Les résultats du sondage annuel du Ronald Reagan Institute ont été publiés jeudi. Pour voir l’ensemble des (riches) données et des tableaux en 106 pages, cliquer ici.
Les données montrent, par exemple, que le niveau de confiance des Américains dans leurs forces armées nationales américaine repart à la hausse (avec 51% des sondés qui font confiance à l’Institution militaire) mais sans revenir au niveau connu en 2018 (70%), année où a eu lieu la première « Reagan National Defense Survey » :
Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que toutes institutions concernées enregistrent une amélioration des taux de confiance. Les forces armées restent toutefois en tête, loin devant la police et les agences de maintien de l’ordre.
Autre données intéressante: 79% des personnes interrogées ont déclaré qu’elles soutenaient une augmentation des dépenses militaires, soit le niveau le plus élevé jamais enregistré par l’enquête. Ce chiffre est en hausse par rapport au niveau historiquement bas de 71% enregistré lors du sondage de l’été 2023 de l’Institut (voir mon post d’alors):
La hausse souhaitée des dépenses militaires n’arrive toutefois qu’en 5e position, derrière la hausse préconisée par les sondés des dépenses pour la couverture sociale, les infrastructures, la santé et l’éducation.
Autre sujet abordé: la présence militaire américaine à l’étranger. Le soutien à une telle présence est resté relativement stable depuis la première enquête en 2018. Cette année, 62 % des personnes interrogées se disent favorables à l’installation permanente de bases militaires à l’étranger, tandis que 33 % s’y opposent. L’année dernière, les chiffres sur la même question était respectivement de 66 % et 28 %.
Toujours sur l’étranger: quels sont les théâtres les plus importants? En tête: l’Asie du sud-est, devant le Moyen-Orient et l’Europe:
Sur l’Ukraine, on constate une érosion du soutien aux envois d’armes:
Enfin, les données de l’enquête montrent que 60 % des personnes interrogées soutiennent l’OTAN en tant qu’alliance.
Cette « Reagan National Defense Survey » a été réalisée auprès de 2500 personnes au cours de la première moitié du mois de novembre.
Lancé dans les années 1990 , le programme DD(X) [ou DD21] prévoyait la construction de trente-deux « destroyers » furtifs de nouvelle génération au profit de l’US Navy. Ayant la signature radar d’un bateau de pêche malgré leurs 15 480 tonnes de déplacement ainsi que la capacité de produire assez d’électricité pour alimenter l’équivalent de 78 000 foyers, ces navires devaient révolutionner le combat naval. Seulement, il n’en a rien été : devant la hausse exponentielle des coûts, le Pentagone dut revoir drastiquement ses ambitions à la baisse… Et seulement trois unités ont été construites.
Dans le même temps, le programme LCS [Littoral Combat Ship], censé doter l’US Navy de cinquante-deux navires rapides et polyvalents grâce à l’intégration de « modules de mission » en fonction des tâches qu’ils devaient accomplir, s’est aussi soldé par un échec cuisant… Au point que certaines unités ont été désarmées seulement cinq ans après avoir été admises au service actif.
D’où le programme « Constellation », lancé afin de remplacer les LCS [surnommés Little Crappy Ships] par des navires conçus selon le modèle de la frégate multimissions [FREMM] italienne. Seulement, la prise en compte de nouvelles exigences fait que la construction de ces nouveaux navires [six ont été commandés à ce jour] accumule les retards.
Si le remplacement des LCS est prévu, il en va de même pour les « destroyers » appartenant à la classe Arleigh Burke, dont les premières unités [version Flight 1] ont été admise au service dans les années 1990, ainsi que pour les croiseurs de type Ticonderoga. Pour cela, le Pentagone a lancé le programme DDG[X], avec l’objectif de disposer d’un premier navire à l’horizon 2032.
Seulement, l’US Navy est contrainte de désarmer certains de ses navires sans pouvoir les remplacer dans l’immédiat. Tel est le cas des LCS mais aussi celui des croiseurs de type Ticonderoga, dont il ne reste plus que huit exemplaires en service sur les vingt-sept construits. En outre, les difficultés que rencontre actuellement l’industrie navale américaine ne sont pas sans conséquences sur la disponibilité technique de ses bateaux.
Enfin, la marine américaine doit financer d’autres programmes tout aussi importants, comme son futur avion de combat embarqué ou encore son sous-marin nucléaire lanceur d’engins [SNLE] de nouvelle génération, etc.
Résultat : la flotte de navires de premier rang diminue progressivement, alors que l’activité opérationnelle, déjà très importante, pourrait s’intensifier si la situation dans la région Indopacifique venait à se dégrader.
Dans ces conditions, l’une des solutions consisterait à prolonger la durée de vie de certains navires. Et c’est d’ailleurs ce qu’a annoncé l’US Navy, le 31 octobre.
Ainsi, devant être désarmés entre 2028 et 2032, douze « destroyers » sur les vingt-et-un que compte la série « Arleigh Burke Flight 1 », joueront les prolongations. Cette décision a été prise en fonction de l’état des navires concernés ainsi que sur la faisabilité de leurs mises à niveau.
«Le contexte budgétaire actuel contraint la Marine à faire des investissements prioritaires pour garder plus de joueurs prêts sur le terrain. La Marine tire activement les bons leviers pour maintenir et développer ses forces de combat afin de soutenir les intérêts mondiaux des États-Unis […] et de remporter une victoire décisive en cas de conflit », a fait valoir Mme l’amiral Lisa Franchetti, la cheffe des opérations navales [CNO, c’est-à-dire de l’US Navy, ndlr].
Tous les « destroyers » de type Arleigh Burke Flight I ne seront pas logés à la même enseigne. Ainsi, la durée de vie des USS Stethem et USS Carney ne sera prolongée que d’un an. Il est question d’aller jusqu’à trois ans pour les USS Barry et USS The Sullivans. Enfin, les USS John Paul Jones, Curtis Wilbur, Stout, John S. McCain, Laboon, Paul Hamilton, Gonzalez et Cole seront maintenus en service pendant cinq années de plus.
À noter que l’US Navy avait précédemment décidé de prolonger les USS Arleigh Burke, USS Mitscher, USS Milius, USS Ramage et USS Benfold. Le désarmement des USS Russell, USS Fitzgerald, USS Hopper et USS Ross devrait se faire comme prévu.
« La prolongation de ces ‘destroyers’ hautement performants et bien entretenus renforcera encore nos moyens alors que de nouveaux navires de guerre en construction rejoindront la flotte», a commenté Carlos Del Toro, le secrétaire de l’US Navy. « Cela témoigne également de leur rôle durable dans la projection de puissance à l’échelle mondiale et de leur capacité avérée à se défendre […] contre les attaques de missiles et de drones » comme l’a montré leur engagement en mer Rouge, a-t-il ajouté.
La maîtrise des océans est depuis toujours un enjeu majeur pour les puissances mondiales. Mais aujourd’hui, dans un contexte de tensions géopolitiques au plus haut en Europe et au Moyen-Orient, le contrôle des routes maritimes revêt une importance stratégique capitale pour la sécurité internationale, le commerce mondial et la projection de puissance militaire.
L’US Navy demeure la force navale prédominante sur la scène internationale. Avec environ 300 navires de combat, dont onze porte-avions nucléaires de classe Nimitz et Gerald R. Ford, et une aviation navale forte de près de 4 000 aéronefs militaires opérationnels, elle assure une présence constante sur l’ensemble des océans. Une capacité de projection de puissance qui permet aux États-Unis de protéger leurs intérêts stratégiques et de garantir la liberté de navigation, essentielle au commerce international. Toutefois, la montée en puissance de la marine chinoise, qui modernise rapidement sa flotte et étend sa zone d’influence, remet en question l’équilibre des forces navales mondiales.
