L’affaire Nord Stream (2/2) : un sabotage qui a replacé l’Initiative des Trois Mers au centre du jeu

L’affaire Nord Stream (2/2) : un sabotage qui a replacé l’Initiative des Trois Mers au centre du jeu

Initiative des Trois Mers
EXCLUSIF : Photographie jamais publiée de plongeurs d’une force spéciale européenne (Sabotage, rens..).
Ils sont équipés avec le système recycleur à circuit fermé (CC), on peut voir ici au premier plan le système de dos.
Photo Jean-Paul Louis Ney.

L’affaire Nord Stream (2/2) : un sabotage qui a replacé l’Initiative des Trois Mers au centre du jeu

Par Maxime Chaix – Le Diplomate – publié le 8 octobre 2024

https://lediplomate.media/2024/10/laffaire-nord-stream-2-2/maxime-chaix/monde/russie-et-ukraine/


L’Initiative des Trois Mers : un substitut à Nord Stream impulsé par Washington

Dans la première partie de cette analyse, nous avons exposé un faisceau d’indices solides qui tendent à indiquer non pas une responsabilité russe ou ukrainienne dans la destruction de trois des quatre gazoducs Nord Stream, mais une possible opération clandestine états-uno-norvégienne. À travers cette seconde et dernière partie, nous expliquerons pourquoi cet acte de sabotage industriel sans précédent favorisera de manière durable et décisive 1) les exportations de gaz naturel de la Norvège vers l’Europe via le Baltic Pipe, un gazoduc construit par le Danemark et la Pologne, et inauguré le lendemain des attaques contre Nord Stream, et 2) les importations de gaz naturel liquéfié des États-Unis par les pays d’Europe centrale et orientale via l’architecture de l’Initiative des Trois Mers (ITM), un projet soutenu par Washington et élaboré par l’Atlantic Council à partir de 2014, lancé par la Pologne et la Croatie l’année suivante, et grâce auquel le Baltic Pipe livre du gaz norvégien via le territoire polonais depuis début octobre 2022. Alors que l’influent député polonais Radosław Sikorski avait tweeté « Merci, les USA » au lendemain du sabotage de Nord Stream – c’est-à-dire le jour de l’inauguration du Baltic Pipe –, il est crucial de s’intéresser de plus près à la Pologne, et plus largement à l’Europe centrale et orientale dont elle est un acteur majeur, en particulier dans le cadre de l’ITM et de la redirection des flux gaziers que ce projet transnational concrétise au détriment du gaz russe et de la relation russo-allemande.

Ayant depuis longtemps la réputation d’être un néoconservateur, Sikorski n’a pas été sanctionné pour avoir sous-entendu sur Twitter que l’administration Biden était à l’origine de l’attaque contre Nord Stream. En effet, il est redevenu Ministre des Affaires étrangères de la Pologne en décembre 2023. Ce puissant politicien, dont les liens intimes avec Washington sont bien connus, n’était pas le seul décideur occidental à exprimer sa grande satisfaction après le sabotage de Nord Stream. Quatre jours après cet événement, le notoirement belliciste Secrétaire d’État Antony Blinken qualifia publiquement cette destruction de « formidable opportunité de supprimer une fois pour toutes la dépendance [européenne] à l’énergie russe et d’ainsi ôter à Vladimir Poutine l’arme de l’énergie utilisée pour faire avancer ses desseins impérialistes. Cela est très important et cela offre une formidable opportunité stratégique pour les années à venir. » Admise ouvertement et à plusieurs reprises, cette ambition états-unienne se concrétise grâce à l’Initiative des Trois Mers, un projet transnational lancé et soutenu par les États-Unis, dont l’objectif principal est de mettre fin à la dépendance de l’Union européenne au gaz russe en réorientant les flux énergétiques du nord de l’Europe – spécifiquement le gaz norvégien via le Baltic Pipe – vers le centre et le sud du continent, et même au-delà.

Élaboré et promu par l’Atlantic Council depuis 2014, lancé par la Pologne et la Croatie en 2015, et impliquant actuellement treize pays d’Europe centrale, orientale et méridionale, le projet ITM a récemment ajouté la Grèce et la mer Égée comme quatrième zone maritime dans cette architecture transnationale en développement. En 2017, cette politique a été décrite par son principal concepteur et ancien haut gradé du Pentagone comme « “un projet visant à unifier la région d’Europe entre la Baltique, l’Adriatique, (…) la mer Noire [, et désormais la mer Égée] grâce à des infrastructures énergétiques (…) [qui] devraient être une priorité stratégique pour l’administration [Trump]”, selon le général des Marines à la retraite James L. Jones, président du Brent Scowcroft Center on International Security de l’Atlantic Council, lors du sommet de l’organisation à Istanbul le 28 avril [2017]. “C’est un projet véritablement transatlantique qui a d’énormes ramifications géopolitiques, géostratégiques et géoéconomiques”, a affirmé Jones, qui a été Conseiller à la Sécurité nationale sous l’administration Obama. Par conséquent, il a soutenu que “nous devons cultiver l’intérêt de la nouvelle administration états-unienne [pour ces enjeux]. En renforçant la région des Trois Mers, et par extension le reste de l’Europe, cette initiative renforcera l’ensemble de la communauté transatlantique”, a-t-il ajouté. »

Comme l’a souligné le général Jones lors de ce sommet, « l’Initiative des Trois Mers vise à unir les douze [, et désormais treize] pays de l’Union européenne en Europe orientale et centrale en créant une infrastructure Nord-Sud dans les secteurs des télécommunications, de l’énergie et des transports. Bien que cette initiative ne soit pas directement punitive envers la Russie, selon Jones, elle est conçue pour atténuer l’influence du Kremlin dans le secteur énergétique européen, que Moscou a exercée au détriment des États membres de l’UE. » L’objectif de capter l’attention de l’administration Trump sur ce projet a été atteint, puisque le Président lui-même a assisté au sommet de Varsovie dédié à l’Initiative des Trois Mers en juillet 2017. À cette occasion, Trump a vertement critiqué l’Allemagne pour le développement de Nord Stream 2, ce qui a conduit à un intérêt croissant de Berlin pour le projet ITM. En conséquence, au cours du mois de juillet 2021, l’Allemagne a exprimé sa volonté de l’intégrer dans les « politiques et instruments d’investissement de l’Union européenne ».

L’année précédente, le Secrétaire d’État de Trump, Mike Pompeo, avait annoncé que le gouvernement des États-Unis « envisage[ait] de fournir jusqu’à 1 milliard de dollars de financement aux pays d’Europe centrale et orientale participant à l’Initiative des Trois Mers. Notre objectif [était] assez simple : (…) dynamiser les investissements du secteur privé dans le domaine de l’énergie pour protéger la liberté et la démocratie à travers le monde. » Lancée en février 2020, cette promesse d’aide financière états-unienne ne s’est jamais concrétisée, sachant que Trump a perdu les élections au début du mois de novembre de cette même année. Cependant, d’importants investissements ne sont plus nécessaires pour les exportations de gaz naturel liquéfié (GNL) états-unien vers le continent européen car, comme l’ont expliqué en mars dernier les chercheurs Paweł Czyżak et Nolan Theisen, « la capacité mondiale d’infrastructure pour le GNL semble croître bien plus que la demande de gaz réelle, en particulier sur le continent européen – le plus grand marché pour les exportations états-uniennes de GNL. Les données d’Europe centrale et orientale montrent que, dès 2025, la capacité d’importation de GNL dans les pays de l’Initiative des Trois Mers dépassera les importations historiques de gaz russe par gazoduc. Cela signifie que la consommation de GNL dans la région devra non seulement remplacer le gaz russe, mais également croître au-delà de ce niveau. » En résumé, la politique des Trois Mers lancée sous l’administration Obama et soutenue par le cabinet Trump a gagné une plus grande pertinence stratégique pour les décideurs de Washington après l’invasion russe de l’Ukraine, mais sans nécessiter d’importants investissements de la part des États-Unis.

Le 20 juin 2022, trois jours après la fin de l’exercice BALTOPS 22 commandé par l’OTAN – et qui pourrait avoir servi de couverture pour piéger les gazoducs Nord Stream –, le Secrétaire d’État Antony Blinken déclara que « la guerre d’agression du gouvernement russe contre l’Ukraine a rendu le développement de l’Initiative des Trois Mers encore plus urgent – pour tous ses membres et partenaires, et pour chacun des domaines d’intervention de ce plan : l’énergie, le transport et les communications numériques. Même avant [l’invasion russe de l’Ukraine lancée le] 24 février [2022], la concrétisation d’une plus grande sécurité énergétique nécessitait la diversification des sources, des routes d’approvisionnement et des types d’énergie. L’embargo de l’Union européenne sur le pétrole russe et son plan visant à réduire considérablement les importations de gaz naturel russe ont rendu ce travail indispensable. Une plus grande indépendance énergétique rendra les États membres moins vulnérables à la coercition du Kremlin. Et cela privera le gouvernement russe de ressources massives qu’il a utilisées pour financer son attaque contre l’indépendance de l’Ukraine et d’autres pays ces dernières années. » Le mois précédent, il avait été annoncé que le « gazoduc Pologne-Lituanie, c’est-à-dire l’interconnexion transfrontalière reliant les systèmes polonais et lituanien de transmission de gaz, venait d’être mis en service. Il [permettra] également de transporter du gaz vers la Lettonie et l’Estonie. Cette infrastructure gazière stratégique et essentielle est une étape importante pour l’Initiative des Trois Mers et pour l’Union européenne », un projet décrit par les autorités polonaises comme « la réaction la plus forte et la plus adaptée face aux actions de la Russie. »

Tel que détaillé sur le site officiel de l’Initiative des Trois Mers en mai 2024, la Pologne cherche également à parachever la « diversification des sources d’approvisionnement en gaz et l’intégration des infrastructures gazières dans la région des Trois Mers avec la mise en œuvre du projet Baltic Pipe et des interconnexions transfrontalières [entre la] République de Pologne [et la] République slovaque (…) [, ainsi qu’entre la Pologne et] l’Ukraine ». En d’autres termes, le Baltic Pipe inauguré le lendemain du sabotage de Nord Stream joue désormais un rôle clé dans cette stratégie visant à réduire la dépendance européenne au gaz russe, « surtout compte tenu de l’opposition farouche de la Pologne aux gazoducs [Nord Stream] », comme l’ont observé FAIR.org. Dans le même temps, la Croatie, la Hongrie, la Lituanie et la Slovénie étendent également leurs infrastructures gazières, tandis que la Croatie, la Lituanie et la Lettonie développent des terminaux de GNL qui favoriseraient les exportations de gaz naturel liquéfié états-unien de plus en plus massives vers le continent européen.

Grâce au sabotage de Nord Stream, l’Initiative des Trois Mers affaiblira l’Allemagne au profit de la Pologne

Jusqu’à récemment, le développement de l’Initiative des Trois Mers a rencontré plusieurs obstacles. Parmi eux, il est important de noter que Berlin s’y est longtemps opposée, principalement en raison de ses craintes que ce projet 1) ait un impact négatif sur l’économie allemande, 2) augmente de manière disproportionnée l’influence des États-Unis et leurs exportations de gaz en Europe centrale et orientale, et 3) affaiblisse la pertinence de l’architecture Nord Stream. Comme l’a expliqué le chercheur Martin Dahl en décembre 2019, « la mise en œuvre de projets d’infrastructures sur l’axe Nord-Sud à l’est de la frontière allemande, qui renforcerait la capacité des ports baltes non allemands et déplacerait une partie du transport routier vers l’Europe centrale et orientale, augmenterait la concurrence et pourrait réduire les bénéfices des entreprises allemandes. Également dans le domaine de l’énergie, les plans de l’Initiative des Trois Mers entrent en conflit avec les intérêts allemands dans les gazoducs Nord Stream. » Depuis que la majeure partie de cette infrastructure est devenue « un tas de métal au fond de la [mer Baltique] », pour reprendre les termes provocateurs de la Sous-secrétaire d’État Victoria Nuland en janvier 2022, l’obstacle Nord Stream a été éliminé. À l’avenir, il serait certainement préjudiciable pour l’Allemagne de ne pas accroître son implication dans l’Initiative des Trois Mers – ne serait-ce que pour gagner de l’influence dans son développement, notamment dans les domaines du transport, des infrastructures portuaires et, depuis la destruction de trois des quatre gazoducs de Nord Stream, de la sécurité énergétique.

Le sabotage de Nord Stream a rempli un objectif stratégique majeur de Washington : empêcher tout rapprochement germano-russe

Le 30 avril 2024, le Secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré lors du Forum économique mondial à Riyad que « l’Europe s’est éloignée de sa dépendance à l’énergie russe de manière extraordinaire, et ce en l’espace de seulement deux ans », sans mentionner le fait pourtant crucial que le sabotage des gazoducs Nord Stream, l’Initiative des Trois Mers et le Baltic Pipe ont été des facteurs clés dans la réalisation de ce vieil objectif stratégique de Washington. Dix ans plus tôt, c’est-à-dire en 2014, l’ancienne Secrétaire d’État Condoleezza Rice avait en effet affirmé que « les Européens devront remplacer leur dépendance au gaz russe par du gaz états-unien, notamment du GNL, ce qui supposerait l’élimination des gazoducs Nord Stream. Pour Condoleezza Rice, le plus important était de mettre fin à la collaboration russo-européenne et d’éliminer leur “union gazière et industrielle” – en d’autres termes, de couper la Russie de l’Europe. » Confirmant cette ambition majeure de Washington, George Friedman – le fondateur de la « CIA privée » Stratfor –, expliqua l’année suivante que, « pour les Américains, la peur la plus centrale est (…) la combinaison de la technologie et du capital allemands avec les ressources naturelles et la main-d’œuvre russes – la seule combinaison qui, depuis des siècles, terrifie les États-Unis. Alors quelles sont les conséquences de tout cela ? Eh bien, les États-Unis ont déjà montré leurs cartes : c’est la ligne des pays allant de la Baltique à la mer Noire », comme le confirme le développement continu de l’Initiative des Trois Mers dans cette région et le redéploiement provocateur de l’OTAN dans cette même zone, une stratégie résumée en 2015 par Friedman comme l’imposition d’un « cordon sanitaire » antirusse.

Comme l’a observé en mars 2023 le journaliste polonais Agaton Koziński, « la politique d’endiguement des pulsions agressives du Kremlin porte ses fruits. Depuis que les pays de l’Europe centrale et orientale ont assumé la charge principale de ces mesures [de soutien massif à l’Ukraine contre la Russie], l’équilibre des pouvoirs en Europe a commencé à changer. Ce n’est pas seulement le Chancelier Scholz qui l’a remarqué. “La visite du Président Biden en Pologne au mois de février 2023 est perçue comme une correction face à la domination écrasante des États membres occidentaux dans la politique de l’UE”, a écrit le professeur John Keiger, historien à l’Université de Cambridge, dans l’hebdomadaire The Spectator. “L’époque où un Président français comme Jacques Chirac pouvait dire aux États d’Europe de l’Est qu’ils feraient bien de se taire est révolue”, a-t-il ajouté. On entend la même rengaine ailleurs. “Une chose est claire : un important pivot vers le flanc est de l’OTAN est en cours”, a écrit Roger Boyes, rédacteur international du quotidien britannique The Times. “On a vraiment l’impression que, sur le continent européen, le centre de gravité s’est déplacé vers l’Est”, a commenté le général Ben Hodges, ancien commandant de l’armée états-unienne en Europe. »

Dans le discours susmentionné, George Friedman souligna le fait qu’au début de l’année 2015, ce même « général Ben Hodges, alors commandant de l’U.S. Army en Europe, a visité l’Ukraine. Il a annoncé que des instructeurs états-uniens allaient officiellement arriver, et non plus officieusement. Il a même accroché des médailles à des combattants ukrainiens ce qui, selon le protocole militaire, ne peut normalement pas être fait à des étrangers, mais [le général Hodges] l’a fait, montrant que [les forces militaires ukrainiennes] étaient “son” armée. Il est ensuite parti et, dans les pays baltes, il a annoncé que les États-Unis allaient pré-positionner des blindés, de l’artillerie et d’autres équipements dans les pays baltes, en Pologne, en Roumanie et en Bulgarie, ce qui est un point très intéressant. Donc (…) hier, les États-Unis ont annoncé qu’ils enverraient des armes, bien sûr, ce soir ils le nieront, mais les armes seront envoyées. Dans tout cela, les États-Unis ont agi en dehors du cadre de l’OTAN parce que l’OTAN doit obtenir un vote unanime à cent pour cent. »

Il ajouta un point crucial, soulignant que de nombreux stratèges occidentaux et lui-même étaient parfaitement conscients que la politique agressive des États-Unis en Ukraine et au sein de l’Europe centrale et orientale – c’est-à-dire de la mer Baltique à la mer Noire –, était perçue par la Russie comme une menace existentielle. En effet, il résuma son propos en expliquant que « la question qui se pos[ait] pour les Russes [en 2015] était la suivante : garderont-ils une zone tampon qui soit au moins neutre, ou l’Occident pénétrera-t-il tellement loin en Ukraine qu’il se trouvera à 100 kilomètres de Stalingrad et à 500 kilomètres de Moscou ? Pour la Russie, le statut de l’Ukraine est une menace existentielle, et les Russes ne peuvent pas lâcher sur ce point. Pour les États-Unis, si la Russie garde l’Ukraine, où s’arrêtera-t-elle ? Il n’est donc pas surprenant que le général Hodges, qui a été désigné pour essuyer les critiques engendrées par [cette stratégie], parle de pré-positionner des troupes en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne et dans les pays baltes. C’est l’Intermarium, de la mer Noire à la mer Baltique, dont rêvait [l’ancien Premier Ministre polonais Józef] Piłsudski. C’est la solution pour les États-Unis », dont la mise en œuvre sur le plan énergétique a été grandement facilitée par l’Initiative des Trois Mers – un projet qui, selon les propos du général Hodges en avril 2020, « accentuerait l’indépendance énergétique de l’Europe centrale et orientale (…) [dans un contexte de] concurrence entre grandes puissances dans le domaine économique ». Comme nous l’avons documenté dans la première partie de cette analyse, le sabotage de l’infrastructure Nord Stream fut un facteur clé dans l’implémentation de cette stratégie disruptive ouvertement soutenue par les États-Unis. Cependant, la « zone d’exclusion intellectuelle » qui entoure cette attaque a garanti jusqu’à présent le fait que cet événement reste irrésolu, malgré de solides indices suggérant une possible responsabilité centrale de Washington dans cet acte de guerre non seulement contre la Russie, mais également contre l’Allemagne et les autres pays européens qui ont co-développé cette infrastructure.


