.

L’ITM prend le chemin inverse. Elle réanime, dans un grand récit stratégique, de vieux projets économiques comme le North-South Gas Corridor (NSGC), un plan gazier lancé en 2011, déjà adoubé par l’Union européenne. À l’époque le mémorandum sur le NSGC avait été signé par 13 pays dont huit sont aujourd’hui signataires de l’ITM. L’Union européenne avait parallèlement lancé un plan d’interconnexion gazier dans les pays baltes et en Finlande dès 2009 (Baltic Energy Market Interconnection Plan, BEMIP). Quant au projet de terminal gazier en Roumanie, il était déjà dans les cartons en 2003. Depuis l’invasion de l’Ukraine, les masques sont tombés et l’ITM ne cache plus son hostilité à la Russie. L’Ukraine et la Moldavie ont fait leur entrée dans le groupe, comme membres partenaires en 2022 et 2023, à l’occasion des sommets de Riga et Bucarest. Quoique l’ITM ait été calquée sur le modèle de l’organisation de coopération de Shanghai (OCS), un espace informel de dialogue économique et politique entre les États de la région, la Chine est désormais éloignée de ce groupement d’intérêt est-européen.

Et les questions économiques ne sont plus exclusives des approches de sécurité. « L’importance stratégique de l’initiative des trois mers, où la coopération est fondée sur l’axe Nord-Sud, s’est considérablement accrue en ce qui concerne la sécurité régionale et en tant que contrepoids à l’axe dominant Est-Ouest », résumait le président lituanien dans son allocution de janvier, relayé par son service de communication.

Il est vrai que la Grèce a fait son entrée en septembre 2023 dans l’ITM. En 2022, les alliés de la Roumanie y ont vu un moyen d’ouvrir une alternative terrestre à un blocus militaire du détroit du Bosphore prévu par la convention de Montreux depuis 1936. De fait, on pourrait maintenant parler de l’initiative des quatre mers, en y ajoutant la mer Égée. Mais, en s’élargissant vers le sud, et malgré le corridor autoroutier qui relie désormais la capitale bulgare Sofia à Struma à la frontière grecque, le port roumain de Constanta perd objectivement de son intérêt au profit de Thessalonique. Surtout, l’entrée de la Grèce dans le projet tend à coaliser la Turquie et la Russie, deux grandes nations autrefois rivales dans le développement des grandes voies commerciales. L’éloignement de la Géorgie du bloc occidental ces dernières années a parallèlement rétréci les débouchés roumains en mer Noire orientale. Les nouvelles routes commerciales eurasiatiques (Est-Ouest) qui arrivent aux portes de l’Europe se trouvent dans une impasse politique et militaire.

Projets économiques

Avec le temps, l’initiative des trois mers est donc apparue comme une déclinaison énergétique des élargissements de l’OTAN et de l’UE qui se poursuivent depuis les années 2000.

À Vilnius, les chefs d’État ou de gouvernement ont d’ailleurs fait le bilan des principaux projets économiques lancés à Dubrovnik et Varsovie en 2016 et 2017. En 2015, la Pologne avait déjà inauguré son premier terminal de GNL (gaz naturel liquéfié) à Świnoujście, tout près de la frontière allemande. Elle importe depuis lors du gaz à la Norvège depuis le Baltic Pipe. L’ITM vient lui apporter les débouchés nécessaires pour toucher des droits de passage dans toute l’Europe centrale. Pologne, Roumanie et Croatie cherchent à s’interconnecter pour élargir leur hinterland et démultiplier les possibilités commerciales. La Croatie a terminé la construction de son terminal de GNL à Krk en 2019 et la Roumanie a fait de même dans le port de Constanta au bord de la mer Noire. Des pipe-lines devaient relier les terminaux portuaires de GNL de Pologne, Croatie et Roumanie et irriguer la Hongrie, la Bulgarie ou l’Autriche, dépendantes à près de 100 % du gaz russe avant que Kiev et Moscou n’entrent ouvertement en guerre. De fait, les importations de gaz en provenance d’Amérique et de la mer du Nord ont été facilitées par le TSI, mais ce sont les voies routières qui ont profité de la destruction des gazoducs Nord Stream par des services pro-ukrainiens. Ces derniers vecteurs gaziers, à majorité germano-russes, contournaient les PECO (pays d’Europe centrale et orientale) par la mer Baltique pour alimenter directement l’Europe occidentale en hydrocarbure. Une fois l’alternative gazière du GNL américain prépositionnée, la confrontation avec la Russie devenait moins aléatoire pour les anciens membres du pacte de Varsovie passés à l’ouest. Nord Stream pouvait sauter.

Polonais, Croates et Roumains ont également été encouragés par les pays baltes qui ont voulu rompre leur isolement géo-économique depuis la forte dégradation de leurs relations avec leur voisin russe. Ils insistent sur l’importance de la coordination de l’ITM avec les plans militaires de l’OTAN. En plus des autoroutes transnationales, la via Carpatia reliée à la via Baltica, le président lituanien a souligné à Davos l’importance du chemin de fer Rail Baltica pour l’acheminement rapide des troupes et des blindés de l’OTAN vers le front russe ou pour opérer des bascules de forces le long de la frontière russe. Enfin, les pays baltes ont décidé, avec un an d’avance sur leurs prévisions, de synchroniser leurs réseaux électriques avec les autres pays de l’Union européenne. Ils profitent depuis peu de l’entrée de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, mais le corridor terrestre de Suwalki qui les relie à la Pologne reste étroit de 80 km.

Unification européenne

Au cœur de l’Europe centrale, ITM a été plus laborieuse. L’Autriche et son gouvernement conservateur partagent la ligne prudente de la Hongrie et de la Slovaquie par rapport à l’hostilité russo-polonaise. Ils n’ont quasiment pas financé l’ITM et bénéficient toujours d’un gaz russe qui transite par l’Ukraine. L’Union européenne a été également discrète. L’ITM enjambe l’Europe de l’Ouest pour se brancher directement sur trois piliers gaziers de l’OTAN : les États-Unis, le Royaume-Uni et la Norvège. Pourtant, l’ITM a été discrètement appuyée par la Commission européenne, laquelle y voit un projet de développement économique conforme à sa doctrine d’effacement des frontières nationales au profit de grands ensembles régionaux. Les pays d’Europe occidentale n’ont pas vu l’intérêt de financer un tel projet, mais le soutien timide de Bruxelles est là. L’Union européenne a accordé le statut de PCI (projets d’intérêts communs) à l’ITM. Ce label facilite l’octroi de prêts et de financement de la part de la Connecting Europe Facility (CEF). L’objectif est de bénéficier à terme des juteux fonds d’infrastructures européens suivis par l’Agence exécutive pour l’innovation et les réseaux.

Pour les États-Unis, le véritable parrain stratégique de l’ITM, il s’agit de réactiver l’ancien pacte de Varsovie, mais cette fois contre Moscou. Parmi les invités du sommet inaugural de Dubrovnik, on pouvait certes noter la présence de l’adjoint du ministre chinois des Affaires étrangères Liu Haixing, en vue de l’interconnexion du projet avec la nouvelle route de la soie, mais surtout celle de l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Barack Obama, le général James L. Jones, lequel insistait d’emblée sur le rôle que l’initiative pourrait avoir dans le développement de l’OTAN en Europe. « C’est un vrai projet transatlantique qui a d’énormes ramifications géopolitiques, géostratégiques et géo-économiques » déclarait-il au think tank The Atlantic Council. Dans son discours de Varsovie en 2017, Donald Trump ne cachait pas l’objectif ultime de sa venue : « Nous tenons à vous assurer l’accès aux sources alternatives d’énergie afin que la Pologne et ses voisins ne soient plus l’otage de l’unique fournisseur d’énergie. » Bien que le libéral Donald Tusk soit de retour au pouvoir à Varsovie, nul doute que Donald Trump poursuivra son soutien à la Pologne, s’il revient au pouvoir en janvier 2025. En effet, cette initiative des trois mers a un double attrait pour les États-Unis. Il s’agit non seulement de renforcer la cohésion des pays en première ligne face à la Russie de Vladimir Poutine, mais aussi de contourner l’Europe de l’Ouest, jugée parfois trop molle dans son soutien à l’OTAN. Le vaste projet de Donald Rumsfeld qui était de miser en 2003 sur « la nouvelle Europe » (centrale, conservatrice et belliqueuse) pour mieux marginaliser « la vieille Europe » (occidentale, pacifiste et progressiste) est toujours d’actualité. « La façon dont les pays d’Europe centrale et orientale regardent le monde et les menaces auxquelles ils font face est bien plus alignée sur la vision américaine que sur celle de nos alliés traditionnels d’Europe occidentale » observait le général Jones à Dubrovnik. En ligne de mire, le jeu trouble de l’économie allemande par rapport à la Russie. Pour Washington, il s’agit de couper les derniers liens qui pourraient subsister entre les intérêts allemands et russes. Un rapprochement entre Moscou et Berlin est perçu comme une menace inacceptable pour les intérêts américains en Europe. Inversement, les pays d’Europe centrale peuvent trouver à Washington un moyen de contrebalancer les pressions politique ou économique de la Commission européenne et de l’Allemagne.

Guerre en Ukraine : à Koursk, des anciens véhicules blindés de l’armée française au combat

Guerre en Ukraine : à Koursk, des anciens véhicules blindés de l’armée française au combat

Les troupes ukrainiennes engagées dans la région russe de Koursk depuis le 6 août utilisent du matériel occidental. Parmi les éléments employés : des véhicules de l’avant blindés français (VAB), un modèle que Paris a massivement fourni à Kiev ces derniers mois.

