La Brigade des forces spéciales Air espère obtenir des blindés multi-rôles légers « Serval »

La Brigade des forces spéciales Air espère obtenir des blindés multi-rôles légers « Serval »

 

https://www.opex360.com/2023/04/16/la-brigade-des-forces-speciales-air-espere-obtenir-des-blindes-multi-roles-legers-serval/


 

La mission assurée par le CPA 20 [comme par les Escadrons de protection, qui font aussi partie de la BFSA] est donc primordiale afin de garantir la « liberté d’action de la manoeuvre aérienne », souligne le général Christophe Aubé, le commandant de la BFSA, dans les pages du dernier numéro d’Air Fan.

Cela étant, cette mission a évolué dans la mesure où il n’est plus question de se contenter d’une posture statique pour surveiller et protéger une base aérienne.

« Nous sommes passés d’une garde statique de grillage pendant la Guerre Froide, pour se prémunir d’une éventuelle attaque de nos plates-formes aériennes ou du plateau d’Albion [qui abritait 18 silos de missiles stratégiques S-3 jusqu’en 1996, ndlr] par des Spetsnaz [forces spéciales soviétiques, ndlr], à une défense en profondeur, plus dynamique et plus active, avec des patrouilles motorisées lointaine », poursuit le général Aubé. Et cette mission va encore évoluer, une réflexion étant en cours pour élaborer un nouveau concept de protection, selon une « logique concentrique correspondant à différentes lignes de défense ».

Par ailleurs, au regard des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine, il est de plus en plus question de « durcissement » et de « dispersion ». En clair, explique le général Aubé, il s’agira de « répartir nos moyens de protection pour sécuriser différents plots de chasseurs, où qu’ils soient » et ce « type d’opération ‘agile’ est l’une des raisons d’être du CPA 20, qui peut fournir ces moyens de combat rapidement ».

Justement, s’agissant des moyens, le CPA 20 et les Escadrons de protection mettent en oeuvre le « Véhicule d’intervention blindé » [VIB], qui est le nom donné par les aviateurs au Véhicule de l’avant blindé [VAB]. Mis en service dans les années 1980, cet véhicule est doté d’un tourelle Toucan armée d’un canon de 20 mm et d’une mitrailleuse de 7,62 mm. Et, en opération extérieure, ils ont à leur disposition des VAB Ultima et des PVP [Petits véhicules protégés], prêtés par l’armée de Terre.

Cependant, et c’est un sujet rarement abordé quand on évoque les questions budgétaires, l’armée de l’Air & de l’Espace aura à remplacer les blindés utilisés par le CPA 20 et les fusiliers de l’Air. D’où le souhait exprimé par le commandant de la BAFSA.

« Je souhaiterais remplacer nos VAB par des engins blindés de dernière génération, probablement des Serval pour nous inscrire dans le même programme de maintien en condition opérationnelle que l’armée de Terre », a confié le général Aubé à Air Fan. « Notre but est de conserver une bonne mobilité tactique sous blindage », a-t-il ajouté.

Mais ce n’est pas tout. « Je souhaite aussi ardemment que nous recevions des mortiers pour donner à différentes unités plus de punch par des moyens de tir indirect », a-t-il affirmé.

En attendant, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 a apparemment fait l’impasse sur le renouvellement des blindés de la BAFSA. Le texte indique seulement que l’armée de Terre disposera de 1405 véhicule blindés multirôles léger [VBMR-L] Serval en 2030 et d’un total de 2038 exemplaires en 2035, dont 1060 dans le cadre du programme de Véhicule léger tactique polyvalent protégé.

Guerre en Ukraine : étude des opérations non conventionnelles

Guerre en Ukraine : étude des opérations non conventionnelles

 

par Maximilien Nagy – Revue Conflits – publié le 17 avril 2023


Dans un rapport de mars 2023, le RUSI (Royal United Services Institute) analyse avec finesse les opérations non conventionnelles menées par la Russie en Ukraine des années 2000 à l’attaque de février. Usage de Wagner, maitrise des espions et des renseignements, la Russie avait préparé de longue date son intervention.   

Le rapport a été réalisé par Dr Jack Watling, Oleksandr Danylyuk et Nick Reynolds. Il est disponible ici. 

La guerre en Ukraine, abondamment étudiée du point de vue de la stratégie militaire et des fausses informations, commence aussi à être abordée du point de vue des opérations non conventionnelles. Dans son rapport, le RUSI analyse à l’aide d’archives de presse et d’interviews avec des sources ukrainiennes, les différents outils non conventionnels utilisés par les services de renseignement russes et l’armée pour mener le conflit. Des infiltrations au recrutement de hauts fonctionnaires ukrainiens ou encore l’usage de groupes paramilitaires, dont Wagner, tous les procédés informels sont bons. 

Infiltrations et retournements

La guerre en Ukraine est le fruit d’une longue préparation par la Russie. Avant de mener une lutte armée, Vladimir Poutine et le service de renseignement russe, le FSB, se sont attelés à orienter les politiques ukrainiennes vers les intérêts russes, dès les années 2000. Des services de renseignement ukrainiens aux entreprises de gestion du nucléaire, le FSB a procédé entre 2000 et 2022 à une stratégie de recrutements massifs en Ukraine à tous les niveaux. 

Par exemple Andriy Derkach. Fils d’un officier du KBG, il se rend en Ukraine en 1993 après ses études et devient député du peuple au parlement de Kiev en 1998. En parallèle, il gère Energoatom, en charge du nucléaire en Ukraine et fait signer de nombreux contrats favorables à Rosatom, l’équivalent russe d’Energoatom. Dès la fin des années 2000, le SBU – l’agence de renseignement ukrainienne – avertit le président ukrainien des activités de l’individu. Il faut attendre juin 2022 pour qu’il soit sérieusement mis en cause par les Américains, qui l’accusent d’être un espion russe. Une des preuves apportées consiste en des documents révélant qu’il aurait été chargé d’établir un réseau d’entreprises de sécurité privée, destinées à contrôler plusieurs villes en Ukraine dans le but de préparer l’invasion russe. 

L’autre taupe du FSB serait le général Oleg Kulinich, un des chefs régionaux du SBU, également associé à Derkarch chez Energoatom. Jusque-là, il était chargé de l’affaiblissement des services du SBU et sa capacité à détecter des agents russes. Il aurait aussi reçu l’ordre d’influencer le pouvoir ukrainien pour qu’il renonce à rejoindre l’OTAN. Il est limogé et détenu par le SBU en juillet 2022. Le FSB a donc fait preuve d’une haute compétence pour espionner et influencer l’Etat ukrainien, tout en évitant de s’impliquer directement dans les opérations grâce à son recrutement efficace d’agents. 

 

Forces et faiblesses de « la politique des agents »

Le système de flag recruitement du FSB possède bien sûr des faiblesses, démontrées dès l’invasion de février 2022. Au début du conflit, le FSB pensait qu’il aurait un réseau fidèle à ses ordres et il s’était montré très optimiste sur sa capacité d’influence sur les institutions ukrainiennes. Toutefois, le maintien en place des institutions ukrainiennes au lendemain de l’invasion russe a démontré l’exagération complète des services du FSB. De plus, nombre d’informateurs ont quitté les services dès le début du conflit, démontrant une autre limite :  l’absence d’idéologie chez les agents ukrainiens. Motivée avant tout par les rémunérations proposées par le FSB, la volonté de protéger leurs vies et celles de leurs proches a certainement primé sur les promesses de rémunération. Une fois la situation devenue trop risquée, la mission n’en valait sans doute plus la peine. « Le criminel qui voyait précédemment peu de problèmes à agir comme un coursier à la frontière russo-ukrainienne pourrait […] sentir qu’il devrait [plutôt] protéger sa famille si elle était attaquée »1 analyse le RUSI. Mal informée sur la véritable situation en Ukraine, affaiblie par les désertions d’une partie de ses informateurs, l’armée russe fut prise de court à son arrivée. Le lieutenant général Reshetnikov du SVR (services de renseignement extérieurs russes), résume bien la situation : « Les erreurs de calcul furent essentiellement politiques et militaires : sous-estimation de l’ennemi, mécompréhension de l’état d’esprit et du fonctionnement de ce pays. Il y avait très certainement des espérances injustifiées : nous allions entrer dans Kiev et Kharkov, pour porter au pouvoir des représentants ukrainiens raisonnables. Mais ce n’est pas cela qui s’est produit2. »Mais dans les territoires que l’armée russe est parvenue à conquérir, un régime d’occupation efficace est mis en place, toujours grâce à l’usage d’agents recrutés par le FSB. 

Les régimes de contrespionnage dans les territoires occupés

Comme les Russes l’ont montré en Crimée en 2014, leur capacité à s’implanter durablement dans un territoire et à le contrôler est remarquable. Dès leur arrivée dans les villes conquises, ils se sont assurés qu’ils auraient des hommes fidèles à Moscou pour les administrer. Une procédure menée par exemple dans l’oblast de Kharkiv : interrogatoires, fouilles de maisons, remplacement des maires ou encore coupure des communications avec Kiev, tout est mis en œuvre pour permettre une « russification » des populations de l’oblast. En complément de cela, le FSB se constitue un bon réseau d’informateurs parmi la population. Dans l’oblast de Kharkiv, 800 agents russes furent identifiés. L’objectif premier du FSB n’est pas tant d’obtenir un soutien de la population, mais de s’en assurer le contrôle, comme elle le fit durant la guerre de Tchétchénie de 1994, où 8% de la population en moyenne collaborait avec les services de renseignement du Kremlin. 

Mercenaires et troupes irrégulières 

L’usage des pratiques non conventionnelles s’étend aussi à l’armée, ou pour contrôler les territoires ou pour assurer des interventions. Les nombreuses pertes au sein de l’armée régulière russe et l’installation de plusieurs de ses membres dans les villes ou oblasts conquis en Ukraine pour en assurer l’administration ont causé une pénurie d’hommes ces derniers mois. Pour pallier ce phénomène, les Russes ont accru le recours aux mercenaires, dont le groupe Wagner et le régiment tchétchène du colonel général Ramzan Kadyrov. Le groupe Wagner, fondé en 2014 par l’influent Yevgeny Prigozhin, est dépendant officiellement de la direction générale des renseignements russes, le GRU, mais recevrait ses ordres directement de Poutine. Au départ absente d’Ukraine, du fait de sa présence en Syrie et au Mali, elle a vu son rôle s’accroître ces derniers mois. Son action est venue s’ajouter à celle des hommes de Kadyrov, chargés d’assister le FSB du contrôle des territoires conquis. Fournie en armements et en hommes par le GRU, sans faire partie pour autant de l’organigramme de l’armée russe, la participation de Wagner au conflit devrait s’accroître dans les mois à venir, tout comme le développement d’autres armées privées. L’utilisation de l’armée privée PWC Redut, fondée par des anciens du GRU en est un exemple.  

Des renseignements déficients ?  

L’échec des Russes durant les premiers mois de la guerre en Ukraine a souligné les problèmes de culture de travail au sein du FSB, hérités de la période soviétique, en particulier la communication déficiente entre les autorités et les agents sur le terrain. Les « services spéciaux russes souligne le rapport, avaient reçu l’ordre de faciliter une occupation avec un calendrier précis et non pas d’évaluer sa viabilité3. » L’armée russe en a subi les conséquences… L’obéissance aux ordres plutôt que la fourniture de « conseils honnêtes aux services spéciaux russes à l’exécutif 4 » et la peur de déplaire au chef et à Vladimir Poutine empêche le système de fonctionner efficacement, malgré le dynamisme incontestable des services. L’autre problème est l’incapacité des services russes à se renouveler dans leurs méthodes, restées identiques depuis la période soviétique, quels que soient les terrains d’action. « Bien que cela permette aux opérations russes de réagir rapidement face à une cible qui ne se doute de rien, il y a aussi une véritable vulnérabilité lorsque la cible est en état d’alerte, parce que les opérations risquent de s’exposer mutuellement5. » L’exemple ukrainien est relativement parlant : face à une situation imprévue, la capacité d’adaptation des services de renseignement a fait défaut.

Le FSB dispose encore de nombreux atouts, dont sa capacité à récolter des informations, grâce à son réseau d’agents, qui lui a permis de situer et de détruire plusieurs sites stratégiques en Ukraine, notamment énergétiques et militaires. La compétence technique des services russes demeure donc, malgré des défauts aux lourdes conséquences dans ce type de conflit.  

Livre : « Cao Bang 1950 », d’Ivan Cadeau

Livre : « Cao Bang 1950 », d’Ivan Cadeau


Episode dramatique de la Guerre d’Indochine, qui s’est déroulé en octobre 1950, la « bataille de la RC4 », c’est-à-dire les combats liés à l’évacuation de Cao Bang, a donné lieu à toute une littérature allant des témoignages des combattants, notamment ceux des commandants des deux colonnes, les colonels Charton et Lepage, leurs supérieurs, les généraux Alessandri ou Carpentier ayant préféré ne pas s’exprimer, aux récits détaillés des combats, rejoignant alors souvent le genre de la geste héroïque. Il manquait une approche historique globale de cet évènement, encore partiellement méconnu, rédigée par un véritable historien militaire. C’est chose faite. Le lieutenant-colonel Yvan Cadeau, historien averti et reconnu comme « le » spécialiste de la Guerre d’Indochine, comble brillamment cette lacune, par cet ouvrage, remarquable synthèse de l’évènement, qui le replace dans le contexte général de la Guerre d’Indochine, tout en ne se limitant pas, comme tous les autres ouvrages l’ont fait, au seul point de vue français, car il est allé voir « de l’autre côté de la colline », dans la limite des sources vietminh disponibles, bien sûr. Bref, un vrai livre d’histoire qui, sans nul doute, fera référence.

