Israël dispose d’une armée considérée comme l’une des plus puissantes du monde. Ce pays de moins de 10 millions d’habitants consacre 4,5% de son PIB à son armement.
Tsahal est-elle comme on le dit souvent l’une des plus puissantes armées du monde? Sans nul doute du point de vue technologique, en dépenses consacrées à l’armement ou en effectif militaire mobilisable rapidement. Ce pays de 9,6 millions d’habitants, en guerre depuis sa création en 1948, est le 15e pays consacrant le plus d’argent à ses forces armées, selon le dernier rapport du Sipri, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
En 2022, l’État hébreu a consacré 23 milliards de dollars pour ses dépenses militaires. Ce montant représente 4,5% de son produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que la plupart des pays de l’Union européenne. Le budget d’armement atteint 2500 dollars (2350 euros) par habitant. Par comparaison, si la France consacrait le même montant par habitant, ses dépenses militaires annuelles dépasseraient 150 milliards d’euros contre 49 milliards en 2022.
Des F-35 avec avionique israélienne
En volume, les Etats-Unis sont en tête avec un budget 38 fois plus élevées. La France est au 8e rang mondial. L’État hébreu, qui est aussi une puissance nucléaire, est à la 15e place de ce classement mondial, mais il est dans le top 10 des exportateurs d’armes au monde, selon le Sipri.
Le Dôme de fer (Iron Dome) ou le système anti-missile Arrow sont les plus connus. Mais Tsahal dispose aussi d’un arsenal conventionnel conséquent. Elle dispose d’environ 2200 blindés. C’est 10 fois plus que ce dont dispose l’armée française. À ces chars s’ajoutent 530 pièces d’artillerie.
Les forces aériennes disposent de 339 avions de combat américains, dont près de 200 F-16, des F-15 et une cinquantaine de F-35. En juillet, une nouvelle commande de 25 F-35 a été passée. Israël est le seul pays du Moyen-Orient à posséder des F-35 et à être autorisé à installer son propre système avionique qui a été élaboré par le groupe Elbit Systems.
Enfin, la force navale s’appuie sur six sous-marins (classe Dolphin 1 et 2), 14 navires de guerre et 48 patrouilleurs. La marine compte également des unités de forces spéciales.
Une volonté de souveraineté quasi-totale
Cette puisssance repose sur une industrie parmi les plus performantes et une volonté de souveraineté quasi totale pour la défense de ses intérêts. Toujours selon le Sipri, trois entreprises israéliennes se classent dans les 100 premiers fabricants d’armes de la planète: Elbit Systems, qui est en 28e position, Rafael (35e) et Israel Aerospace Industries (38e). Ces trois entreprises produisent directement -ou via des filliales- aussi bien des chars, comme la Merkava, les boucliers anti-aériens Iron Dome et Arrow, que des drones ou des satellites d’observation.
Israel Military Industries produit aussi ses armes légères. La plus connue est le pistolet-mitrailleur Uzi, mais elle fabrique également des fusils d’assaut de calibre 5,56 Otan (Galil, Tavor, Negev, TAR-21) ainsi que des pistolets semi-automatiques (Jericho 941, Barak ou Desert Eagle).
170.000 militaires et 465.000 réservistes
La particularité de Tsahal repose aussi sur la conscription. Le service militaire dure presque trois ans pour les hommes et deux ans pour les femmes. L’effectif de cette armée est de 170.000 militaires en activité (dont 126.000 pour l’armée de Terre) avec en plus 465.000 réservistes mobilisables à tout moment.
Depuis l’attaque du 7 octobre, Tsahal a rappelé 350.000 soldats réservistes. En seulement trois jours, ils ont rejoint leur unité. Si l’on prend le nombre total de citoyens aptes à intégrer les forces armées, le nombre de soldats représente 2,4 millions d’hommes et de femmes.
Puissance du Hamas et du Hezbollah
Tsahal fait face à des groupes terroristes (Hamas et Hezbollah) évidemment moins puissants, mais très efficacement armés, comme le dévoile un reportage de France Culture paru quelques jours seulement avant l’attaque du 7 octobre. Le Hamas a patiemment constitué un arsenal pendant une décennie. Il est fait d’armes récentes et modernes données par des Etats ou achetées officiellement à différents pays. Elles proviennent de Syrie, de Libye, du Liban, d’Iran, et même de Chine ou de pays de l’Est. Certaines ont été récupérées lors de combat avec les militaires israéliens.
Le groupe terroriste est aussi équipé de « drones, mines, engins explosifs improvisés, missiles guidés antichars, lance-grenades, obus de mortier », assure à l’AFP Lucas Webber. Dans une vidéo publiée sur plusieurs réseaux sociaux, le Hamas montre comment son réseau transforme des canalisations en roquettes. Selon l’IISS (institut international d’études stratégiques), les brigades Al-Qassam du Hamas sont au total constituées de 15.000 à 20.000 agents.
Le mouvement pro-iranien Hezbollah, installé dans le Sud-Liban, est bien plus armé. Cette milice dispose de toutes les armes classiques possibles, de 200.000 missiles (Katioucha, Grad, Shahab) d’une portée allant jusqu’à 1000 km et de presque autant de roquettes. S’y ajoutent des batteries anti-aériennes et une gamme de drones, dont des Shahed-136 utilisés par la Russie en Ukraine et des Mohajer-4, tous deux de facture iranienne.
« La question la plus importante, c’est combien (de missiles) disposent d’un guidage de précision mais cela devrait être significatif », juge Fabian Hinz, un expert de l’IISS.
Le Hezbollah est « plus grand, mieux financé, plus professionnel, mieux équipé et mieux armé que le Hamas », insiste Lucas Webber. En 2021, ce groupe revendiquait 100.000 combattants.
Israël se prépare à « mettre en œuvre un large éventail de plans opérationnels offensifs qui comprennent, entre autres, une attaque intégrée et coordonnée depuis l’air, la mer et la terre », selon un communiqué de ce samedi soir.
Des convois de blindés israéliens ont fait mouvement ce samedi pour se rapprocher de leurs positions d’attaque le long de la frontière avec Gaza (voir une vidéo ici).
Ces convois comprennent des chars Merkava et des blindés de transport de troupes Namer (au fond sur la photo ci-dessus) à la silhouette basse caractéristique. Ces engins appartiennent à l’une des trois brigades blindées d’active du corps blindé mécanisé de l’armée israélienne, l’IDF (Photos qui suivent EPA, ATEF SAFADI).
Outre les Merkava et les Namer, la force blindée comprend aussi des M113 et des bulldozers blindés DR9 (62 tonnes) fabriqués par Caterpillard et équipés de blindage cage (en anglais: slat armor) dont on aperçoit trois exemplaires sur ls photo ci-dessus.
Des Namer (Léopard en français) en attente. Ce blindé de transport de troupes est construit sur un chassis de Merkava Mark IV. A son équipage de 3 hommes s’ajoutent un groupe de combat de 9 soldats. L’IDF en possèderait près de 300.
Outre l’infanterie, des unités du génie sont intégrées à la force d’assaut pour les opérations de déminage (menace d’IED) et de bréchage (spécialement à cause des destructions massives de bâtiments du fait des bombardements israéliens).
Une colonne de Merkava (Photo by Aris MESSINIS /AFP). Ce type de char de bataille est équipé du dispositif Iron Fist (ou Trophy). Il est constitué d’un système de détection radar qui repère les missiles entrants, prédit leur trajectoire et actionne des lanceurs des billes de métal qui font exploser le missile ou la roquette avant l’impact contre le char.
Veillée d’armes pour ce tankiste israélien (photo REUTERS/Ronen Zvulun).
Cette carte est extraite de la publication de l’institut FMES, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, téléchargeable sur le site de l’institut FMES
Orcier/FMES
Par Institut FMES, Pascal ORCIER – publié le 6 octobre 2023.
