Le Royaume-Uni a l’intention de se doter de douze nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque

Le Royaume-Uni a l’intention de se doter de douze nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque


En juillet, fraîchement nommé à la tête du gouvernement britannique, Keir Starmer confia à George Robertson, secrétaire général de l’Otan entre 1999 et 2003, le soin de diriger une commission chargée d’élaborer une nouvelle revue stratégique de défense [SDR].

Moins d’un an après, celle-ci vient de livrer soixante-deux recommandations, lesquelles visent à renforcer la préparation au combat des forces britanniques.

« Lorsque nous sommes directement menacés par des États dotés de forces militaires avancées, le moyen le plus efficace de les dissuader est d’être prêt. Et, franchement, il s’agit de leur montrer que nous sommes prêts à imposer la paix par la force », a ainsi résumé M. Starmer, ce 2 juin. Il s’agit également de « renforcer la sécurité de la zone euro-atlantique ».

Plus tôt, le secrétaire britannique à la Défense, John Healey, avait expliqué que cette SDR consisterait à « envoyer un message à la Russie », qui incarne un danger « immédiat et urgent ». Mais pas seulement car la Chine y est décrite comme représentant un « défi complexe et persistant » pour les intérêts du Royaume-Uni tandis que l’Iran et la Corée du Nord sont perçus comme des « perturbateurs régionaux potentiellement hostiles ».

Cela étant, quelques recommandations de la SDR ont fait l’objet d’une communication ces derniers jours. Ainsi, le ministère britannique de la Défense [MoD] a déjà annoncé un investissement de 1,5 milliard de livres sterling pour ouvrir six usines dédiées à la production de munitions ainsi que la création, pour 1 milliard de livres sterling, d’un « commandement cybernétique et électromagnétique » [CyberEM] censé mettre en œuvre des « capacités numériques pionnières ».

La SDR insiste sur la nécessité de renforcer les capacités de frappe dans la profondeur, avec l’acquisition de 7 000 armes de longue portée, dont des missiles. D’ailleurs, un partenariat a déjà été scellé à cette fin avec l’Allemagne, l’objectif étant de développer un missile d’une portée de 2 000 km.

Dans le même temps, la dissuasion nucléaire britannique sera renforcée. Selon le Sunday Times, il est question d’acquérir des chasseurs-bombardiers F-35A au profit de la Royal Air Force, cette dernière devant renouer avec la capacité de mener des raids nucléaires, mission qu’elle n’assure plus depuis 1998. Or, cet appareil est certifié pour emporter l’arme nucléaire tactique B61-12 de conception américaine. Reste à voir comment cette mesure sera mise en œuvre.

En outre, le MoD a évoqué un investissement de 15 milliards de livres sterling pour financer « le programme souverain d’ogives nucléaires du Royaume-Uni pour les générations à venir ». Évidemment, la construction de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de type Dreadnought sera confortée.

Mais plus généralement, la Royal Navy devrait être la principale bénéficiaire de cette SDR, dans la mesure où cette dernière prévoit de la doter de vingt-cinq navires de premier rang, alors qu’elle n’en dispose que de quatorze actuellement, après le retrait prématuré de cinq frégates de Type 23 [classe Duke] entre 2021 et 2025. Le détail de ce renforcement n’a pas été précisé.

Cela étant, la mesure sans doute la plus forte est celle qui vise à faire passer de sept à douze le nombre de sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] mis en œuvre par la Royal Navy. Et cela en misant sur le pacte AUKUS [Australie, Royaume-Uni et États-Unis] car il s’agira de remplacer les actuels Astute par ceux de la future classe SSN-AUKUS, qui, pour le moment, n’existe que sur le papier.

Dans les faits, il s’agit de doubler la flotte de SNA britannique étant donné que, actuellement, seulement cinq sous-marin de la classe Astute sont censés être opérationnels : le sixième, le HMS Agamemnon, a été lancé en octobre tandis que le septième, le HMS Achilles [ex-HMS Agincourt] est encore en construction. En outre, le HMS Triumph, dernier SNA de la classe Trafalgar, est en passe d’être désarmé.

En août dernier, il a été rapporté qu’aucun des SNA de type Astute n’était en mesure de prendre la mer, notamment à cause de difficultés récurrentes pour assurer leur maintien en condition opérationnelle, faute de disposer de suffisamment de cales sèches.

Les nouveaux sous-marins SSN-AUKUS ne seront admis au service actif qu’à partir de la prochaine décennie. Selon le MoD, il est question de construire une unité tous les dix-huit mois, ce qui semble très ambitieux quand on sait que le HMS Astute, premier de la série, a été déclaré opérationnel il y a près de seize ans… et que le dernier n’a pas encore quitté son chantier naval.

« Afin de répondre aux exigences de ce programme élargi, le gouvernement travaille en étroite collaboration avec ses partenaires industriels pour élargir rapidement les possibilités de formation et de développement, avec l’objectif de doubler le nombre d’apprentis et de diplômés dans les secteurs de la défense et du nucléaire civil. Cela se traduira par la création de 30 000 postes d’apprentis et de 14 000 emplois au cours des dix prochaines années », fait valoir le MoD.

Mais construire des SNA est une chose : encore faut-il qu’ils aient un équipage. Or, la Royal Navy peine à recruter des sous-mariniers et, plus encore, à les fidéliser.

Sur ce point, la SDR n’a pas oublié la nécessité d’améliorer la condition militaire : celle-ci devrait bénéficier d’un bonus de 1,5 milliard de livres sterling dans les prochaines années. Ce qui peut sembler relativement modeste au regard des enjeux en matière de recrutement et de fidélisation.

Reste à voir si l’ambition affichée par le gouvernement britannique pourra être financée. A priori, il n’est pas question de porter les dépenses militaires à 5 % du PIB, comme l’envisage l’Otan, M. Healey s’étant contenté d’affirmer qu’il n’avait « aucun doute » sur le fait que l’objectif des 3 % du PIB serait atteint… d’ici 2034.

Photo : SSN-AUKUS

Conflit armé longue durée : L’armée israélienne à l’épreuve du temps

par Kevan Gafaïti – AASSDN – publié le 29 mai 2025

L’armée israélienne à l’épreuve du temps :
Enjeux et défis d’un conflit de longue durée

Face à une situation particulièrement complexe et dangereuse pour Israël, vient l’interrogation sur la capacité réelle dont il dispose pour mener un conflit prolongé. Peut-il encore soutenir un effort militaire aussi intense sur plusieurs théâtres d’opérations sans compromettre son modèle stratégique ? Ses forces armées, malgré leur supériorité technologique affichée et leur préparation revendiquée pour les conflits asymétriques, peuvent-elles faire face à une guerre d’usure imposée par un ensemble d’adversaires aux stratégies diversifiées et pas nécessairement coordonnées ?

Le 7 octobre 2023, le Hamas lance depuis Gaza une attaque massive et multidimensionnelle contre Israël — la plus meurtrière qu’il ait connu depuis sa création en 1948, avec environ 1200 morts et 251 personnes capturées. Outre le bilan humain, cet épisode marque également un point de non-retour pour la défense israélienne. Avec 3000 roquettes tirées en une journée, des incursions terrestres inédites (par les airs avec des parapentes motorisés, par la terre en franchissant les barrières de sécurité avec des explosifs et par la mer avec des commandos), une réactivité israélienne jugée a posteriori particulièrement lente, de flagrantes failles dans l’appareil sécuritaire de l’État hébreu ont fait surface. 