L’impact économique des conflits sur le transport maritime
Si la marine et la sécurité des mers sont si stratégiques, c’est que le transport maritime est le pilier de l’économie mondiale. Il représente environ 80 % du commerce international en valeur et 90 % en volume. Les navires transportent des marchandises variées, des conteneurs aux vracs liquides comme les hydrocarbures (39 % du total) et les vracs solides tels que les minerais, le charbon et les céréales (21 % du trafic total). Sans compter, évidemment, le transport de produits finis dont une grande partie de ce qui est acheté sur Internet.
De fait, les détroits stratégiques, comme Bab el-Mandeb et Ormuz, sont des points de passage essentiels pour le commerce mondial et la distribution des ressources énergétiques. Le détroit de Bab el-Mandeb, situé entre le Yémen et Djibouti, voit transiter entre 12 % et 15 % du trafic maritime mondial. Les rebelles Houthis du Yémen, soutenus par l’Iran, ont menacé d’attaquer les navires à destination d’Israël empruntant ce détroit, en représailles aux actions israéliennes dans la bande de Gaza. Ces menaces ont déjà conduit à des attaques contre des navires commerciaux, provoquant une réorientation des routes maritimes.
Face à ces risques, les compagnies maritimes ont choisi de contourner l’Afrique par le Cap de Bonne-Espérance, allongeant les trajets de plusieurs milliers de kilomètres, ce qui engendre une augmentation significative des coûts opérationnels et des délais de livraison. Les primes d’assurance maritime ont également flambé. Les armateurs doivent en effet souscrire plusieurs types d’assurances pour leurs navires :
L’assurance corps de navire : couvre les dommages matériels subis par le navire.
L’assurance de la cargaison : protège les marchandises transportées contre les pertes ou les dommages.
L’assurance protection et indemnisation (P&I) : couvre la responsabilité civile pour les dommages causés à des tiers, y compris les dommages environnementaux.
Dans les zones à haut risque, les primes pour ces assurances ont été multipliées par cinq à dix. Selon des sources spécialisées, les taux d’assurance pour les navires traversant la mer Rouge ont atteint des niveaux sans précédent. Par exemple, une prime de guerre, qui s’ajoute aux assurances traditionnelles dans les zones de conflit, peut représenter jusqu’à 0,4 % de la valeur du navire par voyage, contre 0,02 % en temps normal. Pour un navire valant 100 millions de dollars, une telle différence signifie une prime passant de 20 000 à 400 000 dollars par voyage.
Défis pour les forces navales face aux menaces asymétriques
Le détroit d’Ormuz est une autre zone stratégique sensible. Situé entre l’Iran et Oman, il est le passage obligé pour environ 20 % de la demande mondiale de pétrole et un tiers du gaz naturel liquéfié. Une escalade du conflit impliquant l’Iran pourrait conduire à la fermeture de ce détroit, ce qui aurait des conséquences désastreuses sur les marchés énergétiques mondiaux. Les oléoducs terrestres existants ne peuvent pas compenser le flux interrompu, et l’absence de voies alternatives suffisantes accentue la vulnérabilité de cette route maritime.
La capacité des forces navales occidentales à sécuriser ces détroits est mise à l’épreuve. Malgré sa puissance, l’US Navy a rencontré des difficultés pour contrer les menaces asymétriques posées par les Houthis. Ces derniers utilisent des tactiques non conventionnelles, comme des embarcations rapides chargées d’explosifs, des missiles anti-navires et des drones maritimes, rendant la défense complexe. L’Iran, de son côté, possède des capacités militaires loin d’être négligeables, avec une stratégie de déni d’accès/déni de zone (A2/AD) dans le Golfe Persique. Son arsenal comprend des missiles balistiques, des mines navales, des sous-marins de poche et des navires rapides équipés de missiles, ce qui constitue une menace crédible pour la navigation commerciale et militaire.
La question du transport du pétrole russe pour contourner les sanctions
En Europe de l’Est, le conflit entre l’Ukraine et la Russie a également des répercussions sur la sécurité maritime. L’Union européenne, le G7 et l’Australie ont imposé un embargo sur le pétrole russe transporté par voie maritime, assorti d’un plafonnement du prix à 60 dollars le baril. Pour contourner ces sanctions, la Russie a constitué une « flotte fantôme » composée de plus de 200 navires opérant sous des pavillons de complaisance ou sans identification claire. Ces navires transportent environ 1,7 million de barils de pétrole par jour vers des pays n’appliquant pas les sanctions, tels que la Chine et l’Inde.
Cette flotte clandestine représente un risque majeur pour la sécurité maritime et l’environnement. En effet, ces navires sont souvent âgés et moins bien entretenus que d’autres. C’est notamment le cas quand ils ne sont pas couverts par de grands assureurs. En cas d’accident, il n’y aurait alors aucune garantie que les dommages environnementaux, comme les marées noires, soient indemnisés. De plus, l’absence de suivi et de transparence rend difficile la prévention des incidents et, en cas de besoin, la coordination des secours.
Une situation qui pourrait bien se dégrader : l’Union européenne, dans un futur paquet de sanctions, pourrait renforcer les sanctions qui touchent les assurances de la flotte clandestine, notamment en s’attaquant aux grands assureurs russes. De quoi, potentiellement, réduire encore un peu le niveau déjà bas d’assurance pour ces navires, ce qui aurait pour conséquence d’augmenter les risques d’accidents
Vers une stratégie de défense maritime coordonnée
Les compagnies d’assurance occidentales sont confrontées à des défis importants. Certaines, malgré les sanctions, continuent d’assurer des navires transportant du pétrole russe au-delà du prix plafonné, enfreignant les réglementations en vigueur. Cette situation crée une distorsion du marché et affaiblit l’efficacité des sanctions économiques. Les assureurs qui respectent les sanctions voient leurs parts de marché diminuer face à une concurrence moins scrupuleuse, ce qui peut les inciter à revoir leurs positions.
Les forces navales doivent adapter leurs stratégies et leurs capacités opérationnelles. La lutte contre les menaces asymétriques nécessite le développement de nouveaux moyens, tels que des systèmes de surveillance avancés, des drones de surface et sous-marins, ainsi que des équipements de guerre électronique. La coopération internationale est également essentielle. Des opérations conjointes, comme l’opération « Sentinelle » dans le Golfe Persique, permettent de mutualiser les ressources et d’améliorer la coordination entre les différentes marines impliquées.
L’Union européenne et la France, en particulier, ont un rôle à jouer. Elles doivent renforcer leur présence navale dans les zones stratégiques, investir dans la modernisation de leurs flottes et développer des partenariats avec les pays riverains pour assurer la sécurité des routes maritimes. Une approche diplomatique proactive est également nécessaire pour désamorcer les tensions et promouvoir des solutions pacifiques aux conflits.
En mai dernier, le Government Accountability Office [GAO, l’équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis] n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de la marine américaine, qu’elle a rendue responsable du retard de trois ans pris dans l’exécution de son programme de frégates de nouvelle génération qui, appelé « Constellation », doit coûter la bagatelle de 22 milliards de dollars.
Pour rappel, ces futurs navires étaient censés être conçu à partir du modèle italien de la frégate multimissions [FREMM]. Seulement, les exigences de l’US Navy ont modifié considérablement la conception initiale, d’où les appréciations peu amènes du GAO à son endroit.
«Des pratiques inadéquates […] et des mesures bâclées sur lesquelles le programme de frégates continue de s’appuyer ont […] contribué à lancer prématurément la construction du premier navire avant que la conception ne soit suffisamment stable pour soutenir cette activité », a-t-il affirmé.
Pour le moment, seulement six frégates de type « Constellation » ont été commandées, l’objectif étant pour l’US Navy de remplacer ses navires de combat littoral [LCS – Littoral Combat Ship] qui ne lui ont jamais donné satisfaction, ce qui leur vaut d’être surnommés « Little Crappy Ships » [petits navires de m…].
