Avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une cyberattaque dévastatrice cible les communications de l’armée ukrainienne, exposant la dépendance et la vulnérabilité occidentales aux technologies spatiales, et remettant en question la posture défensive de l’OTAN.
La pérennité de l’organisation, qui célèbre en 2024 ses 75 années d’existence, tient en partie de sa capacité à s’adapter au contexte international. La guerre en Ukraine a sans aucun doute renforcé sa légitimité et son attractivité.
L’utilisation massive des applications spatiales en Ukraine pose la question du rôle de l’Alliance atlantique dans la mise à disposition de données et de services spatiaux à ses États membres : elle ne dispose pas de capacités spatiales en propre, mais sa posture de dissuasion inclut l’espace.
En se dotant d’un solide corpus documentaire, de centres dédiés à l’espace et d’un accès à des capacités nationales, l’Alliance cherche à mettre en œuvre sa vision de l’espace comme milieu d’opérations.
Le milieu d’opérations vise l’intégration et l’interopérabilité des moyens spatiaux des différents États membres. Pour le moment, il s’agit essentiellement de capacités américaines.
L’ambition spatiale otanienne pose alors aux États la question de la mobilisation de moyens financiers et humains. Par ailleurs, une coopération plus approfondie entre l’OTAN et l’UE permettrait a priori de mutualiser les efforts.
Au cœur du conflit en Ukraine et des élections américaines, notamment avec un éventuel retour de Donald Trump, le choix du prochain secrétaire général de l’OTAN apparaît comme crucial pour l’avenir de l’Alliance.
Traditionnellement menées à huis clos, les élections pour le nouveau secrétaire se dérouleront publiquement, avec une transparence totale. Officiellement, les alliés ont jusqu’à juillet pour élire celui qui prendra les rênes de l’OTAN le 1er octobre 2024, succédant ainsi à Jens Stoltenberg.
Cependant, le processus électoral est complexe et hautement diplomatique, impliquant notamment des consultations informelles entre les pays membres, qui proposent des candidats pour le poste. La décision n’est ensuite confirmée que lorsqu’un consensus est atteint sur un candidat.
De coutume, ce poste prestigieux a été occupé par des figures politiques européennes d’envergure, et deux candidats en lice, tous les deux crédibles, perpétuent cette tradition. D’un côté, Klaus Iohannis, président de la Roumanie, et de l’autre, Mark Rutte, Premier ministre par intérim des Pays-Bas.
Le choix du prochain secrétaire général façonnera significativement la trajectoire de l’Alliance
Dans cette élection, deux questions sont centrales : le niveau de soutien à l’Ukraine, et l’implication des pays d’Europe de l’Est dans les relations OTAN-Russie.
Les deux candidats partagent plusieurs points communs dans leur vision de l’OTAN. En ce qui concerne le conflit en Ukraine, le Premier ministre Rutte et le président Iohannis envisagent d’accentuer le soutien à l’Ukraine, et d’affirmer le respect du droit international et la recherche de solutions diplomatiques pour résoudre le conflit. Les deux leaders ont d’ailleurs exprimé leur solidarité à l’Ukraine et ont appelé à des mesures pour contrer l’attaque russe.
Concernant l’Europe de l’Est, ils souscrivent tous deux au principe d’ « équité historique », qui reconnaît les injustices passées, notamment celles subies par les nations longtemps dominées par l’Union soviétique, et qui promeut la recherche d’un « avenir plus juste ». Ce principe se manifeste dans les aspirations communes de l’Europe de l’Est et de l’Occident à rejoindre l’OTAN. À ce titre, Iohannis, président de la Roumanie, incarne parfaitement ce cheminement.
Néanmoins, le président Iohannis et le Premier ministre Rutte présentent des perspectives et des approches distinctes qui mettent en avant les divergences d’opinions au sein de l’OTAN.
La vision de Klaus Iohannis
La perspective du président Iohannis adopte une approche plus offensive comme il l’explique dans un manifeste publié sur POLITICO, en raison de l’emplacement géographique de la Roumanie par rapport aux Pays-Bas. En effet, étant donné la position stratégique de la Roumanie le long de la mer Noire et de sa frontière avec l’Ukraine, le pays est au premier plan des préoccupations en matière de sécurité régionale. À cet égard, il est probable que le président roumain plaide en faveur d’un renforcement de la présence de l’OTAN et de ses capacités de défense en Europe de l’Est. Cela pourrait impliquer des exercices militaires accrus et une augmentation de la présence avancée pour dissuader les agresseurs potentiels et rassurer les alliés vulnérables.
Iohannis a également mis en avant la contribution précieuse de l’Europe de l’Est aux discussions et décisions de l’OTAN, en insistant sur le soutien indéfectible apporté à l’Ukraine dans sa lutte contre la Russie. Il a d’ailleurs appelé les pays de l’OTAN à remplir leurs obligations en aidant Kiev dans ses aspirations à rejoindre l’alliance et l’UE. De plus, il préconise le renforcement de la coopération par le développement de partenariats plus ambitieux, tout en consolidant la base industrielle de défense de l’Alliance.
La vision de Mark Rutte
Bien que le Premier ministre Rutte n’a pas encore publié de document complet exposant sa vision stratégique de l’OTAN, il a déjà souligné l’importance de renforcer la coordination entre les nations européennes, mettant en avant la nécessité de maintenir l’ouverture à la communauté mondiale. Il semble que le Premier ministre Rutte accorderait une priorité à l’unité de l’UE dans la réponse au conflit, favorisant les efforts diplomatiques au sein de l’Union européenne, ainsi qu’un renforcement des sanctions contre la Russie et un soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine.
Toutefois, les positions de Mark Rutte privilégieraient probablement les efforts diplomatiques pour résoudre le conflit. À cet égard, il a souligné le rôle central de V. Zelensky dans le lancement des négociations de paix. En établissant un parallèle avec les dialogues sur la sécurité lors de l’unification allemande en 1990, il souhaite aussi un engagement collectif des États-Unis, de l’OTAN et de la Russie pour discuter des arrangements futurs en matière de sécurité. M. Rutte a suggéré que ces discussions seraient cruciales pour garantir la stabilité en Europe.
La dynamique semble être propice à Mark Rutte qui a obtenu le 22 février dernier le soutien des États-Unis, du Royaume-Uni et de l’Allemagne, trois des plus importants pays de l’Alliance. Tous trois ont l’espoir qu’il saura tenir tête à la diplomatie trumpiste en cas de victoire républicaine à l’automne prochain, scénario qui hante les couloirs de l’Alliance.
Ce numéro est plus particulièrement consacré à la partie Est de l’Union européenne. Le comité de rédaction s’est posé la question suivante : le centre de gravité politique de l’Europe ne se serait-il pas déplacé vers l’Est ? Certes le poids de la Pologne en particulier, la place de la Roumanie bordant la mer Noire, la guerre en Ukraine bien sûr et cette menace potentielle de la Russie plus à l’Est remettent en cause la place privilégiée des membres fondateurs de l’Union européenne.
Ce glissement vers un centre de gravité plus oriental est une réalité qui n’est pas que militaire. Elle est économique et notamment agricole, géopolitique avec une conscience collective historique, démographique si l’on y associe au moins temporairement l’Allemagne à la natalité certes fortement en baisse. L’adhésion de l’Ukraine posera sans aucun doute des difficultés même si elle ne se concrétisera pas avant un certain nombre d’années. Un sondage IFOP du 20 février 2024 montrait que 51% des Français y étaient opposés et négliger les opinions publiques ne serait pas sage.
En outre, le poids anglo-saxon reste prégnant : le Royaume-Uni contourne son départ de l’Union européenne par une forte présence en Ukraine. Les États-Unis paraissent toujours incontournables et renforcent leur présence par la mise sous dépendance des Etats européens notamment par leurs livraisons d’armes qui mettent l’Union européenne en situation de vassalité dans le domaine de leur sécurité extérieure. En tout état de cause, la défense de l’Europe ne se conçoit aujourd’hui que dans le cadre de l’OTAN – qui commémore cette année le 75e anniversaire de sa création – et avec l’assistance « bienveillante » des Etats-Unis… jusqu’à un changement éventuel de politique étrangère avec l’élection possible de Donald Trump en novembre 2024. Cela impose de fait une capacité européenne militaire autonome capable d’assurer sa sécurité extérieure.
Ce premier trimestre 2024 a fait cependant émerger deux sujets de réflexion à travers les déclarations présidentielles d’Emmanuel Macron et de leurs interprétations. Ces sujets mettent en avant la liberté de décision certes constitutionnelle du président de la République et le rôle du parlement dans le domaine de la défense nationale.
Le président de la République peut-il décider seul du partage de la dissuasion nucléaire pour protéger l’Union européenne et si oui sous quelles conditions ? Dans le contexte sécuritaire actuel, cette question souvent évoquée en filigrane depuis plusieurs années s’avère d’une réelle actualité face aux menaces de la Russie.
Malgré la Constitution, le président de la République peut-il décider seul, sans un débat parlementaire avant toute prise de décision, d’engager des forces armées par exemple sur le territoire ukrainien dans une guerre de haute intensité, situation bien éloignée des OPEX connues jusqu’à présent ?
Clarifier ces questions permettrait de sortir d’ambiguïtés stratégiques bien entretenues mais qui nuisent à la compréhension des enjeux pour nos concitoyens et donc à la résilience de notre société.
Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022 notamment sur l’Ukraine et sur la guerre à Gaza (octobre 2023), il est expert sur les questions de doctrine ayant trait à l’emploi des forces, les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, la contre-insurrection et les opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde à compter d’août 2011, il a rejoint en mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.
Face aux attaques de tous bords auxquelles Geopragma et ses membres font face, il est temps de répondre aux adeptes du whisky churchilien d’un côté, et ceux de la vodka triste de l’autre, par un vieil armagnac bien construit et structuré.
Nous traitons la géopolitique de façon réellement indépendante, et défendons une analyse du temps long et des intérêts et évolutions des puissances. Nous ne sommes pas toujours d’accord, et c’est heureux.
Les anciens diplomates français de tout premier niveau qui participent à nos travaux le savent: parler à tout le monde ne signifie pas cautionner. Il faut parfois ravaler ses opinions pour écouter l’adversaire, le représentant d’un régime honni, afin d’être force d’analyse, puis de proposition.
L’agora des réseaux sociaux et les donneurs de leçons inféodés brouillent l’écoute de la réflexion et de l’action géopolitique.
Les « trolls » bas du front sévissent et polluent le débat : D’un côté les partisans d’un régime kleptocrate revanchard post-soviétique qui teste les limites d’européens sous tutelle américaine.
De l’autre, des hyènes dactylographes souvent payées par des officines étrangères bellicistes et non moins impérialistes, à l’agenda tout aussi dangereux pour la France.
Le plus comique étant que leur maître états-unien commence à se désengager justement de nos conflits européens pour des raisons budgétaires et électorales. Sans doute pris de panique par la perspective d’un désengagement de Washington, ces servants s’en prennent à ceux qui ne pensent pas comme eux pour tenter d’exister.
Comme par enchantement, une offensive propagandiste est venue des tréfonds du ventre encore fécond de l’hydre néocon qui causa tant de souffrances depuis l’invasion illégale de l’Irak. La vague provient notamment de l’émissaire français d’un think tank américain belliciste, pour réclamer une intervention de nos troupes au sol sur le front ukrainien. Le relais fut comme par hasard immédiat auprès de Charles Michel (1) et du président Macron.
Or, c’est ce moment géopolitique, moment de vérité nue car les empires de l’Est comme de l’Ouest montrent leurs vrais visages, qu’il convient de saisir pour l’Europe et la France en particulier.
Normalement vouée à être apôtre de la Paix en cette année olympique, la France peut prendre l’initiative dans la future mise en place de négociations pour un cessez le feu en Ukraine, mais aussi et surtout pour la mise en place d’une paix durable en Europe orientale.
Mais la méthode présentée par nos dirigeant est-elle la bonne ?
Stratégie du fou au fort ?
En évoquant la possibilité d’un envoi de troupes au sol, notamment dans la région d’Odessa, le président de la République s’adresse très certainement à l’électorat français dans un contexte d’élections européennes. Il s’agit d’un jeu politicien basé sur la peur et l’irrationalité.
Mais si l’on fait fi de cette manœuvre électorale en se concentrant sur le terrain géopolitique, le message que le président fait passer à Vladimir Poutine n’est pas dénué de tout fondement opératif. Reste à savoir s’il en découle une stratégie cohérente, qui elle-même servirait les intérêts fondamentaux de la France.
Dans un jeu du fou au fort, ou du fou au fou, il peut être intéressant de parler le même langage que la Russie expansionniste, en posant les bases d’une limite stratégique, ici territoriale, qui placerait Odessa en but de paix pour la France et l’Europe, et ferait apparaître Paris non plus comme une capitale coulée dans un moule eurocrate, mais bien comme une puissance historique européenne qui ferait valoir ses « droits » de manière parfois brusque, face au révisionnisme de Moscou.
Pour bien comprendre l’épisode faussement fuité dans la presse du président Macron qui, devant un verre de whisky, se verrait bien « envoyer des gars » à Odessa, suivi de cet aveu présidentiel géopragmatique : «Aider l’Ukraine, c’est aussi notre intérêt à court terme parce qu’il y a en Ukraine beaucoup de ressources, beaucoup d’éléments dont nous avons besoin pour notre économie». C’est intéressant, même s’il oublie de mentionner que plus de 40% des terres arables en Ukraine sont détenues par des investisseurs étrangers (mais non français) et qu’il faudra expliquer à nos agriculteurs le bienfait d’une entrée de ces ressources ukrainiennes sur le marché européen.