Pis encore, Tel Aviv s’est depuis enlisé dans un conflit à plusieurs fronts, menaçant d’une part son modèle stratégique basé sur la supériorité technologique, la dissuasion (nucléaire) et l’anticipation, et d’autre part sa réputation d’armée la plus puissante du Moyen-Orient, suréquipée face à des voisins aux armements considérés comme obsolètes et peu menaçants. Tsahal mène une guerre de haute intensité dans la bande de Gaza, frôlant la destruction complète de cette zone d’un point de vue matériel, avec plus de 30 000 raids aériens et un contrôle terrestre prolongé visant à défaire le Hamas. Israël lutte aussi contre le Hezbollah libanais, tant sur son propre territoire que dans le Sud-Liban, ce dernier ayant tiré des milliers de roquettes et drones-suicides, forçant l’évacuation massive de localités israéliennes. En mer Rouge encore, les Houthis ciblent des navires qu’ils estiment affiliés à Israël et tentent de contrôler les flux maritimes. À l’est enfin, Israël voit l’Iran enfin répliquer par la force armée aux attaques israéliennes sur son territoire, à l’image de l’attaque de drones iraniens dans la nuit du 13 au 14 avril 2024, après les frappes israéliennes du 1er avril sur le consulat iranien de Damas (côté iranien, l’opération est appelée « Promesse honnête », va’deh-yé sâdeq en persan).

Sur le plan interne encore, ces crises et conflits attisent des tensions sociopolitiques déjà lourdes, mêlant contestations du gouvernement Netanyahou, interrogation sur ses objectifs stratégiques réels (récupération des Israéliens détenus par le Hamas ou destruction de ce dernier ?) et critiques de la réforme institutionnelle lancée par ledit gouvernement pour réduire les pouvoirs de contrôle de la Cour suprême. Du fait de ce projet de réforme, c’est non seulement une fracture de la société et de la cohésion nationale qui est engendrée, mais plus concrètement un risque pour la solidité de l’armée israélienne : des milliers de réservistes, notamment dans l’armée de l’air et dans les unités cybernétiques, menacent de ne plus servir. Par ailleurs, la mobilisation massive de plus de 360 000 réservistes — une première depuis la guerre du Kippour, un demi-siècle plus tôt — pressurise l’économie israélienne, qui a vu son PIB reculer de 20 % au quatrième trimestre 2023, sans évoquer la baisse drastique des investissements étrangers.

État de la défense israélienne : un appareil militaire sous pression

Depuis le 7 octobre 2023, la défense israélienne est mise à rude épreuve, contrainte de multiplier les fronts et les opérations. D’inattendues vulnérabilités sont apparues dans son système de sécurité, imposant une réévaluation stratégique, tant la pression continue sur plusieurs fronts : à Gaza et en Cisjordanie, mais aussi en Iran et au Liban. Le budget israélien de défense, l’un des plus élevés au monde avec environ 30 milliards de dollars en 2024 (soit environ 5 % de son PIB), a été rehaussé pour financer l’effort de guerre. C’est une augmentation de quasiment 50 % (environ 55 milliards de shekels, soit 14 milliards de dollars) qui a été décidée en 2024, sans compter 14 autres milliards de dollars d’aide américaine comportant entre autres des livraisons accélérées de munitions et de systèmes d’interception. Malgré ce budget de guerre, c’est environ 250 millions de dollars qui sont quotidiennement consommés par Israël pour ce conflit, éreintant encore plus son économie déjà fragilisée par le ralentissement de sa croissance et la baisse des investissements directs étrangers. L’ancien ministre de la Défense Yoav Gallant avait d’ailleurs évoqué que le prolongement de la guerre pourrait nécessiter des coupes budgétaires supplémentaires.

L’armée israélienne est par ailleurs autant mobilisée qu’elle subit une tension croissante. Tsahal dispose d’environ 169 500 soldats actifs et 465 000 réservistes, en faisant donc l’une des armées les plus militarisées du monde par rapport à sa population. Après l’attaque du Hamas, Israël a déployé près de 360 000 de ses réservistes, une mobilisation record ajoutant à la pression économique et sociale du pays. Après plus d’un an et demi de conflit enfin, la fatigue morale et physique se fait sentir chez les troupes israéliennes, particulièrement chez les unités sur le front, alors que les délais de rotation sont allongés, réduisant d’autant plus leur moral et leur efficacité opérationnelle. Le Dôme de fer, système israélien de défense antimissile ayant intercepté plus de 90 % des roquettes tirées depuis Gaza, a également été continuellement sollicité par l’intensité des attaques. Face aux frappes avérées et aux menaces balistiques grandissantes, Israël a également déployé la Fronde de David (système d’interception de missiles et roquettes, élaboré en partenariat avec l’entreprise américaine Raytheon) pour intercepter des missiles de plus longue portée, à laquelle se rajoute le système Arrow 3 contre les missiles balistiques iraniens, parachevant sa défense aérienne multicouches. 

La réponse iranienne des 13 et 14 avril 2024, plutôt que de démontrer les capacités d’interception israéliennes, en expose plutôt les carences : avec une sommation iranienne de 48 heures avant l’attaque, l’annulation de tous les vols civils dans l’espace aérien israélien, l’assistance armée des États-Unis, de la France, de la Jordanie et du Royaume-Uni, « seulement » 90 % des drones et missiles ont été interceptés. Les 300 drones et missiles tirés par l’Iran à ce moment ne représentent qu’une partie minime de tout son arsenal, qui pourrait donc lourdement percer la défense israélienne en cas d’attaque massive sans sommation. L’industrie militaire israélienne est par ailleurs au cœur de l’effort de guerre, l’État hébreu étant un acteur incontournable en matière d’armement, avec des entreprises comme Elbit Systems, Israel Aerospace Industries et Rafael, ces dernières ayant augmenté leur production pour répondre à la demande. Cependant, les stocks de certaines munitions — notamment les obus de 155 mm et les missiles intercepteurs — s’amenuisent, aggravant la dépendance aux livraisons américaines et européennes. Si Tsahal reste technologiquement très avancé et possède des alliés occidentaux de poids, l’usure prolongée de son appareil militaire et les multiples fronts ouverts posent avec acuité la question de sa capacité à tenir un conflit de longue durée.

Forces de la défense israélienne : atouts stratégiques et militaires

Tsahal dispose d’indéniables atouts militaires et stratégiques lui permettant de maintenir une haute capacité opérationnelle, malgré le lourd conflit dans lequel il évolue. Son adaptabilité tactique, sa supériorité technologique, le soutien occidental, son renseignement avancé et sa réactivité militaire restent au cœur de sa puissance. Il possède un écosystème de défense en faisant l’une des armées les plus technologiquement avancées au monde, avec une combinaison d’armements de pointe, de cybercapacités (avec son Unité 8200 pour la cyberdéfense et la guerre électronique, qualifiée par Peter Roberts, chercheur au Royal United Services Institute de « meilleure agence de renseignement technique au monde, qui se situe au même niveau que la NSA à tout point de vue, sauf l’échelle ») et de systèmes de surveillance. Israël est usuellement considéré comme faisant partie des trois premières puissances mondiales en cybersécurité, avec la Chine et les États-Unis. Il peut ainsi neutraliser les communications adverses, infiltrer les réseaux ennemis et intercepter des données sensibles. L’objectif qu’il s’est fixé est de compenser sa faible profondeur stratégique (lié à son territoire restreint) par une haute capacité de renseignement et d’anticipation, en théorie. Ses moyens technologiques (SIGINT, écoutes, satellites d’observation Ofek) et son réseau d’espionnage lui octroient des informations capitales sur ses adversaires réels et potentiels. C’est avec de telles capacités de renseignement qu’Israël a pu mener des assassinats de hauts dirigeants du Hamas en 2024, à l’image de Saleh al-Arouri [le 2 janvier] à Beyrouth, Ismaël Haniyeh [le 31 juillet] à Téhéran ou encore Hassan Nasrallah [le 27 septembre], figure historique du Hezbollah libanais, à Beyrouth également.