Lancé au début des années 2000 pour un montant alors estimé à 37 milliards de dollars, le programme LCS prévoyait de doter l’US Navy de 52 navires rapides et rendus polyvalents grâce à l’ajout de « modules de missions » en fonction des tâches qui devaient leur être assignées [lutte anti-sous-marine et anti-navire, déminage, renseignement, surveillance côtière, opérations spéciales]. Et le tout avec un équipage réduit à 40 marins. Seulement, ce concept, qui reposait sur deux modèles de bateau, ne s’est finalement pas avéré le plus pertinent qui soit. Après avoir réduit sa commande à 35 exemplaires, l’US Navy a déjà désarmé plusieurs unités, dont l’USS Sioux City, qui ne comptait guère plus de cinq ans de service.
Plus généralement, les choix technologiques hasardeux auront coûté très cher à la marine américaine. Le cas de la classe de « destroyers » Zumwalt est emblématique. Ayant la signature radar d’un bateau pêche malgré ses 15’480 tonnes de déplacement pour 185,6 mètres de longueur et 24,4 mètres de large, ce navire peut produire suffisamment d’énergie pour alimenter 78’000 foyers en électricité. D’ailleurs il était pressenti pour mettre en œuvre une canon électromagnétique [depuis mis en veilleuse]. L’US Navy espérait en compter 24… Elle en disposera finalement, au mieux de seulement trois, les coûts ayant atteint le niveau « stratosphérique » de 2,4 milliards de dollars par unité en 2016.
Outre ces impasses technologiques, l’US Navy est aussi aux prises avec les difficultés de l’industrie navale américaine [pénurie de main d’œuvre, problèmes d’approvisionnement, capacités de production insuffisantes, etc.]. Difficultés qui freinent les livraisons de nouveaux navires – comme les sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Virginia – mais aussi le Maintien en condition opérationnelle [MCO] des unités déjà en service.
Ainsi, dernièrement, le porte-avions USS George Washington est resté immobilisé pendant six ans tandis que l’arrêt technique majeur [ATM] de l’USS John C. Stennis devrait se prolonger jusqu’en 2026 [soit pendant un an de plus] alors qu’il a commencé en 2021. Le navire d’assaut amphibie USS Boxer a passé plus de temps en réparations qu’en mer… Et une autre unités du même type, l’USS Iwo Jima, a récemment dû revenir prématurément à sa base en raison d’une grave avarie dont la nature n’a pas été précisée.
Enfin, un autre problème auquel est confrontée l’US Navy est la pénurie de marins. Au début de cette année, il lui en manquait 22’000 [sur environ 348’000].
Dans le même temps, l’activité opérationnelle ne faiblit pas. Que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Indopacifique, les crises s’accumulent et le droit international est de plus en plus souvent remise en cause. Et, pour les États-Unis, une « grande explication » avec la Chine pourrait avoir lieu en 2027, date à laquelle certains observateurs estiment que cette dernière pourrait tenter de mettre la main sur Taïwan. D’ailleurs, elle s’y prépare activement, en développant significativement ses capacités navales… au point, sans doute, de surclasser l’US Navy [c’est déjà le cas, en termes de tonnage…].
Quoi qu’il soit, la cheffe des opérations navales [CNO, l’équivalent de chef d’état-major de la Marine nationale], Mme l’amiral Lisa Franchetti, a repris cette évaluation à son compte. « Le président de la République populaire de Chine [RPC] a demandé à ses forces d’être prêtes à la guerre d’ici 2027. Nous serons encore mieux préparés », a-t-elle en effet lancé, dans le nouveau plan stratégique de l’US Navy.
C’est donc les yeux rivés sur le développement rapide, tant en quantité qu’en qualité, des capacités navales chinoises que l’amiral Franchetti entend remettre sur pied l’US Navy, en se focalisant sur plusieurs domaines clés.
« Le défi est de taille. La flotte chinoise est la plus importante du monde en termes de taille et elle se modernise rapidement. Le plus grand constructeur naval du monde, CSSC, est à la disposition de la marine de l’Armée populaire de libération [APL] » tandis que la base industrielle et technologique de défense chinoise « est sur le pied de guerre », a fait valoir Mme l’amiral Franchetti. Et de souligner que l’APL s’est attachée à intégrer ses différentes composantes [marine, force aérienne, missiles, cyberespace, espace] dans un « écosystème de combat conjoint spécialement conçu pour vaincre » celui des États-Unis.
Faute de pouvoir disposer des moyens budgétaires nécessaires, Mme l’amiral Franchetti estime que l’US Navy doit se concentrer sur les domaines où elle peut obtenir des gains « dans les délais les plus brefs possibles, avec les ressources dont elle dispose ». D’autant plus qu’elle n’a plus le temps pour accroître le nombre de ses navires « traditionnels ».
Parmi ces domaines, le MCO est essentiel. Ainsi, le plan stratégique de l’US Navy insiste sur la réduction des délais de maintenance à « tous les niveaux », l’objectif étant de pouvoir compter sur 80 % de navires de surface, de sous-marins et d’avions disponibles et prêts au combat d’ici 2027. Et ce n’est qu’un « minimum ». Une meilleur disponibilité permettra en outre d’atteindre un autre objectif : celui d’accroître significativement la préparation opérationnelle.
Un autre domaine où l’US Navy devra progresser est celui de la robotisation, en tirant parti des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine [en mer Noire] et des engagements contre les rebelles houthis en mer Rouge. L’objectif est ainsi de disposer de « systèmes robotisés et autonomes », dotés de « capacités matures » et pouvant être intégrés aux groupes aéronavals. Au passage, c’est aussi un moyen de gagner de la masse, ce qui est primordial s’il s’agit de mener un combat d’attrition.
Enfin, il s’agira également de remédier aux problèmes d’effectifs dans les trois ans à venir. Ce qui ne sera pas une mince affaire, déjà que, l’an passé, l’US Navy n’a pas tenu ses objectifs en matière de recrutement, même après avoir réduit ses exigences. Aussi, son plan stratégique prévoit surtout des mesures visant à fidéliser ses marins, en améliorant leurs conditions de vie et de service.
Si le sujet est peu évoqué dans la presse occidentale, la situation en mer Rouge est loin d’être réglée. Ainsi cette semaine plusieurs incidents notables ont été relevés et en particulier le 31 août 2024. Les Houthis ont annoncé avoir frappé le porte-conteneur Groton dans le golfe d’Aden. Il faut savoir que ce même navire avait déjà été la cible des rebelles yéménites le 3 août dernier et avait dû se dérouter sur Djibouti pour réparer les dommages causés. Le 30 août, après avoir pris soin de couper son transpondeur AIS[1], le Groton quittait Djibouti pour les Émirats arabes unis. Visiblement cette mesure n’a pas suffi à dissimuler son départ, car quelques heures plus tard, il était de nouveau victime d’une frappe en provenance du Yémen.
Visiblement les Houthis ne se contentent pas de localiser leurs cibles à l’aide de l’AIS. De plus, ils ont mis en garde tous les navires naviguant en mer Rouge ou dans le golfe d’Aden qui coupent leur transpondeur ou encore « trichent » en diffusant de fausses informations. Au regard des derniers évènements, on peut que constater qu’ils bénéficient d’autres sources de renseignements que la simple exploitation des données AIS.
De plus ces rebelles semblent pouvoir agir relativement librement et continuer à frapper leurs cibles malgré les opérations aériennes anglo-américaines annoncées régulièrement qui, en définitive, semblent avoir bien peu d’effet. Il en est de même pour les opérations EUNAVFOR Apsides, menée par l’Union européenne et Gardien de la prospérité, coalition dirigée par l’USNavy regroupant une coalition d’une vingtaine de pays. À part la destruction de quelques drones, elles ne sont vraiment utiles que pour porter secours aux équipages en détresse.
