Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Point de vue. Quelle Europe nucléaire ?

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances, souligne François Heisbourg, auteur d’« Un monde sans l’Amérique » paru chez Odile Jacob.

La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon.
La classe Suffren, issue du programme Barracuda, est la deuxième génération de sous-marins nucléaires d’attaque de la Marine nationale française. Ici, le 6 novembre 2020, dans la rade de Toulon. | ARCHIVES NICOLAS TUCAT, AFP

Longtemps, l’Europe a vécu à l’ombre du parapluie nucléaire américain. La France bénéficiait de surcroît de la protection assurée par sa propre dissuasion. Certes, le visage hideux de l’apocalypse n’était jamais très loin. Ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Mais en Europe, la guerre restait froide grâce à la dissuasion et à nos alliances.

Avec la guerre contre l’Ukraine, les menaces atomiques d’une Russie néo-impériale en marche et le départ désormais inéluctable des États-Unis, cet édifice a vécu. Les pays membres de l’Union Européenne, tels la Pologne, les États baltes et la Scandinavie, qui ressentent le plus vivement la menace du grand voisin russe, cherchent désormais, parfois avec fébrilité, une dissuasion qui puisse prendre le relais.

Plusieurs voies d’inégales valeurs se présentent. Devant son Parlement, le Premier ministre polonais, Donald Tusk, a esquissé il y a quelques jours l’hypothèse d’une force de dissuasion nationale. En Suède, pays qui avait engagé des travaux en ce sens pendant la Guerre froide, des chercheurs y songent, tout comme leurs collègues dans une Finlande qui partage une frontière de 1 300 kilomètres avec la Russie de Vladimir Poutine. Au nom de quoi la France héritière de la « force de frappe » du général de Gaulle s’y opposerait-elle ? Faites ce que je dis, mais pas ce que je fais.

Pourtant, ce serait une catastrophe annoncée. Depuis plus d’un demi-siècle, l’accord quasi universel qu’est le Traité de non-prolifération l’interdit expressément. Violer l’un des derniers et peut-être le plus important élément de ce qui reste d’un ordre international ouvrirait la voie à un chaos nucléaire mondial, de l’Arabie saoudite et du Japon à la Turquie ou à la Corée du Sud. Dans une telle anarchie, le nucléaire passerait trop aisément de la dissuasion mutuelle à l’emploi mortifère d’armes à la puissance de destruction infinie. À éviter donc…

Jouer la dissuasion française

Le président polonais demande pour sa part que les États-Unis déploient dans son pays des armes nucléaires américaines, à la manière de ce qui existe déjà de longue date en Allemagne, Italie, Belgique et aux Pays-Bas. Pourquoi pas ? Mais l’Amérique de Donald Trump le voudrait-elle ? Et qui prendrait au sérieux la garantie d’un pays qui paraît désormais plus proche de l’envahisseur russe que de ses partenaires de naguère, plus prompt aussi à annexer le Canada ou le Groenland qu’à épauler ses alliés ?

Les Jeux olympiques de Paris 2024 ont-ils amélioré l’image de la France à l’international ?

Mieux vaut tenter de faire jouer la dissuasion française de façon explicite et organisée, le cas échéant aux côtés de l’allié britannique. Il est en effet clair que l’invasion de pays membres de l’Union mettrait en jeu nos intérêts vitaux. Au premier chef, la Pologne, mais aussi l’Allemagne et les États baltes qui ont tout récemment manifesté leur intérêt. D’autres, des Pays-Bas à l’Italie, y réfléchissent. Le champ de la discussion pourra être large en termes d’appréciation des moyens qu’il faudrait mobiliser, de réflexion sur leurs lieux de déploiement, de participation à des exercices, d’évaluation commune des menaces, de doctrines partagées. La décision d’emploi devrait, elle, rester nationale pour la bonne et simple raison que la meilleure façon d’apporter une garantie crédible serait d’éviter qu’elle ne soit engluée dans des procédures improbables.

Les dénonciations des initiatives françaises par les responsables russes montrent que Moscou y croit, à sa façon. C’est paradoxalement encourageant…

Nucléaire : Où en est aujourd’hui la filière nucléaire française ?

AASSDN par Charles de BLONDIN – Revue Conflits publié le 21 janvier 2025

https://aassdn.org/amicale/nucleaire-_ou-en-est-aujourd-hui-la-filiere-nucleaire-francaise/


AASSDN Commentaire : Cet article sur la filière nucléaire fait le point sur l’état de notre filière nucléaire et rappelle les les décisions politiques désastreuses prises essentiellement sous la pression des partis écologistes soutenus par des ONG anti-nuclaires soutenues par certains pays européens.

Pour renforcer sa souveraineté et sa puissance économique, la France doit retrouver et développer une fière complète et cohérente capable de fournir de manière continue, une énergie nationale, en quantité, bon marché et la moins polluante possible.
C’est la condition première pour conduire une politique de réindustrialisation et permettre notamment l’installation de data center, gros consommateurs d’énergie électrique, mais indispensables au développement de l’intelligence artificielle, secteur hautement stratégique dans lequel la France a un important potentiel de Recherche et développement.

Le 30 mars 2023 était clôturée la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France. Après six mois de travail et l’audition sous serment de 88 personnes (experts et scientifiques, dirigeants du secteur énergétique et des organismes de régulation, hauts fonctionnaires en charge des dossiers énergétiques, anciens ministres, anciens Premier ministres et même – fait inédit dans l’histoire des commissions d’enquêtes parlementaires – deux anciens présidents de la République), la trentaine de députés placés sous la présidence de M. Raphaël Schellenberger concluait à la nécessité de « refaire de la filière nucléaire la grande force française » et soulignaient la nécessité d’un « renforcement du cycle du combustible ».

Le cycle français du combustible

Pourquoi insister sur cette question du cycle du combustible ? Quels en sont les enjeux exacts ? Selon le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), « le cycle du combustible correspond aux différentes étapes d’extraction, fabrication, retraitement puis recyclage du combustible des centrales nucléaires. Son retraitement permet de récupérer l’ensemble des matières réutilisables et de réduire en parallèle le volume et la toxicité des déchets. »

Après avoir été extrait de la roche, l’uranium doit être converti, enrichi et conditionné sous forme de « crayons de combustible » avant d’être introduit dans un réacteur nucléaire. Après 4 années d’utilisation, ce combustible, dit « usé », doit être retiré du réacteur. Il se compose alors de 4% de déchets ultimes, c’est-à-dire d’éléments non réutilisables issus de la fission de l’uranium, et de 96 % de matières réutilisables possédant encore un potentiel énergétique. D’un côté, l’uranium extrait du combustible usé peut être ré-enrichi. C’est ce qu’on appelle l’uranium de retraitement (URT). D’un autre côté, une nouvelle matière qui s’est formée dans le réacteur, appelée plutonium, peut être recyclée sous la forme d’un nouveau combustible, le MOX, à partir duquel 10% de l’électricité française sont produits. Ce constat a amené la France à mettre en place une stratégie de cycle « fermé » qui prévoit le recyclage des combustibles usés en récupérant toute la matière réutilisable. L’objectif visé est triple : économiser la ressource en uranium ; diminuer les quantités de déchets radioactifs ; réduire leur toxicité.

