Un silence qui n’en finit pas !

Un silence qui n’en finit pas !

Blablachars – publié le jeudi 26 septembre 2024

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Le déclenchement de l’Opération Militaire Spéciale russe en Ukraine le 22 février 2022 a remis au goût du jour une forme de combat que beaucoup considéraient comme dépassé et inadapté à l’environnement stratégique du moment, marqué par des engagements lointains et des « guerres asymétriques ». Ce retour du combat blindé mécanisé, bien que marqué dans les premières semaines du conflit par les destructions de blindés russes, a suscité une prise de conscience au sein de nombreuses armées. Les enseignements du conflit ukrainien, objets de nombreuses analyses et commentaires ont naturellement suscité des débats au sein des instances dirigeantes (civiles et militaires) dans de nombreux pays. Une immense majorité de ces derniers, parfois éloignés du théâtre ukrainien ont ainsi décider de revoir la composition et l’équipement de leurs forces en créant, modernisant ou en renouvelant leur composante blindée mécanisée.

Se singularisant depuis de longues années par des choix atypiques déjà évoqués par Blablachars, l’armée de terre donne l’impression depuis 2022 de regarder ailleurs et d’ignorer une partie des enseignements du conflit ukrainien. Cette attitude, cohérente avec les choix faits depuis de longues années en matière d’équipements et de doctrine n’est pas sans conséquence pour nos forces terrestres, privées d’un véritable segment de décision. Il est évident que l’environnement budgétaire actuel ne permet d’envisager une modification en profondeur de cette situation, il n’explique pas le silence entourant depuis de longues années le char, son environnement et le combat blindé mécanisé. 
Ce silence entoure un éventuel projet de (re)création d’une véritable force blindée mécanisée. Le débat qui aurait pu avoir lieu autour de ce sujet aurait pu porter sur sa place, sa composition ou encore son équipement. Sur ce dernier point, les matériels évoqués, VCI (Véhicules de Combat d’Infanterie), engins du Génie ou encore les moyens d’artillerie blindés auraient pu être recensés et les industriels concernés auraient pu évoquer leur contribution au projet. L’élaboration du nouveau modèle de l’armée de terre aurait fourni une occasion unique d’aborder la place d’une composante blindée mécanisée dans le dispositif en cours de construction. Ainsi les modalités, le calendrier et le cout (financier, humain, matériel….) de la transformation d’une des deux brigades blindées existantes aurait pu constituer une source de débats autour de ces capacités supplémentaires, complémentaires de celles offertes par les brigades interarmes (BIA) les brigades spécialisées. Sur le plan industriel, les possibilités de « francisation » de matériels acquis sur étagère auraient procuré des éléments de réflexion et des échanges denses entre industriels et militaires, sous la houlette de la DGA, of course ! Au lieu de cela, nous poursuivons l’adoption d’engins médians dont la première qualité est de pouvoir embarquer à bord d’un A400M mais qui pourraient nous laisser fort dépourvus dans un scénario de haute intensité, en Europe ou ailleurs !
L’autre grand perdant de ce débat qui n’a pas lieu est le Leclerc, qui à défaut d’être modernisé continue d’encaisser les coups venus de toute part. Le denier en date a été porté par le Général Schill au cours du salon Eurosatory, avec  l’annonce de l’abandon de toute nouvelle modernisation. Cette décision condamne le char français à attendre en l’état son remplaçant germano-français jusqu’à son arrivée prévue en 2045 pour les plus optimistes, le Leclerc aura alors 51 ans ! Cette échéance pouvant connaitre un décalage car selon le CEMAT « Certains segments du programme MGCS pourraient glisser dans le temps pour des questions industrielles. » En mai 2023 le CEMAT avait confirmé que l’armée de terre était « par héritage est une armée de forces médianes ; mais aussi par culture, par esprit manœuvrier, par impératif stratégique ; cela ne signifie pas renoncer à la puissance, mais que la mobilité, la polyvalence et la cohérence sont recherchées en priorité« . L’esprit manœuvrier serait donc l’apanage des seules forces médianes, les « culs de plomb » en étant parfaitement incapables ! Après cette première estocade condamnant le Leclerc, un éventuel char de transition et tout engin non médian, un autre coup fut porté par le Ministre des Armées avec l’enterrement de première classe du projet de Leclerc Mk3, présenté dans un projet d’amendement sénatorial évoquant l’évolution du char ! Entre silence et condamnations, le Leclerc devrait bénéficier de quelques apports, sorte de pansements sur les plaies les plus visibles, comme les viseurs avec la récente adoption des PASEO ou encore la motorisation dont le remplacement devient chaque jour plus nécessaire. Paradoxalement, la décision de maintien en l’état du char Leclerc a été confirmée au cours d’une des éditions les plus « blindées » du Salon Eurosatory avec la présentation par de plusieurs industriels d’engins ou de projets dans le domaine. Parmi les nombreux exposants, le stand KNDS illustrait parfaitement le renouveau de la filière char avec pas moins de cinq engins présentés dont le Leclerc Evo, successeur naturel du Leclerc actuel et auquel l’armée de terre n’a semblé prêter qu’une attention plus que mesurée. Cette situation fortement préjudiciable sur le plan militaire est également lourde de conséquences pour les industriels concernés au moment où de nombreux pays affichent un intérêt marqué pour des engins innovants plus légers et mieux protégés face aux nouvelles menaces parmi lesquelles les drones et autres munitions téléopérées. 
Enfin le renoncement de l’armée de terre au combat blindé mécanisé est en train de faire disparaitre des doctrines d’emploi des différentes armes cette forme de combat. Alors que la haute intensité est remise à l’ordre du jour pour caractériser la moindre des activités, la manoeuvre blindée mécanisée a quasiment disparu, faute de moyens adéquats. Certes la constitution de GTIA (Groupements Tactiques Inter Armes) à dominante blindée ou infanterie continue de donner un caractère interarmes aux différentes actions, se heurtant dans certaines configurations au manque de moyens lourds, mécanisés capables d’encaisser et de porter des coups décisifs à l’ennemi. Nos équipages de Leclerc confrontés à une diminutions de leurs possibilités d’entrainement ont de plus en plus de difficultés à maitriser les savoir-faire du combat mécanisé. Il est loin le temps où les renforcements interarmes étaient quasiment systématiques dans les exercices dès le niveau compagnie ou bataillon. Les plus anciens se souviendront des 5ème Stade, ou Stade D au cours desquels les unités élémentaires aux ordres du capitaine et leurs renforcements étaient évalués sur un parcours de tir. 
Si elle devait s’engager sur un théâtre requérant des moyens lourds, l’armée de terre ne disposerait que de ses chars Leclerc vieillissant et de Jaguar (en cours de livraison) dotés du canon CTA de 40mm. Ces deux engins étant pour le premier soumis à des limitations de potentiel et de disponibilité affectant l’entrainement des équipages tandis que le second est en cours d’appropriation par les équipages. Pourtant, les derniers engagements de blindés ne devraient pas manquer d’interpeller. Que ce soit l’offensive ukrainienne dans la région de Koursk dans laquelle une centaine de blindés ont été engagés, ou les opérations de l’armée israélienne reposant sur un triptyque blindé seul apte à agir dans le chaos urbain constitué par les constructions dans la Bande de Gaza. Ces deux exemples démontrent une fois encore la nécessité de disposer à côté de moyens à roues, d’engins blindés mécanisés à chenille, la mise en oeuvre des uns n’excluant pas celle des  autres. Au-delà de ces deux conflits, des chars (parfois anciens) apparaissent aux quatre coins de la planète, certaines entités affichant parfois des matériels plus performants que les forces étatiques auxquelles elles s’opposent.
Un autre aspect de la situation actuelle est l’absence du char et de son environnement mécanisé dans les débats des différents organismes de réflexion. La (re)création d’un véritable segment de décision n’a jamais été évoquée dans les différentes interventions. Depuis le déclenchement du conflit en Ukraine, l’ensemble des sujets se rapportant aux différents aspects de cette guerre a été l’objet de nombreux débats dont la chose blindée semble avoir été soigneusement tenue à l’écart. Cette situation n’est pas nouvelle ; l’Opération Daguet à laquelle un GE 40 (Groupe d’Escadrons 40) constitué à la hâte, avait été greffé in extrémis, n’a eu aucune incidence sur l’armée de terre déjà engagée dans l’élimination de sa composante blindée mécanisée. Les décisions prises par des pays voisins, alliés ou plus lointains ne donnent lieu à aucun débat, ou commentaire ou suggestion. L’adoption des cope cages sur les blindés engagés en Ukraine a été observée de près par plusieurs pays dont Israël qui a en équipé ses chars en moins de 72 heures ! L’utilisation des systèmes de protection active, dont certains soulignent une efficacité limitée à 83%, reste peu commentée, peut-être par peur de contrarier les projets français ou de souligner le retard pris par notre pays dans ce domaine ! L’origine de la proposition de geste fort née dans le cerveau d’un chercheur de l’INSERM (Institut de Recherche Stratégique de l’École Militaire) montre le degré de considération apporté au char dans les cercles de réflexion, y compris les plus proches de la sphère militaire. Les seuls événements (à caractère historique) liés au char se déroulant en France sont à mettre au crédit du Musée des Blindés et d’associations de passionnés qui font revivre le temps d’un week-end une partie de l’histoire des blindés et de leurs équipages. Le salon Eurosatory n’empêche pas la tenue de salons spécialisés comme SOFINS ou d’événements comme le futur sommet international des Troupes de Montagne qui se tiendra les 12 et 13 février 2025. Serait-il iconoclaste d’envisager une activité similaire pour la communauté blindée au cours de laquelle retours d’expérience, pratiques et matériels pourraient être présentés.
Le silence mutique qui entoure depuis de longues années le char, son environnement, le combat blindé mécanisé, les matériels qui permettent de le mener et son utilité pour l’armée de terre ne semble pas prêt de cesser. Les succès remportés par les industriels étrangers sur le marché des blindés et les enseignements des conflits en cours ne semblent pas peser lourd face aux tropismes de notre armée ! Pourtant les vieilles lunes ne sont pas forcément celles que l’on croit, le combat blindé mécanisé étant certainement le plus moderne qui soit ! 

Dissuasion nucléaire : 13 ans après sa dissolution, la base aérienne de Taverny reprend du service

Dissuasion nucléaire : 13 ans après sa dissolution, la base aérienne de Taverny reprend du service

 Par Antoine Ducarre – Science et Vie – Publié le 24 septembre 2024

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La base historique de la dissuasion nucléaire française a repris son activité au début du mois de septembre 2024.

Le 4 septembre 2024, les militaires et leur famille ont fait leur retour dans le Val d’Oise dans la base aérienne de Taverny (95150). D’une importance capitale, la base militaire reprend donc sa place au cœur du système français de dissuasion nucléaire. 

La base était dissoute, mais les bâtiments sont restés debout

En 2011, dans le cadre d’une restructuration des armées, la base de Taverny, comme seize autres bases aériennes entre 2008 et 2014, a fermé ses portes. Et ce, malgré le fait que la BA 921 “Frères Mahé” (Base Aérienne 921) abritait dans son sous-sol une installation stratégique importante : le Centre d’opérations des forces aériennes stratégiques (COFAS), mais aussi le Commandement des forces aériennes stratégiques (CFAS). 

Situé à 50 mètres sous la forêt de Montmorency, ce poste de commandement est notamment équipé d’un abri antiatomique en cas de guerre nucléaire et ce dernier abritera notamment l’État-Major des forces aériennes stratégiques. 

Il avait été envisagé que le COFAS soit déménagé à Lyon, mais du fait de la complexité d’un tel mouvement, il n’en fut rien. Ainsi, depuis 2011, seuls les militaires ont quitté la base, les infrastructures, elles, sont restées. L’état-major des forces aériennes précédemment installé à Taverny a donc déménagé à Villacoublay dans les Yvelines (78). 

4 septembre 2024, le CFAS et le COFAS à nouveau réunis

Comme le rapporte Opex360, l’organisation entre le CFAS à Villacoublay et le COFAS à Taverny n’était pas des plus efficaces. Ainsi, en 2020, l’idée d’une réunification a émergé. Trois ans plus tard, la décision était actée, il ne restait plus qu’à la mettre en œuvre. 

Et il n’aura fallu attendre qu’un an, treize ans après l’annonce de la dissolution, pour voir la base de Taverny redevenir ce qu’elle était. Un événement salué par le maire de la commune du Val d’Oise, comme le rapportait Actu : “Ce retour des Forces aériennes illustre la remontée en puissance de la base aérienne placée au cœur du dispositif de dissuasion nucléaire français.” 

Ainsi, depuis le début du mois de septembre 2024, la BA 921 a repris son appellation de Base Aérienne, elle qui avait été rétrogradée en tant que “Élément air rattaché”(EAR) à la base de Creil, dans l’Oise (60). Il s’agit d’une ancienne base qui a dû être “abandonnée” faute de moyens ou de personnels. 

Rénovée de fonds en comble, elle pourra accueillir 500 personnes dont 80% de militaires sur son sol. 

