FIGAROVOX/TRIBUNE – Face aux bouleversements géostratégiques en cours, le général de La Chesnais, ancien major général de l’armée de terre, plaide pour relancer un service national opérationnel obligatoire, différent de l’ancien service militaire, et refonder la défense opérationnelle du territoire.
Ancien numéro deux de l’armée de terre, le général (2S) Bertrand de la Chesnais a été directeur de la campagne présidentielle d’Éric Zemmour.
Après la chute du Mur de Berlin, les budgets de défense de la France sont tombés à 1,7% du PIB. Il a fallu attendre 2015 pour que la tendance s’inverse sous la pression des attentats terroristes. Et depuis le printemps 2022, nous vivons un véritable retournement stratégique. Mais cette prise de conscience est encore bien timide : le budget de la défense atteint péniblement 1,9% du PIB et la prochaine LPM 2024-2030 poursuit une trop lente remontée.
L’armée française dispose certes d’une «armée complète», mais constituée d’échantillons de capacités, sans masse ni réserve. Or, les conflits d’aujourd’hui nous démontrent que, pour tenir dans la durée, il nous faut du nombre et de la Réserve.
Il y a aujourd’hui urgence ! Alors que notre stratégie a été durant des années d’aller chercher nos ennemis au plus loin, à la racine (Afghanistan, Moyen Orient, Sahel), nous sommes aujourd’hui contraints de les combattre sur le continent européen comme sur notre sol, (Sentinelle, Ukraine). Demain, devrons-nous combattre y compris dans nos villes ? Face à un ennemi diffus qui se manifeste à travers des attaques terroristes et des émeutes, les forces de l’ordre seraient-elles suffisantes ?
Puisque nous sommes contraints d’abandonner l’ère de l’armée de projection, l’heure est venue de réfléchir à l’armée dont a besoin notre nation pour faire face aux dangers d’aujourd’hui. Ce changement de paradigme nécessiterait, à l’évidence, un nouveau livre blanc et un plan aussi ambitieux que celui qui a été mis en place après-guerre pour nous doter de l’armement nucléaire autonome.
Mais le temps long ne nous exonère pas de prendre des mesures immédiates, justement pour être au rendez-vous de l’histoire. Il est certes urgent de rééquiper nos armées pour mener une guerre de haute intensité à laquelle elles ne sont absolument pas prêtes, mais il est impératif de faire tomber deux tabous que n’ose affronter l’intelligentsia, tant militaire que politique :
– remettre en place un véritable service national opérationnel obligatoire pour l’ensemble d’une classe d’âge ;
– et renouveler de fond en comble la défense opérationnelle du territoire, pour préparer l’armée à combattre un ennemi sur notre territoire, aux côtés des forces de l’ordre.
Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées.
L’ancien premier ministre Édouard Philippe a lancé un pavé dans la mare il y a peu en indiquant que l’idée d’un service militaire était une possibilité à étudier à condition qu’il ait un intérêt sur le plan militaire. D’autres soulèvent les questions de coûts pour répondre aux besoins d’infrastructure, d’encadrement et d’équipement que nécessiterait la remise en route d’un tel service. D’autres des questions de faisabilité pratique face à l’ampleur d’une classe d’âge : près de 800.000 jeunes, garçons et filles, à encadrer. Les derniers, enfin, craignent qu’on arme ceux-là mêmes que l’on pourrait avoir à combattre demain. Il est certain que si on commence par additionner les difficultés, il vaut mieux ne rien faire.
Et pourtant, un service national opérationnel, obligatoire pour tous au sein d’une classe d’âge, aurait de multiples avantages qui dépassent largement toutes les difficultés soulevées. Ici, tous les mots ont leur importance : service pour gratuité et sens ; national pour action collective répartie dans les services régaliens de l’État ; opérationnel pour efficacité immédiate et dans la durée, au minimum 6 mois ; obligatoire pour garçons et filles.
Le bon sens populaire appelle de ses vœux le « retour du service militaire », même s’il n’en voit pas forcément l’intérêt opérationnel. À l’inverse, l’institution militaire, et la plupart des décideurs politiques ou chercheurs et analystes, y sont généralement opposés pour les raisons évoquées plus haut. Pour éviter de penser autrement, ils rappellent avec force comme unique argument que la vocation d’un service militaire n’est pas de faire de la cohésion sociale. Il convient pourtant d’admettre que cela reste une vertu secondaire importante qui participe de la résilience de la nation ; les exemples d’Ukraine et d’Israël nous le montrent.
Il reste à imaginer comment utiliser cette force humaine que constituerait un contingent de près de 400.000 jeunes de 18 à 25 ans, dont la composante militaire ne serait qu’une branche. Ma suggestion est de commencer par une sélection précise et approfondie sur tous les plans, physique, scolaire, sécuritaire, social, afin de déterminer les aptitudes et restrictions, notamment au service des armes, pour définir l’affectation qui sera proposée au jeune.
La répartition de cette demi-classe d’âge doit correspondre à des besoins opérationnels au regard des menaces à venir ou potentielles et des missions régaliennes ou d’urgence de l’État. Il est donc proposé de répartir le contingent dans les armées (100.000) pour répondre à leurs besoins, notamment pour la défense opérationnelle du territoire ; dans les forces de sécurité, police, gendarmerie et douanes (100.000), pour renforcer leur présence au quotidien ; dans les corps non armés (100.000) tels que les Pompiers, les Eaux et Forêts, gardes côtes et gardes de Parcs naturels, pour reprendre pied sur l’ensemble du territoire ; dans les services de proximité, enfin, en mairie, dans les services dédiés aux personnes âgées et dans les services sociaux publics ou musées, afin de combler les déficits que nous connaissons et de tenir compte des inaptitudes, tout en permettant à chacun de se mettre au service d’une cause nationale.
À l’issue de son service, le contingent serait automatiquement affecté dans la Garde nationalepour une durée active de 5 ans, afin de servir comme réserviste rappelable 2 semaines par an quel que soit son emploi. Ainsi, outre la mission opérationnelle immédiate remplie par le service national obligatoire, celui-ci nourrira la réserve opérationnelle nécessaire à la mobilisation de la nation en cas d’attaque et fournira ainsi le réservoir indispensable pour tenir dans la durée en cas de conflit et d’assurer la continuité des services de l’État.
Ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission. Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité.
La défense opérationnelle du territoire (DOT) vise à tenir notre pays, préventivement ou en réaction à un ennemi dévoilé, en disposant de forces militaires connaissant le terrain. En le sillonnant régulièrement, elles sont susceptibles d’agir de manière décentralisée en cas de morcellement de notre pays ou de dysfonctionnement de l’État.
Or, ni la Gendarmerie, ni l’armée n’ont le volume suffisant pour assurer cette mission.Il faut donc créer à nouveau des unités dédiées, afin de laisser à l’armée d’active sa capacité d’action en cas de conflit de haute intensité. C’est là que prend toute la valeur opérationnelle du service militaire, au sein d’un service national obligatoire.
Un régiment par département serait placé sous le commandement opérationnel des zones de défense dont la DOT est une des missions principales. Les unités élémentaires doivent disposer de casernements répartis sur le département avec une autonomie d’action leur permettant d’agir de façon autonome et isolée, tout en étant coordonnées par leur colonel au niveau du département. Ce quadrillage de l’ensemble du territoire sera la force préventive qui débusquera l’adversaire quel qu’il soit, trafics, réseaux, zones refuge, qui pourront être traités par les forces de l’ordre dont cela reste la mission ou des forces d’intervention d’active en cas d’agression caractérisée. Cela permettra, en cas de déclenchement d’un conflit sur notre sol, de maintenir la résilience de la nation et des services déconcentrés de l’État.
Revenir sur les idées reçues, préparer sans tabou la guerre de demain qui sera sur notre sol en faisant en sorte que l’ensemble des forces de résilience de la nation soient non pas armées par un petit nombre mais par la nation entière. Nous aurons ainsi les moyens de tenir dans la durée et en autonomie, tout en renforçant la cohésion de notre nation par la participation de tous.
Pour cela, une grande politique de réarmement moral, militaire et civique doit être entreprise. Nos anciens ont su le faire pour relever notre pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale, nous pouvons le faire, c’est une question de choix politique. C’est surtout une urgence !