Face à l’ignorance d’une partie croissante de notre personnel politique, il faut donc reprendre le contexte historique :
La France est déjà intervenue entre 1853 et 1855 en Crimée pour combattre la Russie. Cette embardée fit près de 100 000 morts français, dans un conflit inspiré par l’Angleterre pour ses propres intérêts, les Britanniques étant restés au large de la péninsule pendant que les Français se faisaient tuer…pour rien à part quelques noms d’avenues parisiennes.
Le Général Marquis Armand de Castelbajac, qui était alors ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, avait -en vain- alerté l’empereur Napoléon III des dangers pour la France de se faire embarquer dans cette guerre.
Le vieux Général, blessé plusieurs fois à la Moskova, se souvenait de la campagne de Russie de Napoléon Ier, qui fit 500 000 morts côté français. Réprimandé à son retour à Paris par sa hiérarchie, l’Empereur qui avait depuis perdu son fils dans une autre envolée interventionniste stérile en Afrique du Sud, finit par reconnaître la sagesse du vieux général en le nommant sénateur du Gers à vie.
Mi-décembre 1918 les Français ont débarqué à Odessa pour combattre les Russo-bolcheviks. La ville fut sous administration française jusqu’en mars 1919. Ce fut un échec, accompagné d’une mutinerie des marins français et des débats houleux à la Chambre.
La participation de la France à la construction de la ville en 1803, puis durant la première guerre de Crimée, et notre campagne d’Odessa en 1919 démontre à la Russie poutinienne que le sang versé par nos hommes n’est pas un vain mot. Il semble donc intéressant de faire entrer l’hypothèse auprès du Kremlin que la France a une certaine légitimité historique à vouloir défendre Odessa. Le président Poutine est un féru d’Histoire : je connais d’ailleurs les manœuvres et barbouzeries de son entourage le plus proche pour obtenir nos précieuses archives et souvenirs familiaux du général de Castelbajac qui ont concerné cette première guerre de Crimée.
Le président Macron peut donc trouver des arguments (autres qu’électoralistes) d’indiquer aux russes qu’Odessa est une ligne rouge pour la France.
Pour ces raisons historiques et quasi-« sentimentales », mais aussi pour des raisons stratégiques, car la fermeture du verrou d’Odessa bloquerait l’accès de l’Ukraine à la Mer Noire, qui redeviendrait un lac russo-ottoman.
Créé par Catherine II avec l’aide du duc Armand de Richelieu, le port d’Odessa est également le plus proche de celui de Sébastopol. La ville est aussi un verrou terrestre, à moins de 90 kilomètres de la frontière avec la République autoproclamée russophone et russophile de Transnistrie, séparatiste de la Moldavie.
Il est important que la paix en construction permette à chacune des deux parties de sauver la face. L’auteur de ces lignes a toujours défendu une ligne claire. Pour paraphraser François Mauriac, je pourrais dire que j’aime tellement l’Ukraine que je souhaite qu’il y en ait deux.
La paix des braves passe donc, qu’on le veuille ou non, par un partage territorial qui retrouverait les lignes naturelles des peuples russes et russophones qui habitent l’Ukraine orientale du bassin du Donbass ainsi que la Crimée, et une Ukraine occidentale héritière de la Mitteleuropa et pleinement légitime à retrouver la voie d’une réintégration aux ensembles européens : royaume polono-lituanien, Autriche-Hongrie, bientôt UE (?), qui en firent autrefois sa gloire.
Il est d’ailleurs très utile de se pencher sur des cartes projetant les projets de tracés des frontières de la très grande Pologne, telle qu’elle fut envisagée par la France -et par les empires centraux- en 1918 afin de contrer le tout nouveau danger bolchevique :
Le tracé intègre la Crimée et le Donbass à la nouvelle Russie, mais Odessa et son hinterland aurait été polonaise selon ce projet.
L’impossibilité d’un lac ?
Malgré les envolées lyriques et martiales de notre président, alors que nos forces armées « sont à l’os » pour reprendre les termes de nombreux officiers supérieurs, quel serait l’intérêt stratégique et militaire de la France, et même de l’Europe, d’envoyer des troupes, ou de devenir cobelligérants en Ukraine, particulièrement pour défendre le verrou d’Odessa ?
S’il est admis que la perte d’Odessa par Kiev serait un coup très dur porté à la nation ukrainienne car elle priverait l’Ukraine d’accès à la mer et permettrait aux Russes d’assurer leur jonction avec les Russes de Transnistrie, il me semble qu’il faut aussi envisager cette hypothèse malheureuse comme porteuse à l’avenir de paix et de stabilité retrouvée de cette région de l’Europe :
Nous avons à plusieurs reprises déploré l’absence de remise en cause des découpages soviétiques faisant fi des réalités des nations et des volontés des peuples qui composèrent l’ex URSS.
C’est donc un crève-cœur et une tragédie que d’avoir abandonné à l’armée russe et son lot de destructions le nécessaire travail de révision de ces frontières administratives internes qui aurait dû se faire par des référendums d’auto-détermination dans les oblasts concernés, et par des traités : le manque de mise à plat des points de friction à la chute de l’union soviétique et l’absence de Pacte de stabilité tel qu’il existât pour l’Europe centrale en 1995, puis tous les événements subséquents avec l’accélération depuis le coup d’Etat de Maïdan en 2014 nous ont précipité dans ce gouffre d’une guerre qui pourrait entraîner l’Europe dans un ultime suicide.
Cette tragédie est malheureusement ficelée de longue date, notamment par les états-majors américains, qui avant même l’arrivée de Poutine au pouvoir, identifiaient trois actions qui permettraient aux Etats-Unis de conserver leur rôle à l’échelle mondiale : contenir la poussée de la Chine, assurer la division de l’Europe et couper la Russie de l’Ukraine. (2) Ces buts stratégiques américains sont atteints au-delà de leurs espérances, en poussant à la faute Poutine et en coupant pour plusieurs décennies la Russie de l’Europe, tout en la poussant dans les bras de la Chine.
Pourtant, au-delà de ces agitations idéologiques, il apparait aujourd’hui selon de nombreux experts que la capacité militaire de la Russie ne lui permet pas à ce jour de s’emparer d’Odessa, même si les attentats du théâtre Crocus près de Moscou le 22 mars, ainsi que les salves de missiles ukrainiens tirés sur Sébastopol, sont en train de faire basculer le conflit vers un engrenage de plus en plus incontrôlable.
A quelques encablures d’Odessa se construit actuellement en Roumanie, à proximité de la ville portuaire de Constanța, la future plus grande base militaire européenne de l’alliance de l’OTAN. La nouvelle installation abritera quelque 10 000 membres du personnel et leurs familles.
La situation ne serait donc pas -encore- aussi désespérée pour Kiev sur le front Sud-Ouest, qui entend profiter de sa situation sur la côte pour harceler la marine russe.
Les annonces du président Macron seraient donc une stratégie de galvanisation à bon compte censée permettre une re-mobilisation des pays membres de l’OTAN. En utilisant le golem russe comme épouvantail, et le peuple français comme cobaye de peurs irrationnelles, la rhétorique guerrière et apocalyptique de certains oiseaux de malheur peut, en effet, servir de catalyseur électoral… ou de panique. (3)
Comme déjà exprimé à de nombreuses reprises, il existe pourtant une voie pour une Paix durable en Europe, mais celle-ci ne passera ni par le président Zelenski, emporté dans une voie sans issue tant par le Royaume Uni de Boris Johnson qui l’enfuma dans un refus d’accepter de rédiger des accords à Ankara en 2022, ni par la Rada qui instaura une loi interdisant toute négociation avec la Russie.
Il serait donc intéressant pour la France d’écouter les déclarations du général Zaloujni, CEMA ukrainien récemment destitué, plus au fait de la situation sur le terrain et sans doute plus pragmatique.
Peut-être même que dans une prise de conscience, certes tardive, de l’importance pour les européens de prendre enfin en main leur destin de défense du continent, nous pourrions -rêvons un peu- nous soustraire d’un ordre américain qui est de toute façon en demande de prise de distance. (4)
Mais entre soutenir la cause ukrainienne, prendre enfin conscience de l’inconstance des politiques budgétaires de défense de la France, et entrer dans une guerre totale (c’est l’ennemi qui vous désigne, y compris comme cobelligérant), il y a un abîme à ne pas franchir.
Le cynisme ambiant des bellicistes en herbe est l’inverse d’une réflexion posée et construite. Elle s’apparente à une perte de contrôle, un errement guidé, aveuglé par les peurs, les sentiments, et sans doute l’ignorance, qui pourraient faire de la France une cobelligérante. Comme le disait le général de Gaulle, il n’y a que les arrivistes pour y arriver…
Une munition d’artillerie de 155 mm se compose généralement d’un obus, d’une fusée, d’un dispositif de mise à feu [ou étoupille] et d’au moins une charge modulaire [ou propulsive], leur nombre pouvant aller jusqu’à six en fonction de la distance à atteindre.
En juillet 2020, alors qu’il produisait 1000 obus de 155 mm par mois, le groupe Nexter passa une commande de 70’000 charges modulaires à Eurenco, dans le cadre d’un marché notifié au profit de l’armée de Terre. « Ce contrat permet de soutenir et de renforcer la capacité de production de la filière munitionnaire française au profit des armées, mais également d’améliorer la flexibilité du site d’Eurenco Bergerac », avait-il souligné à l’époque.
Seulement, les besoins en charges modulaires ont significativement augmenté depuis le début de la guerre en Ukraine, d’autant plus que la France s’est engagée à fournir 3000 obus par mois à l’armée ukrainienne. Et cela signifie qu’il faut également davantage de poudre propulsive…
D’où la subvention que la Commission européenne vient d’accorder à Nexter, dans le cadre du plan ASAP [Act in Support of Ammunition Production] qui, doté de 500 millions d’euros, doit permettre de porter la capacité européenne de production de munitions à 2 millions d’obus par an d’ici la fin de l’année 2025.
Ainsi, 41 millions d’euros viennent d’être débloqués pour augmenter la production de poudre explosive. Cette somme se partagera entre Nexter, le norvégien Nammo et le lituanien Valsts Aizsardzibas Korporacija.
« Les travaux initiés par Nexter [ou KNDS France] pour adapter l’outil industriel à une posture d’économie de guerre passent notamment par la réduction des goulets d’étranglement et des dépendances stratégiques. À ce titre, la poudre propulsive est un composant nécessaire à la fabrication des charges modulaires, qui font partie du ‘coup complet’ d’un obus d’artillerie de 155 mm », a commencé par rappeler l’industriel français, via un communiqué diffusé le 19 mars.
«La subvention européenne du plan ASAP permettra ainsi à Nexter, et sa filiale munitionnaire italienne SIMMEL DIFESA, en coopération avec ses partenaires, d’accroitre ses capacités de production de poudre propulsive. Cette capacité vient en complément de celle d’autres acteurs industriels, réduisant de fait les chemins critiques d’approvisionnement », a-t-il ensuite expliqué.
Cette subvention de la Commission européenne permettra ainsi à Nexter de porter la capacité de production annuelle de charges modulaires de 50’000 à 400’000 d’ici trois ans. Elle permettra « d’ancrer le soutien aux forces armées ukrainiennes dans la durée », a commenté l’industriel, avant de rappeler qu’il a « déjà multiplié par deux sa capacité de production de munitions d’artillerie, et par trois celle de CAESAr » [Camion équipé d’un système d’artillerie].
Quelle influence russe au sein des États baltes ? La position ambiguë de certains partis politiques en Estonie et Lettonie, membres de l’OTAN et de l’UE
Par Chloé Daniel* – Diploweb – publié le 16 mars 2024
*Chloé Daniel, diplômée du Master 2 Histoire – Relations internationales à l’Université catholique de Lille. Cet article a été rédigé à partir de son mémoire de M2, sous la direction de Pierre Verluise, fondateur du Diploweb.com.
La Russie de Vladimir Poutine revendique un droit « incontestable » sur les États baltes en raison de son « interprétation » de l’histoire de la Russie avec ces pays. Tallin, Riga et Vilnius sont considérées par Moscou comme faisant partie de l’ « étranger proche » du Kremlin, une région supposée nostalgique de la grandeur soviétique, à préserver de l’emprise de « l’Occident collectif ». Moscou va jusqu’à criminaliser des personnalités baltes qui refusent la « vision historique » de Vladimir Poutine. Cette stratégie de pression et d’influence va au-delà des domaines militaire, économique, médiatique et humanitaire, impliquant notamment les minorités russophones.
Dans ce contexte, les partis politiques lettons et estoniens tels que l’Union russe de Lettonie et le Parti social-démocrate « Harmonie », en plus du parti du Centre d’Estonie, puisqu’ils défendent les russophones et le maintien d’une culture russe dans leur pays, sont considérés comme pro-russes.
Bien qu’elle soit enlisée dans sa guerre militaire et idéologique contre l’Ukraine, la Fédération de Russie reste imprévisible et ne cache pas son plan de maintenir voire renforcer une influence au sein des Etats baltes. C’est pourquoi il faut rester prudents pour 2024… et la suite.
ESTONIE, LETTONIE ET LITUANIE, communément appelés les États baltes, représentent pour Michel Foucher « une zone de battement avec toujours comme enjeu, à l’arrière-plan, le contrôle […] de l’isthme Baltique/mer Noire » (Louis, 2021). C’est en effet ce qui motive dans un premier temps l’Empire russe, puis l’Union soviétique (1922-1991) et la Russie contemporaine à maintenir une influence dans la région.
Malgré l’implosion [1] de l’URSS en décembre 1991, les ex-républiques socialistes soviétiques que sont les États baltes occupent une place singulière parmi les cibles de Moscou. Leur originalité dans l’ « étranger proche » [2] russe tient à leur expérience soviétique, aux traumatismes et traces laissés par cette période d’occupation. Depuis leur adhésion en 2004 à l’OTAN puis à l’UE, leur originalité tient aussi à leur appartenance à ce que le dirigeant russe V. Poutine appelle de manière péjorative l’« Occident collectif » [3].
