Pour le renseignement militaire français, rien ne permet de dire que l’hôpital Al-Ahli a été touché par une frappe israélienne

Pour le renseignement militaire français, rien ne permet de dire que l’hôpital Al-Ahli a été touché par une frappe israélienne

https://www.opex360.com/2023/10/21/pour-le-renseignement-militaire-francais-rien-ne-permet-de-dire-que-lhopital-al-ahli-a-ete-touche-par-une-frappe-israelienne/


Malgré le manque d’éléments tangibles pour la corroborer, l’affirmation du Hamas a été reprise par l’ensemble des médias et commentée par des organismes internationaux [comme l’Organisation mondiale de la santé], avant d’enflammer les réseaux sociaux et donner lieu à de nombreuses manifestations dans les pays arabes [mais aussi européens].

Seulement, la version du Hamas a été contredite par l’état-major israélien, celui-ci ayant affirmé que l’hôpital avait été en réalité touché par une roquette tirée par le Jihad islamique. Ce que, d’ailleurs, semblait confirmer des images diffusées en direct par la chaîne qatarienne al-Jazeera au moment de cette « frappe » présumée.

 

 

Et, depuis Tel Aviv, où il était en visite officielle pour exprimer son soutien à Israël après les attaques terroristes du 7 octobre, le président américain, Joe Biden, a donné du crédit à cette version [et on suppose qu’il avait des informations fournies par ses services de renseignement].

« J’ai été profondément attristé et choqué par l’explosion dans l’hôpital à Gaza hier [17/10]. Et sur la base de ce que j’ai vu, il apparaît que cela a été mené par la partie adverse », a en effet déclaré M. Biden, lors d’une conférence de presse donnée au côté de Benjamin Netanyahu, le Premier ministre israélien.

Selon des images de l’hôpital Al-Ahli Arabi prises peu après, il est en effet apparu que la munition en cause était tombée sur le parking de l’hôpital, la structure de l’établissement n’ayant pas été directement touchée. L’explosion survenue ensuite [et que l’on peut voir sur les images d’al-Jazeera] pourrait avoir été amplifiée par celle des réservoirs des voitures qui s’y trouvaient. Ce qui expliquerait le nombre des victimes, qui « se situerait probablement dans le bas d’une fourchette de 100 à 300 » morts, selon le renseignement américain.

 

 

En tout cas, les dégâts observés ne correspondent pas à ceux que peuvent faire une bombe larguée par un avion de combat ou un drone, comme la GBU-39 SDB [Small Diameter Bomb] et ses 110 kg d’explosifs. Et c’est d’ailleurs ce qu’affirme le renseignement militaire français.

Jusqu’à présent, le président Macron s’est montré prudent dans cette affaire. « La France condamne l’attaque contre l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza qui a fait tant de victimes palestiniennes. Nous pensons à elles. Toute la lumière devra être faite », a-t-il d’abord réagi. Puis, a-t-il dit par la suite, « le jour où les services français consolideront, avec les services partenaires, des informations sûres, il y aura à ce moment-là une attribution ou des éléments ».

C’est donc désormais le cas. « La nature de l’explosion et les échanges avec d’autres partenaires du renseignement me conduisent à [affirmer] que rien ne permet de dire qu’il s’agit d’une frappe israélienne », a en effet déclaré un responsable de la Direction du renseignement militaire [DRM], le 20 octobre, selon l’AFP. Et d’ajouter : « L’hypothèse la plus probable est une roquette palestinienne qui a explosé avec une charge d’environ 5 kilos ».

Sur les images du parking de l’hopital, la DRM a identifié un « trou [et non un cratère] d’environ 1 mètre sur 75 cm, et de 30 à 40 cm de profondeur. Or, il « fait environ cinq kilos d’explosifs pour produire cet effet, assurément moins de dix kilos », explique-t-elle.

« L’hypothèse d’une bombe ou d’un missile israélien n’est pas possible car la charge minimale de ce type d’armement est très largement supérieur. Un engin de la sorte aurait formé un cratère beaucoup plus grand », insisté ce responsable de la DRM. En revanche, les dimensions du « trou » observé sont cohérentes « pour des roquettes acquises ou fabriquées » par les groupes armés palestiniens.

D’ailleurs, les éléments balistiques qu’elle a analysés confirment l’hypothèse d’un « tir de roquette qui a été détourné ou qui a connu des avaries techniques et dont des éléments ont touché le parking proche de l’hôpital ».

En outre, la DRM a dit douter du bilan avancé par le Hamas. « Un tel bilan, incohérent, supposerait des milliers de blessés », a-t-elle estimé, après avoir expliqué sa décision de « rendre publiques ses analyses à la demande de la présidence française par souci de transparence ».

Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec Michel Goya

Comment faire l’histoire immédiate de la guerre russe en Ukraine ? Entretien avec M. Goya

Par Gabrielle Gros, Michel Goya – publié le 8 octobre 2023 

https://www.diploweb.com/Comment-faire-l-histoire-immediate-de-la-guerre-russe-en-Ukraine-Entretien-avec-M-Goya.html


Michel Goya est un militaire et historien français. Colonel à la retraite des troupes de marine, consultant LCI sur la guerre Ukraine. Il analyse au jour le jour le conflit en Ukraine. Spécialisé dans l’innovation militaire qu’il a enseigné à Sciences Po et à l’École Pratique des Hautes Études, il est très visible dans les médias. Auteur de nombreux ouvrages dont « Sous le feu – la mort comme hypothèse de travail » et « Le temps des guépards : la guerre mondiale de la France », publiés chez Tallandier en 2014 et 2022. Son nouvel ouvrage, « L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine » publié chez Perrin en 2023 a été un travail de longue haleine réalisé avec Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres & Histoire et du Mook De la guerre.
Gabrielle Gros est étudiante en Master d’Histoire Relations Internationales Sécurité Défense à l’Institut Catholique de Lille.

Sur la guerre en Ukraine, quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ? Quels outils pour minimiser les erreurs stratégiques et leurs impacts ? Comment la guerre en Ukraine a-t-elle changé l’Union européenne ? Quelle possible nouvelle tournure du conflit à l’approche des élections américaines ? Voici quelques-unes des questions posées par G. Gros à M. Goya à l’occasion de la publication de son nouvel ouvrage co-signé avec J. Lopez « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) pour le Diploweb.com.

Gabrielle Gros (G. G. ) : Sur la guerre en Ukraine, selon vous quelles sont les trois principales idées fausses qui traînent à tort dans le débat public ?

Michel Goya (M. G. ) : La première idée fausse est que la guerre de positions est un retour aux méthodes de la Première Guerre mondiale. Je fais moi-même souvent cette comparaison parce qu’elle parle justement au public, mais elle est fausse. Il y a guerre de positions dès que la guerre de mouvement ne permet pas d’obtenir de décision stratégique et que les deux adversaires ont encore des moyens de continuer le combat. Le meilleur moyen de faire face à la puissance de feu des armes à tir direct modernes consister à se protéger, dans le milieu urbain mais aussi dans les fortifications de campagne. Cela a été le cas sur tous les fronts de la Seconde Guerre mondiale à partir de 1941, mais aussi pendant la guerre de Corée (1950-1953) ou encore la guerre entre l’Iran et l’Irak dans les années 1980.

La deuxième idée fausse est qu’il s’agit d’une guerre de nouveau type à cause de l’omniprésence des drones ou du numérique. En fait, l’art de la guerre industrielle après une révolution de 1850 à 1950 n’a guère évolué dans sa forme, malgré l’apparition de moyens techniques nouveaux. Les structures et les méthodes n’ont guère changées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si le général Patton, le célèbre commandant de la 3e armée américaine en Europe en 1945, était ramené du passé pour commander les forces ukrainiennes, il s’adapterait très vite à la situation, beaucoup plus en tout cas que si on le ramenait 78 ans en arrière, en 1867. L’immense majorité des équipements majeurs qui sont utilisés en Ukraine ont été conçus entre 1960 et 1990. Cette guerre n’est donc pas une révolution militaire.

 
Michel Goya
Michel Goya co-signe avec Jean Lopez L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine, éd. Perrin

La troisième idée fausse est que l’armée russe est la mieux équipée du monde ou du moins du conflit. Classée parmi les plus grandes puissances militaires mondiales notamment en raison de son budget, de ses effectifs et de son arsenal nucléaire, l’armée russe s’est en réalité révélée mal préparée au cours de cette guerre. Une grande partie de son équipement hérité de l’âge d’or militaire soviétique est obsolète et une faiblesse structurelle de l’armée en partie liée à la qualité de son encadrement pose problème. Sur le papier, la Russie dispose d’une supériorité en nombre dans les espaces vides – mer, air, espace et cyber – comme solides mais, concrètement, la qualité tactique des pièces d’artilleries ukrainiennes par exemple lui donne l’avantage sur l’artillerie russe bien que cette dernière possède davantage de pièces. De plus l’aide militaire, notamment américaine, est venue renforcer le niveau de compétitivité de l’armée ukrainienne et de facto baisser celui de la Russie.

G.G. : Le but de ce nouvel ouvrage, « L’ours et le renard » (Perrin, 2023) que vous avez développé avec Jean Lopez est de « mettre de l’ordre dans la masse d’information relative aux combats », plus globalement face à la multiplication des sources ouvertes. Quels outils aujourd’hui, demain, pour éviter ou du moins minimiser l’impact des erreurs stratégiques et de renseignement ?

M.G.  : Il faut du travail et de la rigueur dans l’application de méthodes assez proches dans le domaine du renseignement comme celui de la recherche. Les sources ouvertes permettent de disposer d’une masse considérable d’informations, qu’il est déjà en soi difficile de collecter en particulier dans un contexte de guerre. Il faut ensuite évaluer, très classiquement, la valeur de la source, souvent en fonction de la valeur des renseignements précédents, et de la vraisemblance des informations, si possible en recoupant avec d’autres sources. C’est là qu’intervient vraiment l’expertise militaire, en permettant de mieux et plus rapidement distinguer l’utile et le vraisemblable de ce qui ne l’est pas, voire relève de la pure propagande. On a, je crois, suffisamment d’informations pour avoir une image un peu juste des opérations militaires. Il faut également garder à l’esprit les biais de réflexion de ceux dont on parle, leurs ambitions stratégiques, ce qu’ils sont prêts à sacrifier, etc. Quant aux prévisions, elles sont évidemment extrêmement difficiles puisqu’on se trouve dans un domaine dialectique et donc très complexe. Ce qui fait l’expert par rapport au néophyte et plus encore par rapport au militant, c’est d’avoir une majorité de prévisions justes. Dans le cas de l’Ukraine il est par exemple difficile d’évaluer les pertes car il s’agit d’une information stratégique pour l’adversaire que les armées et les gouvernements évitent donc de dévoiler voire tentent de calomnier.

