Si la Marine nationale est généralement très discrète sur les mouvements de ses quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins [SNLE] autour de la base navale de l’Île-Longue [Finistère], la Royal Navy semble avoir des règles plus souples en matière de sécurité opérationnelle [SECOPS], alors que la dissuasion britannique repose exclusivement sur une composante océanique depuis 1998.
Ainsi, le 11 septembre, l’un des quatre SNLE de type Vanguard mis en œuvre par la Royal Navy a pu être photographié quasiment sous toutes ses coutures au moment de son retour à la base navale de Faslane [encore appelée HMNS Clyde], en Écosse. Diffusés sur les réseaux sociaux, notamment X/Twitter, ces clichés sont susceptibles de livrer quelques indices sur la patrouille que vient d’effectuer ce sous-marin.
D’abord, on voit que sa coque est entièrement recouverte d’une teinte brunâtre, due à une accumulation d’organismes marins [balanes, algues, bactéries, etc.]. Si un tel phénomène, appelé « bio-encrassement » [ou biofouling], se manifeste dès qu’une surface est immergée dans l’eau de mer, l’état du bateau suggère que sa mission a été plus longue qu’à l’accoutumé.
Ainsi, le site spécialisé britannique Navy Lookout estime que ce sous-marin a passé au moins six mois en mer… alors que, en moyenne, une patrouille de SNLE dure généralement entre trois et quatre mois.
Par ailleurs, et outre l’encrassement de sa coque, on constate que le sous-marin de la Royal Navy a perdu un nombre assez important de tuiles anéchoïques, lequelles permettent d’absorber les ondes d’un sonar et d’atténuer les sons émis à bord. Et les espaces manquants laissent entrevoir de la rouille.
Évidemment, un revêtement anéchoïque dégradé et une coque encrassée ne peuvent qu’altérer la furtivité d’un sous-marin…
Cela étant, l’état de ce SNLE donne des indications sur sa zone de patrouille. Via X/Twitter, un ancien officier de la Royal Navy a affirmé que le sous-marin avait navigué dans des « eaux chaudes » et « peu profondes » [sans doute près d’un littoral] à « très basse vitesse ».
Quoi qu’il en soit, depuis au moins 2022, la marine britannique a allongé la durée de patrouille de ses SNLE. C’est en effet ce qu’avait révélé la plateforme de journalisme d’investigation The Ferret, en décembre dernier.
En 2022, « les observations effectuées à la base […] de Faslane suggèrent que deux sous-marins armés de missiles Trident ont chacun patrouillé pendant 157 jours, l’un de janvier à juin et l’autre de mai à novembre », avait-elle en effet avancé.
S’il est possible de relever l’équipage d’un sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] engagé pour une mission de longue durée, cela semble plus « hasardeux » pour un SNLE, dont rien ne doit trahir la position.
Ancien commandant d’un SNLE de la Royal Navy, le capitaine de vaisseau Rob Forsyth avait confié à The Ferret que des patrouilles aussi longues n’étaient pas sans conséquences sur le moral des sous-mariniers… et qu’elles pouvaient même constituer une « menace directe pour la sécurité nucléaire » à cause d’une « routine immuable » conduisant à une « baisse inévitable des normes ».
Ces dernieres années, et étant donné qu’elle doit maintenir un SNLE en permanence en mer afin de garantir la crédibilité de la dissuasion britannique, la Royal Navy n’a guère eu d’autre choix d’augmenter la durée des patrouilles… puisqu’elle n’a pu récupérer le HMS Vanguard qu’en juillet 2022, au bout d’une Indisponibilité périodique pour entretien et réparation [IPER] de… sept ans.
Pour un rappel, affichant une masse de 15’700 tonnes en plongée, pour une longueur 149,9 mètres et un maître-bau de 12,8 mètres, les SNLE de la classe Vanguard disposent chacun de 16 missiles balistiques stratégiques Trident D5.
Des documents fraîchement déclassifiés exposent les fausses déclarations du général Leslie Groves, chef du projet Manhattan, quant à la dangerosité des radiations nucléaires.
Le laboratoire national de Los Alamos (Nouveau-Mexique) et le général Leslie Groves (au centre), chef du projet Manhattan, décernent une récompense au physicien Robert Oppenheimer à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. | Ministère de l’Énergie des États-Unis via Wikimedia Commons
Ces documents montrent également que certains scientifiques impliqués dans le projet, dont le physicien J. Robert Oppenheimer, directeur du laboratoire de Los Alamos (Nouveau-Mexique), où la bombe atomique a été testée pour la première fois, ont passé sous silence le mensonge de Leslie Groves au lieu de le contester ou de l’affronter directement.
Les documents dissimulés –les derniers d’une série de pièces classées secret et top secret sur la bombe A, obtenues au fil des années par la National Security Archive, une association de recherches privée de l’université George-Washington– ont été publiés lundi 7 août, au moment du 78e anniversaire des bombardements de Hiroshima et Nagasaki et dans le sillage de la sortie d’Oppenheimer, film à l’immense succès (mérité) qui a déjà encaissé 565 millions de dollars depuis son arrivée en salles le 19 juillet.
Déclarations hâtives
Un des nouveaux documents obtenus par les archives est un mémo rédigé par quatre scientifiques, intitulé «Effets biologiques calculés de l’explosion atomique à Hiroshima et Nagasaki», daté du 1er septembre 1945 (les bombes ont été lancées les 6 et 9 août de la même année). Jusqu’à la rédaction de ce mémo, il était admis que les victimes de la bombe A avaient été tuées par son souffle et sa chaleur. Mais ce document conclut qu’au moins un certain nombre des morts ont été causées par des retombées radioactives, des jours ou des semaines après les explosions.
Pourtant, trois jours avant la publication du mémo (le 29 août), lors d’une conférence de presse à Oak Ridge (l’un des sites décisionnels du projet Manhattan, dans le Tennessee), Leslie Groves déclara que les radiations n’avaient tué personne et que les affirmations du contraire –dont certaines avaient été publiées dans des journaux asiatiques– relevaient de la «propagande». Dans un mémo destiné à Robert Oppenheimer, George Kistiakowsky, le scientifique de Los Alamos qui avait coordonné le rapport biologique, écrivit que Leslie Groves «s’était mouillé jusqu’au cou» et qu’il hésitait donc à lui transmettre le document.
Même à ce moment-là, on en savait assez sur la contamination par les radiations pour inciter Leslie Groves à cesser de réfuter si fermement les affirmations à ce sujet. Les documents d’archives montrent que dès avril 1945, soit trois mois avant le premier essai de la bombe atomique au Nouveau-Mexique, les experts médicaux du projet Manhattan avaient mis en garde contre la possibilité d’un «nuage» toxique, susceptible de répandre de la «poussière radioactive» dans un périmètre étendu, «plusieurs heures après la détonation».
Certains avaient pressé Leslie Groves d’évacuer la zone autour du site d’essai, ce à quoi il avait résisté pour ne pas attirer l’attention des médias. Un scientifique se souviendra des années plus tard que Leslie Groves avait «dédaigné» cet avertissement et répondu: «C‘est quoi votre problème, vous faites de la propagande pour Hearst?» À l’époque, Hearst était le principal groupe de journaux, spécialisé dans la presse à sensations.
Sous-estimations et méconnaissance des effets
Le 21 juillet 1945, cinq jours après le premier essai de la bombe atomique (baptisé Trinity), Stafford L. Warren, responsable médical du projet Manhattan, écrivit à Leslie Groves que «les retombées de poussière des diverses parties du nuage présentaient potentiellement un danger très grave sur une bande de presque 45 kilomètres de large qui s’étend à près de 150 kilomètres au nord-est du site», ajoutant qu’il y avait encore «une quantité gigantesque de poussière radioactive qui flotte dans l’air». De récentes études réalisées à l’aide de modèles informatiques suggèrent que la radioactivité de l’essai nucléaire Trinity s’est étendue beaucoup plus loin, qu’elle a affecté quarante-six États et certaines zones du Mexique et du Canada.
Pourtant, Leslie Groves est passé outre les découvertes de Stafford L. Warren. Le 30 juillet 1945, dans un mémo sur les effets probables d’une bombe atomique larguée sur le Japon, il écrit au général George Marshall, chef d’état-major de l’armée américaine: «Aucun effet nuisible par des matériaux radioactifs n’est prévu au sol.» Phrase écrite de façon fallacieuse: à l’époque, peu de gens pensaient qu’il y aurait beaucoup de retombées qui s’attarderaient «au sol», mais il était tout à fait connu qu’elles pourraient tomber en pluie du ciel et se disperser dans l’air potentiellement respiré ou absorbé par les humains.
Avant le largage des bombes atomiques au Japon, les scientifiques pensaient que le souffle et la chaleur en seraient les principaux effets.
Il apparaît clairement, dans un extrait de son journal daté du 25 août 1945, que Leslie Groves est conscient de ce risque: il demande s’il est sans danger d’inviter la presse à venir visiter le site de l’essai nucléaire (et ce, plus de deux mois après le premier test). Un des scientifiques lui répond que cela «ne serait pas tellement sûr» si les journalistes se tiennent à trente mètres de l’endroit où la bombe a explosé. Les journalistes viennent le 11 septembre 1945 et reçoivent des «surchaussures blanches» pour se protéger d’éventuelles radiations.
Il est possible que, même à ce stade, Leslie Groves n’ait simplement pas cru au pire concernant les radiations. Le jour même où il évoque dans son journal la possibilité d’inviter des journalistes, il a une conversation téléphonique avec un autre officier d’Oak Ridge au sujet d’émissions de radio japonaises qui signalent des cas de maladies des rayons. Leslie Groves affirme qu’il s’agit de «propagande» et que les maladies sont plus probablement dues à de «bonnes brûlures thermiques».
