Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Carte commentée. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?

Par AB PICTORIS*, Clément Alberni – Diploweb – publié le 6 décembre 2024.

https://www.diploweb.com/Carte-commentee-Quelle-influence-pour-l-Organisation-des-pays-exportateurs-de-petrole-en-2024.html


*AB Pictoris est une entreprise française fondée par Blanche Lambert, cartographe indépendante. Diplômée de l’IFG et de Sciences Po Aix. B. Lambert publie « Se former à la cartographie avec Inkscape », éd. D-Booker.
Clément Alberni est diplômé d’un Master en Histoire et Relations internationales, de l’Université Catholique de Lille. Après un stage au Ministère des Armées, il occupe chez AB Pictoris un poste d’analyste-cartographe dans le cadre d’un stage se déroulant d’août à octobre 2024.

Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. L’OPEP+ joue aujourd’hui un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés pousse ses dirigeants à agir de façon pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.
Carte disponible sous deux formats JPG et PDF pour l’impression haute qualité.

A L’OCCASION de la COP 28, le secrétaire général de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a suscité la colère et l’indignation de nombreux pays présents. Ce dernier a en effet demandé « en urgence » à ses membres de « rejeter proactivement » tout accord ciblant les énergies fossiles [1]. Il précise dans son courrier que la pression excessive et disproportionnée exercée sur les combustibles fossiles pourrait atteindre un point de basculement aux conséquences irréversibles, car le projet de décision contient encore des dispositions sur l’élimination progressive des combustibles fossiles ». Malgré un accord final faisant état d’une sortie progressive des énergies fossiles afin d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, cette prise de position interroge quant au poids politique de l’OPEP et à son niveau d’influence sur le marché du pétrole en 2024. Pour mieux comprendre, revenons plus en détail sur cette organisation peu ou mal connue.

Carte. Quelle influence pour l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2024 ?
Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.
Alberni/AB Pictoris

L’OPEP est une organisation de pays producteurs de pétrole créée le 14 septembre 1960, lors de la conférence de Bagdad, dans un contexte de concurrence intense entre compagnies pétrolières et de fortes pressions à la baisse sur le prix du pétrole. Son objectif est de réguler la production et le prix du pétrole par une politique concertée de ses membres.

En 2024 elle est composée de douze membres, dont ses cinq fondateurs, l’Arabie Saoudite, le Venezuela, l’Irak, l’Iran et le Koweït, ainsi que de sept membres ayant rejoint l’organisation, la Libye en 1962 l’Algérie en 1969, les Émirats arabes unis en 1967, le Gabon (1975-1995, de nouveau membre depuis 2016), le Nigéria 1971, la Guinée équatoriale en 2017 et le Congo en 2018.

En 2016, les membres de l’OPEP se sont associés avec dix autres pays producteurs [2] pour s’entendre sur les quotas visant à limiter la production : Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud. Cette alliance est connue désormais sous le nom d’« OPEP+ ».

Notons cependant que d’autres grands pays producteurs ne sont pas membres de l’organisation, Etats-Unis en tête qui est de loin le 1er avec une production de plus de 13 millions barils/jour [3] (unité BBL/D/1K). C’est également le cas du Canada (4734 millions), de la Chine (4249 millions), de la Norvège (1859 millions), du Qatar(1322 millions) [4] et de l’Angola (1084 millions) [5].

Structure organisationnelle de l’OPEP

Le siège de l’OPEP est situé à Vienne en Autriche, et sa structure organisationnelle se décline en plusieurs institutions spécifiques. La conférence des ministres est l’organe suprême de décision de l’OPEP. Elle est composée des ministres du pétrole ou de l’énergie des pays membres. Le comité de revue du marché est quant à lui chargé d’analyser l’état du marché pétrolier, puis de préparer les rapports et recommandations qui seront utilisés lors de la conférence des ministres en matière de politique de production et de prix du pétrole. Ensuite, le secrétariat général, en tant qu’organe exécutif de l’OPEP, est chargé de la mise en œuvre des décisions prises en Conférence des Ministres. Enfin l’organisation est constituée de comités techniques, spécialisés et de groupes de travail pouvant mettre en place des comités ad hoc traitant de questions spécifiques. Ces derniers assistent le comité de revue du marché en fournissant des analyses techniques et des recommandations sur la production et les quotas de pétrole.

Une stabilisation des prix du pétrole et la défense des intérêts des pays producteurs aux origines de l’OPEP

Revenons maintenant aux origines de l’OPEP pour mieux comprendre son rôle et son influence croissante sur le marché mondial du pétrole.

Dans les années qui précèdent la création de l’OPEP, la majorité des pays producteurs de pétrole sont soumis à une très forte dépendance économique des revenus générés par les exportations de cette ressource. Ils se trouvent alors dans une situation de grande fragilité, notamment face à la volatilité des cours du baril, dont la tendance à la baisse est largement encouragée et induite par les pays importateurs. Ainsi, le regroupement d’un certain nombre de pays producteurs voit le jour et permet à ces derniers de peser suffisamment pour être en position de négocier avec les firmes pétrolières multinationales. Ce regroupement leur permet également d’instaurer, entre eux, des quotas de production afin de pouvoir contrôler les prix sur le marché mondial.

Différents tournants marquent alors l’histoire de l’organisation.

Le pétrole, un levier diplomatique pour les pays du Golfe

À partir des années 1970, l’OPEP se structure, se renforce et acquiert une stature internationale, lui conférant un rôle croissant sur la scène pétrolière mondiale.

En octobre 1973, la guerre du Kippour [6] éclate entre Israël et une coalition de pays arabes, menée par l’Égypte et la Syrie. Ce conflit est le point de départ d’une action concertée des pays arabes membres de l’OPEP pour utiliser le pétrole comme levier diplomatique.

L’OPEP, dominée alors par ses membres arabes, décide de réduire progressivement sa production de pétrole et d’imposer un embargo à destination des États-Unis et d’autres pays occidentaux pour leur soutien à Israël.

Le pétrole est ici utilisé comme une arme diplomatique : il s’agit de contraindre les puissances occidentales à faire pression sur Israël pour qu’il se retire des territoires acquis pendant la guerre des Six Jours de 1967 [7]. L’embargo provoque une raréfaction de l’offre mondiale de pétrole, entraînant une hausse spectaculaire des prix. En seulement quelques semaines, il sera multiplié par quatre, passant de 4 à 16 dollars. Les économies occidentales ne peuvent pas faire face. Dans les pays directement visés, la croissance s’effondre et le chômage augmente [8].

L’OPEP, auparavant perçue comme un simple groupe de pays exportateurs de matières premières, émerge comme un acteur économique et géopolitique de premier plan. Elle démontre sa capacité à influencer non seulement le marché pétrolier mondial, mais aussi les relations internationales.

Bis repetita en 1979, avec la chute du Shah d’Iran et la révolution islamique dans ce pays alors important producteur de pétrole, qui engendre un nouveau doublement du prix du baril, de 20 à 40 dollars. C’est le second choc pétrolier.

Ces crises successives modifient durablement les rapports de force internationaux et incitent les pays consommateurs à repenser leurs stratégies énergétiques.

Les années 1980 seront marquées par de nombreuses périodes de difficultés pour l’OPEP, en raison notamment d’une production supérieure à la demande, et l’augmentation de la production dans certains pays comme les Etats-Unis (présence de ressources en Alaska) et la Norvège (présence de ressources en Mer du Nord).

De plus, l’OPEP est également confrontée à des difficultés en interne, certains pays membres ne respectant pas les quotas de production décidés en commun. Cette surproduction accroît la surabondance de l’offre sur le marché mondial, entraînant une chute continue des prix du pétrole.

L’Arabie saoudite, en tant que leader de facto de l’OPEP, a joué un rôle clé en tentant d’ajuster sa production pour équilibrer l’offre. L’organisation n’a alors pas d’autres choix que de se réformer : elle adopte une nouvelle stratégie, qui met fin à la guerre des prix en adoptant un mécanisme de fixation des prix basé sur le marché.

Cette période est caractérisée par un affaiblissement important de l’influence de l’OPEP sur le cours du marché pétrolier international, et par ricochet de sa capacité à peser dans les relations internationales.

Toutefois, les années 2000 signent un tournant décisif avec l’essor et la montée en puissance de géants économiques entraînant une demande en pétrole sans précédent.

L’arrivée des émergents, une demande forte qui donne un nouvel élan à l’OPEP

Les années 2000 marquent un regain de l’influence de l’organisation. En effet, la période est caractérisée par une demande énergétique en forte croissance, notamment de la part des économies émergentes comme la République populaire de Chine et l’Inde. Le prix du baril s’envole, et atteint les 140 dollars en juillet 2008. L’OPEP s’impose comme un acteur déterminant dans la gestion de cette hausse des prix.

Elle joue un rôle stratégique de stabilisation en ajustant régulièrement les quotas de production de ses membres. Malgré une concurrence accrue de la part de pays non-membres qui augmentent les prix, elle parvient à maintenir un fort contrôle sur le marché mondial.

En plus de la montée en puissance des émergents, la période est caractérisée par une série de crises qui secouent particulièrement le Moyen-Orient. L’invasion de l’Irak en 2003 et les tensions en Iran lui imposent d’ajuster ses politiques pour maintenir des niveaux de production élevés de manière à compenser les pertes dans les pays en crise.

Une nouvelle fois, l’OPEP devient un instrument géopolitique. Riyad, en tant que leader de facto de l’organisation, tire son épingle du jeu et utilise habilement son influence sur le marché pétrolier pour renforcer ses relations avec les grandes puissances mondiales, et en particulier avec les États-Unis. Le pétrole, véritable outil de diplomatie, permet à l’Arabie saoudite de négocier des accords bilatéraux favorables, de sécuriser son rôle de partenaire stratégique des États-Unis au Moyen-Orient, et de renforcer sa position au sein du monde arabe.