Si les femmes sont institutionnellement présentes dans les armées françaises depuis 1909, il a fallu attendre 1981 et l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République pour qu’elles y trouvent une vraie place qui, aujourd’hui se pérennise. La récapitulation des textes, réalisée en 2006 par l’Observatoire de la Féminisation, permet de suivre les grandes étapes de leur accès à une institution traditionnellement masculine. Spécialiste d’histoire politique et militaire, l’auteur dresse un « état des lieux » en relatant, d’abord, la manière par laquelle le pouvoir politique, au cours des 40 dernières années, a imposé la féminisation au haut commandement ; ensuite, comment cette dernière a été progressivement réalisée, via des mesures en faveur de la mixité. Enfin, Martine Cuttier ne manque pas de souligner le ressenti des femmes militaires elles-mêmes. Elles sont d’ailleurs toujours plus nombreuses, désormais, à s’exprimer en ce sens.
Dans les sociétés humaines, le recours à la guerre revient à l’homme. La division sociale entre les sexes semble si naturelle que les normes sont intériorisées depuis l’enfance au sein des lieux de socialisation primaire : la famille et l’école. L’homme s’inscrit dans une domination symbolique par rapport à la femme, son opposée du point de vue morphologique, biologique et psychologique. La guerre est une activité « sexuée » des hommes, qui ne l’aiment pas car ils y meurent. Mais elle leur octroie la virilité, les fait accéder aux vertus : héroïsme, sens du sacrifice et de la discipline, patriotisme, courage, endurance, fraternité des armes. Le passage des jeunes hommes par la conscription servait de rite d’initiation pour entrer dans le monde des adultes.
La haute hiérarchie militaire est restée hostile à la présence féminine, par culture pour les générations n’ayant pas connu la mixité scolaire, par corporatisme car ce sont des métiers « entre hommes », et parce que le recrutement féminin accroît une concurrence déjà vive. Depuis quatre décennies, cette réalité a lentement évolué et la division sexuelle du travail social s’est lentement estompée laissant peu à peu place aux femmes.
LE VOLONTARISME POLITIQUE FACE AU HAUT COMMANDEMENT.
La question de l’intégration des femmes est restée cantonnée entre les états-majors et le pouvoir politique. Jusqu’en 1981, elle était considérée comme un pis-aller pour pallier les difficultés de recrutement. Or la gauche la regarde comme une volonté de promotion de la femme au titre de l’égalité républicaine. Elle a une approche sociétale jusqu’à imposer une révolution culturelle à l’armée, qui se place du point de vue de la préparation au combat, la mission principale des armées, la conscription ne concernant que les jeunes hommes. Le haut commandement résiste en refusant les postes de « combat de l’avant » dans les armes de mêlée, mais en les admettant, avec des quotas, dans les armes de soutien et d’appui.
Le cas de la Marine diffère. Lorsque le ministre Hernu décide d’expérimenter l’embarquement des femmes, cela « fit l’effet d’une bombe», ce fut « un véritable traumatisme psychologique. » Car naviguer constitue le cœur du métier de marin, la clé de compréhension des comportements, des attitudes, des traditions. Même si le confort s’améliore, les conditions de vie à bord sont usantes et expliquent la tenue à l’écart des femmes.
Chantal Desbordes (qui sera la première femme nommée amiral, sans « e ») propose au directeur du personnel d’ouvrir le dossier « féminisation » et de prendre l’initiative afin « de combattre l’image conservatrice, voire rétrograde de la Marine ». Et, en cas d’acceptation du plan, de le mener selon le rythme et les modalités de la Marine. Brevetée de l’École de guerre navale, apte à intégrer le « club » très fermé des futurs dirigeants de la Marine, elle a acquis une réelle crédibilité, et son chef l’écoute. En un an, un groupe mixte a bâti un dossier à partir d’une expérimentation qui a concerné 40 femmes embarquées sur des bateaux sans équipement spécifique.
En 1993, la mixité est appliquée pour la première fois selon des quotas sur des navires aménagés au gré des réparations. Ainsi la presque totalité des spécialités d’équipage et les concours de recrutement d’officiers à l’École navale sont ouverts sur la base d’un quota de 10%. Dans la continuité, une femme prend le commandement d’un bâtiment de surface, suivie de quelques autres « pachas » et six bâtiments ont des équipages mixtes. L’armée de l’Air, moins prisonnière des traditions, accorda rapidement une place aux femmes.
AVEC LA FIN DU SERVICE MILITAIRE.
Lorsque le président Jacques Chirac annonce la suspension de la conscription et la professionnalisation des armées, votées par un gouvernement de cohabitation, en 1997, 7,5 % des personnels d’active sont féminins. Véritable rupture pour l’armée suivant l’évolution de la société dont elle est le reflet, elle puise dans le vivier commun du marché de l’emploi où les femmes sont présentes dans tous les secteurs d’activité. Le décret du 16 février 1998 fait sauter tous les verrous en supprimant les quotas féminins de l’ensemble des statuts particuliers des différents corps d’officiers et de sous-officiers de carrière. Toute une série d’arrêtés lève les restrictions aux spécialités. Dans l’armée de l’Air, celui d’avril 1998 permet aux femmes de les atteindre toutes. Caroline Aigle est pilote de chasse dans un escadron de combat en 1999 et neuf femmes deviennent commandos de l’Air.
: Dans la Marine, en 1999, la restriction d’emploi dans les équipages d’avions embarqués est levée tout comme le volontariat à l’embarquement. En 2001, la filière fusilier-commando est ouverte. Dans l’armée de Terre, seule la Légion étrangère reste un bastion masculin. Dans la Gendarmerie, l’arrêté de novembre 1999 permet d’admettre des femmes dans la Garde Républicaine et au GIGN. Mesure symbolique, en 2000, des femmes embarquent sur le PA Charles-de-Gaulle et une femme pilote est qualifiée pour l’appontage. L’arrêté de décembre 2002 maintient la restriction d’emploi dans la Gendarmerie mobile et les sous-marins jusqu’à ce que les Barracuda de dernière génération, livrés à partir de 2018, soient équipés de sanitaires séparés.
Quant aux épreuves sportives communes aux concours d’entrée aux grandes écoles de recrutement d’officiers, l’arrêté de décembre 1998 rappelle que « les épreuves sportives sont identiques pour les hommes et pour les femmes, mais font l’objet d’une cotation à l’aide de barèmes spécifiques à chacun des deux sexes ».
En 2002, alors que la professionnalisation s’organise, le président Chirac désigne Michèle Alliot-Marie à la fonction de ministre de la Défense. Elle symbolise la féminisation de l’institution à une époque où la force physique cède la place à la maîtrise de la technologie. Les armées françaises occupent alors la seconde place, en Europe, avant la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, avec 8,5 % de femmes servant en qualité d’officiers, de sous-officiers et d’engagées.
Jusqu’à une date récente, lorsque l’on évoquait la parité, les réticences à la féminisation restaient liées à la culture d’une institution où le modèle du leader était fondé sur une conception charismatique du chef, quand la définition du commandement évoluait vers le « management ». Ensuite, la présence féminine accroît la concurrence vers les fonctions de commandement dont le nombre diminue, à cause de la professionnalisation et des réductions budgétaires imposées par les LPM. Un lieutenant-colonel ne cachait pas son amertume de ne pas avoir obtenu un commandement régimentaire dans son arme des Transmissions octroyé à une femme. Elle eut certes un commandement mais particulier, car sa mission fut de dissoudre le 18e RT de Caen. Son temps de commandement dura un an et non deux, à l’issue duquel elle plia le drapeau et ferma la boutique.
LA FEMME MILITAIRE, OBJET D’ÉTUDES.
À l’orée des années 2000, la féminisation constitue un sujet de réflexion. Que d’écrits, de colloques, de conférences, de rapports du C2SD, de blogs, de numéros des Champs de Mars jusqu’à une thèse ! En 2011, le numéro 17 d’Inflexions porte sur Hommes et femmes, frères d’armes ? L’épreuve de la mixité. Sous-titre révélateur. En août 2013, l’hôtel de Brienne inaugure l’exposition Femmes de la défense, présentée ensuite en province. Et lorsqu’en 2012, le général Antoine Windeck prend le commandement des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, il se montre « soucieux d’améliorer le sort des élèves-filles », que « la grande école du commandement de l’armée de Terre, maison-mère des officiers, se positionne sur la question des femmes », car l’École spéciale militaire (ESM de Saint-Cyr) est considérée comme un foyer misogyne. Claude Weber, professeur de sociologie répond à la demande du général en organisant un colloque interdisciplinaire, en novembre 2013.