L’institut FMES propose à travers son « Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient » une lecture claire et synthétique des grands enjeux du bassin méditerranéen et du Moyen-Orient et passe en revue l’ensemble des forces en présence. Cet ouvrage accessible, novateur et original présente en 50 cartes inédites des problématiques complexes et des informations utiles et synthétiques. Il illustre les capacités des forces armées et des scénarios de crises possibles. Disponible en version numérique gratuite à télécharger sur le site de l’institut FMES. Cet Atlas a été publié grâce au soutien de la Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie (DGRIS) du Ministère des Armées. Cartographie par Pascal Orcier, professeur agrégé de géographie, docteur, cartographe, auteur et co-auteur de plusieurs ouvrages.
La plaque nord est contrôlée à la fois par l’Iran et la Russie, chacun prétendant au leadership zonal. La plaque sud est dominée par les États-Unis qui s’appuient sur Israël, l’Égypte (pivot du canal de Suez) et les monarchies de la péninsule Arabique. Le leadership américain, sans être ouvertement remis en cause, est fragilisé. La Chine reste pour l’instant en embuscade, investissant massivement partout où cela lui semble possible.
Dans le cadre de ses synergies géopolitiques, Diploweb.com est heureux de vous faire connaitre cette carte commentée extraite de l’« Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient » publié par l’institut FMES. Carte grand format en pied de page.
SI on prend de la hauteur, le Moyen-Orient est divisé en deux plaques géopolitiques qui sont en friction le long d’une ligne de fracture tectonique zigzagant de Chypre au détroit d’Ormuz en passant par le Levant et le golfe Persique. La plaque nord est contrôlée à la fois par l’Iran et la Russie, chacun prétendant au leadership zonal. Elle englobe l’Iran, l’Irak, la Syrie, le Liban et la Turquie qui l’a rejointe lors du processus d’Astana. Les États-Unis sont encore tolérés en Irak, mais il est probable qu’ils ne puissent plus s’y maintenir longtemps. La plaque sud est dominée par les États-Unis qui s’appuient sur Israël, l’Égypte (pivot du canal de Suez) et les monarchies de la péninsule Arabique. Le leadership américain, sans être ouvertement remis en cause, est fragilisé. L’implication de la Russie s’est renforcée avec l’antagonisme croissant entre Téhéran et Washington et avec les échecs américains en Irak et en Syrie. On peut noter que les tensions régionales présentent un intérêt pour les Américains et les Russes en justifiant leur présence et leur rôle de parrain, de pourvoyeur d’armement et de soutien au Conseil de sécurité de l’ONU. Les deux puissances savent toutefois que cette tension ne doit pas s’accroître au risque de provoquer un embrasement qui s’avèrerait très dommageable pour eux-mêmes comme pour leur influence régionale. La Chine reste pour l’instant en embuscade, investissant massivement partout où cela lui semble possible. Elle sait que ses investissements seront inégalement productifs, mais elle est patiente et sait que le temps joue probablement pour elle. Son intérêt consiste à stabiliser la région pour rentabiliser au maximum ses investissements et poursuivre sa grande stratégie mondiale de domination économico-politique vers l’ouest.
L’Iran, l’Arabie saoudite, la Turquie et Israël se sont imposés comme les quatre acteurs régionaux les plus influents représentant chacun un peuple et une culture différents (perse, arabe, turc et juif) même si l’islam reste un lien fort en termes de représentation. Ces quatre États oscillent entre rivalité extrême et alliance de façade pour favoriser leurs intérêts immédiats. Leurs dirigeants se savent fragiles sur la scène intérieure et pourraient être tentés par l’escalade pour faire diversion et tenter de sauver ainsi leur régime. C’est sans doute là le plus grand danger de la région. Dans ce jeu d’influence, la Turquie semble partagée entre le renforcement de ses liens avec le Qatar et la réconciliation avec les Émirats arabes unis. Dans un contexte économique très dégradé par la crise sanitaire qui va mettre à terre de nombreuses compagnies aériennes, Turkish Airlines s’alliera-t-elle à Qatar Airways ou à Emirates, toutes trois leviers majeurs d’influence pour ces États ambitieux ? Un tel rapprochement éclairerait la suite des recompositions régionales.
A terme, l’intérêt de la Chine consiste sans doute à infléchir la ligne de fracture vers le sud de manière à englober les Émirats arabes unis et Oman, afin de contrôler intégralement le détroit d’Ormuz et sécuriser à son profit la sortie du golfe Persique. Cela impliquerait de s’engager davantage dans la région, de renforcer ses liens avec la Russie et l’Iran pour établir un condominium sur la plaque nord, et de disposer des leviers pour faire reculer les États-Unis. L’Europe reste la grande absente de ce Grand Jeu moyen-oriental, même si la France, le Royaume-Uni et l’Italie y sont actifs à titre individuel. Le dilemme de l’Union européenne est simple : soit elle s’aligne sur un des deux grands protagonistes au risque d’être entraînée dans des tensions qui la dépassent, soit elle tente de mettre sur pied une politique autonome conforme à ses intérêts en jouant de son poids, faible mais décisif, pour surmonter les antagonismes qu’elle générera. La deuxième option est plus difficile, plus ambitieuse, mais la seule à éviter son effacement. Le Moyen-Orient pourrait bien être un révélateur du destin de l’Europe et de la France.
Copyright pour le texte et la carte 2022-institut FMES
Mise en ligne initiale sur le Diploweb.com 19 juin 2022
Titre du document : Carte. La tectonique des plaques au Moyen-Orient Cliquer sur la vignette pour agrandir la carte. Cette carte est extraite de la publication de l’institut FMES, Atlas stratégique de la Méditerranée et du Moyen-Orient, téléchargeable sur le site de l’institut FMES
Document ajouté le 18 juin 2022 Document JPEG ; 530437 ko Taille : 1600 x 1591 px
Le Moyen-Orient pourrait bien être un révélateur du destin de l’Europe et de la France. Pourquoi ? Découvrez l’argumentation autour d’une présentation de la tectonique des plaques dans cette région, via les jeux des grands acteurs.
Le 22 avril, un randonneur tomba sur les restes d’un « objet militaire aérien », portant des inscriptions en cyrillique, dans une forêt située dans la région de Bydgoszcz, à seulement une quinzaine de kilomètres d’un centre d’entraînement de l’Otan. Puis il fut établi que l’engin en question était un missile de croisière russe Kh-55, capable d’emporter une ogive nucléaire.
Évidemment, cette découverte ne manqua de poser quelques questions, la localité de Bydgoszcz étant située à plus de 500 km de l’Ukraine. Puis il apparut que ce Kh-55, probablement utilisé par les Russes pour leurrer la défense aérienne ukrainienne, avait bien été repéré par les moyens de surveillance polonais et américains avant sa chute, survenue… le 16 décembre 2022.
Ayant entrepris de remonter le fil des évènements, le quotidien « Gazeta Wyborcza » avança qu’un hélicoptère avait été vu en train de survoler, à basse altitude, l’endroit où le Kh-55 allait être retrouvé quatre mois plus tard.
Mais, signe de l’embarras suscité par cette affaire, le chef du Commandement forces opérationnelles, le général Tomasz Piotrowski, mit plusieurs jours avant d’évoquer un lien « potentiel » avec les débris trouvés près de Bydgoszcz avec « l’incident » du 16 décembre.
Cela étant, à l’approche des élections législatives polonaises, le gouvernement – qui resta muet jusqu’en mai – ne manqua pas d’être bousculé par l’opposition. Ainsi, le centriste Donald Tusk exigea la démission de Mariusz Blaszczak, le ministre de la Défense, en l’accusant de se « cacher » derrière la hiérarchie militaire pour fuir ses responsabilités. Et sa formation politique alla même jusqu’à qualifier de « propagande » l’affirmation selon laquelle la Pologne disposerait de la « plus puissante armée en Europe » d’ici peu… malgré les innombrables commandes annoncées [et même signées] depuis le début de la guerre en Ukraine.
