Pour la première fois, un chasseur-bombardier israélien F-35 « Adir » a détruit un missile de croisière en vol

Pour la première fois, un chasseur-bombardier israélien F-35 « Adir » a détruit un missile de croisière en vol

https://www.opex360.com/2023/11/03/pour-la-premiere-fois-un-chasseur-bombardier-israelien-f-35-adir-a-detruit-un-missile-de-croisiere-en-vol/


« Ils n’écouteront les conseils de personne, donc il faut que nous profitions de la dernière opportunité politique pour mettre fin à la guerre », a déclaré le dirigeant iranien, après s’être entretenu avec l’émir du Qatar, Tamin ben Hamad Al-Thani, le 31 octobre.

Ce jour-là, la milice yéménite « Ansar Allah » [ou houthiste], soutenue par l’Iran, a assuré qu’elle ouvriraient un autre front contre Israël, qu’elle venait d’ailleurs de viser avec une nouvelle salve de missiles et de drones. Pour rappel, la première avait été interceptée par le système AEGIS du « destroyer » américain USS Carney, alors déployé en mer Rouge, le 19 octobre.

Cela étant, les missiles et les drones lancés depuis le Yémen durant le journée du 31 octobre n’ont pas atteint l’État hébreu, en particulier la ville d’Eilat, qui, selon toute vraisemblance, était visée.

« Toutes les menaces ont été interceptées en dehors du territoire de l’État d’Israël. Aucune intrusion sur le territoire israélien n’a été détectée », a en effet insisté Tsahal.

C’est ainsi que le système de défense aérienne Arrow a, pour la première fois, intercepté un missile balistique, sans doute de type Toofan [ou Ghadr-F, dérivé de l’engin iranien Shahab-3]. Mais les chasseurs-bombardiers F-35I « Adir » de la force aérienne israélienne [IAF] ont également été sollicités lors de cette séquence.

Dans son communiqué relatif à cette nouvelle attaque de la milice yéménite, Tsahal avait en effet évoqué l’implication d’avions de combat dans « l’interception de cibles aériennes ». Il aura fallu attendre quelques heures pour en savoir plus, avec la diffusion d’une vidéo montrant la destruction d’un missile de croisière probablement de type Qods-3 [ou « Hoveyzeh » selon son appellation iranienne] par un F-35I.

 

« Ces derniers jours, un missile de croisière, lancé depuis le sud-est vers l’espace aérien de l’État d’Israël, a été détecté par les systèmes de contrôle et de détection de l’IAF. Les systèmes ont suivi sa trajectoire et des avions de combat « Adir » ont réussi à l’intercepter », a expliqué l’état-major israélien, via X/Twitter, sans livrer plus de détails.

Qu’un avion de chasse intercepte un missile n’est pas nouveau : durant la Seconde Guerre Mondiale, les Spitfire de la Royal Air Force [RAF] étaient régulièrement sollicités pour dévier de leur trajectoire les V1 tirés contre le Royaume-Uni. Mais c’est la première fois qu’un F-35 détruit en vol un engin hostile avec un missile air-air [sans doute un AIM-9X Sidewinder, même si cet appareil peut aussi utiliser des AIM-120 AMRAMM, d’un portée plus longue].

Cela étant, cette capacité du F-35I n’est pas une surprise : en décembre 2019, un haut responsable de Lockheed-Martin avait expliqué que son radar AN/APG-81 AESA [à antenne active] lui donnait la possibilité d’identifier et d’intercepter des « menaces aériennes volant à basse altitude et à grande vitesse, comme les missiles de croisière ».

Sommet de l’IA de Bletchley Park : Concertation mondiale ou lobbying chic ?

Sommet de l’IA de Bletchley Park : Concertation mondiale ou lobbying chic ?

 

Le sommet de Bletchley Park visait à rassembler les gouvernements mondiaux et les géants du secteur pour débattre de la réglementation de l’IA, dans sa variante générative en particulier. L’objectif affiché consiste notamment à mettre en place un institut dédié, avec une portée mondiale, alors même que les initiatives se multiplient dans le monde, et désormais notamment aux États-Unis. Les organisateurs et Rishi Sunak en premier lieu ont voulu centrer l’agenda sur les risques les plus extrêmes liés aux modèles dits « de frontière » : risques existentiels et de perte de contrôle par le biais de modèles qui s’émanciperaient de l’humain. Nombreux sont pourtant les problèmes à traiter, en premier lieu celui de la fiabilisation bien plus générale des modèles et du potentiel de manipulation tous azimuts, qui occupent les responsables politiques dans le monde.

Un agenda inspiré par la perspective de la Big tech

On peut ainsi voir dans l’organisation de ce sommet un biais qui correspond plutôt à la perspective des géants du secteur, qui ont volontiers répondu présents à l’appel. Ceux-ci développent des modèles massifs, qui, bien que dominant le secteur, ne reposent pas toujours sur des méthodes à la pointe conceptuelle de l’IA. Ainsi, les acteurs de la Big Tech s’affichent volontiers favorables à une volonté de réglementation qui se concentrerait sur les risques apocalyptiques pour l’humanité, venant des innovations de « frontière » et moins sur leurs propres modèles. Il s’agit là de fonder la réglementation sur des systèmes de licences qui viendront aussi ralentir la concurrence d’agents émergents, notamment ceux issus de l’open source, sans tellement entraver l’expansion des acteurs établis.

Les géants sont évidemment plus réticents face aux tentatives de réglementation plus détaillées, qui sont au cœur des discussions politiques dans le monde. Celles-ci ne se focalisent naturellement pas que sur les risques apocalyptiques de la « frontière » technologique, mais aussi sur les failles béantes des modèles existants. Au début de l’été, on voyait ainsi Sam Altman, dans un paradoxe seulement apparent, soutenir avec une certaine emphase, au Congrès américain qui avait pris du retard sur le sujet, l’idée d’une régulation de l’IA, en pointant les risques existentiels, et quelques jours plus tard, menacer l’Europe de la déserter en cas de régulation plus large. Il annonçait quelques jours plus tard une première implantation européenne d’OpenAI au Royaume-Uni.

Fragmentation politique et course à la réglementation

Le gouvernement britannique a affiché la volonté d’impliquer des États très divers, au-delà des lignes de failles géopolitiques, en associant la Chine en particulier. Au-delà de cette voie de concertation géopolitique, se manifeste aussi une volonté consistant à attirer les grands groupes au Royaume-Uni, en ce qui concerne leurs investissements européens. Le symbole lié à Bletchley Park (où l’équipe d’Alan Turing perça le code Enigma) enrobe cette stratégie d’une belle aura historique, face au renforcement de la volonté d’encadrement à Washington et au tropisme bureaucratique qu’a manifesté le Parlement européen. Les États censés contribuer à cet exercice de gouvernance mondial en ont perçu les limites et ont eu tendance à rester sur leur réserve.

Aux États-Unis, l’administration Biden, après avoir tardé, cherche en effet à accélérer le processus d’encadrement et de transparence des risques des modèles, au moyen de décrets. En parallèle, Washington a affiché une certaine distance vis-à-vis de l’initiative de Londres et l’idée d’un institut mondial visant à la régulation de l’IA, privilégiant l’idée d’un organisme national.

En ce qui concerne l’Union européenne, son AI Act, en gestation, a pris les devants, mais présente des failles notables, en particulier en ce qui concerne sa complexité et le fait qu’il a été pensé sur la base de développements antérieurs à l’explosion des modèles de langage depuis 2017. De nombreux gouvernements, notamment français et en allemand, ont commencé à percevoir ce texte comme une menace pour le développement de l’IA en Europe et souhaitent adopter une approche plus flexible et adaptative de la réglementation. Pour autant, cela n’implique pas d’accorder un blanc-seing à la Big tech en renvoyant toute réglementation aux seuls risques existentiels des modèles « de frontière ».

Garantir la sécurité et l’émergence de nouveaux acteurs européens

L’Europe dispose de compétences poussées dans le domaine et d’un considérable vivier d’ingénieurs et de chercheurs qui se lancent aisément dans le développement de modèles d’IA suivant de nombreuses applications. Pour autant le manque de financement ralentit considérablement le rattrapage face aux États-Unis. Cela fait, plus en profondeur, craindre une dépendance de long terme aux modèles développés aux États-Unis. Une réglementation labyrinthique risque de creuser cet écart.

Le secteur de l’IA connaît une explosion du rôle de l’open source qui permet à des acteurs très variés de se lancer dans la course des applications de l’IA et de la réappropriation de modèle. De cette façon, l’Europe peut se positionner de la façon la plus directe. Cela est plus aisé en particulier que de viser à développer entièrement de nouveaux modèles géants ex-nihilo, bien que cet enjeu reste aussi crucial, pour des raisons notamment d’autonomie technologique. L’intérêt de l’Europe est ainsi d’offrir une réglementation lisible, qui s’adapterait aux risques en fonction des développements réels de la technologie, et d’abaisser autant que possible les barrières d’entrée.

Il est essentiel pour toutes les zones économiques que la régulation vienne garantir la sécurité des modèles ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs de pointe, plutôt que d’assurer les positions établies des géants du secteur, qui ne constituent pas une garantie de sécurité au vu des failles de leurs propres modèles.

Guerre Israël-Hamas : « Le rôle de l’Iran sera crucial »

Guerre Israël-Hamas : « Le rôle de l’Iran sera crucial »

 

Thierry de MONTBRIAL -IFRI – publié le 3 novembre 2023

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/guerre-israel-hamas-role-de-liran-sera-crucial


Interviewé par Virginie Robert et Vincent Collen pour Les Échos

Fondateur de la World Policy Conference qui tient sa 16 édition à Abu Dhabi ce week-end, en partenariat avec « Les Echos », Thierry de Montbrial revient sur les crises qui secouent le système international, du conflit qui oppose Israël au Hamas à la guerre en Ukraine.

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La violence de l’attaque du Hamas le 7 octobre a stupéfié le monde et enclenché une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Est-ce le résultat d’une question israélo-palestinienne trop longtemps laissée de côté ?

Je me garderai d’établir une relation simple de cause à effet pour expliquer l’attaque barbare lancée par le Hamas le 7 octobre. Je dirais plutôt que le Hamas s’est appuyé cyniquement sur l’enterrement apparent du conflit israélo-palestinien pour déclencher une guerre dont le véritable enjeu est l’avenir du Moyen-Orient dans son ensemble.