 

Initiative des Trois Mers
Maxime Chaix

Journaliste indépendant, essayiste et traducteur, Maxime Chaix est spécialisé dans l’étude approfondie des opérations clandestines occidentales, de la politique étrangère des États-Unis et de l’instrumentalisation étatique du terrorisme islamiste. Entre 2009 et 2015, il a traduit trois ouvrages de l’universitaire, essayiste et ancien diplomate canadien Peter Dale Scott. En 2019, il a publié son premier essai, intitulé La guerre de l’ombre en Syrie, aux Éditions Erick Bonnier. Déplorant le soutien irréfléchi de la majorité des médias français pour le militarisme de Washington et de ses principaux alliés, dont l’État français, Maxime Chaix pratique un journalisme à l’anglo-saxonne, résolument critique envers les excès militaires occidentaux et le conformisme universitaire, politique et médiatique qui les légitime.

 

L’armée de terre forme actuellement une brigade ukrainienne dans l’est de la France

L’armée de terre forme actuellement une brigade ukrainienne dans l’est de la France


Emmanuel Macron a échangé ce mercredi avec des soldats ukrainiens de la Brigade 155 formés par l’armée française.

À quelques jours d’un sommet crucial pour l’Ukraine, organisé samedi par ses soutiens à Ramstein en Allemagne, la France voudrait démontrer qu’elle joue un rôle de premier plan. Mercredi le président de la République Emmanuel Macron s’est rendu sur le terrain à la rencontre des soldats ukrainiens de la Brigade 155 formés par l’armée française. La localisation exacte du camp d’entraînement dans l’est de la France est tenue secrète pour des raisons de sécurité. Le chef de l’État voudrait aussi s’extraire du brouhaha politique au moment où vont commencer des débats budgétaires périlleux. Ceux-ci n’épargnent pas la loi de programmation militaire. Par sa seule présence auprès de soldats qui vont risquer leur vie, Emmanuel Macron espère sans doute rappeler la gravité des enjeux.

Plus de deux ans et demi après le début de la guerre contre l’invasion russe et alors que le front demeure bloqué, les alliés de l’Ukraine cherchent comment adapter leur soutien. Il en sera question à Ramstein tout comme sera discuté le «plan pour la victoire» de Volodymyr Zelensky. En attendant, la France veut rappeler qu’elle assume sa part de l’effort. Lors de sa visite en juin du président ukrainien, elle s’était engagée à former «une brigade», c’est-à-dire un niveau de combat supérieur à celui de la compagnie. L’expérience des mois précédents et de l’échec de la contre-offensive de 2023 a montré les limites des manœuvres ukrainiennes sur le terrain. De leur côté, les forces ukrainiennes avaient critiqué les formations fournies par les Occidentaux en les trouvant parfois déconnectées de la réalité de leur terrain.

La brigade 155 sera complète, ou presque, et «bonne de guerre», c’est-à-dire à partir pour le front entièrement équipée «dans quelques mois», explique-t-on à l’Élysée. 2300 soldats seront ainsi formés pour constituer trois bataillons d’infanterie et leurs appuis : génie, artillerie, reconnaissance et de surveillance sol air. Pour compléter les effectifs et porter la brigade à 4500 hommes, d’autres soldats seront formes en Ukraine par l’armée ukrainienne. Les effectifs sont composés de soldats ayant déjà une expérience des combats et d’autres sans.

Combat «interarmes»

La France veut mettre l’accent sur une partie négligée des formations : le combat «interarmes», c’est-à-dire qui combine les effets, et l’encadrement. La formation est le fruit de «discussions avec les Ukrainiens et la création d’entraînements au plus près des conditions dans lesquelles ils sont actuellement engagés», poursuit-on à l’Élysée. Au moment de repartir, la brigade sera entièrement équipée et dotée de 128 véhicules de l’avant blindé, de 18 canons Caesar, de 18 blindés de reconnaissance AMX10RC, de 10 TRM et de 20 postes Milan. «Les exercices et l’entraînement sont construits avec des phases successives», explique-t-on. Une première phase technique porte sur les matériels cédés et la formation des cadres. Une deuxième phase consiste à former les bataillons d’infanterie, «donc une intégration un peu plus importante». Enfin, une troisième phase conclut avec «l’intégration interarmes, c’est-à-dire des différentes capacités et des exercices au niveau bataillon, puis au niveau brigade». La France est la seule à fournir ce type d’entraînement, fait-on valoir. La formation d’une deuxième brigade n’est pas prévue pour l’instant. Cette formation pèse lourd sur l’armée de terre qui y a consacré 1500 militaires.

Même si la contribution française est marginale comparée au soutien militaire américain ou limitée, comparée à celui d’autres États européens qui y consacrent plus en volume ou en proportion, le soutien Français ne se limite pas à la brigade 155, la France continue de fournir des munitions et notamment des bombes A2SM. Elle s’est aussi engagée dans la livraison d’avions Mirage 2000 et la formation de pilotes, comme l’a confirmé le ministre des Armées Sébastien Lecornu dans une interview à Sud-Ouest. Les appareils sont en cours d’adaptation pour pouvoir mener des opérations air air mais aussi air sol. Ils pourraient être livrés à l’Ukraine au premier semestre 2025. Tout dépendra de la progression de la formation des pilotes.

Planisphère. Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher

Planisphère. Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher

Par Emilie Bourgoin, Laure Foucher, Pierre Verluise – Diploweb –  publié le 9 octobre 2024

https://www.diploweb.com/Planisphere-Ou-en-est-le-Moyen-Orient-un-an-apres-le-7-octobre-2023-Avec-L-Foucher.html   


Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Cette émission s’inscrit dans le cadre des Rencontres Stratégiques de la Méditerranée RSMED 2024, dont la FRS est partenaire aux côtés de la FMES. Laure Foucher a précédemment travaillé de nombreuses années pour le ministère des Affaires étrangères et le ministère des Armées, à Paris comme au Moyen-Orient. Laure Foucher a également travaillé durant 4 ans pour l’International Crisis Group sur la politique européenne au Moyen-Orient.
Interview organisée et conduite par Pierre Verluise, docteur en Géopolitique, fondateur du Diploweb.com, il anime Planisphère sur Radio Notre Dame et RCF depuis septembre 2024. Cette émission a été diffusée en direct le 8 octobre 2024.
Synthèse rédigée par Émilie Bourgoin, étudiante en quatrième année au BBA de l’EDHEC et alternante au sein de la cellule sûreté d’un grand groupe. Elle est en charge depuis septembre 2024 du suivi hebdomadaire de l’actualité des livres, revues et conférences géopolitiques comme de la rédaction des synthèses des épisodes de l’émission Planisphère pour Diploweb.com.

Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Quelle est la situation en Israël et dans la bande de Gaza ? Pourquoi le conflit israélo-palestinien déborde-t-il au Liban ? Au-delà du Liban, quelles sont ses répercussions régionales ? Enfin, dans ce conflit, quel est le poids des différents acteurs internationaux comme les Etats-Unis, la Chine et la Russie, ou bien encore l’Union européenne ? Pour répondre, nous avons l’honneur de recevoir Laure Foucher. En plus du podcast, cette page offre une synthèse rédigée par E. Bourgoin, relue et validée par L. Foucher.

Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RND

Cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher, sur RCF

Lien direct vers cette émission sur RCF

Synthèse de cette émission, Où en-est le Moyen-Orient un an après le 7 octobre 2023 ? Avec L. Foucher. Rédigée par Emilie Bourgoin pour Diploweb.com , relue et validée par L. Foucher

LE 7 octobre 2023 marque une date clé dans l’histoire du Moyen-Orient. Un an plus tard, en octobre 2024, il est essentiel de comprendre les répercussions de cet événement sur la situation en Israël, à Gaza, en Cisjordanie, ainsi que son impact régional et international. Cette synthèse explore les conséquences de cette rupture stratégique, les calculs des différents acteurs impliqués et les perspectives pour l’avenir.

Un bouleversement des calculs stratégiques

La rupture du 7 octobre 2023 ne réside pas dans un renversement des tendances de long terme, mais plutôt dans une réévaluation des stratégies des acteurs régionaux, notamment d’Israël. Cet événement a poussé Israël à revoir sa perception de son environnement stratégique et à ajuster sa manière de traiter ses ennemis. Les calculs du Hamas, du Hezbollah et de l’Iran n’ont pas su anticiper l’ampleur du changement. Le Hamas, par exemple, a sous-estimé l’impact stratégique des otages capturés, pensant qu’ils serviraient de levier de négociation.

Le Hezbollah a également mal évalué la détermination d’Israël à affaiblir ses forces. Israël a démontré une tolérance zéro vis-à-vis du Hamas, du Hezbollah et des proxys iraniens. Ce changement stratégique se manifeste par la volonté d’Israël de briser l’encerclement mis en place par l’Iran à travers ses alliés régionaux. Pour Israël, il ne s’agit plus de contenir la menace, mais de l’éliminer de manière systématique, notamment en frappant directement les capacités militaires du Hezbollah et sa chaine de commandement.

Cette réévaluation stratégique a des répercussions profondes, non seulement pour Israël, mais aussi pour l’ensemble de la région. La démonstration de force d’Israël pourrait entraîner un bouleversement durable des rapports de force au Moyen-Orient. Le pays cherche à restaurer une dissuasion qui a été mise à mal par les événements du 7 octobre 2023, montrant que son armée et son leadership politique sont capables de reprendre l’avantage face à ses ennemis.

Une situation humanitaire désastreuse à Gaza

En octobre 2024, la bande de Gaza fait face à une catastrophe humanitaire sans précédent. Les chiffres sont accablants : plus de 41 000 morts, 96 000 blessés, et 17 000 enfants séparés de leurs familles. De plus, 96 % de la population se trouve en situation de précarité alimentaire. La destruction quasi totale de Gaza laisse planer une incertitude sur son avenir : sera-t-elle un jour à nouveau habitable ? L’absence de perspectives d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas laisse présager une dégradation continue de la situation.

 
Laure Foucher
Laure Foucher, Maitre de recherche sur le Moyen-Orient à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS). Crédit photographique : Pierre Verluise
Foucher/Verluise

Absence de perspectives de cessez-le-feu

Les négociations pour un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas ont échoué à plusieurs reprises. Israël refuse d’inscrire la fin des opérations militaires dans un tel accord, tandis que le Hamas réclame un cessez-le-feu permanent. La prise de Rafah par l’armée israélienne a définitivement fermé la porte à toute possibilité de compromis à ce stade. Tant qu’Israël n’obtient pas les garanties sécuritaires exigés de l’Égypte, la guerre semble vouée à se poursuivre.

L’extension du conflit

Depuis le 7 octobre 2023, la Cisjordanie est également le théâtre d’opérations militaires israéliennes. Ces interventions, justifiées comme visant à neutraliser les bastions armés, se sont intensifiées, avec des bombardements aériens et des restrictions sévères sur les déplacements. Parallèlement, la colonisation israélienne a connu une expansion sans précédent, renforçant le projet du « Grand Israël ». Cette dynamique met en péril tout espoir de solution politique pour les Palestiniens.

Le Hezbollah a ouvert un front au nord d’Israël dès le 8 octobre 2023, liant son sort à celui d’un cessez-le-feu à Gaza. L’élimination de Hassan Nasrallah a marqué un tournant majeur. Ce dernier était une figure de proue de l’axe de la résistance, tant idéologiquement qu’opérationnellement. Cette élimination affaiblit non seulement le Hezbollah mais également l’Iran, qui a développé une stratégie de défense avancée reliant ses partenaires régionaux à sa propre sécurité.

Les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.

Les limites de la stratégie d’Israël

Israël cherche à restaurer la dissuasion vis-à-vis de l’Iran, notamment en affaiblissant le Hezbollah et en éliminant ses capacités militaires. En éliminant le Hezbollah, Israël vise à avoir les mains libres en cas d’escalade directe avec l’Iran. Cependant, cette stratégie comporte des limites importantes.

Du côté iranien, malgré son soutien au Hezbollah, l’Iran a jusqu’à présent évité une confrontation directe avec Israël. La mort de Nasrallah, leader du Hezbollah, pourrait rebattre les cartes, mais Téhéran reste prudent. L’Iran est conscient de sa vulnérabilité militaire face à Israël et préfère se concentrer sur le long terme, notamment en évitant un conflit qui favoriserait un retour de Donald Trump au pouvoir, ce qui compromettrait les négociations sur les sanctions économiques et le dossier nucléaire.En outre, les gains tactiques d’Israël ne doivent pas masquer son impasse stratégique.

Le rôle des puissances internationales

Dans ce contexte, les acteurs internationaux jouent un rôle crucial, mais souvent limité. Les États-Unis, traditionnellement alliés d’Israël, ont été critiqués pour leur soutien inconditionnel à Tel-Aviv, notamment en fournissant des armes et en refusant de faire pression pour un cessez-le-feu. De l’autre côté, la Russie et la Chine profitent de l’affaiblissement diplomatique de l’Occident pour consolider leurs positions stratégiques au Moyen-Orient, bien que leur implication directe dans la crise reste limitée.

L’Union européenne, pour sa part, se trouve marginalisée, incapable de peser sur les négociations malgré son rôle important dans l’aide humanitaire. Si certains États européens tentent de jouer un rôle diplomatique, notamment par le biais de groupes comme l’E3, ils peinent à influencer significativement le cours des événements.

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Présentation du concept de l’émission Planisphère par Pierre Verluise

Planisphère est une émission de géopolitique proposée par Radio Notre Dame et RCF. Planisphère est animée par Hugo Billard jusqu’au 31 août 2024 ; par Pierre Verluise (Diploweb.com) depuis le 3 septembre 2024. Chaque semaine des historiens, des géographes, des géopoliticiens, des diplomates, des stratèges et des acteurs des relations internationales prennent le temps de mettre en perspective les soubresauts du monde. Planisphère cherche à comprendre l’actualité mondiale dans l’espace et dans le temps, en privilégiant la clarification des jeux des acteurs comme des résultats sur les territoires. Pierre Verluise cherche à mettre à jour l’interaction des échelles et les dynamiques de la puissance, définie comme une capacité de faire, de faire faire, de refuser de faire ou d’empêcher de faire.
Cette émission est disponible en podcast sur les sites et les applications de ces deux radios, comme sur le Diploweb.com qui offre en bonus une synthèse rédigée, validée dans la mesure du possible par l’intervenant.

Ukraine : les Russes abattent leur propre drone furtif Okhotnik-B

Ukraine : les Russes abattent leur propre drone furtif Okhotnik-B

Par Jean-Baptiste Leroux – armees.com – Publié le 8 octobre 2024

Les Russes ont abattu leur propre drone S-70 Okhotnik-B au-dessus de l'Ukraine. Capture d'écran
Les Russes ont abattu leur propre drone S-70 Okhotnik-B au-dessus de l’Ukraine. Capture d’écran – © Armees.com

En pleine guerre en Ukraine, un avion de chasse russe a été filmé abattant un drone de combat russe de dernière génération, le S-70 Okhotnik-B. Cet incident, loin d’être une erreur, s’explique par des considérations stratégiques et techniques. Retour sur un événement marquant.

Un incident stratégique : pourquoi les Russes ont abattu leur drone

Bourvil aurait dit, dans le Corniaud, « qu’elle va marcher beaucoup moins bien maintenant ». Une aile volante russe, le S-70 Okhotnik-B, a été abattu par un chasseur russe dans le ciel au-dessus de la ville de Konstantinovka, en Ukraine. Ce drone furtif, conçu pour accompagner les chasseurs Soukhoï Su-57 dans des missions d’attaque et d’interception, n’était pourtant pas une cible ennemie. Cette action n’est pas le résultat d’un tir accidentel, mais bien d’une décision consciente des forces russes. Selon les informations disponibles, il est probable que la Russie ait perdu le contrôle du drone.

Les experts avancent que Moscou a pris la décision de détruire son propre aéronef afin d’éviter qu’il ne tombe entre les mains de l’armée ukrainienne. Ce drone, qui incarne une technologie de pointe, pourrait offrir des informations stratégiques cruciales à l’ennemi en cas de récupération. Les images de la destruction, qui ont circulé massivement sur les réseaux sociaux, montrent un chasseur russe tirant un missile guidé par infrarouge sur le drone, à environ 7 500 mètres d’altitude. Les raisons de cette perte de contrôle restent floues, bien que des spéculations sur un possible piratage par l’Ukraine circulent sans preuves concrètes à ce stade.

Le S-70 Okhotnik-B : un drone furtif de nouvelle génération

Le S-70 Okhotnik-B, également connu sous le nom d’« aile volante », est un drone furtif de 20 tonnes développé par la Russie depuis 2019. Ce drone impressionne par ses caractéristiques techniques : une envergure de 19 mètres, une capacité à voler à près de 1000 km/h et un design furtif conçu pour échapper aux radars ennemis. Il a été conçu pour opérer en tandem avec le chasseur de cinquième génération Soukhoï Su-57, selon le concept de « Loyal Wingman ». Ce concept repose sur une coopération entre drones et avions pilotés, avec l’intelligence artificielle jouant un rôle clé dans la coordination des actions.

Le S-70 a pour mission d’effectuer des frappes de précision au sol, de l’interception aérienne et des missions de bombardement à longue distance. Malgré le fait qu’il ne soit pas encore officiellement entré en service, ce drone fait partie des technologies les plus avancées de l’armée russe. Il est possible que les forces russes aient cherché à le tester en conditions réelles dans le cadre du conflit en Ukraine. Toutefois, l’incident montre que ce système est encore en phase de développement, et que des difficultés persistent, notamment en ce qui concerne sa gestion et son contrôle en situation de combat.


*Jean-Baptiste Le Roux est journaliste. Il travaille également pour Radio Notre Dame, en charge du site web. Il a travaillé pour Jalons, Causeur et Valeurs Actuelles avec Basile de Koch avant de rejoindre Economie Matin, à sa création, en mai 2012. Il est diplômé de l’Institut européen de journalisme (IEJ) et membre de l’Association des Journalistes de Défense. Il publie de temps en temps dans la presse économique spécialisée.

Les Marines, un corps à part dans l’imaginaire militaire

Les Marines, un corps à part dans l’imaginaire militaire

par Lilian Tassin – Revue Conflits – publié le 8 octobre 2024


Alors que les Marines ne représentent que 10% des forces armées américaines, ils sont régulièrement associés aux soldats américains et à l’armée de Terre. Cet amalgame est le fruit d’un rapport décomplexé des Marines avec l’influence, les médias et le mythe. Analyse de la construction historique de ce corps militaire.

Le 17 octobre sort aux éditions Perrin le premier ouvrage en langue française sur le Corps des Marines, par Nicolas Aubin. Fait étonnant, quand on pense qu’on associe fréquemment le soldat américain à un Marine alors que ceux-ci ne représentent jamais plus de 10% des forces armées américaines. Mais d’où vient cet amalgame ? Sûrement du rapport décomplexé qu’entretiennent les Marines avec l’influence, les médias, et le mythique. Au-delà du simple récit militaire, l’ouvrage de Nicolas Aubin entend donc analyser les rapports entre les Marines et la culture américaine, qui expliquent largement le paradoxe initial pour nous français.