Consolider la filière

Aujourd’hui, le recyclage de l’uranium de retraitement (URT) a lieu en Russie dans l’usine sibérienne de Seversk (anciennement Tomsk-7). Grâce à ce partenariat noué par EDF avec l’entreprise publique russe Rosatom, le combustible usé est recyclé pour servir de nouveau de combustible – sous le nom d’uranium de retraitement enrichi (URE) – dans les centrales nucléaires françaises à eau pressurisée.

L’intérêt est également économique, le prix de l’uranium ayant été multiplié par 5 en moins de 10 ans (le prix spot est aujourd’hui à plus de 100 dollars la livre. Enfin, la valorisation de l’uranium de retraitement (URT) a l’avantage d’éviter son stockage. En effet, avant qu’EDF ait passé cet accord avec Rosatom, des dizaines de milliers de tonnes d’URT étaient stockées sur le site de Tricastin, faute de mieux. Selon l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), ce stock pourrait être résorbé « à l’horizon 2050 ».

À l’issue du processus de ré-enrichissement, le nouveau combustible (URE) repart en France tandis que la matière appauvrie reste en Russie, chez l’enrichisseur. Cet uranium qui a été appauvri deux fois reste pourtant une matière valorisable. Il peut en effet être réutilisé dans des réacteurs nucléaires à neutrons rapides, dits « de 4e génération ». La Russie en compte actuellement trois et elle en construit de nouveaux. La France qui a eu trois prototypes – Phénix (arrêté en 2010), son évolution Superphénix (abandonné dès 1997 suite à une décision de Lionel Jospin), Astrid (abandonné en 2019 suite à une décision d’Emmanuel Macron) – n’en a plus aucun.

D’où la proposition 26 faite par la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale d’« accentuer le soutien aux technologies liées à la 4e génération nucléaire ». De tels réacteurs, équivalents à ceux que possèdent la Russie (et l’Inde), permettraient de « multi-recycler » le combustible usé et même d’utiliser presque tout l’uranium appauvri (résidu de la fabrication du combustible) présents sur notre territoire, avec à la clé plusieurs milliers d’années de ressource énergétique. Cette technologie, qui permettrait de fermer complétement le cycle de l’uranium, est la brique manquante du nucléaire français.

Une autres faiblesses sont ses capacités insuffisantes pour réenrichir l’uranium de retraitement (URT) sans l’aide de la Russie… Si Orano dispose en théorie de cette capacité de ré-enrichissement dans son usine Georges-Besse II, l’entreprise successeur d’Areva n’a pas l’équipement nécessaire pour assurer la phase préliminaire de conversion : principalement pour des raisons économiques et industrielles et non technologiques. C’est ce qui explique qu’EDF ait dû se tourner vers Rosatom qui fait partie du club restreint d’acteur à fournir cette capacité.

Risques géopolitiques 

Est-il besoin de souligner qu’il s’agit dans le contexte géopolitique actuel de deux dangereuses vulnérabilités ? Certes, le domaine du nucléaire civil est pour l’instant exclu des sanctions. Et pour cause ! Il y a sur le sol européen 18 réacteurs de conception russe, tandis que 20% de l’uranium importé par l’Union européenne vient de Russie. Mais parier qu’il en sera toujours ainsi est risqué, car qui peut dire comment évoluera la guerre ? Les rapports économiques entre l’Occident et la Russie font-ils autres choses que se dégrader au fil des mois et de la multiplication des sanctions ? Le Sénat américain n’a-t-il pas voté l’année dernière une loi à l’unanimité interdisant les importations d’uranium enrichi en provenance de Russie ? Certes EDF est robuste et Orano – acteur français du combustible nucléaire parmi, classé au 3e rang mondial du secteur- lui assure la plus grande partie de ses besoins. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une vulnérabilité à combler.

En admettant même que le nucléaire civil européen soit préservé, la coopération entre EDF et Rosatom autour du ré-enrichissement de l’URT pour créer un nouveau combustible pourrait tomber sous le coup de sanctions indirectes. C’est du moins ce que laissent présager les récentes sanctions prises par les États-Unis et le Royaume-Unis contre les principaux assureurs maritimes russes dans le cadre de leur lutte contre la « flotte fantôme ». Le convoiement de l’uranium de retraitement (URT) vers la Russie, puis de l’uranium de retraitement enrichi (URE) vers la France, se fait en effet sur des navires russes spécialisés disposant d’assurances sur-mesure. Si, à cause d’une mauvaise évaluation de l’« effet boomerang » de ses décisions, l’Union européenne en venait à sanctionner elle aussi ces assureurs russes toute cette chaîne logistique serait compromise. Comment imaginer en effet que des navires transportant des tonnes de combustible nucléaire puissent naviguer sans assurance ?

Devant de telles incertitudes, la France doit réagir. Elle a commencé à le faire. Orano investit 1,7 milliard d’euros pour augmenter de 30% les capacités d’enrichissement de son usine de Tricastin à Pierrelatte dans la Drôme. Même s’il faudra attendre au moins 2028 pour que cette nouvelle usine entre en fonctionnement, l’initiative doit être saluée. Des mesures comparables devraient être prises pour développer une capacité propre de ré-enrichissement de l’uranium de retraitement (URT). Cet objectif n’est pas inatteignable à moyen terme. Enfin, il vaut voir plus loin et, comme la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale le demande, il faut relancer la construction d’un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides, dit « de 4e génération ». Ce n’est qu’en bouclant le cycle du combustible que la France assurera sur le long terme son indépendance énergétique et donc son indépendance, tout court.

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires


La France rebondit dans ce pays d'Asie après ses déboires en Afrique et s'ouvre une nouvelle source d'approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires
La France rebondit dans ce pays d’Asie après ses déboires en Afrique et s’ouvre une nouvelle source d’approvisionnement en uranium pour ses centrales nucléaires

 

Orano et la Mongolie scellent un accord d’investissement pour exploiter un gisement d’uranium majeur.

Comme nous l’avons vu dans un précédent article, après des années de purgatoire, la filière du nucléaire se porte très bien en France en 2025. Pour sécuriser encore un peu plus cette filière qui assure la souveraineté de la France ainsi qu’une énergie décarbonée, le groupe Orano vient formaliser un accord d’investissement avec l’État Mongol pour développer et exploiter le gisement d’uranium de Zuuvch-Ovoo, marquant un tournant majeur dans les relations franco-mongoles, en même temps qu’il vient offrir une ouverture potentielle pour la France sur une nouvelle source d’approvisionnement en uranium plus pérenne que l’Afrique, dans laquelle l’Hexagone ne semble plus le bienvenu en ce moment.

Orano prend un engagement long terme en Mongolie

L’accord, qui couronne 27 ans de présence et de collaboration entre Orano et la Mongolie, a été ratifié suite à son approbation par le parlement mongol. La cérémonie de signature s’est déroulée à Oulan-Bator, symbolisant le début d’un projet minier de grande envergure qui durera 30 ans avec un investissement initial estimé à 500 millions de dollars.