G.G. : Au vu de votre expérience dans ce domaine, quel est votre message essentiel sur l’innovation militaire concernant ce conflit ?

M.G.  : Nous ne sommes plus dans la Seconde Guerre mondiale, où on pouvait concevoir un équipement majeur – un nouveau char ou un nouvel avion de chasse par exemple – en un ou deux ans. Désormais les matériels majeurs sont les mêmes d’un bout à l’autre d’un conflit même de plusieurs années et l’évolution technique s’effectue plutôt par des petits objets à conception rapide, logiciels et machines volantes pour l’essentiel, et des adaptations des gros.

Dans ce cadre-là les Ukrainiens bénéficient d’une plus grande intégration de la société dans leur armée que les Russes, notamment par l’arrivée sous les armes de civils mobilisés disposant de compétences techniques et d’un autre regard sur les choses que les militaires de carrière, surtout ceux formés à l’école soviétique. Ils sont une grande source d’innovations techniques mais aussi de méthodes ou de structures. L’évolution qualitative de l’artillerie ukrainienne, avec des pièces d’artillerie très diverses et toutes plus ou moins anciennes mais beaucoup plus rapides, précises et efficaces dans les gestions des feux qu’au début de la guerre est le parfait exemple de cette capacité d’innovation par le bas associée à l’effet d’apprentissage. C’est une progression rendue également possible par un taux de pertes faible par rapport à d’autres armes, comme l’infanterie qui a beaucoup plus de mal à évoluer.

Reste ensuite à diffuser les idées nouvelles horizontalement par les réseaux d’amis ou le voisinage opérationnel, ce qui n’était pas forcément le cas dans les armées de style soviétique, et verticalement par le biais de structures dédiées à charge de standardiser les meilleures pratiques. Dans tous ces champs, les Ukrainiens sont supérieurs aux Russes, qui innovent et progressent, mais plus lentement.

La guerre a fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier.

G.G. : Vous parlez notamment de l’instrumentalisation de l’ordre international qui a lieu – dans les deux camps – mais aussi de l’évolution concrète qu’a eu cette guerre sur les collaborations politico-militaires, d’après vous comment cette guerre russe en Ukraine a-t-elle changée l’Union européenne ?

M.G.  : La guerre en Ukraine a évidemment fait évoluer l’Union européenne dans un champ militaire où elle traditionnellement mal à l’aise. Personne n’aurait jamais imaginé avant-guerre que l’on verrait l’UE, en tant qu’organisation, fournir des armes à un pays en guerre. Mais la guerre a surtout fait évoluer les pays européens, en déniaisant certains sur le retour des politiques de puissance agressives de grandes puissances et la menace russe en particulier. Ce choc psychologique à l’échelon politique en décalage avec les prises de conscience beaucoup plus anciennes des militaires, et ce réflexe sécuritaire bénéficie cependant beaucoup plus à l’Alliance atlantique qu’à l’Union européenne, dont pourtant l’article 42.7 [1] du traité de Lisbonne est plus contraignant pour les membres de l’UE en cas de conflit que le fameux article 5 de l’OTAN. En cas de problème majeur, on fait plus confiance à l’OTAN et donc aux États-Unis qu’à l’UE. Il est vrai que si les États européens avaient fait le même effort de défense que les États-Unis, on n’aurait aucunement besoin de faire appel à ces derniers. Bref, cette guerre est surtout l’occasion de montrer combien l’Union européenne est nue, et volontairement nue, en matière de défense. Nonobstant le front d’opposition à la Russie se révèle davantage occidental que mondial et l’Union européenne par ruissellement apparaît plus soudée, du moins idéologiquement.

G.G. : La guerre n’avait pas disparu pour les Européens, pour autant elle n’était plus visible. Quelles réflexions voyez-vous ou espérez-vous voir émerger dans le débat stratégique à court et à long terme alors que la guerre redevient visible en Europe géographique ?

M.G.  : J’ai effectivement le souvenir des guerres d’ex-Yougoslavie dans les années 1990, dans lesquelles j’ai été, comme beaucoup de militaires, plongé à plusieurs reprises. Et la France a mené également de nombreuses guerres contre des États et des organisations armées depuis soixante ans, mais à très petite échelle. Là, on se trouve devant un conflit interétatique à grande échelle et qui relève quasiment de la guerre totale, du moins pour l’Ukraine qui lutte pour sa survie en tant qu’État indépendant.

Ce n’était pas totalement impossible de le prévoir. Les forces armées françaises se sont préoccupées de leur capacité de mener des opérations dites de haute intensité, c’est-à-dire à la fois très importantes en volume et en violence, dès 2014 et le spectacle des combats dans le Donbass, avec en particulier les interventions russes d’août 2014 et février 2015. Mais, outre que l’on continuait à réduire les crédits de Défense malgré le spectacle de la guerre en Ukraine, on se concentrait surtout sur la guerre contre les organisations djihadistes [2]. Comme souvent, c’est bien plus la vision des choses que toutes les réflexions qu’il y a pu avoir précédemment qui font avancer d’un coup. Dans l’immédiat, le spectacle de la guerre en Ukraine est surtout un révélateur des faiblesses et lacunes que nous avons accumulées avec le temps. Nous avons par exemple tellement réduit nos forces terrestres que l’armée de Terre française de 1990 se débrouillerait mieux que celle de 2023 en cas de conflit majeur. En fait, deux visions s’opposent : celle qui demande à ce qu’on se prépare vraiment à un conflit de haute intensité en Europe géographique, soit comme acteur, soit comme soutien, à la manière de ce que l’on faisait pendant la Guerre froide et celle qui considère qu’un tel scénario est très improbable et que nos intérêts à défendre militairement sont hors d’Europe.

Tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

G.G. : L’Occident a beaucoup investi dans la formation du personnel militaire ukrainien ainsi que dans l’organisation de son armée, en lien avec la métaphore de l’ours et du renard qui inspire le titre de votre livre, quelles conséquences si l’Ukraine continue de renforcer son poids stratégique ?

M.G.  : L’armée ukrainienne est désormais l’armée européenne la plus puissante et la plus expérimentée. Il y a bien plus de soldats ayant connu le feu dans cette armée que dans tous les pays de l’Union européenne réunis. Je suis donc toujours étonné de voir par exemple, des unités ukrainiennes formées par des instructeurs allemands, dont la première consigne en opération extérieure est d’éviter à tout prix le combat. J’ai l’impression qu’en fait il devrait s’agir de formation mutuelle, les armées occidentales faisant profiter de leurs infrastructures de formation à l’abri des combats et de leurs savoir-faire maîtrisés, par exemple dans les techniques d’état-major, mais en coopération avec des cadres ukrainiens venant du front apportant leur expérience aux recrues comme aux Occidentaux. Pour le dire autrement tout le processus de formation proposé aux Ukrainiens, mais aussi à nos propres troupes, doit être alimenté par le retour d’expérience du front ukrainien.

A un niveau stratégique, et avec l’effort de défense réalisé par certains pays comme la Pologne, il est clair que le centre de gravité militaire européen est en train de basculer de l’Europe atlantique à l’Europe de l’Est. Il reste à savoir pour la France si on veut se connecter à cet effort est-européen, comme par exemple l’Allemagne envisageant de déployer 4 000 soldats en Lituanie ou si on préfère d’autres horizons.

G.G. : Votre constat est que la Russie mise sur la lassitude d’un Occident largement soutenu par les États-Unis. Alors que la guerre dure et que les élections américaines se rapprochent, est-il plausible que le conflit prenne une tout autre tournure ?

M.G.  : Un dessin très connu du caricaturiste Jean-Louis Forain montre un poilu de la Grande Guerre se demandant si l’« arrière » allait tenir sous la pression de la guerre. Il est intéressant d’ailleurs de noter que ce dessin date de janvier 1915, c’est-à-dire encore au tout début de l’épreuve.

 
Jean-Louis Forain, « Pourvu qu’ils tiennent », caricature, « L’Opinion », 9 janvier 1915
Source : L’Opinion, 9 janvier 1915.

Pour vaincre, il faut faire craquer l’armée ennemie et si cela s’avère difficile, on attaque aussi son arrière, sa société et son État, en espérant que l’effondrement viendra d’abord de ce côté-là. Cette pression arrière s’exerce des deux côtés dans cette guerre russo-ukrainienne avec cette particularité que l’arrière ukrainien est double : il y a certes la société ukrainienne, dont on ne voit pas bien pour l’instant ce qui pourrait la faire craquer, mais il y a aussi les pays occidentaux dont l’aide est essentielle à l’Ukraine. Que cette aide, et singulièrement celle des États-Unis, se tarisse et tout l’effort de guerre ukrainien se trouvera très compromis, comme lors des précédents du Sud-Vietnam en 1975 et même de l’Afghanistan en 2021. Pour les Russes l’opinion publique occidentale est donc un centre de gravité clausewitzien qu’il faut « travailler » par toutes les formes possibles d’influence, de la menace d’un hiver rigoureux jusqu’au messages pacifistes. Mais pour l’instant, et c’est peut-être une surprise pour Moscou, le soutien des opinions publiques résiste bien. Tous les esprits se tournent évidemment vers la prochaine élection présidentielle américaine (novembre 2024), avec en particulier l’hypothèse que Donald Trump revienne à la Maison-Blanche. On craint que Trump mette fin à l’aide américaine à l’Ukraine, mais en fait on n’en sait rien. On a pour l’instant le choix entre l’aide américaine assurée pour plusieurs années et une aide sûre jusqu’à une bonne partie de 2025 avec l’inertie institutionnelle américaine et une grande incertitude ensuite. Mais il n’est pas certain que l’arrière russe, très différent, soit beaucoup plus solide. Il est simplement plus opaque.

G.G. : Il est bien sûr impossible de prévoir l’issue du conflit. Néanmoins d’ici six mois quels sont les points d’attention à suivre ?