Selon le Joint Maritime Information Center ce sont au moins 94 incidents visant des navires de commerce dans la zone concernée qui ont été recensés depuis le 19 novembre 2023. Et les Houtis ne se limitent pas aux navires de commerce. Ils ont déjà tenté d’atteindre, souvent sans succès, des bâtiments de guerre. Il semble même qu’ils aient pris pour cible le porte-avions américain USS Dwight D. Eisenhower le 31 mai 2024. C’est en tout cas ce qu’ont revendiqué les rebelles yéménites. Si le Pentagone n’a fait aucun commentaire l’observation du trafic maritime et aéronautique en mer Rouge interroge. En effet, à partir de cette date le navire américain a rapidement quitté la zone pour s’éloigner du Yémen et regagner la Méditerranée via le canal de Suez. Il faut savoir que les navires militaires diffusent très rarement leur position via l’AIS. C’est bien sûr le cas des porte-avions. Cependant, il existe un autre moyen permettant de localiser ces derniers. Il suffit pour cela de suivre les mouvements de certains aéronefs embarqués. Il s’agit notamment des C2 Grumman qui effectuent au moins une rotation quotidienne. Dès que l’aéronef en question est en vol, il peut être suivi via les sites spécialisés tel que Flightradar24 grâce au transpondeur ADS-B[2]. On peut donc ainsi avoir une idée assez précise de la zone où opère le porte-avions.
Dans le cas présent les vols ont été interrompus pendant plus de cinq jours. Puis, après son transit par le canal de Suez et son entrée en Méditerranée l’US Navy a annoncé que dans le cadre d’une relève programmée le navire regagnait les États-Unis et serait remplacé par l’USS Theodore Roosevelt. À noter que ce dernier se trouvait à ce moment-là en escale en Corée du Sud. De plus on ne manquera pas de noter que si ce second porte-avions s’est bien ensuite dirigé vers le Moyen-Orient, il n’a pas rejoint la mer Rouge comme son prédécesseur, mais le golfe d’Oman. L’ensemble de ces éléments ont conduit certains analystes à penser que le pont de l’USS Eisenhower avait bien été touché et sans doute endommagé en partie ce qui avait interrompu momentanément les vols.
Cette semaine une autre opération des Houthis auraient dû retenir l’attention. Il s’agit de l’explosion de plusieurs charges déposées par les rebelles yéménites sur le pont du pétrolier grec Sounion. Ce navire avait été la cible d’une première attaque le 21 août 2024 au large d’Hodeida et avait dû y jeter l’ancre avant d’évacuer son équipage. Ce sont maintenant 150 000 tonnes de brut qui risquent de se déverser en mer Rouge, ce qui serait une catastrophe environnementale d’une ampleur sans précédent.
[1] Le système automatique d’identification (AIS) des navires est un outil destiné à accroitre la sécurité de la navigation et l’efficacité de la gestion du trafic maritime.
[2]L’Automatic Dependent Surveillance-Broadcast est un système de surveillance coopératif pour le contrôle du trafic aérien et d’autres applications connexes.
Après le succès des phases d’essais de son démonstrateur DDO, un grand drone sous-marin, ou XLUUV, Naval Group s’est vu notifié un contrat pour la conception d’un nouveau système de même type, mais plus imposant, ainsi que de l’ensemble des technologies clés pour équiper et mettre en œuvre ces drones navals.
Dans ce domaine, la France n’est pas en retard, et fait même partie des nations les plus avancées, avec les États-Unis. Elle n’est cependant pas la seule à investir d’importants moyens pour se doter de XLUUV. En effet, savoir concevoir, et mettre en œuvre ces grands drones sous-marins militaires, va rapidement devenir un enjeu stratégique pour de nombreuses marines. Voilà pourquoi…
Sommaire
Si les drones ont fait leur entrée sur les champs de bataille aériens depuis plusieurs décennies, l’arrivée de ces systèmes automatisés est beaucoup plus récente dans les autres espaces de conflictualité, pour des raisons toutefois souvent différentes. Ainsi, le principal obstacle à la conception d’un drone terrestre, réside dans la gestion de sa mobilité sur un terrain par nature chaotique et changeant, comme sur un champ de bataille.
Dans le domaine des drones de surface, ce sont avant tout les contraintes liées à la durée des missions qui concentrent les efforts des chercheurs. En effet, là où un drone de combat va tenir l’air pendant, au mieux, quelques dizaines d’heures, un drone de surface de grande taille va effectuer sa mission sur plusieurs semaines, peut-être même plusieurs mois, avec son lot d’avaries et de fortunes de mer.
Les drones sous-marins, quant à eux, cumulent les contraintes des unités de surface, avec un impératif fort en matière de discrétion, spécialement dans le domaine électromagnétique et acoustique, alors que très peu de pays ont, effectivement, les compétences pour concevoir un sous-marin conventionnel.
Ainsi, si, pour être opérationnel, un drone de surface peut s’appuyer sur une liaison de donnée avec un centre de contrôle, la discrétion indispensable liée à la mission sous-marine militaire, impose de réduire au maximum ces échanges électromagnétiques, et donc de concevoir un drone disposant d’une autonomie très étendue en matière de pilotage, mais aussi de conduite de mission, voire de décision opérationnelle.
Un nouveau programme français basé sur le démonstrateur DDO de grand drone sous-marin de Naval Group
Dans ce domaine, le français Naval Group a pris les devants de la programmation militaire nationale, en développant, sur fonds propres, un démonstrateur baptisé DDO, pour Démonstrateur de Drone Océanique.
Sa présentation eut lieu, concomitamment à sa première mise à la mer, en octobre 2021, à l’occasion des Naval Group Innovation Days, un événement annuel de l’industriel destiné à promouvoir et présenter ses innovations et avancées technologiques récentes.
Long de 10 mètres pour 10 tonnes de déplacement, le DDO a depuis mené plusieurs campagnes d’essais, tant pour valider les arbitrages et développements des ingénieurs de Naval Group, que pour récolter de nombreuses données et expériences liées à sa mise en œuvre, comme c’est le rôle d’un démonstrateur.
Le pari de l’industriel a été payant. En effet, après que des financements de la DGA ont accompagné Naval Group lors des essais de son démonstrateur, et comme planifié par la nouvelle LPM 2024-2030, celui-ci a été notifié d’un contrat de recherche et de développement, de la part de la DGA, pour la conception, la fabrication et les essais d’un nouvel XLUUV, acronyme anglophone pour Très Grand Véhicule Sous-marin sans Équipage, sur la base des acquis du programme DDO.
Le nouveau drone devra être plus grand, et plus lourd, que le démonstrateur initial, sans que ses dimensions aient été spécifiquement définies. Pendant ce temps, le DDO servira, quant à lui, de plateforme pour un ensemble de développements dans le domaine de l’endurance, de la production d’énergie, de l’intégration de senseurs, et surtout de l’automatisation et la prise de décision autonome, sujets mis largement en avant par la DGA et Naval group dans ce dossier.
Les principaux programmes de XLUUV dans le monde
La France, Naval Group, et la Marine nationale, ne sont pas les seuls à s’intéresser de près, et à investir, dans le développement de ce type de technologie. Des programmes similaires, plus ou moins avancés, sont, en effet, en cours dans plusieurs pays, en particulier ceux dotés des compétences en matière de conception et de construction de sous-marins militaires.
C’est le cas des États-Unis et de l’US Navy, avec le programme ORCA, dont la conception a été confiée à Boeing et la construction aux chantiers navals HHI de Lockheed Martin. Le premier prototype a été livré par l’industriel à la fin de l’année dernière, et qui, depuis, multiplie les tests et essais.