Développement du gisement et impact économique

Le projet Zuuvch-Ovoo, situé dans la province de Dornogovi, envisage une production annuelle de 2 500 tonnes d’uranium. Avec un investissement total de 1,6 milliard de dollars sur la durée du projet, cette initiative devrait générer 1 600 emplois, stimulant ainsi l’économie locale et régionale.

Standards internationaux et formation locale

Orano s’engage à respecter les standards internationaux de sécurité, de sûreté et d’environnement, et prévoit des investissements significatifs dans la formation de la main-d’œuvre locale. Cet aspect du projet vise à développer des compétences durables au sein des communautés locales et à positionner la Mongolie comme un leader dans l’industrie uranifère.

Implications stratégiques et environnementales

L’exploitation du gisement d’uranium à Zuuvch-Ovoo positionne la Mongolie comme un acteur clé dans le marché global de l’uranium, essentiel pour soutenir les besoins croissants en énergie bas carbone. Cela renforce également les efforts de la Mongolie pour contribuer à l’effort climatique mondial et à la diversification de son économie.

Les sources d’approvisionnement actuelles de la France en Uranium en 2025

La France, qui consomme environ 7 000 à 9 000 tonnes d’uranium par an pour ses 57 réacteurs nucléaires, dépend entièrement des importations pour son approvisionnement. Ses principales sources d’uranium sont diversifiées géographiquement, incluant le Kazakhstan, le Niger, le Canada, l’Australie, la Namibie et l’Ouzbékistan. Cette diversification vise à réduire les risques géopolitiques et économiques. Cependant, la dépendance à l’uranium enrichi russe reste significative, représentant environ un tiers des besoins français en 2022. EDF, le principal exploitant nucléaire français, s’approvisionne auprès de fournisseurs comme Orano (français donc) et Urenco (anglo-saxon). Le top 3 des plus gros exportateurs d’uranium vers la France est :

  1. Kazakhstan (environ 27% des importations)
  2. Niger (environ 20% des importations)
  3. Ouzbékistan (environ 19% des importations)

Cet article explore le partenariat stratégique entre Orano et la Mongolie pour l’exploitation d’un gisement d’uranium de classe mondiale, soulignant l’impact économique, environnemental et social du projet. Avec des investissements substantiels et un engagement à long terme envers les normes internationales et le développement local, ce projet promet de renforcer les capacités industrielles de la Mongolie et de soutenir les objectifs mondiaux de production d’énergie propre.

Source : Orano

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique

L’EPR de Flamanville, le plus puissant des réacteurs nucléaires français, est enfin raccordé au réseau électrique


L’EPR de Flamanville. Stephanie Lecocq / REUTERS

 

Le dernier né des réacteurs français commence un cycle de dix-huit mois, jusqu’à sa première maintenance. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Jusqu’au bout du suspens, mais cette fois ça y est. «L’EPR de Flamanville produit ses premiers électrons ! Samedi 21 décembre 2024 à 11h48, l’EPR de Flamanville a été connecté au réseau électrique français et a commencé à produire ses premiers électrons», a annoncé Luc Rémont, le PDG d’EDF ce samedi sur la plateforme LinkedIn. «C’est un évènement historique pour toute la filière nucléaire française.» «Grand moment pour le pays. L’un des réacteurs nucléaires les plus puissants du monde, l’EPR de Flamanville, vient d’être raccordé au réseau électrique. Réindustrialiser pour produire une énergie bas carbone, c’est l’écologie à la française. Elle renforce notre compétitivité et protège le climat», a salué Emmanuel Macron, lui aussi sur Linkedin.

Fierté et soulagement pour les équipes de l’EPR de Flamanville alors que ce premier raccordement au réseau électrique avait été promis par EDF « avant la fin de l’automne », enclenchant un compte à rebours oppressant dans la dernière ligne droite.

D’abord promise pour ce vendredi matin 10 heures, l’opération, dite « couplage » a été repoussée d’abord à 23 heures ce même vendredi, puis à 10h du matin, ce samedi. Finalement l’heure à retenir sera 11h48. Avec un dernier retard de près de vingt-six heures, sur un chantier qui arrive à son terme avec douze années de retard et un coût trois fois plus élevé que prévu, à plus de 13 milliards. Mais qui est parti pour fonctionner 60 ans, au moins, et alimenter en électricité quelque deux millions de foyers chaque année. Une odyssée des temps modernes, avec un long voyage semé d’embûches. «Ce matin, c’est l’accomplissement d’un effort titanesque qui a fini par payer. Un long chemin, qui n’a été ni facile, ni parfait, mais qui aboutit au bénéfice des Français. Nous en tirons tous les enseignements pour réussir la relance du nucléaire que nous avons décidée avec le Président de la République. 
Bravo et merci à toutes les équipes d’EDF mobilisées sur place. Le cœur du réacteur, c’est eux !», salue Agnès Pannier-Runacher la ministre démissionnaire de la transition écologique. 

Des centaines de personnes restent mobilisées sur le site pour jouer cette partition au millimètre. Paradoxalement, ce n’est pas le cœur du réacteur nucléaire, là où le combustible produit de la chaleur, qui a fait l’objet du plus d’attention, mais la turbine. Cette immense machine dont les pales vont tourner à 1500 tours minutes, propulsées par la vapeur produite par le réacteur. Cette vapeur doit être parfaite, car à cette vitesse la moindre goutte d’eau a la puissance d’une balle de pistolet. Les capteurs scrutent les vibrations, la chaleur, l’environnement… Une fois toutes les conditions réunies, l’alternateur, qui produit l’électricité à proprement parler, a été lancé. « Il doit être synchronisé pour produire à 50 hertz, la fréquence du réseau électrique français », explique Régis Clément, directeur adjoint de la production nucléaire chez EDF. Dans un premier temps, cette énorme installation ne produira que quelques mégawatts (MW) d’électricité. Il n’atteindra sa pleine puissance qu’à l’été 2025. 

D’ici là, il reste encore quelques étapes techniques et réglementaires à franchir, avant la mise en service industrielle de l’EPR. Fla3, selon sa dénomination EDF, est couplé au réseau à environ 20% de ses capacités. Pour passer le seuil de 25%, EDF doit obtenir le feu vert de l’autorité de sûreté nucléaire, (ASN), de même pour 60%, puis 80%. Le couplage marque certes l’entrée en production du géant de 1600 MW, le plus puissant des réacteurs du parc français, il marque aussi le début d’une nouvelle phase de tests, faits de variations de puissance, d’arrêts en moins de deux secondes, d’îlotage (test du réacteur quand le réseau électrique a un problème). Tous ces scénarios sont faits pour éprouver l’installation et réduire au minimum tout risque d’incident. Une quinzaine d’arrêts et de redémarrages auront lieu sur le chemin de la pleine puissance, l’été prochain.

Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire

Olivier Bard, délégué général du Gifen

Ensuite, la production pourra encore varier, jusqu’à la première visite de contrôle (V1) de l’EPR prévue en 2026, soit environ dans 18 mois. Toutefois, la donnée prise en compte pour cette V1 n’est pas la durée de fonctionnement, mais le volume d’électricité produit, soit 14 TWh. Cela correspond à la consommation d’environ deux millions de foyers pendant un an. Et surtout, cela revient à user le combustible, comme on viderait le réservoir d’une voiture. À 14 TWh, il faudra refaire le plein : décharger et recharger en combustible le cœur du réacteur. À bien des égards, cette première visite complète est similaire à celles effectuées tous les dix ans dans les autres réacteurs du parc, une sorte de contrôle technique en beaucoup plus poussé, version monde du nucléaire.

Le changement du couvercle dans dix-huit mois

Il y a cependant une différence de taille : le couvercle de la cuve contenant les éléments radioactifs sera changé à cette occasion, pour répondre à un engagement pris auprès de l’ASN. « Ce n’est pas un sujet de sûreté, mais de durée de vie », résume Régis Clément. Le métal du couvercle actuel se fragilisera dans le temps au contact des neutrons, « il sera changé avant de présenter un risque », rassure Régis Clément. Dans les faits, de nombreux équipements dédiés au contrôle et au fonctionnement du réacteur sont installés sur le couvercle. Ils seront « retirés pour être installés sur le nouveau», ce qui devrait prendre « un peu plus d’un mois », ajoute Régis Clément. La donnée est connue de longue date. Fin 2014, Areva NP a «découvert une anomalie de fabrication de l’acier du couvercle », explique l’IRSN. En 2017, l’ASN et l’IRSN ont considéré que le remplacement de ce couvercle devrait être réalisé au premier arrêt pour rechargement du réacteur (VC1). Qui aurait dû survenir bien avant 2026…

Le changement du couvercle est un des innombrables déboires rencontrés sur le chantier. Et malgré tout, la mise en service de l’EPR est un sujet de fierté, chez EDF d’abord, mais aussi pour toute une filière industrielle. «Saluons les acteurs qui sont allés jusqu’au bout. Ils n’ont rien lâché et l’ont mis en service, ce qui prépare quand même très bien la relance du nucléaire », souligne Olivier Bard, délégué général du Gifen, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire.

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le B-21 Raider, bombardier nucléaire furtif américain à 776 millions de dollars, a effectué ses premiers essais en vol en Californie. Cet appareil, capable de transporter des armes conventionnelles et nucléaires, sera produit à plus de 100 exemplaires. Ces tests envoient un message stratégique face aux menaces globales, notamment de la Russie.

Par Laurène Meghe – armees.com – Publié le 20 septembre 2024

Bombardier Americain Decolle La Reponse Washington Poutine
Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine – © Armees.com

Les États-Unis dévoilent une nouvelle fois leur B-21 Raider, un bombardier furtif de nouvelle génération capable de frapper à tout moment avec une précision redoutable. Cet appareil, dont le coût unitaire s’élève à 776 millions de dollars, représente un tournant dans la dissuasion militaire américaine. Alors que la tension monte sur la scène internationale, notamment face à la Russie, ce bombardier joue un rôle stratégique crucial pour Washington.

Une discrétion maîtrisée autour du B-21

Bien que le B-21 Raider ait été révélé au public en décembre 2022, le gouvernement américain a jusqu’à présent été extrêmement prudent quant à la communication sur cet appareil. Il aura fallu attendre les premiers essais en vol, diffusés récemment, pour que le monde puisse enfin apercevoir cet avion furtif dans les airs. Le 18 septembre 2024, des images de l’appareil décollant de la base aérienne d’Edwards en Californie ont été partagées, marquant une étape clé dans le développement du bombardier.

Le B-21 Raider, conçu par Northrop Grumman, doit encore passer par plusieurs phases de tests avant sa mise en service officielle. Selon l’US Air Force, au moins 100 exemplaires seront construits à l’issue de ces essais, consolidant la place du B-21 comme fer de lance de la force de bombardement américaine.

Un message fort envoyé à la Russie

Face aux tensions croissantes avec la Russie, notamment après les récentes escalades dans la guerre en Ukraine, ce développement prend un sens tout particulier. Le B-21 Raider n’est pas un simple bombardier conventionnel : il est équipé d’une double capacité, pouvant embarquer des munitions conventionnelles ainsi que des armes nucléaires.

Ces essais en vol, largement médiatisés, envoient un message direct à Vladimir Poutine et au Kremlin. Alors que la Russie continue d’intensifier ses menaces nucléaires, les États-Unis répondent par la démonstration de cette capacité de frappe stratégique, capable de traverser les défenses les plus robustes. Comme l’indique l’USAF, ce bombardier est conçu pour pénétrer les environnements de menace les plus contestés et pour frapper n’importe quelle cible à travers le monde, même dans les zones les plus défendues.

Un bombardier furtif aux capacités impressionnantes

Le B-21 Raider représente un bond technologique majeur pour les forces aériennes américaines. Non seulement il est conçu pour éviter les radars adverses, mais il est également modulaire, ce qui permet d’y intégrer rapidement de nouvelles technologies à mesure que les menaces évoluent. Ce système d’arme répond à une stratégie à long terme, garantissant aux États-Unis une supériorité aérienne durable.

Selon l’USAF, les essais en vol actuellement en cours incluent des tests au sol, des roulages et diverses opérations aériennes. Chaque vol est une étape critique pour garantir que cet avion de pointe soit prêt à intervenir en cas de besoin, face aux menaces croissantes qui pèsent sur les alliés et partenaires des États-Unis.

Un futur incertain pour la sécurité internationale

Alors que le B-21 Raider continue de monter en puissance, l’équilibre des forces mondiales semble de plus en plus instable. L’introduction de cet appareil dans l’arsenal américain marque un tournant, non seulement dans la capacité des États-Unis à mener des opérations de dissuasion, mais aussi dans leur manière de communiquer face à des régimes agressifs comme celui de la Russie.

Le message envoyé par ces essais en vol est clair : les États-Unis sont prêts à répondre à toute menace, et avec des armes de cette envergure, ils se positionnent plus que jamais comme un rempart contre les attaques potentielles. L’avènement du B-21 Raider symbolise ainsi une nouvelle étape dans la course aux armements, où la furtivité et la polyvalence nucléaire seront des atouts décisifs.

Avec le B-21, l’Amérique montre qu’elle reste un acteur incontournable dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, même si cela implique de rappeler à ses adversaires qu’elle détient une force de frappe redoutable.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

 

Par Fabrice Wolf – Méta Défense – publié le

La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.

Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.

C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.

Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.

Sommaire

  1. La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité
  2. L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française
  3. L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée
  4. De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine
  5. La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?
  6. Conclusion

La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité

Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.

 

Rafale M armé d'un missile ASMPA nucléaire au catapultage
La FaNu permet à la France de déployer des missiles nucléaires ASMPA à partir de Rafale M embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut deployer cette capacité que 50 % du temps, au mieux.

Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.