M.G.  : Il faut voir comment les deux camps s’organisent pour une guerre de plusieurs années. On se trouve peut-être dans un moment « 1917 » ou en situation de crise schumpetérienne, si on préfère une métaphore économique. Les moyens engagés ne permettent plus d’obtenir d’effets stratégiques importants, il faut donc en avoir beaucoup plus pour espérer gagner la guerre mais surtout innover. Il y a deux batailles à mener, celle de l’industrie afin de disposer de beaucoup plus de puissance de feu, le seul moyen de casser des lignes fortifiées, et celle des méthodes de combat, le tout dans un contexte économique difficile, surtout pour les Ukrainiens, et un contexte politique tendu. En résumé, on assistera peut-être à une accalmie des opérations de conquête terrestre, assez stériles de part et d’autre, mais aussi à une augmentation en proportion des opérations de raids et de frappes qui permettent de donner des coups et d’offrir de petites victoires lorsqu’elles réussissent. Pendant ce temps on travaillera beaucoup en arrière, pour pouvoir relancer des opérations offensives plus efficaces au printemps 2024. Ce sont les seules qui peuvent être décisives, et elles le seront peut-être à ce moment-là.

Copyright Octobre 2024-Goya-Gros/Diploweb.com


Plus

Michel Goya et Jean Lopez, «  L’ours et le renard – Histoire immédiate de la guerre en Ukraine », Perrin, 2023.

Depuis février 2022, chacun d’entre nous est bombardé d’informations sur la guerre en Ukraine. Des informations hachées, parcellaires, souvent contradictoires, dans lesquelles on ne sait comment démêler le vrai du faux. Depuis son début, Michel Goya et Jean Lopez se concentrent sur ce conflit, le premier en tant que chroniqueur militaire pour une chaîne d’information continue, le second comme spécialiste de l’histoire militaire russe et soviétique. Tous deux ont décidé d’entamer un dialogue de plusieurs mois, en échangeant informations et analyses. L’ours et le renard est le résultat de ce long et passionnant échange au jour le jour. Précédés d’une indispensable introduction sur l’histoire longue de la relation russo-ukrainienne, cinq chapitres nous font pénétrer au cœur des combats, relevant les surprises (et elles n’ont pas manqué !), les forces les faiblesses, les bévues, les révélations et les nouveautés apportées par ce conflit qui a déjà fait plus de 350 000 victimes et mis le monde, et singulièrement l’Europe, sens dessus dessous. C’est littéralement les clés d’une Histoire qui se fait sous nos yeux que livrent Michel Goya et Jean Lopez, forts de leurs expériences complémentaires. Cet ouvrage est indispensable non seulement aux amateurs d’histoire militaire mais à tout citoyen désireux de comprendre l’énorme embrasement qui se produit à l’est et dont chacun craint que des flammèches viennent jusqu’à nous.

L’armée de l’Air pourrait envoyer des avions légers de renseignement VADOR dans la région Indo-Pacifique

L’armée de l’Air pourrait envoyer des avions légers de renseignement VADOR dans la région Indo-Pacifique

 

https://www.opex360.com/2023/10/01/larmee-de-lair-pourrait-envoyer-des-avions-legers-de-renseignement-vador-dans-la-region-indo-pacifique/


Cependant, dans son rapport sur la LPM 2024-30, le député Jean-Michel Jacques avait livré quelques précisions sur les projets de l’armée de l’Air et de l’Espace [AAE], actuellement dotée de 12 MQ-9 Reaper, dont certains ont été portés au standard Block 5.

« Les conditions d’emploi du Reaper pourraient évoluer, puisque des réflexions sont en cours sur le déploiement d’un drone Reaper en Polynésie, ainsi que l’a souligné le général Yves Métayer, chef de la division emploi à l’état-major des armées, lors de son audition », rapporta M. Jacques.

Étant donné que l’opération Barkhane est terminée et que les forces françaises vont quitter le Niger, les MQ-9 Reaper de la 33e Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque [ESRA] ont désormais une activité moindre que par le passé. D’où l’idée d’en déployer dans les territoires d’outre-Mer, d’autant plus que de tels appareils pourraient également être engagés dans des missions de surveillance maritime, des « évaluations opérationnelles » ayant été menées en ce sens par l’AAE.

Mais en attendant, le prochain théâtre d’opérations des MQ-9 Reaper français pourrait être le Levant, afin d’y mener des missions ISR [renseignement, surveillance, reconnaissance] au profit de l’opération Chammal. L’un d’eux aurait même déjà été déployé sur la base aérienne projetée [BAP] H5 en Jordanie. C’est en effet ce qu’avance le dernier numéro de Raids Aviation. « Le premier drone doit être opérationnel dans le courant de l’été et un deuxième pourrait suivre », écrit le magazine. Pour le moment, l’État-major des armées [EMA] n’a fait aucune communication à ce sujet, pas plus que l’AAE.

Quoi qu’il en soit, l’envoi d’au moins un drone Reaper dans le Pacifique [Papeete ou Nouméa?] n’est pas pour tout de suite. Toujours selon Raids Aviation, qui tient l’information de l’AAE, il serait question d’y déployer des avions légers de surveillance et de renseignement [ALSR] « VADOR » [pour « Vecteur aéroporté de désignation, d’observation et de reconnaissance »].

« Les Reaper nécessitent un minimum d’infrastructures pour les héberger ainsi qu’une bonne couverture satellitaire. Ces contraintes sont moins fortes pour les VADOR, dont la projection, par contre, est plus complexe car elle se fait par une série de sauts de puce [à moins de passer par la voie maritime] », explique Raids Aviation.

Par ailleurs, au regard des espaces immenses à couvrir dans le Pacifique, le VADOR dispose d’une autonomie limitée, celle-ci étant – si l’on se base sur celle du Beechcraft King Air 350 dont il est dérivé – de 2600 km.

Pour rappel, en août, les deux VADOR de l’AAE [un troisième a été commandé en 2020] ont rejoint la base aérienne de Cognac, où ils ont été affectés à l’escadron 4/33 « Périgord ». L’objectif « est de créer un pôle ‘renseignement’ en temps réel, favorisant ainsi la synergie et le partage d’expérience avec les équipages de drone Reaper de la 33ème Escadre de surveillance, de reconnaissance et d’attaque », avait-il été expliqué à l’époque.

Initialement, l’AAE devait disposer de huit VADOR… Mais cette cible a été réduite à seulement trois unités dans la LPM 2024-30.

Un ancien militaire mis en examen pour divulgation du secret-défense

Un ancien militaire mis en examen pour divulgation du secret-défense

Un ancien militaire a été mis en examen jeudi 21 septembre à Paris, notamment pour détournement et divulgation du secret de défense nationale – Leon Tanguy/MAXPPP
 

Un ancien militaire a été mis en examen, jeudi 21 septembre, dans le cadre d’une enquête sur les sources d’un article évoquant un programme de renseignement français en Égypte, a indiqué le parquet de Paris. Il pourrait être une des sources de l’article de la journaliste Ariane Lavrilleux, récemment placée en garde à vue.

par La Croix (avec AFP) – publié le 21 septembre 2023

https://www.la-croix.com/france/ancien-militaire-mis-examen-divulgation-secret-defense-2023-09-21-1201283705


Un ancien militaire a été mis en examen, jeudi 21 septembre à Paris, notamment pour détournement et divulgation du secret de défense nationale, dans une enquête sur les sources d’un article de presse évoquant un programme de renseignement français en Égypte, a indiqué le parquet de Paris.

Un article de Disclose

Cet ex-militaire semble être considéré par la justice comme une des sources de l’article, pour le média Disclose, publié fin 2021 et notamment signé par la journaliste Ariane Lavrilleux. Cette dernière a fait l’objet de près de 40 heures de garde à vue dans ce dossier avant d’être relâchée sans poursuite à ce stade.

La garde à vue d’Ariane Lavrilleux a suscité une large condamnation au sein du monde journalistique, qui y a vu une atteinte à la protection des sources. Un « nouveau cap » a été franchi contre la liberté d’informer, a critiqué la journaliste jeudi après-midi lors d’une conférence de presse à Paris, dénonçant un « détournement des services de la justice ».

Le parquet de Paris a rappelé avoir été destinataire de deux plaintes déposées par le ministère des Armées en janvier 2021 et novembre 2021. Ces plaintes contre X faisaient « à la suite de la parution d’articles dans le média Disclose, comportant des documents et photographies supportant la mention « Confidentiel Défense » ainsi que des éléments susceptibles de permettre l’identification d’agents du renseignement », a précisé le ministère public.

La mission « Sirli »

Disclose avait affirmé dans un article publié en novembre 2021 que la mission de renseignement française « Sirli », entamée en février 2016 au profit de l’Égypte au nom de la lutte antiterroriste, avait été détournée par l’État égyptien qui se servait des informations collectées pour effectuer des frappes aériennes sur des véhicules de contrebandiers présumés, à la frontière égypto-libyenne.

Le parquet de Paris a précisé que, suite à l’ouverture d’une enquête préliminaire fin 2021, « les investigations s’orientaient vers la mise en cause d’un membre du ministère des armées ».

Une information judiciaire ouverte en 2022

Une information judiciaire a ensuite été ouverte le 21 juillet 2022, visant plusieurs infractions parmi lesquelles détournement et divulgation de secret de défense nationale par son dépositaire, mais aussi appropriation ou divulgation d’un secret de défense nationale ou révélation d’information sur un agent de renseignement.

Le parquet de Paris a précisé que « le contenu des investigations demeure couvert par le secret de l’instruction ».

Arrestation en Allemagne d’un postulant espion

Arrestation en Allemagne d’un postulant espion

par Alain Rodier – CF2R – publié le 13 août 2023

https://cf2r.org/actualite/arrestation-en-allemagne-dun-postulant-espion/


Un Allemand travaillant pour la Bundeswehr, soupçonné d’espionnage au profit de la Russie, a été arrêté à Coblence le 9 août après une enquête menée par l’Office fédéral du service de contre-espionnage militaire, l’Office fédéral de police criminelle (BkA) et l’Office fédéral pour la protection de la Constitution (BfV). Le même jour, la maison qu’il partageait avec son épouse a été perquisitionnée.

Le capitaine Thomas H. de la Bundeswehr a proposé ses services en adressant en mai 2023 des e-mails au consulat général de Russie à Bonn et à l’ambassade à Berlin. Sa carrière lui a permis d’avoir accès à des informations sur divers projets d’armement, notamment dans le domaine de la guerre électronique. Le bureau dans lequel il était affecté est le principal service informatique et logistique de la Bundeswehr. Il y était notamment chargé de la gestion des équipements militaires. Selon Der Spiegel, citant des sources sécuritaires, Thomas H. aurait travaillé auparavant plusieurs années au bureau des achats de la Bundeswehr à Coblence (Rhénanie-Palatinat).