Cet article représente la première partie d’un mémoire réalisé à l’Académie Militaire de West Point, le creuset des officiers de l’US Army, par un sous-lieutenant français de Saint-Cyr en stage. Il s’agit de montrer que le Corps des Marines a fait preuve d’une capacité d’adaptation multiforme pour, premièrement, éviter son éviction des forces armées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et ensuite, progressivement, s’imposer comme l’outil privilégié de la politique étrangère américaine dans les deux premières décennies de la Guerre froide. En s’interrogeant sur le processus qui a permis ce retournement de situation, c’est tout le contexte culturel, institutionnel et politique américain de l’époque qui rejaillit. Cette étude souligne aussi le fait que l’évolution du statut du Corps des Marines est liée à l’évolution de la place que se donnent les Américains dans le monde : d’une réduction drastique de budget privant le Marine Corps d’avenir dans l’immédiat après-guerre, on aboutit vingt ans plus tard à l’hégémonie d’une unité moderne tant dans l’organisation militaire américaine que dans les missions qu’elle est capable de remplir. L’auteur a de plus pu profiter d’accès aux archives du Congrès à Washington pour analyser ce renversement de situation.

Pour finir, cette partie est centrée sur le concept de « guérilla politique » qu’a mené le Corps pour pérenniser son existence. À rebours de Platon, les protecteurs de la Cité trouvent leur salut dans la population qu’ils sont censés protéger. En profitant de l’expérience accumulée dans des conflits en Amérique centrale, les Marines parviennent à éviter la dissolution par des procédés d’influence novateurs et multiformes vis-à-vis de la société américaine. Loin de la « Grande Muette », le Corps des Marines montre alors que les forces armées ne sont pas des institutions monolithiques et donne à réfléchir sur les rapports civilo-militaires dans les démocraties occidentales.

Partie I- Éviter la disparition par la lutte : une guérilla institutionnelle ?

« The Marine Corps, then, believes that it has earned this right—to have its future decided by the legislative body which created it—nothing more. Sentiment is not a valid consideration in determining questions of national security. We have pride in ourselves and in our past, but we do not rest our case on any presumed ground of gratitude owing us from the Nation. The bended knee is not a tradition of our Corps. If the Marine as a fighting man has not made a case for himself after 170 years of service, he must go. But I think you will agree with me that he has earned the right to depart with dignity and honor, not by subjugation to the status of uselessness and servility planned for him by the War Department. »[1].

Chapitre I – La remise en cause de l’existence du Corps après la Seconde Guerre mondiale.

Une baisse rapide des effectifs à la fin de la guerre.

« Bring the Boys home »[2]. À l’annonce de la capitulation du Japon le 2 septembre 1945 sur l’USS Missouri, la ferveur populaire laisse rapidement sa place à des manifestations pacifiques réclamant la démobilisation immédiate des soldats dans le Pacifique qui ont dû se battre trois mois de plus que leurs camarades en Europe pour terminer la guerre. Le Victory Over Japan Day (abrégé V-J Day) constitue l’apogée pour le Corps des Marines. Auréolé de gloire pour sa campagne du Pacifique et soulagé de ne pas avoir eu à mettre en œuvre l’Operation Downfall qui avait pour but l’invasion du Japon au prix d’un million de victimes américaines[3], les officiers supérieurs sont chargés de mettre en œuvre le retour des Marines aux États-Unis. Le Corps définit son objectif qui est de conserver une force de réaction rapide de deux divisions et deux escadres aériennes, plan qui aurait supposé la conservation de 100 000 soldats et 8000 officiers en temps de paix[4]. D’un effectif de 485 053 hommes au V-J Day, le Marine Corps ne compte plus que 155 592 soldats une année plus tard. Le Corps des Marines est néanmoins tenu d’assurer une présence en Asie comme en Corée, en Chine, au Japon ou aux Philippines où il participe au maintien de l’ordre. 46 000 Marines des 1st et 6th Marine Division sont par exemple présents en Chine sous le commandement de MacArthur pour maintenir le statu-quo le temps de trouver un compromis entre nationalistes et communistes[5]. Cela conduit à des épisodes fâcheux où la troupe se rebelle et déclenche même une pétition demandant au Congrès leur immédiate démobilisation, conduisant le Lieutenant General Roy S. Gieger à enfermer 9 sous-officiers et à choquer l’opinion publique[6]. Il est important de rappeler le contexte opérationnel des Marines de l’époque, entre maintien de missions importantes en Chine et baisse drastique des effectifs voulue par le Congrès et les Américains, pour comprendre le climat d’incertitude qui va s’installer suite aux réformes de l’administration Truman.

La réorganisation des forces américaines : le Joint Chiefs of Staff (JCS).

En décembre 1941, le Président Roosevelt établit le Joint Chiefs of Staff pour répondre à l’absence de structure coordonnant les efforts militaires au niveau stratégique. Il compte le Chief of Staff for the President, le Chief of Staff of the Army (General Marshall), le Chief of Naval Operations (Admiral E. J. King), et, le senior Army Air Corps officer (Major General Henry H. Arnold)[7]. L’US Air Force n’existe pas encore en tant qu’unité indépendante et elle est rattachée à l’US Army tout au long de la Seconde Guerre mondiale. Le 2 novembre 1942, Mac Arthur écrit un mémorandum pour le Président qui jette les bases de l’unification des services voulus à la fin de la guerre sous la régence d’un Department of War.

« Relating to the single department of war in the postwar period, single department to be headed by a civilian secretary and composed of ground, naval, and air components, with a separate supply service, each under its own civilian under secretary and military chief of staff. There would be a chief of staff to the President, who, with the other four service chiefs, would constitute a United States General Staff (joint). Each Armed Force would retain « a small general staff. »[8].

 Cette vision unificatrice proposée par Mac Arthur a pour origine une volonté de coordonner plus efficacement les efforts des différents bureaux et de les relier de manière plus directe au Président. La volonté de centralisation est aussi partagée par le sénateur Harry S. Truman. En 1942, ce dernier est Chairman of the War Investigating Committee et assiste à ce qu’il considère comme un « gaspillage bureaucratique qui le dégoûte en dilapidant l’effort de guerre sous des contraintes juridictionnelles » et marque « profondément » sa vision du haut-commandement militaire. Il déclare même que les militaires n’ont « aucune connaissance de la valeur de l’argent. »[9].

Les travaux sur l’unification débutent dès fin 1944 et deux projets émergent. D’abord, l’US Air Force sera indépendante une fois la guerre finie du fait de l’importance prise par les vecteurs aériens symbolisée par les bombardements stratégiques sur l’Allemagne nazie et nucléaires sur le Japon. Le Strategic Air Command a prouvé son utilité par des raids « psychologiques » comme l’opération Doolittle sur Tokyo et par la préparation minutieuse du débarquement de Normandie. Le deuxième point concerne les Marines. Ceux-ci n’ont pas de siège attitré au JCS de par leur sujétion à l’US Navy alors que les forces aériennes nouvellement indépendantes en ont un. Cette invisibilité expose le Corps à des manœuvres de prédation des autres services qui se disputent les prérogatives et moyens des Marines qui sont considérés comme un doublon hybride de l’US Air Force, de l’US Army, et de l’US Navy.

Face à ces acteurs peu enclins aux concessions, le General Vandegrift tente d’attirer l’attention sur le haut niveau de préparation que nécessite une opération amphibie. Commandant la 1re division de Marines lors de la bataille de Guadalcanal qui est la première offensive terrestre des États-Unis, il est titulaire de la Medal of Honor et est le premier Marine à devenir General (quatre étoiles). Il est commandant du Marine Corps à la fin de la guerre. Il rappelle qu’il ne faut pas confondre duplication des efforts et emploi parallèle des forces[10]. Vandegrift face aux autorités qui qualifient le Corps d’anachronisme souligne enfin que l’aviation est essentielle au corps par les missions d’appui rapproché qu’elle remplit[11]. Il est alors possible d’imaginer que du point de vue rationnel de l’administration Truman, pour qui l’économie du budget et le retour à la paix étaient la priorité, celle-ci fut peu concernée par le sort de l’esprit de corps des Marines.

Autrement dit, le Corps des Marines fait face à une coalition de services qui veulent, dans un souci de rationalisation, démembrer sa composante aérienne et la transférer à la toute nouvelle Air Force ou à la Navy, déléguer sa prérogative amphibie à l’Army et finalement circonscrire son activité à celle d’une infanterie prépositionnée dans le Pacifique et gardienne d’installations navales[12].

Les tentatives de prédation des autres services vis-à-vis des Marines

Les Marines sont donc très incertains quant à leur avenir durant cette période. Exploitant le fait que le Corps n’a pas voix au chapitre lors des réunions des chefs d’armées siégeant au commandement interarmées, les autres services mettent en œuvre de véritables stratégies qui soulignent la volonté réelle de le supprimer. Les sessions d’écoute au Congrès concernent directement l’avenir du Marine Corps mais ne comptent souvent pas de représentants du Corps alors que Quantico, maison-mère des Marines, se trouve à moins d’une heure de Washington. Par exemple, le comité de 1945 interroge quatre-vingts officiers, dont seulement trois officiers généraux de l’US Navy. Trois officiers généraux des Marines sont interrogés dans le Pacifique et non à Washington comme les autres[13]. Autre différence de traitement exposée par les Marines à l’époque, des détails comme le statut du Marine Corps ne peuvent être décidés que par le commandant du Joint Chief of Staffs (JCS) qui est souvent un Général de l’Army avec des vues forcément partiales[14]. L’US Navy critique aussi la toute-puissance de l’Army avec l’Admiral Halsey qui déclare lors des auditions de 1945 :

« One might just as well ask a committee composed of a Protestant, a Catholic, and a Jew to save our national souls by recommending a national church and creed. »[15].

Néanmoins, face au Président Truman qui rejoint aussi la controverse en déclarant vouloir supprimer « the own little Army that talks Navy and is known as the Marine Corps.»[16]. L’US Navy en vient à se désolidariser du Corps, théoriquement réuni au sein du même ministère, afin de se battre pour garder son aviation embarquée. Le Secretary of the Navy James Forrestal et l’Admiral Sherman, plus hauts représentants à Washington des intérêts navals, jugent par exemple que le Marine Corps peut servir de sacrifice pour contenter les autres services.

« Q: Was it your impression that in this fight the Navy would have sold the Marine Corps down the river?

General Krulak: It’s not fair to speak of the Navy. It’s more correct to speak of the people who were carrying the Navy share of the unification load. I believe that Admiral Forrest Sherman would have willingly, not because of any animosity for the Marine Corps, but because of his sagacity realizing that the Marine Corps was a very big blue chip that he could use. Admiral Burke would not, nor would Radford. »[17].

Un Marine participant aux auditions de la commission parlementaire sur l’intérêt de l’unification déclare à la suite du revirement de la Navy :

 « What Chief of Naval Operations wants to go down as an evangelist for the Marine Corps ?»[18].

Quant à l’Army, l’avis du Supreme Allied Commander Dwight D. Eisenhower est explicite sur la position adoptée à l’encontre du Marine Corps. Celui-ci déclare que le développement de la force amphibie des Marines pendant la Seconde Guerre mondiale relève d’une exception, et qu’une division claire entre opérations terrestres et navales devrait être faite. À ce titre, le rôle des Marines serait réduit à la protection d’emprises navales à l’image de nos fusiliers marins français. Une citation tirée des auditions du Sénat résume sa pensée :

« When naval forces are involved in operations requiring land forces of combined arms, the task becomes a joint land-sea, and usually air force mission. Once Marine units attain such a size as to require the combining of arms to accomplish their missions, they are assuming and duplicating the functions of the Army and we have in effect two land armies. »[19].

Finalement, Eisenhower recommande un Corps de 60 000 hommes, soit presque huit fois moins que les effectifs lors du V-J Day. Cette hostilité manifeste envers le Marine Corps est selon Gordon H. Keiser liée aux coupes de budget qui réduisent l’US Army de 1 500 000 hommes en 1946 à 1 000 000 en 1947 et 650 000 les années suivantes. Les leaders de l’US Army sont en effet les grands oubliés de l’après-guerre, car les dépenses concernent surtout le développement de nouveaux aéronefs pour l’Air Force et l’entretien de la gigantesque flotte américaine, représentant 70% du tonnage mondial au V-J Day[20].

Privé du soutien de l’US Navy, visé par l’US Army pour sa composante amphibie, par l’US Air Force pour son aviation et finalement par l’administration Truman pour son budget, le Corps ne pouvait compter que sur lui-même, c’est-à-dire son ingéniosité et son rapport particulier aux Américains, pour espérer s’en sortir.

Chapitre II- Survivre par la lutte : la guérilla politique des Marines au Congrès.

« We had a loyal bunch of Marines out there on the Hill, and they moved freely across party, committee boundaries, and everything; they were everywhere. »[21].

Les Marines protégés par le Congrès.

[22]

En 1947, le National Security Act promulgué par le Congrès fige le rôle et les missions du Marine Corps dans le marbre législatif et empêche ainsi le Président de transférer ces prérogatives à d’autres services. En 1952, le Douglas-Mansfield Act intervient de manière agressive dans les pouvoirs de Chef des Armées du Président en octroyant un siège au JCS pour les Marines, en décidant d’un effectif minimal à ne pas dépasser et d’un statut indépendant réaffirmé, faisant du Corps le seul service à bénéficier d’autant d’appui au Congrès. En 1958, par le Defense Reorganization Act, le Congrès crée une passerelle entre les chefs d’armées (Navy, Army, Air Force) et le Capitole, excluant de fait le Président. À l’époque, le Président Eisenhower parle « d’insubordination légalisée »[23].

Grâce à cette protection législative, le Corps atteint 7% des forces armées en 1960 contre 4% en 1945. Le Congrès a même tenté trois fois d’augmenter le budget des Marines sous le mandat d’Eisenhower[24]. De tous les chiffres avancés par Aaron B. O’Connell, celui concernant la croissance de la flotte de bâtiments amphibies est évocateur, car il représente à lui seul le passage d’une situation précaire à une reconnaissance de l’utilité du Marine Corps. La flotte amphibie représente 17% des bâtiments totaux de l’US Navy en 1966 contre 12% en 1950, soit 159 navires contre 70[25].

Tous ces chiffres et faits sur l’expansion de l’US Marine Corps à cette période démontrent le lien étroit qu’il existait entre les Américains qui votent pour des représentants ayant un agenda clair (la protection des Marines dans ce cas), le Congrès et les forces armées à cette période. Loin d’être omnipotent en matière de Défense, le Président doit composer avec un Congrès qui détermine lui aussi la politique étrangère et les forces armées en conséquence. Cela remet donc en cause l’idée comme quoi le citoyen n’a pas d’influence législative sur ses armées face au Président qui en ferait un domaine régalien en dehors du débat. Le Marine Corps en est le parfait exemple, car il s’est agrandi contre la volonté de l’executive grâce à ses appuis au Congrès et sa popularité parmi les Américains. Il convient maintenant d’analyser les ressorts de ce changement de situation.

Une bande de guérilleros ?

« They were no briefings, no charts, none of the formal devision-making apparatus, […] we operated much more like the CIA. »[26].

Sous l’égide d’officiers comme Heinl, ministre de la Propagande auto-proclamé de la Chowder Society, un groupe d’officiers supérieurs, majoritairement commandants et lieutenants-colonels, a défendu la cause des Marines face à des groupes hostiles à sa survie. Un rapprochement peut être fait toute proportion gardée avec des techniques de guérilla pour étudier les méthodes de cette cellule activée en 1946 pour influencer l’avenir du Corps. À l’exception de l’action violente, on retrouve ainsi tous les procédés qui ont permis à une unité beaucoup plus petite de saper un processus à son encontre. Premièrement, l’organisation était décentralisée et les opérations n’étaient pas décidées par le Commandant Vandegrift qui dédiait son temps à Washington à la défense du Corps. Robert Debs Heinl était un colonel ayant combattu à Iwo Jima et en Corée. Il déclare ainsi que Vandegrift n’avait jamais vu la Chowder Society personnellement[27], « qu’il y avait une cécité intentionnelle sur ce qu’ils faisaient » et qu’il leur est arrivé de mentir quand le Général leur a demandé de stopper leurs activités à la suite d’une réprimande de Truman qui ne supportait plus le lobby Marines[28]. S’appelant entre eux les termites, car ils étaient une cellule cherchant à battre une structure établie, bureaucratique, et beaucoup plus large depuis l’ombre[29], ils regroupent tous les procédés d’action caractéristiques d’un belligérant engagé dans une lutte asymétrique. En plus de la décentralisation, on peut citer la recherche d’alliés dans l’opinion publique, la surprise, la flexibilité et l’innovation comme éléments principaux de l’action de la Chowder Society.

Un point important est que les deux officiers les plus expérimentés de la cellule ont une forte expérience dans la contre-insurrection en ayant été engagés au Nicaragua et à Haïti durant l’entre-deux-guerres, ce qui a mené le Brigadier General Edson à écrire dans le Small Wars Manual, publié en 1940, ouvrage récapitulant les enseignements tirés par les Marines dans la Guerre des Bananes. Cette expression est utilisée pour décrire les conflits déclenchés, souvent pour motif économique, par les États-Unis en Amérique latine entre la guerre contre l’Espagne (1898) et le début de la politique de bon voisinage (1934-1935).

« The military strategy of small wars is more directly associated with the political strategy of the campaign than is the case in major operations… In small wars, either diplomacy has not been exhausted or the party that opposes the settlement of the political question cannot be reached diplomatically. Small war situations are usually a phase of, or an operation taking place concurrently with, diplomatic effort. »[30].

On voit dans cet extrait que les Marines ont bien compris que l’influence sur la population est toute aussi importante voir supérieur à l’opération armée pour obtenir la victoire. Il décrit même la manière dont les réseaux informels doivent être organisés pour communiquer avec la population et contourner l’influence des locaux[31], éléments modernes qu’on retrouve aussi chez David Galula, grand théoricien de la contre-insurrection encensé par David Patraeus, général américain qui commandait l’opération Iraqi Freedom en 2008. Les travaux de Galula, redécouverts par les Américains alors qu’ils étaient oubliés en France, définissent quatre principes de la contre-insurrection[32] qu’on peut rapprocher des techniques de la Chowder Society aux États-Unis en prenant le mode d’action du côté de l’insurgé et non du contre-insurgé : l’importance cruciale de la population qui est la pierre angulaire de toute stratégie insurrectionnelle, une minorité hostile (dans ce cas la Chowder Society) insaisissable et déterminée à gagner, un soutien de la population seulement conditionnel, car il s’entretient par des actions favorables à leurs intérêts (lobbying) et enfin des efforts non pas tous azimuts, mais dans des secteurs clés (médias, élus).

Dans ce cadre, les Marines excellaient et envisageaient la société américaine comme un champ de bataille où tous les coups étaient permit comme l’écrit Heinl : « a man fighting for his life doesn’t very much question the intellectual or moral alignments of someone who steps in and fight on his side. »[33]. Le vol des 1478 Papers, déclarations classifiées d’Eisenhower sur l’avenir des Marines constitue un bel exemple d’opération illégale en ce qu’il implique plusieurs crimes relatifs à la sécurité nationale. Ces documents étaient inaccessibles au Général Vandegrift, car ils étaient classifiés top secret, mais ils pouvaient être d’une grande aide pour montrer l’existence d’arrangements entre les différents services contre les Marines. Le Brigadier General Edson, alors officier de liaison à Washington, s’est introduit dans le bureau du Chief of Naval Operations, a subtilisé les documents pour en faire des copies et les a envoyés à Quantico[34]. Au-delà de l’épisode rocambolesque, la Chowder Society s’est félicitée de cette opération qui s’inscrit dans « l’art honorable du braquage institutionnel »[35] et qui a servi à appuyer la cause auprès de la presse et du Congrès après son envoi par Heinl au total mépris des articles 94, 95, et 1252 des U.S Naval Regulations qui interdisent tout contact informel entre le Navy Department et le Congrès.