A ce titre, le lecteur pourra comprendre toute le genèse de cette affaire, comment et sous quelles influences les décisions ont été prises, quels étaient les chefs concernés, tant du côté français que vietminh, quelles étaient les intentions réelles de Giap, pourquoi la décision d’évacuation, prônée depuis le rapport d’inspection du général Revers l’été 1949 a mis plus d’un an à être décidée et exécutée. In fine, tout naturellement, la question des responsabilités encourues par les différents niveaux de commandement se pose. Yvan Cadeau ne juge pas, l’historien n’étant ni hagiographe ni procureur. Il met en parallèle les différents responsables civils et militaires, le commandant en chef étant subordonné au haut-commissaire, il rappelle le poids écrasant représenté par la mise en œuvre de la « solution Bao Daï » dans la prise de décision politique, il n’occulte pas les conflits de personnes, Pignon – Blaizot, Revers – et le même Blaizot, ou Carpentier – Alessandri. Ce faisant, par la rigueur de son exposé, Cadeau fait œuvre de justice, les jugements aussi accablants qu’infâmants portés par Lucien Bodard – autoproclamé chroniqueur exclusif de la Guerre d’Indochine – sur certains acteurs de ce drame, notamment le colonel Constans, commandant la zone frontière, sont dénoncés dans ce qu’ils ont d’excessifs.

Bref, un ouvrage complet et novateur, tant par ses sources que par ses développements et désormais, personne ne pourra plus évoquer cet épisode sans se référer à cet ouvrage d’Ivan Cadeau. Le lecteur ne trouvera donc pas dans cet ouvrage dont ce n’est pas l’objectif, un récit détaillé des combats décentralisés qu’ont menés dans des conditions dantesques, goumiers, tirailleurs, légionnaires, parachutistes ou partisans. Pour ce faire, le lecteur devra se reporter à l’ouvrage du général Longeret, purement factuel, mais qui décortique parfaitement l’écheveau particulièrement entremêlé de ces combats.

Quelques coups de phare sur cet excellent ouvrage.

Dans son introductions, Yvan Cadeau expose la différence de traitement que l’historiographie a réservée à l’épisode de Dien Bien Phu et à celui-ci, ce qui a contribué à faire un peu tomber dans l’oubli les combats de la RC4. L’auteur fait un très intéressant parallèle entre cette différence de traitement historiographique avec celui réservé par le pays et les institutions aux combattants de ces deux engagements. Les combattants de la RC4 ont été purement et simplement oubliés, ce qui ressort parfaitement de la différence de traitement en termes de récompenses (citations notamment). En outre, ayant passé près le quatre ans en captivité, et quelle captivité ! le cursus de leur carrière s’en est ressenti. Aucun grand nom de l’armée française qui s’est révélé par la suite n’avait pris part aux combats de la RC4 (Jeanpierre mis à part, mais son destin s’est arrêté en Algérie) ; on ne peut pas en dire autant de Dien Bien Phu, pour ne citer que Bigeard ou du lieutenant Schmitt, futur CEMA qui a combattu comme artilleur volontaire « premier saut » dans la dernière semaine du camp retranché.

Dans sa rétrospective, l’auteur revient à fort jute titre sur l’opération « Lea », conduite à l’automne 1947 et qui a vu la réimplantation militaire française en haute région, et notamment à Cao Bang. Cadeau montre combien les effectifs engagés étaient insuffisants autant pour atteindre les objectifs de cette opération que pour contrôler la zone nouvellement conquise. Et la métropole n’y pouvait mais. Confronté à de graves problèmes de maintien de l’ordre (les grèves insurrectionnelles fomentées par le PCF) le Gouvernement avais requis le CEMAT qui avait dû vider les garnisons d’Allemagne et faire prendre en charge de façon temporaire, une grande partie de la zone d’occupation française par les Alliés. Qui plus est, il était simultanément confronté à une grave révolte malgache qui consommait les disponibilités de l’Afrique du Nord. Il n’existait aucun disponible en métropole, puisque le service militaire n’avait été rétabli qu’en 1946 après sept ans d’interruption. Dès 1947, il apparait de façon flagrante que la conduite de la guerre d’Indochine dépassait les capacités militaires françaises.

Ensuite, l’auteur expose avec maestria combien les atermoiements entre Pignon, haut-commissaire, et Blaizot, commandant en chef, ont ruiné la campagne de la saison sèche de 1948, qui n’a jamais débuté, ce qui a permis au Vietminh de continuer à se ravitailler en riz en provenance du Delta. Pignon voulait faire effort dans la pacification du Sud, pour asseoir le pouvoir de Bao Daï, alors que Blaizot voulait poursuivre l’assainissement militaire du Tonkin pendant qu’il en était encore temps. Le haut-commissaire imposa son option.

Puis, ce fut l’inspection du général Revers, chef d’état-major de l’armée de terre qui préconisa l’évacuation de la zone frontière jusqu’à Lang Son exclu. D’emblée, Blaizot s’y opposa, mais il dut rapidement démissionner, la mésentente au sommet entre le responsable civil et le chef militaire devenant trop visible. Son successeur, Carpentier, acquis à l’évacuation, se trouva en butte aux arguments de son adjoint, Alessandri, pour la différer : il fallait recueillir les débris de l’armée nationaliste chinoise, vaincue par l’armée populaire de Mao. C’est ainsi qu’une année de tergiversations fut perdue. Conséquence d’une réorganisation du commandement, Alessandri perdit ses fonctions d’adjoint « Terre » au commandant en chef, le poste ayant disparu, pour aller prendre le commandement du Tonkin. Il s’y montra un adversaire acharné de l’évacuation, voulant porter son effort sur l’assainissement du Delta, qui ne le fut réellement jamais. C’est dans ce contexte que le poste clé de Dong Khé tomba en mai 1950, mais sa réoccupation quasi immédiate grâce à la surprise d’une opération aéroportée fit souffler sur le commandement un vent d’optimisme, qui ne correspondait en rien à la réalité de la situation.

S’appuyant sur des sources vietminh, certes officielles, Cadeau expose brillamment la montée en puissance du corps de bataille vietminh, grâce à l’aide chinoise, dont le sanctuaire jouxtait maintenant la frontière du Tonkin. Pour la campagne de 1950, dite Hong Phong II, les « conseillers » chinois voulaient engager le corps de bataille, en masquant Cao Bang, et en portant l’effort sur Dong Khé et That Khé, ce qui revenait à couper la RC4. La chute prématurée de Dong Khé, fin mai, semble correspondre à une initiative locale. Conduite avec des effectifs trop faibles par rapport aux normes d’engagement chinoises, ceci expliquerait la relative facilité avec laquelle le poste a été repris. Cette « victoire » a engendré un fallacieux sentiment d’euphorie au sein du commandement français du Tonkin, confortant notamment le général Alessandri dans son opposition formelle au repli de Cao Bang. Yvan Cadeau démontre aisément qu’au contraire, la période de la fin du printemps 1950 a constitué pour le commandement français la dernière fenêtre d’opportunité pour une évacuation en sûreté de toute la Haute Région jusqu’à Lang Son (exclu) en repliant successivement chaque poste sur le suivant, ce qui renforçait d’autant la masse de manœuvre qui se repliait.

Ensuite, l’auteur démonte comment, sûr de sa victoire, Giap, en planifiant sa manœuvre centrée sur Dong Khé et That Khé, tendait un piège mortel à toute colonne de secours qui s’aventurerait sur la RC 4. Le rapport de forces des forces engagées se chiffrait à trente bataillons vietminh contre sept français. A cet égard, Yvan Cadeau livre au lecteur une étude saisissante pour évaluer à leur juste mesure les effectifs des deux colonnes Charton et Lepage. La chute, cette fois-ci définitive de Dong Khé aurait dû ouvrir les yeux au commandement français, qui, sourd aux renseignements fournis par les écoutes, n’a pas voulu évaluer à sa juste mesure la menace ennemie. A cet égard, les sources vietnamiennes utilisées par l’auteur montrent que les communications internes de la colonne Lepage étaient écoutées, si bien que Giap a pu lire à livre ouvert dans la manœuvre de ce dernier, notamment lorsqu’il a décidé de scinder sa colonne en deux à l’issue de l’échec de la reprise de Dong Khé, et de s’engager avec deux bataillons (un tabor et le BM/8e RTM) en direction de la vallée de Quang Liet en fixant le point de contact entre les deux colonnes au point coté 477.

La synthèse des combats conduits par les deux colonnes avant leur jonction est très bien rendue, ce qui permet de suivre l’action, bien mieux que le détail des combats fragmentaires n’aurait pu le faire. En outre, l’adjonction dans le texte de cartes simples et claires aide encore la compréhension de l’évolution de la situation. Cette synthèse se poursuit, après le « recueil inversé » du recueillant (Lepage) par le recueilli (Charton) par leur très difficile exfiltration jusqu’à That Khé, la mise en place d’un groupement de deux compagnies de That Khé en vue de recueillir ce qui pouvait l’être, avant de se poursuivre par l’évacuation hâtive de That Khé et la véritable Anabase de ces unités exténuées en direction de Lang Son.

Quant à l’évacuation de cette place majeure, qui a très souvent motivé des jugements sévères à l’égard du colonel Constans, Yvan Cadeau montre d’abord que c’est le général Alessandri, fraichement débarqué de permissions passées, en métropole, qui, sans avoir vécu l’antériorité des évènements se serait affolé et aurait précipité l’ordre d’évacuation. Ensuite il souligne combien l’accumulation d’échecs successifs crée souvent une « spirale de l’échec »de nature à entraver le discernement des caractères les mieux trempés. Aussi, sagement il ne juge pas.

Bref, un excellent ouvrage qui mérite d’être lu et médité. Source de réflexions, cet ouvrage montre combien l’engagement militaire français en Indochine se situait au-dessus des capacités réelles du Pays et de son Armée. C’est la raison, avec d’autres, pour laquelle Leclerc avait déjà refusé l’offre qui lui était faite en janvier 1947 de retourner sur le théâtre indochinois en cumulant les deux fonctions de haut-commissaire et de commandant en chef. Juin a également décliné la même proposition, à l’issue de cet échec. De Lattre a accepté la charge. Il a relevé la situation et le moral du corps expéditionnaire. Disparu moins d’un an plus tard, personne n’est en mesure de dire si ce sursaut pouvait s’inscrire dans la durée. Quant à Bao Daï, Hô Chi Minh n’avait-il pas raison quand il le traitait de « fantoche » ? La facture a été présentée, et soldée, à Genève.

Colonel (ER) Claude FRANC

Colonel (ER) Claude FRANC

Saint-cyrien de la promotion maréchal de Turenne (1973-1975) et breveté de la 102e promotion de l’École Supérieure de Guerre, le colonel Franc a publié une dizaine d’ouvrages depuis 2012 portant sur les analyses stratégiques des conflits modernes, ainsi que nombre d’articles dans différents médias. Il est référent « Histoire » du Cercle Maréchal Foch (l’ancien « G2S », association des officiers généraux en 2e section de l’armée de Terre) et membre du comité de rédaction de la Revue Défense Nationale (RDN). Il a rejoint la rédaction de THEATRUM BELLI en février 2023. Il est âgé de 70 ans.

Taïwan: l’exercice Joint Sword, tempête dans un verre d’eau ou coup d’épée dans l’eau?

Taïwan: l’exercice Joint Sword, tempête dans un verre d’eau ou coup d’épée dans l’eau?

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par Philippe Chapleau – Lignes de défense – publié le 11 avril 2023

https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr


L’armée chinoise a déclaré lundi avoir « achevé avec succès » ses manœuvres militaires dont l’objectif était de simuler un « bouclage » du territoire taïwanais et de ses 23 millions d’habitants, avec notamment un « blocus aérien », selon la télévision d’Etat CCTV (photo ci-dessus An Ni/Xinhua). 

Pour un article détaillé sur les activités quotidiennes des forces chinoises depuis le début du mois d’avril, cliquer ici

On lira aussi cet article de Xinhuanet sur le bilan de ces manoeuvres baptisées Joint Sword. Des manoeuvres très médiatisées qui auraient permis de vérifier que « les troupes du commandement Est de l’armée populaire sont tout à fait prêtes et résolues à écraser les velléités sécessionnistes de Taïwan et les interférences étrangères de toutes formes » (photo Liu Mingsong/Xinhua).

 

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Ces exercices ont impliqué, entre autres, des bombardiers H-6 capables d’emporter des missiles nucléaire, des chasseurs J-10 et J-11 de l’armée de l’Air et le porte-avions Shandong dont l’aviation (des chasseurs  J-15 ) aurait mené 80 sorties en trois jours.

Fin de l’exercice Joint Sword donc. Pourtant, ce mardi matin, des navires de guerre et des aéronefs chinois se trouvaient toujours autour de Taïwan. Selon le ministère taïwanais de la Défense, neuf navires de guerre chinois et 26 aéronefs évoluaient encore autour de l’île.

Quelques commentaires:

On peut estimer comme le fait l’analyste militaire Leung Kwok-leung, basé à Hong Kong, que le déploiement du porte-avions Shandong suggère que les exercices étaient moins une démonstration de force symbolique que la répétition d’une guerre réelle. « L’intention est très claire: tester la capacité de combat des forces dans un environnement concret« , explique-t-il, notant que le Shandong a navigué jusque dans l’océan Pacifique, loin du détroit de Taïwan.

Mais on peut aussi penser comme Steve Tsang, de l’université SOAS de Londres, qu' »on ne peut pas être certain que (la Chine) puisse dissuader les Etats-Unis d’intervenir, ni qu’elle puisse imposer un blocus efficace contre Taïwan, ni qu’elle puisse lancer des assauts amphibies et les soutenir pour remporter la victoire« . Selon lui, l’armée chinoise aura encore besoin d’une dizaine d’années pour « renforcer considérablement ces capacités », et pour entraîner les différentes composantes de son armée à des actions coordonnées. C’est ce que démontre quelques données:
1) En quatre jours (de vendredi à mardi), selon le ministère taïwanais de la Défense, 91 aéronefs et 12 bâtiments de la PLAN ont été détectés. Ce n’est pas anodin en termes de volume mais c’est dans l’ordre des choses lorsque Pékin pique un coup de sang:

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Les bâtiments engagés par les chinois constituent pour moitié l’escorte (frégates et destroyers) et le soutien (ravitailleur d’escadre) du porte-avions Shandong. Le reste est un mix de frégates, avec un navire de renseignement et et un porte-hélicoptères amphibie.

2) 80 sorties en trois jours pour les jets du porte-avions: le chiffre n’a rien d’exceptionnel, surtout dans un contexte de bouclage des approches aéromaritimes.