Bien sûr, le contre-espionnage allemand qui surveille étroitement les représentations diplomatiques russes a été alerté. Il semble qu’il ait attendu d’avoir une preuve concrète de volonté de remise de documents aux Russes pour intervenir. La peine encourue est donc plus importante (dix ans de prison). Pour le procureur de la République, le capitaine se sentait dévalorisé dans son travail et il aurait voulu se sublimer en se livrant à de l’espionnage. C’est un classique de la discipline qui est résumée dans l’acronyme MICE : Monnaie, Idéologie, Compromission et Ego.

Le Tagesspiegel rapporte que l’officier de la Bundeswehr avait déjà attiré l’attention en interne en raison de sa sympathie pour le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) et sa politique pro-russe. Ce fait est bien sûr exploité politiquement par les autres partis.

On ne peut qu’être confondu par la naïveté de l’officier allemand qui a proposé quasi ouvertement ses services aux Russes. Il se dit qu’en France, il n’y a pas de véritable culture du renseignement, mais en Allemagne, cela semble être aussi le cas…

Des services allemands gangrénés par l’espionnage et entravés par un excès de contrôles

Cette arrestation fait suite à des cas similaires survenus à la fin de l’année dernière : un membre du service de renseignement extérieur allemand, le BND a été arrêté et accusé d’avoir fourni des informations confidentielles aux Russes ; un officier de réserve de la Bundeswehr a été écarté pour avoir collaboré avec Moscou pendant des années ; et le 18 octobre, le chef de l’agence allemande de cybersécurité a été limogé, après des révélations de médias faisant état de son manque de distance avec la Russie. Pourtant, au printemps 2022, Berlin avait expulsé une quarantaine de diplomates russes qui représentaient une menace pour la sécurité.

L’arrestation du capitaine Thomas H survient tout juste après que deux anciens chefs du BND, August Hanning et Gerhard Schindler, aient écrit dans le journal Bild, début août, pour se plaindre que l’agence était « entravée et édentée » en raison de la surveillance et de l’ingérence bureaucratiques. Les anciens maîtres-espions ont révélé que pas moins de sept comités politiques et juridiques doivent approuver et superviser leur travail, les obligeant souvent à s’appuyer sur des informations provenant de services amis. Confirmant leurs dires, le président de l’organe de contrôle parlementaire, Konstantin von Notz (Verts) a déclaré : « l’Allemagne a besoin d’accorder plus d’attention au contre-espionnage et à l’influence illégitime des pays autocratiques ».

Cela pourrait confirmer que les arrestations d’espions de l’an dernier soient dues à des dénonciations de services amis dans le cadre des échanges Totem existant entre agences, plutôt qu’aux propres efforts du contre-espionnage allemand (pour Thomas H., cela relève de la stupidité de cet officier).

Durant la Guerre froide, l’Allemagne a longtemps été en première ligne dans la de l’ombre. Elle était particulièrement vulnérable aux espions de l’Est. Dans les années 1970, Günter Guillaume, un assistant du chancelier Willy Brandt, a provoqué la chute de celui-ci lorsqu’il a été révélé qu’il était un espion communiste de longue date. Les Allemands de l’Est, via le maître espion Markus Wolf, ont formé des agents « Roméo » pour séduire les secrétaires célibataires travaillant pour le gouvernement de Bonn et les convaincre de collaborer.

Il n’est pas difficile de discerner pourquoi l’Allemagne est si sujette à la pénétration d’espions russes : c’est encore un autre héritage du sombre passé du pays. L’expérience totalitaire de la dictature nazie a tellement inoculé le pays contre tous les aspects d’un « État policier » que la suspicion à l’égard des agences d’espionnage nationales est devenue endémique. Le pays entretient, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, une grande méfiance à l’égard des services, d’où les freins et contrôles excessifs qui entravent aujourd’hui leur action. À cela s’ajoute la relation ambivalente de l’Allemagne avec la Russie, y compris le sentiment de culpabilité résultant de la Seconde Guerre mondiale et la division ultérieure du pays jusqu’en 1989.

Ces facteurs se combinent pour faire de l’Allemagne un maillon faible au sein du monde occidental face à l’espionnage russe qui s’est accru depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou. 

Renseignement : La date du lancement du satellite français d’observation CS0-3 reste encore incertaine

Renseignement : La date du lancement du satellite français d’observation CS0-3 reste encore incertaine

https://www.opex360.com/2023/08/09/renseignement-la-date-du-lancement-du-satellite-francais-dobservation-cs0-3-reste-encore-incertaine/


                                                                                                      Le satellite CSO/MUSIS

 

Les deux premiers satellites de cette constellation ont été lancés par une fusée russe Soyouz, depuis le Centre spatial guyanais [CSG] de Kourou et sous l’égide d’Arianespace en 2018 et en 2020.

Ainsi, CSO-1 a été placé sur une orbite héliosynchrone phasée, à 800 km d’altitude. D’une masse de 3,5 tonnes, il s’agit d’un satellite « manoeuvrant » car il est capable de prendre des images à très haute résolution dans les domaines visible et infrarouge d’une même zone géographique sous plusieurs angles. Quant à CSO-2, il évolue à une altitude de 480 km afin de photographier des sites d’intérêt en « extrême haute résolution », ce qui permet d’atteindre un niveau de détail similaire à celui offert par des capteurs aéroportés.

Normalement, CSO-3 aurait déjà dû rejoindre la même orbite que celle de CSO-1. Sauf que son lancement, initialement prévu en 2021, a été retardé à plusieurs reprises, à cause de problèmes rencontrées lors de la mise au point de la nouvelle fusée Ariane 6, ArianeGroup ayant fait état, dès 2020, de « difficultés techniques imprévues » amplifiées par la pandémie de covid-19.

Pendant un temps, le ministère des Armées a envisagé d’avoir de nouveau recours à un lanceur Soyouz… Mais la guerre en Ukraine et la décision russe de suspendre toute collaboration dans le domaine spatial avec les Occidentaux l’obligèrent à revoir sa copie.

Cela étant, et selon un nouvel échéancier proposé par ArianeGroup, Ariane 6 aurait dû effectuer son vol inaugural durant le second trimestre 2022. Et le ministère des Armées s’en était accommodé pour le lancement de CSO-3. « Le décalage induit sera d’environ un an mais il n’y aura pas d’impact opérationnel à court terme », avait-il assuré, avant de souligner que CSO-1 et CSO-2 fournissaient « déjà un nombre d’images très important. »

Seulement, en octobre dernier, ArianeGroup a annoncé que la mise en service d’Ariane 6 ne pourrait finalement pas avoir lieu d’ici le 4e trimestre 2023… Et il est désormais question d’un nouveau décalage.

En effet, ce 9 août, l’Agence spatiale européenne [ESA] a fait savoir que, selon ArianeGroup, Arianespace et le Centre national d’études spatiales [CNES], le premier vol d’Ariane 6 serait a priori programmé en 2024. La décision dépendra des essais qu’il reste à effectuer.

Ainsi, prévu à l’origine le 18 juillet mais reporté à cause d’un souci technique, un court allumage [au sol] du moteur Vulcain 2.1 de l’étage principal d’Ariane 6 doit être réalisé le 29 août prochain. Puis un second allumage, d’une durée de 500 secondes [ce qui correspond à sa durée d’utilisation en vol] est prévu pour le 26 septembre prochain. Le même jour, un essai de mise à feu du moteur réallumable Vinci [destiné à l’étage supérieur du lanceur] devrait être effectué à Lampoldshausen [Allemagne].

Maître d’œuvre des lanceurs européens, l’ESA ne pourra être en mesure de préciser la « fenêtre de lancement » d’Ariane 6 pour 2024 qu’à l’issue des tests prévus le 26 septembre, a en effet indiqué Joseph Aschbacher, son directeur général.

En attendant, la date du lancement de CSO-3, qui doit donner à l’armée de l’Air & de l’Espace [AAE] et à la Direction du renseignement militaire, une fonction de « revisite », reste incertaine… Et si un retard d’un an ne posait pas de problème au niveau opérationnel, il risque d’en aller autrement en cas d’un nouveau décalage. D’autant plus que le ministère des Armées a l’intention d’accélérer le programme IRIS, appelé à prendre la suite de CSO. Un premier satellite, doté d’une capacité dite EHRmin et de miroirs en carbure de silicium, doit être lancé avant 2030.

L’armée de Terre retrouvera une brigade d’artillerie en 2024

L’armée de Terre retrouvera une brigade d’artillerie en 2024

– Forces opérations Blog – publié le

Une brigade d’artillerie sera recréée l’an prochain au sein de l’armée de Terre, fruit parmi d’autres d’une profonde transformation souhaitée par son chef d’état-major, le général Pierre Schill. 

La 19e brigade d’artillerie sera mise sur pied en 2024 à Lyon, annonçait fin juillet un officier du commandement des forces terrestres (CFT). Une renaissance plutôt qu’une naissance pour cette unité créée il y a tout juste 30 ans à partir, notamment, du 54e régiment d’artillerie puis dissoute en 1998. Un quart de siècle plus tard, la version actualisée conservera le 54e RA et y ajoutera les 1er et 61e régiments d’artillerie ainsi que l’école des drones.  

Cette brigade aura pour mission « d’accélérer la boucle acquisition-feux et de délivrer des effets massifs et coordonnés dans les différents milieux et champs opérationnels », écrit cet officier du CFT. Elle sera en mesure de « générer un centre de mise en oeuvre de format multinational field artillery brigade [MN FAB] », complétait-il. Initié il y a près de cinq ans par l’OTAN, le concept de MN FAB vise à modéliser des centres opérationnels capables de manoeuvrer tous les moyens d’appui-feu et de renseignement disponibles, qu’ils soient français ou fournis par des nations alliées. 

Opérant dans la profondeur, la 19e BA sera la seule à mettre en œuvre les drones tactiques Patroller et le successeur du lance-roquette unitaire, espéré pour 2027. Elle sera sous les ordres du futur commandement des actions dans la profondeur et du renseignement (CAPR), l’un des trois commandements transverses agissant au profit des 1e et 3e divisions. La montée en puissance de ce CAPR est, depuis le 1er août, dans les mains du général de brigade Claude-Alexandre Pingeon. 

Ce rapprochement en cours entre unités d’artillerie et du renseignement était déjà perceptible lors du dernier défilé militaire du 14 juillet. Le chef de corps du 1er RA et sa garde au drapeau avait alors symboliquement descendu les Champs-Élysées au sein du carré du commandement du renseignement (COMRENS). 