La France et la dissuasion nucléaire

Depuis que Hiroshima et Nagasaki ont été bombardées atomiquement par l’US Air Force pour mettre un terme aux combats du front du Pacifique entre le 6 et 9 août 1945, les pays du monde entier se sont mis d’accord pour ne plus jamais avoir recours à cette arme destructrice. 

Cependant, afin de se préparer à une telle éventualité, quelques pays ont réussi à mettre au point un arsenal nucléaire qui peut être déclenché si nécessaire, uniquement de manière défensive. Ainsi, ces armes nucléaires ne servent pas à être utilisées, sauf en dernier recours, mais à intimider de possibles belligérants quant à leurs actions. 

C’est en cela que l’on parle de “dissuasion nucléaire”.

Les plus grandes puissances mondiales, dont la France, ont donc, à leur disposition, tout un arsenal d’armes nucléaires qui peuvent être installées dans des silos disséminés partout sur leur territoire ou depuis des sous-marins constamment en mouvement. 

Ainsi, dans le cas extrême où la France devrait répondre nucléairement à une attaque, c’est à Taverny, dans le poste de commandement enterré que l’état-major coordonnerait la réponse nucléaire des forces aériennes françaises. 

Source : Actu / Opex360

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

Une révision de la dissuasion française s’imposera-t-elle dès 2025 ?

La dissuasion française constitue, aujourd’hui, l’un des piliers de la posture de défense du pays, tout en conférant à Paris son autonomie stratégique lui garantissant une liberté de position et de ton rare, y compris dans le camp occidental.

Son incontestable efficacité, depuis 1964, sera préservée, pour les quatre décennies à venir, par la modernisation de ses deux composantes stratégiques, avec l’arrivée du nouveau missile de croisière supersonique aéroporté ASN4G, dès 2035, et l’entrée en service des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins SNLE 3G, à cette même échéance.

C’est, tout du moins, ainsi que la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, présente le sujet, qui va consacrer plus de 50 Md€ à cette mission sur son exécution, avec l’objectif de remplacer, presque à l’identique et à partir de 2035, les moyens actuels, par des capacités largement modernisées, donc plus efficaces.

Toutefois, ces dernières années, les menaces pouvant viser, potentiellement, la France, comme ses intérêts vitaux, censées protéger par la dissuasion nationale, ont considérablement évoluer, dans leur nature, leur origine et leur volume.

Alors que de nombreuses voix s’élèvent, outre-Manche comme outre-Atlantique, appelant à une révision profonde et rapide des postures de dissuasion britanniques et américaines, pour répondre à ces évolutions, il est, peut-être, nécessaire de faire de même en France, sans attendre la fin de la LPM en cours, pour transformer l’outil au cœur de la sécurité stratégique du pays, et de ses intérêts vitaux.

 

Sommaire

La dissuasion française, sa modernisation et le principe de stricte nécessité

Bâtie sur le principe de stricte nécessité, la dissuasion française a pour fonction de donner aux autorités du pays, les moyens nécessaires et suffisants, pour s’intégrer efficacement dans le discours stratégique mondial, et ce, de manière strictement autonome, tout en assurant la sécurité et l’intégrité du pays.

Rafale M armé d'un missile ASMPA nucléaire au catapultage
La FaNu permet à la France de déployer des missiles nucléaires ASMPA à partir de Rafale M embarqués sur le porte-avions Charles de Gaulle. Toutefois, avec un unique porte-avions, la Marine nationale ne peut deployer cette capacité que 50 % du temps, au mieux.

Celle-ci se décompose, aujourd’hui, en deux forces aux capacités complémentaires. La première est la Force aérienne stratégique, forte de deux escadrons de chasse équipés de chasseurs Rafale et d’une cinquantaine de missiles nucléaires supersoniques ASMPA-R, d’une portée de plus de 500 km, et transportant une tête nucléaire TNA de 100 à 300 kilotonnes.

À cette capacité mise en œuvre par l’Armée de l’air, s’ajoute, ponctuellement, la Force Aéronavale Nucléaire, ou FaNu, permettant à des Rafale M de la flottille 12F, de mettre en œuvre ce même missile ASMPA-R, à partir du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

La seconde est la Force Océanique Stratégique, disposant de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, ou SNLE, de la classe le Triomphant. Celle-ci conserve, à chaque instant, un de ces navires à la mer, pour évoluer caché dans les profondeurs océaniques, et lancer, à la demande présidentielle, ses 16 missiles balistiques M51.3, d’une portée de 10.000 km, et transportant chacun 6 à 10 têtes nucléaires à trajectoire indépendante TNO de 100 kt.

Ensemble, ces deux capacités confèrent aux autorités françaises en vaste champ opérationnel et lexical stratégique, la composante aérienne formant la force visible pour répondre aux déploiements de forces ou à la menace d’un adversaire potentiel, et la composante sous-marine, en assurant l’adversaire d’une destruction presque complète, s’il venait à frapper la France ou ses intérêts vitaux, et ce, même si la France était elle-même frappée massivement par des armes nucléaires.

FOST SNLE Le terrible classe Le triomphant
Avec quatre SNLE classe Le Triomphant, la France dispose en permance d’un navire en patrouille, susceptible de déclencher un tir nucléaire stratégique de riposte contre un pays ayant attaqué le Pays, y compris avec des armes nucléaires stratégiques.

Contrairement à ce qui est parfois avancé, la dissuasion française est aujourd’hui correctement dimensionnée, et certainement efficace, pour contenir la menace d’un pays comme la Russie, et ce, en dépit d’un nombre beaucoup plus important de vecteurs et de têtes nucléaires pour Moscou.

En outre, cette dissuasion, face à la Russie, toujours, est également suffisante pour être étendue à d’autres pays européens alliés, le cas échéant. Son efficacité est, en effet, liée à sa capacité de destruction chez l’adversaire, et non au périmètre qu’elle protège, même si, dans ce domaine, la perception de la détermination française pour protéger ses alliés, y compris en assumant le risque nucléaire, joue également un rôle déterminant.

De fait, aujourd’hui, la dissuasion française remplie pleinement, et parfaitement sa mission, et peut même, le cas échéant, le faire sur un périmètre plus étendu. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la LPM 2024-2030, sa modernisation, avec l’arrivée du missile ASN4G pour remplacer l’ASMPA-R, et du SNLE 3G pour remplacer les SNLE classe Triomphant, est prévue à partir de 2035, avec un périmètre strictement identique.

L’apparition de nouvelles menaces change les données de l’équation stratégique française

Toutefois, ces dernières années, sont apparues de nouvelles menaces, susceptibles de profondément bouleverser l’équilibre stratégique sur lequel est aujourd’hui bâtie la dissuasion française, et qui est transposé, au travers de la LPM 2024-2030, dans la dissuasion NG française, à partir de 2035.

ICBM KN-22 Pyonguang
première présentation publique du missile ICBM KN-22 à Pyongyang en 2020

Ainsi, alors que la menace stratégique pouvant viser la France et ses intérêts vitaux, jusqu’à présent, était avant tout constituée par l’arsenal stratégique russe, d’autres pays, aujourd’hui, se sont dotés de moyens comparables, susceptibles d’atteindre la France, ses territoires ultramarins ou ses intérêts.

C’est en particulier le cas de la Corée du Nord, qui a développé un missile ICBM pouvant atteindre l’Europe, le Hwasong-15, d’une portée de 13.000 km, et qui pourrait, prochainement, être doté de têtes nucléaires à trajectoire indépendante MIRV.

L’Iran, pour sa part, dispose déjà de missiles balistiques susceptibles d’atteindre le sol européen, avec le Shahab-5 d’une portée estimée au-delà de 4500 km. Si le pays ne dispose pas, pour l’heure, d’un arsenal nucléaire, plusieurs services de renseignement, y compris le Mossad israélien, estiment que Téhéran ne serait plus qu’à quelques mois de pouvoir s’en doter.

Dans les deux cas, ces pays pourraient enregistrer, dans les mois et années à venir, des progrès substantiels dans leurs programmes nucléaires et balistiques, avec une aide technologique possible venue de Russie, en échange du soutien de Téhéran et Pyongyang à l’effort militaire russe contre l’Ukraine.

Bombardier Tu-160M
Les forces aériennes stratégiques russes disposeront d’une cinquantaine de bombardiers supersoniques à très long rayon d’action Tu-160M et M2 d’ici à 2040.

La Russie, justement, développe et modernise rapidement son arsenal nucléaire, avec l’entrée en service de nouveaux vecteurs, comme les SNLE de la classe Boreï, les bombardiers stratégiques Tu-160M et les ICBM RS-28 Sarmat, équipés du planeur hypersonique Avangard.

Surtout, les armées russes se dotent très rapidement de nouvelles capacités nucléaires non stratégiques, qu’il s’agisse de missiles balistiques à courte et moyenne portée, ou de missiles de croisières super ou hypersoniques, tous pouvant alternativement être équipés de charges militaires conventionnelles ou nucléaires.

Enfin, la Chine produit un effort sans équivalent, pour accroitre et étendre ses capacités de frappe nucléaire, son arsenal devant être triplé d’ici à 2035, pour atteindre 1000 vecteurs opérationnels.

DF41 ICBM Chine
le missile balsitique ICBM DF41 chinois représente un immense progrès vis-à-vis des DF-5 à carburant liquide en silo, employés jusqu’à présent.

Pékin se dote, notamment, de capacités stratégiques renouvelées, avec le nouveau missile ICBM à carburant solide DF-41, qui existe en version mobile et en silos, et le missile SLBM JL-3 qui arme les nouveaux SNLE Type 09IV chinois. Comme Moscou, toutefois, les forces chinoises s’équipent aussi d’un nombre croissant de vecteurs à plus courte portée, et d’une puissance de destruction non stratégique, à vocation conventionnelle ou nucléaire.

L’émergence de nouvelles menaces stratégiques non nucléaires doit également être considérée et traitée

À ces nouvelles menaces stratégiques nucléaires, pouvant directement menacer la France et ses intérêts vitaux, s’ajoutent, également, de nouvelles capacités au potentiel de destruction stratégique, mais armées de charges conventionnelles et/ou faiblement létales.

L’exemple le plus célèbre, pour illustrer ces nouvelles menaces, est l’arrivée des drones d’attaque à longue portée, mis en évidence avec les drones Shahed-136 iraniens et Geran-2 russes, employés par les forces de Moscou pour frapper les installations civiles clés en Ukraine.

Drone d'attaque Shahed 136 en Ukraine
Les drones d’attaque, comme le Shahed 136 iraniens, se sont montrés très efficaces pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes.

Bien que vulnérables et transportant une charge militaire relativement réduite, ces drones disposent de deux atouts les transformants en menace potentiellement stratégique, pour un pays comme la France.

D’abord, leur portée, pouvant dépasser les 2000 km aujourd’hui, probablement davantage demain, leur permet d’atteindre des cibles très distantes, pour mener des frappes destructrices contre les infrastructures civiles d’un pays, comme le réseau de communication, le réseau de transport, les réserves de carburant, les capacités industrielles et énergétiques, voire les centres de commandement et de coordination militaires et civils, y compris politiques.

Or, au-delà de la possibilité d’atteindre dans la profondeur des infrastructures clés, cette portée augmente, au carré, le nombre d’infrastructures potentiellement ciblées, rendant leur protection presque impossible par des moyens antidrones classiques. Ainsi, si un drone d’une portée de 500 km peut atteindre, potentiellement, les cibles présentes sur 200.000 km² du territoire adverse, une portée de 1000 km, porte cette surface à 800.000 km².

Surtout, ces drones sont relativement simples et rapides à concevoir et à construire, et ils sont peu onéreux. Ainsi, un drone de la famille Geran-2, serait produit pour 2 à 3 millions de roubles en Russie, soit 20 à 30 k$. Ce faisant, une flotte de 5000 de ces drones, susceptibles de saturer, endommager ou détruire la plupart des grandes infrastructures d’un pays comme la France, peut-être construire en une année, et pour à peine 150 m$.

Usine drones d'attaque Geranium-2
La Russie prévoit de construire plus de 8000 Geran-2, version russe modifiée du Shahed 136, sur la seule année 2024.

Ainsi, certains pays hostiles ou sous influence, peuvent se doter, à moindres frais, et sur des courts délais, de capacités de frappes au potentiel de destruction quasi stratégique, contre un pays très développé, qu’il serait presque impossible de contrer, et ce, sans même devoir franchir le seuil nucléaire.

Cette capacité, et d’autres comme les armes à impulsion électromagnétique, les attaques cyber, voire les moyens chimiques ou biologiques, peuvent engendrer, à relativement court terme, un profond bouleversement de la menace stratégique susceptible de viser, potentiellement, la France, contre laquelle la dissuasion, dans son format actuel, et tel que prévu dans les décennies à venir, pourrait ne pas suffire.

De nombreuses voix appellent à l’extension et la transformation de la dissuasion américaine

Si les questions portant sur la dissuasion, sont très rarement débattues sur la scène publique en France, en particulier par les militaires et les Think Tank qui travaillent pour le ministère des Armées, ce n’est pas le cas, bien au contraire, aux États-Unis.