L’État saoudien profite également de cette période favorable pour établir des relations stratégiques avec les pays émergents à forte demande énergétique, comme la Chine et l’Inde. Par exemple, des accords bilatéraux ont été signés pour garantir des contrats de livraison de pétrole à long terme à ces pays en échange de coopérations dans d’autres domaines, tels que les investissements infrastructurels et les partenariats commerciaux [9].

A l’automne 2008, une crise financière mondiale porte un premier coup d’arrêt à cette période de domination de l’OPEP sur le marché mondial du pétrole. Malgré la crise, l’organisation parvient à maintenir l’unité de ses membres, coordonnant des réductions de production sans précédent, allant jusqu’à retirer 2,2 millions de barils par jour du marché [10]. Cette adaptation rapide permet une reprise partielle des prix dès 2009, bien que les niveaux d’avant-crise n’aient pas été immédiatement atteints.

Au-delà de cette crise financière, l’émergence de nouveaux producteurs et l’importance croissante du pétrole de schiste américain sont à l’origine d’une remise en cause de cette quasi-hégémonie de l’OPEP.

L’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole, une adaptation cohérente

En 2014, l’arrivée des États-Unis en tant que puissance majeure sur le marché du pétrole, grâce à l’extraction accrue du gaz de schiste, marque une évolution décisive. Cette révolution énergétique permet à Washington de devenir l’un des plus grands producteurs mondiaux de pétrole, modifiant profondément les dynamiques du marché. L’explosion de la production de schiste provoque un excès d’offre et une chute brutale des prix du baril [11].

Pour faire face à cette nouvelle réalité et stabiliser les prix du pétrole, l’OPEP décide de repenser sa politique en adoptant une nouvelle approche stratégique, plus pragmatique. Ainsi, en 2016, l’organisation forme l’alliance OPEP+ avec des producteurs non-membres, dont la Russie, pour coordonner les politiques de production et limiter la surproduction, cette fois-ci dans un cadre étendu.

La formation de l’OPEP+ permet aux pays membres de l’OPEP de maintenir leur influence sur les prix mondiaux tout en adaptant leurs stratégies à un marché énergétique de plus en plus diversifié et compétitif. Alors que l’OPEP est une organisation historiquement dominée par des producteurs du Moyen-Orient, l’OPEP+ apparaît comme une adaptation à un nouveau contexte stratégique. D’un côté, elle apporte une réponse à la montée en puissance de producteurs non traditionnels, et de l’autre, elle s’inscrit dans l’évolution de la concentration des pouvoirs économiques et énergétiques, qui se trouvent aujourd’hui répartis entre plusieurs pôles majeurs.

L’organisation est aujourd’hui composée des douze membres de l’OPEP, et de douze autres pays producteurs : l’Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunéi, le Kazakhstan, la Malaisie, le Mexique, Oman, la Russie, le Soudan et le Soudan du Sud. Le Brésil les a rejoint en tant que membre en janvier 2024.

En définitive, l’OPEP+ joue aujourd’hui davantage un rôle de stabilisateur du marché pétrolier, même si sa capacité à influer sur certaines décisions et à utiliser le pétrole comme levier diplomatique reste non-négligeable. La diversité des membres qui la composent et dont les intérêts sont parfois opposés [12], pousse ses dirigeants à agir de façon plus pragmatique. Ainsi, malgré le soutien affiché des pays arabes aux Palestiniens, aucun embargo à l’encontre de l’Etat israélien [13] n’a été mis en œuvre à la suite de l’offensive sur la bande de Gaza.

L’Organisation risque aussi d’être confrontée à de nouveaux défis, notamment avec la découverte de gisements en Arctique et l’ouverture des nouvelles routes qui joueront un rôle-clé dans l’approvisionnement de cette ressource. Cette découverte et l’importance croissante de ces nouvelles routes liées à la fonte des glaces pourraient placer des pays membres de l’OPEP+, comme la Russie [14], et d’autres producteurs majeurs, comme les Etats-Unis et le Canada, en position de force sur la marché. Cette réalité représente un défi considérable pour l’unité de l’OPEP ainsi que pour son poids politique, l’organisation devra faire preuve d’une très grande capacité d’adaptation, sans quoi elle risque de se voir progressivement marginalisée.

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Pays membres de l’OPEP. Pays membres de l’OPEP+. Principaux exportateurs de pétrole. Principaux importateurs de pétrole. Cliquer ici pour voir la carte au format PDF haute qualité d’impression. Conception AB Pictoris et C. Alberni. Réalisation C. Alberni pour AB Pictoris.Document ajouté le 6 décembre 2024
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Découvrez l’histoire, la structure organisationnelle et le rôle de l’OPEP. Soyez au clair sur l’adaptation de l’alliance OPEP+ face à l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché du pétrole. Carte haute qualité d’impression.


[1] Le Monde. (2023, 9 décembre). À la COP28, le chef de l’OPEP demande aux membres de refuser tout accord ciblant les énergies fossiles. https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/12/09/a-la-cop28-le-chef-de-l-opep-demande-aux-membres-de-refuser-tout-accord-ciblant-les-energies-fossiles_6204825_3244.html

[2] Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole. (2022). OPEC annual statistical bulletin 2022. https://www.opec.org/opec_web/en/publications/4580.htm

[3] Trading Economics. (2024, 30 août). Crude oil production. https://fr.tradingeconomics.com/country-list/crude-oil-production

[4] Le Qatar a quitté l’OPEP en janvier 2019.

[5] Le pays a quitté l’OPEP en décembre 2023.

[6] Une offensive lancée par les armées égyptienne et syrienne lors de la fête juive du Yom Kippour surprend et bouscule les forces israéliennes. L’affrontement se termine le 25 octobre 1973 avec un cessez-le-feu qui sera suivi, en novembre, par un accord de désengagement entre les belligérants. Université de Sherbrooke. (2019). Création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/110

[7] Le Monde diplomatique. (2024.). Guerre des Six-Jours. https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerredessixjours

[8] Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. (2024). Les chocs pétroliers. https://www.economie.gouv.fr/facileco/chocs-petroliers

[9] Le Monde. (2006, 22 avril). Accord-cadre entre l’Arabie Saoudite et la Chine sur la coopération énergétique. https://www.lemonde.fr/economie/article/2006/04/22/accord-cadre-entre-l-arabie-saoudite-et-la-chine-sur-la-cooperation-energetique_764492_3234.html

[10] Le Monde. (2008, 17 décembre). L’OPEP prépare une baisse coup de poing de ses exportations pétrolières. https://www.lemonde.fr/economie/article/2008/12/17/l-opep-prepare-une-baisse-coup-de-poing-de-ses-exportations-petrolieres_1132032_3234.html

[11] Les Échos. (2015, 24 juin). Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole en 2014. https://www.lesechos.fr/2015/06/les-etats-unis-sont-devenus-le-premier-producteur-mondial-de-petrole-en-2014-249501

[12] GEO. (2022, 20 octobre). La guerre en Ukraine chamboule les relations entre la Russie et l’Arabie Saoudite. https://www.geo.fr/geopolitique/guerre-ukraine-chamboule-relations-russie-arabie-saoudite-marche-petrole-opep-prix-production-220562

[13] L’Orient-Le Jour. (2023, 19 octobre). L’OPEP refuse d’imposer un embargo pétrolier réclamé par l’Iran. https://www.lorientlejour.com/article/1353868/lopep-refuse-dimposer-un-embargo-petrolier-reclame-par-liran.html

[14] NDLR : Jean Radvanyi et Marlène Laruelle, « L’Artique russe, un nouveau front stratégique », Les carnets de l’observatoire, éd. L’inventaire, 2024.

L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025

L’industrie de la défense indienne s’apprête à franchir une étape majeure dans sa modernisation navale. Un accord stratégique avec la France devrait être conclu d’ici janvier 2025, renforçant considérablement les capacités maritimes de l’Inde. Cette collaboration franco-indienne s’inscrit dans un contexte géopolitique tendu, marqué par l’expansion maritime chinoise et les activités navales pakistanaises dans la région indo-pacifique.

Linde Conclura Un Accord Avec La France Pour 26 Rafale M Et 3 Sous Marins Scorpene Dici Janvier 2025
L’Inde conclura un accord avec la France pour 26 Rafale-M et 3 sous-marins Scorpène d’ici janvier 2025 – © Armees.com

L’acquisition prévue de 26 avions de chasse Rafale-M constitue un pilier majeur de cet accord. Ces appareils, spécialement conçus pour les opérations maritimes, viendront équiper le fleuron de la marine indienne, le porte-avions INS Vikrant. Le Rafale-M se distingue par sa structure renforcée et son train d’atterrissage adapté aux catapultages et appontages sur porte-avions.

Les caractéristiques techniques du Rafale-M en font un atout précieux pour la marine indienne :

  • Vitesse maximale : supérieure à Mach 1,8
  • Rayon d’action en combat : plus de 1 850 km
  • Armement varié : missiles air-air Meteor, missiles de croisière SCALP-EG, missiles anti-navires Exocet
  • Technologie de pointe : radar RBE2-AA AESA, système de guerre électronique SPECTRA

Cette acquisition s’inscrit dans la continuité de la collaboration franco-indienne en matière d’aviation de combat. En effet, l’Indian Air Force a déjà intégré 36 Rafale entre 2019 et 2022, validant l’efficacité de ces appareils dans diverses missions.