Quant au conflit lui-même, c’est un fait que personne n’a travaillé sérieusement à la solution des deux Etats depuis une vingtaine d’années. La France pas plus que les autres Occidentaux. Les Arabes non plus. J’ajoute que sur cette question comme sur tant d’autres, les Européens ont du mal à raisonner en termes stratégiques. Nous ne nous référons qu’à des principes (démocraties contre démocratures, par exemple) et à l’idée que nous nous faisons du bien et du mal.

Il est possible que le rapprochement de l’Arabie saoudite et d’Israël ait contribué au choix du moment de l’attaque. Mais l’agression a été préparée pendant longtemps. Le plus stupéfiant, c’est l’effet de surprise. L’évolution de la politique intérieure d’Israël l’explique en partie. Ce drame nous rappelle aussi que la technologie ne peut pas tout. On le voit également en Ukraine, où l’on en est revenu à une guerre de tranchées .

Est-ce qu’Israël a mal alloué ses ressources militaires ?

Les Israéliens ont été distraits par leurs affaires intérieures, et notamment la réforme judiciaire. Ils ont aussi été sanctionnés par l’hubris, l’idée d’un Israël devenu invincible en particulier grâce à la technologie. L’allocation des forces, notamment en Cisjordanie, a également joué. Le Hamas a spéculé sur tout cela.

L’Etat hébreu veut détruire le Hamas. Faut-il craindre un embrasement régional ?

Dans la durée, la haine se nourrit du passé, du sentiment d’injustice, de questions non réglées et, naturellement, des propagandes. Je ne sais pas si l’éradication militaire du Hamas est possible, j’en doute. Le risque d’un embrasement régional est réel , mais ce n’est dans l’intérêt de personne. Cela dit, même contenue, la guerre fera des dégâts considérables.

Le rôle de l’Iran sera crucial. Depuis la révolution de 1979-1980, ce pays s’est habilement affiché devant les opinions publiques arabes comme le seul vrai défenseur de la cause palestinienne. Les Persans s’emploient à diviser les Arabes. Comme toujours. C’est ainsi qu’on doit comprendre le slogan de Téhéran, qui rejoint celui du Hamas, prônant l’éradication d’Israël. Mais je doute que l’Iran veuille prendre explicitement le risque d’une guerre avec les Etats-Unis. Dans l’immédiat, le principal danger est l’embrasement incontrôlable des opinions publiques. Y compris en Europe, particulièrement en France .

Comment peut évoluer, vu les circonstances, le rapprochement de l’ Arabie saoudite avec l’Iran ?

L’objectif de l’Arabie saoudite est de se moderniser et, à terme, d’occuper une place majeure dans l’équilibre du Moyen-Orient. L’Iran aussi, bien sûr. Il y a de la marge pour une certaine entente entre les deux.

Est-ce que la France et l’Union européenne peuvent jouer un rôle ?

L’Union européenne n’a pas de politique étrangère au sens fort , car elle n’est pas un Etat et ne dispose pas en tant que telle des leviers de la force, que ce soit sur le plan économique ou militaire. Elle n’a pas de vision claire de son identité et donc de ses intérêts à défendre. Il n’y a pas véritablement d’exécutif européen.

Une politique étrangère se compose d’actions cohérentes poursuivies dans la durée, avec de vrais moyens, et repose sur une vision véritablement géopolitique, jamais uniquement sur des principes abstraits comme la démocratie et les droits de l’Homme. L’Union européenne peut cependant contribuer aux actions humanitaires, distribuer de l’argent (à quelles conditions ?), sanctionner, parler aux belligérants, plaider pour un règlement politique.

Aux antipodes des Européens, malgré les courants idéologiques qui les traversent, les Américains possèdent un sens aigu de leur identité et de leurs intérêts. Ils restent des champions dans le maniement du bâton et de la carotte. Démocrates ou républicains, ils pratiquent toujours un discours moralisateur, mais sans jamais perdre le sens du concret. Quand il le faut, ils n’hésitent pas à se retourner brusquement.

Vous êtes l’un de ceux qui pensent qu’on ne résoudra le conflit ukrainien que par la diplomatie. C’est une position que beaucoup réfutent car ils ne veulent pas récompenser l’agression russe en Ukraine…

Nombreux sont ceux, dans les capitales occidentales, qui réfléchissent à l’issue de cette guerre sans en parler ouvertement. L’histoire du monde est remplie de situations inacceptables, mais que l’on finit par accepter, souvent à contrecoeur. La guerre change tout, au cours du temps.

Est-ce qu’on se dirige vers une négociation rapide sur le conflit ukrainien ? Non, parce que ni les Ukrainiens, ni les Russes, ni les Américains n’y sont encore prêts. Beaucoup dépendra des élections présidentielles américaines. Les Républicains commencent à trouver que les Etats-Unis en font trop . Mais rien n’est écrit d’avance.

Les demandes du président ukrainien Zelensky ne sont donc pas réalistes selon vous ?

L’objectif affiché de Volodymyr Zelensky est de bouter les Russes en dehors des frontières de 1991. Est-ce atteignable avant que les alliés ne se lassent ? Telle est la question. La Russie s’est installée dans la perspective d’une guerre longue. Ceux qui ont parié sur son effondrement se sont trompés. De plus, elle n’est pas isolée. Dans le « Sud global », la balance penche plutôt en sa faveur. L’Ukraine, elle, souffre terriblement sur le plan humain et, pour les armements et l’économie, dépend entièrement de l’aide occidentale.

Comment expliquer ce soutien plus ou moins explicite de ce « Sud global » à Moscou ?

Le rejet du monde occidental dans les pays du Sud s’exprime de plus en plus ouvertement. Ces pays refusent nos leçons de morale. Ils entendent devenir véritablement « indépendants » au sens gaullien du terme. Cependant, leurs positions sont diverses. L’Inde, en particulier, joue très habilement sur le concept de multi-alignement, qui est une reformulation de sa politique de non-alignement pendant la guerre froide.

Quelle position peut défendre l’Union européenne dans ce contexte ?

Pour la guerre d’Ukraine, l’Union européenne s’en est remise au leadership américain. Les Etats-Unis se présentent, de plus en plus explicitement, comme leader d’une alliance des démocraties contre les autocraties ou démocratures. Nous ne devons pas tomber dans ce piège en opposant le bloc occidental élargi (au Japon, à la Corée du Sud, etc.) à tous les autres pays du monde.

Que doit faire la France alors ?

Nous n’avons pas les moyens de faire face à tous les risques qui pèsent potentiellement sur nous, même si l’on pouvait doubler ou tripler les budgets de défense et de sécurité. Nous sommes en risque sur notre flanc est, à cause de la guerre d’Ukraine, et de façon diffuse mais profonde sur notre flanc sud, qui est l’arc arabo-musulman.

De mon point de vue, il y a une division du travail naturelle au sein de l’Alliance atlantique. Pour la France, c’est le flanc sud qui devrait nous préoccuper en priorité. Le risque d’une invasion de la France par la Russie n’a pas grand sens, mais, comme tout se tient, ce pays a choisi de s’en prendre à nos intérêts notamment en Afrique. Il faut reconstruire notre stratégie vis-à-vis des pays du Sud et d’abord en Afrique et au Moyen-Orient.

C’est ce que dit Emmanuel Macron lui-même…

Une grande stratégie ne se construit pas en un jour. Avec l’Afrique par exemple, tout est à rebâtir. C’est un travail de très longue haleine qui exigera des efforts d’investissement considérables dans toutes les dimensions.
 

Interview par Virginie Robert et Vincent Collen

> Lire l’interview sur le site des Échos

Gaza : combien de morts ? par Michel Goya

Gaza : combien de morts ?

Palestinian News and Information Agency (Wafa)

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 02-11-2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Un peu de statistiques macabres aujourd’hui. Le ministère de la santé palestinien de Gaza, contrôlé par le Hamas, annonçait 471 morts et presque autant de blessés lors de la frappe accidentelle sur l’hôpital al-Ahli le 17 octobre dernier. Le simple examen de la photo du lieu de l’explosion et la comparaison avec celles d’explosions ayant fait autant de victimes, à Bagdad ou à Mogadiscio par exemple, montrait pourtant que ce chiffre n’était absolument pas crédible. Pour faire autant de victimes, il aurait fallu au moins un projectile aérien d’une tonne tombant au milieu d’une foule dense ou comme c’était le cas dans les exemples cités et bien d’autres, avec des camions bourrés de plusieurs tonnes d’explosif. Un tel mensonge induit forcément le déclassement de cette source du niveau C-D (assez -pas toujours fiable) au regard des conflits passés à E (peu sûre) pour celui-ci. Aussi quand ce même ministère de la santé annonce 8 300 Palestiniens, dont 3 400 enfants, tués par les Israéliens convient-il d’être extrêmement méfiant et le fait que ce ministère contrôlé par le Hamas soit cité par l’UNICEF sans aucune vérification n’en fait pas un « diseur de vérité ».

L’immense majorité des pertes civiles palestiniennes est le fait de la campagne de frappes aériennes lancée par les Israéliens depuis le 7 octobre, le reste venant de l’artillerie, ou plus marginalement des frappes de drones ou d’hélicoptères, voire désormais des forces terrestres. Or, il se trouve malheureusement qu’à la suite des nombreuses campagnes aériennes passées, et notamment au-dessus de Gaza, il est possible de faire des estimations des dégâts de celle qui est en cours.

On précise qu’on ne prend ici en compte que les campagnes n’utilisant que des munitions guidées et sans intention de toucher délibérément la population, ce qui restreint de fait l’analyse aux campagnes occidentales et israéliennes depuis 1999. Rappelons qu’une frappe, ou strike, est une attaque contre une cible précise et qu’elle peut impliquer l’emploi de plusieurs projectiles.

Reprenons juste ici les quatre dernières grandes campagnes sur Gaza, en tenant compte des différentes sources (l’ONG israélienne B’Tselem, AirWars, ONU, Centre palestinien pour les droits de l’homme et même le ministère de la santé palestinien).

2008 : 2 500 strikes. Entre 895 et 1417 morts de civils palestiniens.

2012 : 1 500 strikes – 68 à 105 morts. L’Office (UN) for the Coordination of the Humanitarian Affairs (OCHA) parle seul de 1400 civils. 

2014 : 5 000 – 1 300 à 1 700 morts.