Par conséquent, Moscou y utilise différents leviers d’influence sophistiqués, relevant notamment de son « soft power » [4]. Le Kremlin espère pouvoir compter sur les minorités russophones des trois baltes et les partis politiques qui les représentent, à l’échelle nationale et européenne, instrumentalisés. Ces partis, représentés sur la carte ci-dessous, s’inscrivant dans la stratégie politique russe, sont-ils de fait des alliés de Vladimir Poutine, comme ils en sont depuis longtemps accusés ? Qu’en est-il de leur popularité dans le contexte actuel de guerre en Ukraine ? En somme, dans quelle mesure les États baltes constituent-ils des leviers d’influence politique russe ?
La carte représentant « Les Pays baltes, entre minorités russophones et partis politiques proches de Moscou » permet d’illustrer d’une part l’instrumentalisation faite par la Russie des minorités russophones (I), d’autre part les partis politiques ayant des relations ambigües, voire douteuses, avec Moscou (II), et enfin la stratégie russe confrontée aux moyens et ambitions baltes et européennes (III).
I. L’instrumentalisation faite par la Russie des minorités russophones baltes
Les « compatriotes » du « Monde russe » : deux concepts à l’origine de l’instrumentalisation des minorités russophones par le Kremlin.
Le 19 décembre 2013, Vladimir Poutine, lors d’une conférence de presse médiatisée sur la chaîne Rossiya24, revient sur la chute de l’URSS en déclarant : « Un jour, les gens se sont réveillés, personne ne leur avait rien demandé et le pays avait disparu. Ils ont soudain réalisé qu’ils se trouvaient à l’étranger … ». (Antoun et al., 2015). Ces derniers sont pour la plupart des « ethniques russes » (russkiy – ру́сский), terme qui diverge de celui de « citoyens russes » (rossisskiy – российский). Ils sont qualifiés de « compatriotes » (sootechestvennik – соотечественник) dont le statut est régi par la loi fédérale « sur la politique d’État de la Fédération de Russie à l’égard des compatriotes à l’étranger ». Le terme englobe : les citoyens russes extérieurs au territoire ; les anciens citoyens de l’URSS ; les émigrants de l’État russe et de l’URSS ; les descendants des catégories de personnes précédemment citées, à l’exception des descendants des personnes ayant obtenu une nouvelle nationalité. En 2014, l’Académie des sciences russe compte près de 30 millions de personnes répondant à cette catégorie de personnes (Ryazantev, 2014). En Estonie et en Lettonie, leur proportion serait de 24,8% et 24,5% de la population de ces deux pays, (Mix, 2022), bien que ces chiffres s’élèvent parfois jusqu’à 26,2% en Lettonie.
Plus largement, cette diaspora russe relève du « Monde russe » (russkiy mir – русский мир) imaginé par Vladimir Poutine : « Le « monde russe » est une idée définie uniquement sur la base de l’auto-identification. » (Zevelev, 2016). C’est la sphère d’influence imaginée par le Kremlin sur une base culturelle et linguistique, qui va bien au-delà des frontières géographiques et ethniques russes. (Dysart, 2021). L’idée majoritaire est la suivante : faire de l’espace post-soviétique une zone tampon, ou autrement dit, une zone située entre deux entités géographiques et qui, dans ce cas, sépare deux forces aux « mœurs » différentes.
Ainsi, les notions de « compatriotes à l’étranger » et de « Monde russe », « reflètent toutes deux la tension entre les frontières réelles de la Fédération de Russie et les cartes mentales de la « Russie » qui existent dans l’esprit de nombreux Russes. ». (Zevelev, 2016). Leur utilisation permet à Vladimir Poutine de créer une idée « identité commune » simplement au travers de la langue russe. C’est la première langue de respectivement 30% et 34% des populations estoniennes et lettones (Bergmane, 2020). Néanmoins, comme l’explique Céline Bayou : « […] ces minorités [russophones, ndlr] doivent être appréhendées avec nuance. Parmi ces « russophones », certains […] sont des opposants russes, bélarusses ou autres, qui se sont installés sur les rivages baltes pour fuir des régimes non démocratiques ; voire des personnes déplacées d’Ukraine depuis le début de la guerre, de facto potentiellement russophones. Parmi ces « russophones » également, certains sont citoyens lituaniens, lettons ou estoniens ; d’autres sont citoyens d’autres pays ; et d’autres, enfin, sont « non-citoyens » […]. » (Descoups, 2022).
En effet, la question de l’intégration des minorités russophones est très politique. Elle est sujette aux controverses dès le lendemain des indépendances et questionne encore dans un contexte de guerre en Ukraine. Vilnius, où la population russe est peu nombreuse et la population polonaise légèrement plus importante [5], fait le choix de la « formule zéro » dès 2002. Cela signifie que « la citoyenneté lituanienne sans aucune condition préalable a été accordée à tous les résidents locaux qui souhaitaient l’obtenir » (Brack et al., 2015). 98% des russophones y sont donc naturalisés (Saffrais, 1998). L’Estonie et la Lettonie font preuve de plus de raideur dans leurs politiques face aux minorités russophones plus importantes [6]. La loi sur la citoyenneté estonienne de 1992 distingue les minorités historiques et les nouveaux « migrants » [7] en fixant certaines conditions. Pour les autres, la catégorie des « non-citoyens » est créée. Ces derniers ont moins de droits que les habitants naturalisés mais disposent tout de même du droit de vote aux élections locales. Cette catégorie de non-citoyens bénéficie de passeports spécifiques. Sans être apatrides, leur statut est exceptionnel. Ils n’ont pas le droit d’accès à certains emplois dans l’administration publique et ils n’ont pas le droit de voter aux élections, sauf en Estonie pour les élections locales. Cela pose un problème juridique évident.
Ce sont ces russophones, notamment les « non-citoyens » d’Estonie et de Lettonie, considérés par Moscou comme des « compatriotes » du « Monde russe » qui, jugés discriminés. sont défendus par certains partis politiques, particulièrement lettons et estoniens. Or, cela s’inscrit dans le discours de la Russie, laissant place aux critiques quant aux relations existantes entre les partis cités, les personnalités politiques qui les représentent et Russie unie de Vladimir Poutine.
II. Des partis politiques baltes ayant parfois des relations ambigües, voire douteuses, avec Moscou
Le parti social-démocrate « Harmonie » (SDPS) et l’Union russe de Lettonie (LKS), ainsi que le parti du Centre d’Estonie, peuvent être utilisés comme messagers de la propagande russe. Défendant les intérêts des russophones présents sur le territoire, ils peuvent obtenir un certain nombre de voix.
En effet, une corrélation socio-spatiale existe entre le nombre de voix attribuées aux partis et le nombre de russophones et russes vivant dans certaines des régions lettones, comme le montre une étude réalisée en 2022 [8]. A titre d’exemple, la ville de Daugavpils en Lettonie, où près de 75% des habitants ont pour langue natale le russe et environ 50% le sont ethniquement (Colling, 2022), constitue une grande partie de l’électorat du SDPS ou LKS. Comme Narva en Estonie [9], Daugavpils est un espace géographique sous tension, important théâtre de propagande russe, qui regroupe les populations les plus proches mais les plus éloignées dans cette période de guerre en Ukraine. Preuve de l’inquiétude existante quant aux minorités russophones de ces deux régions, Gabriel Range réalise le documentaire « This World, World War Three : Inside the War Room », paru en 2016. Celui-ci imagine le destin de Daugavpils : se sentant discriminés par leur statut, les russophones se rebellent contre le gouvernement letton tout en étant soutenus par le Kremlin qui en profite pour envahir la Lettonie.
La défense des minorités russophones, du maintien de la langue russe, de la culture russe, ou d’un monument à la gloire de l’URSS, sont autant d’éléments repris par des partis et personnalités politiques sociaux-démocrates lettons et estoniens, s’alignant sur le discours de la Fédération de Russie. Les partis LKS et SDPS, dans une coopération officielle avec Moscou ou non, n’ont cessé de défendre les intérêts du Kremlin sur le sol letton, participant à créer une particularité lettone à ce sujet. Si les deux partis perdent drastiquement en popularité aux élections parlementaires de 2022, du fait de l’offensive russe en Ukraine du 24 février 2022, il n’empêche que leur ligne politique reste inchangée. Bien qu’ils aient tous deux nié plus ou moins radicalement toute relation avec la Russie, le fait qu’ils puissent recevoir des financements du Kremlin ou que seulement 40% des russophones condamneraient la guerre menée par la Russie en Ukraine [10], peut leur permettre de maintenir un certain électorat.
Le SDPS, fondé en 2010, est en 2011, 2014 et 2018, le parti qui détient le plus de sièges au Parlement (Brack et al., 2015). Nils Ušakovs, représentant du parti, est maire de Riga de 2013 à 2019, avant d’être destitué pour un scandale de corruption. Pourtant, « dans l’espace letton de l’information, « Harmonie » jouit d’une réputation stable en tant que « bras armé du Kremlin ». » (Zhirnova, 2022). Quant à « L’Union russe de Lettonie », co-présidé par Tatjana Ždanoka et Miroslavs Mitrofanovs, il est « plus fortement orienté vers la Russie que le Centre de l’harmonie : ce parti milite notamment pour l’introduction du russe comme deuxième langue officielle de Lettonie ainsi que pour l’octroi de la citoyenneté – et, partant, du droit de vote – à tous les résidents. » (Brack et al., 2015).
Cette situation diffère en Estonie, où le critiqué « Parti du centre d’Estonie » a une ligne politique bien plus modérée que les partis lettons précités. Cette position, liée à la diminution des soupçons quant à ses liens avec Moscou, fait sa popularité. Surtout que le parti a su adopter une position critique sur la politique étrangère de la Russie a plusieurs reprises, donc rester pragmatique (Brack et al., 2015).
Enfin, la Lituanie fait figure d’exception par rapport aux deux autres États baltes sur les plans historiques, législatifs, démographiques et donc politiques. En effet, les russophones (peu nombreux et éparpillés sur le territoire) ne constituent pas un vivier électoral à satisfaire et défendre politiquement. Leur attitude reste pro-européenne. La principale menace russe est donc militaire, le pays étant frontalier de l’exclave russe de Kaliningrad et de la Biélorussie. Le département de la sécurité d’État lituanien (Valstybės saugumo departamentas, VSD) en a conscience : « La région de Kaliningrad reste la plus grande menace dans le voisinage de la Lituanie. » est-il écrit dans le rapport de 2023 [11]. La région de Kaliningrad et la Biélorussie sont en effet reliées par le corridor de Suwalki, long de 64 km, qui n’est autre que la frontière entre la Lituanie et la Pologne, zone faiblement peuplée. Il s’agirait du « point faible de l’Europe de l’OTAN » (Pennarguear, 2022) si la Russie venait à s’en emparer avec ses troupes, séparant complètement les États baltes du reste de l’Europe. Ces faiblesses de Suwalki ont été mises en évidence par le général Ben Hodges dans un rapport accablant publié dès 2018. Cet ancien commandant des forces américaines en Europe alerte : « Les membres de l’OTAN ne doivent avoir aucun doute, les forces russes menacent l’intégrité territoriale de l’ensemble de l’Alliance transatlantique. Toutes les faiblesses de la stratégie de l’OTAN et de sa posture militaire convergent vers le corridor de Suwalki. » (Pennarguear, 2022). L’OTAN est cependant positionnée aux alentours.
Plus que les partis politiques en eux-mêmes, ce sont certaines personnalités politiques qui inquiètent. Au contraire du politique Algirdas Paleckis en Lituanie, jugé pour ses actes, Nils Ušakovs (SDPS) et Tatjana Ždanoka (LKS), sont représentés au Parlement européen. Nils Ušakovs, russophone et « non-citoyen » letton avant ses 23 ans, défend toujours les intérêts des russophones, bien qu’il réfute ses liens présumés avec Moscou. Tatjana Ždanoka, s’affiche au plus près de Moscou, comme un messager de la propagande russe au sein du Parlement européen, en plus qu’à l’échelle nationale. Par exemple, en 2019, elle compare les russophones en Lettonie avec les Juifs avant la Seconde Guerre mondiale, déclaration pour laquelle le Service de sécurité de l’État letton lance une procédure pénale pour incitation à la haine ethnique (Bergmane, 2020). Elle a aussi précédemment soutenu l’annexion russe illégale de la Crimée en 2014 et le soutien de la Russie au régime de Bachar Al-Assad en Syrie [12]. Relativement seule dans son combat au sein de l’Union européenne, elle ne serait qu’un relais avec peu d’influence aujourd’hui.
III. La stratégie russe confrontée aux moyens et ambitions baltes et européennes
Pour Moscou, il ne s’agit pas seulement d’avoir une certaine influence au sein des Baltes auprès d’autres acteurs aussi présents, mais d’y garder une part de contrôle. Pour cela, il lui faut décrédibiliser ces Etats auprès des institutions européennes. C’est pour cette raison que le Kremlin aime insister sur la présumée tendance intrinsèquement nazie des pays baltes et leurs manquements au respect des droits de l’Homme auprès des populations russophones [13]. La Russie qualifie même les États baltes d’ « États faillis ».
Cette perception des États baltes, notamment du fait de leur appartenance à l’Union européenne et à l’OTAN, se retrouve dans les documents et discours officiels du Kremlin, en plus d’être largement médiatisée. Le récit utilisé par Moscou est partie prenante de sa stratégie d’influence. Vladimir Poutine l’a bien compris : « Nous n’acceptons pas une déclaration en fonction de son exactitude factuelle, mais en fonction du fait qu’elle s’inscrit dans un récit attrayant ou qu’elle est racontée par une personne ou une entité attrayante. » [14].