Pour encore compenser son manque de profondeur stratégique, Tel Aviv peut compter sur la capacité de réaction quasi-immédiate de son armée et de sa réserve (après le 7 octobre 2023, il faut 48 heures pour mobiliser près de 300 000 réservistes) et sur le soutien des États-Unis. Avec le U.S.-Israel Memorandum of Understanding on Security Assistance du 14 septembre 2016, ce sont 38 milliards de dollars qui sont fournis sous forme d’aide militaire pour la période 2019-2028. Outre l’approvisionnement en munitions (obus de 155 mm, missiles pour son Dôme de fer notamment), Israël est entre autres le seul État du Moyen-Orient à posséder des chasseurs F-35 et peut compter sur des centaines de tonnes de matériel militaire expédiés par les États-Unis depuis le 7-Octobre, sans oublier le déploiement de leurs porte-avions en Méditerranée et autour du détroit de Bab el-Mandeb. En ajoutant à cela son expérience accrue des guerres conventionnelles ou non (avec plus de dix conflits majeurs depuis 1948), Tsahal sait combattre sur plusieurs fronts à la fois et en environnement urbain (l’armée israélienne a immédiatement développé des unités spécialisées en guerre souterraine et de nouveaux capteurs pour contrer les tunnels du Hamas). Sa capacité d’adaptation et sa doctrine militaire fournie restent des atouts majeurs en sa faveur.

Faiblesses et vulnérabilités israéliennes : les limites d’un modèle éprouvé

L’armée israélienne, bien que connue et reconnue pour son efficacité opérationnelle et sa technologie avancée, fait face à nombre de vulnérabilités et défaillances, menaçant son efficacité dans un conflit de longue durée. Ces faiblesses peuvent engendrer, outre un affaiblissement de la défense israélienne, un profond risque stratégique. La mobilisation prolongée des réservistes depuis octobre 2023 provoque un épuisement physique et psychologique, auquel se couple un plus que fragile équilibre social. Les crises politiques à répétition, les manifestations de masse, les tensions internes et critiques du modus operandi de Benyamin Netanyahou ainsi que la réforme judiciaire renforcent un sentiment de fracture sociale. 

Outre l’épuisement des soldats et l’érosion de la cohésion nationale, se fait jour une réelle tension sur les stocks de missiles et de munitions guidées, suite aux frappes prolongées sur Gaza et le Sud-Liban. Les difficultés d’approvisionnement rencontrées concernant ces munitions essentielles pour le combat en milieu urbain constituent un facteur pouvant compromettre les futures opérations israéliennes. L’aide américaine envers Israël, à hauteur de 3,8 milliards de dollars, ne semble pas être pour le moment dans le viseur de Donald Trump et de sa politique récente de reconfiguration de l’échiquier international (coupes drastiques de l’aide à l’Ukraine, lourde incitation envers les membres de l’OTAN à rehausser leur budget de défense, retour de la guerre commerciale avec la Chine, etc.). Cependant, des ajustements pourraient survenir à moyen et long terme, et un changement d’administration pourrait avoir un impact si le conflit venait à s’enliser. L’aide militaire américaine constitue donc un facteur stratégique majeur et Israël pourrait se trouver dans une situation vulnérable en cas de cessation ou de diminution de celle-ci. Enfin le conflit multi-fronts dans lequel se trouve Israël (Gaza, Liban, Iran, Yémen) distend ses capacités humaines et matérielles autant que sa faculté de réaction rapide et de stratégie d’ensemble. En cas de prolongation et d’élargissement du conflit, ce sont bien des limitations opérationnelles qui pourraient alors apparaitre, contraignant Israël à prioriser certains fronts.

Israël pourra-t-il tenir un conflit destiné à durer ?

La résilience d’Israël est mise à l’épreuve depuis le 7 octobre 2023. Tsahal démontre certes une puissance militaire redoutable, mais plus dans des conflits courts et intenses que dans des combats persistants aux nombreux épicentres. De sérieuses interrogations sur son endurance stratégique émergent à l’heure où Tel Aviv fait face à ce dilemme : comment maintenir une pression militaire constante tout en évitant l’essoufflement de ses ressources ? Ses bombes guidées JDAM et ses munitions d’artillerie commencent à s’épuiser, son système de défense Dôme de fer se base sur des missiles couteux, le prix unitaire oscillant entre 40 000 et 100 000 dollars et la mobilisation des réservistes et de la société civile s’étiole. Parallèlement, bien que la capacité industrielle israélienne soit avancée, elle ne permet pas une production rapide et en masse de tous les équipements sophistiqués utilisés, à l’image des avions de combat F-35 nécessitant des pièces produites seulement aux États-Unis. 

Cette guerre d’usure avantage en réalité les adversaires d’Israël, quand bien même ceux-ci ont pu connaitre des revers largement médiatisés par Tel Aviv, à l’image de l’assassinat de hauts dirigeants du Hamas et du Hezbollah. La guerre à Gaza s’éternise et le risque d’escalade avec le Liban et même l’Iran est un scénario plus que possible. Le Hamas maintient une capacité opérationnelle, alors qu’il était décrit comme éreinté après les premières représailles israéliennes fin 2023. L’incapacité de l’État hébreu à éradiquer le Hamas d’un point de vue matériel prélude d’autant plus au fait qu’il ne parviendra pas à vaincre le Hamas d’un point de vue moral et idéologique. Le Hezbollah libanais représente pour Israël une menace encore plus sérieuse, avec un arsenal estimé à plus de 150 000 roquettes et missiles, pouvant potentiellement saturer les systèmes de défense israéliens. Le Hezbollah est encore plus préparé que le Hamas à un conflit prolongé, du fait de ses ressources plus fournies, et une opération israélienne à son encontre serait bien plus couteuse pour Tel Aviv que la guerre en cours à Gaza. Enfin, une potentielle guerre directe et d’envergue avec l’Iran semble être un scénario catastrophe, les implications stratégiques et régionales étant difficilement discernables avec précision. 

Le plus grand danger pour Israël semble finalement être l’opinion publique. À l’international d’abord, les opérations israéliennes à Gaza sont régulièrement qualifiées de génocide, tant les actions à Gaza semblent disproportionnées et viser les populations civiles plus que des cibles militaires. La procédure engagée par l’Afrique du Sud contre Israël le 29 décembre 2023 devant la Cour internationale de Justice, cette première alléguant d’une violation par le second de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 (dont Israël est signataire) n’en est que l’illustration la plus saillante. À l’échelle nationale ensuite et surtout, la population israélienne semble chaque jour plus divisée sur la stratégie à mener et sur le soutien, ou non, à Benyamin Netanyahou. Or nombre de conflits récents démontrent à quel point l’opinion publique nationale détermine l’issue d’une guerre. Qu’il s’agisse de la France durant la guerre d’Algérie (1954-1962) ou des États-Unis au Vietnam (1955-1975) ou en Afghanistan (2001-2021), des États largement plus puissants que leurs cobelligérants ont été défaits. Non pas sur le champ de bataille, mais au sein de leurs propres sociétés, celles-ci s’opposant à des conflits perçus comme étant trop longs et couteux d’un point de vue humain et financier. Un tel scénario pourra alors s’imposer à Israël : on peut gagner une guerre stratégiquement, et la perdre politiquement.

Kevan Gafaïti (*)
Aereion 24

(*) Enseignant du département Middle East Studies (Sciences Po Paris) et chercheur du Centre Thucydide de l’Université Paris-Panthéon-Assas.

Guerre en Ukraine : avec l’opération « Toile d’araignée », Kiev frappe un grand coup

Guerre en Ukraine : avec l’opération « Toile d’araignée », Kiev frappe un grand coup

Les forces ukrainiennes viennent de réaliser une opération de grande envergure dans la guerre en Ukraine. Elle a permis de détruire 40 bombardiers russes.

par Cédric Bonnefoy – armees.com – Publié le
Guerre-en-ukraine-attaque-bombardiers-russes
Guerre en Ukraine : avec l’opération « Toile d’araignée », Kiev frappe un grand coup | Armees.com

Alors que la guerre en Ukraine se poursuit, Kiev vient de mener une opération de grande ampleur. Baptisée « Toile d’araignée », plusieurs drones ont détruit des bombardiers russes, parfois stationnés très loin du front. Un succès qui pourrait peser lourd alors que les discussions autour d’un cessez-le-feu reprennent à Istanbul.