2021 : 1 500 strikes – 151-191 morts.

Dans les guerres de 2012 et 2021, où Israël n’emploie que la force aérienne, il faut donc environ 10 strikes pour tuer un civil. Ces deux guerres sont par ailleurs courtes, une dizaine de jours, ce qui signifie que les frappes s’effectuent surtout sur des cibles bien identifiées avec un plan de tir bien préparé (certitude sur l’identité de la cible, autorisation de tir, avertissement à la population). Avec le temps, lorsque le plan de ciblage est épuisé, les strikes s’effectuent de plus en plus sur des cibles d’opportunité, ce qui laisse moins de temps à la préparation et plus de place aux erreurs. Au passage, les résultats sur l’ennemi sont également moins efficaces surtout si les Israéliens n’ont pas eu l’initiative des opérations et le bénéfice de la surprise. Avec le temps, la proportion de frappes pouvant tuer des civils peut diminuer jusqu’à 5, voire moins, comme dans les derniers temps de la bataille de Mossoul où les troupes irakiennes n’avançaient plus que derrière un tapis de bombes.

Les deux autres guerres – 2008 et 2014 – ont été plus longues, moins « efficaces » dans les frappes aériennes, et les Israéliens y ont fait également beaucoup appel à l’artillerie, notamment pour appuyer les opérations terrestres. On dispose de moins de données pour déterminer les pertes civiles provoquées par l’artillerie. Si on prend l’exemple du siège de Sarajevo, plus de 300 000 obus ont tué au moins 3 000 civils en quatre ans et les snipers au moins 2 000 autres. On a donc un ratio de 100 obus (par ailleurs tirés avec grande précision à cette époque) pour tuer un habitant. J’ignore combien de dizaines de milliers d’obus israéliens ont été lancés durant les différentes campagnes, mais ils ont certainement contribué à tuer des centaines de civils en plus des frappes aériennes.

Qu’en est-il donc de la guerre actuelle ? Dans les campagnes précédentes, les Israéliens ont difficilement pu tenir une cadence de plus de 150 frappes aériennes par jour. En considérant le caractère exceptionnel de la période, on peut, par une grande libéralité, aller jusqu’à 300 par jour, soit désormais un total de plus de 7 000 strikes. En appliquant les pires barèmes (5 pour 1), cela donne 1 400 morts de civils. Tsahal ayant annoncé avoir touché 12 000 cibles, ce qui est impossible uniquement par des frappes aériennes, on peut donc considérer que la grande majorité des autres ont été traitées par l’artillerie et une petite minorité par hélicoptères ou drones. On ajoutera que ces frappes supplémentaires ont presqu’entièrement été effectuées dans la zone nord de la bande de Gaza, en partie évacuée. Elles ont probablement fait plusieurs centaines de morts, soit un total d’environ 2 000 civils et environ 1 500 combattants si on respecte les ratios des opérations précédentes. 

En résumé, sauf à imaginer qu’Israël a décidé de viser directement la population, on ne voit comment du moins à partir de l’analyse des conflits précédents, on pourrait arriver à ce chiffre de 8 300 il y a quelques jours (et plus de 9 000 aujourd’hui). Si par ailleurs Israël avait décidé, à la manière du Hamas, d’attaquer directement la population, avec 7 000 frappes aériennes le chiffre serait sans doute beaucoup plus important que 8 300. 

Pour autant, même si chiffre de 2 000 morts civils minore largement celui du ministère de la santé contrôlé par le Hamas – et il faudra peut-être que les institutions et les médias prennent en compte que cet organisme ment tout en instrumentalisant la souffrance – c’est 2 000 de trop. Ce chiffre en soi est déjà énorme. Il est bien au delà de la campagne de frappes en Serbie en 1999, de celle des Américains en Afghanistan fin 2001 ou bien encore de celle d’Israël au Liban en 2006. La coalition anti-Daesh ne reconnaît par ailleurs que 1 400 morts civils pour 33 000 frappes en six ans, avec il est vrai des chiffres d’AirWars nettement plus élevés.

Pour ma part, je pense que ces grandes campagnes de frappes et l’emploi massif de la puissance de feu sont surtout un moyen d’éviter les pertes de ses soldats, mais en reportant le risque sur les civils. C’est comme bombarder pendant des semaines un immeuble où seraient réfugiés des terroristes pour éviter de prendre le risque de s’y engager. Dans un cas comme cela, même si ces terroristes ont commis des atrocités et même si vous savez que les habitants ne vous aiment pas, vous envoyez le GIGN pour éliminer les malfaisants. Gaza est comme cet immeuble. Pour éliminer autant que possible le Hamas, tout en respectant mieux le droit international, de faire moins souffrir la population et donc de recruter pour l’ennemi ou de soulever l’indignation internationale, il faut privilégier à tout prix l’emploi des forces de combat rapproché – l’infanterie en premier lieu – plutôt que la puissance de feu massive à distance qui, au passage n’a pour l’instant au mieux détruit que 10 à 20 % du potentiel ennemi.  

Pour savoir comment il faudrait faire, il suffit de se demander ce que ferait Tsahal si la population de Gaza n’était pas palestinienne mais israélienne et contrôlée par une organisation étrangère de 20 000 terroristes. Il faut quand même rappeler qu’en droit international, toute population est sous la responsabilité d’un État. La population de Gaza, juridiquement toujours un territoire occupé, est donc également toujours sous la responsabilité d’Israël via l’administration de l’Autorité palestinienne (qui n’est pas un État). Le minimum minimorum aurait voulu qu’Israël aide cette dernière à conserver le contrôle de Gaza en 2007 face au Hamas. Cela n’a pas été le cas, car l’occasion était trop belle d’empoisonner la cause palestinienne, mais c’est un autre sujet.

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Carte. La crise au Proche-Orient vue des enjeux maritimes

Par Institut FMES, Pascal Orcier – Diploweb – publié le le 2 novembre 2023

https://www.diploweb.com/Carte-La-crise-au-Proche-Orient-vue-des-enjeux-maritimes.html


L’institut FMES vient de publier une étude, « La Territorialisation des espaces maritimes » qui présente cette carte p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Cartographie par Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.

Les 9 et 10 novembre 2023, la Fondation Méditerranéenne d’Études Stratégiques (FMES) organise à Toulon, en partenariat avec la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), les deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed. Nul doute que l’actualité du Levant y sera abordée lors de certaines des tables rondes proposées aux participants ou par les grands témoins et chefs d’état-major d’armées présents. Pour la FMES, think tank expert des questions géopolitiques et maritimes, ce conflit n’est pas seulement un affrontement aéroterrestre. Un embrasement de la région aurait des conséquences majeures sur le trafic et la sécurité maritimes.

Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, Diploweb.com est heureux de vous faire connaitre cette carte commentée extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes« , p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Avec un commentaire inédit rédigé le 2 novembre 2023 dans la perspective des deuxièmes rencontres stratégiques de la Méditerranée, les RSMed.
Carte grand format en pied de page.

CERTAINS des terroristes du Hamas se sont infiltrés en Israël le 7 octobre 2023 à partir de la mer. La modeste marine israélienne pour sa part, habituellement chargée de la surveillance des plateformes gazières off shore, participe aux bombardements et au blocus de Gaza. Cependant, ces opérations à partir de la mer, bien réelles, restent mineures en comparaison des opérations aériennes israéliennes et désormais terrestres. La dimension navale du conflit réside ailleurs, dans les risques d’extension et dans la prévention de ces risques. Alors que leurs bases militaires dans la région subissent déjà des attaques quotidiennes de la part de milices opérant à partir d’Irak et de la Syrie, les États-Unis ne s’y trompent pas en dépêchant deux groupes aéronavals dans la zone. L’USS Gerald R. Ford déjà présent en Méditerranée orientale, à proximité d’Israël, est rejoint par le Dwight D. Eisenhower qui, venu de Norfolk, pourrait rallier la mer d’Arabie et le golfe d’Oman.

 
Carte des détroits du Moyen-Orient
Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Cette carte est extraite de l’étude de la FMES, « La Territorialisation des espaces maritimes », p. 95. Cette étude a été conduite tout au long de l’année 2022, et publiée en octobre 2023, sous la direction de Jean-François Pelliard, capitaine de vaisseau de réserve et chercheur à l’institut FMES.
Orcier/FMES

 

Si cette présence significative vise à protéger si nécessaire Israël et les bases américaines du Moyen-Orient, elle est d’abord un avertissement envers l’Iran et ses proxys : envers le Hezbollah bien sûr, menace directe pour Israël, mais aussi envers d’éventuelles intentions de perturber la navigation. Car alors que les récents événements réveillent un sentiment anti-occidental, l’Iran pourrait en profiter pour multiplier des actions dont il est coutumier aux abords des détroits d’Ormuz et de Bab-el-Mandeb (voir la carte). Forte de quantités d’embarcations solidement armées, la marine des gardiens de la révolution est capable d’un harcèlement sélectif à l’entrée du Golfe, plus difficile à combattre en ces lieux qu’une flotte de haute mer. Les rebelles Houtis soutenus par la force Al-Qods iranienne ont une capacité de nuisance similaire à la sortie de la mer Rouge. L’interception en Mer Rouge par une frégate américaine de missiles et de drones Houthis à destination d’Israël est l’illustration de cette problématique.

Bloquer ces deux détroits – Ormuz et Bab-el-Mandeb – ou simplement y faire régner une forte insécurité mettrait en péril une partie des approvisionnements stratégiques de l’Europe, sauf à envisager un coûteux contournement de l’Afrique. Pour la France, le lien avec ses Outre-mer de la zone Indo-Pacifique serait largement perturbé. Pendant ce temps, le porte-avions Charles de Gaulle, qui sort d’une période d’entretien, n’est pas immédiatement opérationnel et ce sont les groupes aéronavals américains qui exercent un fort pouvoir dissuasif au Moyen-Orient.

Copyright pour le texte Novembre 2023-Institut FMES/Diploweb.com

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

Une paix – juste – est-elle encore possible au Moyen-Orient ?

 

par Emmanuel Dupuy (Président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) – Revue Conflits – publié le 30 octobre 2023

https://www.revueconflits.com/une-paix-juste-est-elle-encore-possible-au-moyen-orient/


L’attaque brutale menée par le Hamas et le Djihad islamique le 7 octobre dernier en territoire israélien n’en finit pas de diviser les 194 États composant l’ONU, notamment quant à la juste réponse à apporter aux massacres et atrocités commises par les deux organisations terroristes.