De son côté, M. Blaszczak s’était effectivement défaussé sur le commandant des forces opérationnelles, en lui reprochant de ne pas l’avoir informé de l’incident du 16 décembre et d’avoir négligé les opérations de recherches de l’engin détecté ce jour-là. Pour autant, il n’exigea pas – officiellement, du moins – sa démission.
Quant au Premier ministre, Mateusz Morawiecki, il assura n’avoir eu vent de cette affaire que fin avril, soit après la découverte des restes du missile… Mais cette version fut contredite par le chef d’état-major des armées, général Rajmund Andrzejczak. Selon ses dires, il aurait prévenu les responsables politiques « au moment des faits ».
Mais, visiblement, l’exécutif polonais tenta de calmer le jeu. Ainsi, le président Andrzej Duda, via le Bureau de la sécurité nationale [BBN] rattaché à la présidence, fit savoir que les informations en sa possession ne « justifiaient pas de décisions personnelles au sein du commandement des forces armées ».
Finalement, six mois plus tard, les deux responsables militaires ont fini par payer les pots cassés. D’après le quotidien « Rzeczpospolita », les généraux Andrzejczak et Piotrowski ont remis leur démission, en raison de leurs désaccords avec leur ministre de tutelle au sujet de l’affaire du missile de Bydgoszcz.
« Je confirme que le général Rajmund Andrzejczak a démissionné lundi de son poste de chef d’état-major », a confirmé une porte-parole de l’état-major polonais. Et d’ajouter que, « comme tout soldat, il a le droit de démissionner sans donner de raison pour expliquer sa décision ». La même réponse a été faite pour le général Piotrowski par le Commandement des forces opérationnelles.
Le BBN n’a pas tardé à réagir. « Hier, les généraux ont décidé de déposer des demandes de rupture de leur relation de service. Leur décision sera acceptée par le Président Andrzej Duda. L’enjeu est de garantir la continuité des opérations. Leurs remplaçants à ces postes de commandement les plus importants des forces polonaises seront rapidement nommés », a-t-il fait savoir.
Évidemment, à quelques jours des élections, ces démissions ont des répercussions politiques. Et M. Tusk a affirmé que dix autres officiers de haut rang souhaiteraient aussi quitter l’armée. Ce qui a été démenti par le BBN et le Commandement général des forces armées.
Il y a presque 50 ans jour pour jour, Israël n’avait pas su anticiper le déclenchement de la guerre du Kippour de 1973, qui avait démarré par une attaque inattendue contre ses frontières par une coalition d’États arabes.
Aujourd’hui, il semble que les services de renseignement du pays aient à nouveau été victimes d’un faux sentiment de sécurité.
La conviction, largement partagée dans la société israélienne, que le Hamas ne chercherait pas à se lancer dans une confrontation militaire à grande échelle avec Tsahal pour se protéger et pour épargner de nouvelles souffrances aux habitants de Gaza a été anéantie par l’assaut surprise déclenché samedi matin, par voie aérienne, terrestre et maritime.
L’attaque a commencé par un tir de barrage de plusieurs milliers de roquettes tirées sur Israël. Sous le couvert de ces roquettes, une opération terrestre de grande envergure, soigneusement coordonnée, est partie de Gaza et a pris pour cibles plus de 20 villes israéliennes et bases militaires adjacentes à la bande de Gaza.
Les pertes israéliennes, estimées actuellement à plus de 600 morts et 2000 blessés, vont certainement augmenter dans les heures et les jours à venir.
Une mobilisation massive des réservistes de l’armée israélienne a été entamée, et des bombardements aériens ont frappé les installations et les postes de commandement du Hamas à Gaza. Plus de 370 victimes palestiniennes ont été signalées jusqu’à présent à Gaza, et 1 700 personnes ont été blessées.
Les calculs du Hamas
Comme dans le cas de la guerre du Kippour, de nombreuses analyses et enquêtes seront menées dans les semaines, les mois et les années à venir sur les échecs en matière de renseignement, d’opérations sécuritaires et de politique qui ont permis au Hamas de prendre ainsi Israël à défaut. L’assaut n’a apparemment pas été détecté par les services israéliens dans un premier temps, puis a pu se dérouler avec succès pendant des heures, les combattants du Hamas se retrouvant face à des forces israéliennes insuffisantes ou non préparées.
Comme en 1973, l’assaut a été lancé durant le sabbat et lors de la fête juive de Souccot. Les objectifs stratégiques du Hamas sont incertains à ce stade. Toutefois, la sévérité certaine des représailles israéliennes contre le mouvement – et, par conséquent, contre la population civile de Gaza – rend probable l’existence de considérations allant au-delà d’une simple vengeance contre les actions israéliennes.
L’enlèvement d’Israéliens en vue de les échanger par la suite contre des militants du Hamas emprisonnés en Israël est depuis longtemps un objectif majeur des opérations militaires du mouvement islamiste.
En 2011, un soldat israélien, Gilad Shalit, qui était détenu à Gaza depuis 2006, avait été échangé contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens. Parmi ces prisonniers se trouvait Yahya Sinwar, l’actuel chef du Hamas à Gaza, qui avait passé 22 ans dans une prison israélienne.
Les rapports faisant état de dizaines d’Israéliens – dont de nombreux civils – capturés par le Hamas lors de l’assaut de ce week-end suggèrent qu’il pourrait s’agir là d’un motif central de l’attaque. Un nombre indéterminé d’otages détenus pendant des heures par des militants du Hamas dans deux villes du sud d’Israël ont été libérés par la suite par les forces spéciales israéliennes.
Un autre objectif du Hamas, plus large, pourrait être de saper les négociations en cours entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur un accord visant à normaliser les relations entre le royaume et Israël.
Un échec de ces pourparlers serait une aubaine pour l’Iran, l’un des principaux soutiens du Hamas, et pour ses alliés. Téhéran a déclaré qu’il soutenait les attaques du Hamas contre Israël, mais on ne sait pas encore si l’Iran ou le Hezbollah (le groupe libanais chiite qui entretient un partenariat croissant avec le Hamas) ouvriront d’autres fronts dans les jours à venir, même si ce dernier a déjà tiré des obus contre le territoire israélien le 8 octobre.
Toute escalade du conflit en provenance de l’Iran ou du Liban serait très problématique pour Israël. Il en irait de même si la guerre contre le Hamas venait à exacerber les tensions déjà très sensibles et les affrontements violents entre Israël et les groupes militants palestiniens en Cisjordanie.
Et maintenant ?
Baptisée « Glaives de fer », l’offensive de représailles d’Israël contre le Hamas à Gaza risque de durer longtemps.
Outre la nécessité de restaurer la confiance de la société israélienne dans son armée et de ressusciter la dissuasion militaire d’Israël face au Hamas et à d’autres ennemis, le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou devra probablement faire face à d’autres défis qu’il lui sera compliqué de relever : le sort des dizaines d’otages israéliens ; les risques que courront les forces israéliennes en cas d’incursion terrestre, à Gaza ; et les menaces d’escalade sur d’autres fronts, notamment au Liban, en Cisjordanie et dans les villes mixtes juives et palestiniennes à l’intérieur d’Israël.
En outre, le soutien international pourrait rapidement s’éroder en cas d’opération majeure à Gaza, à mesure que le nombre de victimes palestiniennes, déjà élevé, s’accroîtra.
Les violences actuelles viennent à peine de commencer, mais elles pourraient devenir les plus sanglantes depuis des décennies, peut-être même depuis la guerre entre Israël et les Palestiniens au Liban dans les années 1980.
Comme nous l’avons indiqué, les Israéliens considéreront sans aucun doute qu’il est essentiel de restaurer leur pleine capacité de dissuasion militaire face au Hamas – ce qui, aux yeux de beaucoup, pourrait nécessiter une prise de contrôle militaire de la bande de Gaza. Cela aurait des conséquences encore plus dévastatrices pour la population civile de Gaza.