L’opération « Toile d’araignée » : Kiev signe un succès important dans la guerre en Ukraine

Le 1er juin 2025, une opération d’une audace rare a été déclenchée par les forces ukrainiennes dans le cadre de la guerre en Ukraine. À des milliers de kilomètres du front, des bases aériennes russes ont été la cible d’une attaque coordonnée par drones, causant la destruction ou l’endommagement de plus de 40 bombardiers stratégiques.

Un camouflet logistique et symbolique d’envergure, survenu à la veille de pourparlers décisifs à Istanbul.Le Service de sécurité ukrainien (SBU) a revendiqué une attaque de grande ampleur contre les aérodromes russes de Belaïa, Olenia, Diaguilevo, Ivanovo Severny et Voskressensk. Les drones FPV (First Person View), dissimulés dans de faux toits de camions en bois, ont été lancés depuis des points proches des installations militaires russes. Cette attaque, baptisée « Toile d’araignée », aurait nécessité une planification de plus d’un an et demi, sous la supervision directe du président Volodymyr Zelensky.

Une source au sein du SBU affirme que « plus de 40 appareils ont déjà été touchés », incluant des Tu-95, des Tu-22M et des A-50, ces bombardiers utilisés pour lancer des missiles sur des cibles civiles en Ukraine. Pour Moscou, le montant des dégâts s’élèverait à 7 milliards de dollars.

Drones et discrétion : l’autre visage de l’offensive ukrainienne

Selon le ministère russe de la Défense, « plusieurs appareils aériens ont pris feu à la suite du lancement de drones FPV depuis un territoire situé à proximité immédiate des aérodromes ». Celui-ci a par ailleurs reconnu avoir « arrêté certains participants aux attentats », tout en minimisant l’ampleur des dégâts. Du côté ukrainien, le ton est tout autre. Le président Zelensky n’a pas hésité à parler de « l’opération la plus longue portée jamais menée » par les services ukrainiens. À raison : certains aérodromes, comme Olenia, sont situés à plus de 4 300 kilomètres du territoire ukrainien.

Moscou, de son côté, évoque de « graves erreurs des services spéciaux », selon la chaîne Telegram Rybar. Le même jour, des blogueurs pro-russes ont décrit un « jour noir pour l’aviation ». L’onde de choc recherchée semble avoir fonctionné. Alors que des pourparlers entre l’Ukraine et la Russie sont prévus à Istanbul à partir de ce lundi 2 juin 2025, le message est limpide. Petro Porochenko, ancien président ukrainien, a affirmé qu’il n’y avait « pas de meilleurs arguments à présenter à la veille de pourparlers avec Moscou ».

Trump, les droits de douane et la théorie qui explique tout

Trump, les droits de douane et la théorie qui explique tout

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par par Dr. Glenn Agung Hole* – Geopolitika – Revue Conflits – publié le 2 juin 2025

https://www.revueconflits.com/trump-les-droits-de-douane-et-la-theorie-qui-explique-tout/


Avec ses droits de douane prohibitifs, Donald Trump semble agir de façon déraisonnable. Un auteur américain a pourtant analysé, dès 1945, l’usage du commerce comme arme de guerre : Albert O. Hirschman. Avec une théorie qui permet d’expliquer bien des sujets actuels.

*Dr. Glenn Agung Hole. Maître de conférences en entrepreneuriat, économie et gestion, Université du sud-est de la Norvège & professeur honoraire à l’Université d’État Sarsen Amanzholov de l’est du Kazakhstan.

Article paru sur Geopolitika. Traduction de Conflits.


Lorsque Donald Trump a récemment proposé un droit de douane punitif de 50 % sur les produits de l’UE et de 25 % sur les iPhone, les réactions ont été vives – et prévisibles. Les économistes ont qualifié la mesure de catastrophique. Les marchés ont chuté. Les entreprises ont dénoncé le manque de prévisibilité. Mais une question est restée sans réponse : que fait réellement Trump ? La réponse ne se trouve pas dans les théories commerciales courantes. Elle se trouve dans un livre de 1945, longtemps ignoré – mais qu’il convient désormais de redécouvrir : National Power and the Structure of Foreign Trade d’Albert Otto Hirschman. Contrairement aux économistes classiques qui mettaient en avant le rôle pacificateur du commerce, Hirschman a montré que le commerce pouvait aussi devenir un instrument de domination et de contrôle politique. Avec ce que fait Trump aujourd’hui, c’est comme si Hirschman avait raison – en temps réel.

Le commerce comme pouvoir – pas comme marché

Hirschman a introduit le concept d’« effet d’influence » pour décrire comment les États peuvent utiliser le commerce afin de rendre d’autres pays économiquement dépendants – puis employer cette dépendance comme moyen de pression. Lorsqu’un acteur contrôle une part significative des exportations ou des importations d’un autre pays, il s’établit une relation asymétrique. Si cet acteur menace de couper les échanges, cette menace devient une arme efficace – proche de la puissance militaire, mais bien plus subtile et difficile à sanctionner.
Cette théorie a été élaborée sur la base de la stratégie commerciale de l’Allemagne en Europe de l’Est durant l’entre-deux-guerres. Aujourd’hui, c’est la relation des États-Unis avec l’UE et des entreprises telles qu’Apple qui constitue la scène concrète.
La menace de Trump d’imposer un droit de douane uniforme de 50 % sur toutes les marchandises européennes et d’exiger la production d’Apple aux États-Unis n’est pas une politique économique au sens classique. Ce n’est pas le protectionnisme « America First ». C’est l’exercice d’un pouvoir géopolitique par le commerce – une manifestation directe des mises en garde de Hirschman. Et c’est cela qui rend la démarche si difficile à interpréter pour les économistes traditionnels : elle est rationnelle, mais pas dans leur cadre d’analyse.

Géoéconomie instinctive

Rien n’indique que Trump ait lu Hirschman. Mais ses actes suivent la logique stratégique à la lettre. Il se sert du rôle des États-Unis comme plus grand marché mondial pour créer de la dépendance – puis menace d’en couper l’accès, vis-à-vis des États (comme l’UE) ou des entreprises (comme Apple).

Nous assistons donc non seulement à un abandon du libre-échange, mais à un basculement structurel vers ce que l’on appelle aujourd’hui la géoéconomie : l’usage d’outils économiques – commerce, investissements, technologie – comme instruments de pouvoir politique et stratégique. Alors que la politique commerciale libérale reposait sur l’hypothèse d’avantages mutuels et d’intérêts communs, la géoéconomie vise à obtenir des avantages relatifs, souvent au détriment d’autrui.

Il ne s’agit pas d’un nouveau courant idéologique, mais plutôt d’un retour à la pensée réaliste sous forme économique. Cela rend d’autant plus important de comprendre ce qui se passe réellement – et quelles en sont les conséquences.

Destructeur pour la prévisibilité 

Pour les entreprises, et en particulier pour les exportateurs norvégiens, cette évolution est profondément problématique. Au cours de mes années comme dirigeant de premier plan et conseiller stratégique, j’ai constaté que les investissements, le développement et la croissance industrielle dépendent entièrement de règles du jeu stables. Lorsque ces règles changent au fil d’un tweet et que les règles commerciales sont utilisées comme projectiles politiques, la prévisibilité disparaît. Et avec elle, l’attrait de l’investissement.

Une entreprise norvégienne qui exporte des composants de haute valeur vers les États-Unis via l’Allemagne peut, du jour au lendemain, perdre toute sa chaîne de valeur. Un droit de douane de 50 % n’est pas seulement un coût supplémentaire – c’est, en pratique, une fermeture de marché. Lorsque ce type de mesure est utilisé comme tactique de négociation, il devient impossible de planifier la croissance future.

C’est pourquoi la politique de Trump, bien qu’elle ne vise pas directement la Norvège, a des répercussions indirectes sur notre secteur privé. Et c’est pourquoi les analyses de Hirschman méritent d’être remises à l’honneur – non comme solution, mais comme modèle d’interprétation.