Crédits image : EMA

Le satellite militaire de télécommunications Syracuse 4B a été lancé avec succès lors de l’ultime vol d’Ariane 5

Le satellite militaire de télécommunications Syracuse 4B a été lancé avec succès lors de l’ultime vol d’Ariane 5

 

https://www.opex360.com/2023/07/06/le-satellite-militaire-de-telecommunications-syracuse-4b-a-ete-lance-avec-succes-lors-de-lultime-vol-dariane-5/


 

« C’est la perte totale des informations de guidage et d’attitude 37 secondes après le démarrage de la séquence d’allumage du moteur principal [30 secondes après le décollage] qui est à l’origine de l’échec d’Ariane 501. Cette perte d’informations est due à des erreurs de spécification et de conception du logiciel du système de référence inertielle », avait conclu la commission d’enquête mise en place après cet incident. Et celle-ci d’ajouter : « Les revues et essais approfondis effectués dans le cadre du programme de développement d’Ariane 5 ne comportaient pas les analyses ou essais adéquats du système de référence inertielle ou du système complet de contrôle de vol qui auraient pu mettre en évidence la défaillance potentielle ».

Par la suite, hormis un échec lors de sa 14e mission en décembre 2002, dû à une défaillance du moteur Vulcain 2, Ariane 5 a enchaîné les succès. Et si elle avait mal débuté, son histoire s’est terminée sur une bonne note.

En effet, pour son 117e et dernier vol, initialement prévu le 16 juin avant d’être reporté de quelques semaines après la découverte d’un défaut sur le système de séparation des propulseurs d’appoint, le lanceur a décollé avec succès du CSG de Kourou, aux environs de minuit [heure de Paris], ce 6 juillet.

Cet ultime vol était crucial pour le programme Syracuse 4, lequel doit donner aux forces françaises des capacités accrues en matière de télécommunications. Un premier satellite – Syracuse 4A – avait été lancé avec succès en octobre 2021. Ne restait donc plus qu’à placer le second – Syracuse 4B – sur une orbite géostationnaire, à 36’000 km d’altitude.

« J’adresse mes vives félicitations aux équipes étatiques et industrielles qui ont œuvré à la réussite de ce lancement. Syracuse 4 est un programme majeur qui contribue à la modernisation de nos capacités spatiales de défense, déterminante pour notre souveraineté et notre indépendance stratégique », a commenté Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, après le vol réussi d’Ariane 5.

Cependant, Syracuse 4B a encore du chemin à faire avant d’être déclaré opérationnel. Il sera « qualifié dans neuf mois une fois qu’il aura atteint son orbite géostationnaire et subi une série complète de tests », a en effet rappelé la Direction générale de l’armement [DGA].

Conçus par Thales Alenia Space et à Airbus Defence & Space, les satellites Syracuse 4A et 4B sont dotés de moteurs électriques à plasma, ce qui a permis d’augmenter significativement leur capacité d’emport… et donc leurs performances. En effet, ils offrent un débit en bande X et bande ka militaire de l’ordre de 3 à 4 Gb/s [soit trois fois plus par rapport aux satellites Syracuse 3, ndlr] ainsi qu’une meilleure résistance aux menaces cybernétiques, aux impulsions électromagnétiques et au brouillage. Enfin, ils sont également équipés de moyens de surveillance et ont la capacité de se déplacer pour contrarier une possible agression.

Initialement, le programme Syracuse 4 devait compter trois satellite… Mais Syracuse 4C ne sera jamais lancé, le projet de Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30 ayant prévu d’annuler sa réalisation.

« S’agissant des satellites Syracuse 4, les évolutions dans le domaine de l’espace sont très rapides : les grands programmes, c’est très bien. L’agilité du new space, c’est très bien aussi. Nous avons, à une époque, imaginé d’énormes satellites en orbite géostationnaire. Mais les constellations qui évoluent en orbite basse ont aussi des avantages. Les deux sont complémentaires pour assurer l’efficacité et la redondance dont les armées ont besoin », a ainsi récemment fait valoir le général Stéphane Mille, le chef d’état-major de l’armée de l’Air & de l’Espace [CEMAAE], aux députés.

« Mettre tous nos objets sur l’orbite géostationnaire serait à mon sens dangereux. Le temps de latence, c’est-à-dire le temps nécessaire pour transmettre une information à un autre vecteur de la patrouille, est plus important s’il faut monter en orbite géostationnaire puis redescendre. Ce delta […] colossal pour des systèmes comme le SCAF [Système de combat aérien du futur] », a ensuite expliqué le CEMAAE.

Quoi qu’il en soit, le projet de LPM 2024-30 prévoit d’engager le remplacement de Syracuse 4.

« Les moyens de communication seront appuyés par une constellation de connectivité sécurisée et multi-orbites européenne. Le programme Syracuse 5, successeur de Syracuse 4 et constitué d’une nouvelle génération de satellites souverains, sera lancé pendant la présente loi de programmation militaire. Il s’agira d’un modèle de satellite patrimonial, géostationnaire en orbite haute », est-il précisé dans le texte.

La chute de The Mozart Group et le financement des groupes combattants en Ukraine

La chute de The Mozart Group et le financement des groupes combattants en Ukraine

 

NOTE D’ACTUALITÉ N°611 / juin 2023

par Valère Llobet – Centre Français de Recherche sur le renseignement – juin 2023

https://cf2r.org/actualite/la-chute-de-the-mozart-group-et-le-financement-des-groupes-combattants-en-ukraine/


Chercheur, lauréat 2020 du Prix « Jeune chercheur » du CF2R

 


Le 31 janvier 2023, la très médiatique société militaire privée (SMP) The Mozart Group (TMG) fermait officiellement ses portes[1] après une véritable guerre interne. La cause principale : un dépôt de plainte du numéro 2 de l’entreprise. En effet, le 10 janvier dernier, Andrew Bain[2], actionnaire majoritaire et directeur financier de l’entreprise, a entamé des poursuites devant le tribunal du Wyoming[3], État américain où est enregistrée la SMP. Cette action en justice fait suite à de nombreuses polémiques qui ont visé TMG et surtout son très médiatique directeur, Andy Milburn. Citons, par exemple, une plainte pour diffamation déposée contre lui juste au début du conflit[4], ou encore une vidéo du mois de décembre 2023, où ce dernier, semblerait-il sous l’emprise d’alcool[5], accuse des unités ukrainiennes de crime de guerre sur les soldats russes[6], etc.

Précisons qu’en Andy Milburn a, de son côté, réfuté ces accusations, et en a porté d’autres en retour à l’encontre d’Andrew Bain en l’accusant d’entretenir des liens avec Moscou, de harcèlement sexuel ou encore d’avoir voulu vendre ses parts de l’entreprise aux taliban[7].

Outre les accusations de diffamation, d’alcoolisme, de vol[8], de menaces, d’absence de licence ITAR[9] ou encore de harcèlement sexuel[10], la plainte de Andrew Bain porte principalement sur la gestion financière du groupe et son opacité.

Grâce aux éléments fournis par les différentes parties à cette affaire et aux informations révélées depuis la dissolution de TMG, il est aujourd’hui évident que de nombreux autres groupes de combattants ou de soutien aux forces ukrainiennes ont recours, au moins en partie, au même type de financement pour leurs activités. Parmi celles-ci, l’on retrouve d’autres SMP, des bataillons étrangers venant d’anciennes républiques soviétiques, mais également des unités combattantes de taille plus modeste, appelées « teams » au sein des brigades internationales.

 

Un système de financement particulièrement développé

Pour rappel, The Mozart Group a été créée en mars 2022 avec un statut d’entreprise (Limited liability compagny/LLC). La société a opéré pour de nombreux clients comme l’ONG Allied Extract[11], le plus souvent pour effectuer des évacuations de civils. En plus de ces activités rémunérées, TMG recevait des dons par deux canaux distincts : le premier, direct, via le site officiel de la SMP[12] ; le second, via deux entités indirectement connectées à TMG : l’ONG Ukrainian FreedomFund (UFF), dont le fondateur n’est autre que Andrew Bain ; et la Task force Sunflower (TSF)[13] dont Andy Millburn serait le directeur[14]. Il s’agit d’une ONG[15] qui propose des services très similaires à TMG comme de l’extraction humanitaire, du soin aux blessés, de la formation médicale, du déminage, de l’acheminement de matériel[16], etc.

Grâce à l’ensemble de ces revenus, TMG a pu entretenir la confusion et abondamment communiquer sur les réseaux sociaux et auprès des médias en se faisant passer pour une organisation caritative[17]. Andrew Bain, dans son dépôt de plainte, accuse Andy Millburn d’être le seul responsable de cette situation et d’avoir sciemment mélangé ses fonds personnels, ceux de l’entreprise et ceux des entités caritatives[18].

Au total, The Mozart Group aurait réussi à lever presque un total de 1 million de dollars. Parmi ses donateurs, on compte des membres de la diaspora ukrainienne, mais aussi des sociétés comme Obsidian Group, un cabinet de renseignement privé américain[19] qui a donné environ 10 000 dollars, ce qui est étonnant lorsque l’on sait que TMG proposait également des prestations de renseignement à ses clients[20].

Bien que The Mozart Group ait été qualifié d’ONG, de « start-up militaire »[21] ou encore de « smart SMP » par certains auteurs, il n’en est rien ; l’entreprise a toujours été une société commerciale qui a utilisé le contexte ukrainien pour se forger une image d’humanitaire, en profitant des subtilités du droit américain pour récolter des dons, le tout en cherchant à obtenir des contrats avec les autorités ukrainiennes, ainsi que des marchés et des débouchés à l’étranger[22].

Notons que cette utilisation de l’action caritative n’est pas une nouveauté pour les sociétés militaires privées. Déjà, durant les conflits en Irak et en Afghanistan, des entreprises américaines et britanniques avaient développé des structures caritatives. Citons, par exemple, la société américaine Triple Canopy Inc[23],ou encore l’entreprise britannique Aegis, qui avait créé en 2006 une fondation qui intervenait en Irak, notamment dans le domaine de la reconstruction[24]. Mentionnons également Xe[25], qui avait créé un mémorial avec « un site dédié à tous ceux qui sont tombés en défendant les libertés et les valeurs de notre grand pays, les États-Unis » [26]. . Celui-ci fut financé par l’entreprise et des dons privés.  Ces actions de bienfaisance sont, pour ces sociétés, des arguments de communication et de marketing[27] qui permettent de légitimer leur présence et leurs actions.