Expansion de la flotte sous-marine

Le volet sous-marin de l’accord prévoit la construction de trois nouveaux sous-marins de classe Scorpène. Ces submersibles, fruit d’une collaboration entre l’Inde et le groupe Naval, viendront compléter la flotte existante de six sous-marins Scorpène, dont le dernier a été livré en 2021.

Les Scorpène, construits localement au chantier naval Mazagon Dock Limited à Mumbai, offrent des capacités avancées :

L’amiral Dinesh K. Tripathi, chef de la marine indienne, a souligné l’importance de ces acquisitions dans un contexte où l’Inde surveille étroitement les mouvements navals en océan Indien. La présence croissante de navires de recherche et de suivi par satellite chinois, ainsi que la collaboration militaire sino-pakistanaise, poussent New Delhi à renforcer sa flotte pour maintenir l’équilibre stratégique dans cette région cruciale.

Transferts technologiques et production locale

Au-delà des acquisitions d’équipements, cet accord franco-indien vise à développer l’industrie de défense locale. Dassault Aviation prévoit d’établir un centre de maintenance, réparation et révision (MRO) en Uttar Pradesh pour soutenir les flottes indiennes de Rafale et de Mirage 2000. De son côté, Naval Group s’est engagé à augmenter la part de composants locaux dans les nouveaux sous-marins Scorpène.

Cette stratégie de transfert technologique et de fabrication locale s’inscrit dans la vision plus large de l’Inde visant à :

  1. Renforcer son autonomie en matière de défense
  2. Stimuler l’innovation technologique nationale
  3. Créer des emplois qualifiés dans le secteur de la défense
  4. Réduire la dépendance aux importations d’armements

En bref, l’acquisition prochaine de Rafale-M et de sous-marins Scorpène supplémentaires témoigne de la volonté de l’Inde de s’affirmer comme une puissance navale majeure dans la région indo-pacifique. Face aux défis sécuritaires croissants, New Delhi mise sur une coopération renforcée avec Paris pour moderniser ses forces armées et consolider sa position stratégique. Cette collaboration franco-indienne promet de redéfinir l’équilibre des forces maritimes dans une région au cœur des enjeux géopolitiques mondiaux.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS

La France pourrait développer son propre char de combat dans le cadre du projet MGCS


En avril, la France et l’Allemagne ont signé un protocole d’accord visant à relancer leur projet commun de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], alors bloqué par des désaccords entre les principaux industriels concernés depuis près de sept ans.

Ainsi, pour garantir un partage équitable des tâches, il a été décidé de réorganiser ce projet selon huit piliers capacitaires distincts et de créer une société de projet réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall. Quant aux choix technologiques à l’origine des querelles entre les industriels, ils devront n’être faits qu’après une évaluation des solutions proposées. Et cela vaut notamment pour le canon du futur char de combat sur lequel reposera le MGCS.

Pour rappel, KNDS France a soumis le système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], capable de tirer des obus de 120 et de 140 mm ainsi que des « munitions intelligentes pour des tirs au-delà de la vue directe » tandis que Rheinmetall défend son canon de 130 mm, lequel doit équiper la tourelle de son char KF-51 « Panther » qui, dévoilé en 2022, est en passe d’être retenu par l’armée italienne.

Seulement, cette « compétition » inquiète les parlementaires français, quel que soit leur bord politique. C’est ainsi le cas du député François Cormier-Bouligeon, qui s’en est ouvert dans son avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion ». Même chose pour les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret. Dans un récent rapport, ils ont avancé que l’ASCALON risquait d’être « écarté de toute perspective de commercialisation afin de préserver le ‘leadership’ de Rheinmetall et KNDS Deutschland « . Cela « interroge sur l’intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS », ont-ils même insisté.

Cela étant, le MGCS ne doit pas être considéré comme étant seulement le successeur des chars Leclerc et Leopard 2 dans la mesure où il s’agit de développer une « famille de systèmes » [chars, drones, robots, etc.] devant reposer sur un « cloud de combat ».

Par ailleurs, ce Système principal de combat terrestre ne devant pas être opérationnel avant 2040 au plus tôt, la question du maintien en service du Leclerc jusqu’à cette échéance se pose. De même que celle d’une éventuelle « solution intermédiaire », censée faire le « pont » entre le Leclerc et le MGCS. Ce qui a été proposé par Nicolas Chamussy, le PDG de KNDS France, en mai 2023.

Lors d’une audition sur l’économie de guerre, à l’Assemblée nationale, le 4 décembre, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, n’a pas coupé à une question sur l’avenir du MGCS.

« Sur le char lourd c’est une préoccupation. D’abord, je l’ai dit et je continue à la dire : on ne fait pas n’importe quoi et on a étudié évidemment le fait de pouvoir prolonger, jusqu’en 2040, le Leclerc. On se donne les moyens de se donner du temps », a répondu M. Chiva.

« Le MGCS n’est pas le successeur du Leclerc et il ne préfigure en rien la nature du char lourd. Le MGCS, c’est des moyens de combat terrestre, avec des ailiers scorpionisés, dronisés, dans un cloud de combat », a-t-il ensuite rappelé.

Ce qui ouvre éventuellement la voie à la coexistence de deux chars différents au sein de ce « système de systèmes ».

« On peut se dire que les Allemands pourraient avoir un char lourd différent du char lourd français au sein du même projet. Ça ne me choquerait pas. Ça serait financé sur fonds propres », a en effet affirmé M. Chiva, laissant ainsi entendre que l’initiative reviendrait à KNDS France, qui fait justement la promotion du Leclerc Evolution, doté du système ASCALON.

« Dans le cadre du projet [MGCS], ce que l’on essaie d’avoir, c’est cette architecture de système qui nous permet[tra] de préparer le système de combat futur », a enchaîné le DGA, qui a ensuite évoqué un « plan B », sans plus de précision.

« On soutient nos champions français, qui innovent sans arrêt. Je pense notamment au canon ASCALON, qui est une innovation majeure. […] On a un nombre de possibilités aujourd’hui qui nous permettent de palier le fait que l’on a arrêté des chaînes de production. […] Ce n’est pas en deux ans qu’on résout tous les problèmes mais la Loi de programmation militaire, dans sa déclinaison du combat blindé, est faite justement pour nous éviter toute rupture capacitaire », a conclu M. Chiva.

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

Les risques d’AUKUS s’accumulent. L’Australie doit se préparer à construire des SSN français à la place

par Peter Briggs – The Strategist – publié le 5 décembre 2024 

L’Australie devrait commencer à planifier l’acquisition d’au moins 12 sous-marins de la conception française Suffren. Le plan actuel d’AUKUS pour huit sous-marins d’attaque à l’arme nucléaire (SSN) a toujours été imparfait, et maintenant ses risques s’accumulent.

Nous devrions aller de l’avant avec les aspects de l’opération navale du plan SSN AUKUS, tels que le soutien aux sous-marins américains et britanniques lorsqu’ils arrivent en Australie. Mais pour l’effort d’acquisition, nous devrions être prêts à abandonner le plan d’achat de huit SSN sous AUKUS – trois aux États-Unis que Washington a de plus en plus de chances de fournir, et cinq qui sont censés être construits selon un design britannique surdimensionné et probablement pas arriver à temps.

Au lieu de cela, nous commencerions un programme de construction franco-australen pour un plus grand nombre de sous-marins de la classe Suffren, un design qui est déjà en service avec la marine française.

Pour garantir que les livraisons puissent commencer dès 2038, le gouvernement australien qui est élu l’année prochaine devrait s’engager à décider en 2026 s’il convient de passer à la conception française.

Même si le plan d’acquisition d’AUKUS réussit, il fournira une capacité discutable. La conception des sous-marins serait un mélange de deux blocs de sous-marins de classe Virginia, à plus de 14 ans de conception, et de SSN-AUKUS encore à concevoir en utilisant le réacteur PWR3 de la Grande-Bretagne. En outre, SSN-AUKUS serait en partie construit par l’entreprise sous-marine britannique sous-marine qui est sous forte pression pour livrer la prochaine classe de sous-marins de missiles balistiques de la Royal Navy.

Déplaçant plus de 10 000 tonnes, les sous-marins SSN-AUKUS seront trop importants pour les besoins de l’Australie. Leur taille augmentera leur détectabilité, leur coût et leurs équipages. (La grande taille semble être entraînée par les dimensions du réacteur.)

La marine royale australienne est déjà incapable d’équiper ses navires et de croître pour répondre aux besoins futurs. Il aura de grandes difficultés à équiper des Virginias, qui ont besoin de 132 personnes chacun, et les bateaux SSN-AUKUS, aussi, si leurs équipages sont égaux à la quelque 100 choses nécessaires pour l’actuelle classe d’Astute britannique.

Nous n’avons pas encore vu de calendrier pour le processus de conception britannique, pas plus qu’une équipe de conception conjointe ne semble avoir été établie. En l’absence de nouvelles que les jalons ont été atteints ou même fixés, il est très probable que le programme SSN-AUKUS, comme le programme Astute, fonctionnera tard et fournira un bateau de première classe avec de nombreux problèmes. Sachant que la Revue stratégique de la défense de la Grande-Bretagne est aux prises avec de graves déficits de financement, il n’est guère insufflé de confiance.

En outre, huit SSN suffiront à maintenir le déploiement d’un ou deux à tout moment, ce qui n’est pas suffisant pour un moyen de dissuasion efficace. La difficulté de formation des équipages et la mise en place de l’expérience acquise dans trois conceptions de sous-marins renforcerait les défis évidents de la chaîne d’approvisionnement pour parvenir à une force opérationnelle.