Aux yeux de nombreux Palestiniens, les événements de ce week-end ont offert aux Israéliens un petit aperçu de ce qu’a été leur propre vie pendant des décennies d’occupation. Toutefois, les premières célébrations se transformeront probablement bientôt en colère et en frustration, car le nombre de victimes civiles palestiniennes continuera d’augmenter. La violence engendre la violence.
À court et à moyen terme, le traumatisme causé par l’attaque surprise du Hamas ne manquera pas d’avoir des conséquences considérables sur la politique intérieure d’Israël.
Dans ses mémoires de 2022, Bibi : Mon Histoire, Benyamin Nétanyahou a évoqué sa décision, lors de l’opération israélienne « Pilier de défense » menée contre le Hamas en 2012, de ne pas lancer un assaut terrestre israélien à Gaza.
Une telle attaque, explique-t-il dans le livre, aurait pu causer plusieurs centaines de victimes parmi les forces de défense israéliennes et plusieurs milliers de victimes parmi les Palestiniens, ce à quoi il s’opposait catégoriquement. Il a autorisé des incursions terrestres à deux autres occasions (opérations « Plomb durci » en 2008 et « Bordure protectrice » en 2014). Mais la prudence l’a emporté dans d’autres cas, parfois du fait des fortes pressions dont il a pu faire l’objet.
Michel Goya est un militaire et historien français. Colonel à la retraite des troupes de marine, consultant LCI sur la guerre Ukraine. Il analyse au jour le jour le conflit en Ukraine. Spécialisé dans l’innovation militaire qu’il a enseigné à Sciences Po et à l’École Pratique des Hautes Études, il est très visible dans les médias. Auteur de nombreux ouvrages dont « Sous le feu – la mort comme hypothèse de travail » et « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France », publiés chez Tallandier en 2014 et 2022. Son nouvel ouvrage, « L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine » publié chez Perrin en 2023 a été un travail de longue haleine réalisé avec Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres & Histoire et du Mook De la guerre. Gabrielle Gros est étudiante en Master d’Histoire Relations Internationales Sécurité Défense à l’Institut Catholique de Lille.
Sur la guerre en Ukraine, quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ? Quels outils pour minimiser les erreurs stratégiques et leurs impacts ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle changé l’Union européenne ? Quelle possible nouvelle tournure du conflit à l’approche des élections américaines ? Voici quelques-unes des questions posées par G. Gros à M. Goya à l’occasion de la publication de son nouvel ouvrage co-signé avec J. Lopez « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) pour le Diploweb.com.
Gabrielle Gros (G. G. ) : Sur la guerre en Ukraine, selon vous quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ?
Michel Goya (M. G. ) : La première idée fausse est que la guerre de positions est un retour aux méthodes de la Première Guerre mondiale. Je fais moi-même souvent cette comparaison parce qu’elle parle justement au public, mais elle est fausse. Il y a guerre de positions dès que la guerre de mouvement ne permet pas d’obtenir de décision stratégique et que les deux adversaires ont encore des moyens de continuer le combat. Le meilleur moyen de faire face à la puissance de feu des armes à tir direct modernes consister à se protéger, dans le milieu urbain mais aussi dans les fortifications de campagne. Cela a été le cas sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1941, mais aussi pendant la guerre de Corée (1950-1953) ou encore la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980.
La deuxième idée fausse est qu’il s’agit d’une guerre de nouveau type à cause de l’omniprésence des drones ou du numérique. En fait, l’art de la guerre industrielle après une révolution de 1850 à 1950 n’a guère évolué dans sa forme, malgré l’apparition de moyens techniques nouveaux. Les structures et les méthodes n’ont guère changées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le général Patton, le célèbre commandant de la 3e armée américaine en Europe en 1945, était ramené du passé pour commander les forces ukrainiennes, il s’adapterait très vite à la situation, beaucoup plus en tout cas que si on le ramenait 78 ans en arrière, en 1867. L’immense majorité des équipements majeurs qui sont utilisés en Ukraine ont été conçus entre 1960 et 1990. Cette guerre n’est donc pas une révolution militaire.
La troisième idée fausse est que l’armée russe est la mieux équipée du monde ou du moins du conflit. Classée parmi les plus grandes puissances militaires mondiales notamment en raison de son budget, de ses effectifs et de son arsenal nucléaire, l’armée russe s’est en réalité révélée mal préparée au cours de cette guerre. Une grande partie de son équipement hérité de l’âge d’or militaire soviétique est obsolète et une faiblesse structurelle de l’armée en partie liée à la qualité de son encadrement pose problème. Sur le papier, la Russie dispose d’une supériorité en nombre dans les espaces vides – mer, air, espace et cyber – comme solides mais, concrètement, la qualité tactique des pièces d’artilleries ukrainiennes par exemple lui donne l’avantage sur l’artillerie russe bien que cette dernière possède davantage de pièces. De plus l’aide militaire, notamment américaine, est venue renforcer le niveau de compétitivité de l’armée ukrainienne et de facto baisser celui de la Russie.
G.G. : Le but de ce nouvel ouvrage, « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) que vous avez développé avec Jean Lopez est de « mettre de l’ordre dans la masse d’information relative aux combats », plus globalement face à la multiplication des sources ouvertes. Quels outils aujourd’hui, demain, pour éviter ou du moins minimiser l’impact des erreurs stratégiques et de renseignement ?
M.G. : Il faut du travail et de la rigueur dans l’application de méthodes assez proches dans le domaine du renseignement comme celui de la recherche. Les sources ouvertes permettent de disposer d’une masse considérable d’informations, qu’il est déjà en soi difficile de collecter en particulier dans un contexte de guerre. Il faut ensuite évaluer, très classiquement, la valeur de la source, souvent en fonction de la valeur des renseignements précédents, et de la vraisemblance des informations, si possible en recoupant avec d’autres sources. C’est là qu’intervient vraiment l’expertise militaire, en permettant de mieux et plus rapidement distinguer l’utile et le vraisemblable de ce qui ne l’est pas, voire relève de la pure propagande. On a, je crois, suffisamment d’informations pour avoir une image un peu juste des opérations militaires. Il faut également garder à l’esprit les biais de réflexion de ceux dont on parle, leurs ambitions stratégiques, ce qu’ils sont prêts à sacrifier, etc. Quant aux prévisions, elles sont évidemment extrêmement difficiles puisqu’on se trouve dans un domaine dialectique et donc très complexe. Ce qui fait l’expert par rapport au néophyte et plus encore par rapport au militant, c’est d’avoir une majorité de prévisions justes. Dans le cas de l’Ukraine il est par exemple difficile d’évaluer les pertes car il s’agit d’une information stratégique pour l’adversaire que les armées et les gouvernements évitent donc de dévoiler voire tentent de calomnier.
G.G. : Au vu de votre expérience dans ce domaine, quel est votre message essentiel sur l’innovation militaire concernant ce conflit ?
M.G. : Nous ne sommes plus dans la Seconde Guerre mondiale, où on pouvait concevoir un équipement majeur – un nouveau char ou un nouvel avion de chasse par exemple – en un ou deux ans. Désormais les matériels majeurs sont les mêmes d’un bout à l’autre d’un conflit même de plusieurs années et l’évolution technique s’effectue plutôt par des petits objets à conception rapide, logiciels et machines volantes pour l’essentiel, et des adaptations des gros.
Dans ce cadre-là les Ukrainiens bénéficient d’une plus grande intégration de la société dans leur armée que les Russes, notamment par l’arrivée sous les armes de civils mobilisés disposant de compétences techniques et d’un autre regard sur les choses que les militaires de carrière, surtout ceux formés à l’école soviétique. Ils sont une grande source d’innovations techniques mais aussi de méthodes ou de structures. L’évolution qualitative de l’artillerie ukrainienne, avec des pièces d’artillerie très diverses et toutes plus ou moins anciennes mais beaucoup plus rapides, précises et efficaces dans les gestions des feux qu’au début de la guerre est le parfait exemple de cette capacité d’innovation par le bas associée à l’effet d’apprentissage. C’est une progression rendue également possible par un taux de pertes faible par rapport à d’autres armes, comme l’infanterie qui a beaucoup plus de mal à évoluer.