 

De multiples entités aux modes de financement similaires

Des unités de toute nature composent les forces engagées en Ukraine : SMP, bataillons de volontaire étrangers, voire unités de combattantes intégrées au sein des brigades internationales. Les groupes présentés ci-après utilisent des modes de financement basés, comme TMG, sur des donations. Certains sont déclarés comme LLC, tandis que d’autres ne sont que des unités combattantes sans statut, ce qui ne peut qu’interroger quant à l’origine des dons et leur utilisation[28].

Précisons également que les hommes de la Légion étrangère française sont présents dans bon nombre de ces groupes. D’anciens membres de ce corps sont également engagés dans les forces armées ukrainiennes[29], voire dans les forces spéciales de ce pays[30].

 

La Team Berlioz

Écusson de la Team Berlioz[31]

La Team Berlioz serait une unité de tireurs de précision intégrée au sein des brigades internationales en Ukraine, chargée de missions de renseignement et d’appui. Elle serait composée d’au moins cinq hommes, britannique, américain, canadien et français[32]. Leur porte-parole, appelé « Franck », serait un ancien membre de la Légion étrangère, engagé dans le conflit depuis mars 2022. Le groupe aurait connu plusieurs formes avant janvier 2023 et Franck aurait fondé ce dernier avec des « chiens de guerre »[33], sans que l’on sache s’il s’agit de soldat des brigades internationales ou de mercenaires.

Une cagnotte d’aide à cette unité a été lancée début 2023 et relayée par des chaînes YouTube couvrant le conflit. Pour appuyer cette campagne, le groupe a réalisé des vidéos musicales diffusées sur le réseau social Tik Tok[34], l’objectif étant clair : rendre l’unité combattante sympathique pour engranger des dons. Leur porte-parole, à l’instar d’Andy Millburn, n’hésite pas à communiquer en ligne sur différents réseaux sociaux en déclarant combattre le « fascisme »[35]et en qualifiant les soldats russes de « bipèdes » et « d’orcs »[36].

Grâce à ces dons, les hommes de la Team Berlioz auraient pu acquérir du matériel comme des optiques pour leurs armes, un suppresseur de son ou encore « des systèmes de vision nocturne, des trépieds, (…) un drone » et également fournir du soutien à une autre équipe combattante[37].

Sur un modèle similaire, on peut citer la Task Force Baguette, qui serait composée de Français et d’Américains[38] et qui lancenégalement des appels aux dons via Paypal.[39]

 

Trident Defense Initiative

Logo de Trident Defense Initiative[40]

Il s’agit d’une SMP[41] fondée par Daniel Ridley, un ancien soldat britannique qui a servi dans les rangs de l’armée ukrainienne entre 2018 et 2022. Outre son fondateur, la société compte dans ses rangs plusieurs anciens soldats américains, un britannique et deux traducteurs ukrainiens[42]. Elle propose des formations médicales, des formations de combat aux standards OTAN et du renseignement.

Précisons que la SMP dit se financer par un système de dons et que ses personnels sont des bénévoles[43] ; pourtant la page de dons Paypal de l’entreprise renvoie vers un compte appartenant à une ONG fondée par deux anciens militaires[44] en 2021, nommée Allied Extract[45]. Cette dernière situation interroge en raison des similitudes avec le système de financement de TMG[46], notamment quand l’on se souvient que Allied Extract en fut un des clients réguliers. Depuis peu, les liens avec l’ONG ont été supprimés et Trident recueille ses dons sur les plateformes Donorbox et Buy me a coffee.

 

Ghosts of Liberty

Logo de Ghosts of Liberty[47]

Très similaire à la SMP précédente, Ghosts of Liberty est un groupe privé créé par Lance Zaal, un vétéran et entrepreneur américain spécialiste des circuits touristiques à thème horrifique. La société, composée d’anciens militaires américains, vise « à soutenir les volontaires en Ukraine en finançant des fournitures et du matériel et en dispensant des formations »[48]. L’entreprise dit se financer grâce à des dons, notamment en bitcoins et utilise le logiciel de paiement Stripe[49]

 

Backyard Camp- Skills to Defense

Image promotionnelle de BackYard Camp- Skills to Defense (crédit Wonder Україна[50])

Backyard est une structure de formation militaire installée dans la périphérie de Kiev[51]. L’organisation, que ses dirigeants qualifient de « plateforme d’éducation militaire », a été créée par Dmytro Zubkov et Artem Veselov en mars 2022[52]. Elle fournit à l’attention des civils et des militaires des stages de formation au combat et au maniement des armes.

Les cours seraient dispensés par des formateurs américains, estoniens, israéliens[53] ou encore français[54]. Le centre serait fréquenté par les forces spéciales ukrainiennes, des membres des brigades internationales[55], mais également des combattants du bataillon Azov qui y auraient suivi un stage à l’été 2022.

Bien que l’organisation assure ne pas avoir d’objectif commercial, elle accepte les dons[56] et demanderait une participation financière aux civils. A noter que la structure a disparu des réseaux sociaux dernièrement.

L’entité se veut similaire à « l’Université russe des forces spéciales » ou « l’Université russe des spetsnaz », créée en Tchétchénie, où sont formés les volontaires russes et tchétchènes qui sont envoyés en Ukraine[57].

 

Ukraine Defense Support Group (UDSG)

Logo de UDSG[58]

Il s’agit d’une entreprise ukrainienne, plus précisément d’une LLC. Composée en partie d’anciens membres de TMG[59], elle a été fondée par deux anciens militaires ayant été déployés en Afghanistan, Paul Schneider[60] et David Holdsworth[61]. Le premier aurait appartenu aux Bérets verts américains et le second à l’armée britannique. Le groupe dispense des formations à l’attention des forces militaires et une assistance aux ONG, médias et populations civiles impliquées en Ukraine. Malgré son statut de société, le groupe dit se financer par des dons PayPal[62].

 

Les bataillons de combattants étrangers

Un grand nombre de bataillons étranger sont engagés dans le conflit[63]. Certains d’entre eux utilisent également des systèmes de financement reposant sur les donations. Citons, par exemple : Kastuś Kalinoŭski Regiment[64], un groupe biélorusse ; la Georgian National Legion[65], qui intervient en Ukraine depuis 2014 ; ou encore la Norman Brigade, un groupe canadien, composé d’un ancien membre de la Légion étrangère française, de Néo-zélandais, de Sud-africains, d’Américains et de Canadiens. Le bataillon serait dirigé par un vétéran surnommé « Hrulf ». Ce dernier est accusé par les anciens membres de son groupe de sympathie néo-nazie[66] et d’emploi du groupe combattant à des fins personnelles[67].

Les deux premières organisations se financent grâce à des dons Paypal, en cryptomonnaie – Bitcoin ou Etherum[68]. La troisième a recours à la vente de produits divers (merchandising)[69].

Bien que les actions caritatives en faveur de l’Ukraine soient massivement relayées sur les réseaux sociaux et dans les médias, il semble clair qu’une partie de cet argent et des biens qui sont acheminés ne soit pas utilisée correctement. Ces derniers peuvent être mal gérés[70] ou détournés, car les contrôles sont presque inexistants[71]. Bon nombre de structures se sont d’ailleurs créées avec le conflit et sont dirigées par d’anciens militaires qui ne sont pas forcément des spécialistes de la gestion d’entreprise ou d’ONG en zone de guerre.

Concernant The Mozart Group, bien qu’il ait officiellement fermé ses portes, les activités initiées par TMG perdurent indirectement dans le pays, soit au travers de l’activité de son ancien directeur Andrew Milburn – qui, après avoir repris de nouveaux bureaux à Kiev[72], a recommencé une activité en ligne sur les réseaux sociaux, – soit par les structures qu’ont développé d’anciens membres de la SMP[73] en Ukraine, proposant des formations militaires à l’attention de forces classiques et des unités spéciales du pays[74].

Cette liste n’est pas exhaustive : de nombreuses autres structures interviennent dans le pays. Citons l’ESSD française Stratégie, qui y a effectué des évacuations de réfugiés en 2022[75], mais également des SMP britanniques, israéliennes, allemandes – comme Global.AG Security & Communication – ou estonienne- Iron Navy[76] -, etc.

Rappelons également qu’en 2014 déjà, des SMP étrangères étaient impliquées en Ukraine, à l’image d’Academi qui y avait déployé 400 contractors pour coordonner et diriger « des opérations de guérilla contre les séparatistes pro-russes autour de l’enclave de Sloviansk »[77].


[1] https://twitter.com/andymilburn8/status/1620509157370769408?cxt=HHwWgMDRhcWfmv0sAAAA

[2] Gris Mauricio, « Shadowy groups of Western military veterans are operating on the ground in Ukraine, largely unregulated », The Telegraph, 23 janvier 2023 (https://www.telegraph.co.uk/world-news/2023/01/23/ukraine-russia-invasion-private-military-wagner-mozart/).

[3] Andy Bain suit against Andy Milburn of Mozart Group 10 janvier 2023

(https://www.documentcloud.org/documents/23580905-andy-bain-suit-against-andy-milburn-of-mozart-group).

[4] Michael Ryan Burke suit against Task & Purpose, Recurrent Ventures, Inc., Andrew Milburn and The Mozart Group, LLC, 4 octobre 2022 (https://dockets.justia.com/docket/missouri/mowdce/2:2022cv04147/166137).

[5] Gettleman Jeffrey, « Hard Drinking and Murky Finances : How an American Veterans Group Imploded in Ukraine », The New York Times, 1 février 2023

(https://www.nytimes.com/2023/02/01/world/europe/american-veterans-ukraine-mozart.html).

[6] En réponse à la diffusion d’extraits, Andrew Milburn a accusé l’émission, où il était interviewé, d’être un relais de la propagande russe et d’avoir réalisé un deep fake.

(https://www.linkedin.com/posts/andrewmilburn2023_manipulation-the-subtle-art-of-taking-things-activity-7021478925742542848-MGp8?utm_source=share&utm_medium=member_desktop).

[7] Gris Mauricio, op. cit.

[8] Orizio Pietro, « Ascesa, declino e requiem del Gruppo Mozart », Analisidifesa, 22 février 2023 (https://www.analisidifesa.it/2023/02/ascesa-declino-e-requiem-del-gruppo-mozart/).

[9] L’International Trafic in Arms Regulations est une règlementation américaine qui encadre, entres autres, la vente, la fabrication ou encore l’exportation de matériel miliaire (cf. Intelligence Online, 27 janvier 2023).