Pourtant, il envoie une équipe d’inspecteurs dans les deux villes nippones bombardées pour déterminer l’impact de la radioactivité. Il écrit au général George C. Marshall, chef de l’état-major de l’armée de terre des États-Unis, que les victimes de radiations sont «peu probables» mais que les «faits» doivent être établis.
C’est logique. Avant le largage des bombes au Japon, la plupart des scientifiques pensaient que le souffle et la chaleur en seraient les principaux effets. Les radiations seraient de l’ordre du détail; quiconque recevrait une dose mortelle de radiations serait assez proche de l’explosion pour mourir soit à cause du souffle, soit de la chaleur. Cependant, comme il fut découvert plus tard, les «effets secondaires» de la bombe A –radiations, fumée, feu en particulier– pouvaient, dans certaines circonstances, s’étendre encore plus loin que les effets du souffle et de la chaleur.
Dès le rapport des premiers inspecteurs –celui que George Kistiakowsky commence par ne pas montrer à Leslie Groves avant, finalement, de le lui transmettre– on trouve l’évocation de «survivants anormaux» à l’intérieur du rayon de l’explosion, morts ensuite à cause de maladies dues aux radiations.
Mensonges face à une commission sénatoriale
Le 27 novembre 1945, des mois après la rédaction du mémo sur les effets biologiques des explosions atomiques à Hiroshima et Nagasaki, Stafford L. Warren écrit de nouveau à Leslie Groves avec des preuves encore plus irréfutables. Des quelque 4.000 patients admis dans les hôpitaux de Hiroshima et Nagasaki, écrit-il, «1.300, soit 33%, ont montré des effets des radiations et, sur ce nombre, à peu près la moitié sont morts».
Pourtant, trois jours plus tard, dans le cadre d’un témoignage devant la commission spéciale du Sénat sur l’énergie atomique, lorsque l’on demande à Leslie Groves s’il existe des «résidus atomiques» dans les deux villes japonaises bombardées, Leslie Groves répond: «Aucun. Et c’est un “aucun” très positif.» Leslie Groves poursuit et affirme que personne, dans aucune des deux villes, n’a souffert de blessures dues aux radiations, «excepté au moment où la bombe a explosé». Il ajoute qu’«il faudrait vraiment un accident pour que… une personne lambda, à portée de la bombe, soit tuée par les effets radioactifs».
Enfin, dans un commentaire qui achèvera de faire sa réputation auprès de ses détracteurs, Leslie Groves affirmera que les victimes irradiées qui ne sont pas mortes sur le coup, mais après un certain laps de temps, meurent «sans souffrance excessive. En fait, il paraît que c’est une mort très agréable.»
Leslie Groves a écarté, minimisé puis nié les rapports traitant de la maladie des rayons radioactifs, parce qu’à l’instar de nombreuses personnes à l’époque, il pensait que les armes nucléaires seraient la pièce maîtresse de la politique de défense des États-Unis (ce qui sera en effet le cas pendant les décennies suivantes) et que le public américain se retournerait contre elles si elles étaient assimilées à une arme telle que les gaz toxiques, et par conséquent considérées comme inacceptables moralement.
À cette époque, Robert Oppenheimer venait de quitter Los Alamos, mais il siégeait encore dans certains comités consultatifs du gouvernement. Comme beaucoup de scientifiques, il avait sous-estimé les effets des radiations, mais il était désormais tout à fait au courant des études des inspecteurs et des faux commentaires de Leslie Groves.Salué comme «le père de la bombe atomique», il avait l’impression d’avoir du sang sur les mains, comme il l’avoua notoirement au président Harry Truman. Mais il ne pipa mot sur les mensonges de Leslie Groves –en tout cas, pas en public.
D’autres, en revanche, ne tinrent pas leur langue. Le 6 décembre 1945, une semaine après le témoignage de Leslie Groves, Philip Morrison, un scientifique du projet Manhattan membre de l’équipe qui avait supervisé les dégâts de la bombe atomique au Japon, témoigna devant la même commission du Sénat et cita les faits concernant les radiations, contredisant directement les assurances désinvoltes de Leslie Groves.
Philip Morrison deviendra professeur de physique au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et activiste dans la communauté de scientifiques –dont un bon nombre étaient des vétérans du projet Manhattan– prônant le contrôle des armes nucléaires et le désarmement. Peut-être, un jour, son histoire fera-t-elle l’objet d’une adaptation au cinéma.
“La France dépend faiblement de l’uranium du Niger”, déclare Étienne Giros, président du Cian
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INTERVIEW – Avec le coup d’État au Niger, la France subit un revers important d’un point de vue stratégique et militaire dans la région du Sahel. L’évacuation des ressortissants français va débuter dès le 1er août. Quels sont les intérêts économiques des entreprises tricolores dans le pays ? Entretien avec Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian), une organisation patronale qui rassemble les sociétés françaises présentes dans le continent africain.
Capital : Quels sont les intérêts économiques de la France au Niger ?
Étienne Giros, président du Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) : L’importance du Niger est très largement stratégique, politique et militaire avant d’être économique. Le Niger est l’un des pays les plus pauvres au monde. Il est classé 189e sur 191 en indice de développement humain. Mais la présence économique française au Niger n’est pas négligeable. Il y a 50 à 60 entreprises françaises implantées au Niger dans des secteurs variés : BTP, transport et logistique, alimentation, télécoms… On y retrouve des filiales de Vinci, TotalÉnergies et CFAO. Et comme le Niger est un pays enclavé, les marchandises transitent par des ports comme celui de Lomé au Togo ou d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Tout cela représente un trafic important pour l’économie française. À travers AGL (ex-Bolloré Africa Logistics), la France est fortement engagée dans le commerce maritime en Afrique.
À quel point ces activités sont importantes pour la France ?
Le montant des échanges commerciaux entre la France et le Niger s’élève environ à 260 millions d’euros. Mais ce n’est pas parce que le pays est petit qu’il n’y a pas de potentiel. Au moment de son indépendance, en 1958, le Niger comptait 3 millions d’habitants. Aujourd’hui, le pays dispose d’une population très jeune de 25 millions d’habitants en croissance continue. En 2050, elle devrait passer à 70 millions puis à 100 millions à la fin du siècle. C’est l’un des pays du monde qui a la plus grande natalité. Ce sont autant de personnes à nourrir, à vêtir et à éduquer.
Le Niger est le cinquième producteur mondial d’uranium. Ils produisent 5 à 6 % de l’uranium mondial et 20 à 35 % de l’uranium français viennent du Niger. Le groupe français Orano (ex-Areva) exploite des mines sur place. Mais la France dépend faiblement de l’uranium du Niger. Elle dispose de stocks importants et elle peut compter sur une dizaine de pays fournisseurs, notamment l’Australie, le Kazakhstan et l’Ouzbékistan.
Selon certains experts, nous sommes en train d’assister à une érosion du postcolonialisme de la France en Afrique d’un point de vue militaire. Qu’en est-il d’un point de vue économique ?
Contrairement à une idée reçue, la France ne perd pas pied en Afrique sur le plan économique. Les échanges commerciaux sont en croissance tout comme le nombre d’entreprises françaises présentes. Mais depuis 25 ans, l’Afrique s’est ouverte au monde et elle est entrée dans la mondialisation. De nouveaux acteurs importants sont arrivés de Chine, de Turquie, d’Inde et du Moyen-Orient. Donc la France a perdu des parts de marché même si ses activités ont progressé en Afrique. En termes d’investissements directs, la France est deuxième en Afrique derrière le Royaume-Uni. Nous restons devant la Chine et les États-Unis.
Mais l’instabilité politique en Afrique pourrait-elle changer la donner ?
C’est le cinquième coup d’État dans le Sahel en deux ans, après les deux coups au Mali, celui au Burkina Faso et celui en Guinée. Cela s’accompagne parfois d’un sentiment anti-français cultivé par les juntes militaires et alimenté par certains pays étrangers. Mais l’Afrique a une capacité de résilience extraordinaire. Même après des crises profondes, les pays peuvent rebondir très vite. Il faut garder cet espoir.
Avec l’épisode de l’annulation du contrat de sous-marins à propulsion conventionnelle Shortfin Barracuda par l’Australie au profit de sous-marins à propulsion nucléaire américano-britanniques, les sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire ont connu, ces derniers mois, une sur-exposition médiatique relativement antinomique avec la mission par nature discrète de ces Léviathans océaniques qui constituent, aujourd’hui encore, parmi les constructions humaines les plus complexes jamais réalisées.
Aussi rapides que furtifs, les sous-marins nucléaires d’attaque oui SNA, dont les missions passent de la collecte de renseignement à la lutte anti-surface, mais également à la chasse des autres sous-marins, sont aujourd’hui l’apanage des marines des cinq grandes puissances nucléaires mondiales membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, qui se livrent une compétition féroce pour prendre l’avantage sur les autres dans ce domaine.
Dans cette synthèse, nous étudierons les cinq classes de sous-marins nucléaires d’attaque actuellement en production dans le Monde, pour en comprendre les atouts et les spécificités propres, et ainsi percevoir la lutte que se livrent, sous les océans, les grandes puissances mondiales dans ce domaine de très haute technologie.
Chine : sous-marins nucléaires d’attaque Type 09-IIIG classe Shang
Si la construction navale et sous-marine chinoise a fait des progrès fulgurants ces 30 dernières années, avec l’arrivée de navires très performants comme les croiseurs Type 055 ou les LHD Type 075, Pékin a longtemps eu la réputation de ne produire que des sous-marins de qualité médiocre au regard des standards occidentaux ou russes.