À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

La seconde est la Force Océanique Stratégique, disposant de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, de la classe le Triomphant. Celle-ci conserve, à chaque instant, un de ces navires à la mer, pour évoluer caché dans les profondeurs océaniques, et lancer, à la demande présidentielle, ses 16 missiles balistiques M51.3, d’une portée de 10.000 km, et transportant chacun 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt.

Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.

FOST SNLE Le terrible classe Le triomphant
Avec quatre SNLE classe Le Triomphant, la France dispose en permance d’un navire en patrouille, susceptible de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre un pays ayant attaqué le Pays, y compris avec des armes nucléaires stratégiques.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la dissuasion française est aujourd’hui correctement dimensionnée, et certainement efficace, pour contenir la menace d’un pays comme la Russie, et ce, en dépit d’un nombre beaucoup plus important de vecteurs et de têtes nucléaires pour Moscou.

En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.

De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.

L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française

Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.

ICBM KN-22 Pyonguang
première présentation publique du missile ICBM KN-22 à Pyongyang en 2020

Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.

C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.

L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.

Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.

Bombardier Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes disposeront d’une cinquantaine de bombardiers supersoniques à très long rayon d’action Tu-160M et M2 d’ici à 2040.

La Russie, justement, développe et modernise rapidement son arsenal nucléaire, avec l’entrée en service de nouveaux vecteurs, comme les SNLE de la classe Boreï, les bombardiers stratégiques Tu-160M et les ICBM RS-28 Sarmat, équipés du planeur hypersonique Avangard.

Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.

Enfin, la Chine produit un effort sans équivalent, pour accroitre et étendre ses capacités de frappe nucléaire, son arsenal devant être triplé d’ici à 2035, pour atteindre 1000 vecteurs opérationnels.

DF41 ICBM Chine
le missile balsitique ICBM DF41 chinois représente un immense progrès vis-à-vis des DF-5 à carburant liquide en silo, employés jusqu’à présent.

Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.

L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée

À ces nouvelles menaces stratégiques nucléaires, pouvant directement menacer la France et ses intérêts vitaux, s’ajoutent, également, de nouvelles capacités au potentiel de destruction stratégique, mais armées de charges conventionnelles et/ou faiblement létales.

L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.

Drone d'attaque Shahed 136 en Ukraine
Les drones d’attaque, comme le Shahed 136 iraniens, se sont montrés très efficaces pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes.

Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.

D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.

Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².

Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.

Usine drones d'attaque Geranium-2
La Russie prévoit de construire plus de 8000 Geran-2, version russe modifiée du Shahed 136, sur la seule année 2024.

Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.

Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.

De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine

Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.

SSBN CLasse Columbia US Navy
L’US Navy prévoit de n’acquerir que 12 SSBN de la classe Columbia. Un nombre jugé très insuffisant par la Heritage Foundation, qui préconise un retour à 16 navires, comme pendant la guerre froide.

Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.

Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.

Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.

Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.

silos missiles chine
La construction de plusieurs centaines de silos pour missiles ICBM a été observée en Chine

Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.

Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.

La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?

Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.

Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.

Rafale B missile ASMPA
Le missile nucléaire supersonique ASMPA-R (Rénové) sera remplacé, à partir de 2035, par le missile ASN4G, qui pourrait être doté d’un planeur hypersonique.

En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.

De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.

Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.

En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.

SNLE 3G Naval Group
Le conception et la construction des 4 SNLE 3G, destinés à remplacer, à partir de 2035, les SNLE classe le Triomphant, sera le chantier industriel et technologique le plus complexe réalisé en France dans les dix années à venir.

Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.

Conclusion

On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.

Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.

Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.

Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.

Article du 31 juillet, en version intégrale jusqu’au 6 septembre 2024

La Russie intensifie ses exercices militaires nucléaires tactiques

La Russie intensifie ses exercices militaires nucléaires tactiques

Par Jean-Baptiste Leroux -armees.com –  Publié le 2 août 2024

La Russie poursuit ses exercices militaires nucléaires. Wikipedia

La Russie a récemment intensifié ses exercices militaires en mettant l’accent sur l’utilisation d’armes nucléaires tactiques. Ces manœuvres, qui ont débuté en mai dernier, visent à démontrer la puissance militaire russe et à envoyer un message clair aux pays occidentaux.

Des manœuvres nucléaires de grande envergure

Depuis le début de la semaine, la Russie a lancé des exercices militaires à grande échelle, mobilisant plus de 300 navires pour des manœuvres navales. À partir du 31 juillet, l’accent a été mis sur l’utilisation des armes nucléaires tactiques. Ces exercices, constituant la troisième étape d’un programme commencé en mai, sont menés dans les districts militaires du centre et du sud, incluant le Caucase russe et les régions du sud et de l’est de l’Ukraine.

Les armes nucléaires tactiques, moins puissantes que les armes stratégiques, sont conçues pour être utilisées sur le champ de bataille. Elles peuvent être déployées depuis des véhicules, pièces d’artillerie, navires ou avions, visant des cibles spécifiques plutôt que des villes entières. Le ministère russe de la Défense a précisé que l’aviation et les systèmes de missiles Iskander participent activement à ces manœuvres.

Des objectifs stratégiques et militaires

L’objectif principal de ces exercices est de tester le déplacement et l’armement des armes nucléaires tactiques. Selon le ministère russe de la Défense, ces manœuvres visent à améliorer la capacité de réaction rapide et l’efficacité opérationnelle des forces armées russes dans des scénarios de combat simulés.

L’annonce de ces exercices avait été faite par le président Vladimir Poutine en mai, en réponse aux actions occidentales jugées provocatrices par la Russie, telles que la livraison de missiles à longue portée à l’Ukraine et les déclarations concernant un possible déploiement de troupes occidentales dans le conflit. En renforçant sa présence militaire et en montrant sa capacité à utiliser des armes nucléaires, la Russie cherche à dissuader toute intervention étrangère et à affirmer sa supériorité stratégique.

Un message clair aux Occidentaux

Les exercices militaires russes sont perçus comme un signal fort envoyé aux pays occidentaux. Le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré que ces manœuvres visent à rappeler aux Occidentaux les risques stratégiques qu’ils génèrent par leurs actions et leurs conséquences potentielles. Ce message est destiné à dissuader toute aide militaire accrue à l’Ukraine et à mettre en garde contre les implications d’un soutien occidental dans le conflit.

Depuis le début de l’invasion de l’Ukraine, Vladimir Poutine alterne entre des déclarations de force et des propositions de dialogue, créant une atmosphère de tension constante autour de la question nucléaire. En exhibant son arsenal tactique, la Russie cherche à maintenir une pression constante sur ses adversaires et à montrer qu’elle est prête à utiliser tous les moyens nécessaires pour atteindre ses objectifs.

Les réactions de la communauté internationale

La communauté internationale a réagi avec une inquiétude croissante face à ces exercices militaires. Les pays occidentaux, en particulier, voient ces manœuvres comme une escalade dangereuse et une démonstration de force inquiétante. Les experts en sécurité et les analystes militaires surveillent de près ces développements, craignant que cette démonstration de puissance puisse conduire à une intensification du conflit en Ukraine et à une instabilité accrue dans la région.

