par Blablachars – publié le 20 février 2025
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L’audition par la Commission de la défense nationale et des forces armées d’Alexandre Dupuy sur la coopération européenne a permis au directeur des activités Systèmes de KNDS d’exposer les vues et les ambitions du groupe dans le domaine. Évoqué par le Président de la Commission, puis mentionné par A. Dupuy dans son propos liminaire, avant d’être l’objet de plusieurs questions, le MGCS a évidemment constitué le fil conducteur de cette audition et avec lui la pertinence de développement d’une solution de transition, représentée par le Leclerc Evo. Pour Jean-Michel Jacques, le MGCS reste une des coopérations les « plus emblématiques » au sujet de laquelle les parlementaires « sont nombreux à s’interroger. » Blablachars vous livre ci-dessous un aperçu des propos d’A. Dupuy et quelques réflexions sur le contenu de cet audition.
Durant un peu plus d’un heure, le directeur des activités Systèmes de KNDS a donc pu exposer les vues et les positions de la firme sur les différents sujets, livrer quelques informations intéressantes et répondre aux questions des députés présents. Dans son propos liminaire, Alexandre Dupuy a tout d’abord évoqué les différents aspects de la coopération européenne et les engagements de KNDS citant la Joint Venture (JV) CTAI créée il y a trente ans pour le développement du canon de 40mm. Cet armement initialement prévu pour le Jaguar et l’Ajax connait aujourd’hui un développement naval avec le Rapid Fire qui équipe les nouveaux Bâtiments Ravitailleurs de Forces (BRF) et dont le déploiement de la version terrestre est espéré par KNDS. En réponse à la question d’un parlementaire sur les opportunités d’extension du programme CaMo à d’autres pays, A. Dupuy a indiqué l’existence de « réflexions sur l’extension du modèle vers l’Irlande, selon des modalités qui restent à définir. » Cette annonce plutôt prudente a été transformée ipso facto par de nombreux observateurs en contrat sonnant et trébuchant, au risque (une nouvelle fois) de compromettre les chances de l’industriel français qui a déjà vu plusieurs contrats lui échapper après des annonces mirobolantes. On ne peut que louer la prudence d’A. Dupuy et déplorer la persistance de ce travers gaulois qui consiste à faire chanter le coq avant le lever du soleil.
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L’intérieur du Jaguar |
Le char et plus particulièrement le MGCS, véritable fil rouge s’est donc invité dans cette audition dès l’introduction du Président de la Commission, avant d’être évoqué par A. Dupuy dans son propos liminaire et au cours de la séquence de questions. Dans son introduction, Jean-Michel Jacques a rappelé que le MGCS suscitait de nombreuses interrogations tout comme la pérennité du Leclerc dans sa version rénovée et la pertinence de développement d’une solution de transitoire, représentée par le Leclerc Evo. Si l’on sait que pour KNDS le caractère indispensable du char ne fait pas débat, sa masse qui pourrait se situer entre 40 et 70 tonnes est en revanche l’objet de questionnements. Pour A. Dupuy la situation du char a évolué depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, puisqu’avant cette date l’Europe des chars se divisait entre des chars modernisés comme le Leopard 2 ou le Challenger 2 et un char plus récent le Leclerc. Ce paysage a été modifié par l’arrivée d’un concurrent sud-coréen, le K2. Depuis février 2022, l’augmentation des flottes de chars, l’amélioration de leur survivabilité sont devenues des priorités pour la conception des futurs engins. Désormais le paysage blindé européen s’articule autour du futur char transalpin, issu de la coopération entre l’Italie et Rheinmetall, de projets politiques comme le FMBT (Future Main Battle Tank) et bien sur du MGCS (Main Ground Combat System). Concernant ce programme, A. Dupuy précise dans la suite de l’audition un certain nombre de points plutôt éclairants.
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Les huit piliers du projet MGCS |
On apprend ainsi que « tant que le MGCS avance, il faut continuer de s’y accrocher » et qu’il n’existe aucun antagonisme entre le développement du futur système et l’évolution annoncée du Leopard 2 par le gouvernement allemand. Cette absence d’antagonismes repose sur les différences de calendrier existant entre les deux projets. Pour le MGCS le calendrier de développement prime sur celui des livraisons qui seront « phasées » pour permettre à un état européen qui achèterait le char allemand en 2030 (date probable de mise en service du futur Leopard) d’être aussi client du MGCS en 2050, en espérant que ces clients optent pour la version française du « système de systèmes ». En outre, le futur char allemand intégrera des briques technologiques utilisables dans MGCS ou en cas d’échec ou de retard du projet. Cette démarche est similaire à celle conduite par KNDS France illustrée par l’Ascalon, également symbole de la volonté de KNDS d’apporter à la coopération ce qu’il y a de mieux. Pour A. Dupuy « MGCS avance » et constitue une rupture. A ce titre, la question qui se pose est « d’en être ou de ne pas en être« . Le futur Leopard développé par l’Allemagne ne serait-il pas plutôt le produit d’appel du futur MGCS grâce auquel les industriels d’outre-Rhin devraient conserver leurs clients et conquérir de nouveaux marchés.
