Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

Guerre économique et extraterritorialité : l’Europe doit renforcer son arsenal juridique

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par Guy-Alexandre Le Roux – Revue Conflits – publié le 21 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/guerre-economique-et-extraterritorialite-leurope-doit-renforcer-son-arsenal-juridique/


Une nouvelle étude de l’Institut Montaigne aborde la question de l’extraterritorialité. Sur ce sujet stratégique pour l’économie mondiale, les États européens et l’UE manquent d’un arsenal défensif et offensif, au détriment des entreprises européennes.

Une déstabilisation juridique internationale

L’extraterritorialité désigne la capacité d’un État à appliquer ses lois au-delà de ses frontières, souvent au nom de l’intérêt national. Le principe est toléré en droit international au nom de la « théorie des effets », une extension du principe de territorialité selon laquelle « le droit de la concurrence peut avoir une application extraterritoriale lorsque des actions menées à l’étranger ont un effet direct et substantiel sur la concurrence sur les marchés intérieurs ». Aux États-Unis, des lois comme le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) ou le Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) s’imposent à des entreprises étrangères dès lors qu’elles utilisent des services financiers américains ou opèrent sur des marchés clés. Ces mesures établissent de fait un contrôle indirect sur les économies. Et, en cas de litige, il n’existe aucun instrument pour arbitrer.

En Relations internationales, la sécurité repose toujours sur la force, surtout lorsqu’il n’existe pas d’arbitres. La Chine a donc développé un arsenal juridique similaire, illustré par sa loi sur la sécurité nationale de Hong Kong. Les règles imposées par ces deux grandes puissances ne se contentent pas de défendre leurs intérêts : elles redéfinissent les rapports de force économiques mondiaux, au détriment de l’autonomie européenne.

Les entreprises européennes, premières victimes

Les conséquences pour les entreprises européennes sont lourdes : amendes exorbitantes, exclusion des marchés internationaux, et même transferts forcés de technologies sensibles. L’affaire Alstom est emblématique. En 2014, la branche énergie de la multinationale française a été acquise par General Electric dans un contexte de pressions judiciaires américaines liées au FCPA. Derrière ces litiges se profile un impératif stratégique : fragiliser les champions industriels européens.

L’application extraterritoriale de lois, notamment dans le domaine des sanctions économiques, se traduit également par une entrave au commerce international. Les entreprises de l’UE, naviguant entre des régimes juridiques conflictuels, doivent allouer des ressources considérables pour rester en conformité, au détriment de leur compétitivité.

Il faut croire que le retour de D. Trump à la Maison-Blanche sur la promesse de renforcer le dollar va doper l’agressivité de l’extraterritorialité américaine.

Un débat européen embryonnaire

Face à ces menaces, il est nécessaire que les États de l’UE se musclent. La question est de savoir qui doit s’en occuper, les instances européennes ou les États ? Pour protéger leur souveraineté et leurs entreprises, les États sont méfiants vis-à-vis des interventions de la banque centrale européenne. Mais, leur arsenal juridique est trop faible ou limité.

L’UE ne dispose que de mesures défensives, comme le règlement de blocage, qui limite l’application de sanctions étrangères sur le territoire européen. Toutefois, cette approche reste insuffisante. La stratégie récemment présentée par la Commission européenne sur la sécurité économique en juin 2023 n’intègre toujours pas une réponse offensive à l’extraterritorialité.

Les divisions internes de l’Union, alimentées par des visions divergentes entre États membres, ralentissent tout consensus. Certains, comme la France, appellent à une réponse européenne coordonnée, tandis que d’autres craignent d’éroder leurs relations transatlantiques ou de déléguer davantage de compétences à Bruxelles.

Vers une stratégie européenne offensive ?

L’adoption récente d’instruments de défense commerciale, tels que l’Instrument anticoercition (IAC), pourrait marquer un tournant. Le chemin vers une approche offensive que préconise l’Institut Montaigne reste semé d’embûches. Cela ne va pas de soi, car il est inscrit dans l’ADN de l’UE de ne recourir à aucune forme d’extraterritorialité offensive. Cette spécificité européenne pourrait changer.

L’armée chinoise poursuit sa modernisation, selon le rapport annuel du Pentagone

L’armée chinoise poursuit sa modernisation, selon le rapport annuel du Pentagone

Le Pentagone a publié mercredi son rapport annuel sur les capacités militaires de la Chine. Un rapport sans surprises, qui vise à documenter le niveau de préparation au combat de l’armée chinoise.

– Renforcement de la marine
La marine chinoise, la plus large au monde, compte désormais plus de 370 navires et sous-marins, contre environ 340 en 2022, selon le Pentagone. Les forces navales chinoises ont également renforcé leur capacité à mener des missions au-delà de la première chaîne d’îles du Pacifique, qui comprend Okinawa au Japon, Taïwan et les Philippines.

– Plus de 600 ogives nucléaires (500 en 2023)
Le stock chinois d’ogives nucléaires opérationnelles est passé à plus de 600 en 2024 contre plus de 500 l’an dernier, affirme le rapport. Il dépassera les 1.000 têtes nucléaires d’ici 2030, assure le Pentagone, alors que Pékin s’efforce de « moderniser, diversifier et élargir rapidement ses forces nucléaires ». Cela permettrait à la Chine de « viser davantage de villes américaines, d’installations militaires et de sites stratégiques » en cas de conflit nucléaire potentiel.

– Armée de l’air
L’armée de l’air chinoise « se rapproche rapidement des standards technologiques américains », indique le rapport. Elle modernise et développe ses propres appareils, ainsi que des systèmes autonomes, sans pilote.

– Missiles
La Chine développe également de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) qui amélioreront « considérablement » ses forces nucléaires et nécessitent une augmentation de la production de têtes nucléaires, affirme le rapport. En 2022, la Chine a « probablement achevé » la construction de trois nouveaux champs de lancement de missiles, incluant au moins 300 unités de lancement de missiles balistiques intercontinentaux. Pékin pourrait également chercher à développer des missiles intercontinentaux conventionnels capables de frapper les États-Unis.

– Projection mondiale
La Chine cherche à élargir ses infrastructures et sa logistique à l’étranger pour « projeter et maintenir sa puissance militaire sur de plus grandes distances » au-delà de sa base de Djibouti. L’APL envisagerait de construire des installations logistiques militaires dans des pays comme la Birmanie, le Pakistan et le Bangladesh, ainsi qu’au Kenya et au Nigeria, entre autres.

– Pressions sur Taïwan
La Chine a « intensifié » sa pression diplomatique, politique et militaire contre Taïwan en 2023. Pékin a « continué d’éroder les normes établies depuis longtemps à Taïwan et dans ses environs en utilisant diverses tactiques de pression », ajoute le Pentagone. Ces pressions incluent le maintien d’une présence navale autour de l’île, l’augmentation des incursions au-delà de la ligne médiane du détroit de Taïwan, ligne tampon non officielle entre les deux territoire, et dans l’espace aérien de Taipei, ainsi que la conduite d’exercices militaires d’envergure à proximité. S’appuyant sur les statistiques de l’armée taïwanaise, le Pentagone note une augmentation du nombre d’avions chinois ayant traversé la ligne médiane en 2023.

Corruption
Les efforts chinois sont entravés par des cas de corruption, qui ont conduit à l’éviction de hauts dirigeants. Effectivement, « plusieurs dirigeants faisant l’objet d’une enquête ou limogés pour corruption ont supervisé des projets de développement d’équipements liés à la modernisation des missiles nucléaires et conventionnels terrestres de la Chine », indique le rapport. Entre juillet et décembre 2023, au moins 15 officiers de haut rang de l’APL travaillant dans des domaines comme les missiles terrestres ont fait l’objet d’une enquête ou d’une révocation pour corruption, selon le rapport. Le licenciement en octobre de Li Shangfu, ancien administrateur militaire de l’aérospatiale, est le plus notable.

Malgré les efforts du président chinois Xi Jinping pour lutter contre la corruption, la culture opérationnelle opaque de la RPC lui permet de prospérer, en particulier dans les activités comme la construction et l’achat d’armes. « Les récents efforts de lutte contre la corruption se sont concentrés sur le renforcement du contrôle des processus d’approvisionnement, en particulier dans les programmes essentiels à la modernisation militaire », notent les rédacteurs du rapport US.

Le rapport est à consulter ici (en anglais)

A noter un article paru sur defenseOne, « How China is adopting battlefield lessons from Ukraine » qui analyse les enseignements que l’APL a tirés du conflit ukrainien, en particulier dans le domaine des drones.

Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

Le miroir aux Alaouites – Une brève histoire militaire de la guerre en Syrie

par Michel Goya – La voie de l’épée – publié le 14 décembre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Si l’on faisait défiler la carte de la guerre civile en Syrie depuis le 15 mars 2011, semaine après semaine, on verrait 681 images montrant des taches de couleur changeantes, puis un fort ralentissement à partir de la 400e, pour finalement ne pratiquement plus bouger jusqu’à la 682e. À ce moment précis, en une seule image, la couleur du camp assadiste serait remplacée par celle de la rébellion arabe sunnite.

Les effondrements rapides sont assez courants dans l’histoire des guerres, mais un effondrement aussi soudain survenant après des années de conflit lent ou même figé est très surprenant. Comme pour toutes les surprises stratégiques, cela mérite qu’on s’y intéresse en revenant loin en arrière.

Le problème des trois camps et Assad sauvé une première fois

Rappelons tout d’abord que le conflit syrien n’est pas un problème stratégique classique à deux camps, où l’action réciproque se fait à somme nulle et où une partie finit par imposer sa volonté à l’autre pour aboutir à une paix plus favorable. Le conflit syrien est un cas assez exceptionnel de conflit mosaïque, où plusieurs camps s’affrontent simultanément avec des configurations changeantes d’alliances et de rapports de force, d’autant plus complexes que plusieurs acteurs extérieurs sont intervenus. C’est une des raisons principales de la longue durée de ce conflit : la possible défaite définitive d’un des camps suscite des réactions étrangères mais aussi internes, finissant souvent par le sauver.

La guerre en Syrie a commencé par l’opposition de deux camps : le camp loyaliste au régime, s’appuyant surtout sur la minorité alaouite et la majorité de la bourgeoisie de toute origine, et disposant de la majorité des organes de force — que l’on appellera l’AAS (Armée arabe syrienne) pour simplifier —, contre ce que l’on va appeler par commodité la rébellion arabe sunnite (RAS), en réalité une multitude de groupes armés plus ou moins bien équipés. Les deux camps sont imbriqués géographiquement : l’AAS contrôle fermement la zone côtière alaouite, tandis que la RAS domine l’est du pays, à l’exception de quelques poches comme Deir-er-Zor. Mais les choses les plus importantes se passent sur l’axe de l’autoroute M5 ou à proximité, avec son chapelet de grandes villes — Alep, Idlib, Hama, Homs, Damas, Deraa — que se disputent loyalistes et rebelles. C’est sur cette bande nord-sud de 500 km de long sur 100 de large que se situeront la très grande majorité des combats de la guerre.

Un troisième camp se forme très rapidement avec le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde, qui, contrairement à la RAS, est un mouvement unifié. Le PYD prend le contrôle des provinces frontalières de la Turquie jusqu’à l’Irak. Affilié au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, il se tient à l’écart des combats entre loyalistes et Arabes sunnites.

La RAS, initialement très disparate, finit par former des fédérations de groupes comme l’Armée syrienne libre (ASL), plutôt nationaliste baasiste, le Front islamique pour la libération de la Syrie (FILS), à dominante Frères musulmans, ou le Front islamique syrien (FIS), salafiste. Ces formations reçoivent une aide importante des monarchies du Golfe et de la Turquie selon leur obédience salafiste ou frériste, et plus timidement des pays occidentaux qui tâtonnent. Le printemps 2012 voit également la création du « Front pour la victoire » (Jabhat al-Nosra, JAN), sous la direction d’Abou Mohammed al-Joulani, venu des rangs de l’État islamique en Irak (alors branche d’Al-Qaïda), rejoint par des djihadistes syriens souvent libérés par le régime l’année précédente. Tous ces ensembles sont rivaux dans l’allocation des ressources, mais coopèrent contre le régime.

Ce combat imbriqué entre forces hétérogènes n’est pas fait de grandes manœuvres, mais d’une multitude de petits combats qui, au tournant de l’année 2013, donnent de plus en plus l’avantage à la rébellion arabe sunnite. L’Euphrate, les provinces d’Idlib et de Deraa (avec la participation des Druzes) passent presque entièrement sous le contrôle des rebelles, qui prennent également de plus en plus le dessus dans les villes du centre. Le régime est sauvé une première fois par l’intervention de l’Iran, via le Corps des Gardiens de la Révolution Islamique-Force Qods, qui regroupe les gangs chabiha, les milices d’autodéfense locales et importées au sein des Forces de défense nationale, et surtout engage le Hezbollah et les Pasdarans de la division Sabin dans une contre-offensive.

L’intervention iranienne en Syrie suscite également celle d’Israël, qui n’hésite plus désormais à frapper sur le territoire syrien, en particulier près du Golan. En revanche, le refus américain de s’engager fin août 2013, après l’emploi d’armes chimiques sur le quartier rebelle de la Ghouta, discrédite les pays occidentaux auprès de la rébellion, qui recule et se reconfigure sous l’égide de nouvelles fédérations plus radicales.

Le problème à quatre camps et Assad sauvé une deuxième fois

La période voit également l’apparition en Syrie de l’État islamique. En sommeil depuis ses défaites de 2007, l’État islamique en Irak renaît soudainement à l’occasion du mouvement de révolte sunnite en Irak, durement réprimé et dont il se nourrit. Fin 2013, l’État islamique en Irak, devenu un temps aussi « au Levant », rompt avec JAN et avec Al-Qaïda. Le nouvel État islamique devient alors l’ennemi de tout le monde, mais il obtient des succès rapides, s’emparant de presque tout l’Euphrate syrien et irakien, approchant Alep d’un côté et tenant Falloujah de l’autre, ainsi que le désert syrien et Mossoul en Irak. Le régime de Damas, mais également la Turquie, ne sont pas mécontents de voir ce nouvel acteur affronter la rébellion arabe sunnite à l’arrière puis les Kurdes.