La même stratégie est utilisée en Chine, où l’objectif des actions d’influence est aussi de diffuser un discours « alternatif » face à des enjeux géopolitiques majeurs (Mccalla, 2022). Les appareils médiatiques des deux pays sont des piliers importants de la guerre informationnelle qu’ils mènent, comme pour la Covid-19 ou la guerre en Ukraine. En 2020, Zhao Lijian, porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères, écrivait « L’armée américaine a peut-être amené l’épidémie à Wuhan » (Allgöwer, 2020). L’objectif est double, selon le spécialiste Antoine Bondaz : rejeter la faute et minimiser les erreurs face à une telle crise sanitaire, pourtant d’origine chinoise (Allgöwer, 2020). Il en est de même pour la Russie. Dans son discours du 30 septembre 2022 [15], au cours duquel Vladimir Poutine annonce l’incorporation des régions de Donetsk et de Lougansk, ainsi que des districts de Kherson et Zaporojie à la Russie, après avoir envahi l’Ukraine le 24 février 2022, le Président russe dénonce l’hégémonie occidentale. Celle-ci serait à la fois une menace en termes de souveraineté (territoriale, économique et militaire) mais aussi en termes de valeurs. Les idées de « libéralisme extrême » viendraient « diluer les valeurs spirituelles et morales traditionnelles russes ». Pour maintenir « la grande Russie historique », il faudrait préserver les prochaines générations d’un Occident « néocolonial » qui veut « briser la Russie ». En somme, ce discours qui rejete la faute de l’invasion russe en Ukraine sur l’Occident, est symptomatique de tous les maux attribués à l’Union européenne et l’OTAN diabolisés.
Pour autant, face au géant russe, les États baltes sont depuis toujours, et surtout depuis 1991, méfiants à l’égard de la Russie dont ils souhaitent se tenir le plus éloignés. Déjà le 25 février 1994 le premier Président estonien Lennart Meri prononce un discours prémonitoire lors du Matthiae-Supper à Hambourg (RFA). Il s’inquiète de la normalisation des relations russo-européennes et de l’« absence de considération, voire de la condescendance » de l’UE face aux « petites nations baltes » ayant subi l’occupation russe (Tenzer, 2023). France et Allemagne refusent par exemple la mise en place de sanctions contre la Russie malgré la guerre menée à la Géorgie en 2008. Mais en parallèle, la politique extérieure de l’Union européenne vient contrer l’influence russe à travers les organisations régionales qu’elle dirige. Née en 2004, « la politique européenne de voisinage vise à renforcer la coopération politique, sécuritaire, économique et culturelle entre l’Union européenne et ses nouveaux voisins immédiats ou proches. » [16]. Initialement également envisagée pour la Russie, cette dernière refuse de l’intégrer, n’étant pas associée à son rang présumé au processus de décision et voyant dans cette initiative une tentative de l’UE de diminuer son influence dans les pays du voisinage commun. Moscou créée alors l’Union économique eurasiatique (UEE), ancienne Communauté économique eurasienne annoncée le 10 octobre 2000. Celle-ci « ambitionne de devenir un pont entre l’Union européenne et la Chine » (Condé, 2021). Il n’a jamais été question pour les États baltes d’intégrer de telles organisations. Dans la lignée de leur radicalité face à la Russie, en 2014, après l’annexion de la Crimée par la Russie, la Présidente lituanienne, Dalia Grybauskaité, déclare : « Un pays qui dit à ses troupes de retirer leurs insignes militaires, qui déploie une armée et de lourds équipements sans signe de reconnaissance, un tel pays porte tous les signes d’un État terroriste » [17]. Or, dans une confrontation constante des narratifs, cela permet au Kremlin de dénoncer la « russophobie » des États baltes qui eux se sentent largement menacés par celui-ci.
En somme, selon Céline Bayou, « pour les Baltes, l’invasion russe de 2022 n’est donc que le prolongement de la politique plus ancienne de la Russie, et notamment de l’agression de 2014. […]. Engagés au côté de l’Ukraine […], ils se réjouissent toutefois de voir l’Europe (communautaire) enfin décillée, mobilisée et unie. » (Descoups, 2022). L’Union européenne a, en effet, rarement été aussi unie et unanime dans ses prises de décision face à la guerre en Ukraine, et contre la Russie, confortant le discours balte. Néanmoins, les Baltes n’en tirent « qu’une mince satisfaction » puisqu’une telle attaque était à leurs yeux prévisible et ne fait qu’augmenter la menace russe (Descoups, 2022). À ce titre, les États baltes, avec la Pologne, « ne baissent pas la garde pour autant : face au risque d’une « fatigue » de l’Occident, ils se font les défenseurs d’un engagement qui devrait selon eux être plus rapide, plus massif et engagé sur le temps long. » (Bayou, 2022).
A ce jour, l’Union européenne a su s’adapter à la menace russe grandissante, notamment après 2014, et de façon plus concrète depuis 2022, notamment avec un mécanisme de sanctions. Enfin les États membres européens réalisent l’agressivité de la Russie et la considèrent en ce sens. Pourtant, depuis 2004 les États baltes défendent cette exacte position, ce qui leur accorde un « triste triomphe » selon les mots employés par Céline Bayou.
Conclusion
La Russie de Vladimir Poutine revendique un droit « incontestable » sur les États baltes en raison de son interprétation de l’histoire avec ces pays. Tallin, Riga et Vilnius sont considérées par Moscou comme faisant partie de l’ « étranger proche » du Kremlin, une région supposée nostalgique de la grandeur soviétique, à préserver de l’emprise de « l’Occident collectif ». [18] Cette stratégie d’influence va au-delà des domaines militaire, économique, médiatique et humanitaire, impliquant notamment les minorités russophones.
Les partis politiques lettons et estoniens tels que l’Union russe de Lettonie et le Parti social-démocrate « Harmonie », en plus du parti du Centre d’Estonie, puisqu’ils défendent les russophones et le maintien d’une culture russe dans leur pays, sont considérés comme pro-russes. Le cas de leur représentant est plus inquiétant, surtout celui de la Lettone Tatjana Ždanoka, députée au Parlement européen.
Néanmoins, dans le contexte de la guerre d’agression russe en Ukraine, la Russie étant majoritairement considérée comme un ennemi à côté duquel il ne faudrait pas s’afficher, que ce soit au sein des États baltes ou de l’Union européenne, la menace d’une immixtion russe par le levier politique, au sein et à partir des États baltes, semble réduite en 2023. Les partis et personnalités politiques baltes, bien que parfois alignés sur le discours de Moscou et malgré le terrain favorable à leur émergence que peuvent représenter la Lettonie et l’Estonie surtout, ne constituent pas alors des leviers d’influence russes conséquents.
Bien qu’elle soit enlisée dans sa guerre militaire et idéologique contre l’Ukraine, la Fédération de Russie reste imprévisible et ne cache pas son plan de maintenir voire renforcer une influence au sein des Etats baltes. C’est pourquoi il faut rester prudents pour 2024… et la suite.
La menace principale reste le risque d’une escalade dans le conflit ukrainien qui se trouve aux portes de l’Union européenne. La perspective d’un tel avenir au sein des Etats baltes, malgré l’existence du corridor du Suwalki, paraît faible du fait de leur appartenance à l’OTAN. Le contexte préoccupant de la guerre en Ukraine aura au moins permis à ces trois États de s’émanciper un peu plus de la Russie et de gagner – tardivement et dans des conditions dramatiques – en reconnaissance au sein de l’Union européenne. Cela vaut à la fois pour l’entité qu’ils constituent et pour chacun d’eux. Qui aurait imaginé ce scénario quand ils sont entrés en 2004 dans l’OTAN et dans l’UE ?
Manuscrit clos en juin 2023
Copyright Mars 2024-Daniel/Diploweb.com
Bibliographie
Ouvrages scientifiques
Aubin, L. (2022). Géopolitique de la Russie. Paris : La Découverte.
Brack, N., de Waele, J. & Pilet, J. (2015). Les démocraties européennes : Institutions, élections et partis politiques. Armand Colin.
Nye, J. (1990). Bound to Lead. The Changing Nature of American Power. New York : Basic Books.
Dysart, B. D. (2021). The Politics of Russian ‘Diaspora’ : From Compatriots to a Russian World. Turkish Journal of Diaspora Studies, n°1, pp. 49- 63. DOI : 10.52241/TJDS.2021.0004.
Zhirnova, L. S. (2022). Regional trends in electoral support for Latvian parties : the neighbourhood effect. Baltic Region, n°14(1), pp. 138-158.
Documents gouvernementaux, juridiques et institutionnels
Mix, D. E. (29/09/2022). Estonia, Latvia, and Lithuania : Background and U.S.-Baltic Relations. Congressional Research Service. https://sgp.fas.org/crs/row/R46139.pdf
Bartak, K. (1993). Tensions avec Moscou sur le sort des « immigrés russes ». La Lettonie et l’Estonie entre nationalisme et pragmatisme. Le Monde diplomatique : https://www.monde-diplomatique.fr/1993/08/BARTAK/45566.
Le 5 mars, la Commission européenne a dévoilé un « programme européen pour l’industrie de la défense » [PEID], lequel vise à inciter les vingt-sept États membres de l’UE [Union européenne] à mutualiser leurs achats d’équipements militaires et à mener des programmes d’armement en coopération, l’objectif étant de réduire la dépendance à l’égard des États-Unis. Objectif qui n’est pas foncièrement nouveau : il y a dix ans, il était déjà question du concept « pooling and sharing » et de faciliter les synergies…
Dans le détail, le PEID propose des mesures organisationnelles, juridiques et financières censées encourager les États membres à « augmenter régulièrement leurs achats d’équipements de défense au sein de l’Union pour qu’au moins 50 % du budget qui y est consacré soit dépensé dans l’Union à l’horizon 2030 et 60 % à l’horizon 2035 ».
« Avec la résurgence d’un conflit de forte intensité sur notre continent, l’Europe ne peut plus attendre pour renforcer la capacité de la base industrielle et technologique de défense européenne à produire plus et plus rapidement », a résumé Thierry Breton, qui, en sa qualité de commissaire européen au Marché intérieur chargé de l’industrie de défense, a été l’architecte de ce PEID.
Or, en janvier, lors d’une audition au Sénat [le compte-rendu vient d’être publié], M. Breton a soutenu que les industriels européens de la défense doivent « changer de modèle économique » afin de produire plus vite et davantage. Seulement, parce qu’ils ont leur logique propre, tous les secteurs d’activités ne peuvent pas se plier à une telle injonction. C’est notamment le cas de la construction navale, où les programmes se conduisent sur le temps long.
« L’Europe fournit à l’Ukraine 75 milliards d’euros. C’est plus que les États-Unis. Pour autant, nous devons nous préparer à renforcer notre base industrielle de défense. En Europe, nous savons tout faire : missiles hypersoniques, porte-avions nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, etc. Nous produisons les meilleurs avions du monde, les chars les plus sophistiqués, mais nous le faisons à notre rythme », a observé M. Breton.
Dans la liste qu’il a donnée, on peut s’interroger sur la présence des « sous-marins nucléaires lanceurs d’engins » [SNLE] dans la mesure où ceux-ci relèvent de la dissuasion nucléaire française… Cela vaut aussi pour les « porte-avions nucléaires » que seule la France est en mesure de construire parmi les vingt-sept.
Quant aux armes hypersoniques [si l’on excepte le missile balistique M51] aucun pays de l’UE n’en a mis en service à ce jour. Encore une fois, seule la France conduit des programmes pour s’en doter [V-MAX et ASN4G]. Bref, les exemples cités par M. Breton ne sont certainement pas les plus pertinents.
« Nous sommes encore dans des logiques d’arsenal. Les industriels de la défense – cela ne concerne pas seulement la France -, qui ont comme principal interlocuteur les directions générales de l’armement des États membres, leur disent : ‘Certes, c’est plus cher, et cela prend plus de temps. Mais c’est stratégique.’ Or l’enjeu est maintenant d’augmenter notre BITD [Base industrielle et technologique de défense], afin que les cadences suivent. Il faut inciter les industries de la défense à changer de modèle économique, pour passer d’une logique d’arsenal à une logique de marché plus normale », a ensuite développé le commissaire européen au Marché intérieur.
Plus tard, M. Breton a défendu l’idée de mutualiser les capacités des États membres pour assurer leur sécurité dans les « espaces contestés » [espace cyber, espace, espace aérien et espace maritime]. « Nous le savons : aucun pays ne peut, à lui seul, assurer sa sécurité dans ces espaces », a-t-il fait valoir, avant de s’interroger, à nouveau, sur la nécessité d’un « second porte-avions » [européen ?] ».
« Quelle marine peut prétendre protéger la zone maritime exclusive européenne, qui est la plus vaste au monde ? [grâce, en grande partie, aux 11 millions de km² de la ZEE française, ndlr] Je rappelle que tous les dix-huit mois, l’unique porte-avions français doit être au carénage. En période de guerre, mieux vaut qu’il soit utilisable !», s’est exclamé M. Breton. Aussi, a-t-il continué, « peut-être faudrait-il convenir au niveau européen d’en construire un deuxième ».
Ce propos aurait mérité des précisions que le commissaire européen n’a pas fournies [du moins, selon le compte-rendu]. S’agirait-il de solliciter un financement européen pour doter la Marine nationale d’un second porte-avions? Ou bien est-il question de construire un tel navire qui battrait pavillon de l’UE?
Dans un cas comme dans l’autre, l’idée lancée par M. Breton est irréalisable en l’état. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il la propose. En octobre, il avait en effet estimé que, « à moyen-long terme », il allait être « inévitable de se poser la question d’un porte-avions européen ».
Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a déjà rejeté une telle idée. «Le porte-avions est un instrument de souveraineté absolue, ce qui n’exclut pas sa participation à des missions multinationales ainsi que la présence de navires européens au sein de son groupe aéronaval », avait-il répondu à M. Breton, à l’occasion d’une audition parlementaire.