Un « véhicule de l’avant blindé » (VAB) français, dans le sud de la France, en 2018.
Un « véhicule de l’avant blindé » (VAB) français, dans le sud de la France, en 2018. | ARCHIVES OUEST-FRANCE


Du matériel militaire français est engagé sur le sol russe. À première vue, la phrase paraît anachronique, voire surréaliste. Mais, en ce mois d’août 2024, elle a bel et bien pris corps. Les troupes ukrainiennes qui, depuis le 6 août, se battent dans la région de Koursk manœuvrent en effet du matériel occidental et notamment des antiques véhicules de l’avant blindés (VAB) français.

Des VAB au triangle

La présence en Russie de ces blindés historiques de l’armée de terre tricolore est attestée par des photos publiées par des experts du renseignement en sources ouvertes. Sur l’une d’elles, publiée le 12 août par le compte X OSINTtechnical, qui s’est spécialisé dans le matériel militaire, on voit nettement un de ces VAB arborer le triangle que portent tous les véhicules engagés dans l’opération ukrainienne vers Koursk.

Le même jour, le compte French Aid to Ukraine diffusait lui une photo d’un VAB-sanitaire marqué de ce fameux triangle. Il avait auparavant relayé une vidéo dans laquelle l’un de ces véhicules, endommagé par les combats, était remorqué à l’arrière de la ligne de contact.

Screenshot

Plusieurs centaines de VAB français en Ukraine

De premiers exemplaires de ces véhicule blindés, qui semblent particulièrement appréciés par les Ukrainiens, ont été fournis par la France dès les premiers mois du conflit. Des véhicules de ce type avaient ainsi été repérés en juin 2022 en Slovaquie, alors qu’ils étaient acheminés vers l’Ukraine.

Plusieurs autres vagues de livraison avaient ensuite eu lieu, si bien qu’en mars 2024, le ministère des Armées indiquait que 250 VAB avaient déjà été fournis à l’Ukraine. Plusieurs autres centaines de ces véhicules devraient être livrés à l’Ukraine d’ici la fin de l’année 2025.

Après la chute d’Avdiivka, l’Europe doit-elle accentuer son soutien à l’Ukraine ?

Des véhicules remplacés dans l’armée de terre française

Si ces livraisons de VAB sont si massives, c’est que l’armée française n’en a plus besoin. Après plusieurs décennies de bons et loyaux services, au cours desquels ils auront notamment servi en Afghanistan, en Bosnie ou au Mali, ces véhicules sont en effet en train d’être remplacés par un modèle plus moderne, le Griffon.

Le déploiement de ces véhicules, qui servent également de transports de troupes et de véhicules de reconnaissance armée, a débuté en 2020. Leurs premiers déploiements en opération datent de 2021. À terme, ils remplaceront les quelque 2 500 VAB dont l’armée française disposait encore à cette date.

Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ?

Que vaut la dissuasion française face à la menace russe en 2024 ?

 

Cela n’aura guère trainé. Après l’évocation, par le président français Emmanuel Macron, de la possibilité d’envoyer des troupes européennes en Ukraine, les réactions, souvent peu favorables, se sont multipliées, en Europe, aux États-Unis, mais aussi au sein de la classe politique française. Les seconds couteaux de la communication russe, pour leur part, tentèrent de tourner en dérision la menace.

Ce n’est pas le cas de Vladimir Poutine. Loin de considérer l’hypothèse, ou la France, comme quantité négligeable, celui-ci a vigoureusement brandi la menace nucléaire, contre la France, et surtout l’ensemble de l’Europe, si jamais les européens venaient s’immiscer sur « le territoire russe », sans que l’on sache, vraiment, si l’Ukraine faisait, ou pas, parti de sa conception de ce qu’est le territoire russe, d’ailleurs.

De toute évidence, le président russe est prêt à user de l’ensemble de son arsenal, y compris nucléaire, pour convaincre les occidentaux de se ternir à distance de ce qu’il considère comme la sphère d’influence de Moscou, une notion par ailleurs fort dynamique dans les propos du chef d’État russe depuis 20 ans.

Dans ce contexte, et alors que le soutien et la protection américaine sont frappés d’incertitudes après les déclarations de Donald Trump, la dissuasion française apparait comme le rempart ultime contre les ambitions de Vladimir Poutine en Europe. La question est : est-elle capable de le faire ?

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Des menaces de plus en plus appuyées de la part du kremlin contre la France et l’Europe

Les menaces proférées contre l’Europe par Vladimir Poutine ce 29 février, alors qu’il s’exprimait face aux parlementaires russes, constituent, certes, une réponse particulièrement musclée aux hypothèses évoquées par le président Macron en début de semaine. Pour autant, elles sont loin de représenter une rupture dans la position récente russe, et encore moins une surprise.

Iskander systeme Forces de Dissuasion | Alliances militaires | Armes nucléaires

La menace nucléaire russe agitée depuis 2014 et la prise de la Crimée

Déjà, lors de l’intervention des armées russes en Crimée, en 2014, pour se saisir, par surprise, de la péninsule ukrainienne, Vladimir Poutine avait élevé le niveau d’alerte de ses forces nucléaires, et déployé des batteries de missiles Iskander-M, pour prévenir toute interférence de l’Occident.

Il fit exactement de même en février 2022, lorsqu’il ordonna l’offensive contre l’Ukraine, et le début de la désormais célèbre « opération militaire spéciale », ou специальной военной операции en russe (CBO), en annonçant, là encore, la mise en alerte renforcée des forces stratégiques aériennes et des forces des fusées.

Une réponse ferme de la dissuasion occidentale en février et mars 2022

L’efficacité de cette mesure fut toutefois moindre que lors de la prise de la Crimée, lorsque européens comme américains demeurèrent figés, se demandant qui pouvaient bien être « ces petits hommes verts », qui avaient fait main basse sur ce territoire ukrainien, à partir des bases et des navires de débarquement russes.

En 2022, sous l’impulsion des États-Unis, de la Grande-Bretagne, et surtout des pays d’Europe de l’Est, comme la Pologne et les Pays baltes, l’aide militaire occidentale s’est organisée en soutien à l’Ukraine, avec le transfert d’équipements de plus en plus performants, d’abord des missiles antichars et antiaériens d’infanterie (février 2022), puis des blindés de l’époque soviétique (mars 2022), suivis par les premiers blindés et systèmes d’artillerie occidentaux (avril-mai 2022).

Dans le même temps, les trois nations dotées occidentales, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France, répondirent à la mise en alerte des forces nucléaires russes, par le renforcement de leurs propres moyens de dissuasion, dans un bras de fer que le monde n’avait plus connu depuis 1985 et la fin de la crise des euromissiles.

Dissuasion française SNLE classe le Triomphant
Les quatre SNLE français de la classe Triomphant, permettent de maintenir, en permanence, en temps de paix, un sous-marin armé de 16 missiles M51, en patrouille, et de deux, ou trois, SNLE à la mer, en temps de crise, comme en mars 2022.

Ainsi, en mars 2022, quatre semaines après le début du conflit, la France annonçait qu’elle disposait de trois sous-marins nucléaires lanceurs d’engin à la mer, dans une réponse tout à fait unique et exceptionnelle depuis la fin de la guerre de froide.

Des menaces qui ont porté leurs fruits pour contenir la livraison d’armes à l’Ukraine

En dépit de la fermeté de la réponse stratégique occidentale, la menace russe porta ses fruits. Il fallut, ainsi, plus d’une année pour que les occidentaux acceptent de livrer à l’Ukraine des blindés lourds modernes, comme des véhicules de combat d’infanterie (Bradley, Marder, CV90), ou des chars de combat (Leopard 2, Abrams, Challenger 2).

Un an et demi furent nécessaires pour qu’ils livrent des munitions à longue portée (Storm Shadow et Scalp-Er..), et plus de deux ans, pour que les premiers avions de combat F-16, n’arrivent en Ukraine (ce qui n’est pas encore le cas). C’est certainement la raison qui a convaincu Moscou de persévérer en ce sens.

Ainsi, en mars 2023, le chef de l’US Strategic Command, l’Amiral Charles Richard, estimait qu’il fallait s’attendre, dans les mois et années à venir, à ce que Moscou, comme Pékin, multiplient les tentatives de chantage nucléaire, en particulier contre les pays non dotés, bien plus sensibles à ce type de menace.

Leopard 2 Ukraine
Le chantage à la dissuasion russe permit de convaincre les occidentaux de reporter de plus d’un an la livraison de chars de combat modernes à l’Ukraine.

Le fait est, celle-ci a été très brandie par la Russie, de manière très régulière, et peu convaincante, par les séides du Kremlin, comme Medvedev, Peskov ou Lavrov, et de manière moins fréquente, mais beaucoup plus appuyée, par Vladimir Poutine et Nikolai Patrushev, dont la parole a beaucoup plus de poids.

La puissance des forces nucléaires russes est stupéfiante

Il faut dire que la puissance des forces de dissuasion nucléaire russes est pour le moins impressionnante, faisant aisément jeu égal avec celle des États-Unis, un pays pourtant 12 fois plus riche, et trois fois plus peuplé.

5 977 têtes nucléaires dont 4 477 sont opérationnelles

Elle s’appuie sur 5 977 têtes nucléaires en inventaire (2022), dont 4 477 seraient opérationnelles. Parmi elles, 2 567 arment les systèmes stratégiques russes, alors que 1 910 têtes nucléaires sont employées à bord de systèmes dits non stratégiques, auxquels appartiennent les missiles balistiques à courte portée Iskander-M ou le missile aéroporté Kinzhal.

50+ Tu-95MS et une vingtaine de bombardiers supersoniques Tu-160M

À l’instar des États-Unis et de la Chine, les forces stratégiques russes s’appuient sur une triade de vecteurs, navals, aériens et terrestres. Dans le domaine aérien, Moscou dispose d’un peu moins d’une centaine de bombardiers stratégiques à très long rayon d’action, dont une cinquantaine de Tu-95MS modernisés lors de la précédente décennie, ainsi qu’une vingtaine de Tu-160M supersoniques.

Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes alignent aujourd’hui une vingtaine de bombardier Tu-160 M, et prévoient de disposer d’une cinquantaine d’unité di’ci à la fin de le decennie.