Ces victoires fulgurantes de l’EI et la création du califat ont au moins pour effet de faire réagir les États-Unis, qui organisent en 2014 une coalition pour lutter contre lui en Irak et en Syrie. Les États-Unis réussissent à former les Forces démocratiques syriennes (FDS), associant l’armée kurde (PYG) avec certains groupes arabes et assyriens, et installent la base d’al-Tanf au point de jonction des frontières de la Syrie, de la Jordanie et de l’Irak. La coalition américaine, avec une participation française, appuie les FDS et l’armée irakienne dans la lente reconquête des villes tenues par l’EI. En Irak, elle se retrouve alliée de fait avec la Force Qods, qui chapeaute les Unités de mobilisation populaires (Hachd al-Chaabi) chiites irakiennes. Les deux capitales de l’EI, Raqqa et Mossoul, sont reprises en 2017, et le califat est définitivement détruit fin 2018.

Pendant ce temps, l’association d’al-Nosra et d’Ahrar al-Sham, les deux mouvements rebelles syriens les plus puissants, ainsi que plusieurs autres factions au sein de l’Armée de la conquête (Jaish al-Fatah), change la donne au nord du front M5 avec l’aide de la Turquie et de l’Arabie Saoudite. L’AAS subit une défaite humiliante dans sa tentative de dégager Alep, tandis que la contre-attaque de l’Armée de la conquête permet aux rebelles de s’emparer de la province et de la ville d’Idlib et de menacer le port de Lattaquié. Très affaiblie, l’AAS est repoussée de Palmyre par l’EI, qui s’approche d’Homs. L’anticipation est une nouvelle fois à la défaite, et l’AAS commence à se désagréger tandis que le régime se déchire à Damas.

Cette fois, c’est la Russie qui sauve Assad en déployant, en septembre 2015, une puissante force anti-aérienne afin de protéger le régime de toute velléité américaine de campagne aérienne, et surtout une très puissante escadre de 70 aéronefs, chasseurs-bombardiers et hélicoptères d’attaque pour l’essentiel, sur la base de Hmeimim, ainsi que l’appui de l’escadre navale installée à Tartous et l’intervention de bombardiers depuis la Russie. La Russie déploie aussi quelques forces terrestres en soutien et appui à ses opérations, dont la société Wagner. Elle prend également un rôle très important dans la conduite des opérations, allant jusqu’à prendre directement le commandement des groupes du 5e corps d’armée de l’AAS. Forte de ce soudain soutien, l’AAS renforcée se dégage et entreprend le long siège d’Alep. Le siège est également l’occasion de la première intervention directe de la Turquie, qui s’empare, avec l’Armée nationale syrienne (ANS), dont Ahrar al-Sham, de la zone kurde au nord d’Alep entre le deuxième semestre 2016 et le printemps 2017, avant de s’attaquer à la province kurde d’Afrin au début de 2018.

La prise d’Alep en décembre 2016 est un point de bascule. L’anticipation générale se modifie, cette fois en faveur du régime, dont on ne voit plus comment il pourrait être vaincu avec le soutien russe. L’effort militaire se porte sur l’est du pays dans une course de vitesse avec les FDS et les Américains, tandis qu’un accord entre la coalition pro-Assad et la Turquie aboutit en mai 2017 à la formation de « zones de désescalade » — Idlib, Rastane entre Homs et Hama, Ghouta orientale (près de Damas) et Deraa — où l’on estime au moins possible de faire cesser les combats. Les rebelles sont désormais incapables de mener des opérations offensives autonomes d’une grande ampleur.

En 2018, après un violent combat entre Wagner et les forces américaines, les limites se figent à l’est du pays entre les FDS et l’AAS. Elles se figent également au nord-est, fin octobre 2019, après l’annonce d’un retrait partiel américain, suivi immédiatement d’une nouvelle offensive turque anti-kurde dans la zone de Tell Abyad à Ras al-Aïn. La moitié ou presque du Rojava, cette longue bande de 50 km de large occupée par les Kurdes le long de la frontière turco-syrienne, est entre les mains des Turcs et de leurs mercenaires arabes. Des forces américaines restent dès lors dans l’est du pays et sur la base d’al-Tanf pour continuer la lutte contre ce qui reste de l’EI et peser sur la route de l’« axe de la résistance » de Téhéran à Beyrouth via la Syrie. L’année est aussi marquée par une campagne de frappes israéliennes au printemps 2018 contre les Gardiens de la Révolution ou lors de l’attaque américano-franco-britannique en avril, après un nouvel emploi d’armes chimiques par l’AAS.

Au grand dam de leurs alliés, les Russes laissent faire. Ces interventions étrangères n’empêchent pas l’AAS, avec le Hezbollah en fer de lance et l’appui de l’armée russe, de s’emparer des « zones de désescalade » : la Ghouta en avril 2018, Rastane en mai et Deraa en juin, où le Front du Sud reste néanmoins présent en échange de la remise de ses armes lourdes sous l’égide russe (et non iranienne, à la demande d’Israël) et de l’acceptation de l’administration de Damas.

Reste la poche d’Idlib. Celle-ci, qui a accueilli beaucoup de réfugiés et de combattants rebelles arabes sunnites en échange des redditions des villes, est beaucoup plus résistante que les autres, d’autant plus qu’elle est limitrophe de la Turquie. Au deuxième semestre 2018, il y a au moins 50 000 combattants rebelles dans la poche : Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ex-JAN, ex-Fatah al-Cham, et le Front national de libération, pro-turc, forment les organisations les plus puissantes.

L’offensive de l’AAS, lancée en septembre 2018, s’achève en mai 2019 sans résultat. L’AAS reprend l’offensive plus violemment en décembre 2019, provoquant la fuite d’un million de réfugiés en Turquie et, en retour, une intervention de l’armée turque, qui s’accroche avec les forces russes et inflige, début mars 2020, une sévère défaite à l’AAS. Le 5 mars 2020, la Russie et la Turquie signent un accord qui gèle la situation dans la région.

De la drôle de paix à la guerre éclair

Commence alors une « drôle de paix », où les positions ne bougent plus entre les différents camps, mais sont régulièrement frappées par des attaques aériennes d’avions ou de drones turcs contre les positions kurdes ou entre HTC depuis Idlib (dont l’attaque de l’Académie militaire d’Homs en octobre 2023) avec la réponse de l’AAS. La vraie bataille est alors celle de l’administration, et là, HTC s’impose clairement à Idlib. Sous la direction pragmatique d’al-Joulani, HTC parvient à prendre le contrôle du territoire, à imposer son autorité aux autres groupes, et à gérer, avec les ONG et les conseils locaux, l’administration d’une population qui a pu atteindre quatre millions sur l’équivalent d’un département français, notamment face aux crises du COVID-19 et du tremblement de terre de février 2023.

À l’inverse de la violence d’Al-Qaïda en Irak/EII envers les « déviants » musulmans et les minorités, qui avait provoqué un rejet général, y compris de l’opinion arabe sunnite, al-Joulani renouvelle une forme de statut de dhimmis aux Druzes et aux chrétiens, en les autorisant à pratiquer leur culte sous conditions (un statut bien supérieur à celui des chrétiens en Arabie saoudite, par exemple). Contrairement à Al-Qaïda, avec qui il a rompu en 2016, ou à l’EI, Mohammed al-Joulani ne prône plus le jihad international, jugé contre-productif. Par analogie au communisme soviétique, on pourrait parler de « salafisme dans un seul pays », en attendant la suite. Toujours est-il que cela réussit à Idlib, et que le contraste avec la gestion misérable, corrompue, inefficace et sous l’égide de la peur de l’administration du régime d’Assad est frappant. L’économie syrienne s’enfonce, hormis celle du captagon, et jamais le décalage entre la misère du peuple et le luxe des élites n’a été aussi grand.

Outre cet avantage comparatif incontestable lorsqu’il s’agit de conquérir les cœurs et les esprits, la « zone libérée » d’Idlib, là encore par comparaison avec les guérillas marxistes, est aussi le point de départ d’une montée en puissance militaire. Là où l’AAS, corrompue, tombe graduellement en déliquescence, HTC et les groupes alliés montent en puissance, s’entraînent et préparent une future offensive.

L’invasion russe en Ukraine, en février 2022, est le premier domino dont la chute va, des années plus tard, provoquer celle d’Assad, en absorbant progressivement toutes les forces russes présentes en Syrie, réduites à une dizaine d’appareils en 2024 et à des capacités d’intervention limitées. L’attaque du 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël est le deuxième domino agissant depuis un autre axe. Dès le 7 octobre, l’Iran apporte son soutien au Hamas, et le Hezbollah commence à lancer des roquettes sur le nord d’Israël dès le lendemain. Ce soutien reste timide, car l’Iran ne veut pas d’une guerre à grande échelle contre Israël ou les États-Unis, mais il est suffisant pour donner un prétexte à Israël pour frapper sans retenue en Syrie.

Depuis le 8 octobre, l’artillerie ou surtout l’aviation israélienne frappe presque quotidiennement en Syrie contre les infrastructures ou les personnalités de la Force Qods, dont le chef au Levant est tué, ou contre tout ce qui appartient ou peut aider le Hezbollah. Avec l’offensive israélienne à partir de septembre 2024, le Hezbollah subit des coups très violents, perdant ses chefs, plus de 4 000 de ses combattants et une grande partie de son infrastructure. L’organisation n’est plus en mesure d’aider l’AAS, alors que l’Iran ne veut plus non plus le faire, sous peine de subir des dégâts irrémédiables.

En novembre 2024, le roi Assad est nu, mais il ne le perçoit visiblement pas, tout à son intransigeance, malgré les signes de bonne volonté de la Ligue arabe et de la Turquie. Excédé, Erdogan, qui sait forcément ce qui se prépare à Idlib et pourrait sans doute l’empêcher, ferme les yeux, et al-Joulani saisit l’opportunité de ce clignement très bref.

Si on savait le régime stratégiquement très faible, il fallait attendre le révélateur des combats pour connaître le niveau tactique réel des unités. Le nombre ne compte pas vraiment dans les points de contact : on ne s’y trouve que très rarement au-delà du 1 contre 2, et finalement le matériel compte assez peu. Ce qui importe vraiment – la valeur de la structure de commandement, la motivation et la compétence – est souvent peu tangible, d’où la nécessité d’un combat réel pour l’évaluer. À cet égard, l’attaque de la coalition menée par HTC vers Alep ne laisse aucun doute sur l’écart désormais immense entre les unités légères rebelles et les bataillons de l’AAS, un écart qui n’a jamais été aussi grand depuis le début de la guerre.

Avec la conquête très rapide d’Alep le 30 novembre 2024, tout le monde anticipe soudain la victoire possible des rebelles, et c’est là que l’effet d’avalanche commence. Le Front Sud, dominé par l’ASL, se réactive et se lance à l’assaut de Deraa puis de Damas. Ceux qui veulent participer à la victoire viennent grossir les rangs des deux coalitions, nord et sud. Au niveau tactique, à quoi bon combattre dans l’AAS quand on sait que l’on va forcément perdre ? Autant utiliser le numéro de téléphone de ralliement largué par les drones rebelles en avant de leur attaque.

Ne sachant pas encore qu’Assad a déjà prévu de les abandonner lâchement, les unités les plus fidèles, recrutées surtout parmi les Alaouites comme la 4e division blindée de Maher al-Assad, tentent de résister un peu du côté de Hama, mais elles sont rapidement dépassées. La route vers Damas est ouverte. La capitale est prise dans la nuit du 7 au 8 décembre. Le camp loyaliste dans son ensemble a disparu en même temps que son leader.

La rébellion arabe sunnite unie – au moins HTC, l’ASL et tous les groupes affiliés – l’a donc emporté et contrôle désormais tout l’axe M5 et les provinces de la côte, avec une inconnue sur le sort des bases russes. Qu’en sera-t-il maintenant de l’attaque préventive israélienne, détruisant autant que possible tous les instruments de frappe en profondeur de l’AAS et la défense anti-aérienne, mais occupant aussi une zone tampon au-delà du Golan annexé ? Qu’en sera-t-il des zones frontalières occupées cette fois par les Turcs avec l’ANS ? Qu’en sera-t-il surtout de tout le territoire occupé par les FDS ? Les groupes arabes sunnites vont-ils rester subordonnés aux Turcs ou aux Kurdes ou rallier le nouveau pouvoir à Damas ? Le danger est surtout grand pour les Kurdes qui, s’ils perdent la protection américaine – et cela est parfaitement possible avec la nouvelle administration Trump –, seront immédiatement attaqués par les Turcs et peut-être par les Arabes sunnites.

Beaucoup d’inconnues donc, en dehors même de la forme politique que prendra la Syrie centrale. Il est probable, au regard des premiers signaux donnés, que la coalition au pouvoir à Damas veuille passer d’abord par une nouvelle « drôle de paix », afin de consolider sa conquête et d’établir un État « salafiste à visage humain », avant de reprendre le combat au moins pour réunifier le pays.

Les disparus d’Algérie

Les disparus d’Algérie

Seules les victimes auraient éventuellement le droit de pardonner. Si elles sont mortes, ou disparues de quelque façon, il n’y a pas de pardon possible”
(Jacques Derrida)

Il y a 62 ans, tel Ponce Pilate, le gouvernement français se lavait les mains et tournait la page. Pays sans nom, sans frontière, sans unité, c’est par la France et dans la France que l’Algérie avait acquis une personnalité, pour la première fois dans l’histoire… C’est par la France qu’elle devint officiellement indépendante, le 5 juillet 1962… et c’est à cette date que le drame des disparus –ayant connu un essor vertigineux dès la signature du « cessez le feu »- atteint son apogée dans le paroxysme de l’horreur…

Le point de départ de la gigantesque entreprise de destruction qui devait s’abattre sur les Français d’Algérie –entreprise de destruction voulue et organisée par le régime gaullien- fut la honteuse signature des accords d’Évian du 18 mars 1962 avec comme symbole de forfaiture, le massacre du 26 mars à Alger… Son aboutissement, le 5 juillet 1962 à Oran. Entre ces tragédies, plusieurs milliers d’Européens (on ne connaîtra jamais le nombre exact) disparaîtront, enlevés parfois même sous les yeux des militaires français qui n’interviendront pas : « Ils n’avaient pas d’ordre », disaient-ils ! En réalité, ils avaient des ordres de « non intervention ». Ainsi, dans toute l’Algérie des camps s’ouvrirent, parfois à proximité même des villes et des cantonnements militaires sous le regard bienveillant des autorités françaises.