Cette mauvaise réputation a en partie été balayée par l’arrivée des sous-marins à propulsion anaérobie Type 039 des classes Song et Yuan, des navires ayant fait la démonstration de leur discrétion acoustique et de l’efficacité de leur système propulsif.
Toutefois, dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire, la production chinoise reste aujourd’hui encore en retrait vis-à-vis des navires de même type américains, russes ou français, même si les SNA de la classe Shang ont montré de réelles avancées dans le domaine.
Les SNA de la classe Shang sont les premiers sous-marins nucléaires chinoise à atteindre un niveau de qualité proche de celui des autres grandes marines mondiales
Héritiers des premiers Type 09-I de la classe Han, entrés en service au milieu des années 70 et réputés peu performants et particulièrement bruyants, les 3 premiers sous-marins de la classe Shang type 09-III sont entrés en service au début des années 2000, alors que les 3 unités suivantes de la classe Type 09-IIIG améliorée ont, quant à eux, été livrés à la Marine chinoise au cours des années 2010.
Longs de 110 mètres pour un déplacement en submersion de 7.000 tonnes, les Shang et les Shang-G améliorés, ont corrigé une partie des défauts rédhibitoires des Han de première génération, avec notamment deux réacteurs à eau pressurisée de nouvelle génération et une hélice optimisée pour réduire la signature acoustique du navire.
Selon certains spécialistes, les Shang ont désormais une signature acoustique comparable à celle des SNA de la classe Los Angeles ou Akula entrés en service dans les années 80 aux États-Unis et en Union Soviétique, avec un rayonnement sonore inférieur à 110 dB. En outre, le Shang disposerait d’une suite sonar performante en faisant un adversaire parfaitement capable aussi bien dans les missions de lutte anti-sous-marine que dans la lutte anti-surface.
Lancée à partir de 2012, la version modernisée Type 09-IIIG dispose de silos verticaux accueillant 12 missiles de croisière CJ-10 d’une portée estimée à plus de 1.500 km, permettant au navire d’évoluer simultanément dans la classe des sous-marins nucléaires d’attaque et des sous-marins nucléaires lance-missiles de croisière, ou SSGN, à laquelle appartiennent également les Iassen russes et les Virginia de l’US Navy.
La production de Shang est aujourd’hui arrêtée, alors que les chantiers navals chinois semblent se concentrer sur la construction de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Type 09-IV, ainsi que sur la nouvelle classe de SNA désignée Type 09-V, un navire plus imposant, plus discret et mieux armé qui a pour ambition d’être à niveau des productions actuelles en occident et en Russie, avec une signature acoustique largement réduite vis-à-vis des navires de génération précédente.
Toutefois, pour l’heure, aucune information fiable n’a été communiquée concernant cette future classe de SNA chinois, ni sur le calendrier et les performances réelles de ce programme.
États-Unis : SNA classe Virginia
Au début des années 1990, l’US Navy entrepris de développer le remplaçant de l’excellent SNA classe Los Angeles qui joua un rôle déterminant durant la fin de la Guerre froide pour prendre l’ascendant sur les meilleurs submersibles soviétiques comme les Viktor III, les Alpha et les Akula. Initialement, celle-ci développa la classe Sea Wolf, un SNA à hautes performances conçu pour les missions de lutte anti-sous-marine, ou Hunter-Killer.
Mais le prix unitaire de ces navires, 2,8 Md$ au début des années 90, et la disparition de la menace soviétique, amenèrent rapidement les officiels américains à mettre au fin au programme Sea Wolf au bout de seulement 3 unités, pour se tourner vers un sous-marins plus économique et plus polyvalent, la classe Virginia.
Long de 115 mètres pour un déplacement en plongée de 7.900 tonnes, le Virginia est depuis le remplaçant désigné des Los Angeles de l’US Navy, avec 19 navires en service sur les 66 initialement prévus, pour une production finale aujourd’hui visant les 35 exemplaires.
Moins rapide que le Seawolf avec une vitesse de pointe de seulement 25 noeuds contre 35 pour son ainé, le Virginia est cependant bien plus versatile, notamment avec ses 12 silos verticaux embarquant autant de missiles de croisière Tomahawks.
L’US Navy vise à disposer de 66 SNA à horizon 2035 dont 35 navires de la classe Virginia
À l’instar des destroyers Arleigh Burke, les Virginia sont produits par block de version, ou Flight, chacun recevant des améliorations itératives vis-à-vis des précédents, tant en matière d’équipements et de performances que de méthode de construction. Ainsi, les couts de production par navire ont été abaissés de 400 m$ entre les 4 premières unités du block I et les six suivantes du block II.
Les 10 navires du Flight III dont la construction débuta en 2009 reçurent pour leur part une suite sonar améliorée, alors que les besoins de maintenance des navires du block IV furent réduits de 25% vis-à-vis des blocks précédents. La construction des deux premiers navires du block V, le plus moderne, débuta en 2019.
Ces nouvelles unités recevront notamment un nouveau système modulaire d’armement permettant de porter le nombre de missiles BGM-109 à 28 exemplaires, contre 12 pour les versions précédentes, entrainant un accroissement de la longueur des navires à 140 mètres, et du déplacement en plongée à 10.200 tonnes.
Bien que réputés très discrets et efficaces, les Virginia restent des sous-marins polyvalents ne répondant pas aux besoins émergents de l’US Navy pour traiter la menace des nouveaux submersibles chinois et surtout russes, comme les nouveaux 885M Iassen.
De fait, un nouveau programme a été lancé, désigné pour l’heure SSN(x), pour but de concevoir un sous-marin reprenant la spécialisation Hunter-Killer des SeaWolf, et devant prendre le relais de la production de Virginia à partir de 2033, date de la livraison du dernier de ces sous-marins.
Même si, avec une longueur de 99,5 mètres et un déplacement en plongée de 5,300 tonnes, ils sont presque deux fois plus imposants que leurs prédécesseurs, ils restent très en deçà des dimensions des navires russes, chinois, américains ou britanniques.
Pour autant, les Suffren sont des SNA très évolués et performants, capables de rivaliser dans tous les domaines avec les autres sous-marins du moment, que ce soit en discrétion grâce notamment à une hélice carénée de type Pump-Jet permettant au navire d’évoluer à vitesse élevée tout en restant discret, à une suite sonar UMS-3000 de Thales très performante, et à sa capacité de mettre en œuvre de nombreux armements y compris le missile de croisière MdCN, bien que le navire soit dépourvu de systèmes de lancement verticaux.
L’arrivée du Suffren au sein de la Marine Nationale marque une profonde évolution capacitaire
Le Suffren, première unité de la classe éponyme, a été livré à la Marine Nationale en novembre 2020, et devrait rejoindre le service actif au début de l’année 2022. La seconde unité, le Duguay-trouin, entrera en service en 2023, alors que les 4 dernières unités de la classe seront livrées progressivement d’ici à 2030 à la Marine Nationale pour remplacer ses derniers sous-marins de la classe Rubis.
Au-delà des performances et de la discrétion de ces submersibles, la construction de la classe Suffren aura également été particulièrement économique, avec un budget de conception de seulement 5 Md€, et une enveloppe globale de 7,9 Md€ pour la construction des 6 submersibles, moitié moins onéreuse que pour les modèles américains ou britanniques.
Contrairement aux sous-marins américains, britanniques ou russes, les SNA français de la classe Suffren sont propulsés par un réacteur à eau pressurisé K15 employant du combustible nucléaire faiblement enrichi à seulement 6,5%, soit très en deçà du seuil de 20% d’enrichissement employé par la législation internationale pour définir du combustible nucléaire de qualité militaire.
À titre de comparaison, les Virginia américains comme les Astute britanniques emploient, pour leur part, du combustible enrichi à 97%, soit le même que celui utilisé par les bombes nucléaires de très forte puissance. De fait, les Suffren sont aujourd’hui des navires pouvant plus aisément être exportés que leurs homologues américains et britanniques dans le respect de la législation internationale, raison pour laquelle plusieurs pays s’intéressent à cette possibilité.
Il est cependant nécessaire, du fait de cette technologie, de recharger tous les dix ans le combustible nucléaire à bord de ces sous-marins, contrairement aux navires britanniques et US qui eux sont conçus pour durer 30 à 35 ans avec une seule charge de carburant.
Jusqu’à l’entrée en service du Suffren, les sous-marins nucléaires d’attaque britanniques de la classe Astute étaient universellement reconnus comme les plus discrets des SNA de la planète, et en bien des aspects, les plus performants.
Longs de 97,5 mètres pour un tonnage en plongée de 7.800 tonnes, les Astute ont été conçus avant tout pour la même mission que les Seawolf, à savoir la chasse aux sous-marins adverses, et disposent de performances adaptées pour cette mission, notamment une vitesse maximale en plongée de plus de 30 nœuds.
À l’instar des Suffren français, l’Astute ne dispose pas de VLS pour lancer des missiles de croisière, mais il peut mettre en œuvre le missile BGM-109 Tomahawks par ses tubes lance-torpille. Il dispose en outre d’une vaste soute d’armement permettant d’accueillir 38 torpilles lourdes Spearfish et missiles de croisière Tomahawk, soit 13 de plus que ne peut accueillir son homologue français. Enfin, il dispose d’une suite sonar très évoluée, et d’un pump-jet pour les déplacements rapides et discrets.
Jusqu’à l’entrée en service du Suffren, les SNA de la classe Astute étaient incontestablement considérés comme les navires de ce type les plus performants du moment
Si les Astute sont incontestablement des navires de hautes performances, et des Hunter-killer très capables, leur mise au point connut de nombreuses difficultés et délais nécessitant même l’intervention de l’industrie américaine pour résoudre certains points techniques bloquant outre-manche. Ces délais ont par ailleurs engendré d’importants surcouts dans le programme, les trois premiers navires ayant vu l’enveloppe budgétaire initialement prévue croitre de plus de 50%.