; Admise en 1995 dans une promotion de 173 élèves-officiers dont 4 filles, Valérie Morcel se souvient des relations difficiles avec certains garçons, des « remarques désobligeantes », du « mépris », du « sexisme dont elle a pu être victime. » Quand on nous traitait de « grosses », c’était « encore gentil ». En revanche, lorsqu’en 2019, le lieutenant-colonel Catherine Busch commande le 1er bataillon de France (3e année de l’ESM), les quinze filles de la promotion de 140 élèves-officiers sont bien intégrées. Le temps a assoupli les comportements. Mais revenons au colloque où une contributrice s’interroge : « Le soldat a-t-il un sexe ? » citant d’entrée la formule du général de Lattre de Tassigny : «Je ne veux pas savoir s’il y a des femmes dans la division, pour moi, il n’y a que des soldats. » En écho, lorsqu’en juin 2018 le colonel Morcel prend le commandement du 54e RT d’Haguenau, elle est agacée que l’on écrive chef de corps avec « ffe » car elle considère qu’ « un chef, c’est un chef. Un colonel, un colonel. C’est une fonction». La féminisation des titres est « très dévalorisante » et une manière de ridiculiser les femmes militaires.
En 2011 et 2012, le Haut comité d’évaluation de la condition militaire traite le sujet dans deux rapports et décide en 2013 de consacrer un numéro thématique aux Femmes dans les forces armées françaises. De l’égalité juridique à l’égalité professionnelle. Il s’appuie sur le Livre blanc et affirme que « la place des femmes dans les forces armées n’est plus un problème ni même une question ; leur rôle est désormais reconnu. La situation n’est pas pour autant stabilisée et des évolutions sont encore nécessaires. » Réaliste, le Haut comité avance que les dispositions applicables à la société civile ne peuvent être calquées telles quelles du fait de la mission des armées. Et si l’égalité juridique avance dans la société, l’égalité professionnelle est en devenir. Pour la réussir, il rappelle les limites des comparaisons avec la société. L’évolution vers l’égalité professionnelle ne pouvant se conduire qu’avec l’adhésion du personnel et correspondre aux aspirations personnelles des militaires et surtout des femmes.
En 2014, la parution médiatisée du livre de Marine Baron La guerre invisible, qui dénonce les violences physiques et morales faites aux femmes militaires, fit l’effet d’une bombe à tel point que le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian lança une enquête nationale interne, annonça des mesures en leur faveur avant de créer, en avril, la cellule Thémis, organisme central, interarmées, interservices. En 2016, afin de contrer les critiques sur les réticences à les promouvoir et les rendre plus visibles dans les campagnes de recrutement, le ministre préface un ouvrage de Jean-Marc Tanguy, L’armée au féminin, où il rappelle que la « mixité est une conquête, accomplie dans le temps long de l’histoire des armées », qu’elle est une réalité car « les femmes de la Défense servent désormais dans presque tous les domaines jusque sur les théâtres », ce que le livre montre par des portraits et des témoignages.
En 2019, la ministre des Armées Florence Parly, qui est très déterminée, publie le Plan Mixité. Les femmes représentent alors 15,5 % du total des militaires. Elles sont 30 % au secrétariat général pour l’Administration (SGA), 23 % dans l’armée de l’Air, 14 % dans la Marine et 10 % dans l’armée de Terre.
Elles sont 58 % (dont un très gros tiers médecin) dans le service de santé (SSA), commandé par une femme, le médecin général Maryline Gygax-Généro, 40 % dans les postes de gestion, de soutien et de relations humaines, et 4 % à l’opérationnel. Par catégories, elles représentent 15 % des officiers, 18 % des sous-officiers et 13 % des militaires du rang. En 2022, 51 femmes sont officiers généraux (hors contrôle général), elles étaient 30 en 2016.
Le Plan a été conçu en concertation avec les Armées, la DICOD, l’association Avec les femmes de la défense et les corps d’inspection et de contrôle. Il s’est accompagné de consultations sous forme d’entretiens individuels, d’échanges collectifs, de tables rondes ayant concerné toutes les catégories, les directions, les services mais aussi les Conseils de la fonction militaire. Il a été présenté au Conseil supérieur de la fonction militaire le 23 janvier 2019.
Y ALLER, Y RESTER, Y ÉVOLUER.
Ce plan mixité s’appuie sur trois axes, « recruter, fidéliser, valoriser », déclinés en 22 mesures, fruit du travail du contre-amiral Anne de Mézieux, directrice auprès du DRH du ministère. Alors que seulement 8 % des femmes sont déployées en OPEX, son sous-titre, «la Mixité au service de la performance opérationnelle », n’est-il pas présomptueux ? Même question pour le très volontariste titre de la 1ère partie : « l’égalité femmes-hommes au ministère des Armées, un principe cardinal et une réalité quotidienne ».
Le dossier pour l’obtention du label « Égalité », déposé fin 2018, témoigne de l’engagement du ministère en faveur de l’égalité professionnelle. Constatant que depuis 2008 la proportion des femmes stagne entre les civiles (38 %) et les militaires (15,5 %), la ministre entendait prendre sa part de la volonté du président de la République, qui annonçait en novembre 2017 que l’égalité constituait « la grande cause nationale du quinquennat ».
Mais l’égalité des sexes doit-elle servir de finalité à une politique sociale ? Afin d’accroître les effectifs féminins, on recrute directement des femmes officiers en élargissant le recrutement sous contrat et sur les titres des grandes écoles. Pour éviter « l’évaporation des talents » comme le repli sur les métiers administratifs et de soutien, il est envisagé de modifier le Code de la défense pour intégrer les droits à l’avancement (dans la limite de cinq ans) en cas de congé parental ou de disponibilité pour élever un enfant. Y compris en prolongeant les créneaux d’accès aux temps de commandement et de responsabilité après absence pour raisons familiales. Il est prévu d’instituer un mentorat dans le but de fidéliser les militaires en les accompagnant mieux tout au long de leur carrière. Une gestion non pas dans les unités mais par des accompagnateurs situés hors hiérarchie. N’est-ce pas en contradiction avec le choix de privilégier les recrutements sous contrat ?
; La LMP 2019-2025 veille « à faciliter l’accès des femmes aux diplômes d’état-major et à l’École de guerre avec l’objectif de doubler la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025 ». En 2019, 7 % des officiers généraux sont des femmes. Ce taux s’explique par le recrutement et « l’évaporation des talents » au gré de la montée en grade car, rappelons-le, il faut une vingtaine d’années pour former un chef de corps. En 2018, parmi les 78 promus « colonel » au sein de l’armée de Terre, la seule femme était Valérie Morcel. « Forcément, cela a été un soulagement de me retrouver sur cette liste. C’est beaucoup de fierté et de pression. C’est un enjeu important dans le déroulement d’une carrière ». À l’été 2019, elle prend le commandement d’un régiment de transmissions et le colonel Catherine Busch, le 31e régiment du génie de Castelsarrasin. Et il faut 30 ans pour accéder aux étoiles après le passage par le CHEM.
Genre et compétence.
Le sujet des examens et des concours est abordé dans la troisième partie du Plan sous l’angle de la fidélisation, alors que les mesures visent à renforcer la féminisation du haut encadrement. Objectifs : 10 % de femmes parmi les lauréats de l’École de Guerre d’ici 2025, 10 % de femmes parmi les officiers généraux en 2022, et, on l’a déjà dit, doublement de la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025. L’établissement de tels quotas n’est-il pas injuste, voire discriminant ? N’est-ce pas une façon d’humilier les femmes triées pour leur genre et non leur compétence, tout en accroissant un ressentiment masculin ? Pour le colonel Valérie Morcel : « Le combat se gagne avant tout sur la compétence », le colonel Catherine Busch ne dit pas autre chose lorsque, prenant le commandement du 31e RG, elle déclare à la presse locale « Le commandement, ce n’est pas une affaire de genre. » Elles revendiquent leur promotion pour leurs compétences et se montrent le plus souvent hostiles aux quotas. Faut-il traiter l’émancipation des femmes de façon idéologique et en faire une affaire de chiffres ? Autant de questions posées.
Encore faut-il que la hiérarchie accepte que la femme fasse ses preuves et acquière des compétences. Le cas de cet adjudant-chef parachutiste illustre l’évolution des mentalités et des comportements en une génération. Au début des années 1990, sortant bien classée de Saint-Maixent, elle choisit l’infanterie parachutiste. Elle se retrouve comptable à la BOMAP alors qu’elle voulait être chef de groupe et partir en mission. Elle y parvient et, lorsqu’elle dépose son dossier pour être moniteur, le capitaine éclate de rire. Commence « un combat de longue haleine ». Elle sort 1ère à l’issue des tests, mais son « dossier passe toujours en dessous car il y a des priorités. » À l’ETAP, elle est « la 1ère de l’armée de Terre » et doit « faire plus pour faire ses preuves ». En 1997, enfin moniteur, elle se retrouve au 1er RTP avec la spécialité largage. Elle largue donc mais, un jour, un légionnaire du 2e REP refuse son contrôle avant le saut. Mal lui en a pris, il écope de 10 jours d’arrêts. Puis, en 2005, l’ETAP la mute au cercle-mess où elle retrouve sa spécialité première alors qu’elle veut aller dans les régiments où les moniteurs manquent. Quand elle demande à intégrer la brigade parachutiste, même refus. Alors elle passe les qualifications de chef largueur et, après avoir participé au Grand Raid de la Réunion puis au Marathon des Sables, son chef accepte « à condition qu’elle joue le rôle de vitrine » de l’unité. Elle gagne et gravit les échelons jusqu’à saisir l’opportunité d’intégrer le 1erRPIMa, où elle poursuit les qualifications pour la logistique et le saut à très grande hauteur sous oxygène.