La plus élémentaire des missions eût été d’ordonner à notre armée, encore puissante, d’effectuer des opérations de sauvetage en direction de ces camps… sa première motivation étant de sauver ses propres soldats dont près de 400 furent pris vivants au combat. Nul ne recouvrit jamais la liberté… et cela en dépit des accords d’Évian et des conventions de Genève. L’autre motivation était de sauver, d’une part, ces milliers de civils européens menacés de jour en jour d’extermination, d’autre part, ces milliers de Musulmans fidèles à la France à qui l’on avait fait une promesse formelle de protection, à qui l’on avait juré que le drapeau français ne serait jamais amené et que l’on a livré avec une révoltante bonne conscience, pieds et mains liés à la vindicte des bourreaux.

Alors, quand les familles éplorées suppliaient les militaires d’intervenir après l’enlèvement de l’un des leurs ; quand elles en appelaient à nos gouvernants, nos médias, nos associations humanitaires, à la Croix Rouge… quand ce n’était pas au Clergé, on leur rétorquait sans ménagement « qu’ils étaient tous morts » ! Et ainsi, parce qu’ils « étaient tous morts », on a laissé, des années durant, pourrir dans les geôles, les mines de sel, les camps de la mort lente et les bordels, nos proches, nos familiers, nos frères…

Car on ne supprima pas des milliers de personnes du jour au lendemain… Certaines vécurent des années durant dans leur univers concentrationnaire ; déclarations d’hommes politiques et témoignages l’attestent. C’est ainsi que :

– Le 26 janvier 1971 (9 ans après l’indépendance), le Président algérien Boumedienne déclarait : « A Paris, on semble ignorer que nous détenons un grand nombre d’otages français. Quand il le faudra, nous en communiquerons la liste à la presse, d’où une émotion considérable en France. Alors, pour obtenir la libération de ces otages, il faudra y mettre le prix.« 

– Le couple des enseignants Allard, de Bruyère-le-Châtel (Essonne), d’abord pro-FLN puis expulsés d’Algérie au cours du second trimestre de 1971, révéleront qu’environ sept cent cinquante disparus européens ont été vus et contactés dans les camps de travail situés à proximité des puits de pétrole d’Hassi-Messaoud. A l’automne 1972, quelques-uns de ces hommes ont tenté de s’évader. On les a retrouvés bastonnés à mort sur la rocade sud, avec la main droite coupée.

– Le 23 avril 1982, l’hebdomadaire « SPECIAL DERNIERE » publiait les révélations de Mr Poniatowski qui affirmait qu’en 1975 (il était alors Ministre de l’Intérieur), il y avait encore des centaines de captifs en Algérie.

Ce jour-là, nous fîmes connaissance avec l’incroyable, l’impossible, l’inimaginable. En première page, on pouvait lire : 

        « EXCLUSIF : Les photos des Français détenus sans raison PRISONNIERS EN ALGERIE depuis VINGT ANS. Un vrai camp de concentration installé du côté de Tizi-Ouzou« .

Au total 15 photos sous lesquelles figuraient les noms et prénoms des « disparus ». Or l’une d’elles nous apprenait ainsi que le gardien de la paix, Pelliser Jean Claude, enlevé le 16 mai 1962 à Maison Blanche, Alger, dans l’exercice de ses fonctions, était toujours en vie… alors qu’il avait été déclaré « décédé » le 13 novembre 1970 par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

20 ans après ces tragédies, il y avait encore des survivants dans les camps de concentration algériens. Nous en avions là la preuve. Que firent alors les autorités françaises ?

Le 12 novembre 1964, Le Figaro lançait le chiffre de 6000 à 6500 Européens enlevés entre le 19 mars 1962 et le 31 décembre 1962… preuve qu’après l’indépendance les enlèvements s’étaient poursuivis.

L’accusation était portée et elle était irréfutable. Alors, pourquoi l’armée française –qui était toujours présente ne Algérie- n’intervenait-elle pas pour sauver ces malheureux? Et pourtant ils étaient enfermés dans des camps parfaitement localisés et connus des autorités, attendant dans la souffrance et la déchéance une vaine délivrance. Certains furent libérés, mais sur des initiatives individuelles d’officiers outrepassant les ordres reçus et… immédiatement sanctionnés. Parfois même, ces morts-vivants étaient plongés dans leur univers concentrationnaire à proximité des camps militaires français, tels, la cité du Petit Lac à Oran.

Que de cris déchirants, que d’appels au secours ces militaires français ont-ils dû entendre chaque nuit, eux qui étaient terrés dans leur caserne, l’arme au pied, attendant la quille prochaine…

Que d’horribles, que d’épouvantables hurlements ont dû retentir, des années durant, dans ce pays livré aux écorcheurs ! Mais nul ne pouvait les entendre. Une chape de silence s’était abattue sur ces malheureux ajoutant ainsi à leur calvaire et, engoncé dans son égoïsme, son confort et son indifférence, le peuple français ne répondit pas aux plaintes et aux râles qui s’échappaient de toutes les contrées de l’Algérie et qui venaient s’écraser contre ce mur qu’il avait érigé sur ses côtes. Ces sacrifiés là, dont le nombre s’amenuisait au fil du temps, n’étaient plus que des animaux survivants d’un triste bétail pensant, abandonnés à leur délire, à leurs rêves et à leurs rancœurs. Durant des années, ils ont croupi derrière des barreaux ou dans des camps, à épier leurs geôliers, à écouter les râles des mourants et les cris de ceux que l’on torturait, en suivant de leurs yeux, leurs inoubliables yeux, empreints de crépuscule mental, la marche rêveuse des nuages dans l’immensité du ciel étoilé.

Pauvres êtres torturés! Leurs cris déchirants seront restés vains durant toutes ces années, mais ces plaintes ne sont pas perdues. Quelque part dans les cieux elles ont été enregistrées indélébilement et le jour du jugement dernier, elles se feront de nouveau entendre… et les paroles prophétiques du Maréchal Juin remontent à ma mémoire : « La France est en état de péché mortel et elle connaîtra, un jour, le châtiment ».

Pour autant en dépit des renseignements qui lui parvenaient régulièrement, la grandeur gaullienne ne s’abaissa pas à donner les ordres nécessaires pour sauver ces sacrifiés et les cadres de l’armée, les consuls et ambassadeur de France à Alger respectèrent ces ordres de ne pas intervenir, abandonnant ceux qui n’étaient plus que des morts en sursis, oubliant que, pour des raisons similaires, on condamna à la fin de la seconde guerre mondiale, les officiers allemands qui ne s’étaient pas opposés aux ordres d’Hitler.

Ils sauvèrent ainsi leur carrière, certes ! Plus tard, colonels, généraux, députés, ambassadeurs, couverts de titres et de médailles usurpés, ils se prélasseront et se féliciteront de leur « bon choix ». Mais, où est leur honneur ? Que devient une armée sans honneur ?

        « La voix de la conscience et de l’honneur est bien faible quand les boyaux crient », disait Diderot…

Ainsi, la France et l’armée française d’alors sont aujourd’hui éclaboussées d’une honte que le temps ne suffira pas à effacer. Il n’y a pas d’exemple qu’un État ait livré de la sorte ses enfants au bourreau. Et cette tache indélébile ternira à jamais l’honneur de la Vème République.

José CASTANO

La guerre des Malouines : succès et limites d’une comparaison avec la situation française

La guerre des Malouines : succès et limites d’une comparaison avec la situation française

JEANNE ACCORSINI/SIPA/2406101358

par par Swan Dubois Galabrun, Lilian Tassin, Augustin Fille. Officiers de l’armée de Terre – Revue Conflits – publié le 10 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/la-guerre-des-malouines-succes-et-limites-dune-comparaison-avec-la-situation-francaise/


La guerre des Malouines (1982) permet de tirer de nombreux enseignements pour l’armée française aujourd’hui. Que ce soit la communication internationale, le rapport au droit et à la politique et le mode opératoire, c’est un conflit à mieux comprendre pour percevoir les enjeux contemporains.

par Swan Dubois Galabrun, Lilian Tassin, Augustin Fille. Officiers de l’armée de Terre.

Faire de la guerre des Malouines un cas d’école pour la France n’est désormais plus une prise de risque intellectuelle tant les occurrences montrant l’intérêt de cette guerre pour la réflexion française ne manquent pas : les officiers de Marine Corman et Lavernhe exposant la fin du HMS Sheffield dans Vaincre en Mer au XXIe siècle, le député Yannick Chenevard, invoquant l’exemple britannique pour attirer l’attention sur l’intérêt d’une flotte stratégique[1]. La comparaison de l’amiral Vandier dans Mer et Marine en 2021, érige l’événement en un type de guerre déclinable auquel la France serait confrontée. Pourtant, els sont les points communs, mais aussi les divergences afin d’en tirer les justes leçons. Cette analyse est complexe puisque son intérêt n’est pas l’exhaustivité historique ou géopolitique, mais plutôt de dresser une comparaison générale. Cette entreprise possède un fort ancrage historique, mais elle se veut surtout dialectique dans sa capacité à se détacher de l’histoire et de l’actualité.

Situation avant la crise

En 1982, dans un contexte de guerre froide, l’ennemi est à l’Est et le Royaume-Uni ne conçoit une action militaire que dans le cadre de l’OTAN avec comme partenaire minimal les États-Unis. Le temps est à l’austérité et aux coupes budgétaires, dont l’une des premières cibles est les forces armées. Face à l’ennemi soviétique, une flotte de surface solide, principalement anti-sous-marine, semble largement suffisante. Les bâtiments sont conçus et les équipages formés principalement à la lutte contre les submersibles, puis au combat de surface ou anti-aérien, alors que les missions d’appui à un débarquement ou de frappes de cibles terrestres passent largement au second plan.

Sur le plan aéronaval, les porte-avions britanniques sont jugés trop coûteux et inutiles, l’allié américain étant censé fournir l’appui aéronaval dans le cas d’une opération de projection de forces en dehors de l’Europe. Il est décidé que le vieux HMS Hermes, après avoir été proposé à la vente à l’Australie, ne sera pas modernisé et amené vers la retraite, alors que l’Invincible, censé lui succéder, n’est sauvé qu’au prix de la conversion, sur le papier, en porte-aéronefs de lutte anti-sous-marine, et de la vente de la tête de classe à l’Australie. Enfin, les deux navires amphibies de la classe Fearless ne sont plus en mesure de prendre la mer. Dans le paysage institutionnel, seul l’amiral Leach, First Sea Lord, plaide activement pour le maintien d’une capacité à projeter durablement une force conséquente : si son action ne rencontre qu’un succès modéré pour les unités de surface, elle permet au moins de maintenir un volume de force respectable pour les Royal Marines, regroupés au sein de la 3e Commando Brigade. La capacité de combat amphibie qu’ils représentent a été sauvée en l’attribuant à une seule unité, bénéficiant de l’ensemble des moyens nécessaires et des infrastructures d’entraînement. Une comparaison avec la France ne serait pas forcément indiquée puisque cette capacité est répartie entre la 6e Brigade Légère Blindée, la 9e Brigade d’infanterie de Marine, les fusiliers marins et les commandos marine de sorte que la culture amphibie n’est pas le seul pré carré de la marine.

La question capacitaire au cœur de la crise

L’ordre de bataille réduit de la Royal Navy conduit les responsables politiques à n’envisager que des réponses limitées. Lorsque le 20 mars, Margareth Thatcher demande au Foreign Office un mémorandum intitulé Options in the South Atlantic, la partie rédigée par John Nott[2] sur les possibilités d’actions en matière de défense illustre les faibles capacités d’action de la Navy : la seule option considérée sérieusement est l’envoi de Marines tandis que les possibilités d’envoyer des sous-marins ou de mettre sur pied une Task Force sont à peine évoquées.

Pourtant, dès le 29 mars, Margareth Thatcher fera le choix de dépêcher sur place, depuis la Méditerranée, un sous-marin nucléaire d’attaque et un navire ravitailleur puis de faire appareiller un second sous-marin d’Écosse. C’est à ce moment qu’entre en scène l’un des acteurs clefs de la victoire britannique : la Royal Fleet Auxiliary. Cinquième branche de la Navy, la RFA sert depuis 1905 au ravitaillement et aux liaisons entre la Grande-Bretagne et ses dominions, mais aussi au ravitaillement des navires engagés dans des opérations militaires. Cette flotte auxiliaire au statut civilo-militaire permet d’externaliser partiellement les coûts de maintien en condition des navires et de formation de l’équipage, tout en disposant d’une flotte de transport et de ravitaillement sous commandement militaire en temps de crise. C’est aussi elle qui met en place la réquisition des navires de la Merchant Navy, détachant à bord des navires réquisitionnés des officiers spécialistes, dans le cadre du STUFT System[3]. Dès le déclenchement du conflit, un navire de la RFA sera donc en chemin pour les Malouines, premier élément d’une chaîne logistique qui tiendra tout le long de l’engagement britannique.

Lors de la réunion de crise du 30 avril, Sir Leach, seul militaire présent en l’absence de ses supérieurs, insista sur la nécessité de mettre sur pied une flottille complète, couvrant l’ensemble du spectre des menaces, et soutenue par un appareil logistique conséquent.

La constitution de la Task Force s’articula autour de trois types de navires : ceux de combat, de ravitaillement et de transport. Les bâtiments de combat sont dans un premier temps prélevés sur la masse des navires à la mer dont dispose la Royal Navy. Mais très vite, les navires disponibles paraissent insuffisants par rapport aux besoins. Au prix d’un effort remarquable de la part des chantiers navals britanniques, les jumeaux de la classe Fearless sont modernisés et remis en état en un temps record, réussissant ainsi à compenser en quelques semaines des années de sous-investissement. Le HMS Invincible, pourtant annoncé comme vendu à l’Australie par le ministère de la Défense, va en trois jours être équipé pour le combat. Dans les deux cas, les chantiers navals et les équipes de maintenance ont travaillé main dans la main, sous très court préavis, pour des résultats excellents, fruit d’une tradition de coopération civilo-militaire ancienne et entretenue.