3) New normal: la poursuite des vols chinois ce mardi n’a rien d’exceptionnel non plus, puisque le rythme des sorties en mer de Chine et au-dessus de l’ADIZ augmente régulièrement (voir mon post du 7 avril). 

Et Steve Tsang de conclure que « si Xi pensait que l’Armée populaire de libération pouvait le faire à un coût acceptable, il aurait déjà envahi Taïwan (…). Il ne l’a pas fait parce que l’APL ne le peut pas« .

La marine russe cherche un équipage pour son porte-avions « Amiral Kouznetsov »

La marine russe cherche un équipage pour son porte-avions « Amiral Kouznetsov »

https://www.opex360.com/2023/04/11/la-marine-russe-cherche-un-equipage-pour-son-porte-avions-amiral-kouznetsov/


 

Selon des sources industrielles russes, cités notamment par l’agence TASS, ce navire devrait reprendre son « cycle opérationnel » en 2024… Mais à condition de lui trouver un équipage qualifié. Or, d’après le journal Izvestia, l’exercice s’annonce compliqué dans la mesure où la marine russe doit trouver au moins 1500 marins pour assurer non seulement le bon fonctionnement du porte-avions mais aussi les opérations aériennes.

« La formation de l’équipage d’un tel navire est un processus très complexe. […] Si la marine américaine dispose de nombreux porte-avions et qu’elle transférer des spécialistes d’un bâtiment à un autre, l’Amiral Kouznetsov est le seul du genre [au sein de la marine russe]. […] En plus des officiers et des aspirants, il est nécessaire de recruter des marins contractuels. C’est une tâche très difficile pour les services de ressources humaines », a expliqué l’historien militaire Dmitry Boltenkov, dans les pages d’Izvestia.

Cela étant, en France, qui dispose également d’un seul porte-avions [à propulsion nucléaire, qui plus est], la Marine nationale pourrait être confrontée à des difficultés similaires avant la mise en service du PA NG [porte-avions de nouvelle génération].

« Nous n’avons plus les ressources humaines en propre permettant d’avoir des marins pour armer le noyau d’équipage du porte-avions en 2032 et atteindre 900 personnes en 2035 pour débuter les essais » avait expliqué l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM] en 2021. Et d’ajouter : « Soit on désarme un sous-marin nucléaire d’attaque tout neuf pour que ses atomiciens démarrent la chaufferie nucléaire en 2034, soit on recrute et on forme le noyau d’équipage – ce qui prend environ dix ans ».

Cependant, le recrutement est une chose… la formation en est une autre. Or, depuis le temps que le « croiseur lourd porte-avions » [telle est la dénomination officielle de l’Amiral Kouznetsov, ndlr] est en cours de modernisation, des compétences ont été perdues. Et les marins les plus anciens [et donc les plus expérimentés] ont été affectés ailleurs, quand ils n’ont pas été rendus à la vie civile.En outre, le navire ayant reçu de nouveaux systèmes, il faudra aussi du temps à l’équipage pour se les approprier. Et c’est sans compter sur l’entraînement des pilotes de Su-33 et de MiG-29 embarqués. Aussi, la reprise du « cycle opérationnel » en 2024 paraît-il bien ambitieux…

Quoi qu’il en soit, l’activité de l’Amiral Kouznetsov n’a jamais été importante… son premier engagement opérationnel ayant eu lieu en 2016, au large de la Syrie. Et il avait perdu deux de ses chasseurs embarqués. Mais une fois qu’il sera apte à reprendre la mer, il retrouvera la Flotte russe du Nord, dont la zone de responsabilité couvre les régions arctiques.

Pour rappel, évaluée à 300 millions d’euros au début du chantier, la modernisation de l’Amiral Kouznetsov a consisté à lui changer ses chaudières, à remplacer ses installations aéronautiques et à le doter de nouveaux moyens de guerre électronique et de communication ainsi que des systèmes de défense aérienne modernes [dont le Pantsir-M].

Pour forger les armes de la France… OTAN ou UE ? Dissolvant ou durcisseur ?

Pour forger les armes de la France… OTAN ou UE ? Dissolvant ou durcisseur ?


Se pose aujourd’hui la question de l’adaptation de notre outil de défense aux exigences de la nouvelle donne introduite par la révolution géopolitique générée par le conflit en Ukraine. Comme nous en abjure le GCA (2S) Jean-Tristan Verna, ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain en répondant sans analyse sérieuse aux injections multiples qui viendraient de l’OTAN, de l’UE ou d’ailleurs. Notre outil de constitution capacitaire est tout à fait apte à répondre en liaison avec nos alliés aux défis qui se lèvent.

***

Trente ans après la fin de la guerre froide, la crise russo-ukrainienne réinvente une confrontation géopolitique en Europe. L’Union européenne se découvre à ses frontières non plus seulement des partenaires économiques, mais un véritable ennemi politique agressif, tandis que l’Alliance atlantique et son bras armée, l’OTAN, voient ressusciter celui qui fut à ses origines, il y a trois quarts de siècle.

Le traitement collectif de la crise est-orientale aux niveaux politique et économique, tant par l’UE que par l’Alliance atlantique, pousse à une approche tout aussi collective de la réponse sécuritaire, immédiate au travers de l’aide apportée à l’Ukraine, à plus long terme par la réévaluation des politiques de défense en Europe et des moyens à leur consacrer.

Sous réserve qu’un épuisement médiatique et émotionnel ne renvoie la guerre sur le flanc Est de l’Union au statut d’une crise endémique aux seuls inconvénients économiques, sous réserve que le fragile consensus national américain sur cette crise ne s’effondre pas sous le coup des fractures qui lézardent le corps social du leader de l’Alliance, il y a fort à parier que le développement de la défense européenne et le renforcement des capacités de l’OTAN seront au cœur du débat sur la défense en France, au moment où s’énonce une nouvelle « Revue nationale stratégique » et s’annonce une nouvelle loi de programmation militaire.

Des voix s’élèveront pour donner au processus de constitution des capacités des armées françaises une teinture plus européenne pour certains, plus otanienne pour d’autres. Ces « teintures » pourront aller jusqu’à la volonté de mutualiser, non pas des capacités ― mutualisation déjà souvent dans les faits ―, mais le « développement capacitaire », sous ses volets programmatiques, financier et industriel. C’est une facilité financière souvent évoquée !

Le risque serait alors grand, et surtout paradoxal, que tout en refusant de jeter l’eau de l’autonomie stratégique nationale, l’on en jette le bébé de la capacité nationale de concevoir et forger « les armes de la France ».

Cette capacité fait volontiers l’objet de critiques mal fondées, ou plutôt fondées sur le travers national de l’autoflagellation, lui-même assis sur le manque de recul historique et l’absence de comparaison avec les nations équivalentes.

Mais en y regardant de plus près, que constate-t-on ?

Depuis une trentaine d’années, la France a consacré à sa défense moins de 2 % de sa création de richesse nationale mesurée par le PIB. Une partie de cet effort a été absorbée par la professionnalisation des armées, les restructurations qui l’ont accompagnée et la réintégration dans les structures militaires de l’OTAN.

Sous l’autorité de quatre présidents de la République et avec plusieurs changements de majorité parlementaire, la période a connu deux livres blancs, quelques « réévaluations stratégiques » et cinq lois de programmation, autant de « bégaiements » politiques, caractéristiques précieuses d’une démocratie.

Pour les armées françaises, ces décennies ont été de plus une succession et une superposition ininterrompues d’engagements opérationnels particulièrement exigeants pour les militaires et leurs familles, les matériels, le système logistique et le budget.

Malgré ces efforts d’organisation et cette respiration démocratique, et alors que les armées britanniques sont réputées toujours épuisées par leurs engagements en Irak et Afghanistan, accumulant réformes jamais terminées et programmes d’armement en déshérence, alors que de l’aveu même de leurs chefs les armées allemandes se déclarent en 2022 incapables de faire face à toute menace d’une certaine importance, notamment en raison de l’état de leurs parcs d’équipement, la France a lancé et réalisé avec succès le double défi du renouvellement des moyens de sa dissuasion nucléaire ― capacité complète autonome unique en Europe ― et la modernisation d’ensemble des équipements conventionnels des trois armées et de ses capacités spatiales, ainsi que la montée en puissance de sa composante cyber.

Bien évidemment tout n’est pas parfait.

Le tournant des drones a été manqué ; de concert avec le retard de certains programmes majeurs, il a contraint à déverser plusieurs milliards d’euro sur l’industrie aéronautique américaine. Mais ― Ukraine aidant ― la barre se redresse pour les drones, et l’A400M Atlas ― puisqu’il s’agit de lui ― a atteint sa maturité. Dans trente ans, les officiers qui le piloteront (ils sont aujourd’hui en classe maternelle ou primaire !) n’auront même pas conscience de ses défauts de jeunesse… comme de ceux du Transall en son temps !

En outre, la volonté de bien équiper les armées a conduit à tirer au plus juste les stocks de munitions et de rechanges, tout comme elle a souvent fait du budget d’entraînement une variable d’ajustement dont seuls les états-majors étaient vraiment conscients.

Cependant les questions logistiques sont-elles vraiment vitales ? La France, en quelques mois, a mis en place des chaînes industrielles de vaccins et de médicaments, tout comme elle construit d’arrache-pied des méga-usines de batteries pour l’industrie automobile ; elle saura rapidement relancer ses fabrications de munitions et de pièces de rechange, sous réserve d’avoir accès aux matières premières et à la main d’œuvre qualifiée. Ce n’est en réalité qu’une question d’argent et surtout d’acceptation de voir des stocks coûteux immobilisés, gérés et entretenus, la même affaire que pour les masques chirurgicaux !

Le système français de production des capacités militaires est donc tout à la fois efficace car il équipe les forces avec les matériels dont elles estiment avoir besoin, et efficient puisqu’il atteint ces objectifs avec un prélèvement raisonnable sur la richesse nationale et en respectant globalement les délais attendus[1].

Ce résultat n’est pas dû au hasard. Il trouve ses origines dans la bonne répartition des rôles au sein des armées, entre les états-majors et la direction générale pour l’armement, dans l’existence d’une base industrielle solide et organisée, dans un processus interministériel d’arbitrage financier qui se concrétise par une programmation militaire robuste. Ce monde n’est pas celui des « Bisounours ». Les confrontations et les débats y sont intenses, les compromis y sont quotidiens, les « revoyures » font partie du jeu, mais les impasses et les blocages totaux ne durent jamais bien longtemps.

Ce résultat n’est pas pour autant garanti sans une attention de tous les instants, et les pertes de compétences peuvent survenir rapidement, comme ce fut le cas dans les domaines de l’armement individuel, ou de certaines munitions. Mais, malgré les turbulences économiques et techniques des trente dernières années, le « système français de production des capacités militaires » a évité la perte de compétence systémique dont on taxe parfois le nucléaire civil.

Aussi, dans un moment où bien des regards sont tentés de se tourner vers l’OTAN ou les processus européens pour contribuer au renforcement de notre défense, il ne paraît pas illégitime de poser quelques questions.

Quels effets produirait l’introduction dans le système français de développement capacitaire de nouveaux besoins communs, de nouvelles procédures partagées, de nouvelles coopérations ?

Quelles en seraient les conséquences sur chacune des composantes de notre système : l’appareil militaro-technique, qui au sein du ministère des armées établit les compromis débouchant sur un « référentiel de programmation »partagé, la mécanique budgétaire de programmation pluriannuelle des investissements, la complétude de la base industrielle, dont il ne faut pas oublier qu’une de ses finalités historiques est de garantir la souveraineté nationale en matière de capacités nucléaires ?

Et en fin de compte, comment maîtriser les risques que pourrait faire peser sur l’efficacité et l’efficience de notre système l’arrivée massive d’injonctions extranationales ou de rêves de partage supranational des responsabilités en matière de constitution des capacités militaires ?

Abordons ces questions successivement sous le regard de l’OTAN et l’approche européenne, en insistant sur cette seconde.

L’OTAN n’est pas une « terra incognita ». En dépit de la rupture gaullienne de 1966, les liens techniques n’ont jamais été rompus. Hors nucléaire, en matière d’interopérabilité des matériels et des procédures opérationnelles, la France ― troisième contributeur budgétaire de l’organisation[2] ― n’a toujours produit que des équipements « NATO compatible », au fil des « STANAG »[3] à l’élaboration desquels elle participe en continu[4].

Il n’y a donc aucune urgence à aligner nos équipements et les processus qui les produisent sur ceux de l’OTAN, même si le recours à certaines agences de l’organisation, notamment pour la logistique, peut être une facilité courante, bien qu’au demeurant peu appréciée par nos vestales du code des marchés publics.

Évidemment, dans toute alliance entre « inégaux », il y a la tentation pour le dominant de promouvoir ses produits, étape ultime de la standardisation. Mais force est de constater que les nations européennes membres de l’OTAN et disposant d’une longue et forte tradition d’industrie de défense, y ont résisté depuis les débuts. Même l’Allemagne, intégrée dans les années 50, a su reconstituer sa base industrielle de défense nationale détruite en 1945, sauf dans le domaine aéronautique, ce qu’elle vise à faire désormais[5]. Seuls les nouveaux entrants d’Europe orientale n’ont pu faire ce choix, leur industrie ayant été désarticulée dans l’intégration horizontale pilotée par l’URSS.

Ainsi au sein de l’OTAN, si les échanges techniques sont la règle, c’est le rapport de force industriel qui compte. Celui qui dispose d’une capacité globale de conception, de production et de soutien de matériels performants est respecté, comme l’est par ailleurs son autonomie d’emploi de ses équipements, ce qui n’est pas le cas pour les équipements venus des États-Unis, comme nous l’avons vu lors de certains engagements récents des forces françaises.

Alliance opérationnelle par excellence, l’OTAN attend donc avant tout de ses membres qu’ils soient capables de déployer hommes équipés et états-majors qualifiés. La rationalisation des équipements n’est pas le sujet, dès lors qu’ils sont « aux normes ».

Avec l’Europe, la donne est différente. Dès les fonts baptismaux, la Communauté, aujourd’hui l’Union, s’est fixé pour tâche d’unifier les pratiques et leurs produits, dans les domaines que les membres lui avaient confiés. Une vision légitime dans la mesure où l’objectif fondamental de la construction européenne fut, et reste, d’assurer « paix et bien-être » sur un continent passé par deux catastrophes internes au cours du XXe siècle, du fait de nationalismes exacerbés.