Reste ensuite à diffuser les idées nouvelles horizontalement par les réseaux d’amis ou le voisinage opérationnel, ce qui n’était pas forcément le cas dans les armées de style soviétique, et verticalement par le biais de structures dédiées à charge de standardiser les meilleures pratiques. Dans tous ces champs, les Ukrainiens sont supérieurs aux Russes, qui innovent et progressent, mais plus lentement.
La guerre a fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier.
G.G. : Vous parlez notamment de l’instrumentalisation de l’ordre international qui a lieu – dans les deux camps – mais aussi de l’évolution concrète qu’a eu cette guerre sur les collaborations politico-militaires, d’après vous comment cette guerre russe en Ukraine a-t-elle changée l’Union européenne ?
M.G. : La guerre en Ukraine a évidemment fait évoluer l’Union européenne dans un champ militaire où elle traditionnellement mal à l’aise. Personne n’aurait jamais imaginé avant-guerre que l’on verrait l’UE, en tant qu’organisation, fournir des armes à un pays en guerre. Mais la guerre a surtout fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier. Ce choc psychologique à l’échelon politique en décalage avec les prises de conscience beaucoup plus anciennes des militaires, et ce réflexe sécuritaire bénéficie cependant beaucoup plus à l’Alliance atlantique qu’à l’Union européenne, dont pourtant l’article 42.7 [1] du traité de Lisbonne est plus contraignant pour les membres de l’UE en cas de conflit que le fameux article 5 de l’OTAN. En cas de problème majeur, on fait plus confiance à l’OTAN et donc aux États-Unis qu’à l’UE. Il est vrai que si les États européens avaient fait le même effort de défense que les États-Unis, on n’aurait aucunement besoin de faire appel à ces derniers. Bref, cette guerre est surtout l’occasion de montrer combien l’Union européenne est nue, et volontairement nue, en matière de défense. Nonobstant le front d’opposition à la Russie se révèle davantage occidental que mondial et l’Union européenne par ruissellement apparaît plus soudée, du moins idéologiquement.
G.G. : La guerre n’avait pas disparu pour les Européens, pour autant elle n’était plus visible. Quelles réflexions voyez-vous ou espérez-vous voir émerger dans le débat stratégique à court et à long terme alors que la guerre redevient visible en Europe géographique ?
M.G. : J’ai effectivement le souvenir des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, dans lesquelles j’ai été, comme beaucoup de militaires, plongé à plusieurs reprises. Et la France a mené également de nombreuses guerres contre des États et des organisations armées depuis soixante ans, mais à très petite échelle. Là, on se trouve devant un conflit interétatique à grande échelle et qui relève quasiment de la guerre totale, du moins pour l’Ukraine qui lutte pour sa survie en tant qu’État indépendant.
Ce n’était pas totalement impossible de le prévoir. Les forces armées françaises se sont préoccupées de leur capacité de mener des opérations dites de haute intensité, c’est-à-dire à la fois très importantes en volume et en violence, dès 2014 et le spectacle des combats dans le Donbass, avec en particulier les interventions russes d’août 2014 et février 2015. Mais, outre que l’on continuait à réduire les crédits de Défense malgré le spectacle de la guerre en Ukraine, on se concentrait surtout sur la guerre contre les organisations djihadistes [2]. Comme souvent, c’est bien plus la vision des choses que toutes les réflexions qu’il y a pu avoir précédemment qui font avancer d’un coup. Dans l’immédiat, le spectacle de la guerre en Ukraine est surtout un révélateur des faiblesses et lacunes que nous avons accumulées avec le temps. Nous avons par exemple tellement réduit nos forces terrestres que l’armée de Terre française de 1990 se débrouillerait mieux que celle de 2023 en cas de conflit majeur. En fait, deux visions s’opposent : celle qui demande à ce qu’on se prépare vraiment à un conflit de haute intensité en Europe géographique, soit comme acteur, soit comme soutien, à la manière de ce que l’on faisait pendant la Guerre froide et celle qui considère qu’un tel scénario est très improbable et que nos intérêts à défendre militairement sont hors d’Europe.
Tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.
G.G. : L’Occident a beaucoup investi dans la formation du personnel militaire ukrainien ainsi que dans l’organisation de son armée, en lien avec la métaphore de l’ours et du renard qui inspire le titre de votre livre, quelles conséquences si l’Ukraine continue de renforcer son poids stratégique ?
M.G. : L’armée ukrainienne est désormais l’armée européenne la plus puissante et la plus expérimentée. Il y a bien plus de soldats ayant connu le feu dans cette armée que dans tous les pays de l’Union européenne réunis. Je suis donc toujours étonné de voir par exemple, des unités ukrainiennes formées par des instructeurs allemands, dont la première consigne en opération extérieure est d’éviter à tout prix le combat. J’ai l’impression qu’en fait il devrait s’agir de formation mutuelle, les armées occidentales faisant profiter de leurs infrastructures de formation à l’abri des combats et de leurs savoir-faire maîtrisés, par exemple dans les techniques d’état-major, mais en coopération avec des cadres ukrainiens venant du front apportant leur expérience aux recrues comme aux Occidentaux. Pour le dire autrement tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.
A un niveau stratégique, et avec l’effort de défense réalisé par certains pays comme la Pologne, il est clair que le centre de gravité militaire européen est en train de basculer de l’Europe atlantique à l’Europe de l’Est. Il reste à savoir pour la France si on veut se connecter à cet effort est-européen, comme par exemple l’Allemagne envisageant de déployer 4 000 soldats en Lituanie ou si on préfère d’autres horizons.
G.G. : Votre constat est que la Russie mise sur la lassitude d’un Occident largement soutenu par les États-Unis. Alors que la guerre dure et que les élections américaines se rapprochent, est-il plausible que le conflit prenne une tout autre tournure ?
M.G. : Un dessin très connu du caricaturiste Jean-Louis Forain montre un poilu de la Grande Guerre se demandant si l’« arrière » allait tenir sous la pression de la guerre. Il est intéressant d’ailleurs de noter que ce dessin date de janvier 1915, c’est-à-dire encore au tout début de l’épreuve.
Pour vaincre, il faut faire craquer l’armée ennemie et si cela s’avère difficile, on attaque aussi son arrière, sa société et son État, en espérant que l’effondrement viendra d’abord de ce côté-là. Cette pression arrière s’exerce des deux côtés dans cette guerre russo-ukrainienne avec cette particularité que l’arrière ukrainien est double : il y a certes la société ukrainienne, dont on ne voit pas bien pour l’instant ce qui pourrait la faire craquer, mais il y a aussi les pays occidentaux dont l’aide est essentielle à l’Ukraine. Que cette aide, et singulièrement celle des États-Unis, se tarisse et tout l’effort de guerre ukrainien se trouvera très compromis, comme lors des précédents du Sud-Vietnam en 1975 et même de l’Afghanistan en 2021. Pour les Russes l’opinion publique occidentale est donc un centre de gravité clausewitzien qu’il faut « travailler » par toutes les formes possibles d’influence, de la menace d’un hiver rigoureux jusqu’au messages pacifistes. Mais pour l’instant, et c’est peut-être une surprise pour Moscou, le soutien des opinions publiques résiste bien. Tous les esprits se tournent évidemment vers la prochaine élection présidentielle américaine (novembre 2024), avec en particulier l’hypothèse que Donald Trump revienne à la Maison-Blanche. On craint que Trump mette fin à l’aide américaine à l’Ukraine, mais en fait on n’en sait rien. On a pour l’instant le choix entre l’aide américaine assurée pour plusieurs années et une aide sûre jusqu’à une bonne partie de 2025 avec l’inertie institutionnelle américaine et une grande incertitude ensuite. Mais il n’est pas certain que l’arrière russe, très différent, soit beaucoup plus solide. Il est simplement plus opaque.