Long de 26 mètres, mais avec un déplacement de seulement huit tonnes, l’ORCA doit être construit à six exemplaires, pour mener l’ensemble des tests et essais, y compris en matière de déploiement opérationnel, afin de pouvoir entamer la conception et la construction d’une classe de grands (Large) et très grands (eXtra Large) drones sous-marins autonomes venant renforcer et étendre les capacités de l’US Navy, à partir de la fin de la décennie.
Plusieurs autres pays, comme le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne et Israël, ont annoncé, ces derniers mois, s’être engagés dans des programmes similaires. Tout comme la Chine, dont on ignore cependant l’état d’avancement dans ce domaine, Pékin étant traditionnellement très discret pour ce qui concerne les développements de technologies sous-marines.
Quoi qu’il en soit, avec un démonstrateur de 10 tonnes ayant déjà effectué plusieurs campagnes d’essais, et un programme ambitieux à suivre, la France est à la pointe dans le domaine des XLUUV, et entend bien le rester.
Des capacités opérationnelles bientôt indispensables pour toutes les marines militaires
Il faut dire que les possibilités promises par l’arrivée des XLUUV dans l’inventaire des grandes marines militaires, ont de quoi aiguiser les appétits des stratèges navals. En effet, par leurs performances, leurs couts réduits, leur mobilité et une empreinte RH limitée, ces drones sous-marins étendent sensiblement les capacités des sous-marins traditionnels, qu’ils soient à propulsion conventionnelle, et même nucléaire.
Par leurs prix réduits, on parle de 20 m€ pour la version surveillance (10 tonnes) du DDO, leur panoplie de senseurs, et leur autonomie à la mer, les XLUUV représentent, sans le moindre doute, l’une des solutions les plus efficaces pour surveiller et sécuriser un espace maritime étendu, des côtes, voire des infrastructures navales critiques, comme les ports et arsenaux ou les câbles sous-marins.
Ainsi, la sécurisation d’un arsenal, qui nécessiterait, dans la durée, au moins deux sous-marins nucléaires se passant le relais, ou trois sous-marins à propulsion conventionnelle, pourrait être réalisée par 5 ou 6 XLUUV, tournant par flottille de 2 ou 3, et ne coutant qu’une fraction des couts de construction et de mise en œuvre, de la flottille sous-marine immobilisée pour une telle mission, et par ailleurs, très probablement, plus utile ailleurs.
Les grands drones sous-marins peuvent également s’avérer particulièrement utiles dans les missions trop risquées pour y consacrer un sous-marin, comme le renseignement naval opérationnel à proximité des côtes adverses ou de son dispositif naval, ou la désignation de cible.
Ainsi, un XLUUV peut s’approcher discrètement d’une flotte adverse, en identifier les navires clés, et transmettre les informations à une frégate, un autre sous-marin, ou un stike d’avions de chasse, pour venir les frapper à distance de sécurité, tout en réduisant sensiblement les risques de dégâts collatéraux, et ce bien plus surement qu’avec un sous-marin classique.
Enfin, les XLUUV disposent d’une mobilité incommensurable, en particulier face aux sous-marins traditionnels, y compris à propulsion nucléaire. En effet, par ses dimensions, le DDO peut-être transporté par avion A400M partout dans le monde en 24 heures, alors que sa version de combat, de 20 mètres, pourrait l’être avec un C17. Une fois livrés, ils peuvent rejoindre la mer par camion en quelques heures seulement.
Ainsi, un grand drone naval est capable d’être déployé sur des délais très courts, pour répondre à une situation de crise, bien plus rapidement que ne le peut un SNA, pourtant le système naval le plus véloce, avec le porte-avions, aujourd’hui.
L’ensemble de ces capacités, et celles qui restent à imaginer et à appliquer, confère aux XLUUV un potentiel opérationnel très important, agissant tant comme multiplicateur de forces que comme alternative économique spécialisée, précisément pour employer, au mieux de leurs potentiels, les rares et très onéreux sous-marins d’attaque.
Des enjeux technologiques à l’échelle des enjeux militaires
Reste que pour parvenir à s’en doter, les obstacles technologiques à franchir sont particulièrement nombreux et difficiles. Déjà, le ticket d’entrée pour être en mesure de concevoir des XLUUV efficaces, capables d’exploiter le plein potentiel de ce nouvel outil, est particulièrement élevé, puisqu’il nécessite de savoir concevoir et fabriquer des sous-marins militaires conventionnels ou nucléaires.
En effet, les fonds marins représentent un des milieux, avec l’espace sidéral, les plus hostiles et agressifs adressables par la technologie humaine aujourd’hui. S’il est évidemment possible de bricoler un semi-sous-marin partiellement autonome, potentiellement capable de mener une mission d’attaque suicide, à l’aide d’une liaison satellite qui en annulerait le bénéfice de la discussion, la conception d’un véritable XLUUV, requiert de maitriser l’ensemble des compétences sous-marines militaires, et bien davantage.
Ce n’est visiblement pas un sport de masse. En effet, à ce jour, seuls les cinq membres permanents du conseil de sécurité des nations unis, ainsi que le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Suède, et l’Inde, disposent effectivement de ces compétences.
Le cas d’Israël, et de la Turquie qui ne tardera certainement pas à révéler un programme similaire, est particulier. Si ces deux pays ne conçoivent pas leurs sous-marins, ils en maitrisent cependant la majorité des technologies, et dispose d’un grand savoir-faire dans le domaine des drones et systèmes autonomes. En outre, ni l’un, ni l’autre, n’a d’ambitions océaniques à proprement parler.
Le second enjeu technologique, pour la conception, et surtout la mise en œuvre efficace des XLUUV, englobe les enjeux de discrétion, ainsi que de décision autonome et de conduite de mission. En effet, pour exploiter pleinement le potentiel d’un XLUUV, celui-ci se doit d’être au moins aussi discret, acoustiquement parlant, comme dans le spectre électromagnétique, qu’un sous-marin militaire moderne.
Impossible, dans ces circonstances, de s’appuyer sur une liaison de données permanente avec un poste de pilotage et de contrôle basé à terre, comme c’est le cas des drones de combat aériens aujourd’hui. Cet enjeu est, à ce titre, l’axe prioritaire de recherche et développement identifié par la DGA, dans le contrat passé à Naval group, il y a quelques jours.
Remarque : Notons cependant que d’importants efforts sont produits, en particulier autour des programmes de chasseurs de nouvelle génération comme SCAF, GCAP ou NGAD, pour en accroitre l’autonomie décisionnaire, et réduire autant que possible les émissions, aussi peu discrètes que sensibles au brouillage.
Or, si un drone aérien va évoluer quelques heures au-dessus d’un espace aérien peu évolutif, avant de regagner sa base, les XLUUV vont devoir mener des missions de plusieurs semaines, et donc faire preuve d’une capacité d’adaptation considérablement plus étendue, pour répondre efficacement et de manière normalisée, à l’ensemble des scénarios et situations auxquels il pourrait être confronté. Le tout, évidemment, en conservant, pour certaines décisions clés, l’arbitrage humain comme verrou infranchissable.
Cette durée de mission engendre, elle aussi, des contraintes qu’il conviendra de traiter. En effet, un navire à la mer, qu’il soit ou non autonome, est exposé à des avaries et des fortunes de mer. Le XLUUV devra être en mesure d’encaisser ces avaries, qu’elles soient liées au contexte opérationnel, ou simplement à son utilisation navale, tout en poursuivant sa mission avec efficacité et fiabilité, sur la durée requise.
Il conviendra aussi, certainement, d’imaginer la manière dont les avaries majeures pourraient être réparées par des navires de soutien, sans que le retour au port soit nécessaire.