Ces appareils mettent en œuvre des missiles de croisière, comme le Kh-102 ou le Kh-65, transportant une unique charge nucléaire de faible à moyenne intensité. D’autres appareils, comme le bombardier à long rayon d’action Tu-22M3M, ou le Su-34, peuvent, eux aussi, transporter des missiles ou des bombes armés d’une tête nucléaire, alors qu’une dizaine de Mig-31K a été transformée pour transporter le missile balistique aéroporté Kinzhal, pouvant être armé d’une charge nucléaire.

11 sous-marins nucléaires SSBN armés de missiles balistiques stratégiques

Dans le domaine naval, la Marine russe dispose d’une flotte de 11 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SSBN selon l’acronyme anglais, en l’occurrence, 4 Boreï-A, 3 Boreï et 4 Delta-IV. Ces derniers seront remplacés, d’ici à 2031, par 5 nouveaux Boreï-A, pour atteindre une flotte de 12 SSBN modernes au début de la prochaine décennie, identique à celle de l’US Navy.

Chaque Boreï-A transporte 16 missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux SLBM R30 Bulava d’une portée supérieure à 8 000 km, eux-mêmes armés de 6 véhicules indépendants de rentrée atmosphérique MIRV, armés chacun d’une tête nucléaire de 100 à 150 kt.

Outre la flotte de SSBN, la Marine russe met également en œuvre le sous-marin Belgorod, conçu pour déployer la torpille nucléaire Poseidon, alors que ses sous-marins nucléaires lance-missiles SSGN Anteï et Iassen, peuvent mettre en œuvre des missiles de croisière Kalibr, ou des missiles antinavires hypersoniques Tzirkon, pouvant, eux aussi, accueillir une tête nucléaire (bien que rien ne l’indique à ce jour). C’est aussi le cas des nouvelles frégates russes Admiral Gorshkov qui mettent en œuvre ces mêmes missiles avec leurs systèmes VLS UKSK.

700 missiles balistiques intercontinentaux ICBM mobiles et en silo

Les forces des fusées russes, enfin, alignent près de 700 missiles balistiques intercontinentaux, mobiles ou en silo, de type Topol, Topol-M, Iars et, semble-t-il, depuis cette année, Sarmat. Chaque missile a une portée de plus de 10 000 km, et peut transporter de 6 à 10 MIRV semblables à ceux mis en œuvre par le RS-30 Bulava.

RS-28 SArmat
le missile ICBM SARMAT est annoncé desormais comme en service par Moscou, même si l’essentiel de la composante terrestre de la triade nucléaire russe, repose encore sur des missiles Topol datant de l’époque soviétique.


À ces missiles stratégiques s’ajoutent les missiles Iskander-M, dont le nombre en service est incertain, car largement employés en Ukraine. Ce missile à trajectoire semi-balistique, d’une portée de 500 km, peut emporter une tête nucléaire de faible à moyenne intensité.

La dissuasion française et la stricte suffisance

En comparaison, les moyens dont dispose la dissuasion française, peuvent apparaitre bien faibles. En effet, celle-ci a été conçue sur le principe de la stricte suffisance, c’est-à-dire qu’elle doit suffire à dissuader n’importe quel adversaire de franchir ce seuil face à la France, faute de quoi, les bénéfices qu’il entend en retirer, seront très inférieurs aux destructions engendrées par les frappes nucléaires françaises.

290 à 350 têtes nucléaires, dont 50 pour les missiles ASMPA

N’ayant jamais été soumise aux mêmes contraintes de vérifications que la Russie et les États-Unis, engagés, jusqu’il y a peu, par plusieurs accords de limitation des armes nucléaires, la France a toujours maintenu un certain flou, concernant le nombre de têtes nucléaires détenues.

Les évaluations, dans ce domaine, se situent, le plus souvent, entre 290 et 360 têtes nucléaires, dont une cinquantaine employée par les missiles supersoniques aéroportés ASMPA-rénovés, et de 250 à 300 têtes TNO pour les missiles balistiques à changement de milieux, qui arment les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins.

Deux escadrons de bombardement stratégique équipés de Rafale B et de missiles ASMPA rénovés

Contrairement à la Russie, la France n’a que deux composantes pour sa dissuasion, une composante sous-marine et une composante aérienne. Cette dernière se compose de deux escadrons de chasse stratégiques, le 1/4 Gascogne et le 3/4 La Fayette, armés de Rafale B, appartenant à la 4ᵉ escadre de chasse stationnée sur la base aérienne BA 113 de Saint-Dizier.

Rafale B et missile ASMPA rénové
Les forces aériennes stratégiques, notamment la 4ème escadre de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Esapce, et la flotille 12F de la Marine Nationale, disposent d’une cinquantaine de missile de croiisère supersonique nucléaires ASMPA rénovés.

Ces escadrons de chasse sont épaulés par les avions de ravitaillement en vol de la 31ᵉ escadre basée à Istres, en particulier les escadrons 1/31 Bretagne, 2/31 Estérel et 4/31 Sologne, équipés d’A330 MRTT Phoenix.

À ces forces mises en œuvre par l’Armée de l’Air et de l’Espace, s’ajoute la flottille 12 F de la Marine nationale, basée à Landivisiau, montée sur Rafale M, et capable de mettre en œuvre, elle aussi, le missile ASMPA rénové, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins classe Le Triomphant

La composante sous-marine porte l’essentielle de la puissance de feu de la dissuasion française. Celle-ci s’appuie sur 4 SNLE de la classe Le Triomphant, entrés en service entre 1997 et 2010, et qui seront remplacés, à partir du milieu de la prochaine décennie, par les sous-marins nucléaires de 3ᵉ génération.

3 sous-marins, le Triomphant, le Téméraire et le Terrible, mettent aujourd’hui en œuvre 16 missiles SLBM M51.2, d’une portée estimée autour de 10 000 km, pouvant emporter de 6 à 10 têtes nucléaires TNO de 100 kt, ayant des caractéristiques évoluées de ciblage et de résistance aux contre-mesures. Le quatrième SNLE, le Vigilant, est actuellement en IPER de modernisation, pour recevoir ces mêmes nouveaux missiles, et rejoindra le service en 2025.

Le format à 4 SNLE permet de maintenir, en temps de paix, un navire à la mer, alors qu’un second sous-marin tient une alerte à 24 heures. Le troisième bâtiment est à l’entrainement, mais doit pouvoir être déployé sous 30 jours (comme ce fut le cas en mars 2022). Le quatrième est en entretien.

SNLE3G
La conception du SNLE3G, qui remplacera les SNLE de la classe le Triomphant, a été confié à Naval Group. Avec la concetpion d’un porte-avions nucléaire, celle d’un SNLE est souvent presentée comme l’entreprise technologique et indsutrielle la plus complexe du moment.

Cette doctrine permet de disposer, en temps de crise, de deux, voire trois sous-marins dilués, c’est-à-dire ayant suivi une procédure de plongée, protégée par des sous-marins, des frégates et des avions de patrouille maritime, pour garantir qu’il n’a pas été détecté, pour conférer à la France une capacité de seconde frappe suffisante, pour détruire entièrement n’importe quel agresseur, le cas échéant, même après des frappes nucléaires préventives contre elle.

Une équation stratégique bien plus équilibrée qu’il n’y parait

Du point de vue de la comparaison stricte des moyens, la Russie disposerait d’une dissuasion plusieurs fois supérieure à celle de la France, ceci expliquant, parfois, le sentiment de faiblesse stratégique de Paris face à Moscou.

Toutefois, si ce type de comparaison, peut avoir du sens lorsqu’il s’agit de forces armées conventionnelles, pour lesquelles la masse constitue un enjeu critique de performance et de résilience comparées, elle n’est guère pertinente, lorsqu’il s’agit de comparer des forces de discussion.

Il est vrai que Moscou dispose d’une puissance de feu suffisante pour détruire plusieurs fois la planète, et à fortiori, la France. La France, quant à elle, est en mesure de détruire, de manière certaine, toutes les villes de 100 000 habitants et plus de Russie, ainsi que l’ensemble des infrastructures économiques et industrielles significatives du pays, avec seulement un seul de ses SNLE en patrouille.

Atlantique 2 Patmar
la dillution d’un SNLE en depart de patrouille, représente une étape d’une importance cruciale pour garantir l’efficacité de la dissuasion. Ces sous-marins sont à ce point discrets lorsqu’ils patrouillent, que le bruit rayonné, de l’ordre de 30 dB, est inferieur au bruit de font des oceans.

On entre, ici, dans le concept de destruction mutuelle assurée, qui a été au cœur du dialogue stratégique lors de la guerre froide. De fait, disposer d’une telle puissance de feu, pour la Russie, n’a aucune incidence sur la réalité finale du rapport de force stratégique entre Paris et Moscou, qui se neutralisent mutuellement dans ce domaine.

Contrairement à la Grande-Bretagne, la France dispose, par ailleurs, d’une capacité de riposte intermédiaire, avec sa composante aérienne, adaptée pour répondre, au besoin, à la tentative d’utiliser une arme nucléaire de faible intensité par Moscou, par exemple, pour obtenir un cadre de déconfliction, comme le prévoit d’ailleurs la doctrine russe.

La dissuasion française peut-elle protéger toute l’Europe ?

Par transitivité, si la dissuasion française est capable de contenir la menace stratégique russe contre la France, elle l’est, aussi, pour contenir cette même menace, pour tout ou partie de l’ensemble de l’Europe.

En effet, c’est par sa capacité à infliger des dégâts inévitables et insoutenables, à l’adversaire, que la dissuasion fonctionne, quel que soit le périmètre qu’elle est censée protéger. Notons qu’à ce jour, la France ne s’est nullement engagée en ce sens de manière officielle, et laisse planer, comme il est d’usage, un important flou stratégique autour de ces sujets.