Les navires de ravitaillement sont fournis par la RFA, c’est d’ailleurs principalement l’indisponibilité de ceux-ci, bien plus que des navires de lignes, qui compromet partiellement la capacité de la Navy à honorer ses engagements auprès de ses alliés, soulignant leur importance dans le fonctionnement d’une marine au rayonnement mondial. Fort de cet enseignement, la RFA maintient toujours en conditions opérationnelles sept navires ravitailleurs de flotte de trois classes différentes. La Marine Nationale, de son côté, ne dispose que de quatre Bâtiments Ravitailleurs de Flotte de la classe Jacques Chevallier, soit moitié moins que ceux employés dans la Task Force britannique.

Les navires de transport militaires disponibles étant très insuffisants, il est envisagé dès la mise sur pied de la Task Force d’employer des navires civils de la Merchant Navy pour réaliser l’acheminement des troupes nécessaires. C’est ainsi que le SS Canberra acheminera la quasi-totalité du 42 Commando, et que le paquebot Queen Elizabeth 2 servira au transport de la 5e Brigade d’Infanterie. Face aux besoins pressants d’aéronefs supplémentaires, c’est d’ailleurs un porte-conteneurs civil, l’Atlantic Conveyor, qui va être réaménagé afin d’accueillir vingt-cinq appareils. Illustration de la prise de conscience britannique de l’importance de disposer d’au moins deux porte-avions, l’un pour défendre la Task Force et l’autre pour appuyer les opérations à terre. Ce questionnement est largement d’actualité au sein de la Marine Nationale, dans le cadre du programme PANG, qui a été tranché en faveur d’une seule unité de la nouvelle classe, laissant la classe Mistral comme seul élément d’appui aéronaval complémentaire.

Les Britanniques n’hésitent donc pas à agréger des navires civils, parfois employés de manière originale en s’appuyant sur une structure préexistante, à des navires militaires pour combler les trous capacitaires béants dont souffrait la Royal Navy. La démarche de création d’un tel outil en France date de 2016, avec l’article 58 de la Loi pour l’économie bleue, et inscrite dans le Code de la Défense [article L1355-4]. Cependant, si le CESM a souligné la faiblesse des structures et des moyens de ce type à la disposition de la France, les assises de la mer le 19 novembre dernier ont donné un nouvel élan à la réalisation de cette ambition[4].

Une opération amphibie pour la reconquête

L’opération amphibie à proprement parler, n’a été rendue possible que par la très faible résistance argentine sur les lieux du débarquement. Lorsque dans la nuit du 21 au 22 mai la 3 Commando Brigade, précédées d’éléments de reconnaissance du SBS[5] , prend pieds sur le rivage de la baie de San Carlos, suivie des premiers éléments du Parachute Regiment, ses pertes sont négligeables, et seuls deux aéronefs anglais sont abattus. Cela s’explique par la faible présence argentine, mais aussi par la décision quasi immédiate des Argentins de quitter les lieux du débarquement pour établir des défenses plus en profondeur dans l’île, moins exposée aux appuis feux navals directs des navires britanniques.

Ce très faible coût du débarquement britannique est la conséquence d’une série de choix, justifiés par les caractéristiques très originales du territoire à reconquérir. Le commandement britannique a choisi de débarquer loin des objectifs principaux, préférant exposer ses troupes lors de l’approche de l’objectif plutôt que sur la phase de débarquement. Cela a permis de tomber sur des défenses argentines très réduites, sans que les ennemis puissent exploiter la profondeur de leur défense. De plus, le choix de débarquer de nuit a permis de repousser au maximum l’heure de perte de surprise et de débarquer un maximum de personnels avant l’attaque aérienne argentine. Cependant, l’absence d’aérodrome permettant la mise en œuvre d’avions de combat sur l’archipel contraint les Argentins à attaquer depuis le continent, où s’est réfugié le porte-avions Veinticinco de Mayo. Cette contrainte permet aux Britanniques d’espérer mettre en place une bulle A2AD[6] solide sinon hermétique, pour protéger les mises à terre des renforts et de l’échelon de soutien de l’opération à terre.

La réussite du débarquement britannique aux Malouines repose donc avant tout sur l’exploitation à fond de leur supériorité navale locale, rendant toute résistance argentine sur le point de débarquement illusoire. Mais aussi sur le choix de ne pas chercher une action précipitée, de se fondre dans le tempo de la guerre en cours, et d’accepter de construire une victoire sur la durée, en débarquant loin des objectifs à haute valeur politique, de manière à transformer la supériorité navale britannique en une supériorité terrestre, fondée sur la qualité, mais aussi sur le nombre et la résilience de la force débarquée. La persistance d’une structure civilo-militaire britannique permettant la projection de force et les choix opérationnels courageux traduisent une volonté politique de mener et de gagner la guerre.

Le politique doit composer avec l’opinion britannique

À l’hiver 1982, le gouvernement Thatcher était au plus bas dans l’opinion publique. La culture britannique de l’Empire, par-delà les mers, explique que la perte initiale des îles n’ait pas été ignorée, mais ait soulevé de vives critiques et une forme de honte de s’être laissé ainsi prendre. Thatcher, en décidant d’accepter l’épreuve de force avec les Argentins, a donc été largement soutenue par une population mue davantage par l’envie de reprendre les îles que par la détestation de son gouvernement. On relève peu d’oppositions à la guerre, soit des oppositions de principe peu construites contre la guerre en général, soit émanant d’acteurs qui préféreraient la négociation. Elles sont dans tous les cas peu homogènes et marginales. Au cours du conflit, la relation avec les médias incarne dans une certaine mesure le jeu du cabinet avec sa crainte de voir un retournement de l’opinion publique : la diffusion de l’information quant à la perte du Sheffield va soigneusement être préparée et diluée dans le temps afin de ne pas créer un coup de communication susceptible d’embraser les passions. Les photos montrant des cadavres, notamment ceux de soldats britanniques, sont contrôlées, voire interdites. Si certains journalistes se sont plaints, on a surtout vu une franche coopération avec les militaires[7].

Le poids de la culture stratégique aux sources des choix politiques

Le paradigme continental de la France la porte vers la mer, en dépit d’une grande tradition et d’aménités incontestables qui font d’elle une nation maritime. Les affaires d’outre-mer et les guerres coloniales n’ont jamais suscité l’enthousiasme profond des Français, elles ont même provoqué leur ire lorsque le contingent est envoyé, ce que les Britanniques n’ont jamais fait en créant un modèle d’armée professionnelle à but expéditionnaire. La population ne comprendrait sans doute pas l’acharnement à guerroyer pour ces territoires lointains s’ils étaient envahis, quand déjà en temps de paix, on souligne qu’ils sont coûteux et hétérogènes par rapport à la métropole. À l’inverse, rien n’interdit d’imaginer qu’en cas de conflit limité et d’envoi de professionnels, une large part de la population, si son patriotisme est éveillé, pourrait soutenir une telle entreprise par fierté nationale. Éveil qui doit autant à la culture qu’à la participation des vecteurs d’expression et d’influence que sont les médias. Suivant la trinité clausewitzienne, c’est eux qui représentent le plus la population en portant l’opinion publique. Les considérer comme des ennemis et non comme des alliés dans un même but serait donc une mécompréhension certaine. Même si la naissance des réseaux sociaux et d’internet limite la comparaison entre nos deux époques, l’adhésion de la population reste suspendue aux médias et à leur volonté de soutenir le projet. Soulignons alors la nécessité que les journalistes soient sensibilisés à ces enjeux pour mieux éclairer l’opinion publique tout en portant sa voix.

La tension existant d’ailleurs entre le politique et la population à travers la pression que l’opinion publique exerce du second sur le premier, met en lumière le jeu existant en démocratie pour les cabinets entre l’impératif de se maintenir et celui de diriger le pays. Les deux ne sont pas contradictoires puisque l’envoi immédiat de la flotte a répondu à un souci de maintien pour Thatcher comme à des enjeux de grande stratégie de la Grande-Bretagne. La France fait face à des enjeux similaires : en dépit de mécompréhensions marginales, on observe au parlement un consensus global sur les thématiques de défense par un effort des parlementaires pour aider les militaires en donnant une voix politique à leurs demandes. Pas de clivage comme on s’y attendrait, mais un travail commun, car fondé sur des éléments tangibles incontestables : Malouines, comme Éparses par exemple, présentent des ressources du sol et de la mer, et des points d’appui sur les routes commerciales en cas de fermeture de canaux comme Panama et Suez. Les événements en mer Rouge à l’hiver 2024 ont d’ailleurs renvoyé ces hypothèses du monde de la fiction à celui de la réalité. Ressources, positions stratégiques, diversité de populations et de cultures constituent une profondeur stratégique pour la France comme pour le Royaume-Uni. Ce sont autant d’atouts qui font d’elles des puissances, et symbolisent leur rang de Grande Nation. Leur perte est à la fois celle des constituants réels de la puissance, mais aussi de son symbole. La possession de ces terres est d’ailleurs consacrée par la sanctuarisation de la dissuasion même si l’absence de continuité physique avec la métropole crée des opportunités de contestation sous le seuil du conflit. L’importance est dissymétrique dans les opinions entre ces territoires et la métropole, de sorte que le vecteur nucléaire est disproportionné. Les Anglais l’ont envisagé sans l’utiliser pour cette raison, même si leur doctrine diffère. Considérant l’arme atomique dans une architecture plus vaste de défense, la riposte, même par des moyens conventionnels, est nécessaire pour conserver la crédibilité.

Au cœur de la conduite de la guerre, la culture du commandement et sa relation au politique est facteur de succès

Cette question de la pertinence du vecteur employé selon la crise relève du dialogue entre politique et militaire, qui commence dès le 2 avril au matin, quand l’amiral Sir Leach propose d’envoyer la flotte de Woodward, sachant à la fois qu’il faut réagir au plus vite, mais aussi qu’il obtiendra en cas de succès la fin des coupes budgétaires. Pour la durée du conflit, Downing Street dialogue avec l’état-major situé non pas à Whitehall, mais à Northwood, à 30 km, et dirigé par l’amiral Fieldhouse, afin d’éviter les interférences. La Grande Bretagne possède un atout culturel puisque les grands généraux britanniques, rompus à ce genre de guerres, ont la réputation d’avoir une très fine compréhension de leur milieu politique. Le haut commandement jouit d’une certaine autonomie grâce à la confiance du politique, en dépit de quelques interférences réelles, où le cabinet rappelle son existence de façon très insistante auprès des commandants de terrain en raison de son besoin de résultats afin de ne pas avoir à négocier en position de faiblesse. Les Français jouissent de structures de commandement tout aussi adaptées à ce genre d’opérations grâce à une longue expérience dans le domaine, même si ces guerres avaient lieu contre des adversaires asymétriques. L’invasion d’un territoire d’outre-mer marquerait un défi plus élevé pour ces structures qui devraient affronter un ennemi de même envergure. Cette question de l’ennemi renvoie à celle du contexte international puisque c’est ce dernier qui va conditionner les forces en présence pour l’affrontement.

L’ONU, un acteur incontournable

La Guerre des Malouines est riche d’enseignements si on analyse le comportement de chacun de ses acteurs. D’abord, il faut mentionner l’ONU, puisqu’elle est l’institution incontournable en cas de contentieux entre deux pays. Il est un préjugé tenace selon lequel cette dernière est une organisation qui génère des résolutions stériles n’améliorant jamais la situation. Pourtant, Anthony Parsons, représentant le Royaume-Uni à l’ONU durant le conflit, explique le contraire[8] : selon lui, il était essentiel de gagner à New York avant de gagner aux Malouines. En tant que nation membre du bloc de l’ouest, les Anglais étaient attachés à faire valoir leurs droits statués dans l’article 51 de la Charte onusienne autorisant la légitime défense. Face aux Argentins qui semblaient sûrs d’eux grâce au narratif qu’ils avançaient, autrement dit une nation non alignée qui reprenait son territoire légitime à une nation impérialiste, les Anglais ont réussi à faire voter une résolution adoptée par la grande majorité du conseil du moment[9].

Pour les Argentins, le plan était de faire durer la guerre, en montrant qu’ils étaient les prétendues victimes d’une nation coloniale, et non les agresseurs. Les tractations infinies à New York devaient épuiser le Royaume-Uni qui aurait dû composer avec une opinion internationale et intérieure hostile. Au lieu de cela, les Anglais ont fait adopter la résolution légitimant leur réponse militaire, en brisant deux mythes. Le premier est que l’Occident, et plus particulièrement les ex-puissances coloniales, n’était pas seul à croire au droit international face à un tiers-monde prétendument obsédé par la décolonisation. Le deuxième concerne l’ONU. Parsons y souligne la qualité des débats malgré le préjugé d’impuissance de l’institution, ceux-ci étaient écoutés avec attention par la communauté diplomatique internationale. Il conclut en qualifiant la victoire à New York « d’essentielle» pour la Royal Navy en route pour l’Atlantique Sud. Et ce serait sans oublier le prestige obtenu qui a permis de rassurer les alliés du Royaume comme impressionner ses rivaux.

Il est évident de mentionner que la France ne saurait se passer de l’ONU et d’une résolution. Néanmoins, force est de constater que cette institution n’a jamais été aussi peu écoutée. De plus, les Malouines se considéraient anglaises à 98%, affaiblissant le narratif argentin. Un sondage mettant en difficulté la France dans un de ses territoires ultra-marins fragiliserait au contraire sa posture aux Nations-Unies. La question du sentiment d’appartenance à la métropole semble alors cruciale aux yeux de l’ONU dans ses arbitrages. Sommes-nous donc sûrs, à moyenne échéance comme dans le long terme, d’être capables de maintenir ce sentiment au vu des troubles sociaux actuels dans nos outre-mer ?

Le poids des grands compétiteurs

Ensuite, cette guerre ne saurait être abordée sans évoquer le rôle des superpuissances de l’époque. Dans ce monde bipolaire, les Anglais ont habilement manœuvré en raccordant les Américains à leurs côtés, tout en impressionnant les Soviétiques avec un show of force habile en pleine reprise de la Guerre froide avec le mandat Reagan.