G.G. : Il est bien sûr impossible de prévoir l’issue du conflit. Néanmoins d’ici six mois quels sont les points d’attention à suivre ?
M.G. : Il faut voir comment les deux camps s’organisent pour une guerre de plusieurs années. On se trouve peut-être dans un moment « 1917 » ou en situation de crise schumpetérienne, si on préfère une métaphore économique. Les moyens engagés ne permettent plus d’obtenir d’effets stratégiques importants, il faut donc en avoir beaucoup plus pour espérer gagner la guerre mais surtout innover. Il y a deux batailles à mener, celle de l’industrie afin de disposer de beaucoup plus de puissance de feu, le seul moyen de casser des lignes fortifiées, et celle des méthodes de combat, le tout dans un contexte économique difficile, surtout pour les Ukrainiens, et un contexte politique tendu. En résumé, on assistera peut-être à une accalmie des opérations de conquête terrestre, assez stériles de part et d’autre, mais aussi à une augmentation en proportion des opérations de raids et de frappes qui permettent de donner des coups et d’offrir de petites victoires lorsqu’elles réussissent. Pendant ce temps on travaillera beaucoup en arrière, pour pouvoir relancer des opérations offensives plus efficaces au printemps 2024. Ce sont les seules qui peuvent être décisives, et elles le seront peut-être à ce moment-là.
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Michel Goya et Jean Lopez, « L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine », Perrin, 2023.
Depuis février 2022, chacun d’entre nous est bombardé d’informations sur la guerre en Ukraine. Des informations hachées, parcellaires, souvent contradictoires, dans lesquelles on ne sait comment démêler le vrai du faux. Depuis son début, Michel Goya et Jean Lopez se concentrent sur ce conflit, le premier en tant que chroniqueur militaire pour une chaîne d’information continue, le second comme spécialiste de l’histoire militaire russe et soviétique. Tous deux ont décidé d’entamer un dialogue de plusieurs mois, en échangeant informations et analyses. L’ours et le renard est le résultat de ce long et passionnant échange au jour le jour. Précédés d’une indispensable introduction sur l’histoire longue de la relation russo-ukrainienne, cinq chapitres nous font pénétrer au cœur des combats, relevant les surprises (et elles n’ont pas manqué !), les forces les faiblesses, les bévues, les révélations et les nouveautés apportées par ce conflit qui a déjà fait plus de 350 000 victimes et mis le monde, et singulièrement l’Europe, sens dessus dessous. C’est littéralement les clés d’une Histoire qui se fait sous nos yeux que livrent Michel Goya et Jean Lopez, forts de leurs expériences complémentaires. Cet ouvrage est indispensable non seulement aux amateurs d’histoire militaire mais à tout citoyen désireux de comprendre l’énorme embrasement qui se produit à l’est et dont chacun craint que des flammèches viennent jusqu’à nous.
LE POINT SUR LA SITUATION – Des milliers de roquettes ont été tirées sur Israël, tandis que des dizaines d’otages israéliens auraient été amenés dans la bande de Gaza.
Correspondant à Jérusalem
Samedi matin, Israël s’est réveillé en état de sidération, au son des sirènes et des détonations du Dôme de Fer. Le Hamas venait de déclencher une vaste opération sur son sol, impliquant des troupes appuyées par les tirs de milliers de roquettes. Le dernier bilan fait état d’au moins 250 morts et plus de 1000 blessés du côté des Israéliens, et de 232 morts côté palestinien.
Dans la soirée, la situation restait confuse. Dans un briefing à la presse internationale, le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne, a confirmé que «des centaines» d’infiltrés se trouvaient encore en territoire israélien à la nuit tombée, et que des combats étaient toujours en cours en «22 endroits». Selon lui, ces combats ont notamment lieu dans les camps militaires de Zekim et de Rahim, à proximité du passage d’Erez, ainsi que dans plusieurs Kiboutz et des villes israéliennes proches de la bande de Gaza : Kfar Aza, Beri, Nahal Oz, Magen et Sderot.
Déclenchement de l’opération «Epée de feu»
À 10h34, heure locale, l’armée israélienne a annoncé le déclenchement de l’opération «Épée de feu», précisant que «des dizaines d’avions de chasse étaient en train de frapper plusieurs cibles de l’organisation terroriste du Hamas dans la bande de Gaza.» Les frappes se poursuivaient dans la soirée, notamment sur des cibles de haute valeur, abritant potentiellement de hauts responsables du Hamas. Filmées depuis Gaza, des vidéos montrent de lourds nuages de fumée s’élever au-dessus des immeubles.
Le lieutenant-colonel Hecht indiquait dans la matinée que l’armée était en état de «préparation à la guerre». Il a confirmé que le ministre de la Défense Yoav Gallant, lequel parle plus simplement de «guerre», avait approuvé la mobilisation des réservistes. «C’est une matinée sévère et difficile. Nous sommes conscients de la gravité de la situation, a-t-il reconnu. Nous allons réagir avec le timing qui nous semble approprié.» Il a précisé que l’armée «gardait un œil sur la frontière nord, avec le Liban, et sur la Judée et la Samarie (la Cisjordanie occupée, NDLR).» Deux régions où la situation est particulièrement tendue en ce moment.
Une trentaine d’Israéliens pris en otage
Mais c’est le Hamas qui, prenant totalement son ennemi par surprise, a déclenché les hostilités. Samedi matin, à l’aube, le mouvement islamiste a lancé l’opération «inondation d’Al Aqsa». Alors que plus de 3000 roquettes étaient tirées depuis la bande de Gaza, des miliciens ont ouvert des brèches dans la barrière de sécurité qui entoure la bande de Gaza. Après quoi, à moto ou en pick-up, ils sont entrés en Israël. Certains sont même passés par la mer. Aucun chiffre officiel n’a été révélé, mais 163 Israéliens auraient été pris en otage, dont des femmes et des enfants, selon i24News. Des vidéos montrent d’incroyables images de miliciens du Hamas pénétrant à l’aube dans un Kibboutz endormi, d’autres, de véhicules blindés israéliens ramenés dans la bande de Gaza ; d’autres encore, des guerriers du Hamas circulant à pick-up dans la ville de Sderot et tirant au fusil-mitrailleur sur une voiture de la police israélienne. On peut aussi voir des corps de soldats israéliens, visiblement surpris dans leur base et abattus en plein sommeil. Sur une photo, on voit le cadavre d’un homme en caleçon, qui n’a apparemment eu que le temps d’enfiler son gilet pare-balles et de mettre son casque sur la tête, avant de tomber. Si ces images sont avérées, elles confirmeront que l’effet de surprise a été total pour l’armée israélienne et les services de renseignement.
Pour quelle raison le Hamas a-t-il décidé de frapper maintenant ? Est-ce un hasard du calendrier ? Cette attaque a été déclenchée au lendemain du cinquantième anniversaire de la guerre de Yom Kippour. En 1973, Israël avait été totalement pris par surprise et les Israéliens en gardent un souvenir traumatisant. La situation était pourtant relativement calme dans la bande de Gaza depuis une semaine. Après une quinzaine de jours de tensions et de heurts à la frontière, il semblait que le Hamas avait décidé de calmer le jeu. Toujours est-il que le choix du jour de l’attaque, un matin de Shabbat, à la fin de la longue semaine de fête de Soukkot, ne doit sans doute rien au hasard.
Dès l’annonce de l’attaque, les habitants de la bande de Gaza se sont préparés à la réponse de l’armée israélienne. «Nous avons tous peur, explique un Gazaoui. Personne ne s’y attendait. Tout le monde est allé acheter de la nourriture, des médicaments, et maintenant on reste chez nous. Si l’Égypte ouvre le passage de Kerem Shalom, je partirai me réfugier avec ma femme et mes enfants.»