Au final, chaque Astute aura couté 35% de plus aux contribuables britanniques que les Suffren aux contribuables français. Le programme se sera lui étalé sur plus de 26 ans entre la découpe de la première tôle en 2001 et l’entrée en service du dernier des 7 navires prévue pour 2026. Il n’en demeure pas moins que les Astute ont montré de grandes capacités opérationnelles lors des exercices auxquels ils ont participé depuis leur entrée en service en 2014, prenant même l’ascendant sur le Virginia américain.
Russie : SNA projet 885/M Iassen
En de nombreux aspects, les sous-marins de la classe Iassen et leur évolution Iassen-M sont des navires de tous les records. Ce sont notamment les plus imposants des submersibles de ce panel, avec une longueur de 130 mètres et un déplacement de 13.800 tonnes en plongée, ainsi que ceux qui emportent la plus grande puissance de feu, avec 32 missiles antinavires supersoniques P800 onyx ou de missiles de croisière Kalibr mis en œuvre par autant de silos verticaux, en plus des torpilles lourdes mises en œuvre par les 4 tubes lance-torpilles du navire.
C’est enfin le navire dont la construction initiale aura pris le plus de temps, puisqu’il fallut pas moins de 20 ans de décembre 1993 à décembre 2013 pour livrer la première unité de la classe, le Severodvinsk.
Il est vrai que les chantiers navals russes avaient fortement soufferts de l’effondrement du bloc soviétique, et que l’immense majorité des programmes navals du pays connurent des allongements de délais très importants jusqu’à ce que les investissements d’état ne reprennent à partir de 2008, puis ne s’accélèrent en 2012.
Et s’il fallut 20 ans pour terminer le Severodvinsk, il n’aura fallu que 8 ans de 2014 à 2022 pour livrer le Krasnodar, 4ᵉ unité de la classe et 3ᵉ navire de la version modernisée 885-M apparue avec le Kazan livré en 2021.
alliant une grande puissance de feu, des performances élevées et une importante discrétion, les Iassen-M russes posent une réelle menace aux flottes occidentales.
En effet, non seulement les Iassen-M sont-ils dotés d’une grande puissance de feu, mais ils sont également très discrets, à niveau des meilleurs sous-marins occidentaux comme le Virginia selon l’US Navy, ce qui n’est pas sans poser de sérieux problèmes aux marines occidentales et européennes qui devront potentiellement y faire face.
En outre, au-delà des missiles de croisière Kalibr et des missiles antinavires supersoniques P800 Onyx déjà susceptibles de poser d’importantes difficultés aux escorteurs de l’OTAN, les Iassen pourront, selon les dires des ingénieurs russes, mettre en œuvre le nouveau missile hypersonique 3M22 Tzirkon, renforçant la menace que chacun de ces navires peut faire peser sur la flotte occidentale, et ce, d’autant qu’ils peuvent soutenir une vitesse élevée tout en restant discret.
À mi-chemin entre la classification de SNA (sous-marin nucléaire d’attaque) et de SSGN (sous-marin nucléaire lance-missiles de croisière), le Severodvinsk et les 9 Iassen-M qui le suivent et qui seront entrés en service avant la fin de la décennie, modifient profondément le rapport de force existant dans l’Atlantique Nord ainsi que dans le Pacifique, et offrent un puissant outil de contrôle naval à Moscou, alors que les tensions avec l’Europe et les États-Unis ne cessent de croitre.
Une nouvelle classe de sous-marins, la classe Laïka, serait en conception dans les bureaux d’étude Sevmash de Saint-Petersbourg, mais pour l’heure, bien peu d’informations fiables ont pu filtrer quant au devenir de cette classe destinée à remplacer la dizaine de SNA classe Akula encore en service.
Conclusion
Par leur discrétion, leur capacité à se déplacer à grande vitesse sur de très longue distance, et leur puissance de feu, les SNA modernes sont aujourd’hui incontestablement parmi les pièces maitresses que l’échiquier naval des grandes puissances mondiales, au même titre que les porte-avions. Il n’y a donc rien d’étonnant à constater que les cinq grandes puissances nucléaires mondiales ont toutes investi dans ce type de navire, et se livrent à une âpre compétition dans ce domaine en matière de capacités et de performances.
Pour certains d’entre elles, comme les États-Unis, le développement de cette composante est même jugé prioritaire à celui de la flotte de surface, tant elle offre des capacités propres à très forte valeur ajoutée. Rien d’étonnant non plus que plusieurs puissances navales en devenir, comme le Brésil, la Corée du Sud, l’Australie ou l’Inde, s’intéressent de près à cette technologie, et ce, en dépit des contraintes internationales et budgétaires qui entourent de tels programmes.
Pour autant, la suprématie du SNA dans le combat naval est aujourd’hui de plus en plus menacée par plusieurs programmes de recherche visant précisément à supprimer la cape de furtivité conférée à ces navires par l’océan. Ainsi, des équipes américaines comme chinoises développent aujourd’hui activement des détecteurs à Neutrino de plus en plus miniaturisés, susceptibles de capter les particules émises sous l’océan par un réacteur de sous-marin nucléaire fortement sollicité, comme c’est le cas d’un SNA à haute vitesse.
Les avancées enregistrées ces dernières années dans ce domaine, ainsi que dans d’autres technologies visant la détection de submersible, laissent envisager que dans un espace de temps inférieur à 20 ans, de tels dispositifs de détection pourraient effectivement embarquer à bord des navires de combat, et donc neutraliser le principal avantage du SNA, et même réduire l’invulnérabilité supposée des SNLE en charge de la dissuasion nucléaire.
On ne peut exclure, dans ces conditions, que les navires suprêmes que sont les sous-marins nucléaires d’attaque ne deviennent, d’ici à une à deux décennies, si pas obsolètes, en tout cas beaucoup moins performants qu’ils ne sont aujourd’hui.
Ce n’était pas complètement nouveau, mais après la Première Guerre mondiale, on a commencé à s’interroger sur la manière d’obtenir des gains stratégiques face à des puissances adverses sans déclencher la catastrophe d’une nouvelle Grande guerre. Le problème est même devenu encore plus aigu dès lors que cette nouvelle guerre mondiale pouvait être nucléaire. On a ainsi inventé la stratégie du « piéton imprudent » qui s’engage d’un coup sur la chaussée et bloque la circulation ou encore celle de l’« artichaut » où on s’empare de la cible feuille à feuille, souvent par des piétons imprudents. L’Allemagne nazie a pratiqué les deux dans les années 1930 en arrachant chaque feuille – rétablissement du service militaire, remilitarisation de la Rhénanie, Anschluss, annexion de la Bohême et de la Moravie – par des opérations-éclair, jusqu’à la tentative de trop en Pologne. L’Union soviétique-Russie a souvent pratiqué la chose, l’annexion-éclair de la Crimée en février 2014 par exemple.
Depuis l’été dernier, les Ukrainiens sont sans doute en train de tester un nouveau mode opératoire justement pour reconquérir cette même Crimée : l’ébouillantement progressif de la grenouille. Le problème est complexe pour eux puisqu’il s’agit de reprendre à terme un territoire considéré comme faisant partie du territoire national par une puissance nucléaire. Le 17 juillet 2022, le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité de Russie et ancien président russe, Dmitri Medvedev,déclarait que l’attaque de la Crimée serait considérée comme une attaque contre le cœur du territoire russe et que toucher à ses deux sites stratégiques : le pont de Kertch qui relie la presqu’île à la Russie ou la base navale de Sébastopol provoquerait le « jour du jugement dernier » en Ukraine, autrement dit des frappes nucléaires. Même si on est alors déjà habitué aux déclarations outrancières de Dimitri Medvedev, la menace nucléaire, portée depuis le début de la guerre par Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov son ministre des Affaires étrangères, est malgré tout prise au sérieux par de nombreux experts. La possibilité d’une attaque ukrainienne aérienne et encore moins terrestre en Crimée paraît alors lointaine mais beaucoup pensent que dans un contexte où l’Ukraine n’a aucun moyen de riposter de la même manière, une frappe nucléaire serait possible afin de dissuader de toute autre agression sur le sol russe ou prétendument tel. Selon le principe de l’« escalade pour la désescalade », cette frappe, éventuellement purement démonstrative pour en réduire le coût politique, effraierait aussi les Ukrainiens et peut-être surtout les Occidentaux et imposerait une paix russe.
Et pourtant, quelques jours seulement après la déclaration de Medvedev, le 9 août, deux explosions ravagent la base aérienne de Saki en Crimée avec au moins neuf avions détruits. Sept jours plus tard, c’est un grand dépôt de munitions qui explose à son tour dans le nord de la Crimée dans le district de Djankoï accompagné de sabotages. On ne sait toujours pas très bien comment ces attaques ont pu être réalisées d’autant plus qu’elles ne sont pas revendiquées. Cela permet aux Russes de sauver un peu la face et de minimiser les évènements en parlant, contre toute évidence, d’accidents. Néanmoins, ces premières attaques ont démontré que l’on pouvait attaquer la Crimée sans susciter de riposte de grande ampleur. Elles continuent donc. Le 1er octobre, c’est l’aéroport militaire de Belbek, près de Sébastopol, qui est frappé à son tour, là encore sans provoquer de réaction sérieuse. Toutes ces attaques ont un intérêt opérationnel évident à court terme, la Crimée constituant la base arrière du groupe d’armée russes occupant une partie de provinces ukrainiennes de Kherson, Zaporijjia et Donetsk. Leur logistique et leurs appuis aériens se trouvent évidemment entravés par toutes les attaques sur les axes et les bases de la péninsule de Crimée. Mais ces actions doivent aussi se comprendre dans le cadre d’une stratégie à plus long terme de banalisation de la guerre en Crimée.