Les États-Unis et l’Union européenne ont appelé à la retenue et à la désescalade, soulignant l’importance de solutions diplomatiques. Ils continuent de soutenir l’Ukraine tout en cherchant à éviter une confrontation directe avec la Russie. La communauté internationale reste vigilante, cherchant à prévenir une crise nucléaire tout en faisant face aux défis posés par l’agressivité militaire russe.


Jean-Baptiste Leroux
Jean-Baptiste Le Roux est journaliste. Il travaille également pour Radio Notre Dame, en charge du site web. Il a travaillé pour Jalons, Causeur et Valeurs Actuelles avec Basile de Koch avant de rejoindre Economie Matin, à sa création, en mai 2012. Il est diplômé de l’Institut européen de journalisme (IEJ) et membre de l’Association des Journalistes de Défense. Il publie de temps en temps dans la presse économique spécialisée.

Le nucléaire britannique à la recherche de financements

Le nucléaire britannique à la recherche de financements

par Baudouin de Petiville – Revue Conflits – publié le 4 juin 2024

https://www.revueconflits.com/le-nucleaire-britannique-a-la-recherche-de-financements/


Alors que la guerre fait rage en Ukraine, le Royaume-Uni ambitionne d’assurer son indépendance énergétique par un mix décarboné et donc…  nucléarisé. Principal défi pour concrétiser cette stratégie, la mobilisation des financements avec la possibilité de se tourner vers les Émirats arabes unis.

Le gouvernement britannique vise à produire 95 % d’électricité décarbonée d’ici 2030. Pour y parvenir, il conçoit un mix électrique combinant éolien offshore (y compris l’éolien flottant), baisse des coûts du gaz, investissements dans l’hydrogène et nouvelles unités nucléaires.

Le Royaume-Uni ambitionne ainsi de redevenir un leader de l’atome, avec un objectif de 25 % d’énergie nucléaire dans son mix énergétique d’ici 2050. Malgré la fermeture imminente de cinq de ses six centrales le Royaume-Uni planifie maintenant de tripler sa capacité nucléaire à l’horizon 2050. A cette date, le gouvernement vise 24 GW de capacité installée. Un objectif ambitieux qui impliquera la construction de plusieurs réacteurs nucléaires pour un quasi-renouvellement de son parc.  Toutefois les deux projets de centrales en cours et menées par EDF rencontrent des difficultés liées aux financements. La porte de sortie pourrait être une solution externe apportée par les Émirats.

Les mésaventures d’EDF

Mais comment le Royaume-Unis en est venu à une situation paradoxale ? Les mésaventures nucléaires britanniques commencent lorsque EDF remporte l’appel d’offre pour diriger l’installation des tranches deSizewell C et d’Hinkley Point, les seuls contrats en cours dans le pays. Critiquée en France, EDF demeure un électricien de rang mondial et qui dispose expérience reconnue dans le domaine nucléaire. Raison pour laquelle le groupe a remporté plusieurs contrats en Europe, notamment face à l’entreprise américaine Westinghouse. Problème, les obstacles rencontrées sur ses chantiers en Angleterre et sur l’EPR de Flamanville ont ternis cette réputation.

C’est en 2012, qu’EDF est sélectionnée pour superviser la construction de la centrale nucléaire de Hinckley Point en Angleterre, composée de deux tranches de réacteurs de type EPR. Le budget initial était fixé à 13 milliards de livres sterling, avec un démarrage des travaux prévu pour 2017. En 2015, EDF a noué un partenariat financier avec la société chinoise CGN, EDF détenant 65,5 % des parts et CGN 33,5 %. Ce projet était alors financé exclusivement par ces deux entreprises, sans aide du gouvernement.

Au fil des années, les coûts du projet ont grimpé et la date de début de la construction a été repoussée à plusieurs reprises. En 2016, le coût du projet était réévalué à 18 milliards de livres, puis à 25 milliards en mai 2022, et enfin à 32,7 milliards en janvier 2023. En France, des critiques ont été formulées à l’encontre du partenaire chinois, accusé de ne pas prendre en charge les surcoûts engendrés par les retards de construction. Initialement, EDF devait investir 4 milliards de livres par an, mais cette somme a augmenté à 5 milliards, laissant EDF seul face à un risque financier croissant. Le coût du projet a ainsi augmenté de 72 % à 89 %.

Le projet a également accumulé quatre ans de retard, repoussant sa mise en service prévue entre 2029 et 2031. La pandémie de Covid-19 a aussi joué un rôle dans ces retards et surcoûts. Aujourd’hui, EDF supporte seul ces dépenses supplémentaires, CGN ayant décidé de ne plus participer au financement tout en restant actionnaire. EDF est donc en quête de nouveaux partenaires pour soutenir ce projet colossal.

Financements privés

L’Angleterre n’est cependant pas arrivé au bout de ses peines, puisque c’est désormais Sizewell C, dont la construction n’a même pas encore commencé, qui connait des difficultés. Seulement, cette fois-ci, elles ne sont pas imputables à EDF. Initialement, le financement devait être assuré par le consortium, mais en 2020, GCN s’est retiré du projet, obligeant le gouvernement de sa Majesté à prendre une participation de 50 % et à assumer le financement du projet. En janvier dernier, le gouvernement britannique a injecté 1,3 milliard de livres sterling pour maintenir le projet à flot. Pour 2023, EDF a déclaré que sa part dans le projet ne dépasserait pas 20 %.

Face à l’ampleur des coûts, le gouvernement cherche à attirer des investisseurs privés pour partager le fardeau financier. Un programme de financement récent permet de poursuivre les travaux en attendant une décision finale sur l’investissement, prévue pour plus tard dans l’année. En septembre 2023, un appel a été lancé aux investisseurs potentiels pour préparer un processus d’appel d’offres, avec l’espoir de boucler la levée de fonds en 2024. Des investisseurs comme l’Universities Superannuation Scheme, Amber Infrastructure, Equitix, et Schroders Greencoat ont déjà manifesté leur intérêt. Toutefois, seulement deux entreprises ont été sélectionnées pour la deuxième phase de l’appel d’offres : Centrica, le plus grand fournisseur d’énergie du Royaume-Uni, et Emirates Nuclear Energy Corporation (ENEC), l’entreprise publique nucléaire des Émirats Arabes Unis.

La piste émiratie

Si la participation de Centrica n’est pas surprenante – l’entreprise détient déjà une participation de 20 % dans les cinq centrales nucléaires opérationnelles du Royaume-Uni – celle d’ENEC est plus inhabituelle. En 2023, The Guardian rapportait que le gouvernement avait approché Mubadala, le fonds d’Abu Dhabi géré par le cheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan, propriétaire du club de football Manchester City, pour financer le projet. Par ailleurs, l’offre émiratie s’est révélée plus compétitive que celle de l’entreprise britannique.