Il est moins probable que même cette capacité insuffisante soit moins probable. Les rapports du récent US Navy Submarine League Symposium révèlent que les États-Unis n’ont cessé d’augmenter les taux de construction sous-marin. À présent, un sous-marin supplémentaire aurait dû être commandé pour couvrir le transfert d’un bloc IV de Virginie en Australie dans huit ans, mais aucun contrat n’a été passé. Pire encore, la production de Virginie des deux constructeurs sous-marins américains se ralentit en fait en raison des retards dans la chaîne d’approvisionnement. Le programme de construction de la construction la plus prioritaire des États-Unis, pour les sous-marins de type missiles balistiques de classe Columbia, continue de subir des retards. Fin novembre, la Maison Blanche a demandé un financement d’urgence au Congrès pour les programmes de Virginie et de Columbia.

Cette situation signale de plus en plus probable que, malgré tous ses efforts, la marine américaine ne sera pas en mesure d’épargner des Virginias pour la vente à l’Australie. Le président de l’époque ne sera probablement pas en mesure, comme l’exige la législation, de certifier 270 jours avant le transfert, il ne dégradera pas les capacités sous-marines des États-Unis.

Pendant ce temps, l’establishment de soutien sous-marin britannique a des difficultés à amener les SSN à la mer. Un incendie récent affectant la livraison de la classe Astute finale SSN ne peut que s’ajouter à ces malheurs.

La classe SSN française Suffren était la conception de référence pour la classe d’attaque diesel que l’Australie avait l’intention d’acheter avant de passer à des SSN. Il offre la solution à nos problèmes d’AUKUS. Il est en production par Naval Group, avec trois des six sous-marins prévus en cours de commande dans la marine française.

À 5 300 tonnes et avec une endurance de 70 jours, une capacité de 24 torpilles ou missiles, quatre tubes torpilleurs et un équipage de 60, il serait moins cher de construire, de posséder et d’équipage que les bateaux AUKUS. La conception est flexible – optimisée pour la guerre anti-sous-marine, mais avec une bonne capacité de navires anti-surfaces à partir de torpilles à double usage et de missiles de croisière anti-navires. Il peut également transporter des missiles de croisière, des mines et des forces spéciales.

La classe Suffren utilise du combustible d’uranium faiblement enrichi et a besoin de se ravitailler tous les 10 ans, tandis que les modèles américains et britanniques, avec de l’uranium hautement enrichi, sont censés ne jamais être ravitaillés. Mais le réacteur de Suffren est conçu pour simplifier le ravitaillement, qui pourrait être achevé lors d’un réaménagement prévu en Australie. Le carburant usagé peut être retraité, ce qui simplifie le déclassement en fin de vie.

Il est vrai que la conception de Suffren n’a pas la charge d’arme, les tubes de lancement verticaux ou l’endurance de 90 jours de la Virginie et, vraisemblablement, SSN-AUKUS. Cependant, en tant que parent à propulsion nucléaire de la classe Attack, il est beaucoup plus proche de l’exigence initiale australienne de remplacement de la classe Collins que SSN-AUKUS est en train de s’éteindre. La conception offre une capacité adéquate aux besoins de l’Australie dans un ensemble que nous pouvons nous permettre de posséder. Nous pourrions utiliser 12 Suffrens et nous avons encore besoin de moins de membres d’équipage que nous ne le ferions dans le cadre du plan AUKUS.

Si nous nous sommes tournés vers la conception de Suffren, nous devrions néanmoins nous en tenir aux programmes d’entraînement SSN que nous avons mis en place avec l’US Navy et la Royal Navy. Nous devrions également aller de l’avant avec la mise en place d’une installation de réparation intermédiaire qui soutiendrait leurs NDS ainsi que les nôtres et les faire tourner vers l’Australie-Occidentale.

En ce qui concerne le plan d’acquisition d’AUKUS, nous devons commencer dès maintenant les préparatifs pour construire conjointement des Suffrens avec la France. L’Australie ne peut pas attendre que les États-Unis disent enfin que les Virginias ne seront pas disponibles.

Dans la mesure où la conception a besoin d’être modifiée, nous pouvons revenir au travail accompli pour la classe Attack, en particulier l’intégration d’un système de combat américain et des normes australiennes.

Difficile, difficile et politiquement courageux ? Assurément. Mais ce n’est pas presque aussi improbable que les SSN sous AUKUS à l’heure.

Stress post-traumatique : la double peine des soldats de retour du combat

Stress post-traumatique : la double peine des soldats de retour du combat

PALMARÈS DES HÔPITAUX DU POINT. Des militaires victimes de troubles de stress post-traumatiques tentent de se reconstruire dans les maisons Athos, ces structures de réhabilitation sociale dispersées sur tout le territoire.

Par François Malye – Le Point –

https://www.lepoint.fr/sante/stress-post-traumatique-la-double-peine-des-soldats-de-retour-du-combat-05-12-2024-2577177_40.php


 

« Si je n’avais pas poussé la porte de cette maison, j’aurais repeint la salle de bains avec ma cervelle. » William, 34 ans, passionné de littérature, s’est engagé dans l’armée au lendemain de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, où 10 soldats français trouvèrent la mort et 21 autres furent blessés le 18 août 2008. Le plus lourd bilan pour l’armée française depuis l’attentat du Drakkar, à Beyrouth, en 1983, un électrochoc pour la médecine militaire et le point de départ d’une nouvelle prise en charge du trouble de stress post-traumatique (TSPT) au sein de l’institution.

« J’ai failli le faire, je me suis retrouvé dans ma baignoire, désespéré, le fusil de chasse que mon père m’avait offert pour mes 30 ans avec une cartouche engagée. » William est assis au bout de la longue de table de bois installée dans le chai de la maison Athos de Cambes, à une trentaine de kilomètres de Bordeaux (Gironde), solide bâtisse d’une ancienne exploitation viticole, louée par l’Institut de gestion sociale des armées (Igesa) pour y établir cette structure permettant aux militaires victimes de TSPT de se retrouver et de renouer avec la société civile.

William, fils d’un notaire et d’une ingénieure, raconte comment il fut rapidement repéré et orienté vers un régiment d’élite, puis versé dans les forces spéciales. Suivront onze années sur le terrain jusqu’à ce moment où tout s’est effondré. Ici, interdiction de parler du trauma, de ce qui, un jour, l’a fait basculer. On est un blessé, tout simplement, et pas la peine d’y ajouter le terme psychique. Aujourd’hui, après un long parcours de soins, William est responsable de la communication de la maison Athos de Cambes. « Quand je suis arrivé, on m’a simplement dit : “Entre, tu es chez toi, camarade.” Et cela m’a sauvé. »

Ambiance familiale

Ils sont huit réunis en ce jour d’octobre ensoleillé. On les surprend dans la cuisine au café du matin, entourés des cinq animateurs du centre. L’un d’eux, soldat né dans les îles du Pacifique, sort aussitôt, oppressé par l’arrivée d’étrangers. Petit malaise vite dissipé par Magalie, la directrice adjointe. Pas de soignants au sein de cette structure de réhabilitation sociale, où les activités – repas, ateliers… – sont partagées dans une ambiance familiale par des soldats qui réservent leur place à l’avance, pour une semaine ou quelques jours.

Magalie vient du monde du médico-social, comme la plupart des animateurs. Seul le directeur, François Etourmy, 42 ans, est un ex-militaire. Magalie fait visiter le centre, parfaitement équipé, avec sa piscine, ses chambres et studios, sa salle de réunion, aux murs de laquelle sont accrochées les photos de ses 151 membres à vie, tous ceux accueillis depuis son ouverture, en 2021.

Cinq autres maisons Athos existent sur le territoire, gérées par l’Igesa, bras armé du secteur social pour les militaires, et cinq autres, dont deux outre-mer, doivent ouvrir. On y accède au terme du parcours de soins. Il faut être sobre pour intégrer le programme, l’addiction et le suicide étant les deux risques de cette pathologie.

Mal invisible

Les chiffres du programme de médicalisation des systèmes d’information montrent la place prégnante occupée par les hôpitaux d’instruction des armées et leur expertise dans la prise en charge du stress post-traumatique. Sur 34 000 patients adultes hospitalisés dans le secteur public en 2022, 2 276 étaient des militaires.

L’Inserm estime que près d’un quart des soldats qui ont participé à une guerre sont concernés par ces troubles. Donner la mort, la voir faucher ses camarades, en y ajoutant la vision des atrocités subies par les populations civiles, tout est réuni pour déclencher chez certains cette réaction qui se traduit par des cauchemars récurrents, la vision répétitive des scènes, « quasi cinématographiques », selon un expert, l’impossibilité de sortir de chez soi, d’affronter la foule, jusque, parfois, au geste fatal.

Après Uzbin, la prise en charge de ce mal invisible relève du défi pour l’institution car, au même moment, le service de santé des armées est soumis à une purge budgétaire qui aboutira, entre autres, à la fermeture de l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris, son fleuron. Un temps tentés de collaborer avec les établissements civils, les militaires vont vite s’apercevoir que, en raison de possibles fuites de données sensibles, il vaut mieux qu’ils se replient sur leurs bases, les huit hôpitaux d’instruction des armées. Avec succès : sept d’entre eux sont présents dans ce classement.

« Envisager un projet de vie une fois la réforme venue »

« 85 % des soldats victimes de stress post-traumatique s’en sortiront par eux-mêmes, vivront avec. Mais restent les autres », résume un psychiatre militaire, jeune retraité, qui a accepté de parler sous anonymat car, pour cette enquête, le haut commandement a décidé de refuser tout entretien, hormis ce reportage. Et aucun établissement n’a répondu à notre questionnaire.