Toutefois, l’efficacité de la dissuasion, repose sur la certitude qu’aurait la Russie, quant à une réponse nucléaire de la France, si elle venait à frapper, ou à attaquer, un territoire donné.

Emmanuel macron
Si l’annonce faite par E.Macron, concernant l’envoi potentiel de troupes européennes en Ukraine, n’a obtenu que peu de soutien e, Europe, elle a vertement fait réagir Vladimir Poutine, qui a immédiatement brandi la menace nucléaire. Le président français aurait-il visé juste ?

Si Moscou a, aujourd’hui, la certitude que tel sera le cas, s’il s’en prenait à la France directement, il faudra, cependant, faire preuve de beaucoup plus de fermetés dans le discours, et d’unité à l’échelle européenne, pour qu’il en soit de même à l’échelle de l’Union européenne, ou de l’Europe en général.

Conclusion

On le voit, en dépit de ce que peuvent laisser penser, la comparaison stricte des moyens dont disposent les dissuasions russes et françaises, l’équation stratégique entre Paris et Moscou, est beaucoup plus équilibrée qu’il n’y parait.

Cet équilibre est tel, que la France pourrait, au besoin, protéger de son parapluie nucléaire, tout ou partie de l’Europe, d’autant que dans une telle hypothèse, elle pourrait certainement s’appuyer sur la dissuasion britannique, et ses 4 SSBN de la classe Vanguard (si tant est qu’elle parvienne à lancer ses missiles, mais c’est un autre sujet).

De fait, en dépit des menaces de Vladimir Poutine de ce 29 février, la France, et les français, n’ont pas de raison de trembler aujourd’hui, la situation étant strictement la même qu’elle l’était hier, il y a une semaine ou dix ans.

Vladimir Poutine
La France est aujourd’hui le seul pays de l’Union Européenne capable de s’opposer aux menaces nucléaires russes, si le parapluie nucléaire américaine venait à être affaibli. Nul doute que Vladimir Poutine multipliera les menaces de ce type dans les mois à venir, pour tenter de créer la discorde et la défiance entre européens.

Reste, désormais, à convaincre le Kremlin de la détermination de Paris à défendre l’Europe, au même titre que son propre territoire, mais aussi de convaincre les européens eux-mêmes, d’une telle nécessité face à l’évolution du contexte international.

Car, pour être efficace, la dissuasion doit se draper, tout à la fois, dans un flou stratégique indispensable, et s’appuyer sur un socle de certitudes ne souffrant d’aucune dissension. Dans le chaos politique européen actuel, construire cette unité représente un défi considérable.

Article du 29 février en version intégrale jusqu’au 20 aout 2024

Comment développer la puissance par l’image ?

Comment développer la puissance par l’image ? Entretien avec Christian Lequesne

Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
Presses de Sciences Po

Par Christian Lequesne, Elena Roney – Diploweb – publié le 6 août 2024  

https://www.diploweb.com/Comment-developper-la-puissance-par-l-image-Entretien-avec-Christian-Lequesne.html


Christian Lequesne, spécialiste des relations internationales, est professeur à Sciences Po. Il est notamment l’auteur d’une remarquable « Ethnographie du Quai d’Orsay » (CNRS Éditions, coll. « Biblis », 2020). Il dirige un nouvel ouvrage fondateur : « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. Propos recueillis par Eléna Roney, étudiante en 3ème année de Licence à Paris 3 (Sorbonne-Nouvelle) en majeure études internationales, mineure anglais.

La diplomatie publique est-elle aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ? Une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace-t-elle la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ? Comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ? Voici quelques-unes des questions posées par Eléna Roney à Christian Lequesne qui vient de diriger « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po.

Initialement publié sur Diploweb.com en 2021, nous remettons cet entretien à l’honneur dans le contexte des JOP de 2024. Beaucoup conviendront que ces JOP sont aussi un succès d’image.

Eléna Roney (E.R.) : Comment expliquez-vous que vous soyez le premier chercheur en France à consacrer un ouvrage à la diplomatie publique, alors que celle-ci occupe une place très importante dans le champ des relations internationales, et ce depuis plusieurs décennies ?

Christian Lequesne (C.L.) : En France le concept importé des États-Unis de public diplomacy a davantage tendance à se traduire par “diplomatie d’influence” que par diplomatie publique. En effet, en langue française, l’adjectif “public” se rapporte à ce qui a trait à l’État plutôt qu’à la société. De plus, une opinion à mon avis encore majoritaire en France est que la puissance d’un État se fonde plus sur le hard power, sur sa puissance militaire et la diplomatie coercitive que sur une influence culturelle et médiatique. Cela est en partie dû à l’histoire et au passé de puissance de la France, qui au fil des siècles a appuyé son influence sur des interventions militaires et un pouvoir coercitif.


Définition de la diplomatie publique : “ A la différence du soft power, qui décrit un état de fait, la diplomatie publique (appelée diplomatie d’influence en France et au Québec) est la construction volontariste d’une médiation par une autorité politique. Le plus souvent un État, cette autorité peut aussi être une organisation internationale (l’Union européenne ou l’OTAN ont des diplomaties publiques) ou un gouvernement infra-étatique. […] Elle consiste pour une autorité politique (le plus souvent État, comme nous venons de le voir) à demander à ses agents de réduire l’écart, ou l’éloignement, avec une autre autorité politique (le plus souvent un autre État). La diplomatie publique a toutefois ceci de spécifique que l’acte de médiation ne vise pas seulement les représentants de l’autre entité politique, mais la société dans son ensemble. Le principal interlocuteur du diplomate public n’est pas le diplomate de l’autre État, mais l’ensemble des acteurs composant la société.” C. Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021. p.14-15


Ainsi, la diplomatie publique a-t-elle été un peu reléguée dans le champ des sciences sociales au rang des accessoires mineurs, car considérée à tort comme moins efficace et moins importante que le hard power.

E. R. : Pensez-vous que la diplomatie publique est aujourd’hui plus efficace que la diplomatie dite traditionnelle ?

C.L. : La diplomatie publique appartient complètement à la diplomatie traditionnelle en cherchant à influencer les opinions publiques étrangères. Depuis plusieurs années, elle est de plus en plus développée, car elle permet aux États d’élargir leur influence par rapport à de simples relations inter-gouvernementales, et elle touche le public de plus en plus facilement grâce à l’essor des réseaux sociaux.

Cependant, chaque État développe plus ou moins tel ou tel type de diplomatie en fonction de ses ressources et de ses objectifs. Ainsi, au sein de chaque État existe-t-il une réflexion autour de l’exercice de la puissance. Après analyse, selon ses capacités et ses caractéristiques, l’État choisit de porter ses efforts sur la puissance militaire ou le soft power, et parfois les deux. Ceci est valable aussi bien pour des démocraties que pour des régimes autoritaires.

Pour donner des exemples de spécialisation, la Suisse, pays neutre sur le plan militaire, donne l’avantage à la diplomatie publique. L’État suisse participe ainsi à l’aide au développement ou encore, pour choisir un exemple très concret, à la rénovation en Albanie d’une ancienne prison datant de la dictature d’Enver Hoxha pour en faire un lieu de mémoire sur les crimes du communisme. En participant à ce travail de mémoire, la Suisse donne d’elle l’image d’une nation démocratique responsable, aussi bien en Albanie que dans la communauté internationale. La Norvège privilégie également la diplomatie publique, ce qui a pu notamment se traduire par sa participation à la rénovation du fort millénaire de Lahore au Pakistan. Participer aux travaux de rénovation permet à Oslo de montrer qu’elle s’intéresse à la culture et qu’elle cherche à la préserver. La Russie quant à elle à une inclinaison naturelle pour le hard power, intervenant dans de nombreux conflits armés, mais elle se sert de plus en plus des réseaux sociaux afin de diffuser ses messages politiques dans les opinions publiques étrangères, comme cela a pu se voir lors de la campagne présidentielle américaine de 2016 ou française de 2017.

E.R. : Quelles sont les idées reçues qui circulent dans le débat public sur la diplomatie publique, et plus généralement sur la diplomatie ? Lesquelles vous irritent le plus ?

C.L. : L’idée reçue principale qui circule au sein de la société sur la diplomatie est une affaire de secrets et de connivences entre responsables politiques au plus haut niveau. Il est certain qu’il reste une part de secret indispensable dans la diplomatie. Cette part de secret par exemple se manifeste lors des échanges d’otages ou de la préparation des interventions militaires. Cependant, la diplomatie se limite de moins en moins à ce que Richelieu appelait le « cabinet noir ». La diplomatie se doit de concevoir de plus en plus des actions ouvertes aux sociétés. Les ambassadeurs parlent de plus en plus dans les universités, se rendent dans les foires commerciales, visitent les collectivités locales dans le but de donner une « bonne » image de leur pays. Parler aux publics autres que les gouvernements est devenu une part essentielle de la diplomatie contrairement à l’idée reçue qui a tendance encore à ne voir que l’ambassadeur enfermé dans sa salle de négociation.

E.R. : La télévision utilisée à des fins de diplomatie publique est-elle véritablement efficace pour changer l’opinion publique ? Les téléspectateurs des chaînes implantées à l’étranger ne sont-ils pas déjà d’accord avec la ligne idéologique de la chaîne qu’ils regardent ?

C.L. : Les effets de la diplomatie publique sur l’opinion publique font partie des choses les plus difficiles à mesurer. Simplement, s’il existe un tel déploiement de moyens financiers, matériels, et humains pour faire exister des chaînes de télévision à portée internationale, c’est que les États y trouvent un intérêt. Un sondage datant d’il y a quelques années a par exemple montré que l’électeur classique du Rassemblement national trouvait très justes les informations sur Russia Today, et que de nombreux téléspectateurs réguliers de la chaîne en France se sentaient une certaine proximité avec les idées de l’extrême droite. L’idéologie du gouvernement de Vladimir Poutine parvient ainsi à toucher une partie de l’opinion publique française et à influencer les résultats d’élections. Ce n’est un secret pour personne que Vladimir Poutine a affiché en 2017 son soutien à Marine Le Pen, et Russia Today a fait de cette dernière un portrait souvent complaisant dans ses émissions diffusées en France.