Hirschman contre le libre-échange 

Hirschman préconisait lui-même une régulation supranationale accrue pour contrer ce type d’abus de pouvoir via le commerce. Une solution qui remet en cause à la fois la souveraineté nationale et la pensée économique classique. Là où des économistes tels que Ludwig von Mises et l’école autrichienne voyaient le commerce comme un échange volontaire entre acteurs égaux, Hirschman voyait un système asymétrique – où certains auront toujours plus de pouvoir que d’autres.
Ce qui est intéressant aujourd’hui, ce n’est pas forcément de choisir entre ces deux modèles – mais de reconnaître que la réalité suit désormais le modèle de Hirschman, que cela nous plaise ou non.

Le Royaume-Uni envisagerait de se doter à nouveau d’une composante nucléaire aéroportée

Le Royaume-Uni envisagerait de se doter à nouveau d’une composante nucléaire aéroportée


Au début des années 2010, quelques voix, dont celle d’un ancien ministre de la Défense, défendirent – vainement – l’idée que la dissuasion nucléaire française ne devait plus reposer que sur les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] de la Force océanique stratégique [FOST] et que, par conséquent, sa composante aéroportée était vouée à disparaître. Et de justifier leur raisonnement par les choix faits par le Royaume-Uni quelques années plus tôt.

En effet, à la fin des années 1990, les Britanniques renoncèrent à la composante aéroportée de leur dissuasion, avec le retrait des Blackburn Buccaneer [en 1995], puis de la bombe nucléaire tactique WE.177, pouvant être emportée par des Tornado GR1/1A de la Royal Air Force [RAF]. En revanche, ils conservèrent la composante océanique, laquelle repose actuellement sur quatre SNLE de type Vanguard, armés de missiles balistiques Trident D5 de conception américaine.

Seulement, s’il a lancé l’ambitieux programme « Dreadnought » pour remplacer les quatre SNLE de type Vanguard de la Royal Navy, le Royaume-Uni s’apprête, a priori, à revenir sur la décision qu’il avait prise il y a près de trente ans.

En effet, la nouvelle revue stratégique britannique, qui sera dévoilée le 2 juin, prévoit, selon l’édition dominicale du quotidien The Times, l’acquisition de F-35A, c’est-à-dire la version « classique » du chasseur-bombardier de Lockheed Martin, en vue de recréer une composante nucléaire aéroportée au sein de la RAF. Pour cela, Londres envisagerait d’acquérir des armes nucléaires tactiques B-61 auprès des États-Unis.

« Le Royaume-Uni cherche à acheter un avion de combat capable de lancer des armes nucléaires tactiques, dans le cadre d’une expansion significative de ses capacités de dissuasion, le tout dans le but de faire face à la menace croissante de la Russie », avance le journal. « Le secrétaire à la Défense, John Healey, et l’amiral Sir Tony Radakin, le chef des forces armées [britanniques], ont des discussions sur ce sujet avec le Pentagone », poursuit-il.

L’hypothèse d’un achat de F-35A par le Royaume-Uni a déjà été évoquée en mars dernier. Et cela alors que, selon les plans initiaux, le ministère britannique de la Défense [MoD] prévoyait d’acquérir un total de 138 F-35B, c’est-à-dire la version STOVL [short take off / vertical landing] de cet appareil. D’ici la fin de cette année, il devrait en compter quarante-neuf exemplaires.

Jusqu’en 2008, le Royaume-Uni a abrité des bombes B-61 sur son sol, précisément sur la base aérienne de Lakenheath. Mais, à la différence des pays impliqués dans le partage nucléaire de l’Otan, comme la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Italie, ces armes étaient destinées à être mises en œuvre, si nécessaire, par des F-15E de la 48e escadre de l’US Air Force.

A priori, ce devrait être à nouveau le cas bientôt dans la mesure où, selon des documents budgétaires du Pentagone, les dépôts ayant autrefois servi à stocker un total de 132 bombes B-61 font l’objet de travaux de rénovation depuis au moins trois ans. Au passage, les F-15E vont quitter Lakenheath, des F-35A devant les remplacer.

Dans un entretien accordé au Sunday Times, M. Healey n’a pas voulu faire de commentaires sur ce sujet. « Le Royaume-Uni doit faire face à une nouvelle ère de menaces. Le monde devient plus dangereux. Le risque nucléaire augmente », a-t-il seulement déclaré.

Avec sa nouvelle génération de treillis, l’armée française muscle son camouflage, “efficace en ville, en forêt, dans le désert ou la neige”

Avec sa nouvelle génération de treillis, l’armée française muscle son camouflage, “efficace en ville, en forêt, dans le désert ou la neige

Plus ergonomiques, mieux pensés, et surtout bien plus efficaces : les nouveaux treillis de l’armée de terre font évoluer le bariolage et les couleurs pour la première fois depuis les années 1990. Distribué depuis le mois de mars, le BME (bariolage multi-environnement) marque un tournant décisif dans l’équipement des militaires français.

Voilà 35 ans que le motif et les couleurs des treillis de l’armée de terre n’avaient pas évolué. C’est désormais chose faite, avec l’arrivée en fin d’année 2024 du treillis BME (bariolage multi-environnement). Fini le bariolage polychrome du Centre-Europe introduit dans les années 90. Place à six couleurs dont le blanc, la principale évolution. 

“Le noir de l’ancien treillis était visible à l’infrarouge. Le nouveau est adapté à tous les environnements. Il est efficace en ville, en forêt, dans le désert ou dans la neige”, décrit le lieutenant Vincent du 152e régiment des Diables Rouges à Colmar (Haut-Rhin), appartenant à la 7e brigade blindée (BB), dont l’état-major est à Besançon (Doubs). 

Le treillis BME est composé de six couleurs, soit une augmentation par rapport à la version précédente. © Armée de terre

Des évolutions non négligeables étant donné que les militaires avaient auparavant deux treillis distincts : un pour le désert et un pour la forêt. La texture est également nouvelle avec des motifs striés et des formes cassées qui remplacent les formes simples et régulières. “Elles se fondent mieux dans les paysages et le regard met plus de temps à capter une silhouette”, explique le lieutenant Vincent. 

Tromper la vue de l’ennemi

De quoi faire des économies tout en assurant une meilleure efficacité. “Sur le terrain, trois secondes de plus pour être détecté, ça peut faire un avantage tactique énorme”, souligne le Colmariens. Selon le ministère des Armées, ces treillis augmentent de 25% le délai de détection des militaires.

Sur le terrain, trois secondes de plus pour être détecté, ça peut faire un avantage tactique énorme.

Lieutenant Vincent

152e régiment des Diables Rouges à Colmar

À partir du mois de mars, les 7 500 militaires de la BB ont été les premiers à en être équipés. La prochaine est la deuxième brigade blindée, jusqu’à équiper progressivement toute la France d’ici le mois de décembre. Ça fait l’unanimité chez tous les militaires. On aime bien le changement pour aller dans l’efficacité”, indique le lieutenant Vincent. 

Outre les couleurs, la coupe et le confort ont aussi été repensés : pantalon équipé d’un zip, veste cintrée, poches sur les côtés pour ne pas gêner le port des gilets tactiques… “C’est ergonomique pour la vie de tous les jours et pour le terrain, se réjouit le lieutenant Vincent. Il s’adapte à la morphologie de tout le monde.”

Le délai de détection lors du camouflage est augmenté de 25%, selon l’Armée de terre.© Armée de terre

Un coût de 200 milliards d’euros

Des treillis “inspirés du MultiCam américain” nés au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT), avec le Service du commissariat des armées et la Direction générale de l’armement, dont les premiers travaux de conception ont débuté en 2016. Trois versions évaluées plus tard, toute l’armée de terre doit en être équipée. Un investissement du ministère des armées d’environ 200 milliards d’euros, dans le cadre de la loi de programmation militaire. 

Chaque militaire dispose de trois treillis, avec possibilité de renouvellement annuel – les stocks étant prévus pour anticiper l’usure, particulièrement sur les opérations sur le terrain, comme l’explique le lieutenant Vincent : “Ils peuvent vite s’user, mais s’il y a une cérémonie, il faut quand même que l’on présente bien !”