La communication institutionnelle
Recruter, donner envie de s’engager, fidéliser en conciliant évolution professionnelle et vie privée, en mettant en valeur l’image féminine, c’est le job des communicants. Le PACharles-de- Gaulle partant en opération après deux ans de réparation, le JT de TF1 du 25 février 2019 présente des filles mangeant dans la bonne humeur, l’une montre sa couchette, l’autre est en passerelle au poste de commandement. Un esprit mal tourné pourrait conclure que l’équipage du PA est essentiellement féminin, alors qu’elles ne sont qu’une poignée. Sur FR3, le 20 mars, une publicité sur le recrutement dans l’armée de Terre n’affiche que des filles dans toute la diversité. Le magazine Enquête d’action diffusé sur W9 traite du stage d’instructeur commando du CNEC, à Montlouis. Sur les 25 stagiaires, l’accent est mis sur un lieutenant du 92e RI de Clermont-Ferrand et sur le sergent Christelle, venue de l’École de l’Air de Salon-de- Provence. Un homme et une femme pour l’équilibre, mais le reportage s’attarde sur le sergent qui réussit de justesse, classée avant-dernière mais quatrième femme à être allée au bout du stage. Présentée dans le Plan Mixité, elle est signalée comme la première femme de l’armée de l’Air à avoir obtenu cette qualification sans préciser son rang.
L’on aura compris que, dans chacune des armées, la communication sur le recrutement s’aligne sur une gestion des Relations Humaines très politique. Les éléments de langage traduisant la volonté politique semblent oublier que l’engagement militaire doit répondre à une vocation, et accepter que le métier militaire puisse être plus attirant pour les hommes que pour les femmes, tout comme la dimension « combat » attirer moins les femmes.
L’obsession ministérielle se traduit parfois de façon étonnante. Ainsi, la secrétaire d’État Geneviève Darrieussecq, en visite à l’ETAP à Pau, demande à son commandant l’effectif des militaires féminines. Surpris, il répond selon l’usage, comme il avait entendu le chef d’état-major de l’armée de Terre le faire, en indiquant le nombre d’officiers, sous-officiers et militaires du rang. Une réponse qui la mécontenta.
La ministre veut un treillis pour femme enceinte, ce à quoi s’opposent les femmes. Beaucoup considèrent qu’il faut cesser de mettre des femmes partout comme dans le civil et, si elles sont d’accord pour lisser les tests physiques, ce qui revient à baisser les niveaux exigés pour les hommes et à augmenter ceux pour les femmes, elles considèrent que l’évaluation de la capacité opérationnelle doit être identique. Pour certaines, la ministre crée un fossé, alors que la mixité doit harmoniser les relations hommes/femmes. D’ailleurs la feuille Mixité demandée par l’Inspection de l’armée de Terre a montré que les idées des groupes de travail allaient dans le sens CEMAT, et pas du tout dans celui de la ministre.
Dans l’esprit de la ministre, le Plan Mixité visait à débloquer les verrous empêchant les femmes et particulièrement les officiers de poursuivre leur carrière. Il s’appuyait sur le Plan Famille de 2017 avec des mesures en faveur des femmes et des jeunes parents, afin de mieux concilier carrière et vie personnelle, dont la maternité.
(*) Martine CUTTIER.Docteur en histoire contemporaine, spécialiste des relations internationales et des politiques de puissance avec projection de forces. Elle a beaucoup travaillé sur les questions de sociologie militaire et les relations entre forces occidentales projetées et populations des pays considérés, notamment dans les pays africains en faisant le distinguo entre Français, Britanniques, d’une part, et Américains d’autre part.
Fallait-il suspendre [ou supprimer] le service militaire? Cette question se pose avec insistance dans les pays ayant pris une telle décision, à une époque où l’on pensait qu’il ne se justifiait plus. Certains d’entre eux ont déjà apporté une réponse : la Suède, la Lituanie et, plus récemment, la Lettonie ont fait le choix de le rétablir. D’autres tournent autour du pot, comme en France, avec le « Service national universel » [SNU], en gestation depuis maintenant six ans. C’est aussi le cas de la Pologne, dont le précédent ministre de la Défense avait le projet de rendre obligatoire une formation militaire pour l’ensemble des hommes en âge de porter les armes.
Mais c’est sans doute en Allemagne que la question sur l’éventuel rétablissement du service militaire, suspendu en 2011, se pose avec d’autant plus d’acuité que la Bundeswehr [forces fédérales allemandes] peine à recruter, alors qu’elle doit porter ses effectifs à 203’000 militaires, contre 183’000 actuellement.
Dans un entretien récemment accordé au quotidien Die Zeit, le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, a de nouveau estimé que la suspension du service militaire était une « erreur ». Et d’ajouter que son rétablissement était possible « compte tenu de la situation actuelle en matière de sécurité ». Cependant, il a également admis qu’une telle décision entraînerait « d’importants problèmes constitutionnels et structurels ». En tout cas, a-t-il prédit, le « débat sur ce sujet va prendre de l’ampleur ».
« D’une manière générale, les Allemands doivent être prêts à un changement de mentalité. L’époque des dividendes de la paix […] est révolue. Nous devons désormais être à nouveau capables de dissuader un éventuel agresseur. Et la Bundeswehr doit être à la hauteur, que cela plaise ou non », a insisté M. Pistorius.
En attendant, la structure de la Bundeswehr va être modifiée « afin de lui permettre de remplir au mieux » ses missions. « Ensuite, nous verrons ce que cela signifie pour son format et tout le reste », a dit le ministre allemand.
Quoi qu’il en soit, ces derniers jours, et comme M. Pistorius l’avait prédit, le débat sur le retour du service militaire a effectivement pris de l’ampleur outre-Rhin. Pourtant à l’origine de sa suspension, le Parti chrétien-démocrate [CDU/CSU] est sans doute le plus enclin à le rétablir.
Ainsi, le vice-président de son groupe parlementaire au Bundestag [chambre basse du Parlement allemand], Johann Wadephul, a plaidé pour un « service général obligatoire », qui, en plus de satisfaire les besoins de la Bundeswehr, permettrait de répondre à ceux exprimés par d’autres services publics, comme, par exemple, la sécurité civile.
Cela étant, la question divise le Parti social-démocrate [SPD], dont M. Pistorius est issu.
« Je suis favorable à ce que la Bundeswehr devienne plus attractive. Mais je considère que le service obligatoire est très discutable. Et pas seulement d’un point de vue constitutionnel. Je ne pense pas que mon parti soutienne un tel modèle », a déclaré Kevin Kühnert, le secrétaire général du SPD, dans les pages du Rheinische Post.
La co-présidente de ce parti, Saskia Esken, est sur la même ligne. « Réintroduire un devoir ou une obligation pour les adultes est fondamentalement en dehors de ma vision de l’humanité », a-t-elle dit. « Je pense que la Bundeswehr est désormais bien positionnée en tant qu’armée professionnelle et qu’elle doit être développée davantage », a-t-elle ajouté.
Seulement, également membre du SPD, la commissaire parlementaire de la Bundeswehr, Eva Högl, s’était prononcée en faveur d’un service militaire inspiré du modèle suédois. Et c’est cette solution qu’étudie M. Pistorius, comme il l’a confié dans un entretien publié par l’édition dominicale du quotidien Die Welt, la semaine passée.
En Suède, « tous les jeunes hommes et femmes sont concernés, et seul un nombre restreint d’entre eux finissent par effectuer un service militaire. La question de savoir si quelque chose comme cela serait également envisageable ici se pose », a-t-il en effet déclaré, avant de rappeler que, quel que soit le modèle retenu, une majorité politique sera nécessaire.
Pour rappel, les jeunes suédois aptes au service militaire ne peuvent pas se dérober à leurs obligations s’ils sont retenus par une sorte de conseil de révision. Le nombre de conscrits – environ 4000 par an – est déterminé en fonction des besoins exprimés par les forces suédoises.