De son côté, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, en avait détaillé les obstacles techniques. « Il faudrait d’abord avoir un besoin commun qui soit exprimé pour un tel outil. Et je rappelle que la France est un pays un peu particulier dans la mesure où elle est une puissance dotée [de l’arme nucléaire, ndlr]. Et donc elle a besoin de capacités de dissuasion qui ne seraient pas forcément les mêmes à l’échelon européen. Nous, on pousse à l’interopérabilité entre les différents systèmes plutôt que s’interroger [sur cette idée de porte-avions européen, ndlr] », avait-il expliqué.
Visiblement, malgré de tels arguments [sans compter les obstacles « opérationnels », sachant que seulement trois pays membres de l’UE ont des capacités aéronavales, à savoir la France, l’Italie et l’Espagne], M. Breton a de la suite dans les idées…
« Beaucoup de pays européens expriment ce besoin. […] Donc, il y a des réflexions. C’est objectivement un serpent de mer. Donc, Thierry Breton essaie aussi de satisfaire des demandes de pays ayant une marine et ne pouvant évidemment pas se payer un groupe aéronaval », avait jugé M. Lecornu, en octobre dernier.
Le débat sur la défense de l’espace européen atteint en ce moment ses sommets. Cela est bien sûr la conséquence de l’invasion de l’Ukraine par la Russie mais également des déclarations alarmistes de certains responsables politiques européens.
Il est vrai que le risque d’une intervention directe de la Russie en Europe n’est pas à exclure, mais plus dans le cadre de ce qui se passait lors de la splendeur du Pacte de Varsovie. Moscou n’a plus d’idéologie (le marxisme-léninisme) à exporter pour créer le monde des « petits matins qui chantent », seulement à défendre ses propres intérêts.
L’annexion – illégale au regard du droit international, il faut le rappeler – de la Crimée n’est pas due à ses plages très appréciées des touristes moscovites mais à Sébastopol, l’importante base navale qui donnait à Moscou une possibilité d’accès aux « mers chaudes », vieux fantasme russe – comme celui de l’« encerclement ».
Deux régions posent actuellement problème à Moscou : Kaliningrad qui est enclavée dans entre le Pologne et la Lituanie et la Transnistrie, dont la majorité de la population est russophone, qui jouxte la Moldavie – et qui lui appartient, toujours selon le Droit international.
Les États baltes et la Pologne crient en permanence au loup car leur Histoire leur fait craindre le pire. On ne peut que les comprendre. Les positions suédoise et finlandaise sont moins évidentes.
Dans cette ambiance délétère, des voix s’élèvent pour demander à ce que la force de frappe française bénéficie, d’une manière ou d’une autre, aux pays amis européens, affirmant que cela participerait à la dissuasion déjà représentée par la couverture américaine dans le cadre de l’OTAN. Cela amène à quelques retours aux « fondamentaux. »
Certes, les États-Unis sont en Europe depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la protéger contre une agression lancée par Moscou. Mais qui peut imaginer un seul instant qu’un locataire de la Maison Blanche déciderait de déclencher un feu nucléaire en Europe – même limité – au risque de subir en retour des frappes sur le territoire américain ? Même du temps de la Guerre froide, aucun responsable politique européen sérieux n’y croyait vraiment.
Sauf en cas de déclenchement de l’apocalypse, jamais Washington n’aurait autorisé les avions européens de l’OTAN à larguer des bombes atomiques (le code de déclenchement – comme pour les armes britanniques – est au Pentagone.) Il est probable que ce sera toujours le cas à l’avenir. Les bombes américaines B-61 sont faites pour ne pas être employées.
C’est d’ailleurs ce qui a poussé la France à se doter de l’arme atomique, bien avant l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1958, même si c’est ce dernier qui a donné l’impulsion décisive. Cela compliquait les calculs des stratèges de l’Armée rouge. Ils n’avaient plus à faire à un seul centre de décision (Washington, car Londres était aux ordres) mais à deux, avec Paris.
Aujourd’hui et comme hier, la force de dissuasion hexagonale est là pour défendre les intérêts des citoyens français. Pour rappel, ces derniers sont un peu les otages de ce chantage (on ne leur dit pas tout) : « nous sommes prêts à disparaître mais le coût sera trop élevé pour un agresseur éventuel (Moscou). »
Cette stratégie était d’ailleurs fortement contestée en France où le slogan « plutôt rouge que mort » avait un certain écho dans la classe intellectuelle que l’on découvre de plus en plus infiltrée par le KGB. Il est d’ailleurs étrange que durant des décennies aucun espion de haut vol n’a été détecté par les services de contre-espionnage français, alors qu’aujourd’hui, des journalistes d’investigation parviennent à le faire…
La question des « intérêts fondamentaux » de la France est toujours restée volontairement floue de manière à ce que l’adversaire potentiel n’ait pas de « ligne rouge » jusqu’où il puisse aller. Pour l’anecdote, Paris pensait déjà dans les années 1960 à la menace chinoise…
Enfin, il ne faut pas être dupe. Même si un système de dissuasion était mis en place, il serait comme celui de l’OTAN : à « double clef. » C’est-à-dire qu’aucune frappe ne serait autorisée sans l’aval de l’Élysée, histoire que Vilnius – ou une autre capitale se sentant menacée – ne nous entraine vers l’irréparable.
Aspect moins important mais à creuser : quelles armes pourraient être dédiées à la défense européenne et quels vecteurs les emporteraient ? Il conviendrait de revoir totalement le dispositif français qui est déjà accusé de coûter très cher…
Les responsables politiques évitent de mettre en avant cette question fondamentale où la vie et la mort de l’ensemble des Français est sur la table. Certains imaginent que la défense des intérêts fondamentaux de la Patrie démarre aux frontières de la Russie. En résumé, les Français sont-ils prêts à se sacrifier pour les Européens ?
L’EXTRA-TERRITORIALITÉ DU DROIT, ENJEU DE PUISSANCE ET GUERRE SECRÈTE ENTRE LES ÉTATS-UNIS ET L’EUROPE
Les États-Unis n’ont jamais accepté que l’Europe existe réellement en témoignant d’une distanciation stratégique face à leur puissance économique. Aussi, le droit apparaît-il comme un vecteur central dans un rapport de force dont les conclusions sont toujours incertaines.
Dans un climat de complexification constante des relations internationales où de nombreux enjeux s’avèrent désormais globaux au sein d’une arène où les acteurs se sont démultipliés, il est nécessaire d’apporter une analyse rigoureuse et précises des différents mécanismes d’influences. Ainsi il s’agit de mieux comprendre comment fonctionne ce jeu international qui s’avère d’une complexité accrue. L’extraterritorialité du droit est alors devenue une arme redoutable. Ici nous allons parler de la façon dont les États-Unis, grands adeptes de cette pratique, ont étendu leur puissance au détriment de l’Union Européenne qui tend doucement à s’adapter à cette pratique.
Depuis la seconde moitié du XXème siècle, et l’apparition du droit international ayant comme ambition de régir un ordre mondial, est apparu parallèlement l’utilisation de plus en plus courante de l’extraterritorialité du droit. Il s’agit de l’une des réponses ayant pour objectif de faire régner une justice globale négociée à condition qu’elle soit en concordance avec le droit international, qui est basé sur la charte des nations unies. Il s’agit du principe selon lequel un état applique sa justice et son droit sur un territoire étranger lorsqu’il estime qu’il en a la légitimité. Selon, monsieur Cohen-Tanugi, avocat et essayiste français, l’extraterritorialité du droit entre l’Europe et les États-Unis conduit à une harmonisation du droit international. Les trois domaines principaux de l’extraterritorialité à savoir le droit de la concurrence, l’anti-corruption et les sanctions, convergent entre ces états. Cependant il faut noter qu’il existe un danger lorsqu’elle est pratiquée avec des pays qui ne sont pas des états de droit. Ce danger est important du fait du caractère arbitraire de la réplique qui peut être engendrée, par exemple la détention de deux ressortissants canadiens lors de l’affaire Huawei entre les US et la Chine, nous n’allons cependant pas traiter ce sujet dans cette analyse.
Enjeux d’influences, les Etats-Unis experts en la matière.
Force est de constater que l’extraterritorialité du droit peut devenir un moyen de soumettre un tiers à des fins économiques, et in fine non pas à des fins éthiques et morales. C’est dans cette perspective pragmatique et rationnelle qu’il s’agit de s’intéresser à cet outil qui semble être un atout de puissance permettant de soumettre son influence sur la scène internationale. Il est dès lors inéluctable de s’atteler à l’extraterritorialité du droit américain et conformément à notre cas, aux conséquences sur la souveraineté de l’UE. En effet, les États-Unis sont des adeptes de son utilisation. Grand vainqueur de la Seconde Guerre mondiale puis de la Guerre Froide, ces derniers ont réussi à soumettre leur influence dans l’ensemble du monde en établissant des liens de dépendances d’autres pays à leur égard. Ainsi, du fait de leur implantation dans de nombreux États via des entreprises, l’utilisation courante du dollar par de nombreux pays sur les marchés financiers, ou encore de la dépendance technologique de nombreux acteurs, ces derniers s’estiment légitimes d’avoir un droit de regard afin d’appliquer leur justice à l’extérieur de leurs frontières. De nombreuses affaires témoignent de cette utilisation massive de l’extraterritorialité du droit par les États-Unis à l’instar de l’affaire Alstom. En effet, Alstom fût un fleuron national français en matière d’énergie nucléaire et a été fusionné puis acquis par le groupe Général Electric au grand désarroi de la France. Les États-Unis appliquent ce droit principalement grâce au Foreign Corrupt Act (FCPA), qui permet d’infliger des amendes en établissant des programmes de conformités. Le risque est alors de s’affaiblir économiquement, et pire encore comme ce fut le cas pour l’affaire Alstom, il s’agit de perdre de sa souveraineté du fait de la perte d’une technologie à laquelle nous sommes dépendants. En effet, en vendant ce fleuron national, la France, mais aussi l’Europe, a perdu ce qui faisait l’une de ses forces à savoir la maitrise du nucléaire nécessaire à la construction de turbines qui peuvent se trouver dans différentes technologies qui garantissent notre autonomie stratégique en matière énergétique ou militaire. Au final, c’est politiquement que l’Europe s’affaiblit. Cela a pour conséquence la mise à mal de l’aspiration à une Europe de la Défense qui se veut être la pierre angulaire d’un plan ayant comme objectif une autonomie stratégique permettant de s’émanciper des États-Unis d’un point de vue militaire. Les principales victimes de l’extraterritorialité du droit ont été des entreprises européennes, qui s’affichent désormais sur le tableau de chasses du FCPA. Celles-ci ont permis d’engendrer un gain de plusieurs dizaines de milliards de dollars aux États-Unis. Les principales touchées ont été Siemens, KBR, Alstom, BNP, Crédit Agricole ou encore Commerzbank.
La riposte européenne, une nécessité pour conserver sa souveraineté?
C’est en ce sens que l’Union Européenne a commencé à s’atteler à contrer les attaques de l’oncle Sam. Elle a ainsi mis en place une stratégie adaptée à de tels enjeux qui se fonde sur des mécanismes d’intelligences économiques. Ces derniers consistent à collecter, analyser et valoriser l’information économique et stratégique afin de protéger les intérêts des entreprises concernées et ainsi l’Europe. Cela se matérialise par la mise en place d’outils législatifs de protection et d’attaque. Dans cette mesure a été
mis en place l’INSTEX, qui est un mécanisme financier mis en place par l’Europe en 2019 pour faciliter le commerce avec l’Iran malgré les sanctions américaines rétablies à la suite du retrait des États-Unis de l’accord nucléaire de 2015. En matière d’intelligence économique, ce mécanisme joue un rôle crucial dans la défense des intérêts européens face à l’extraterritorialité du droit américain. Il vient ainsi pallier ce problème en établissant un système de paiement sécurisé, qui contourne le système financier américain pour les transactions commerciales entre l’Europe et l’Iran. En agissant ainsi, l’Europe protège ses entreprises des sanctions américaines, garantissant ainsi leur compétitivité et leur accès au marché iranien, tout en préservant la souveraineté de son système juridique. Dans ce sens, a aussi été mis en place en France le Service de l’Information Stratégique et de la Sécurité Économique (SISSE) qui a pour but de protéger les actifs stratégiques de l’économie française face aux menaces étrangères en détectant, caractérisant et en traitant les menaces étrangères.
De façon plus pragmatique l’Union Européenne a mis en place d’autres outils législatifs plus offensifs qui vont au-delà des questions de territoire. Ainsi Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) joue un rôle crucial dans la défense des intérêts de l’Europe. Adopté en mai 2018, le RGPD établit un cadre réglementaire solide pour la protection des données personnelles des citoyens européens. Cette réglementation renforce la confiance des consommateurs européens dans les services numériques et les entreprises qui traitent leurs données. C’est ainsi que le RGPD renforce donc la souveraineté européenne en matière de protection des données et offre une protection contre l’ingérence étrangère dans les affaires européennes. En imposant des normes strictes de protection des données, l’Europe se positionne comme un acteur mondial influant en matière d’intelligence économique, car elle protège ses citoyens, ses entreprises et ses informations stratégiques des tentatives d’accès non autorisées de la part d’acteurs étrangers. Ce règlement permet de contrer l’activité extraterritoriale des États-Unis permis par le Cloud Act qui leur donne le droit d’accéder à des données détenues par des entreprises américaines, et ce peu importe où elles sont stockées dans le monde.
Dans la continuité de cette stratégie d’autres outils législatifs ont été mis en place à l’instar de la directive concernant une finance plus durable dans le cadre de la Corporate Social Responsability Directive (CSRD), qui s’appliquera à partir de 2024 aux premières entreprises atteignant un certain seuil pour leurs rapports 2025. Dés lors, leurs sera imposées des obligations de déclaration de performance extra-financière fondée sur l’impact environnemental, social et sur les droits de l’Homme des sociétés concernées, et ainsi permettra d’étendre les valeurs européennes à l’internationale.