E.R. : Estimez-vous qu’aujourd’hui il y a un changement de paradigme dans les relations internationales, et qu’une nouvelle forme de guerre, celle de l’information, remplace la guerre “traditionnelle” caractérisée par des combats armés ?

C.L. : Tout d’abord, il faut distinguer les médias ayant une indépendance rédactionnelle des médias sans aucune indépendance, comme Russia Today ou Sputnik. Mais le véritable enjeu communicationnel aujourd’hui pour la diplomatie publique se joue autour des médias sociaux. Les régimes non démocratiques l’ont parfaitement compris. Ces derniers se servent des réseaux sociaux comme un outil de propagation de leur modèle, voire de conflit. C’est ce qu’il s’est passé en 2016 aux États-Unis où la Russie a propagé de nombreuses fake news sur Facebook et a instrumentalisé le réseau social afin d’influer sur les élections présidentielles américaines et de pousser les Américains à voter pour Donald Trump. Il s’est passé la même chose lors des élections présidentielles en France en 2017 où la Russie a lancé une large campagne en faveur de Marine Le Pen sur les réseaux sociaux, et a diffusé des contenus complotistes contre le candidat Emmanuel Macron.

Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui un véritable enjeu, car il est difficile d’identifier qui est derrière la diffusion de messages, les traces pouvant même être brouillées afin de faire accuser ses ennemis politiques, comme la Russie l’a beaucoup fait avec l’Ukraine. En effet, la Russie a partagé de nombreux messages depuis une adresse IP située en Ukraine, afin de faire désigner cette dernière coupable.

Contre la multiplication des fake news, des politiques d’État sont nées. En effet, les États ont dû mettre en place une vérification régulière des informations publiées et échangées sur les réseaux sociaux. Désormais, dès qu’une fake news est identifiée, il est publié des contre-messages. Ces derniers doivent être publiés au plus vite, afin d’empêcher l’opinion publique de croire aux fausses informations diffusées et donc éviter un éventuel changement d’opinion.

E.R. : Dans quelle mesure la diplomatie publique des États reflète-t-elle les inégalités entre les pays, notamment au niveau de la représentation médiatique internationale, ainsi qu’une forme de néocolonialisme de la part des anciens pays colonisateurs sur les anciens pays colonisés ?

C.L. : Pour avoir une diplomatie publique efficace, un État doit en effet disposer de moyens financiers, humains et matériels. Une diplomatie publique efficace n’est pas possible sans ressource. A partir de ce constat, il est certain que les grandes puissances, ou les États possédant un certain niveau de développement ont plus de facilités à avoir une diplomatie publique. La diplomatie publique reflète donc des inégalités de richesse. Elle peut également prendre la forme d’un certain néo-colonialisme, lorsque les anciens pays colonisateurs tentent d’avoir une certaine influence sur les anciens pays colonisés. Ceci est d’autant plus facile lorsque, dans les anciens pays colonisés, la langue de l’ancien pays colonisateur est parlée par une grande partie de la population. En Afrique de l’Ouest par exemple, l’audience de France 24 est très élevée et la chaîne est très connue, alors qu’en France métropolitaine cette chaîne est très peu regardée. Les anciens pays colonisateurs cherchent à conserver une influence sur les anciens pays colonisés, ainsi qu’une relation privilégiée. Cela se fait à travers la télévision, mais aussi par l’implantation des lycées français ouverts aux enfants des élites locales, comme au Maroc, au Liban ou à Madagascar. Il existe parfois une concurrence autour de ces formes de néo-colonialisme. Il existe des chaînes de télévision émettant uniquement dans les langues locales qui, au travers du choix de cette langue, s’oppose au néo-colonialisme. C’est par exemple le cas au Sénégal de la chaîne 2STV dont les programmes sont majoritairement diffusés en wolof.

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 Comment développer la puissance par l'image ? Entretien avec Christian Lequesne
Carte. La diffusion et l’audience internationales de la chaîne de télévision France 24, 2015-2018
Source : Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » , Presses de Sciences Po, 2021, p. 93. Avec l’autorisation des Presses de Sciences Po
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Dans quelle mesure existe-t-il une réciprocité d’influence entre les acteurs de la diplomatie publique et les acteurs visés par la diplomatie publique ? Par exemple, dans quelle mesure les ONG ont- elles une forte influence sur la diplomatie publique et vice-versa ?

L’influence de la diplomatie publique est à double sens. L’époque où l’État pouvait contrôler l’ensemble des flux d’informations est complètement dépassée. Même au sein des États autoritaires il existe des moyens de contourner les informations officielles, diffusées et transmises par le gouvernement. Les habitants peuvent s’informer en consultant des sites étrangers apportant les informations censurées par le régime en place. En Turquie, la population grâce à quelques manœuvres informatiques peut par exemple consulter Wikipedia, normalement indisponible dans le pays. Beaucoup de Turcs ont donc la possibilité de contourner le verrouillage internet de certains sites.

Certains acteurs, comme les ONG internationales, en faisant pression sur les États, peuvent également redéfinir leur diplomatie publique. Ceci est particulièrement flagrant aujourd’hui pour les ONG environnementalistes qui font pression sur les gouvernements, afin que ceux-ci changent leur politique et poussent d’autres gouvernements à faire de même.

E.R. : Selon vous, comment la France pourrait-elle améliorer l’efficacité de sa diplomatie publique ?

En France, la diplomatie publique est le fruit d’une longue tradition. Elle n’est pas apparue récemment. Le réseau d’influence du pays existe depuis plus d’un siècle au moins. Néanmoins, depuis les années 1990, des coupures sont intervenues dans les budgets alloués à la diplomatie. Ainsi la France ne se donne-t-elle plus les mêmes moyens de rayonner à l’étranger par la diplomatie publique. Les réseaux existent toujours à l’étranger, notamment les lycées, mais les ressources ne suffisent plus toujours pour les faire fonctionner. Il y a donc un problème de choix budgétaire. Les parlementaires qui votent le budget ont besoin d’une représentation plus juste de ce qu’est la diplomatie publique moderne, de son efficacité et de son apport à la puissance de la France. La représentation de ce qu’est la diplomatie en 2021-2022 a également besoin de changer dans la société. En effet, elle apparaît encore trop aux yeux du public comme un monde éloigné, vivant entre soi, et mangeant des petits fours. Il y a un véritable besoin de pédagogie, d’instruction et d’éducation sur ce qu’est véritablement la diplomatie, sur son rôle et sur ce qu’elle représente pour le pays. La diplomatie publique doit aussi être mieux coordonnée entre les États membres de l’Union européenne, pour mieux peser sur le reste des acteurs mondiaux. Entre les pays de l’UE, il existe une collaboration efficace dans le domaine culturel qui passe par les instituts culturels, comme l’Institut Français et le Goethe Institut. Il faut renforcer ces collaborations et faire en sorte qu’elles concernent d’autres pays que les seules France et Allemagne, afin de montrer en dehors de l’Europe qu’il existe une influence européenne alliant culture et démocratie.

Copyright Novembre 2021-Lequesne-Roney/Diploweb.com

Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 21 novembre 2021


Plus

. Christian Lequesne (dir.), « La puissance par l’image. Les États et leur diplomatie publique » Presses de Sciences Po, 2021. Sur Amazon


4e de couverture

On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. Il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande. Voici le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales.

Séduire l’opinion mondiale : démocraties ou dictatures, tous les États s’efforcent de soigner leur image en s’adressant directement et à voix haute aux citoyens. Les moyens sont multiples pour se rendre attractif aux yeux de l’opinion mondiale : récits portés par les médias et les réseaux sociaux, implantations d’instituts culturels et d’écoles, échanges universitaires, distributions de matériel médical et de vaccins, etc. On nomme diplomatie publique ce levier de puissance de plus en plus fréquemment utilisé et dont les États-Unis ont été les pionniers au début du XXe siècle. S’ajoutant aux canaux feutrés de la diplomatie classique, il ne se confond ni avec le soft power ni avec la propagande.

Dans le premier ouvrage que les sciences sociales consacrent en France à ce champ des relations internationales, une série d’analyses transversales et de focus sur des cas concrets, illustrés de cartes et de graphiques, donnent à voir ses usages et ses effets ainsi que les nouveaux modèles qu’il propose.

Avec Maxime Audinet, Sylvain Beck, Pierre Buhler, Rhys Crilley, Etienne Dignat, Alice Ekman, Béatrice Garapon, Caterina Garcia Segura, Auriane Guilbaud, Ilan Manor, Tristan Mattelart, Benjamin Oudet, Stéphane Paquin, Elena Sirorova, Virginie Troit, Earl Wang

Pour le général commandant la force et les opérations terrestres, la bureaucratie freine la mobilité militaire en Europe

Pour le général commandant la force et les opérations terrestres, la bureaucratie freine la mobilité militaire en Europe

https://www.opex360.com/2024/08/06/pour-le-general-commandant-la-force-et-les-operations-terrestres-la-bureaucratie-freine-la-mobilite-militaire-en-europe/


 

L’Otan peut toujours élaborer des plans de défense pouvant mobiliser jusqu’à 50 brigades et/ou inciter à porter les dépenses militaires à 2 ou 3 % du PIB [voire plus]… Cela ne servira à rien s’il n’est pas possible de faire circuler des troupes à travers l’Europe pour venir rapidement au secours d’un État membre qui aurait fait jouer la clause de défense collective prévue à l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord.