Pour les Falklands, les États-Unis ont sacrifié leur politique sud-américaine afin de conserver l’intégrité du bloc occidental face à l’URSS. À ce titre, le sénateur du Delaware en 1982, Joe Biden[10], déclare que les États-Unis soutiendront leur allié, au prix du traité de Rio signé en 1947 avec l’Amérique du Sud qui constituait la clé de voûte de leur stratégie régionale. Les Américains fournissent ainsi un appui économique, logistique, et militaire par le biais de renseignements offerts aux Anglais, mais s’aliènent une bonne partie du continent par la même occasion en trahissant leurs engagements.

À l’heure du pivot vers l’Asie de l’administration américaine, et de l’élection de Trump, il faut rappeler qu’un soutien étasunien n’est jamais désintéressé. Les conséquences d’un déclin français dans l’Indo-Pacifique seraient dommageables et enverraient un signal clair aux Chinois qui lorgnent sur Taïwan. En somme, les Américains n’ont aucun intérêt à ce qu’une des rares puissances otaniennes en mesure de projeter de la puissance dans la région soit fragilisée.

Quant à l’URSS, son implication dans le conflit est restée marginale. Les Soviétiques furent très impressionnés par la capacité de la Grande-Bretagne à projeter sa puissance à des milliers de kilomètres, impression à rapprocher de la fascination des Russes pour le domaine naval depuis des siècles[11]. La superpuissance de l’époque en vint même à questionner sa relation avec son plus grand « allié », la Pologne, qu’elle venait de placer sous loi martiale à cause de la gronde générée par le syndicat Solidarność. La « relation spéciale » entre le Royaume-Uni et les États-Unis renforça donc la dissuasion otanienne et fut utile à la reprise de la guerre froide sous Reagan.

Le signalement stratégique n’est donc pas un concept stérile. En s’affirmant auprès de ses alliés, notamment par la conduite d’exercices impliquant l’arme nucléaire, la France participe également à démontrer sa force auprès de ses compétiteurs. L’opération Serval a par exemple suscité un certain émoi outre-Atlantique, les Américains y reconnaissant un savoir-faire expéditionnaire unique[12]. Autrement dit, il ne faut pas sous-estimer l’impression créée par nos armées auprès de nos compétiteurs.

Mais si le signalement stratégique est important pour notre pays, savoir décrypter le comportement de nos alliés, compétiteurs et rivaux l’est tout autant. Comment alors interpréter les propos du président malgache, Andry Rajoelina, qui déclarait que les îles Éparses faisaient partie de Madagascar[13] ? La France étant chassée du Mali et du Niger par des juntes appuyées par Moscou, il ne fait aucun doute que le tempo semble opportun pour revendiquer les Éparses de manière plus active.

Nouer des alliances avec des pays aux enjeux similaires

Enfin, la France fut un point essentiel de la stratégie de riposte britannique. Les deux pays partageaient un certain nombre de points communs : ex-puissances coloniales, les deux nations comptaient encore de nombreux territoires à travers le monde, en étant à la fois dans l’OTAN et soucieuses de préserver leur autonomie stratégique. Paris fut d’une grande aide pour Londres. En bloquant l’approvisionnement d’Exocet à l’Argentine d’abord, puis en faisant pression sur le Pérou pour empêcher le don des leurs. François Mitterrand proposa à la Navy d’utiliser Dakar comme point d’appui, fourni du renseignement, et assura par des gestes forts Margaret Thatcher de son soutien diplomatique. Les pilotes anglais s’entrainèrent même contre les Super-Étendard français aussi en service dans l’armée argentine.

Quelle leçon pour la diplomatie française ? Cultiver des relations cordiales avec des pays aux mêmes affinités stratégiques paraît être essentiel. Au moment où le Zeitenwende fait regarder l’Allemagne à l’est, est-il envisageable de penser à un soutien européen fort sur la question de nos outre-mer, spécificité nationale rare à l’échelle du continent ? L’article 42 du traité de l’Union ne statue même pas sur la forme que doit revêtir l’aide des pays européens en cas d’agression d’un membre. Les alliances bilatérales, et surtout celle avec le Royaume-Uni qui possède toujours des intérêts similaires, doivent être fructifiées par un renforcement de notre culture opérationnelle commune : c’est le sens des accords de Lancaster House, signés en 2010.

Pour finir, il est important de noter que le scénario d’une puissance étrangère déstabilisant nos outre-mer a fait les gros titres avec l’ingérence azerbaïdjanaise en Nouvelle-Calédonie. La place que cet épisode a occupée dans les médias témoigne d’une progressive prise de conscience collective de la vulnérabilité de nos territoires. Ces scenarii, hypothèses soutenues depuis longtemps par Conflits[14], ou issus de la Red Team, intéressent désormais des médias grand public, comme le témoigne l’enquête[15] réalisée par Alexandra Saviana. Elle y détaille notamment une offensive malgache pour récupérer à son compte la ZEE des îles Éparses, revendiquées de longue date. Appuyé par la Chine et ses capacités hybrides (cyberattaques, soutien logistique et économique), ce scénario présente de nombreuses similitudes avec l’attaque des Malouines quarante-deux ans auparavant.

Maintenant que les États-Unis se tournent résolument vers le Pacifique, ils n’iront pas contre la France si, en agissant pour ses intérêts, elle œuvre pour conserver une crédibilité sur le théâtre européen. Paradoxalement, la crédibilité des acteurs de ce théâtre est testée par des stratégies indirectes et périphériques sur nos outre-mer, comme le montre l’implication de l’Azerbaïdjan. Chez nos alliés, la solidarité officielle sera nécessaire à défaut d’enjeux conduisant à leur implication active à nos côtés. Les Malouines proposent à ce titre un dernier enseignement : les alliés soutiennent volontiers, mais l’action de guerre se fait seul, de sorte que conserver les capacités d’intervenir est la garantie de nos souverainetés. C’est ce qui s’est passé pour les Français au Sahel, et la capacité à agir seul devra être éprouvée. Pour cela, la triade clausewitzienne politique/armée/peuple devra être entretenue dans une même culture de la profondeur stratégique française à travers ses territoires ultra-marins. Profondeur qui est la source de sa puissance, et qui, associée à l’arme nucléaire, permet de conserver ce statut de pays puissant parmi ses pairs.


[1] Voir la MISSION GOUVERNEMENTALE – redéfinition du dispositif de flotte stratégique – juillet 2023, par le Député Yannick Chenevard.

[2] Alors secrétaire d’État à la Défense.

[3] Ships Taken Up From Trade, Navires Réquisitionnés Dans la Flotte Commerciale.

[4] Forces et faiblesses de la France maritime, Académie de marine, septembre 2024.

[5] Special Boat Service, pendant naval du SAS.

[6] Anti-Access Area Denial ou Dénie d’accès et interdiction de zone.

[7] Henri Masse, Une guerre pour les Malouines, thèse de doctorat, 1996 dir. Prof. Alfred Wahl, 1996, p. 180.

[8] A. Parsons, « The Falklands Crisis in the United Nations, 31 March-14 June 1982 », International Affairs (Royal Institute of International Affairs 1944-), vol. 59, no 2, p. 169‑178, 1983.

[9]  Résolutions adoptées par le Conseil de sécurité en 1982 | Conseil de sécurité https://main.un.org/securitycouncil/fr/content/resolutions-adopted-security-council-1982

[10]  https://www.youtube.com/watch?v=3C9hxsRO7pI

[11] V. Mastny, « The Soviet Union and the Falklands War », Naval War College Review, vol. 36, no 3, p. 46‑55, 1983.

[12] M. Shurkin, « France’s War in Mali : Lessons for an Expeditionary Army », 2014.

[13] https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/iles-eparses-0/madagascar-les-iles-eparses-sont-malgaches-1528034.html

[14] Voir par exemple « Les îles Eparses, un enjeu stratégique pour la France » par Paul VILLATOUX, 6 juillet 2021

[15] A. Saviana, Les Scénarios noirs de l’armée française. Groupe Robert Laffont, 2024.

La Russie dans l’espace post-soviétique : quelles stratégies d’influence ?

La Russie dans l’espace post-soviétique : quelles stratégies d’influence ?

Interview
Le point de vue de Lukas Aubin – IRIS – publié le 9 décembre 2024

2024 fut marquée par un grand nombre d’élections décisives dans des pays autrefois intégrés à l’URSS ou à sa sphère d’influence, dont la Moldavie, la Géorgie, la Roumanie. Dans chacun de ces scrutins, les partis « pro-russes » ont performé, et dans certains cas, des fraudes massives en leur faveur ont été constatées. La Russie tâche en parallèle de développer sa sphère d’influence envers les pays dits du « Sud global ». Quelle est la stratégie d’influence russe en Europe orientale ? Comment expliquer les bons scores des candidats pro-russes ? Comment s’articule la stratégie de Moscou sur les autres continents ? Le point avec Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste de la géopolitique de la Russie. Il vient de co-diriger le numéro 135 de La Revue internationale et stratégique (RIS), dédiée à l’espace post-soviétique.

Les partis pro-européens de Moldavie et de Géorgie, deux anciennes Républiques soviétiques, ont accusé la Russie d’ingérences lors des élections récemment tenues dans les deux pays. Sur quoi reposent ces accusations ? Quelle est la stratégie d’influence russe dans ces États ?

Les accusations d’ingérence russe dans les récentes élections de Moldavie et de Géorgie reposent sur plusieurs éléments, souvent documentés par des observateurs internationaux, des gouvernements locaux, ou des analyses indépendantes. Lors des élections législatives géorgiennes du 26 octobre 2024, des ONG comme Transparency International ont dénoncé une fraude globale généralisée et systémique favorisant le parti pro-russe « Rêve géorgien », via notamment des actes de bourrage d’urnes ou d’intimidation. Concomitamment, concernant les élections législatives en Géorgie, les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) ont estimé que le scrutin avait été « entaché par des inégalités entre les candidats, des pressions et des tensions » à nouveau afin de favoriser un parti pro-Kremlin. S’il est difficile de dire avec précision qui est à l’origine de ces fraudes, les regards sont tournés vers Moscou. La présidente de la Géorgie Salomé Zourabichvili a accusé par exemple la Russie d’avoir organisé « une opération russe spéciale, une guerre hybride contre le peuple géorgien ».
Ces accusations répondent à une stratégie d’influence russe mise en place depuis la chute de l’URSS, accentuée à l’ère de Vladimir Poutine, qui vise à maintenir une emprise géopolitique sur ces deux anciennes républiques soviétiques, notamment face à leur volonté d’approfondir leurs liens avec l’Union européenne (UE) et l’OTAN. Grosso modo, le pouvoir russe considère l’espace post-soviétique comme son « étranger proche » sur lequel il doit conserver la primeur de l’influence. L’idée n’est pas de reformer l’URSS, mais de conserver une influence « néo-impériale » sur l’ex-URSS. En d’autres termes, les poussières de la chute de l’Empire soviétique ne sont pas encore tout à fait retombées. Depuis l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir et a fortiori depuis les « révolutions de couleur » qui se sont tenues dans certains pays post-soviétiques au milieu des années 2000, le pouvoir russe a développé un arsenal de moyens destinés à diffuser son influence au sein de l’ex-URSS. C’est ce que notamment Mark Galeotti appelle « l’arsenalisation de tout » (The weaponization of everything).

Ainsi, la Russie utilise-t-elle des médias contrôlés ou influencés pour diffuser des récits anti-occidentaux en Moldavie et en Géorgie. Ces campagnes visent à affaiblir la confiance dans les partis pro-européens et à renforcer les forces politiques favorables à Moscou. Les médias russes, tels que Sputnik et Russia Today (RT), diffusent régulièrement des récits anti-européens en Moldavie. Ils accusent l’UE de vouloir exploiter le pays ou affirment que les réformes pro-européennes vont nuire à l’économie et aux valeurs traditionnelles. Des campagnes de désinformation sur les plateformes numériques, notamment via des réseaux sociaux, propagent des récits sur une prétendue « décadence morale » ou « d’ingérence » occidentale pour saper le soutien à l’intégration européenne. RT est par exemple directement impliquée dans le soutien à l’oligarque moldave pro-russe Ilan Shor depuis plusieurs années avec l’assentiment du Kremlin. D’un point de vue de la diplomatie publique et de l’influence culturelle, la Russie utilise des organisations comme le Russkiy Mir (Monde russe) pour promouvoir sa langue, sa culture et son récit historique, en particulier auprès des populations russophones ou orthodoxes de Géorgie et de Moldavie.

Cette stratégie d’influence plurielle repose également sur le soutien de partis politiques pro-russes. Les gouvernements de Moldavie et de Géorgie ont accusé la Russie de financer directement ou indirectement des partis ou des mouvements politiques pro-russes pour influencer les résultats électoraux. Des preuves d’interventions financières, comme le soutien clandestin de campagnes électorales, ont même été présentées. Plus largement, Moscou finance ou soutient des mouvements ultraconservateurs et religieux pour contrer les valeurs progressistes perçues comme occidentales. Cela inclut des campagnes contre les droits LGBTQIA+ ou la promotion d’un modèle de société traditionnelle. L’objectif est de diffuser un narratif à la fois anti-occidental et conservateur, en phase avec celui diffusé par Vladimir Poutine.

De manière générale, la Russie a été accusée de lancer des cyberattaques contre des institutions gouvernementales et des infrastructures critiques pour semer le chaos avant les élections. Par exemple, en 2021, avant les élections parlementaires de Moldavie, des cyberattaques attribuées à des groupes liés à la Russie ont ciblé des institutions moldaves. Ces attaques visaient à semer le doute sur la sécurité électorale et à discréditer les autorités pro-européennes. Ces attaques incluent la diffusion de documents piratés pour discréditer des personnalités politiques pro-européennes.

Afin que sa stratégie d’influence au sein de l’étranger proche soit efficace, le pouvoir russe compte également sur les populations russophones – nommées par le Kremlin « compatriotes de l’étranger » – présentes dans ces pays et sur la mobilisation de minorités ethniques ou linguistiques. Ainsi, en Moldavie, la Russie s’appuie-t-elle sur les populations russophones et sur la région séparatiste de Transnistrie pour influencer les dynamiques politiques quand, en Géorgie, Moscou exploite les tensions autour des régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud pour exercer une pression constante sur le gouvernement central. Pour Moscou, l’exploitation des conflits gelés est une stratégie politique. La Russie maintient des troupes en Transnistrie (Moldavie) et soutient les régions séparatistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud (Géorgie). Cela permet à Moscou de maintenir un levier sur ces pays, d’entraver leurs aspirations euro-atlantiques et de fomenter des tensions internes.