Pologne: États-Unis et Russie réconcilient les finalistes de la présidentielle

Pologne: États-Unis et Russie réconcilient les finalistes de la présidentielle

Des chars K2GF de l’armée polonaise  (Photo by Beata Zawrzel / NurPhoto / NurPhoto via AFP).

La Rand Corporation vient de diffuser un rapport sur la militarisation polonaise intitulé « Polish Armed Forces Modernization. A New Cornerstone of European Security?« , par Krystyna Marcinek et Scott Boston.

La posture militaire polonaise a fait porter la part du PIB consacré à la défense à 4,7% et ce blog s’en est souvent fait l’écho.

Cette inflexion stratégique s’est traduite par:
– la création de deux nouvelles divisions lourdes – portant le total à six – au sein des forces terrestres et leur dotation en véhicules blindés, artillerie et systèmes de défense aérienne avancés ;
– la création du Bouclier oriental, une fortification de la frontière polonaise face à la Biélorussie et au territoire russe de Kaliningrad ;
– le déploiement d’au moins 32 chasseurs F-35A, la modernisation de la flotte actuelle de chasseurs F-16, le déploiement d’un nouvel avion de chasse léger de fabrication coréenne et le réarmement complet de sa flotte d’hélicoptères d’attaque avec des hélicoptères AH-64E Apache ;
– l’acquisition de trois frégates modernes et l’étude de la possibilité de créer une petite force sous-marine ;
l’augmentation des effectifs militaires d’active de 100 000 en 2015 à 300 000 d’ici 2035, dont 150 000 en réserve d’ici 2039.

Présidentielle: convergence des candidats

L’issue du scrutin présidentiel polonais va-t-il provoquer une inflexion de cette politique volontariste de renforcement militaire?

Lors du 2e tour de la présidentielle qui a lieu ce dimanche, Karol Nawrocki, qui est soutenu par le principal parti d’opposition nationaliste Droit et Justice (PiS), affrontera le maire pro-européen de Varsovie Rafal Trzaskowski, le candidat des centristes au pouvoir dirigés par l’ancien responsable européen Donald Tusk.

Le résultat de ce 2e tour ne devrait pas provoquer de changement majeur en terme de politique étrangère et de défense.

Les positions des différents partis politiques sur ces questions sont convergentes, notamment avec le souhait partagé de maintenir des liens forts avec l’allié américain. Karol Nawrocki affirme ainsi que la Pologne « a besoin de la certitude qu’un futur président se préoccupera des relations polono-américaines ». Rafal Trzaskowski, le candidat du PO, a quant à lui déclaré que la Pologne devrait « s’efforcer d’établir la coopération la plus étroite possible entre les États-Unis, l’Union européenne et la Pologne, car ensemble, nous sommes une puissance ».

Face à la Russie, les deux finalistes polonais, en phase avec l’opinion publique, partagent la même hostilité vis-à-vis de Moscou. L’aversion envers Poutine transcende presque tous les clivages dans ce pays où la règle veut qu’un bon Polonais se méfie profondément de la Russie.

On se souviendra enfin que, selon le sondage Eurobazooka de mars dernier, 71% des Polonais estiment qu’une guerre éclatera, dans les prochaines années, en Europe. Et que 62% d’entre eux sont favorables à de forts investissements dans la défense.

Le programme de réarmement SAFE de l’UE et ses conséquences potentielles

Le programme de réarmement SAFE de l’UE et ses conséquences potentielles

par Federico Santopinto* – IRIS – publié le 28 mai 2025

https://www.iris-france.org/le-programme-de-rearmement-safe-de-lue-et-ses-consequences-potentielles/

*Federico Santopinto est directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Europe, stratégie et sécurité, spécialisé dans l’intégration européenne en matière de défense et de politique étrangère, ainsi que dans la coopération militaire et sécuritaire entre l’Union européenne (UE) et l’Afrique. À ce titre, il suit également les politiques de coopération au développement de l’UE utilisées comme outil de prévention et de gestion des conflits.

Diplômé de l’Université de Florence en Sciences politiques (option internationale), Federico Santopinto a également obtenu un master en Politique internationale à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Il a ensuite exercé, pendant plus de dix ans, l’activité d’observateur électoral de long terme pour l’UE, principalement dans des pays post-conflit en Afrique. Il a parallèlement intégré le GRIP (Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité), un institut de recherche spécialisé dans la maîtrise des armements, où il a longtemps travaillé tant sur l’Europe que sur le maintien de la paix onusien. Il a notamment assuré dans ce cadre la gestion de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix (OBG). Federico Santopinto travaille également occasionnellement pour l’ULB en qualité d’expert associé.

Depuis que l’Union européenne (UE) a étendu ses compétences au secteur de l’armement, elle s’est trouvée confrontée à un dilemme : comment associer (ou pas) les entreprises des pays tiers aux programmes qu’elle a mis en place pour financer les coopérations entre ses membres ? Comment inclure en particulier les entreprises des alliés de l’OTAN qui ne sont pas membres de l’UE ? À chaque nouvelle initiative lancée dans ce domaine, cette question revient systématiquement sur la table des négociateurs européens, en provoquant des tourments.

En adoptant le programme dénommé SAFE (Security Action for Europe), son dernier né en matière de réarmement, l’UE semble avoir trouvé la quadrature du cercle de cette épineuse équation. SAFE, en effet, introduit des nouveautés particulièrement originales en matière d’éligibilité, sorties tout droit du chapeau du Secrétariat de la Commission européenne. À premières vues, ces nouveautés facilitent l’association des pays tiers aux achats conjoints que les États membres pourront réaliser grâce aux prêts élargis par l’UE. Et leurs entreprises pourraient en conséquence être plus facilement éligibles, ce qui a fait crier victoire aux partisans de l’ouverture. Mais à terme, les conséquences de cette ouverture pourraient surprendre les alliés de l’Union, tout comme ses États membres d’ailleurs. Ces derniers ont-ils pleinement saisi les implications que SAFE pourrait avoir au fil du temps ?

Le programme SAFE en quelques mots

Le programme SAFE se distingue des autres instruments d’aide à l’industrie de défense de l’UE par le fait qu’il n’offre pas des subsides, mais des prêts pour des acquisitions conjointes, que les États membres devront rembourser à des conditions avantageuses. SAFE bénéficiera d’une enveloppe de 150 milliards d’euros qui sera elle-même empruntée par la Commission européenne sur les marchés.

Les règles d’éligibilité de SAFE

Dans un premier temps, SAFE semble recalquer à quelques nuances près les règles d’éligibilité attribuées à d’autres programmes qui l’ont précédé pour soutenir l’industrie militaire, comme EDIRPA et ASAP[1]. En règle générale, les bénéficiaires des prêts élargis via SAFE doivent être établis dans l’UE, en Norvège ou en Ukraine, et ils ne doivent pas être soumis à un contrôle étranger. Les filiales ou les co-entreprises des pays tiers présentes sur le sol de l’UE, néanmoins, peuvent également être éligibles si elles ont fait l’objet d’un filtrage au sens du règlement (UE) 2019/452 sur les investissements directs étrangers (FDI) ou si elles fournissent toute une série de garanties à l’UE[2]. Comme dans le cas de l’EDIRPA, SAFE rajoute un autre critère : les produits achetés grâce aux prêts de l’UE doivent également disposer d’un minimum de 65% de composantes européennes. Certains équipements de défense plus complexes devront en outre être produits par une autorité de conception européenne (contrôle de la propriété intellectuelle et du savoir-faire technique), alors que d’autres catégories d’armes moins complexes ne sont pas automatiquement soumises à cette contrainte[3].

Par rapport aux programmes précédents, la Commission européenne toutefois propose quelque chose de plus en termes d’éligibilité. Elle suggère en effet d’élargir à certaines conditions le rayon d’action de SAFE aux pays « like-minded »[4], à savoir :

  • Ceux en voie d’adhésion ou les candidats potentiels à l’adhésion.
  • Ceux ayant conclu un partenariat de sécurité et de défense avec l’UE, au titre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC)[5].