Cette position traduit bien l’ambiguïté de l’institution à l’égard de cette pathologie. À la base, les combattants subissent en fait une double peine : une fois atteint de ce syndrome, il est difficile pour un soldat de s’en ouvrir à ses camarades, qui jugeront que sa fiabilité au combat s’en trouvera altérée. Au sein du commandement des unités, règne aussi la peur de ne plus disposer de ces professionnels et de ne plus être opérationnel, hantise absolue de tout chef de corps.

 

<figcaption>La plongée est une des activités de cette structure de réhabilitation sociale.</figcaption> ©  Jérémy Lempin pour « Le Point »
La plongée est une des activités de cette structure de réhabilitation sociale.
©  Jérémy Lempin pour « Le Point »

« Mais tous sont très sensibilisés à ce problème, poursuit ce haut gradé. Comment faire autrement ? Depuis l’Afghanistan, tous les régiments partent en opération. » « Le vent du boulet » était le terme employé au XIXe siècle pour qualifier cet étrange mal qui frappait certains soldats après la bataille.

« On pensait que les neurones avaient été sectionnés », poursuit notre psychiatre militaire. Mais ce sont les premiers accidents de train de la révolution industrielle, terriblement meurtriers, qui sont à l’origine de la notion de traumatisme en psychiatrie, comme l’écrit dans une passionnante étude historique Pascal Pignol, psychologue, fondateur de la cellule de victimologie au centre hospitalier Guillaume-Régnier, à Rennes* (Ille-et-Vilaine). Puis, la Première Guerre mondiale emporta tout avec ses cohortes de soldats traumatisés et la prise en main de cette pathologie par les psychiatres.

Un siècle plus tard, au bout de la chaîne de soins, il y a ce dispositif Athos, du nom du plus vieux des mousquetaires, tourmenté par ses traumatismes de jeunesse. « L’objectif est de les remobiliser, de leur faire regagner confiance en eux. Isolés, ils sont privés de la camaraderie, Athos recrée ce lien essentiel, explique François Etourmy, barbe noire, grand sourire, carrure de sportif de haut niveau. Ils doivent reprendre des habitudes, faire leurs courses, emprunter les transports, et puis envisager un projet de vie une fois la réforme venue. Nous avons des partenariats avec des entreprises, des associations. Nous sommes une sorte d’incubateur. »

Avec des réussites parfois étonnantes. Comme Guillaume, gueule de star, mais ancien commando parachutiste devenu ouvrier chez Hermès, où il fabrique des sacs griffés, et qui raconte en plaisantant les dessous du métier. « L’armée ne veut pas qu’on les retrouve dans la rue, glisse une animatrice. Et puis il y a un risque de décompensation très élevé. On est d’abord là pour éviter que les choses tournent mal. »

*« Préhistoire de la psychotraumatologie, Les premiers modèles du traumatisme (1862-1884) », in L’Information psychiatrique, vol. 90, n° 6, juin-juillet 2014.

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Corée du Sud: l’institution militaire plongée dans les convulsions politiques post-loi martiale

Des soldats devant les bâtiments de l’Assemblée mardi soir. Photo by Jung Yeon-je / AFP

Le président sud-coréen Yoon Suk Yeol a créé la surprise en proclamant mardi la loi martiale, avant de la retirer quelques heures plus tard sous la pression des parlementaires et d’une foule de manifestants. Yoon a dit avoir proclamé la loi martiale « pour protéger la Corée du Sud libérale des menaces posées par les forces communistes nord-coréennes et éliminer les éléments hostiles à l’État ».

En ce qui concerne l’armée sud-coréenne, principale partie prenante de la loi martiale d’urgence, que retenir des événements de mardi soir?

D’abord, l’alignement des chefs militaires sur la décision présidentielle. Cet alignement a débouché sur la proclamation d’un décret en six points du nouveau commandant de la loi martiale, le chef des armées, général Park An-su. Ce décret interdisait les activités et les partis politiques, la « fausse propagande », les grèves et les « rassemblements qui incitent à l’agitation sociale ». Yoon s’est entouré d’hommes à sa botte et à nommé des proches dans toute l’infrastructure sécuritaires (armées et renseignement). Mais, comme l’écrivait en septembre l’ancien patron des forces spéciales sud-coréennes, le général Chun in-bum, « pour qu’un coup d’état ou une loi martial réussisse, il faudra plus que des nominations de hauts gradés; ça exigera la complicité de l’institution militaire dans son ensemble et une opinion publique passive ». Et c’est bien ce qui a manqué mardi soir.

Ensuite, l’entrée (plutôt compliquée) des commandos sud-coréen dans un des bâtiments du Parlement, comme le montre cette vidéo où l’on voit le personnel et vraisemblablement des élus s’opposer à la progression des soldats:

Des hélicoptères ont déposé des troupes dans l’enceinte du Parlement, selon des images de vidéosurveillance diffusées mercredi. D’autres soldats, obéissant aux ordres du chef d’état-major conjoint (Joint Chiefs of Staff JCS), l’amiral Kim Myung-soo, ont escaladé les clôtures de l’enceinte gouvernementale après minuit. Quelque 300 militaires ont pris part à cette action au Parlement dont 230 ont été héliportés en 24 rotations. Mais numériquement, ils ont été vite débordés par la foule des opposants.

Enfin, un constat encourageant: les militaires ont fait preuve de retenue et il ne semble, en ce mercredi matin, qu’aucun débordement/dérapages par les forces de l’ordre n’ait été recensé. On a connu (malheureusement) des militaires sud-coréens ayant la main beaucoup plus lourde, comme en 1980 lors de la précédente et dernière en date proclamation de la loi martiale (officiellement 230 morts). D’ailleurs, des photos des soldats à l’Assemblée montrent qu’ils étaient équipés de munitions d’entrainement (voir le chargeur bleu du militaire à droite de la photo):

Photo by YONHAP / AFP

Et maintenant?

Le Joint Chiefs of Staff JCS a, peu après l’annonce de l’imposition de la loi martiale, rassuré les Américains, précisant que les troupes engagées ne venaient pas de la zone frontalière avec la Corée du Nord et que la sécurité du territoire était bien assurée.

A moyen terme, les forces armées sud-coréennes risquent de se retrouver plongées dans les convulsions politiques post-loi martiale, convulsions exacerbées par la « complicité » du ministre de la Défense de Yoon, Kim Yong Hyun, la complaisance de certains chefs militaires et l’assaut très médiatisé mené par des unités contre l’Assemblée nationale.

« Cette situation laissera des séquelles durables dans les relations civiles et militaires délicates de la Corée du Sud. Mais le risque sécuritaire immédiat concerne la défense extérieure, en particulier compte tenu des incertitudes probables autour du commandement et du contrôle militaires au lendemain de la loi martiale. Cela va évidemment inquiéter les États-Unis, allié de la Corée du Sud par traité, et les forces américaines en Corée », estime Euan Graham, un analyste de l’ASPI (Australian Strategic Policy Institute).

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

Syrie : l’ouverture d’un nouveau front par Washington/Ankara/Tel Aviv/Kiev contre l’axe Russie/Syrie/Iran au détriment de la sécurité européenne

par Pierre-Emmanuel THomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°664 / décembre 2024

*Docteur en géopolitique

Une alliance de terroristes islamistes dont le noyau est le groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS) en provenance d’Idlib, refuge pour les anciens djihadistes de Daesh[1], ont lancé une offensive en Syrie et conquis la ville d’Alep. Derrière ces djihadistes, il y a les intérêts géopolitiques des puissances : avant tout Ankara (soutien à HTS), mais aussi Tel-Aviv[2] et Washington[3] qui utilisent des proxys islamistes depuis 2011 pour provoquer un changement de régime en Syrie.

Derrière cette nouvelle offensive djihadiste, les rivalités géopolitiques entre puissances aboutissent à des objectifs variés. Pour Washington, le bénéfice de cette opération vise avant tout à ouvrir un nouveau front contre la Russie, pour tenter de ralentir la défaite inéluctable en Ukraine, mais aussi au Proche-Orient contre l’Iran. L’objectif est également d’accroître la conflictualité avec la Russie et ses alliés, pour torpiller l’objectif annoncé par Donald Trump de résoudre les conflits en cours.

Washington est responsable de l’affaiblissement de la Syrie par sa politique de sanctions, avec son occupation – avec les Kurdes – d’une partie du territoire au nord-est du pays et sa base militaire d’Al Tanf, au sud. Les États-Unis ont aussi pour objectif d’orienter l’expansionnisme turc vers les zones d’intérêt de la Russie en Syrie, au Caucase et en Asie centrale. La Turquie occupe une large bande de territoire syrien le long de sa frontière avec Damas, et cherche à élargir sa zone de contrôle contre les Kurdes. Tel-Aviv, soutenu par Washington, bombarde la Syrie depuis des années pour affaiblir la partie du pays loyale à Bachar el Assad, mais aussi le Hezbollah, d’où ses bombardements récents au Liban. L’objectif de Tel Aviv est d’affaiblir l’axe chiite Iran/Syrie/Liban. 

En toile de fond des crises multiples en Ukraine, en Géorgie (tentative de coup d’État en cours), à Gaza (épuration ethnique par Israël), au Liban (offensive de Tsahal), et maintenant en Syrie, c’est la lutte pour nouvel ordre géopolitique mondial qui s’exprime, tournant la page de l’ancien ordre spatial unipolaire américain.

La multiplication des conflits au Proche-Orient, dans le Caucase, en Ukraine et dans les Balkans, malgré leurs spécificités régionales, font partie d’un même théâtre mondial et sont situés dans les zones de confrontation géopolitique entre grandes puissances. Les États-Unis, dans le cadre de leur stratégie d’encerclement de la Russie, cherchent à provoquer la surextension de Moscou, doctrine explicitement préconisée par la Rand Corporation[4] afin que la Russie soit obligée de faire face à différentes menaces sur différents théâtres.