Il s’agit ainsi pour l’Union européenne d’établir une approche stratégique d’intelligence du droit qui passe par une extraterritorialité en accord avec les droits des autres puissances. Dès lors il sera possible de répondre tout en dépassant la notion de territoire et assurer sa souveraineté. Pour cela il est nécessaire de devoir assurer une bonne entente entre les institutions européennes afin d’accéder à une effectivité sans tomber dans le piège d’une lourdeur administrative. En effet cette dernière est à l’origine de nombreux des maux de l’Union et empêche l’aboutissement de ses projets législatifs ambitieux. C’est dans cette mesure que l’Europe pourra garantir sa souveraineté sur son territoire et pour ses habitants qui résident à l’étranger.
Achille Christodoulou, fort d’un Master en Relations Internationales de l’ILERI, a préalablement obtenu une licence en Sciences Sociales Économiques et Politiques à l’Institut Catholique de Paris. Son parcours académique, de la diplomatie aux sciences sociales, reflète sa polyvalence et sa capacité à appréhender des enjeux diversifiés.
Docteur en histoire, professeur agrégé de l’Université, Patrice Gourdin enseigne à l’École de l’Air. Il intervient également à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence. Membre du Conseil scientifique du Centre géopolitique.
Quel rôle les (des) acteurs non-étatiques illégaux jouent-ils dans la crise ou le conflit ? Quels outils pour les étudier ? Quelles informations rassembler ? Comment en faire une analyse géopolitique ? Extrait gratuit du célèbre « Manuel de géopolitique » signé par Patrice Gourdin, éd. Diploweb. Disponible au format papier sur Amazon. Avec en pied de page un bonus vidéo. J-F Gayraud « Terrorisme et crime organisé. Les hybrides : nouvelle perception stratégique ».
Alors que la téléphonie mobile et Internet facilitent les communications pour tous, y compris les criminels, l’accélération et l’amplification de la mondialisation rendent les frontières plus poreuses. Cela fragilise l’ensemble des États, même les plus puissants. Quant aux plus faibles, ou à ceux qui n’existent plus que sur le papier, ils offrent de multiples facilités aux groupes se livrant à des activités illégales. Volontairement ou involontairement, un État peut ne plus exercer ses fonctions dans une (des) région(s) et celle(s)-ci se retrouve(nt) marginalisée(s). Les équipements, tout comme les services publics – notamment scolaires, sociaux et sanitaires –, manquent, les habitants ne paient plus d’impôts et ne respectent plus les lois en vigueur. La corruption et l’économie informelle dominent. Les individus rejettent l’autorité de l’État, conservent ou réactivent leurs modes traditionnels de régulation, voire en établissent de nouveaux. Les armes circulent plus ou moins librement. Les groupes armés, les organisations terroristes et/ou les réseaux criminels disputent à l’État le monopole de l’usage de la force. Les frontières ne sont pas surveillées, ce qui permet les déplacements incontrôlés de personnes ainsi que les échanges illicites et le blanchiment de capitaux. Des États, voisins ou non, s’ingèrent dans ces “zones grises“ ou les utilisent. Tout conflit accentue ces caractéristiques et certains parlent même de “trous noirs géopolitiques [1]“ pour désigner les cas les plus extrêmes : république moldave de Transnistrie ; jungle des montagnes de Bolivie, de Colombie ou du Pérou ; “Triangle d’or“ aux confins de la Birmanie, du Laos et de la Thaïlande) ; “zone des trois frontières“ en Amazonie (Brésil, Argentine, Paraguay), par exemple.
Telles ces maladies graves qualifiées d’“opportunistes“, les organisations non-étatiques illégales (mafias, groupes terroristes [2], guérillas) guettent la diminution ou la disparition des défenses immunitaires des États. Elles saisissent toute occasion offerte par l’affaiblissement ou l’effondrement de la sécurité assurée par les États. Elles les exploitent au profit de leurs activités criminelles : transit pour tous les trafics (êtres humains, armes, drogues, ivoire, espèces animales en danger, notamment), productions illicites (drogues, contrefaçons) et camps d’entraînement terroristes. Lorsque la situation ne leur paraît pas assez favorable, elles tentent de la modifier et agissent de manière à réduire à l’impuissance l’État plus ou moins existant et à s’assurer toute latitude sans attirer par trop l’attention de la communauté internationale.
La grande liberté d’action de ces groupes suscite un choc frontal entre la démocratie (lorsqu’il y en a une) des États et l’anarchie (entendue comme un mélange impuni de violence et de cruauté gratuite) des organisations criminelles [3]. La liberté recule au profit de l’arbitraire, indispensable pour le développement des activités de ces groupes, que l’on retrouve, lorsqu’ils parviennent à maturité, à l’intersection du crime, de la guerre et de la politique. Par exemple, comparés à « une lèpre qui ronge la société mexicaine [4] », les cartels mexicains de la drogue « sont devenus la menace principale parce qu’ils essaient de s’emparer du pouvoir d’État [5] » et ils « représentent le plus grave défi que le Mexique, pays à la démocratie encore fragile, ait eu à affronter [6] ». Un officier américain, docteur en sociologie et membre d’une unité antiterroriste, constatait que « les organisations criminelles sont les ennemis contemporains de la démocratie » et il poursuivait : « pour créer un environnement favorable à leurs intérêts criminels, ils pratiquent des atrocités afin de susciter la peur, de promouvoir la corruption et de saper la démocratie en provoquant la perte de confiance dans le gouvernement [7] ». Déterminé à lutter contre les trafiquants, le président Calderón, élu fin 2006, n’a pas hésité à déployer l’armée. « En réaction, les cartels ont multiplié les attentats, décapitations, mutilations ou vidéos d’“exécutions“, afin de donner l’impression que le pays devient ingouvernable [8] ». Parallèlement, « les cartels ont réussi à imposer “leurs“ candidats à la tête de plusieurs municipalités du Michoacan et du Tamaulipas [9] ». Grâce à leurs moyens financiers énormes, ils infiltrent les conseils municipaux et les gouvernements régionaux en finançant les campagnes électorales et en usant de la corruption. Le Michoacan revêt une importance symbolique particulière en tant qu’État d’origine du président Calderón [10]. Le Mexique figure au sixième rang mondial des États gangrenés par les groupes criminels, après l’Afghanistan, l’Iraq, le Pakistan, le Nigeria et la Guinée-Bissau. Leur emprise s’étend à l’ensemble de l’Amérique centrale et contribue largement au triste record mondial que détient cette dernière : celui du pourcentage d’homicides. En conséquence les 34 pays de l’OEA cherchent à coordonner la lutte qu’ils mènent contre eux [11]. Certains observateurs imaginent déjà un “État failli“ à la frontière méridionale des États-Unis [12] et des militaires américains commencent à intégrer cette hypothèse dans leurs réflexions stratégiques [13].
La corruption mine les organes de sécurité des États – lorsqu’ils existent encore –, à l’image de l’armée et de la police du Bengale occidental (Union indienne) qui laissent s’épanouir toutes sortes de trafics avec le Bangladesh car elles perçoivent leur dîme [14]. Le “cartel du Golfe“ (du Mexique) coopère, entre autres, avec un groupe armé appelé “Los Zetas“ (Les Z). Il s’agit de déserteurs d’une ancienne unité des forces spéciales de l’armée mexicaine dont les membres se sont tournés vers le trafic de drogue [15]. Le Mexique ou la Colombie, hauts lieux du narcotrafic à destination des États-Unis et de l’Europe, sont fréquemment secoués par des scandales mettant en cause de hauts responsables de la lutte antidrogue “achetés” par les cartels. Ainsi, tout récemment furent arrêtés des officiers supérieurs de l’armée colombienne qui vendaient au cartel de Valle del Norte la position des unités de l’US Navy chargées de la lutte antidrogue dans la mer des Caraïbes. Durant les quinze mois qu’il passa à la tête du ministère colombien de la défense, M. Santos révoqua 150 officiers suspects de corruption, de liens avec les trafiquants ou de complicité avec les groupes paramilitaires, soit une moyenne de 10 par mois [16]. Le responsable de l’Agence antidrogue du ministère de la Justice du Mexique fut arrêté en novembre 2008 pour avoir vendu aux trafiquants de drogue des informations sur les enquêtes et les opérations de police en cours ou prévues [17]. Le directeur du bureau d’Interpol en exercice, ainsi que son prédécesseur, le rejoignirent en prison pour les mêmes raisons [18]. La situation actuelle en Colombie résume le mal mortel que la criminalité organisée représente pour une démocratie inachevée. Alors que le pays vit dans la violence endémique depuis des décennies (guerres civiles, guérillas, narcotrafic), ses institutions démocratiques se corrodent avant même d’avoir mûri. Le président sortant, Alvaro Uribe, manœuvra pour contourner l’interdiction d’exercer un troisième mandat consécutif. En vain. Le président de la Cour constitutionnelle dénonça de « graves violations des principes de base d’un système démocratique [19] ». Le service de renseignement de la présidence espionne les opposants politiques, des journalistes, des magistrats et les militants des droits de l’homme. L’armée viole les droits de l’homme tandis que les groupes paramilitaires d’extrême droite, officiellement dissous, poursuivent leurs exactions. Le crime organisé corrompt une partie de l’appareil d’État et de la classe politique. Bref, « Derrière la façade officielle du progrès et de la prospérité, se déroule un combat acharné – encore plus sauvage que celui que se livrent l’État et les guérillas, aussi rude soit ce dernier. Cette lutte acharnée oppose ceux qui tirent profit du statu quo et ceux qui veulent le modifier ; ceux qui ordonnent les massacres et ceux qui demandent justice pour les crimes passés ; ceux qui bénéficient du crime organisé et du trafic de drogue et ceux qui tentent de démanteler les puissants réseaux criminels ; ceux qui infiltrent et corrompent les institutions démocratiques et ceux qui tentent de les faire fonctionner ; ceux qui écoutent les conversations téléphoniques et ceux dont les lignes sont espionnées [20] ».
Phénomène antérieur aux années 1990, le crime organisé s’adapte aux évolutions du monde et son internationalisation croissante accompagne l’essor de la mondialisation. Dans la mesure où nul État n’échappe totalement à l’emprise des mafias, ces dernières occupent une place considérable parmi les atteintes d’origine non-étatique à la sécurité. Au printemps 2008, devant le Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, l’Attorney General (i.e. le ministre de la Justice) des États-Unis, Michael B. Mukasey, soulignait l’accroissement de la menace représentée par les organisations criminelles internationales. Il s’inquiétait de l’apparition d’une « nouvelle espèce de truands qui infiltrait les entreprises stratégiques, fournissait un soutien logistique aux terroristes et devenait capable de “causer des dommages aux infrastructures économiques“ [21] ». Ils étendent leurs activités à tous les secteurs économiques (matières premières, bâtiment et travaux publics, commerce, finances, Bourse, par exemple) et s’insinuent jusque dans la vie quotidienne : cigarettes, pétrole, contrefaçons de vêtements ou de médicaments, entre autres. La menace revêt une telle ampleur que le ministre a réactivé un groupe de coordination créé sous la présidence Johnson (1963-1968) pour identifier et combattre les organisations criminelles internationales les plus immédiatement dangereuses. La crise financière de l’automne 2008 suscita une crainte nouvelle : que les groupes criminels en profitent pour s’enraciner davantage encore dans l’économie légale en rachetant massivement les actions dévalorisées [22]. Les besoins de liquidités accrus par la crise financière qui sévit à partir de l’automne 2008 offrent d’excellentes occasions de blanchir l’argent sale. L’appauvrissement d’une partie de la population accroît la demande de produits contrefaits ainsi que l’émigration clandestine [23].
L’Union européenne est gangrenée depuis des décennies par le phénomène mafieux, visible de manière particulièrement spectaculaire en Italie, même si ce pays n’a pas le monopole en la matière.
Dans son rapport annuel pour 2007, la Direction nationale antimafia « a mis en évidence les liaisons dangereuses qu’entretiennent des hommes politiques italiens et les chefs de clans mafieux en période électorale, en particulier dans le sud du pays ». Fait révélateur, le code pénal italien comporte un « article 416 punissant “la distribution d’argent en échange de la promesse de votes électoraux provenant d’une association mafieuse“ [24] ».Toutes les études montrent l’emprise des mafias sur l’économie du pays : « si certains entrepreneurs évoluent indiscutablement dans un rapport de sujétion, d’autres n’hésitent plus aujourd’hui à s’associer spontanément avec elles pour développer leurs activités, car [elles] garantissent l’accès à des marchés et neutralisent la concurrence [25] ».
La Camorra napolitaine se comporte comme une véritable entreprise et étend ses multiples filières bien au-delà du sud de l’Italie : « Durant les dernières décennies, sous le règne de la Camorra, la Campanie, région qui englobe Naples et ses alentours, est devenue le centre d’un réseau criminel international intégrant le trafic de drogue, les décharges illégales de déchets, la fraude aux travaux publics, le blanchiment d’argent par des entreprises semi-légales comme les supermarchés ou les jeux dans les arrières-salles de bar [26] ».
Lors du procès du clan des Casalesi, le montant de leurs activités fut estimé à 30 milliards d’euros et leur emprise économique se révéla avoir des ramifications de la Russie à l’Amérique du Nord [27]. La description de la Campanie abandonnée par l’État italien à la Camorra et résignée à son sort [28] commence à frapper les esprits : la publication, en 2006, du livre Gomorra, puis le succès de son adaptation cinématographique par Matteo Garrone [29] (en 2008) et la menace d’exécution qui pèse sur la tête de l’auteur, Roberto Saviano [30], provoquèrent un choc dans la péninsule et au-delà. Dans une enquête publiée à l’automne 2008, un journaliste accusait l’État d’avoir livré la Campanie à la Camorra en la laissant devenir la région hébergeant la plus grande proportion de pauvres d’Europe [31]. Un autre, à la suite de Roberto Saviano, exposait le rôle déstabilisateur joué, à l’échelle planétaire, par les ventes d’armes (notamment des fusils d’assaut Kalachnikov) de la Camorra [32].