Le récent vote aux Nations unies de la résolution appelant à un cessez-le-feu « humanitaire » immédiat, le 17 octobre dernier, soit dix jours après les effroyables massacres dont ont été victimes près de 1 400 ressortissants israéliens et étrangers, ont fait voler en éclat, une fois de plus le frêle concept de « communauté internationale ».

Un vote qui divise

120 États ont voté pour, 14 contre, 45 se sont abstenus. La division est encore plus criante et inquiétante au niveau de l’UE, où sept pays (dont la France et l’Espagne, qui préside pourtant le Conseil de l’UE, jusqu’au 31 décembre prochain) ont voté en faveur de la résolution proposée par la Jordanie, tandis que quatre votaient contre (Hongrie, Autriche, Croatie et la République tchèque) rejoignant ainsi la position américaine et que 16 autres s’abstenaient (dont l’Allemagne et l’Italie) à l’instar, du reste, de l’Inde, du Japon et du Canada…

À cet égard, comme les 44 vétos américains brandis par les États-Unis (sur les 83 utilisés par Washington au sein du Conseil de Sécurité depuis 1946) en attestent, quand il s’agit de défendre l’État d’Israël, les polarités diplomatiques l’emportent sur la solidarité euro-atlantique et enterrent l’idée même d’une politique étrangère et de sécurité commune aux 27 États de l’UE.

Désormais, à la sidération qui prit de court les forces armées de Tsahal, ses services de renseignement, la société israélienne et l’opinion publique mondiale, ce sont avant tout les graves conséquences induites par l’attaque des terroristes palestiniens sur le plan de la stabilité régionale qui sont devenus les principaux sujets de mobilisation inquiète planétaire.

Comme en mai 1948, juin 1967 et  octobre 1973, les préoccupations des pays arabes voisins, tout comme la légitimité palestinienne à un État, sont venues réveiller une certaine forme d’unité, notamment dans les « rues arabes »,  alors même que certains de ses mêmes États étaient engagés dans un processus de normalisation avec Tel-Aviv, à l’instar de l’Égypte, depuis les accords de Camp David, en 1978 ;  la Jordanie, depuis les accords de Wadi Araba, en 1994 ; et, par le biais des Accords d’Abraham, depuis l’automne 2020, le Maroc, le Soudan, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Failles de sécurité

Sur le plan opérationnel, les failles sécuritaires sont accablantes quant à la prise à défaut de l’inviolabilité des frontières d’Israël. Celles-ci, supposément sanctuarisées par le truchement de son système de défense sol-air « Iron Dome Air Defence Missile System » – prétendument infaillible depuis sa mise en service en 2011 – n’a pu détruire la totalité des quelque 5 000 roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Avec un taux de réussite – déjà exceptionnel – de 90% d’interception, quelque 400-500 roquettes ont pu ravager les principales localités du sud d’Israël, à l’aune, sinistre, du nom de l’opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas et le Djihad islamiste.

Par ailleurs, près de 2 500 terroristes du Hamas, notamment ses brigades Izz al-Din-al-Qassam et du Djihad islamique ont pu réduire à néant, en quelques heures, le mur protecteur érigé par Israël et provoquer la mort de 1 400 Israéliens, dont près de 300 militaires et 35 binationaux franco-israéliens, et ce à la stupeur générale mondiale.

Le sort tragique des 222 otages – dont vraisemblablement 9 sont franco-israéliens – encore retenus par l’organisation terroriste palestinienne dans la bande de Gaza est aussi un sujet de vive préoccupation, mobilisant acteurs régionaux (Égypte, Qatar, Turquie, Arabie Saoudite, Irak, EAU) et internationaux (USA, France, Allemagne, Italie, Canada, Vatican, Chine) dans des approches et objectifs radicalement différents.

Cette réalité vient d’ailleurs confirmer le profond fossé que la question israélo-palestinienne n’a cessé de mettre en exergue depuis la création de l’État d’Israël en mai 1948 et la première des centaines de vaines résolutions onusiennes ; à l’instar de la résolution 181 de 1947 ou encore, la résolution 242 de 1967, actant le plan de partage de la Palestine en deux États.

La question des civils

Sans oublier, bien sûr, les trop nombreuses victimes civiles et terroristes, à la suite des bombardements de Tsahal sur une bande de Gaza, prenant au piège 2,3 millions de Gazaouis, ayant provoqué le décès de plus de 6 500 Palestiniens et occasionné plus de 13 000 blessés (selon les chiffres « officiels » quoique interrogeables du ministère de la santé palestinien), en dépit de l’appel insistant à l’ouverture de corridors humanitaires et le déplacement des Palestiniens vers le sud de l’enclave. Sur ce dernier point, force est de constater néanmoins que c’est bel et bien le Hamas qui empêche les habitants de Gaza de fuir les zones qu’Israël a prévenu de frapper, voire d’envahir, dans le cadre de son opération « Épées de fer » dont la dimension terrestre a débuté, visant à « éradiquer » le mouvement islamiste.

Ainsi, la teneur des frappes aériennes israéliennes sur une bande de Gaza de 365 km2 mais qui, avec une population de 2,1 millions, est une des plus fortes densités démographiques au monde (13 000 habitants/km2) interroge, aussi, les règles mêmes du droit international des conflits armés et du droit international humanitaire, dans sa déclinaison des quatre conventions de Genève d’août 1949 et ses protocoles additionnels de 1977, notamment dans la dimension de la protection des populations civiles dans le cadre de conflits armés.

Ces tragiques événements viennent confirmer, en outre, la fragilité du système multinational onusien et mettre en exergue un hiatus aggravant entre les pays, reconnaissant la légitimité d’Israël d’exciper de l’article 51 – autorisant la légitime défense d’un État face à une attaque contre son intégrité territoriale – de la Charte de San Francisco, créant les Nations Unies, en juin 1945. Par ailleurs, les autres États qui, en défendant, le droit des Palestiniens à la création d’un État internationalement reconnu et, en appelant à une forme de « désescalade », n’en joue pas moins – le plus souvent à leur corps défendant –  le jeu pervers du Hamas, qui use et abuse de cette légitime cause pour mener à bien son objectif de destruction de l’État d’Israël, depuis sa création en 1987 – nonobstant le retrait, quelque peu factice, depuis 2017, de l’article demandant spécifiquement la destruction d’Israël.

Il convient aussi de rappeler que cet objectif nihiliste va à contrario du Fatah et de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qui en avait définitivement abandonné l’objectif, en avril 1996, en abrogeant sa charte fondatrice, datant de 1964.

Certes, l’instabilité politique chronique, née des réformes judiciaires et constitutionnelles impopulaires, induite par le 6e gouvernement de Benyamin Netanyahou, depuis décembre 2022 – principalement sous la coupe des partis juifs nationalistes orthodoxes – semblerait fournir une première explication aisée. Il convient de rappeler que ces derniers étaient plus prompts à défendre les colonisations illégales de Cisjordanie que soucieux de réengager le dialogue avec l’Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, même si ce dernier pâtit négativement de l’impossibilité à organiser une élection depuis 2006, à Ramallah.

Ce n’est, cependant, pas la seule raison explicative du grave fiasco sécuritaire et du drame que vivent les familles israéliennes endeuillées, même si indéniablement la responsabilité politique du Premier ministre israélien est ouvertement posée. Il en est de même pour celle de son ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, multi-inculpé, que même le président de la République, Isaac Herzog qualifiait « d’inquiétude » pour Israël. Il en va aussi avec le ministre de la Défense, Yoav Gallant, qui a déclaré vouloir « éradiquer » le Hamas et le Djihad islamique et qui semble se placer dans les pas de son mentor en politique et au sein de Tsahal, Ariel Sharon.

Pour rappel, une grande majorité des Israéliens souhaitent que Benyamin Netanyahou démissionne et reconnaisse la légitimité du Cabinet de guerre mis en place le 11 octobre dernier, dans la grave période de crise que traverse Israël, associant le principal opposant de l’actuel Premier ministre, l’ancien ministre de la Défense, Benny Gantz. La perspective d’un gouvernement d’union nationale, réunissant les anciens Premiers ministres, Naftali Bennett et Yaïr Lapid, recueille aussi l’adhésion d’une large frange de l’opinion publique israélienne.

Par ailleurs, la pusillanimité des États européens – au premier titre desquels la France – qui s’étaient pourtant démenés en faveur de la « solution à deux États », de la Déclaration du Sommet de Venise en 1980, reconnaissant le « droit du peuple palestinien à l’autodétermination » ; la Conférence de Madrid, en 1991 ; les Accords d’Oslo en 1993, jusqu’au Plan de paix proposé par Riyad en 2002, n’en apparais que plus criante.

Une paix lointaine

La réunion du « Sommet de la paix » convoquée par l’Égypte, réunissant les États de la Ligue arabe, du Conseil de Coopération des États arabes du Golfe (CCG) de l’Union européenne, des États-Unis, de la Grande-Bretagne, n’aura ainsi, logiquement, débouché que sur un narratif récurrent appelant à la solution – presque devenue mécanique – à deux États, un vague appel à la désescalade, ainsi que l’ouverture de corridors humanitaires que viennent, fort heureusement confirmer l’entrée à Gaza, par le terminal égyptien de Karm Abou Salem – Kerem Shalom et de Rafah de 28 camions d’aide humanitaire.

L’on en viendrait presque à se demander si ce « mantra » ou figure de style diplomatique des deux États, pourtant répétée inlassablement depuis 1947, le plus souvent dans le vide, au profit de deux populations devenues de plus en rétives à cohabiter dans un même État ou dans deux États séparés, même reconnus internationalement, reste encore possible ?

Le piège irrémédiablement tendu par la coalition hétéroclite des ennemis d’Israël se referme.

Qu’il s’agisse des mouvements terroristes réputés proches de l’idéologie radicale des Frères musulmans, tels que le Hamas et le Djihad islamique ; Daesh, et sa déclinaison égyptienne du mouvement Ansar Beït al-Maqdess, pour qui la libération de Jérusalem – Al Qods est consubstantielle de sa création ; ou encore, les « proxies » chiites, tels que le Hezbollah libanais, les milices Hachd al-Chaabi irakienne, les Houthis zaïdites yéménites, répondant ainsi aux injonctions de l’Iran, qui menace ainsi logiquement Tel-Aviv d’une réponse si Tsahal entrait dans Gaza.