À ce titre, il faudra, enfin, disposer d’une capacité de soutien adaptée à l’utilisation de ces drones, et surtout veiller à ce que les réparations et interventions pour compenser l’absence d’équipage, ne viennent pas saturer les capacités de maintenance, et au final, créer un embouteillage qui viendrait annuler les bénéfices attendus par l’utilisation de ces systèmes.
Conclusion
On le voit, la conception et la mise en œuvre des grands drones sous-marins, va probablement devenir, si ce n’est pas déjà le cas, l’un des grands enjeux technologiques et opérationnels liés à la guerre navale, dans les années à venir.
Dans ce domaine, la France n’a pas raté son départ, en particulier grâce à l’initiative de Naval Group, qui a développé, sur fonds propres, avant même que la planification militaire ne s’intéresse au sujet, un démonstrateur très prometteur, le DDO, lui conférant une réelle avance technologique dans ce domaine.
Au-delà des performances et capacités opérationnelles que ces futurs XLUUV vont apporter aux flottes sous-marines, les systèmes auront, également, un important potentiel commercial sur la scène international. Leur prix, en effet, les mettra à la portée de nombreuses marines n’ayant pas les moyens de se doter de véritables sous-marins, ou qui sont dotées d’une flotte sous-marine réduite.
La conjonction de capacités nouvelles, complémentaires ou substitutives des systèmes existants, et d’un marché plus étendu, fait du XLUUV un des futurs systèmes d’arme majeurs, dont toutes les marines devront se doter. Ils constitueront, par ailleurs, un véritable pivot de l’action naval militaire, qu’elle soit offensive ou défensive. Il convient donc, évidemment, de ne pas rater la marche, comme ce fut le cas, en Europe, pour les drones aériens de combat.
Article du 1ᵉʳ février 2024 en version intégrale jusqu’au 14 juillet 2024
Présenté officiellement en mars 2023, le programme SSN-AUKUS, qui vise à équiper la Marine australienne de huit sous-marins nucléaires d’attaque, et à developper une nouvelle classe de SNA conjointement entre la Grande-Bretagne et l’Australie, a fait l’objet de plusieurs interrogations depuis son lancement. Mais, l’analyse publiée par le site australien strategicanalysis.org, pourrait bien poser une question incontournable et pourtant sans réponse satisfaisante, concernant sa soutenabilité industrielle.
Mais, un article publié récemment sur le site Strategic Analysis Australia, pourrait être, quant à lui, plus difficile à ignorer. En effet, l’analyse faite par Michael Shoebridge, montre qu’en l’état des annonces, et des réalités industrielles présentes et à venir, il se pourrait bien que ce programme aboutisse, à terme, à une impasse industrielle, venant affaiblir la posture défensive australienne, à un moment où celle-ci sera le plus nécessaire.
L’article australien construit son analyse sur trois rapports dernièrement publiés ces dernières semaines, deux sont américains, le dernier est britannique.
Le rapport du CBO américain sur la soutenabilité du plan d’équipement de l’US Navy
Le premier de ces rapports a été publié par le Congress Budget Office, ou CBO, un organe indépendant dépendant du Congrès, en charge de l’évaluation des requêtes budgétaires transmises au Parlement américain. Rappelons qu’outre-atlantique, c’est le Congrès, et non l’exécutif, qui a le dernier mot en matière de budget de défense, mais aussi de financement des programmes d’armement réclamés par le Pentagone et l’exécutif.
Ce rapport porte sur l’évaluation du plan, ou plutôt des plans, puisqu’il y en a 3, d’équipements fournis par l’US Navy, dans le cadre de la loi de finance du Pentagone de 2024. Sans entrer dans les détails, celui-ci insiste sur le fait que les trois plans d’équipements produits par l’US Navy, nécessiteraient une hausse considérable du budget d’acquisition de nouveaux navires, sur la base du budget actuellement disponible et planifié, sans qu’aucune solution pour garantir le financement de cette hausse, n’ait été présentée.
Le rapport du CRS américain, sur les possibilités d’évolution de la fabrication de sous-marins nucléaires pour l’US Navy
Le second rapport américain, plus précis sur le sujet des sous-marins nucléaires et de la problématique SSN-AUKUS, a été rédigé par le Congress Research Service, ou CRS, à nouveau un organisme indépendant du Congrès américain, chargé de fournir des conseils sur la législature examinée, en l’occurrence, la loi de financement des armées US pour 2024.
Ce rapport juge comme bien trop ambitieux et optimiste, le plan de l’US Navy qui vise à augmenter de 150 % la production de sous-marins nucléaires d’ici à 2028, comme évoqué, il y a quelques jours, sur notre site. Selon le CRS, l’US Navy a largement sous-évalué les difficultés auxquelles elle sera exposée pour atteindre un tel objectif, qui suppose de passer de la construction de 1,4 sous-marin de la classe Virginia chaque année, à 2 Virginia et un nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Columbia, d’ici à cinq ans.
S’il sera très difficile d’atteindre cet objectif nécessaire pour exécuter le plan de modernisation de l’US Navy face aux Marines chinoise et russe, la production d’un SNA supplémentaire tous les trois ans, exigée par le Congrès pour autoriser la vente de 3 Virginia à la Marine australienne, dans le cadre du programme SSN-AUKUS, semble quant à elle, pratiquement inaccessible.
Le rapport du NAO sur le financement du plan d’acquisition décennal des armées britanniques
Le troisième rapport, venant parfaire ce tableau déjà bien obscurci, émane pour sa part du National Audit Office britannique, ou NAO, et porte sur l’analyse du plan d’acquisition décennal du ministère de la Défense, équivalent de la LPM française, sur la période 2024-2033. À l’instar du rapport américain du CBO, celui du NAO britannique pointe l’inadéquation entre les couts constatés et les budgets planifiés, en particulier concernant deux programmes, celui des sous-marins nucléaires et celui des frégates.
Ainsi, le cout du programme de conception de sous-marins nucléaires, a augmenté de 62 % ces dernières années sur la période concernée, soit une hausse totale de 38 Md£, alors que le programme de frégates Type 26, qui concerne aussi la Royal Australian Navy, a augmenté pour sa part de 41 % et 16 Md£. Ces hausses sont la conséquence de l’inflation récente, mais aussi des évolutions des besoins exprimés par la Marine britannique pour ses futurs navires.
Or, comme dans le cas des plans de l’US Navy, aucun dispositif ou plan susceptible de financer ces surcouts, n’a été présenté à ce jour, laissant donc aux dirigeants des années à venir, la responsabilité de libérer les budgets nécessaires pour y parvenir. Sans être totalement hors de propos, une telle réponse serait, pour ainsi dire, inespérée pour la Royal Navy, surtout que d’autres programmes, tout aussi critiques, comme l’avion de combat Tempest au sein du programme GCAP, vont, eux aussi, réclamer des crédits importants.
De fait, l’hypothèse la plus probable, concernant la conception et la fabrication des SSN-AUKUS qui devront remplacer les Astute de la Royal Navy à partir de 2040, consisterait à un étalement du programme, pour en accroitre la soutenabilité budgétaire. Et c’est bien là que tout le problème réside pour la Royal Australian Navy.
Le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS potentiellement très défavorable
En effet, l’action cumulée de ces trois rapports, fait apparaitre un risque que les États-Unis ne soient pas en mesure de livrer les 3 SNA classe Virginia promis à Canberra pour entamer sa transition et faire l’intérim pour remplacer les sous-marins Collins, alors même que l’arrivée des SSN-AUKUS, prévue pour 2040, pourrait être reportée de plusieurs années par Londres, afin de satisfaire aux exigences budgétaires.