Longtemps absent des préoccupations communes, le domaine des capacités militaires s’y est introduit progressivement, et prend désormais ― guerre d’Ukraine aidant ― une place bien visible.

Au-delà des instruments récemment mis en place pour compenser par de l’argent commun les efforts réalisés par des États membres qui livrent des matériels à l’Ukraine, l’UE suit deux objectifs, affirmés de longue date : par l’harmonisation des besoins, aller vers une réduction du nombre de matériels d’un même type (trop de chars, d’avions, etc… différents au sein de l’UE) et réaliser une concentration de l’industrie de défense européenne, mettant fin à sa dispersion pour créer une base industrielle de défense européenne cohérente, sans pour autant supprimer une certaine concurrence[6].

Depuis la création de l’Agence européenne de défense (AED) en 2004, le premier objectif a fait l’objet de multiples travaux auxquels les nations ont contribué, sans grand succès. Pour ne parler que du domaine terrestre, les projets communs de blindé, engin d’infanterie, « soldat du futur » se sont enlisés au fil de multiples sessions bruxelloises, faute d’un consensus sur les « caractéristiques militaires ». Mais au-delà des seules caractéristiques militaires, ces travaux auxquels les industries nationales étaient parties prenantes, ont anticipé, comme toujours, les questions ultra sensibles de propriété et charge industrielles.

Car le second objectif, la concentration industrielle, reste un vœu pieu après plus de vingt ans de rapports de parlementaires et d’experts. Les industries de défense nationales, fruits des guerres européennes du siècle passé, ne peuvent pas être restructurées de la façon autoritaire dont le Département de la défense américain usa à la fin de la guerre froide, d’autant que la réduction des commandes qu’annonçait cette « fin de l’histoire » constituait en soi une incitation à la rationalisation industrielle.

Aujourd’hui, « la guerre de haute intensité » est aux portes de l’Europe heureuse et insouciante. Elle entraîne hausse des budgets, relance de certaines fabrications, accélération de quelques programmes et ouverture de nouveaux marchés moins sulfureux que ceux situés à l’Est de Suez. Dans ce contexte nouveau, qui voudra renoncer à sa capacité nationale de conception et de production, s’il en possède une ?[7]

Que propose réellement l’Europe aujourd’hui ?

Tout d’abord des volumes financiers très modestes dans l’absolu, qui ne constituent en rien une alternative, ni même un appui aux besoins de financement de la prochaine LPM française.

Le fonds européen de défense (FED) est doté de 8 milliards d’euros sur la période 2021-2027. En 2022, une allocation de 924 millions a été libérée au profit de 33 projets.

Sur la même période 2021-2027, le programme d’innovation EUDIS finance pour 2 milliards de projets innovants, dont 74 % à provenir du FED[8].
Le mécanisme EDIRPA[9], lancé en 2022 dans l’urgence de la guerre en Ukraine et dans une vision de court terme, est doté de 500 millions sur 2022-2024.

Les injonctions, y compris venant de la Cour des comptes, de profiter de cette « manne européenne » doivent donc être relativisées, en regard de la faiblesse des montants annoncés rapportée à la durée de leur période d’écoulement[10].

Ensuite, ces financements constituent des incitations à la présentation de besoins communs à plusieurs pays (au minimum trois pour EDIRPA), portés par des consortiums industriels issus de ces pays, toujours avec en tête les deux objectifs cités plus haut. Bien que confrontés à un niveau de complexité bureaucratique moindre, les programmes franco-allemands qui défraient actuellement la chronique fournissent un exemple frappant de ces « mirages industriels » rêvés[11]

Enfin, même si la réalité ne rejoint pas forcément les intentions, les démarches européennes font la part belle à la promotion des PME, voire des start-up, au sein de la base industrielle souhaitée. Or, force est de constater que ce segment de la chaîne de valeur de l’industrie de défense en est le plus fragile. Certes, il est réputé « agile et créatif », mais ses limites capitalistiques, sa faible puissance dans le domaine des approvisionnements et la volatilité de sa ressource humaine en font surtout, soit une proie pour les intégrateurs, soit une charge rapidement incompatible avec les règles commerciales pour les donneurs d’ordre étatiques. Dans les deux hypothèses, un gaspillage d’énergie !

Les initiatives européennes en matière de défense et leur accélération récente, constituent une réelle avancée politique et doivent être soutenues dans cet esprit, y compris pour faciliter la prise de conscience de la situation sécuritaire du continent par les opinions publiques, tout en accrochant à la dynamique européenne certains pays membres dont le tropisme otanien les pousse naturellement dans les bras de l’industrie américaine. Mais, pour le développement capacitaire des armées françaises, elles n’apporteront rien de disruptif, tout au plus permettent-elles de mutualiser certains efforts de recherche fondamentale ou appliquée dont on verra bien ensuite, et avec quelles difficultés, leurs résultats pourront être transférés dans l’activité industrielle productive, forcément nationale[12].

Pour répondre de façon synthétique aux questions posées en tête de ce développement, une réflexion préalable s’impose : contrairement aux instances qui traitent de défense à Bruxelles, l’OTAN, « attelage entre inégaux », a bâti en près de 75 ans des normes qui laissent ensuite l’excellence technologique et industrielle établir la hiérarchie entre ses membres. Les États-Unis en sont le principal bénéficiaire, mais, qu’elle l’ait fait isolément après 1966 en s’appuyant sur la dynamique de la dissuasion nucléaire, ou en renforçant sa coopération avec l’organisation au tournant des années 2000, la France a gagné sa place dans le peloton de tête de l’OTAN, d’autant que les performances de son industrie viennent en complément de son fort et efficace engagement dans les activités opérationnelles de l’organisation. Sous le parapluie de l’OTAN, les processus capacitaires nationaux restent libres… sous réserve d’être forts ! La preuve en est que la seule injonction de l’OTAN est un niveau de dépense, tant global (2 % du PIB) que pour l’équipement (20 % des budgets nationaux, un seuil largement dépassé par la France).

Il en va autrement avec l’Europe de la défense. Démarche de montée en puissance, elle reste fidèle au principe de l’intégration horizontale de tous ses membres, avec une prime à ceux qui présentent des faiblesses structurelles. Les acquis antérieurs des membres fondateurs, ou fortement engagés dans le domaine de la défense, seront volontiers qualifiés « d’arrogance », et traités sur le même plan que des projets plus fragiles mais respectant la dynamique instituée à Bruxelles : des appels à projets ex nihilo privilégiant la constitution de consortium industriels sans historique significatif. L’éviction de MBDA du projet HYDEF (concernant les missiles hypervéloces) au profit d’un industriel espagnol peu connu, est illustratif. Pourtant, MBDA n’était-elle pas une entreprise multinationale au sein de laquelle trois pays européens avaient concentré toute l’excellence dans le domaine des missiles ?

Si la constitution d’une base industrielle européenne impose de ruiner ce qui a été réalisé dans le passé, le jeu n’en vaut peut-être pas la chandelle.

D’autant que la gouvernance industrielle et politique de ces projets risque de devenir ensuite un exercice bien plus risqué, c’est-à-dire long et compliqué, que celui qui caractérise la conduite des projets confiés à l’OCCAR, ce qui est peu dire.

Sous l’égide de l’Europe, les processus capacitaires robustes structurés de longue date par la France, entreraient dans une zone de turbulence, pour des fruits dont le contour reste aléatoire.

S’il s’agit de mettre en place des mécanismes financiers permettant, dans le contexte de la guerre sur le flanc Est ― et sans doute de ses suites ― d’organiser de façon plus rationnelle l’approvisionnement de l’Ukraine, il n’y a pas d’hésitation à avoir.

S’il s’agit de donner une impulsion à la recherche fondamentale de défense, avec le but de mieux structurer les capacités de développement face à la concurrence non seulement des États-Unis, mais de challengers asiatiques, pourquoi pas, à condition que les avancées réalisées le soient à un coût très marginal par rapport aux besoins du développement capacitaire de moyen terme et que leur « ruissellement » vers l’industrie ne s’apparente pas un nouveau « travail d’Hercule » épuisant.

S’il s’agit plutôt de bâtir une nouvelle architecture administrativo-industrielle dans le but d’uniformiser et rationaliser les capacités de défense européenne, nous sommes alors dans une vision potentiellement destructrice pour notre système de développement capacitaire, dans ses processus d’élaboration des besoins, d’arbitrage financier et de préservation d’une base industrielle nationale pérenne. Faut-il prendre ce risque à un moment où, en mettant en exergue l’impératif de « souveraineté » dans un contexte « d’économie de guerre permanente », la Revue nationale stratégique pose des défis qui, outre de l’argent, vont demander une forte robustesse à notre système national de constitution et d’entretien des capacités militaires ?


  1. Une efficience sous-estimée puisqu’en réalité 48 % de la dépense budgétaire en matière d’équipement revient en moins de deux ans dans les caisses de l’État sous la forme, principalement, de rentrées fiscales (Jean-Michel Oudot, « L’effort d’équipement de défense, un coût net modéré pour l’État », EcoDef n°9, avril 2017 – Observatoire économique de la Défense).
  2. Contributions au budget de l’OTAN. États-Unis : 22,14 % ; Allemagne : 14,65 % ; France : 10,63 % soit 5 % du budget de l’OTAN ; Royaume Uni : 9,85 % ; Italie : 8,41 % (site du MAE – France diplomatie, octobre 2022).
  3. Pour « standardization agreement », « accord de standardisation » en bon français.
  4. L’OTAN ne possède en propre qu’une flotte d’avions de surveillance avancée, qu’elle tend à renforcer avec l’acquisition d’une flotte de drones Global Hawk.
  5. Les difficultés que vit le programme franco-allemand SCAF, concomitantes de la décision d’acquérir des F-35 pour la mission nucléaire de l’OTAN, sont moins une illustration de la volonté allemande « d’acheter américain » que de celle de reconstruire une autonomie en matière de construction aéronautique militaire. Le musée Messerschmitt de Manching, en Bavière, se visite en même temps que l’usine d’Airbus Defence & Space où il est implanté… On y offre volontiers aux Français un pin’s du Messerschmitt 109.
  6. Et sans s’interdire, d’une autre main, de menacer l’industrie de défense de la placer sur une liste noire en matière d’investissement.
  7. La demande, portée par l’Allemagne, d’un règlement européen supranational en matière d’exportation doit être suivie avec attention et prudence !
  8. Même s’il fait l’objet de quelques « bourrages », le budget de l’Agence (française) d’innovation de la défense est de 1 (un) milliard par an, avec une programmation assurée sur 5 années glissantes.
  9. European Defence Industry Reinforcement Through Common Procurement Act.
  10. Sur une période équivalente, la France vient de dépenser près de 200 milliards pour sa défense dans le cadre de l’actuelle LPM, dont près de la moitié en investissements. Elle en fera un peu plus durant la prochaine LPM, ce qui donne leur vraie valeur relative aux 100 milliards sur cinq ans votés à l’été 2022 en Allemagne, au-delà du « choc » provoqué par cette annonce !
  11. La création d’EADS, devenu Airbus, relève d’un « miracle » politico-industriel daté dans son époque. En dépit de son « D », ce sont des aspects civils qui furent les plus incitatifs face à Boeing. Sa reproduction paraît peu probable dans l’époque actuelle, et pour le seul domaine de la défense.
  12. Par exemple, l’ONERA, avec d’autres organismes de recherche européens, participe au projet AMALIA de l’AED pour l’amélioration et l’allègement de la protection des engins blindés, projet piloté par l’italien RINA. En n’oubliant pas qu’avec l’Institut Saint Louis, la France et l’Allemagne se sont dotées de longue date d’une structure très performante de recherche fondamentale dans ces mêmes domaines…

La Chine ne considère pas la Commission européenne comme un interlocuteur géopolitique

La Chine ne considère pas la Commission européenne comme un interlocuteur géopolitique

 

par Samuel Furfari – Revue Conflits – publié le 11 avril 2023


Mais pourquoi donc Ursula von der Leyen a-t-elle accepté d’aller avec Emmanuel Macron en Chine ? Cela n’a rien arrangé ni pour l’Ukraine ni pour Taïwan. Mais les émissions de CO₂ de la Chine augmenteront encore et l’UE restera la dernière à rêver à la décarbonation.

Mon directeur général avait l’habitude de dire que pour réussir, il faut savoir s’entourer. C’est ce qu’il a fait de manière extraordinaire. Sans conseillers qui ont des idées originales et sages et qui ne sont pas des « béni-oui-oui », il est difficile de naviguer dans un monde de plus en plus complexe. La récente visite d’Ursula von der Leyen en Chine en est la preuve. Mais qui a conseillé à la présidente de la Commission européenne de se rendre à Pékin pour accompagner Emmanuel Macron lors de sa visite d’État ?

Il est vrai qu’Ursula von der Leyen est une obligée d’Emmanuel Macron, car c’est lui qui, dans un grand marchandage avec Angela Merkel, a permis à ses élus au Parlement européen de voter en faveur de cette Allemande en échange du contrôle de la Banque européenne par la Française Christine Lagarde.

Il est vrai que Macron voulait montrer l’unité de l’UE en accueillant dans son apanage une personnalité aussi importante… dans l’UE. Il avait souhaité se rendre en Chine avec Olaf Scholz pour montrer l’unité de l’UE, mais le chancelier allemand a préféré y aller seul en novembre 2022, ce qui a agacé Paris. Le président français a donc fait preuve d’unité, mais on ne peut pas dire que cela ait amélioré l’image de la Commission européenne. L’institution bruxelloise devra analyser ce qui s’est passé avant d’accepter de poursuivre les visites conjointes.

Des raisons d’espérer

Il est vrai que c’était l’occasion de célébrer le 20e anniversaire du partenariat stratégique global entre la Chine et l’UE. Le développement équilibré des relations commerciales entre la Chine et l’UE devrait profiter aux deux parties et, comme le disait Montesquieu, le commerce est censé contribuer à la paix et à la stabilité dans le monde. Nous avons pris un bon départ, mais la montée en puissance de la Chine et la faiblesse économique croissante de l’UE due à une décarbonisation coûteuse suscitent aujourd’hui plus de doutes que de satisfaction.