SSBN CLasse Columbia US Navy
L’US Navy prévoit de n’acquerir que 12 SSBN de la classe Columbia. Un nombre jugé très insuffisant par la Heritage Foundation, qui préconise un retour à 16 navires, comme pendant la guerre froide.

Ainsi, le think tank conservateur américain Heritage Foundation, vient de publier une analyse stratégique pour anticiper la nouvelle Nuclear Posture Review (NPR), qui doit être rédigée et débattue en 2025, par la nouvelle administration américaine, qui sortira des urnes en novembre 2024.

Comme évoqué ici, la Heritage Foundation porte un regard critique sur le renouvellement, entamé aujourd’hui presque à l’identique des moyens de la dissuasion américaine, avec le développement de l’ICBM Sentinel, du bombardier stratégique B-21 Raider, ainsi que du nouveau SSBN classe Columbia, alors même que la menace, elle, a considérablement évoluée, en volume comme en nature, ces dix dernières années.

Sans surprise, la principale préoccupation du think tank américain, concerne la montée en puissance très rapide des moyens de frappe nucléaire chinois, venant déstabiliser le statu quo russo-américain hérité de la guerre froide.

Toutefois, là aussi, les analystes américains pointent la transformation des moyens stratégiques et nucléaires non stratégiques russes, et l’émergence de nouvelles menaces avérées (ICBM nord coréens), ou en devenir (programme nucléaire iranien), avec le risque d’une propagation rapide des armes nucléaires dans les décennies à venir.

silos missiles chine
La construction de plusieurs centaines de silos pour missiles ICBM a été observée en Chine

Pour répondre à ces menaces, et bien que d’obédience républicaine, donc proche de Donald Trump, dont le programme Défense demeure très incertain, la Heritage Foundation préconise l’augmentation rapide des moyens de dissuasion américains, avec le retour à une flotte de SNLE à 16 navires, le développement d’une version mobile de l’ICBM Sentinel, et l’augmentation du nombre de B-21 Raider.

Surtout, elle préconise le développement et le déploiement rapide de capacités nucléaires non stratégiques, notamment en Europe, pour contenir l’émergence de ce type de menaces sur les théâtres européens, Pacifiques et, potentiellement, moyen-oriental.

La modernisation itérative de la dissuasion française pour 2035 répond-elle à la réalité de l’évolution de la menace ?

Les arguments avancés par le Think Tank américain, pour appeler à une révision de la dissuasion américaine, dans son format comme dans sa composition, se transposent, évidemment, à la dissuasion française, elle aussi visant une modernisation itérative, des moyens dont elle dispose aujourd’hui.

Ainsi, même si elle intégrera probablement, à l’avenir, des drones de combat de type Loyal Wingmen furtifs pour accompagner les missions Poker, la composante aérienne de la dissuasion française demeurera armée d’un missile sol-air à moyenne portée et forte puissance, comme l’ASMPA-R aujourd’hui, mis en œuvre par des avions de combat tactiques Rafale, comme aujourd’hui, et soutenus par des avions de chasse d’escorte et des appareils de soutien, tanker et Awacs, comme aujourd’hui.

Rafale B missile ASMPA
Le missile nucléaire supersonique ASMPA-R (Rénové) sera remplacé, à partir de 2035, par le missile ASN4G, qui pourrait être doté d’un planeur hypersonique.

En outre, si les équipements seront beaucoup plus modernes, et performants, le nombre d’appareils, de missiles, et de têtes nucléaires, ne semble pas destiner à évoluer, alors que la répartition de la menace, elle, est appelée à sensiblement s’étendre.

De même, la force océanique stratégique à venir, prévoit toujours de s’appuyer sur 4 SNLE, permettant de disposer d’un navire en patrouille à tout instant, d’un navire en alerte à 24 heures, d’un navire à l’entrainement, mobilisable en quelques semaines, et d’un navire en maintenance.

Pourtant, l’arrivée de la Chine dans l’équation stratégique mondiale, et, dans une moindre mesure, de la Corée du Nord, obligera la FOST à diviser ses moyens, pour contenir simultanément ces menaces à la limite de la portée de ses missiles, notamment en déployant, au besoin, un SNLE dans une zone de patrouille mieux adaptée.

En outre, la montée en puissance des flottes sous-marines russes et chinoises, en particulièrement des flottes de sous-marins nucléaires d’attaque ou lance-missiles, SSN et SSGN, viendra accroitre le risque de compromission de l’unique navire en patrouille français, ce d’autant que le nombre de drones de patrouille sous-marine, conçus précisément pour accroitre les opportunités de détection, va nécessairement bondir dans les années à venir.

SNLE 3G Naval Group
Le conception et la construction des 4 SNLE 3G, destinés à remplacer, à partir de 2035, les SNLE classe le Triomphant, sera le chantier industriel et technologique le plus complexe réalisé en France dans les dix années à venir.

Enfin, l’absence de capacités de frappes de basse intensité, dites « Low Yield » en anglais, et de « de frappe nucléaire non stratégique », dans la nomenclature russe et en chinois, pourrait considérablement affaiblir la posture dissuasive française dans les années à venir, qu’il s’agisse de répondre à ce type de déploiement visible, de la part d’un adversaire potentiel, voire de contenir, au besoin, la menace de frappes stratégiques non nucléaires, par l’intermédiaire d’une flotte massive de drones d’attaque, à la portée budgétaire et technologique d’un grand nombre de pays.

Conclusion

On le voit, si la dissuasion française a rempli parfaitement son rôle, jusqu’à aujourd’hui, la trajectoire retenue, pour son évolution, dans les décennies à venir, bénéficierait, très certainement, d’une nouvelle analyse, prenant en considération, non pas le simple remplacement des moyens existants par des équipements plus modernes et performants, mais aussi la transformation qui est à l’œuvre, concernant la menace stratégique dans le monde.

Cet exercice permettrait, sans le moindre doute, de bâtir une vision plus actuelle sur la réalité des menaces, et leur évolution prévisible dans les années et décennies à venir, et ferait émerger une dissuasion française plus homogène, plus résiliente, et donc plus efficace, pour y faire face.

Enfin, cette démarche bénéficierait certainement d’une exposition publique, certes maitrisée pour préserver la nécessaire confidentialité là où elle est requise, mais qui permettrait de mieux cerner la construction de cette dissuasion, les moyens qui lui sont alloués, et donc, l’effort budgétaire et technologique demandé aux concitoyens, pour s’en doter, et pour assurer la sécurité du pays, comme de ses intérêts vitaux.

Faute de quoi, la France pourrait se voir doter, à l’avenir, d’une dissuasion, certes technologiquement très performante, mais incapable d’assurer efficacement sa mission dans sa globalité, avec, à la clé, des risques existentiels non maitrisés sur le pays, lui-même.

Article du 30 juillet en version intégrale jusqu’au 29 septembre

Les forces spéciales seront bientôt dotées de nouveaux gilets pare-balles « polyvalents »

Les forces spéciales seront bientôt dotées de nouveaux gilets pare-balles « polyvalents »


Avec la mise en circulation d’armes toujours plus puissantes et, partant, l’évolution continue des menaces, la protection balistique des combattants doit évidemment s’adapter, sans pour autant sacrifier leur mobilité. D’où les efforts pour développer de nouveaux matériaux devant être à la fois légers et [très] résistants.

Ces dernières années, la recherche s’est ainsi concentrée sur la soie d’araignée, trois fois plus résistante que le kevlar, qui est le plus utilisé pour confectionner des gilets pare-balles, la structure de la nacre, dont l’étude a permis de concevoir une matière plastique quatorze fois plus résistante et huit fois plus légère que l’acier, ou encore sur les matériaux dits architecturés, qui offrent une grande capacité d’absorption des chocs.

En 2017, dans le cadre de son programme « Combattant 2020 », l’armée de Terre avait présenté la « Structure Modulaire Balistique Électronique [SMB], censée remplacer le gilet de protection balistique individuel [GPB]. Ergonomique, légère et offrant une protection balistique de classe 4 [contre les munitions perforantes] grâce à des plaques blindées, cette protection a dû faire l’objet d’améliorations, en tenant compte des commentaires de ses utilisateurs.

Aussi, une nouvelle version, appelée SMB-V2, fut mise au point sous l’égide du Service du commissariat des armées [SCA]. Et 80’000 exemplaires furent commandés pour les besoins de l’armée de Terre. Mais il n’est évidemment pas question de s’en tenir là.

En octobre 2022, le Centre interarmées du soutien équipements commissariat [CIEC] présenta son projet de Gilet porte-plaques polyvalent [G3P], à l’occasion de la Présentation des capacités de l’armée de Terre [PCAT].

« La conception et le développement du projet G3P s’inscrit dans la volonté du CIEC d’anticiper les besoins du combattant afin d’assurer la qualité et l’efficacité du soutien. Une amélioration de la qualité du soutien donc, qui passe notamment par le développement de nouveaux effets visant à répondre aux besoins des armées », avait expliqué le SCA, à l’époque.

Le défi relevé par le CIEC était d’allier modularité, ergonomie et légèreté tout en assurant une protection balistique la plus efficace possible. Ce qui s’est donc concrétisé par le G3P, dont la particularité est qu’il peut être configuré en fonction de la mission et de la nature des menaces.

« C’est un gilet qui est destiné aux opérateurs du commandement des opérations spéciales [COS]. Il permet de se protéger balistiquement contre des munitions perforantes et il permet également de pouvoir moduler sa protection par rapport à la menace présente sur le théâtre. En fonction du niveau de menace, l’opérateur peut ainsi mettre soit une plaque plus légère pour améliorer sa mobilité, soit ajouter des plaques de classe 4 pour obtenir une protection complète, notamment contre des munitions de type sniper« , explique le CIEC.

Ce G3P se compose de plaques interchangeables, conçues à partir d’un mélange de plusieurs types de céramiques [carbure de bore, carbure de silicium, titane, etc.]. Mais elles ont aussi la particularité d’être dotées de capteurs permettant de contrôler leur intégrité en permanence.

Ce système, appelé GMOS-TherMOS [GaMma One Shot – TherMique One Shot], a été développé par le CIEC, en partenariat avec un industriel. Les plaques sont chacune dotées de quatre puces [deux sur la face interne et deux sur la tranche] afin de détecter un possible dommage après un choc [auquel cas, un témoin rouge s’allume] ou une exposition à des températures susceptibles de dégrader leur performance.

Un tel dispositif présente plusieurs avantages. D’abord, le combattant peut contrôler lui-même l’état de son gilet pare-balles, ce qui fait qu’il est « autonome » pour le réparer le cas échéant. Ensuite, il n’est plus besoin d’avoir recours à des moyens radiographiques pour vérifier l’intégrité de ce type de protection, ce qui fait gagner du temps et de l’argent.

Les opérateurs du Commandement des opérations spéciales [COS] seront les principaux utilisateurs de ce G3P, dont quelques exemplaires ont déjà été livrés. Mais, dans un « hors-série » de son magazine « Soutenir », qui vient d’être mis en ligne, le SCA indique que « plus de 60’000 puces » du système GMOS-TherMOS seront « produites et livrées en 2025 », ce qui permettre « d’équiper plus de 15’000 plaques, en priorité dans les unités des forces spéciales ».

Photo : © Marion Lottegier/SCA/Défense

Leclerc Évolution : La France a 8936+1 bonnes raisons d’acquérir le nouveau char de KNDS

Leclerc Évolution : La France a 8936+1 bonnes raisons d’acquérir le nouveau char de KNDS

À l’occasion du dernier salon Eurosatory, deux équipements français ont suscité une attention toute particulière : le Caesar MkII et le Leclerc Évolution, tous deux présentés par KNDS France, anciennement Nexter.

En effet, ces deux systèmes de combat terrestres synthétisent, en quelque sorte, tout le potentiel que l’ingénierie française peut apporter en matière de combat terrestre, en étant à la fois mobiles, performants et innovants, tout en ne cédant pas à l’hypertechnologisme qui touche parfois ce secteur, et ainsi proposer des prix très attractifs, en tout cas pour le Caesar MkII, puisque le prix du Leclerc Évolution n’a pas été évoqué.

Pourtant, le destin de ces deux équipements, pourrait être très différent. En effet, là où l’Armée de terre a d’ores-et-déjà commandé 109 Caesar MK2 pour former l’ossature de son artillerie mobile dans les années à venir, le Leclerc Évolution, lui, n’a pas semblé susciter l’intérêt de l’état-major, pas davantage de la DGA et du ministère des Armées, liés par des contraintes budgétaires et des programmes à mener à leur terme.

Dès lors, si le Caesar MkII a déjà entamé sa carrière internationale, en Belgique et en Lituanie, le nouveau char de KNDS France, semble, aujourd’hui, destiné à venir enrichir les longues listes des équipements de grandes valeurs, promis à une carrière internationale exceptionnelle, mais fauchés avant même d’avoir commencé dans leur élan, par des considérations contestables.