Les Ukrainiens effectuent alors le test ultime. Le 8 octobre 2022, le pont de Kertch est très sévèrement touché par une énorme explosion provoquée probablement par un camion rempli d’explosifs. Cette attaque constitue alors une élévation de la température autour de la grenouille mais l’eau est déjà chaude et l’élévation est amoindrie par l’absence de revendication et l’ambiguïté d’une attaque a priori réalisée à l’aide d’un camion rempli d’explosif venant de Russie. L’affront n’est donc pas aussi grand qu’une attaque directe revendiquée et réalisée par surprise, mais la claque est violente et quasi personnelle envers Vladimir Poutine, dont le nom est souvent attaché à se pont qu’il a inauguré en personne au volant d’un camion en 2018. Ce n’est pas cependant pas assez, ou plus assez, pour braver l’opinion des nations et notamment celle de la Chine – très sensible sur le sujet – ou des Etats-Unis – qui ont clairement annoncé une riposte conventionnelle à un tel évènement. Il n’y a donc pas de frappe nucléaire russe et on ne sait même pas en réalité si cette option a été sérieusement envisagée par le collectif de décision russe. Mais les Russes disposent alors d’une force de frappe conventionnelle. Le 10 octobre, plus de 80 missiles balistiques ou de croisière s’abattent sur l’intérieur de l’Ukraine. C’est la première d’une longue série de salves hebdomadaires sur le réseau énergétique. Cette opération n’a pas été organisée en deux jours, mais le lien est immédiatement fait par effet de proximité entre l’attaque du pont le 8 et cette réponse.
Le problème est que l’ « escalade pour la désescalade » fonctionne rarement. Non seulement les attaques contre la Crimée ne cessent pas mais elles prennent même de l’ampleur, en nombre par le harcèlement de petits drones aériens et en qualité avec des attaques plus complexes. Quelques jours seulement après l’attaque du pont de Kertch, le 29 octobre, c’est la base navale de Sébastopol, l’autre grand site stratégique de la Crimée, qui est attaquée par une combinaison de drones aériens et de drones navals. Trois navires au moins, dont la frégate Amiral Makarov, sont endommagés. Que faire pour marquer le coup alors que l’on fait déjà le maximum ? Pour qu’on puisse malgré tout faire un lien avec l’attaque de Sébastopol, l’effort est porté sur les ports ukrainiens, bases de départ des drones navals. Cela ne suffit pas pour autant pour arrêter les attaques d’autant plus que les Occidentaux, accoutumés aussi à l’idée que la guerre peut se porter en Crimée sans susciter de réaction nucléaire, commencent à fournir des armes à longue portée.
Le 29 avril 2023, un énorme dépôt de carburant est détruit près de Sébastopol. Le 6 et le 7 mai, la base de Sébastopol est attaquée une nouvelle fois par drones aériens. Le 22 juin, c’est la route de Chongar, une des deux routes reliant la Crimée au reste de l’Ukraine, qui est frappée par quatre missiles aéroportés Storm Shadow, une première. Surtout, le lundi 17 juillet au matin, le pont de Kertch est à nouveau attaqué, par drone naval cette fois. Cette nouvelle attaque sur une cible stratégique est pleinement revendiquée cette fois par les Ukrainiens dans une déclaration officielle qui assume aussi rétrospectivement toutes les actions précédentes. Deux jours plus tard, c’est un grand dépôt de munitions à Kirovski, non loin de Kertch, qui explose, puis un autre le 22 juillet à Krasnogvardeysk, au centre de la péninsule.
Mais alors que les attaques se multiplient sur la Crimée, la capacité de riposte russe hors nucléaire est désormais réduite puisque le stock de missiles modernes est désormais au plus bas. Les Russes ratissent les fonds de tiroir en mélangeant les quelques dizaines de missiles de croisière moderne qu’ils fabriquent encore chaque mois avec des drones et des missiles antinavires, dont les très anciens et très imprécis KH22/32. Pour établir un lien avec l’attaque par drone naval, ces projectiles disparates sont lancés pendant plusieurs jours sur les ports ukrainiens, Odessa en particulier. Ces frappes n’ont aucun intérêt militaire et dégradent encore l’image de la Russie en frappant notamment des sites culturels. On est surtout très loin des possibilités d’écrasement, même simplement conventionnelles, que l’on imaginait avant-guerre ou même des salves d’Iskander ou de Kalibr du début de la guerre. Les frappes sur Odessa sont aussi une démonstration d’impuissance.
Le pouvoir russe a aussi perdu beaucoup de crédibilité dans sa capacité à dépasser cette impuissance pour aller plus haut. Michel Debré expliquait qu’on pouvait difficilement être crédible dans la menace d’emploi de l’arme nucléaire si on se montrait faible par ailleurs. Il n’est pas évident à cet égard que le traitement de la mutinerie d’Evgueny Prigojine et de Wagner le 24 juin, du terrible châtiment annoncé le matin à l’arrangement le soir, ait renforcé la crédibilité nucléaire de Vladimir Poutine. Pour être dissuasif, il faut faire peur et à force de menaces vaines, le pouvoir russe fait de moins en moins peur. Bref, la Crimée est désormais pleinement dans la guerre et si un jour des forces ukrainiennes y débarquent, d’abord ponctuellement lors de raids, puis en force – perspective pour l’instant très hypothétique et lointaine – on sait déjà, ou du moins on croit désormais, que cela ne provoquera pas de guerre nucléaire. C’est déjà beaucoup.
C’est par un tweet enthousiaste que le député Renaissance de la deuxième circonscription du Finistère, Jean-Charles Larsonneur, a annoncé hier en soirée l’adoption par une majorité transpartisane d’un amendement à la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, pour qu’une étude approfondie soit menée durant la LPM, au sujet de la construction et mise en œuvre d’un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, alors que la première unité qui doit remplacer le PAN Charles de Gaulle en 2038.
Au delà du fait que le Parlement a joué, dans la conception de cette LPM, un rôle bien plus visible et bienvenu que lors des précédentes, l’annonce d’une étude formelle pour donner une vision claire de ce que pourrait faire, mais également de ce que couterait la construction et la mise en oeuvre d’un second porte-avions pour la France, est incontestablement une avancée notable sur un sujet qui, depuis jacques Chirac, n’a cessé d’être reporté par les président successif à la « prochaine mandature ».
Combien couterait un second porte-avions nucléaire de nouvelle génération ?
Il est vrai qu’un porte-avions, qui plus est nucléaire, coute cher. Ainsi, l’enveloppe pour la conception et la construction du successeur du PAN Charles de Gaulle est officiellement fixée autour de 5 à 6 Md€, certains échos faisant même état de 8 Md€. En outre, au delà de la construction et de l’équipement du navire lui-même, il convient de lui conférer un équipage expérimenté, qui plus est intégrant une tranche nucléaire, ainsi qu’une escorte efficace et un groupe aérien dimensionné pour en exploiter le potentiel.
Ainsi, pour mettre en œuvre le Charles de Gaulle, la Marine Nationale met en œuvre un équipage de presque 2000 marins, officiers mariniers et officiers sur le navire, auxquels s’ajoutent quelques 500 militaires à bord de son escorte composée d’un sous-marin nucléaire d’attaque, une frégate anti-aérienne, deux frégates anti-sous-marines ainsi qu’un Bâtiment Ravitailleur de la Flotte (ou BRF) dans un déploiement classique.
Le groupe aérien, lui, se compose de 2 des 3 avions de guet aérien E2C Hawkeye, de 16 à 20 Rafale M sur les 40 en service au sein des 3 flottilles de l’aéronautique Navale, de quelques hélicoptères ainsi que du soutien d’un avion de patrouille maritime Atlantique 2, sur la vingtaine en service aujourd’hui. Au total, donc, le Groupe aéronaval se compose de 6 navires, 25 aéronefs et 3500 militaires, soit l’équivalent de 3 régiments de l’Armée de Terre.
Le PAN Charles de Gaulle est en général accompagné d’une frégate anti-aérienne, de deux frégates anti-sous-marines, d’un bâtiment logistique ainsi que d’un Sous-marin nucléaire d’attaque et d’un avion de patrouille maritime
De fait, l’annonce de l’étude qui sera menée au cours de la prochaine LPM, a laissé perplexe de nombreux observateurs : la France aura-t-elle les moyens de financer la construction du navire et de son escorte ? la Marine Nationale pourra-t-elle doter les nouveaux navires et flottilles des personnels requis ? N’y aurait-il pas mieux à faire avec ce montant que de se doter d’un second Groupe Aéronaval ?
Quels atouts un second porte-avions nucléaire apporterait-il ?
Comme souvent, les questions, tout comme les réponses avancées, dépendent du point de vue pris par celui qui les pose, alors que les options sont nombreuses, tant du point de vue budgétaire que RH, pour y répondre dans les années à venir, selon les ambitions affichées.
Comme nous l’avons déjà montré, cette vulnérabilité n’est ni nouvelle, ni même supérieure à ce qu’elle fut dans les décennies passées, alors même que les porte-avions ont joué un rôle décisif dans le contrôle des océans et des conflits depuis la seconde guerre mondiale.