Tout conflit, ancien ou récent, est désormais aspiré dans cette lutte pour le contrôle des espaces géopolitiques entre les États-Unis, la Russie, la Chine et les puissances secondaires.  Au-delà des conflits autour des territoires et des populations, l’enjeu est la nouvelle architecture du système international : la Russie, l’Iran et la Chine, les autres États membres des BRICS et de l’Organisation de Shangaï (OCS) font la promotion d’un monde multipolaire qui s’oppose à celui que défendent les États-Unis, Israël et leurs alliés (OTAN-UE) qui cherchent à en torpiller l’émergence et, a minima, ralentir la mutation vers un nouvel ordre mondial plus équilibré. La Turquie, membre de l’OTAN, mais refusant les sanctions contre la Russie, joue sa propre carte entre les regroupements antagonistes.

L’obstacle principal a une résolution des crises multiples est donc de nature systémique, et tant qu’un nouvel ordre géopolitique plus multipolaire ne sera pas accepté par les États-Unis et leurs supplétifs de l’OTAN/UE, le conflit mondial s’élargira à de nouveaux théâtres et s’envenimera jusqu’au seuil d’une troisième guerre mondiale. 

Cette nouvelle offensive djihadiste en Syrie a été facilitée par les attaques de l’armée israélienne au Liban et en Syrie, pour affaiblir le Hezbollah depuis plusieurs semaines. Le groupe djihadiste HTS est l’héritier de Jabhat al-Nusra, sous-groupe d’Al-Qaïda qui avait fusionné avec l’État islamique mais s’en est détaché en 2014.

Il ne faut pas oublier que la Syrie, la Russie, le Hezbollah, et l’Iran avaient réussi à empêcher les djihadistes sunnites d’Al-Qaïda – soutenus par Washington, Londres, Paris, Tel Aviv, Ankara, Ryad, Doha et Amman – de prendre Damas et avaient aussi combattu l’État islamique. Aujourd’hui, nous assistons à une réactivation des terroristes pour relancer l’objectif de changement de régime. Toutefois, dans le monde arabe, l’Égypte[5] et l’Irak vont cette fois-ci soutenir la Syrie de Bachar el Assad.

Rappelons-nous le soutien de la CIA, non seulement aux djihadistes afghans[6], mais aussi aux bandéristes néonazis contre l’URSS pendant la Guerre froide[7]. Souvenons-nous de la stratégie de tension de la CIA, soupçonnée d’avoir organisé des attentats ayant tué des civils en Europe, afin d’entretenir les populations dans la peur du communisme, toujours dans le contexte de la Guerre froide[8]. Plus récemment, rappelons les changements de régimes organisés en ex-Yougoslavie, en Irak, en Libye et en Syrie[9], à l’occasion desquels Washington, Londres et leurs alliés, ont soutenu des mouvements islamistes. Enfin, souvenons-nous que depuis 2014, les extrémistes ukrainiens se considérant comme les héritiers de Stepan Bandera, mais aussi des mercenaires étrangers néonazis, ont servi de supplétifs pour atteindre les objectifs géopolitiques de Washington et Londres.

Au final, Washington (Grand Occident), Tel Aviv (Grand Israël), Ankara (panturquisme) et Kiev (nation antirusse) continuent de soutenir les terroristes sunnites pour atteindre leurs objectifs géopolitiques respectifs.

Washington en soutenant militairement les deux pivots, Israël (contre l’Iran) et l’Ukraine (contre la Russie), a pour objectif géopolitique de torpiller l’émergence du monde multipolaire et déstabilise l’Europe et le Proche Orient. La politique de terreur exercée par Washington (sabotage de Nord Stream) et son soutien aux djihadistes au Proche-Orient et aux extrémistes bandéristes et néonazis en Ukraine, est destinée à menacer et contraindre tout État qui serait tenté de s’émanciper de la tutelle américaine et de rejoindre le projet géopolitique multipolaire. 

Washington, Tel Aviv et Ankara sont donc des régimes qui pratiquent le terrorisme d’État et menacent à nouveau la sécurité européenne. Ce n’est pas nouveau, la guerre en Irak en 2003 promue par les néoconservateurs adeptes du suprémacisme américano-israélien, a abouti à la montée en puissance de l’État islamique. Ces États sont co-responsables des crises migratoires de ces dernières années et des attentats islamistes en France. Leurs tentatives de changement de régime en Syrie, depuis 2011, avec leurs proxys islamistes (soutenus par Londres et aussi malheureusement aussi par Paris) demeurent jusqu’à aujourd’hui infructueuses.

On l’a dit, les Etats-Unis et la Turquie occupent le territoire syrien depuis des années, ce qui leur permet d’entretenir des djihadistes pour leurs objectifs de déstabilisation, et aujourd’hui ouvrir un nouveau front.

Pour éviter que la Syrie ne tombe aux mains des djihadistes, et préserver la sécurité de l’Europe mais aussi de toute l’Eurasie, il est dans l’intérêt de la France que Bachar el Assad, la Russie et l’Iran réussissent à éliminer ces djihadistes. Si un régime islamiste parvenait à se hisser au pouvoir à Damas, une nouvelle crise migratoire surgirait et les attentats islamistes sur le sol européen seraient facilités.

 

 


[1] https://www.fabricebalanche.com/syrie/lemirat-islamique-didleb/

[2] https://mayenneaujourdhui.com/2024/11/30/le-role-disrael-dans-le-retour-du-terrorisme-en-syrie/

[3] Ömer Özkizilcik, Uniting the Syrian Opposition the Components of the National Army and the Implications of the Unification. Ce rapport de 2019 souligne le soutien militaire de Washington à l’opposition à la Syrie de Bachar el Assad, et notamment sa composante turque, sous le prétexte de combattre Daesh (https://www.setav.org/en/assets/uploads/2019/10/A54En.pdf).

[4] https://www.rand.org/pubs/research_briefs/RB10014.html

[5] https://french.ahram.org.eg/NewsContent/1/130/57427/Egypte/Politique/L%E2%80%99Egypte-souligne-son-soutien-;-l%E2%80%99Etat-syrien-et-;.aspx

[6] https://www.monde-diplomatique.fr/2016/02/SOUCHON/54701

[7] ttps://mronline.org/2022/09/14/ukraine/

[8] https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-nos-vies-connectees/20110501.RUE2092/quand-l-otan-tuait-des-civils-en-europe-pour-lutter-contre-l-urss.html

[9] https://cf2r.org/actualite/revelation-des-plans-secrets-de-la-cia-pour-la-destabilisation-de-la-syrie/

Le maillage territorial : colonne vertébrale de la BITD française

04/12/2024

https://aassdn.org/amicale/le-maillage-territorial_colonne-vertebrale-de-la-bitd-francaise/


Pour s’adapter aux bouleversements géopolitiques, la France a dévoilé une nouvelle feuille de route pour son industrie de défense. L’augmentation de la production, la refonte des normes et le développement de pôles d’excellence régionaux sont au cœur de cette stratégie. 

Commentaire AASSDN : L’industrie de Défense française s’articule autour de 9 grands groupes (Thalès, Dassault, Safran, Naval Group, Airbus, KNDS1, MBDA, TechnicAtome, Arquus), reliés à environ 4 000 sous-traitants (ETI,  PME, TPE, laboratoires et centres de recherche). Ce réseau d’entreprises est un atout majeur pour assurer à la France sa souveraineté dans le domaine de la Défense . En outre, ce réseau lui fournit  des outils lui permettant de nouer des partenariats stratégiques avec des pays qui souhaitent ne pas être totalement dépendants de tel ou telle grande puissance (Etats-Unis ou Chine notamment ) tout en disposant de matériels de la meilleure qualité.

Par ailleurs, c’est un atout pour notre économie tant par les exportations qu’elle réalise (la France est 2e ou 3e exportateur mondial selon les années) que par le fait que l’essentiel des armements est produit en France.
Notons que les centres de recherche et les processus de fabrication de certains équipements de haute technologie, sont particulièrement visés par les Services de nos compétiteurs. C’est pourquoi la France se doit de maintenir, voire renforcer son excellence scientifique et d’assurer la meilleure protection contre les ingérences étrangères.

1 En 2015, les sociétés Nexter et Krauss Maffei Wegmann (KMW), respectivement systémier intégrateur du Leclerc et du Leopard, se sont regroupées au sein de KNDS afin de devenir le leader européen de la défense terrestre.

Le 24 octobre 2024, sur le site Maîtrise NRBC de la Direction générale de l’Armement à Vert-le-Petit, le Ministre des Armées Sébastien Lecornu a dressé la feuille de route que tâchera de suivre l’industrie de défense nationale pour les années à suivre. Un mot d’ordre : relancer « l’esprit pionnier ». Une question se pose alors : quelles sont les forces qui motivent la transformation de la base industrielle et technologique de défense (BITD), et comment y parvenir ?

Sommaire [masquer]

  • Impulsions et transformations
  • L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique
  • L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique
  • La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale
  • La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 
  • Des industriels étatiques en recherche d’efficacité
  • L’humain et la formation : moteurs de développement

Impulsions et transformations

D’abord, la priorité est d’augmenter les cadences de production. Depuis février 2022, l’industrie de défense française se prépare à l’éventualité de passer en économie de guerre, avec des mesures concrètes prises par certains des principaux groupes français. Dans cette optique, MBDA a annoncé son intention de produire 40 missiles Mistral-3 par mois à l’horizon 2025, ce qui revient à doubler sa production mensuelle actuelle. De son côté, la DGA apporte une nouvelle forme de support aux entreprises du secteur, avec la création de la Direction de l’industrie de Défense.