Cependant, cette offre reflète une stratégie mise en place depuis plusieurs années qui dépasse les frontières des Émirats. En effet, ENEC est le principal sponsor de la centrale nucléaire de Barakah à Abu Dhabi, d’une capacité de 5,6 GW, qui peut fournir jusqu’à 25 % des besoins en électricité des Émirats arabes unis. Ce projet a été la première centrale nucléaire du monde arabe et les Émirats ont été le premier pays de la région à s’engager dans l’énergie nucléaire. En 2009, le pays a adopté un plan de développement durable comprenant un volet nucléaire. Aujourd’hui, les Émirats arabes unis sont un des leaders de la région du Golfe dans sa politique de diversification énergétique. Alors que le Koweït a abandonné son projet nucléaire, l’Arabie saoudite l’a lancé tardivement, en 2018, avec une mise en service prévue pour 2036.

En participant à cet appel d’offres, les Émirats poursuivent leur stratégie de diversification des ressources. Par ailleurs, lors de la COP de Dubaï, plusieurs pays ont signé un accord pour renforcer leurs capacités dans le domaine nucléaire. Dans cette logique, l’ambition de l’ENEC est de devenir une entreprise internationale d’énergie nucléaire, détenant des participations minoritaires dans les infrastructures d’énergie nucléaire d’autres nations, sans les gérer ni les exploiter. Son soutien financier pourrait aider le Royaume-Uni, qui connaît des difficultés dans ses projets nucléaires, comme un premier pas vers le développement et l’exportation de compétences pour d’autres programmes étrangers.

Les États-Unis installent des missiles à moyenne portée aux Philippines

Les États-Unis installent des missiles à moyenne portée aux Philippines

par Alex Wang – Revue Conflits – publié le 2 mai 2024

https://www.revueconflits.com/les-etats-unis-installent-des-missiles-a-moyenne-portee-a-philippines/


Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée aux Philippines en invoquant des exercices conjoints. Cette initiative, la première du genre dans la région indopacifique, est perçue comme provocatrice et irresponsable par de nombreux pays locaux. Elle pourrait aggraver les tensions dans une région déjà très instable, à moins qu’il ne s’agisse d’une action délibérée.

Les États-Unis ont récemment déployé le système de missiles terrestres à moyenne portée (MRC : Mid Range Capability), également appelé système Typhon, aux Philippines pendant un exercice militaire conjoint.

Un geste perçu comme provocateur et irresponsable

Le système Typhon est équipé du missile Standard Missile 6 (SM-6), à tête conventionnelle ou nucléaire, capable de défense antimissile et de ciblage naval jusqu’à 370 kilomètres, ainsi que du missile d’attaque terrestre Tomahawk, avec une portée de 1 600 kilomètres. Son déploiement envoie un message clair selon lequel les États-Unis sont prêts à utiliser des armes offensives près des installations chinoises en mer de Chine méridionale, au sud de la Chine continentale, le long du détroit de Taiwan et même dans la région extrême-orientale de la Russie.

Cette action survient dans un contexte régional déjà tendu, suscitant de vives réactions, notamment de la part de la Chine, qui s’est opposée fermement à cette installation devant sa porte, sachant que la distance entre Luçon et la province du Hainan, terre chinoise la plus proche, est à près de 900 km. Le déploiement du système Typhon soulève des préoccupations quant à l’escalade des tensions et à la possibilité de conflits dans cette région stratégique.

Tout cela nous fait penser tout de suite à la crise des missiles de Cuba.

L’antécédent de la crise des missiles de Cuba

La crise des missiles de Cuba, également connue sous le nom de crise de Cuba, a eu lieu en octobre 1962 et a été l’un des moments les plus tendus de la guerre froide. Elle a été déclenchée lorsque les États-Unis ont découvert que l’Union soviétique déployait des missiles nucléaires à Cuba, à seulement 160 km des côtes américaines.

Cette découverte a provoqué une confrontation intense entre les États-Unis et l’Union soviétique, menaçant de déclencher une guerre nucléaire. Pendant plusieurs jours, le monde a retenu son souffle alors que les deux superpuissances se faisaient face. Les États-Unis ont imposé un blocus naval autour de Cuba pour empêcher d’autres livraisons d’armes, et le président américain de l’époque, John F. Kennedy, a exigé le retrait des missiles soviétiques de Cuba.

Finalement, après des négociations intenses entre Kennedy et le dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev, un accord a été conclu. L’Union soviétique a accepté de retirer ses missiles de Cuba en échange de la promesse des États-Unis de ne pas envahir Cuba et de retirer leurs missiles de Turquie, armés de têtes nucléaires. Leur présence en Turquie était considérée comme une provocation par l’Union soviétique, car ils étaient à portée de frappe de certaines régions soviétiques.

Cet épisode a été considéré comme un moment crucial de la guerre froide, soulignant à quel point les tensions entre les deux superpuissances pouvaient être dangereuses et les conséquences catastrophiques d’un conflit nucléaire.

Allons-nous revivre une crise similaire ? Est-ce un accident ou une stratégie délibérée ?

Une stratégie des cercles de feu

Le Centre for Strategic and Budgetary Assessments (CBA) a publié en 2022 une étude détaillée intitulée : « Cercles de feu : une stratégie de missiles conventionnels pour un monde post-traité INF » (Rings of fire : A Conventional Missile Strategy For A Post-INF Treaty World).

Les figues 3 et 4 de ce rapport (Cf. ci-dessous) montrent très clairement que les cercles de feu font partie intégrante d’une stratégie américaine en Indo-Pacifique, avec la Chine comme cible, et en Europe, visant la Russie.

  

FIGURE 3 (gauche) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE INDO-PACIFIQUE

FIGURE 4 (droit) : LES TROIS ANNEAUX DU THÉÂTRE EUROPÉEN

Le déploiement à Philippines est donc un test de cette stratégie, en utilisant la tactique du Fait accompli.

L’impact sur l’équilibre géopolitique de la région

Les États-Unis cherchent à empêcher la Chine de gagner du terrain dans le Pacifique en établissant, avec ses alliés, des bases militaires à proximité de ses frontières. L’introduction de missiles à moyenne portée marque une évolution significative dans cette stratégie.

La stratégie des chaînes d’îles, également connue sous le nom de « containment » maritime, fait partie de son approche. Cela fait référence à la méthode de défense employée par les États-Unis et leurs alliés pour empêcher la Chine de sortir vers le Pacifique. Dans cette stratégie, les États-Unis et leurs partenaires cherchent à maintenir une présence navale importante dans les eaux stratégiques de la région.

Les États-Unis utilisent également des alliances et des partenariats régionaux pour renforcer cette stratégie. Par exemple, des exercices militaires conjoints sont régulièrement organisés avec des pays comme le Japon, les Philippines et l’Australie pour renforcer la coopération en matière de sécurité, sous prétexte de garantir la stabilité de la région.

Cette dynamique entre les États-Unis et la Chine dans la région Asie-Pacifique reste l’un des points chauds de la géopolitique mondiale, avec des implications importantes pour la sécurité régionale et la stabilité économique. La Chine, de son côté, considère cette stratégie comme une tentative d’endiguer son ascension en tant que puissance régionale et mondiale. Elle a régulièrement appelé à des négociations bilatérales pour résoudre les différends maritimes.

On a beaucoup de mal à croire que l’installation des missiles à moyenne portée capable de porter des têtes nucléaires devant la porte de la Chine vise à garantir la stabilité de la région.