Malgré de fortes tensions sur le marché de l’emploi, la Marine nationale (forte de 39 000 militaires et 3 000 civils) a atteint à nouveau ses objectifs de recrutement en 2023 avec près de 4 200 marins recrutés.
« La performance de ce recrutement est historique et en constante augmentation », estime la Marine pour qui ce succès « témoigne de l’attractivité forte de l’institution auprès de la jeunesse, dans un contexte de remontée en puissance des besoins RH de la Marine nationale, pour répondre aux besoins opérationnels. »
La Marine nationale a pour la 4ème année consécutive atteint ses objectifs en recrutant cette année près de 4 200 marins militaires dont 3 800 externes. La campagne de recrutement en 2023 dépasse même les résultats atteints les années précédentes : 4 119 en 2022, et 4000 en 2020 et 2021. Cette performance a été « permise grâce à la mobilisation de l’ensemble de la Marine nationale et notamment des près de 250 marins conseillers en recrutement, armant les 60 CIRFA Marine (Centres d’Information et de Recrutement des Forces Armées du territoire) de France.«
Cette performance historique s’explique également par une augmentation du nombre de candidats, environs 15% en 2023, malgré un marché de l’emploi contraint et sous tension dans de nombreux secteurs d’activité : taux de chômage des jeunes historiquement bas à 16% et une concurrence accrue dans certains domaines civils (l’industrie, l’informatique, l’aéronautique, le nucléaire, ou encore la restauration…).
Dans le même temps, la Marine a poursuivi l’internalisation de certaines formations clés, en partenariat avec l’Education nationale, avec notamment le lancement d’un BTS de « maintenance des systèmes de production » à Cherbourg, une formation où les jeunes suivent une double formation académique et militaire, en partenariat avec l’Ecole Atomique (EAMEA).
La campagne de recrutement 2023 a permis également de mettre en évidence deux enseignements très encourageants.
D’abord, la mixité dans les rangs de la Marine est en progression puisque les jeunes femmes représentent cette année 22% du recrutement et même 33% chez les officiers. Cette hausse (+2% en moyenne) s’inscrit dans la volonté de la Marine d’accroître la mixité dans ses rangs, aujourd’hui à 16%.
Par ailleurs, le recrutement dans les territoires d’Outre-Mer lui aussi est en progression et représente 10% du recrutement (418 recrues) en 2023. De la Polynésie aux Antilles en passant par la Nouvelle-Calédonie, La Réunion ou encore la Guyane, la Marine nationale bénéficie d’une visibilité accrue avec l’arrivée dans ces territoires d’unités de nouvelle génération et d’importants investissements dans ses bases navales ultramarines.
Dans cet article, l’auteur souhaite attirer l’attention sur les manières possibles pour les jeunes de s’intéresser aux différents domaines de la défense, qui, encore aujourd’hui, leur sont trop peu présentés.
Comment les jeunes peuvent-ils s’intéresser aux domaines de la défense ?
Châtelet-les-Halles, au mois de novembre. Une place remplie, une foule en mouvement : le quotidien de l’un des centres de transit de la capitale. Sur le forum fleurissent les caméras, car c’est ici que de nombreux jeunes viennent se filmer : ils dansent pour les réseaux sociaux, « vloguent » leurs journées, mais filment des micros-trottoirs, une tendance vidéo. Au programme, des quiz de culture générale, de la géographie, de l’art. Mais aussi de la défense. Car ce matin, un duo aborde les différents étudiants et jeunes professionnels qui déambulent, avec une question : «Et vous, vous vous battriez pour la France ? » Ce genre de question inonde la toile, et la réponse, sur la plupart des vidéos, est porteuse d’un sombre augure : «Moi ? Jamais. » Les raisons du refus du combat sont souvent les mêmes : « l’armée est composée de fascistes », « on a une armée, je ne vois pas pourquoi j’irais me battre, c’est leur métier» et autres alibis du même acabit. Si certains témoignages nous permettent d’avoir de l’espoir en la jeunesse française quant à la défense de son territoire national, une question demeure : Pourquoi la jeunesse actuelle exprime-t-elle un tel rejet, une telle méconnaissance de l’armée ?
Un aspect historique
La jeunesse française post-Seconde Guerre mondiale, au travers des différents mouvements sociaux dans lesquels elle s’est illustrée, manifeste clairement un désintéressement pour l’armée, contre la guerre en Indochine, contre la guerre en Algérie, pour plus de social, comme l’imagine Edgar Morin, cité par Anne-Marie Sohn dans Histoire des mouvements sociaux en France. Et l’occasion de leur permettre de s’y intéresser n’est arrivée que très tard, avec l’exemple de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale : recréé en 1945, il aura fallu attendre 1996 pour qu’apparaisse Les Jeunes IHEDN, structure qui aujourd’hui accueille plus de 2 700 personnes intéressées par les différents secteurs de la Défense.
La disparition des militaires dans la rue joue aussi un rôle important. Comment croire à l’importance d’un milieu invisible pour la grande majorité des gens ? La plupart des jeunes ne pensent même pas qu’à l’intérieur de Paris même se trouverait une École militaire, ou le complexe du ministère des Armées à Balard. La symbolique n’est plus enseignée à l’école, et la flamme du soldat inconnu, qui ne brille que dans les yeux de celui qui la regarde, n’atteint plus le cœur des jeunes.
Une volonté nouvelle pour les jeunes
Ces dernières années, différents concepts ont vu le jour, pour inciter les jeunes Français à s’intéresser à l’armée, notamment grâce à de nouveaux outils : les réseaux sociaux. On a vu fleurir sur Instagram, twitter, les comptes des armées françaises, avec des vidéos de qualité. Une nécessité aujourd’hui, sachant qu’avec le retour à grande vitesse de la Haute Intensité comme nouveau paradigme, l’armée a engagé un plan « pour 1 militaire actif, 2 réservistes ». D’autres initiatives existent pour intéresser les jeunes, comme les VADAT (Volontaire Aspirant De l’Armée de Terre), le VOA (Volontaire Officier Aspirant), comme les classes Défense, créé en 2011, le SNU, en 2019 ; d’un point de vue strictement civil, la création de la Fédération Atlas, inscrite au RNA en 2021, permet aussi de réunir les différentes associations de défense des écoles supérieures (Sciences Po, HEIP, Dauphine, Assas…)
L’occasion d’en parler
Les conférences, tables rondes, ateliers autour de la défense se font par centaines chaque année. Mais pour son édition 2023, le forum national des Études de l’Union des Associations d’Auditeurs de l’IHEDN a souhaité rompre les codes habituels. Entre les différentes conférences d’experts, forts de leurs expériences multi-décennales, qui ont duré toute la journée, une table ronde, d’un peu plus d’une demi-heure, a été dédiée spécialement à la jeunesse.
Les Jeunes IHEDN, que j’ai eu l’honneur de représenter, ont donné la parole, devant l’assemblée des auditeurs, à quatre jeunes venus raconter leurs expériences qu’elle soit militaires ou civiles, dans les secteurs de la défense. Marie Siméon, Maël Dei Cas, Athénaïs Jalabert-Doury et Sana Khoutoul, âgés de 15 à 26 ans, ont d’une manière ou d’une autre développé un esprit de défense au travers d’une de leur vécu. Et tous ont martelé un point : il est nécessaire de communiquer davantage de ces opportunités que sont les VADAT, les VOA, etc.
Il est important que les jeunes d’aujourd’hui disposent d’un enseignement de défense, afin de favoriser de possibles engagements, ou du moins l’adhésion à la réserve opérationnelle ou civile ; afin de redorer le blason de notre armée, qui souffre d’une mauvaise vision auprès des jeunes.
Mais il est surtout impératif qu’ils obtiennent plus de place dans les secteurs de la défense, qu’ils puissent prendre le micro et parler de leur propre expérience, afin d’en parler avec leurs aînés. Car c’est en dialoguant de manière ouverte que la jeunesse peut véritablement devenir le fer de lance d’une défense nationale forte et résiliente.
(*) Alexandre Colby, Journaliste titulaire depuis 2022, Alexandre Colby poursuit actuellement ses études en Master Expert en Coopérations et Relations Internationales à HEIP. Il assume également le rôle de responsable de Fort Éclair, le podcast des Jeunes IHEDN.
Entre 2000 et 2500 militaires manqueront cette année par rapport à l’objectif fixé.