Ces deux catégories de partenaires potentiels ne peuvent pas pour autant bénéficier des prêts de l’UE. Ils pourront par contre être associés aux achats conjoints lancés via SAFE, en y contribuant financièrement bien entendu. Pour cela, ils devront néanmoins signer préalablement des accords bilatéraux avec l’UE pour établir en quels termes leurs entités et entreprises pourront être éligibles aux acquisitions communes cofinancées par les prêts de la Commission. Ces accords, de plus, devront définir toute une série d’autres mesures en matière de normalisation et d’interopérabilité. Il est prévu également qu’ils définissent les dispositions à mettre en œuvre afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement des composantes du produit acquis.

Comment seront dès lors redéfinis les critères d’éligibilité de SAFE dans le cadre de ces accords bilatéraux ? Le règlement du programme demeure ambigu sur ce point. Il se limite à dire que les accords bilatéraux devront fixer « the rules related to restrictions imposed by third countries or by third country entities, on the definition, adaptation and evolution of the design of the defence product procured with the support of the SAFE instrument »[6]. En d’autres termes, l’UE renvoie toute décision en la matière aux futures négociations qu’elle devra entamer avec ses alliés.

L’UE au cœur d’un nouveau pôle normatif en matière d’armement ?

Au regard de ces règles, SAFE pourrait apparaître à première vue comme le programme de l’UE le plus ouvert de tous aux pays tiers. Derrière cette ouverture, toutefois, il est possible de percevoir en filigrane une stratégie visant à placer l’Union au centre d’un pôle réglementaire nouveau en matière d’industrie de défense. Face à l’incertitude stratégique alimentée par la posture ambiguë de Donald Trump, l’idée de pousser les pays tiers, qu’ils soient européens ou non, à signer des accords bilatéraux avec l’UE tombe à point nommé. Elle pourrait représenter un atout stratégique majeur pour les Européens. Ces accords, en effet, ne seront pas négociés uniquement avec les pays qui partagent les mêmes valeurs de l’Union. Ils seront vraisemblablement négociés également et surtout avec ceux qui feront preuve de proximité stratégique avec elle, ce qui inclut potentiellement de nombreuses démocraties dans le monde, mais semble exclure à priori les États-Unis de Donald Trump.

Une telle disposition vise en premier lieu le Royaume-Uni, avec lequel l’UE vient de signer un partenariat de sécurité et de défense qui ouvre la voie à un accord bilatéral sur SAFE. Mais elle pourrait intéresser également d’autres alliés non européens, comme le Canada, qui négocie actuellement lui aussi ce type de partenariat. À l’instar des pays de l’Union, Ottawa et Londres ont été fortement perturbés par l’attitude de Donald Trump vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine. Et ils pourraient l’être encore plus si les États-Unis devaient annexer le Groenland sans le consentement du Danemark. Aussi, l’ouverture de l’UE aux pays tiers est intéressante notamment au regard de son timing. L’Union est-elle en train de proposer à ses partenaires, tout aussi dépités qu’elle, de constituer à long terme un embryon d’alternative, ou du moins une échappatoire partielle à l’hégémonie industrielle des États-Unis dans le secteur de l’armement ? A-t-elle l’intention d’étendre sa traditionnelle puissance normative à ce domaine, d’où elle était exclue jusqu’il y a encore quelques années ?

Pour répondre à cette question, encore faudrait-il comprendre si les États membres sont réellement prêts à jouer la carte normative de l’UE dans un domaine aussi délicat que celui de l’industrie de défense. En considérant l’attachement des uns à l’illusion de leur souveraineté nationale et la persistance des autres à considérer Washington, contre vents et marées, comme l’ultime garantie de leur propre sécurité, le doute est permis. Pourtant, à l’heure où les démocraties d’Europe, d’Asie et d’Océanie sont confrontées au désarroi face à la tournure stratégique que prennent les États-Unis, l’idée de conditionner l’association des entités des pays tiers à une convergence stratégique et normative de leurs pays avec l’Union est loin d’être dénouée de sens. Elle pourrait porter les germes d’une ambition nouvelle pour l’UE. Les États membres auront-ils le courage de l’assumer ?


[1] EDIRPA (European defence industry through common procurement) et ASAP (Act in Support of Ammunition Production) sont des programmes transitoires lancés par l’UE en 2023 dans le cadre de la guerre en Ukraine pour soutenir les achats conjoints et la production industrielles d’armement.

[2] Le Règlement (UE) 2019/452 établit un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers (IDE) au sein de l’UE, dans le but de protéger les actifs stratégiques européens. Il met en place un mécanisme de coopération entre les États membres et la Commission européenne en trois étapes :

  • Les États membres notifient aux autres membres et à la Commission les IDE faisant l’objet d’un filtrage,
  • Les autres États membres peuvent adresser des commentaires et la Commission un avis,
  • Les États membres restent libres de prendre la décision finale de filtrage.

[3] Article 16 de la proposition de Règlement COM(2025) 122 final du 19 mars 2025 établissant l’instrument SAFE, tel qu’amendée par le COREPER.

[4] Ibid, art. 17.1.

[5] L’UE a signé ce genre de partenariats avec sept pays : Norvège, Moldavie, Macédoine du Nord, Albanie, Corée du Sud, Japon et tout récemment le Royaume-Uni.  Des négociations sont en cours avec le Canada. L’UE envisage également de signer également un accord avec l’Inde.

[6] Art. 17.2(d) du Règlement COM(2025) 122 final du 19 mars 2025 établissant le programme SAFE, tel qu’amendé par le COREPER.

L’État-major des armées n’est pas en mesure de confirmer la perte au combat d’un Rafale indien

L’État-major des armées n’est pas en mesure de confirmer la perte au combat d’un Rafale indien

https://www.opex360.com/2025/05/30/letat-major-des-armees-nest-pas-en-mesure-de-confirmer-la-perte-au-combat-dun-rafale-indien/


Après les frappes effectuées par l’Inde contre des positions tenues par des organisations terroristes au Pakistan [opération Sindoor], le 7 mai dernier, Islamabad a assuré avoir abattu au moins six avions de combat de l’Indian Air Force [IAF], dont trois Rafale, grâce à ses Chengdu J-10 armés de missiles air-air à longue portée PL-15, fournis par la Chine.

À ce jour, aucun élément ne permet de confirmer les allégations pakistanaises, par ailleurs exploitées par Pékin pour faire la promotion du J-10 et du PL-15 à l’exportation. D’autant plus que le bilan avancé par Islamabad est fluctuant. Ainsi, le 28 mai, le Premier ministre pakistanais, Shehbaz Sharif, a revendiqué la destruction non pas de trois mais de quatre Rafale indiens.

Cela étant, et c’est passé relativement inaperçu, le porte-parole de la force aérienne pakistanaise, le général Aurangzeb Ahmed, a vanté les qualités du Rafale, lors d’une conférence de presse donnée il y a deux semaines. « C’est un avion très puissant, à condition qu’il soit bien utilisé », a-t-il dit. En clair, il a remis en cause les compétences des pilotes indiens ainsi que la doctrine de l’IAF.

Le propos du général Ahmed peut se comprendre quand l’on sait que le Pakistan entretient de bonnes relations avec l’Égypte, les Émirats arabes unis, le Qatar et l’Indonésie, lesquels ont acquis des Rafale. D’où, sans doute, ce bémol dans la propagande pakistanaise…

Pour le moment, la seule chose que l’on peut dire est que l’Inde a admis la perte de trois avions de combat lors de l’opération Sindoor et que, à en juger par des images de débris diffusées via les réseaux sociaux, un Rafale pourrait en faire partie.

Lors du dernier point presse du ministère des Armées, le 28 mai, le porte-parole de l’État-major des armées [EMA], le colonel Guillaume Vernet, s’est montré très prudent sur le bilan du dernier affrontement armé entre l’Inde et le Pakistan.