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Le Leclerc Evo, un banc d’essai exportable |
Concernant le Leclerc Evo, A Dupuy parle « d’un char banc d’essai » pouvant être proposé à l’export, particulièrement sur des marchés où la présence allemande n’est pas souhaitée, par les autorités locales ou par Berlin. Cette ambition, qui sera affirmée en fonction du volume de commandes potentielles, doit être appuyée par l’État et la DGA qui continuent de progresser sur le sujet. On peut estimer légitime le souhait d’un appui étatique au projet, mais on aurait aimé que cette volonté exportatrice se traduise dans les faits. Tout d’abord par une déclaration forte devant la représentation nationale de la nécessité de développement d’un char de transition et de son adoption par l’armée de terre ou par la réaffirmation de l’impossible maintien des capacités opérationnelles du char (même rénové) jusqu’à la mise en service du MGCS. On peut aussi se demander si le soutien souhaité des autorités au Leclerc Evo exonère KNDS de toute initiative dans le domaine, comme le montre l’absence de l’engin au salon IDEX qui se tient en ce moment à Abu Dhabi. On avait découvert le Leclerc Evo en juin dernier à Eurosatory, revêtu d’une magnifique livrée sable qui semblait le destiner à des marchés spécifiques. Nombreux étaient ceux qui pensaient le retrouver en février 2025 pour affirmer à nos amis émiriens et aux visiteurs du salon que le « coup » réalisé à Eurosatory n’était pas qu’un feu de paille mais une démarche destinée à durer. Démarche qui aurait pu être portée par une déclaration d’intérêt de l’armée de terre et à laquelle nous aurions pu associer les forces armées émiriennes et les industriels locaux dans une véritable coopération. N’étant pas dans le secret des dieux, Blablachars ignore les (bonnes) raisons commerciales, techniques, financières ou stratégiques qui ont motivé KNDS à ne pas présenter le Leclerc Evo à Abu Dhabi, mais le déplore au moment où la Russie pourtant en délicatesse sur la scène internationale, expose sur le même salon la dernière version de son T-90, le T-90MS.
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Le T-90MS à IDEX |
La fin de l’audition permet à Alexandre Dupuy, en réponse à la question d’un député, d’aborder le sujet du canon Ascalon et son développement initial au calibre de 120mm avant que les exigences imposées par les nouveaux blindages ne motivent le développement d’une solution de passage rapide au calibre de 140mm. Après ces généralités sur cette arme innovante, A. Dupuy indique que « si l’on sait faire en 120, en 140 on saura faire en 128, 132 ou 130[…] si on va vers une munition de 130mm, il faudra qu’elle soit compatible Ascalon. » Au delà de son aspect technique, cette déclaration ne serait-elle pas annonciatrice du futur arbitrage autour du pilier 2 « Feu principal » du projet franco-allemand ? On peut légitimement le penser, tant la solution hautement consensuelle, d’un Ascalon 130 aurait le mérite de satisfaire l’égo des différents partenaires et de donner un temps d’avance à l’Allemagne. Celle-ci ayant décidé de doter son futur Leopard du canon Rh-130 et de développer d’ici 2030 les munitions adaptées, ce qui devrait faciliter leur commercialisation sous timbre allemand et la reconnaissance de ce calibre comme calibre de référence pour les chars européens. En adoptant un Ascalon en 130mm, la France abandonnerait donc cette véritable rupture technologique, pourtant souhaitée pour le futur engin que Sébastien Lecornu n’hésite pas à qualifier de « futur du char. «
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Le canon Ascalon au tir |
Cette audition permet donc de mesurer encore un peu plus le caractère éminemment politique du MGCS, déjà souligné à deux reprises par Ralf Ketzel, le CEO de KNDS. Si cette caractéristique contribue à rendre le programme moins sensible aux aléas industriels et militaires et à diminuer son agilité, elle accroit en revanche sa vulnérabilité aux incidents politiques dont les prochaines élections allemandes pourraient être le premier avatar. Les propos d’Alexandre Dupuy qui succèdent à ceux du CEMAT en juin dernier, à la commande de 100 chars Leclerc rénovés rendent de plus en plus improbable l’adoption par l’armée de terre d’un char de transition. Nous continuerons donc à pérenniser notre parc Leclerc, lui collant çà et là quelques rustines, en espérant que le Leclerc Evo rencontre le succès escompté. Il ne faut cependant pas oublier que l’exportation d’un char refusé par l’armée de terre reste un exercice difficile pour ne pas dire impossible, les échecs de l’AMX 32 et de l’AMX 40 sont là pour nous le rappeler.