Quelques jours après la visite du président de la Commission européenne, les discussions avec l’UE se poursuivront en Chine du 13 au 15 avril avec Josep Borrell, le haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères. M. Macron s’est rendu à Pékin avec une délégation commerciale, comme l’avait fait avant lui le président allemand Olaf Scholz. Le 31 mars, c’était au tour de Pedro Sánchez, le Premier ministre espagnol, qui se réjouissait, entre autres, d’avoir signé un accord pour exporter vers la Chine 50 000 t d’amandes… Puisque, qu’on le veuille ou non, c’est la meilleure façon de faire des affaires avec la Chine, Mme von der Leyen ne peut pas, contrairement à son pays ou à la France, être accompagnée d’industriels.

Il est vrai aussi que dans son premier discours de présidente, Mme von der Leyen a déclaré que « sa Commission » serait géopolitique et qu’il fallait donc s’attendre à ce que la Commission européenne soit de plus en plus visible dans le monde. C’est pourquoi on la voit de plus en plus souvent aux côtés du secrétaire général de l’OTAN, une nouveauté pour Bruxelles-Strasbourg.

Mais aussi parce que, quelques jours avant son voyage, elle a eu des mots forts à l’égard de la Chine, la qualifiant de « répressive » en matière de droits de l’homme (« L’escalade à laquelle nous assistons indique que la Chine devient plus répressive à l’intérieur et plus affirmée à l’extérieur »). Cela expliquerait pourquoi Xi Jinping ne lui a pas accordé les mêmes honneurs que ceux qu’il a réservés au président français. Elle n’a pas été invitée au dîner d’État en l’honneur du prestigieux hôte, elle n’a pas tenu de conférence de presse avec le président chinois, elle a rencontré la presse au bureau de représentation de l’UE à Pékin. Le message clair est que Pékin ne considère pas l’UE comme un interlocuteur géopolitique mondial. C’est regrettable, car la Commission européenne est la principale institution européenne, le cœur de l’UE.

Décarbonation ? Sérieusement ?

À sa descente d’avion à Pékin, Emmanuel Macron a été accueilli sur un tapis rouge par le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, un haut responsable et proche collaborateur de Xi Jinping. Mme Von der Leyen, partisane de la décarbonisation, a été accueillie à la sortie habituelle des passagers par le ministre de l’Écologie Huang Runqiu. Après tout, c’est logique. Dans le discours qu’elle a prononcé avant son départ, la présidente de la Commission européenne a déclaré qu’elle avait l’intention de travailler avec la Chine « dans la perspective de la COP28 ». Pékin montre ainsi à l’UE qu’elle sait que sa raison d’être aujourd’hui n’est pas la géopolitique, mais rien d’autre qu’une volonté de doper les énergies renouvelables intermittentes et variables, d’ostraciser le nucléaire alors que la Chine pousse l’innovation dans de nouveaux réacteurs nucléaires et a construit une centaine de centrales à charbon en 2022.

La Chine a vu ses émissions de CO₂ augmenter de 311 % depuis que l’ONU s’est engagée à les réduire. En pénalisant son économie, l’UE a réussi à réduire ses émissions de 23 % au cours de la même période, mais à quel prix ! La Chine représente un cinquième du trafic aérien mondial et connaît une croissance de plus de 5 % par an. Airbus estime que le marché chinois aura besoin de 8 500 avions au cours des 20 prochaines années. Tout cela augmentera encore et encore les émissions mondiales de CO₂ parce que les électro-carburants sont un artifice scientifique inventé par les députés européens. C’est pourquoi c’est un grand succès pour la France d’avoir vendu 292 A320 en 2022 et 40 A320. L’agence publique, qui achète des avions pour le compte des compagnies aériennes locales, s’est engagée à commander 160 avions Airbus (150 A320 et 10 A350). Airbus pourra doubler sa capacité de production d’avions en Chine grâce à la construction d’une deuxième ligne d’assemblage dans son usine de Tianjin, près de Pékin. La France montre ainsi sa confiance dans la coopération avec l’économie chinoise et démontre qu’elle ne suit pas l’approche anti-chinoise des États-Unis.

On est loin des discours sur la réduction des émissions de CO₂.

Taïwan versus Ukraine

Comme on pouvait s’y attendre, M. Macron et Mme von der Leyen ont tous deux appelé Xi Jinping à mettre à profit ses relations avec Vladimir Poutine pour tenter de mettre fin à la guerre. Après la visite très amicale de Xi Jinping à Moscou il y a quelques jours, il aurait été exagéré de s’attendre à une condamnation russe. Au contraire, quelques jours plus tard — le 10 avril — une déclaration de la Chine n’augurait rien de bon : tout en feignant une fermeture de l’île de ce qu’elle considère toujours comme l’une de ses provinces, Pékin a déclaré que « l’indépendance de Taïwan est incompatible avec la paix« . Message à l’OTAN : si vous voulez la paix en Ukraine, je peux discuter avec Vladimir Poutine, mais laissez-moi prendre Taïwan. La géopolitique mondiale est comme un énorme mobile suspendu dans l’Univers : vous lui donnez une chiquenaude et le mobile part dans toutes les directions.

D’un point de vue stratégique, Xi Jinping pourrait profiter de l’implication des États-Unis en Ukraine dans sa guerre par procuration avec la Russie pour tenter d’envahir Taïwan. Mais le coût en vies humaines et en relations diplomatiques serait bien plus élevé que celui payé par la Russie. L’invasion d’une île défendue est déjà compliquée, comme l’ont montré les difficultés de la Russie sur l’île des serpents en mer Noire, mais lorsqu’il s’agit de l’un des pays les plus modernes du monde, la tâche sera encore plus compliquée. Xi Jinping aurait assuré aux visiteurs européens qu’il serait prêt à appeler le président ukrainien Volodymyr Zelensky « lorsque le moment sera venu et que les conditions seront réunies ».

En fait, Pékin n’a aucun intérêt à précipiter l’aventure. La Chine a tout son temps, car tant que la guerre en Ukraine durera, les États-Unis, l’UE et la Russie se détruiront mutuellement. Dans cette gigantesque partie d’échecs pour la recomposition de l’ordre mondial, qui vont-ils mettre en échec ? Le manque de considération de la Chine à l’égard d’Ursula von der Leyen semble indiquer une réponse à cette question. Il est temps que l’UE comprenne qu’elle doit s’occuper du fonctionnement du marché commun et non du fonctionnement du monde, car les États membres ne le lui permettront pas. Nous étions pourtant si bien partis…

Anatomie du corps de bataille

Anatomie du corps de bataille

President took part in the festive Parade of Troops on the occasion of the 30th anniversary of Ukraine’s independence.

 

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 9 avril 2023

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Cela fait un peu « archaïque » comme diraient certains à l’Élysée regrettant le peu d’avions dans le ciel ou de bâtiments sur l’eau, mais ce sont les brigades de combat terrestres, et actuellement celles de l’armée ukrainienne, qu’il faut observer en priorité pour mieux appréhender les évolutions de la guerre en Ukraine dans les mois à venir. 

La bataille des quatre armées

La brigade, d’environ 3 000 hommes avec d’assez larges variations, est la structure de base de l’armée ukrainienne. Là où ça se complique, c’est que les Ukrainiens ont des brigades d’au moins treize modèles différents appartenant à six grandes forces aux ordres de deux ministères, et on ne parle pas des bataillons réguliers ou de milices qui s’y ajoutent.

Parmi ces forces, la principale est l’armée d’active du ministère de la Défense. Appelons là « force de manœuvre ». Elle compte huit types de brigades de combat (blindée, mécanisée, motorisée, assaut aérien, aéroportée, aéromobile, montagne, chasseurs). On peut y ajouter les brigades d’infanterie de marine et plus récemment la brigade de fusiliers de l’Air car elles sont organisées comme les brigades de l’armée de Terre et commandées opérationnellement par elle. Dix modèles différents au final, c’est évidemment trop d’autant plus que c’est inutile. A horizon visible aucune brigade aéroportée, d’assaut par air ou aéromobile – la différence est subtile – ne sera par exemple larguée ou héliportée, mais cela flatte l’esprit de corps et constituent des petits fiefs de commandement.

En réalité, on peut classer toutes ces brigades en trois grandes catégories : les brigades blindées, d’infanterie mécanisée et d’infanterie motorisée, en fonction de la quantité de chars de bataille dont elles disposent. Les brigades blindées (BB) – trois bataillons de chars, un bataillon d’infanterie, un bataillon d’artillerie, un bataillon de défense aérienne, plusieurs compagnies d’appui et soutien – et les brigades mécanisées (BMe), organisées avec la proportion inverse de bataillons de chars et d’infanterie, constituent la force de choc. Elles sont normalement équipées avec le matériel le plus lourd. Toutes les autres brigades ont la même structure que les brigades mécanisées, mais avec une seule compagnie de chars au lieu d’un bataillon et des véhicules blindés plutôt à roues. La 46e brigade aéromobile est ainsi équipée de VAB français et les 58e et les 59e de Humvees américains. Ce n’est pas complètement satisfaisant, mais on les regroupera sous l’appellation de « brigades motorisées » (BMo).

Au début de la guerre, selon le Military Balance 2021 cette force de manœuvre comprenait 29 brigades d’active et quatre de réserve active. Au cours de la guerre, quelques-unes d’entre elles ont été détruites, à Marioupol, ou dissoutes (des brigades de réserve qui n’ont pas été formées) mais beaucoup d’autres en revanche ont été constituées dans deux périodes intenses de formation, au cours de l’été et au tournant de 2022-2023.

Si on en croit plusieurs sources ouvertes (en particulier Macette Escortet @escortert, Jomini of The West @JominiW et Poulet volant@Pouletvolant3 sur Twitter ou MilitaryLand.net) les BB sont restées au nombre de quatre avec cependant une 5e brigade actuellement à Kryvyï Rih qui n’a jamais été engagée au combat et dont on ne connaît pas bien le sort. Pour faire compliqué, les Ukrainiens ont aussi un 12e bataillon de chars indépendant. Deux brigades blindées seraient en cours de formation avec les chars de bataille et véhicules de combat d’infanterie qui arrivent sur le territoire.

L’effort principal a porté sur les brigades mécanisées qui sont passées de 10 à la mobilisation, pour atteindre 23 au mois de novembre et peut-être 33 ou 34 lorsque les unités actuellement en formation seront prêtes. Il y avait également 14 BMo au début de la guerre, il devrait y en avoir 23 à 25 au printemps 2023.  Avec donc un total de 59 à 62 brigades en avril 2023, la force de manœuvre aura doublé en un peu plus d’un an.

La deuxième grande force du ministère de la Défense est la « force territoriale ». Elle a été créée par une loi en juillet 2021 et activée le 1er janvier 2022, très peu de temps donc avant le début de la guerre.  Une brigade territoriale (BT) a été formée dans chacune des 25 provinces, auxquelles se sont ajoutées six autres dès le début de la guerre dans les principales villes (et à leurs frais), puis encore deux ou trois par la suite. Au total, on compte maintenant 31 ou 32 BT. Ce sont fondamentalement des brigades d’infanterie légère de taille variable avec quelques compagnies d’appui (mortiers, génie) et de soutien, gérées administrativement par les provinces ou les villes et opérationnellement par les commandements militaires régionaux. Composées par des réservistes et des volontaires de la « réserve passive » (des réservistes non formés militairement), les BT ont pour mission première d’assurer la protection des points sensibles d’une région et de mener un combat de guérilla si elles venaient à se trouver sur les arrières de l’ennemi. C’est sensiblement, ce qu’on a appelé initialement en France la « défense intérieure du territoire » devenue « opérationnelle » par la suite. Ces brigades ont été d’une très grande utilité dans le début de la guerre dans la phase de mouvement et alors que les forces russes avaient largement pénétré à l’intérieur du territoire. Elles ont été moins utiles, car trop légères, dans la guerre de positions. L’évolution a surtout consisté à densifier ces brigades, avec un équipement plus lourd en particulier, et parfois en les renforçant de bataillons d’active, afin de leur permettre de « tenir la ligne » à côté de brigades de manœuvre. Elles y tiennent normalement un rôle défensif, plus à la mesure de leurs capacités, mais elles sont parfois engagées à l’attaque. La légion internationale y est rattachée, dont quelques bataillons sont vraiment opérationnels.

Pour une raison étrange, le ministère de l’Intérieur dispose aussi de son armée. C’est une survivance des improvisations de 2014 avec peut-être le souci de ne pas laisser le premier rôle au ministère de la Défense. L’Intérieur a donc militarisé sa garde nationale au début de la guerre pour former, à partir de ses effectifs et des milices de 2014, des brigades de sécurité urbaine. Les brigades de garde nationale,  a priori sept actuellement, agissent fondamentalement comme des brigades territoriales mais plutôt dans un cadre urbain. On les considérera comme des BT par la suite.

Le ministère de l’Intérieur a voulu avoir aussi sa force de manœuvre. Il disposait au début de la guerre de la 4e brigade de réaction rapide, classée BMe, et il s’efforce depuis le début de l’année 2023 de former une Garde offensive à partir de brigades de garde nationale et de milices importantes, comme Azov, transformées en brigades d’assaut. Ce sont des brigades BMo à trois bataillons d’infanterie (parfois quatre) le plus souvent renforcées d’une compagnie de chars de bataille et des appuis normaux d’une brigade de manœuvre de l’armée.  

Au bilan, toutes forces réunies les forces terrestres ukrainiennes devraient donc disposer actuellement de 106 à 111 brigades de combat en ligne ou en formation. Où sont-elles ?

Géographie de la force

La première zone de déploiement est constituée par les 7 secteurs actuellement inactifs ou peu actifs qu’il faut couvrir et surveiller : la frontière ouest avec la Biélorussie, le secteur de Kiev, Soumy et de Kharkiv sur la frontière russe, la zone de Kherson, la côte de la mer Noire et enfin la Transnistrie. Sur le site MilitaryLand.net, sans compter les bataillons indépendants toute cette zone de surveillance considérable est tenue par un total de 26 brigades dont 18 territoriales et cinq de Garde nationale. On ne compte donc parmi elles que deux BMe et une BMo, peut-être d’ailleurs aussi en repos/reconstitution. C’est très peu au regard de l’ampleur des zones à surveiller, ce qui témoigne de la confiance dans les obstacles naturels (le Dniepr, les marais du Pripet, la zone forestière au nord de Kiev, la dangerosité de la côte de la mer Noire) et dans les renseignements disponibles sur la menace russe réelle en Biélorussie ou dans les régions de Koursk et Voronej. Malgré toutes les communications et alertes, l’Ukraine ne craint pas visiblement pour l’instant d’offensive russe par ces régions et n’a pas l’intention non plus d’envahir la Transnistrie. Seule compte vraiment la ligne de front.