[10] Mass Peter, « U.S. Military Vets in Ukraine Are Fighting Each Other in Court », The Intercept, 20 janvier 2023 (https://theintercept.com/2023/01/20/ukraine-mozart-group-us-veterans/).

[11] Orizio Pietro, op. cit.

[12] Dons privés via Paypal ou Venmo, en bitcoins et en équipement, « du crowdfunding ou encore de la vente de produits divers (merchandising) » (cf. Llobet Valère et Auret Nicolas, « The Mozart Group et l’action des sociétés militaires privées américaines en Ukraine », CF2R, Note d’actualité n°604, janvier 2023 (https://cf2r.org/actualite/the-mozart-group-et-laction-des-societes-militaires-privees-americaines-en-ukraine/).

[13] Ces deux structures récoltent des dons sur Donorbox, un logiciel de de collecte de fonds en ligne ; cf. « Donate », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/donate/)

[14] Andy Bain suit against Andy Milburn of Mozart Group, part n°15, point O, op. cit.

[15] « About », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/#about).

[16] « Services », Task Force Sunflower (https://www.taskforcesunflower.org/).

[17] Régis par l’article 501 paragraphe c alinéa 3 de l’Internal Revenue Code des États-Unis. Ce statut permet aux organisations caritatives de recevoir des donations défiscalisées ; cf. Isenberg David, « The rise and fall of the Mozart Group », Responsible Statecraft, 8 février 2023 (https://responsiblestatecraft.org/2023/02/08/the-rise-and-fall-of-the-mozart-group/)

[18] Orizio Pietro, op. cit.

[19] « About », Obsidian solutions group, (https://obsidiansg.com/about/).

[20] Llobet Valère, et Auret Nicolas, op. cit.

[21] Gettleman Jeffrey, « An American in Ukraine Finds the War he’s Been Searching for », The New York Times, 9 octobre 2022 (https://www.nytimes.com/2022/10/09/world/europe/ukraine-war-americans.html).

[22] Notamment sur d’autres théâtres de conflit comme l’Arménie (cf. Mass Peter, op. cit.).

[23] Bricet des Vallons, Georges-Henri, « Irak, terre mercenaire – Les armées privées remplacent les troupes américaines », éditions Favre, 2010.

[24] « Philanthropy & Campaigns », Private Military.org, 22 mai 2021

(http://www.privatemilitary.org/foundations.html).

[25] Rappelons que Xe fut le nom adopté par l’entreprise Blackwater en 2009, avant de devenir, en décembre 2011, Academi (cf. Cole August, « Blackwater Puts on a New Public Face », The Wall Street Journal, 14 février 2019 )

(https://www.wsj.com/articles/SB123454232273983709).

[26] « Philanthropy & Campaigns », op. cit.

[27] Bricet des Vallons G-H, op. cit.

[28] Dans de nombreux cas, l’argent des donations est gaspillé ou simplement utilisé pour fournir du matériel de piètre qualité (cf. Scheck Justin, Gibbons-Neff Thomas, « Stolen Valor: The U.S. Volunteers in Ukraine Who Lie, Waste and Bicker », The New York Times, 25 mars 2023.

(https://www.nytimes.com/2023/03/25/world/europe/volunteers-us-ukraine-lies.html).

[29] Souriau Vincent, « Guerre en Ukraine : des combattants français témoignent de la férocité des combats et du déficit de matériel », RFI, 9 mars 2023 (https://www.rfi.fr/fr/europe/20230309-guerre-en-ukraine-des-combattants-fran%C3%A7ais-t%C3%A9moignent-de-la-f%C3%A9rocit%C3%A9-des-combats-et-du-d%C3%A9ficit-de-mat%C3%A9riel).

[30] « [Ukraine] Franck, sniper dans la Légion des volontaires internationaux. Témoignage », Xavier Tytelman, 3 février 2023, (https://www.youtube.com/watch?v=vaHgCXShR1c).

[31] Extrait de la page de donation de la Team Berlioz

(https://www.paypal.com/donate/?hosted_button_id=PXN986BAF7XY2).

[32] https://www.youtube.com/shorts/zRhVAmpTcJw

[33] « [Ukraine] Franck, sniper dans la Légion des volontaires internationaux. Témoignage », op. cit.

[34] https://www.tiktok.com/@berliozteam

[35] https://www.paypal.com/donate/?hosted_button_id=PXN986BAF7XY2

[36] Comparaison régulièrement utilisée sur les forums internet depuis le début du conflit en Ukraine, pour parler des troupes russes. Il s’agit d’une référence aux orcs de la saga littéraire et filmique du Seigneur des anneaux.

[37] « Franck et la team vont bien, ils vous remercient pour les dons qui les ont bien aidés !», Xavier Tytelman, 13 mars 2023, (https://www.youtube.com/shorts/Z36ft5B5ozs).

[38] Parmi ces combattants américains, deux ont été fait prisonniers par les forces russes avant d’être relâchés à l’automne 2022 (Toropin Konstantin, « ‘Ambushed’: Former Marine Is Latest Veteran Killed in Ukraine War », Military.com, 1er mai 2023 (https://www.military.com/daily-news/2023/05/01/marine-veteran-killed-helping-evacuees-besieged-ukrainian-city.html)

[39] https://twitter.com/TFBaguette/status/1624070312856805376?cxt=HHwWgICzgYnW7YktAAAA

[40] Extrait de la page principale Trident Defense Initiative (https://tridentdefenseinitiative.com/).

[41] « Home », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/tdi-tactical).

[42] « TDIstaff », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/tdi-staff).

[43] « Donate », Trident Defense Initative (https://tridentdefenseinitiative.com/donate).

[44] L’un est Américain et l’autre Britannique (cf. «Our team», Allied Extract) (https://alliedextract.org/our-team/).

[45] https://www.paypal.com/donate?token=cGL0HczhcDpUrihK0wMLjtbykEGa06WYmDVQ54rzZNpwDwmZm42kX7oWnLPTB6ilpxSZPNexhDOBMXZY

[46] Notons que l’ONG intervient en Ukraine et en Afghanistan. (cf. «About our organisation », Allied Extrac)(https://alliedextract.org/about-us/).

[47] Extrait de la page principale de Ghost of Liberty (https://ghostsofliberty.com/).

[48] «US Ghost Adventures’ Founder and Marine Corp Veteran Launches ‘Ghosts of Liberty’ to Provide Training, Equipment and Supplies to Ukraine », PR Newswire, 30 juin 2022 (https://www.prnewswire.com/news-releases/us-ghost-adventures-founder-and-marine-corp-veteran-launches-ghosts-of-liberty-to-provide-training-equipment-and-supplies-to-ukraine-301579288.html).

[49] « Home », Ghosts of Liberty (https://ghostsofliberty.com/).

[50] Extrait de « Стрільба, медицина та самозахист. 11 навчальних курсів, які можна пройти у воєнний час », Wonder Україна, 16 septembre 2022 (https://www.wonderzine.com.ua/wonderzine/life/life/12539-strilba-meditsina-ta-samozahist-11-navchalnih-kursiv-yaki-mozhna-proyti-u-voenniy-chas).

[51] Ibid.

[52] « Дмитро Зубков про те, де можна отримати кваліфікаційну військову підготовку », KyivFM, 15 décembre 2022 (https://www.youtube.com/watch?v=w_fe37w1ynM).

[53] Ibid.

[54] Il s’agirait d’un ancien caporal de la Légion étrangère (cf. « Стрільба, медицина та самозахист. 11 навчальних курсів, які можна пройти у воєнний час », op. cit.

[55] Ibid.

[56] Gris Mauricio, op. cit.

[57] Barluet Alain, « En Tchétchénie, à l’Université des forces spéciales de Kadyrov : le récit de l’envoyé spécial » du Figaro », Le Figaro, 5 avril 2023 (https://www.lefigaro.fr/international/en-tchetchenie-a-l-universite-des-forces-speciales-de-kadyrov-le-recit-de-l-envoye-special-du-figaro-20230405).

[58] Extrait de UDSG, « About US », (https://ukrainedsg.com/).

[59] Brennan David, « How Russian Forces in Ukraine Are Learning to Fight: U.S. Veteran Trainer », News Week, 3 mars 2023 (https://www.newsweek.com/how-russian-forces-ukraine-learning-fight-american-veteran-trainer-1787239).

[60] https://www.linkedin.com/in/paul-schneider-863272159/

[61] https://www.linkedin.com/in/david-holdsworth-52630062/

[62] « Help our cause », UDSG (https://ukrainedsg.com/).

[63] Gaüzere David, « Le bataillon Touran, un nouveau venu en Ukraine », Note d’Actualité n°605, CF2R, janvier 2023 (https://cf2r.org/actualite/le-bataillon-touran-un-nouveau-venu-en-ukraine/).

[64], « Help », Kastuś Kalinoŭski Regiment (https://kalinouski.org/en/help/).

[65] « Help », Georgian National Legion (https://georgianlegion.com.ua/en/).

[66] Blackwell Tom, « Incompetence or the realities of war? Turmoil for Canadian-led foreign battalion in Ukraine », National Post, 6 mai 2022 (https://nationalpost.com/news/canada/turmoil-for-norman-brigade-canadian-led-foreign-battalion-in-ukraine).

[67] Le groupe basé dans le sud-est de l’Ukraine se cantonnerait à défendre un seul village où vivrait la femme et les enfants ukrainiens de « Hrulf » (cf. Blackwell Tom, op. cit.).

[68] « Help », Kastuś Kalinoŭski Regiment, op. cit.

[69] https://www.bonfire.com/store/norman-brigadebrigade-normande/

[70] Scheck Justin et Gibbons-Neff Thomas, op. cit.

[71] Timson Jamie, « Why are private military companies playing such a major role in Ukraine ? », The Week, 24 janvier 2023 (https://www.theweek.co.uk/news/world-news/russia/959374/why-are-private-military-companies-playing-a-such-a-large-role-in).

[72] Gettleman Jeffrey, « Hard Drinking and Murky Finances : How an American Veterans Group Imploded in Ukraine », The New York Times, 1 février 2023

(https://www.nytimes.com/2023/02/01/world/europe/american-veterans-ukraine-mozart.html).

[73] Brennan David, « How Russian Forces in Ukraine Are Learning to Fight: U.S. Veteran Trainer », News Week, 3 mars 2023 (https://www.newsweek.com/how-russian-forces-ukraine-learning-fight-american-veteran-trainer-1787239).

[74] Ibid.