En effet, comme nous le verrons, Le Leclerc Évolution n’a pas seulement le potentiel de redonner à l’Armée de terre la puissance de feu et de manœuvre lors d’engagements symétriques féroces, ainsi que la masse lui permettant de soutenir dans la durée un tel engagement.

Il a également, face à lui, un marché international, adressable par la France, plus que considérable avec 8936 chars à remplacer dans le monde, qui n’attend qu’un coup de pouce, disons plutôt de l’avant-bras, du ministère des Armées, pour être efficacement démarché.

Sommaire

Avec 200 Leclerc modernisés, l’Armée de terre ne peut que partiellement remplir ses engagements vis-à-vis de l’OTAN

Dans un précédent article, nous avons montré que le format de la chasse française, visant à doter l’Armée de l’Air de 185 avions de combat, et l’Aéronaval de 40 appareils, était très en deçà des besoins, en particulier pour ce qui concerne les engagements pris par la France vis-à-vis de l’OTAN.

char leclerc Armée de terre
L’Armée de terre ne disposera plus que de 200 Leclrec, dont 160 modernisés, à l’issue de la LPm 2024-2030.

Le même Livre Blanc de 2013, à l’origine du format de l’aviation combat, avait également décidé de ramener le parc de chars de combat de l’Armée de terre à 200 exemplaires, entre autres choses. Or, ce format suffit à peine à armer efficacement deux brigades « lourdes », celles-là mêmes qui sont au cœur d’un engagement potentiel en Europe centrale.

Le fait est, Paris s’est également engagé, vis-à-vis de l’OTAN, à déployer à la demande de l’Alliance, une division forte de deux brigades et 12 à 15 000 hommes, formant une division, et les capacités de commandement pour diriger le corps d’armées du théâtre sud-European, autour de la Roumanie et de la Bulgarie.

Avec six brigades organiques, moyennant quelques délais, cet objectif semblait alors réaliste aux planificateurs français. Toutefois, dans cet organigramme, seules deux brigades étaient qualifiées de lourdes, alors que deux brigades, dites moyennes, s’apparentaient à des Brigades d’infanterie motorisée. Les deux dernières, dites légères, étaient composées d’unités d’infanterie de Marine, de la Légion, des troupes aéroportées et de montagne.

Depuis, la guerre en Ukraine a montré qu’il était très hasardeux, pour ne pas dire suicidaire, d’engager des troupes d’infanterie motorisée, voire des troupes légères, sans disposer de l’appui de blindés lourds et de l’artillerie, et donc de chars de combat. En outre, l’attrition constatée est telle, que l’absence de réserves, y compris à l’échelon divisionnaire, peut s’avérer rapidement catastrophique.

T90M en Ukraine
Un T90M russe en Ukraine. En dépit de pertes importantes, les chars ont montré qu’ils étaient toujours indispensables aux manoeuvres offensives et défensives modernes.

Or, avec seulement 200 chars Leclerc, même modernisés, l’Armée de terre ne dispose ni de cette capacité à déployer en permanence les deux régiments de chars nécessaires pour appuyer et accompagner les forces d’infanterie de ses deux brigades, ni des réserves indispensables pour absorber l’attrition et l’usure rapide des matériels.

Pour répondre à ce besoin, la création d’au moins deux régiments de chars supplémentaires, un par brigade moyenne, s’avèrerait nécessaire, ainsi que la création d’un tampon opérationnel équivalent à un régiment, soit un total de 160 à 190 chars supplémentaires, mais aussi 2500 à 3000 hommes supplémentaires à recruter au sein de la Force Opérationnelle Terrestres.

Dans un tel modèle, il est aisément envisageable de transférer les nouveaux chars aux régiments cuirassiers actuels, et de doter les deux régiments formés de gardes nationaux, et encadrés par des militaires d’active, ainsi que le régiment de réserve, des Leclerc MLU, pour assurer la rotation des moyens déployés, et une résilience au contact minimale.

Cependant, l’investissement nécessaire à une telle transformation, mobiliserait autour de 4 Md€ d’équipements et infrastructures, et 200 m€ supplémentaires par an, soit plus de la moitié des crédits accordés par la LPM 2024-2030 au programme SCORPION. On comprend, dès lors, les réticences de l’Armée de Terre à ce sujet, sachant qu’elle ne dispose d’aucune marge budgétaire, et pas davantage de marges de manœuvre programmatique, tant l’ensemble de son parc est aujourd’hui sous tension.

Le Leclerc Évolution, la solution inespérée de KNDS pour compléter l’inventaire lourd de l’Armée de terre

Reste que le besoin de chars lourds supplémentaires pour l’Armée de terre est là, et bien là, et que l’adversaire potentiel n’aura que faire des explications budgétaires françaises, le cas échéant. C’est dans ce contexte qu’est apparu, à l’occasion du salon Eurosatory 2024, le Leclerc Évolution.

Leopard 2A-RC 3.0 par KNDS Deutschland
Le Leopard 2A-RC 3.0 représente la composante allemande de l’offre de chars de génération intermédiaire de KNDS. Contrairement au Leclerc Évolution, ce char sera très certainement commandé par la Bundeswehr, lançant ainsi sa carrière internationale.

Présenté par KNDS France, aux côtés du Leopard 2A-RC3.0 de KNDS Deutschland, le Leclerc Évolution a été une véritable surprise, pour l’immense majorité des spécialistes de ce domaine. Non pas dans sa configuration, puisqu’il reprend, dans ses grandes lignes, celle du démonstrateur EMBT présentés quelques mois auparavant en Égypte, mais dans son positionnement commercial.

En effet, pour KNDS, le Leclerc Évolution, est un char de génération intermédiaire, comme le Leopard 2A-RC3.0, le KF51 de Rheinmetall, ou le futur M1E3 américain, destiné à assurer l’intérim entre les Leopard 2A6/7/8 et Leclerc MLU actuels, et le futur, et hypothétique, programme MGCS franco-allemand, prévu pour 2040, voire 2045.

À l’instar du char allemand, le nouveau Leclerc fait la synthèse entre tout ce qui fonctionne bien et même très bien sur le Leclerc MLU, comme son train roulant, sa propulsion, son système de chargement automatique, et sa visée dynamique, améliore ce qui doit l’être, comme sa vetronique, son système de combat et de communication, et son armement, et ajoute des capacités supplémentaires faisant la plus-value du modèle, comme un système APS hard kill, un tourelleau automatique à fort débattement, et un quatrième membre d’équipage, en charge des systèmes comme les drones, les missiles et le système de défense.

Par ailleurs, le char présenté à Eurosatory par KNDS, ne doit pas être considéré comme un modèle de pré-série, ni même un prototype, puisqu’il peut intégrer de nombreuses évolutions, avant d’arriver à ce stade, selon les besoins des éventuels clients.

Leclerc Evolved
Leclerc Evolved au salon Eurosatory 2024 – Remarquez la filiation avec la tourelle EMBT de 2022. (Photo F. Dosreis)

De fait, le Leclerc Évolution a été salué, apprécié, et parfois encensé, par l’ensemble des spécialistes, tous se heurtant toutefois à la frustration, déjà sensible, du refus de l’Armée de terre de s’en équiper. Or, sans commande française, la carrière internationale du Leclerc Évolution sera immanquablement compromise, comme ce fut le cas précédemment avec le Super Mirage 4000 de Dassault, ou avec le Krab d’Arquus, tous deux pourtant promis à un brillant avenir.

Un risque budgétaire très limité, avec un marché international potentiellement accessible de 8936 chars de combat à remplacer

En effet, le Leclerc Évolution pourrait arriver, s’il est lancé rapidement, et donc commandé par la France, sur un marché international qui n’aura jamais été tant en demande de ce type de modèle, depuis les années 70 et 80.

Et pour cause, un grand nombre d’armées, sur tous les continents, mettent encore en œuvre de vastes flottes de chars datant de cette période, comme les T-72 soviétiques, les Leopard 1 allemands, ou encore les M60 et M48 américains.

Si ces blindés pouvaient encore s’avérer efficaces, en constituant de la masse, jusqu’il y a peu, leur vulnérabilité aux systèmes antichars modernes et aux drones, ainsi que l’écart de performances avec les nouveaux chars qui arrivent à présent, va obliger un grand nombre d’armées à les remplacer.

De ce marché, la France et le Leclerc Évolution ne pourront évidemment en adresser qu’une partie. D’abord, pour optimiser, au sein du groupe KNDS, les chances de succès, alors que le Leopard 2A8/X semble s’imposer comme le choix de prédilection d’une grande partie des armées en Europe.

Leopard 2A8
En commandant 18 exemplaires peu après son annonce, la Bundeswehr a lancé la carrière internationale du leopard 2A8, alors que le KF51 de Rhienmetall, qui n’avait pas eu cette chance, a du patienter 3 ans, et un concours de circonstance en Italie, pour pouvoir trouver un premier débouché.

Ensuite, pour des questions de sphère d’influence. Inutile, pour Paris et KNDS, de tenter de s’imposer au Vietnam, proche de Moscou, ou en Algérie, à mi-chemin entre la Russie et la Chine, ou en Malaisie, qui se rapproche, chaque jour davantage, de la Turquie.

Enfin, pour des questions de cohérences. Pas question, pour la France, de vendre des équipements militaires à la Turquie, tout en ayant signé un accord de défense avec la Grèce. Elle laisse cela aux États-Unis, et aux Britanniques, pour qui le sujet ne semble pas poser de problème. De même, il serait hors de question de vendre des équipements au Pakistan, face à l’Inde.

Pour autant, sur le marché restant, le nombre de chars de seconde génération et troisième génération, devant être prochainement remplacés, atteint le chiffre astronomique de 8936 blindés.

Grèce, Croatie, Belgique : un marché européen potentiel de 1147 chars non fléché vers le Leopard 2

Si l’Europe est la chasse gardée de KNDS Deutschland, et de la famille Leopard 2, la France, et le Leclerc Evo, auraient pourtant trois cartes à jouer, vis-à-vis de pays particulièrement proches, aux besoins spécifiques.

M84A croatie
L’Armée Croate aligne 75 M84 modernisés datant de l’époque yougoslave.

Ainsi, la Croatie a montré, ces dernières années, une appétence toute particulière pour les équipements militaires français, en se portant acquéreuse de 12 Rafale d’occasion, de missiles Mistral 3, et plus récemment, du canon Caesar. Or, le pays aligne encore aujourd’hui, 75 chars lourds M84 yougoslaves modernisés, dérivé du T-72, qu’il sera nécessaire de remplacer dans les années à venir.

La Composante terrestre belge, elle, n’a plus de chars de combat depuis 2014, date du retrait du dernier Leopard 1 des forces armées du pays. Rien n’indique, à ce jour, que Bruxelles envisagerait de faire marche arrière dans ce domaine. Toutefois, au travers du programme CaMo, les autorités belges ont montré leur détermination à accroitre l’interopérabilité avec l’Armée de terre française.

De fait, si celle-ci venait à acquérir trois régiments de Leclerc Évolution, comme évoqué plus haut, il y a fort à parier que Bruxelles embarquerait également dans ce programme, pour une soixantaine de blindés, soit un régiment, respectant ainsi le ratio actuel de format entre la Composante terrestre, et la Force Opérationnelle Terrestre française. Le pays devant sensiblement accroitre ses crédits de défense dans les années à venir, pour atteindre les 2% PIB réclamés par l’OTAN, le budget nécessaire ne serait certainement pas un obstacle.

Le plus grand potentiel, pour le Leclerc Evo, en Europe, serait, cependant, la Grèce. D’une part, Athènes et Paris ont considérablement accru leur coopération défense ces dernières années, avec l’achat de 24 avions Rafale et de 3 frégates FDI, ainsi que des négociations ouvertes autour du VBCI et des corvettes Gowind 2500. En outre, les deux pays ont signé un accord de défense avec clause d’assistance mutuelle en 2021.

Leopard 1A5 Grece
la Grèce aligne encore 520 Leopard 1, principalement des A5, pour former ses blindées devant contenir une éventuelle poussée mécanisée turque en Thrace orientale.

D’autre part, Athènes va devoir remplacer pas moins de 520 Leopard 1 et 492 M60 et M48, pour continuer à tenir en respect la Turquie, en particulier en Thrace orientale et à Chypre. Le terrain sur ces théâtres, est bien plus adapté pour un char de combat plus léger, comme le Leclerc Évolution, face au Leopard 2 ou à l’Abrams Américain.

En Afrique, l’Égypte et le Maroc devront remplacer 2510 chars de combat dans les années à venir

Chose rare, ce n’est pas le Moyen-Orient qui représente l’un des deux marchés les plus prometteurs pour le nouveau char français, mais l’Afrique. En effet, deux pays africains, l’Égypte et le Maroc, disposent aujourd’hui d’une très vaste flotte de chars de seconde génération, qu’il faudra remplacer prochainement.