Israël, Gaza : le nombre des victimes de la guerre ne cesse d’augmenter
Israël et la bande de Gaza sont de nouveau « en guerre » samedi 7 octobre après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas. En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Le Hamas revendique aussi des « otages ».
Israël et la bande de Gaza sont de nouveau en guerre samedi après le déclenchement d’une offensive militaire surprise du Hamas, qui a tiré des milliers de roquettes, infiltré des combattants en territoire israélien et dit avoir capturé des Israéliens. «Nous sommes en guerre, il ne s’agit pas d’une simple opération ou d’un cycle de violence, mais bien d’une guerre», a déclaré le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, dans un message vidéo.
En début d’après-midi, le bilan des morts de part et d’autre dépasse plusieurs dizaines et les blessés se comptent par centaines. Dans la ville israélienne de Sdérot, un journaliste de l’AFP a vu les corps d’au moins huit civils gisant dans des rues.
Appel aux dons de sang
40 personnes au moins ont été tuées côté israélien, selon le Magen David Adom, équivalent israélien de la Croix-Rouge, qui a lancé un appel aux dons de sang, le ministère de la santé faisant état de «779 blessés» hospitalisés.
En réplique à cette attaque, l’armée israélienne a déclenché à son tour dans la matinée des opérations armées à Gaza sous le nom de « Sabre d’acier ». «Des dizaines d’avions de chasse sont actuellement en train de frapper des cibles de l’organisation terroriste Hamas dans la bande de Gaza», a indiqué l’armée dans un communiqué. «Nos forces combattent désormais sur le terrain» et la mobilisation de milliers de réservistes a été approuvée, a déclaré le lieutenant-colonel Richard Hecht, porte-parole de l’armée israélienne.
Dans la bande de Gaza, au moins 9 personnes ont été tuées, selon des journalistes de l’AFP ayant vu leur corps à l’hôpital ou lors de funérailles. Le ministère de la santé du Hamas affirmait, lui, recenser déjà à Gaza « 198 morts et 1.610 personnes souffrant de divers types de blessures » en milieu d’après-midi.
Interrogés par des médias israéliens, des habitants de zones proches de la bande de Gaza demandent une protection renforcée de l’armée. Le journal israélien Times of Israel relaie le témoignage d’une femme enceinte, vivant dans le kibboutz Soufa (à quelques kilomètres de la bande de Gaza): «Envoyez de l’aide s’il-vous-plait». Times of Israël la cite en précisant qu’elle parle depuis un abri sécurisé où elle se trouve avec ses proches dont un enfant : «Ils tirent sur notre maison, ils essaient d’enfoncer la porte de la pièce sécurisée».
Prises d’otages civils
Par ailleurs, la branche armée du Hamas revendique avoir «capturé plusieurs soldats ennemis». Elle a diffusé une vidéo montrant au moins trois hommes en tenue civile manifestement apeurés, détenus par une escouade de personnes armées aux visages floutés. Les Brigades al-Qods, la branche militaire du Jihad islamique palestinien, déclarent elles aussi détenir « nombreux soldats » israéliens.
L’armée israélienne n’a pas communiqué sur ces déclarations. Sur les réseaux sociaux, des vidéos qui n’ont pu être authentifiées montrent d’autres personnes détenues par des hommes armés, et les dépouilles de civils ou d’individus en uniformes militaires.
Dès le matin, des centaines de civils ont fui leurs maisons dans le nord-est de la bande de Gaza pour s’éloigner de la frontière avec Israël, et certains ont trouvé refuge dans des écoles de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA), selon un correspondant de l’AFP.
Cette énième flambée de violence éclate au dernier jour des fêtes juives de Souccot en Israël, alors que le pays vit au ralenti et que de nombreux pèlerins et touristes ont afflué en cette période de vacances scolaires.
Elle survient aussi cinquante ans et un jour après le début de la guerre israélo-arabe de 1973 qui avait entraîné la mort de 2 600 Israéliens et au moins 9 500 morts et disparus côté arabe en trois semaines de combat.
50 ans après le déclenchement de la guerre du Kippour (6-25 octobre 1973), le Hamas a défié Israël sur son propre sol.
Son attaque surprise lancée samedi (jour de shabbat) à l’aube contre les agglomérations du sud de l’État hébreu n’est pas sans rappeler, militairement, celle du 6 octobre 1973 par sa soudaineté, sa violence mais aussi par son issue fatale aux assaillants (Syriens et Egyptiens avaient été écrasés en quelques jours).
Elle soulève des questions déjà posées après la contre-offensive décisive (l’opération Gazelle) et la victoire israéliennes d’il y a 50 ans.
Tsahal et les services de renseignement israéliens n’ont-ils rien vu venir ? C’est visiblement le cas puisque les forces israéliennes ont été bousculées à l’aube par des assaillants moins bien armés mais décidés. Outre le dogme de l’invincibilité de l’armée, c’est aussi celui de l’infaillibilité des services de renseignement qui en a pris un coup. L’incapacité des services spécialisés israéliens à anticiper l’attaque et l’inefficacité de la technologie de pointe mise en œuvre pour scruter les mouvements terrestres, aériens, souterrains et navals du Hamas sont patentes. Même la collecte des signaux faibles semble avoir échoué. Pour sa part, le Hamas affirme avoir réussi à brouiller les systèmes israéliens de surveillance et de communication
Combien de tués ? Certes on sera loin des plus de 3 000 tués israéliens de la guerre du Kippour, mais les pertes tant civiles que militaires sont déjà lourdes. Une partie des unités déployées par Tsahal le long de la frontière ont été massacrées, leurs cantonnements pris d’assaut, leurs blindés neutralisés dont certains « à l’ukrainienne » (lors de lâchers d’obus de mortier par drone). 100 morts israéliens et près de 300 tués palestiniens, selon les premiers décomptes. Le bilan ne pourra malheureusement que s’alourdir, en particulier dans les rangs palestiniens puisque la riposte d’Israël s’annonce sans pitié.
Politiquement, quel sera la portée de cette attaque? La société israélienne, déjà sous pression et divisée, risque d’abord de sombrer dans le doute et d’être victime d’une réelle déstabilisation, comme en 1973. Mais l’effet final pourrait être inverse, la forçant à une union d’une part derrière ses chefs militaires et politiques et d’autre part face au Hamas et à ceux qui le soutiennent, de l’Autorité palestinienne au régime de Téhéran.
Nous avons classé cet article dans la rubrique « Humeurs ». Non pas parce que l’auteur y déverse sa grogne. Mais parce qu’on y sent l’indignation qu’il éprouve – et que nous partageons – face tout autant à ce conflit meurtrier qu’au quasi silence qui l’a recouvert. Il est vrai que la presse a très peu parlé de cette guerre civile, et il est vrai que peu de Français sauraient l’expliquer.
L’histoire de l’Éthiopie est très ancienne, ce qui lui vaut d’avoir sans doute le titre du plus ancien « Etat » d’Afrique. Officiellement connue sous le nom de République fédérale démocratique d’Ethiopie, pays de la Corne d’Afrique de 1,1 million de kilomètres carrés, l’Ethiopie est le deuxième pays le plus peuplé du continent africain, abritant une population de 120 millions d’habitants. Elle est connue pour ses grands plateaux, qui ont vu le premier noyau identitaire du pays se former avec le mélange ethno-culturel des populations du royaume de Saba et celles des plateaux éthiopiens.
Piqûre de rappel
Dans son histoire plus contemporaine, l’Éthiopie a focalisé l’attention lorsqu’elle a connu une effroyable crise humanitaire en 1984-1985, entrainant la mort de 1,2 million d’habitants. Deux famines ont décimé la population à quelques semaines d’intervalles, ce qui a provoqué l’émoi international et l’engagement de plusieurs États pour porter du secours, la France, la Grande-Bretagne et le Canada notamment.
Après ce douloureux chapitre, l’Éthiopie s’est distinguée par son important dynamisme économique. Avec une croissance de 9,6% par an entre 2010 et 2020, ce pays d’Afrique de l’Est a réussi en quelques années à changer son économie principalement agricole en une « puissance manufacturière ».