[36]

Hittle était un officier général des Marines ayant combattu pendant la Seconde Guerre mondiale et à l’époque lieutenant-colonel. Il s’occupait de l’aspect législatif dans la lutte de la Chowder Society et fut même nommé conseiller spécial de Clare Hoffman, ténor de la coalition Marines à la Chambre des Représentants. Les Marines actuels lui créditent la survie de l’aviation du Corps face à l’hostilité de l’Air Force. Il décrit ici l’action du Major Lyford Hutchens, mystérieux spécialiste dans l’action dissimulée, un des nombreux rouages de la cellule pro-Marines­, aux côtés d’officiers plus âgés comme Twining, à la personnalité « machiavélienne » selon Krulak[37].

Ces archives contenant des témoignages oraux d’officiers de la Chowder Society sont précieuses, mais peuvent aussi amener, dans la mesure où c’est le département d’Histoire de l’Université des Marines dans cette série « Distinguished Marine Interview Transcripts » qui mène les interviews, à fausser quelque peu la réalité vingt ans plus tard pour arrondir les angles avec les autres armées en ce qui concerne la rivalité inter-services.

Enfin, l’étude d’autres profils comme celui du Brigadier General Samuel R. Shaw apportent d’autres détails comme la précarité des officiers de la Chowder Society qui ne bénéficiait pas de tout l’appui financier et logistique du Corps au contraire des lobbyistes, souvent généraux, de l’Army ou de la Navy. Shaw révèle que l’essentiel des dossiers de la cellule était caché dans le coffre de sa voiture et qu’il était considéré comme une « personne suspicieuse » après une enquête du renseignement naval[38], son propre département. De plus, Heinl a demandé des fonds au Commandant des Marines en 1949 quand le National Security Act risquait d’être amendé pour créer un réseau de distribution de lettres, de la « propagande collatérale », à d’anciens Marines dans tout le pays :

« We created a basis mailing list of friends of the Marine Corps nationwide, comprising several thousand people of serious influence, grass roots people across the United States. »[39].

À la manière d’un réseau de communication insurgé, Heinl envoyait des lettres blanches reconnaissables et sans en tête de manière à tromper n’importe quel intercepteur sur l’origine du courrier[40]. L’auteur de ce mémoire a par exemple trouvé des lettres envoyées par le Chowder Marine Merritt A. Edson au Daily Pentagraph de Bloomington, Illinois le 10 mars 1952 dans un carton déclassifié en 1972 dans les archives du Congrès[41], consultées le 27/09/2023. On y trouve des indications attestant que 1200 éditeurs auraient été ciblés pour diffuser des informations au grand public critiquant les « soi-disant experts du JCS » qui étaient sur le point de supprimer un Corps dans lequel la nation investissait des milliards de dollars. Cet exemple clair de lobbying indirect montre la manière dont les Marines considéraient les médias comme une arme efficace pour s’assurer le soutien de la population à travers le pays.

Comme évoqué précédemment, la Chowder Society n’était pas une exception parmi les forces américaines à cette période. Comparer le destin malheureux de l’Organizational Research and Policy Division (OP-23), équivalent de la Chowder Society pour la Navy, avec les méthodes des Marines, permet même de souligner le degré d’expertise acquis par les camarades d’Heinl. Décrit par le Washington Post comme un « bureau secret presque entièrement dédié à gêner l’Army et l’Air Force pour empêcher l’unification »[42], celui-ci a été démantelé à l’issue de deux scandales impliquant l’US Air Force. Un document anonyme dénonçant le développement douteux du B-36 Peacemaker, premier bombardier stratégique à pouvoir transporter directement une arme atomique des États-Unis vers l’URSS, met le feu aux poudres. Sur un fond de rivalité interservices et de suprématie du nucléaire sur les forces conventionnelles, les amiraux de la Navy font fuiter ce document dans la presse comme a pu le faire Edson avec les 1478 Papers, mais la tentative de la Navy de s’opposer au JCS, épisode connu sous le nom de « Révolte des Amiraux », échoue[43]. Le Président relève immédiatement le chef de la Navy de ses fonctions et son influence est réduite au Congrès. Les raisons de l’échec de l’OP-23 sont directement imputables à son organisation trop bureaucratique. Les différentes cellules de ce bureau poursuivaient des agendas différents, ce qui a fait voler en éclats la cohésion lorsque les auteurs du document se sont fait lyncher dans la presse, perdant de fait le contrôle des relations publiques. À l’inverse et à la manière d’un judoka qui sait renverser le poids de l’adversaire à son avantage, la Chowder Society était moins nombreuse, mais décentralisée et regroupait des colonels qui n’attiraient pas l’attention quand ils se déplaçaient au Congrès. Elle bénéficiait de fait d’une cohésion plus solide.

La coalition pro-Marines au Congrès

En 1952, alors que le sénateur Paul H. Douglas était un homme politique des plus libéraux dans la chambre, il reçut le soutien inespéré de Joseph R. McCarthy, figure de proue de la paranoïa anti-communiste de la Guerre froide aux États-Unis et conservateur convaincu. La loi qu’il défendait, connue sous le nom de Douglas-Mansfield Act, était un texte très favorable aux Marines[44]. Contre toute attente, McCarthy débloqua les dernières voix nécessaires à la ratification, car tous deux étaient Marines. Leur devise latine Semper Fidelis se retrouve ici, car l’un était 1re classe entre 1920 et 1922 et démocrate alors que l’autre était Lieutenant dans le Pacifique et républicain[45]. En effet, il n’existe pas d’ex-Marines, chacun est considéré comme un membre à part entière, de l’homme en treillis à l’homme d’affaires en passant par l’élu politique. Cette particularité qui participe à l’esprit de corps est importante à saisir si l’on veut comprendre la solidarité qui existe entre eux.

On peut diviser la coalition favorable aux intérêts des Marines au Congrès en trois groupes : les vétérans devenus des élus dans l’une des deux Chambres, les élus sans expérience militaire qui sont devenus des soutiens de la cause des Marines par affinité pour le Corps et les réservistes du Corps qui ont favorisé ses intérêts dans leur activité. La formation de cette coalition hétéroclite témoigne de la stratégie politique mise en place par le Corps en plus de ses agissements plus opaques par la Chowder Society. L’auteur du mémoire a recensé dans un tableau vingt-deux profils composant cette coalition Marines et les a triés par parti d’affiliation, état représenté, type de mandat et durée, expérience militaire et grade. Ce tableau permet de comprendre le pragmatisme de la stratégie politique des Marines qui doivent leur salut à des politiques qui ont trouvé un consensus dans un pays dont la culture politique est marquée par la polarisation entre démocrates et républicains. Parmi les élus du tableau, douze sont républicains et dix démocrates, montrant ainsi que la cause transcende l’antagonisme traditionnel entre les deux partis. De plus, l’expérience militaire rassemble environ 75% de la coalition (16 élus), mais six d’entre eux ne sont pas vétérans et pourtant très actifs pour le Corps comme les representatives[46] républicains et démocrates Clare Hoffman et Carl Vinson. Des déclarations passionnées de ce dernier au Congrès montrent l’attachement de ces élus sans passé militaire à l’avenir du Corps. Si l’on prend les grades des élus ayant servi en tant que Marine, les officiers sont davantage représentés (huit officiers), mais des Privates composent aussi cette coalition (deux militaires du rang). Logiquement donc, la coalition ne comporte pas d’anciens sous-officiers, car il est rare qu’ils se reconvertissent en politique. Enfin, la cause des Marines a aussi rallié quelques élus issus d’autres services comme des profils de l’US Army, certains ayant même rejoint le Marine Corps après leur service dans l’Army (Robert R. Wilson et Delbert L. Latta, élus républicains de Californie et de l’Ohio).

Le groupe de Marines devenus élus est à replacer dans le contexte d’après-guerre aux États-Unis. En effet, fait rarissime dans l’histoire politique du pays, Le soixante-dix-neuvième Congrès et (1945-1947) et les suivants voient une avalanche de vétérans intégrer le corps électoral. Les vétérans de l’US Army (200), de l’Air Force (150) et de la Navy (100) sont les plus représentés avec des noms qui marqueront le pays comme John F. Kennedy ayant fait son service dans la Navy et élu en 1946 ou Richard Nixon élu en 1945 de la Navy aussi. En 1945, les Américains envoient cinquante-cinq élus sans expérience politique et vétérans, neuf d’entre eux étaient Marines, ce qui fait 16% de la délégation totale alors qu’ils ne représentent que 4% des hommes ayant servi durant la Seconde Guerre mondiale[47]. Cette sur-représentation était en partie liée à la popularité du Corps et à la possibilité de faire campagne en uniforme donnée par le commandement en violation complète des règlements de la Navy. Deux cas sont représentatifs de l’opportunisme des Marines pour occuper l’espace politique.

Le premier est surnommé « Silent George ». Plus jeune représentant de la Chambre à vingt-sept ans, George Sarbacher Jr. de Philadelphie est l’exemple parfait de l’instrumentalisation de l’uniforme des Marines comme arme politique. Alors que les démocrates présentaient un vétéran lambda pour les élections du cinquième district électoral de Philadelphie, les républicains ont eu l’idée de présenter le fils d’un membre du parti, qui était Marine, mais n’avait pas d’expérience politique. Sarbacher avait servi deux ans dans le Pacifique comme officier dans le génie, sa campagne politique allait démontrer comment les Marines étaient prêts à interpréter les règles pour renforcer leur position au Congrès. Bien que pouvant porter leurs uniformes dans le public et à des meetings politiques, les militaires américains ne sont pas autorisés à s’adresser aux foules comme le peut faire un candidat en campagne. Les Marines concluent donc qu’il fera campagne sans parler, avec tout l’attirail de ses décorations et avec l’hymne des Marines à chaque entrée spectaculaire sur scène alors qu’un autre membre du parti Républicain ferait ses discours. Il raconte aux reporters :

« I was afraid that if I opened my mouth, I might accidentally say something about the issues, and the opposition would be all over like a four-alarm fire for violating regulations. »[48].

Il remporte aisément les élections et vient renforcer la coalition qui protège le Corps au Congrès.

Le deuxième exemple est plus connu et plus clivant aussi. Le plus jeune membre du Sénat en 1947 est aussi un Marine. Son nom est associé à la paranoïa anti-communiste qui frappa l’Amérique durant la Guerre froide. Joseph R. McCarthy comptait faire une carrière politique avant la guerre, mais un mentor lui a conseillé : « If you want to be a policitian […] be a hero, join the Marines. »[49]. Sa biographie rapporte qu’il fut engagé en tant que lieutenant, et non 1re classe comme il le prétendait, dans le Pacifique au sein d’une escadrille. Officier de renseignement, son travail par définition le cantonnait à son bureau, il n’avait de plus jamais participé à un bootcamp de sa vie. Néanmoins, MacCarthy était convaincu qu’une expérience au combat était nécessaire pour la campagne politique qui l’attendait. Il demanda alors à se greffer à des vols peu risqués en tant que mitrailleur de queue, poste qu’il utilisa pour alimenter la légende de « Tail-Gunner Joe » au Sénat. Il se fabriqua aussi des faux en écrivant ses citations au combat lui-même et en imitant la signature de son supérieur[50], et se lia d’amitié avec l’officier en charge des relations publiques de l’unité qui le mit en scène à l’arrière d’un avion et envoya des critiques positives à son égard aux journaux du Wisconsin, l’état d’origine de McCarthy. On pourrait croire que le Marine Corps n’approuvait pas ces manières, mais à la manière de Sarbacher, il fut retransféré aux États-Unis dans l’été 1944 alors que son unité était engagée à Guam et qu’on manquait d’hommes. Il fut autorisé à faire campagne en uniforme et le Corps créa des posters à son effigie : « The Spirit of Our Fighting Men : Elect Captain Joseph R. McCarthy of the U.S Marines » pouvait-on lire comme montré ci-dessous[51]. Des photographies de lui en uniforme sont disponibles en annexe 6 et rendent compte de la volonté d’associer l’homme politique et son expérience militaire. Une fois élu, il reçut en 1952 la Distinguished Flying Cross en falsifiant son nombre de vols alors qu’il était un ténor au Sénat en faveur des Marines. Le Corps continua à lui octroyer des promotions au Sénat et il atteignit finalement le grade de lieutenant-colonel[52].

Un exemple similaire est retrouvable grâce à la biographie de George Smathers, autre figure de proue des Marines au Sénat. Il déclare :

« When I got retired, I was still a Captain. After I got elected to the Congress, all of a sudden, I get a notice that I had been promoted to Major… I went to the Senate, and I got a notice that I was now a Lieutenant Colonel […] I love the Marine Corps. I thought that it was a great outfit. But I am embarrassed by the fact that since I’ve gotten into Congress and haven’t done a damn thing, I get promoted three times I couldn’t get promoted once when the war was going on and I was really doing something. Now this is ridiculous […] they were really bad about that [53](the promotions). »[54].

Le Marine Corps a donc sciemment orchestré des promotions factices pour favoriser les hommes qui les défendaient au Congrès. Convaincus de l’aura du Corps dans la société américaine, les Marines se sont servis de leurs exploits dans le Pacifique et de l’esprit de Corps pour tisser un réseau de politiciens acquis à leur cause, démontrant ainsi une ténacité admirable face aux tentatives de marginalisation des autres services.

Concernant les élus qui n’avaient pas d’expérience dans les Marines à proprement parler, ceux-ci venaient d’origines très diverses. Certains étaient vétérans d’autres services, mais avaient choisi de défendre le Corps par conviction personnelle comme Edward B. Robertson, gallois vétéran de la Guerre des Boers ou Leverett Saltonstall qui était lieutenant dans l’US Army et dont les deux fils Marines furent tués dans le Pacifique. D’autres n’avaient aucune expérience militaire, mais étaient si passionnés dans la défense des Marines que les élus chantaient spontanément les premiers vers de l’hymne du Corps à chaque prise de parole, anecdote rapportée au sujet de Daniel J. Flood[55]. Se pose maintenant la question de la manière dont ces hommes étaient ralliés à la cause des Marines. En effet, ils n’avaient pas appris la devise Semper Fidelis au bootcamp et pourtant ils ont apporté un appui décisif au Capitole. Il faut pour ceci revenir à la Chowder Society. En utilisant intelligemment leur réseau, les Chowder Marines approchèrent le sénateur Clare Hoffman qui était une connaissance du père du lieutenant-colonel Hittle. Ce dernier lui montra les 1478 Papers écrits par l‘Army qui prévoyaient la dissolution du Corps, ce qui suffit à Hoffman pour activer ses contacts et recruter des soutiens. Le premier jour des auditions, le secrétaire à la Guerre Patterson perdit sa patience tant les questions sur le Marine Corps fusaient : « Marines, Marines ! That’s all I hear. They are not treated any differently than any of the other branches ! »[56]. Même Vandegrift, censé se tenir au-dessus des activités de la Chowder Society par sa position de Commandant participait au lobbying direct par sa relation de longue date avec le sénateur Byrd[57], originaire de Virginie comme lui et membre de la commission des affaires navales. La tradition parlementaire américaine fut donc utilisée à bon escient par les Marines qui se présentèrent en victimes d’un executive tout-puissant.

Pour conclure sur la coalition pro-Marines au Congrès, celle-ci était donc relativement peu nombreuse comparée aux autres groupes, mais soudés par un esprit de corps fort. Elle était non-partisane et les adversaires d’hier devenaient les alliés d’aujourd’hui lorsqu’ils se retrouvaient une fois par mois au « Congressional Marines Breakfast Group »[58]. Ce groupe hétéroclite par ses origines était soudé par des officiers de Chowder Society qui coordonnaient les efforts au Congrès et les opérations d’influence en dehors.

Chapitre III- les Marines et la société : l’instrumentalisation des peurs des Américains.

« In losing its Marine Corps the country would lose more than highly trained body of fighting men. It would lose a symbol of real democracy since the Marine Corps is the most democratic service in the nation. »[59].

Une place privilégiée auprès des Américains

David Galula explique que les insurgés font partie d’une minorité active qui entraîne la majorité par des opérations d’influence. Force la plus populaire de l’armée des États-Unis, les Marines ont joué de cette proximité avec les Américains pour décrédibiliser leurs adversaires et faire valoir leurs opinions sur l’unification des services. Une boutade commune de l’Army envers les Marines moque leur groupe de combat, composé de treize hommes pour les premiers et douze hommes et un journaliste pour les deuxièmes.[60] Plus qu’aucun autre service, les Marines savaient mettre en valeur leur histoire, amenant Truman à dire qu’ils avaient une machine propagandiste presque égale à celle de Staline[61].  Néanmoins, la propagande ne peut pas expliquer seulement cette place particulière des Marines auprès des Américains, car ce n’était pas à sens unique. En effet, les Américains voulaient aussi ce que les Marines avaient à apporter. Aaron B. O’Connell explique que dans un contexte post-guerre mondiale marqué par la croissance économique, l’application civile des technologies militaires, mais aussi la peur du communisme et les débuts de la société globalisée, les Marines apportaient un discours fédérateur et conservateur[62]. En mettant l’accent sur des mots comme « tradition », « histoire », « famille » et « communauté » qui décrivaient leur esprit de corps unique, les Marines tranchaient avec les autres services comme l’Air Force qui promettaient un avenir fondé sur la technologie, le nucléaire, et le règne américain en la matière[63]. Le discours des Marines, diffusé par les vétérans et les contacts de la Chowder Society, ressemblait de fait davantage à ce qu’on pouvait entendre à l’église que dans un roman de science-fiction. Le Corps tenait un discours nostalgique sur la société américaine en rappelant les grands sacrifices des Marines pour la nation et soulignait l’importance du collectif sur l’individualisation naissante. Les 1res classes, « Privates », étaient le nerf de la guerre de cette stratégie communicationnelle,[64] car ils représentaient une approche plus humaine et romantique de la guerre dont un contexte de guerre froide où on présentait des bombes atomiques et des jets supersoniques au grand public comme les assurances de la paix. Le film Sands of Iwo Jima[65] met en scène le sergent Stryker et son groupe de combat. On y voit la vie au quotidien de son unité avec toutes les difficultés auxquelles elle fait face (alcool, pertes, violence). Pour prendre un exemple récent, la série The Pacific[66] met en scène des Privates dans les dix épisodes alors que l’US Navy, l’US Air Force et l’US Army se concentrent sur les navires, avions, officiers et tactiques qui ont changé le cours de la guerre. Cette proximité avec les familles américaines forgée lors de la guerre par les témoignages et le retour des vétérans a permis aux Marines de disposer d’une base solide de citoyens américains favorables à leurs intérêts lors d’une guerre interservices qui opposait une communauté soudée à une masse bureaucratique opaque selon leurs dires[67].