L’Égypte est, comme la Grèce, l’Inde ou les Émirats Arabes Unis, un partenaire de longues dates de l’industrie de défense française. Ce fut notamment le Caire qui, le premier, commanda des Mirage 2000 sur la scène internationale, et le premier à commander des Rafale en 2015, ouvrant la voie aux fructueuses carrières internationales de ces deux avions de combat, exportés tous deux, aujourd’hui, à près de 300 exemplaires.

En matière de chars, cependant, l’Égypte s’était massivement tournée vers des modèles américains, M48, M60 puis M1, après les accords de camps David, et la rupture avec l’Union soviétique. Ces dernières années, Le Caire semblait à nouveau se rapprocher de Moscou, avec la commande de Su-35s et de T-90S. Toutefois, l’une et l’autre de ces commandes ont tourné court, probablement en lien avec l’intervention des États-Unis et de la législation CAATSA.

M60 Egypte
Les armées égyptiennes alignent encore plus d’un milleir de chars M60 et M48, alors que le potentiel opérationnel de ces blindés, dans un contexte moderne, est désormais très limité.

Aujourd’hui, le Caire se trouve donc en situation difficile, ne pouvant se tourner vers la Russie, et ne voulant pas spécialement se tourner vers les États-Unis, ni vers l’Allemagne, pour moderniser les quelque 1150 M60 et M48, ainsi que les 500 T-55 encore en service. La Corée du Sud avec le K2, comme la Chine avec le VT4, tentent de séduire les autorités égyptiennes.

Cependant, un modèle français, adapté à ses propres besoins, serait incontestablement considéré avec bienveillance par les autorités du pays, raison pour laquelle, en janvier dernier, KNDS avait présenté l’EMBT, et non le Leopard 2A8, lors du salon de l’armement qui se tenait dans la capitale Égyptienne.

La situation du Maroc est sensiblement différente. Rabat entretient, en effet, d’excellentes relations avec Washington, mais aussi avec Pékin et Séoul, et ne manque pas d’options pour remplacer les 210 T-72 et 650 M60 et M48 actuellement en service.

Cependant, le changement de posture récent de la France, concernant le Sahara Occidental, appellera certainement des actions de réciprocité, qui pourraient porter sur la commande de Rafale pour remplacer les Mirage F1 marocains, ou, éventuellement, de chars Leclerc Évolution, si celui-ci était effectivement proposé sur le marché, tout en étant en service au sein des armées françaises.

Arabie Saoudite, EAU, Jordanie… : un potentiel de 1495 chars au Moyen-Orient

Si le marché moyen-oriental ne représente pas le plus haut potentiel mondial, pour le Leclerc Evo, il est tout sauf négligeable, cependant. En effet, pas moins de cinq pays vont devoir moderniser tout ou partie de leur flotte de chars de combat dans les années à venir, et le char français, y aurait toutes ses chances.

Leclerc Emirats arabes unis
Les Leclerc emirati se sont très bien comportés au combat au Yemen, surtout lorsque l’on compare ses résultats et ses pertes, aux engagements des M1A1 et M60 saoudiens sur ce même théâtre.

Les Émirats arabes unis sont, aujourd’hui, détenteurs de la plus importante commande d’armement passée par un pays étranger à l’industrie de défense française, avec la commande de 80 Rafale et divers équipements, pour 14 Md€, en 2022. Abu Dhabi avait aussi été le seul client export du char Leclerc, en son temps.

C’est précisément pour remplacer ces 354 chars Leclerc, que les EAU pourraient souhaiter se tourner vers le Leclerc Evo, ce d’autant qu’ils ont, semble-t-il, été très satisfaits du comportement du blindé français au combat, au Yemen, et que le Leclerc Evo partagera un nombre significatif de composants avec le Leclerc EAU, permettant de capitaliser sur les infrastructures de maintenance et de mise en œuvre déjà déployée.

L’Arabie Saoudite, pour sa part, a longtemps été le plus important client de la BITD française, en particulier dans les domaines terrestre et naval. Ces dernières années, les tensions entre Paris et Ryad ont lourdement altéré cette dynamique, qui semble toutefois à nouveau évoluer dans le bon sens, depuis quelques mois, avec des négociations autour du Rafale et du Sous-marin Scorpene, spécifiquement.

Comme le Caire, Riyad a des relations distendues avec les États-Unis, comme avec l’Allemagne, et pourrait fort bien se tourner vers la Corée du Sud, ou la Chine, pour remplacer ses quelque 370 M60 et 130 AMX30 encore en services.

M60 saoudiens
L’Arabie Saoudite aligne encore 370 M60 et 130 Amx30 aujourd’hui.

Toutefois, l’amélioration des relations franco-saoudiennes, et les performances du Leclerc Évolution, sensiblement supérieures à celles du K2 et du VT4, pourraient bien donner un avantage certain à KNDS France dans cette compétition, surtout si l’industrie saoudienne était intégrée au programme.

Bien que disposant de moyens limités, la Jordanie aligne une force armée conséquente. Son parc de chars lourds intègre, notamment, 190 Challenger 1 britanniques, 80 Leclerc EAU acquis d’occasion auprès d’Abu Dhabi, et 182 M60 américains. Tous devront être remplacés à plus ou moins courte échéance, et le nouveau char de KNDS France pourrait bien faire figure de favori dans ce pays, le cas échéant.

Enfin, Oman et Bahreïn alignent respectivement 79 et 100 M60/M48, devant tous être remplacés à court ou moyen termes, d’autant plus rapidement que le Moyen-Orient risque l’embrasement, et que le statu quo imposé par la présence américaine permanente, pourrait bien s’affaiblir au fur et à mesure que le Pentagone devra concentrer ses moyens dans le Pacifique.

Géorgie et Arménie : 200 chars à remplacer auprès des alliés du Caucase

Le Caucase n’est ni un marché traditionnel pour la France, ni un marché particulièrement volumineux. Pour autant, la Géorgie comme l’Arménie, deux pays proches de l’Europe, et de la France, ne disposent aujourd’hui, chacun, que d’une centaine de chars T-72 ou dérivés, pour assurer leur défense contre la Russie, ou contre l’Azerbaïdjan et la Turquie, respectivement.

armenian tank
Les T72 arméniens ont subi de très lourdes pertes lors de la seconde guerre du Haut-Karabagh, à l’automne 2020.

Dans ce contexte, l’arrivée du Leclerc Évolution, en lieu et place des modèles soviétiques, pourrait sensiblement transformer la dynamique, si pas le rapport de force, et tendre à stabiliser les menaces. Et puis, si on peut indisposer Bakou, n’est-ce pas ?

En Asie, l’Inde et la Thaïlande représente un marché potentiel de 2693 chars de combat

L’Asie est, aujourd’hui, le continent le plus prometteur pour les exportations du Leclerc Évolution. Et ce, en raison de la volonté de New Delhi, de remplacer ses quelque 2410 chars T-72 d’origine soviétique.

L’Inde est régulièrement le plus important client de l’industrie de défense française. Ces dernières années, le pays a ainsi commandé 6 sous-marins de la classe Scorpene, et 36 avions Rafale. Deux contrats supplémentaires doivent être signés, par ailleurs, cette année, pour 26 Rafale et trois sous-marins Scorpene supplémentaires, pour la Marine indienne.

Concernant le remplacement des T-72, la masse du Leclerc, sensiblement inférieure à celle du Léo 2 ou du M1 Abrams, constitue un sérieux avantage pour le char français, tout comme ses performances et capacités opérationnelles supérieures face au T-90S russe et au K-2 sud-coréen.

T71M2 Inde
L’Inde veut remplacer ses quelque 2400 T72, formant la colonne vertébrale de son corps blindé

Tout dépendra, dans ce dossier, du prix demandé par KNDS pour le Leclerc Évolution, et des options de construction locale et de transferts de technologies proposées, New Delhi exigeant, d’ici deux ans, à ce que 75 % de la valeur ajoutée d’un contrat d’armement majeur, soit produite dans le pays.

Bien que très inférieur en volume aux besoins indiens, le remplacement des 283 M60 thaïlandais, représenterait aussi, un marché adressable pour KNDS, même si Bangkok s’est déjà tourné, à ce sujet, vers le VT4 chinois, pour entamer la modernisation de son parc de chars de combat.

Argentine, Chili et Brésil : un besoin à venir de remplacer 891 chars

Par sa géographie spécifique, et sa géopolitique singulière, l’Amérique du Sud n’est pas le marché le plus prometteur pour un nouveau char de combat. Elle représenta pourtant un vase d’expansion confortable et bienvenue pour le Leopard 1 de Krauss-Maffei Wegmann, devenu KNDS Deutschland, lorsque le marché européen vint à se tarir.

Ainsi, l’Argentine (230), le Chili (140), l’Équateur (220) et le Brésil (590), alignent un parc de chars Leopard 1, souvent supérieur à celui de Leclerc de l’Armée de terre française. Le Pérou, lui, a conservé les 280 chars T-55 d’origine soviétique, toujours en service.

Leopard 1 argentine
Leopard 1 argentin.

Au total, donc, ce sont pas moins de 891 chars qui devront être remplacés par un modèle plus récent en Amérique du Sud, sans toutefois que le rapport 1 pour 1 soit respecté, comme d’ailleurs dans l’ensemble des pays évoqués dans cet article.

On remarque, à ce titre, que ces pays sud-américains sont souvent dans la ligne de mire de Naval Group et de son Scorpene Evolved pour remplacer les Type 209 et 206 allemands, dans celle de Dassault Aviation pour placer le Rafale, ainsi que de KNDS, pour le Caesar. Il y a donc une convergence d’intérêts, pour la BITD française, en Amérique du Sud, chaque composante majeure ayant un produit phare pour séduire, avec une synergie globale qui reste cependant à élaborer.

Quelles devront être les qualités du Leclerc Évolution international pour s’imposer dans ces compétitions

Reste que, dans l’immense majorité des cas évoqués, ici, le besoin identifié repose sur le remplacement de chars moyens, comme le T-72, le Leopard 1 ou le M48/60, des blindés souvent plus légers, beaucoup plus rustiques, et considérablement moins onéreux que ne le sont les chars de génération intérimaire.

De fait, au-delà des aspects de performances, de puissance de feu et de technologie, deux facteurs clés devront guider les ingénieurs de KNDS, dans la conception finale du Leclerc Évolution, pour le mettre dans les meilleures conditions pour s’imposer sur ce marché colossal, de presque 9000 machines à remplacer, adressable par l’industriel français.

K2 Black Panther Corée du sud
Le K2 Blacl Panther est aujourd’hui le plsu sérieux concurrent du Leclerc Evolution sur la scène internationale. Ne pas se positionner face à se modèle reviendrait à abandonner un marché de plusieurs milleirs de chars lourds à la Corée du Sud, et marquerait, sans le moindre doute, la fin du char français, avec la disparition de son potentiel d’exportation et de son marché.

Le premier, est la masse au combat du blindé. Que ce soit dans les déserts africains ou moyen-orientaux, les montagnes des Andes, du Caucase ou de l’Himalaya, ou dans les forêts denses du Brésil, de Thaïlande ou d’Équateur, la masse constituera un critère déterminant de la mobilité, donc du potentiel opérationnel du blindé. Si une masse supérieure à 55 tonnes est certainement à proscrire dans une majorité de cas, une masse autour de 50 tonnes constituerait, en revanche, un atout de taille sur ces marchés.

L’autre critère, et ce n’est certainement le plus simple à adapter, sera le prix. En effet, si le Leclerc était compétitif face au Leopard 2A4 ou au M1A1, en son temps, le Leclerc Évolution devra, lui, se confronter au K2 sud-coréen, au T-90S russe et au VT4 chinois, des chars qui évoluent entre 6 m$ (T90S) et 12 m$ (K2). Il faudra donc, d’une manière ou d’une autre, parvenir à se montrer compétitif face à ces modèles, surtout que les chars à remplacer, sont souvent des modèles anciens, achetés à bas couts il y a plusieurs dizaines d’années.

Conclusion

On le voit, même si KNDS a encore des efforts à faire, pour adapter son char aux attentes du marché, le Leclerc Évolution constitue une réponse très bien adaptée, à un très grand nombre de besoins qui vont bientôt émerger, dans le cadre de la modernisation des forces armées mondiales.

Ce marché adressable constitue, à lui seul, un argument stratégique, ou plutôt 8936 arguments stratégiques, pour amener le ministère des Armées, à soutenir KNDS pour attaquer ce marché dans les meilleures conditions possibles.

Et quel meilleur appui, qu’une commande de 180 à 200 chars de ce type, pour l’Armée de terre, sachant qu’il suffira d’exporter 300 chars, pour entièrement neutraliser le surcout sur le budget de l’État, de cette démarche, non planifiée par la LPM ? D’autant qu’elle permettra à l’Armée de terre de recomposer ses forces, pour répondre beaucoup plus efficacement aux besoins de l’OTAN en Europe de l’Est.