Le Hamas, le Djihad islamique et ses promoteurs – parrains qu’ils soient à Ankara, Téhéran et Doha, ont d’emblée obtenus ce qu’ils cherchaient : démontrer la faillibilité du dispositif sécuritaire d’Israël d’une part et remettre en cause par ailleurs les acquis du processus de normalisation avec Israël.

Les Accords d’Abraham du 15 septembre et 20 décembre 2020 ne devraient ainsi pas voir aboutir le rêve d’un dialogue approfondi entre l’Arabie Saoudite et Israël, du moins dans les prochains mois, comme le confirme la fin de non-recevoir à cet effet, du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane.

Pire, l’initiative de sécurité et paix proposée par la Chine, qui avait vu Téhéran et Riyad reprendre à nos dépens et à notre surprise stratégique, leur dialogue diplomatique en mars dernier, risque de confirmer la « dé-occidentalisation » d’une éventuelle solution de stabilité régionale.

Le Président américain Joe Biden, en se déplaçant à Tel-Aviv et Jérusalem la semaine dernière, et en tenant de faire voter, au plus vite, dans un contexte politique tendu à la Chambre des Représentants, une aide exceptionnelle de 105 milliards de dollars (dont 14 milliards de dollars pour Israël, qui viendront s’ajouter aux 38 milliards de dollars d’aide militaire engagée par Barack Obama depuis 2017 jusque 2028, soit 3,8 milliards de dollars annuels) en a bien saisi le risque potentiel quoique bien réel.

Pour rappel, les États-Unis auraient le plus à perdre en cas de conflit régional, fragilisant le fragile statu quo militaire et diplomatique actuel, eu égard aux quelque 260 milliards de dollars octroyés par Washington à Tel-Aviv depuis 1948, dont 124 milliards de dollars, rien que sur le plan militaire !

Le risque d’un conflit régional est ainsi dans tous les esprits

Le Charles-de-Gaulle va ainsi rejoindre en Méditerranée orientale les deux porte-avions américains (USS Eisenhower et USS Ford) et ainsi « prévenir » le risque d’une escalade dont Téhéran et les groupes armés qu’il contrôle au Liban, Syrie, Irak et Yémen détiennent indiscutablement la clé. Téhéran est ainsi pointé d’un doigt accusateur, tant par le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou que le président américain Joe Biden. Ce dernier se veut de plus en déterminé à démontrer la responsabilité iranienne derrière les attaques menées très récemment et de plus fréquemment par les milices chiites irakiennes Kataeb Hezbollah contre les bases américaines dans le nord-est de la Syrie et le nord-ouest de l’Irak.

Dans ce contexte hautement crisogène, la tournée d’Emmanuel Macron, effectuée entre Tel-Aviv, Ramallah et Le Caire n’aura, hélas, permis de retrouver les accents gaulliens de 1967, quand la France imposait sa voix au Conseil de sécurité pour la reconnaissance des deux États autour de la résolution 242. Emmanuel Macron n’aura ainsi pu retrouver, non plus, la verve chiraquienne de 1996, quand le Président de la République rappelait, avec force et vigueur, le rôle protecteur de la France sur les lieux saints dans la ville de Jérusalem.

Pire, notre Président de la République, en proposant une singulière coalition anti-Hamas, liée ou copiée sur la coalition mondiale contre l’État islamique (The Global Coalition Against Daesh, regroupant 86 États et organisations intergouvernementales et institutions) n’aura guère plus convaincu nos alliés arabes (Jordanie, Égypte, Liban, EAU, Arabie Saoudite) a contrario de l’épique prise de parole de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, le 14 février 2003, au Conseil de Sécurité des Nations Unies, quand la politique arabe de la France faisait les riches heures de notre diplomatie de prévention et de résolution des conflits. Il est vrai que l’accusation formulée par le roi de Jordanie, Abdallah II et son épouse Rania, quant aux « doubles standards » qui motiveraient le regard biaisé de « l’Occident » vis-à-vis de la question palestinienne, n’était pas formulée ni ressentie avec autant de prégnance, à Amman, à Beyrouth, à Rabat ou au Caire, il y a vingt ans.

Sans remonter jusqu’à Michel Jobert, qui comme ministre des Affaires étrangères de Georges Pompidou, dans les années 1970, portait haut une approche d’équilibre unanimement saluée par les capitales arabes comme par l’État d’Israël, force est hélas de constater que la politique arabe de la France ne fait plus écho, aujourd’hui, avec les doléances des principales capitales arabes et levantines. Pourtant, c’est dès 1974 que Valéry Giscard d’Estaing reconnaît l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), contribuant ainsi, le premier, à lui garantir son statut de membre observateur au sein de l’ONU.

Faut-il y ainsi voir dans l’incapacité française à imposer un cessez-le-feu, tout en reconnaissant le droit légitime d’Israël de se défendre ; en se réjouissant, malgré tout, des timides avancées sur le plan humanitaire que le déplacement présidentiel aura néanmoins permis d’obtenir, un assourdissant effet collatéral de l’effacement diplomatique occidental ?

Hamas-Israël : quelles conséquences diplomatiques et sécuritaires au Moyen-Orient ?

Hamas-Israël : quelles conséquences diplomatiques et sécuritaires au Moyen-Orient ?

Interview
Le point de vue de Didier Billion – IRIS –  publié le 26 octobre 2023

Le 7 octobre 2023, les attaques du Hamas contre Israël et la réponse israélienne qui a suivi ont replacé la question palestinienne au cœur du contexte sécuritaire au Moyen-Orient, faisant craindre une escalade régionale du conflit. Quelle est la position des États arabes face au conflit et à quelles réactions doit-on s’attendre en cas d’intervention terrestre israélienne à Gaza et de prolongation du conflit ? Le conflit Hamas-Israël pourrait-il affecter le processus de rapprochement entre Israël et certains États arabes ? Alors que l’Égypte a décidé de ne pas ouvrir ses frontières, quel rôle le pays tient-il dans ce conflit ? Une médiation du conflit par les pays arabes est-elle possible ? Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Turquie.

Des milliers de personnes ont manifesté à travers le monde arabe, notamment en Jordanie ou au Liban, pour exprimer leur indignation après la destruction d’un hôpital de Gaza par Israël et dénoncer le sort des civils palestiniens à Gaza. Quelle est la position des États arabes et à quelles réactions doit-on s’attendre en cas d’intervention terrestre israélienne à Gaza et de prolongation du conflit ?

Il y a en effet eu, en Jordanie et au Liban, des manifestations assez spectaculaires, notamment celle qui s’est tenue à Amman où des dizaines de milliers de manifestants ont réclamé l’ouverture des frontières. Cela a un sens très particulier dans ce pays lorsque l’on sait que plus de la moitié de la population jordanienne est d’origine palestinienne. Outre ces deux pays, de nombreuses manifestations se sont tenues dans des pays comme la Tunisie, l’Algérie, l’Irak ou la Syrie, ainsi que dans des pays non arabes de la région du Moyen-Orient, comme la Turquie et l’Iran – même si l’on peut émettre quelques doutes sur le caractère spontané des manifestations en Iran. La totalité de ces manifestations de soutien au peuple palestinien est une nouvelle preuve, si besoin en était, de la centralité de la question palestinienne pour les opinions publiques dans les mondes arabes et au Moyen-Orient.

La question palestinienne a été largement ignorée depuis des années au niveau des exécutifs des pays de la région. Mais dans la conjoncture politique actuelle, ouverte par le 7 octobre, de nombreux gouvernements sont obligés de tenir compte des sentiments, ou ressentiments, de leurs opinions publiques, ce qui a amené à une forme de radicalisation de l’expression des exécutifs.

Quant à la question de l’intervention terrestre, la visite du président étatsunien Joe Biden du 18 octobre dernier semble avoir marqué, en tendance, un point d’inflexion. Alors que les dirigeants israéliens insistaient continuellement sur la préparation de l’opération terrestre qui ne manquerait pas d’avoir lieu, les positions des responsables israéliens semblent s’être partiellement modifiées. L’état-major israélien, mesurant la difficulté d’une telle opération, semblait moins enclin à intervenir militairement au sol dans la bande de Gaza. On ne peut néanmoins pas exclure l’éventualité d’une opération terrestre risquant d’aboutir à une radicalisation des positions anti-israéliennes et une escalade régionale du conflit, notamment au Liban, pays de la ligne de front, puisqu’une partie de la frontière nord d’Israël est mitoyenne de ce pays. Le Hezbollah, particulièrement implanté dans la partie sud du Liban et qui contrôle méticuleusement la zone frontière avec Israël, a déclaré après le 7 octobre qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires en cas d’invasion terrestre d’Israël à Gaza et agirait en conséquence.

Dans quelle mesure le conflit Hamas-Israël pourrait-il affecter le processus de rapprochement entre Israël et certains États arabes, entamé avec les accords d’Abraham, auxquels devait s’ajouter l’Arabie saoudite qui négociait, avant les évènements tragiques du 7 octobre, avec Tel-Aviv une normalisation de leurs relations ?

En réalité, les accords d’Abraham sont en partie dévitalisés de leur contenu depuis bien avant le 7 octobre. Ces accords ont, à tort, été qualifiés d’accords de paix puisqu’il n’y avait pas de guerre entre les pays signataires (le Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Soudan, le Maroc et Israël). Ces derniers, à l’exception du Maroc, se posaient de nombreuses questions, notamment depuis le 1er janvier 2023, date de mise en place du nouveau gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou, dont le centre de gravité est clairement situé à l’extrême-droite. Ce gouvernement comprend en effet des ministres suprémacistes juifs et ultra-orthodoxes qui ne cachaient pas leur intention d’annexer purement et simplement la Cisjordanie, mettant en porte à faux les pays signataires des accords.

En revanche, le Maroc a, pour sa part, continué à entretenir des relations de plus en plus étroites avec Israël, y compris depuis le 1er janvier dernier, cela en raison d’une configuration particulière. Les Israéliens, en contrepartie du soutien du Maroc, ont reconnu la marocanité du Sahara occidental, ce qui pour la diplomatie marocaine constituait une victoire considérable. C’est principalement pour cette raison que le Maroc a accepté de continuer à coopérer étroitement avec Israël depuis le début de l’année. Cependant, eu égard à plusieurs manifestations de protestation en soutien aux Palestiniens au Maroc même, le roi et l’exécutif marocain vont probablement être obligés de tenir compte de ce nouveau paramètre et relativiser leur active coopération avec l’État hébreu.