Nous ne reviendrons pas davantage sur le potentiel militaire unique du porte-avions dans le contexte opérationnel moderne, le navire étant le seul à pouvoir tout à la fois imposer une zone d’exclusion aérienne et navale sur un rayon de 1000 km voire au-delà, tout en menant des frappes soutenues dans la durée contre un adversaire ou en soutien de forces alliées. C’est la raison pour laquelle toutes les grandes marines mondiales, y compris la Chine et la Russie qui pourtant se réclament à la pointe des armes hypersoniques, se dotent ou entendent se doter de cette capacité unique.
De fait, la France dispose déjà de cette capacité, et même d’une capacité partagée uniquement par l’US Navy, à savoir la mise en oeuvre d’un porte-avions doté de catapultes et de brins d’arrêt, permettant aux aéronefs mis en oeuvre de décoller à lourde charge en consommant peu de carburant, et donc de disposer d’une autonomie et d’une puissance de feu supérieures.
En outre, cette configuration autorise un plus grand nombre de manoeuvres aériennes chaque jour, ce qui multiplie de fait le potentiel opérationnel du bâtiment.
Le porte-avions chinois Type 003 de plus de 80.000 Fujian a été lancé le 17 juin 2022. C’est le premier porte-avions chinois à être doté de catapultes électromagnétiques, ici protégées par des infrastructures sur le pont)
Pour autant, avec un unique navire, la Marine Nationale ne peut garantir la présence à la mer du groupe aéronaval que 40% du temps, et une prise d’alerte de l’ordre de 60% du temps, le reste étant nécessaire à la maintenance du navire, et au repos et à l’entrainement de son équipage. On notera que la flotte de chasse embarquée française, avec 40 Rafale Marine et 3 E-2C Hawkeye, est également dimensionnée pour respecter ce contrat opérationnel, sans pouvoir aller au delà.
L’arrivée d’un second porte-avions nucléaire permettrait donc à la France de maintenir à la Mer un de ses deux navires autour de 60% du temps, et d’assurer une prise d’alerte de 100% du temps, tout en réduisant de 30% la pression opérationnelle sur les équipages et les deux navires vis-à-vis du Charles de Gaulle, permettant d’en améliorer l’entrainement, la maintenance et même la qualité de vie.
Surtout, en passant d’une prise d’alerte de 60% à 100%, le Groupe Aéronaval ouvrirait de toutes nouvelles perspectives opérationnelles à l’Etat-major français, y compris dans le domaine de la dissuasion, puisqu’il aurait, à tout moment, la garantie de pouvoir compter sur un Porte-avions et son escorte en cas de crise ou de conflit, et même de 2 porte-avions au besoin environs 30% du temps.
Doctrine et couts sont liés
C’est précisément le contrat opérationnel qui sera donné à ce Groupe Aéronaval qui déterminera grandement les couts de mise en œuvre d’un second porte-avions. Certes, les couts de la construction du navire, eux, seront fixes, même si le navire devait rester à quai faute d’équipage et d’avions.
Ils représentent, aujourd’hui, entre 4 et 5 Md€,dont 1 Md€ pour les seules systèmes de catapultes et brins d’arrêt électromagnétiques acquis auprès des États-Unis. Tout le reste, c’est à dire l’escorte, le groupe aérien embarqué, et même l’équipage, dépendra des choix opérationnels et politiques qui encadreront la mise en oeuvre de ce navire.
Le Groupe aérien du Charles de Gaulle se compose d’une vingtaine de Rafale M, de deux E-2C Hawkeye et de plusieurs hélicoptères dont les fameux « Pedro » en charge de repêcher les pilotes en cas d’accident
Ainsi, si la France veut se doter pleinement et de manière autonome d’un second groupe aéronaval, il conviendra non seulement de constituer un second équipage nucléaire de 2000 hommes et femmes pour armer le navire, mais également d’acquérir et d’armer 1 SNA, 3 frégates dont une anti-aérienne et d’un BRF supplémentaires, soit un surcout de construction d’environ 4 Md€, et un millier de marins supplémentaires pour armer les bâtiments, souvent en double équipage.
Il serait également indispensable de constituer deux flottilles de chasse embarquée supplémentaires, et donc d’acquérir environs 30 appareils, ainsi que 2 avions de guet aériens E-2D en plus des 3 delà commandés pour remplacer les Hawkeye du Charles de Gaulle.
Au total donc, une telle hypothèse devrait revenir à 13 ou 14 Md€ en acquisition, et à 400 m€ par an en couts de personnels. Et de rappeler qu’un tel montant permettrait à l’Armée de l’Air de constituer 3 escadrons de chasse supplémentaires et leurs appareils de soutien, ou à l’Armée de terre de se doter de 400 chars lourds et autant de véhicules de combat d’infanterie chenillés.
Il ne revient pas à cette analyse de déterminer quels investissements seraient les plus performants pour renforcer la défense et le rôle de la France sur la scène internationale. En revanche, il est indispensable de prendre en considération que cette approche ne représente qu’une hypothèse parmi d’autres quant à l’utilisation et donc au dimensionnement du second PANG.
Un second porte-avions permettrait de faire baisser la pression opérationnelle sur les équipage, tout en augmentant la disponibilité de la capacité aéronavale tant à la mer qu’à l’alerte.
Ainsi, il serait également possible de considérer que le second navire n’aurait pour seule fonction que de suppléer le premier lors de ses indisponibilités, ou d’en partager la charge. Présenté ainsi, les besoins en matière d’escorte supplémentaire seraient fortement réduits, voire inexistants, alors que les besoins concernant le dimensionnement du groupe aérien embarqué serait plus ou moins divisés par deux, ce qui en ramènerait les couts d’acquisition autour de 6,5 à 7 Md€, et les surcouts de fonctionnement à seulement 250 m€ par an.
Il serait même possible de réduire encore davantage ces couts, tout en augmentant la présence à la mer du second groupe aéronaval, en bâtissant une alliance opérationnelle pour sa mise en oeuvre avec d’autres pays européens susceptibles d’en fournir tout ou partie de l’escorte, une partie du groupe aérien embarqué, voire une partie de l’équipage. Des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Belgique pourraient y voir un intérêt évident, et se laisser séduire par une telle approche.
Conclusion
On le comprend, dès lors, la construction d’un second porte-avions de nouvelle génération, ne doit en aucun cas être exclusivement considérée comme la reproduction à l’identique de la capacité et donc des couts engagés autours du remplaçant du Charles de Gaulle, mais plutôt comme un champs riche de possibilités et d’options, qui permettrait à la France et à l’Europe de se doter d’une capacité qui ne sera détenue, au delà de 2040, que par les Etats-Unis et la Chine, à savoir de disposer en permanence d’un groupe aéronaval avec en son centre un porte-avions nucléaire lourd doté de catapultes.
L’étude qui sera menée dans les années à venir, et qui ne manquera probablement d’explorer toutes ces options, permettra précisément d’y voir clair dans ce domaine, et donc donnera aux dirigeants comme aux parlementaires, les outils pour prendre une décision plus rationnelle que dogmatique.
Le nucléaire est la seule énergie susceptible de donner à la France une indépendance énergétique
OPINION. Depuis les trente glorieuses, la part industrielle du PIB de la France a été réduite de moitié passant d’un peu plus de 30% en 1960 à 16% en 2021*. Ce chiffre est bien inférieur à la moyenne mondiale (27,6%) mais aussi à celle de l’UE (proche de 23%). Si l’heure est à la réindustrialisation, celle-ci ne pourra intervenir seule, une industrie souveraine reposant en priorité sur une vraie sécurité énergétique. Par Philippe Charlez, Expert en questions énergétique, Institut Sapiens.
Le projet de « loi pour l’industrie verte » présenté le mercredi 16 mai 2023 en Conseil des Ministres est le principal volet du plan de réindustrialisation souhaité par le Président de la République. Si le projet est louable, l’amalgame réindustrialisation/décarbonation est très critiquable. Même si 80% des jeunes associent industrie et pollution, leur vendre l’industrie comme levier de décarbonation tient au mieux de la naïveté au pire de l’imposture.
La dépendance minière des énergies vertes
Verdir l’industrie impose le remplacement des énergies fossiles, encore très présentes dans l’industrie lourde par des vecteurs électriques : hydrogène en sidérurgie, four à arc électrique en cimenterie et en verrerie. Face à des pays émergents, dont le verdissement de l’économie n’est qu’une lointaine priorité, ce bouleversement renchérira les coûts de production. De plus, d’inévitables normes se superposeront à un outil juridico-administratif déjà très contraignant et dégraderont un peu plus la rentabilité d’entreprises déjà plombées par un excès de charges. Dans ce contexte, la France éprouvera les pires difficultés à massivement ramener au pays des activités délocalisées faute de rentabilité. L’amalgame réindustrialisation/décarbonation est d’autant plus regrettable que l’Hexagone possède déjà l’un des mix énergétiques les plus vertueux du monde.
La décarbonation (au sens large – transports, habitat) reposant en grande partie sur le remplacement d’équipements thermiques par des équipements électriques (pompes à chaleur, éoliennes, panneaux solaires, batteries, voitures électriques, piles à combustible), l’exécutif mise surtout sur le déplacement des activités industrielles traditionnelles vers cette industrie verte dont une partie écrasante (>60%) est aujourd’hui produite dans le sud-est asiatique. La ramener en Europe n’est pas seulement un problème industriel. Il s’agit aussi d’un problème de dépendance minière.