Cette grande ligne de front, depuis la frontière russe au nord la province de Louhansk jusqu’au Dniepr dans la province de Zaporijjia, peut être partagé en cinq secteurs de l’échelon corps d’armée/armée : Louhansk, la poche de Siversk, Bakhmut, Donetsk et Zaporijjia. On peut distinguer ces secteurs par la densité et la composition des forces déployées, entre secteurs prioritaires (forte densité, présence importante de BB et BMe) et secondaires (faible densité, forte proportion de BT). La présence de bataillons autonomes, qu’il est toujours compliqué de coordonner dans les opérations offensives, est également un indice de zone défensive. Il est intéressant de voir également la position des brigades entre la première ligne et l’arrière immédiat (quelques dizaines de kilomètres). Dans une posture générale défensive, une forte présence arrière avec des BB et BMe est l’indice d’une certaine inquiétude quant à la possibilité d’une percée ennemie. Leur rareté est au contraire un signe de confiance.

On peut identifier au total 59 brigades sur le front, placées et organisées en symétrie de l’offensive russe. On trouve ainsi une très forte densité de forces dans la province de Donetsk avec 42 brigades et évidemment en premier lieu dans le secteur de Bakhmut. De la route M03 au nord de Bakhmut jusqu’à Kurdiumivka au sud, on trouve 14 brigades sur peut-être une quarantaine de kilomètres, renforcées par ailleurs de 5 à 6 bataillons détachés d’autres brigades ou autonomes. Sur le flanc nord du secteur nord de Bakhmut, on trouve neuf autres brigades jusqu’aux abords de Lysychansk, perdue début juillet, et sur le flanc sud jusqu’à Vuhledar, les Ukrainiens ont encore 14 brigades face à une forte pression russe. En position arrière de toute cette zone prioritaire, on trouve une petite réserve de cinq brigades.

Cette force principale est non seulement dense mais aussi puissante. On y trouve les trois BB les plus puissantes (4e, 17e et 1ère) ainsi que le 12e bataillon indépendant, en général placés un peu en arrière en réserve d’intervention. La ligne est aussi tenue par 12 BMe, dont la 4e de réaction rapide de la Garde offensive, et 18 BMo, dont deux d’infanterie de marine transférées depuis Kherson et cinq de la Garde offensive. Le ministère de l’Intérieur veut visiblement « en être », même s’il ne commande pas opérationnellement ces unités.  L’ensemble représente presque l’équivalent de toute la force de manœuvre ukrainienne au début de la guerre concentrée dans la seule province de Donetsk. On trouve également neuf brigades territoriales et de garde nationale (dont la brigade présidentielle, difficile à classer), plutôt dans les zones arrière à défendre (Siversk, Kramatorsk, Lyman, Sloviansk) mais parfois aussi en première ligne. On trouve également six brigades d’artillerie pour les appuyer, dont quatre à proximité de la poche de Bakhmut et deux près de Vuhledar (dont la 55e équipée de canons Caesar).

De part et d’autre de cette zone centrale prioritaire, on trouve deux secteurs secondaires. Le premier est au nord, dans la province de Louhansk avec seulement neuf brigades déployées sur une centaine de kilomètres, dont la 3e BB près de la frontière russe, six BMe ou Bmo dont deux de la Garde offensive et deux BT. L’ensemble, très actif côté ukrainien jusqu’à la fin de l’année 2022 est donc maintenant plutôt délaissé, les Ukrainiens se contentant surtout de protéger Koupiansk et de couvrir les sorties sud de Kreminna. Le second secteur « calme » est au sud dans la province de Zaporijia, de Vuhledar (exclue) jusqu’au Dniepr. C’est de loin le secteur le moins dense avec huit brigades seulement dont cinq BT et 3 de manœuvre (mécanisée, assaut, montagne) entre Orikhiv et le Dniepr, ce qui indique, il est vrai, un certain d’intérêt pour cette zone au sud de la grande ville de Zaporijia. La 44e brigade d’artillerie appuie le secteur.

Au bilan, l’Ukraine a donc concentré sur le front la très grande majorité de ses brigades de manœuvre opérationnelles renforcées de quelques BT. Pour autant, à l’exception de la région de Bakhmut, la densité des forces est plutôt faible. Beaucoup de brigades ukrainiennes ont ainsi plus de 10 km de front à défendre. Les réserves sont également très réduites. Cela indique une certaine confiance des Ukrainiens dans leur capacité à résister à l’offensive russe sur la première ligne sans crainte d’être percé. De fait, le bilan des engagements depuis le mois de janvier leur donne raison. Cette faible densité et les réserves très réduites à l’arrière n’autorisent en revanche aucune opération offensive d’ampleur, mais seulement des attaques locales destinées à repousser un peu la ligne ennemie. Pour percer le front quelque part, il faudra obligatoirement faire venir au moins dix brigades de manœuvre de la grande zone arrière à l’intérieur du territoire ukrainien.

Cette grande zone arrière devrait donc abriter les 21 à 26 brigades qui manquent dans le décompte, ce qui correspond à peu près aux brigades qui devraient être en formation plus quelques unités au repos/reconstitution. C’est un grand archipel de garnisons et de centres de formation à l’abri des coups. On peut y distinguer trois groupements. Le premier est sur la rive gauche du Dniepr, immédiatement au nord de Dnipro. Il réunit six BMe et une BMo (chasseurs). Ce sont presque toutes des unités de formation récente. La 46e brigade mécanisée est la première formée avec des équipements occidentaux, sans doute en novembre 2022. Il est intéressant de noter qu’elle était alors près de Kharkiv et qu’elle a été transférée plus au sud, et notamment près de la route E50, axe principal vers le Donbass. Toutes les autres brigades, sauf la 60e BMe qui est peut-être une BMo transformée, ont été créées en janvier ou février 2023 et elles ne sont donc sans doute pas encore complètement opérationnelles.

Le deuxième groupement est au sud de Dnipro. Il comprend également six brigades, cinq mécanisées et une d’assaut aérien, mais seule la 63e brigade mécanisée est ancienne. Toutes les autres datent de début 2023 et même de mars 2023 dans le cas de la 82e d’assaut aérien. On peut y rattacher la mystérieuse 5e brigade blindée apparemment déployée à Kryvyï Rih et dont on disait qu’elle était équipée de T-72 polonais et les YPR-765 PAC néerlandais. Placées autour des axes E50 et H11, toutes ces brigades peuvent franchir rapidement le Dniepr à Dnipro et rejoindre le Donbass.

Le troisième groupement est plus lointain, entre Mykolaev et Odessa. Il comprend cinq brigades, trois mécanisées et deux d’infanterie de marine, toutes formées en 2023. On y trouve notamment la 41e mécanisée, très récemment formée et normalement équipée de véhicules occidentaux.

Au total, on compte donc 19 brigades de manœuvre dans cette zone arrière. Restent deux à sept brigades non identifiées. On ne trouve pas par exemple la 11e brigade motorisée et la brigade de fusiliers de l’air en formation, ni surtout la future « brigade Léopard ».

Le cœur de l’armée bouge

L’Ukraine effectue donc un effort considérable de formation de nouvelles unités. Pour cela, il faut d’abord des hommes. Il en faut déjà peut-être 15 à 20 000 par mois pour combler les pertes dans les brigades déjà existantes. Constituer les nouvelles brigades de manœuvre depuis novembre, mais aussi renforcer toutes les autres composantes des forces armées en a demandé au moins 70 000 de plus. Pour faire face à tous ces besoins, il a fallu sans aucun doute puiser dans les brigades territoriales, les milices, la police nationale ou les gardes-frontières. Le flux de volontaires civils commençant à se tarir, il a fallu aussi appeler autoritairement plus d’hommes sous les drapeaux, par exemple 30 000 hommes pour le seul mois de janvier. Cela ne manque de susciter quelques grincements et un phénomène montant d’esquives au service, facilité par la corruption endémique. Beaucoup des soldats de ces nouvelles brigades ont été formés par les Occidentaux, en particulier au Royaume-Uni. La majorité l’a été et l’est encore en Ukraine même. La principale inconnue humaine est plutôt celle de l’encadrement. Reste-t-il assez d’officiers et de sous-officiers en Ukraine pour occuper les 5 ou 6 000 postes d’encadrement des nouvelles brigades ? Peut-on considérer qu’une année de guerre a formé au feu une génération nouvelle de cadres ? Les écoles de cadres sont-elles suffisantes ? On ne sait pas trop.

Les ressources humaines sont tendues, mais les vrais facteurs limitants sont l’équipement lourd et la logistique qui va avec. Pour équiper ou rééquiper toutes les brigades dans la grande zone arrière, sans parler donc du recomplètement des brigades engagées au front, il faut au moins 400 chars de bataille, 2 000 véhicules blindés d’infanterie et 350 pièces d’artillerie, et des dizaines de milliers de tonnes de munitions ou de carburant. Cela dépasse tout ce que les Occidentaux peuvent fournir. Il faut donc épuiser les stocks et récupérer tout ce qu’il est possible de prendre aux Russes. Tout cela demande du temps pour être acheminé et réuni. Il n’est surtout pas évident qu’il soit possible de faire un effort aussi important une nouvelle fois, au moins jusqu’à ce que les chaînes de production fonctionnent à plein régime en Europe et aux États-Unis.

Mais ce n’est pas tout, il faut aussi travailler pour faire de cet assemblage de ressources des unités militaires cohérentes capables de mener des opérations offensives, les plus complexes. Pour cela, il faut autant d’états-majors que de brigades, mais aussi pour coiffer ces brigades, des états-majors de divisions, selon l’organisation occidentale, ou de corps d’armée/armée, à la manière russe. Il semble que la formation de ces grandes unités ait été décidée. On se demande d’ailleurs pourquoi cela n’a été fait plus tôt afin de gérer plus rationnellement ce capharnaüm d’unités différentes aux équipements les plus variés. Il faudrait cependant que l’armée ukrainienne forme une vingtaine de divisions pour simplement encadrer la force de manœuvre. Tout cela ne s’improvise pas. Il faut des milliers d’officiers formés au travail d’état-major et toute la structure technique de commandement et de circulation de l’information correspondante. C’est un nouveau chantier énorme.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il fallait environ dix mois pour former une division de l’état-major jusqu’au dernier groupe de combat d’infanterie, et six mois pour une brigade. Les brigades ukrainiennes sont petites. On espère faire ça en quatre mois en Ukraine. C’est court, mais faisable avec beaucoup de motivation et en allant à l’essentiel. Avec quelques états-majors de division formés, on peut considérer que tout cet effort peut commencer à porter ses fruits en avril. Les Ukrainiens auront alors peut-être de quoi constituer une première masse de manœuvre d’une dizaine de brigades leur permettant déjà de mener une offensive de grande ampleur et ils devraient doubler cette capacité en mai, le moment où la météo sera également la plus favorable.

Le défi suivant sera celui de la reconfiguration de l’ordre de bataille afin de passer d’une posture générale défensive à une posture offensive. Comme il est préférable, pour mieux assurer le succès, d’utiliser les meilleures brigades et donc les plus expérimentées en fer de lance, on assistera peut-être d’abord à une relève sur le front d’anciens par les nouveaux. Puis il faudra densifier les brigades de première ligne dans le secteur choisie pour l’offensive (on considérera que les Ukrainiens agiront par offensives successives et non simultanées comme les Russes). Ce ne signifiera pas simplement ajouter plus de brigades de manœuvre mais aussi renforcer ces brigades, en particulier des moyens de génie. Le génie dit d’« assaut » avec ses engins de franchissement d’obstacles, des coupures de tranchées aux champs de mines en passant par les cours d’eau, et de réduction des zones très fortifiées est plus que jamais indispensable à la réussite de la phase 1 de l’offensive : la prise des positions retranchées ennemies. On l’évoque beaucoup moins que les chars de bataille mais dans une guerre de position, ces moyens sont au moins aussi importants. Or, les États-Unis ont, à la demande des Ukrainiens, apporté une aide particulière dans ce domaine depuis la fin de 2022. Au lieu d’une compagnie, on devrait donc voir fleurir des bataillons de génie dans les brigades, et peut-être même des « bataillons de brèche » génie-infanterie, au moins dans les zones d’attaque.

Il faudra aussi réunir sur la rocade arrière à un carrefour d’axes qui permette de rejoindre rapidement plusieurs points du front, les brigades chargées de l’exploitation de l’assaut initial si une percée a pu être obtenue. À défaut, ces brigades pourront renforcer ou relever celles de première ligne afin d’effectuer une « double poussée » jusqu’à faire craquer l’ennemi. Il faut aussi placer au bon endroit les brigades d’artillerie et leurs axes logistiques afin de préparer les frappes brèves mais massives de neutralisation ou d’interdiction. Il est probable que les Ukrainiens ont prévu également un plan de freinage des forces de réserve russes en arrière du secteur attaqué. Cela passe, plutôt dans la province de Zaporijia, par l’action de sabotage de partisans, peut-être aidés de commandos infiltrés via le Dniepr et des frappes dans la profondeur à l’aide des forces aériennes ou surtout des lance-roquettes multiples avec les nouvelles munitions guidées fournies par les Américains. Cette campagne de sabotages et de frappes dans la profondeur peut commencer des semaines avant l’offensive, mais elle devra s’effectuer un peu partout pour ne pas donner d’indices sur les intentions ukrainiennes.