Les autres États arabes qui avaient signé les accords d’Abraham et qui considéraient que la question palestinienne se serait réglée de facto se sont trompés et sont obligés d’en tenir compte, car l’actualité a ramené la question palestinienne au centre de la situation régionale. Ces accords d’Abraham ne peuvent aujourd’hui être considérés comme caducs, dans le sens où ils n’ont pas été dénoncés juridiquement parlant, mais sont en partie politiquement dévitalisés.

Pour Israël, il s’avérait important d’approfondir le processus et de contracter des accords de normalisation avec l’Arabie saoudite, s’agissant du pays arabe le plus important de la région du fait de sa taille, de sa population, de sa richesse et de la présence des lieux les plus sacrés de l’islam. Le processus de négociation était compliqué, car Mohamed ben Salmane exigeait des contreparties, même s’il avait déclaré, à la fin du mois de septembre, que le processus avançait substantiellement. Néanmoins, immédiatement après les premières réactions de l’État d’Israël et le début des bombardements massifs contre Gaza, l’Arabie saoudite a pris la décision de geler immédiatement le processus de discussion et de normalisation. Cela signifie que la configuration régionale de la relation des États arabes avec Tel-Aviv s’est modifiée. Processus déjà perceptible depuis le début de l’année avec la mise en place du gouvernement d’extrême droite à Tel-Aviv et qui s’est accéléré et cristallisé depuis le 7 octobre.

Alors que l’Égypte a décidé de ne pas ouvrir ses frontières, quel rôle le pays tient-il dans ce conflit, notamment du fait de la situation sécuritaire complexe au Sinaï ? Alors que le Qatar et l’Égypte sont aujourd’hui perçus, chacun à leur manière, comme des acteurs clés dans le conflit Hamas-Israël, et face à un camp occidental en perte de crédibilité dans la région, dans quelle mesure peut-on envisager une médiation du conflit de la part des pays arabes ?

Si on parle toujours de blocus israélien à l’encontre de la bande de Gaza, il s’agit en réalité d’un blocus israélo-égyptien puisque la frontière sud de Gaza est sous le contrôle hermétique des autorités égyptiennes. Il y a plusieurs raisons à ce maintien du blocus par ces dernières depuis les attaques du 7 octobre sur le territoire israélien, indépendamment du niveau d’alerte humanitaire qui touche la population gazaouie. Avec environ 2,3 millions de personnes à Gaza, aucun État au monde n’accepterait sereinement la perspective du passage de plusieurs centaines de milliers de réfugiés à la frontière, car celui-ci entraînerait un problème de logistique considérable dans un pays qui connait une situation économique préoccupante. Par ailleurs, la sortie par le sud de la bande de Gaza débouche sur la péninsule du Sinaï. Or, si dans le reste de l’Égypte la situation sécuritaire est désormais à peu près assurée, le Sinaï est une région non sécurisée et gangrénée par des reliquats de groupes djihadistes et des mafias qui s’adonnent à des trafics de marchandises et d’êtres humains. Les autorités égyptiennes craignent donc qu’un afflux de Palestiniens dans le Sinaï n’aggrave davantage les déséquilibres de cette région. De plus, les responsables du Caire raisonnent sur le long terme, ayant conscience des points de fixation que constitueraient les camps de réfugiés palestiniens installés sur le sol égyptien. Ils tirent les enseignements de l’expérience des transferts massifs de populations palestiniennes au Liban, en Syrie, ou en Jordanie et de la constitution de camps de réfugiés. L’Égypte ne tient donc pas à ce qu’un processus similaire se reproduise dans leur pays en cas d’exode massif des Palestiniens de Gaza. Enfin, les autorités égyptiennes voudraient des garanties d’aides effectives de l’Organisation des nations unies (ONU), de ladite communauté internationale et des puissances occidentales, garanties qu’ils n’ont pas obtenues à ce jour. Plusieurs éléments se conjuguent et permettent ainsi de comprendre la position ferme de l’Égypte, que l’on peut certes critiquer, mais qui s’explique par une série de raisons politiques.

Le Qatar est un État central dans une hypothétique médiation, visant à un cessez-le-feu et un hypothétique début de négociation politique. Cela, car il possède une véritable expérience en termes de médiation, notamment par exemple entre les talibans afghans et les États-Unis. Il entretient par ailleurs des relations étroites avec Gaza. Une partie de la direction du Hamas est en effet basée à Doha et le Qatar verse environ 30 millions de dollars par mois à la bande de Gaza. Doha maintient également des contacts avec les autorités israéliennes, sans que le Qatar n’ait jamais été partie aux accords d’Abraham. Cependant, malgré ces atouts, le pays n’a pas à lui seul la possibilité d’avancer un réel processus de négociation, bien qu’il y prendra certainement part. La question des partenariats est donc primordiale.

Une médiation du conflit de la part des États arabes pris dans leur globalité n’est pas envisageable dans la mesure où leurs intérêts nationaux divergent et même s’ils doivent tenir compte de leurs opinions publiques comme nous l’avons évoqué précédemment. La Ligue des États arabes se fait par ailleurs remarquer par son assourdissant silence.

Enfin, phénomène préoccupant, l’ONU se trouve en situation d’apesanteur politique. Cela signifie en d’autres termes que ce qui devrait constituer la première instance de régulation internationale n’est pas actuellement en situation de peser sur le conflit actuel de façon efficiente.

La leader taïwanaise face à la menace chinoise. Entretien avec Arnaud Vaulerin

La leader taïwanaise face à la menace chinoise

Entretien avec Arnaud Vaulerin – Revue Conflits – publié le 27 octobre 2023

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« La présidence au féminin » fait son effet à Taïwan, cette petite île montagneuse menacée par le géant chinois. Dans son ouvrage Taïwan, la présidente et la guerre, Arnaud Vaulerin nous brosse le portrait d’une femme crainte par les élites asiatiques, alors que les prochaines élections présidentielles se profilent.

Arnaud Vaulerin est journaliste à Libération, spécialiste de l’Asie, correspondant au Japon pendant 5 ans. Il signe ici son troisième livre.

Propos recueillis par Pétronille de Lestrade.

Arnaud Vaulerin, Taïwan, la présidente et la guerre, Novice, 2023, 18,90€

Vous commencez votre ouvrage par l’évocation du 24 février 2022, début de l’invasion de l’Ukraine par les forces russes de Vladimir Poutine. Pourquoi ce choix ?

Dès les premières heures de cette invasion russe en Ukraine, j’ai pensé à Taïwan. Le parallèle s’imposait comme une évidence. Bien sûr, les deux situations sont à première vue peu similaires. À la différence de l’Ukraine, Taïwan est une île, séparée du continent par un détroit aux eaux et courants tumultueux où transitent la moitié des porte-containers de la planète. Taïwan est difficile d’accès, avec des montagnes de plus de 3 000 mètres. Il fait face à la menace de la Chine depuis 1949, sans frontière immédiate et terrestre avec des pays pouvant lui venir en aide en cas d’attaque. Mais l’archipel taiwanais, comme l’Ukraine, partage une histoire commune avec un très puissant voisin, hégémonique et autoritaire. Surtout, comme Kiev, Taipei fait face à un empire doté d’une armée et des moyens pléthoriques – première marine en nombre de vaisseaux et sur le papier, réorganisée et très puissante. Pékin, depuis 1949, (comme Moscou depuis 2014 en Ukraine), n’a jamais caché son projet d’envahir et de faire main basse sur l’île. Taïwan, comme l’Ukraine, sont deux réelles démocraties, sous la pression de deux puissances illibérales et répressives – sinon des dictatures – qui veulent s’affranchir de l’ordre international pour s’imposer par un rapport de force. Pour les deux pays, c’est une question de survie et pour le camp des démocraties, c’est une question de crédibilité que de les soutenir.

Enfin, cette comparaison avec l’Ukraine m’est venue lors de discussions avec des amis, des collègues à Taïwan. Au soir du 24 février 2022, quand les troupes de Poutine progressaient, alors, rapidement vers la capitale, ils étaient nombreux à s’inquiéter, à échafauder des scénarios sombres et catastrophistes. Certains se sont dit : aujourd’hui l’Ukraine, demain Taïwan. Comme si la chute de Taïwan était inéluctable. La suite a montré que rien n’était écrit d’avance. Taïwan a beaucoup appris de ce qui se passait en Ukraine pour se mobiliser, se préparer à un éventuel conflit.

«  Pour la première fois, la présidence au féminin » : quels sont les changements provoqués par cette nouveauté ? En quoi la présidence de Tsai Ing-wen est-elle atypique ?

L’arrivée de Tsai Ing-wen à la présidence en 2016 est une surprise à Taïwan, dans le monde chinois et même en Asie. D’abord, parce que c’est une femme qui prend la présidence dans un milieu politique où les hommes sont surreprésentés, véhéments, charismatiques, parfois à poigne, souvent tribuns. Tsai est l’exact opposée de ce genre de président. Elle est discrète, voire timide, assez peu charismatique, avec un look neutre sinon terne. Tsai s’exprime en mandarin, quand les cadres de son parti, ses prédécesseurs s’expriment en taiwanais pour valoriser l’identité, la « taiwanité » d’une certaine manière. Elle a valorisé l’anglais, poussé ses conseillers, les députés à aller à l’étranger, ouvrir Taïwan, afin que l’île s’ouvre, sorte du tête-à-tête mortifère avec les autorités de la Chine continentale. En ce sens, il y a une rupture avec ses prédécesseurs et pas seulement à cause d’un changement de genre à la présidence.

Il y a aussi chez elle le refus de parler fort, de faire des promesses à tout-va, de flatter les électeurs. Enfin, c’est une bureaucrate qui arrive à la présidence en 2016. Elle n’a jamais été élue au préalable, n’a jamais exercé de mandat. Jusqu’en 2016, c’était une experte, une consultante, brillamment diplômée en économie et en droit, étiquetée parfois par certains de ses plus proches collaborateurs comme une responsable ennuyeuse, accro au travail, aux notes de lectures, aux discussions entre experts. Elle l’a dit publiquement : jamais elle n’avait envisagé devenir présidente. Ce qui en fait, enfin, une atypique en politique est son parcours personnel. Elle n’est pas l’héritière d’une circonscription, n’est pas la femme, la fille, la veuve d’un leader politique. Elle s’est faite seule en étudiant, en travaillant, grâce aussi à la chance qui lui a souri à des moments clés.