En d’autres termes, il se pourrait bien qu’à partir de 2030, la Marine australienne se retrouve sans sous-marin pour protéger ses cotes et sa flotte, sauf à prolonger, une nouvelle fois, des Collins usés jusqu’à l’os et ne représentant plus un adversaire de taille face aux nouveaux sous-marins et navires de lutte ASM chinois, ou à faire l’acquisition, dans l’urgence, d’une solution intérimaire, venant à nouveau alourdir la note déjà considérable pour Canberra de ce programme.
Surtout, cette faiblesse en devenir, interviendrait précisément lorsque les tensions entre la Chine et les États-Unis seront à leur paroxysme, au-delà de 2027, alors que la Marine chinoise disposera de nouvelles capacités faisant, le plus souvent, jeu égal avec les meilleures technologies occidentales du moment.
Bien évidemment, il existe un scénario dans lequel tout pourrait se passer comme prévu, si l’US Navy obtient l’ensemble des financements réclamés de la part de l’exécutif et du congrès américain pour les 20 années à venir, si les chantiers navals américains parviennent effectivement à multiplier par 4 leurs effectifs en seulement sept ans, pour répondre aux ambitions de production, et si Londres venait à apporter son effort de Défense au-delà de 3% de son PIB.
Tout cela, naturellement, si et seulement si, le triptyque USA-UK-Australie évolue avec une parfaite cohésion et une grande stabilité politique et économique pendant, là encore, les 20 années à venir, et même les 30. Reconnaissons que cela fait beaucoup de « si », et que les chances d’y parvenir semblent, aujourd’hui, particulièrement faibles.
Conclusion
La question posée par l’analyse de Michael Shoebridge, est donc de déterminer si le rapport bénéfices risques du programme SSN-AUKUS, demeure suffisant pour justifier sa poursuite, ou s’il est préférable, au contraire, d’y renoncer, tout au moins dans sa forme actuelle, pour prendre une posture plus conservatoire, mais aussi beaucoup plus sûre au regard du développement en cours de la menace.
Pas certain qu’il y ait un responsable politique australien, américain ou britannique, pour poser objectivement la question, face aux enjeux politiques considérables qui entourent ce programme.
Fabrice Wolf
Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.
L’armée américaine mise sur des antennes micro-ondes pour abattre des drones et des missiles
L’armée américaine compte développer des antennes micro-ondes à haute énergie pour détruire les drones et les missiles au plus près du champ de bataille.
[EN VIDÉO] Interview : les ondes électromagnétiques sont-elles dangereuses ? Nous sommes perpétuellement exposés à des ondes électromagnétiques de provenances très diverses : lignes à…
Depuis ses débuts, le conflit en Ukraine a démontré que les drones, même bon marché, peuvent devenir une plate-forme de reconnaissance efficace ou une arme permettant de larguer des grenades ou bien encore s’écraser sur leur cible en déclenchant une charge explosive. Il existe également les drones militaires de plus grande taille avec une grande autonomie, comme les drones suicides Shahed-136 utilisés par les Russes ou bien le nouveau Scythe ukrainien.
Face à ces menaces et ces bombes volantes — hormis les brouilleurs qui rencontrent des limites, des DCA, ou bien l’utilisation de très onéreux missiles sol-air pour détruire ces aéronefs bon marché —, les armées imaginent d’autres systèmes de défense. Dans leur cahier des charges, ils doivent être efficaces et peu onéreux au tir pour détruire ces cibles souvent low-cost. Pour minimiser les coûts au tir et maximiser les coups au but, les armées de plusieurs pays, comme les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Japon et d’autres grandes puissances militaires misent sur des canons lasers ou encore des railguns. Pour moins d’un euro le tir, ils font mouche à coup sûr et à la vitesse de la lumière dans le cas du laser.
Sur le sujet, les Américains ont de l’avance. Du côté de leur armée et notamment de l’US Navy et l’US Air Force, en plus des canons laser, les militaires misent également sur des systèmes d’antennes à micro-ondes de haute puissance, pour « brûler » l’électronique de ces aéronefs.
Neutraliser un drone ou un missile à la vitesse de la lumière
Les militaires ont fait appel à Raytheon pour concevoir, construire et tester deux systèmes d’antennes micro-ondes. Des prototypes devraient être construits d’ici 2026 dans le cadre d’un programme consistant à développer un système de défense à énergie dirigée (Defend pour Directed Energy Front-line Electromagnetic Neutralization and Defeat). Les faisceaux de ces antennes pourraient couvrir une large plage dans la bande des micro-ondes du spectre électromagnétique. Raytheon n’a pas dévoilé de détails techniques sur ces antennes, mais a précisé que ces prototypes seraient robustes et transportables pour pouvoir être utilisés sur les zones de contact en première ligne contre les drones. La firme n’en est pas à son premier coup d’essai. Elle avait déjà développé un système de contre-mesure électronique par micro-ondes pour protéger les bases aériennes, baptisé Chimera.
Chaque année, le Pentagone dépense en moyenne un milliard de dollars pour développer ce type d’armement à énergie dirigée. Il compte déployer ces systèmes d’armes à bord d’aéronefs, de navires de guerre et de véhicules terrestres pour abattre des drones et des missiles menaçant des positions et des installations.
Austal USA va construire trois « expeditionary medical ships » dont on connaît déjà les noms pour les deux premiers: Bethesda ESM1 et Balboa EMS2. Ces bâtiments, livrables d’ici à 2030, ont été développés sur les EPF Expeditionary Fast Transports construits par Austal. Le marché est d’une valeur de 867 millions de dollars.
En voici les spécifications:
Ces bâtiments, capables d’accueillir des V-22 et des H-53K, sont beaucoup moins grands que les USNS Mercy et l’USNS Comfort. Ces bâtiments de l’USNS font tous les deux plus de 270 mètres de long et pèsent près de 66 000 tonnes. Ils sont équipés d’environ 1 000 lits pour accueillir des patients, dont 80 unités de soins intensifs spécialisées dans la chirurgie et la réanimation.
Voir l’avis de modification du marché initial des EPF: Austal USA, Mobile, Alabama, is awarded an $867,666,667 fixed-priced incentive (firm-target), undefinitized contract modification to a previously awarded contract (N00024-19-C-2227) for the detail, design, and construction of three expeditionary medical ships, an Expeditionary Fast Transport variant. Work will be performed in Mobile, Alabama (87%); Chesapeake, Virginia (2%); Newark, Delaware (2%); Mandeville, Louisiana (2%); Spring, Texas (1%); various locations within the U.S., each accounting for less than one percent (5%); and various locations outside the U.S., each accounting for less than one percent (1%). Work is expected to complete by May 2030. Fiscal 2023 shipbuilding and conversion (Navy) funds in the amount of $149,833,000; and fiscal 2022 shipbuilding and conversion (Navy) funds in the amount of $63,667,000 will be obligated at time of award and will not expire at the end of the current fiscal year. Naval Sea Systems Command, Washington, D.C., is the contracting activity.
Alors que la production de sous-marins nucléaires américaine n’atteint, aujourd’hui, que 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia chaque année, elle devra, d’ici à 2028, produire 2 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an, et même 2,3 Virginia à partir de 2030, pour absorber les livraisons à l’Australie.
L’industrie navale militaire américaine va devoir, dans les 5 ans à venir, multiplier par 2,5 leur production de sous-marins nucléaires, ce qui engendrera une transformation aussi radicale qu’après l’attaque de Pearl Harbor, pour cette fois relever le défi chinois.
Sommaire
Longtemps victime d’un biais technologiste lié à la perception d’une baisse des tensions navales dans le monde, l’US Navy est désormais engagée dans un très important effort de modernisation de sa flotte, pour relever le défi posé par la Marine chinoise et l’industrie navale de l’empire du milieu.
En effet, si l’US Navy demeure aujourd’hui la plus imposante force navale par son tonnage et la puissance de ses navires, la Marine de Pékin croit et se modernise, en nombre comme en tonnage et en capacités opérationnelles, bien plus rapidement que la Marine américaine ne parvient à se moderniser.