Il va manquer entre 2000 et 2500 militaires. L’armée de terre n’atteindra pas ses objectifs de recrutement cette année, une première depuis presque dix ans. Chaque année, elle doit attirer 16.000 nouveaux soldats pour assurer le renouvellement des générations et garantir ses missions. « Nous connaissons quelques difficultés inédites », a convenu mercredi le général Marc Conruyt, directeur des ressources humaines de l’armée de terre, lors d’une rencontre avec l’Association des journalistes de défense. Mais il a mis en garde contre des conclusions hâtives. « Nos fondations sont solides », a-t-il assuré. Le fléchissement des engagements est cependant de nature à inquiéter une institution qui se projette dans le temps long.
Le phénomène ne concerne pas seulement la France. La Bundeswehr ou l’US Army rencontrent elles aussi des difficultés. En Allemagne, les recrutements sont en recul de 7%, selon une information du Spiegel. Aux Etats-Unis, l’armée a raté ses objectifs de 25% en 2022 laissant 15.000 places vacantes.
En France, l’armée de terre bénéficiait depuis 2015 d’un élan, lié notamment à l’impact des attentats. L’effet perdure toujours : sens de la mission de défense de la France, attrait de l’engagement pour des valeurs… Mais la carrière militaire est soumise aux mêmes tensions qui traversent la société : nouveau rapport au travail, baisse du chômage… Si l’armée parvient toujours à attirer de futurs fantassins, elle peine à recruter des spécialistes dans des domaines concurrentiels comme le numérique, la maintenance ou encore les langues, pour les missions de renseignement.
Sentiment de «mal-être» chez les officiers
«Il y a un éloignement croissant entre le style de vie moyen et celui que nous proposons », a aussi convenu le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Schill, en évoquant implicitement les contraintes de disponibilité, de mobilité territoriale ou encore de vie familiale. L’évolution de la politique de rémunération au sein de l’armée fait aussi craindre des effets pervers : la différenciation des primes selon la localisation géographique risque de créer des distorsions d’attractivité. Le dernier rapport du Haut comité d’évaluation de la condition militaire a fait enfin apparaître un sentiment de « mal-être » chez les officiers (toutes armées confondues), nourri par un sentiment de décrochage par rapport aux conditions de travail dans la haute fonction publique.
La fin de l’opération Barkhane pèse aussi auprès des militaires du rang. « L’armée de terre est une armée d’emploi. L »aventure est fondamentale dans l’acte de s’engager », admet le général Schill. Le mot est repris dans les visuels des campagnes de recrutement. « Il y a aussi une dimension sociale liée aux rémunérations en opération », complète-t-il. Depuis dix ans, les militaires s’étaient habitués à intégrer dans leurs plans de vie et de carrière les primes touchées dans le cadre d’une « opex ». Elles ne seront plus perçues. « Est-ce qu’un exercice organisé dans le cadre de l’Otan est aussi bien qu’une mission au Sahel… », s’interroge le général Schill sans aller jusqu’à formuler la réponse. À côté de lui, le général Conruyt temporise. De la Guyane au Levant, l’armée est impliquée dans d’autres théâtres. Elle a aussi renforcé sa présence en Roumanie et en Estonie. Dans le passé, elle a aussi connu des périodes sans opération majeure. «Quand je suis arrivé en régiment en 1990, on pensait qu’il n’y aurait plus de missions… », s’est-il souvenu. Puis l’actualité du monde a rattrapé l’armée.
Si elle est relativisée et nuancée, la crise de recrutement n’est pas minorée. Pour y faire face, l’armée de terre promet de s’adapter. Efforts sur la fidélisation des personnels au-delà de 5 ans, gestion individualisée des parcours, amélioration des conditions de vie dans le cadre du « Plan famille », efforts financiers sur les métiers en tension… L’armée a promis des réformes pour mieux prendre en compte les réalités sociales.
Selon la dernière revue publiée par le Haut comité d’évaluation de la condition militaire, la sélectivité du recrutement des militaires du rang s’est améliorée en 2021, avec une moyenne de 1,5 candidat pour un poste. « Cette amélioration est commune à toutes les armées [+ 0,2 point pour l’armée de Terre, + 0,4 point pour la marine nationale et + 0,2 point pour l’armée de l’Air et de l’Espace]. Elle résulte de la hausse de 13 % du nombre de postulants au recrutement associée à une baisse de 3,4 % du volume de recrutés », est-il avancé dans ce document.
Seulement, cette amélioration est loin d’être suffisante… En tout cas, ce taux de sélectivité n’a pas retrouvé le niveau qui était le sien en 2015 [2,2 candidats pour un poste]. Dans un avis budgétaire publié 2020, les sénateurs Joël Guerriau et Marie-Arlette Carlotti avaient même avancé qu’il s’approchait des « planchers […] constatés au début des années 2000, au moment de la professionnalisation ». Et cela d’autant plus que le « vivier » des recrues tend à s’amenuiser, avec une baisse du nombre de candidats médicalement aptes, en raison d’un « mode de vie de plus en plus sédentaire » et d’une « surconsommation d’écrans susceptible de favoriser surpoids et myopie ». Enfin, les aspects démographiques sont aussi à prendre en considération.
Or, pour qu’un recrutement soit optimal, il faut réunir au moins deux conditions : un taux de sélectivité élevé [ce qui suppose d’être attractif] et un taux de dénonciation de contrat durant la période probatoire le plus bas possible. Pour l’armée de Terre, celui-ci s’élève en moyenne à environ 30% par an.
Quoi qu’il en soit, recruter sera un défi pour l’armée de Terre au cours des prochaines années. C’est en effet ce qu’a admis le général Schill, son chef d’état-major, lors d’une audition au Sénat dont le compte rendu vient d’être publié [soit plus de trois mois après!]. Et, s’agissant des militaires du rang, le taux de sélectivité s’est effondré.
« Le recrutement de nos militaires du rang est correct. Nous avons fini l’année 2022 à l’effectif qui nous était accordé. Il n’empêche qu’il existe une vraie difficulté de recrutement et de fidélisation, avec à peine plus d’un candidat pour un poste. Nous devons donc renforcer notre attractivité pour recruter davantage de militaires du rang mais aussi de sous-officiers », a en effet déclaré le général Schill.
Et encore, en 2024, l’armée de Terre ne bénéficiera pas de postes supplémentaires.
« Dans la loi de programmation militaire qui s’achève, nous avions un certain nombre de créations de postes. Nous avions choisi de les cibler sur les postes à plus haute valeur ajoutée. Nous voulions notamment créer des postes dans les nouvelles capacités cyber et du renseignement. Nous avons créé ces postes par transfert depuis d’autres fonctions opérationnelles », a expliqué le CEMAT.
Quoi qu’il en soit, pour le général Schill, « l’impératif de jeunesse doit être conservé » car « nous avons besoin d’une armée jeune ». Actuellement, a-t-il précisé, les régiments ont une moyenne d’âge de 28 ans, « cadres compris ».
« Nos jeunes s’engagent à 20 ans en moyenne. Ils passent 6 à 7 ans dans les armées. Nos militaires du rang ont une moyenne d’âge de 26 ans. C’est un atout, même si j’aimerais que la moyenne d’âge des militaires du rang soit un peu plus élevée. Cette réalité globale doit être maintenue », a ajouté le général Schill.
Par ailleurs, commentant, via Linkedin, la récente note de Bruno Tertrais sur l’évolution de la démographie en France, publiée par l’Institut Montaigne, le CEMAT a estimé que « l’adaptation » du recrutement de l’armée de Terre « doit être poursuivie afin de prendre en compte le vieillissement de la population », par exemple « en changeant les critères d’âge pour servir sous l’uniforme ou en modifiant les conditions d’accès à la réserve ».
Le général Schill a aussi considéré que la « chute de la natalité impacte directement le volume des classes d’âge, et donc le vivier de recrutement de 14’000 jeunes que l’armée de Terre accueille annuellement ». Or, a-t-il ajouté, si celle-ci « demeure un vecteur dynamique d’insertion de la jeunesse, sa capacité opérationnelle dépendra demain de l’attractivité du métier des armes ». Enfin, elle aura également à renforcer « rôle de creuset intégrateur » à l’heure « où le seuil symbolique des 10% de Français d’origine immigrée a été relevé par l’INSEE ».
Le 17e rapport thématique du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM) vient d’être diffusé (il est à consulter ici). Le comité a décidé de consacrer pour la première fois son rapport thématique à la condition militaire des officiers (photos AMSCC).
Au nombre d’environ 40 600 en 2021, les officiers ne représentent pourtant qu’environ 13 % du nombre total des militaires employés la même année:
Lors de ses travaux pour son 16e rapport (2022) portant sur la mobilité des militaires, les auditions menées pour ce rapport lui ont donné à entendre l’existence d’un « mal-être » chez certains officiers. Il lui a « paru essentiel d’examiner dans quelle mesure la condition militaire permettra aux forces armées de disposer demain des officiers dont elles auront besoin« .