En Sicile, l’emprise de Cosa Nostra revêt une telle ampleur que l’archevêque de Palerme décida, en 2008, d’enseigner le phénomène et ses mécanismes aux séminaristes de son diocèse. L’un de ses collaborateurs expliqua : « il est important qu’il existe dans notre territoire une réflexion de l’Église sur ce qui structure à ce point la vie politique et les mentalités de la population [33] ». Cela s’inscrit dans un mouvement général en Italie : la justice, la police, des journalistes, des paysans [34], des chefs d’entreprises, des commerçants et des citoyens [35] tentent de susciter une prise de conscience et luttent contre l’emprise des criminels sur la société. Alors que, sous l’impulsion du pape Jean-Paul II, l’Église italienne avait entamé un travail de réflexion et une action pastorale contre le crime organisé dans les années 1990, cette dynamique s’est essoufflée et les autorités ecclésiastiques relancent le processus. Cela paraît d’autant plus important que les chefs mafieux étalent depuis toujours une foi ostentatoire et que leur « symbolique » criminelle s’inspire très largement des « châtiments spectaculaires » de l’Inquisition, « qui fut en Sicile un État dans l’État [36] ». Une redoutable confusion peut effectivement en résulter auprès de la population.
L’Union européenne subit également l’assaut des mafias des anciens pays communistes, en particulier celles qui sévissent en Roumanie, en Bulgarie [37], en Albanie, au Kosovo, en Serbie, au Monténégro et en Croatie [38]. Plusieurs préoccupations s’imposent aux responsables européens : en premier lieu, empêcher ou du moins limiter la connexion entre ces différentes mafias, d’une part, et l’alliance entre ces groupes criminels et les mafias extérieures, comme celles de Russie, d’autre part. Un autre défi consiste à interdire aux chefs de ces organisations d’acquérir une respectabilité voire une immunité, notamment en devenant parlementaires ou en noyautant les appareils d’État [39].
L’Afrique devient le nouveau champ de manœuvre de certains narcotrafiquants. Pour des raisons essentiellement politiques et morales, le trafic de drogue connaît une croissance foudroyante : du fait de « la porosité des frontières [40] » et de « la perte des repères et de certaines valeurs [41] » dans une partie de la jeunesse. L’on redoute même une corruption de la vie politique par l’argent de la drogue. Un journaliste sénégalais trace un tableau encore plus inquiétant : « Après les navigateurs-explorateurs-commerçants d’il y a plusieurs siècles, les missionnaires, les colons tout court, les multinationales, voilà la pègre internationale qui découvre l’éden africain et veut y prospérer. Les pays occidentaux sont de mieux en mieux organisés et de plus en plus outillés pour faire face aux prédateurs, voire les éradiquer à défaut de pouvoir les contrôler. Les pays de l’Est qui ont récemment retrouvé le monde “libre“ se sont bien vite retrouvés saturés de délinquance. Ils cherchent désormais à y mettre le holà. Seul le Sud est encore une terre à prendre. Vierge d’institutions démocratiques et stables, avec ses richesses naturelles à même le sol, son soleil toute l’année, ses plages à perte de vue, ses sites paradisiaques, ses populations vivant en majorité en dessous du seuil de pauvreté, sa corruption, son blanchiment d’argent, ses régimes politiques affairistes, l’Afrique est assurément une aubaine pour la pègre internationale [42] ».
« L’ancienne Côte de l’Or se transforme en Côte de la Cocaïne » lit-on dans le rapport de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour l’année 2008 [43]. La Guinée-Bissau passe pour l’exemple type du “narco-État“. En novembre 2008, le chef de l’armée, le général Tagme Na Waié, et le président Vieira s’opposèrent au sujet du trafic de drogue. Ils firent chacun l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat et le général finit par périr dans l’explosion d’une bombe télécommandée dans la nuit du 1er au 2 mars 2009, un mode opératoire plus mafieux qu’africain estimèrent avec inquiétude les spécialistes. Ses partisans le “vengèrent“ en assassinant le président Vieira [44]. Pays relativement proche de l’Amérique latine, ni sa côte ni ses îles ne font l’objet d’une surveillance efficace et ses habitants, citoyens d’une ancienne colonie portugaise, entrent dans l’Union européenne (où la cocaïne se vend deux fois plus cher qu’aux États-Unis) sans visa. En outre, son système judiciaire et ses institutions politiques sont corrompus. Enfin, il s’agit de l’un des États les plus pauvres du monde : le prix de 6 grammes de cocaïne revendus en Europe y équivaut au salaire annuel moyen. Ces chiffres suffisent à expliquer le basculement d’une partie de la population dans le trafic, contrôlé par les cartels colombiens [45]. La toxicomanie, avec son cortège de drames individuels a fait son apparition. Le narcotrafic affecte, à des degrés variables, tous les États de la région et on l’observe également en Afrique orientale (Kenya et Ouganda, notamment) [46].
Les États, tout comme la communauté internationale dans son ensemble, se trouvent donc confrontés à une menace considérable et protéiforme. Bien que « profondément préoccupé[s] par les incidences néfastes, sur les plans économique et social, des activités criminelles organisées, et convaincu[s] qu’il [fallait] d’urgence renforcer la coopération pour prévenir et combattre plus efficacement ces activités aux niveaux national, régional et international, [et] notant avec une profonde préoccupation les liens croissants entre la criminalité transnationale organisée et les crimes terroristes [47] », ils ne se dotèrent qu’en 2000 d’un instrument juridique efficace : la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, dite Convention de Palerme, qui permet une définition juridique commune des crimes et délits ainsi qu’une lutte coordonnée. En 2003, « convaincus du fait que l’acquisition illicite de richesses personnelles peut être particulièrement préjudiciable aux institutions démocratiques, aux économies nationales et à l’état de droit [48] », ils complétèrent le dispositif par une Convention des Nations Unies contre la corruption, dite Convention de Mérida. Ce texte offre une définition juridique, définit des mesures préventives et répressives, établit une coopération internationale et érige la restitution d’avoirs illégaux en règle universelle. La mise en œuvre effective de cet arsenal dépend, en dernier ressort, de la volonté politique des États. Cela semble la voie la plus efficace si l’on en croit certains spécialistes car « tous les pays employant une stratégie […] fondée avant tout sur la persécution physique des criminels ont vu augmenter le phénomène de la corruption. Aucun pays n’a pu réduire les opérations du crime organisé sans s’attaquer aussi à son patrimoine [49] ».
Depuis que l’homme navigue sur les mers et les océans, il court le risque d’être attaqué par des pirates. L’action impitoyable des flottes des grandes puissances les éradiqua à la fin du XVIIIe siècle. Il subsista une criminalité maritime endémique, mais, jusqu’à la fin de la Guerre froide, il s’agissait d’un épiphénomène. Depuis le début des années 2000, elle redevient une préoccupation de sécurité importante. Plusieurs affaires spectaculaires mirent, en 2008, sur le devant de la scène la résurgence de la piraterie, notamment au large des côtes de la Somalie. Les pirates s’en prirent d’abord aux bateaux transportant l’aide alimentaire destinée aux populations locales et le Conseil de sécurité de l’ONU, réaffirma, le 15 mai 2008 [50], sa détermination à protéger les convois maritimes du Programme alimentaire mondial. Par surcroît, il s’agit d’une zone névralgique de l’économie mondiale, par laquelle transitent plusieurs dizaines de milliers de navires par an, parmi lesquels les pétroliers venus s’approvisionner dans le golfe Arabo-Persique. Rien d’étonnant donc si le Conseil de sécurité de l’ONU adopta, le 2 juin 2008, la résolution 1816 [51] autorisant les navires de guerre à opérer dans les eaux territoriales somaliennes. Depuis, les résolutions 1831 [52] (19 août 2008), 1846 [53] (2 décembre 2008), 1851 [54] (16 décembre 2008), 1897 [55] (30 novembre 2009) confirmèrent et renforcèrent les précédentes, tandis qu’un Groupe de coordination contre la piraterie maritime était constitué en janvier 2009. Toutefois, les pirates attaquent jusqu’à plusieurs centaines de kilomètres des côtes (les plus audacieux, au large des Seychelles), ce qui représente un espace trop vaste (3 025 kilomètres de côtes, deux à quatre millions de kilomètres carrés d’océan) pour garantir une sécurité totale. En outre, le phénomène sévit dans une zone bien plus large, qui s’étend de la Corne de l’Afrique au détroit de Malacca. Les revenus générés par cette “activité“ s’élèvent à des millions de dollars [56]. S’ils bénéficient à des groupes criminels classiques ainsi qu’à des milices, et, indirectement semble-t-il, à des islamistes radicaux, ils assurent avant tout la subsistance de populations pauvres. À l’origine, les pirates somaliens apparurent parmi les pêcheurs ruinés par la pêche industrielle pratiquée sans retenue et les déversements sauvages de déchets toxiques, faute d’un État pour faire respecter les droits somaliens [57]. Il se trouve également parmi eux des paysans frappés par la sécheresse [58]. Leur action s’apparentait, au départ, à une stratégie de survie. Mais elle transforma rapidement ces hommes en criminels de mieux en mieux organisés et équipés. Un véritable système (certains parlent d’une “entreprise“) existe désormais : des responsables politiques et des hauts fonctionnaires corrompus assurent la protection des pirates ; du Kenya au Yémen, des employés des ports – mal payés – leur vendent toutes les informations dont ils ont besoin sur les mouvements de navires et leurs cargaisons ; les jeunes sans emploi fournissent les hommes de main ; les bandits de toute la contrée viennent proposer leurs services ; les pêcheurs apportent leurs bateaux et leur connaissance de la côte ; des hommes d’affaire étrangers financent les armes et les moyens de transmission, puis servent d’intermédiaires pour les négociations et la perception des rançons ; les islamistes y trouvent une occasion de nuire aux intérêts occidentaux. Les pirates font l’objet d’une réelle admiration et nombre d’habitants, notamment les enfants, rêvent d’imiter ces hommes qui tiennent le haut du pavé, possèdent de lucratives entreprises, conduisent de grosses voitures, habitent de luxueuses maisons, donnent des fêtes somptueuses, prennent plusieurs épouses, entretiennent des prostituées et consomment de l’alcool et du khat [59]. Une Somalienne racontait : « Je n’ai pas reconnu mon village, quand j’y suis retourné. Il y avait de nouvelles constructions partout, des voitures modernes, des villas luxueuses. Tout a changé, l’argent a modifié les comportements des gens, leur mode de vie. Les pirates sont devenus des héros pour cette population pauvre et analphabète [60] ».
Plusieurs pays, parmi lesquels les États-Unis, la Russie, la Chine et la France, assurent une présence navale dans cette immense zone, l’OTAN y mène des opérations depuis octobre 2008 et l’Union européenne mit en place, à partir du 15 décembre 2008, l’opération “Atalanta“ [61], mais cela semble insuffisant, faute du retour d’un État digne de ce nom en Somalie. Hormis la considérable nuisance économique qu’elle engendre (estimée à environ 500 millions de dollars en 2008 [62]), cette situation pourrait s’avérer grosse d’un immense danger : les pirates, pour éviter d’être éliminés par les groupes armés islamistes radicaux (comme le fit l’Union des tribunaux islamiques quant elle prit le contrôle du pays, en 2006) risquent de s’aligner sur ceux-ci et de rallier Al Qaeda. Déjà, des pirates se réclamant du groupe Al Shabaab (“Les Jeunes combattants“), bras armé de l’Union des tribunaux islamiques, dont ils se séparèrent en 2007, la jugeant trop “politicienne“ et plus assez radicale, lui reversent une partie de leurs “gains“ et dénoncent les navires occidentaux comme ceux des “infidèles“ et des “occupants“ [63]. Mais le précédent des taliban, soutenus par Washington lors de leur arrivée au pouvoir en 1996, dans l’espoir de contrer l’Iran en Asie centrale et d’en évacuer les hydrocarbures sans passer par la Russie, inspire à certains une toute autre stratégie, réaliste (du moins en apparence) plutôt que morale, celle-là : favoriser l’avènement d’un gouvernement stable rétablissant un État fort en Somalie, celui des islamistes [64]. Le retournement des taliban contre Washington et ses conséquences devraient pourtant donner à réfléchir à ces apprentis sorciers : Al Qaeda bénéficia de l’hospitalité et du soutien qui lui permirent de préparer les attentats du 11 septembre 2001.
L’emprise des guérillas pèse également sur certains États. Elles connurent une expansion considérable durant la Guerre froide, dans le cadre de la décolonisation et/ou de l’affrontement indirect entre les États-Unis et l’URSS. Elles permirent (ou contribuèrent à) l’accession à l’indépendance (Indochine, Algérie, par exemple) ou le renversement de régimes en place (Cuba, Nicaragua, notamment). Mais depuis la fin de la Guerre froide, il devient de plus en plus difficile de les distinguer de la criminalité purement crapuleuse. En Amérique latine, par exemple, elles coopèrent ou rivalisent avec cette dernière et tendent à s’y fondre : l’argument politique ne constitue plus guère qu’une vague distinction originelle. Les guérilleros semblent fatigués des “grandes causes“ et, s’ils ne font pas leur “adieu aux armes“, se muent en truands.
Le cas le plus médiatisé est celui des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC). Créées en 1964, elles se réclamaient alors du parti communiste prosoviétique. Depuis les années 1990, il n’en est plus rien et, en 2008, un universitaire colombien expliquait ainsi leur affaiblissement : « les FARC sont plongées dans une très grave crise de discipline. La principale cause en est l’argent du trafic de drogue. Ce qui était au départ un moyen de financement est devenu un cancer. Le goût de l’argent facile a corrompu, aussi, la guérilla [65] ».