Officiellement célibataire, sans enfant, elle ne s’affiche pas en couple, verrouille le côté intime en contrôlant très bien sa communication sur cet aspect. La « petite Ing », comme elle est surnommée, n’est pas glamour, n’a guère d’égo. Tout cela tranche avec ses prédécesseurs et avec l’image que l’on peut avoir d’une présidente ou d’une cheffe de gouvernement comme on le voit en Estonie, en Italie, et comme on l’a vu en Finlande et en Nouvelle-Zélande ou en Birmanie.

Vous notez que plusieurs de ses contemporains la comparent à Margaret Thatcher, ou bien à Angela Merkel. Qu’en pensez-vous ?

Tsai Ing-wen a elle-même cité l’exemple de Margaret Thatcher. Elle était étudiante à Londres quand la Dame de fer dirigeait le Royaume-Uni. Quand Tsai a été élue à la présidence, son entourage lui a conseillé de plus valoriser le modèle d’Angela Merkel. Et il est vrai que la présidente taiwanaise a beaucoup en commun avec l’ex-chancelière allemande : même minimalisme apparent, même rigueur, mêmes tenues et une coupe de cheveux presque identique. D’une manière peut-être paradoxale, tout cela finit presque par définir un style. Surtout plus fondamentalement, il y a chez les deux dirigeantes le même pragmatisme teinté de sérieux voire d’ennui-, une approche technique de la politique, la même expérience personnelle avec un passé répressif et un système communiste, un positionnement politique pas très éloigné. Tsai Ing-wen a été campée en « conservatrice » par certains militants du parti démocrate progressiste (PDP). Elle a dirigé un parti composé en partie de courants indépendantistes, très à gauche, sans soutenir cette thèse, sans être vraiment une révolutionnaire ni une féministe – alors qu’elle a été victime d’un harcèlement sexiste et misogyne durant de longues années. On pourrait rajouter une certaine longévité politique, plus importante pour Merkel, mais bien réelle pour Tsai qui a enchaîné deux mandats à la présidence.

Pourquoi la présidente de Taïwan constitue-t-elle la « bête noire » de la Chine, faisant de ce pays une menace grandissante pour l’île ?

Tsai Ing-wen a pris la tête d’un parti (le PDP) qui a longtemps compté dans ses rangs des indépendantistes, que la Chine communiste a toujours détestés parce qu’elle suspectait qu’ils allaient revendiquer l’indépendance. Mais le parti, et surtout Tsai, se sont bien gardé de le faire, car ils savent que cela déclencherait immédiatement une attaque de Pékin. Si elle n’a jamais emprunté ce chemin très périlleux ni soutenu cette position, Tsai Ing-wen a en revanche clairement délimité le cadre des discussions avec le régime chinois : elle a toujours refusé de reconnaître le consensus de 1992, un accord oral découlant de discussions entre les deux rives qui, en 1992, étaient arrivées à la conclusion qu’il n’y avait qu’une seule Chine, mais que chaque partie pouvait avoir sa propre interprétation.

Elle refuse également d’endosser la formule « un pays, deux systèmes », établie en 1983 par Deng Xiaoping au sujet de Hong Kong. L’actualité a donné raison à Tsai. Pékin a vidé de sa substance cette doctrine à Hong Kong en écrasant toutes les libertés. Le territoire est en fait devenu un pays, un système. Pour justifier ses choix, la présidente s’est toujours appuyée sur le résultat des élections et la volonté majoritaire des Taiwanais opposés à l’unification chinoise, autant de principes démocratiques et de bon gouvernement qui ulcèrent la Chine communiste autoritaire. Face à la menace grandissante du régime de Xi Jinping, qui a musclé son armée dans des proportions inédites, s’est approprié des îlots et des récifs en mer de Chine, déploie des avions et des bateaux pour harceler Taïwan et ses voisins, Tsai Ing-wen a renforcé son partenariat avec les États-Unis et a ouvert l’archipel vers l’Asie en développant des relations avec le Japon, l’Australie et dans une moindre mesure avec l’Europe.

Tsai a ancré Taïwan dans le camp pro-démocrate. Pour Pékin, c’est un défi lancé à son autorité et à son pouvoir. Taïwan défend le statu quo actuel et appelle au respect de la stabilité dans le détroit de Formose. Mais il est bien seul à privilégier cette option, car Pékin, ces derniers mois, ne cesse de menacer ce statu quo en multipliant les incursions dans la zone d’identification de la défense aérienne (Adiz) de Taïwan et sur mer.

Tsai Ing-wen a déclaré que durant son mandat, la population avait « montré au monde la détermination de Taïwan à se défendre ». Quelles en sont les manifestations et les causes ?

Au cours de leur histoire, depuis 1949, les Taïwanais ont combattu les Chinois, ont appris à se défendre, à se préparer à un conflit avec la Chine continentale. Ils ont vu émerger depuis une décennie la puissance militaire grandissante de l’Armée populaire de libération (APL) qui s’est modernisée, disposent d’un budget colossal (225 milliards de dollars en 2023 contre 19 pour Taïwan) et des ambitions hégémoniques dans toute l’Asie. Il est vrai qu’en arrivant à la présidence, Tsai Ing-wen a lancé des chantiers de modernisation de son armée et de construction de sous-marins, de bateaux de surface qui ont commencé à se concrétiser ces derniers mois, mais c’est surtout avec la guerre en Ukraine que les autorités taïwanaises ont montré leur détermination.

Taïwan a alors pris conscience d’un réel péril et de la nécessité de vite se préparer. L’île a été rattrapée par la guerre. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a été un coup de semonce pour Taipei. Le succès, dans les premiers jours, des forces armées russes a laissé penser que cela pourrait encourager la Chine à passer à l’attaque.

Face à un rapport de force militaire qui leur est largement défavorable, les autorités de Taipei ont commencé à mettre en place – sous pression américaine, le premier fournisseur d’armes de l’île – un nouveau cadre de combat asymétrique, non pas pour affronter directement la puissance de l’adversaire, mais pour exploiter ses faiblesses. Il s’agit d’acquérir en grande quantité des armes mobiles, bon marché et de petites tailles pour mener des actions de guérilla et empêcher toute invasion de l’île par Pékin. L’archipel a gonflé son budget militaire, allongé la durée de son service militaire (porté de 4 mois à un an), tente de développer une défense territoriale et la société civile a entamé un programme de formation aux soins d’urgence, de sécurité et de première résistance. Taïwan est face à une question existentielle, mais la géographie et la situation unique de l’île compliquent toute attaque ou opération de débarquement.

« La guerre n’est pas une option » : que signifie cette phrase prononcée par la présidente de Taïwan, à l’occasion du septième anniversaire du début de son mandat ? À quelques mois des élections présidentielles, c’est son vice-président, William Lai, qui a été choisi comme candidat pour le Parti démocrate progressiste au pouvoir. Si pour Tsai Ing-wen, « la guerre n’est pas une option », lui qu’en pense-t-il ?

C’est d’abord une réponse aux faucons, parfois américains ou chinois, qui prédisent un conflit inéluctable et échafaudent des scénarios de guerre en pariant sur 2027 – centenaire de l’APL- ou 2049 – centenaire de la fondation de la République populaire -. Tout en modernisant son armée et en révisant sa stratégie de défense, Tsai Ing-wen indique également qu’elle refuse de se projeter dans l’hypothèse funeste d’un conflit. La présidente, tout comme la majorité des Taïwanais, sait pertinemment qu’une guerre dans le détroit serait dévastatrice dans des proportions et avec des conséquences – notamment économiques – bien plus importantes que l’invasion de l’Ukraine. Ce serait une calamité en vies et en destructions matérielles pour la Chine et Taiwan, et plus largement pour le monde entier. Les États-Unis se porteraient au secours de Taïwan et, très vraisemblablement, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie entreraient en guerre aux côtés de Washington. Ce serait le scénario d’une nouvelle conflagration mondiale. William Lai, le candidat du PDP à la présidentielle de janvier prochain, a clairement indiqué qu’il s’inscrivait dans les pas de Tsai Ing-wen. Cette élection de 2024 est bien plus qu’une simple compétition électorale. C’est l’occasion de débattre du sort de Taïwan, de sa relation avec la Chine et d’un rapport de force qui menace l’ordre international et appelle à une mobilisation des démocraties.

La quadrature du cercle pour Tsahal

par le Général (2s) Jean-Bernard Pinatel, membre du Conseil d’administration de Geopragma- Geopragma – publié le 24 octobre 2023

https://geopragma.fr/la-quadrature-du-cercle-pour-tsahal/


Pour avoir sous-estimé les capacités d’action du Hamas, les autorités israéliennes sont aujourd’hui devant une situation qui ressemble à la quadrature du cercle. Cette métaphore rappelle la recherche depuis l’Antiquité d’une solution à un problème dont l’insolubilité a été démontrée seulement en 1882 par Ferdinand von Lindemann. Malheureusement pour Tsahal, l’équation à résoudre doit prendre en compte des variables qui ne sont pas indépendantes. Quelles sont-elles ?

Israël doit agir le plus tôt possible s’il veut atteindre son objectif affiché la destruction du Hamas. Car plus il attend, plus l’effet de sidération mondiale devant la barbarie du Hamas va s’estomper et les voix de tous ceux qui soutiennent le Hamas et qui mettent en avant les pertes des civils palestiniens seront audibles et tendront à renvoyer dos à dos Israël et le Hamas en parlant de crimes de guerre des deux côtés, comme l’ont fait honteusement dès le premier jour certains responsables de LFI en France.

Plus le temps passe, plus le Hamas, surpris lui-même par l’ampleur de sa victoire, aura le temps de s’organiser et plus le prix à payer pour les soldats de Tsahal sera grand s’ils veulent épargner les vies des civils dont le Hamas se servira comme boucliers, puisqu’il a interdit à une partie de la population d’évacuer le Nord de la bande de Gaza comme l’ont demandé les Israéliens soucieux d’épargner les populations civiles.