Les entretiens réalisés en particulier ont mis « en évidence des éléments de fragilité ainsi que des interrogations. Ces fragilités et interrogations concernent tant le recrutement que la capacité à fidéliser au travers du déroulement de la carrière de l’officier, des conditions de service et des conditions de vie pour lui et sa famille. Elles traduisent enfin une attente des officiers de plus grande reconnaissance à leur égard. »
La difficile fidélisation mais aussi un besoin croissant d’encadrement font que les deux voies principales de recrutement (recrutement direct en début de carrière, par concours et recrutement interne de sous-officiers et de militaires du rang ) ne suffisent plus. Il a donc été choisi de développer une troisième voie avec un recrutement sur titres ou sur dossier, le cas échéant après entretien, pour attirer des personnes diplômées et ayant déjà connu une ou plusieurs expériences professionnelles qu’elles recrutent en qualité d’officiers sous contrat ou d’officiers commissionnés.
C’est ce que démontre et illustre mon récent post consacré à la rentrée des élèves à l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (voir: L’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan fait le plein). A l’ESM sont entrés 201 élèves français. A l’EMIA: 115 élèves français. Et à l’EMAC: 207 OSC encadrement auxquels s’ajoutent de très nombreux OSC spécialistes (en septembre 2022, une partie de ces derniers ont été ventilés sur les écoles de Saumur et Angers puisque le site de Guer ne pouvait pas accueillir tous les élèves de l’EMAC).
14 recommandations:
Recommandation 1 Le Haut Comité invite à donner une permanence à l’exercice de prospective en matière de RH au sein des forces armées, à lui donner une dimension véritablement anticipatrice et « critique » en ce sens qu’elle doit aller jusqu’à questionner les composantes de notre modèle d’armée. Ces travaux devront s’appuyer sur l’observation et l’anticipation des évolutions de la société de nature à influer directement sur l’attractivité du recrutement des officiers, leur formation, leur gestion et leur fidélisation. Ils évalueront les résultats et impacts des mesures de RH menées à leur égard dans une approche interarmées, en coordination avec la gendarmerie afin d’être en capacité, en tant que de besoin, d’adapter voire de réinventer la politique RH des forces armées, en particulier à l’égard des officiers. À titre d’illustration de l’impact des mesures RH qui pourrait donner lieu à une évaluation, le HCECM considère que le célibat géographique mériterait un suivi particulier au regard de la singularité de l’exercice du métier des armes et de l’impact que ce célibat peut avoir sur le militaire, en particulier l’officier, et le bon accomplissement de sa mission.
Recommandation 2 Le Haut Comité réitère la recommandation qu’il a faite en 2015 de répondre à un besoin de pilotage global de la fonction militaire par une démarche codirigée par le chef d’état-major des armées (CEMA) et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), en lien notamment avec le délégué général pour l’armement (DGA), sous l’autorité des deux ministres. Ce pilotage pourrait se matérialiser par des rencontres régulières d’échanges sur différents aspects de la politique RH et de la condition militaire.
Recommandation 3 Le Haut Comité recommande de développer différentes actions en vue de faire connaître le métier d’officier et de le valoriser auprès de l’ensemble de nos concitoyens et en particulier auprès des jeunes par des moyens très divers et adaptés à chaque catégorie de public. Dans un but plus direct et immédiat d’accroître les candidatures aux emplois d’officier, ces actions pourraient être complétées de campagnes de recrutement ciblées sur les officiers, en recourant notamment aux voies d’information utilisées par les jeunes générations, en rendant visibles leurs fonctions au sein des forces armées, en valorisant leur rôle et en mettant en avant la diversité des emplois et des parcours de carrière, en particulier pour les métiers en forte tension.
Recommandation 4 Le Haut Comité recommande de poursuivre l’adaptation de la politique de rémunération des militaires en la faisant porter sur sa partie indiciaire en veillant à : – assurer une cohérence de la politique indiciaire entre toutes les catégories de militaires pour préserver l’escalier social ; – revaloriser le positionnement indiciaire des officiers au regard de la nouvelle grille indiciaire des administrateurs de l’État et des limites de la compensation purement indemnitaire des conséquences de la mobilité géographique, notamment sur l’emploi du conjoint et le niveau de vie des ménages ; – respecter les équilibres indispensables à l’unité de la condition militaire et la nécessaire cohérence entre la politique de rémunération de la gendarmerie et celle des armées. Dans le prolongement de l’annonce du ministre des armées, le Haut Comité recommande que ce chantier soit mené sans délai, dans le cadre d’un travail commun mené sous l’autorité conjointe du ministre des armées et du ministre de l’intérieur, au risque de voir se dégrader davantage l’attractivité au recrutement et la fidélisation des officiers, ce qui pourrait durablement affecter le fonctionnement et l’efficacité des forces armées. Les retards, par le passé, des transpositions des mesures de portée générale affectant la rémunération des fonctionnaires civils de l’État à la fonction militaire avaient accru le ressentiment des militaires dont le Haut Comité s’était inquiété à de nombreuses reprises. Ce type de situation est désastreux sur leur perception de la considération que la Nation leur porte. Une fois les grilles indiciaires de l’ensemble des militaires rebâties, en cas de séquençage dans le temps et par catégorie de leur mise en œuvre, le Haut Comité insiste sur l’importance que cette mise en œuvre commence par les officiers pour redonner sans délai du sens à l’escalier social. Il recommande en outre de prévoir un rendez-vous annuel de bilan des grilles indiciaires en place au sein des forces armées.
Recommandation 5 Le Haut Comité recommande d’intégrer l’indemnité d’état militaire (IEM) dans le calcul de la pension militaire de retraite, dans la mesure où elle compense les sujétions inhérentes au statut militaire.
Recommandation 6 Le Haut Comité recommande, à l’article 4 du décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l’État ainsi que dans tous textes relatifs à l’accès des officiers à des emplois supérieurs de l’État, de substituer à la condition de grade édictée pour qu’un officier puisse postuler à un de ces emplois la condition d’avoir exercé des responsabilités d’un niveau comparable à celles dévolues aux fonctionnaires qui ont vocation à les occuper, analogue à celle permettant à un non fonctionnaire d’accéder aux mêmes emplois.
Recommandation 7 Le Haut Comité recommande d’étudier, promouvoir et mettre en place des formes de reconnaissance qui s’inspirent de pratiques étrangères. Ces manifestations de reconnaissance, qui ne sont pas habituelles dans la culture française, devraient émaner en premier lieu de l’État et des personnes publiques : le droit d’inscription prioritaire dans les établissements scolaires des enfants de militaires connaissant une mobilité géographique en est un exemple. Elles peuvent aussi venir de professionnels et ne pas seulement relever d’initiatives étatiques. Ainsi des professionnels de santé, tels des médecins ou dentistes qui refusent d’augmenter leur patientèle, pourraient déroger à cette position de principe au profit de militaires mutés. Le bénéfice de ces mesures pourrait difficilement être limité aux officiers mais elles leur seraient particulièrement bénéfiques, à la fois parce qu’elles répondent à une attente de leur part et parce que ce sont, parmi les militaires, ceux qui connaissent le plus de mutations dans leur carrière. Ces formes de reconnaissance « externes » viendraient compléter et non se substituer à celles, de moins en moins nombreuses, que les forces armées accordent à leurs officiers.
Recommandation 8 Au regard des critiques répétées formulées sur les défaillances de l’organisation du soutien, sur le manque de moyens matériels et techniques et sur la lourdeur des tâches administratives qui pèsent sur les officiers, et des effets négatifs que cette situation provoque sur la fidélisation des officiers et sur le recrutement interne, le Haut Comité alerte sur cette situation qui démotive les officiers. Il invite à une mise en œuvre rapide des mesures récemment annoncées pour améliorer l’efficacité des soutiens, accroître les moyens et simplifier les procédures. Il recommande également d’évaluer sans délai les effets de ces mesures pour s’assurer qu’elles apportent les améliorations qui en sont attendues
Recommandation 9 Le Haut Comité recommande de multiplier les instruments de flexibilité dans la gestion des militaires de carrière et en particulier des officiers, sans s’en tenir au seul mécanisme de la promotion fonctionnelle qui a fait ses preuves et de diversifier les types de parcours, dans le cadre d’un dialogue de gestion toujours plus à l’écoute. Il préconise d’introduire la possibilité pour les gestionnaires d’expérimenter au sein des forces armées de nouveaux dispositifs et de les évaluer pour s’assurer qu’ils apportent les améliorations qui en sont attendues sans porter atteinte aux sujétions liées à l’état militaire avant d’envisager de les généraliser.