Article du 8 aout en version intégrale jusqu’au 29 septembre 2024

Remplacer les 5 Frégates classe Lafayette, un impératif urgent pour la Marine nationale

Remplacer les 5 Frégates classe Lafayette, un impératif urgent pour la Marine nationale

Avec la livraison des 5 frégates FDI de 2025 à 2032, la LPM 2024-2030 permettra de respecter le format de 15 frégates de 1ᵉʳ rang exigé, pour la Marine nationale, par la Revue Stratégique 2022. Toutefois, les 5 frégates légères furtives de la classe Lafayette, elles, n’ont toujours pas de remplaçantes désignées, alors que les navires doivent quitter le service, autour de 2030.

Pire encore, le remplacement même de ces 5 frégates, au statut fluctuant selon les besoins, et pour autant très utiles à la planification de la Marine française, n’est pas même abordé par cette LPM, laissant un vide capacitaire de 25 % dans la flotte française d’escorteurs de haute mer, à partir de la prochaine décennie.

Toute la question, aujourd’hui, est de comprendre l’origine de ce format de 15 escorteurs établi par la RS 2022, pour déterminer si, oui ou non, la Marine nationale a besoin de remplacer des cinq navires, ou si ces frégates de second rang, sont dorénavant inutiles, entre les performances accrues des frégates modernes, et les évolutions des menaces au-dessus, et en dessous de la surface.

Sommaire

Le format de 15 frégates de 1ᵉʳ Rang de la Marine nationale, un héritage des années 80

Contrairement à la flotte des avions de chasse ou de chars français, divisées par 3 après la guerre froide et l’arrivée des bénéfices de la paix, les escorteurs de la Marine nationale, eux, n’ont pas évolué, en nombre, depuis les années 80.

Task force allie en mer dOMAN Frégates | Analyses Défense | Articles gratuits
Les porte-avions USS John Stennis, USS John F.Kennedy, et Charles de Gaulle, et le porte-hélicoptères HMS Ocean, escortés par la frégate FLF Surcouf , le destroyer De la Penne et le croiseur Ticonderoga Port Royal lors de l’opération Enduring Freedom. Les frégates Maestrale, De grasse (T67 classe Tourville) ainsi que HNLMS Van Alstel, participaient aussi à ce cliché.


 

Ainsi, en 1989, la Marine nationale alignait déjà 15 escorteurs dits de premier rang, avec deux destroyers antiaériens classe Suffren, deux frégates antiaériennes classe Cassard, trois frégates anti-sous-marines T-67 classe Tourville, sept frégates anti-sous-marines T-70 classe Georges Leygues, et une corvette anti-sous-marins C-69, classe Aconit.

À ces 15 escorteurs, s’ajoutaient 17 avisos escorteurs A-69 classe d’Estienne d’Orves, des navires équipés pour la lutte anti-navire et la lutte-anti-sous-marine côtière, ainsi que pour les missions de moindre intensité.

Les frégates et destroyers français avaient pour mission d’escorter les deux porte-avions de la classe Clemenceau, les deux navires d’assaut amphibie classe Ouragan, et le porte-hélicoptère Jeanne d’Arc. Ces navires pouvaient également servir d’escorte au croiseur Colbert, ayant, lui aussi, la fonction de Capital Ship, ou navire amiral.

Typiquement, un porte-avions français était escorté d’un escorteur anti-aérien, de deux frégates de lutte anti-sous-marine, et de deux avisos, et était accompagné par un pétrolier ravitailleur, un SNA classe Rubis, et un ou deux avions Breguet Atlantique de patrouille maritime. Les TCD et la Jeanne d’arc, en revanche, n’étaient escortés au combat que par un escorteur anti-aérien, un escorteur ASM et un aviso, le dispositif sous-marin et Patmar étant variable selon les missions.

frégate georges leygues Marine nationale
Les frégates T-67 et T-70, des classes Tourville (ici en photo) et Georges Leygues, ont constitué la colonne vertebrale des capacités de lutte anti-sous-marines françaises des années 70 à 2010, avant d’être remplacées par les FREMM de la classe Aquitaine, et les futures FDI.

Ce faisant, la Marine nationale avait la possibilité de protéger simultanément un groupe aérien et un groupe amphibie, tout en conservant quatre frégates anti-sous-marine et une frégate anti-aérienne par façade maritime, dont une à la mer, une en alerte, deux à l’entrainement, et une en maintenance. Ces navires, ainsi que les A69 restant, pouvaient servir à renforcer les besoins d’escorte, ou à constituer un ou deux groupes d’action navale à part entière.

De fait, bien que sensiblement inférieure, en nombre de navires, à la Royal Navy, la Marine nationale disposait, alors, d’une flotte d’escorteurs parfaitement en cohérence avec ses besoins.

Les FLF classe Lafayette remplacent une partie des avisos A-69 à partir de 1996

À partir de 1996, la Marine nationale commença à réceptionner les nouvelles frégates légères furtives de la classe Lafayette. Initialement, la classe devait être formée par 7 navires polyvalents, avec 12 missiles Aster 15 en cellules de lancement vertical, 8 missiles antinavires MM40 Exocet, ainsi que d’un sonar de coque pour la lutte anti-sous-marine, d’un canon de DCN 100 et d’un hélicoptère Panther.

L’arrivée de ces navires devait permettre de retirer du service la corvette C-69 Aconit, ainsi que 8 avisos escorteurs A-69, tout en portant la flotte d’escorteurs à 21 navires. On retrouvera ce même format, dix ans plus tard, lorsque la Marine prévoyait d’acquérir 4 frégates Horizon, et 17 frégates FREMM. Toutefois, la classe Lafayette est arrivée alors que la menace soviétique avait disparu, que les budgets des armées étaient revus à la baisse, et que la conscription était suspendue.

FLF Surcouf
La frégate FLF Surcouf, dans sa configuration initiale, avec le système Naval Crotal sur le roof arriere. Si la portée du Crotale était effectivement limitée, le missile s’averait cependant assez précis, même si, dans ce domaine, le Mistral 3 du système SADRAL fait, aujourd’hui, encore mieux, tout en étant beaucoup moins onéreux à mettre en oeuvre et à entretenir. La fregate Surcouf fait partie, avec le Courbet et le Guepratte, des 3 FLF rénovées assurant l’interim des FDI au sein de la flotte de frégates de 1er rang de la Marine nationale.

Dès lors, non seulement le nombre de navires fut ramené à cinq navires, mais l’armement et l’équipement des frégates fut revu à la baisse. Le système Aster fut ainsi remplacé par le même système Naval Crotale que les Tourville et Georges Leygues, bien moins performant, mais aussi moins onéreux, alors que le sonar des navires ne fut jamais installé.

Ne pouvant plus qualifier les Lafayette d’escorteur, car n’ayant ni les capacités anti-aériennes, ni anti-sous-marines pour cela, la Marine nationale inventa le concept de frégates de second rang, des navires mieux armés que les avisos et patrouilleurs, mais inadaptés pour évoluer, seul, en zone de tension.

Trois des cinq Lafayette ont été modernisées à partir de 2019, en recevant, pour l’occasion, un sonar de coque BlueWatcher de Thales, et le système Sadral à 6 missiles Mistral, prélevé sur 3 T-70 retirées du service de 2015 à 1018, en lieu et place du Naval Crotale.

Cette modernisation doit permettre à la Marine nationale de conserver un format proche des 15 frégates de premier rang, exigé depuis le LBDSN 2013 et par les deux revues stratégiques depuis, après que la décision de remplacer des cinq dernières FREMM ASM, par les cinq FDI de la classe Amiral Ronarc’h, ait entrainé un étalement des livraisons des nouvelles frégates.

Frégate FDI Amiral Ronarc'h
Frégate FDI classe Amiral Ronarc’h de la Marine Nationale sur le site Naval Group de Lorient

Pour autant, les trois Lafayette ainsi équipées, remplissent à peine les critères de frégate d’escorte de 1ᵉʳ rang, n’ayant ni sonar tracté à profondeur variable, pour la lutte ASM océanique, ni les missiles Aster 30 de défense aérienne.

Le remplacement des 5 frégates légères furtives classe Lafayette n’est pas planifiée dans la LPM 2024-2030

En dépit de cet artifice grossier, plus administratif et politique, qu’opérationnel, la Marine nationale devrait bel et bien retrouver le format de frégates de 1ᵉʳ rang, imposé par la Revue Stratégique 2022, aujourd’hui faisant foi, avec la livraison de la dernière FDI à la Marine nationale, la frégate Amiral Cabanier, prévue pour 2032.

Cette flotte d’escorteurs sera alors composée par deux frégates de défense aérienne classe Horizon, deux frégates antiaériennes classe Alsace, six frégates multirôles classe Aquitaine, et cinq FDI classe Amiral Ronarc’h.

FREMM Mistral

Les LHD classe Mistral ne peuvent évoluer sans la présence d’escorteurs à ces cotés, les capacités d’autodéfense du navire étant preque inexistantes.

En outre, les 9 A-69, requalifiés depuis Patrouilleurs océaniques après le retrait de leurs missiles Exocet, seront remplacés, d’ici à la même échéance, par 7 nouveaux patrouilleurs Hauturiers, des navires qui reprendront certaines des capacités et missions des avisos, notamment en matière de lutte anti-sous-marine sur le plateau continental.

En revanche, rien n’indique, à ce jour, ni dans la Revue Stratégique 2022, ni dans la LPM 2024-2030, que la Marine nationale prévoirait de remplacer les 5 FLF classe Lafayette, une fois retirées du service.

À ce titre, il convient de mettre fin à cette croyance, largement répandue, et relayée jusque sur Wikipedia, selon laquelle les FDI de la classe Amiral Ronarc’h remplaceront les 5 FLF, puisqu’au contraire, les FDI ne feront que remplacer les 5 FREMM annulées en 2015, elles-mêmes devant remplacer les 5 dernières frégates T-70 en service, dans le respect du format de 15 frégates de 1er rang.

Pourquoi le remplacement des 5 FLF de la Marine nationale est indispensable à la cohérence de la flotte d’escorteurs français ?

Fondamentalement, le format d’escorte de la Marine nationale sera, alors, identique à celui qui était le sien à la fin des années 80, avec une frégate antiaérienne et deux frégates ASM pour escorter le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle, puis son successeur, le PANG ; une frégate antiaérienne et une frégate ASM pour l’escorte du Groupe Amphibie ; ainsi qu’une frégate antiaérienne et quatre frégates ASM, par façade maritime.

PAN Charles de gaulle FREMM
Ces dernières années, il était fréquent que le dispositif d’escorte du PAN Charles de Gaulle se limite à une frégate antiaérienne et une frégate ASM de la Marine nationale. Dans ce cas, cependant, la Task Force était le plus souvent complétée par une ou deux frégates ou destroyers alliés.

Toutefois, les évolutions technologiques en cours, comme dans le domaine des missiles de croisière et balistiques antinavires, des drones d’attaque ainsi que des drones de surface et sous-marins, tendent à rapidement saturer les capacités de défense des frégates françaises.

En effet, en dehors des deux frégates horizons, avec 48 missiles Aster 15 et 30, et les deux frégates Alsace, avec 32 missiles Aster, les onze escorteurs ASM français, ne mettent, ou ne mettront en œuvre, que 16 de ces missiles anti-aériens.

Ainsi, la capacité d’escorte du Groupe amphibie, ne reposera que sur 48 à 64 missiles antiaériens, et pourra largement être saturée par les moyens modernes, ce d’autant que, contrairement au porte-avions, les LHD de classe Mistral, n’emportent pas de systèmes PAAMS, mais uniquement des systèmes Simbad armés de deux missiles Mistral d’autodéfense.

Surtout, la multiplication des points chauds, dans le périmètre d’intervention de la Marine nationale, qu’il s’agisse de la Méditerranée orientale comme occidentale, de l’Atlantique Nord, de la mer du Nord, de la mer Rouge, du golfe Persique et du bassin indo-Pacifique, nécessite dorénavant que le nombre de frégates déployables soit revu à la hausse.

Aster 30 frégate alsace
Lancement de trois missiles Aster contre des missiles balistiques Houthis par la frégate Alsace

À ce sujet, le remplacement des 5 FLF, permettrait d’ajouter une frégate ASM au dispositif d’escorte du groupe amphibie, et deux frégates par façade maritime. Ainsi, avec sept frégates par façade, la Marine nationale disposerait, outre l’escorte des Capital-Ships, de la possibilité de maintenir à la mer deux frégates par façade, avec une frégate supplémentaire en alerte, deux frégates à l’entraînement, et une frégate en maintenance.

Dès lors, même un déploiement exceptionnel en mer Rouge ou dans le Pacifique d’une frégate, ne viendrait pas compromettre la capacité de réponse rapide de la Marine nationale, en cas de crise.

Quel navire pour succéder aux FLF de la Marine Nationale

Pour remplacer les cinq FLF, plusieurs navires peuvent être envisagés, en fonction des besoins, des moyens disponibles, ainsi que de l’évolution du marché internationale et de la demande mondiale, sachant que, comme toujours, l’exportation représente le balancier vital de la soutenabilité des investissements industriels de défense français.