Ce problème de mobilité militaire a été identifié dès 2017 par l’Otan, dans un rapport « confidentiel » évoqué par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. Le document avait ainsi pointé des infrastructures inadaptées ainsi qu’une bureaucratie pouvant parfois donner lieu à des situations burlesques, comme, par exemple une colonne de blindés bloquée à une frontière pendant des heures à cause de formalités douanières à accomplir…

Peu après, l’Union européenne [UE], via son Service européen pour l’action extérieure [SEAE], dévoila un plan censé améliorer la mobilité militaire entre ses pays membres. Il était question d’identifier les infrastructures susceptibles d’être utiles au transport militaire et de les mettre à niveau si nécessaire. Et il s’agissait également de « rationaliser » les règles « relatives aux douanes », en s’inspirant de l’espace Schengen. Puis, lors des négociations sur le Cadre pluriannuel financier [CPF] 2021-27, il était prévu d’y allouer 6,5 milliards d’euros pour financer 95 projets. Seulement, cette somme fut finement réduite à 1,5 milliard…

Aussi, sept ans après la publication du rapport de l’Otan, les progrès sont minces. On aurait pu penser qu’il aurait plus facile de réduire la bureaucratie et de simplifier les réglementations. Il n’en a rien été.

En novembre 2023, le chef du comité militaire de l’Otan, l’amiral Rob Bauer, l’avait déploré. « La guerre de la Russie contre l’Ukraine s’est révélée être une guerre d’usure. Et une guerre d’usure est une bataille de logistique. Or, nous avons trop de règles », avait-il dit.

La France est bien placée pour le savoir, au regard des difficultés qu’il lui a fallu surmonter pour déployer des chars Leclerc en Roumanie, le code de la route allemand limitant la charge par essieu des porte-chars à seulement 12 tonnes.

Commandant de la force et des opérations terrestres [CFOT], dont relève le « Commandement Terre Europe » [CTE], le général Bertrand Toujouse a rappelé cet épisode lors d’un entretien accordé à Politico. « Nous avons découvert l’ampleur des lourdeurs administratives. Il y a une guerre en Ukraine, mais les douaniers expliquent que vous n’avez pas le bon tonnage par essieu et que vos chars n’ont pas le droit de traverser l’Allemagne. C’est tout simplement incroyable », a-t-il confié.

Pendant la Guerre froide, la circulation des forces entre les membres de l’Otan n’était pas sujet. C’était une « tâche très simple » mais qui « est devenue progressivement extrêmement complexe », a expliqué le général Toujouse. « Il est est absolument essentiel de remettre la mobilité militaire dans les esprits européens, et pour cela il faut la pratiquer », a-t-il ajouté.

Cela étant, beaucoup de choses ont changé depuis l’implosion de l’Union soviétique. À commencer par la composition de l’Otan, qui a accueilli dans ses rangs les anciens membres du Pacte de Varsovie. Et cela pose des problèmes au niveau des infrastructures, celles-ci n’ayant pas été construites selon des normes occidentales [comme les ponts et les tunnels, dont la hauteur est insuffisante].

En outre, comme le souligne le Conseil allemand des affaires extérieures [DGAP – Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik e.V.], beaucoup d’infrastructures n’ont pas été entretenues et se trouvent désormais dans « un état pitoyable » au point de ne pas supporter « le transport rapide de charges lourdes ». En 2022, avance-t-il, le déficit d’investissement de l’Allemagne pour les projets d’infrastructure les plus urgents s’élevait à 165 milliards d’euros… Et 457 milliards d’euros seront nécessaires au cours des dix années à venir.

Dans les pages de Politico, le général Toujouse insiste sur l’importance du transport ferroviaire. « Le chemin de fer reste de loin le moyen le plus pratique » pour déplacer les chars. C’est là-dessus que nous devons nous concentrer », a-t-il dit.

Mais, une fois encore, la course à la rentabilité et la privatisation de compagnies de chemin de fer, comme la Deutsche Bahn, ont fait que de nombreuses lignes de chemin de fer ont été abandonnées. S’ajoute à cela l’absence de normes au niveau européen, les rails étant plus larges dans les pays baltes qu’en Allemagne, par exemple.

En outre, comme l’a montré le sabotage massif auquel a été confronté la SCNF le jour de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris, de telles infrastructures sont vulnérables et peuvent faire l’objet d’attaques ciblées. Enfin, le nombre de wagons plats disponibles pour transporter chars et blindés est insuffisant. Le DGAP estime qu’il a été divisé par dix, en Allemagne, depuis la fin de la Guerre froide.

D’autres obstacles à la mobilité militaire sont propres à certains pays. Dans le cas allemand, le DGAP explique qu’il faut obtenir des autorisations spécifiques pour traverser les frontières entre les Länder [États fédéraux]. « Le transport de matériel militaire lourd du nord au sud de l’Allemagne en 30 jours est perçu comme ‘rapide’. La réglementation serait suspendue si le Bundestag devait déclarer l’état d’urgence, mais cela se produirait probablement trop tard pour servir des objectifs de défense et de dissuasion », écrit-il.

Se préparer à une guerre prochaine en Europe ou ailleurs ? Entretien du 28 juillet 2024 pour Atlantico

Se préparer à une guerre prochaine en Europe ou ailleurs ? Entretien du 28 juillet 2024 pour Atlantico


 

Entretien pour Atlantico ce 28 juillet 2024 suite aux déclarations du CEMA britannique

Le 23 juillet 2024, Le général Sir Roly Walker, chef d’état-major des armées britanniques, nommé à l’été 2023, déclarait dans le Times (et non dans the Economist)  que la Grande-Bretagne devait se préparer à une troisième guerre mondiale si la Chine envahissait Taïwan en 2027 (https://www.thetimes.com/uk/defence/article/weve-got-three-years-to-prepare-for-war-says-head-of-the-army-2tgcscmk6).

L’avertissement du général Sir Roly Walker est le plus grave de ces dernières années. Selon lui, le Royaume-Uni avait trois ans pour se préparer à la guerre contre un « axe de contestation » alors que la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran travaillaient de plus en plus ensemble.

Les forces britanniques avaient « juste assez de temps » pour « rétablir » une force terrestre crédible qui pourrait dissuader les nations ennemies de se lancer dans la bataille avec l’Occident.

Il ajoutait que la façon dont la guerre en Ukraine se terminait n’avait pas d’importance, car de toute façon, la Russie qui émergerait serait « très, très dangereuse » et « rechercherait une forme de représailles pour ce que nous avons fait pour aider l’Ukraine ».

Général (2S) François Chauvancy

Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l’Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Depuis juillet 2023, il est rédacteur en chef de la revue trimestrielle Défense de l’Union des associations des auditeurs de l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d’août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.

La chaîne de valeur de l’aluminium : un élément clé de l’autonomie stratégique et de la neutralité carbone de l’Europe Note de l’Ifri, juillet 2024

La chaîne de valeur de l’aluminium : un élément clé de l’autonomie stratégique et de la neutralité carbone de l’Europe Note de l’Ifri, juillet 2024

Fours de fusion dans une usine d’aluminium © Jose Luis Stephen/Shutterstock.com

 

par Thibault Michel – IFRI – publié le 29 juillet 2024

https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/chaine-de-de-laluminium-un-element-cle-de-lautonomie-strategique-de


Les États-Unis, le Canada et l’Union européenne (UE) considèrent désormais tous l’aluminium comme un élément stratégique. Ce métal est en effet de plus en plus utilisé, en particulier dans le cadre de la transition énergétique, pour les véhicules électriques, les réseaux, les éoliennes ou les panneaux solaires.

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L’Europe aura ainsi besoin d’approvisionnements grandissants en aluminium dans les années à venir. Cependant, l’industrie européenne de l’aluminium a été affaiblie au cours des dernières décennies et ne représente désormais qu’une faible part de la production mondiale. En conséquence, elle n’est plus en mesure de subvenir aux besoins européens.

L’aluminium possède une empreinte environnementale conséquente et sa production, de la bauxite à l’aluminium primaire, entraîne d’importantes émissions de gaz à effet de serre (GES). Ces émissions sont particulièrement liées aux quantités extrêmes d’énergie (gaz et électricité) consommées au cours du processus industriel, notamment pour l’électrolyse. La forte consommation d’électricité nécessaire confère à la structure des mix électriques nationaux une influence majeure sur les émissions de CO2 issues de l’aluminium. Mais certaines émissions sont aussi spécifiques à la production d’aluminium, par exemple celles produites par la réaction chimique opérée dans le cadre de l’électrolyse, qui transforme l’alumine en aluminium primaire.

Avec une croissance de la demande dans les années à venir, l’Europe devra produire plus d’aluminium afin de remplir les besoins de sa transition énergétique, tout en réduisant l’empreinte carbone de son industrie de l’aluminium.

Pour relever ce défi, différentes technologies de décarbonation sont actuellement considérées. Comme pour d’autres industries, l’efficacité énergétique ou l’électrification des processus industriels peuvent aider à réduire cette empreinte carbone. Cependant, ces deux solutions ont généralement d’ores et déjà été mises en œuvre par les industriels, afin de réduire les coûts énergétiques. La mise en place partielle de ces solutions a permis à l’industrie européenne de l’aluminium d’avoir une empreinte carbone de 6,8 tonnes de CO2 par tonne d’aluminium primaire, quand la moyenne mondiale est de 16,1 tonnes de CO2.

Le recyclage doit aussi pouvoir jouer un rôle clé, en particulier car un aluminium recyclé consomme 96 % d’électricité de moins qu’un aluminium primaire, avec des émissions de GES environ quatre fois moindres (pour ce qui est des émissions directes). Toutefois, si le développement du recyclage en Europe constituera une étape cruciale, des approvisionnements supplémentaires en aluminium primaire restent essentiels et le recyclage ne pourra être un remède miracle. L’ensemble des solutions évoquées constitue des outils pertinents pour réduire l’empreinte carbone de l’industrie européenne de l’aluminium mais ne sera pas suffisant pour atteindre la neutralité carbone.