L’Île-de-France : l’excellence terrestre, spatiale et électronique

La région parisienne est spécialisée dans les questions spatiales, électroniques et terrestres.  Le plateau de Versailles-Satory est le lieu d’implantation de plusieurs grandes entreprises à la réputation mondiale comme KNDS France (ex-Nexter), Arquus mais aussi des institutions étatiques comme la Section Technique de l’Armée de Terre. Utilisé dès l’entre-deux-guerres comme terrain d’entraînement militaire, le plateau de Satory sera de plus en plus utilisé à partir des années 1960-1970. Le plateau se transforme en 2020 avec la création de nouvelles pistes d’essais destinées aux besoins de R&D de l’Armée de terre et plus généralement de l’industrie de défense française. La région francilienne n’est pas en reste dans le domaine de l’électronique, notamment par le nombre important de clusters et des laboratoires innovants, à l’image de Paris Saclay et de l’École Polytechnique. Le secteur spatial est quant à lui représenté par Ariane Groupe, Thalès, Airbus Defence and Space et Aresia.

L’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine : le cœur de l’aéronautique

L’aéronautique est particulièrement bien développée en Occitanie et en Nouvelle-Aquitaine, régions qui abritent de nombreux sites et entreprises majeurs, comme Dassault Aviation à Mérignac et Biarritz, ou encore Safran et Airbus Defence & Space à Toulouse. Cette concentration géographique est également le fruit d’une histoire riche. En effet, la création en 1915 du Centre d’Instruction des Spécialistes de l’Aviation à Bordeaux, ainsi que l’établissement de nombreuses bases aériennes dans la région, ont contribué à l’ancrage historique des industriels de l’aéronautique dans cette partie de la France.

La région Provence-Alpes-Côte d’Azur : territoire de l’Aéronavale

L’industrie aéronavale est très présente en PACA, avec des entreprises comme Dassault Aviation à Istres, Airbus Helicopters à Marignane et Naval Group à Ollioules. Cette présence s’explique par le fait que le premier hydroaéroplane a été conçu localement, créant un environnement propice au développement de ce secteur. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, une partie des avions de chasse et des hydravions y a été produite. Post-1945, plusieurs entreprises se sont installées dans la région, notamment la Société Nationale de Constructions Aéronautiques du Sud-Est. Aujourd’hui, la région demeure un endroit clé dans la production et la construction d’armement et d’équipements aéronavals, tout en développant régulièrement la recherche et l’innovation.

La Bretagne et la Normandie pour la puissance navale 

Autre pôle d’excellence, les régions bretonne et normande se sont spécialisées dans l’industrie navale, avec des implantations du géant Naval Group à Brest, Lorient, Nantes-Indrets et Cherbourg. L’entreprise emploie plus de 3 000 salariés en région normande, notamment sur le site de Cherbourg.

Cependant, cette territorialité se manifeste également en dehors des principaux pôles. Par exemple, on peut citer Eurenco, spécialiste des poudres et des explosifs, à Bergerac, ainsi que les différents sites de MBDA à Selles-Saint-Denis et à Bourges, sans oublier le site historique de production de KDNS France à Roanne. En plus de dynamiser économiquement des régions parfois en marge, cette territorialité pourrait être renforcée pour constituer une véritable force de production, notamment grâce à l’implantation d’un réseau de réservistes de la DGA.

Des industriels étatiques en recherche d’efficacité

Si les grands maîtres d’œuvre industriels privés sont répartis sur tout le territoire français, c’est également le cas des institutions de l’État chargées des questions d’armement et de sa maintenance. Dispersées dans toutes les régions de France, les industriels d’État sont des exemples du maillage territorial des services publics de l’armement : la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres, le Service de la maintenance industrielle terrestre à Versailles ainsi que les 12ème, 13ème et 14ème base de soutien du matériel, le Service de Soutien de la Flotte à Paris, Brest et Toulon, mais aussi la Direction de la Maintenance aéronautique, qui est implantée sur 17 sites différents à travers la France. La DGA est elle aussi répartie sur des centres d’expertises et d’essais dans diverses régions.

Le 2 octobre 2024 paraît le rapport d’information n°4, par la Commission des finances, à propos du maintien en condition opérationnelle des équipements militaires. Cette étude a révélé que, malgré des efforts conséquents, le maintien en condition opérationnelle ne répond pas aux besoins actuels. Les problèmes concernant la disponibilité des matériels et le coût élevé des contrats de maintenance sont trop importants. En outre, il est question de repenser la stratégie de maintenance de l’armement français, en impliquant de façon plus directe les TPE-PME françaises. Il est par ailleurs fait mention de la possibilité de ré-internaliser une partie de la maintenance militaire, ce qui sous-entend de renforcer le maillage territorial de la maintenance. La question de l’état des recrutements a également été mentionnée, notamment la fidélisation et la formation des personnels de la maintenance militaire et du secteur de l’armement en général.

L’humain et la formation : moteurs de développement

Si la voie royale pour devenir ingénieur de l’armement reste Polytechnique et l’École nationale supérieure de techniques avancées, les concours restent ouverts à tous les diplômés d’écoles d’ingénieurs. En dehors des grands corps d’ingénieurs, les universités proposant des maîtrises « Défense et Sécurité » ou des cursus d’intelligence économique intéressent de plus en plus à la fois les entreprises, mais aussi les services de la DGA.

Du point de vue opérationnel, il est tout à fait possible de développer et de renforcer l’intérêt du monde ouvrier et technique pour l’industrie de défense. MBDA et Naval Group l’ont fait, avec respectivement 2 600 et 4 500 recrutements au cours des dernières années. Pour accélérer cette capacité à recruter, il faut également offrir plus de visibilité aux entreprises et aux institutions. Uniquement au travers de la filière de la maintenance en condition opérationnelle, 25 formations certifiantes sont ainsi proposées par le ministère des Armées et des Anciens combattants, dont plusieurs bacs professionnels et un certain nombre de BTS. En renforçant le lien Armée-Nation, voir même BITD-Nation, ainsi que la formation à tous les échelons de la BITD, la France participe à donc sa souveraineté. Ainsi, le secteur de l’armement doit se réformer, recruter et impulser si il veut retrouver son esprit « pionnier ».

Interrogation sur les VBMR face aux cyberattaques

Interrogation sur les VBMR face aux cyberattaques

Question de : Mme Gisèle Lelouis
Bouches-du-Rhône (3e circonscription) – Rassemblement National

Mme Gisèle Lelouis attire l’attention de M. le ministre des armées et des anciens combattants sur les failles concernant les véhicules blindés multi-rôles (VBMR).

Depuis la parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale en 2013 et dans le cadre du programme Scorpion visant à moderniser l’armement terrestre, la France remplace ses nombreux véhicules de l’avant blindés (VAB) au profit du VBMR. Ce remplacement, sans réelle augmentation des effectifs blindés, posait déjà la question d’une dispersion des modèles pour l’industrie quand la France n’en avait autrefois qu’un, évitant un « cauchemar logistique », alors qu’il est connu que la haute intensité se joue aussi sur la masse (car il faut du nombre pour contrôler une zone, ce qu’une armée d’échantillons, même la plus sophistiquée, ne peut faire) avec des modèles « bon marché » rapides à produire, d’excellentes capacités tout-terrains etc., même si l’indispensable capacité de projection « des gabarits SNCF » est assurée.

Ces derniers véhicules blindés multi-rôles, incarnés par les Griffon et les Serval, sont de véritables laboratoires technologiques, avec de grandes capacités, démontrant le savoir-faire de l’industrie française. Coûtant donc le double d’un VAB, ils sont en train de devenir la colonne vertébrale de l’armée de terre française, malgré certains retards de livraison. Sur les 1 872 VBMR Griffon prévus en 2019 pour l’horizon 2030, 575 ont bien été livrés en 2024 et 208 VBMR-L Serval sur 978. Ces blindés assurent ainsi les fonctions de protections balistiques, le transport, la communication et l’observation sur le terrain.

Cependant, au cours de l’entraînement interarmées de cyberdéfense (DEFNET) organisé du 18 au 29 mars 2024, un militaire est parvenu à mettre en panne un véhicule blindé multi-rôle Griffon. En effet, à l’aide d’un télémètre développé par l’armée, le militaire est parvenu à perturber le système informatique du véhicule, le forçant à freiner et le mettant momentanément hors de combat. Plus encore, les dégâts causés au véhicule par l’appareil peuvent compromettre le réseau de communication. L’impact de cet incident ne doit pas être négligé. En effet, le véhicule blindé multi-rôle Griffon se décline en plusieurs modèles. Il joue donc des rôles clefs dans de nombreux secteurs tels que le transport de troupes (Griffon VTT), l’observation de l’artillerie (Griffon VOA), le commandement (Griffon VPC) et les opérations médicales (Griffon SAN), etc.

La mise hors combat de ces véhicules à la suite d’une cyberattaque en fait une cible facile pour l’adversaire et la compromission du réseau de communication qui en découle fragilise grandement l’intégrité de tout le réseau de communication de l’armée française. Cet évènement met également en lumière la portée informationnelle de telles attaques.