Les missiles à moyenne portée américains déployés aux Philippines pourraient aussi potentiellement menacer les installations militaires russes dans l’Extrême-Orient, y compris des villes comme Vladivostok, en fonction de leur portée et de leur capacité à atteindre ces cibles. Le déploiement de tels missiles et leur utilisation éventuelle dans une région aussi sensible auraient des implications stratégiques majeures et pourraient rapidement intensifier également les tensions entre les États-Unis et la Russie, ainsi que perturber davantage l’équilibre géopolitique de la région.

Dans un contexte de relations tendues entre les États-Unis et la Russie, tout mouvement visant à déployer des missiles américains à sa proximité est perçu comme une provocation par la Russie, et cela pourrait entraîner des réponses militaires ou diplomatiques de la part de Moscou.

Une série d’escalades possibles ?

L’installation des missiles à moyenne portée aux Philippines a déclenché des réactions importantes de la part de la Chine et de la Russie, en raison de leurs propres intérêts géopolitiques dans la région.

La Chine considère le déploiement de missiles américains aux Philippines comme une provocation directe et une menace pour sa sécurité nationale. La Chine peut intensifier ses activités militaires dans la région pour contrebalancer la présence américaine, ce qui pourrait inclure le déploiement de ses propres missiles et d’autres systèmes de défense, ainsi que des démonstrations de force navale.

Lors d’une conférence de presse régulière la semaine dernière, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Lin Jian, a accusé les États-Unis de chercher à obtenir un « avantage militaire unilatéral » et a souligné l’opposition vigoureuse de la Chine au déploiement. Il a appelé les États-Unis à prendre sincèrement en compte les préoccupations sécuritaires des autres pays, à cesser de nourrir les confrontations militaires, à cesser de compromettre la paix et la stabilité régionales, et à prendre des mesures tangibles pour réduire les risques stratégiques.

Les actions concrètes suivent les paroles. Un drone du type WZ-7 chinois, capable des longues heures de vol, a été envoyé immédiatement à la proximité de 55 km des Philippines. Il se peut également que l’Armée populaire de Libération (APL) renforce davantage ses forces en mer de Chine méridionale, notamment près des Philippines.

La Russie a perçu également ce geste américain comme une menace pour ses propres intérêts régionaux, en particulier en ce qui concerne ses bases militaires dans l’Extrême-Orient russe. Ils peuvent répondre en renforçant sa présence militaire dans la région, en augmentant le déploiement de forces navales et aériennes, ainsi qu’en renforçant les défenses antiaériennes et antimissiles autour de Vladivostok. La Russie peut chercher à renforcer sa coopération stratégique avec la Chine et d’autres acteurs régionaux pour contrer l’influence américaine.

Le vice-ministre des Affaires étrangères russe Sergey Ryabkof a déclaré très récemment

« Comme cela a été récemment discuté lors de la visite du ministre russe des Affaires étrangères [Sergueï Lavrov] à Pékin, nous devons répondre au double confinement par une double contre-mesure. L’un des points de cette contre-attaque sera sans aucun doute une révision de notre approche du moratoire unilatéral sur le déploiement de tels systèmes annoncés en 2018 par notre président [Vladimir Poutine] »» Le message est très clair.

Washington devrait considérer que certaines opérations ou installations militaires de leurs concurrents pourraient également être situées à proximité géographique des États-Unis comme dans le cas de la crise de Cuba. Une série d’escalades est tout à fait possible.

Il ne faudrait pas jouer avec le feu

Dans un contexte géopolitique aussi complexe, même une présence temporaire de missiles à moyenne portée aux Philippines entraînerait des conséquences significatives pour la sécurité et la stabilité régionales.

Selon certains généraux, l’Armée américaine va installer, cette année, de nouveaux missiles à moyenne portée dans l’Asie-Pacifique. Les États-Unis doivent se rendre compte de l’impact de ses actions provocatrices et y réfléchir sérieusement quant à la suite des événements.

Il est essentiel pour tous les acteurs de trouver rapidement une solution pour apaiser cette source de tension dans la région. Il est préférable de ne pas prendre de risques inutiles en jouant avec le feu.

Admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin

Admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin


Le jeudi 4 avril 2024, l’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, a prononcé l’admission au service actif du sous-marin nucléaire d’attaque (SNA) Duguay-Trouin. Il est le second de la série de six SNA de type Suffren qui remplaceront l’intégralité des SNA de type Rubis à l’horizon 2030.

L’admission au service actif est prononcée après des phases d’essais à la mer débutées en mars 2023. Ces phases de Vérification des caractéristiques militaires (VCM) permettent aux équipages de tester les performances, l’endurance du bâtiment ainsi que la conformité des équipements aux spécifications demandées.

Durant ses essais, le Duguay-Trouin a navigué en eaux froides comme en eaux chaudes, avec une escale à Fort-de-France en mars 2024 ; une première pour un SNA de type Suffren. Il sera désormais déployé en opérations.

Le SNA Duguay-Trouin, à l’instar du premier de série, le SNA Suffren, assurera les mêmes missions que les SNA de type Rubis, avec des capacités supérieures. Il dispose en particulier d’une capacité de frappe contre terre avec le Missile de croisière naval (MdCN) et d’une capacité de mise en œuvre des forces spéciales par un sas nageurs et par son hangar de pont.

Les forces sous-marines et la force océanique stratégique 

  • Les forces sous-marines françaises sont composées de 3 200 marins. Elles disposent de 10 sous-marins nucléaires : 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et 4 sous-marins nucléaires lanceur d’engins (SNLE).
  • Chaque sous-marin est armé par 2 équipages (bleu et rouge) qui se succèdent à bord. Le métier de sous-marinier est un métier hors norme, de haut niveau, nécessitant exigence et une grande rigueur au quotidien.
  • Depuis 1972, au moins un SNLE est en mer pour assurer, n’importe où dans les mers et océans du globe, la permanence à la mer de la dissuasion nucléaire.
  • Les SNA, eux, constituent une composante essentielle des forces armées françaises. Ils sont à la fois des navires de combat et des instruments de puissance. La possession de SNA confère à la Marine nationale des capacités permettant d’appuyer l’efficacité opérationnelle (en termes d’endurance, de discrétion et de performance).
  • Les SNA ont 4 grandes missions : soutien à la dissuasion nucléaire (notamment blanchiment de zone lors des départs des SNLE) ; protection d’une force aéronavale (notamment lors des déploiements du porte-avions) ; connaissance-anticipation et intervention (frappe dans la profondeur et mise en œuvre de forces spéciales).

Les sous-marins constituent une capacité clef de la Défense française.

Marine & Océans

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La revue trimestrielle « Marine & Océans » a pour objectif de sensibiliser le grand public aux grands enjeux des mers et des océans. Informer et expliquer sont les maîtres mots des contenus proposés destinés à favoriser la compréhension d’un milieu fragile. Même si plus de 90% des échanges se font par voies maritimes, les mers et les océans ne sont pas dédiés qu’aux échanges. Les ressources qu’ils recèlent sont à l’origine de nouvelles ambitions et peut-être demain de nouvelles confrontations.