La principale difficulté sera en effet de masquer ces préparatifs aux nombreux capteurs ennemis : agents infiltrés, écoutes, drones, satellites. Après plus d’un an de guerre, les Ukrainiens sont désormais bien rodés à cet exercice : déplacement hors des vues satellitaire (dont les survols sont annoncés par les Américains) et de nuit, discipline radio, camouflage. Mais comme il est pratiquement impossible de tout masquer, il faudra également inclure des feintes et des mouvements trompeurs. Plusieurs bases de départ possibles sur la rocade de Zaporijjia à Koupiansk faisant face à autant d’axes d’attaque possible (le long du Dniepr, Orikhiv vers Tokmak, sud de Vuhledar, nord et/ou sud Bakhmut, Lysychansk, Kreminna ou Svatove) devront sans doute être occupées en même temps.

On le voit, tout le travail nécessaire pour recroiser les courbes d’intensité stratégiques de Svetchine, en clair être plus fort que les Russes et reprendre l’initiative des opérations, est considérable. Beaucoup a été fait par les Ukrainiens et les choses peuvent s’accélérer à partir de maintenant.

La Chine face au conflit en Ukraine et au-delà

La Chine face au conflit en Ukraine et au-delà

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 6 avril 2023

https://www.revueconflits.com/la-chine-face-au-conflit-en-ukraine-et-au-dela/


La Chine tire-t-elle profit de la guerre en Ukraine en se rapprochant de la Russie ? Profite-t-elle de cette guerre pour rompre avec l’Occident et établir son propre ordre mondial ? Analyse de la position particulière de Pékin.

La réaction de la Chine face au conflit en Ukraine est complexe. Sa réprobation, à sa manière, de la guerre déclenchée par la Russie, est en ligne avec le principe du respect de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de chaque pays. La Chine agit en faveur d’une solution pacifique acceptable par tous. Le dégel récent, sous son égide, entre l’Arabie Saoudite et l’Iran montre qu’elle a la volonté et la capacité pour jouer le rôle du médiateur crédible.

En parallèle et en s’adaptant au nouveau contexte géopolitique, la Chine continue, voire accélère la mise en place de sa stratégie globale avec tous ses partenaires dans le cadre bilatéral et multilatéral.

La guerre en Ukraine a créé une situation stratégique difficile pour la Chine. Elle a perturbé le commerce mondial, exacerbé les tensions en Asie de l’Est et accentué la polarisation politique en Chine en divisant les gens en camps pro et antirusses jusqu’au sein des familles. Tout en réprouvant, à sa manière, les agissements de la Russie, la Chine reproche aux États-Unis de provoquer la Russie avec son soutien à l’élargissement de l’OTAN et craint que Washington ne cherche à prolonger le conflit en Ukraine afin d’embourber la Russie1.

La position de la Chine face au conflit en Ukraine

Vladimir Poutine était présent à Pékin lors de l’ouverture des Jeux olympiques d’Hiver. À cette occasion il s’est entretenu longuement avec Xi Jinping. Lui a fait il part explicitement de son plan des « opérations militaires » ? On n’est sûr de rien, mais on est tenté par une réponse plutôt négative.

La réaction de la Chine au conflit en Ukraine est complexe. C’est un sujet hautement prioritaire et extrêmement délicat pour elle.

Coincée entre deux amis

Étant partenaire avec les deux belligérants directs et en tenant compte de sa stratégie globale de long terme, la Chine a adopté une position qui lui permet d’être en retrait2 tout en continuant ses relations avec l’Ukraine et la Russie.

La coopération avancée avec la Russie sur un large spectre de domaines notamment pour la fourniture des énergies est un fait. Les deux pays partagent bien des points dans leur analyse de la situation et de l’évolution de ce monde, qui sont traduits dans les projets concrets.

On n’oublie pas en même temps la longue histoire commerciale entre l’Ukraine et la Chine notamment dans les domaines militaires, aérospatiales et agricoles. Mentionnons juste l’origine ukrainienne du premier porte-avion Liaoning du navy chinois.

La Chine ne souhaiterait pas se fâcher avec les deux « amis » de longue date d’autant plus qu’il y ait maintenant en Chine deux camps qui s’opposent violemment dans les réunions d’amis, dans les groupes d’échanges sur le WeChat voire à table dans la salle à manger familiale. Beaucoup d’amis de longue date ne se parlent plus en raison de leur prise de position respective.

Sa réprobation d’un tel acte de la part de la Russie est évidente. C’est pourquoi le respect de la souveraineté de chaque pays est en tête de la liste des 12 points dans sa proposition de paix.

La part de responsabilité des US et ses alliés

En même temps, la Chine dit explicitement que les US ont indéniablement sa part de responsabilités dans le déclenchement de ce conflit via l’extension successive de l’OTAN vers l’Est, jusqu’à la porte de la Russie et ce malgré les promesses faites à Gorbatchev au moment de la réunification de l’Allemagne3. Elle pense que nous devrions également voir et comprendre le besoin de sécurité de la Russie.

Une prise de position fondée sur ses intérêts stratégiques

La position prise par la Chine s’analyse aussi par ses réflexions stratégiques basant sur ses intérêts de long terme.

Elle est sûre que les US et l’Occident continueraient à critiquer la Chine identifiée comme un pays autoritaire même si elle condamne et critique ouvertement le comportement russe. Car le conflit a été déjà nommé comme une lutte entre deux camps : les démocraties contre les autoritaires. Et la Chine est dans le camp de ces derniers. Quoi que la Chine fasse, les US et l’occident continueront leurs critiques et blâmes à son adresse. Donc, aucune appréciation positive à attendre de leur part. La Chine est et restera la cible prioritaire.

Bien qu’affaiblie par la guerre, la Russie reste un partenaire stratégique pour la Chine. Basant sur ses considérations stratégiques, Pékin va garder et développer cette relation dans autant de domaines possibles tout en aidant à résoudre le conflit en Ukraine qui est une énorme épine dans ses pieds. Et en tant que voisin le plus grand et, militairement, le plus capable, la Russie n’est pas une puissance que Pékin souhaite contrarier. Les décideurs chinois ont donc cherché à éviter de provoquer inutilement l’une ou l’autre des puissances rivales, en s’abstenant de voter pour condamner la Russie à l’Assemblée générale des Nations Unies et en préparant avec soin ses déclarations officielles sur la guerre.

Cette stratégie d’équilibrage est très couteuse. Le refus de condamner la Russie a tendu les relations de la Chine avec certains de ses voisins et l’a éloigné de nombreux pays en développement qui se sont alignés contre la guerre de la Russie en Ukraine. Il a également encouru des coûts économiques à cause de la guerre. Néanmoins, afin de minimiser ses pertes stratégiques, la Chine maintiendra probablement cette position médiane jusqu’à la fin de la guerre en Ukraine4. Mais l’enlisement du conflit gêne la Chine, car il déstabilise l’économie internationale. Pékin pousse pour une solution négociée en Ukraine. Il faut en sortir pour que le commerce redémarre5 .

En faveur d’une solution pacifique

La Chine a adopté une position de neutralité en faveur d’une solution pacifique.

Ainsi la Chine n’a pas participé, comme un certain nombre de pays, aux sanctions à l’encontre de la Russie.

Il n’y a aucune évidence que la Chine livre des armes à la Russie, malgré les allusions faites à la légère par Antony Blinken. Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a indiqué que son homologue chinois, Wang Yi, lui avait assuré que la Chine ne fournissait pas d’armes à la Russie et ne prévoyait pas de le faire6 . Sauf si les US poussent réellement l’indépendance de Taiwan à l’encontre de sa politique de « One China » qui est la base de ses relations diplomatiques avec la Chine continentale.

La proposition en 12 points en vue d’une paix acceptable par tous

Le jour d’anniversaire du conflit en Ukraine, la Chine a publié une liste de 12 points qui matérialise sa position pour l’arrêt de cette guerre et une paix acceptable par tous7 .  Ce n’est pas un plan de paix détaillé qui reste à venir à la suite des pourparlers avec toutes les parties directement impliquées.

Les points essentiels de cette annonce concernent trois principes chers à la Chine : l’intégrité du territoire, la non-interférence et le respect absolu de la « souveraineté » de toutes les parties impliquées dans le conflit, et donc de l’Ukraine également8. La Chine appelle aussi à ne pas cibler les populations ou les infrastructures civiles, et demande de ne pas recourir à l’arme nucléaire.

La rencontre entre Xi Jinping et Vladimir Poutine a eu lieu lors de la visite du Président chinois au mois de mars. Cette proposition a dû être figurée en haut de la liste des sujets traités. Vladimir Poutine a salué la position « équilibrée » de Xi Jinping sur la guerre en Ukraine et dit considérer « avec respect » le plan de paix de Pékin9 .

Volodymyr Zelensky a eu également une réaction positive jugeant « nécessaire » de « travailler » avec la Chine pour une résolution du conflit et étant prête à rencontrer Xi Jinping10. Il était question d’une visioconférence entre les deux chefs d’État. L’invitation pour une visite à Kiev a également été lancée par Volodymyr Zelensky lors de son interview dans un train avec Associated Press fin mars11.

Bien que les US et un certain nombre de pays occidentaux aient réagi négativement, il est clair que le processus de paix a été enclenché. Compte tenu de son importance et de ses longues relations avec les deux belligérants, la Chine pourrait jouer utilement le rôle de médiateur comme dans le cas du dégel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran.

Certains suggèrent que la fin de ce conflit serait pour cet été12. La situation sur le terrain nous le dirait. La route est semée d’embuches et serait longue avant qu’une solution pacifique implémentable soit trouvée et acceptée par tous.

Le dégel entre l’Arabie Saoudite et l’Iran : un exemple

Conclu sous l’égide de la Chine, le 10 mars, l’accord signé par Téhéran et Riyad prévoit la réouverture des ambassades saoudienne et iranienne d’ici deux mois, la relance de discussions en matière de sécurité, ainsi qu’une coopération économique13.

Les relations entre les deux pays ont été rompues depuis 7 ans. Le dégel a valeur d’exemple. Cet heureux dénouement grâce aux efforts de la Chine nous aide à mieux comprendre les manières de faire de ce médiateur peu habituel en renforçant sa crédibilité en tant qu’artisan de la paix dans le cas du conflit en Ukraine.

La poursuite de la stratégie globale de la Chine

Le conflit en Ukraine a forcé la Chine à jouer un jeu d’équilibriste. En même temps, il voit également des opportunités pour poursuivre et pousser la mise en place de sa stratégie globale en faveur d’un nouvel ordre multipolaire. La Chine n’a pas été détournée de cet objectif de long terme.

Le projet BRI

Il y a d’abord le projet BRI bien connu qui se poursuit. À ce jour, 147 pays, représentant les deux tiers de la population mondiale et 40 % du PIB mondial, ont adhéré à des projets ou ont manifesté leur intérêt à le faire14. Les financements et les investissements de la BRI étaient stables en 2022 à 67,8 milliards de dollars, contre 68,7 milliards de dollars en 2021. Un rebond de l’engagement de la BRI est attendu en 2023.

La dédollarisation et l’internationalisation du Renminbi s’accélèrent

Il est indéniable que le conflit en Ukraine et surtout les sanctions financières imposées à la Russie a renforcé la prise de conscience de la Chine concernant sa gestion des dettes américaines ainsi que les réservés de change principalement composé de US dollars.

La Chine a poursuivi et accentué ses mouvements de réduction des dettes américains15. Les avoirs de la Chine en titres du Trésor américain ont chuté pendant six mois consécutifs pour atteindre 859,4 milliards de dollars fin janvier, contre 867,1 milliards de dollars en décembre. Cette réduction a ramené les avoirs de la dette publique américaine possédés par la Chine à son plus bas niveau depuis 12 ans16.

La composition de ses réserves de change suit le même mouvement. Sur une base annuelle, les réserves de change de la Chine ont diminué de 81 milliards de dollars en février dernier, contre 3 214 milliards de dollars au mois correspondant de 202217.

L’utilisation du RMB en tant que devise dans les transactions commerciales entre les pays s’accentue, notamment dans le cadre des organisations de coopérations par exemple au sein du RCEP (The Regional Comprehensive Economic Partnership), de l’OCS (Shanghai Cooperation Organisation) et du BRICS sans parler de son usage dans les échanges bilatéraux. Pour ce dernier, citons les règlements en monnaies nationales sans passer par USD entre la Chine et la Russie, l’Inde, l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Brésil, etc. Le contrat LNG que Total a signé avec la Chine mérite d’être mentionné, bien que le montant soit symbolique19.

La confiscation brutale et illégale des avoirs russes par les US et ses alliés a créé une sorte de panique chez les clients importants possesseurs des comptes en US dollars (pays ou individus). Ces richesses partent ailleurs (par exemple vers Singapour, Hongkong…) ou sont transformées en d’autres formes d’avoir (Or, autres devises, ressources naturelles, commodités en vrac …).

Comme tendance, l’utilisation du RMB sous forme de swap, réserves de change, moyen de paiement se développe avec tous les partenaires possibles du Sud global ainsi que l’emploi des systèmes de paiement alternatifs tel que CIPS.

Les organisations alternatives se développent et se renforcent

Nous allons connaître une vague d’adhésion pour les BRICS18  et l’OCS (Shanghai Cooperation Organisation).

Concernant le BRICS, l’Arabie Saoudite serait bientôt acceptée comme nouveau membre. La liste des candidats s’allonge. À ce jour, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, l’Égypte, l’Algérie, l’Argentine, le Mexique et le Nigéria sont candidats à l’adhésion20.

Un fil d’attente s’est également formé devant la porte de l’OCS. L’Égypte et la Syrie ont déposé une demande de statut d’observateur, tandis que l’Égypte, Israël, les Maldives et l’Ukraine ont demandé le statut de partenaire de dialogue. L’Arabie saoudite, Bahreïn et le Qatar ont officiellement demandé à rejoindre l’OCS. En 2022, Erdogan a annoncé que la Turquie demanderait le statut de membre à part entière de l’OCS21.

La sécurisation de la fourniture des énergies

La Chine est hautement dépendante de l’import pour la fourniture des énergies, notamment en pétrole et gaz. Le conflit en Ukraine a souligné cette faiblesse.

Le renforcement des échanges avec la Russie se poursuit.