Mais agir rapidement, c’est le faire sans se soucier de la vie des otages dont la recherche de la localisation dans les souterrains qui truffent Gaza demandera du temps aux forces spéciales infiltrées. Par ailleurs, mener une opération terrestre d’occupation de la bande Gaza requiert une planification minutieuse qui doit ensuite être mise en œuvre par des dizaines de milliers de soldats dont beaucoup sont des réservistes

Et, de son côté, le Hamas qui souhaite retarder voire interdire cette opération terrestre se sert de la double nationalité des otages et de leur âge qui va d’un bébé de quelques mois à une personne âgée en fin de vie, dans un goutte-à-goutte savamment dosé pour affaiblir les soutiens internationaux d’Israël et maintenir l’espoir de toutes les familles israéliennes des otages qui commencent à réclamer une solution politique. La libération des deux otages américains est à cet égard exemplaire. 

Si Tsahal se lance dans une opération terrestre d’envergure où des milliers de civils sont tués, cela risque d’enflammer la rue des États arabes et fragiliser les chefs d’Etat qui ont rétabli des relations diplomatiques ou qui se rapprochaient d’Israël et rendre très difficile aux dirigeants du Hezbollah et à l’Iran de se cantonner à une participation qui reste pour l’instant symbolique. Or Israël sait que le Hezbollah est sorti considérablement renforcé (100 000 combattants ?) et aguerri par 10 ans de guerre en Syrie dans le domaine du renseignement, du combat en milieu urbain et des opérations militaires entre leurs forces et le contingent aéroterrestre d’un acteur mondial, la Russie.

Compte tenu de la dépendance de toutes ces variables, croire que l’on a trouvé la solution est se comporter comme tous ceux qui se sont essayé à résoudre la quadrature du cercle. Aussi, c’est avec une humilité totale et la quasi-certitude que ma prévision n’a qu’une chance limitée d’être le choix de Tsahal et des autorités israéliennes que je donne mon avis sur un choix possible.

En effet, compte tenu de toutes les pressions diplomatiques des alliés inconditionnels d’Israël, comme les USA et aussi des pays du Moyen-Orient qui ont établi des relations diplomatiques avec Israël — et en premier lieu l’Egypte —, qui veulent éviter toute action qui élargirait le conflit et, en particulier qui amènerait le Hezbollah à s’engager complètement si la mort de milliers de Palestiniens était avérée  ; de la pression intérieure en Israël pour prioriser la libération des otages et pour limiter les pertes des soldats de Tsahal, je pense que la solution retenue ne peut être qu’une opération terrestre limitée dans des zones où les civils ont été majoritairement évacués dans un but essentiellement de communication intérieure et d’appui aux commandos infiltrés. Et l’effort, à mon avis, sera porté dans une longue guerre de l’ombre qui durera jusqu’à ce que tous les chefs du Hamas et la majorité des islamistes qui ont pénétré en Israël et accompli ces massacres barbares soient éliminés.

Général (2s) Jean-Bernard Pinatel

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?

Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?


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Pourquoi l’augmentation de 150 % du budget de la défense turc est-elle si inquiétante ?


Sommaire

 

Le vice-président turc Cevdet Yilmaz a annoncé, le 17 octobre, que le budget de la défense turc atteindrait 40 Md$ en 2024, soit une hausse de 150 % par rapport à 2023. En l’absence d’explication concernant les raisons de cette hausse sans précédant, ni l’utilisation qui sera faite des crédits supplémentaires, cette annonce suscite de nombreuses inquiétudes tant au sujet des ambitions régionales d’Ankara, que des programmes militaires qui pourraient être prochainement annoncés par le président Erdogan fraichement réélu.

Si le pari de l’argument défense n’aura pas souri au PiS et au président polonais lors des récentes élections législatives, il s’est montré payant pour le président turc R.T Erdogan et l’AKP. La coalition islamo-conservatrice Alliance Populaire, dont il est le principal parti, conserve la majorité au Parlement avec 323 des 600 sièges, et rate de peu la majorité absolue des voix, avec 49,47 % des votes exprimés.

En effet, pour compenser une situation économique désastreuse, avec une Livre turque qui a perdu 80 % de sa valeur ces 5 dernières années, et une inflation dépassant les 50 %, ainsi que la gestion du séisme de mars 2023, le président Erdogan s’est appuyé sur les progrès réalisés par l’industrie de défense turque ces dernières années, et l’objectif de l’autonomie stratégique qui était désormais à portée de main.

Ces mauvais résultats économiques avaient d’ailleurs lourdement handicapé les armées ces trois dernières années. Ainsi, après 15 ans de hausse interrompue ayant amené les dépenses militaires de 10 Md$ en 2003 et l’arrivée de l’AKP au pouvoir, à plus de 20 Md$ en 2021, ce budget n’avait cessé de faire d’immenses variations, pour prendre en compte les effets de l’inflation galopante, pour s’établir à 16 Md$ en 2023.

Il n’y a donc pas surprenant, dans ce contexte, que le budget de la défense turc ait été réévalué à la hausse pour 2024. Mais personne n’avait anticipé une hausse aussi marquée.

Une hausse du budget de la défense turc sans équivalent de 150 % en un an

En effet, à l’occasion d’une conférence de presse donnée par le vide-président Cevdet Yilmaz, celui-ci a annoncé que le budget de la défense turc serait porté, en 2024, à 40 Md$, soit une hausse de 150 % vis-à-vis de celui de 2023.

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Le soutien de R.T Erdogan à l’industrie de défense turque, permit à celle-ci de faire d’immenses progrès en 20 ans, et au pays de se rapprocher de l’autonomie stratégique.

Une telle hausse est sans précédant pour un pays n’étant pas en situation de guerre ces dernières années. Même la Pologne, particulièrement volontaire dans ce domaine, n’envisageait qu’une hausse de 50 % entre 2023 et 2024, afin de financer l’ensemble des programmes de modernisation des armées.

Le vice-président turc a indiqué que le pays atteindra, en 2024, un taux d’acquisition domestique de 85 %, et que les exportations de la BITD turque atteindront 11 Md$ en 2024, en hausse de 83 % par rapport à 2023 et ses 6 Md$ exportés.

En revanche, il n’a nullement donné le détail de la ventilation qui sera faite de cette hausse spectaculaire, qui amènera l’effort de défense du pays au-delà des 4 % de son PIB, ni les raisons ayant amené les autorités turques à arbitrer en faveur d’une telle hausse.

On ne peut, dès lors, qu’émettre des hypothèses à ces sujets, aucune d’entre elles n’étant, par ailleurs, particulièrement rassurante.

Des gages donnés aux armées et à l’industrie de défense turques ?

Les ressources supplémentaires ne pourront, dans les faits, qu’être ventilés vers deux grandes entités : les armées turques, et la BITD nationale. L’AKP et l’Alliance Populaire savent devoir beaucoup au soutien sans faille de cette dernière lors de la campagne. Il est alors plus que probable que les entreprises de défense turques seront les premières bénéficiaires de ces crédits.

Vers une hausse des soldes pour compenser l’inflation ?

Les relations entre les autorités et les armées du pays sont sensiblement plus tendues, même si, ces dernières années, de vastes purges ont permis au président Erdogan de position des militaires proches de l’AKP, aux fonctions clés des armées.

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Une hausse sensible des soldes et traitement des militaires turcs pourrait, pour Erdogan, finir de s’assurer de leur parfait soutien.

Il est donc très probable, en premier lieu, que cette hausse serve à donner des gages aux armées turques, en permettant une modernisation rapide de ses équipements, mais aussi la hausse des soldes et des traitements, afin de s’aligner sur l’inflation du pays.

Toutefois, on notera que le budget étant exprimé en dollar américain, et non en livre turque, une hausse aussi spectaculaires n’était en rien nécessaire pour revaloriser les soldes sur la base de l’inflation, celle-ci étant, en grande partie, répercutée par la déflation de la monnaie nationale face au dollar.

Il est aussi possible que cette hausse permette d’anticiper une augmentation à venir du format des armées, et particulièrement des militaires sous contrat, même si rien n’indique qu’Ankara veuille se diriger dans cette direction.

Un effort accru pour atteindre l’autonomie stratégique ?

L’un des objectifs déclarés de cette hausse, serait de permettre d’accroitre encore davantage le taux d’équipement domestique des armées, qui doit passer de 80 % en 2023, à 85 % en 2024.

Un tel effort est aligné sur la stratégie mise en œuvre par R.T Erdogan depuis qu’il arriva au poste de premier ministre en 2003, en soutenant très activement le développement d’une puissante industrie de défense turque, susceptible d’amener, à terme, le pays vers l’autonomie stratégique.

Le fait est, la BITD turque produit aujourd’hui l’immense majorité des nouveaux équipements acquis par les armées, et le recours à des technologies importées, ne concerne désormais que quelques domaines précis et particulièrement ardus, comme les turboréacteurs des avions, les turbines des hélicoptères et des navires, ou encore les moteurs et transmissions des blindés.

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La Turquie n’est plus qu’à quelques encablures de l’autonomie stratégique concernant les technologies de défense. Mais les dernières compétences sont aussi les plus difficiles à acquérir, comme la conception des moteurs d’avions.

L’industrie turque a toujours également quelques lacunes en termes de métallurgie, d’optique ou de composant électronique de pointe. Les ressources supplémentaires libérées par cette hausse pourraient, dès lors, permettre d’entamer le développement et l’acquisition technologique nécessaire pour atteindre l’autonomie stratégique convoitée.

Rappelons à ce titre qu’aujourd’hui, de nombreux programmes majeurs de la BITD turque, sont handicapés par les sanctions plus ou moins officielles décrétées par les Etats-Unis, mais aussi la France, l’Allemagne, le Canada et la Suède, contre Ankara suite aux interventions des armées turques en Syrie, dans le nord de l’Irak, et en Libye.

Atteindre une réelle autonomie stratégique permettrait à Ankara de mener une politique internationale entièrement autonome, ne pouvant être entravée par les sanctions américaines ou européennes, en particulier dans le domaine des armements.

Des programmes d’acquisitions exceptionnelles planifiées ?

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Le char Altay pourrait enfin débuter sa production en série, avec l’aide de la Corée du sud pour le moteur et la transmission.

Il est aussi très possible qu’Ankara anticipe, par cette hausse massive de crédits, le lancement simultané de plusieurs programmes d’acquisition exceptionnels, planifiés de longue date.


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