En effet, la diffusion d’image des véhicules immobilisés à la suite de cyberattaque au sein de l’espace médiatique peut saper la confiance que portent les Français, y compris militaires, dans l’efficacité de l’armée. Ainsi, l’armée française doit être en mesure de répondre à ces éventuelles diffusions et pallier sa vulnérabilité actuelle aux cyberattaques tactiques. On peut également questionner la portée globale de cette vulnérabilité aux cyberattaques. Celle-ci concerne-t-elle tous les types de véhicules blindés multi-rôles ? L’EBRC Jaguar, dont 60 exemplaires ont été réceptionnés sur les 300 prévus pour 2030, présente-t-il la même vulnérabilité au cyber ? Ce dernier présentait déjà un défaut avec sa tourelle T40, qui héberge deux missiles MMP sous blindage, dans un lanceur rétractable, avec deux autres munitions disponibles en soute, obligeant l’un des trois membres d’équipage ayant perdu à la courte paille, de s’exposer pour recharger, la menace cyber lui ajoutant un possible nouveau défaut.

La stratégie politico-industrielle du tout technologique nécessite une adaptabilité et des ajustements nécessaires, malheureusement coûteux pour maintenir une opérabilité efficace des armées. Ainsi, dans la mesure où cette vulnérabilité s’étendrait à l’ensemble des modèles VBMR ou véhicules blindés reliés au réseau, cet évènement pose la question de la vulnérabilité et de la place des systèmes informatiques au sein des forces armées. La protection et l’intégrité de ces systèmes sont une nécessité absolue pour assurer le bon fonctionnement de l’armée de terre. Alors, doit-on revoir la place et l’importance des systèmes informatiques au sein des véhicules blindés, ou renforcer la sécurisation des systèmes informatiques de ceux-ci ?

Si c’est le cas, Mme la députée demande à M. le ministre ce qu’il compte faire pour pallier la vulnérabilité des systèmes informatiques des VBMR face aux éventuelles cyberattaques, afin d’assurer l’efficacité de l’armée française. Par ailleurs, certaines questions se posent sur les blindés « remplacés » par les VBMR, à savoir les VAB. M. le ministre a annoncé l’envoi à l’étranger de « centaines de blindés » français d’occasion. Elle lui demande s’il ne serait pas aussi judicieux d’en garder en stock pour « faire masse », pallier d’éventuelles défaillances des VBMR, voire d’en équiper les unités élémentaires de réserve de l’armée de terre au vu des projets de croissance.

Réactivation de la brigade du génie

Réactivation de la brigade du génie

par Paulin de Rosny – Revue Conflits – publié le 4 décembre 2024

https://www.revueconflits.com/reactivation-de-la-brigade-du-genie/


En septembre 2024, l’Armée de Terre française a réactivé la brigade du génie (BGEN) lors d’une cérémonie aux Invalides, en présence de hautes autorités civiles et militaires. Son commandement a été confié au général Christophe Bizien. Loin d’être une simple restauration, elle est une étape clé de la restructuration profonde des forces terrestres.

Cette réactivation marque le retour d’une unité clé dissoute en 2010 dans un contexte de rationalisation budgétaire. La renaissance de la BGEN est un signal fort : une armée qui investit dans son génie se prépare à une guerre de terrain, où la maîtrise du milieu d’engagement et la neutralisation des menaces sont déterminantes.

Combler un vide stratégique

Créée en 1993, la brigade du génie avait pour vocation de centraliser des capacités rares et stratégiques : franchissement d’obstacles, neutralisation des menaces NRBC (nucléaire, radiologique, biologique, chimique), déminage et cartographie avancée. Ces missions, essentielles à la mobilité et à la sécurité des forces armées, répondaient aux besoins des brigades interarmes dans des environnements complexes. Inspirée des modèles britannique et allemand, la BGEN combinait des expertises techniques variées, allant des unités cynotechniques à la cartographie, tout en offrant une structure de coordination réactive.

Exercices sur la Maine

Cependant, la dissolution de cette brigade en 2010, dans le cadre de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP), a fragmenté ces capacités. L’absence d’une structure centralisée a réduit l’efficacité des forces terrestres, notamment dans des domaines critiques comme le franchissement. L’éclatement des unités a également affecté la rapidité d’intervention dans des contextes tactiques où chaque minute compte, comme en Afghanistan ou au Sahel. La vulnérabilité des zones arrière, souvent négligées, s’est également accrue, exposant des faiblesses stratégiques que la BGEN aurait pu combler. C’est sur ces retours d’expérience et sur l’étude prospective des conflits de demain que se fonde la réactivation de la BGEN.

Centraliser pour mieux servir

Le 11 septembre 2024, la réactivation officielle de la BGEN a marqué un tournant stratégique pour l’armée de Terre. Cette brigade, désormais basée à Angers dans le quartier Berthezène, regroupe des régiments spécialisés dans des missions complémentaires. Cette nouvelle organisation reflète une volonté de centralisation des capacités rares pour répondre aux menaces modernes.

La BGEN inclut des unités emblématiques : le 2e régiment de dragons, expert en défense NRBC, capable de neutraliser les menaces chimiques, biologiques et radiologiques ; le 19e régiment du génie, pilier des capacités de franchissement et des infrastructures lourdes ; le 28e groupe géographique, garant du renseignement topographique et de la cartographie avancée ; le 31e régiment du génie, spécialisé dans l’appui direct et la mobilité des forces ; et le 132e régiment d’infanterie cynotechnique.

Équipes cynophiles

Ces régiments permettent à la BGEN de couvrir tout le spectre des opérations militaires, qu’il s’agisse de la sécurisation des zones arrière, de l’appui direct au combat ou de la préparation des terrains pour des manœuvres stratégiques. Intégrée au Commandement de l’Appui et de la Logistique de Théâtre (CALT), la BGEN collabore étroitement avec la brigade de maintenance et la brigade logistique pour garantir une continuité opérationnelle optimale.

Maîtriser le milieu d’engagement

La réactivation de la BGEN repose sur une ambition centrale : garantir la maîtrise du terrain dans toutes les phases des opérations. Dans les conflits modernes, la mobilité des forces, la sécurisation des infrastructures et la neutralisation des menaces adverses sont des enjeux cruciaux. Comme le dit le ministère des armées, « cette unité spécialisée se révèle essentielle pour maîtriser le milieu d’engagement dans le domaine du combat de haute intensité comme en gestion de crise, en s’appuyant notamment sur des capacités de géographie, de défense NRBC, de contre-mobilité, de combat cynotechnique, de franchissement, d’appui au déploiement lourd et d’aide au déploiement. Désormais réunies, ces capacités pourront mieux conjuguer leurs effets. »

Dans les régions traversées par des cours d’eau, comme en Europe de l’Est, des ponts flottants motorisés (PFM), capables de supporter des véhicules lourds comme les chars Leclerc, permettent de franchir rapidement des obstacles naturels. Ces équipements, combinés aux engins de franchissement de l’avant (EFA), assurent une progression continue des forces en première ligne. En parallèle, les capacités de déminage et de contre-mobilité permettent de ralentir les forces adverses tout en protégeant les forces alliées.

La sécurisation des zones arrière, souvent perçue à tort comme secondaire, est un autre domaine d’excellence du génie. Les enseignements de l’histoire, notamment la défaite de Sedan en 1870, montrent que des zones arrière mal protégées peuvent compromettre une campagne entière. En garantissant la continuité logistique et stratégique, la BGEN joue un rôle clé dans la préservation des forces.

Enfin, les capacités du 28e groupe géographique renforcent la planification stratégique. En fournissant des données topographiques précises et en anticipant les obstacles naturels ou artificiels, le génie contribue directement à optimiser les manœuvres militaires. Cette combinaison d’expertise tactique et stratégique fait de la BGEN une arme essentielle dans les conflits modernes.

Moderniser le génie

La réactivation de la BGEN s’accompagne d’un investissement massif dans les technologies de pointe. Les drones, utilisés pour la reconnaissance et le déminage, permettent de réduire les risques pour les sapeurs tout en augmentant l’efficacité des interventions. Ces outils offrent une cartographie en temps réel et une capacité d’intervention à distance, vitales dans les environnements à haut risque.

L’arrivée de l’Engin du Génie de Combat (EGC), prévu pour 2029, symbolise cette modernisation. Successeur de l’EBG Vulcain, l’EGC combinera des capacités de creusement, de destruction et de franchissement, tout en offrant une protection renforcée pour ses équipages grâce à des systèmes téléopérés. Conçu pour répondre aux exigences des conflits de haute intensité, cet engin est l’illustration d’un génie militaire en phase avec les défis technologiques du XXIe siècle.

Par ailleurs, la formation continue des sapeurs est au cœur des priorités. En combinant des entraînements individuels, des exercices collectifs et une maîtrise des nouvelles technologies, la BGEN prépare ses membres à opérer dans des environnements variés, qu’il s’agisse de zones urbaines, montagneuses ou de plaines traversées par des obstacles naturels.

Achever la réforme

Malgré ses avancées, la réactivation de la BGEN reste incomplète. Certaines capacités critiques, comme le franchissement assuré par le 6e régiment du génie, ne sont toujours pas intégrées dans la brigade, limitant une centralisation pourtant revendiquée comme essentielle. Par ailleurs, les contraintes budgétaires et les coûts liés à la modernisation des équipements représentent des obstacles importants dans un contexte où les ressources militaires sont déjà sous tension.

Cependant, ces défis n’entament pas l’ambition portée par cette brigade réactivée. Avec sa devise, « Ils marcheront en tête », la BGEN incarne une armée française qui allie tradition et innovation pour répondre aux besoins des conflits modernes. En plaçant la maîtrise du terrain au centre de sa stratégie, l’Armée de Terre réaffirme que le génie n’est pas qu’un soutien, mais une arme décisive. La réactivation de la BGEN, ancrée dans une vision stratégique et technologique, représente une étape clé dans la transformation des forces terrestres françaises, prêtes à relever les défis d’un monde en mutation. Si vis pacem, para bellum.