SeaWolf, Zumwalt, LCS : ces programmes qui ont sabordé la modernisation de l’US Navy pendant 25 ans
Il faut dire qu’entre les échecs des programmes SSN Sea Wolf, DDG Zumwalt et LCS Independance et Freedom, elle a connu des pertes de potentiel importantes avec, par exemple, le retrait des frégates anti-sous-marines de la classe O.H Perry non compensé par des LCS manquant de performances, et des pertes de volume.
D’autre part, ces programmes se sont avérés des d’immenses puits sans fonds budgétaires, ayant chacun couté plus de 20 Md$, soit l’équivalent de 5 sous-marins de la classe Virginia, de 7 destroyers Arleigh Burke, de 15 frégates classe Constellation, et même de presque deux porte-avions de la classe Ford, alors qu’ils n’ont produit que trois sous-marins, trois destroyers et une trentaine de LCS presque inutiles.
De fait, aujourd’hui, l’US Navy doit simultanément absorber les conséquences de ces échecs, renouveler sa flotte, et l’augmenter, pour tenir la ligne face à une Marine chinoise qui accueille chaque année une dizaine de destroyers et frégates, ainsi qu’un à deux grands navires amphibies ou aéronavals, et deux à trois nouveaux sous-marins, il est vrai encore majoritairement à propulsion conventionnelle.
Si, ces dernières années, le Pentagone a obtenu de l’exécutif et du Congrès les crédits nécessaires à cet effort qui n’aura probablement rien à envier à celui entrepris dans les années 80 avec le plan Lehman, du nom du Secrétaire à la Navy de Ronald Reagan, John Lehman qui, en 1982, lança une initiative pour amener l’US Navy à 600 navires pour répondre à la modernisation de la flotte soviétique engagée par l’Amiral Gorshkov dans les années 70.
La production de sous-marins nucléaires pour l’US Navy doit augmenter de 150 % en 5 ans
Pour répondre à ce défi, le Pentagone entend considérablement accroitre la production industrielle navale militaire américaine, en passant de la livraison d’un destroyer classe Arleigh Burke et 2 LCS par an, à celle de plus de deux destroyers Burke et une frégate classe Constellation, des navires autrement plus performants et mieux armés que les LCS dont la production va prochainement cesser.
L’effort le plus important portera, quant à lui, sur le domaine de la production des sous-marins nucléaires américains. En effet, aujourd’hui, l’US Navy reçoit, en moyenne, 1,3 nouveau sous-marin nucléaire d’attaque SSN classe Virginia chaque année, une production pas même suffisante pour remplacer le retrait des SSN classe Los Angeles encore en service.
2,3 SSN classe Virginia et un SSBN classe Columbia par an
L’objectif de production, annoncé par le Secrétariat à la Navy à l’occasion d’un témoignage écrit pour le Congrès, est d’atteindre, d’ici à 2028, un format désigné « 1+2 », soit 1 nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engin classe Columbia, pour remplacer les 12 SSBN classe Ohio en fin de vie, ainsi que deux sous-marins nucléaires d’attaque SSN classe Virginia, pour remplacer les SSN classe Los Angeles, et étendre la flotte de l’US Navy au-delà de 60 SSN d’ici à 2035, contre 44 aujourd’hui.
À cet objectif déjà ambitieux, le vice-amiral Bill Houston, qui commande la flotte sous-marine américaine, a ajouté la production de 0,33 SSN classe Virginia supplémentaires par an, pour absorber et remplacer les deux navires de cette classe qui seront prélevés sur l’inventaire de l’US Navy en 2032 et 2035 pour être transférés à la Marine australienne dans le cadre du programme AUKUS, ainsi que le troisième SSN classe Virginia, qui sera construit neuf et livré directement à Canberra en 2038, au standard Block VII.
Au total, donc, la production annuelle de sous-marins nucléaires par les chantiers navals américains, doit passer de 1,3 SSN aujourd’hui, à 2,3 SSN et un SSBN d’ici à 2028, une hausse considérable de 150 % en 5 années seulement.
Le défi est d’autant plus important, qu’un SSBN de la classe Columbia, ses 171 m et 21 000 tonnes en plongée, est beaucoup plus imposant et complexe à construire qu’un SSN classe Virginia, long de 140 m et déplaçant 10 200 tonnes en plongée.
Des effectifs industriels multipliés par 5 en seulement 5 ans
De fait, le Secrétariat à la Navy estime qu’il sera nécessaire, pour relever ce défi très ambitieux, de multiplier non par 2,5, mais par 5, les effectifs industriels dédiés à la construction de ces navires, pour atteindre ces objectifs, par ailleurs indispensables pour soutenir la compétition avec Pékin.
Ce besoin en matière de ressources humaines, ainsi que la construction des infrastructures nécessaires avec un possible 3ᵉ grand chantier naval à l’étude, sont aujourd’hui les principaux sujets de préoccupation de l’US Navy et de son Secrétaire, alors que les chantiers navals Huntington Ingalls Industries de Newport, et General Dynamics de Groton, peinent déjà à remplir les équipes à charge pourtant réduite.
Sur des délais aussi court, et pour un volume de progression aussi important, il est, en effet, illusoire de ne s’appuyer que sur des recrutements traditionnels, d’autant que l’industrie navale américaine est aujourd’hui presque exclusivement militaire, et qu’il n’existe donc aucun réservoir civil mobilisable, comme c’était encore le cas au début des années 80.
Il va donc, aux industriels américains, simultanément falloir recruter, ainsi que former et encadrer ce flux de nouveaux personnels, pour répondre à l’augmentation de la production de sous-marins, ainsi que de navires de surface, et se montrer particulièrement attractif, alors que le chômage aux Etats-Unis demeure sous la barre des 4 %.
L’échec n’étant pas envisageable considérant les enjeux sécuritaires qui en dépendent, la construction navale militaire américaine s’apprête à une transformation profonde, proche de celle qu’elle a connue en 1942, pour faire face à la Marine nippone.
Une fois le point d’équilibre atteint, que l’on peut estimer de 2040 à 2045, Washington disposera alors d’une flotte sans équivalent de 80 à 90 sous-marins nucléaires, et d’une centaine de grands navires de surface océaniques, mais aussi, et surtout, d’un potentiel industriel capable, une nouvelle fois, d’alimenter rapidement ses alliés.
Le retour prévisible de l’industrie navale militaire américaine sur le marché mondial
Il faudra donc, aux industriels navals européens, mais aussi japonais ou sud-coréens, se préparer à encaisser le choc du retour d’une industrie navale américaine sur le marché mondial, après l’avoir presque quitté dans les années 90 avec la fin de la production des frégates O.H Perry.
Lorsque l’on voit à quel point les États-Unis sont parvenus à imposer leur F-35 aujourd’hui, leurs F-16, F-18 avant cela, dans toute la sphère occidentale, on peut se faire une idée des effets qu’un retour américain sur le marché militaire naval mondial, pourront induire lorsque cela se produira.
L’action cumulée de l’arrivée de la Corée du Sud, du Japon et de la Turquie à court termes, le retour de la Chine et la montée en puissance chinoise dans les années à venir, et le spectre du grand retour des États-Unis sur le marché au-delà de 2035, il sera indispensable, aux groupes navals européens, de finement planifier leur propre activité, pour ne pas être emporté par les lames de fonds que se rapprochent rapidement.
Article du 8 novembre en version intégrale jusqu’au 9 décembre 2023
Fabrice Wolf:
Ancien pilote de l’aéronautique navale française, Fabrice est l’éditeur et le principal auteur du site Meta-defense.fr. Ses domaines de prédilection sont l’aéronautique militaire, l’économie de défense, la guerre aéronavale et sous-marine, et les Akita inu.