Recommandation10 Le Haut Comité recommande de prévoir l’obligation de recevoir tout officier qui quitte les forces armées avant la fin de son contrat ou avant d’avoir atteint la limite d’âge de son grade pour connaître et analyser les raisons de son départ. Cet entretien doit être organisé et conduit au niveau approprié pour faciliter l’expression de ces raisons et garantir la pleine exploitation de l’ensemble des données ainsi recueillies afin que les forces armées puissent en tirer les conséquences.
Recommandation 11 Le Haut Comité recommande, pour développer la connaissance du monde militaire au sein de l’administration et y faciliter l’emploi des officiers : – de modifier le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l’État et de ses établissements publics, le cas échéant celles du décret n° 2023-30 du 25 janvier 2023 relatif aux conditions d’accès et aux formations à l’Institut national du service public (INSP), pour permettre à un stagiaire de l’État et en particulier à un élève de l’INSP d’accomplir, avant sa titularisation, un temps militaire ; – d’inscrire dans la durée la sensibilisation des élèves de l’INSP aux questions de défense et au monde militaire ; – qu’un poste de chargé de mission, confié à un officier supérieur ou général, soit créé auprès du délégué interministériel à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE) afin, notamment, de pourvoir en officiers le vivier des cadres dirigeants de l’État et de proposer des officiers figurant dans ce vivier pour occuper, à leur vacance, des emplois supérieurs de l’État.
Recommandation 12 Constatant les fortes contraintes encadrant la constitution du haut encadrement militaire, qui limite le temps d’emploi des officiers généraux, le Haut Comité recommande l’engagement de travaux pour fluidifier la gestion de ce vivier essentiel aux forces armées et pour examiner la pertinence du modèle actuel. Ces réflexions pourraient notamment porter sur : – le nombre d’officiers généraux nécessaires pour disposer d’un vivier suffisant ; – l’âge de l’accès au généralat et l’éventualité de son abaissement, à 45 ans par exemple ; – le développement d’une forme de contractualisation de fin de carrière avec une part croissante de promotions fonctionnelles dans les nominations des officiers généraux en rendant possible la poursuite d’un parcours de carrière jusqu’à la limite d’âge par le recours à plusieurs périodes successives.
Recommandation 13 Le HCECM recommande de valoriser la richesse des expériences acquises par les officiers supérieurs et généraux, y compris ceux atteints par la limite d’âge, à travers : – la poursuite de leur carrière dans l’encadrement supérieur de l’État ; – l’accès d’officiers généraux à des emplois pourvus en Conseil des ministres.
Recommandation 14 Le Haut Comité recommande aux forces armées de maintenir un lien formel avec les officiers ayant quitté l’institution qui le souhaitent par l’organisation et l’animation d’un réseau national, voire territorial, structuré.
Selon le dernier « rapport social unique » du ministère des Armées, publié par le Secrétariat général pour l’administration [SGA] en juillet, l’armée de Terre comptait 113’619 militaire en 2022. Soit 1421 de moins par rapport à l’année précédente, notamment en raison d’une baisse du nombre de militaires du rang [-1235] et de celui des sous-officiers [-170]. Et cela alors qu’il n’est plus question de « déflation » des effectifs, bien au contraire.
Et, visiblement, cette tendance n’est pas en train de s’inverser… au point que le chef d’état-major de l’armée de Terre [CEMAT], le général Pierre Schill, a sonné le tocsin dans une lettre adressée le mois derniers « aux commandeurs et aux brigadiers », c’est à dire aux généraux à la tête des commandements spécialisés et des brigades.
« La priorité absolue concerne les effectifs. Jusqu’à l’an dernier, l’armée de Terre pouvait se targuer d’atteindre ses objectifs […] au prix d’efforts que je connais et que je salue », écrit le général Schill. Mais, poursuit-il, « les premiers mois de 2023 montrent une baisse inhabituelle des effectifs globaux de l’armée de Terre. En l’état actuel, les projections d’effectifs prévisionnels pour la fin de l’année sont mauvais ». Et effectivement, il serait question d’un « déficit » de 2’500 militaires…
« Cette inflexion peut s’expliquer par des raisons conjoncturelles comme structurelles que nous traiterons dans la durée » mais les « effectifs à terminaison de l’année 2023 constitueront néanmoins la base de départ des droits qui seront ouverts à l’armée de Terre en LPM [Loi de programmation militaire] 24-30 », rappelle le CEMAT.
Aussi, il n’y a pas de temps à perdre. Et, pour le général Schill, « il est donc impératif d’utiliser tous les leviers » dont disposent les « commandeurs » et « brigadiers » pour « corriger à la hausse les prévisions actuelles » de leurs unités car « chaque recrutement, chaque engagement, chaque renouvellement de contrat, chaque réengagement sera une victoire ».
En juillet, Europe 1 avait fait état de difficultés concernant le recrutement des trois armées. « À la fin de l’année, entre 1500 à 2000 jeunes n’auront pas été recrutés, par rapport aux objectifs fixés », avait affirmé la radio, avant d’évoquer des soucis de « fidélisation », avec « trop » de sous-officiers et de militaires du rang ayant tendance « à quitter l’institution pour rejoindre le privé ».
Et d’ajouter que, pour « sauver les meubles pour l’année 2023 », il était demandé, dans les régiments, aux partants de « prolonger de quelques mois pour étaler les départs sur 2024″… Ce qui ne ferait que décaler le problème sans le régler.
Ces difficultés concernent aussi la réserve opérationnelle de l’armée de Terre. Dans sa lettre, le général Schill a également demandé un effort « à la fois sur le recrutement et l’emploi » des réservistes, alors que, selon la LPM 2024-30, leur nombre est appelé à doubler d’ici 2030.
Aussi, écrit le CEMAT, « en 2023, les crédits d’activité des réserves » des unités « devront être intégralement employés et les effectifs de réservistes cesser leur décrue, voire entamer une hausse ». Et de conclure : « Il est impératif que la réserve opérationnelle de l’armée de Terre se sente intégrée et utile ».
Réserve opérationnelle de l’armée : de quoi parle-t-on ?
Amenée à doubler de volume, la réserve de l’armée de terre compte aujourd’hui 25 000 volontaires. Les réservistes servent en moyenne 37,5 jours par an.
Dans un contexte géopolitique où la guerre de haute intensité est de nouveau envisagée, il est prévu que la réserve militaire double d’effectif d’ici 2030 pour atteindre 100 000 personnes. Les réservistes sont des civils qui signent un contrat dit « ESR », d’une durée d’un à cinq ans renouvelables. Ils s’engagent à servir l’armée jusqu’à 60 jours maximum par an, une durée qui peut être portée à 150, voire 210 jours, si besoin. La plupart du temps, les réservistes sont conviés à venir s’entraîner avec leur unité un week-end par mois, avec parfois des départs en camp pour une semaine ou deux, hors mission.
Les réservistes sont payés pendant leur service au même niveau que leur équivalent dans l’active. Pour y entrer, il faut être apte médicalement et avoir entre 17 et 50 ans (pour les militaires du rang) et entre 62 et 65 ans pour les officiers. Récemment, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé que cet âge serait reporté à 70 ans, voire 72 pour certains spécialistes. Une plateforme en ligne permet à chaque volontaire de s’inscrire pour obtenir un rendez-vous avec un recruteur.
Des missions de plus en plus au contact
En termes de missions, la réserve sert principalement pour garder les emprises militaires, mais elle peut aussi être déployée pour assurer des missions sentinelle. Les réservistes peuvent également être détachés dans différentes administrations de l’armée et servir à un poste en particulier. La réserve est prévue pour assurer 90 % des missions de l’armée d’active sur le territoire national en un mois de délai, s’il y avait besoin de mobiliser des effectifs dans un engagement majeur.
Toujours dans l’optique de « durcir l’armée de terre », selon les mots du chef d’état-major, le général Schill, la réserve devra aussi assurer des missions de plus en plus au contact. Selon l’objectif fixé pour 2025, la réserve devra être capable, entre autres, de « reconnaître, défendre, appuyer » ou « éclairer ». En 2030, le but est qu’elle soit capable de « s’emparer » de positions ennemies, de « contenir » une offensive ou de fixer les éléments hostiles, ce qui correspond peu ou prou à la mission des régiments d’infanterie d’active en cas d’engagement majeur.
En parallèle, il existe la réserve citoyenne qui ne vise pas à fournir des militaires, mais à créer des relais communicationnels dans la société civile.