Néanmoins, avec environ 7 000 combattants et un revenu annuel – tiré de la drogue – compris entre 400 et 700 millions de dollars, « les FARC ne sont pas finies [66] ».
Lors de l’offensive des forces du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général Laurent Nkunda, à l’automne 2008, le tiers de la “zone utile“ du Nord-Kivu tomba entre leurs mains. Pendant quelques semaines, les rebelles substituèrent leur “administration“ à celle de l’État congolais [67]. Il s’agissait de pillage et non de bonne gouvernance.
Étonnant mélange de modernité et d’obscurantisme que ces taliban afghans qui veulent revenir plusieurs siècles en arrière tout en s’appuyant sur des processus et/ou des technologies complexes. Parmi les derniers exemples en date figure la régulation de la production de pavot en 2008. L’Afghanistan a produit “trop“ d’opium ces dernières années et les prix ont chuté d’environ 20 %, ce qui amputa les ressources financières de la guérilla. Pour lutter contre cette surproduction d’un genre très particulier et soutenir les “cours“, les taliban imposèrent une réduction des surfaces cultivées et stockèrent une partie des excédents. Les experts déplorent que la communauté internationale ait sous-estimé le poids du pavot dans la montée en puissance de la guérilla [68].
Les combattants maoïstes du Népal ne semblent pas encore engagés aussi avant dans la criminalisation. Fin 1996, une dissidence radicale se détacha du parti communiste local et prit les armes sous le nom de parti communiste du Népal-maoïste (PCN-M). Les combats durèrent 10 ans et firent environ 13 000 morts. Le 21 novembre 2006, ils déposèrent les armes et se joignirent à la coalition qui contestait la monarchie absolue instaurée en février 2005. Ils arrachèrent à leurs alliés la promesse que la république serait instaurée, siégèrent au parlement provisoire et entrèrent au gouvernement intérimaire en avril 2007. Le 10 avril 2008, à la surprise générale, ils arrivèrent en tête des élections pour l’assemblée constituante. Certes, « impressionnés par la puissance de leur organisation, les électeurs les [avaient] préférés aux partis traditionnels de gauche, jugés inefficaces et corrompus. Ils [avaient] voté pour la force et le pouvoir [69] ».
Mais certains faisaient également état de violences diverses [70]. Il n’empêche, après l’abolition de la monarchie votée le 28 mai, le chef des maoïstes, Pachandra, fut élu chef du gouvernement le 15 août. Il démissionna le 4 mai 2009 après un bras de fer avec l’armée régulière. Officiellement, il entendait imposer l’autorité du pouvoir civil à l’institution militaire, mais la réalité demeure obscure. Peut-être s’éclaire-t-elle par les propos tenus dans un discours qu’avait prononcé Pachandra en janvier 2008 dans un camp de combattants : « Nous diminuerons les effectifs de l’armée à 50 000 hommes. Si [ensuite] nous faisons entrer 10 000 de nos combattants, l’ensemble de l’armée sera sous notre influence. Nous avons les concepts, la politique, la vision. Eux, ils n’ont que les bottes. Les hommes conscients avaleront les porteurs de bottes [71] ». La guérilla s’était-elle vraiment convertie à la démocratie ?
Connu depuis l’Antiquité, le terrorisme se développa de manière considérable à partir de la fin du XIXe siècle. Mode d’action illégal cherchant à imposer une volonté à un adversaire et/ou à briser sa résistance, il a pesé ou pèse sur l’évolution de plusieurs États. Le perfectionnement constant des explosifs depuis l’invention de la dynamite par Alfred Nobel (1867), ainsi que l’apparition et le développement des moyens de communication de masse (à partir des années 1890), permirent d’obtenir un effet psychologique considérable avec des moyens militaires limités. Il ne s’agit donc pas d’une idéologie, mais d’un mode d’affrontement, ce qui explique son caractère protéiforme et impose une étude au cas par cas. Avant la Première Guerre mondiale, une partie des anarchistes russes, ouest-européens et américains y recoururent – sans succès – pour tenter de renverser le système politique en place. Ce qu’essayèrent à leur tour, durant les années 1970-1980, des organisations se réclamant de l’ultra-gauche, comme les Brigades rouges en Italie (1969-1981), la Fraction armée rouge en République fédérale d’Allemagne (1970-1977) ou Action directe en France (1979-1987). Des indépendantistes l’utilisèrent (Macédoine, Irlande, Algérie, par exemple) ou l’utilisent encore (Basques, Corses, Palestiniens, Kurdes, Tamouls, Cachemiris, entre autres), tantôt comme substitut, tantôt comme complément de la guérilla. Dernier avatar en date, le terrorisme islamiste fit son apparition durant les années 1990 et tente de déstabiliser l’ensemble des États de l’aire musulmane, tout en s’attaquant à des pays non-musulmans présentés comme “ennemis“ de l’islam (États-Unis, Europe occidentale, notamment). La multiplicité des organisations et la méconnaissance des relations qu’elles entretiennent défient l’expertise. Toutefois, une nébuleuse se détache : Al Qaeda. Tantôt actrice, tantôt commanditaire, tantôt caution, elle apparaît dans de nombreuses actions terroristes islamistes.
Toute zone de combats impliquant des populations musulmanes, de la Bosnie-Herzégovine au sud des Philippines, en passant par le Caucase, l’Irak, l’Afghanistan ou le Cachemire, entre autres, vit ou voit intervenir des combattants islamistes radicaux, affirmant mener une “guerre sainte“ pour défendre leur religion. L’intervention de l’Éthiopie et des États-Unis en Somalie offrit à Al Qaeda l’occasion d’élargir le champ de son combat. Depuis fin 2006, “la Base“ encourage les combattants somaliens qui, quant à eux, utilisent des techniques insurrectionnelles importées d’Irak [72]. La minorité musulmane (4 des 37 millions d’habitants) du Kenya voisin, essentiellement présente dans le nord et sur la côte, est fortement travaillée par les islamistes. Pauvre, essentiellement rurale, la région demeure oubliée du pouvoir central, ce qui favorise la propagande des radicaux. En 1998, un Comorien, membre important d’Al Qaeda, Fazul Abdullah Mohammed, organisa un attentat contre l’ambassade des États-Unis à Nairobi. Pour ce faire, il s’appuya sur les Swahili de la région côtière et les Somalis de la frontière septentrionale. Ils participèrent également à l’attentat contre le Paradise Hotel et à la tentative d’attentat contre un avion israélien à Mombasa, en 2002 [73]. Déjà faible et démunie face à l’offensive des narcotrafiquants, l’Afrique de l’Ouest se trouve également visée par les islamistes radicaux [74].
En dépit de la présence de plus de 100 000 soldats occidentaux et de la reconstitution d’une armée “nationale“, l’Afghanistan demeure en perdition et offre un condensé de toutes les nuisances non-étatiques. L’autorité du président Ahmid Karzaï ne s’exerce guère que sur une partie de Kaboul. Le reste du pays est contrôlé par les taliban, les chefs de clans, les mafias de la drogue, Al Qaeda, dans un désordre qui fait l’affaire de tous ceux qu’un État de droit mettrait en difficulté. Observons que ce dernier n’exista jamais dans ce pays. En 2008, les paysans afghans cultivèrent 7 700 tonnes d’opium qui rapportèrent plus de 5 milliards de dollars (soit plus de la moitié du produit national brut), dont 500 millions seraient utilisés à financer les combats contre la coalition occidentale [75]. La corruption gangrène les autorités officielles (le frère du président, Ahmed Wali Karzaï [76], des ministres, des centaines de fonctionnaires, des milliers de policiers et de militaires, des gouverneurs, des chefs de districts) tandis que l’ensemble du pays vit de trafics plus ou moins importants : pourquoi ceux qui contrôlent et tirent profit de tout cela y mettraient-ils fin [77] ? La riposte existe peut-être : elle consisterait à favoriser, avec la participation d’associations d’assistance humanitaire, des activités économiques licites rémunératrices ainsi qu’un accès plus large aux aides et services de l’État [78]. Mais, outre assurer la sécurité à la population, il faudrait mobiliser des compétences, de l’habileté et du tact au service d’une réelle volonté politique…
Groupes terroristes et mouvements de guérillas occupent le devant de l’actualité depuis la fin de la Guerre froide et la disproportion des moyens dont ils disposent face aux États a redonné vie au concept de “guerre asymétrique“. Toutefois, il faut éviter de considérer ces entités seulement en elles-mêmes : elles jouissent parfois, par des voies fort sinueuses, du soutien d’États qui les instrumentalisent. Il s’agit donc, dans certains cas, de la classique “guerre indirecte“ ou “guerre par procuration“, dont la Guerre froideoffrit tant d’exemples.
Les attaques terroristes contre la capitale économique de l’Inde, Mombai, fin novembre 2008, provoquèrent un regain de tension entre l’Union indienne et le Pakistan. Certes, Islamabad qualifia d’“acteur non-étatique“ le groupe djihadiste responsable de l’opération, le Lashkar-e-Taiba, bien que celui-ci réside au Pakistan. Toutefois, « les Indiens, mais aussi les Américains [étaient] sceptiques. Car ces “acteurs non-étatiques“ont longtemps été couvés et soutenus en sous-main par les services secrets de l’armée pakistanaise [79] ». En effet, ces derniers manipulent de longue date des groupes de guérilla et des organisations terroristes au profit des intérêts de leur pays. Ils utilisent depuis des lustres des groupes armés au Cachemire et en zone pashtoune
En 2008, compte tenu de leurs liens historiques avec le mouvement naxaliste – ainsi nommé car il lança sa première insurrection, en 1967, dans la localité de Naxalbari, au Bengale Occidental –, qui opère dans 16 des 28 États de l’Union, les autorités indiennes s’inquiétèrent du soutien que pourraient éventuellement lui apporter les nouveaux dirigeants du Népal [80]. Son orientation maoïste alimente également, depuis le début, le soupçon de collusion avec le rival chinois.
Outre la déstabilisation de leur pays, les FARC empiètent sur le territoire des États voisins. Dans les montagnes et la jungle qui se trouvent à la frontière vénézuélienne, par exemple, elles s’installent désormais de manière permanente. Il semble que le président Hugo Chavez tolère l’installation d’un sanctuaire parce qu’il s’agit d’adversaires de ses ennemis américains et colombiens. Il en résulte une très grande insécurité pour les habitants : depuis plusieurs années, les FARC pratiquent impunément racket et enlèvements [81]. Bien plus, en l’absence de système judiciaire, ils règlent eux-mêmes les litiges familiaux, les querelles de propriété ou les contentieux entre entreprises. Donc, non seulement l’État vénézuélien tolère la présence de groupes armés étrangers sur son territoire, mais encore, il n’assure ni la justice ni la sécurité à ses propres citoyens. Également et peut-être surtout, cela paraît lié au trafic de drogue, dans lequel seraient impliqués des officiels vénézuéliens. Le pays verrait transiter sur son territoire un tiers de la cocaïne colombienne exportée vers les États-Unis et l’Europe. Ce trafic profiterait à la guérilla tout autant qu’aux paramilitaires qui la combattaient, et même aux terroristes du Hezbollah [82]. Autre territoire soumis à l’influence pernicieuse des FARC, la frontière avec l’Équateur, État déchiré par une crise politique endémique, affaibli par une très forte corruption et incapable de sécuriser sa frontière amazonienne [83]. L’aviation colombienne attaqua, le 1er mars 2008, un camp des rebelles et tua l’un des dirigeants principaux de la guérilla, Raul Reyes, ce qui déclencha une grave crise entre les deux pays ainsi qu’entre Bogota et le Venezuela. Selon les services de renseignement colombiens, les documents saisis sur les rebelles attesteraient d’une collusion entre les FARC, l’Équateur et le Venezuela pour contrer le principal allié des États-Unis dans la région [84]. Interpol confirma l’authenticité des documents produits par la Colombie [85]. Dans la mesure où se déroule une “mini-guerre froide [86]“ entre les trois pays, les assertions comme les démentis demeurent en partie sujets à caution, mais la manipulation des et par les FARC demeure une certitude.
Les quelques exemples ci-dessus montrent le grand nombre et l’infinie variété des acteurs non-étatiques illégaux. Leur incidence sur les situations de crise ou de conflits ne semble jamais nulle, mais le caractère trouble de leurs activités et les multiples manipulations auxquelles elles se livrent et/ou se prêtent compliquent leur étude et l’évaluation de leur impact réel. Et ce d’autant plus qu’une part notable de leurs nuisances figurent dans la rubrique « faits divers ».
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PROBLÉMATIQUE LIÉE AUX ENTITÉS OPPORTUNISTES ILLÉGALES
Quel rôle les (des) acteurs non-étatiques illégaux jouent-ils dans la crise ou le conflit ?
CHAMPS DE RECHERCHE
Outils pour étudier les acteurs non-étatiques intervenant sur le territoire où se déroule la crise ou le conflit :
les ouvrages consacrés à la géographie, à l’économie, à l’histoire, aux relations internationales, au droit et à la politique.
Les informations recueillies servent à repérer quel(s) acteur(s) extérieurs non-étatique(s) illégaux prennent part aux événements. Le plus souvent un ou plusieurs des éléments suivants :
les États défaillants,
les “zones grises“,
les mafias,
les pirates,
les guérillas,
les groupes terroristes,
les connexions et les frictions entre ces divers acteurs,
les concentrations de tout ou partie des nuisances,
les instrumentalisations.
La liste n’est pas exhaustive, mais elle recense les facteurs qui apparaissent le plus fréquemment.
Une information est pertinente lorsqu’elle contribue à éclairer la crise ou le conflit que l’on étudie.