Enfin, le régime russe use régulièrement de pressions économiques et énergétiques. La Russie utilise les exportations de gaz et les sanctions économiques comme outils de coercition. Par exemple, elle a réduit ou coupé l’approvisionnement en gaz pour ces pays à des moments stratégiques. Elle cible également des secteurs économiques vitaux, comme le commerce agricole ou vinicole, pour punir les politiques pro-occidentales.
Cet arsenal de moyens de diffusion de l’influence russe à l’étranger a pour objectif principal de dissuader la Moldavie et la Géorgie d’intégrer l’OTAN et, dans une moindre mesure, l’UE, tout en empêchant par ricochet, ces États de s’éloigner de l’orbite russe. Évidemment, les effets de cette stratégie sont variés. En Géorgie, nous sommes actuellement dans un temps fort pour la Russie qui voit sa stratégie porter ses fruits. Par opposition, la Moldavie de Maia Sandu penche pour le moment vers l’Ouest, à petits pas.

Parmi les pays d’Europe orientale membres de l’OTAN, la Slovaquie et la Hongrie montrent une certaine proximité avec Moscou. Les partis proches du Kremlin ont par ailleurs récemment engrangé des scores très élevés en ex-Allemagne de l’Est et en Roumanie. Comment expliquer ce regain d’attrait pour la Russie dans l’espace post-soviétique ?

Depuis plusieurs années, certains pays d’Europe orientale et de l’espace post-soviétique témoignent d’un regain d’attrait pour les partis politiques locaux pro-russes. Néanmoins, c’est bien souvent le rejet d’une partie de ce qu’est l’Occident qui prime sur un véritable attrait favorable à la Russie. Ce phénomène, bien que contrasté selon les contextes nationaux, s’explique par une combinaison de facteurs historiques, économiques, culturels et géopolitiques.

Dans des pays comme la Hongrie, la Slovaquie ou encore les régions de l’ex-Allemagne de l’Est, des segments de la population – généralement une partie des plus de 40 ans – entretiennent une certaine nostalgie envers l’époque soviétique. Si cette période est souvent perçue négativement en Occident, certains peuvent y voir une ère de stabilité économique et sociale. Cette mémoire contribue parfois à tempérer les critiques à l’égard de Moscou. Par ailleurs, les influences culturelles russes – qu’il s’agisse de la langue, de la littérature ou de la musique – restent vivaces et peuvent parfois participer à une perception favorable de la Russie, ou, en tous cas, à une forme de nostalgie.

Néanmoins, l’attrait pour les partis pro-russes s’inscrit moins dans un soutien à Moscou que dans une opposition croissante aux institutions occidentales, notamment l’Union européenne et l’OTAN. Dans des pays comme la Hongrie et la Slovaquie, des partis politiques critiquent ouvertement l’ingérence perçue de Bruxelles et les politiques jugées belliqueuses de l’OTAN, notamment en Ukraine. Face à cela, la Russie se présente comme un défenseur de la souveraineté nationale et des identités culturelles, un discours qui trouve un écho favorable parmi les nationalistes eurosceptiques.

La dépendance énergétique constitue également un levier clé de l’influence russe. En Hongrie, par exemple, les importations de gaz et de pétrole russes restent essentielles pour l’économie nationale, ce qui pousse le gouvernement à adopter une position plus conciliante envers Moscou. Par ailleurs, les sanctions occidentales contre la Russie ont engendré des effets secondaires, tels que la hausse des prix de l’énergie ou la perte de débouchés pour certaines industries locales, renforçant le discours des partis pro-russes. De manière générale, on l’a vu, la Russie déploie également des efforts importants pour influencer les opinions publiques dans ces régions. L’objectif est de diffuser des récits qui critiquent les politiques occidentales tout en valorisant l’image de Moscou. Ces plateformes médiatiques, actives en langues locales, sont particulièrement présentes en Roumanie, en Slovaquie, en Hongrie ou encore en Moldavie. Parallèlement, des soutiens directs ou indirects à des partis eurosceptiques ou nationalistes renforcent cette dynamique. En ex-Allemagne de l’Est, l’Alternative für Deutschland (AfD) profite ainsi d’un soutien marqué dans les régions où la nostalgie pour l’époque de la RDA (République démocratique allemande) est encore forte.

Le rejet des politiques occidentales s’accompagne souvent d’une opposition à la guerre en Ukraine. En Hongrie, le Premier ministre Viktor Orbán défend une position de neutralité, critiquant les sanctions contre la Russie et appelant au dialogue. Ces positions renforcent l’image de la Russie comme acteur de stabilité, notamment auprès des populations fatiguées par les impacts économiques du conflit.

La montée et l’attractivité des partis pro-russes dans ces régions reposent donc sur un équilibre entre héritage historique, opportunités économiques, critiques des politiques occidentales et une stratégie d’influence proactive venue de Russie. Ce regain d’influence souligne la capacité de Moscou à s’appuyer sur des dynamiques locales pour maintenir une présence significative dans un contexte international polarisé.

À mesure que la guerre dure, l’Europe semble se polariser de plus en plus entre partis pro-russes et pro-Ukraine et, plus largement, entre partis anti et pro-occidentaux.

Alors que la Russie a effectué un pivot vers le « Sud global » et en particulier l’Asie depuis la guerre en Ukraine, comment se matérialise sa stratégie d’influence de manière plus globale ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie a intensifié ses efforts pour repositionner son influence à l’échelle mondiale, particulièrement en se tournant vers le « Sud global », comprenant l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et certaines parties du Moyen-Orient. Le sommet des BRICS à Kazan en octobre dernier en est l’une des illustrations criantes. L’objectif est clair : unir ce que Moscou appelle la « majorité mondiale » – à savoir les pays non-occidentaux – pour créer un contrepoids géopolitique, géoéconomique et énergétique à l’Occident.

Pourtant, contrairement aux idées reçues, cette stratégie ne date pas du 24 février 2022 ou de l’annexion de la Crimée en 2014. Dès les années 1990, Evgueni Primakov, alors ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre, prône l’idée que pour contrecarrer l’hégémonie américaine, la Russie doit établir des relations solides avec des puissances émergentes comme la Chine et l’Inde. Après une période initiale de méfiance, les relations russo-chinoises s’intensifient à mesure que les différends frontaliers entre les deux pays trouvent des solutions. L’accord historique du 14 octobre 2004, signé entre Moscou et Pékin, marque la fin d’un contentieux vieux de plusieurs siècles en délimitant clairement leurs frontières en Extrême-Orient. Pour la première fois, les 4 250 kilomètres de frontière partagée sont officiellement définis. À partir de là, Vladimir Poutine considère la Chine comme un partenaire stratégique majeur. En Russie, on parle alors de « pivot vers l’Est » (Povorot’ na Vostok, en russe). Bien sûr, ce pivot a connu plusieurs accélérations à la faveur de la guerre en Ukraine et des sanctions occidentales.

Aujourd’hui, cette stratégie repose sur plusieurs axes clés qui visent à compenser l’isolement croissant de Moscou vis-à-vis des puissances occidentales.
D’une part, la Russie a renforcé ses relations avec des pays comme la Chine, l’Inde, l’Iran et les États du Golfe. Pékin est un partenaire clé dans ce pivot, notamment dans les domaines de l’énergie, du commerce et de la coordination géopolitique. L’Inde, quant à elle, reste un acheteur important d’armement et d’énergie russes. L’idée est de participer à la construction d’institutions multilatérales alternatives comme les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ou l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) pour promouvoir un monde multipolaire et contrer l’hégémonie occidentale. Elle s’appuie sur une combinaison de relations bilatérales, de médias, de commerce, et de coopération militaire.

D’autre part, afin que cette stratégie soit efficace, le pouvoir russe mise sur un narratif anti-occidental et pro-polycentrique. En d’autres termes, la Russie exploite le ressentiment de nombreux pays du Sud global envers les anciens pouvoirs coloniaux et les politiques perçues comme néocoloniales des pays occidentaux. Moscou se présente comme un champion de la souveraineté nationale et de l’anti-impérialisme. Ainsi, les médias d’État russes comme RT et Sputnik diffusent-ils des contenus qui contestent les récits occidentaux, notamment sur la guerre en Ukraine. Ces médias sont particulièrement actifs en Afrique et en Amérique latine, et publient souvent dans des langues locales.

La stratégie globale d’influence de la Russie s’inscrit donc dans une logique de diversification de ses partenariats pour contourner l’isolement occidental. En somme, elle cherche à renforcer son rôle comme actrice clé dans un monde multipolaire tout en essayant de diviser l’Occident. Néanmoins, et c’est important, il est pour le moment difficile d’évaluer les effets à long terme de cette stratégie. Au-delà des spectaculaires effets d’annonce comme le sommet des BRICS, peu de décisions concrètes et impactantes sont pour le moment prises de manière coordonnée par les pays émergents ou la « majorité mondiale ». Comme le monde, l’espace non-occidental reste davantage multipolaire qu’uni et solidaire.

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La Grèce privilégie la modernisation de 500 blindés M113 aux dépens d’un achat de VBCI français

La Grèce privilégie la modernisation de 500 blindés M113 aux dépens d’un achat de VBCI français

https://www.opex360.com/2024/12/09/la-grece-privilegie-la-modernisation-de-500-blindes-m113-aux-depens-dun-achat-de-vbci-francais/


Depuis que le projet de véhicule de combat d’infanterie [VCI] Kentauros, qui devait être mené par le constructeur automobile ELVO, a été abandonné, dans les années 2000, l’armée grecque tente, en vain, de moderniser son infanterie mécanisée.

« Nous en sommes arrivés à aujourd’hui à de gros problèmes de vieillissement et de dévaluation opérationnelle auxquels sont confrontés les véhicules blindés grecs. Malheureusement, les échecs, les omissions et les occasions manquées du passé font que les forces mécanisées et blindées manquent d’un véhicule blindé moderne agile et doté d’une grande puissance de feu », avait estimé le site grec Defence Review. Or, on était alors en 2019… et ce dossier n’a que très peu évolué par la suite, la seule avancée ayant été la livraison de 40 VCI Marder allemands en échange de la cession à l’Ukraine de BMP-1 d’origine russe.

Pourtant, en 2020, la Grèce avait adressé une demande aux États-Unis afin d’obtenir au moins 350 VCI M2A2 / M2A2OD Bradley d’occasion. Mais il fallut trois ans à l’administration américaine pour instruire cette requête, celle-ci ayant fini par approuver le transfert de 300 exemplaires en mars 2023.

Cette dernière proposa ainsi à Athènes la cession, à titre gracieux, de 62 Bradley au titre du programme « Excess Defense Articles » [EDA] et de lui en vendre 102 autres, alors stockés chez BAE Systems Land & Armaments. Mais l’état-major grec refusa cette offre, la remise en état des blindés proposés étant beaucoup trop coûteuse par rapport à ses disponibilités financières.

Puis, en octobre, l’armée grecque confirma son intérêt pour une offre qui lui avait remise KNDS France quelques mois plus tôt. Celle-ci portait sur la livraison « immédiate » de 120 VBCI [Véhicules blindés de combat d’infanterie], sous réserve d’une commande de 250 VBCI « Philoctète », dans le cadre d’une « co-production » avec l’industrie locale. Et cela alors que l’allemand Rheinmetall espérait lui vendre son KF-41 Lynx.

Finalement, selon le site spécialisé OnAlert, l’état-major grec ne commandera ni l’un ni l’autre. En effet, considérant que l’achat de VCI neufs étant trop coûteux, il privilégierait une offre faite par l’israélien Rafael visant à moderniser des blindés M-113 de facture américaine.

« Il semble que la proposition de l’Israélien Rafael, faite en collaboration avec le Grec METKA, au sujet de la modernisation d’au moins 500 M-113, ait désormais pris un net avantage », écrit OnAlert.

Ainsi, il est question de doter les M-113 concernés d’un tourelleau téléopérée muni d’un canon de 30 mm, d’un blindage renforcé, d’une nouveau groupe motopropulseur plus puissants, de systèmes de communications et de capteurs optroniques dernier cri. Les travaux seraient assurés par l’usine que possède METLA à Magnesia. Le coût de ce programme serait bien inférieur à 8 millions d’euros par blindé qu’il aurait fallu débourser pour remettre en état les Bradley d’occasion.

Cela étant, le M-113 ne « boxe » pas dans la même catégorie que les VBCI, KF-41 Lynx et autres Bradley. Étant un véhicule de transport de troupe, il affiche une masse de seulement 12 tonnes… alors qu’un VCI est deux fois plus lourd.

Réorganiser la mission Sentinelle

Réorganiser la mission Sentinelle

Soldats en armes de l’Armée de terre en mission de surveillance dans le quartier des affaires de Paris La Défense dans le cadre de l’Opération sentinelle. Au fond, l’Arc de Triomphe.//MASTAR_MASTAR1220002/Credit:M.ASTAR/SIPA/1707151231

 

par Martin Anne – Revue Conflits – publié le 9 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/reorganiser-la-mission-sentinelle/


Le 4 novembre 2015 Jean Yves le Drian alors ministre de la Défense s’adresse à des soldats de la toute jeune opération Sentinelle et déclare « Notre engagement s’inscrit dans la durée, aussi longtemps que cette situation l’exigera ». Neuf ans plus tard, le CEMA devant la représentation nationale rajoute « Nous continuons à adapter notre posture sur le territoire national, dans le cadre de l’opération Sentinelle. »

Cette opération qui implique 10 000 hommes (sur le terrain ou en alerte) est la plus consommatrice en soldats des 30 dernières années. Elle formate et rythme le quotidien des unités et rares sont les soldats qui n’y ont jamais participé. Pourtant, en 2022, la cour des comptes dans sa recommandation n°2 du document S-2022-1439 Opération Sentinelle conseille de « transférer la mission sentinelle aux forces de sécurité intérieures (FSI) ». Cette recommandation s’appuie sur deux observations la première étant que les résultats obtenus par cette opération sont difficilement quantifiables, la seconde que les soldats n’atteignent plus leurs 90 jours de préparation opérationnelle depuis 2015.