Depuis les années 1950, le fonctionnement de notre société de croissance est intimement lié aux importations de pétrole et de gaz et donc fortement dépendante des pays producteurs. Si la nature a offert gratuitement le soleil et le vent à tous les terriens, il n’en n’est pas de même des métaux critiques indispensables pour construire les équipements verts. Ainsi, la complexité croissante des réseaux électriques liée à la multiplication des ENR a fortement tendu les marchés du cuivre dont plus de la moitié de la production mondiale provient du Chili, du Pérou, de la Chine et de RDC. L’explosion de la demande de batteries a aussi fortement boosté les marchés du Cobalt (64% provient de RDC), du lithium (53% est produit en Australie et 21% au Chili) et du graphite (60% provient de Chine). Quant aux terres rares et autres métaux précieux présents dans les éoliennes, dans les panneaux solaires et les électrolyseurs, 60% de leur production est concentrée en Chine. La croissance verte qui nous donne l’illusion d’une indépendance énergétique retrouvée ne fera que déplacer notre dépendance pétrolière vers une dépendance minière encore plus marquée. L’Europe en général, la France en particulier, sont-elles prêtes à faire face aux foudres écologistes et à rouvrir massivement des mines ? Rien de très concret en ce sens ne figure dans le plan de réindustrialisation pour des projets qui, sans doute, se heurteraient à une puissante contestation.
Recyclage du combustible nucléaire : vraie clé de l’indépendance énergétique
Bien que la France ne produise plus d’Uranium [les principaux producteurs sont le Kazakhstan (36%), le Canada (17%), l’Australie (11%) et le Niger (8%)], la génération électrique nucléaire possède un important avantage concurrentiel par rapport au gaz : dans le prix du MWh nucléaire, l’uranium compte pour moins de 5% (le coût des installations compte pour 95%) alors que pour le MWh gazier le combustible compte pour 90%. Contrairement au gaz, le MWh nucléaire est donc peu sensible aux aléas économiques et géopolitiques des matières premières et confère à un pays une sécurité énergétique beaucoup plus robuste. D’autant que la France, à travers Orano, dispose d’un contrôle complet sur l’ensemble de la chaîne du combustible. Une expérience recherchée, vectrice d’influence à l’export.
Mais, une donnée physique supplémentaire tranche définitivement de débat : le recyclage du combustible usé. Contrairement à l’enrichissement initial consistant à concentrer la part d’Uranium fissible contenue dans le minerai naturel, le recyclage purifie le combustible usé contenant encore une part très significative de matières valorisables (les réacteurs actuels n’utilisent que 1% du potentiel du combustible). Selon la SFEN, les réserves de combustible nucléaire usé stockés en France auraient la capacité de produire de l’électricité propre pendant près d’un millénaire. Orano fabrique ainsi à partir de combustible usé du Mox (mélange d’oxydes d’Uranium et de Plutonium) qui est utilisé dans les centrales françaises et européennes. Toutefois, depuis la catastrophe de Fukushima et compte tenu des prix faibles de l’Uranium, les électriciens ont souvent préféré s’approvisionner dans les mines plutôt que de recycler du combustible usé. Toutefois, les cours croissants de l’Uranium (il a dépassé les 50 dollars/livre au cours des dernières semaines), la guerre russo-ukrainienne et les limites de stockage devraient faire évoluer les mentalités.
L’autre difficulté du recyclage concerne la technologie. Une partie significative du combustible usé contenant du Plutonium est davantage adaptée à la surgénération de quatrième génération (type Superphénix et Astrid) qu’à la technologie à eau pressurisée (seconde et troisième génération type EPR). Superphénix et Astrid ayant été définitivement abandonnés (sauf nouveau revirement !) par l’exécutif, il y a donc peu d’espoir que ce potentiel gigantesque puisse être valorisé à moyen terme.
Dommage que la politique l’ait une fois encore emporté sur la science et la raison. Le recyclage du combustible usagé dans une nouvelle génération de réacteurs aurait permis de fournir en abondance l’électricité décarbonée mais pilotable dont la France aura besoin au cours des décennies à venir (la consommation devrait doubler d’ici 2050) mais aussi de réduire significativement le problème crucial des déchets en ramenant la plupart des produits de fission à un niveau de radioactivité comparable à celui du minerai d’uranium naturel.
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* Source World Development Indicators | DataBank (worldbank.org)
Dans son nouveau rapport au sujet des armements, du désarmement et de la Sécurité international, le Stockholm International Peace Research Institute, ou SIPRI, l’institut suédois faisant référence dans ce domaine, trace un instantané du rapport de force mondial en matière de forces armées. Cette année, celui-ci montre, entre autre, une progression inédite depuis plusieurs décennies des systèmes d’arme nucléaires et des têtes en service dans le monde.
En effet, entre 2022 et 2023, le nombre total de têtes nucléaires opérationnelles est passé de 9.490 à 9.576, soit une hausse de 0,9% au global. Toutefois, cette variation faible au demeurant cache d’importantes disparités, alors que les pays occidentaux (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et Israel) ont maintenu des stocks strictement identiques, là ou la Chine (410 vs 350) a connu une hausse de plus de 17%, et la Corée du Nord (30 vs 25) de 20%. Quant à la Russie (+0,2%), l’Inde (+2,5%) et le Pakistan (+3%), leurs stocks ont augmenté de manière plus modéré.
Pour autant, cette hausse rapide des stocks chinois et nord-coréens, n’a pas donné lieu à une quelconque réponse marquée par les autorités des pays occidentaux dotés.
Cette absence de réaction est à chercher dans la certitude partagée par les chancelleries occidentales, selon laquelle le seuil nucléaire ne pourrait être franchit par les autorités de Moscou, Pékin ou Pyongyang, sachant que le cas échéant, cela déboucherait probablement sur un conflit nucléaire généraliser duquel personne ne sortirait vainqueur.
La Russie mettra en oeuvre une flotte de 12 SNLE Borei/ Borei-A soit autant que la flotte de sous-marins de la classe Columbia de l’US Navy
Cette théorie de la destruction mutuelle assurée a été au coeur de nombres de décisions ces derniers mois, qu’il s’agisse du soutien occidental à l’Ukraine face à la Russie, ou du soutien américain à Taïwan face à la Chine dans le Pacifique.
De toute évidence, européens et américains n’ont jamais vraiment pris au sérieux les menaces du Kremlin dans ce domaine, pas davantage que le réarmement massif en cours de ces pays dans le domaine nucléaire.
La Chine, de son coté, a admis au service 3 SNLE Type 09IV(A) ces 3 dernières années, poursuivi le développement du bombardier stratégique furtif H-20, et surtout a entrepris la construction de 3 nouveaux sites destinés à accueillir des missiles ICBM en silo, pouvant potentiellement amener Pékin à parité avec les Etats-Unis et la Russie dans ce domaine dans les années à venir.
La Corée du Nord, enfin, a procédé à de nombreux essais de nouveaux vecteurs balistiques, y compris un missile à changement de milieux qui armera le prochain sous-marin lanceur d’engins à propulsion conventionnelle de la Marine nord-coréenne.
La Chine a entreprit la construction de 3 sites destinés à accueillir jusqu’à 300 missiles ICBM en silo, contre 399 Minuteman III américains en service
Pour cette spécialiste reconnue de la dissuasion nucléaire, les certitudes occidentales dans le domaine de la dissuasion nucléaire, sont bien trop optimistes. D’une part, Pékin, Moscou et Pyongyang n’ont montré, ces dernières années, aucune volonté pour réduire et contrôler les armes nucléaires, les leurs comme celles de leurs compétiteurs, ce qui démontrerait une stratégie et une doctrine pleinement basée sur le rapport de force nucléaire.
Surtout, aucun de ces pays n’adhère au principe d’inefficacité des armes nucléaires dans un conflit limité, du fait des risques d’escalade et de destruction mutuelle assurée. Au contraire, ils ont développé des doctrines employant les armes nucléaires dans une approche se voulant maitrisée pour obtenir un avantage militaire ou politique circonscrit au théâtre d’opération.
La directrice du Harvard Research Network on Rethinking Nuclear Deterrence n’est d’ailleurs pas la seule à exprimer des inquiétudes motivées dans ce domaine. Ainsi, dans un article publié le 17 Mai par le belier Center de Harvard, le général de brigade en retraite de l’US army Kevin Bryan, a lui aussi expliqué que l’utilisation de l’arme nucléaire en Ukraine par la Russie avait été encadrée depuis plusieurs mois par le Kremlin, notamment si les armées russes venaient à s’effondrer face aux coups de boutoir ukrainiens.
Bien évidemment, les positions exprimées par le docteur Giovanni ou par le général Bryan, ne doivent nullement être considérées comme des prédictions inévitables, mais davantage comme des arguments en faveur d’une évolution des postures occidentales dans ce domaine.
On doit se rappeler, en effet, que jusqu’à quelques jours avant l’offensive russe contre l’Ukraine, l’immense majorité des chancelleries occidentales, ainsi que de leurs services de renseignement, convergeait sur la certitude que la Russie ne commettrait pas l’erreur d’attaquer son voisin.
La Russie comme la Chine et la Corée du nord disposent de vecteurs adaptés aux armes nucléaires de faible intensité, contrairement aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire
Il est également important de prendre conscience que si la Chine, la Russie ou la Corée du nord, et peut-être bientôt l’Iran, disposent ou disposeront bientôt de vecteurs adaptés à la posture ou a la frappe nucléaire de faible intensité, parfois désignée comme tactique, ce n’est plus le cas aujourd’hui des pays occidentaux dotés, tous n’ayant dans leur arsenal que des armes stratégiques pouvant, éventuellement, voir leur capacité de destruction réduite.
Or, s’il est possible d’identifier un missile balistique Iskander ou DF-21 comme une arme balistique nucléaire de faible intensité, il n’existe aucun moyen de savoir si l’ASMPA, la bombe nucléaire B61 ou les véhicules de rentrée atmosphérique lancés par des ICBM ou des SLBM sont de faible, moyenne ou forte intensité.