La violence était néanmoins au cœur de la culture des Marines et pourtant ils étaient populaires. Le bootcamp, son drill sergeant et le combat dans le Pacifique étaient des expériences redoutées pour n’importe quel jeune Américain, mais la structure familiale du Corps était rassurante. Les Marines ont en effet eu besoin d’arrondir les angles, c’est-à-dire de cacher les traumatisés et autres scandales, à l’image de Gomer Pyle[68] dans Full Metal Jacket pour espérer pouvoir séduire la société. Toys for Tots en 1947 est un autre exemple d’opération civilo-militaire réussie par les Marines. Créée par le Major Bill Hendricks, cette association avait pour but de collecter et de redistribuer des cadeaux de Noël aux orphelins de guerre. L’association est une réussite et devient rapidement suivie par le commandement qui voit d’un excellent œil ces Marines en uniforme qui distribue cinq millions de cadeaux dans les rues des villes américaines grâce à une campagne de publicité massive de vingt-cinq millions de dollars[69]. Dans une Amérique qui assimilait le treillis à l’expérience douloureuse de la perte d’un proche, des initiatives comme Toys for Tots ont permis de populariser le Corps tout en permettant à ce dernier de nouer des contacts avec tous les organismes qui ont accueilli les Marines pendant leurs tournées. Aaron B. O’Connell cite des Marines spécialisés en relations civilo-militaires qui ressentent une nette amélioration, même dans les communautés à l’origine hostiles, de l’image du Corps après un passage de Toys for Tots[70]. Ci-dessous une photo de Marines avec la star du moment, l’actrice Marilyn Monroe, soulignant les efforts du Corps en matière communicationnelle.

[71]

Après avoir expliqué que les idées associées aux Marines étaient fédératrices et parfaitement adaptées à une Amérique troublée au sortir de la guerre, il faut montrer comment les Marines relayaient leurs messages dans la société. Au-delà de la Chowder Society, les Marines ont révolutionné les relations civilo-militaires en ayant une stratégique médiatique de masse. En 1945, le Brigadier General Robert L. Denig, l’officier en charge des relations publiques du Corps, a eu l’idée de doter le Corps de ses propres reporters, à la manière du service d’informations et de relations publiques des armées (SIRPA) pour l’armée française, créé en 1969. Les Denig’s Demons étaient nés d’une idée brillante d’un officier qui voulait promouvoir son unité. Son chef de cabinet, le First Sergeant Walter J. Shipman partit en direction pour Washington avec pour mission de recruter des journalistes professionnels.

« I prepared for this mission by putting on my blues, my decorations, […] and then went to the city editors for permission to talk to their personnel, and got it in each case. »[72].

Le sergent ne fait pas ici exception, car il raconte dans ses mémoires qu’il rentre en relation avec les journalistes en étant en uniforme et en arborant fièrement ses décorations. Treize journalistes rejoignirent les Marines la première année, dont le futur prix Pulitzer Jim G. Lucas pour son œuvre au Viêt-Nam[73] et d’autres issu de quotidiens prestigieux comme le Washington Post[74]. Le directeur du Washington Times-Herald fit même part de ses inquiétudes face à l’ingérence de militaires dans le milieu journalistique à Roosevelt qui transmit à son tour au Commandant des Marines. Le sergent Shipman quitta finalement Washington pour recruter dans d’autres grandes villes américaines.

À l’image de la Chowder Society qui était une coalition hétéroclite d’officiers ayant pour but d’influencer le Congrès, les Denig’s Demons étaient des journalistes, artistes, animateurs radio, réalisateurs, photographes ou auteurs. La nébuleuse des Marines s’étoffait encore grâce à ces professionnels qui amenaient avec eux leurs contacts, permettant à Denig d’avoir des entrées partout aux États-Unis dans le monde médiatique au moment de la naissance de la société de consommation. Dans le milieu du cinéma notamment, le film Sands of Iwo Jima sorti en 1950 fait figure d’exemple en la matière. Bien que le scénario ne soit pas révolutionnaire, c’est par la communication et le public recherché que les Marines ont su se distinguer. Mettant en scène les Marines qui ont hissé le drapeau sur le mont Suribachi, tout le pathos de la scène était destiné aux enfants en quête de figures héroïques[75]. Le Corps organisait des concours de dessins ou d’essais patriotiques pour les plus vieux, mettait du matériel japonais et américain devant le cinéma pour impressionner les jeunes et faisait gagner des places gratuites aux meilleurs jeunes. Le manuel d’exploitation du film indiquait aux Marines que les professeurs, parents d’élèves, écoliers et lycéens étaient les cibles du film. Cette énième stratégie d’influence montre l’adaptation rapide des Marines aux nouveaux médias, à l’image de leur communication actuelle sur les réseaux sociaux.

Les Marines, un parangon de démocratie ?

Les Marines par leur esprit de corps et leurs traditions pensaient et pensent toujours être une incarnation guerrière de l’esprit américain. Alexis de Tocqueville décrit l’Amérique comme la première démocratie moderne, phénomène produit par l’égalisation des chances née de l’abolition des privilèges. Néanmoins, la pente logique est l’individualisme « sentiment réfléchi et paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l’écart avec sa famille et ses amis »[76] et « moyen de changer sa fortune ou de l’accroître », car plus aucune inégalité de naissance n’existe. De plus, l’individu se désintéresse au fur et à mesure de la chose publique pour poursuivre son bonheur personnel : « ce n’est donc jamais qu’avec effort que ces hommes s’arrachent à leurs affaires particulières pour s’occuper des affaires communes ; leur pente naturelle est d’en abandonner le soin au seul représentant visible et permanent des intérêts collectifs, qui est l’État. »[77]. Tocqueville caractérise l’État comme un monstre bureaucratique : « L’État est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril ; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance ; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. »[78].

Nous avons vu précédemment que les Marines par leur esprit de corps entendaient incarner solidarité et la virilité des Américains en promettant des expériences hors du commun. Le Corps, dans sa lutte contre les organes bureaucratiques que pouvaient être l’Army et l’establishment incarne cette résistance du citoyen contre son infantilisation. En effet, contre la reproduction sociale et les élites, Carl Vinson, l’un des ténors de la coalition pro-Marines au Congrès,  déclare qu’être diplômé des grandes écoles militaires comme Annapolis ou West Point n’est pas un prérequis pour atteindre des postes de commandement, faisant du Corps le plus démocratique de tous[79]. Il affirme même :

« In this connection it is well to note that in all of the discussions which have taken place since the end of the war concerning discrimination against reserve personnel and similar undemocratic practices, the Marine Corps is never included. The Marine Corps Reserve is fiercely loyal to its regular establishment, a manifestation of pure democracy. »[80].

Ce rapport particulier aux pratiques démocratiques se retrouve aussi dans le discours que tient le général Vandegrift au Congrès ou celui-ci rappelle :

« Standing in direct opposition to this theory is the Navy’s belief that those same complexities in modern war indicate a need for broader participation and closer attention by the civilian elements of government, all coordinated by an authority with roots in the Congress rather than in the Pentagon. »[81].

 Le mot « Congrès » apparaît plus de onze fois dans le discours de Vandegrift et souligne les liens intrinsèques avec la démocratie parlementaire que les Marines ont cherché à faire valoir dans une période où les relations civilo-militaires étaient en redéfinition.

Le Joint Chiefs of Staff est à l’origine un concept semblable à l’Oberkommando der Werhmacht allemand pendant la Seconde Guerre mondiale, au contraire de la conception anglo-saxonne où un secrétaire à la Défense commande et dirige l’institution militaire. Ce parallèle est devenu une critique fréquemment employée par les Marines qui jouaient sur les peurs des Américains en qualifiant de « prussianism »[82] cette volonté de créer un commandement unique aux États-Unis. Écrit par un Marine du nom de Sulzberger ayant servi dans le Pacifique, en Corée, journaliste au New York Times et au Milwaukee Journal, un article trouvé dans les Edson Papers aux archives du Congrès charge contre le concept du JCS en le comparant au système allemand, danger pour la sécurité nationale. L’auteur, membre des Denig’s Demons, affirme que ce type de commandement unifié aboutit au syndrome de la tour d’ivoire[83] où les décisions militaires sont décorrélées de la réalité. Il donne pour exemple des opérations comme Seelöwe où l’OKW (sans intervention forcée d’Hitler comme pour Barbarossa) avait conçu un plan chimérique d’invasion de l’Angleterre alors que la seule doctrine amphibie qui existait dans l’armée allemande concernait les franchissements de fleuves. Ensuite, Sulzberger analyse le syndrome de la tour d’ivoire à travers les Soviétiques, qui selon lui auraient pu prendre les Allemands à revers en se servant de la mer Noire pour débarquer sur les flancs des Allemands en Ukraine. Au-delà des analyses stratégiques d’un Marine sur le front de l’Est, il insiste sur le manque d’unités amphibies comme « a deficiency common to land-locked, land-minded concept of war so often manifasted by supreme national staffs. »[84]. Laisser un seul homme au sommet encouragerait les décisions statiques comme la ligne Maginot, en accordant trop d’importance à une seule arme, un seul service et en tuant le débat et donc la réflexion stratégique. En contrepartie, les États-Unis étaient le seul belligérant à disposer d’un vrai corps amphibie au début de la guerre grâce à des Marines tournés vers l’innovation pour légitimer leur utilité au Congrès.

En polarisant leur position dès qu’ils étaient en difficulté, les Marines se sont alliés avec des sympathisants socialistes, des conservateurs, des libéraux et des anti-militaristes pour qui le revers de la Seconde Guerre mondiale c’est-à-dire l’accroissement du pouvoir du Président, de l’executive et l’armée étaient dangereux pour les États-Unis. En effet, les États-Unis se sont construits dans la peur du pouvoir fédéral et la présidence impériale de Roosevelt a vu ses pouvoirs s’accroître dans des secteurs importants comme le budget, l’armée, la justice[85]. Aaron L. Friedberg, expert en relations internationales appartenant à l’école réaliste, assistant du vice-Président Dick Cheney entre de 2003 à 2005, soutient que c’est bien l’esprit américain qui a permis de remporter la Guerre froide et non l’État renforcé qui aurait pu se consolider à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les citoyens américains, galvanisés face à la lutte contre un monde que tout opposait, auraient justement été à la source de la victoire par les initiatives économiques et politiques, car l’État ne les bridait pas[86]. Les Marines se sont donc pleinement inscrits dans ces débats en jouant sur les peurs des Américains afin de sauvegarder le peuple.

Un exemple concret de mesure des Marines pour faire valoir leur proximité avec l’esprit américain est le Train of Freedom. Initiative promue par des patrons et élites patriotes, un « train de la liberté » devait traverser les États-Unis pour faire revivre l’esprit démocratique et ses valeurs, essentielles pour gagner la guerre froide. Vingt-neuf Marines étaient chargées de la protection du train et de faire visiter les expositions qu’il contenait au grand public. Le choix des Marines était lié d’une manière à son fils qui servit durant la guerre dans le Corps. En deux ans, le train traversa quarante-huit états et 322 villes, permettant à trois millions et demi de personnes de le visiter[87]. La mise en scène était lumineuse : Des Marines protégeaient les documents les plus précieux des États-Unis comme la Magna Carta ou la déclaration d’Indépendance, les idées fondatrices des États-Unis en quelque sorte.

Le Devil Pups Citizenship Project constitue un autre exemple d’inventivité des Marines au sujet de leurs relations avec le monde civil, faisant d’eux des précurseurs en la matière. Afin d’endiguer le problème de la délinquance juvénile qui explosait dans les années 1950, le Corps s’est proposé par ce programme en référence à leur nom Devil Dogs d’amener ses valeurs aux jeunes Américains dès quatorze ans. Cette initiative visait à proposer une réponse originale là où étaient dans l’impasse des dizaines de programmes du Congrès, du gouvernement ou privées. Le programme est toujours actif de nos jours et forme plusieurs milliers de jeunes adolescents chaque année entre treize et dix-sept ans[88]. On peut s’interroger ici sur la cohérence du discours du Corps, car cette quasi-militarisation de la jeunesse (les instructeurs confondaient souvent le bootcamp et la période de dix jours que les jeunes passaient à la caserne) ressemblait étrangement à ce que les Marines récusaient en accusant le JCS de recopier le modèle nazi.

Quoi qu’il en soit, on constate une faille dans la stratégie des Marines pour survivre. Ils luttaient contre le militarisme qu’impliquait une réforme du JCS et contre l’influence de l’armée sur la politique, mais en luttant pour leur survie, ils sont devenus le service le plus actif politiquement parlant. Ils ont aussi annoncé lutter contre la perte de contrôle du monde civil sur les militaires, mais ils se sont battus bec et ongles contre les tentatives de dissolution du Corps, qu’elles viennent du Président ou des autres services. Quant à leur affiliation à l’esprit démocratique, la comparaison faite entre le JCS comme étant la première marche vers le despotisme et le nazisme n’est-elle une reductio ad hitlerum pour reprendre l’expression de Leo Strauss qui sert davantage à décrédibiliser qu’à décrire la réalité ? Diverses initiatives mises en place par la Chowder Society, les Denig’s Demons ou de simples Marines témoignent d’un esprit de corps fort et d’un rapport décomplexé face à l’influence qui, conjugué à cette habilité à concevoir réseaux d’influence et stratagèmes, permit au Corps de survivre. Cette lutte a permis au Corps d’atteindre une influence politique démesurée pour sa taille et son budget qui en retour l’ont pérennisé et développé encore davantage.


[1] « Le Corps des Marines estime donc qu’il a gagné le droit de voir son avenir décidé par l’organe législatif qui l’a créé, rien de plus. Le sentiment n’est pas une considération valable pour déterminer les questions de sécurité nationale. Nous sommes fiers de nous-mêmes et de notre passé, mais nous ne nous appuyons pas sur un quelconque motif présumé de gratitude de la part de la nation. Le genou à terre n’est pas une tradition de notre corps. Si le Marine, en tant qu’homme de combat, n’a pas réussi à s’imposer après 170 ans de service, il doit disparaître. Mais je pense que vous conviendrez avec moi qu’il a gagné le droit de partir dans la dignité et l’honneur, et non en se soumettant au statut d’inutilité et de servilité prévu pour lui par le ministère de la guerre », traduit par l’auteur, Général Alexander A. Vandegrift, Commandant du Corps des Marines, auditionné par la Commission sénatoriale des affaires navales, 6 mai 1946.

[2] « Ramenez les garçons à la maison », avant d’être une chanson de Freday Payne et un slogan antimilitariste pendant la Guerre du Viêt-Nam, ces mots étaient déjà utilisés par les familles américaines qui exigeaient un retour rapide et sans concessions de leurs maris et fils dans le Pacifique.

[3] FRANK R. B., Downfall: the end of the Imperial Japanese Empire. New York: Penguin Books, 2001, pp. 16-23.

[4] MILLET A. R., Semper Fidelis: The History of the United States Marine Corps, New York: Free Press, 1991 p. 447.

[5] Ibid., p. 450.

[6] VANDEGRIFT Alexander, Once a Marine, (New York: Norton 1964), New York Times, January 11, 1946, pp. 295- 296.

[7] KEISER Gordon W., The U.S. Marine Corps and Defense Unification 1944-47: The Politics of Survival, p. 5.

[8] « En ce qui concerne le ministère unique de la guerre dans la période d’après-guerre, il sera dirigé par un secrétaire civil et composé d’éléments terrestres, navals et aériens, avec un service d’approvisionnement séparé, chacun étant dirigé par son propre sous-secrétaire civil et son propre chef d’état-major militaire. Il aurait un chef d’état-major du Président qui, avec les quatre autres chefs de service, constituerait un état-major général des États-Unis (interarmées). Chaque force armée conserverait un petit état-major général. », traduit par l’auteur, U.S.  Department of the Army, Chief of Staff, Memorandum (relating to a single department of war in the postwar period), presented for consideration of the Joint Chiefs of Staff, JCS 560, 2 November 1943.

[9] TRUMAN Harry S., Memoirs by Harry S Truman, 2 vols. (Garden City, Doubleday and Company, 1955-56), p. 181.

[10] 1944 House Select Committee Hearings, p. 177. Cette source est une transcription des débats au Congrès qui ont commencé avant la fin de la guerre et qui portaient sur la réforme du commandement une fois la paix revenue. Les différents chefs d’armées ont été interrogés par la commission parlementaire en charge d’étudier la réforme.

[11] Ibid., p. 178-84.

[12] MILLET A. R., op. cit., p. 457.

[13] 1945 Senate Military Affairs Committee Hearings, pp. 436-438.

[14] VANDEGRIFT Alexander, op. cit, (New York: Norton 1964), p. 316.

[15] « On pourrait tout aussi bien demander à un comité composé d’un protestant, d’un catholique et d’un juif de sauver nos âmes nationales en recommandant une église et un credo nationaux », traduit par l’auteur, Fleet Admiral HALSEY William F., US Navy Senate Hearings, 1945.

[16] KEISER Gordon W., op. cit., p. 41.

[17] « Q : Aviez-vous l’impression que, dans ce combat, la Marine aurait jeté le Corps des Marines à la mer ?

Général Krulak : Il n’est pas juste de parler de la Marine. Il est plus juste de parler des personnes qui portaient la part de la Marine dans la charge de l’unification. Je pense que l’amiral Forrest Sherman l’aurait fait volontiers, non pas en raison d’une quelconque animosité à l’égard du Corps des Marines, mais parce qu’il avait réalisé avec sagacité que le Corps des Marines constituait une très grosse valeur sûre qu’il pouvait utiliser. L’amiral Burke ne l’aurait pas fait, pas plus que Radford. », traduit par l’auteur, Lieutenant General KRULAK Victor H., Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 120.

[18] « Quel Chef des Opérations Navales voudrait se sacrifier pour le Marine Corps ? », traduit par l’auteur, KEISER Gordon W., op. cit., p. 46.

[19] « Lorsque les forces navales sont impliquées dans des opérations nécessitant des forces terrestres combinées, la tâche devient une mission conjointe terre-mer, et généralement une mission de l’armée de l’air. Lorsque les unités de marines atteignent une taille telle qu’elles doivent combiner leurs armes pour accomplir leurs missions, elles assument et dupliquent les fonctions de l’armée de terre et nous avons en fait deux armées terrestres », traduit par l’auteur, US, Congress, House, Committee on Expenditures in the Executive Departments, USMC. Rept. 961 (National Security Act of 1947), 80th Cong., 1st sess., 1947, House Miscellaneous Reports 5: pp. 13-14.

[20] BURBACH David T., Weighing the U.S. Navy Defense & Security Analysis, Volume 17, Issue 3 December 2001, pp. 259 – 265.