Plus de la moitié de ces achats est faite en Moyen-Orient (L’Arabie Saoudite, Oman, Koweït, etc.) et doivent être transitée via l’océan Indien. Cette route maritime est extrêmement fragile. Les détroits de Malacca, de Taiwan, etc. sont autant de gorges exposées aux forces hostiles. Les conflits possibles avec les acteurs de cette région ou avec les acteurs venus de l’extérieur devraient être anticipés et jugulés. Cette situation met en évidence l’urgence d’une solution terrestre alternative, notamment dans le cadre du BRI. Citons le corridor en Pakistan, le projet de la ligne de fret ferroviaire aboutissant au bord de l’océan indien (Sri Lanka, Myanmar, etc.). Bloqués depuis 25 ans, les travaux pour la ligne ferroviaire Chine, Kyrgyzstan, Uzbekistan vont bientôt commencer après le feu vert de la Russie22.

L’indépendance et l’autosuffisance technologiques

Le conflit en Ukraine a renforcé le sentiment d’urgence de la Chine pour accélérer son autosuffisance / indépendance technologique vis-à-vis des US dans tous les domaines clés, notamment en termes de chipsets23.

Un début de dégel entre les rives du détroit de Taiwan ?

Le conflit en Ukraine a suscité beaucoup de réflexion et commentaires sur la situation entre les deux rives du détroit de Taiwan. La pertinence des analyses mise à part, la comparaison a été nombreuse entre les deux situations. Concernant la Chine continentale, bien que le « recours à la force » comme dernière option ne soit pas exclu, l’accent a été largement mis sur la volonté d’une « réunification pacifique ». Un certain nombre de déclarations et de gestes en provenance des deux rives font voir une sorte d’assoupissements24.

La route de passagers Quanzhou-Jinmen (泉州金门) « trois liaisons mineures » (小三通) a été réouverte. En répondant aux suggestions venant d’en face, Taïwan a ajouté 10 destinations en Chine aux cinq déjà desservies par des vols réguliers. La première délégation chinoise à visiter Taïwan depuis le début de la pandémie de Covid a reçu un « accueil chaleureux ».

L’ancien Président de la République de Chine M. Ma est en Chine continentale depuis le 27 mars pour une visite de plusieurs jours. C’est la première visite d’un ancien ou actuel dirigeant taïwanais depuis la fuite du gouvernement déchu de la République de Chine vers l’île en 1949. Malgré le caractère « privé » de son déplacement, il a été accueilli par des responsables gouvernementaux importants. L’accent est mis sur le passé de « la République de Chine » en continent et la perspective des efforts en commun à venir pour revitaliser la Chine (和平奋斗, 振兴中华 lutter pour la paix, revitaliser la Chine). Cette visite pourrait être le début d’un dégel dans la direction d’une solution pacifique.

Conclusion

Le conflit en Ukraine n’a pas été pris à la légère par la Chine. Sa réponse est complexe. Tenant au principe du respect absolu de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de chaque pays et réprouvant, à sa manière, le déclenchement de la guerre en Ukraine par la Russie, elle agit en faveur d’une solution pacifique acceptable par tous.

Bien que le conflit ait bousculé son agenda, la Chine s’adapte et accélère la mise en place de sa stratégie globale sur le long terme dans tous les domaines clés pour elle.

1 Yan Xuetong, China’s Ukraine Conundrum, Why the War Necessitates a Balancing Act, Foreign Affairs, May 2, 2022

2 Pierre Breteau, Résolution sur la Russie à l’ONU : quels pays ont changé de position depuis mars 2022 ? Le monde, le 24 février, 2023

3 Cf. National Security Archive: NATO Expansion : What Gorbachev Heard, Declassified documents show security assurances against NATO expansion to Soviet leaders from Baker, Bush, Genscher, Kohl, Gates, Mitterrand, Thatcher, Hurd, Major, and Woerner, Slavic Studies Panel Addresses “Who Promised What to Whom on NATO Expansion?” ( https://nsarchive.gwu.edu/briefing-book/russia-programs/2017-12-12/nato-expansion-what-gorbachev-heard-western-leaders-early )

4 Yan Xuetong, China’s Ukraine Conundrum, Why the War Necessitates a Balancing Act, Foreign Affairs, May 2, 2022

5 Jean-Marc Four, Franck Ballanger, La Chine est embarrassée face à la guerre en Ukraine, publié le dimanche 9 octobre 2022

6 Josep Borrell, cité in Guerre en Ukraine : le jeu d’équilibriste de la Chine avec la Russie, Sophie Cazaux, BFM TV, le 23/02/2023

7 POSITION DE LA CHINE SUR LE RÈGLEMENT POLITIQUE DE LA CRISE UKRAINIENNE, Ambassade de Chine en France (http://fr.china-embassy.gov.cn/fra/zgyw/202302/t20230224_11031091.htm)

8 David Teurtrie cité in Guerre en Ukraine : le jeu d’équilibriste de la Chine avec la Russie, Sophie Cazaux, BFM TV, le 23/02/2023

9 Ouest France, le 21 mars, 2023.

10 Luc Chagnon, Guerre en Ukraine : les Occidentaux critiquent le plan de paix proposé par la Chine, le 25/02/2023

11 Cf. https//youtube.be/f7pGAeTn8PI

12 Jade, La Chine prévoit la fin de la guerre en Ukraine cet été : Rapport, Aube Digitale, Publié le 11 mars 2023

13 Quels sont les enjeux du rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite ? franceinfo, publié le 21/03/2023

14 James McBride, Noah Berman, and Andrew Chatzky, China’s Massive Belt and Road Initiative, February 2, 2023

15 Alex Wang, La gestion des réservés de change : la Chine es prépare-t-elle à faire sa mue ? Revue Conflits, le 6 octobre 2022.

16 Les avoirs de la Chine dans la dette américaine au plus bas depuis plus de 12 ans, French.china.org.cn, le 18. 03. 2023

17 Anadulu Agency, le 7 mars 2023

18 Alex Wang, l’internationalisation du Renminbi (2/3) : le bilan d’étape encourageant, Revue Conflits, le 24 décembre 2022.

19 Liao Shumin, CNOOC, TotalEnergies Complete First Cross-Border Yuan Settlement of LNG Trade, Yicai, Mar 28 2023.

20 Le groupe des BRICS statuera sur l’admission de nouveaux membres d’ici fin 2023, Agence ecofin, 13 janvier 2023

21 Mustapha Dalaa, Organisation de coopération de Shanghai… Les géants d’Asie font front commun contre l’Occident, Anadolu, 26.09.2022

22 China, Kyrgyzstan, Uzbekistan sign landmark railroad deal | Eurasianet. eurasianet.org. [2022-09-16].

23 Alex Wang, La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ? Revue Conflits, le 17 août 2022.

24 Alex Wang, Un dégel de printemps pourrait-il arriver entre les deux rives du détroit de Taiwan ? Revue Conflits, le 22 mars 2023.

La loi de programmation militaire 2024-2030, une LPM adaptée à la réalité de la guerre ?

La loi de programmation militaire 2024-2030, une LPM adaptée à la réalité de la guerre ?


Jaguar, Engin blindé de reconnaissance et de combat

 

La LPM 2024-2030 a été présentée en conseil des ministres. Je publie cette troisième et dernière partie de mon article achevé au 12 mars. Je mettais en doute la réalité de la prise en compte des enseignements de la guerre en Ukraine dans la LPM. Je n’ai pas à modifier mon analyse. Bref, « on fait comme avant » et j’ai le sentiment profond qu’il s’agit avant tout de privilégier le complexe militaro-industriel notamment dans le domaine nucléaire. Or, « Il n’y a de richesse que d’hommes ». Ce sont eux qui font la guerre sur le terrain comme en témoigne le conflit en Ukraine. La technologie est à leur service à la fois pour préserver leur vie et assurer leur efficacité mais seuls les effectifs et les équipements en nombre suffisant permettent d’envisager le succès militaire.

En préalable, je rappelle la structure générale de l’article. La première partie sur les enseignements géopolitiques de la guerre en Ukraine, réflexion non exhaustive sur une guerre inachevée, traitait du contexte général de la situation géopolitique mondiale en trois points : « Le désarmement européen (I.1.) » (Cf. Billet du lundi 13 mars 2023), « La fin de la mondialisation heureuse (I.2.) » (Cf. Billet du mercredi 15 mars 2023) et « Une guerre (en Ukraine) aux enjeux vitaux pour l’occident (I.3.) » (Cf. Billet du vendredi 17 mars 2023).

La seconde partie était consacrée aux conséquences militaires de l’aveuglement européen. Après avoir posé brièvement la question du droit international dans les conflits d’aujourd’hui (II.1 cf. Billet du vendredi 24 mars 2023), elle abordait la guerre de haute intensité depuis sa « redécouverte » dans cette guerre russo-ukrainienne et la stratégie hybride (II.2 et II.3, cf. Billet du lundi 3 avril 2023).

La troisième partie aborde donc la LPM dont je rappelle les derniers chiffres connus cette semaine. On peut certes se louer de cet effort financier majeur mais l’objet n’est pas de financer des programmes mais de donner les moyens aux armées de gagner une guerre conventionnelle, certes dans le cadre d’une alliance. Connaître les chiffres est important.

La LPM 2024-2030 table sur 413 milliards mais quelque 30 milliards devraient disparaître en raison de l’inflation. De 32 milliards d’euros en 2017, le budget des armées Il est de 43,9 milliards d’euros en 2023 et sera abondé de 1,5 milliard supplémentaire d’ici à la fin de l’année. Il devrait atteindre 56 milliards en 2027, 69 milliards d’euros en 2030 si le prochain chef de l’État respecte cette LPM. Comme sur la précédente LPM, les investissements les plus coûteux interviendront après l’élection de 2027.

Plus de la moitié des dépenses (autour de 60 %, selon Le Monde du 5 avril 2023) est dédiée au renouvellement de la dissuasion nucléaire. Son efficacité dans le non-emploi reste cependant posée dans le cadre des conflits tels qu’ils apparaissent à travers la guerre en Ukraine d’autant que celle-ci a montré les limites opérationnelles de la haute technologie et le retour aux armements conventionnels utilisés par les hommes sur le terrain. Or les armées ne sont pas renforcées par cette LPM.

Pour notamment donner les effectifs au « cyber », l’armée de terre perdra encore des régiments de mêlée (chars, infanterie) au profit de ce domaine. La capacité blindée et le besoin en fantassins qui, pourtant, ont été montrés comme essentiels en Ukraine dans le combat terrestre, ne suscitent pas d’effectifs supplémentaires et sont donc encore amoindris. Notamment une « centaine » de Jaguar sur les 300 prévus est annulée. Or, il s’agit du successeur de l’AMX10RC dont une partie a été généreusement remise aux forces ukrainiennes. L’AMX10RC restera donc en service quelques années de plus. Ce dégraissage de quelques centaines d’exemplaires s’appliquera aussi aux blindés Griffon et Serval, dont la cible à l’horizon 2030 était de respectivement 1 872 et 978 unités.

Pour l’armée de l’air, les livraisons de quarante-deux avions de chasse Rafale, initialement prévues entre 2027 et 2030, s’étendront désormais jusqu’à 2032. En 2030, l’armée de l’air disposera de 137 Rafale au lieu de 185 prévus au départ. Certes les livraisons de 20 avions de transport stratégique A400M seront accélérées pour atteindre 35 en 2030 sans précision sur la cible finale qui est de 50 appareils.

Quant à la marine, le successeur du porte-avions Charles-de-Gaulle est prévu pour 2038 mais, à l’horizon 2030, la marine n’aura que trois bâtiments ravitailleurs de forces au lieu de quatre, trois frégates de défense et d’intervention au lieu de cinq, sept patrouilleurs hauturiers au lieu de dix. Pourtant il semble que la France doit assurer sa souveraineté sur la seconde surface maritime mondiale, soit 11 millions de km² notamment dans le Pacifique. A l’heure où la Chine construit tous les trois à quatre ans l’équivalent de la flotte française, le questionnement de la pertinence de cette LPM peut se poser.

Certes, 16 milliards seront consacrés aux munitions et 49 milliards au maintien en condition opérationnelle, soit une hausse de 49 %. 13 milliards d’euros seront consacrés à l’outre-mer, 10 milliards aux technologies de rupture, comme l’hypervélocité ou le quantique, 6 milliards au spatial, 5 milliards à la contre-ingérence et au renseignement, 5 milliards aux drones, 5 milliards à la défense surface-air, 4 milliards au cyber, 2 milliards aux forces spéciales.

Cependant, qui peut croire que la France pourra réellement répondre à la réalité des guerres de demain ? N’a-t-on pas à nouveau préféré le soutien au complexe militaro-industriel notamment nucléaire au détriment de l’efficacité opérationnelle sur le terrain ?

François Chauvancy*

Saint-cyrien, breveté de l’École de guerre, docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA), titulaire d’un troisième cycle en relations internationales de la faculté de droit de Sceaux, le général (2S) François CHAUVANCY a servi dans l’armée de Terre au sein des unités blindées des troupes de marine. Il a quitté le service actif en 2014. Il est expert des questions de doctrine sur l’emploi des forces, sur les fonctions ayant trait à la formation des armées étrangères, à la contre-insurrection et aux opérations sur l’information. A ce titre, il a été responsable national de la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques de 2005 à 2012. Il a servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire où, sous l’uniforme ivoirien, il a notamment formé pendant deux ans dans ce cadre une partie des officiers de l’Afrique de l’ouest francophone. Il est chargé de cours sur les questions de défense et sur la stratégie d’influence et de propagande dans plusieurs universités. Il est l’auteur depuis 1988 de nombreux articles sur l’influence, la politique de défense, la stratégie, le militaire et la société civile. Coauteur ou auteur de différents ouvrages de stratégie et géopolitique., son dernier ouvrage traduit en anglais et en arabe a été publié en septembre 2018 sous le titre : « Blocus du Qatar : l’offensive manquée. Guerre de l’information, jeux d’influence, affrontement économique ». Il a reçu le Prix 2010 de la fondation Maréchal Leclerc pour l’ensemble des articles réalisés à cette époque. Il est consultant régulier depuis 2016 sur les questions militaires au Moyen-Orient auprès de Radio Méditerranée Internationale. Depuis mars 2022, il est consultant en géopolitique sur LCI notamment sur la guerre en Ukraine. Animateur du blog « Défense et Sécurité » sur le site du Monde depuis août 2011, il a rejoint depuis mai 2019 l’équipe de Theatrum Belli.