Pour ce faire, le secteur de l’aluminium aura besoin de technologies disruptives. Deux d’entre elles sont aujourd’hui à l’étude. En premier lieu, le captage et séquestration du carbone ainsi que son utilisation (CCUS), pour lequel plusieurs projets sont actuellement développés en Europe, en particulier en Norvège, en Islande et en France. Néanmoins, cette technologie requiert des investissements massifs tandis que les fumées émises lors du processus d’électrolyse sont peu concentrées en CO2. La seconde technologie est celle de l’anode inerte, pour laquelle trois projets sont développés dans le monde à l’heure actuelle, au Canada, en Russie et en Allemagne. Cependant, le déploiement de ces technologies à une échelle industrielle n’est pas prévu avant 2030 et pourrait se produire plus tard encore.

Face à l’augmentation des coûts de l’énergie alors que les prix mondiaux de l’aluminium sont maintenus à des niveaux relativement bas en raison de l’importance de l’offre chinoise, qui n’est pas exposée aux mêmes coûts de production, l’industrie européenne de l’aluminium est aussi confrontée à des problématiques en matière de compétitivité. Avec la réforme de la législation européenne sur les crédits carbone et la mise en place du Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), les industriels de l’aluminium primaire et les producteurs de produits manufacturés en aluminium sont inquiets de la concurrence internationale et redoutent une potentielle perte de compétitivité. Si ce mécanisme apparaît comme une politique nécessaire pour protéger la compétitivité des industriels européens tout en permettant la décarbonation des industries les plus polluantes, il contient des failles, avec des risques de contournements.

L’UE doit relever le défi de développer une industrie de l’aluminium décarbonée, compétitive et résiliente. À cette fin, plusieurs éléments pourraient être étudiés :

  1. Renforcer la production d’aluminium primaire en Europe ;
  2. Fournir un soutien plus large au développement de technologies de décarbonation ;
  3. Améliorer le recyclage à travers l’Europe et limiter les exportations de déchets ;
  4. Étendre le périmètre du MACF à davantage de produits transformés et intensifier la diplomatie climatique de l’UE à l’étranger ;

Développer la résilience de l’industrie européenne, en particulier concernant les approvisionnements en alumine.


> Cette publication est uniquement disponible en anglais: The Aluminum Value Chain: A Key Component of Europe’s Strategic Autonomy and Carbon Neutrality

Une mission universelle pour la France ? par Michel Pinton

Une mission universelle pour la France ?

par Michel Pinton* – CF2R – Tribune libre N°157 / août 2024

https://cf2r.org/tribune/une-mission-universelle-pour-la-france/


*Ancien élève de l’École Polytechnique et de l’université Princeton, il fut l’un des collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing au ministère de l’Économie et des Finances puis à la présidence de la République. Membre fondateur puis délégué général de l’UDF (1978-1983), Michel Pinton a été également député européen et maire de Felletin (Creuse).

 

 

Le peuple français, s’il veut survivre, a besoin d’une politique étrangère de portée mondiale. Ce n’est pas moi qui ose une idée aussi bizarre : je reprends les paroles du meilleur connaisseur de la France à notre époque, Charles De Gaulle. Sur quel argument appuie-t-il son affirmation ? Observant que notre nation est « par nature, perpétuellement portée aux divisions et aux chimères », il rejoint l’historien Braudel pour qui « l’identité de la France » est faite de « divisions physiques, culturelles, religieuses, politiques, économiques, sociales qui s’ajoutent les unes aux autres ». L’unité française n’est pas naturelle ; elle doit toujours être construite ou reconstruite par un effort de volonté raisonnée dont la responsabilité incombe à l’Etat. Mais effort vers quel but ? De Gaulle conclut d’une expérience bimillénaire que le seul moyen de rassembler le peuple français, c’est « une grande mission internationale, faute de laquelle il se désintéresserait de lui-même et irait à la dislocation ».

Cette exigence capitale pour la survie de la France, revient me hanter au moment où des élections législatives soudaines nous montrent un peuple profondément divisé, incertain de son avenir et menacé de dislocation interne. Les zones rurales, appauvries et humiliées, s’opposent par leur vote, aux métropoles, lesquelles sont partagées entre centres prospères et banlieues d’immigrés en état de sécession larvée. Encore cette description générale occulte-t-elle une réalité plus confuse : la France est éclatée en petits morceaux disparates en fonction de conditions physiques, religieuses, économiques et sociales qui varient à l’infini. Au point de divisions auquel notre nation est tombée, l’unité est devenue un rêve auquel le chef de l’État lui-même a renoncé : il limite son ambition à un vague consensus du « centre républicain » contre les « extrêmes » de toute sorte, même si ces derniers pèsent électoralement plus lourd que le premier.

La dislocation française qui se fait sous nos yeux a-t-elle pour cause l’absence d’une mission internationale propre à notre pays ? Notre classe dirigeante, Président de la République en tête, le réfute avec indignation. Elle affirme nous proposer une politique étrangère, à la fois raisonnable et ambitieuse, qu’elle poursuit avec une ardeur inébranlable. Cette mission naît d’un constat : la France est désormais trop petite pour agir seule dans le monde. Mais elle a la chance d’appartenir à deux ensembles qui sont à l’avant-garde de l’humanité contemporaine : l’Europe et l’Occident. Elle doit « s’intégrer » dans les institutions qui donnent forme à ces deux ensembles et qui s’appellent l’Union européenne et l’OTAN. Notre souveraineté se manifeste par des propositions d’action collective que notre gouvernement fait à ses partenaires dans ces deux organisations. Qu’elles soient acceptées ou refusées, la France se plie librement à l’exécution des choix décidés en commun.

Nous voici devant un dilemme : ou bien De Gaulle s’est trompé sur la France et le remède à nos divisions est à chercher ailleurs ; ou bien la mission internationale que notre classe dirigeante nous assigne, est un faux-semblant dont le peuple français devine l’imposture. C’est pourquoi elle ne le rassemble pas.

Examinons pour commencer ce qu’est réellement l’OTAN, que nos dirigeants nous présentent comme la protectrice indispensable des nations démocratiques d’Europe et d’Amérique de Nord contre les assauts d’États ennemis de la liberté. L’OTAN se flatte d’être « l’alliance la plus puissante et la plus durable de l’histoire universelle ». Elle vient de célébrer son soixante-quinzième anniversaire dans une grande cérémonie à Washington. Ses 32 États membres, dont les dépenses militaires additionnées constituent plus de la moitié du total mondial, étaient représentés par leurs responsables suprêmes. Ils ont tous signé le communiqué final qui proclame leur volonté d’accroître encore leurs armements et les effectifs de leurs armées. Ils ont tous réaffirmé leur « soutien inébranlable » au gouvernement « démocratique » de l’Ukraine, victime d’une attaque injustifiée menée par la Russie « autocratique ». Ils ont tous dénoncé l’aide qu’apportent à l’agresseur, deux États, eux aussi dictatoriaux : la Chine et la Corée du nord. C’est une manière de signifier au reste du monde que l’alliance ne baisse pas sa garde et qu’elle est prête à relever tous les défis à venir.

Cet optimisme de façade dissimule quelques réalités moins brillantes. La sénilité de Biden est de plus en plus difficile à cacher. Les Polonais et les Baltes s’impatientent de sa prudence excessive en Ukraine. Erdogan et Orban, trublions permanents, jouent leurs propres partitions. Mais toutes les chancelleries savent que, dans les décisions de l’OTAN, la volonté américaine finit toujours par l’emporter. Dans son discours conclusif, le Président des Etats-Unis l’a rappelé fermement à ses invités en décrivant son pays comme le « leader » nécessaire du « monde libre », les autres devant se contenter de suivre « la seule nation indispensable » à l’ordre universel.

Autrement dit, l’OTAN assigne à la politique internationale de la France une place subalterne, dans le sillage de l’Amérique. Nous voici loin de la mission propre recommandée par Charles De Gaulle.

Si encore la politique mondiale des États-Unis répondait à des objectifs de paix et de progrès pour l’humanité entière, le peuple français pourrait y reconnaître sa propre vocation et la soutenir librement. Mais il n’en est rien. L’Amérique a une autre préoccupation : elle sent avec inquiétude que la prééminence universelle lui échappe. Elle accepte mal que la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie et d’autres contestent son « leadership ». Alors elle se crispe sur le maintien de l’ordre mondial établi il y a un quart de siècle, quand sa suprématie politique, sociale, militaire et morale était indiscutée. La politique mondiale que Biden incarne, est toute entière inspirée par la volonté d’immobiliser l’histoire à cet âge d’or.

Rien ne l’illustre mieux que l’affreuse guerre en Ukraine. Je m’honore d’être de ceux qui ont discerné, dès le début, que la sollicitude empressée du gouvernement de Washington pour « la démocratie ukrainienne brutalement agressée », cachait mal la volonté américaine de maintenir la Russie dans l’état de faiblesse où elle était reléguée depuis un quart de siècle.  C’est la même croyance dépassée de toute-puissance militaire, financière et technique qui a fait croire à Biden et ses conseillers que l’Ukraine gagnerait aisément la guerre, dès lors qu’elle recevrait le soutien de l’OTAN. La liste des « mesures décisives » prises par les États-Unis et ses alliés pour vaincre la Russie, est longue : expulsion du système SWIFT, « arme atomique financière » qui devait ruiner l’agresseur ; arrêt des achats de gaz, « source vitale de revenus » pour le Kremlin ; embargo « paralysant » sur les exportations occidentales de produits utilisés pour fabriquer des armes modernes ; transmission « en temps réel » à l’état-major ukrainien d’informations « exclusives » sur les mouvements des troupes russes ; don à l’armée kiévienne de canons, puis de chars, puis de missiles, puis d’avions dont la supériorité devait à chaque fois assurer la victoire. Aucune de ces prédictions ne s’est réalisée. L’ennemi a trouvé des parades à toutes les mesures que l’OTAN pensait insurmontables. La raison en est simple : les États-Unis n’ont plus, sur le reste du monde, l’avance technique ni le monopole financier qui était les leurs il y a encore vingt ans. Des États d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud, s’en sont affranchis.