[21] « Nous avions un groupe de Marines loyaux sur la colline (du Capitole), et ils se déplaçaient librement à travers les frontières des partis, des comités et de tout le reste ; ils étaient partout », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Robert Jr. « Minister of Propaganda », Chowder Society cité dans O’CONNELL Aaron B., op. cit., p.  98.

[22] Extrait du National Security Act de 1947 avec la section 206 statuant sur la structure du Marine Corps.

[23] « Text of President’s Statement on Defense. », New York Times, May 29, 1958, p. 8.

[24] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 100.

[25] « US Ship Force Levels, 1886- Present. », https://USMC.history.navy.mil/research/histories/ship-histories/us-ship-force-levels.html

[26] « Il n’y avait pas de briefings, pas de tableaux, pas d’appareil décisionnel formel, […] nous fonctionnions beaucoup plus comme la CIA », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Roberts Debs Jr., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 379.

[27] Ibid.

[28] MILLIS Walter, The Forrestal Diaries, Viking Press, New York, 1951, p. 295.

[29] HOFFMAN Jon T., Once a Legend: Red Mike Edson of the Marine Raiders. Novato, California : Presidio Press, 2001, p.  63.

[30] « La stratégie militaire des petites guerres est plus directement associée à la stratégie politique de la campagne que dans les opérations majeures… Dans les petites guerres, soit la diplomatie n’a pas été épuisée, soit la partie qui s’oppose au règlement de la question politique ne peut être atteinte par la voie diplomatique. Les situations de petite guerre sont généralement une phase de l’effort diplomatique ou une opération se déroulant en même temps que celui-ci. », traduit par l’auteur, Small Wars Manual, 1-11, USMC, 1940.

[31] Small Wars Manual, 1-24, 1-26, USMC, 1940.

[32] GALULA David, PATRAEUS David, Contre-insurrection : Théorie et pratique. Paris : Economica, 2008.

[33] « Un homme qui se bat pour sa vie ne remet pas vraiment en question l’alignement intellectuel ou moral de quelqu’un qui intervient et se bat à ses côtés », traduit par l’auteur, HEINL Robert Debs Jr., Soldiers of the Sea: The United States Marine Corps, 1775-1962, Nautical & Aviation Pub Co of Amer, 1991.

[34] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p.121.

[35] Ibid.

[36] Brigadier General HITTLE James D., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, pp. 496-497.

[37] Lieutenant General KRULAK Victor, USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 110.

[38] Brigadier General SHAW Samuel R., USMC, Oral History, Distinguished Marine Interview Transcripts, Marine Corps University, p. 242.

[39] « Nous avons créé une liste de diffusion de référence des amis du corps des Marines dans tout le pays, comprenant plusieurs milliers de personnes ayant une influence communautaire importante dans tous les États-Unis », traduit par l’auteur, Colonel HEINL Robert D. Jr, op. cit., p. 430.

[40]  Ibid.

[41] Voir les annexes concernant les Edson Papers à la fin du mémoire, notamment l’annexe 8 pour la lettre.

[42] PEARSON Drew, « Admirals running Handout Mill », Washington Post, October 19, 1949.

[43] BARLOW J. G., Revolt of the Admirals: The Fight for Naval Aviation, 1945-1950, United States Govt Printing Office, 1995, p. 277.

[44] Le texte définit une structure permanente à trois divisions et trois escadres aériennes en plus de réaffirmer la vocation amphibie du Corps et son emploi dans les situations d’urgence.

[45] Anecdote rapportée dans O’CONNELL Aaron B., op. cit.,  p. 98.

[46] Representative est le nom donné aux élus de la Chambre des Représentants américaine, la chambre basse du Congrès.

[47] Member Profiles: CQ Congress. Collection  https://library.cqpress.com/congress/memberanalysis.php#BrowseByCharacteristics, site consulté le 20/09/2023.

[48] « Je craignais que si j’ouvrais la bouche, je puisse accidentellement dire quelque chose sur les questions en jeu, et que l’opposition s’en prenne à moi et passe au bûché pour avoir enfreint les règlements », traduit par l’auteur, O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 108.

[49] « Si vous voulez être un politicien […] soyez un héros, rejoignez les Marines », traduit par l’auteur, REEVES Thomas C., The Life and Times of Joe McCarthy : A Biography, Lanham, Madison Books, 1997, pp. 45-61.

[50] Ibid., p. 52.

[51] « La hargne de nos combattants : votez pour le capitaine Joseph R. McCarthy des U.S. Marines » Ibid.

[52] Ibid., p. 60.

[53]« Interview with George Smathers… – UF Digital Collections » https://ufdc.ufl.edu/UF00005592/00001/images/5

[54] « Lorsque j’ai pris ma retraite, j’étais encore capitaine. Après avoir été élu au Congrès, j’ai soudain reçu un avis m’informant que j’avais été promu Major… Je suis allé au Sénat, et j’ai reçu un avis m’informant que j’étais désormais lieutenant-colonel […] J’aime le corps des Marines. Je pensais que c’était une grande organisation. Mais je suis gêné par le fait que depuis que je suis entré au Congrès et que je n’ai rien fait, j’ai été promu trois fois alors que je n’ai pas pu l’être une seule fois lorsque la guerre était en cours et que je faisais vraiment quelque chose. Maintenant, c’est ridicule […] ils étaient vraiment mauvais à ce sujet (les promotions). », traduit par l’auteur, dans O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 109.

[55] KOTERBA Ed, « Flood Flags Marines », Washington Bulletin, Philadelphia, April 15, 1959, p. 23.

[56] « Marines, Marines ! C’est tout ce que j’entends. Ils ne sont pas traités différemment des autres branches. », traduit par l’auteur,  MILLET Allan R, op. cit., pp. 462-464.

[57] KEISER Gordon W., op. cit., p. 125.

[58] O’CONNELL Aaron B. op. cit., p. 106.

[59] « En perdant son Corps de Marines, le pays perdrait plus qu’un corps de combattants hautement

entraînés. Il perdrait un symbole de vraie démocratie, puisque le corps des Marines est le service le plus démocratique de la nation », traduit par l’auteur, Presentation for Representative Vinson, the Cost of the Nation, Edson Papers, boîte 12.

[60] Captain PIERCE Philip N. « The Marine Corps Fourth Estate », Marine Corps Gazette 30, Septembre

1946, p. 51.

[61] MITCHELL Franklin D., op.cit., p. 567.

[62]  O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 8

[63] BUILDER Carl H., The Masks of War American military styles in Strategy and Analysis, John Hopkins University Press, 1989, pp. 17-45.

[64]  O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 9.

[65] Le film est considéré comme l’une des premières réalisations du lobby pro-Marines à Hollywood. Sorti en 1949, il est un succès au box-office et est nominé aux Academy Awards.

[66] Cette série sortie en 2010 se centre sur les témoignages des Marines Eugene Sledge et Robert Leckie dans leurs mémoires. La série a remporté de nombreuses récompenses et a été largement diffusée.

[67] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 97.

[68] L’engagé Baleine dans Full Metal Jacket de Stanley Kubrick sorti en 1978 se suicide au bootcamp sous la pression et marque des millions de téléspectateurs de la violence que des millions d’Américains ont dû supporter lors de leur incorporation.

[69] O’CONNELL Aaron B., op. cit., p. 90.

[70] Ibid.

[71] Toys for Tots Foundation, Marilyn takes in the Toys for Tots charity, 1953.

[72] « Je me suis préparé à cette mission en mettant ma tenue, mes décorations, […] puis je suis allé voir les rédacteurs en chef des villes pour obtenir l’autorisation de parler à leur personnel, et je l’ai obtenue dans tous les cas. », traduit par l’auteur, FRANK B. M., Denig’s Demons and how They Grew: The Story of Marine Corps Combat Correspondents, Photographers and Artists. Marine Corps Combat Correspondents and Photographers Association, 1967, pp. 1-5.

[74] Ibid.

[75] BODNAR John, Saving Private Ryan and Postwar memory in America, American Historical Review 106, 2001, p. 815.

[76]  TOCQUEVILLE Alexis, De la démocratie en Amérique (II), Gallimard, 1961, p. 143.

[77] Ibid, p. 402.

[78] Ibid, p. 434.

[79] Presentation for Representative Vinson, the Cost of the Nation, Edson Papers, boîte 13, annexe 13.

[80] « À cet égard, il est bon de noter que dans toutes les discussions qui ont eu lieu depuis la fin de la guerre concernant la discrimination à l’égard du personnel de réserve et d’autres pratiques antidémocratiques similaires, le Corps des Marines n’est jamais inclus. La Réserve du Corps des Marines est farouchement loyale à son établissement régulier, une manifestation de démocratie pure. », traduit par l’auteur, Ibid.

[81] « En opposition directe avec cette théorie, la marine est convaincue que ces mêmes complexités de la guerre moderne indiquent la nécessité d’une participation plus large et d’une attention plus étroite de la part des éléments civils du gouvernement, le tout coordonné par une autorité ayant ses racines au Congrès plutôt qu’au Pentagone. », traduit par l’auteur, VANDEGRIFT, op.cit.

[82] SULZBERGER Arthur O., Concept for Catastrophe, United Naval Military Institute, avril 1953, p. 1

[83] Ibid, p. 4.

[84] « Une déficience commune à la conception de la guerre basée sur l’enclavement et l’esprit terrain, si souvent manifestée par les états-majors nationaux suprêmes. », traduit par l’auteur, Ibid, p. 5.

[85] SCHLESINGER Arthur M., op.cit.

[86] FRIEDBERG A. L., In the Shadow of the Garrison State: America’s Anti-Statism and Its Cold War Grand Strategy, Princeton University Press, 2011.

[87] O’CONNELL Aaron B., op.cit., p. 204.

[88] Ibid, p. 206.

Le quadrilatère de la guerre moderne par Michel Goya

Le quadrilatère de la guerre moderne

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 4 octobre 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Pour son malheur, le quadrilatère Beyrouth-Damas-Deraa-Haïfa, correspondant à la superficie du département de la Gironde, a été l’un des plus importants laboratoires opérationnels de ces cinquante dernières années.

Feux du ciel et phalanges

Il y eut d’abord les combats sur le Golan en octobre 1973, et la résistance acharnée et victorieuse de quelques brigades blindées israéliennes face à une armée syrienne équipée et organisée à la manière soviétique. Cela apparaissait, pour tous les observateurs occidentaux — et sans doute aussi soviétiques — comme un modèle réduit de ce qui se passerait en Europe occidentale, et plus particulièrement en République fédérale allemande, en cas d’attaque du Pacte de Varsovie. On était même allé jusqu’au point où l’emploi de l’arme nucléaire avait pu être envisagé et signalé à l’ennemi. Cela a considérablement stimulé toutes les réflexions qui ont abouti notamment à la doctrine américaine AirLand Battle (ALB), dont la première version a été publiée en 1982, au moment même où Israël lançait l’opération Paix en Galilée au Liban.

Déclenchée le 6 juin, Paix en Galilée illustre alors parfaitement ce que les Américains envisagent de faire à bien plus grande échelle. Le 9 juin 1982, en combinant surveillance par drones, détection électronique, coordination aéroportée, brouillage et armes antiradars, l’armée israélienne détecte, aveugle, paralyse et détruit la défense aérienne syrienne, tant au sol qu’en vol. Les Israéliens acquièrent ainsi la suprématie aérienne dans la région pour les cinquante années à venir. En outre, grâce à une artillerie renouvelée, capable de frappes plus précises et en profondeur, Tsahal dispose d’une force de frappe écrasante et précise, qu’elle met également au service de six divisions blindées, transformées en lourdes phalanges interarmes écrasantes.

L’objectif premier de l’opération est de détruire la menace représentée par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), solidement implantée dans le Sud-Liban et qui attaque régulièrement le nord d’Israël à coups de roquettes ou d’infiltrations de commandos. L’OLP, qui a commis l’erreur de vouloir s’organiser en une division mécanisée classique, est balayée en quelques jours, et ce qui reste de l’organisation est contraint de se replier à Beyrouth. Il en est de même pour les deux divisions blindées syriennes présentes alors au Liban. Bien que l’on soit loin de la fulgurance de la guerre des Six Jours, à la fin du mois de juin, il apparaît clairement qu’aucune armée de la région n’est plus capable de s’opposer à l’équivalent israélien de l’AirLand Battle en essayant de le combattre de la même manière. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Tunnels, commandos et missiles

On réfléchit donc dès cette époque à une autre manière de faire. En analysant tous les combats contre Israël depuis plus de vingt ans, ainsi que ceux en cours entre l’Irak et l’Iran, on comprend d’abord qu’il n’y a guère d’autre solution pour s’opposer aux frappes aériennes que de se retrancher profondément dans le sol ou le sous-sol, ainsi que dans les villes. Les Syriens mettent en place un système fortifié le long de l’axe menant du Golan vers Damas. Le corps de bataille blindé syrien y est largement intégré et complété par l’équivalent de trois divisions de commandos. Tout le monde a en effet observé que, grâce à sa faible signature et ses capacités d’infiltration, l’infanterie légère a été la plus efficace contre les Israéliens. Dotés d’armes antichars modernes, ces fantassins légers peuvent former ce qu’on appelle alors en Europe une « technoguérilla », capable de harceler les forces les plus puissantes, conformément par exemple au concept de « non-bataille » du commandant Brossolet.

Cet ensemble est censé constituer un bouclier derrière lequel il sera possible d’user une armée israélienne, ou éventuellement occidentale, jugée puissante mais peu endurante et très sensible aux pertes humaines. On ne gagne pas cependant les guerres en se contentant de se défendre, il faut aussi donner des coups. Avec un ciel totalement dominé par l’ennemi, il est désormais inconcevable de lancer de grandes attaques blindées comme en octobre 1973, sous peine d’être détecté et anéanti immédiatement. On peut en revanche utiliser offensivement les commandos par le biais d’infiltrations.

Comme il est également impossible de lancer des raids aériens, on découvre les vertus des missiles balistiques fabriqués en masse par l’Union soviétique, tels que les FROG-7 à courte portée et surtout la famille des Scud. Conçu dans les années 1950 en s’inspirant du V2 allemand, le Scud (SS-1 Scud en code OTAN) est la kalachnikov des missiles, produit en masse et décliné en quatre versions soviétiques et de multiples versions locales. Les missiles balistiques présentent alors l’immense avantage d’être trop rapides pour être interceptés. Leur précision est très faible, mais ils permettent de frapper les villes avec une charge conventionnelle de presque une tonne d’explosifs, ou une charge chimique, voire nucléaire. Trois Scud avaient ainsi été tirés par les Égyptiens sur les ports israéliens en 1973, et des centaines ont été échangés entre l’Iran et l’Irak pendant plusieurs années. À condition d’en disposer en nombre suffisant pour effectuer des salves de plusieurs dizaines à la fois, cette force de frappe peut constituer une dissuasion du « faible au fort ». À défaut, elle permet de causer des pertes civiles intolérables tout en affirmant la détermination à poursuivre le combat simplement par la répétition des tirs. La Syrie, l’Irak et l’Iran se sont ainsi dotés d’un arsenal de missiles à longue portée, constamment perfectionné grâce aux nouvelles technologies de l’information, et ce malgré la fin de l’URSS.

Le développement militaire du Hezbollah

Le Liban des années 1980 est également le théâtre d’innovations de la part des organisations armées. Fondé en 1982 avec l’aide de la République islamique d’Iran et de la Syrie, le Hezbollah commence par mener une lutte clandestine particulièrement redoutable en utilisant des camions remplis de tonnes d’explosifs, conduits par des kamikazes. Chacun de ces engins devient l’équivalent d’une salve au ras du sol de plusieurs missiles de croisière. Le Hezbollah mène ainsi onze attaques de ce type, ciblant d’abord à plusieurs reprises les forces israéliennes, puis l’ambassade américaine à Beyrouth, ainsi que les contingents américains et français de la Force multinationale de sécurité de Beyrouth (FMSB). Les effets sont terribles, tant sur le plan tactique — avec un total de plus de 500 combattants ennemis tués — que stratégique, avec notamment le retrait honteux de la FMSB. Cela prouve qu’un groupe d’hommes déterminés peut faire plier certaines des armées les plus puissantes au monde. La leçon est vite retenue, et la tactique des attaques-suicides est adoptée par les organisations djihadistes. Le Hezbollah pratique également toute la gamme des actions clandestines, comme le détournement d’avions ou la prise d’otages occidentaux, utilisés pour négocier des échanges de prisonniers avec Israël.

Alors que l’armée israélienne se concentre, depuis 1985, sur la gestion d’une zone tampon au sud du Liban, le Hezbollah développe une force de guérilla plus classique à partir de ses bases dans la plaine de la Bekaa. Le combat est mené de manière très décentralisée par des groupes infiltrés, suffisamment autonomes. Ces groupes, de mieux en mieux entraînés et équipés, disposent de missiles antiaériens SAM-7 et antichars AT-3 et AT-4, atteignant ainsi le statut de « techno-guérilla ». De 5 combattants du Hezbollah tués pour 1 soldat israélien en 1990, le ratio tombe à 1,5 pour 1 en 1993.

Le Hezbollah est aussi le premier mouvement à utiliser massivement les engins explosifs improvisés, plus connus sous l’acronyme anglais IED, comme arme de harcèlement. Avec le temps, ces engins artisanaux deviennent de plus en plus sophistiqués et finissent par être responsables de la majorité des pertes israéliennes dans le Sud-Liban, y compris la mort du général Gerstein en février 1999. Ces IED réduisent la capacité de manœuvre des forces de Tsahal, qui se retrouvent de plus en plus retranchées et isolées.

Le Hezbollah se dote également d’un arsenal de roquettes à courte portée, qu’il utilise contre les bases israéliennes, mais aussi contre le nord d’Israël, reprenant ainsi les méthodes de harcèlement de l’OLP. On assiste alors à des embrasements ponctuels de quelques jours, comme en juillet 1993 ou en mars 1996, où des frappes aériennes et d’artillerie israéliennes répondent à des salves de centaines de roquettes et inversement.

De guerre lasse, Israël évacue le Sud-Liban en 2000, privilégiant désormais la protection offerte par une barrière de sécurité à la frontière et les actions à distance. Le Hezbollah occupe définitivement le terrain abandonné, consolide sa position de para-État libanais et se transforme à nouveau militairement, adoptant à son tour le modèle des « tunnels, commandos et missiles », toujours avec l’aide de l’Iran et de la Syrie. Le Hezbollah devient ainsi l’une des premières organisations armées, sinon la première, à se doter d’un arsenal de missiles balistiques.

La confrontation de 2006

La confrontation entre les deux grands modèles d’armée, initialement attendue en Syrie, intervient finalement au Liban en juillet 2006, à la suite d’une infiltration réussie d’un commando du Hezbollah, qui tend une embuscade sur le sol israélien. Alors que l’attention était concentrée sur Gaza, le gouvernement israélien saisit cette occasion pour tenter, selon sa nouvelle doctrine, non pas de détruire le Hezbollah, mais de l’écraser suffisamment par des raids aériens et terrestres pour le rendre inopérant pendant des années. L’arsenal de missiles balistiques du Hezbollah n’a donc pas dissuadé Israël.