La corvette Gowind 2500 de lutte anti-sous-marine, la plus économique

Ainsi, la corvette Gowind 2500 de Naval group, dispose de sérieuses capacités de lutte anti-sous-marine, avec un sonar de coque, un sonar tracté à profondeur variable, deux tubes lance-torpilles triples, et un hélicoptère de lutte ASM. C’est aussi le cas en matière de lutte anti-navire, avec 8 missiles MM40 Exocet, et de son potentiel d’autodéfense antiaérien, avec 16 missiles VL MICA en cellules de lancement vertical.

Gowind 2500
La Gowind 2500 propose des capacités d’escorte océanique pour un ticket d’entrée particulièrement accessible. Toutefois, ces navires ne sont guères conçus pour encaisser les chocs.

Déjà en service dans 3 marines internationales (Égypte, Malaisie et EAU), la Gowind 2500 est, par ailleurs, peu onéreuse, moins de 400 m€ par navire. En outre, une commande française de cinq navires, pourrait entrainer une commande similaire de la part de la Marine Hellénique, avec qui Naval Group est en négociation, sur un modèle de coopération proche de celui mis en œuvre pour les 3 FDI grecques.

La frégate multirôle FREMM, classe Aquitaine ou classe Alsace, la plus polyvalente

À l’autre bout de l’échiquier, se trouve la frégate FREMM, qu’il s’agisse de la classe Aquitaine, optimisée pour la lutte anti-navire et la frappe vers la terre, avec ses 16 missiles de croisière MdCN, ou de la classe Alsace, de défense antiaérienne avec 32 missiles Aster contre 16 pour l’Aquitaine, mais disposant des mêmes performances de lutte ASM que celle-ci.

La FREMM est incontestablement un navire très efficace, comme l’ont montré les frégates déployées en mer Rouge ces derniers mois, dans le domaine antiaérien, antimissile, antidrone et même, antibalistique, et dans le domaine de lutte anti-sous-marine, le navire remportant régulièrement, depuis quatre ans maintenant, les compétitions de l’OTAN à ce sujet.

Fremm bretagne
Les FREMM de la classe Aquitaine sont certianement les navires occidentaux les plus capables, aujourd’hui, en matière de lutte anti-sous-marine.

En revanche, la frégate est onéreuse, deux fois plus que la Gowind 2500. En outre, commander cinq FREMM, aujourd’hui, après les avoir annulées en 2015, entrainant une révision du processus industriel et des prix de l’époque, ne manquerait pas d’être vivement critiqué çà et là. Enfin, le potentiel export des FREMM françaises est aujourd’hui limité, car concurrencé directement par les FREMM italiennes et, surtout, par l’arrivée prochaine de sa version américaine, la classe Constellation.

La FDI classe Amiral Ronarc’h, la plus performante

La logique capacitaire et industrielle font de la nouvelle FDI classe Amiral Ronarc’h, le modèle existant le mieux à même de remplacer efficacement les FLF aujourd’hui. En effet, le navire est à la fois très performant, moderne et très bien armé, avec deux VLS Sylver 50 emportant 16 missiles Aster, pouvant être portés à 4 Sylver et 32 Aster comme sur la version grecque.

La FDI emporte, par ailleurs, 8 missiles antinavires MM-40 Block 3C Exocet d’une portée de 160 km, un canon de 76 mm, deux canons de 20 mm, deux tubes lance-torpilles triples, ainsi qu’un hélicoptère de lutte ASM NH90.

Outre son armement conséquent, la frégate emporte le nouveau radar AESA à faces planes SeaFire 500 Thales, un sonar de coque et un sonar tracté, en faisant un escorteur antiaérien et anti-sous-marin au moins aussi performant que les frégates FREMM de la classe Alsace.

FDI
La FDI est aujourd’hui le choix le plus pertinent, du point de vue de l’efficacité de l’investissement, pour remplacer les FLF.

Le navire est, par ailleurs, doté de capacités de guerre électronique et cyber, tout en s’avérant plus économique que la FREMM, avec un prix unitaire de l’ordre de 650 m€. La production étant en cours, une augmentation du volume des commandes, suffisamment en amont, pourrait même permettre d’en réduire les couts de construction. Enfin, la FDI est commercialement active, Naval Group l’ayant récemment proposé à l’Indonésie et à la Norvège, alors qu’une nouvelle commande permettrait d’en renforcer l’attractivité.

La conception d’une Frégate Légère Furtive de Nouvelle Génération

La dernière possibilité, pour remplacer les FLF, reposerait sur la conception d’une nouvelle classe de frégate légère furtive, un navire de 3.500 tonnes reprenant les missions initiales de son ainée, avant d’être transformée en frégate de second rang.

Le navire pourrait ainsi disposer de 16 missiles Aster 15 EC ou Mica VL NG, pour une enveloppe de défense plus étendue, des 8 MM40 et des 2 tubes lance-torpilles, ainsi que d’une version allégée du SeaFire 500, et les sonars Kingklip et CAPTAS 4 de la FDI. Elle ne disposerait, en revanche, que d’un hangar pour un hélicoptère moyen H160M Guépard, et des capacités plus réduites en matière de guerre cyber.

Radar seafire 500 thales
Radar AESA SeaFire 500 de Thales

La conception de cette frégate induirait des couts supplémentaires, venant très certainement neutraliser les économies attendues sur le prix unitaire, que l’on peut estimer de 500 à 550 m€, par rapport à la FDI. En revanche, elle permettrait à Naval Group d’enrichir son catalogue, et de proposer, comme pour les sous-marins conventionnels, d’une solution dédiée par tranche de 1000 tonnes.

Cette frégate correspondrait, à ce titre, assez finement aux besoins de renouvellement en matière de frégates ou corvettes lourdes, exprimés par plusieurs marines ces derniers mois, notamment celles n’ayant pas les ressources pour acquérir des navires plus onéreux, comme les FDI, les Arrowhead 140, les PPA ou les Meko 200A.

Enfin, avec un tel armement, pour un tel prix, sur un navire de ce tonnage, Naval Group pourrait même venir s’inviter sur les platebandes russes comme chinoises, également visées par la Corée du Sud et la Turquie, avec l’antériorité, la fiabilité et la garantie de qualité que le groupe français peut aujourd’hui proposer.

Conclusion

On le voit, le besoin, dans les années à venir, pour la Marine nationale de remplacer ses cinq frégates légères furtives, est difficile à ignorer, considérant le contexte sécuritaire mondial et sa dynamique aujourd’hui.

Drone houthis
L’arrivée des drones d’attaque à long rayon d’action augmente sensiblement le risque de saturation des défenses des frégates et destroyers.


En effet, si le format à 15 frégates de 1ᵉʳ rang, hérité des années 80, sera bien préservé par la LPM 2024-2030, la nature des engagements, et leur répartition, obligent à présent la Marine nationale, à devoir disposer de davantage de frégates, tant pour escorter ses Capital Ships, que pour protéger ses côtes, et intervenir efficacement et rapidement, là où cela sera nécessaire, en coalition ou pas.

Plusieurs options se présentent, pour cela, allant de la corvette Gowind 2500 à la frégate FREMM. Toutefois, c’est sans conteste la frégate FDI qui présenterait, ici, le meilleur rapport performances investissements. Toutefois, la conception d’une FLF NG n’est pas, elle non plus, dépourvue d’attraits, en particulier concernant le volet des exportations, en enrichissant le catalogue de Naval Group, d’un navire en forte demande, aujourd’hui.

Reste que les 2,5 à 4 Md€ d’investissements nécessaires à ce remplacement, n’apparaissent, pas même partiellement, dans la LPM en cours. Il est donc probable que la Marine nationale s’apprête à faire face à la période la plus complexe et tendue de son histoire depuis les années 80, avec une flotte de 15 escorteurs océaniques seulement, à peine suffisante pour protéger ses Capital Ships à minima, et pour conserver un navire à la mer, et un en alerte, par façade maritime.

Article du 9 aout en version intégrale jusqu’au 29 septembre 2024

 

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine

Le B-21 Raider, bombardier nucléaire furtif américain à 776 millions de dollars, a effectué ses premiers essais en vol en Californie. Cet appareil, capable de transporter des armes conventionnelles et nucléaires, sera produit à plus de 100 exemplaires. Ces tests envoient un message stratégique face aux menaces globales, notamment de la Russie.

Par Laurène Meghe – armees.com – Publié le 20 septembre 2024

Bombardier Americain Decolle La Reponse Washington Poutine
Le nouveau bombardier nucléaire américain à 776 millions $ décolle en guise d’avertissement à Poutine – © Armees.com

Les États-Unis dévoilent une nouvelle fois leur B-21 Raider, un bombardier furtif de nouvelle génération capable de frapper à tout moment avec une précision redoutable. Cet appareil, dont le coût unitaire s’élève à 776 millions de dollars, représente un tournant dans la dissuasion militaire américaine. Alors que la tension monte sur la scène internationale, notamment face à la Russie, ce bombardier joue un rôle stratégique crucial pour Washington.

Une discrétion maîtrisée autour du B-21

Bien que le B-21 Raider ait été révélé au public en décembre 2022, le gouvernement américain a jusqu’à présent été extrêmement prudent quant à la communication sur cet appareil. Il aura fallu attendre les premiers essais en vol, diffusés récemment, pour que le monde puisse enfin apercevoir cet avion furtif dans les airs. Le 18 septembre 2024, des images de l’appareil décollant de la base aérienne d’Edwards en Californie ont été partagées, marquant une étape clé dans le développement du bombardier.

Le B-21 Raider, conçu par Northrop Grumman, doit encore passer par plusieurs phases de tests avant sa mise en service officielle. Selon l’US Air Force, au moins 100 exemplaires seront construits à l’issue de ces essais, consolidant la place du B-21 comme fer de lance de la force de bombardement américaine.

Un message fort envoyé à la Russie

Face aux tensions croissantes avec la Russie, notamment après les récentes escalades dans la guerre en Ukraine, ce développement prend un sens tout particulier. Le B-21 Raider n’est pas un simple bombardier conventionnel : il est équipé d’une double capacité, pouvant embarquer des munitions conventionnelles ainsi que des armes nucléaires.

Ces essais en vol, largement médiatisés, envoient un message direct à Vladimir Poutine et au Kremlin. Alors que la Russie continue d’intensifier ses menaces nucléaires, les États-Unis répondent par la démonstration de cette capacité de frappe stratégique, capable de traverser les défenses les plus robustes. Comme l’indique l’USAF, ce bombardier est conçu pour pénétrer les environnements de menace les plus contestés et pour frapper n’importe quelle cible à travers le monde, même dans les zones les plus défendues.

Un bombardier furtif aux capacités impressionnantes

Le B-21 Raider représente un bond technologique majeur pour les forces aériennes américaines. Non seulement il est conçu pour éviter les radars adverses, mais il est également modulaire, ce qui permet d’y intégrer rapidement de nouvelles technologies à mesure que les menaces évoluent. Ce système d’arme répond à une stratégie à long terme, garantissant aux États-Unis une supériorité aérienne durable.

Selon l’USAF, les essais en vol actuellement en cours incluent des tests au sol, des roulages et diverses opérations aériennes. Chaque vol est une étape critique pour garantir que cet avion de pointe soit prêt à intervenir en cas de besoin, face aux menaces croissantes qui pèsent sur les alliés et partenaires des États-Unis.

Un futur incertain pour la sécurité internationale

Alors que le B-21 Raider continue de monter en puissance, l’équilibre des forces mondiales semble de plus en plus instable. L’introduction de cet appareil dans l’arsenal américain marque un tournant, non seulement dans la capacité des États-Unis à mener des opérations de dissuasion, mais aussi dans leur manière de communiquer face à des régimes agressifs comme celui de la Russie.

Le message envoyé par ces essais en vol est clair : les États-Unis sont prêts à répondre à toute menace, et avec des armes de cette envergure, ils se positionnent plus que jamais comme un rempart contre les attaques potentielles. L’avènement du B-21 Raider symbolise ainsi une nouvelle étape dans la course aux armements, où la furtivité et la polyvalence nucléaire seront des atouts décisifs.

Avec le B-21, l’Amérique montre qu’elle reste un acteur incontournable dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales, même si cela implique de rappeler à ses adversaires qu’elle détient une force de frappe redoutable.


Laurène Meghe

Rédactrice spécialisée en économie et défense armées. Je couvre également les domaines des enjeux industriels et politique, y compris les relations entre les entreprises et leurs partenaires financiers.

L’US Navy prend des mesures pour se préparer à une possible confrontation avec la marine chinoise en 2027

L’US Navy prend des mesures pour se préparer à une possible confrontation avec la marine chinoise en 2027


En mai dernier, le Government Accountability Office [GAO, l’équivalent de la Cour des comptes aux États-Unis] n’a pas eu de mots assez durs à l’égard de la marine américaine, qu’elle a rendue responsable du retard de trois ans pris dans l’exécution de son programme de frégates de nouvelle génération qui, appelé « Constellation », doit coûter la bagatelle de 22 milliards de dollars.