Il est triste, le crépuscule de la domination américaine sur le monde. Depuis près de quatre ans, il s’incarne dans le vieillard entêté qui siège à la Maison-Blanche. Il agit dans l’illusion de ressusciter une époque disparue. Inévitablement, il va d’échec en échec. Il s’est fait le champion universel des valeurs démocratiques mais n’a pas su éviter qu’elles soient rejetées dans le monde, minées en Occident et jusque dans son propre pays par le « populisme ». Il laisse à son successeur l’héritage de deux guerres qui traînent en longueur parce qu’il ne sait pas comment les terminer. Il assiste, impuissant, à la détérioration des relations de son pays avec les puissances montantes d’autres continents. Et, plus redoutable encore pour l’avenir de sa nation, il a étourdiment provoqué l’alliance du géant chinois et du géant russe contre les États-Unis.

C’est à cette suprématie moribonde que notre classe dirigeante accroche la politique étrangère de notre pays. Le peuple français sent bien qu’une telle mission internationale est indigne de sa vocation. Alors il s’en désintéresse et ses divisions ne rencontrent plus de force unificatrice qui les contrarie.

Il est vrai que nous ne sommes pas seuls à suivre le « leadership » américain. Presque tous les États-membres de l’Union européenne s’y sont aujourd’hui ralliés, y compris ceux qui, tels la Suède et la Finlande, avaient longtemps gardé leur distance avec l’OTAN. La guerre d’Ukraine en est la cause. Jusqu’à ce qu’elle éclate, les dirigeants de l’Union communiaient dans la conviction d’être les acteurs d’une « fin de l’histoire » en Europe, le système « d’union toujours plus étroite » organisé par Bruxelles garantissant définitivement «la paix et le bien-être de ses peuples ». Désemparés par un évènement qui démentait brutalement leur certitude, nos gouvernements ont cru l’avertissement que Biden ne cessait de leur marteler : « Si quelqu’un en Europe pense que Poutine s’arrêtera à la conquête de l’Ukraine, je peux vous certifier qu’il ne le fera pas ». Contre cette « menace existentielle » soudain révélée, la protection de la grande puissance d’outre-Atlantique a paru indispensable aux dirigeants alarmés de l’Union. Quelques responsables plus réfléchis ont fait observer que Poutine n’avait ni les moyens, ni le motif d’envahir l’Europe ; en semant la peur, Biden voulait en réalité renforcer la tutelle américaine sur notre continent dans l’espoir de maintenir sa suprématie universelle. Leurs voix n’ont pas été écoutées. L’Union européenne, presque unanime, a offert au Président des Etats-Unis un de ses rares succès de politique étrangère.

Mais la tutelle de Washington sur l’Union européenne, entraîne cette dernière dans un engrenage redoutable. Elle la détourne de sa mission constitutive, « la paix et le bien-être de ses peuples », pour la transformer en appareil de guerre et d’appauvrissement collectif. Elle la contraint à épouser les autres querelles américaines, au Proche Orient et en mer de Chine notamment, contre son intérêt évident. Elle arrache les peuples qui la composent, Allemagne et France en premier lieu, à leur indispensable complémentarité culturelle, économique et politique avec la Russie. Les tragiques enseignements de l’histoire européenne sont oubliés.

Depuis qu’a commencé cette funeste guerre, l’Union présente un visage plus lugubre encore que celui de l’Amérique. Agissant contre ses principes et ses intérêts, elle s’enfonce dans l’impuissance. Son action en Ukraine l’illustre cruellement. Les décisions communes des « vingt-sept » s’obstinent à associer des buts inaccessibles (l’intégrité territoriale de l’Ukraine, y compris la Crimée) et un soutien dérisoire à l’armée de Kiev (des chars et des avions déclassés).  Empêtrée dans ses contradictions, elle ne pèse pas sur le cours des évènements.

Est-ce avec cette Union européenne dont la politique étrangère est tombée dans l’insignifiance, que notre classe dirigeante compte offrir au peuple français, une mission d’envergure mondiale ?

Pourtant, il ne tient qu’à nous de renouer avec ce que De Gaulle appelait « la grandeur de la France ». Arrachons-nous aux facilités de la tutelle américaine dont l’OTAN est l’outil. Cessons de nous illusionner sur la chimère d’une « souveraineté européenne » dont aucun de nos vingt-six partenaires n’est capable. Il n’y a là que tentatives stériles pour retenir l’histoire à ce qu’elle était au seuil de notre millénaire. Le présent du monde, ce n’est pas de maintenir l’ordre qu’avait établi la suprématie de l’Occident mais d’organiser de façon pacifique une humanité « multipolaire ». Les États-Unis ne le feront pas parce qu’ils ont beaucoup de mal à comprendre ce concept. Leur courte expérience historique se limite à des périodes « d’isolationnisme » farouche suivies de poussées vers l’autre extrême, un « interventionnisme » quasi universel. Nous, Français, avons appris de notre longue histoire de relations incessantes avec des États nombreux, tantôt plus puissants que nous, tantôt moins forts, que la sagesse de la politique internationale se trouve dans le « concert des nations » ou, à défaut, « l’équilibre des grandes puissances ».  Ce que Saint Louis, Richelieu et De Gaulle ont réussi pour la paix de l’Europe, n’est-il pas temps de le transposer maintenant pour la paix du monde ? Voilà, sans aucun doute, la grande mission internationale à laquelle notre vocation nous appelle. C’est elle, et elle seule, qui peut à nouveau rassembler les Français.

Face au SCAF, l’Angleterre dévoile son avion de chasse du futur

Face au SCAF, l’Angleterre dévoile son avion de chasse du futur

Par Jean-Baptiste Leroux –  Publié le 24 juillet 2024

L'Angleterre a dévoilé la maquette de son avion de chasse du futur, concurrent du SCAF. Capture d'écran X

C’est à l’occasion du Salon aéronautique de Farnboroug, que le Royaume-Uni a dévoilé son avion de chasse du futur. Développé par BAE Systems, Leonardo et Mitsubischi Heanvy Industrie, cet appareil est le concurrent direct du SCAF européen.

Lors du prestigieux Salon aéronautique international de Farnborough, le Royaume-Uni a dévoilé une maquette grandeur nature de son futur avion de chasse de sixième génération. Cette présentation, orchestrée par BAE Systems, marque une étape importante dans le développement du Global Combat Air Programme (GCAP), en partenariat avec l’Italie et le Japon. Ce projet ambitieux vise à concurrencer le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) mené par Airbus et Dassault.

Un modèle technologique avancé

La maquette présentée par BAE Systems, en collaboration avec Leonardo et Mitsubishi Heavy Industries, représente d’après le quotidien Les Echos, une avancée significative dans le domaine de l’aviation militaire. Le modèle, imposant et futuriste, illustre les progrès réalisés dans la conception et le design de cet avion de combat révolutionnaire. L’avion de chasse de sixième génération sera équipé des technologies les plus avancées, incluant des capacités de furtivité améliorées, une intelligence artificielle intégrée pour assister le pilote, et des systèmes de capteurs sophistiqués pour une conscience situationnelle optimale. Ce modèle vise également à être hautement modulaire, permettant des mises à jour et des améliorations rapides en réponse aux évolutions technologiques et tactiques.

L’objectif est de faire voler le premier prototype de cet avion de chasse dès 2035. Bien que le projet en soit encore à ses débuts, les ingénieurs des trois pays collaborent étroitement pour harmoniser leurs exigences et assurer la faisabilité de ce calendrier.

Un partenariat stratégique et complexe

Le GCAP représente une collaboration stratégique entre le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, visant à maintenir leur suprématie technologique dans le domaine de la défense aérienne. Cependant, cette alliance pose également des défis en termes de financement et de répartition des responsabilités industrielles. En décembre 2022, les trois pays ont signé un mémorandum d’accord pour développer ensemble ce système de combat aérien. Transformé en traité intergouvernemental en décembre 2023, cet accord scelle leur engagement à long terme. Actuellement, chaque entreprise travaille avec des budgets nationaux, mobilisant des centaines d’ingénieurs pour avancer sur le projet. À la fin de 2024, près de 2000 salariés de Leonardo seront dédiés à ce programme, aux côtés de 1700 collaborateurs de BAE Systems.

Malgré l’enthousiasme autour du projet, le financement officiel n’a pas encore été confirmé par les gouvernements. Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a réaffirmé l’importance de ce programme pour le maintien de la supériorité technologique du Royaume-Uni. Toutefois, il a également initié une revue stratégique de la défense dont les résultats sont attendus pour le second semestre 2025, laissant planer une incertitude sur le futur financement.

Rivalité avec le programme SCAF

Le GCAP se positionne comme un concurrent direct du SCAF, le projet européen piloté par Airbus et Dassault en partenariat avec la France, l’Allemagne et l’Espagne. Les deux programmes visent à développer des avions de chasse de nouvelle génération pour 2035-2045, chacun apportant ses innovations et ses stratégies uniques. Le SCAF et le GCAP représentent deux visions concurrentes de l’avenir des avions de combat. Alors que le SCAF se concentre sur une interopérabilité accrue et l’intégration de systèmes de drones et de cloud de combat, le GCAP met l’accent sur une approche modulaire et une collaboration étroite entre des partenaires non européens.

Malgré cette compétition, des voix au sein de l’industrie, comme chez Airbus, plaident pour une certaine convergence technologique à terme, afin de réduire les coûts et d’assurer l’interopérabilité des systèmes de défense. Cette perspective pourrait ouvrir la voie à des collaborations futures, malgré les rivalités actuelles.


*Jean-Baptiste Le Roux est journaliste. Il travaille également pour Radio Notre Dame, en charge du site web. Il a travaillé pour Jalons, Causeur et Valeurs Actuelles avec Basile de Koch avant de rejoindre Economie Matin, à sa création, en mai 2012. Il est diplômé de l’Institut européen de journalisme (IEJ) et membre de l’Association des Journalistes de Défense. Il publie de temps en temps dans la presse économique spécialisée.