Il est vrai que, bien que les missiles balistiques se soient beaucoup améliorés depuis l’époque soviétique, la défense antimissile israélienne a progressé encore plus rapidement, notamment après l’impuissance démontrée lors des 40 Scuds irakiens tombés sur le pays en 1990. En 2006, l’armée israélienne est capable d’intercepter des missiles balistiques, bien que cela soit plus difficile lorsque les tirs proviennent d’un avant-poste libanais, plutôt que du « troisième cercle » de menace, réduit alors à l’Iran. Cela rend l’action préventive d’autant plus tentante.

L’opération israélienne de 2006 débute donc par une campagne aérienne visant à neutraliser cet arsenal de missiles. Malgré cela, le Hezbollah parvient à lancer une centaine de roquettes chaque jour sur le nord d’Israël, et le complexe renseignements-frappes israélien n’est pas suffisamment précis pour éliminer cette menace. Un engagement terrestre devient donc inévitable.

Le problème est que le modèle AirLand Battle exige une grande maîtrise pour coordonner efficacement toute sa machinerie. Or, bien que Tsahal dispose encore des moyens, elle n’a plus les compétences nécessaires à ce moment-là. Comme mentionné précédemment, Tsahal est une armée à faible mémoire opérationnelle, et celle-ci est alors presque entièrement consacrée au maintien de l’ordre et à la lutte contre les organisations clandestines palestiniennes. Le dernier grand engagement, l’opération Rempart dans les villes de Cisjordanie en 2002, est déjà loin pour une armée de conscrits et de réservistes dont les moyens et l’entraînement ont également été réduits pour des raisons budgétaires.

Pour faire des économies, l’armée israélienne a adopté un système de soutien logistique similaire à celui des bases de défense en France à partir de 2008, un système qui se révèle totalement inadapté aux opérations à grande échelle.

En résumé, entre une prudence excessive pour éviter les pertes, une mauvaise coordination des forces et un chaos logistique, la guerre révèle que Tsahal n’est plus capable d’appliquer correctement le modèle ALB, et elle se heurte au modèle défensif du Hezbollah, qui fonctionne, lui, parfaitement. Au bout de 33 jours, les forces israéliennes atteignent les abords du fleuve Litani, mais elles continuent de subir des coups humiliants de l’infanterie du Hezbollah, tandis que les roquettes pleuvent toujours quotidiennement sur Israël. Avec la protection des blindés et l’énorme supériorité de feu israélienne, le ratio de pertes devrait être d’un soldat israélien pour au moins dix ennemis, mais il n’est que de 1 pour 4.

Une sortie diplomatique est finalement trouvée, en feignant de croire que la résolution 1701, prévoyant le désarmement du Hezbollah au Sud-Liban, sera mise en œuvre par les Forces armées libanaises.

ALB vs TCM

Fondamentalement, les modèles de forces n’ont pas changé depuis cette époque, ils se sont simplement perfectionnés. Malgré la réduction de ses moyens, l’armée de Terre israélienne a beaucoup travaillé pour retrouver des capacités de haute intensité, qu’elle a testées en 2008, 2014, et surtout en 2023-2024 à Gaza, face à une organisation comme le Hamas, qui s’était lui aussi efforcé d’adopter le modèle TCM (Tunnels, Commandos, Missiles). La diminution du volume des forces israéliennes a conduit à procéder par séquences, plutôt que par une action unique, ce qui a ralenti les opérations. Cependant, au prix de terribles souffrances civiles, le rapport de pertes a finalement atteint un soldat israélien pour 40 combattants ennemis.

Alors que l’opération Flèche du Nord est désormais lancée contre le Hezbollah, Tsahal est au sommet de ses capacités, avec une vingtaine de brigades de manœuvre actives ou de réserve, aguerries et maîtrisant parfaitement la combinaison des forces ainsi qu’une puissance de feu inégalée, à condition de continuer à être soutenue par les États-Unis. Le Hezbollah, de son côté, est plus puissant qu’en 2006 et aguerri par les combats d’infanterie en Syrie, bien qu’il ait combattu principalement contre d’autres organisations armées, et non contre une armée régulière. Sa structure, très décentralisée, pourrait cependant être affaiblie par les ravages causés dans son commandement, affectant ainsi ses capacités.

À ce stade, il est difficile de dire quel modèle, entre ALB ou TCM, finira par l’emporter au Liban, même si la détermination nouvelle israélienne semble faire pencher la balance de leur côté. On peut prédire cependant à coup sûr des dégâts et des pertes considérables pour tout le monde.

Hassan Nasrallah : la chute de l’ennemi numéro 1 d’Israël

Hassan Nasrallah : la chute de l’ennemi numéro 1 d’Israël

Hassan Nasrallah
Hassan Nasrallah, même liquidé par Israël, son héritage islamo-mafieux est considérable, il va du terrorisme émancipé de Beyrouth à Caracas, où le mouvement terroriste est devenu le principal cartel de la drogue, mais ça c’est une autre histoire… Photo LeLab Picto – Le Diplomate

 

Par Alexandre Aoun

Adulé par les uns, honnis par les autres, le défunt secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah ne laisse pas indifférent. Retour sur sa jeunesse, son activisme au sein du parti chiite et son implication pour faire de son organisation une puissance régionale. Amputé de son leader charismatique, quel est l’avenir du mouvement libanais ? Analyse.

En fin d’après-midi le 27 septembre peu après 18h30, les F-35 israéliens pilonnent un quartier de la banlieue sud de Beyrouth, véritable fief du Hezbollah. Selon les dires de Tsahal, «le quartier général souterrain» du mouvement chiite libanais, «situé sous un immeuble résidentiel» a été visé, tout en affirmant que le secrétaire général du parti Hassan Nasrallah a été éliminé. Pendant plusieurs heures, la rue libanaise et tout le Moyen-Orient attendaient impatiemment le communiqué officiel du parti. Il est arrivé en fin de matinée le 28 septembre précisant que « son Éminence, le Sayyed, le chef de la Résistance, le serviteur vertueux, a rejoint la demeure de son Seigneur ». Le texte précise également que le mouvement chiite promet « plein de sacrifices et de martyrs, de poursuivre son djihad en affrontant l’ennemi sioniste ».

Aux quatre coins du Moyen-Orient, cette annonce fait office d’un séisme politique. A Idlib, dans le dernier bastion djihadiste syrien, dans certains quartiers chrétiens libanais et en Israël, la nouvelle donne lieu à des scènes de liesses. Les chiites d’Irak, d’Iran, du Liban ainsi que plusieurs villes syriennes sont sous le choc, entre tristesse et désespoir.  

L’éveil politique

Hassan Nasrallah est né le 31 août 1960 dans le quartier de la Quarantaine, non loin du port de Beyrouth. À l’époque, des masures de bois et de tôle abritaient là un extraordinaire melting-pot de la misère. Les chiites pauvres venus du Liban-Sud se mêlaient aux réfugiés palestiniens, à des Kurdes et à des Arméniens, qui se partageaient ce bidonville aux portes de la capitale. Dès son plus jeune âge, Hassan Nasrallah s’est imprégné des petites histoires de « ces peuples sans terre » que sont les Palestiniens, les Kurdes et les Arméniens. Son père Abdel Karim s’est installé à Beyrouth, comme de nombreux chiites de l’époque, pour trouver un travail dans la capitale.

Très vite, son adolescence est marquée par le début de la guerre civile libanaise qui débute en 1975. L’enfance et l’adolescence du Sayyed sont rythmées par ce conflit, dont une partie de la communauté chiite considère qu’il ne la concerne pas. Le futur leader du Hezbollah se prend d’admiration pour Moussa Sadr, l’imam chiite qui prônait la fin de l’injustice sociale et économique pour les déshérités. Sa famille s’installe à Sin el-Fil, quartier chrétien de Beyrouth avant d’être chassé par les milices chrétiennes en 1975. Le clan Nasrallah rejoint finalement le village d’origine de son père d’al-Bazouryié.

Mais le jeune Nasrallah a d’autres projets en tête. Il rejoint Najaf, la ville sainte du chiisme arabe en Irak, pour y poursuivre des études de théologie. Il a 16 ans à peine quand il rencontre, là-bas, le grand imam Mohammed Baker al-Hakim, fondateur du parti al-Daawa, qui lui donne comme tuteur un étudiant libanais, Abbas Moussaoui, prédécesseur de Hassan Nasrallah à la tête du Hezbollah.

En raison de la situation politique en Irak et de la répression des milieux religieux chiites par Saddam Hussein, il retourne au Liban en 1978 en rejoignant les rangs du nouveau parti chiite de l’époque Amal. Lors de son retour, le sud du pays du Cèdre est en proie aux opérations de l’armée israélienne qui intervient jusqu’au fleuve Litani, à 40 kilomètres de la frontière. Hassan Nasrallah décide donc de rejoindre la plaine de Békaa ou il va gravir les échelons au sein du mouvement politique. Toutefois, il fait partie d’un courant de plus en plus sensible aux idées défendues par l’ayatollah Khomeiny qui vient de renverser le shah d’Iran.

Propulsé à la tête du Hezbollah

L’invasion israélienne de 1982 marque un tournant dans la vie de la communauté et de l’homme. Alors que Nabih Berry, chef du parti depuis 1980, choisit de participer au comité de salut national aux côtés de Bachir Gemayel, une branche de l’appareil partisan menée par Hussein al-Moussaoui fait sécession pour fonder avec le soutien de la République islamique d’Iran ce qui deviendra deux ans plus tard le « Hezbollah ». La même année, il intègre la première cohorte de jeunes chiites formés au camp de Janta, dans la Békaa, sous supervision des pasdarans iraniens. Téhéran avait envoyé de nombreux conseillers militaires, avec l’aval de la Syrie, à la frontière syro-libanaise.

Les années au sein du mouvement avant sa prise de fonction en tant que secrétaire général du parti sont mal documentées. En 1987, à 27 ans, Hassan Nasrallah est nommé président du conseil exécutif au sein de la plus haute autorité de l’organisation – le Conseil consultatif (Choura). L’homme se consacre pleinement à l’action politique et à la théologie et ne se consacre aucunement aux actions militaires du mouvement.

L’assassinat du deuxième secrétaire général du parti, Abbas el-Moussaoui, par un raid israélien en février 1992 le propulse du jour au lendemain au sommet de l’appareil politique. Les cadres du Hezbollah, qui ne veulent pas donner à l’ennemi l’impression d’une victoire, précipitent l’élection d’un successeur. Certains ne sont pas convaincus par ce jeune d’à peine 31 ans, compagnon de route de longue date du chef défunt, qui semble être le favori à Téhéran. Mais le temps presse : Hassan Nasrallah est élu secrétaire général. Il le restera, créant au fil des ans une stature de leader rarement égalée dans la région. Le 24 février 1992, une semaine après l’assassinat du précédent leader du parti, il affirme face à la foule que son mouvement est prêt à « venger » la mort de l’ancien dirigeant. Il appelle « le peuple et les partis politiques libanais, notamment chrétiens, à se joindre à la résistance ». 

La même année, il intègre le parti dans l’échiquier politique libanais avec l’élection de plusieurs députés et normalise peu à peu ses relations avec l’ancien frère-ennemi Amal avec lequel ils ont eu de nombreux contentieux sur la question palestinienne. D’un point de vue opérationnel, l’aile militaire se professionnalise et délaisse le mode opératoire terroriste du début des années 1980. Compte tenu du harcèlement constant des troupes israéliennes et de l’Armée du Liban Sud, le Hezbollah obtient le retrait des forces de Tsahal en mai 2000.

2006, le paroxysme de sa gloire

Outre cette victoire militaire historique, le parti obtient ses premiers ministres en 2005. L’assassinat de Rafik Hariri le 14 février 2005 et le retrait des forces syriennes du pays mettent le mouvement en difficulté sur le plan interne. Toutefois, Hassan Nasrallah confirme sa volonté de libaniser et de nationaliser son mouvement. Le mouvement cherche à sortir de son tropisme pan-chiite en scellant une alliance qui fera date avec le Courant patriotique libre du général Michel Aoun le 6 février 2006. L’accord est signé entre les deux hommes à l’église de Mar Mikhaël dans la banlieue sud de Beyrouth. La consécration pour le parti intervient lors de la guerre dite de 33 jours en juillet 2006 contre les forces israéliennes. Embourbées dans le sud du pays du Cèdre, les forces israéliennes n’arrivent pas à atteindre leurs objectifs militaires.

Hassan Nasrallah est même comparé à Gamal Abdel Nasser au lendemain de la nationalisation du canal de Suez en 1956. Des portraits du secrétaire général du Hezbollah étaient présents dans toutes les villes du Moyen-Orient. Des manifestations sont organisées du Maroc au Golfe, aussi bien par des leaders nationalistes, socialistes que par les islamistes des frères musulmans. A Tripoli, des milliers de libyens descendent dans les rues pour exprimer leur soutien et inciter le mouvement chiite à attaquer Tel-Aviv. Une étude du Centre Ibn Khaldoun, réalisée au lendemain du conflit, place Hassan Nasrallah comme personnalité préférée des Egyptiens. En 2006, le Hezbollah était au paroxysme de sa gloire.

Sur la scène libanaise, le Hezbollah passe d’un parti minoritaire à un mouvement omnipotent dans les affaires étatiques. Le coup de force de 2008 face au clan sunnite est un premier indicateur du changement de paradigme du parti au Liban. En 2011, le dirigeant apparaît dans la liste du magazine Times des 100 personnalités les plus influentes au monde. À partir de 2011 et jusqu’à aujourd’hui, les bouleversements régionaux induits par les soulèvements des printemps arabes modifient l’ordre des priorités pour Téhéran et pour le leader du Hezbollah. Les combattants du parti interviennent en Syrie dès les premières années pour aider les troupes de Bachar el-Assad. Sanctuariser le régime de Damas permettait d’assurer la fonctionnalité du corridor terrestre allant de Téhéran à la Méditerranée, en passant par l’Irak et la Syrie.

Un pion lâché par Téhéran ?

La popularité de Hassan Nasrallah est en baisse dans le monde sunnite du fait de son implication sur le territoire syrien, accusé d’avoir commis plusieurs crimes de guerre. Il jouit néanmoins d’une profonde admiration auprès des Chrétiens syriens dont les villages ont été libérées des mains des djihadistes par le Hezbollah. La ville emblématique de Maaloula, ou l’on parle encore l’araméen, a été reprise grâce aux combattants chiites libanais. Sous son impulsion, le Hezbollah a également défendu le territoire libanais contre les incursions djihadistes entre 2015 et 2017.

En interne, les corps de « martyrs » qui reviennent du front syrien par centaines, voire plus, embarrassent le mouvement. Les critiques sont émises sur l’abandon de l’ADN du parti, répondant maintenant aux ordres de Téhéran pour satisfaire son agenda géopolitique régional. En effet, le Hezbollah des années 2010 tisse des liens aux quatre coins du Moyen-Orient, de l’Irak au Yémen, agissant sous la tutelle des Gardiens de la révolution.

La crise politique de 2019, l’explosion du port de Beyrouth en 2020 et l’assassinat de Lokman Slim viennent ternir encore un peu plus l’image du Hezbollah sur la scène libanaise. Faisant parti de l’establishment libanais, rien est fait sans l’aval du mouvement, bloquant ou imposant les réformes au gré de son agenda.

Prenant fait et cause pour le Hamas pour diviser les troupes israéliennes, le Hezbollah a été pris à son propre jeu. Alors que le parti guerroyait, l’armée israélienne préparait sa riposte depuis sa défaite de 2006. En l’espace d’une semaine elle a montré qu’elle avait des dizaines de coups d’avance sur son ennemi. Elle semble tout connaître du parti chiite : ses planques, ses cadres, ses commandants, ses dépôts de missiles, ses moyens de communication.

Alors que beaucoup d’experts et de journalistes le croyaient en Iran ou à l’étranger, Hassan Nasrallah était bel et bien dans un souterrain de la banlieue sud de Beyrouth. Son parrain iranien l’a-t-il abandonné sur l’autel de la realpolitik pour assurer son programme nucléaire et la levée des sanctions ? Est-ce que son parti, qu’il a réussi à modeler à son image, survivra à son élimination ? Une chose est sûre, le mouvement va connaître une période délicate de transition pour remodeler sa hiérarchie politique et militaire. Plusieurs noms circulent déjà pour le remplacer à l’instar de Naïm Qassem, le numéro 2 du parti, Mohammed Yazbek, qui dirige le conseil religieux de l’organisation et enfin Hashem Safieddin, chargé des affaires politiques et économique et cousin de Hassan Nasrallah.

Hassan Nasrallah par le biais de ses discours enflammés aura marqué des générations de partisans qui seront ou non reprendre le flambeau. En décapitant l’exécutif du Hezbollah et en éliminant son ennemi numéro 1, Israël a porté un coup fatal mais a peut-être ouvert la porte au retour d’une forme de djihadisme erratique.

Un silence qui n’en finit pas !

Un silence qui n’en finit pas !

Blablachars – publié le jeudi 26 septembre 2024

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Le déclenchement de l’Opération Militaire Spéciale russe en Ukraine le 22 février 2022 a remis au goût du jour une forme de combat que beaucoup considéraient comme dépassé et inadapté à l’environnement stratégique du moment, marqué par des engagements lointains et des « guerres asymétriques ». Ce retour du combat blindé mécanisé, bien que marqué dans les premières semaines du conflit par les destructions de blindés russes, a suscité une prise de conscience au sein de nombreuses armées. Les enseignements du conflit ukrainien, objets de nombreuses analyses et commentaires ont naturellement suscité des débats au sein des instances dirigeantes (civiles et militaires) dans de nombreux pays. Une immense majorité de ces derniers, parfois éloignés du théâtre ukrainien ont ainsi décider de revoir la composition et l’équipement de leurs forces en créant, modernisant ou en renouvelant leur composante blindée mécanisée.