Pour rappel, ces futurs navires étaient censés être conçu à partir du modèle italien de la frégate multimissions [FREMM]. Seulement, les exigences de l’US Navy ont modifié considérablement la conception initiale, d’où les appréciations peu amènes du GAO à son endroit.

« Des pratiques inadéquates […] et des mesures bâclées sur lesquelles le programme de frégates continue de s’appuyer ont […] contribué à lancer prématurément la construction du premier navire avant que la conception ne soit suffisamment stable pour soutenir cette activité », a-t-il affirmé.

Pour le moment, seulement six frégates de type « Constellation » ont été commandées, l’objectif étant pour l’US Navy de remplacer ses navires de combat littoral [LCS – Littoral Combat Ship] qui ne lui ont jamais donné satisfaction, ce qui leur vaut d’être surnommés « Little Crappy Ships » [petits navires de m…].

Lancé au début des années 2000 pour un montant alors estimé à 37 milliards de dollars, le programme LCS prévoyait de doter l’US Navy de 52 navires rapides et rendus polyvalents grâce à l’ajout de « modules de missions » en fonction des tâches qui devaient leur être assignées [lutte anti-sous-marine et anti-navire, déminage, renseignement, surveillance côtière, opérations spéciales]. Et le tout avec un équipage réduit à 40 marins. Seulement, ce concept, qui reposait sur deux modèles de bateau, ne s’est finalement pas avéré le plus pertinent qui soit. Après avoir réduit sa commande à 35 exemplaires, l’US Navy a déjà désarmé plusieurs unités, dont l’USS Sioux City, qui ne comptait guère plus de cinq ans de service.

Plus généralement, les choix technologiques hasardeux auront coûté très cher à la marine américaine. Le cas de la classe de « destroyers » Zumwalt est emblématique. Ayant la signature radar d’un bateau pêche malgré ses 15’480 tonnes de déplacement pour 185,6 mètres de longueur et 24,4 mètres de large, ce navire peut produire suffisamment d’énergie pour alimenter 78’000 foyers en électricité. D’ailleurs il était pressenti pour mettre en œuvre une canon électromagnétique [depuis mis en veilleuse]. L’US Navy espérait en compter 24… Elle en disposera finalement, au mieux de seulement trois, les coûts ayant atteint le niveau « stratosphérique » de 2,4 milliards de dollars par unité en 2016.

Outre ces impasses technologiques, l’US Navy est aussi aux prises avec les difficultés de l’industrie navale américaine [pénurie de main d’œuvre, problèmes d’approvisionnement, capacités de production insuffisantes, etc.]. Difficultés qui freinent les livraisons de nouveaux navires – comme les sous-marins nucléaires d’attaque [SNA] de la classe Virginia – mais aussi le Maintien en condition opérationnelle [MCO] des unités déjà en service.

Ainsi, dernièrement, le porte-avions USS George Washington est resté immobilisé pendant six ans tandis que l’arrêt technique majeur [ATM] de l’USS John C. Stennis devrait se prolonger jusqu’en 2026 [soit pendant un an de plus] alors qu’il a commencé en 2021. Le navire d’assaut amphibie USS Boxer a passé plus de temps en réparations qu’en mer… Et une autre unités du même type, l’USS Iwo Jima, a récemment dû revenir prématurément à sa base en raison d’une grave avarie dont la nature n’a pas été précisée.

Enfin, un autre problème auquel est confrontée l’US Navy est la pénurie de marins. Au début de cette année, il lui en manquait 22’000 [sur environ 348’000].

Dans le même temps, l’activité opérationnelle ne faiblit pas. Que ce soit au Moyen-Orient, en Afrique, en Europe et en Indopacifique, les crises s’accumulent et le droit international est de plus en plus souvent remise en cause. Et, pour les États-Unis, une « grande explication » avec la Chine pourrait avoir lieu en 2027, date à laquelle certains observateurs estiment que cette dernière pourrait tenter de mettre la main sur Taïwan. D’ailleurs, elle s’y prépare activement, en développant significativement ses capacités navales… au point, sans doute, de surclasser l’US Navy [c’est déjà le cas, en termes de tonnage…].

Quoi qu’il soit, la cheffe des opérations navales [CNO, l’équivalent de chef d’état-major de la Marine nationale], Mme l’amiral Lisa Franchetti, a repris cette évaluation à son compte. « Le président de la République populaire de Chine [RPC] a demandé à ses forces d’être prêtes à la guerre d’ici 2027. Nous serons encore mieux préparés », a-t-elle en effet lancé, dans le nouveau plan stratégique de l’US Navy.

C’est donc les yeux rivés sur le développement rapide, tant en quantité qu’en qualité, des capacités navales chinoises que l’amiral Franchetti entend remettre sur pied l’US Navy, en se focalisant sur plusieurs domaines clés.

« Le défi est de taille. La flotte chinoise est la plus importante du monde en termes de taille et elle se modernise rapidement. Le plus grand constructeur naval du monde, CSSC, est à la disposition de la marine de l’Armée populaire de libération [APL] » tandis que la base industrielle et technologique de défense chinoise « est sur le pied de guerre », a fait valoir Mme l’amiral Franchetti. Et de souligner que l’APL s’est attachée à intégrer ses différentes composantes [marine, force aérienne, missiles, cyberespace, espace] dans un « écosystème de combat conjoint spécialement conçu pour vaincre » celui des États-Unis.

Faute de pouvoir disposer des moyens budgétaires nécessaires, Mme l’amiral Franchetti estime que l’US Navy doit se concentrer sur les domaines où elle peut obtenir des gains « dans les délais les plus brefs possibles, avec les ressources dont elle dispose ». D’autant plus qu’elle n’a plus le temps pour accroître le nombre de ses navires « traditionnels ».

Parmi ces domaines, le MCO est essentiel. Ainsi, le plan stratégique de l’US Navy insiste sur la réduction des délais de maintenance à « tous les niveaux », l’objectif étant de pouvoir compter sur 80 % de navires de surface, de sous-marins et d’avions disponibles et prêts au combat d’ici 2027. Et ce n’est qu’un « minimum ». Une meilleur disponibilité permettra en outre d’atteindre un autre objectif : celui d’accroître significativement la préparation opérationnelle.

Un autre domaine où l’US Navy devra progresser est celui de la robotisation, en tirant parti des retours d’expérience [RETEX] de la guerre en Ukraine [en mer Noire] et des engagements contre les rebelles houthis en mer Rouge. L’objectif est ainsi de disposer de « systèmes robotisés et autonomes », dotés de « capacités matures » et pouvant être intégrés aux groupes aéronavals. Au passage, c’est aussi un moyen de gagner de la masse, ce qui est primordial s’il s’agit de mener un combat d’attrition.

Enfin, il s’agira également de remédier aux problèmes d’effectifs dans les trois ans à venir. Ce qui ne sera pas une mince affaire, déjà que, l’an passé, l’US Navy n’a pas tenu ses objectifs en matière de recrutement, même après avoir réduit ses exigences. Aussi, son plan stratégique prévoit surtout des mesures visant à fidéliser ses marins, en améliorant leurs conditions de vie et de service.

Les SAMP/T NG français sur trajectoire pour une livraison en 2026

Les SAMP/T NG français sur trajectoire pour une livraison en 2026

– Forces opérations Blog – publié le

La modernisation des systèmes de défense sol-air français SAMP/T est sur les rails, jalon majeur d’un effort lancé en 2021 par la France et l’Italie. Annoncé hier par le ministre des Armées Sébastien Lecornu, le contrat français prévoit la livraison d’une première section rénovée à l’armée de l’Air et de l’Espace en 2026. 

Organisée lundi et mardi à Rome, la seconde édition de la Conférence sur la défense aérienne de l’Europe aura été l’occasion pour le ministre des Armées d’officialiser « la commande par la France de 8 systèmes SAMP/T NG dont les premiers entreront dans les forces armées dès 2026 ». Quelque 600 M€ avaient été inscrits au budget 2024 pour – entre autres – lancer cette opération de rénovation. 

La commande actée hier porte en réalité sur sept sections complètes. Deux exemplaires de pré-série ont en effet été acquis en juillet 2023 par la France et début 2024 par l’Italie à des fins de développement, explique le maître d’œuvre industriel, Eurosam. Le rétrofit de cet exemplaire vers la configuration de série n’a pas encore fait l’objet d’une commande, nous précise Eurosam. Chaque section française comprendra un radar Ground Fire 300, un module d’engagement et quatre lanceurs de nouvelle génération, poursuit l’entreprise formée par Thales et MBDA.

Cette annonce précède de peu le lancement d’une campagne de tirs programmée pour le mois prochain, autre « jalon important vers le déploiement de ce système » selon le ministère des Armées. Le programme binational comprend également l’opération Aster 30 Block 1 NT, un traitement des obsolescences combiné à l’amélioration des performances du missile face à l’évolution des menaces. 

Une fois rénové, ce système « pleinement européen » sera « capable de traiter des menaces plus significatives, notamment les missiles balistiques de courte et moyenne portée, y compris hypersoniques », relève-t-on côté français. 

Pour les différents sites industriels mobilisés, l’heure est donc au lancement de la production en série. Les modules d’engagement français seront conçus par les équipes Thales de Fleury-les-Aubrais, également en charge des activités de regroupement conduites sur chaque lanceur avant leur livraison au client. C’est aussi dans le Loiret qu’a été achevée, avant l’été, l’intégration du prototype de SAMP/T NG destiné aux essais de qualification. 

En attendant cette refonte, le SAMP/T fourni conjointement par la France et l’Italie« a déjà démontré son efficacité au combat en Ukraine », rappelait Sébastien Lecornu. Si Paris reste discret sur une éventuelle aide supplémentaire, Rome se positionne à demi-mot par l’entremise de son ministre de la Défense. « Le système SAMP/T que nous avons livré, et celui que j’espère nous livrerons aussi vite que possible, a permis aux Ukrainiens de se défendre face aux attaques de missiles russes », annonçait en effet Guido Crosetto, le 6 septembre à l’issue d’une nouvelle  réunion au format Ramstein. Un renforcement du bouclier ukrainien à nouveau évoqué quelques jours plus tard par les ministres des Affaires étrangères des deux pays. 

Crédits image : EMA

L’armée de Terre déploie le véhicule blindé Serval sur un théâtre extérieur pour la première fois

L’armée de Terre déploie le véhicule blindé Serval sur un théâtre extérieur pour la première fois


Contrairement au Véhicule blindé multi-rôles [VBMR] Griffon, l’Engin blindé de reconnaissance et de combat [EBRC] Jaguar et le VBMR Serval n’ont pas eu l’occcasion de connaître les rigueurs du climat sahélien pour leur premier engagement opérationnel étant donné que l’un et l’autre n’ont commencé à être livré à l’armée de Terre qu’au moment où la France s’apprêtait à mettre un terme à sa présence dans la bande sahélo-saharienne [BSS].

En revanche, en mai, le 1er Régiment Étranger de Cavalerie [REC] a déployé plusieurs de ses Jaguar en Estonie, dans le cadre de la mission Lynx. Il s’agissait du premier engagement de ce blindé issu du programme SCORPION sur un théâtre extérieur [et non première participation à une opération extérieure étant donné que les missions menées au titre de l’Otan en Europe de l’Est relèvent de la préparation opérationnelle].

En janvier, le colonel Patrick Ponzoni, alors à la tête du détachement français présent en Estonie, avait confié à ERR, c’est-à-dire la radio-télévision publique estonienne, que le Serval serait engagé dans la mission Lynx à partir du mois d’août.

Finalement, c’est à avec quelques jours de retard que les premiers Serval sont arrivés en Estonie.

« Premier déploiement opérationnel en Estonie pour le véhicule blindé multi-rôles Serval. L’armée de Terre engage ses matériels les plus modernes au service de la solidarité stratégique avec ses alliés », a affirme le général Pierre Schill, son chef d’état-major, via le réseau social X.

Les quatre premiers Serval avaient été livrés au Centre d’appui de préparation au combat interarmes – 51e régiment d’infanterie [CAPCIA-51e RI] de Mourmelon [Marne]. Un an plus tard, le 3e Régiment de Parachutistes d’Infanterie de Marine [RPIMa] devint la première unité opérationnelle de l’armée de Terre à en être dotée.

Pour rappel, devant équiper en priorité la force de réaction rapide de l’échelon national d’urgence, le Serval est un blindé 4×4 de 15 à 17 tonnes, produit par KNDS France [ex-Nexter] et Texelis. Partageant les mêmes équipements que les deux autres véhicules du programme SCORPION [vétronique et système d’information et de commandement, notamment], il est équipé d’un tourelleau téléopéré armé d’une mitrailleuse de 12,7 mm et de détecteurs de menaces. En plus de ses deux membres d’équipage, il peut transporter huit soldats équipés du système FELIN [Fantassin à équipements et liaisons intégrés].

Au-delà de ses capacités en matière de combat collaboratif, le Seval se distingue du Véhicule de l’avant blindé [VAB] qu’il remplace par « ses qualités de mobilités tactique et stratégique », d’après la Section technique de l’armée de Terre [STAT].

Photo : armée de Terre