Néanmoins, le climat géopolitique actuel et les attentats encore réguliers en Europe rendent difficilement justifiable devant l’opinion publique l’arrêt de cette opération et aucune déclaration publique de responsable politique ne va dans le sens de la recommandation de la cour des comptes. Ainsi, l’opération devrait se poursuivre.

L’armée française en opération extérieure chez elle

Les unités de Sentinelle sont issues d’une génération de force, comme le modèle « au contact » (datant de 2015) le permettait. Ce sont donc des unités de circonstance qui partent dans des zones éloignées de leurs casernes. Ces unités de combat terrestre issues de l’ensemble des spécialités de l’armée de terre sont constituées pour deux mois sans provenir nécessairement de la même grande unité (brigade ou division). Cette méthode avait déjà permis la constitution d’unités lors de l’opération Serval en 2013.

Les patrouilles sur place sont coordonnées par un état-major tactique constitué par l’ensemble des cellules permettant le commandement d’unités en opération extérieure. Le chef de la compagnie déployée est sous les ordres d’un chef de circonstance, à l’image de ce qui se pratiquait lors de l’opération Barkhane.  Ainsi, la structure hiérarchique est identique à celle utilisée habituellement en opérations.

Le régime de quartier libre est aussi assez strict, un soldat ne peut pas s’absenter plus de trois jours et uniquement pour des raisons impérieuses. Il est fréquemment autorisé par le commandement sur place de faire venir sa famille 24 heures, mais cela reste soumis à une autorisation. Il est donc habituel que les soldats passent 2 mois loin de leurs proches sans possibilité de s’absenter. La vie de famille des militaires de Sentinelle en est fortement impactée comme celle de leurs camarades en mission à l’étranger.

Le départ en mission Sentinelle s’apparente de fait par la durée et l’organisation à une projection sur un théâtre d’opération extérieure. Ainsi, les sacrifices personnels consentis sont semblables. Ces absences régulières, longues et pour réaliser une mission monotone rendent difficile la fidélisation des soldats.

Ainsi, les résultats obtenus dans la lutte antiterroriste sont difficilement quantifiables et les conséquences négatives en termes d’entraînement et de fidélisation sont observable facilement. Pour ces trois raisons, une réorganisation de cette mission est nécessaire.

La régionalisation de Sentinelle

Le format actuel de projection provoque des absences longues du foyer et rend difficile la conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle. Il est néanmoins nécessaire pour des raisons opérationnelles, cette présence prolongée permettant de maitriser l’environnement. Les centres villes, les gares et les cibles potentielles sont tous différents, il faut plusieurs semaines de présence pour s’approprier le terrain et ses contraintes.

Cette méconnaissance du terrain est toutefois provoquée par l’absence de zone attitrée à une unité. En effet, les régions de déploiement sont désignées en fonction de la disponibilité des unités. Les zones changent donc régulièrement et les soldats patrouillent rarement au même endroit de mission en mission.

De 2013 à 2023, les opérations extérieures ont suivi la même logique. L’ensemble des unités de l’armée de terre étaient susceptible de servir sur l’ensemble des théâtres. Désormais, les missions à l’étranger sont réparties en fonction du type de brigade et chacune d’entre elle est envoyée sur son type de théâtre.

L’opération Sentinelle pourrait suivre le même chemin. En effet, cette opération compte actuellement six zones de déploiement avec un effectif variable en fonction de l’importance de la région. L’Île de France contient ainsi un effectif bien plus important que les autres : plus de la moitié des militaires sont prévus pour cette région. Cette régionalisation confierait à chaque brigade une zone déterminée qui deviendrait son théâtre d’opération intérieure.

Cette organisation possèderait plusieurs avantages, tout d’abord la répétition des missions au même endroit permettrait une réelle connaissance de la zone à protéger tout en permettant de se l’approprier sur plusieurs missions. Ensuite le lien avec les FSI serait renforcé. En effet, la répétition des échanges et des patrouilles au long des mandats améliorerait la connaissance mutuelle et fluidifierait les interactions. On obtiendrait ainsi une plus grande efficacité opérationnelle.

De plus, cela renforcerait l’intégration des soldats au sein de la population locale. Les échanges réguliers avec les commerçants locaux, les associations sportives et les écoles provoqueraient la création d’histoires personnelles. Les échanges seraient prolongés sur plusieurs mandats et seraient réalisés par les mêmes personnes. Le lien armée-nation en sortirait renforcé.

La plus-value de réaliser des mandats de deux mois s’en retrouverait ainsi réduite. On raccourcirait alors de plus de moitié la durée des mandats, mais ils devront revenir plus régulièrement. L’impact sur la vie des familles serait alors semblable à celui d’une formation ou d’un exercice. La monotonie de la mission en deviendrait aussi plus supportable.

En adoptant cette organisation, l’armée de terre poursuivrait ses missions de « protection, dissuasion et réassurance » de la population française tout en limitant les conséquences négatives sur la fidélisation.

Un attrait supplémentaire pour la réserve opérationnelle

La transformation actuelle de l’armée de terre a pour objectif de doubler l’effectif de la réserve opérationnelle. De plus, des unités territoriales de réserves sont en création avec la constitution de bataillons de réserves. Ceux-ci seront rattachés à une zone géographique. Si l’idée de régionalisation exprimée ci-dessus était mise en application, les bataillons de réserve, à l’image des brigades, devraient être affectés à une zone Sentinelle de manière permanente. En effet, la mission Sentinelle emploie de nombreux réservistes et l’attrait opérationnel de la réserve s’incarne au travers de cette mission. De plus, les réservistes s’engagent généralement dans les régiments proches de chez eux. Si la zone Sentinelle correspondait à la zone d’implantation des différentes brigades, alors les réservistes participeraient à la protection de leur région. La perspective de participer à la protection de l’école de son enfance ou au clocher de son village aurait sans doute un effet positif sur l’attractivité de la réserve en rendant plus concrète la mission.

Des objectifs de missions

Si ces perspectives apporteraient des améliorations dans le domaine de la fidélisation et de l’attractivité, la monotonie de cette mission resterait forte. Les événements demandant à la force Sentinelle d’intervenir en mettant en œuvre ses savoir-faire militaires demeurent heureusement rares. Une certaine lassitude se fait ainsi sentir au sein de la troupe en fin de déploiement.

Pourtant l’armée française patrouille dans certaines régions de France avec des missions différentes ou supplémentaire à « protéger, dissuader, rassurer ». En Guyane, la mission Harpie utilise des patrouilles de l’armée de terre pour lutter contre les orpailleurs et combattre les trafics d’or et la pollution des sols.

De plus, une partie de la frontière avec l’Italie est également surveillée en coordination avec les forces de sécurité par l’armée de terre pour lutter contre l’immigration clandestine. Cette mission dans les Alpes est l’embryon de la force frontière appelée à se généraliser selon les déclarations du ministère de l’Intérieur.

Ces deux missions reposent sur l’interaction entre les FSI et les forces armées. En effet, un officier de police judiciaire (OPJ) est présent lors des patrouilles évoquées ci-dessus. Le groupe de combat terrestre (patrouille Sentinelle) intégrant un OPJ serait une unité mobile et bien équipée. Elle permettra d’effectuer plus de surveillances et de contrôles dans les zones difficiles.

Un récent sondage indique que 70% des Français sont favorables à la participation de l’armée à la lutte contre le narcotrafic. L’armée de terre a déjà démontré son utilité dans la lutte contre différents trafics, notamment dans les zones difficiles d’accès où la rusticité du soldat se révèle être un atout. Si des objectifs de cet ordre étaient fixés aux patrouilles de Sentinelle, il est certain que la monotonie de cette mission s’en trouverait diminuée.

Conclusion

L’opération Sentinelle opère sur le territoire français depuis bientôt dix ans, cette mission s’est inscrite dans le quotidien des habitants et les hommes en armes passent comme des ombres aux abords des gares et des terrasses des cafés. Les moyens financiers conséquents engagés (plus de 3 milliards d’euros selon la Cour des comptes) doivent contribuer à renforcer l’armée de terre sans diminuer sa capacité d’entraînement ni son taux de renouvellement de contrat. Si ces moyens sont loin d’être gaspillés et que les hommes de Sentinelle ont déjà permis d’éviter le pire, une réorganisation de son dispositif qui correspondait à l’urgence de 2015 devrait être engagée.

Syrie: qui est Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles islamistes qui ont pris le contrôle de Damas?

Syrie: qui est Abou Mohammed al-Joulani, le chef des rebelles islamistes qui ont pris le contrôle de Damas?

Le chef islamiste de Hayat Tahrir al-Sham, à la tête de la coalition des rebelles islamistes qui a chassé Bachar el-Assad du pouvoir en moins de quinze jours, a longtemps frayé avec al-Qaïda. Depuis, il a rompu ses liens avec le groupe terroriste et montre un visage plus modéré en promettant une transition en douceur à la Syrie. Une mue surprenante qui interroge sur ses motivations réelles.

Le chef du groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a dirigé une offensive rebelle éclair arrachant Damas au contrôle du gouvernement, Abu Mohammed al-Joulani, arrive à l'intérieur de la mosquée des Omeyyades, emblématique de la capitale syrienne, pour s'adresser à la foule qui s'y est rassemblée, le 8 décembre 2024.
Le chef du groupe islamiste syrien Hayat Tahrir al-Sham (HTS), qui a dirigé une offensive rebelle éclair arrachant Damas au contrôle du gouvernement, Abu Mohammed al-Joulani, arrive à l’intérieur de la mosquée des Omeyyades, emblématique de la capitale syrienne, pour s’adresser à la foule qui s’y est rassemblée, le 8 décembre 2024. AFP – AREF TAMMAWI

Grand, bien charpenté, la barbe bien taillée…  Abou Mohammed al-Joulani montre un visage bien différent de celui qu’il avait lorsqu’il était le leader d’une branche d’al-Qaïda. Le leader du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) fait tout pour se montrer désormais sous un jour bien plus modéré. Il a délaissé sa tenue traditionnelle pour un costume ou le treillis militaire, et depuis l’offensive qui a mené à la chute de Bachar el-Assad, il demande à ce qu’on l’appelle par son patronyme civil, Ahmed Hussein al-Charaa, et non plus par son nom de guerre. 

En douze jours, le chef du HTS à la tête de la coalition des rebelles a mené à bien son offensive éclair contre le régime Assad et il souhaite désormais faire oublier son passé de jihadiste affilié à al-Qaïda pour se poser en alternative politique crédible en Syrie. Face à la caméra de CNN le 6 décembre, Abou Mohamed al-Joulani affirmait que « le but de la révolution, c’est de renverser ce régime. Nous avons le droit d’utiliser tous les moyens nécessaires pour l’atteindre. »

Rassurer les minorités

Dès la prise d’Alep le 27 novembre, il a voulu rassurer la population en affirmant que les différentes confessions et toutes les minorités seraient respectées. « Personne n’a le droit d’effacer un quelconque groupe. Les différentes communautés ont coexisté dans cette région durant des centaines d’années et personne n’a le droit de les éliminer. Il doit y avoir un cadre légal qui protège et qui assure les droits de chacun. Pas un système qui serve une seule communauté, comme ce qu’a fait le régime d’Assad », avait-il alors déclaré.

Âgé de 40 ans, le leader islamiste a passé les premières années de sa vie en Arabie saoudite où son père était ingénieur pétrolier avant de rentrer en Syrie. Ahmed al-Charaa, le nom sous lequel il souhaite désormais se faire appeler, a alors grandi à Mazzé, un quartier cossu de Damas, dans une famille aisée. Et il a commencé des études de médecine.

D’après le site Middle East Eye, c’est après les attentats du 11-Septembre que « les premiers signes de jihadisme commencèrent à apparaître dans la vie de Joulani, lequel commença à assister à des sermons et des tables rondes secrètes dans les banlieues marginalisées de Damas ». Dans une interview donnée à PBS Frontline, en 2021, lui estime avoir commencé à se radicaliser lors de la deuxième Intifada en 2000. « J’avais 17 ou 18 ans à l’époque et j’ai commencé à réfléchir à la manière dont je pouvais remplir mes devoirs, en défendant un peuple opprimé par les occupants et les envahisseurs », expliquait-il.

Un vétéran du jihad islamique

Dans la foulée de l’invasion américaine de l’Irak en 2003, il part combattre dans ce pays voisin de la Syrie, où il rejoint le groupe al-Qaïda en Irak d’Abou Moussab al-Zarqawi avant d’être emprisonné durant cinq ans. Après le début de la révolte contre Bachar el-Assad en 2011, il rejoint son pays natal pour y fonder le Front al-Nosra, qui deviendra HTS. 

En 2013, il refuse d’être adoubé par Abou Bakr al-Baghdadi, futur chef de l’État islamique, et lui préfère l’émir d’al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri. C’est finalement en 2016 que le Front al-Nosra rompt ses liens avec l’organisation terroriste, une décision qui visait selon al-Joulani à « faire taire les prétextes avancés par la communauté internationale » pour viser le groupe, classé « terroriste » par Washington. En 2017, celui-ci est alors rebaptisé Hayat Tahrir al-Sham (HTS).

Abou Mohammed al-Jolani en 2016 lorsque le Front al-Nosra était encore affilié à al-Qaïda.
Abou Mohammed al-Jolani en 2016 lorsque le Front al-Nosra était encore affilié à al-Qaïda. AP

Al-Joulani, dont la tête a été tout de même mise à prix par les États-Unis 10 millions de dollars, affirme depuis avoir évolué et vouloir bâtir une nouvelle Syrie, qui permettrait à tous les réfugiés syriens de rentrer chez eux. Si cet éloignement de l’idéologie d’al-Qaïda semble pour l’instant bien réel, est-il pour autant vraiment sincère ? « Abou Mohamed al-Joulani renie complètement le jihad global. Il estime, comme d’autres au sein de ce groupe, que c’était une erreur et que beaucoup d’hommes sont morts à cause de ça et que c’était un projet qui ne pouvait pas en tout cas réussir et qui était insensé », explique Wassim Nasr, journaliste à France 24 et spécialiste du Moyen-Orient qui a rencontré le leader islamiste en 2023 à Idleb.