De fait, on peut se demander si, aujourd’hui, il ne manquerait aux pays occidentaux dotés de l’arme nucléaire, toute une partie de l’alphabet nécessaire à l’inévitable dialogue stratégique qui fut au coeur du rapport de force face à l’Union Soviétique au cours de la guerre froide, au risque de ne pouvoir contenir les risques de dérapages potentiels qui se dessinent ?
Le dimanche 21 février 2021, le porte-avions Charles de Gaulle appareille de Toulon pour une mission opérationnelle nommée CLEMENCEAU 21. Cette mission doit durer jusqu’en juin prochain et doit conduire le groupe aéronaval en Méditerranée et dans l’océan Indien.
Jusqu’à présent, le débat sur l’opportunité de doter la Marine nationale de deux porte-avions a toujours été tranché par des impératifs budgétaires. Qu’en sera-t-il à l’avenir, au regard de l’évolution de la situation internationale, marquée par des tensions en Méditerranée et en Indo-Pacifique, deux régions où la France a des intérêts à défendre?
En tout cas, les parlementaires s’interrogent… Et deux solutions peuvent être envisagées : construire un second porte-avions de nouvelle génération [PANG] en profitant d’économies d’échelle ou prolonger le Charles de Gaulle au-delà de 2038.
Lors de l’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 à l’Assemblée nationale, les députés ont adopté un amendement visant à demander une étude sur les coûts d’un éventuel second PANG.
Mais, s’il ne s’y est pas opposé, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, estime que cette option n’est pas abordable financièrement. « Je me suis […] engagé, pour des effets d’opportunité, à ce que l’on fasse la transparence, par un rapport au Parlement, sur la faisabilité et le coût d’un deuxième porte-avions. […] Cela ne veut pas dire que l’on en veut un deuxième – je pense qu’on n’est pas capable de le payer pour être très clair – mais pour des raisons de transparence », a-t-il expliqué lors d’une audition au Sénat, où le projet de LPM 2024-30 sera discuté en séance publique à partir du 27 juin.
Quant à la seconde solution, elle a fait l’objet d’un amendement, adopté par la commission sénatoriale des Affaires étrangères et de la Défense. Celui-ci vise à demander au ministère des Armées de remettre au Parlement une étude sur la prolongation éventuelle du Charles de Gaulle dans les six mois après la promulgation de la LPM 2024-30. Or, un tel délai sera impossible à tenir, comme l’a rappelé Vincenzo Salvetti, le directeur des applications militaires [DAM] du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives [CEA].
« La vie d’un bâtiment à propulsion nucléaire est rythmée par ce que l’on appelle les arrêts techniques majeurs [ATM]. [Or], le prochain ATM du Charles de Gaulle débutera en avril 2027 et devrait durer entre 18 et 24 mois », a dit M. Salvetti. Et ce n’est qu’à cette occasion qu’il sera possible d’examiner le vieillissement de l’acier des cuves des deux réacteurs K-15 du porte-avions.
« On ne peut pas simuler, avec les connaissances que l’on a, le vieillissement de l’acier des cuves. Et donc, le juge de paix sera l’examen réalisé lors de cet arrêt technique majeur. Là, on pourra dire si on peut prolonger la durée de vie du porte-avions ou pas », a affirmé le directeur des applications militaires du CEA.
Cela étant, il a été possible, par le passé, de prolonger la durée de vie d’un navire à propulsion nucléaire. Le cas du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] Rubis en est un exemple. Devant être retiré du service en 2018, il fut décidé de le maintenir opérationnel pendant quatre années supplémentaires, en raison du retard pris par le programme Barracuda.
Cependant, ce qui a été possible pour un sous-marin ne l’est pas forcément pour un porte-avions étant donné que ses chaufferies nucléaires sont davantage sollicitées de par son emploi opérationnel. C’est d’ailleurs un point sur lequel M. Salvetti a insisté.
Reste que si l’état des cuves des deux réacteurs K-15 permet d’envisager une prolongation du porte-avions Charles de Gaulle, alors d’autres considérations devront entrer en ligne de compte. À commencer par la nécessité de changer leur cœur.
« Il faudra que l’on regarde comment on pourra fabriquer deux coeurs [de réacteur nucléaire] supplémentaires dans notre planning de production. On a un outil […], en particulier sur la propulsion nucléaire, qui est calé au juste besoin. C’est à dire qu’il nous faut, en gros, fabriquer un coeur par an. Donc, s’il faut en ajouter deux à un moment donné, il va falloir pousser autre chose. Mais, sinon, rien n’est impossible sur ce sujet », a expliqué M. Salvetti aux sénateurs.
La prolongation éventuelle du porte-avions Charles de Gaulle a visiblement été évoquée lors de l’audition, par la même commission, de l’amiral Pierre Vandier, le chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM]. Le compte-rendu n’ayant pas encore été publié, on ne peut que s’en remettre à ce qu’en a rapporté Christian Cambon, son président.
« La question a été posée à l’amiral Vandier, qui a évoqué le coût de plus d’un milliard pour cette opération», a en effet dit M. Cambon. « Faudra peut-être réfléchir », a-t-il conclu.
L’examen du projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 semblait mal parti avec la saisine du Conseil constitutionnel, alors réclamée par les groupes de l’opposition en raison d’une étude d’impact imprécise. Finalement, les débats se sont tenus dans un esprit constructif, malgré quelques échanges parfois vifs. Et, le 7 juin, ce texte a été adopté à une écrasante majorité [408 voix pour et 87 contre] lors d’un vote solennel.
« La majorité a été plus forte qu’en 2018 pour la précédente LPM », s’est félicité Thomas Gassilloud, le président la commission Défense. Ce résultat s’explique par le soutien des députés du Rassemblement national [pourtant critiques sur certains points du texte] et de ceux du groupe « Les Républicains ». Les élus socialistes se sont abstenus tandis que ceux de la France insoumise et du Parti communiste ont exprimé leur opposition.
Désormais, il appartient aux sénateurs de se saisir de ce texte tel qu’il a été modifié par les députés. Et, désormais, celui-ci prévoit des « études de coûts » devant permettre au gouvernement de « présenter au Parlement, en 2028, une estimation des crédits nécessaires à la réalisation d’un second porte-avions de nouvelle génération » [PANG], la construction du premier ayant été confirmée… non seulement pour des raisons opérationnelles et capacitaires.. mais aussi pour des impératifs industriels étant donné que ce programme doit « garantir la pérennité des compétences ‘propulsion nucléaire’, avec une attention particulière portée à la conception et à la fabrication des nouvelles chaufferies K22 ».
Si ces études peuvent être perçues comme ouvrant la voie à un second porte-avions, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, n’a pas voulu donner de faux espoirs, lors d’une audition au Sénat, le 7 juin.
« Je me suis […] engagé, pour des effets d’opportunité, à ce que l’on fasse la transparence, par un rapport au Parlement, sur la faisabilité et le coût d’un deuxième porte-avions. Je m’explique : cela ne veut pas dire que l’on en veut un deuxième – je pense qu’on n’est pas capable de le payer pour être très clair – mais pour des raisons de transparence », a affirmé le ministre. « Plus on va avancer, plus on va être capable de définir les coûts du PANG » et donc d’évaluer « ce que coûterait un second » [porte-avions]. Ce n’est pas parce qu’on demande le prix qu’on sait se le payer. C’est le principe du devis », a-t-il poursuivi.
Pour le moment, le coût du PANG, aux dires de M. Lecornu, est estimé à environ 10 milliards d’euros. Mais « ce sont les travaux qui vont être menés dans les dix-huit mois qui viennent qui permettront d’affiner les sommes, qui, je l’espère, ne seront pas en hausse », a-t-il précisé.
Un mois plus tôt, devant la même commission, Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA], avait évoqué des discussions « avec les industriels afin de garantir la notification de l’avant-projet détaillé fin avril ainsi que la synchronisation des prochains jalons à la lumière du prochain arrêt technique majeur du porte-avions Charles-de-Gaulle, et de son calendrier de retrait de service ».
Cette notification aurait dû se faire en présence de M. Lecornu, à l’occasion d’une visite sur le site de Naval Group à Indret [Loire-Atlantique], le 26 avril dernier. Visite qui a finalement été annulée à la dernière minute…
Quoi qu’il en soit, M. Chiva avait aussi indiqué que la phase de réalisation du PANG allait être lancée « fin 2025-début 2026 » afin de « ne pas décaler » son « admission au service actif à l’horizon 2028 », car un « décalage aurait des effets capacitaires sur la formation des équipages et l’acquisition des savoir-faire ». Aussi, avait-il ajouté, « nous avons donc responsabilisé les industriels sur ce résultat et nous allons réaliser les paiements à réception des prestations, demandant un effort de trésorerie aux industriels, conforme aux règles des marchés publics ».
En attendant, les études relatives aux catapultes électromagnétiques [EMALS] et au dispositif d’arrêt qui leur est associé [AAG – Advanced Arresting Gear], confiées à General Atomics, se poursuivent.
En effet, dans un avis publié le 7 juin, le Pentagone a indiqué avoir notifié, au nom du gouvernement français, un nouveau contrat à General Atomic pour mener à bien une « étude de cas » ainsi que des travaux de « recherche et de développement » à l’appui de l’achat « potentiel » de systèmes EMALS et AAG par la France, évalué à 1,321 milliard de dollars en 2021.
Pour rappel, et à cette fin, un premier contrat, d’une valeur de 8 millions de dollars, avait été attribué à General Atomics en septembre dernier. « Le contrat se terminera en 2023 par une revue des systèmes et une évaluation des fournisseurs français pour la fabrication potentielle de composants en France », avait alors précisé l’industriel américain.