[75] « Ukraine2022-Ykpaïha », Stratégie, 8 mars 2023 (https://www.youtube.com/watch?v=lPJ4w6Wa4Fg).

[76] Intelligence Online, 3 mars 2023.

[77] « Des mercenaires américains en Ukraine », Le Figaro, 11 mai 2014, (https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/05/11/97001-20140511FILWWW00036-des-mercenaires-americains-presents-en-ukraine.php).

Le renseignement français doit investir davantage dans l’OSINT

Le renseignement français doit investir davantage dans l’OSINT

https://www.slate.fr/story/247883/tribune-renseignement-francais-doit-creer-agence-osint-expertise-militaire-ia?google_editors_picks=true


[TRIBUNE] Le pays dispose d’un écosystème favorable au développement du renseignement d’origine sources ouvertes. Il serait temps de créer une agence qui lui soit dédiée.

 

La capacité de fondre les informations d'origine sources ouvertes avec les autres sources plus «classiques» est devenu un enjeu essentiel dans la concurrence que se livrent les services spéciaux des grandes puissances. | Teona Swift via Pexels
La capacité de fondre les informations d’origine sources ouvertes avec les autres sources plus «classiques» est devenu un enjeu essentiel dans la concurrence que se livrent les services spéciaux des grandes puissances. | Teona Swift via Pexels

Les principes et la pratique de l’OSINT (l’Open source intelligence, ou ROSO en français, pour «renseignement d’origine sources ouvertes») ne sont pas nouveaux. Mais avec la démocratisation d’internet à partir de 1995, tout change. En 2010, Eric Schmidt, alors PDG de Google, déclarait que la somme totale des données créées entre le «commencement des temps» et 2003, estimée à 5 exabytes, était produite tous les deux jours. Aujourd’hui, on parle de 120 zettabytes pour l’année 2023.

Face à ce tsunami de données, les performances des semi-conducteurs (qui donnent aux supercalculateurs leur puissance) et des outils d’intelligence artificielle ont fait des progrès stupéfiants. L’envol de l’OSINT s’explique donc par la croissance exponentielle du volume des données créées sur internet et les réseaux numériques, la puissance de calcul des superordinateurs et, enfin, le développement des outils de traitement et d’analyse censés exploiter cette masse ahurissante d’informations.

D’abord axé autour des compétences en renseignement humain (réseaux, identification des sources, collecte, vérification, analyse, etc.), puis de la surveillance électronique et satellitaire, le renseignement est à un nouveau point d’inflexion. Les techniques, la technologie, les méthodes, le recrutement et la formation des agents et, surtout, la capacité de fondre les informations d’origine sources ouvertes avec les autres sources plus «classiques» est devenu un enjeu essentiel dans la concurrence que se livrent les services spéciaux des grandes puissances. Afin de ne pas décrocher, le renseignement français doit investir davantage dans l’OSINT, et pour cela, il doit se doter d’une agence dédiée.

L’OSINT n’est pas un «INT» comme un autre

L’OSINT désigne la collecte de données publiques ou semi-publiques, surtout tirées du monde numérique, internet, données GPS, satellitaires etc., puis de leur vérification, traitement, analyse, dissémination, évaluation. En Ukraine, l’OSINT a permis de prévoir la guerre, de déjouer les opérations sous fausse bannière, d’identifier des cibles ennemies, etc.; avant ça, l’analyse de vidéos de l’autoproclamé État islamique grâce à des données satellitaires comme Google Earth avait facilité la localisation des terroristes, même chose pour les coordonnées GPS des téléphones satellites d’al-Qaïda en Afghanistan.

Mais l’OSINT se distingue des autres disciplines (SIGINT, pour Signals intelligence, HUMINT, pour Human intelligence) par de nombreux aspects. D’abord, le renseignement d’origine sources ouvertes est très hétéroclite: les sources peuvent provenir de la littérature grise, du dark web, de millions de sites, des réseaux sociaux, de données de géolocalisation, et cela sous des formes différentes (texte, images, vidéos, audio), posant évidemment des problèmes de standardisation des données non structurées.

Dans un milieu technophobe comme celui du renseignement, l’idée d’investir des sommes faramineuses dans des supercalculateurs fera certainement grincer des dents.

Ensuite, les métiers propres à l’OSINT sont très fragmentés: analystes, développeurs, scientifiques de données, ingénieurs de données, programmeurs, linguistes, professionnels multidisciplinaires chargés de coordonner des métiers et des processus complexes. Du fait de sa nature hybride, l’OSINT doit à la fois entretenir une culture du secret et s’ouvrir suffisamment pour fonder des partenariats originaux avec des start-up et des entreprises de défense, des universités, et convaincre des talents attirés vers le privé.

Il y a aussi les défis liés à la technologie. Dans un milieu historiquement technophobe comme celui du renseignement –où la guerre entre partisans du renseignement d’origine humaine et ceux du renseignement d’origine électromagnétique évoque parfois celle entre les Anciens et les Modernes–, l’idée d’investir des sommes faramineuses dans des supercalculateurs et autres, rien que pour rester dans la course, fera certainement grincer des dents.

Enfin, avec une technologie souvent américaine, trouver le bon compromis entre souci d’indépendance nationale et maîtrise des coûts sera un vrai défi, surtout si les décisionnaires n’ont pas les compétences requises pour faire les choix opportuns.

Tout ceci devrait pousser vers une logique de centralisation des ressources afin d’optimiser les budgets, les matériels et les talents disponibles, ce qui va à l’encontre de la tradition de concurrence entre services secrets français, comme l’a encore démontré en 2022 l’échec du projet de création d’une agence indépendante de surveillance électronique, probablement en raison de l’opposition de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), soucieuse de garder la main à travers sa direction technique. Mais c’était en 2022. Depuis, les choses ont encore changé…

Le décollage de l’IA générative bouleverse la donne

Depuis quelques mois, on ne parle plus que de ChatGPT, le produit d’OpenAI, une start-up lancée par Elon Musk et Peter Thiel, comptant Microsoft parmi ses actionnaires principaux. En deux mois, ChatGPT avait déjà 100 millions d’abonnés, pulvérisant le record de vitesse d’acquisition précédemment détenu par Instagram. Les médias spécialisés parlent déjà de nouvel âge industriel. Mais pour les services de renseignement, c’est une nouvelle révolution.

D’abord, qu’est-ce que l’intelligence artificielle (IA) générative et pourquoi en parle-t-on autant? Depuis 2019, l’IA a été transformée grâce à la révolution des modèles de fondation. Basés sur des réseaux neuronaux (systèmes complexes d’algorithmes statistiques s’inspirant du fonctionnement du cerveau humain), les modèles de fondation sont des modèles de très grande taille qui sont entraînés sur de très gros volumes de données non étiquetées, au début par apprentissage pré-entraîné. Avec l’explosion du nombre de paramètres (de 100 millions à des milliers de milliards), les modèles tournent maintenant par apprentissage autosupervisé.

Pour simplifier, les modèles apprennent en ingurgitant des quantités faramineuses de données, langages, images, code etc., «s’améliorent» sans intervention humaine et savent répondre à des questions complexes, synthétiser des bibliothèques entières de textes ou d’images à toute allure, développer du code, imiter un style et même créer.

Quand on voit ce que l’Internet Research Agency d’Evgueni Prigojine a fait avec une technologie somme toute limitée, on est en droit d’avoir froid dans le dos.

Les applications spécifiques au renseignement donnent le tournis: analyse, synthèse, structuration, simulation de scénarios, validation de très larges quantités de données… En automatisant toutes ces tâches grâce à l’IA générative, les agents peuvent se consacrer à des activités essentielles et prendre de meilleures décisions.

Mais l’IA, entre les mauvaises mains, présente aussi des dangers sans précédent: virus informatiques beaucoup plus performants, «empoisonnement» des données OSINT collectées pour fausser l’analyse, ou encore contamination des pays ciblés avec des fausses rumeurs, fausses affaires, faux complots –quand on voit ce que l’Internet Research Agency d’Evgueni Prigojine a fait avec une technologie somme toute limitée, on est en droit d’avoir froid dans le dos.

Troisième axe: les nouveaux produits. On parle beaucoup de speech-to-face (Nvidia…), un type d’outil qui permet de déterminer un visage à partir de l’enregistrement d’une voix et ensuite retrouver l’individu sur les réseaux sociaux grâce à la reconnaissance faciale. Ou alors des outils programmés pour identifier les deepfakes textuels (Writer, Sensity…). Comme le dit Lakshmi Raman, directrice IA de la CIA: «Il ne fait pas de doute qu’évaluer les outils [d’IA] les mieux adaptés aux objectifs du gouvernement américain ne sera pas une tâche facile.»

Il faut une agence dédiée

Les Britanniques y réfléchissent. Dans leur rapport, le Royal United Services Institute (RUSI) s’interrogeait sur l’opportunité de créer une agence centralisée comme solution à la fragmentation des tâches, des compétences et des expertises liées à l’OSINT, mais concluait qu’il était encore trop tôt, et ce, en raison d’un risque de compartimentation des compétences.

Aux États-Unis, le pays le plus en pointe sur le sujet, le débat fait rage dans la communauté du renseignement. Pour le moment, c’est la Defense Intelligence Agency (DIA) qui a la charge de l’OSINT. Mais, comme l’explique le Center for Strategic and International Studies (CSIS), un cercle de réflexion, «l’émergence de l’IA, du Big Data et d’autres technologies transformatives doivent conduire la communauté du renseignement à réinventer comment elle conçoit, priorise et réalise ses missions». Le think tank recommande ensuite de «mieux intégrer l’OSINT dans la collecte de renseignements et l’expertise analytique».

Les défis liés à l’adoption généralisée de l’OSINT dans le renseignement français réclament une phase initiale de mise en place des structures, des procédures de standardisation, d’inventaire des outils, de développement de partenariats public-privé, etc. Et plutôt que de regrouper les divisions concernées de la DGSE, de la direction du renseignement militaire (DRM) ou possiblement du commandement de la cyberdéfense sous une direction «matrice», solution peu pratique, nous imaginons plutôt la création d’une entité spécialisée, positionnée à la fois comme centre de compétences et incubateur de ces mêmes compétences.

Avec ses communautés open source, ses écoles militaires et scientifiques, ses universités, ses jeunes pousses spécialisées dans la collecte et le traitement de données et l’intelligence artificielle, le pays dispose d’un écosystème favorable au développement d’une expertise OSINT. Une agence spécialisée permettra d’apporter une compétence unique au renseignement français, afin de l’aider à affronter les innombrables défis des prochaines années.