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« Al-Joulani tire sa force de son expérience dans le Nord »

Depuis la prise d’Alep, le HTS a multiplié les communiqués pour rassurer les communautés druzes, chrétiennes et alaouites. Dans les zones que le groupe contrôlait avant la chute de Bachar el-Assad, des services publics ont été créés, un réseau téléphonique mobile a même été mis en place à Idleb puis étendu à Alep. « Il s’agit d’islamistes, mais ils sont par exemple moins rigoristes que les talibans. Les femmes vont à l’école, les femmes vont à l’université, les gens fument dans la rue, on entend de la musique dans des échoppes… Donc, c’est rigoriste et conservateur, mais ce n’est pas du tout le jihad d’al-Qaïda ou de l’État islamique. Ce n’est pas du tout le conservatisme à l’extrême des talibans, c’est autre chose », analyse Wassim Nasr. 

Suite à la fuite de Bachar al-Assad, le chef du HTS reste d’ailleurs relativement en retrait sur le plan politique. Il a demandé à ses combattants de ne pas s’approcher des institutions qui restent, dit-il, sous le contrôle du Premier ministre qui s’est, lui, dit prêt à coopérer avec tout « nouveau leadership » choisi par le peuple. « La réussite d’une transition réside justement dans son approche inclusive. Al-Joulani tire sa force de son expérience dans le Nord, dans la mesure où il a plutôt nommé un gouvernement civil composé de technocrates et d’administrateurs pour gérer le quotidien dans les territoires contrôlés par le HTS. C’est un élément positif et il pourrait reproduire ce schéma en laissant certains ministres, ou même l’actuel chef du gouvernement, gérer les affaires pour cette phase de transition », estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen et chargé de cours à l’Université de Genève.

Un calcul politique ? 

Il n’en reste pas moins que sous couvert d’une certaine tolérance, al-Joulani a gouverné la région d’Idleb d’une main de fer depuis 2017. Pour beaucoup d’observateurs, cette volonté d’apparaître comme un islamiste modéré reste d’abord un calcul politique pour celui qui se rêve un destin d’homme d’État. « C’est toute la stratégie d’al-Joulani depuis plusieurs années de se montrer extrêmement tolérant, extrêmement modéré, notamment vis-à-vis des médias. Mais il ne faut pas être dupe », prévient Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2 et auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient.

« C’est quelqu’un qui, quand il avait 20 ans, est parti se battre en Irak aux côtés d’al-Qaïda. Il a été dans la prison d’Abou Ghraib. Il a connu les plus grands cadres d’al-Qaïda. Il a divorcé d’al-Qaïda en 2016 pour des raisons tactiques, mais il a conservé évidemment son idéologie. Il a imposé un totalitarisme islamique sur Idleb, éliminant physiquement des milliers d’opposants, que ce soit des laïques ou des islamistes modérés comme le groupe al-Cham. Donc, il ne faut pas avoir beaucoup d’illusions sur ce qui pourrait se produire dans les mois qui suivront son éventuelle prise de pouvoir », conclut l’universitaire.

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

Nomination Kash Patel FBI
Réalisation LeLab Diplo

La nomination de Kash Patel inquiète le FBI : Quel avenir pour l’agence ?

Par Angélique Bouchard – Le Diplomate média – publié le 9 décebre 2024

https://lediplomate.media/2024/12/la-nomination-de-kash-patel-inquiete-le-fbi-quel-avenir-pour-lagence/angelique-bouchard/monde/elections-americaines-2024/


La nomination de Kash Patel par le président élu, Donald Trump, au poste de directeur du FBI a suscité de vives réactions le soir du samedi 30 novembre. L’actuel directeur du FBI, Christopher Wray, qui occupe le poste depuis 2017, sera donc licencié. Les médias américains ont qualifié Patel de « choix extrêmement controversé ».

Le talk-show « Morning Joe » de MSNBC, le qualifie de « personnification de la colère MAGA contre le ministère de la justice et le FBI ».

Les conservateurs, eux, ont appelé Patel à « nettoyer le FBI », agence corrompue et inefficace selon eux.

Patel, « un combattant MAGA » et un fervent « Défenseur de la Vérité » :

Patel, 44 ans, est un avocat expérimenté en matière de sécurité nationale, de renseignement et de lutte contre le terrorisme.  Au cours de la première administration Trump, il a été le directeur principal de la lutte contre le terrorisme au Conseil de sécurité nationale, puis chef de cabinet du secrétaire à la Défense par intérim, Christopher Miller, de 2020 à 2021.

L’avocat a commencé sa carrière en tant que défenseur public dans le comté de Miami-Dade en Floride, après avoir fréquenté l’Université Pace à New-York et avoir obtenu un certificat en droit international à la Faculté de droit de l’University College de Londres.

En 2014, Patel est devenu procureur fédéral à la Division de la sécurité nationale du ministère de la Justice et a joué un rôle prépondérant dans la poursuite des membres d’Al-Qaïda et de l’EI et d’autres groupuscules terroristes.

Avant de rejoindre la première administration Trump, Patel a été conseiller à la sécurité nationale et conseiller principal à la House Permanent Select Committee on Intelligence (HPSCI), où il rendait compte au président du comité, le Représentant Devin Nunes, républicain de Californie. Dans ce rôle, il a contribué à superviser l’enquête de la Chambre sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016.

Kash Patel a surtout mis en lumière les agissements de l’agence, notamment la surveillance exercée par le FBI sur la campagne et le premier mandat du président Trump. Il a été également « membre de l’équipe de transition » de Donald Trump, conseillant l’administration sur les potentielles nominations au cabinet.

Trump a annoncé la nomination de Patel sur son réseau Truth Social :

« Kash est un brillant avocat, enquêteur et combattant de l’America First, qui a passé sa carrière à dénoncer la corruption, à défendre la justice et à protéger le peuple américain (…). Il a joué un rôle essentiel dans la découverte du canular « Russie, Russie, Russie », en se faisant le défenseur de la vérité, de la responsabilité et de la Constitution ».

En revanche, cette nomination a attisé la colère des premiers détracteurs de Trump et des libéraux, à l’instar de l’ancien conseiller à la sécurité nationale, John Bolton, qui a appelé le Sénat à rejeter la nomination de Kash Patel, comparant cette décision au règne de terreur de Jospeh Staline. Dans une déclaration à NBC News, dans l’émission « Meet the Press », Bolton a déclaré :

« Trump a nommé Kash Patel pour être son Lavrentiy Beria. Heureusement, le FBI n’est pas le NKVD (Commissariat du peuple aux affaires intérieures) … Le Sénat devrait rejeter cette nomination à 100% des voix ». (Source : John Bolton compares Kash Patel to Stalin’s right-hand man after Trump’s FBI nomination, par Andrea Margolis, Fox News, 1er décembre 2024).

La déclaration de Bolton fait référence directe à Lavrentiy Beria, qui était le chef de la police secrète soviétique sous Staline. Beria est une figure historique, tristement connue, pour avoir organisé et mis en œuvre une surveillance, répression et purges ethniques à grande échelle sous le régime stalinien.

De son côté, Andrew McCabe, qui a été brièvement le directeur par interim du FBI, sous Trump en 2017, avant d’être renvoyé pour avoir « prétendument divulgué des informations aux médias et manque de loyauté », a qualifié la nomination de Patel de : « plan visant à perturber, à démanteler, à distraire le FBI » :

« C’est une terrible nouvelle pour les hommes et les femmes du FBI et pour la Nation, qui dépend d’un FBI très performant, professionnel et indépendant. Le fait que Kash Patel soit totalement incompétent pour ce poste n’est même pas un sujet à débattre » a déclaré McCabe sur CNN. (Source : Kash Patel’s nomination sparks enthusiasm, anxiety ; future of the FBI appears uncertain, par Andrea Margolis, Fox News, 30 novembre 2024).

Fervent partisan de la doctrine « MAGA », Kash Patel est un critique féroce de la corruption des élites gouvernementales et de l’État profond. Sa critique systématique du Bureau, dans le passé, a fait fureur.

En 2023, Patel a publié un livre intitulé « Government Gangsters : The Deep State, the Thruth and the battle for Our Democracy », qui a pointé les rouages mis en place « par les principaux acteurs et leurs tactiques au sein de la bureaucratie gouvernementale permanente ».

Dans une interview accordée en septembre dernier au Shawn Ryan Show, Patel a mentionné l’empreinte du FBI, qu’il a qualifiée « d’énorme » :

« Je fermerais le bâtiment Hoover du FBI dès le premier jour et je le rouvrirais le lendemain en tant que musée de l’État profond ». (Lien :  https://x.com/ShawnRyan762/status/1863026829101027684)

Quelles sont les mesures concrètes à adopter pour rétablir la confiance dans le FBI ? 

Le poste de directeur du FBI nécessite l’aval du Sénat. Dans un post publié samedi soir sur X, Mik Davis, allié de Trump, a qualifié Patel « d’incontestablement qualifié » pour le poste :

« J’ai été le conseiller principal du président de la commission judiciaire du Sénat, Chuck Grassley, chargé des nominations- le poste chargé de la confirmation du directeur du FBI. Kash Patel sera confirmé par le Sénat. Il apportera des réformes indispensables à un FBI corrompu et défaillant » (Source : Trump nominates Kash Patel to serve as FBI director : Advocate for truth, par Andrea Margolis, Peter Pinedo, Fox News, le 30 novembre 2024).

La déclaration de Trump indique que Patel travaillera avec Pam Bondi, la candidate au poste de procureur général, pour réformer le FBI :

« Ce FBI mettra fin à l’épidémie croissante de criminalité aux États-Unis, démantèlera les gangs criminels de migrants et mettra fin au fléau du trafic d’êtres humains et de drogue à travers la frontière. Kash travaillera sous la direction de notre procureure générale Pam Bondi, pour ramener la fidélité, le courage et l’intégrité du FBI ».

En effet, la nomination de Patel laisse entrevoir des changements majeurs que l’agence devrait probablement subir au cours du second mandat de Donald Trump.

Le FBI est devenu pour beaucoup d’Américains une arme politique et sociale, dévoyé de sa mission première qui est la lutte contre le crime et la sécurité du peuple américain. La crise de légitimité et la défiance grandissante à l’égard de l’agence nécessitent une révision totale de la culture du Bureau.

Cette révision de la « Culture Maison » passe aussi par une révision de la politique RH.

Nicole Parker, une ancienne agente spéciale du FBI a mentionné en 2023, dans une interview à The Hill les raisons pour lesquelles elle avait qui quitté son poste au mois de novembre de cette même année, du fait de la politisation et des dérives grandissantes qui règnent à l’agence.

Lors de son passage au FBI, elle a déclaré avoir participé à des enquêtes telles que la fusillade de 2018 au lycée Marjory Stoneman Douglas de Parkland, en Floride, ou des enquêtes financières portant sur « des combines à la Ponzi de plusieurs millions de dollars », des agressions sexuelles et autres affaires d’extorsions.

Selon Parker, les « priorités et les principes directeurs » du FBI ont changé pendant qu’elle y travaillait : « les problèmes de politisation se succèdent » au sein du FBI.

Elle cite à ce titre l’exemple d’agents portant des gilets du FBI qui se sont agenouillés avec des manifestants de Black Lives Matter à Washington, D.C., en juin 2020 :

« Bien que les agents aient droit au premier amendement, ils ne sont pas libres d’exprimer publiquement tout soutien politique potentiel lorsqu’ils sont en service et qu’ils portent l’équipement officiel du FBI », a-t-elle fait valoir. Mme Parker a déclaré qu’il était « consternant » que les agents n’aient pas été réprimandés pour cela.

Elle a également affirmé que le FBI avait abaissé les critères de recrutement. Le bureau « Diversité et Inclusion », l’ODI (Office of Diversity and Inclusion), doit être réévalué en raison de son instumentalisation politique.

Le FBI doit relever ses normes de recrutements et réévaluer à la hausse les critères de sélection des candidats, en se basant uniquement sur « la méritocratie » et non la couleur de peau ou le genre.

De même, le siège du FBI doit être considérablement réduit et les agents de « la Centrale » doivent être davantage sur le « terrain » pour lutter efficacement contre le crime.

Selon Mme Parker, ces changements structurels ont « démotivé les agents », qui ont désormais tendance à « garder la tête basse », ce qui, selon elle, est l’une des principales raisons de sa démission. (Source : https://thehill.com/homenews/house/3851797-who-is-former-fbi-agent-nicole-parker-testifying-in-first-house-weaponization-hearing/).

Ce témoignage fait écho aux propos de Kash Patel, qui promet de rétablir l’intégrité du FBI s’il est confirmé sans ses fonctions. Dans son livre Patel appelle à une refonte très claire de l’agence :

« Les choses vont mal. Le FBI a gravement abusé de son pouvoir, menaçant non seulement l’État de droit mais aussi les fondements mêmes de l’autonomie gouvernementale, socle de notre démocratie. Ce n’est pas la fin de l’histoire. Le changement est possible au FBI et il est désespérément nécessaire. Le fait est que nous avons besoin d’une agence fédérale qui enquête sur les crimes fédéraux et cette agence sera toujours exposée au risque de voir ses pouvoirs abusés ».

Kash Patel plaide pour un licenciement des « acteurs corrompus », une « surveillance agressive » du Congrès sur l’agence, une refonte complète des procureurs spéciaux et le déménagement du FBI hors de Washington D.C.

« Le plus important est de faire sortir le FBI de Washington. Il n’y a aucune raison pour que l’agence nationale chargée de l’application de la loi soit centralisée dans le marigot. Conserver le FBI dans son gigantesque bâtiment, au siège de Washington ne fait que favoriser une culture de l’Entre- Soi institutionnel et inciter les hauts dirigeants du FBI à perdre de vue leur mission première pour se lancer dans des jeux politiques, s’attirer les faveurs de politiciens et cultiver leurs relations avec la presse pour faire avancer leur carrière ».


Nomination Kash Patel FBI
Angélique Bouchard

Diplômée de la Business School de La Rochelle (Excelia – Bachelor Communication et Stratégies Digitales) et du CELSA – Sorbonne Université, Angélique Bouchard, 25 ans, est titulaire d’un Master 2 de recherche, spécialisation « Géopolitique des médias ». Elle est journaliste indépendante et travaille pour de nombreux médias. Elle est en charge des grands entretiens pour Le Dialogue.