Par ailleurs, la Banque Asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (BAII), proposée et soutenue par la Chine lors de son lancement en janvier 2016, a joué un rôle significatif dans ce pays d’Afrique de l’Est. Elle a financé des projets de connectivité régionale avec la construction du chemin de fer électrique reliant la capitale éthiopienne à Djibouti, voie de transit importante pour le commerce. Elle a aussi accordé des financements pour la construction d’infrastructures dans le secteur hydroélectrique. Le grand barrage de la Renaissance en est l’exemple. Il s’étendra sur une zone de près de 1874 kilomètres carrés et aura une capacité de stockage de 74 milliards de mètres cubes d’eau. Encore en construction, il sera le plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique avant l’horizon 2030.
Depuis 2018, l’Ethiopie est dirigée par Abiy Ahmed. Ce dernier a été lauréat du prix Nobel de la paix 2019, pour ses actions visant à résoudre le conflit entre l’Ethiopie et l’Erythrée. Il incarne un renouveau dans la classe politique car, entre 1991 et 2018, les Tigréens (résidents du nord de l’Éthiopie, de religion orthodoxe) ont dominé la vie politique éthiopienne. Toutefois, après avoir été bienfaiteur, il a été pointé du doigt par la communauté internationale, en raison d’une guerre peu médiatisée, voire oubliée, qui a éclaté au Tigré (au nord du pays) et qui s’est déroulée de novembre 2020 à novembre 2022.
A l’instar de l’ex-Yougoslavie composée de plusieurs populations, l’Éthiopie regroupe 80 groupes ethniques distincts aux dialectes variés. Mais la langue n’est pas la seule différence : un tiers des Éthiopiens est musulman et quasiment la moitié est chrétienne orthodoxe. Pour concilier les identités culturelles et les conserver, l’Ethiopie est régie depuis 1995 en plusieurs région-Etats, c’est une République fédérale. Toutefois, l’arrivée d’Abiy Ahmed au pouvoir a fait chanceler le « rêve du fédéralisme ethno-linguistique éthiopien », car l’homme a une vision unitaire du pays. En 2020, il accuse les gouverneurs de la région du Tigré d’avoir commandité quelques mois plus tôt l’attaque de bases militaires. Il annule les élections régionales de 2020, provoquant le mécontentement des Tigréens. Ces derniers organisent leur propre mode de scrutin, attisant encore plus les tensions pré-existantes.
Le 3 novembre 2020, les affrontements commencent, les frictions ethniques ne vont que s’intensifier, la guerre va durer deux ans.
Manque de médiatisation et catastrophe humanitaire
Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU a « dressé un tableau très sombre » du conflit éthiopien, mais la presse internationale n’a pas suivi. Il est vrai que l’opinion publique internationale est peu informée des problématiques africaines : seulement 6 à 9% du volume total du contenu des médias occidentaux concerne l’Afrique.
Les différents groupes armés et le contexte de tension continuel ont fait obstacle au travail journalistique. Les quelques vidéos auxquelles a eu accès la communauté internationale avaient pour auteurs des organisations politiques de l’un ou l’autre camp, et étaient donc gorgées de propagande. Toute vérification d’informations était par ailleurs prohibée par les autorités locales. À cela s’ajoute que durant le conflit, le Tigré a été largement privé d’électricité et de télécommunications. Il était très difficile pour la presse internationale d’accéder sur place. Selon le Comité de Protection des Journalistes (CPJ), entre novembre 2020 et août 2022, 63 journalistes ont été arrêtés. Le CPJ dénonce également les longues détentions injustifiées de journalistes n’ayant aucune inculpation.
Ce manque de médiatisation a caché une colossale tragédie humanitaire. Pour montrer sa force, le gouvernement d’Abiy Ahmed a coupé la possibilité aux Tigréens d’avoir accès à des médicaments, à de la nourriture et à du carburant. Le pays a compté 22 millions de personnes nécessitant une aide humanitaire urgente. Le médiateur de l’Union Africaine, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a fait état de 600 000 morts depuis le début du conflit.
La torture et les viols ont été des armes exploitées sans mesure, tout comme les exactions. En janvier 2021, à Mahabere Dego, la 25ème division de l’armée gouvernementale éthiopienne a massacré 75 personnes au bord d’une falaise, alors qu’elles ne représentaient aucun danger. Les combats ont été d’une extrême violence, tout comme les répercussions sur les civils. Lorsque le FPLT (Front Populaire pour la Libération du Tigré) a attaqué en décembre 2021 la frontière Afar, ce furent des combats à l’arme lourde qui provoquèrent l’exode de plus de 400 000 civils Afars. On estime que deux millions d’éthiopiens sont aujourd’hui déplacés, la majorité ayant fui vers le Soudan voisin. Le gouvernement éthiopien utilisait des drones de combat, l’un d’eux a frappé un camp de réfugiés dans le nord-ouest du Tigré. L’International Crisis Group (ICG) et Amnesty International (AI) décrivent le conflit en Éthiopie comme « l’un des plus meurtriers au monde ».
Et maintenant
Le 2 novembre 2022, à Prétoria, en Afrique du Sud, un accord de cessation des hostilités a été signé entre le gouvernement fédéral d’Éthiopie et les autorités rebelles du Tigré. Il mettait un terme à deux ans d’un conflit meurtrier. Cet accord stipule une « cessation des hostilités » tant directes qu’indirectes, incluant les guerres par procuration, et un « désarmement méthodique ».
: Il devait mener à des négociations aboutissant à un accord de paix. Mais la paix n’est toujours pas signée, même si le Parlement éthiopien, le 22 mars 2023, a retiré le FPLT de la liste des entités terroristes. L’accord entérinait implicitement la capitulation du Front Populaire de Libération du Tigré. Son seul levier politique était sa force armée, il en est désormais dépourvu. Aussi la région est-elle assujettie aux velléités territoriales et politiques d’Abiy Ahmed (1er ministre éthiopien), d’Issayas Afewerki (président de l’Erythrée) et de l’élite Amhara (groupe ethnique situé dans le centre-nord du pays).
Les Tigréens se sentent lésés. Les tensions restent vives. Human Rights Watch, organisation internationale non gouvernementale, a indiqué que les autorités locales et les forces Amhara continuent à procéder à des expulsions de civils dans le nord de l’Ethiopie. Les colonels Demeke Zewdu et Belay Ayalew sont les principaux responsables de la détention arbitraire, de la torture et des expulsions forcées des Tigréens. Le nettoyage ethnique ne s’interrompt pas. S’ajoute à cela des détentions massives, dans conditions très précaires occasionnant beaucoup de morts du côté des Tigréens. Par ailleurs, le gouvernement éthiopien n’a pas montré grand intérêt à juger les responsables de massacres, ce qui amène les civils à se faire justice par leurs propres moyens, n’arrangeant pas le processus vers la paix.
La catastrophe humanitaire que connaît le pays a poussé l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) à livrer, en août dernier, plus de 17 tonnes de fournitures médicales d’urgence à destination de 70 000 bénéficiaires dans les structures hospitalières et de santé de 9 zones de la région. L’OMS et la Société de la Croix-Rouge éthiopienne ont également fourni à la région d’Ahmara des kits de traumatologie et de chirurgie d’urgence.
Des massacres sans commune mesure et des violences sexuelles en quantité titanesque se sont produits durant la guerre du Tigré, montrant l’absence totale d’une once d’humanité, a relevé le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken. Un Etat fracturé, des populations hétérogènes complètement chamboulées, après deux décennies où la croissance économique éthiopienne était fulgurante, la guerre a cassé la dynamique de développement du pays et a ravivé les haines.
(*) Théodore Rayane, étudiant à l’ILERI (Institut Libre des Études en Relations Internationales), membre de l’association « ILERI Défense », est passionné par la géopolitique, et les cultures et histoires des peuples.