Se singularisant depuis de longues années par des choix atypiques déjà évoqués par Blablachars, l’armée de terre donne l’impression depuis 2022 de regarder ailleurs et d’ignorer une partie des enseignements du conflit ukrainien. Cette attitude, cohérente avec les choix faits depuis de longues années en matière d’équipements et de doctrine n’est pas sans conséquence pour nos forces terrestres, privées d’un véritable segment de décision. Il est évident que l’environnement budgétaire actuel ne permet d’envisager une modification en profondeur de cette situation, il n’explique pas le silence entourant depuis de longues années le char, son environnement et le combat blindé mécanisé. 
Ce silence entoure un éventuel projet de (re)création d’une véritable force blindée mécanisée. Le débat qui aurait pu avoir lieu autour de ce sujet aurait pu porter sur sa place, sa composition ou encore son équipement. Sur ce dernier point, les matériels évoqués, VCI (Véhicules de Combat d’Infanterie), engins du Génie ou encore les moyens d’artillerie blindés auraient pu être recensés et les industriels concernés auraient pu évoquer leur contribution au projet. L’élaboration du nouveau modèle de l’armée de terre aurait fourni une occasion unique d’aborder la place d’une composante blindée mécanisée dans le dispositif en cours de construction. Ainsi les modalités, le calendrier et le cout (financier, humain, matériel….) de la transformation d’une des deux brigades blindées existantes aurait pu constituer une source de débats autour de ces capacités supplémentaires, complémentaires de celles offertes par les brigades interarmes (BIA) les brigades spécialisées. Sur le plan industriel, les possibilités de « francisation » de matériels acquis sur étagère auraient procuré des éléments de réflexion et des échanges denses entre industriels et militaires, sous la houlette de la DGA, of course ! Au lieu de cela, nous poursuivons l’adoption d’engins médians dont la première qualité est de pouvoir embarquer à bord d’un A400M mais qui pourraient nous laisser fort dépourvus dans un scénario de haute intensité, en Europe ou ailleurs !
L’autre grand perdant de ce débat qui n’a pas lieu est le Leclerc, qui à défaut d’être modernisé continue d’encaisser les coups venus de toute part. Le denier en date a été porté par le Général Schill au cours du salon Eurosatory, avec  l’annonce de l’abandon de toute nouvelle modernisation. Cette décision condamne le char français à attendre en l’état son remplaçant germano-français jusqu’à son arrivée prévue en 2045 pour les plus optimistes, le Leclerc aura alors 51 ans ! Cette échéance pouvant connaitre un décalage car selon le CEMAT « Certains segments du programme MGCS pourraient glisser dans le temps pour des questions industrielles. » En mai 2023 le CEMAT avait confirmé que l’armée de terre était « par héritage est une armée de forces médianes ; mais aussi par culture, par esprit manœuvrier, par impératif stratégique ; cela ne signifie pas renoncer à la puissance, mais que la mobilité, la polyvalence et la cohérence sont recherchées en priorité« . L’esprit manœuvrier serait donc l’apanage des seules forces médianes, les « culs de plomb » en étant parfaitement incapables ! Après cette première estocade condamnant le Leclerc, un éventuel char de transition et tout engin non médian, un autre coup fut porté par le Ministre des Armées avec l’enterrement de première classe du projet de Leclerc Mk3, présenté dans un projet d’amendement sénatorial évoquant l’évolution du char ! Entre silence et condamnations, le Leclerc devrait bénéficier de quelques apports, sorte de pansements sur les plaies les plus visibles, comme les viseurs avec la récente adoption des PASEO ou encore la motorisation dont le remplacement devient chaque jour plus nécessaire. Paradoxalement, la décision de maintien en l’état du char Leclerc a été confirmée au cours d’une des éditions les plus « blindées » du Salon Eurosatory avec la présentation par de plusieurs industriels d’engins ou de projets dans le domaine. Parmi les nombreux exposants, le stand KNDS illustrait parfaitement le renouveau de la filière char avec pas moins de cinq engins présentés dont le Leclerc Evo, successeur naturel du Leclerc actuel et auquel l’armée de terre n’a semblé prêter qu’une attention plus que mesurée. Cette situation fortement préjudiciable sur le plan militaire est également lourde de conséquences pour les industriels concernés au moment où de nombreux pays affichent un intérêt marqué pour des engins innovants plus légers et mieux protégés face aux nouvelles menaces parmi lesquelles les drones et autres munitions téléopérées. 
Enfin le renoncement de l’armée de terre au combat blindé mécanisé est en train de faire disparaitre des doctrines d’emploi des différentes armes cette forme de combat. Alors que la haute intensité est remise à l’ordre du jour pour caractériser la moindre des activités, la manoeuvre blindée mécanisée a quasiment disparu, faute de moyens adéquats. Certes la constitution de GTIA (Groupements Tactiques Inter Armes) à dominante blindée ou infanterie continue de donner un caractère interarmes aux différentes actions, se heurtant dans certaines configurations au manque de moyens lourds, mécanisés capables d’encaisser et de porter des coups décisifs à l’ennemi. Nos équipages de Leclerc confrontés à une diminutions de leurs possibilités d’entrainement ont de plus en plus de difficultés à maitriser les savoir-faire du combat mécanisé. Il est loin le temps où les renforcements interarmes étaient quasiment systématiques dans les exercices dès le niveau compagnie ou bataillon. Les plus anciens se souviendront des 5ème Stade, ou Stade D au cours desquels les unités élémentaires aux ordres du capitaine et leurs renforcements étaient évalués sur un parcours de tir. 
Si elle devait s’engager sur un théâtre requérant des moyens lourds, l’armée de terre ne disposerait que de ses chars Leclerc vieillissant et de Jaguar (en cours de livraison) dotés du canon CTA de 40mm. Ces deux engins étant pour le premier soumis à des limitations de potentiel et de disponibilité affectant l’entrainement des équipages tandis que le second est en cours d’appropriation par les équipages. Pourtant, les derniers engagements de blindés ne devraient pas manquer d’interpeller. Que ce soit l’offensive ukrainienne dans la région de Koursk dans laquelle une centaine de blindés ont été engagés, ou les opérations de l’armée israélienne reposant sur un triptyque blindé seul apte à agir dans le chaos urbain constitué par les constructions dans la Bande de Gaza. Ces deux exemples démontrent une fois encore la nécessité de disposer à côté de moyens à roues, d’engins blindés mécanisés à chenille, la mise en oeuvre des uns n’excluant pas celle des  autres. Au-delà de ces deux conflits, des chars (parfois anciens) apparaissent aux quatre coins de la planète, certaines entités affichant parfois des matériels plus performants que les forces étatiques auxquelles elles s’opposent.
Un autre aspect de la situation actuelle est l’absence du char et de son environnement mécanisé dans les débats des différents organismes de réflexion. La (re)création d’un véritable segment de décision n’a jamais été évoquée dans les différentes interventions. Depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, l’ensemble des sujets se rapportant aux différents aspects de cette guerre a été l’objet de nombreux débats dont la chose blindée semble avoir été soigneusement tenue à l’écart. Cette situation n’est pas nouvelle ; l’Opération Daguet à laquelle un GE 40 (Groupe d’Escadrons 40) constitué à la hâte, avait été greffé in extrémis, n’a eu aucune incidence sur l’armée de terre déjà engagée dans l’élimination de sa composante blindée mécanisée. Les décisions prises par des pays voisins, alliés ou plus lointains ne donnent lieu à aucun débat, ou commentaire ou suggestion. L’adoption des cope cages sur les blindés engagés en Ukraine a été observée de près par plusieurs pays dont Israël qui a en équipé ses chars en moins de 72 heures ! L’utilisation des systèmes de protection active, dont certains soulignent une efficacité limitée à 83%, reste peu commentée, peut-être par peur de contrarier les projets français ou de souligner le retard pris par notre pays dans ce domaine ! L’origine de la proposition de geste fort née dans le cerveau d’un chercheur de l’INSERM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire) montre le degré de considération apporté au char dans les cercles de réflexion, y compris les plus proches de la sphère militaire. Les seuls événements (à caractère historique) liés au char se déroulant en France sont à mettre au crédit du Musée des Blindés et d’associations de passionnés qui font revivre le temps d’un week-end une partie de l’histoire des blindés et de leurs équipages. Le salon Eurosatory n’empêche pas la tenue de salons spécialisés comme SOFINS ou d’événements comme le futur sommet international des Troupes de Montagne qui se tiendra les 12 et 13 février 2025. Serait-il iconoclaste d’envisager une activité similaire pour la communauté blindée au cours de laquelle retours d’expérience, pratiques et matériels pourraient être présentés.
Le silence mutique qui entoure depuis de longues années le char, son environnement, le combat blindé mécanisé, les matériels qui permettent de le mener et son utilité pour l’armée de terre ne semble pas prêt de cesser. Les succès remportés par les industriels étrangers sur le marché des blindés et les enseignements des conflits en cours ne semblent pas peser lourd face aux tropismes de notre armée ! Pourtant les vieilles lunes ne sont pas forcément celles que l’on croit, le combat blindé mécanisé étant certainement le plus moderne qui soit ! 

Des véhicules blindés chinois repérés dans la région de Donetsk en Ukraine

Des véhicules blindés chinois repérés dans la région de Donetsk en Ukraine

La présence de véhicules blindés chinois sur le champ de bataille ukrainien a récemment été confirmée, avec des images montrant des Tiger 4×4 utilisés par les forces russes. Cette découverte soulève des questions sur l’implication internationale dans le conflit.

Par La rédaction d’Armées.com – Publié le 24 septembre 2024

Vehicules Blindes Chinois Reperes Region Donetsk Ukraine
Des véhicules blindés chinois repérés dans la région de Donetsk en Ukraine – © Armees.com

La présence de véhicules blindés d’origine chinoise sur le champ de bataille ukrainien soulève de nouvelles interrogations sur l’implication internationale dans le conflit. Des images circulant sur les réseaux sociaux russes ont révélé l’utilisation de véhicules blindés Tiger 4×4 par les forces russes dans la région de Donetsk. Cette découverte met en lumière l’évolution du soutien matériel étranger à l’opération militaire de Moscou en Ukraine.

L’arrivée des « Tigres » chinois sur le front ukrainien

Les véhicules Tiger, également connus sous le nom de ZFB-05 Xinxing, ont été repérés en action aux mains des troupes russes. Ces blindés légers, fabriqués par l’entreprise chinoise Shaanxi Baoji Special Vehicles Manufacturing, témoignent de l’internationalisation croissante du matériel militaire utilisé dans ce conflit. Ramzan Kadyrov, le dirigeant de la région russe de Tchétchénie, a confirmé en juin 2023 la réception d’un premier lot de ces véhicules chinois par les forces russes.

Les Tiger se distinguent par leur polyvalence et leur capacité d’adaptation à diverses missions :

  • Patrouilles
  • Postes de commandement mobiles
  • Ambulances
  • Transport de troupes

Avec un équipage de deux personnes et la possibilité de transporter neuf fantassins équipés, ces véhicules renforcent considérablement les capacités de mobilité des forces spéciales sur le terrain. Leur présence soulève des questions sur le rôle de la Chine dans le conflit, bien que Pékin ait constamment appelé à une résolution pacifique de la guerre.

Modifications et adaptations pour le théâtre ukrainien

Les images partagées montrent que les Tiger ont subi plusieurs modifications pour s’adapter aux conditions spécifiques du front ukrainien. Ces améliorations incluent :

Ces adaptations démontrent la flexibilité du Tiger et sa capacité à évoluer selon les besoins opérationnels. Elles reflètent également l’expérience acquise par les forces russes face aux tactiques ukrainiennes, notamment l’utilisation intensive de drones.

Implications géopolitiques de l’utilisation de matériel chinois

L’apparition de véhicules blindés chinois dans le conflit ukrainien soulève des questions sur l’équilibre des relations internationales. Bien que la Chine maintienne officiellement une position neutre, la présence de ses équipements militaires sur le champ de bataille pourrait être interprétée comme un soutien tacite à la Russie.

Cette situation met en lumière la complexité des échanges d’armements à l’échelle mondiale. Le Tiger, présenté pour la première fois au salon Eurosatory de Paris en 2012, a depuis été exporté vers plusieurs pays, dont la Bolivie, le Tadjikistan et la Somalie. Son utilisation en Ukraine illustre comment les équipements militaires peuvent circuler à travers différents théâtres d’opérations, parfois de manière inattendue.

L’intégration de ces véhicules dans l’arsenal russe pourrait également influencer les stratégies de défense occidentales. Les alliés de l’Ukraine pourraient être amenés à réévaluer leurs propres fournitures d’équipements pour contrer cette nouvelle menace, potentiellement en accélérant le développement de nouveaux chars de combat ou en renforçant leurs capacités anti-blindés.

Perspectives d’évolution du conflit

L’introduction des Tiger chinois sur le front ukrainien pourrait marquer un tournant dans la dynamique du conflit. Ces véhicules offrent aux forces russes de nouvelles options tactiques, notamment pour les opérations de reconnaissance et les assauts rapides. Leur déploiement dans des zones sensibles comme Bucha, Marioupol ou Bakhmut, où les unités tchétchènes ont acquis une réputation controversée, pourrait intensifier les combats.

Face à cette évolution, les forces ukrainiennes et leurs alliés devront probablement :

  1. Adapter leurs stratégies de défense anti-blindés
  2. Renforcer leurs capacités de reconnaissance pour détecter ces nouveaux véhicules
  3. Développer des contre-mesures spécifiques, notamment contre les protections anti-drones

L’utilisation de véhicules blindés chinois en Ukraine souligne la nature globale et complexe des conflits modernes. Elle met en évidence l’interdépendance des industries de défense et la difficulté de maintenir des lignes claires entre les parties impliquées dans un conflit international. Alors que la situation continue d’évoluer, l’impact de ces nouveaux équipements sur le terrain restera un sujet de préoccupation majeur pour tous les acteurs concernés.

La contre-attaque russe dans l’oblast de Koursk

La contre-attaque russe dans l’oblast de Koursk

 

La contre-attaque russe dans l’oblast de Koursk

Offensive russe dans l'oblast de Koursk
Les rares contre-attaques locales lancées pour permettre le repli de telle ou telle unités n’aboutit à rien sur le plan opératif. Photo: Valentyn Kuzan / the Collection of war.ukraine.ua

La contre-attaque russe dans l’oblast de Koursk

par Sylvain Ferreira – Le Diplomate média – publié le 20 septembre 2024

https://lediplomate.media/2024/09/la-contre-attaque-russe-dans-loblast-de-koursk/sylvain-ferreira/monde/


Le 10 septembre dernier, soit un peu plus d’un mois après le début de l’offensive spectaculaire de l’armée ukrainienne dans l’oblast de Koursk, les forces armées russes ont déclenché une contre-attaque contre le saillant formé par la pénétration ukrainienne. En dix jours, les Russes ont repris plusieurs localités et menacent désormais d’encercler les formations ukrainiennes présentes dans le saillant.

Après le safari, l’attaque

Le 10 septembre, les Russes ont donc frappé le flanc gauche des forces ukrainiennes dans l’oblast de Koursk, les chassant de Korenevo et rétablissant la connexion terrestre avec la partie sud du district de Glushkovo qui précédemment n’était accessible qu’en traversant la rivière Seim dont les ponts étaient systématiquement détruits par les Ukrainiens. Au cours des jours suivants, les Russes ont repris le contrôle d’environ 20 % du territoire saisi par les forces ukrainiennes depuis le 6 août et ils s’approchent désormais de leur principale ligne de communication principale : la route R200 qui relie Soumy à Soudja. Le 11 septembre, les Ukrainiens ont lancé une contre-attaque, pénétrant en territoire russe en direction de Glushkovo, probablement avec l’intention de prendre les troupes russes attaquantes à revers. Jusqu’à présent, cependant, ils n’ont pas réussi, et les combats se sont arrêtés dans la région du village de Veseloye, situé à 3 km seulement de la frontière. Depuis quelques jours, les forces russes ont également débuté des attaques dans le secteur au sud-est de Soudja. Elles sont parvenues à s’emparer des premières lignes ukrainiennes, notamment dans le district de Belaya. Le 16 septembre, le renseignement militaire ukrainien (GUR) estimait la taille du groupe russe dans la région de Koursk à 38 000 soldats[1] soit quasiment autant que l’effectif engagé par les Ukrainiens dans leur offensive. Il faut rappeler qu’aucune unité d’importance engagée par l’armée russe dans la zone ne provient du front du Donbass mais principalement des unités stationnées dans l’oblast de Belgorod ou des réserves stratégiques russes. Dans le même temps, plusieurs canaux OSINT évoquent plus de 15 000 pertes (tués, blessés, prisonniers, disparus) côté ukrainien depuis le 6 août. Cela confirmerait la supériorité numérique russe dans la zone qui leur a permis de reprendre l’initiative. Par ailleurs, il faut rappeler que sur le plan matériel et notamment en ce qui concerne l’appui feu (artillerie et aviation), les Russes disposent de moyens bien plus importants que les Ukrainiens qui ont perdu beaucoup de matériels depuis le 6 août : plus de 80 chars, au moins 400 véhicules blindés de tout type et plusieurs dizaines de pièces d’artillerie dont des HIMARS déployés dans l’oblast de Soumy.

Se replier ou tenir ?

Aujourd’hui, le généralissime ukrainien Syrski se retrouve face à un nouveau choix cornélien. Soit il tente encore les attaques infructueuses sur le flanc sud de l’attaque russe dans le secteur de Veseloye en espérant ralentir voire arrêter les assauts russes vers l’est, soit il retire rapidement les unités présentes dans le saillant pour éviter qu’elles se retrouvent encercler opérationnellement par les deux pinces que forment désormais les attaques russes à la base du saillant. La R200 n’est plus qu’à 15 kilomètres des premières russes à l’est comme à l’ouest et la menace sur cet axe vital pour la logistique ukrainienne peut s’accroître rapidement à mesure de la progression quotidienne des forces russes. Cependant, au-delà des simples considérations militaires, il est clair que pour des questions politiques les soldats ukrainiens soient contraints de rester dans cette zone encore plusieurs jours voire semaine pour que, médiatiquement, Kiev et ses maîtres puissent revendiquer qu’ils occupent le territoire russe et narguent ainsi le Kremlin. Cette option a déjà fait florès à de nombreuses reprises mais elle a coûté extrêmement cher à l’armée ukrainienne tant en hommes qu’en matériels. La défaite d’Avdiivka en février dernier l’a encore démontrée[2].

Le succès de la stratégie russe

Par ailleurs, l’échec militaire de l’offensive ukrainienne dans la zone qui n’a pas provoqué le redéploiement des forces russes engagées dans le Donbass n’a donc pas ralenti les progrès russes dans cette région. En effet, depuis le 6 août dernier, les Russes ne cessent de gagner du terrain et s’emparent chaque semaine de nouvelles localités que les Ukrainiens n’ont plus les moyens de défendre. L’emploi massif de bombes guidées FAB-3000 de 3 tonnes par l’aviation russe (VKS) interdit désormais aux Ukrainiens de se retrancher dans les bâtiments d’importance au risque d’être pulvérisés par une seule de ces bombes. Les rares contre-attaques locales lancées pour permettre le repli de telle ou telle unités n’aboutit à rien sur le plan opératif. De Koupiansk à Ougledar, les Russes ne cessent de lancer des attaques locales pour fixer les défenseurs tandis qu’ils maintiennent leur effort principal dans le secteur de Pokrovsk où ils menacent d’encercler les éléments de 4 brigades ukrainiennes encore déployées à l’est de la ligne Ukrainsk – Kurakhivka. Là encore, les Ukrainiens s’accrochent sur des positions qui n’ont aucune valeur, même médiatique, pour aucun effet opératif et laissent beaucoup de monde sur le terrain. Cette fin d’été 2024 consacre probablement la fin des capacités offensives de l’armée ukrainienne et le succès de l’approche russe d’une guerre d’attrition en limitant ses propres pertes grâce à une supériorité quasi constante des feux depuis l’automne 2022 sur la quasi-totalité du front.


[1]   https://www.twz.com/news-features/38000-russian-troops-committed-to-kursk-counteroffensive-report

[2]   https://lediplomate.media/2024/02/la-victoire-davdiivka/sylvain-ferreira/monde/