« S’agissant du conflit qui a eu lieu entre l’Inde et le Pakistan, je remarque surtout que l’on est dans le brouillard de la guerre et qu’il y a une forte guerre informationnelle. C’est-à-dire que, aujourd’hui, ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait pas ce qui s’est passé. Il y a un certain nombre d’allégations que je ne reprendrai pas parce qu’il n’y a pas d’informations confirmées », a d’abord dit le colonel Vernet, en répondant à une question portant sur l’emploi du Rafale en Inde.

« Effectivement, le sujet du Rafale est de première importance pour nous. On est intéressé par ce qu’il s’est passé. Donc, on essaie d’être au plus près de notre partenaire indien pour mieux comprendre » les événements, a poursuivi le porte-parole de l’EMA. L’enjeu, a-t-il continué, est de tirer les enseignements du retour d’expérience [RETEX] de l’emploi du Rafale « au combat de haute intensité ».

« Manifestement, selon certains rapports, plusieurs centaines d’aéronefs ont été engagés » durant cet affrontement, a-t-il observé. Mais, a-t-il conclu, « on peut surtout constater qu’il y a eu vingt années d’emploi du Rafale et que s’il était avéré qu’il y avait eu une perte, ce serait la première au combat ».

Tension : Le Parlement français face à la guerre

par Charles Herrbach – ASSDN – publié le 30 mai 2025

https://aassdn.org/amicale/tension-le-parlement-francais-face-a-la-guerre/


Dans une démocratie confrontée à la guerre, le Parlement français doit conjuguer principes démocratiques et efficacité militaire. Mais quelle place occupe-t-il vraiment face à l’urgence stratégique et présidentielle ?

Le retour de la guerre en Ukraine a favorisé, depuis trois ans, les postures et discours polémologiques au cœur de nos institutions. Voici désormais nos systèmes démocratiques confrontés à des enjeux militaires et stratégiques avec, comme point névralgique, un défi de taille : celui d’assurer la continuité de la vie démocratique dans un contexte dominé par la violence, le tragique et le brouillard stratégique.

En cas de guerre, il revient aux dirigeants d’opérer la difficile conciliation entre état de droit et état de guerre, entre principes démocratiques et efficacité opérationnelle. Ce dilemme trouve une acuité particulière dans le régime de la Ve République, dominé par le Président, garant de la continuité des institutions et donc de la vie démocratique, et par le Parlement, expression de la souveraineté nationale et populaire, et à qui revient de contrôler l’action de l’exécutif.

Or, par définition, la guerre et, accessoirement, l’ennemi (sûrement peu soucieux du respect de l’état de droit) imposent un rythme auquel la vie politique et parlementaire est peu coutumière, davantage façonnée par les lenteurs inhérentes au processus législatif et par les querelles partisanes. Quel est alors le rôle des députés et sénateurs en cas d’engagement de la France dans un conflit majeur ?

Le Parlement est responsable du budget

La Constitution du 4 octobre 1958 confère un rôle central au Président de la République : chef des armées (article 15), titulaire des pouvoirs exceptionnels en cas de crise (article 16), il incarne la clé de voûte de la politique de Défense. À lui reviennent l’orientation stratégique, les nominations militaires, la décision d’engagement de troupes à l’étranger, ou encore la mise en œuvre d’une économie de guerre mobilisant citoyens et appareil industriel.

Dans les faits, le Parlement exerce avant tout une fonction budgétaire : il vote les lois de programmation militaire (LPM), qui déterminent, sur six ans, le niveau et l’affectation des crédits alloués à la défense (413 milliards d’euros pour 2024-2030). La LPM traduit donc dans le budget dans la loi les ambitions, et parfois les sacrifices ou renoncements, du pays dans sa politique de Défense : de la fermeture de casernes à la commande du porte-avions de Nouvelle Génération, de la commande de nouveaux canons Caesar aux investissements dans le spatial militaire.

Le Parlement a donc une responsabilité de premier plan dans le dimensionnement ou la réduction de nos armées et de leurs moyens afin de répondre aux objectifs opérationnels.

Un contrôle théoriquement étendu…

Toutefois, lorsque survient la guerre, la Constitution prévoit l’activation de l’article 35, révisé en 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy (2007 – 2012). Il prévoit que :

  • le Parlement autorise toute déclaration de guerre ;
  • il est informé dans les trois jours de toute intervention extérieure, pour un débat sans vote ;
  • au-delà de quatre mois, l’autorisation parlementaire est requise pour prolonger l’opération, avec un pouvoir de décision ultime confié à l’Assemblée nationale.

Il est notable que la notion même de « guerre » a quasiment disparu au profit du concept d’interventions militaires extérieures ou à l’étranger, appelées communément OPEX. La raison principale en est que le Préambule de la Constitution (à valeur constitutionnelle depuis 1971) prohibe toute « guerre dans des vues de conquête » et tout emploi des forces « contre la liberté d’aucun peuple ».

Ce mécanisme de l’article 35 vise à corriger l’ancienne doctrine, fruit d’une interprétation extensive des prérogatives présidentielles en matière de défense (confortée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et la pratique politique), qui laissait à l’exécutif une liberté quasi absolue dans ce domaine « réservé », sans obligation d’information ni de contrôle du Parlement.

En pratique, cette révision de 2008 marque un tournant : depuis lors, les interventions en Afghanistan (2008), Libye (2011), Mali (2013), Centrafrique (2013), Irak (2014) et Syrie (2018) ont toutes donné lieu à des informations au Parlement, parfois suivies de votes qui, en période de fait majoritaire, ont toujours donné lieu à un large consensus, suscitant des critiques évidentes de la part des oppositions.

…mais en réalité limité et critiqué !

Les accusations sont en effet récurrentes à l’encontre des votes de prolongation, régulièrement interprétés comme un blanc-seing sans limites de durée, d’espace ni d’objectifs. Sont ainsi pointés du doigt des débats perçus comme formels et minimalistes, la pauvreté des informations délivrées au Parlement, le difficile accès aux éléments classifiés, tout comme l’invocation du secret-défense qui permet d’éviter le contrôle institutionnel.

Par ailleurs, certaines opérations, ponctuelles et limitées (Kolwezi en 1978, Hamilton en 2018), échappent à toute procédure parlementaire, tout comme celles menées sous mandat onusien (guerre du Golfe, Bosnie, Libye) qui relèvent du cadre multilatéral, marginalisant le débat national. Même les opérations de défense des territoires ultramarins (comme la guerre des Malouines/Falklands en 1982) pourraient, en cas de crise dans les Outre-mer (Nouvelle-Calédonie, par exemple), échapper à la qualification d’OPEX et relever exclusivement du pouvoir exécutif sans pouvoir de contrôle relevant de l’article 35.

Enfin, dans l’hypothèse la plus dramatique — une agression extérieure directe — le recours à l’article 16 réduirait le Parlement à un rôle minimal, sous l’effet des pouvoirs exceptionnels du Président (article appliqué une seule fois par le général de Gaulle du 23 avril au 29 septembre 1961, après la tentative de putsch des généraux en pendant la guerre d’Algérie).

Certains modèles, allemand ou anglo-saxons, prévoient les mêmes mécanismes avec parfois des pouvoirs étendus au bénéfice des commissions permanentes : celles-ci disposent alors de véritables pouvoirs d’enquête, d’accès à l’information classifiée, et peuvent évaluer les objectifs, les coûts, et les issues politiques des opérations, faisant régulièrement rêver les oppositions en hémicycle…

Conclusion

Ainsi, la guerre impose son rythme, ses urgences et parfois ses opacités, et le Parlement en est parfois relégué au rang de spectateur, bien qu’une responsabilité colossale pèse sur ses épaules dans la trajectoire financière de nos Armées, car c’est bien celle-ci qui inscrit dans la durée la vision que la Nation porte sur sa propre sécurité.

Au-delà de ces pouvoirs prévus par la constitution, les parlementaires assument parfois autrement leur responsabilité : c’est ce que nous rappellent les monuments aux morts de la salle des Quatre Colonnes de l’Assemblée nationale, avec le nom des 28 députés morts pour la France au cours des deux guerres mondiales.

Charles Herrbach
Revue Conflits
21 mai 2025

Source photo : Revue Conflits